(année universitaire 2011-2012)
Grade : Licence 3 Pôle d’enseignement : Économie, entreprise et secteur public Matière : Les réalités de l’entreprise Date de la soutenance : Mercredi 15 février 2012 (13h30-17h30)
SUJET LA FIN DE L’ENTREPRISE INDUSTRIELLE? Correspondant du groupe : Maelle DYOT Membres du groupe : - Anne Sophie BRIAN - Alexandre CHABOT - Maëlle DYOT - Roxane FAURE - Lucille PONCIN
Institut Supérieur du Management Public et Politique (ISMaPP) Établissement d’enseignement supérieur privé reconnu par l’État 80, rue Taitbout 75009 PARIS ✆ +33 (0) 1 55 50 12 40 ✉ cg@e-ismapp.com
(Année universitaire 2011-2012)
SOMMAIRE INTRODUCTION I. L’entreprise traditionnelle en difficulté
A. Constat d’un recul apparent B. Rupture de l’environnement social, économique et financier C. Une industrie contrastée
II. L’entreprise industrielle en transition A. Hyperindustrie ou post industrie ? B. Reconstruire un socle industriel C. Enjeux industriels : la place du territoire
TABLE DES MATIERES
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INTRODUCTION Avec l'élection présidentielle de 2012, l'un des thèmes concomitant à celui majeur de l'économie et des finances est la question du « produire français ». Le sujet n'est l'apanage d'aucun candidat et tous entonnent un même refrain : pour favoriser la production industrielle en France, et permettre ainsi la croissance, il faut réindustrialiser.
La problématique, chez les politiques, de la réindustrialisation, du made in France, est le reflet caractéristique de la représentation que se fait la société française de l'industrie: un secteur archaïque, sur le déclin, menacé par la mondialisation, affaibli par la financiarisation, mutilé par les délocalisations. À cela s'ajoute l'image d'Épinal des usines du XIXème siècle, des chaînes de montage tayloriennes, la Condition ouvrière de Simone Weil, et des Trente Glorieuses qui ne sont plus.
Pourtant, loin de toute représentation, l'industrie se définit simplement comme l'ensemble des activités économiques qui produisent des biens matériels par la transformation et la mise en œuvre de matières premières. Cette définition ne comprend ni un modèle économique explicite, ni un schéma de production. Par conséquent, l'industrie n'est pas quelque chose de figée, elle est un secteur soumis aux bouleversements économiques, qui doit évoluer en même temps que les schémas de production et de consommation, qui doit s'adapter au progrès croissant des techniques et des technologies.
Aussi, supposer la fin de l'industrie, la disparition complète de ses entreprises au profit du secteur tertiaire, est une erreur puisque c'est oublier de tenir compte de la réalité de son évolution actuelle et, dans un cadre plus prospectif, de celles qui se préparent. Dès lors, est-il bien fondé de parler de la fin de l'entreprise industrielle ?
Bien entendu, le déclin de l'entreprise industrielle peut paraître, tout d'abord, incontestable, même si des nuances sont à apporter sur sa place réelle au sein de l'économie et la manière dont elle s'est adaptée. Mais plutôt que de parler de déclin, peut-être serait-il préférable de substituer à ce terme la notion de transition, avec certes, un monde industriel à reconquérir mais sur des modalités différentes de celles qui avaient cours jusqu'alors. Alexandre CHABOT
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I. L’entreprise traditionnelle en difficulté
A. Constat d’un recul apparent Après avoir connu les Trente Glorieuses, l’industrie française a subi les « vingt calamiteuses », sous le regard critique des partisans du tout-service ou du tout-finance. Cela a pour conséquence que l’industrie française ne représente plus que 15 % du PIB marchand en 2011, contre 27 % en 1974.
1. Définition et historique de l’industrie Par Lucille PONCIN
L’économiste français Gilles Le Blanc précise que la notion d’industrie renvoie historiquement à l’acte productif, autrement dit la transformation de la matière et de biens intermédiaires en produits. Elle se caractérise par la division du travail - contrairement à l'artisanat où la même personne assure théoriquement l'ensemble des processus - la standardisation (automatisation des tâches, utilisation de machines, fabrication de masse), l’innovation (progrès scientifiques et technologiques) et l’investissements en capital (produire et moderniser).
On distingue trois sections du périmètre industriel : - les industries extractives (exploitation des ressources naturelles minérales – à l’état solide, liquide ou gazeux, énergétique ou non-énergétique – présentes dans le sol et le sous-sol,) - l’industrie manufacturière (industries de transformation des biens), - la production et distribution d’électricité, de gaz et d’eau (activités généralement organisées en réseau : une production localisée est transportée et distribuée jusqu’aux utilisateurs répartis du réseau.)
Et on peut mettre en évidence six sections pour la définition de l’industrie : – les industries agricoles et alimentaires; – les industries des biens de consommation; – l’industrie automobile ;
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(Année universitaire 2011-2012) –les industries des biens d’équipement; – les industries des biens intermédiaires ; –l’énergie
L’industrie s’élabore au fil du temps notamment à travers les deux révolutions industrielles. La première révolution industrielle commence aux alentours de 1790, pour se terminer aux prémices de la seconde révolution industrielle précise Denis Woronoff, professeur émérite de l’université Paris I PanthéonSorbonne.
Les inventions motrices de cette période sont liés à la vapeur et au charbon ; son centre d'activité principal est le Royaume-Uni, puis, quelques décennies plus tard, la révolution industrielle touche la France. Malgré la nouvelle place de l’industrie la proto-industrie demeure. Elle mêle le travail domestique, familial et rural aux commandes de la ville ou au travail dans la manufacture en ville. Les campagnes surpeuplées offrent une main-d’œuvre flexible et une possibilité de diviser le travail, permettant le maintien d’un dispositif caractéristique de l’Ancien Régime dans différents secteurs (le tissage, l’horlogerie, la clouterie...).Les très petites unité ou micro-industries permettent à la France d’entrer dans l’ère industrielle avant la mise en place des usines. La deuxième révolution industrielle commence aux alentours de 1850, et s'arrête aux environs de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Elle se caractérise par une révolution technologique et de nouveaux modes de production , ainsi que de nouvelles formes de transport (chemin de fer) et de communication (télégraphe, téléphone). Les matériaux utilisés ne sont plus les mêmes. La création et le développement des banques de dépôt favorisent aussi la croissance et l'accumulation du capital. Les entreprises se réorganisent dans leur structure et on passe de l’atelier à l’usine. Celle-ci deviendra le symbole de l’industrie en tant que nouveau lieu spécifique au travail industriel, disposant d’une architecture et de matériaux propres, et lieu de nouveaux rapports au travail. Un nouveau modèle apparaît : l'organisation scientifique du travail (OST). Deux idées, le fordisme et le taylorisme, introduisent la production en série, le minutage du travail, et le travail à la chaîne. Au XXe siècle, grâce surtout à l'utilisation de combustibles fossiles, les activités industrielles ont été multipliées par 50, alors que la population mondiale a triplé. Le volume de l'économie mondiale a été multiplié par 20, et la consommation de combustibles fossiles par 30. L’industrie devient gage de modernité et de développement ; on parle de grandes puissances industrielles.
