Les indicateurs de gestion sont-t-ils neutres ? Le cas de la RGPP

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(année universitaire 2011-2012)

Grade : L3 Pôle d’enseignement : Économie, entreprises et secteur public Matière : Les réalités de l’entreprise Date de la soutenance : mercredi 15 février 2012

Les indicateurs de gestion sont-t-ils neutres ? Le cas de la RGPP

Correspondant du groupe : Audrey Lenfant Membres du groupe : - Guillaume Catta - Victoire Cauchard - Éléna Étrillard - Audrey Lenfant - Constance Roger

Institut Supérieur du Management Public et Politique (ISMaPP) Établissement d’enseignement supérieur privé reconnu par l’Etat 80, rue Taitbout 75009 PARIS ✆+33 (0) 1 55 50 12 40

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● Sommaire Introduction : ………………………………………………….................... p 3 I- Les indicateurs de gestion et leur évolution…................................. p 5 A) Définition des indicateurs de gestion ; leur utilisation dans le secteur privé B) Les indicateurs de gestion sont-ils neutres ?

II- Les indicateurs de gestion appliqués au secteur public ; pourquoi cette volonté d’un nouveau management et quel impact sur la fonction publique………………………………………………................................... p 10 A) La volonté du politique d'une plus grande clarté dans l'administration des fonds publics et l'exigence d'efficacité à l'égard des fonctionnaires qui débouche sur la mise en place d'un suivi des performances de ces administrations. B) Traitement de la sphère publique à l’aube d’un monde entièrement « managérialisé » : la RGPP

III- Illustration de la mise en place des indicateurs de gestion dans le secteur public : l’application de la RGPP………..…………………....……..p 16 A) La difficulté d’application d’un mode de gestion et d’évaluation des performances propre au secteur privé au secteur public : les limites des indicateurs de gestion et de la RGPP B) Illustration de l’application de la RGPP dans l’administration : des résultats qui varient d’un ministère à l’autre a) La mise en œuvre de la LOLF et les premiers bilans b) L’application au sein du Ministère des Affaires étrangères : le cas de la diplomatie

Conclusion : ..…………………………………….................................. p 32 Bibliographie………………………………………………………………p 33 Annexes…………………………………………………………………….p 34 2


● Introduction « Quatre ans après son lancement, la RGPP est pleinement inscrite dans le paysage administratif et l’utilité de ce grand exercice de réforme n’est aujourd’hui plus questionnée. (...) Les résultats sont là et de nombreux chantiers entrent désormais dans leur dernière ligne droite. La RGPP a contribué à garantir la continuité, la performance et l’adaptabilité du service public. » Ces remarques à propos de la révision générale des politiques publiques (RGPP), sont issues de l’édito du site mis en place par le Gouvernement. Le site a pour vocation première de tenir les citoyens informés à propos de cette réforme dont le but est d’être un outil conçu pour offrir une plus grande lisibilité et visibilité de l’action administrative et de sa gestion budgétaire. En 2001, au moment de l'adoption de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), la dette de l'administration publique en France s'élève environ à 850 milliards d'euros soit presque 60% du PIB. Sa mise en place marquait la première étape d’une réforme en profondeur de la gestion de l’Etat. S’inspirant du New Public Management, la LOLF a pour fonction d’induire une meilleure efficacité et qualité du service rendu. Elle s’applique dès janvier 2006 à toutes les administrations. Alors que la RGPP est mise en route en 2007, la dette de l'administration publique est de 1 211 milliards et représente 62,4% du PIB. L’endettement du secteur public est attribué au mauvais fonctionnement des administrations, à des dépenses que l'on juge insuffisamment surveillées et donc plus généralement à une mauvaise gestion des "deniers de l'État". Engagé dans un mouvement de « managérialisation » de la société, le principe sur lequel repose la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) est celui de la performance. C’est principalement sur cet outil et ses indicateurs de gestion que repose la plus grande visibilité de l’action administrative et de la gestion de son budget. Par ailleurs, à différents échelons du territoire, la RGPP permet également aux élus locaux, en explicitant les objectifs et les indicateurs de performance, de rationaliser les processus d'action publique et d'utiliser les buts ou les résultats atteints comme preuve de l'efficacité de leur politique auprès de leur électorat qui demande cette grille de lecture. Contrairement à ce que présente l’édito, son « utilité » est cependant contestée dans les milieux de la fonction publique et de l’administration. Certains détracteurs de la RGPP préviennent du risque que la politique meurt quand elle préfère gérer plutôt que gouverner. En effet, le New Public Management (NPM) inspire la RGPP à travers la remise en cause de la bureaucratie et de l’efficacité qu'elle établit. S’il est vrai que « de nombreux chantiers entrent désormais dans leur dernière ligne droite », le milieu de la fonction publique semble avoir des difficultés à se voir appliquer ce mode gestion, principalement pour des raisons culturelles. Une des variantes du NPM est d'avantage favorable à la liberté et l'autonomie des gestionnaires par un allègement des modes de contrôle et la "redevabilité" à l'égard des usagers. Mais cette culture de résultats et de la logique de performance peine à être appliqué dans toutes les administrations, notamment au sein du Ministère des affaires étrangères par exemple. Ainsi, si ces dispositifs de modernisation pouvaient apparaître comme une opportunité pour faire valoir les transformations de l’activité des diplomates, il semble qu’à l’usage, ils aient été fortement critiqués, notamment les 3


indicateurs de performance. Si le secteur public a de nombreuses particularités qui font qu'on ne peut pas complètement lui appliquer les logiques développées par les entreprises privées, une révision des politiques publiques s’avérait cependant nécessaire afin de répondre à la modernisation croissante de la société et de ses échanges. Ce dossier s’appliquera à étudier la question de la neutralité des indicateurs de gestion dans le cadre de la mise en place de la révision générale des politiques publiques. Un premier temps de la réflexion portera sur les définitions qui peuvent être apportées à ces indicateurs de gestion et à leur évolution, tout en montrant que leur neutralité est limitée. Après avoir montré comment s’est construite la volonté d’appliquer un nouveau management et quelles en ont été les conséquences pour la fonction publique, une étude sera menée sur le cas de la RGPP parallèlement à l’application de la LOLF et leur application au sein du ministère des affaires étrangères.

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I- Les indicateurs de gestion et leur évolution A) Définition des indicateurs de gestion ; leur utilisation dans le secteur privé Afin de réaliser des études de productivité et d’efficacité du travail, le monde du travail a choisi d’établir des indicateurs dits de gestion et de performance. Visant à quantifier le travail, ces mesures de la production par rapport au temps utilisé, renvoient à la notion de productivité. Cette recherche d’une maîtrise de la production en un temps donné s’installe alors que la concurrence se développe et que chaque entreprise souhaite s’imposer et dépasser ses concurrents. Les indicateurs de gestion sont alors multipliés et deviennent indispensables au fonctionnement d’une entreprise. L’indicateur de gestion, ou le « Key Performance Indicator » (KPI), est issu du jargon de l’industrie et est relatif au calcul du rendement : il permet ainsi de mesurer le succès ou la réussite d’une activité particulière dans laquelle l’entreprise s’est lancée, de démontrer la progression vers des objectifs stratégiques, mais aussi et bien souvent, de répéter un certain niveau d’objectifs opérationnels (tel que l’objectif « zéro défaut », la satisfaction du client…). Les indicateurs de gestion définissent un ensemble de valeurs de l’entreprise. Par conséquent, le choix de l’indicateur relève du besoin d’avoir une bonne compréhension de ce qui est important pour l’organisation. Afin de déterminer ce qui est nécessaire, les entreprises utilisent diverses techniques pour évaluer l’état actuel de l’entreprise, et ses principales activités. Ces évaluations conduisent bien souvent à l’identification des améliorations potentielles, et ainsi les indicateurs de rendement choisis sont systématiquement associés à des initiatives d’amélioration des performances. La méthode la plus couramment utilisée par les indicateurs de gestion et de performance, est l’application d’un cadre de gestion tel qu’un tableau de bord équilibré. Cependant, beaucoup de choses sont mesurables, ce qui ne signifie pas qu’elles soient la clé du succès pour l’entreprise. Dès lors, il s’agit d’établir un certain cadre de détermination des indicateurs. Il est primordial de se limiter aux facteurs qui sont essentiels à l’élaboration des objectifs de l’entreprise. Il serait de même important de définir un nombre restreint d’indicateurs afin de garder en vue l’essentiel des objectifs et de ne pas se disperser. Ce qu’il faut garder à l’esprit, c’est que les indicateurs de gestion ne sont pas des chiffres absolus, mais pourtant des pourcentages, des moyennes, des ratios, des taux ou bien des alertes, face à des objectifs d’amélioration de la performance précis. D’après Philippe Lorino dans Méthodes et pratiques de la performance : le pilotage par les processus et les compétences, aux éditions Organisation, 2001, un indicateur de gestion et de performance se définit comme « une information devant aider un acteur, individuel ou plus généralement collectif, à conduire le cours d’une action vers l’atteinte d’u objectif ou devant lui permettre d’en évaluer le résultat ». L’indicateur doit donc avoir une pertinence opérationnelle. Il n’est utile que dans le but de piloter une action (qui doit être lancée, ajustée, évaluée). Il est par conséquent étroitement lié à un processus d’action précis. L’indicateur aura de même une pertinence stratégique, qu’il mesure un objectif (il s’agit alors d’un indicateur de résultat) ou bien qu’il informe sur le bon déroulement d’une action visant à atteindre cet objectif (il s’agit d’un indicateur de pilotage). De plus, l’indicateur de gestion et de performance doit avoir une efficacité cognitive. C’est-à-dire qu’il est destiné à être utilisé par des agents précis, qui sont 5


généralement collectifs (directions opérationnelles, direction générale ou centrale…), dont il doit aider à orienter l’action et à en comprendre les facteurs de réussite ou d’échec. Cette condition, d’efficacité cognitive de l’indicateur, signifie que celui-ci doit pouvoir être lu, compris et interprété facilement par l’agent auquel il est destiné. Enfin, l’obtention de l’indicateur doit avoir un coût acceptable par rapport au résultat qu’il apporte et donc au service qu’il rend. Cet indicateur doit avoir une temporalité ou une échéance afin d’être fiable et crédible. Ainsi, il existe deux types d’indicateurs : les indicateurs de résultat et les indicateurs de processus. D’une part, les indicateurs de résultat. Ils renseignent du résultat de la réalisation des objectifs assignés au processus. Ils se réfèrent dès lors au produit ou au service et indiquent une valeur à un moment donné. Leur lecture se fait dans la durée. De fait, ils sont associés à des variables dites « essentielles ». Una variable essentielle est un élément du système sur lequel on ne peut pas agir directement. Le lien existe entre les actions prises dans l’entreprise et cette variable, cependant, les effets ne sont pas directs. En ce qui concerne les indicateurs de processus, ils permettent, quant à eux comme ils l’indiquent, de suivre l’évolution du processus. Ils effectuent un suivi progressif de l’exécution des activités. Ces indicateurs de processus sont associés à des variables dites d’« action » (encore appelés « inducteurs de performance »). Ils constituent des moyens d’agissement sur les éléments actifs (tels que les ressources, les produits…). Ainsi, une variable d’action est un élément qui a une influence sur le processus auquel elle est rattachée. C’est un facteur sur lequel agissent directement un ou plusieurs acteurs du système. Les informations contenues dans les indicateurs de processus aident donc à interpréter les indicateurs de résultats. Dès lors, on peut évoquer quelques indicateurs largement utilisés dans le secteur privé par les entreprises : - indicateurs financiers : total de l’actif/employé ; bénéfice en pourcent du total des actifs ; marge brute, revenu net, revenu brut, endettement, délais de paiement clients et fournisseurs… - indicateurs marketing : satisfaction du client, nombre de plaintes… - indicateurs ventes : le ratio des activités récentes, taux d’accomplissement des activités vs les objectifs d’activité, coût par visite, nombre et valeurs des offres remises … - indicateurs des opérations : coût moyen par transaction, moyenne des délais, taux d’utilisation de la main-d’œuvre, les ruptures de stock, temps et délais de production, nombre d’accidents, niveau de sécurité, impact environnemental, dépendance vis-à-vis des fournisseurs, recherche et développement… L’utilisation des indicateurs de gestion dans le secteur privé est donc devenue systématique et est désormais indissociable du développement des entreprises. Ces indicateurs sont délicats à mettre en place et peuvent parfois toucher des phénomènes sensibles et changeants. Dès lors, les indicateurs de gestions sont-ils neutres ?

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B) Les indicateurs de gestion sont-ils neutres ? Un indicateur est une statistique qui permet de mesurer certaines dimensions de l’activité économique et se doit d’être le plus objectif possible. Cependant, cette nécessité n’est parfois pas respectée. En effet ils sont en interaction avec tant d’autres éléments de l’entreprise que les indicateurs deviennent souvent subjectifs. Ils sont formés par l'agrégation d'indices permettant d’atteindre les objectifs économiques voulus par la direction. L’utilisation des indicateurs de gestion permet à l’employeur de parvenir à l’exécution des stratégies qu’il souhaite pour son entreprise. D’une certaine manière, ils guident le travail des employés en leur imposant des objectifs à tenir. Cette gestion de la performance des employés constitue un réel avantage pour les employeurs. On ne peut pas dire que les intérêts de l’employeur et de ses employés convergent toujours. Ils sont au contraire le plus souvent discordants. Les indicateurs de gestion sont un moyen très simple pour amener les employés à travailler dans le sens que souhaite l’employeur. Alors que dans le secteur public la rémunération des employés se résume aux salaires, le secteur privé récompense l’effort entre autres par des primes et des promotions. Ce sont des mécanismes d’incitation qui poussent les employés à suivre la logique des indicateurs. Alors que les fonctionnaires ne voient pas leur salaire évoluer selon leur production individuelle, celui des employés des entreprises privées est relié à une mesure d’efficacité, de performance personnelle. C’est une manière sous entendue de les pousser à fournir le plus d’effort possible puisqu’ils savent que s’ils agissent ainsi ils seront récompensés. Pour défendre ce type de bonus, ceux qui critiquent le salaire du secteur public avancent que les fonctionnaires ne sont pas incités à fournir plus d’effort que nécessaire. Le salaire restera effectivement le même quel que soit les résultats apportés à l’entreprise. Mais la gestion du secteur privé par des indicateurs a certaines limites qu’étudie Maya Bacache-Beauvallet dans son article « Incitations et désincitations : les effets pervers des indicateurs ». Les indicateurs posent des problèmes en ce qui concerne la juste prise en compte de l’effort de chacun. Les indicateurs ne parviennent pas à saisir les efforts personnels de chaque employé. Si l’employeur observe mal la production et l’effort, le travail d’un employé sera mal reconnu et peut mener à un sentiment de frustration. Il est alors nécessaire de prendre en compte l’indicateur de manière relative. Ainsi, en s’intéressant à un indicateur dans les travaux de différents employés, l’employeur voit plus précisément ce qui altère l’indicateur. Les travaux en groupe présentent une difficulté d’analyse pour les indicateurs. Un indicateur ne peut juger à sa juste valeur le travail de chaque membre d’un groupe. Des doutes résultent donc concernant la pertinence des résultats. Cela peut créer des tensions entre les membres d’un groupe de travail. En effet le travail de chacun est finalement jugé de la même manière étant donné que les indicateurs tiennent compte du résultat final et non du travail fourni par chacun au cours de la mise en place d’un projet ou d’une mission. Le jugement collectif par les indicateurs soulève donc quelques questions. Peut-être faudrait-il plus les affiner afin qu’ils traduisent les efforts que chaque employé fournit personnellement pour ne pas s’exposer au phénomène du « passager clandestin ». Ce phénomène fait que certains employés se cachent derrière le travail du groupe pour ne pas agir beaucoup et tout de même profiter des retombées positives. La journaliste rappelle une étude de Hansen en 1997 sur un centre d’appel. La rémunération collective avait un effet en U car les moins bons employés avaient du mal à supporter la pression du groupe tandis que les meilleurs avaient le sentiment d’être 7


exploités. Cet exemple montre qu’il est essentiel de choisir le type de rémunération et l’interprétation des indicateurs selon le groupe que l’on veut récompenser. Ces choix ne peuvent pas être les mêmes tout le temps. Les employeurs doivent les moduler en fonction du groupe de travailleurs. L’étude de Hansen souligne le problème que pose une équipe hétérogène. On voit bien que la rémunération collective, soit celle qui donne le même salaire à tous les travailleurs, n’est pas la meilleure dans le cas d’un groupe où les employés n’ont pas la même capacité de travail. Ce type de rémunération fonctionne par contre dans un groupe homogène. « Les salariés et la performance après la crise », une étude Methys/Ifop, a dévoilé une certaine rupture entre les salariés et leurs dirigeants. Elle a été réalisée auprès d’un échantillon de 1000 salariés, représentatifs des salariés français d’entreprises privées de plus de 50 salariés. Les sondages effectués en … se sont attachés à l’opinion des salariés sur les indicateurs utilisés dans les entreprises. Les critères de performance leur semblent contre-productifs par bien des aspects et cela est encore plus sensible dans cette période de crise économique. L’entreprise semble passer avant tout et tend à faire oublier le facteur premier de résultat : les employés. L’enquête est menée autour de trois sujets : la perception de la performance, la mesure de la performance, le vécu de la performance pendant la crise. Les salariés considèrent, certes, que leur entreprise est performante. Mais le problème de la performance réside plutôt dans le fait que le sens donné aux stratégies et aux résultats ne leur convient pas. Ils sont conscients qu’il y a une grande performance et ils voient cela comme un point positif (90% expriment une vision très positive de la performance de leur entreprise et de ses collaborateurs). Cependant, la performance ne peut être un bienfait à leurs yeux uniquement s’ils sont d’accord avec la direction que prennent les indicateurs. La bonne performance se résume avant tout par la bonne image qu’elle donne ainsi que par la qualité des biens et services produits. Ces éléments permettent aux employés d’être fiers de la structure dans laquelle ils travaillent. 95% des salariés comprennent que l’entreprise ait pour objectif d’améliorer sa performance. Leur critique concerne les moyens mis à la disposition de cette nécessité de performance : le besoin de produire plus, plus vite et à moindre coût. De plus, les salariés ne sont pas dupes en ce qui concerne le souci des performances environnementale et financière. Ils savent que la première a pour objectif d’améliorer leur image (91%) et la seconde de satisfaire les actionnaires (89%). Une entreprise n’est effectivement pas une structure neutre qui peut vivre en autarcie et ainsi ne jamais se soucier du monde extérieur. Les interactions avec d’autres acteurs sont nécessaires à sa productivité. L’employeur ne peut donc envisager le seul bien être des employés et doit trouver des solutions pour répondre aux impératifs des nombreux réseaux. « Loin de rejeter la notion de performance, les salariés l’intègrent comme une composante essentielle de leur activité, analyse Stéphane Pimienta, Directeur Général du cabinet Methys. Toutefois ils regrettent majoritairement qu’elle soit définie de façon réductrice, sur la base de critères essentiellement financiers et comptables. Emerge ainsi l’attente forte d’une conception exhaustive de la performance, qui accorderait davantage de place à des critères actuellement moins valorisés, notamment les dimensions sociale et environnementale. Cette vision à 360° de la performance gagnerait également à compléter ces critères quantitatifs par des éléments de mesure qualitatifs. »