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(Année universitaire 2011-2012) Des découvertes importantes dans le domaine de la physique nucléaire permettent encore des évolutions dans les techniques de l'information et de l'électronique. La « révolution numérique » liée à l'informatique, liée elle-même à l'électronique, apporte une souplesse accrue dans la gestion des procédés et génère des retombées dans tous les domaines de l'activité humaine.1
2. Le poids de l’industrie dans l’économie Par Lucille PONCIN
Selon Pierre Gattaz, président du Groupe des Fédérations Industrielles (GFI), l’industrie française ne représente plus que 15 % du PIB marchand en 2011 contre 27 % en 1974. Cependant elle représente encore, en 2011, 80% des exportations françaises et 85 % des brevets dans la recherche privée2. Elle a un rôle prépondérant dans les échanges ; sa part dans les exportations et importations de biens et services a augmenté de 1978 à 2002. La crise économique et financière de ces dernières années a détruit plus d’emplois dans l’industrie que dans les autres secteurs d’activité, en France comme dans les autres pays développés. Un quart des pertes d’emplois constatées sur la période 1980-2007, souligne Gilles Le Blanc, correspondent en fait à un transfert de certaines tâches au secteur des services par externalisation, c'est-à-dire par transfert d'un service interne à l'entreprise vers un prestataire externe. Cette composante ne correspond pas à une perte réelle d’emplois ni de qualifications, la localisation et le contenu des emplois ne se modifiant pas réellement. De 1980 à 2007, 2,2 millions d’emplois ont été créés dans la branche des services aux entreprises, dans laquelle travaillent plus de 4,2 millions de salariés. En tenant compte de l’intérim et des services marchands rendus aux entreprises du secteur (prestations, informatique, conseils, publicité, location de matériels, etc.), l’industrie représente donc, en réalité, environ 30 % de l’emploi total en France. Près de 30 % des diminutions d’emplois résulteraient au cours de la même période des gains de productivité réalisés dans l’industrie, évalués à 4 % par an de 1998 à 2007. La même production est alors réalisée avec un nombre moins élevé d’employés. La production et la valeur ajoutée industrielles ont augmenté d’environ 50 % au cours des vingt dernières années. L’industrie est toutefois restée en retard sur la progression de l’économie nationale, de sorte que sa
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Histoire De L'industrie En France Du XVIe Siècle À Nos Jours Denis Woronoff Annexe 5 Production industrielle française au troisième trimestre 2011
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(Année universitaire 2011-2012) part dans la valeur ajoutée a considérablement régressé : de 24 % en 1980, elle est passée à moins de 14 % en 2008. Dans le même temps, les services suivaient une progression inverse. Un de ses secteurs les plus productifs, souvent méconnu, est celui des biens intermédiaires (verre, textile, bois, papier, chimie, métaux, plastiques, composants électriques et électroniques soit 1/3 de la valeur ajoutée des emplois des exportations et des investissements en 2006) Une baisse a été relevée dans les secteurs de l’agroalimentaire, des biens de consommation et de l’énergie au profit des biens d’équipement et des biens intermédiaires. Ces deux secteurs pèsent désormais à eux seuls 52 % de la valeur ajoutée industrielle, traduisant la consolidation du dispositif industriel sur les activités les plus intensives en technologie et en capital ainsi que sur les marchés interentreprises.
La production manufacturière demeure, sur toute la période 1980 - 2003, le cœur du dispositif industriel français. Outre son poids dominant en termes d’emplois, de valeur ajoutée, d’investissements et d’exportations, c’est en son sein qu’on observe au cours des deux décennies passées la croissance la plus vive, les gains de productivité les plus élevés, la plus forte contrainte sur les prix, avec pour corollaire l’ajustement sur l’emploi le plus marqué. L’emploi industriel (équivalent temps plein) diminue de 5,5 à 3,8 millions entre 1978 et 2003. Sa part dans la population active passe de 25,5 % à 16,1 % sur la même période. Deux phénomènes sont directement liés à la progression de la productivité : le déplacement des spécialités professionnelles et l’élévation générale du niveau de compétences ; ainsi que les effets du processus d’externalisation au sein des entreprises se généralisent et s’accélèrent au cours des années 1990.
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(Année universitaire 2011-2012) Une part de la valeur ajoutée et des emplois du périmètre industriel se transfert vers la sphère des services. On observe une décroissance rapide du nombre de salariés industriels de 1978 à 1993, une stabilisation entre 1993 et 2000 et une reprise de la baisse après 2000.
3. Comparaison du poids industriel à l’international Par Maelle DYOT
Gilles Le Blanc précise que l’analyse comparée de la situation française avec les autres puissances industrielles historiques (États-Unis, Japon, Allemagne, Royaume-Uni, Italie) souligne d’abord la persistance du fait industriel qui conserve un poids tout à fait significatif dans l’appareil productif l’industrie française. La baisse de l’industrie dans la valeur ajoutée, l’emploi et l’investissement est comparable en France à la moyenne des autres pays (un peu plus élevée qu’en Allemagne et en Italie mais moins marquée qu’au Royaume-Uni).
On constate de meilleures performances françaises en matière de R&D et de productivité du travail dans l’industrie. La France se situe parmi les pays ayant les taux les plus élevés de R&D industrielle. Cette position favorable, liée à l’intensité de l’effort de R&D dans le cadre des grands programmes des secteurs de haute technologie, contraste avec les classements plus défavorables de l’industrie française en termes de valeur ajoutée, d’emploi et d’investissement dans les comparaisons internationales.
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(Année universitaire 2011-2012) La France accumulait à la fin des années 1970 un certain nombre de handicaps – peu moderne, retard d’investissement, faible compétitivité internationale – ce qui justifie son mauvais classement initial. Ce sont la structure et la composition de l’industrie française qui seraient en cause et expliqueraient la persistance, d’un poids relatif plus faible de l’industrie dans l’économie. Parmi sept pays de l'OCDE (la France, l'Allemagne, l'Espagne, les États-Unis, l'Italie, le Japon et le Royaume-Uni), la France se révèle finalement un pays assez généraliste : elle est assez peu spécialisée. La spécialisation désigne la concentration de ressources rares dans un segment d'activité économique — un secteur, une branche — de façon à construire un avantage concurrentiel durable. Ces ressources peuvent être la main d'œuvre, le capital, les moyens de R&D, etc. La spécialisation se divise en deux profils : la spécialisation productive et la spécialisation commerciale. En France, ces deux profils diffèrent sensiblement en raison du rôle de la demande domestique. L’appareil productif français s’oriente d’abord vers la satisfaction de la demande intérieure. Ainsi, en France, deux des secteurs les plus spécialisés en production (énergie, ouvrages en métaux) servent en priorité la demande domestique et n'apparaissent pas dans les cinq spécialisations à l'exportation. À l'inverse, deux importantes spécialisations commerciales (aérospatiale, pharmacie) ne figurent pas parmi les cinq premières spécialisations productives. Donc, la France exporte un ensemble d’activités relativement étendu, en comparaison par exemple au Japon et à l’Allemagne. La France importe et exporte beaucoup de produits technologiques. Les produits résultant d’un effort d’innovation important représentent ainsi 9,3 % de ses importations totales et 15 % de ses exportations totales en 1999. Autrement dit, les secteurs qui investissent le plus en R&D sont les plus spécialisés à l'exportation. Le mouvement de fond de la désindustrialisation1, qui est lié à l’international est de nature complexe, et essentiellement envisagé à travers le prisme réducteur des délocalisations dans le débat public. Cette approche est légitimée par les exemples emblématiques de fermeture d’unités de production et leur déplacement vers de nouveaux sites offrant des coûts de main d’œuvre plus bas. L'enjeu politique est fort. Lorsque « l’usine » (souvent il n’y en a qu’une) ferme, c’est toute une petite ville qui est affectée : il ne reste que la poste, la maison de retraite, le collège et les commerces de proximité. Le pire est que cette usine était elle-même censée raccommoder un tissu industriel local malmené par le grand chambardement industriel de l’après premier choc pétrolier. Stricto sensu une délocalisation industrielle se définit par une fermeture sur le territoire national d’une unité de production industrielle suivie d’une ouverture à l’étranger d’une unité identique, cette
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Source : RAPPORT Désindustrialisation, délocalisation de Lionel Fontagné et Jean-Hervé Lorenzi (février 2005)
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(Année universitaire 2011-2012) dernière ayant pour finalité d’approvisionner le territoire national ou de servir les mêmes marchés. Contrairement à une perception très répandue, l’émergence des pays du Sud n’a pas eu pour conséquence à ce jour un départ massif de nos industries. D’abord, les délocalisations ne se limitent pas aux secteurs industriels (par ex, les services informatiques en Inde). Ensuite, il n’y a pas de délocalisation systématique. Il y a plutôt des réorganisations globales des entreprises sur le mode de la division verticale du travail et l’échange de biens intermédiaires. Ainsi, les entreprises implantent leurs activités selon les avantages de chaque lieu (activités qualifiées au Nord, moins qualifiées au Sud). Les échanges de produits augmentent en leur sein. Si l’on s’en tient à un commerce équilibré (solde commercial des pays du Nord nul), les importations en provenance des pays du Sud seraient responsables d’une perte annuelle inférieure à 1 % des emplois industriels. Selon les estimations du SESSI, les délocalisations industrielles atteindraient en 2003 environ 19 milliards d’euros et représenteraient 16 % des importations de biens manufacturés de ces entreprises, soit encore 5 % de leurs achats et un peu moins de 3 % de leur production. Selon les estimations de la DREE, les délocalisations représenteraient au total moins de 3 % du stock d’IDE français. Les secteurs les plus touchés sont l’habillement-cuir, mais aussi les secteurs TIC de l’équipement du foyer, des équipements électriques et électroniques et des composants en même temps que ceux du textile et de la métallurgie. Ce sont donc les activités les moins qualifiées au sein de ces nombreux secteurs – plutôt que certains secteurs – qui sont affectées. La division verticale du travail est assimilable à un progrès technique biaisé contre les non qualifiés.