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L’étude insiste sur la tension créée par l’importance qu’a prise la performance pendant la crise. L’impact du renforcement des indicateurs a mené à un grand stress au sein des équipes de salariés (89%, chiffre croissant avec l’âge). L’aspect négatif de cette gestion est aussi dû à la diminution des marges d’action des salariés. Ceux-ci ont vu les ont vu baisser puisque l’intérêt de l’évaluation était porté sur le quantitatif et non sur le qualitatif. On ne peut donc éviter des relations plus tendues entre les salariés et les managers. Cette entrave aux initiatives est un réel inconvénient aux yeux des employés (55%) et peu (54%) estiment que cela permet une meilleure prise de décisions. De plus les performances d’une équipe et de toute l’entreprise ne semblent avoir qu’un très faible impact sur les salaires et seul 47% des salariés ont un salaire conditionné par la performance individuelle. « Les salariés s’estiment unanimement performants, mais ils regrettent que la performance ne tienne pas suffisamment compte des efforts individuels et se concentre sur des indicateurs globaux, commente Stéphane Pimienta. La grande majorité des salariés souhaite être davantage évaluée sur son action et son implication individuelles, qui pourrait plus fortement conditionner la rémunération. » 71% des personnes interrogés considèrent que les augmentations de salaires son « injustes et déconnectées de la performance individuelle » et ce sentiment d’iniquité touche également le problème de la rémunération des dirigeants par rapport à la performance de l’entreprise que 58% trouvent injuste. « La mesure actuelle de la performance est sous-optimale. Un des problèmes que cette étude souligne est la déconnexion entre la stratégie de l’entreprise et les critères réellement utilisés pour mesurer la performance. Les salariés se montrent très critiques visà-vis des moyens utilisés pour mesurer la performance : mal expliqués, à l’utilité floue, ces outils ne sont perçus que comme des entraves au travail et des formalités bureaucratiques, poursuit Stéphane Pimienta. Cette inadaptation des outils génère des effets pervers importants. Les conséquences négatives ressenties par les salariés sont multiples : accélération des rythmes de production, augmentation du stress, amplifications des tensions et des rivalités internes… Le sentiment dominant est celui d’une prime accordée à la réactivité à court terme au détriment d’une vision stratégique de plus long terme et surtout de la qualité du travail fourni. Apparaît ainsi le risque de contre-productivité économique liée à la mesure de la performance. » Malgré les limites que nous venons d’étudier, les méthodes du secteur privé sont très attirantes puisque le secteur public désire les appliquer. Le management public a la volonté, lui aussi, d’évaluer le travail des fonctionnaires grâce à des indicateurs de performance. Cette logique s’inscrit dans la Réforme Générale des Politiques Publiques. On peut alors se demander quels seront les impacts de cette méthode de gestion sur la fonction publique.

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II- Les indicateurs de gestion appliqués au secteur public ; pourquoi cette volonté d’un nouveau management et quel impact sur la fonction publique A) La volonté du politique d'une plus grande clarté dans l'administration des fonds publics et l'exigence d'efficacité à l'égard des fonctionnaires qui débouche sur la mise en place d'un suivi des performances de ces administrations. Une révision générale des politiques publiques devenue nécessaire Le principe sur lequel repose la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) est celui de la performance. Comme on a pu le voir plus tôt, il s'agit d'une logique traditionnellement appliquée au secteur privé dans le but d'augmenter la productivité des processus de création de richesse. En 2001, au moment de l'adoption de la LOLF, la dette de l'administration publique en France s'élève environ à 850 milliards d'euros soit presque 60% du PIB; en 2007, année de mise en route de la RGPP, la dette de l'administration publique est de 1 211 milliards et représente 62,4% du PIB. Le secteur public est endetté et cette dette est attribuée au mauvais fonctionnement des administrations, à des dépenses que l'on juge insuffisamment surveillées et donc plus généralement à une mauvaise gestion des « deniers de l'État ». La richesse de la France est d'abord évaluée par son PIB or depuis le choc pétrolier de 1973, même si l'on estime être dans une situation de crise en raison de la diminution du rythme de la croissance au regard des Trente Glorieuses qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, la croissance du PIB reste soutenue en France et ce, jusqu'à l'année 2009. Le secteur privé parvient donc à obtenir des résultats bien meilleurs que ceux du secteur public. Par conséquent, on estime que l'application de la logique de performance au fonctionnement de l'administration publique à travers la mise en place d'un certain nombre d'indicateurs de gestion, pour avoir une vision plus claire de l'efficience des différents services publics, pourrait être un moyen de réduire le « gaspillage » dans le secteur public. Le modèle de management public français est en crise. Selon Sylvie Trosa, l'origine de la défaillance du système français se trouve dans le fait que les ministères constituent une administration parallèle, presque indépendante. Les diverses politiques mises en place sont à l'origine d'une inflation législative renforcée par le climat de défiance qui fait que les membres de l'administration cherchent à se mettre sous couvert d'un texte ou d'un ordre pour agir. La RGPP, une réforme aux nombreux antécédents Même si l'importance des modifications introduites par la RGPP en 2007 tend à le faire oublier, il ne s'agit pas de la première réforme de ce genre. En effet, dès 1968 est adopté un programme de "rationalisation des choix budgétaires pour mieux contrôler les résultats de l'action administrative par la comparaison entre le coût des politiques publiques et leur efficacité. Ce 10


programme sera cependant abandonné dans les années 1980. Le 23 février 1989, le Premier ministre M. Rocard met en place la politique du « renouveau du service public » qui définit quatre objectifs majeurs : « une politique de relations du travail rénovée, une politique de développement des responsabilités, un devoir d'évaluation des politiques publiques, une politique d'accueil et de service à l'égard des usagers ». Un an plus tard, le 22 janvier 1990, un décret relatif à l'évaluation des politiques publiques permet la création d'un organe d'évaluation interministériel à travers le Conseil Scientifique de l'évaluation (CSE, remplacé par le Conseil national de l'évaluation (CNE), par le décret 18 novembre 1998). Les tentatives de réforme de l'État se poursuivent et c'est ainsi que le 13 septembre 1995 un décret institue un Commissariat à la Réforme de l'État (CRE) et un Comité Interministériel à la Réforme de l'État (CIRE). En 1998 le décret relatif aux simplifications administratives marque une nouvelle fois la constante volonté de l'État de se réformer et de s'adapter. À l'origine de la RGPP, le New Public Management Le New Public Management (NPM) inspire la RGPP à travers la remise en cause de la bureaucratie et de son efficacité qu'il établit. Il permet également de mettre en évidence le lien entre l'adoption de la RGPP et le développement de la culture de résultats et de la logique de performance. En soi, la RGPP n'est qu'une preuve de plus de la modification du rôle des États occidentaux caractérisée par la forte augmentation de la régulation au sein des systèmes administratifs. La doctrine du NPM se développe dans les années 1980 et 1990, il s'agit selon P. Bezes d'un "ensemble hétérogène d'axiomes tirés des théories économiques, des prescriptions issues du savoir de management, des descriptions de pratiques expérimentées dans des réformes". En somme, le NPM met en relation des facteurs économiques et des techniques managériales pour développer une approche du management public se basant sur les précédents qui existent en matière de réforme. Cela se fait dans le but d'établir un modèle de management efficace pouvant s'appliquer à tout service public. La principale préconisation de la doctrine du NPM est l'amincissement de l'État au sens où l'État doit abandonner ses mesures interventionnistes qui ont perdu leur légitimité politique et économique. Cette doctrine remet également en cause le poids écrasant de la bureaucratie dans l'administration publique et prône pour y remédier une "débureaucratisation" grâce à des privatisations et la mise en concurrence des activités de l'État. Ainsi c'est la capacité même de l'État à assumer l'importance quantitative de son administration qui est questionnée. Le NPM est favorable à une rénovation qualitative du secteur public qui doit se faire par une réduction quantitative des fonctionnaires constituant la bureaucratie. À cela, on peut opposer le fait que le secteur public à de nombreuses particularités qui font qu'on ne peut pas lui appliquer les logiques développées par les entreprises privées. Une seconde variante du NPM est d'avantage favorable à la liberté et l'autonomie des gestionnaires par un allègement des modes de contrôle et la "redevabilité" à l'égard des usagers. Pour cette seconde version de la théorie, le fonctionnaire doit être acteur de la réforme de leur administration. Les différentes missions publiques doivent avoir des objectifs de qualité. Le rôle des citoyens et des 11


fonctionnaires doit donc être central dans la réforme du secteur public. L'enjeu du contrôle politique de l'administration mis en évidence par le New Public Management est fondamental. En effet, en parvenant à imposer leurs intérêts politiques aux élus locaux grâce à leur maîtrise de l'information et des savoir-faire dans le domaine des politiques publiques, les administrations contrôle la mise en œuvre des programmes et des savoirs pratiques qui leurs sont attachés et peuvent disposer des budgets de façon discrétionnaire. De ce fait, les administrations disposent d'une autonomie très large que la doctrine du NPM juge dangereusement excessive. En outre, cette autonomie très poussée de l'administration explique la défaillance des contrôles qui est elle-même à l'origine de l'extension continue des budgets publiques. La seconde conséquence de cette défaillance des contrôles est que les gouvernements élus rencontrent beaucoup d'obstacles à la réalisation des promesses électorales qu'ils avaient pu faire pour accéder au pouvoir ce qui entraîne souvent une perte de légitimité non-souhaitable pour ce gouvernement. Ainsi, le NPM démontre que l'enjeu du contrôle des bureaucraties est devenu central. La modification de l'administration publique doit donc se caractériser par un retrait de l'État auparavant trop interventionniste, une meilleure autonomie des gestionnaires et un contrôle politique plus important. Cette réforme aura donc pour principal objectif la réaffirmation de la primauté de l'acteur politique sur le fonctionnaire. On retrouve ce concept à travers la valorisation du rôle des ministres en tant que responsables des politiques publiques et dirigeants de l'administration. Pour améliorer la qualité et l'efficacité des missions réalisées par le secteur public, le NPM propose la mise en place de systèmes de contrôle à distance. Ces contrôles reposent sur des indicateurs permettant de mesurer les résultats des services et d'en juger l'efficacité. Démarche de performance et contrôle de gestion L'application de la démarche de performance et des contrôles de gestion se fait tout d'abord dans des administrations que l'on peut qualifier de transversales, comme le ministère des Finances publiques à travers la LOLF adoptée le 1er août 2001. L'apparition de nouvelles contraintes démultipliées par la crise économique à partir de 2009 ont fait perdre aux administrations leur capacité à maîtriser l'ensemble de leurs acteurs qui sont toujours plus nombreux. En explicitant les objectifs et les indicateurs de performance, la RGPP permet aux élus de rationaliser les processus d'action publique et d'utiliser les buts ou les résultats atteints comme preuve de l'efficacité de leur politique auprès de leur électorat. Il ne faut pas négliger non plus l'avantage que représente la possibilité pour ces mêmes élus de pouvoir attribuer la responsabilité d'éventuels échecs aux fonctionnaires chargés de la réalisation de cette politique; le tout rendu possible par la clarification et le contrôle de gestion. Pour mener à bien la politique de désenchevêtrement du secteur public, a été initié dans l'État administratif un mouvement de développement des systèmes de contrôle de gestion et de suivi des performances. Des objectifs sont ainsi fixés pour les différents ministères sous la forme de projet annuel de performance (PAP) et l'efficacité de leur gestion est jugée dans les rapports annuels de performance (RAP). Ces deux documents sont rédigés à destination du Parlement qui conserve son rôle de contrôleur du bon fonctionnement de l'administration. De 12


nombreux indicateurs de performance sont développés dans les ministères pour favoriser les activités de contrôle. Si l'efficience d'un service se mesure d'abord au sein de ce service, elle doit être démontrée devant le Parlement, dans le respect de la tradition française qui lui accorde une place centrale dans le processus de décision concernant le fonctionnement des administrations. Le développement du contrôle de gestion se concrétise de façon très différente selon la motivation des responsables ministériels puisqu'il nécessite d'importants investissements sur le plan humain comme sur le plan technique. Pour se développer, le contrôle de gestion a souvent besoin de s’appuyer sur une comptabilité analytique et sur un dispositif d’objectifs et d’indicateurs dont les ministères commencent à se doter. La clarification du fonctionnement de l'administration passe donc d'abord par une multiplication des critères à surveiller et est donc conditionnée par une comptabilité très finement réalisée. Il est essentiel que tous les ministères se plient au jeu des indicateurs de gestion; cependant, la machine administrative est difficile à modifier et les réfractaires au changement sont nombreux en France. B) Traitement de la sphère publique à l’aube d’un monde entièrement «managérialisé» : la RGPP Pourquoi la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP)? La France se distingue en Europe et dans le Monde par son niveau très élevé de ses dépenses publiques (environ 54% du PIB). Les causes sont à la fois le taux de prélèvement obligatoire très élevé qui pèse sur la croissance et le pouvoir d’achat mais également une dette publique qui a triplé en trente ans. Des réformes étaient donc nécessaires afin d’atteindre l’objectif du retour à l’équilibre des finances publiques en 2012. Les réductions de coûts envisagés ne pouvaient pas se faire que par un seul levier budgétaire, ce qui aurait eu pour conséquence unique de réduire le budget de l’Etat, affaiblir ses services et altérer leurs qualités sans que le niveau de la dette soit véritablement baissé. Une véritable réflexion politique devait accompagner ces restrictions budgétaires. Les principes d’une révision générale apparaissent dès 2005 ans le Rapport Pébereau, La Dette Publique, Ensemble des dettes de l’Etat résultant des emprunts que ce dernier a émis ou garantis. Dans ce rapport, il est conseillé au gouvernement de rapidement mettre en place « un dispositif de réexamen complet des dépenses de l’Etat et de la Sécurité Sociale ». Le premier échelon serait d’abord de vérifier à tous les échelons de l’administration la pertinence des missions et d’évaluer précisément les moyens humains et matériels mis à la disposition de l’action publique. La mise en place de la RGPP. La Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) est un programme de modernisation de l’action de l’Etat. Elle touche toutes les politiques publiques et tous les ministères et a été lancée lors du Conseil des ministres le 20 juin 2007, soutenue conjointement par le Président de la République et le Premier ministre. Elle constitue une démarche de modernisation inégalée des administrations publiques et s’inscrit dans la continuité de la réforme des Lois Organiques relatives aux Lois de Finances (LOLF). 13


La France se distingue par le niveau élevé de ses dépenses, soit environ 54% du Produit Intérieur Brut (PIB). Pour un retour à l’équilibre des dépenses publiques, des réformes de grandes ampleurs étaient donc indispensables. Plusieurs phases ont été nécessaires à sa mise en place; dans un premier temps, une phase d’audit conduite dans tous les ministères a mené à plus de 300 réformes. Le mouvement s’est poursuivi, avec la mise en place en juin 2010, d’environ 150 nouvelles mesures. L’objectif annoncé de cette révision est de passer au crible toutes les missions de l’Etat pour adapter les politiques menées aux besoins des citoyens, valoriser le potentiel humain de l’administration, ou encore dégager des marges de manœuvre pour financer de nouvelles politiques. Chaque mesure proposée a fait l’objet d’un examen approfondi en comité de suivi avant d’être validée en Conseil de modernisation des politiques publiques (CMPP), l’instance de décision de la RGPP. Pour mener à bien cette réforme, trois directions ont été chargées d’un pan complet de sa réalisation : -

la Direction Générale de la Modernisation de l’Etat (DGME), elle aide les différents ministères à mettre en œuvre les plans d’actions issus de la RGPP et les accompagne dans leur transformation.

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La Direction du Budget (DB), elle a pour mission de d’assurer le pilotage budgétaire pluriannuel de cette réforme d’Etat.

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La Direction Générale de l’Administration et de la Fonction Publique (DGAFP), elle doit réussir à développer une politique de ressources humaines mieux adaptée aux attentes des fonctionnaires.

La mobilisation de ces trois directions permet d’assurer un suivi d’ensemble de la RGPP, son bon fonctionnement et la cohérence des réformes mise en œuvre par les ministères. La mise en place de réformes dans le cadre de la RGPP Ce tableau suivant permet de visualiser simplement les rôles des différentes directions ainsi que les différentes étapes de la mise en place d’une réforme dans le cadre de la Réforme Générale des Politiques Publiques.