B. Rupture de l’environnement social, économique et financier 1. Les ruptures du monde industriel Par Anne Sophie BRIAN et Alexandre CHABOT
Dans Trois leçons sur la société post-industrielle, Daniel Cohen relève cinq ruptures mettant un terme à la société industrielle traditionnelle. La première est la révolution technologique qui entraîne une nouvelle organisation de la société. L'émergence de General Purpose Technology (GPT) est typique des organisations de la production. Pour notre ère, l'apparition d'internet, et l'essor de l'informatique permet une révolution sociale qui mène à une deuxième rupture : une nouvelle organisation de la production (et du travail).
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(Année universitaire 2011-2012) Ph. Askenazy montre qu'Internet permet de nouvelles exigences, et apparaissent de nouveaux principes de l'organisation du travail, comme « l'adaptabilité à la demande, la réactivité, la qualité, et surtout l'optimisation du processus productif […] et la délégation des responsabilités aux niveaux hiérarchiques inférieurs ». Le travail non qualifié est dévalorisé, les accidents du travail et le stress augmentent. Les exigences remontent du client aux dirigeants, ce qui augmente la pression psychologique : on veut offrir le meilleur service possible. En moins de 10ans, l'OCDE observe que les maladies mentales recensées parmi les bénéficiaires d'allocations d'incapacité sont passées de 17% à 28%. L'informatique augmente la charge de travail et réduit la condition physique dans certains métiers. Les contradictions du fordisme marquent une troisième rupture : se pose la question sociale au sein de l'industrie. Comment rendre les ouvriers productifs ? Ford utilise la stratégie du « five dollars day ». Elle n'a marché que parce que les ouvriers gagnaient alors deux fois plus par rapport à ce qu'ils auraient gagné ailleurs. On observe alors deux limites : - L'extension du fordisme a tué le système : la hausse des salaires généralisée a créé de l’'inflation. - Le travail à la chaîne est adapté pour des travailleurs illettrés, or on observe une hausse du niveau d'éducation et d'instruction Mai 68 remet en cause les hiérarchies, y compris celles de l'industrie. Le travail à la chaîne est contesté. Cette période marque donc une quatrième rupture puisqu'elle remet en cause le modèle industriel et qu'on essaye de créer de nouveaux modèles de travail. Enfin, la révolution financière des années 1980 a, selon Shleifer et Summers, créé de la valeur en annulant de nombreux engagements implicites. La rupture de contrat a donné naissance au capitalisme « actionnarial » tel que nous le vivons aujourd'hui. Toutes ces ruptures ont mené à un démembrement de la firme industrielle, et le secteur secondaire n'a cessé de ralentir jusqu'à la seconde moitié des années 1990, où l'ont observe une légère reprise, puis de nouveau une réduction de l'industrie avec l'émergence d’un nouvel esprit du capitalisme. Elles ont également favorisé l’émergence d’un nouvel environnement économique, caractérisé par la mondialisation, synonyme de la montée d'une concurrence globalisée qui modifie profondément les critères de compétitivité, et par la financiarisation croissante des activités industrielles, ce qui accentue la pression du court terme sur les stratégies d'entreprise. Cette évolution a rendu extrêmement complexe le maintien d'une entreprise « forteresse » capable d'assurer, en une seule entité, la production complète d'un produit, de sa conception à sa distribution. En effet, la montée de la complexité naît de la conjonction de cinq processus : l'extension d'échelle des
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(Année universitaire 2011-2012) opérations due à la mondialisation ; la diversité des produits, des contextes de production ou d'usage ; la variabilité considérable des demandes en volume ; la diversité des critères de performance et de gestion ; le resserrement des contraintes temporelles durant lesquelles s'effectuent les innovations et la réalisationcommercialisation des produits. Le contrôle de l'ensemble de ces processus représente pour l'entreprise un véritable défi organisationnel, soumis aux dangereux risques du manque de flexibilité (lenteur bureaucratique, recalibrage laborieux de systèmes de production lourds pour répondre à une demande variable et diversifiée), du manque de fiabilité (coûts supplémentaires et manque à gagner d'activités considérées comme nonstratégiques), du manque de réactivité aux marchés (où la compétition favorise les effets de vitesse alors que les formes d'organisation nécessaire pour faire face efficacement à cette concurrence engagent de plus en plus des temporalités longues.)
2. L’éclatement du modèle de consommation de masse Par Lucille PONCIN
Selon Philippe Moati, membre du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie, les modèles sociaux associés au fordisme, fondés sur la centralisation et les logiques de classes, cèdent progressivement la place à des modèles beaucoup plus diversifiés qui mettent en avant la personnalisation et l’autonomie. Cette tendance lourde se trouve tirée par l’évolution des aspirations individuelles vers plus d’autonomie et de réalisation personnelle. Le dépassement du modèle de la consommation de masse s’est donc fait au profit d’une demande personnalisée. Dans son livre Pour en finir avec la mécroissance, Bernard Stiegler soutient également cette idée, la société de consommation serait une société de mécroissance qu’il faudrait dépasser. Il y aurait un glissement d’une économie de la consommation vers une économie de la contribution où chacun pourrait personnaliser ses produits. D’autre part la demande des consommateurs porte de plus en plus sur des « solutions globales » - des « bouquets » de biens et services complémentaires - que sur des biens et des services isolés. Cette demande pourrait s’inscrire dans l’économie de fonctionnalité. L’entreprise industrielle se mettrait à vendre l’usage du bien plus que le bien lui-même, comme par exemple Michelin qui, au lieu de vendre des pneus vend du kilomètre (ajout d’un un service : gestion du cycle de vie, conseil et maintenance). L’économie de fonctionnalité, qui vise à optimiser l’utilisation des biens et services, se concentre sur la gestion des richesses existantes. L’objectif économique en est de créer une valeur d’usage la plus élevée
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(Année universitaire 2011-2012) possible pendant le plus longtemps possible, tout en consommant le moins de ressources matérielles et d’énergie. Michel Godet, professeur au CNAM (Conservatoire national des arts et métiers) et membre du Conseil d’analyse économique précise « Nous sommes passés d’une économie de destruction de biens à une économie de la fonctionnalité, d’optimisation des biens et de la recherche du bien-être.» De plus, dans leurs critères de choix des produits, les consommateurs accordent une importance croissante aux garanties de qualité, d’écologie, d’hygiène et de sécurité.
3. Les impacts de la crise Par Roxane FAURE
En 2008, l'économie mondiale a été confrontée à une crise d'une exceptionnelle gravité. D'abord financière et localisée aux Etats-Unis, elle s'est transformée avec le commerce mondial en une crise internationale. La production industrielle, au coeur des échanges internationaux, a été particulièrement affectée : au quatrième trimestre 2008 puis au premier trimestre 2009, elle s'est effondrée dans la plupart des économies avancées. En effet, les conséquences de la crise sont multiples : ralentissement massif de l'évolution du PIB mondial, baisse de la consommation des ménages, chute brutale des prix des matières premières, baisse du taux de change de l'euro et enfin, fin 2008, contraction importante de la production industrielle. Les produits industriels représentent en effet plus des trois quarts des biens et services échangés dans le monde. Atteignant d'abord les Etats-Unis, cette baisse se généralise à l'ensemble des pays industrialisés, le Japon, l'Espagne puis l'UE au deuxième trimestre 2008, mais se manifeste surtout en 2009, où les baisses de production sont spectaculaires (- 14,1 % en Allemagne, - 22,2 % au Japon). La crise de l'industrie automobile depuis début 2008 a aussi contribué à ce recul de production. La France ne fut pas épargnée : en recul depuis le second trimestre 2008, la production manufacturière chute très fortement au quatrième trimestre (- 7,3 %), recul qui ne peut être comparé qu'à des situations similaires en 1993 ou 1973. Début 2009, la baisse de production s'intensifie (- 8,3 %), surtout dans les biens d'investissement et les biens de consommation. Cela peut être expliqué en partie par un mouvement de déstockage ; les échanges extérieurs sont donc contractés dans toutes les grandes branches industrielles. Le déficit manufacturier s'accentue avec une chute des exportations accrue au premier trimestre 2009 (- 8,1 %), et un redémarrage des importations. Dans ce contexte, le taux d'utilisation des capacités de production dans l'industrie atteint le niveau historiquement pas de 72 % au premier trimestre 2009.
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(Année universitaire 2011-2012) Ce premier trimestre 2009 marquerait le paroxysme de la crise, puisque la production industrielle repart légèrement au deuxième trimestre (+ 0,4 %), après quatre trimestres consécutifs de baisse. Avec la prime à la casse, la production automobile rebondit même (+ 14,5 %), et les secteurs des biens d'équipement et des matériels de transports repartent. Les économies avancées ont bénéficié du rebond de la demande en provenance des pays émergents, en particulier de la Chine, et le commerce mondial s'est pratiquement stabilisé au deuxième trimestre 2009. Au troisième trimestre, l'amélioration est confirmée, le PIB mondial progresse de 1,2 %, et la production industrielle repart à la hausse aux Etats-Unis (+ 1,8 %), en Allemagne (+ 3,7 %), en Italie (+ 3,3 %) et en France (+ 3,3 %). La crise de 2008 n'aura donc eu qu'un effet à court terme, mais assez violent pour secouer le monde industriel. Le prix d'une stabilisation aussi rapide fut le nombre d'emplois supprimés durant cette période, notamment dans l'intérim ou les petites entreprises sous-traitantes ; les grands groupes ne vacillent pas, mais la précarité explose. Au delà des résultats trimestriels, l'image de l'industrie s'est elle aussi trouvée lésée puisqu'elle est apparue comme la première victime de la crise, notamment avec la forte médiatisation de l'arrêt des chaînes de production de certaines industries de l'automobile durant la phase de déstockage. L'intervention massive de l'Etat sous la forme de plans de relance, en France mais aussi dans d'autres pays européens, est alors symptomatique de l'image de l'industrie auprès du grand public, comme un secteur qui n'a pas su gérer la transition vers le commerce mondialisé, et qui ne survit que grâce aux aides de l'Etat.
C. Une industrie contrastée
1. L’évolution de la géographie industrielle de la France Par Lucille PONCIN
Roger Brunet dans son ouvrage Le redéploiement industriel. Analyse géographique des phénomènes du développement industriel en France souligne que la géographie de la France industrielle découle en partie d'héritages mais surtout de profondes transformations économiques qui se sont produites depuis les années 1960. Les espaces industriels se sont profondément transformés depuis l'entrée dans l'ère de la mondialisation, tant dans leur localisation que dans leurs formes.
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(Année universitaire 2011-2012) Après la Seconde Guerre mondiale, l'espace industriel français s'était recomposé sur ses bases traditionnelles : -vielles régions minières du Nord, de la Lorraine et du Massif central ; -banlieues industrielles, notamment à Paris ; -régions d'industries rurales (textile des Vosges et de Normandie) ; - industries diversifiées du Jura Jusqu'en 1960, on observe une opposition entre une France de l'Est (industries de base et de transformation) et une France de l'Ouest peu industrialisée. La géographie des industries correspond alors aux bassins miniers, aux nébuleuses urbaines, aux ports (Industrie Agro-alimentaire et plates-formes pétrolières) ainsi qu'aux bassins d'industries diffuses (textile de Haute-alsace, Normandie, Choletais, métallurgie des vallées de Sambre et Meuse, Massif central, verreries de Saint-Gobain). Cette localisation s'explique par des facteurs précis : proximité des matières premières pour les industries de base; proximité d'une main d'œuvre abondante pour la grande industrie (automobile en particulier) notamment dans les grandes métropoles (Paris et Lyon); possibilités d'organiser des bassins d'emploi en milieu rural (Peugeot
à Sochaux-Montbéliard et Michelin à Clermont-Ferrand).
Cette organisation, en grande partie héritée des deux révolutions industrielles, est remise en cause dans les années 1960. Sous l’effet de la politique de décentralisation on observe la diffusion de l'industrie manufacturière vers l'Ouest. Cette décentralisation industrielle bénéficie aux zones d'excédent de main-d'œuvre (masculine et rurale comme pour Citroën à Rennes et Caen, Renault au Mans et le long de la vallée de la Seine ; féminine pour l’électronique grand public et l’électroménager ; immigrée dans la moitié nord et est de la France). En raison de la crise économique des années 1970 on assiste à l'effondrement des bases industrielles anciennes. La désindustrialisation frappe toutes les régions de l'arc Nord-est : Nord-Pas-de-Calais, Lorraine, Picardie, Franche-Comté, région parisienne . Les effectifs industriels baissent de 25 % entre 1980 et 1994. Les pertes d'emplois sont également importantes
en
Haute-Normandie,
en
Champagne-Ardenne,
en
Bourgogne,
en
Auvergne.
Le centre de gravité de l'industrie s'est déplacé vers l'Ouest. Les régions résistant le mieux à la baisse sont Basse-Normandie, Pays de la Loire, Aquitaine et Midi-Pyrénées. Seule la Bretagne a connu une légère progression. Les régions ne sont donc pas également sensibles aux conséquences de la désindustrialisation. Or la crise économique et financière a accéléré le déclassement de nombreux bassins d’emplois industriels.
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(Année universitaire 2011-2012) De plus, les conséquences de la désindustrialisation diffèrent selon la nature et la taille du bassin d’emploi, lorsqu’une usine ferme en Île-de- France, les salariés ont de plus grandes possibilités de se reclasser dans une autre entreprise alors que les opportunités sont extrêmement limitées en temps de crise dans un bassin d’emploi restreint. Certaines dynamiques ce sont aussi mises en place pour faire face à la concurrence internationale et bénéficier de la baisse des coûts des matières premières. Des zones industrialo-portuaires (ZIP) autour de la sidérurgie (Dunkerque, Fos-sur-Mer), et des estuaires pétroliers (Basse-Seine) ce sont développées dans un processus de littoralisation.
D’autre part la métropolisation croissante de l'économie, expression d'un fonctionnement en réseaux des activités et des informations, de plus en plus décisif aux échelles nationale et mondiale, devient déterminante. Les industries de haute technologie se concentrent dans les grandes villes car celles-ci offrent une série d'atouts : une main d'œuvre qualifiée, des nœuds de communication, un tissu dense de laboratoires, d'organismes de recherche et d'universités. Ce processus de métropolisation profite surtout à Paris. La capitale constitue en effet un réservoir de hautes qualifications, a une position de relais pour les grandes firmes mondiales ainsi qu’un système complexe de relations entre le tertiaire, la recherche fondamentale et appliquée et l'industrie et met en place des impulsions étatiques fortes dans les
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(Année universitaire 2011-2012) technologies militaires et civiles. C’est la seule ville mondiale du pays qui concentre toutes les activités stratégiques et constitue un centre relais de la mondialisation en Europe. Les grandes villes de l'ouest et du sud de la France : Rennes, Nantes, Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Lyon, Grenoble jouent le même rôle à l'échelle de leur région et concentrent aussi des industries de pointe.
2. Un modèle organisationnel du travail dans les secteurs traditionnels mieux adapté au monde économique actuel Par Alexandre CHABOT
Pour répondre aux nouvelles contraintes déduites du nouvel environnement économique et financier, la structure idéale serait celle de la petite équipe aussi fluide, réactive et coopérative que possible. Mais comment ressembler à cette PME rêvée quand on est un grand groupe ? La réponse : décentraliser et responsabiliser les niveaux de base en unités d'activité (business units.) Mais comment alors préserver la cohérence de l'entreprise dans cette poussière de petites unités ? La solution est celle du réseau, c'est-à-dire lier par des interactions efficaces les cellules d'activité. Pour reprendre l'expression que développe Pierre Veltz dans son livre Le Nouveau monde industriel, le schéma qui est opéré ainsi est celui du modèle cellulaire en réseau. Rompant avec le taylorisme, le modèle cellulaire en réseau se définit premièrement par une approche de l'efficacité fondée sur l'organisation, c'est-à-dire sur une trame de règles génériques à laquelle viennent se greffer des relations contractuelles et révisables entre les acteurs. On ne juge plus alors la performance d'une unité d'activité a priori, d'après une norme codifiée, mais par rapport aux objectifs qui ont été atteints, soit a posteriori. Le modèle cellulaire en réseau est un schéma de production concentré sur la fin, et non plus sur les moyens. Trois éléments principaux caractérisent cette modalité. La décentralisation vers le marché : les unités d'activité, en plus d'être pilotées et coordonnées à travers une prescription des objectifs et un contrôle des résultats, sont spécialisées et structurées à partir des débouchés. La montée de la forme contractuelle donnée aux relations entre les unités et leurs prescripteurs et/ou contrôleurs, ainsi qu'aux relations horizontales entre les unités elles-mêmes. Le caractère généralement pluri-fonctionnel des unités mises en réseau, impliquant au sein des cellules la conjonction et la coopération de savoirs professionnels et d'objectifs techniques et commerciaux multiples. Il résulte de ces éléments une tendance à la création de « mini-entreprises » complexes, dont la structure et l'articulation donnent lieu à une multiplicité de morphologies productives, allant de la firme intégrée
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(Année universitaire 2011-2012) classique, qui évolue vers un ensemble de structures noyaux entourées d'une nébuleuse de fournisseurs, à des mondes professionnels plus ou moins structurés d'unités prestataires indépendantes, en passant par le réseau lâche de PME. Les grandes firmes sont les premières confrontées à la globalisation, à la complexification de l'entreprise, à la pression des marchés, elles sont par conséquent les premières intéressées par l'exploitation de ce modèle. Trois évolutions de la firme sont à constater dans cette tendance vers le modèle cellulaire en réseau, trois évolutions qui sont les applications des éléments distingués plus haut
1. La décomposition des grandes entreprises précédemment organisées sur un mode hiérarchique classiquement multifonctionnel et multidivisionnel en un réseau de business units de taille souvent réduite, soit directement tournées vers le marché et agissant comme centres de profits autonomes, soit servant de support technique ou administratif à ces derniers, le tout étant aussi compact et « dégraissé » que possible. Ce type d'organisation, simple dans son principe mais en général fortement compliqué dans la pratique par des recoupements transversaux multiples, se développe surtout dans les firmes engagées sur des marchés diversifiés et/ou géographiquement éclatés.