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Source : http://www.rgpp.modernisation.gouv.fr La Révision Générale des Politiques Publiques a été initiée à partir de trois constats fondateurs. La multiplication des missions et parfois même leur superposition rendait l’action de l’Etat peu lisible. La cohérence des missions n’était plus garantie. Des politiques dites temporaires s’étaient pérennisées et certaines missions ne relevant pas de l’action de l’Etat étaient prises en charge par ce dernier. L’organisation même de l’Etat s’était trop complexifiée pour des usagers contraints de s’adresser à différentes administrations pour un même problème, et pour les fonctionnaires eux-mêmes. La taille de l’Etat, mesurée par le nombre des fonctionnaires, s’était considérablement accrue depuis trente ans, en dépit des transferts de compétences aux collectivités locales. Aujourd’hui, la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) poursuit trois objectifs indissociables. -

Améliorer la qualité du service rendu aux citoyens, par exemple en améliorant l’accueil des usagers dans les services publics, réduire le délai d’attentes des différentes démarches des citoyens, création de guichets uniques ou encore dématérialisation des procédures.

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Réduire les dépenses publiques en recentrant l’Etat sur son cœur de métier, en réorganisant

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l’Administration Centrale, ou encore en rationalisant les services de l’administration déconcentrée. -

Poursuivre la modernisation de la Fonction Publique et valoriser les initiatives des agents en responsabilisant mieux les cadres, en formant mieux les agents, en les rémunérant mieux ou encore en favorisant l’innovation.

La mise en place de la Révision Générale des Politiques Publiques suit plusieurs principes d’actions. Elle entreprend une démarche partenariale, favorisant dans sa deuxième phase, l’innovation des ministères eux-mêmes. Elle se définit ensuite comme une démarche globale puisqu’elle concerne toutes les structures de l’appareil d’Etat, aussi bien les administrations centrales et déconcentrées que les opérateurs d’Etat ou les organismes de Sécurité Sociale. Elle est pilotée par le Conseil de modernisation des politiques publiques (CMPP) présidé par le Président de la République et fait l’objet d’un suivi régulier par le Comité de suivi co-présidé par le Secrétaire général de la Présidence de la République et par le Directeur de cabinet du Premier Ministre. Enfin, elle fait l’objet d’un suivi rigoureux, chaque mesure est contrôlée sur la base d’objectifs et d’indicateurs de gestion, avec un système de feu ; si le feu est vert, la réforme est appliquée au rythme prévu, si le feu est orange, le réforme satisfait une majorité de ses objectifs mais pas la totalité et si le feu est rouge, la réforme connaît des retards importants et doit être remaniée. On peut citer plusieurs exemples d’actions engagées dans le cadre de la RGPP ; Le rapprochement entre la Police et la Gendarmerie Nationale permettant la mutualisation de fonctions support, le non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux dans la Fonction Publique, la constitution du guichet fiscal unique et la généralisation de la déclaration et du paiement des impôts et taxes sur Internet ou encore la mise en place d’un tableau de bord de pilotage des réformes engagées afin de responsabiliser par la culture du résultat. La Révision Générale des Politiques Publiques concerne tous les ministères et toute l’Administration Centrale, mais elle influe également sur les collectivités locales avec la Réforme des Collectivités Locales. Cette réforme poursuit elle aussi des objectifs de simplification et d’économies. La Réforme des Collectivités Locales est conduite depuis 2008 avec la création du Comité pour la Réforme des Collectivités Locales, présidée par Edouard Balladur. Elle répond à trois objectifs ; simplifier et donner une plus grande lisibilité à l’organisation territoriale française, mieux maitriser les finances locales, permettre une meilleure articulation et un fonctionnement plus efficace des collectivités entre elles mais également entre les collectivités et l’Etat. La réforme s’articule autour de deux piliers ; commune-intercommunalité d’une part et région-département d’autre part. Pour la commune et l’intercommunalité, l’objectif est de rendre plus lisible les financements et les compétences de chacun, de supprimer les redondances aux différents niveaux de l’Etat. L’idée 16


est donc d’interdire à toute collectivité d’exercer une compétence déjà attribuée à une autre. Une seconde idée est la création de métropoles, sur le principe du volontariat uniquement, dans les bassins de plus de 450 000 habitants. Il s’agit de permettre à la France de pallier l’absence de grandes villes capables de peser dans la compétition économique internationale. 

 Deux sortes de métropoles sont envisageables. 

 Tout d’abord, les métropoles d'un seul tenant « qui pourront exercer, sur leur territoire, une grande partie des compétences du département et de la région sur la base d'une convention de transfert avec ces deux collectivités ». Huit métropoles potentielles sont concernées. 

 Là où il n'y pas d’agglomération constituée, il sera toutefois possible de créer une «métropole multipolaire». Exemple Nancy-Metz-Thionville-Epinal. Ces villes mutualiseront leurs moyens et leurs compétences, « spécifiquement pour le développement économique et l'attractivité du territoire », avec la coordination de la Datar, organisme d'Etat chargée de l'aménagement du territoire et de l'action régionale. Pour le pilier département-région, Les conseillers territoriaux remplaceront les actuels conseillers généraux et régionaux et siègeront à la fois au conseil général et au conseil régional. Les départements et les régions auront des compétences exclusives mais des élus communs. « Ce n’est pas la mort ni des départements ni des régions » a déclaré le Chef de l’Etat, dans son discours de Saint-Dizier « mais l’émergence d’un pôle région département doté d’un outil commun ». 

Les conseillers territoriaux sont élus en même temps au scrutin uninominal à un tour, avec une part de proportionnelle « pour réserver une place aux différents courants politiques minoritaires ». 20% des sièges seront ainsi répartis à la proportionnelle. Les nouveaux modes de scrutin entreront en vigueur en 2014. Cette mesure doit permettre de réduire le nombre d’élus départementaux et régionaux de moitié. Les buts de cette réforme sont les suivants : Pour les citoyens tout d’abord, le système des collectivités sera plus clair, plus simple et mieux à même de répondre à leurs attentes. 
 Pour les territoires, les politiques publiques seront plus efficaces et moins coûteuses, en raison de la diminution du nombre d’élus et des administrations et de la claire répartition des compétences entre les collectivités. L’Etat, pourra compter sur des partenaires plus forts.
 Depuis 2003, les gouvernements affichent une volonté de réduction des effectifs de la Fonction Publique. Il s’agit de renforcer l’efficacité de la fonction publique tout en en diminuant le cout par un effort de rationalisation et de mutualisation. La Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) se place dans cette perspective et doit permettre de répondre à l’objectif annoncé par le président de la République, Nicolas Sarkozy, de réduire les dépenses publiques et le nonremplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. La croissance maintenue des effectifs territoriaux est contestée dans le cadre de la RGPP. Le 20 octobre 2009, lors du discours de Saint-Dizier, Nicolas Sarkozy avait ainsi jugé que les collectivités locales ne pouvaient plus « continuer à créer plus d’emplois que l’Etat n’en supprime » et donc évoquait l'idée d'étendre la RGPP aux collectivités locales : en effet en 2008, 36000 emplois sont 17


créés au niveau territorial alors 35000 sont supprimés au niveau national. Dans le cadre de la réforme territoriale de 2010, les finances locales sont visées avec l'objectif de maitriser l'évolution de la dépense publique locale, notamment celle des dépenses communales en matière de personnel. La réforme de l'intercommunalité et l'instauration du conseiller territorial (censée faire passer de 6000 à 3000 le nombre d'élus) s'inscrivent dans ce mouvement de rationalisation afin de maitriser les finances locales.

III- Illustration de la mise en place des indicateurs de gestion dans le secteur public : l’application de la RGPP A) La difficulté d’application d’un mode de gestion et d’évaluation des performances propre au secteur privé au secteur public : les limites des indicateurs de gestion et de la RGPP Le mode de gestion par indicateurs est, comme nous l’avons vu, plus caractéristique du secteur privé que du secteur public. Cependant l’attention portée à ces indicateurs par les dirigeants dans le public n’est pas une nouveauté. Le sentiment d’inédit viendrait plutôt du fait d’une récente accentuation de l’intérêt que présentent les indicateurs. On observe aujourd‘hui selon Bertrand Guillaume « un volontarisme clairement affiché d’appliquer très concrètement l’évaluation des politiques publiques dans les faits ». Cependant malgré des objectifs certes louables, l’adaptation au service public d’une gestion par indicateurs pose quelques problèmes. Cette adaptation revient très souvent à une simple copie effectuée sans qu’aucun recul ne soit pris. En ne prenant pas en compte la diversité du secteur public, les indicateurs deviennent un paramètre utilisé sans aucune interprétation des résultats. Cette utilisation des indicateurs de gestion qui peut s’avérer parfois néfaste a fait l’œuvre d’une large bibliographie très critique. L’observation centrale de la plupart des études est qu’on ne donne pas de véritable sens aux indicateurs. On les utilise ces indicateurs sans donner de sens aux résultats comme si les chiffres pouvaient être utilisés sans qu’on tente de les interpréter. Un harcèlement de la société peut être craint. Vincent de Gaulejac, dans un des chapitres de La société malade de la gestion, analyse la contamination de la politique par la gestion. Le grand intérêt porté aux indicateurs de performance par les politiques est dû en grande partie au contexte de la mondialisation. Il a bouleversé les codes sociaux et ainsi notre conception de la politique. Celleci nous semble devoir aujourd’hui répondre à de nouvelles attentes. L’économie, en devenant le centre de ses préoccupations, transforme ses buts et la politique devient technique car elle doit être administrée comme une entreprise. La crise économique pousse Vincent de Gaulejac à faire un parallèle entre le débat politique et le débat de conseil d’administration car les discussions politiques semblent se résumer aux problèmes budgétaires et financiers, l’économie devenant la notion déterminante de toutes les préoccupations gouvernementales. Les affaires publiques sont désormais influencées par l’économie et le privé prend part au public. La population étant dorénavant managée, l’auteur souligne la différence entre ce que vit la population et ce que décide 18


de faire le gouvernement pour régler les problèmes. La Grèce antique, en refusant à l’économie l’accès à la vie publique, semble bien loin puisque de nos jours la gestion semble avoir pris la place centrale dans les considérations politiques. La question de la soumission de l’économie à la société se pose : qui doit s’adapter au fonctionnement de l’autre ? Le politique doit-il suivre l’économie ou la diriger pour qu’elle réponde aux attentes de la population ? L’exemple de la gestion par indicateurs dans le domaine de l’éducation est très significatif puisque l’idéologie gestionnaire y exerce une grande pression. En transformant les élèves en clients, l’actuel système éducatif montre la domination permanente des milieux économiques sur l’instruction. En mettant l’éducation au service du marché, la principale théorie considère les élèves comme de potentiels agents devant s’adapter aux besoins de l’économie. Le futur travailleur doit être assez flexible pour répondre aux nouvelles attentes des modes de production et il doit donc être soumis aux normes managériales. Le politique est en crise car il axe ses débats non sur l’organisation de la société et les moteurs de son bien-être, mais sur les chiffres de l’économie. Cette obsession des indicateurs fausse les stratégies adoptées car on oublie leurs sens et ce qu’ils mesurent. La faille de ce système de gestion est l’obsession des indicateurs qui fausse les stratégies adoptées à cause d’un manque de réflexion sur la portée des taux. Patrick Viveret notait déjà en 2003 que les outils devenus nécessaires pour évaluer la société ne nous prémunissent pas contre les comportements dangereux car les politiques font peu de distinction entre les indicateurs et nous nous limitons à une comptabilisation monétaire. Les indicateurs sont une forme de gestion efficace dans certains domaines mais elle est appliquée aux politiques publiques sans un réel effort de réflexion. La fascination du gouvernement pour le modèle managérial effraie car il crée un immense décalage entre leur idéal de gestion et les valeurs des administrations et entreprises publiques qu’ils dirigent. Les présupposés que retire Aude Harlé en 2008 d’une recherche effectuée au sein des cabinets ministériels sont très importants car ils soulignent la place que prennent le mérite, l’individualisme et la performance dans la conception gouvernementale de la société. La politique meurt quand elle préfère gérer plutôt que gouverner. Le discours politique est alors corrompu car une relation de vendeur à client s’instaure entre le politique et le citoyen. L’action et le présent deviennent les nouvelles valeurs de l’exercice du pouvoir, mettant alors de côté toute possibilité de se visualiser dans l’avenir et de conduire des projets sur le long terme. La politique, dorénavant plus caractérisée par l’individu que par l’intérêt général, a perdu de sa noblesse et de son importance. En faisant de la société une entreprise, l’Etat privilégie la gestion et oublie sa mission première qui est la garantie du lien social. La fracture entre le social et l’économique du à aux logiques de marché suivies par les Etats a été traitée par de nombreux auteurs comme Perret et Roustang en 2001. En s’enfermant dans la gestion de la crise, les politiques semblent désormais incapables de gérer les hommes autrement que comme de simples marchandises. La volonté actuelle de mettre en place des indicateurs de gestion dans les politiques publiques est illusoire car les politiques semblent vouloir simplement copier les pratiques du secteur privé dans le secteur public. Dans Des indicateurs pour les Ministres au risque de l’illusion du contrôle, Anne Pezet et Samuel Sponem montrent qu’il est nécessaire d’être prudent en ce qui concerne ces indicateurs de performance maintenant que nous sommes dans un mouvement de «managérialisation» de la société. Cette intention d’importer les méthodes du secteur privé dans la 19


sphère publique laisse perplexes les professeurs et chercheurs en management. Ce développement des méthodes de mesure de performance dans toutes les sphères y compris non marchandes est d’une certaine façon effrayante. Le besoin de prendre en compte les limites de ces indicateurs n’a pas vraiment été compris par les politiques qui semblent les plébisciter par simple mimétisme. Il est nécessaire de prendre du recul pour ne pas les adapter aveuglement. Henri Fayol clamait dès 1920 que les choses étaient différentes dans le domaine public. Les effets de cette fascination pour les méthodes du privé peuvent être redoutables si les méthodes du privé étaient mal comprises ou du moins mal appliquées. La mise en place d’indicateurs pour mesurer performance d’un individu prive l’individu d’une certaine liberté or il doit avoir un certain contrôle sur les résultats à obtenir. Nombreuses sont nos actions qui obéissent à des contingences qui nous échappent et qui échappent d‘autant plus aux indicateurs. Il est donc indispensable de savoir le degré de contrôle que les ministres pourront avoir sur l’objet de ces indicateurs. Les indicateurs sont certes des instruments de gestion très utiles, mais il faut les manier avec précaution. Pour qu’ils constituent un moyen de progression, il est nécessaire de bien connaître le métier auquel on les applique. Cela se complique dans le secteur public car aucun métier n’est identique et il faut donc prendre en compte toutes les particularités. Les indicateurs ne peuvent donc s’appliquer de manière aveugle dans les pouvoirs publics. Bertand Guillaume, dans Indicateurs de performance dans le secteur public : entre illusion et perversité, s’intéresse à la perversité de l’utilisation des indicateurs de gestion, propres au secteur privé, dans le secteur public. Cette copie, très souvent effectuée sans aucune interprétation, n’amènerait aucune amélioration de la gestion des politiques publiques. Son analyse critique « l’usage de l’évaluation économiques des politiques publiques ». Il s’attache surtout à la remise en question de l’aspect managérial des évaluations. Elle ne consiste pas à réfuter « l’évaluation en soi » mais bien le sens de cette gestion des politiques publiques. A priori, on ne peut questionner l’idée qu’une application de la raison dans une évaluation permettrait l’avènement d’une société meilleure. Mais il ne faut pas oublier que toutes les administrations ne peuvent être soumises au même traitement. Ayant des objets différents, ce ne sont pas des entreprises pouvant être gérées d’une façon identique. Le rôle des économistes est de chercher l’utilité collective des décisions publiques et ainsi, trouver comment produire sans trop dépenser et éviter ainsi les inefficacités. Cette évaluation permettrait un gain de liberté aux administrations car leur budget serait assaini des mauvaises dépenses. Cependant une vision trop mathématique de la société est critiquable. L’évaluation économique des politiques publiques a mené à l’élaboration d’un appareillage théorique formel et de techniques quantitatives de mesure qui construisent une forme de « mathématique sociale ». Elle a certes permis des progrès intellectuels, mais a également simplifié l’approche des différentes composantes de la société. Bertrand Guillaume dénonce la mauvaise utilisation des données économiques brutes. Il cite Paul Dumouchel et Jean-Pierre Dupuy : « L’économie est la forme essentielle du monde moderne, et les problèmes économiques sont nos préoccupations principales. Pourtant le vrai sens de la vie est ailleurs. Tous le savent. Tous l’oublient. » Cette réflexion est essentielle pour l’évaluation des politiques publiques puisque les fruits de l’action publique sont souvent non marchands. L’état malheureux de l’évaluation des politiques publiques est dû à la 20


tentation de certains économistes d’effacer tout exercice critique et à la conviction qu’ont certains élus qu’il y a là le meilleur dispositif pour une gestion « scientifique » de l’action publique (se condamnant alors à placer la décision publique plus ou moins entre les mains de technocrates au détriment de la réflexion éthique et de la délibération politique). Sa critique ne vise pas l’ambition des modèles d’évaluation économique qui est de fournir des évaluations globales des politiques publiques et pourraient servir la transparence et donc la démocratie dans la préparation des décisions publiques. Elle s’attache plutôt aux « manques d’intégration, de traduction, d’interprétation et d’explication des connaissances particulières issues» de ces évaluations. Les indicateurs entendent évaluer objectivement l’action publique mais en oubliant la diversité des domaines qu’ils jugent. Le souci de l’approche managériale est qu’elle laisse libre cours à une mode importée du secteur privée qui tend à piloter l’activité grâce à des critères chiffrés mais dont le sens pose problème. Dans le secteur public, les indicateurs d’évaluation se heurtent à la pluralité d’objectifs, aux différentes définitions de la qualité et de la performance, des formes d’action qui se prêtent difficilement à la mesure. Il serait donc illusoire de penser possible la compréhension de cette réalité complexe par le biais d’une série d’indicateurs. De plus, la simplicité qui doit être le fruit de la politique de gestion par indicateurs est souvent bafouée du fait de la mise en place de certains modes d’évaluation qui s’accompagne parfois d’une «avalanche de procédures formelles et de lourdeurs bureaucratiques ». Il faut parvenir à formuler une critique de ces indicateurs, à avoir une réelle interprétation des résultats sinon, ce qui semble être une garanti de la transparence de notre société pourrait faire de notre société moderne le royaume du contrôle et de l‘aliénation. Le problème de l’évaluation des politiques publiques est qu’elle résulte d’une forme de normativité intellectuelle qui nie en quelque sorte l’intentionnalité humaine. Elle est alors une conception mécaniste des décisions publiques et semble oublier « toutes les aspirations et valeurs esthétiques ou morales » (Arthur Koestler, Les racines du hasard). Bertrand Guillaume insiste donc sur la nécessité d’appliquer cette logique d’évaluation des politiques publiques avec prudence. La critique ne vise pas les indicateurs de performance en eux-mêmes puisqu’il admet qu’ils peuvent permettre de réels progrès. Son étude montre en fait à quels risques peuvent mener une utilisation aveugle des résultats. Si aucune interprétation n’en est faite, on tombe alors dans la perversité et l’illusion. B) Illustration de l’application de la RGPP dans l’administration : des résultats qui varient d’un ministère à l’autre a) La mise en œuvre de la LOLF et les premiers bilans Désormais banalisée sous l’appellation « LOLF », la loi organique du 1er août 2001, relative aux lois de finances, qui a été modifiée de manière limitée par la loi organique du 12 juillet 2005, et appliquée en totalité pour la première fois à la loi de finances pour 2006, est-elle bien la véritable révolution annoncée par ses fondateurs Didier Migaud et Alain Lambert, et ses annonceurs ? Estelle le levier essentiel de la réforme de l’Etat, le moyen de dynamiser l’administration par une démarche nouvelle de performance ? Ou bien est-elle, comme certains de ses détracteurs peuvent la 21


présenter, un facteur de dysfonctionnement ? La LOLF a suscité de grandes aspirations, mais une réforme d’une telle ampleur peut aussi générer des blocages, des effets pervers, voire de nouvelles contraintes administratives, alors qu’elle poursuit des objectifs inverses. La Loi Organique relative aux Lois de Finance (LOLF) a modifié l’organisation et la présentation du budget de l’Etat soumis au vote du Parlement. En effet, depuis 2006, elle programme les étapes d’une réforme budgétaire d’envergure. Elle passe par une sincère transformation des processus de gestion des administrations, d’une culture de moyens et de procédures à une culture d’objectifs et de responsabilité. L’amélioration de l’efficacité de la dépense publique et de la performance des services de l’Etat est le premier des trois objectifs fondamentaux de la réforme. Au-delà, elle vise de même le renforcement du rôle du Parlement et la mise en perspective de l’évolution des finances publiques. Comme le précise Frank Mordacq, le budget de l’Etat passe d’un modèle structuré par nature de moyens, avec pour seul contrôle la conformité avec les autorisations de dépenses, à un modèle structuré par les finalités des politiques publiques, contrôlé par les résultats obtenus. Cela se traduit par l’organisation du budget de l’Etat en missions, programmes et actions. La mission est désormais la nouvelle unité de vote du Parlement ; le programme, défini au niveau ministériel, la nouvelle unité de spécialisation des crédits au sein du budget. Le Parlement et le citoyen sont ainsi en mesure d’apprécier la totalité des moyens pour mettre en œuvre chaque politique de l’Etat. Concrètement, le Parlement vote le budget par mission. Une mission est créée à l’initiative du Gouvernement et peut être ministérielle ou interministérielle. Elle regroupe des programmes. Le Parlement peut modifier la répartition des dépenses entre programmes au sein d’une même mission. Les programmes ou dotations définissent le cadre de mise en œuvre des politiques publiques. Le programme constitue une enveloppe globale et limitative de crédits. Il relève d’un seul ministère et regroupe un ensemble cohérent d’actions. Il est confié à un responsable, désigné par le ministre concerné. Ce responsable de programme peut en modifier la répartition des crédits par action et par nature : c’est le principe de la fongibilité. Découpage indicatif du programme, l’action apporte des précisions sur la destination prévue des crédits. En effet, la répartition des crédits indiqués en annexe du projet de loi de finances (PLF) n’est qu’indicative. À chaque programme sont associés des objectifs précis ainsi que des résultats attendus. Pour faciliter la compréhension de cette organisation, voici un exemple de déclinaison d’une mission en objectifs, indicateurs et résultats : - Mission : « gestion des finances publiques et des ressources humaines » - Programme : Facilitation et sécurisation des échanges - Objectif : Améliorer l'efficacité de la lutte contre les fraudes douanières, la contrebande et les contrefaçons - Indicateur : Saisie de stupéfiants et de tabacs ou de cigarettes de contrebande et de marchandises de contrefaçon - Résultats : 4,6 millions d'articles saisis en 2007, 6,4 en 2008 et 7 millions en 2009

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La principale innovation de la LOLF, pour les administrations, est l’introduction des notions d’objectifs et de mesure des résultats : chaque programme est accompagné d’un projet annuel de performances (PAP) présentant les coûts, les objectifs poursuivis, les résultats obtenus attendus pour les années à venir. De la même manière, après l’exécution budgétaire, un rapport annuel de performances est joint au programme pour rendre compte des résultats obtenus et identifier l’écart avec ceux attendus. Par ailleurs, le Parlement bénéficie d’une meilleure transparence des politiques publiques et de pouvoir d’amendement et de contrôle renforcé. La faculté de faire des arbitrages budgétaires entre les programmes relevant d’une mission identique permet au Parlement de faire savoir au Gouvernement sa vision des priorités de l’action publique. D’autre part, le principe de justification des crédits au premier euro est une véritable révolution : elle met fin à la distinction services votés/mesures nouvelles et conduit les ministres à expliquer les éléments constitutifs de la dépense. Les commissions des Finances des deux chambres peuvent ainsi assurer un contrôle étroit de la dépense publique, ce qui répond à la souplesse qu’offre la loi organique au Gouvernement. La nouvelle comptabilité est l’un des éléments fondamentaux du dispositif d’ensemble : elle garantit la sincérité et la clarté de la gestion publique. Cela passe par la refonte des normes comptables et du cadre conceptuel, à partir du plan comptable général emprunté à l’entreprise et adapté aux spécificités de l’Etat. Parallèlement, cette nouvelle comptabilité demande une nécessaire évolution de la fonction comptable et du rôle du comptable public. Avant, la comptabilité de l’Etat était exclusivement une comptabilité de caisse. Elle retraçait l’exécution des dépenses budgétaires du moment où elles étaient payées, et l’exécution des recettes au moment où elles étaient encaissées. Aujourd’hui, cette comptabilité budgétaire est complétée par une comptabilité générale et une comptabilité d’analyse du coût des actions des programmes. La comptabilité générale décrit la situation patrimoniale de l’Etat, c’est-à-dire l’ensemble de ce qu’il possède (terrains, immeubles, créances) et de ce qu’il doit (emprunt, dettes). La comptabilité d’analyse est destinée à renseigner le 23


Parlement sur les moyens alloués à la réalisation des actions prévues au sein des programmes. Elle permet aussi la mesure de la performance des administrations. La mise en œuvre de la LOLF s’est donc traduite par quatre volets : le premier concerne la structuration des nouveaux budgets ministériels en programmes (1300 chapitres en 1990, 850 au début des années 2000, environ 100 à 150 programmes aujourd’hui) ainsi que l'identification d'indicateurs pertinents et fiables. Les gestionnaires acquièrent donc de nouvelles responsabilités. En contrepartie, ceux-ci s'engagent sur les projets de performance dont les résultats seront mesurés dans les rapports de performance. Le deuxième volet renvoie à la nouvelle comptabilité vue précédemment. Le troisième volet lui, concerne de nouveaux modes de management et d'action publique inhérents à la loi organique, qui se traduisent dans la réalité quotidienne par de nouveaux modes de gestion. Ceux-ci passent, entre autres, par une déclinaison des programmes nationaux au niveau déconcentré (budgets opérationnels de programme) et par un dialogue de gestion entre administration centrale et service déconcentré (contrôle de gestion, modalités de « reporting », gestion des ressources humaines…). Enfin, le quatrième et dernier volet implique la mise en place de nouveaux systèmes intégrés d'information. C'est à travers eux que sont mis en œuvre les nouvelles normes comptables et le nouveau cadre de gestion. Ils passent par le développement du système d'information financier et comptable ACCORD dans toutes les administrations centrales en place depuis 2004 et par l'évolution des systèmes d'information ministériels de gestion. Afin de suivre l’application de la LOLF au sein du Ministère des Finances et dans les autres ministères de l’Etat, il a été créé une nouvelle direction au ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie : la direction de la Réforme budgétaire (DRB), qui a adopté un mode de fonctionnement interministériel, garant de la transparence et gage de l’adhésion de l’ensemble des ministères aux décisions prises. Dès lors, pour une politique donnée, l'État se fixe des objectifs précis à atteindre, avec des moyens alloués pour atteindre ces objectifs. La « performance » des services est ainsi mesurée de façon plus concrète : une politique publique est d'autant plus performante que les objectifs sont atteints ou approchés grâce aux moyens alloués. Une vraie culture de la performance s'est instaurée au sein de l'administration. La réforme budgétaire responsabilise davantage les gestionnaires publics. Des responsables de programme doivent définir, chacun à leur niveau, les objectifs, les stratégies et les indicateurs de performances des politiques publiques dont ils sont chargés. Ils disposent d'une plus grande liberté dans la gestion des moyens alloués en contrepartie d'un engagement sur des objectifs de performance. Les gestionnaires ont l'obligation de rendre compte de leur gestion pour expliquer les éventuels écarts entre la prévision et la réalisation. Que penser de ce dispositif ? Dans son article, La loi de finances 2006 sous le signe de la LOLF, issu du magazine Économie et politique, paru en juillet-août 2005, Jean-Marc Durand présentait deux risques de la mise en place de la LOLF. D’une part, il avançait que cela déboucherait sur des garanties statutaires bafouées. Il évoquait le risque d'une globalisation des crédits au sein des programmes entraînant la négation des différences de statut. En effet, la LOLF permet de modifier le modèle français en rapport au modèle utilisé par de nombreux pays faisant fonctionner leur administration publique sur 24


le modèle des agences. Ce système implique une rémunération au mérite qui n'est pas forcément souhaitable. La négation du principe de gestion transparente et collective de l'État est une menace pour l'unicité de la fonction publique d'État. De plus, J.M. Durand prévoyait l’utilisation d’une logique financière en guise de critère de gestion : J.M. Durand établit un lien entre « performance, projet d'établissement, maîtrise comptable des dépenses, contrats d'objectifs (et) pressions sur le personnel ». Cette mise en rapport met en évidence la vision très négative qu'il a de l'application de la logique de performance à la sphère publique, ayant notamment dans les collectivités locales des conséquences très négatives en matière d'emploi. Cela déboucherait sur une réduction trop importante du rôle du comptable public. Selon l’auteur, on cherche à appliquer la logique privée au secteur public or, le privé cherche en priorité le profit en réduisant le coût social au maximum, ce que l'administration publique ne peut pas se permettre. Ces conclusions viennent à l’encontre de ce qui a été prévu par la révision de l’administration qui a été détaillée plus haut. Ainsi, selon l'auteur, les vrais objectifs de la loi ont été cachés au public et devraient en réalité provoquer des restructurations massives de l'administration de l'État, une concentration des missions et une diminution du nombre de fonctionnaires. Jean-Marc Durand évoque dès lors un besoin urgent de solutions alternatives et propose de retenir deux objectifs principaux dans le but de repenser la réorganisation des finances publiques : premièrement il avance l’idée d’ « une gestion démocratique par l'attribution des droits nouveaux d'intervention et de contrôle aux fonctionnaires et aux usagers » ; d’autre part, il propose « une priorité totale donnée à l'efficacité sociale », via la réaffirmation de la sécurité de l'emploi, une grille collective de rémunération réactualisée (pas de rémunération au mérite donc), la création d'emplois de titulaires pour remplacer les départs à la retraite, et un meilleur suivi de l'utilisation des crédits grâce à un renforcement des contrôles internes. Enfin, J.M. Durand est également favorable à une augmentation du pouvoir des parlementaires lors de l'élaboration du Projet de Loi de Finances (PLF), ainsi qu'à une augmentation de la transparence par l'organisation de réunions publiques dans chaque circonscription, afin de présenter les grandes lignes du budget aux citoyens. J.M. Durand concluait sur la nécessité « d'engager un dépassement rapide de la LOLF et de donner à la préparation du budget (...) la dimension démocratique et la transparence auxquelles elle aspire ». Cette prévision plutôt pessimiste s’est-elle réalisée ? Quels changements et quels résultats peuvent être jugés aujourd’hui ? La LOLF est-elle un bon moyen d’évaluer les politiques publiques ? La LOLF n’avait pas pour seul objectif une meilleure lisibilité de l’affectation des crédits. Elle se donnait pour ambition de substituer « une logique de résultats à une logique de moyens ». La réforme repose sur la volonté de ne pas affecter des crédits sans idée de la pertinence de ces affectations. Ces crédits sont votés sur le fondement de l’engagement à atteindre des résultats. Chaque programme comprend donc de quatre à six objectifs ainsi que des indicateurs de résultat associés, à la fois en prévision (Projet Annuel de Performance) et en réalisation (Rapport Annuel de Performance). On distingue alors l’utilisation de trois types d’indicateurs : les indicateurs socioéconomiques qui s’adressent aux citoyens ; les indicateurs de qualité de service, qui représentent le quart de l’ensemble et sont destinés à l’usager ; et les indicateurs d’efficience, qui 25


mettent en relation les moyens engagés et l’activité réalisée, qui concerne les contribuables. Tout semble être fait pour une meilleure communication avec les citoyens. Toutefois, si la LOLF a renforcé la liberté de gestion, en contrepartie, elle implique une exigence : les prévisions des indicateurs sont-elles atteintes par les administrations ? La mesure de la performance crée donc une contrainte nouvelle pour les administrations publiques, en matière par exemple de gestion des ressources humaines, notamment en anticipant les besoins de recrutement et en modifiant les conditions d’attribution des primes. Depuis 2006, 20% de la rémunération des directeurs d’administration centrale est liée aux résultats. Ce dispositif qui implique un principe de transparence et de mesure de l’action et des résultats obtenus, est séduisant. Cependant, dans la revue L’Actualité Juridique. Droit Administratif du 14 juillet 2008, Suzanne Maury, dans son article « La LOLF est-elle un bon moyen d’évaluer les politiques publiques ? », s’interroge sur la réussite de la réforme et démontre un système d’indicateurs qui n’est pas au point. En effet, si le système mis en place par la LOLF permet de mesurer la qualité, l’efficacité ou l’efficience de l’action publique, dans quelle mesure ce dispositif permet-il de donner des pistes sur l’action à mener au-delà d’une simple mesure de résultat ? Selon S. Maury, le choix des indicateurs n’est pas stabilisé. Elle prend appui sur le budget de l’Etat français de 2008. Elle parvient à montrer que de nombreux indicateurs ne peuvent même pas être calculés, faute de données. De plus, les indicateurs seraient d’intérêt inégal et certains ne seraient pas pertinents. Quant aux objectifs, ils sont d’après elle, trop nombreux et hétérogènes, ce qui empêche la formation d’un système cohérent. La préparation du budget 2008 a été la première occasion pour le Parlement d’utiliser les rapports annuels de performance (RAP) pour juger l’atteinte des engagements pris en 2006. Une relative stabilité des indicateurs est donc souhaitable pour que ces RAP soient utilisés pour l’affectation des crédits 2008. S. Maury fonde son étude sur trois programmes : le programme 140 sur « l’Enseignement scolaire public du premier degré », le programme 107 concernant « l’Administration pénitentiaire » et le programme 148 sur « la Fonction publique ». Or, seul le programme 140 a conservé les mêmes objectifs. Quant aux indicateurs, ils ne sont restés identiques dans aucun des programmes étudiés. Par exemple, sur le programme « Premier degré », 8 indicateurs sont nouveaux sur 20, et 2 indicateurs présents en 2006 ont été enlevés. Les indicateurs dans ces conditions ne peuvent être parlants selon S. Maury. Les indicateurs mis en place concernent l’année passée et l’année à venir, c’est pourquoi des valeurs cibles à atteindre deux ou trois années plus tard sont également instaurées. Ils correspondent à la progression dans l’atteinte des objectifs. Elle comprend que les promoteurs de la LOLF aient souhaité l’inscription de ces valeurs cibles, car un indicateur pour être significatif doit s’inscrire dans une logique de comparaison, qu’elle soit européenne ou internationale. Un indicateur s’améliore ou se détériore avec le temps, son évolution lui donne du sens. La LOLF est censée « mettre les fonctionnaires sous tension ». S. Maury s’interroge : « comment le faire sans afficher des objectifs ambitieux qui vont donner du sens à l’action publique et les amener à faire des efforts ?» Lorsqu’on interview un Conseiller Général des Yvelines, il s’accorde avec la limite que nous avons relevé : il n’existe pas de sanction à l’égard des fonctionnaires qui ne parviendraient pas à la réalisation des objectifs fixés et à suivre les indicateurs choisis. En effet, l’un des avantages de 26