2. La multiplication à échelle plus fine (au sein des usines, centres d'ingénieries, unités tertiaires ou commerciales) d'unités élémentaires semi-autonomes, caractérisées par un certain élargissement des marges de manœuvres relative à l'organisation courante des tâches et par la prise en charge de responsabilité auparavant réparties entre des services fonctionnels différents.
3. L'externalisation croissante des activités considérées comme non-stratégiques. L'impératif de la nouvelle entreprise industrielle est de maîtriser la chaîne de la valeur (soit la décomposition de l'entreprise en séquences d'opérations élémentaires.) Or il n'est pas utile de la posséder si ce n'est pas indispensable pour son contrôle. Cette externalisation croissante ne repose pas, comme il serait facile de le penser, sur un calcul des coûts, de type « make or buy ». Cette externalisation renvoie en fait à trois constats plus simples : a) on maîtrise mieux un fournisseur externe qu'un atelier ou une unité interne, car on dispose de moyens de pression plus efficaces, sur les délais, les prix, la qualité ; b) en cas de baisse de l'activité, il est plus facile de se séparer d'un fournisseur que de licencier des salariés ) il est plus simple – réducteur de complexité – d'exiger une prestation externe que d'organiser soi-même un processus de production, quitte à payer un surcoût. Contrôle, diffusion du risque, simplification, sont les trois enjeux de l'externalisation.
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(Année universitaire 2011-2012) Conséquence de cette externalisation : sa combinaison avec le schéma en réseau brouille les frontières en dissociant l'entreprise de fait (comme une entité technique et économique) et l'entreprise juridique : la représentation de l'entreprise comme une unité rencontre une déstabilisation certaine. On peut évoquer par ailleurs trois schémas d'externalisation des activités non-stratégiques. Le plus courant reste celui d'un noyau central relativement compact et traditionnel entouré d'une périphérie de fournisseurs et de distributeurs. C'est le schéma employé par les industries aéronautique et automobile. Un schéma plus radical est celui de la firme creuse, où le noyau central est réduit à des tâches de conception, de coordination et de contrôle d'une chaîne de valeur reliant de très nombreux agents juridiquement indépendants. C'est le schéma employé par les firmes Nike ou IKEA. On notera enfin l'émergence de réseaux plus ou moins virtuels à configuration changeante, généralement constitués pour un projet particulier. Ce schéma existe depuis longtemps dans le bâtiment. Mais l'adoption du modèle cellulaire en réseau n'est pas uniquement motivée par la nécessaire adaptation au nouvel environnement économique ; le modèle ne se réalise pas seulement par défaut. Sa montée correspond également à des avantages extrêmement puissants : l'économie de capital, puisque l'externalisation substitue un capital relationnel au capital-propriété ; la réactivité, puisque le réseau permet aux petites structures de combiner la vitesse et la synthèse innovante des savoirs-faire ; enfin, la diffusion/mutualisation des risques, grâce encore une fois à l'externalisation qui diffuse le risque dans la nébuleuse des cellules d'activité. Évidemment, le modèle cellulaire en réseau n'est pas un modèle parfait. Si du point de vue de la performance, il parvient à concilier la souplesse des petites équipes et la puissance des grandes structures, cet équilibre qu'il instaure a pour revers la tension et la précarité. Des tensions gestionnaires d'abord, puisque paradoxalement, l'autonomie des unités d'activité, qui est source de tant d'avantages, peut être aussi la cause de dérives. La première est celle d'une trop grande opacité des unités, opacité qui peut ruiner le capital relationnel par un manque d'information entre les acteurs, encourager, en profitant de l'externalisation, les attitudes de type « passager clandestin » (c'est-àdire profiter de l'organisation sans en payer les contreparties), ou même conduire à un modèle mercenaire, un donnant-donnant monétaire pur, sans aucun horizon partagé. Une autre dérive de l'autonomie peut pousser les unités à se replier sur elles-mêmes, entraînant de fait un manque de synergie du réseau ; cela est dû au manque d'interaction et de convergence entre les activités, mais arrive également dans le cas où les moyens nécessaires à l'innovation ne sont pas donnés aux unités, lesquelles se remplient sur le court terme, la réactivité et l'adaptabilité à la demande. Enfin, à l'inverse, trop d'interaction et d'information entre les
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(Année universitaire 2011-2012) unités nuisent à la prise de décision, par le temps perdu dans le triage des informations et par des contradictions internes dans la définition des objectifs. Le modèle cellulaire en réseau est susceptible de précariser le travail. En effet, l'avantage de la diffusion du risque dans la nébuleuse des cellules d'activité déplacent en fait la charge de l'incertitude économique sur les éléments les plus faibles du réseau – les salariés des unités. En cas d'une baisse d'activité, résultant d'une baisse de la demande, les premiers touchés seront ceux-là. Le modèle cellulaire en réseau n'est pas un modèle économique : il est un modèle d'organisation du travail, c'est-à-dire qu'il reste tributaire du marché, et cela de manière tout à fait logique puisqu'il a été créé pour adapter les industries à l'évolution du marché.
3. Une répartition sectorielle Par Roxane FAURE et Lucille PONCIN La désindustrialisation ne touche pas de manière identique toutes les entreprises1. Comme une part croissante des résultats des grandes entreprises est désormais réalisée à l’étranger les grands groupes, qui bénéficient pourtant des aides de la politique industrielle française, ne seraient guère plus créateurs d’emplois en France. Il y a même un certain glissement de pouvoir des dirigeants traditionnels vers les actionnaires, qui incite l’entreprise à adopter des objectifs de gestion de court terme.