la fonction publique relève de la sécurité de l’emploi. Cette volonté d’appliquer des indicateurs et des objectifs propres au secteur privé au secteur public n’est pas réalisable tant qu’une réforme plus profonde de l’administration centrale et déconcentrée n’est pas envisagée. Toutefois, il souhaite mentionner que cette réforme qu’impliquent la RGPP et la LOLF est un premier pas vers la réforme de l’Etat et doit être poursuivie. Il n’y a pas que des conséquences négatives et des résultats peu probants qui peuvent être relevés. D’ailleurs, les défenseurs de la LOLF le soulignent. Lors des conférences organisées par le Conseil Economique, Social et Environnemental le vendredi 16 décembre 2011 au Palais d’Iéna à Paris en partenariat avec KPMG (Conférences en annexes), un bilan de la LOLF est dressé : « Dix ans après la LOLF : où en est la réforme budgétaire ? » Pierre-Mathieu Duhamel, Président du comité Stratégique de KPMG s’exprime : « Au moment où l’ampleur de la crise des finances publiques ne permet plus de retarder les choix, la LOLF n’en constitue pas moins un outil essentiel pour permettre de les éclairer. Les outils qui ont été créés et perfectionnés ces dernières années fournissent des indications précieuses sur le coût de la pertinence des politiques publiques qui sont menées. Il faut dorénavant s’en servir pour aborder les questions qui se posent à tous les gouvernements : la place de l’Etat et le poids de la dépense publique dans l’économie et la société et la redéfinition du périmètre de l’action publique, en cherchant à privilégier ce qui est déterminant pour l’avenir au détriment de la préférence pour le présent. » La première conférence ayant pour objet « LOLF et gestion publique. Où en est le mouvement de rénovation de la gestion de l’Etat initié par la LOLF ? », animée par Michel Bouvier, Directeur de la Revue Française de Finances Publiques et Présidée par Pierre-Mathieu Duhamel, Président du Comité Stratégique de KPMG, revient sur les grands changements induits par la LOLF et sur l’efficacité des indicateurs et objectifs employés. Tout d’abord, on assiste à un progressif changement des mentalités dans le secteur public puisqu’en effet, les directeurs de programmes établis par la LOLF se voient comme de réels managers et directeurs d’entreprise. Jean-Denis Combrexelle rappelle alors que la LOLF est utilisée pour entrer dans une logique d’aménagement. Elle a été un outil qui a permis de « faire rentrer le chiffre dans le droit ». Au fur et à mesure que les indicateurs de gestion s’insèrent dans la gestion du secteur public, on assiste à l’émergence d’une direction opérationnelle. À son tour, J. Fournel explique qu’il n’y a pas forcément de modèle unique. Mais dans les modèles existants, on trouve une certaine responsabilisation ainsi qu’une autonomie de gestion qui renvoie à quelque chose de vertueux. H.M. Comet quant à lui, ne croît pas qu’il y est de contradiction entre la LOLF et la déconcentration toutefois, a créé des organisations, ainsi que des budgets interministériels qui sont peu utilisés et peu répandus ; il existe donc un besoin de déconcentrer un peu, mais la logique de performance est reliée à la réalité. Aujourd’hui, le changement est radical avec la LOLF et on a même parfois affaire à un indicateur de performance trop approprié. P.M. Duhamel souligne qu’il a le sentiment que le changement est profond, et renouvelle son engouement pour la LOLF. Selon lui, il faut poursuivre sur cette voie, avec l’instauration d’indicateurs moins nombreux, plus robustes et plus simples qui permettraient de rendre les évolutions plus visibles. Il est partisan d’une comparaison entre les ministères favorisée par l’utilisation d’indicateurs identiques. H.M. Comet rappelle en effet que le contrôle qui accompagne la LOLF afin de mesurer la performance peut déboucher sur des indicateurs trop nombreux et trop mobiles. Le travail le plus important est celui de la transparence. Selon lui, les 27


comparaisons sont souvent revues, mais il faudrait au contraire laisser une stimulation personnelle aux fonctionnaires qui souhaitent « bien faire leur travail ». C’est dans ce sens que Didier Migaud conclue cette conférence, prônant l’importance d’établir des indicateurs objectifs communs qui permettraient une meilleure évaluation de la performance publique sans toutefois remettre en cause la réorganisation mise en place suite à la LOLF. Ainsi, la LOLF est un réel bouleversement de l’organisation de l’Etat et instaure de véritables mesures qui visent la systématisation de la performance au sein du secteur public. Les indicateurs qui sont l’un des éléments primordiaux dans cette réorganisation ont un objectif honorable. D’ailleurs, le ministère du Budget présente sur son site les premiers résultats que la LOLF permet à l'administration qui sont permis grâce à l’utilisation des indicateurs : - d’agir plus efficacement pour le citoyen ; - de rendre des services de meilleure qualité aux usagers ; - d’utiliser de façon plus performante l’argent des contribuables. Il propose ainsi de vérifier ses dires en permettant de vérifier les résultats précis de la Direction régionale des Affaires sanitaires et sociales des Pays de la Loire, ou de la Trésorerie générale de l’Aveyron, ou de la Direction des services fiscaux de Saône et Loire, ou bien encore du rectorat de Bordeaux entre autres. Cependant, les indicateurs rencontrent des difficultés à s’adapter et leur utilisation nécessite du temps pour se mettre en place. Il faut néanmoins relativiser leur utilisation, qui, même si elle part d’une logique pertinente, ne s’avère pas toujours applicable selon les institutions publiques et les politiques publiques menées dans les différents ministères. b) L’application au sein du Ministère des Affaires étrangères : le cas de la diplomatie « C’est délirant, ça n’a aucun sens et ça ne correspond à rien, c’est artificiel... on ne peut pas quantifier ça au nombre d’entretiens avec des ministres ou des homologues étrangers... Si on est évalué là-dessus, c’est facile de faire ça ! Pour les pays dont je m’occupe, les ministres transitent par Paris toutes les semaines, si l’idée est de faire du chiffre, si les moyens alloués dépendent de ces indicateurs, on va faire du chiffre ! Je suis capable de rencontrer 20 ministres par semaine ! » Ce discours critique fournit par un sous-directeur des Affaires Etrangères à Valérie Boussard et à Marc Loriol au sujet de leur étude sur Les cadres du ministère des Affaires étrangères et européennes face à la LOLF, dresse une nette opposition entre l’activité diplomatique d’un côté et une activité économique ou industrielle de l’autre, dans le contexte de la mise en œuvre de la LOLF au sein du ministère des affaires étrangères. En effet, depuis le 1er janvier 2006, la Loi organique relative aux lois de finance a été mise en œuvre dans toutes les administrations. S’inspirant du New Public Management, elle a pour fonction d’induire une meilleure efficacité et qualité du service rendu. La situation grave des finances publiques conjuguée à la révision de son statut de grande puissance communautaire depuis l’élargissement de l’Union européenne ont conduit la France à la formalisation d’une politique dite « d’influence » qui sous-tend les restructurations administratives et la réorganisation du réseau diplomatique et consulaire en cours. Bien qu’en contrepartie, les cadres dirigeants de la fonction publique bénéficient d’une plus grande autonomie de gestion, la mise en œuvre de la LOLF suscite de nombreuses critiques notamment à 28


propos de l’utilisation d’outils managériaux. Face aux critiques, de nombreuses questions peuvent être soulevées. Ainsi, s’agit-il d’adapter la diplomatie française aux nouvelles politiques multilatéralistes ou tout simplement aux contraintes budgétaires ? Peut-on mesurer la performance diplomatique ? La mise en place de la LOLF ne permet-elle pas une nouvelle définition de la diplomatie avec de nouveaux enjeux de carrière ? Une nouvelle diplomatie fondée sur de nouvelles donnes budgétaires ? Les conséquences de la Première Guerre mondiale ont remis en question le modèle traditionnel de la diplomatie, essentiellement fondé sur des échanges bilatéraux élitistes et confidentiels entre dirigeants politiques dans le but unique de nouer des alliances offensives ou défensives. Une nouvelle diplomatie a été revendiquée, cherchant une plus grande ouverture aux questions multilatérales. Depuis une vingtaine d’années, cette ouverture accorde une plus grande place à la gestion des hommes et des moyens, notamment une plus grande qualification sur ces questions managériales et financières. Dans un contexte de restriction budgétaire, la question des moyens et de gestion est devenue centrale au sein du Ministère des affaires étrangères. Cette nouvelle diplomatie a ainsi vu entrer en son sein des cadres ayant une culture de l’action logistique et de gestion de programme. Ils se sont ainsi fait le fer de lance de la mise en place d’un système de gestion des compétences inspiré des principes du monde industriel. Par le plan de modernisation et la LOLF, la diplomatie traditionnelle a ainsi dû laisser sa place à une nouvelle diplomatie dans de nouvelles contraintes. En 2006, le Ministère des affaires étrangères est le premier à signer un contrat triennal de modernisation avec le ministère des Finances. Dans ce cadre, le Comité interministériel des moyens de l’Etat à l’étranger (CIMEE) a adopté une directive nationale d’orientation des ambassades (DNO), qui a pour objectif de proposer une typologie des postes diplomatiques en fonction des enjeux politiques et d’allouer les moyens humains, financiers et techniques en conséquence. Ce modèle semble se calquer sur le celui de la LOLF, car ces moyens sont déclinés en volet « comptable » et volet « contrôle de gestion ». Le responsable de programme définit une stratégie pluriannuelle et est responsable de son action. Chaque programme est décliné en objectifs, euxmêmes mesurés par des indicateurs. Prenons ainsi l’exemple du programme 105, à savoir « Action de la France dans l’Europe et dans le monde ». Les résultats sont mesurés grâce à différents indicateurs : le nombre de consultations sur internet du ministère, la présence de langue française et des français dans les institutions internationales. Une modernisation suscitant de nombreux clivages Si ces dispositifs de modernisation pouvaient apparaître comme une opportunité pour faire valoir les transformations de l’activité des diplomates, il semble qu’à l’usage, ils aient été fortement critiqués, notamment les indicateurs de performance. La première raison invoquée par ses détracteurs est tout simplement que l’activité diplomatique ne 29


saurait être rendue compte par des critères utilisés dans le domaine privé. Ainsi, ces critères d’évaluation réduiraient la performance de la diplomatie française à des activités périphériques, pouvant être évaluées. Valérie Boussard estime qu’il est difficile de « mesurer ces résultats sur le long terme et de façon plus qualitative que quantitative. » En effet, les résultats ne pourraient être mesurés que sur le long terme et de manière qualitative. Ces indicateurs dans un tel milieu posent aussi un problème dans leur définition même. Prenons l’exemple de la chancellerie politique cherchant à mesurer sa performance. Peut-elle le faire à travers le nombre d’articles de presse parus sur la France dans le pays ? Est-ce le nombre d’articles qu’il faut compter ou le nombre d’articles renforçant l’image de la France ? On comprend donc que s’en tenir au strict respect de l’indicateur serait synonyme de renoncer à faire son travail correctement. Il apparait clairement que la contradiction accordée au discours de modernisation et à la volonté affichée de passer à une « nouvelle diplomatie » s’explique non pas pour des raisons de nécessité de renfort de coopération entre les différentes administrations, et s’adapter au multilatéralisme, mais bien pour des raisons de réductions importantes des moyens alloués. Le problème qui est dès lors posé serait le suivant : la LOLF, au sein du Ministère des affaires étrangères, plaque des recettes qui peuvent servir pour certaines administrations de gestion (Etatcivil de Consulats, visas), mais qui ne fonctionnent pas pour la Représentation de la France. Le consulat devient ainsi une usine, tiraillée entre gestion et représentation, qualité du travail et rendement. Le risque est grand que face à des indicateurs chiffrés, des objectifs politiques qui ne sont pas inscrits dans un ensemble de référentiels clairs et bien légitimés n’apparaissent que comme des déclarations d’intentions générales et creuses. Les critères de la LOLF ne sont donc pas forcément applicable à la diplomatie, toute nouvelle soit elle. Cependant, la mise en place de la LOLF a aussi permis l’émergence d’un nouveau rôle de cadre. Entre élitisme et démocratisation, entre généralisme et expertise, les débats ont été incessants. Un besoin de renouveau s’est fait sentir. Il engendre une réflexion sur la formation des diplomates, sur l’évolution de leurs carrières, sur la pratique de leur métier par des personnes venues d’autres horizons et sur son adaptation aux impératifs nouveaux des sociétés, En effet, un enjeu de la modernisation managériale est l’émergence de nouvelles compétences et leur valorisation. Elle ouvre de nouvelles perspectives de carrière en valorisant les compétences gestionnaires et en créant de nouveaux savoirs. Une nouvelle expertise est revendiquée et les chefs de services administratifs et financiers (SAF) ont ainsi un nouveau rôle à jouer. Ces principes augurent de nouvelles définitions du diplomate. Les cadres A des directions logistiques ou administratives peuvent ainsi améliorer leur carrière par leurs savoirs perçus comme grandement utile tout en légitimant leur action. Ces nouvelles perspectives entraînent un renouveau 30


de la réflexion sur le travail du diplomate : Qu’est-ce que négocier, représenter la France, et quelles compétences ou qualifications spécifiques cela implique-t-il s’il faut prendre ces nouvelles donnes contraignantes en compte ? La justification de ce travail doit être renforcée face à la nouvelle rhétorique gestionnaire, voire y trouver sa traduction et sa valorisation. La seule certitude est les indicateurs de la loi organique relative aux lois de finance, comme le rappelle Jean-René Brunetière dans un livre du même titre, seront une occasion de débat démocratique.

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● Conclusion : « Tout ce qui compte ne peut pas toujours être compté et tout ce qui peut être compté ne compte pas toujours. »

Cette phrase d’Albert Einstein est tout à fait significative de la question de la neutralité des indicateurs de performance développés au sein de la Fonction publique et de ses administrations dans le cadre de la RGPP. Améliorer la qualité du service rendu aux usagers, réduire les dépenses publiques, poursuivre la modernisation de la Fonction publique et valoriser l’initiative de ses agents, telles sont les principales missions de la RGPP. Un besoin de renouveau s’est fait sentir, c’est pourquoi la RGPP a été mise en place afin de permettre une plus grande visibilité et lisibilité de l’action administrative. Cette dernière doit désormais s’adapter aux impératifs nouveaux de la société. Au global, il s’agit d’une amplification de l’effort de modernisation. L’enjeu de cette modernisation managériale, qu’offre la RGPP, ouvre notamment de nouvelles perspectives de carrière en valorisant les compétences gestionnaires et en créant de nouveaux savoirs au sein des différentes administrations. Par ailleurs, l’intervention de l’Etat étant de plus en plus multiforme, il s’agissait de ne plus multiplier ses missions sans qu’aucune cohérence d’ensemble ne soit garantie. Cependant, la mise en place de la RGPP a, on l’a vu, été et sera à l’origine de nombreux enjeux au sein de l’administration française. Or, elle pose des problèmes d’application des principes dont elle s’inspire (principalement ceux du New Public Management, à l’origine destinés aux domaines industriels et économiques) et ses efforts de modernisation se heurtent souvent à la culture historique de l’administration française. Si les indicateurs sont certes des instruments de gestion très utiles, il faut les manier avec précaution. Pour qu’ils constituent un moyen de progression, il est nécessaire de bien connaître le métier auquel on les applique. Ainsi, les indicateurs issus du privé évaluent objectivement l’action publique mais en oubliant la diversité des domaines qu’ils jugent. Le rapport du 17 décembre 2009 de la Cour des comptes allait dans ce sens, lorsqu’elle faisait remarquer que « le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux était une mesure dictée par des considérations budgétaires de court terme » qui résulte d’une « démarche purement quantitative ». Ainsi les nouveaux enjeux de la RGPP liés à ces nouveaux impératifs de la société doivent davantage prendre en compte l’analyse des missions plutôt que la question quantitative ainsi que le faisait remarquer la Cour des comptes : « si l’introduction d’une norme d’évolution des effectifs apparaît comme un levier nécessaire de l’évolution des effectifs publics, elle ne peut trouver sa pertinence sur moyen terme qu’au prix d’une articulation avec une approche plus qualitative basée sur l’analyse des missions. »

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● Bibliographie -

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Maya Bacache-Beauvallet, « Incitations et désincitations : les effets pervers des indicateurs », laviedesidées.fr, 22/02/2008 Philippe Beze, « Le renouveau du contrôle des bureaucraties. L’impact du New Public Management. », Informations Sociales n°126, 2005 Valérie Boussard, « Quand les règles s'incarnent. L'exemple des indicateurs prégnants », Sociologie du travail n° 4, octobre-décembre. 2001 Valérie Boussard, Marc Loriol, « Les cadres du ministère des Affaires étrangères et européennes face à la LOLF », la Revue française d’Administration Publique, 2009 Jean-Marc Durand, « La loi de finances 2006 sous le signe de la LOLF », Économie et politique, juillet-août 2005 Vincent Gaulejac, La société malade de la gestion, le Seuil, 2009 Bertrand Guillaume, « Indicateurs de performance dans le secteur public : entre illusion et perversité. », Cité PUF n°37, janvier 2009 Thierry Le Nedic, « La Performance dans le secteur public : Outils, acteurs et stratégies L'expérience de la ville de Paris », Sous la direction de Monsieur Frédéric KLETZ, Ecole des Mines de Paris, septembre 2009 Philippe Lorino, Méthodes et pratiques de la performance : le pilotage par les processus et les compétences, éditions Organisation, 2001 Suzanne Maury, « La LOLF est-elle un bon moyen d’évaluer les politiques publiques ? », l’Actualité juridique. Droit Administratif n°25, 2008 Raphaël Poli, « Les indicateurs de performance de la dépense publique », Revue française des Finances Publiques n° 82, juin 2003 Alexandre Sine, Brice Lannaud, « La mesure de la performance de l’action publique », Les Rapports de la Documentation française, 2007 Sylvie Trosa, « Vers un management public post-bureaucratique », Sociétal, Troisième trimestre 2006 Rapport Pébereau, La Dette Publique. Ensemble des dettes de l’Etat résultant des emprunts que ce dernier a émis ou garantis. 2005 Rapport Terra Nova, Cinq ans de revue générale des politiques publiques (RGPP) : un échec politique et administratif, Henri PRIMAT* (*Pseudonyme) http://www.insee.fr/ http://www.ladocumentationfrancaise.fr/ http://www.rgpp.modernisation.gouv.fr/ http://www.performance-publique.budget.gouv.fr/ http://www.bercy.gouv.fr/lolf/4clics/clic1.htm http://www.education.gouv.fr/cid31/la-lolf-qu-est-ce-que-c-est.html http://www.performance-publique.budget.gouv.fr/la-gestion-budgetaire/le-cadre-de-lagestion-budgetaire/lessentiel/la-lolf.html

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(année universitaire 2011-2012)

Grade : L3 Pôle d’enseignement : Économie, entreprises et secteur public Matière : Les réalités de l’entreprise Date de la soutenance : mercredi 15 février 2012

ANNEXES Correspondant du groupe : Audrey Lenfant Membres du groupe : - Alix de Boisgelin - Victoire Cauchard - Éléna Étrillard - Audrey Lenfant - Constance Roger

Institut Supérieur du Management Public et Politique (ISMaPP) Établissement d’enseignement supérieur privé reconnu par l’Etat 80, rue Taitbout 75009 PARIS ✆+33 (0) 1 55 50 12 40

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✉cg@e-ismapp.com


● Présentation de certains auteurs :

Philippe Bezes Chercheur au CNRS et au CERSA, Université Paris-II.