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Annexe 3 Entretien avec Mr Vincent Charlet membre du think tank la Fabrique de l’industrie
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L’automobile est l’un des secteurs phare de l’industrie française, qui a joué un rôle pionnier dès la fin du XIXème siècle. Or une automobile française ne contribue pas nécessairement à l’emploi et au PIB français autant qu’il y paraît, car les firmes font aujourd’hui appel à de nombreux fournisseurs dont beaucoup sont implantés dans d’autres pays et ce secteur est en crise1. On estime ainsi que les voitures françaises ne sont produites qu’à moins de 50 % dans leur pays. Dans le textile, la France conserve seulement une position de niche : dans la mode, sur laquelle elle bénéficie d’une forte image de marque ; dans le textile sportif mais aussi le textile technique qui constitue un marché porteur pour l’industrie, le bâtiment et l’agriculture. L’ensemble de la branche « textile-habillement », fortement menacée par les pays à faible coût de main d’œuvre, a perdu 70 % de ses effectifs au cours des dix dernières années. L’agriculture constitue l’un des points forts de l’économie française qui s’appuie sur un secteur industriel agroalimentaire solide, dont l’importance en France n’est pas toujours considérée à sa juste valeur. Le secteur agroalimentaire est la seule branche de l’industrie française qui n’a pas perdu d’emplois depuis 1980. Les industries agroalimentaires (IAA) ont réalisé 14,1 % de la valeur ajoutée de l’industrie manufacturière en 2009, contre seulement 10 % en 1960, pour des effectifs de 550 000 salariés. Le secteur recourt moins à l’externalisation et à la délocalisation que les autres industries et contribue positivement à la balance commerciale de la France. La filière bois est un véritable atout pour la France : du bois de qualité est produit mais pas suffisamment exploité et transformé. La France est la première puissance européenne en matière de volume de bois sur pied, mais elle est pratiquement la dernière en termes de consommation de bois par habitant. Le secteur « forêt-bois » en France représente plus, en termes d’emplois, que le secteur de l’automobile dans son ensemble : 550 000 emplois pour 100 000 entreprises essentiellement réparties en milieu rural. C’est l’intervention de l’État qui a permis, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le développement d’une filière de construction aéronautique compétitive au niveau mondial. Cette branche, avec une contribution positive de 12 ‰, représente à elle seule plus que toute la contribution de l'ensemble des produits technologiques au solde français.: la bonne santé de la filière aéronautique et spatiale ne peut pas se diffuser à d’autres secteurs. De plus, la France est particulièrement sensible à l’émergence d’un concurrent, puisque qu’elle ne dispose pas d’un autre secteur haut de gamme sur lequel se replier. La société Airbus joue aujourd’hui le rôle de chef de file incontesté de la filière et fédère autour d’elle un grand nombre
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Annexe 1 Entretien avec David Vignet, ingénieur Renault au technocentre de Guyancourt
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(Année universitaire 2011-2012) d’entreprises, sous-traitants de premier ou deuxième rang. L’ensemble du territoire est ainsi irrigué par un « état d’esprit industriel » qui a permis entre autres de contrebalancer le déclin d’industries plus anciennes telles que le textile en Midi-Pyrénées et la construction navale en Pays de la Loire. Pour mémoire, Airbus représente aujourd'hui 5,3 milliards d’euros de chiffre d'affaire pour le tissu industriel français et 2,3 milliards pour les entreprises de Midi Pyrénées. Le contexte économique du luxe a sensiblement évolué depuis deux décennies. Le marché mondial connaît un développement spectaculaire. Le luxe français dispose d’avantages de comparatifs importants et les entreprises du secteur se voient offrir des occasions de renforcer des positions déjà enviables. Les marques françaises entrent pour une part importante du chiffre d’affaires mondial du luxe. Selon l’étude « Eurostaf » les entreprises françaises entreraient pour 36 % du total, devançant les entreprises américaines (23%), elles-mêmes suivies des entreprises italiennes (13%). Le luxe français s’exporte sur un marché luimême extrêmement dynamique et mondial. Il faut protéger la transmission des savoir-faire, garants du maintien de la créativité du secteur. L'industrie pharmaceutique est le secteur économique qui regroupe les activités de recherche, de fabrication et de commercialisation des médicaments pour la médecine humaine ou vétérinaire. C'est une des industries les plus rentables et importantes économiquement, au monde. En 2009, le chiffre d’affaires de l’industrie du pharmaceutique s’est élevé à 50 milliards d’euros (+5,6% par rapport à l’année précédente). Mais à y regarder de plus près, presque la moitié de ce chiffre d’affaires est réalisé à l’exportation (23 milliards). L’exportation de médicaments constitue d’ailleurs le secteur dont la croissance importante (+9,2%) tire le bilan 2009 vers le haut, et le « médicament se situe au 4ème rang des excédents commerciaux français ». D’après les chiffres publiés par le LEEM, ce sont en moyenne quelques 12,4% de leur chiffre d’affaires que les industries pharma réinvestissent dans les activités de recherche, le « premier secteur en matière d’investissements de R&D en France »
II. L’entreprise industrielle en transition La recomposition mondiale des économie se traduit par le développement inéluctable des pays émergents , la libéralisation des échanges commerciaux et parallèlement un effritement du potentiel industriel français et des perspectives de délocalisations. Cette interrogation sur la décroissance de grands secteurs productifs amène à se dire que le maintien de l’industrialisation 21
(Année universitaire 2011-2012) tient plus à la défense d’une compétitivité durable du potentiel productif associant désormais étroitement produits et services qu’à la préservation stricte d’activités « productive » traditionnelles.
A. Hyperindustrie ou post industrie ? 1. L’avènement des services Par Anne Sophie BRIAN, Maelle DYOT et Lucille PONCIN
Le capitalisme du XXème siècle était caractérisé par l'entreprise industrielle. Il a toutefois évolué, et le capitalisme du XXIème siècle s'en distingue par la sous-traitance et la spécialisation des tâches. Il « détruit » «la société industrielle. D. Cohen analyse ce phénomène, et établit qu'avec l'évolution technologique et l'émergence d'Internet, les consommateurs sont devenus de plus en plus exigeants, de telle sorte que la production repose désormais sur deux piliers : la conception et la commercialisation. On cherche à offrir le meilleur service possible. De plus, la division internationale du travail entraîne une externalisation (une délocalisation) de la production de bien. Par exemple, la firme Renault fabriquait 80% des voitures qu'elle fournissait aux concessionnaires en 1950 ; aujourd'hui, elle n'en fabrique plus que 20% et se qualifie de « concepteur » automobile. Le principal coût est de convaincre le consommateur, alors que dans l'ère industrielle, il était dans la production elle-même. L'entreprise industrielle se tertiarise progressivement, et, en parallèle, les emplois d'entretiens sont réalisés au sein d'entreprises de services. Les emplois industriels sont alors relégués au second plan. Bien que toujours existants, ils sont absorbés par les services et leur visibilité est réduite. Parler de société post-industrielle permet de montrer la rupture avec le modèle traditionnel de l'entreprise industrielle, démantelée et peu à peu confondue avec le secteur tertiaire. En 2009, les sommes consacrées par les ménages français à l’achat de services ont ainsi rejoint celles consacrées à l’acquisition de biens industriels. Il y a eu une croissance de l’économie de services au détriment de l’économie industrielle.
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(Année universitaire 2011-2012) D’une part, le secteur des services a développé de nouvelles activités, dans lesquelles la France a su valoriser ses atouts naturels ou construire des champions mondiaux : c’est notamment le cas du tourisme ou des travaux publics. D’autre part, les entreprises externalisent des opérations traditionnellement exercées en interne. Comme on l’a vu précédemment, ces emplois et cette production ne devraient pas être compris dans la mesure de la désindustrialisation, car ils concernent des activités peu susceptibles de délocalisation. Le phénomène d’externalisation correspond toutefois à une volonté de flexibilité des entreprises et peut avoir pour effet, notamment dans le secteur de l’entretien, d’accroître la précarité des emplois. Enfin, les services constituent une part croissante de la création de valeur au sein même des produits industriels.
Mais la notion de société de service est inappropriée au cas français dans la mesure où de nombreux emplois de service dépendent en fait de la présence d’acteurs industriels. Le développement important des services aux entreprises, qui représentent 17 % du PIB, ne peut se concevoir, dans le cas des entreprises industrielles, sans la proximité géographique avec les unités de production. De manière plus générale, l’industrie est fortement consommatrice de services, ce qui lui donne un rôle majeur de développement des territoires : construction de bâtiments et d’infrastructures, nettoyage, services aux personnes pour les salariés.
2. L’essor de l’industrie de l’immatériel Par Lucille PONCIN
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Selon Daniel Cohen l’économie a changé. En quelques années, une nouvelle composante s’est imposée comme un moteur déterminant de la croissance des économies : l’immatériel. Durant les Trente Glorieuses, le succès économique reposait essentiellement sur la richesse en matières premières, sur les industries manufacturières et sur le volume de capital matériel dont disposait chaque nation. C’est désormais la capacité à innover, à créer des concepts et à produire des idées qui est devenue l’avantage compétitif essentiel. La recherche et plus largement l'innovation apparaissent comme des paramètres essentiels de la compétitivité industrielle, qu’il s’agisse d’inventions ou de perfectionnements technologiques, mais aussi d’améliorations de processus ou de protection des brevets et des savoir-faire. La place croissante de l’innovation est devenue le principal moteur des économies développées.
Il y a trente ans, être un leader de l’industrie automobile, c’était avant tout s’imposer par des critères techniques, par exemple les caractéristiques de la cylindrée. Aujourd’hui, c’est la marque, le concept, le service après-vente ou le degré de technologie intégrée dans les véhicules qui font, dans ce secteur, la réussite industrielle. Tous les secteurs industriels, des semi-conducteurs au textile, des logiciels aux télécommunications, font désormais de l’immatériel la clé de leur avenir. Le développement massif des technologies de l’information et de la communication, ouvre aux entreprises des possibilités considérables d’innovation, de réorganisation de leur production et de recentrage sur les activités à plus forte valeur ajoutée. Pendant des années, les économies développées ont en effet vécu avec une conception très restrictive de l’innovation, qui était avant tout technologique et issue des travaux de recherche et développement (R&D).
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(Année universitaire 2011-2012) C’était l’âge d’or de l’économie industrielle, durant lequel l’innovation découlait essentiellement du travail des laboratoires de recherche. La rupture technologique constatée dans le secteur des technologies de l’information et de la communication peut être considérée comme une nouvelle révolution industrielle. Cette révolution ouvre depuis plusieurs années des perspectives considérables d’amélioration de l’efficacité des entreprises et de l’économie dans son ensemble, non seulement dans les secteurs qui produisent ces technologies, par exemple l’industrie du logiciel ou du semi-conducteur, mais plus largement dans l’ensemble de l’économie, qui trouve grâce à elles les moyens d’innover, de changer, d’évoluer. Les TIC permettent de sortir de l’ancien modèle de l’entreprise qui se développait en multipliant les activités et en cumulant les fonctions. Elle autorise en effet le recentrage sur les activités considérées comme stratégiques et, parallèlement, le développement de l’externalisation.
C’est aussi la fin du canal de
distribution essentiellement physique, par l’affirmation d’Internet comme support de vente et la remise en cause des intermédiaires traditionnels (agences de voyage, courtiers en produits financiers…). La mondialisation et la financiarisation facilitent le recentrage des entreprises sur les activités les plus créatrices de valeur, c’est-à-dire les activités immatérielles. Les secteurs spécialisés dans les biens et services à caractère immatériel ont un poids économique en constante augmentation, ils représenteraient, au sens large, environ 20 % de la valeur ajoutée et 15 % de l’emploi selon Daniel Cohen dans son rapport La Mondialisation de l’Immatériel, les trois mots-clés de l’immatériel sont formation, recherche, innovation. Les actifs immatériels se jouent des frontières et des limites administratives. L’entreprise s’ouvre par la multiplication des opportunités d’alliances et de partenariats entre les entreprises, qui peuvent développer les fonctionnements en réseaux pour réduire leurs coûts de transactions, développer des stratégies communes d’économie d’échelle ou faire face à des investissements en R&D très importants. Cette dernière pouvant donner naissance à une nouvelle forme de l’économie : celle de la coopération. Cette volatilité est un état de fait qui doit être pris en compte dans la conduite de notre politique économique. Désormais, il y a des questions qui ne peuvent plus être traitées efficacement au niveau national, mais dont la réponse se situe nécessairement au niveau européen et souvent international. Les entreprises ont déjà largement basculé dans ce nouveau modèle. Il suffit de décomposer les coûts de fabrication de nombreux produits pour s’apercevoir que la part des éléments matériels (matières premières, amortissement des équipements industriels) ne cesse de se réduire au profit de charges immatérielles (marketing, services…). Dans ce contexte, les entreprises investissent massivement – publicité, recherche et développement, formation – pour être à même d’innover et se constituer ainsi des actifs immatériels (marques, brevets, savoir faire…). Ceux-ci occupent d’ailleurs une place croissante dans l’ensemble de l’économie, même si leur importance réelle n’est pas convenablement appréhendée par les
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(Année universitaire 2011-2012) outils de mesure traditionnels (comptabilité, statistiques publiques…). Ainsi, les coûts de production, au sens strict, des chaussures Nike ne représentent que 4 % du prix de vente total, le reste représentant la rémunération d’actifs immatériels tels que la marque, la recherche, les brevets et le savoir-faire de l’entreprise. On distingue l’immatériel technologique (recherche et développement, brevets savoir-faire), l’immatériel lié à l'imaginaire (publicité, communication, marques) et l’immatériel "organisationnel" (éducation et formation continue, capital humain, dépenses de marketing , culture managériale) Parallèlement, les entreprises anciennement industrielles ont développé considérablement les offres de services complémentaires à leurs produits. Ainsi les producteurs de biens informatiques ont fortement développé les services de conseil en complément des équipements vendus. C’est ainsi qu’IBM, l’un des premiers fabricants d’ordinateurs au monde, a pu aller jusqu’à abandonner complètement la production. Le produit n’a pas disparu mais il est offert au milieu d’une gamme de services complémentaires qui se révèlent souvent plus rémunérateurs. La frontière entre l’industrie et les services est donc aujourd’hui extrêmement difficile à établir, même s’il apparaît clairement que la valeur ajoutée tend à se concentrer dans les activités de services en amont et en aval de la production proprement dite, celles-ci s’appuyant sur des investissements immatériels importants. Il faut reconstruire la « marque France », pour être perçu à l’étranger comme une plate-forme de création et d’innovation, une référence dans la société de la connaissance. L’exemple de l’Occitane en Provence, révèle que les produits à forte identité bénéficient d’une image favorisant leur exportation. La France est connue aujourd’hui pour les produits qu’elle fabrique. L’image d’un pays à l’étranger est en effet très souvent liée à ce qu’il produit. Le « fabriqué en France » est un gage de qualité pour 91 % des Français. Pouvoir identifier l’origine française des produits est considéré comme « très important » pour deux tiers des Français.
3. Les biens immatériels Par Anne Sophie BRIAN L'industrie des biens immatériels est un enjeu et une preuve de la survie du secteur industriel. On constate que pour ces biens, la mondialisation n'a ouvert qu'un tiers du marché aux produits étrangers. La part des œuvres étrangères s’élève à 20 % pour l’édition (40 % pour le roman), 25 % pour le « prime time » télévisuel, 30 % pour la pharmacie européenne (60 % pour la pharmacie française), 30 % pour les services
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(Année universitaire 2011-2012) informatiques, 33 % pour la musique, 60 % pour le cinéma et 70 % pour les logiciels. Le cinéma et l'informatique sont les deux exceptions en raison de la domination de Hollywood et de Microsoft. On observe d'ailleurs une « duo polarisation » entre biens nationaux et biens américains qui se disputent le marché en excluant d'autres biens culturels. On oppose traditionnellement biens (matériels) et services (immatériels). La limite devient cependant floue : les créations intellectuelles sont classées en service alors qu'elles reposent sur des supports physiques ! La mesure pose également problème puisque l'échange de services ne se mesure pas uniquement en flux financiers. En France, on estime en 2005 à 60 milliards d'euros les échanges de services (audio visuel, informatique, redevances et droits de licences). Mais I. Bensidoun et D. Ünal-Kesenci pensent que ce chiffre sous-estime les échanges dans le pays hôte, qui est sous le mode de consommateur de service. En France, les trois quarts des flux internationaux de services sont effectués sous ce mode. L'économie immatérielle pose des problèmes de considération : bien que ce soit celui-ci qu'utilisent les industries culturelles, le paiement à l'acte serait, selon D. Cohen, le pire des systèmes. Une fois créé, le bien pourra être consommé par d'autres sans coût additionnel : le paiement de l'enveloppe physique (CD, DVD...) permet d'individualiser la commande. Il faudrait favoriser un paiement forfaitaire. La numérisation bouleverse le système en retirant l'enveloppe physique : la tarification des biens par le paiement à l'acte n'est plus possible. L'industrie du livre reste peu touchée : la préférence pour le livre permet un maintien des ventes. Au contraire, la musique est le secteur le plus menacé. La mesure des flux est incertaine, et le peer-to-peer facilite l'accès gratuit aux musiques. Les internautes manifestent cependant une propension à payer de 7 euros par mois pour un abonnement illimité à la musique. Il suffirait qu'un tiers des internautes paye cet abonnement pour couvrir les frais du monde de la musique mais le secteur considère que le paiement à l'acte reste suffisant. Le passage aux disques numériques a cependant eu un vif succès ce qui a compensé les pertes liées à l'internet. La pharmaceutique est également un gros facteur de plus-value immatérielle en France. C'est la seule industrie dont les responsables politiques essayent de limiter la croissance (on encourage la R&D mais on essaye de modérer les chiffres de profit). Le développement de la biopharmaceutique est mondial, mais les déficits sociaux sont locaux. Chaque gouvernement essaye de réduire ses dépenses de santé, mais ne veulent pas mettre en danger la recherche. On est confronté au dilemme du prisonnier : la poursuite des intérêts égoïstes risque de mener à un équilibre stable mais sous-optimal, et une unification des tarifs par l'Union Européenne permettrait de palier à ce problème.
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(Année universitaire 2011-2012) En terme d'informatique, les français ne sont pas à la pointe concernant la création, mais ils sont très bien équipés et exploitent pleinement les nouvelles technologies. Dans le secteur des logiciels, alors que la part des fournisseurs français est d'un tiers (le reste étant américain), mais elle est de 69% dans les services informatiques : il y a une suprématie française dès qu'il y a un contact direct avec le consommateur. Le secteur cinématographique français laisse une part importante aux productions américaines (48%) par rapport aux productions nationales (38%), mais la France reste moins touchée que ses voisins européens (où la présence américaine s'élève à 71%). Les gros succès du box office sont en grande majorité des films français ou américains. Le maintien d'une telle part de la production nationale est un succès notable. La même dualité se constate pour la télévision. D’après le CSA, la fiction française représente, en 2001, 26 % de l’offre totale de fiction sur les chaînes hertziennes, la fiction américaine 52 %, et la fiction non américaine 17 %. La politique des quota semble favoriser les firmes qui dominent déjà le marché. Il faudrait réduire les quotas sur la production européenne à 50%, et augmenter les taxes sur les chiffres d'affaire afin d'utiliser ce revenu pour structurer de meilleures offres et diffusions d’œuvres européennes. Ainsi, il est clair que l'industrie des biens immatériels n'est pas en recul, et qu'il existe des solutions pour favoriser son développement. Il s'agit alors d'une nouvelle forme d'industrie, mais en aucun cas de la fin de l'entreprise industrielle.