Valérie Boussard est docteur en sociologie, diplômée d'HEC, elle est maître de conférences à l'université de Versailles-St-Quentin où elle enseigne la sociologie du travail et des organisations. Elle est responsable d'un DESS de conduite du changement et chercheur au laboratoire PRINTEMPS au sein du CNRS. Elle a notamment à plusieurs écrits avec Marc Loriol, dont « Les cadres du ministère des Affaires étrangères et européennes », article publié dans La Revue française d’administration publique.

Jean-René Brunetière est ingénieur général des Ponts, des eaux et forêts, ancien directeur de cabinet de Claude Evin au ministère de la Solidarité, de la Santé et de la Protection sociale. Il a été nommé coordonnateur de la nouvelle commission spéciale du développement durable du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD). Il est notamment l’auteur de l’ouvrage Les indicateurs de la loi organique relative aux lois de finance (LOLF) : Une occasion de débat démocratique ?

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Marc Loriol sociologue, est chercheur au CNRS (Université de Paris I - Panthéon-Sorbonne). Il a travaillé pour une grande part sur les métiers de la fonction publique. Il dirige depuis 2005 une recherche intitulée « les métiers de la diplomatie » à la demande de la DRH du Ministère des Affaires étrangères qui s’appuie sur des entretiens et des observations de séquences de travail auprès de différents agents du ministère. Il a également animé le débat « Les enjeux actuels de l’évolution des métiers de la diplomatie » lors de la journée d’étude du vendredi 3 octobre 2008 « Diplomatie en renouvellement ».

Sylvie Trosa Philosophe fonctionnaire, expert en management international.

● Fiches de lecture : La mesure de la performance de l’action publique Alexandre SINÉ, Brice LANNAUD Les Rapports de la Documentation française, 2007  Introduction : Chaque année, à l’automne les interprètes distinguent les « gagnants » et les « perdants » avec une grille d’analyse valorisant les budgets en augmentation. La qualité et l’efficacité du service rendu sont alors au second plan. Au milieu des années 1990, la France a entamé sa conversion en enrichissant ses lois de finances de projets annuels de performances (PAP). Ces derniers sont la manifestation la plus importante de l’introduction de la mesure de la performance.

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Il s’agit d’améliorer le service public dans un contexte de crise et de maîtrise renforcée des dépenses publiques en appréhendant la question de l’efficacité du secteur publique. La véritable nouveauté tient à l’association étroite de la question de la performance et de la procédure budgétaire. L’enjeu est de parvenir à dépenser mieux. L’objectif est de faire passer l’Etat d’une logique de moyens à une logique de résultats. C’est pourquoi de nouveaux outils ont été créés pour mesurer de façon objective la performance publique. Mesurer la performance de l’action publique pour mieux gouverner La mesure de la performance est nécessaire à pour répondre à l’exigence démocratique. Les acteurs publics ont des comptes à rendre sur l’emploi de ressources publiques. Désormais, dans le cadre du projet de loi de finances, les ministres et les responsables de programme s’engagent ainsi devant le Parlement sur des objectifs chiffrés. Ils rendent compte des résultats obtenus et expliquent les écarts par rapport aux prévisions dans les rapports de performances (RAP). La fixation d’objectifs a priori et la mesure des résultats atteints constituent un socle de la responsabilisation des gestionnaires sur les résultats. A la différence de la sphère privée, le décideur politique et le gestionnaire ne bénéficient pas de l’information produite et véhiculée par le marché (demande, prix d’équilibre…). La mesure de la performance doit permettre de renseigner sur l’efficacité des choix de politique et l’efficience des choix de gestion. Les activités, produits, gestion et efficience de l’autorité publique sont à appréhender au regard de la satisfaction des problèmes publics (finalités externe). On distingue deux fonctions de production : - La première consiste à allouer et gérer ses ressources. - La seconde permet d’apprécier l’impact des biens et des services produits ou délivrés par l’activité publique sur la réalité socio-économique.  Les deux fonctions de production composant l’action publique. La première fonction de production (allocation des moyens humains, financiers ou autres) est comparable à celle des organisations privées. La seconde fonction de production (impact socio-économique et traitement des problèmes publics) est spécifique à l’action publique. Le contrôle de gestion et la mesure de la performance apportent les indications nécessaires au pilotage des politiques publiques et à la prise de mesures correctrices par des réformes.  La mesure de la performance est le chaînon qui articule contrôle de gestion et évaluation des politiques publiques. Elle doit conduire à mieux définir, sur la durée, les objectifs et les priorités des 37


politiques publiques. C’est un outil pour mieux gouverner les politiques publiques.  La mesure de la performance, à l’intersection du contrôle de gestion et de l’évaluation.

Définitions Evaluation des politiques publiques : apprécier si les moyens juridiques, administratifs, organisationnels… mis en œuvre et les biens et les services publics rendus permettent d’obtenir les effets attendus de la politique et les objectifs qui lui sont liés. Contrôle de gestion : produire les outils de connaissances des coûts, des activités et des résultats pour améliorer le rapport entre les moyens mobilisés et l’activité ou les résultats produits et pour nourrir et objectiver le dialogue de gestion entre les acteurs des différents niveaux d’une administration et pour améliorer le pilotage. La mesure de la performance n’est pas une fin en soi, elle doit permettre la prise de décision adéquate par le parlementaire (dans seul 19% des pays de l’OCDE, on considère que les hommes politiques utilisent la performance dans leurs décisions politiques). Si la performance n’est pas un outil de budgétisation, elle doit permettre ; d’apprécier et d’améliorer l’efficacité de la dépense publique, de promouvoir des réformes, de fixer des objectifs au gestionnaire, de contrôler l’utilisation des crédits au sein des programmes. Comment mesure la performance de l’action publique ? La mesure de la performance est introduite par les articles 51 et 54 de la LOLF. Si la loi organique fixe un cadre, elle ne permettrait pas de décliner des modalités de définitions d’objectifs et d’indicateurs de performances. Un Etat performant est un Etat qui cherche et qui concourt à l’intérêt général et qui s’efforce en permanence d’améliorer l’efficacité de son action et en particulier la dépense publique. Pour qualifier la performance de l’action publique, trois axes ont été définis : celui du citoyen, celui de l’usager et celui du contribuable. Les objectifs de performance doivent retracer de façon équilibrée les trois points de vue et un équilibre de ces trois axes est nécessaire pour témoigner d’une véritable amélioration de la gestion d’un programme. -Les objectifs d’efficacité socio-économique énoncent le bénéfice attendu de l’action de l’Etat pour le citoyen en termes de modification de la réalité économique, sociale… -Les objectifs de qualité de service énoncent la qualité attendue du service, c’est à dire l’aptitude du service public à prendre en compte les attentes et les contraintes de son bénéficiaire. 38


-Les objectifs d’efficience de la gestion expriment l’optimisation attendue dans l’utilisation des moyens employés en rapportant les biens et les services délivrés par l’administration ou son activité aux ressources consommées à cette fin. -Les objectifs de performance occupent une place précise dans le processus de production de l’action publique. La définition des objectifs de performance doit résulter d’une analyse stratégique en amont et doit se décliner en aval par des indicateurs. Le responsable définit la stratégie de son programme dans une perspective pluriannuelle. Cela aboutit à l’identification d’objectifs prioritaires et des indicateurs de performance nécessaires à l’appréciation des résultats obtenus. Chaque programme comprend un nombre d’objectifs limités, l’objectif se décline ensuite en indicateurs de résultats accompagnés de cible de résultats. La détermination d’indicateurs pertinents est un exercice difficile car tous les objectifs ne sont pas aisément mesurables et car des indicateurs ne permettent pas toujours de porter un jugement sur le résultat obtenu ou sur la performance de l’action publique. Mettre en œuvre la performance La stratégie de performance des programmes sot publiés chaque année dans les projets annuels de performances annexés au projet de loi de finances, déposés le premier mardi d’octobre à l’Assemblée Nationale et au Sénat. Les objectifs de performances des PAP laissent une large autonomie aux administrateurs sur la manière de les réaliser. Les objectifs stratégiques sont déclinés en objectifs opérationnels, soit en déclinaisons directes, territoriale ou sectorielle d’objectifs stratégiques, soit en déclinaisons indirectes au travers d’objectifs de production, d’activité ou de moyens. Deux choses justifient cette déclinaison ; efficacité et réduction des coûts. La définition d’objectifs avec ses indicateurs n’est que la première étape de la démarche de la performance, indispensable mais insuffisante. Pour que les objectifs aient une réelle efficacité, ils doivent être utilisés dans la vie quotidienne des administrations. Les définitions d’objectifs peuvent être utilisées à trois moments : - en amont, elle permet de mobiliser les services et les agents autour des priorités du programme et de rendre leurs activités efficaces. - En cours de gestion, où l’on peut prendre des mesures correctrices si les résultats ne sont pas atteints. - Dans la même logique, lorsque plusieurs services poursuivent les mêmes objectifs et que la comparaison des résultats montre de nombreuses différences. 39


L’amélioration de la performance de l’administration passe par une démarche progressive apprenante.

et

 Conclusion La mise en œuvre de ces principes a rencontré des succès et des échecs. L’enrichissement des documents budgétaires et la mobilisation de l’administration autour de la LOLF témoignent des succès. Mais la mesure de la performance a connu des problèmes qu’il va falloir surmonter. Se sont des problèmes aussi bien techniques que des problèmes d’ordre politique. Au niveau technique, les objectifs sont trop nombreux et non hiérarchisés et la qualité des indicateurs est parfois faible. La mesure de la performance n’a pas une application aisée à toutes les politiques publiques, par exemple comme la diplomatie.

Les indicateurs de gestion du secteur privé appliqués à la gestion dans le secteur public Maya Bacache-Beauvallet, 22 février 2008 Alors que le secteur public dispose d’un mode de fonctionnement propre, on peut remarquer que le politique demande une plus grande clarté ainsi qu’une plus grande efficacité dans l’administration française, ce qui se traduirait par la mise en place d’un suivi des performances de ces administrations par des indicateurs de gestion. Depuis les années 1990, des d’indicateurs de performance ou de qualité des services et des fonctionnaires sont donc utilisés dans le but de répondre à cette demande. Cependant, on peut noter que le secteur privé utilise des moyens d’incitation à la performance radicalement opposés aux mode de fonctionnement du secteur public : le salarié du privé peut être motivé par une prime à la performance, alors qu’un fonctionnaire touche le même salaire quel que soit le travail qu’il effectue, que ce salaire lui soit avantageux ou sous-estimé. Ainsi, l’auteur développe deux points dans son article, définissant d’une part le rôle des indicateurs, puis d’autre part, l’intégration de ces indicateurs au sein du service public. Le rôle des indicateurs : Puisque les intérêts de l’employeur sont totalement différents de ceux de son agent, il a été convenu par les entreprises de mettre en place un système de rémunération (salaire + prime) incitatif permettant tout d’abord la réalisation du travail demandé, et dans un second temps, de fixer une variable fixe et observable qu’est l’indicateur. 40


Dès lors, le contrat entre l’employeur et l’agent doit être respecté. Lorsque l’employeur constate le travail effectué par l’agent, il peut alors le juger satisfaisant ou non et le sanctionner si besoin, pouvant même le renvoyer. Toutefois, l’effort fournit par l’agent n’est pas toujours vérifiable par un tiers ou bien un tribunal, et place l’employeur dans une situation délicate puisqu’il ne peut sanctionner. La construction d’un indicateur visible de l’effort devient donc nécessaire. Mais parfois, le problème est différent : l’indicateur peut être défectueux puisqu’il ne mesure pas correctement l’effort. En effet, dans le cas où l’indicateur mesure la production dite « jointe », il est alors possible soit de séparer la production de chaque travailleur, soit d’instaurer des mesures incitatives de travail collectif. Dans le second cas, un phénomène de « passager clandestin » peut apparaître : des agents profitent de l’effort de leurs collègues pour ne pas s’impliquer. Un deuxième problème peut être pointé du doigt : le plus difficile est de trouver un indicateur conciliant l’objectif demandé et la réalité. Ainsi, toutes les exigences de l’employeur ne peuvent être retranscrites dans le contrat de travail qui le lie à l’agent, or, ce dernier sera sûrement confronté à des tâches et des objectifs différents puisque tenant compte de l’évolution de la demande. Ce contrat incomplet résulte dès lors des postes « multitâches ». La solution proposée pour palier à cette incomplétude et pour mesurer l’effort serait alors de prendre un indicateur subjectif pouvant être l’employeur directement. Mais une fois de plus, cette solution n’est pas à l’abri des effets pervers : l’indicateur peut, en effet, être biaisé par une évaluation complaisante, moyenne ou bien par l’action totalement dévouée des agents envers leur employeur. Cet indicateur subjectif est donc soumis à la manipulation et par conséquent n’est pas fiables. De même, il existe certains contrats fondés sur des quotas : c’est-à-dire que l’agent dispose d’un laps de temps pour réaliser son travail et qu’il peut alors le faire à la dernière minute dans un intérêt de report perpétuel au lendemain. De plus, une autre conséquence des quotas est que les agents en charge du travail à effectuer ne cherchent pas à se dépasser, comme ceux qui sont dépassés par la charge de travail ne chercheront plus à s’améliorer. Ainsi, comment et pourquoi utiliser des indicateurs de performance dans le secteur public alors que ces indicateurs subissent déjà des effets pervers (ce qui vient semer le doute sur leur fiabilité et sur leur utilité) dans le secteur privé ? Des indicateurs de performance au sein du service public : Du fait de cette demande du politique d’une plus grande clarté et d’une plus grande efficacité dans le secteur public, on choisit de lui appliquer les indicateurs de gestion propres au secteur privé. Toutefois, comme nous l’avons remarqué plus haut, des effets pervers apparaissent suite à l’application de ces indicateurs, il faut également prendre en compte la difficulté qu’implique leur utilisation dans les secteurs publics. La première difficulté rencontrée dans les secteurs publics est tout d’abord de définir des indicateurs. Les États-Unis ont déjà tenté cette innovation dans la branche de la justice dans les années 1990. En effet, les Trial court performance standards, sont la preuve d’une expérience menée 41


pour trouver des indicateurs dans le domaine judiciaire. Dans le rapport publié, cinq objectifs généraux ont été énoncés : l’accès à la justice, la rapidité, l’égalité, l’impartialité et l’intégrité, l’indépendance et la confiance du public, et 22 standards ainsi que 75 indicateurs pour mesurer ces cinq objectifs. De plus, un autre frein se pose dans le secteur public quant à la mise en place d’indicateurs : il s’agit de l’incomplétude des contrats entre l’Etat et le prestataire de service public. Selon les cas, on préférera confier la mission au service public, plus compétent pour améliorer la qualité de la production plutôt que le secteur privé qui cherchera plutôt la réduction des coûts. Ce problème de contrats « multitâches » dans les secteurs privés, se pose également dans le secteur public ; il existe plusieurs objectifs que le fonctionnaire doit atteindre. Ainsi, le problème est le même dans les deux secteurs : si on favorise un indicateur plutôt qu’un autre, cela revient à accorder plus d’importance à certains juges aux dépens d’autres juges peut-être tout aussi pertinents et consciencieux. Deux solutions sont alors proposées pour répondre à cette multiplicité d’objectifs : 1) trouver plusieurs indicateurs pour retranscrire cette diversité, mais il s’agit d’une solution rarement opérationnelle ; 2) mettre en place des indicateurs synthétiques, mais le risque est que l’on accorde plus d’importance aux indicateurs les plus graves. Enfin, l’implication d’indicateurs dans le secteur public doit répondre à un caractère propre à ce secteur : la production du service public implique en effet la participation des usagers. Les indicateurs devraient alors tenir compte de cette production partagée avec les usagers, ce qui est très contraignant. Il faut également noter que si le fonctionnaire est incité à la performance, il se concentrera sur un type d’usagers plus « rentable » au lieu de prodiguer un service égalitaire. Rémunérer les fonctionnaires selon des indicateurs est donc perçu par l’auteur de l’article comme « sous-optimal ». Toutefois, trouver des indicateurs pour le service public n’est pas impossible, et il n’est pas inutile d’en chercher. Ces indicateurs peuvent contribuer à la recherche de dysfonctionnements structurels dans les secteurs publics et à leur réparation. Ainsi, l’idée de faire participer les usagers à l’évaluation du résultat des efforts des fonctionnaires, tout comme imaginer une rémunération en accord avec ces efforts fournis paraît être une piste à suivre dans cette quête d’indicateurs pour le secteur public.

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La société malade de la gestion (Idéologie gestionnaire, pouvoir managérial et harcèlement social) Chapitre 12 : La politique contaminée par la gestion. Vincent de Gaulejac, Seuil, 2009 Le contexte de la mondialisation, en bouleversant les codes sociaux, change notre conception de la politique. Celle-ci nous semble devoir aujourd’hui répondre à de nouvelles attentes. L’économie est désormais au centre de ses préoccupations, ce qui transforme les buts qu’elles s’attribuent. La politique devient, de nos jours, technique car elle doit être gérée en quelque sorte comme une entreprise du fait de la crise économique qui secoue nos sociétés. Vincent de Gaulejac pousse ce constat jusqu’à faire un parallèle entre le débat politique et le débat de conseil d’administration. Les discussions politiques semblent en effet se résumer ces temps-ci aux problèmes budgétaires et financiers faisant de l’économie la notion déterminante de toutes les préoccupations gouvernementales. Les affaires publiques sont dorénavant influencées par les inquiétudes quant à l’économie et le privé prend part au public puisque le premier impose des règles et une forme de gestion au second. La population est donc managée. L’auteur s’intéresse à la différence entre ce que vit la population et ce que décide de faire le gouvernement pour régler les problèmes. Les gens expérimentent le concret tandis que les politiques semblent agir uniquement de manière abstraite. Ce décalage révèle l’étrangeté de notre société. La distanciation entre les institutions et les citoyens peut s’expliquer par les forces contradictoires qui tentent de former un lien. La crise du politique que pointe l’auteur parait due aux perspectives considérablement différentes du citoyen et du politique, le premier s’attachant à l’ordre symbolique et le second à l’ordre économique. La Grèce antique, en refusant à l’économie l’accès à la vie publique, semble bien loin puisque de nos jours la gestion semble avoir pris la place central dans les considérations politiques. Le politique souffre d’un discrédit puisqu’il semble laisser libre cours aux spéculations, ce qui dévalorise les actions gouvernementales. La question de la soumission de l’économie à la société se pose. Qui doit influencer l’autre ? Qui doit s’adapter au fonctionnement de l’autre ? Le politique doit-il suivre l’économie ou la diriger pour qu’elle réponde aux attentes de la population ? L’éducation apparaît être pour Vincent de Gaulejac le domaine où l’idéologie gestionnaire exerce le plus sa pression. En transformant les élèves en clients, l’actuel système éducatif montre la domination permanente des milieux économiques sur l’instruction. En mettant l’éducation au service du marché, la théorie qui tend à primer aujourd’hui considère les élèves comme de potentiels agents adaptés aux besoins de l’économie. Le futur travailleur doit être assez flexible pour répondre aux nouvelles attentes des modes de production. Il faut donc soumettre le plus tôt possible l’apprenti aux normes managériales. L’esprit critique laisse ainsi place à l’obsession des objectifs et de la performance. L’économie devient donc la priorité et le rôle du politique est de gérer ce qui en découle, notamment les conséquences sociales. La croissance 43


économique semble être devenue l’unique facteur façonnant l’action gouvernementale. Le politique est donc en crise car il axe ses débats non sur l’organisation de la société et les moteurs de son bien-être, mais sur les chiffres de l’économie. Cette obsession des indicateurs fausse les stratégies adoptées car on oublie leurs sens et ce qu’ils mesurent. Il y a donc un manque de réflexion sur la portée des taux qui sont devenus les critères d’évaluation du succès ou de l’échec d’une politique. Patrick Viveret notait déjà en 2003 les outils devenus nécessaires pour évaluer la société ne nous prémunissent pas contre les comportements dangereux, le problème étant que nous ne faisons guère de distinction entre les indicateurs et nous nous limitons à une comptabilisation monétaire. L’Etat n’est plus vu comme l’élément central de régulation car il n’adopte pas de distance critique à l’égard de la gestion et adhère à une idéologie managériale. Aux yeux des citoyens, il est nécessaire de le moderniser. Les indicateurs sont une forme de gestion qui sont efficaces dans certains domaines mais sont appliqués au politique sans un réel effort de réflexion. En ne s’attachant qu’au réel et en ne prenant pas en compte d’autres éléments comme les valeurs et les identités, l’Etat continuera de gérer la société comme une entreprise. La fascination du gouvernement pour le modèle managérial est effrayante dans le sens où il instaure un immense décalage entre leur idéal de gestion et les valeurs des administrations et entreprises publiques qu’ils dirigent. Les présupposés que retire Aude Harlé en 2008 d’une recherche effectuée au sein des cabinets ministériels est très important car ils soulignent la place que prennent le mérite, l’individualisme et la performance entre autres dans la conception gouvernementale de la société. Il y a donc une cohabitation paradoxale de la compassion pour le faible et du privilège donné à celui qui a réussi. La politique meurt à partir du moment où elle préfère gérer plutôt que gouverner. Le discours politique est dès lors corrompu puisqu’une relation de vendeur à client s’instaure entre le politique et le citoyen. Le premier, en voulant se faire élire, se sert des préoccupations de la population pour construire son propos. En devenant un marché, la politique se divise entre plusieurs partis qui agissent comme plusieurs entreprises concurrentes. L’action et le présent deviennent les nouvelles valeurs de l’exercice du pouvoir, mettant alors de côté toute possibilité de se visualiser dans l’avenir et de conduire des projets sur le long terme. Le vote perd sa signification puisque l’électeur n’est plus qu’un consommateur passif. Il est facilement manipulé et perd contact avec les vrais débats politiques qui permettent de confronter des visions du monde différentes. En lui faisant perdre son implication dans les décisions politiques, le gouvernement rend le citoyen plus exigent à son égard. La politique se résume finalement à un ensemble de réclamations d’électeurs mécontents. La politique, dorénavant plus caractérisé par l’individu que par l’intérêt général, a perdu de sa noblesse et de son importance. En faisant de la société une entreprise, l’Etat privilégie la gestion et oublie sa mission première qui est la garantie du lien social. La politique se détruit donc elle-même en choisissant de mettre la performance au centre de toutes les préoccupations. La fracture entre le social et l’économique du à aux logiques de marché suivies par les Etats a été traitée par de nombreux auteurs comme Perret et Roustang en 2001. En s’enfermant dans la gestion de la crise, les politiques semblent désormais incapables de gérer les hommes autrement que comme de simples marchandises. 44


Marcel Gauchet s’intéresse au mouvement paradoxal provoqué par l’Histoire. En permettant la pérennité d’un Etat social où les individus sont devenus indépendant, il a donné à l’individu « la liberté de n’avoir pas à penser qu’il est en société », ce qui a permis l’essor du modèle de marché dans les sociétés. Comme le gouvernement se charge de la protection du lien social, l’individu se laisse faire jusqu’à oublier qu’il vit en société, ce qui freine son implication dans les interactions collectives. Si la politique veut retrouver sa vraie définition, elle doit se consacrer au rétablissement du vivre ensemble. Les citoyens ne doivent plus être considérés comme des travailleurs mais comme des acteurs dont la préoccupation serait d’édifier un monde commun.

● Conférences : « Dix ans après la LOLF : où en est la réforme budgétaire ? » Conseil Economique Social et Environnemental, En partenariat avec KPMG Vendredi 16 décembre 2011 – Palais d’Iéna Paris Conférences au cours desquelles a été rencontré Monsieur Alain Lambert, co-fondateur de la LOLF et avec qui ont été échangés quelques sentiments sur la question. « Dix ans après son adoption, cinq ans après son application à toute l’administration française, la Loi Organique relative aux Lois de Finances a profondément modifié l’appréhension par les acteurs publics de leur environnement budgétaire, en introduisant des notions telles que la performance et l’efficience qui, même si elles n’étaient pas inconnues de la sphère publique, n’avaient pas encore la place prépondérante qu’elles occupent aujourd’hui. […] Alors que la crise de la dette souveraine accentue le besoin d’une révision profonde de l’ensemble des dépenses de l’Etat dans le but d’en améliorer la portée et d’en réduire le coût, il faut se mobiliser dans deux directions : mieux accompagner les acteurs publics dans l’application du nouveau cadre budgétaire et organisationnel dessiné par la LOLF pour leur permettre d’en tirer tous les bénéfices ; contribuer à l’assainissement des finances publiques, tout en poursuivant la modernisation de l’Etat. Aussi, parce qu’elle pose la question de la place de l’Etat dans la société et dans l’économie française, la LOLF nous concerne tous : citoyens, contribuables, usagers. Il est donc nécessaire et bénéfique d’échanger sur les bonnes pratiques de gouvernance budgétaire et de gestions publiques observées dans notre pays depuis dix ans et de nous inspirer, le cas échéant, de celles qui sont effectives par-delà nos frontières, notamment chez nos partenaires européens. […] » Jean-Luc Decornoy 45


Président du Directoire KPMG

« Présentée à juste titre comme une évolution politique majeure, la LOLF votée en 2001, est aussi à l’origine d’une profonde transformation de la gestion publique. Cette réforme a pour ambition à la fois de changer radicalement le langage budgétaire, de rééquilibrer les pouvoirs entre l’exécutif et le Parlement, et de donner aux gestionnaires publics de nouveaux instruments de pilotage fondés sur la notion de performance. Même si elle a été conçue alors que la question de la maîtrise des déficits et de la dette était déjà aigue, il serait inexact de dire que la LOL est par elle-même la réponse à cette situation. Le nouveau cadre budgétaire ne détermine pas en effet le sens de la politique budgétaire qui est conduite par les pouvoirs publics. Au moment où l’ampleur de la crise des finances publiques ne permet plus de retarder les choix, la LOLF n’en constitue pas moins un outil essentiel pour permettre de les éclairer. Les outils qui ont été créés et perfectionnés ces dernières années fournissent des indications précieuses sur le coût de la pertinence des politiques publiques qui sont menées. Il faut dorénavant s’en servir pour aborder les questions qui se posent à tous les gouvernements : la place de l’Etat et le poids de la dépense publique dans l’économie et la société et la redéfinition du périmètre de l’action publique, en cherchant à privilégier ce qui est déterminant pour l’avenir au détriment de la préférence pour le présent. Initiative parlementaire, la LOLF, bien plus qu’un simple instrument de pilotage, est le symbole d’une démocratie renforcée et d’une inspiration à ce que le Parlement joue pleinement le rôle de contrôle des finances publiques qui constitue son origine même. Dix ans après son adoption, il est nécessaire e mesure le chemin parcouru, ‘évaluer celui qui lui reste à faire et de voir en quoi la LOLF peut contribuer à surmonter les difficultés que le pays traverse. » Pierre-Mathieu Duhamel Président du comité Stratégique de KPMG *KPMG est le premier groupe français de services pluridisciplinaires : audit, conseil, expertise comptable, droit et fiscalité. Il intervient auprès des groupes internationaux, sociétés cotées, PME et des entités de l’économie sociale et solidaire et du secteur public. KPMG met ses compétences au service de l’optimisation de l’action publique. Le cabinet accompagne l’Etat, les établissements publics, les collectivités territoriales et les établissements sanitaires et sociaux dans le cadre de missions d’audit comptable et financier, dans la mise en place de leurs fonctions finance, comptables et budgétaire, dans la conduite de projets organisationnels et le déploiement de systèmes d’information. Le cabinet a ainsi réalisé plus de 6000 missions pour le Secteur public.

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Conférence 1 : « LOLF et gestion publique. Où en est le mouvement de rénovation de la gestion de l’Etat initié par la LOLF ? » Un objectif majeur de la LOLF est de donner aux gestionnaires publics davantage de libertés dans l’utilisation de leurs moyens pour atteindre leurs objectifs. Les responsables de programmes se sont-ils affirmés et peuvent-ils jouer leur rôle ? Les organisations publiques ont-elles évolué pour rejoindre progressivement l’architecture dessinée par la LOLF ? La déconcentration a-t-elle accompagné la mise en place du nouveau cadre budgétaire ou l’Etat central est-il resté prédominant ? Quelles nouvelles évolutions favoriser pour aller plus loin dans l’efficacité de l’action publique ? Animée par Michel Bouvier, Directeur de la Revue Française de Finances Publiques et Présidée par Pierre-Mathieu Duhamel, Président du Comité Stratégique de KPMG. Autour de : Henri-Michel Comet, ancien Secrétaire général du ministère de l’intérieur, Préfet de région MidiPyrénées Jean-Denis Combrexelle, Directeur Général du Travail Jérôme Fournel, Directeur Général des Douanes et Droits indirects

La LOLF a finalement produit de grands changements en France, et il est espéré qu’elle parvienne à ses fins. Michel Bouvier s’appuie dès lors sur une étude réalisée en Australie concernant les gestionnaires des pouvoirs locaux, et qui démontre que ces derniers ont déjà intégré la logique d’entreprise ; logique que la France souhaite adopter à son tour. Selon Jérôme Fournel, les responsables des programmes établis par la LOLF, se considèrent avant tout comme des managers publics. En effet, depuis un an, tous les crédits sont regroupés dans un même programme qui est sous leur responsabilité, ce qui leur laisse alors tout pouvoir de décision quant à l’attribution de ces crédits. La LOLF apprend d’une logique d’agence. Le manager a l’impression d’être un entrepreneur dans une entreprise. Au fur et à mesure du temps, on a vu se généraliser des logiques de gestion, créant ainsi des fonctions transversales. Les responsables publics auront les capacités pour agir tandis qu’initialement les gestionnaires n’avaient pas les moyens de mener leurs actions. Toutefois se pose un problème, celui de la difficulté de la responsabilité de l’Etat qui souhaite contrôler un service par d’autres services ayant eux-mêmes leur propre logique et leur propre politique. Jean-Denis Combrexelle rappelle alors que la LOLF est utilisée pour entrer dans une logique d’aménagement. Elle a été un outil qui a permis de « faire rentrer le chiffre dans le droit ». Au fur et à mesure que les indicateurs de gestion s’insèrent dans la gestion du secteur public, on assiste à l’émergence d’une direction opérationnelle. Cependant, il s’interroge quant au fait d’être manager, 47


l’est-on pour autant avec cette nouvelle organisation ? Il n’est pas certain que la fonction de Directeur des Ressources Humaines (DRH) dans la fonction publique ait quelque chose à voir avec la fonction de DRH dans le secteur privé. Ce n’est pas seulement l’Etat qui est en cause, mais aussi les différents partenaires sociaux. La question est de savoir comment se joue alors la négociation politique avec la crise. Est-ce qu’on retourne à l’intervention de l’Etat ou bien on essaye de trouver un nouveau système ? Il faut éviter que l’administration singe l’entreprise et son organisation avec retard, car ce serait un frein à l’efficacité de l’Etat. J. Fournel explique qu’il n’y a pas forcément de modèle unique. Mais dans les modèles existants, on trouve une certaine responsabilisation ainsi qu’une autonomie de gestion qui renvoie à quelque chose de vertueux. M. Bouvier, s’inquiète alors de savoir s’il utilise la fongibilité. Ce à quoi J. Fournel répond qu’elle est utilisée de manière générale, sauf sur la masse salariale. Toutefois, d’après H.M. Comet, la question ne se pose pas vraiment sur la fongibilité. Selon lui, le problème se trouve davantage du côté de la clientèle. En effet, la clientèle s’adresse à l’Etat ? Or, l’Etat est une unité territoriale représentant un axe majeur. Il y a la possibilité de trouver un meilleur équilibre dans la gestion territoriale et de réaliser plus de responsabilités de gestion. Il est nécessaire de mutualiser toutes les fonctions support. L’idée d’une unité de gestion locale est selon lui, un impératif assez urgent qui permettrait de réaliser beaucoup d’économies. Il est possible de rapprocher les fonctions budgétaires et les fonctions supports. La LOLF l’autorise, mais ce serait l’autorité centrale qui ne le souhaiterait pas. Les gestionnaires centraux ne sont pas matures. Cependant, si même si cela se arrivait, il resterait un effort d’outil à régler en plus du problème de maturité. Les métiers des collectivités territoriales sont respectables et importants, et donner du pouvoir aux collectivités territoriales est un point positif. On est aujourd’hui dans une complexité organique des systèmes. La politique des programmes uniques est en marche, il faut les augmenter. Mais ce qui reste le plus important c’est de faire comprendre aux ministères que les interlocuteurs (citoyens, entreprises...) ne connaissent que l’Etat et non pas chaque branche administrative. J.D. Combrexelle d’accord ou pas sur la question de maturité, présente que l’un des enjeux de l’Etat au niveau local est le lien avec les autorités centrales. Le souci c’est qu’il existe une contradiction dans l’organisation de la LOLF, en effet, cette dernière ne prévoit pas de faire remonter l’information au pouvoir central. On peut observer qu’au sein des ministères, il existe les « directs » qui permettent d’assurer un lien dans le but de fusionner le niveau central et le niveau local. Mais au niveau local existent des problèmes « culturels », de fait que la fusion des cultures est loin d’être évidente, et la question du management est de plus en plus importante. Il pèse le sentiment d’un manque de culture managériale. Il devient alors primordial de former des gens capables de gérer cette situation. H.M. Comet ne croît pas qu’il y est de contradiction entre la LOLF et la déconcentration puisqu’on a créé des organisations, ainsi que des budgets interministériels qui sont peu utilisés et peu répandus ; il existe donc un besoin de déconcentrer un peu.

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J. Fournel approuve que la déconcentration soit importante. Lui-même établit des dialogues entre les personnes de son service qui ont elles-mêmes un lien avec les autres programmes. Il a développé un programme de managers douaniers qui établit des réflexes d’encadrement des équipes. En France, 53% des dépenses publiques sont dans le PIB. L’Etat fait beaucoup de choses, ce qui explique qu’il ne gère pas qu’un seul métier, il produit de multiples services. Il est donc impossible de refonder toutes les ingénieries même s’il est nécessaire d’améliorer les processus. Il faut des responsables qui aient cette capacité d’action. Miche Bouvier précise que la logique des métiers à évoluée depuis la mise en place de la LOLF et demande si les structures de formation sont suffisantes. J. Fournel répond que la logique de performance est reliée à la réalité. Aujourd’hui, le changement est radical avec la LOLF et on a parfois affaire à un indicateur de performance trop approprié. Concernant la direction des Douanes et des Droits indirects, 10% de leur budget consacré à la masse salariale a été dépensé pour la formation du fait de la création de nouveaux métiers. Le plus important est d’être capable de se projeter dans le futur de son métier. Toutefois cette situation n’existe pas partout. H.M. Comet revient sur les différences entre les ministères. Par exemple, la question de l’accueil du public, qui est très importante, varie d’un ministère à l’autre, ce qui n’est pas normal. De même concernant le champ de contrôle, il est primordial de développer les échanges et la commination. L’idée de performance est bien diffusée mais il reste une grande marge de progrès. Toutefois, il avertit qu’il faut faire attention à l’excès d’indicateurs. M. Bouvier aborde à présent la question des Budgets Opérationnels des Programmes (BOP) et s’interroge quant à leur nombre. H.M. Comet trouve tout comme lui qu’ils sont trop nombreux. Mais il précise que même s’ils ont diminué, il reste des BOP ambigus (tels que ceux concernant les handicapés) ou bien mal placés (comme ceux des transports). Il note que des progrès ont été réalisés qui restent encore un peu timides sur les démarches ministérielles. Avoir un dispositif unique est réalisable, or, le champ de l’interministériel est encore trop peu utilisé. J.D. Combrexelle revient sur la RGPP qui est LA réforme très profonde de l’organisation de l’Etat et qui pose alors la question du management et surtout du contact avec le public. Il souligne que tous les responsables n’en ont pas encore conscience peut-être. De plus, l’arrivée de la nouvelle génération pose de nouveaux problèmes ; les rapports de hiérarchie se trouvent changés ainsi que les visions du travail. Ainsi, la relation de l’Etat avec ses usagers est soulevée et est très importante, il est important que ces réformes passent au niveau le plus bas. J. Fournel propose la mise en place d’une logique pour standardiser les relations avec les usagers. Il propose la création d’une Charte afin de garantir un mode de relation apaisée. La logique c’est que si la relation avec l’usager se passe mal alors la qualité du service baisse à son tour ; tandis que si 49


elle se passe bien, cela facilite le niveau de contrôle et d’interaction. Or, les différentes démarches particulières de services créent un travail permanent. H.M. Comet signale qu’au sein du Ministère de l’Intérieur une charte pour l’accueil du public a été adoptée, il s’agit de la Charte Marianne qui révèle ainsi des cultures des métiers profondes. Il y a des progrès comme la relative standardisation vis-à-vis des usagers. Mais cette standardisation devrait être totale, et prioritaire dans le domaine de la santé. Il exprime une volonté de se rapprocher des usagers qui est de plus en plus forte et d’améliorer les dispositifs d’accueil des usagers. M. Bouvier revient sur le rapport qu’à produit la Cour des Comptes proposant la mise en place de responsables de missions. J. Fournel réagit quant au fait que la mission n’est pas l’outil sur lequel se fait la gestion et qu’il y a une incompréhension de cette proposition. J.D. Combrexelle trouve qu’il y a trop d’infrastructures transversales. Il existe déjà un responsable administratif qui est le Ministre. S’il se trompe on sait que c’est de sa faute. Mais si on crée trop de structures transversales, on en arrive à un stade où on ne sait plus qui est le responsable. H.M. Comet demande où est l’utilité d’un responsable de mission dans le Ministère de l’Intérieur. Le Ministre est déjà le responsable. P.M. Duhamel rappelle que ceci était un risque pressenti à l’époque de la création de la LOLF. Les programmes ne doivent pas être des étuis dorés des programmes actuels. On s’assure que ce ne soit pas le cas dans le cadre de la rénovation. Le second risque était qu’il existe une étanchéité entre la profondeur et la culture du manager. Or, on a assisté à un changement des outils de travail, des approches, voire même un peu trop. Le troisième risque était une sophistication excessive, d’être trop exigeant en matière de flux d’informations et de remontée de ces informations. Ce risque n’a pas été évité puisque les agents passent leur temps faire des tableaux sur la répartition de leurs tâches et de leurs responsabilités. Le quatrième risque était celui d’une re-concentration, or, la logique des programmes n’est pas tout à fait en harmonie avec la déconcentration. Enfin, le cinquième risque était que l’administration reste centrée sur elle-même, or, on constate que l’usager n’est pas oublié par la réforme. On constate que la discussion reflète l’organisation d’un grand projet qui témoigne d’un rapprochement d’une logique d’entreprise. Discours qui est nouveau par rapport à il y a quelques années. P.M. Duhamel conclue que la plupart des risques ont été évités mais qu’il reste quelques améliorations à faire. P.M Duhamel souligne qu’il a le sentiment que le changement est profond, et renouvelle son engouement pour la LOLF. M. Bouvier interroge les intervenants quant à la satisfaction qu’ils ont des nouveaux contrôles. J. Fournel rappelle la mise en place des contrôles, notamment comptable, afin d’avoir des processus certifiés. Sur le fond, cela ne représente aucune difficulté, même s’il existe encore une marge pour 50


la comptabilité de coûts, on observe le développement de systèmes d’information et de ce fait à la naissance d’une part relative du contrôle interne et du contrôle externe. Il existe beaucoup de contrôles, puisqu’en effet, actuellement, il existe une cinquantaine de contrôles annuels. Il se demande si à partir du moment où on stabilise le contrôle, il ne faudrait pas réduire le contrôle externe. J.D. Combrexelle s’accorde avec lui, administration centrale souhaite trop de contrôle, ce qui a pour conséquence la dépense de beaucoup d’énergie. Ils ne remettent pas en cause les contrôles, mais soulignent par exemple, que pour un sujet donné, il existe trois contrôles, et que ces trois contrôles peuvent aboutir à trois rapports très différents. H.M. Comet rappelle que le contrôle qui accompagne la LOLF afin de mesurer la performance peut déboucher sur des indicateurs trop nombreux et trop mobiles. Le travail le plus important est celui de la transparence, avec le développement d’un système de réseau qui montre les différents contacts. Selon lui, les comparaisons sont souvent revues, mais il faudrait au contraire laisser une stimulation personnelle aux fonctionnaires qui souhaitent « bien faire leur travail ». P.M. Duhamel insiste sur le fait qu’il faille des indicateurs simples et robustes qui doivent permettre de rendre les choses simples et plus visibles. Il est alors partisan de la comptabilité entre les administrations, mais avec l’utilisation d’indicateurs communs restreints et davantage lisibles. A la question de M. Bouvier sur la restructuration des administrations, Fournel répond que la RGPP engendre une dynamique de changement. En effet, elle est fondée sur une logique de responsabilisation des responsables de programmes. La RGPP adopte la logique de réforme en entreprise. Comet intervient en précisant que la LOLF est complémentaire à la RGPP dans son objectif de responsabilisation et de performance. Il reste cependant un travail à faire sur la confiance accordée aux échelons territoriaux qui est encore trop faible. Il y a tout de même un sentiment du retrait de l’Etat, en termes de moyens et non en termes de prestation. J.D. Combrexelle donne lui aussi son sentiment quant à la RGPP. Selon lui, l’axe sur l’efficacité de l’Etat est beaucoup plus difficile à mettre en place à l’ensemble de l’action que l’axe budgétaire. M. Bouvier aborde à présent la question du pilotage stratégique, sur laquelle P.M. Duhamel rebondit pour aborder la programmation annuelle des dépenses. Il souligne le progrès réalisé concernant le passage à une répartition budgétaire triennale. Vient l’heure de la conclusion par Didier Migaud, un des co-fondateurs de la LOLF, et actuellement Premier Président de la Cour de Comptes. Dix ans après l’adoption de la LOLF, et cinq ans après sa mise en application, il oralise son soutien à ceux qui supportent la LOLF. En effet, il souhaite donner un nouveau souffle à la LOLF pour redonner un nouvel engagement. La LOLF n’a jamais été un document gravé dans le marbre, il est alors nécessaire d’en faire un premier bilan. Les finances publiques apportent une réponse à des règles qui permettent la transparence. Il affirme sa certitude quant à la sincérité des comptes publics, qui sont un levier au service de la Réforme de l’Etat. La LOLF devrait ainsi permettre un travail de fond sur l’analyse des maîtrises des comptes publics. Il revient sur la nécessité d’une revue des programmes qui contribue à améliorer leur architecture ainsi que leur performance et celle des indicateurs. Cette revue doit être tenue au niveau ministériel sous la direction du ministre. Les liens entre la RGPP et la LOLF sont indissociables, et une revue générale des programmes 51


régulière est indispensable. La LOLF analyse le mouvement de gestion et conclue pour le moment à une liberté de gestion des responsables de gestion bien trop atrophiée. La promesse d’un assouplissement de la gestion n’est pas encore tenue, du fait de l’insuffisance du dialogue de gestion. La méfiance par rapport aux gestionnaires est encore trop importante parce qu’elle est gravée dans la culture française. Il déplore que l’ambition de la LOLF sur la notion de responsabilité n’est pas encore pris tout son sens. Il aborde dès lors le terme de la gouvernance financière : une adaptation est nécessaire pour permettre une meilleure gouvernance. De nombreux facteurs rendent la situation insatisfaisante. Or, la France a des responsabilités face à ses partenaires européens et internationaux, elle doit redresser ses déséquilibres budgétaires. Des règles sont nécessaires. Il insiste donc sur le besoin d’instaurer plus de règles en France afin d’être plus crédible vis-à-vis des acteurs. Il souhaite le développement de politiques publiques partagées entre les acteurs, de partenariats importants. De ce fait, les indicateurs et les objectifs communs sont importants puisqu’ils permettraient une meilleure évaluation de la performance publique. La Cour des Comptes exige une comptabilité générale en droit constaté et envisage la consolidation des comptes des organismes et des acteurs. Il y a la volonté de créer un compte général de comptabilité des administrations publiques en effet, des méthodes harmonisées permettraient de meilleures économies. D. Migaud souhaite observer une consolidation des comptes publics dans une vision d’ensemble. Il faut bien prendre en compte que les comptes de la Sécurité Sociale sont bien différents de ceux de l’Etat ; il ne s’agit pas de la même logique d’organisation. Son constat est qu’aujourd’hui, on assiste à l’attribution de nombreux crédits, ce qui met en place de nombreux flux financiers et donc empêche la lisibilité, produisant alors une opacité fiscale. La Cour des Comptes propose alors la mise en commun des textes pour une approche plus globale et plus cohérente. L’Article 34 de la Constitution limite le contenu des lois financières. Il émet l’idée qu’on pourrait peut-être penser à l’adoption d’un document unique des finances publiques. Il évoque l’idée d’ « une grande LOLF ». La Cour de Compte propose en ce sens une loi de règlement destinée à l’analyse de la performance. Il s’agirait d’instituer une loi de résultats. Didier Migaud conclue donc par son désir d’une plus grande clarté de la structure du budget, qui irait dans le sens d’une meilleure efficacité des gestionnaires et de définition de leur rôle.

Conférence 2 « La LOLF a rééquilibré les responsabilités financières au sein des pouvoirs publics au profit du Parlement. » La LOLF accentue l’importance du contrôle de l’exécution et du respect des engagements pris par l’exécutif. Elle a aussi renforcé le rôle des institutions chargées du contrôle des finances et de la gestion publique, en particulier la Cour des Comptes. Dans quelle mesure le dialogue entre exécutif et Parlement a-t-il évolué et s’est-il déplacé des prévisions vers les résultats ? Le Parlement s’est-il emparé de toutes les prérogatives nouvelles qui lui ont été confiées par la LOLF ? Aujourd’hui, le contrôle de l’utilisation des fonds publics est-il plus efficace qu’avant l’entrée en vigueur de la LOLF ? 52


Conférence animée par Gérard Bonos, Chroniqueur économique, Public Sénat et présidée par Alain Lambert, ancien ministre du budget et co-fondateur de la LOLF. Autour de : Gilles Carrez, Rapporteur général de la Commission des Finances à l’Assemblée National et Alain Pichon, Président de chambre à la Cour des Comptes. La LOLF a renforcé le pouvoir des institutions, mais a-t-elle changée leur place ? Alain Lambert insiste : « il fallait la LOLF ». Cela fait dix ans qu’elle est adoptée, et c’est le temps nécessaire pour que tout le monde comprenne qu’elle est irrévocable. Alain Pichon lui, apporte le regard de la Cour de Comptes sur la LOLF et établit un bilan cinq ans après le début de son application. Ce laps de temps est court mais est en même temps chargé de transformations. Les quatre ambitions qui étaient avancées sont selon lui plutôt bien réalisées : mise en place d’une nouvelle maquette budgétaire (30 missions, 120 programmes) ; - instauration d’une logique de résultats à l’aide d’indicateurs de performance et d’outils de gestion et généralistes des coûts ; - rôle accru du contrôle par le Parlement. La LOLF est un texte neutre qui n’a pas l’ambition de poser une politique budgétaire d’une certaine nature. Il s’agit d’une réforme de patience, qui est l’affaire des générations. Peut-être s’agit-il d’une application ambitieuse, qu’on a voulu trop vite tout faire, mais la LOLF a été adoptée en 2001 et appliquée en 2006. Son bilan regroupe des succès, des échecs, des réformes qui doivent être poursuivies et d’autres qui doivent être lancées. La LOLF en 2001 n’avait pas vocation à aller aussi loin qu’on l’espérait. Son principal échec est celui de la fongibilité asymétrique. Cependant, la logique de performance doit être améliorée et rendre le service le plus adopté et utile possible. Le problème c’est que l’Etat ne sait pas se valoriser, pourtant il produit une multitude de services. Les aspects plus positifs sont l’instauration de la justification au premier euro ainsi que des crédits évaluatifs. Le point sensible de la LOLF est sa volonté de responsabiliser. Mais responsabiliser qui ? Et devant qui ? Volonté de responsabiliser les acteurs (responsabilité politique, médiatique…managériale). L’émergence des comptabilités générales montrent des résultats mitigés. De plus, même une certification peut être donnée avec des réserves, ce qui montre les zones de faiblesse des gestionnaires. Ce qui est à encourager, c’est que depuis la LOLF, les rapports et les contacts entre le Parlement et la Cour des Comptes s’accroissent. La Cour des Comptes produit désormais 14 à 15 rapports par an. Cependant, on ne peut pas rester à la règlementation actuelle, il faut une loi de résultat (comme dans les entreprises où les chefs présentent leurs résultats en plus de leur budget). Gilles Carrez rappelle que l’élaboration de la LOLF en 1999-2000 s’est faite dans un contexte d’aisance budgétaire. La question était alors : comment dépenser mieux ? Dans les années 1990, il était impossible pour les députés d’accéder au compte-rendu du budget de l’Etat. La question de l’écart entre les dépenses et les recettes n’était pas présentée. Il n’y avait aucune trace de la dette. Il est alors apparu la nécessité de faire comprendre aux français qu’on ne pouvait plus dépenser plus qu’on ne gagnait. La présentation d’un tableau emploi/ressource n’est effective que depuis 2002. Aujourd’hui, on est arrivé au maximum des prélèvements obligatoires. Or, il est question aujourd’hui de trouver des moyens de financement. Il s’agit alors de trouver de l’argent pour les différentes missions. L’Etat s’interroge quant à l’exercice de telle ou telle mission. Ses crédits 53


budgétaires ont été plus ou moins maitrisés, mais que se passe-t-il du côté des collectivités territoriales ? Les budgets n’ont pas été augmentés aux ministères, mais qu’en est-il des opérateurs de l’Etat et des musées par exemple ? Alain Lambert insiste sur le fait que la LOLF est le seul moyen de sauver l’Etat français du naufrage. En effet, les mouvements de sous-dépense dans les collectivités territoriales sont considérables. Il devient de moins en moins possible de restituer les moyens des années précédentes. Il a été nécessaire de plus, de toucher à la Sécurité Sociale et aux collectivités territoriales en détournant l’interdiction de la Constitution d’y toucher, par la rédaction d’annexes. Cela va dans le sens de la multiplication des lois ces 20 dernières années. Ainsi, par des modifications apportées par les annexes, l’Etat pourrait présenter des comptes solidifiés dans lesquels sont pris en compte les opérateurs. La France, si elle parvient à réaliser ses objectifs, sera très avancée. Seulement, pour qu’il y ait consentement dans l’application des lois, il faut que la population comprenne. Il faut qu’ils sachent que depuis 2007, ils ne travaillent que pour le budget de l’Etat. Alain Pichon intervient sur l’évolution de la LOLF. Selon lui, il faut choisir, soit on fait partie du contrôle a priori, soit du contrôle a posteriori, mais pas des deux. De plus, il faut respecter un rythme pour que la LOLF soit efficace. Par exemple, le ministère de la Défense aurait un statut, une organisation pré-lolfiens et s’adapte plus facilement au mode d’autonomie de décision et de management, alors que d’autres ministères doivent prendre plus de temps avant de s’adapter aux changements dû à la LOLF. Mais dans une dizaine d’années, les choses seront différentes, aujourd’hui, l’autonomie de décision est encore très difficile. Enfin, Alain Lambert se penche sur une dernière question : quel rôle la LOLF peut-elle jouer dans l’harmonisation fiscale ? Il précise que ce n’est pas son rôle. « Derrière les finances c’est la démocratie ». Il existe un taux d’harmonisation des comptes, une harmonisation des assiettes. Ceci n’est pas le rôle de la LOLF, elle n’est pas un outil fiscal. Mais la LOLF peut être très utile concernant la règle d’or qui consiste à ne pas dépenser plus que les recettes, et viser une baisse des dépenses. La LOLF doit bien évidemment s’adapter au contexte de crise et de restriction budgétaire, et poursuivre son travail d’évaluation.

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