B. Reconstruire un socle industriel
1. Une image dégradée et peu attractive Par Lucille PONCIN L’ image de l’entreprise industrielle est à revaloriser1 comme le souligne le Livre blanc des ingénieurs et scientifiques de France et le Rapport du Sénat N° 403 sur la désindustrialisation du territoire. On constate qu’il y a un a priori négatif sur la vision de l’entreprise industrielle qui est perçu comme dangereuse, polluante, avec un travail peu qualifié et difficile, peu de sécurité de l’emploi, une soumission aux actionnaires et une rémunération des dirigeants déséquilibrée.
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Annexe 2 Entretien avec Harris Bodard délégué général du Groupement Interprofessionnel de la région
Vallée de Seine et Annexe 3 Entretien avec Mr Vincent Charlet membre du think tank la Fabrique de l’industrie
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(Année universitaire 2011-2012) À une époque où le « tout communication » semble régner sans partage, l’image de l’industrie française constitue aujourd’hui une faiblesse et le temps de l’industrie « fleuron promotionnel de la France » n’est plus tout à fait exact. Or pour pouvoir avoir une politique industrielle, il faut que la France aime à nouveau son industrie et que l’argent aille vers le financement de l’industrie et non vers l’enrichissement des actionnaires . Le manque d’attractivité des métiers industriels pèse sur la capacité d’innovation française : les élites formées en France tendent à aller chercher à l’étranger ou dans le secteur des services, notamment financiers, des salaires plus élevés, tandis que l’enseignement technique est trop souvent considéré comme un enseignement de seconde zone. Par ailleurs, certaines formations, pourtant prisées des entreprises, sont amenées à disparaître, faute de candidats. Plusieurs facteurs explicatifs peuvent être mis en avant : une faible sensibilisation des jeunes aux différents métiers de l’industrie, une perception erronée et obsolète du monde de l’entreprise, mais aussi une concurrence de plus en plus forte des métiers de la finance, qui proposent des rémunérations bien plus attractives. L’organisation de l’enseignement technologique et les contenus mêmes d’enseignement des écoles d’ingénieur entretiennent aujourd’hui cette désaffection par une déconnexion de la réalité industrielle contemporaine, et un manque d’attractivité de ce type de formation, souvent choisie par défaut plutôt que par véritable choix. C’est bien un « état d’esprit industriel » qu’il s’agit de réinstaller et la revalorisation de l’industrie ne passe pas seulement par des campagnes de communication mais aussi et surtout par la volonté de professionnels de l’industrie. Dans ce contexte, le ministère de l’économie, de l’industrie et de l’emploi a mit en place, en avril 2011, la « Semaine de l’Industrie » qui avait pour but affiché de « faire tomber certains clichés trop souvent véhiculés sur l’industrie » et de « contrebalancer le déficit d’image » dont elle souffre. Cette semaine devait fédérer un ensemble d’actions - locales et nationales - d’information et de sensibilisation sur les réalités du monde industriel. Des journées portes ouvertes, des ateliers de découverte de l’industrie en milieu scolaire, des colloques et tables rondes, des forums d’information, des expositions étaient notamment organisés. Et la manifestation devrait de nouveau avoir lieu en mars 2012.
2. Adapter les formations et Intensifier les relations entre monde de l’entreprise et monde de la recherche Par Maelle DYOT et Lucille PONCIN
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(Année universitaire 2011-2012) Pour créer l’emploi de demain, il faut anticiper les filières de formation à mettre en place ; en réalité, c’est tout l’environnement de l’entreprise qui contribue à sa réussite. Il faudrait créer au sein du ministère de l’Éducation, une structure identifiée, permettant de définir au niveau national une politique de revalorisation des formations professionnelles et de favoriser au niveau des territoires la coopération entre les filières industrielles d’excellence et les formations aux métiers d’avenir notamment via l’apprentissage en alternance Les formations étaient trop souvent « déconnectées » du monde de l’entreprise, il faut de nouveau favoriser l’ « état d’esprit industriel » des jeunes qui arrivent sur le marché du travail et de créer des passerelles entre les formations industrielles théoriques et le monde professionnel. La nécessité d’assurer une meilleure continuité du processus d’innovation, de la recherche fondamentale à la production industrielle nécessite de mobiliser les universités et les grandes écoles sur les projets industriels. Le rapport Désindustrialisation, délocalisation de Lionel Fontagné et Jean-Hervé Lorenzi soulève l’importance de la réhabilitation d’une culture scientifique et technique chez les jeunes. La faute en incomberait à l’université. Trop peu ouverte sur l’étranger et incapable de préserver ses diplômés du chômage, elle perdrait en crédibilité. Pour y remédier, il faudrait mettre en place une politique d’enseignement supérieur, mais cette politique peut se heurter au principe de la liberté de l’enseignement supérieur. Combinée à la généralisation des échanges entre étudiants, cette politique permettrait la création de réseaux universitaires européens. L‘université trouvera ainsi cette ouverture sur l‘étranger qui lui fait défaut. Une des principales faiblesses de la France dans le domaine de la recherche et développement (R&D) réside dans sa difficulté à traduire les découvertes des chercheurs en innovations industrielles, c’est-à-dire en création de valeur ajoutée et d’emplois en France. Il y a une insuffisance des liens entre entreprises, laboratoires de recherche et universités. Il s’agit donc de développer les partenariats dans ce domaine, en veillant à ce que les besoins des entreprises soient mieux pris en compte en termes de formation et de programmation des travaux de recherche.
3. Consolider l’attractivité ainsi que les PME et ETI Par Roxane FAURE et Lucille PONCIN
La France peut aujourd’hui compter sur un grand nombre de grands groupes industriels, communément appelés « champions nationaux », qui constituent ce qu’on appelle encore les « fleurons » de l’industrie française. Ces champions, présents dans de nombreux secteurs comme l’aéronautique, l’énergie,
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(Année universitaire 2011-2012) l’automobile ou encore la santé, conservent à la France une place de puissance industrielle qui compte, malgré le déclin d’une certaine forme de modèle industriel Le problème ne réside plus dans l’interrogation sur l’opportunité d’un patriotisme économique ou d’une forme de protectionnisme industriel, mais bien au contraire sur la force d’attractivité de la France. En 2009, selon l’étude annuelle menée par Ernst & Young sur l’attractivité de l’Europe, la France reste le pays le plus attractif pour nombre de projets industriels accueillis, notamment dans les écotechnologies et par le nombre des emplois créés dans le domaine de la logistique et dans la recherche et développement. L’attractivité consiste aussi à consolider le tissu des entreprises de taille intermédiaire et des petites et moyennes entreprises françaises. En effet il faut cesser de focaliser l’attention de façon excessive sur les entreprises en place et notamment les plus grandes d’entre elles, alors que le gisement de productivité et de croissance se trouve tout autant, et peut-être plus, dans les PME . Une diffusion plus satisfaisante de l’innovation vers les PME, dans le cadre des pôles de compétitivité, est indispensable afin de rendre ceux-ci véritablement opérationnels sur le plan du développement économique territorial : ces entreprises, souvent moins délocalisables et attachées à leur territoire, ont une fonction de maillage et d’animation du territoire complémentaire à celui des structures plus importantes.
L’économie française crée de nombreuses entreprises mais elle ne parvient pas à les faire grandir. Près de 327 000 entreprises ont été créées en 2008, en progression de plus de 52 % par rapport à 2002 et de 1,8 % par rapport à 2007. Malgré une hausse du chiffre des créations d’entreprises, leur survie est aléatoire et cette situation fragilise l’industrie. Le nombre d’entreprises qui font défaillance dans l’industrie est de l’ordre de 4 000 chaque année, ce qui concerne environ 40 000 employés.
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(Année universitaire 2011-2012)
Afin de favoriser le développement des PME1, il est indispensable que celles-ci puissent accéder plus facilement et directement aux marchés publics. En effet, les PME participent le plus souvent à la réponse à la commande publique via la sous-traitance et se voient donc imposer les conditions tarifaires des grands groupes, qui leur sont peu favorables. L’orientation de l’épargne vers le secteur industriel constitue une des actions à mener en priorité afin de renforcer l’aide au financement de l’industrie. Cela suppose la mise en place d’un « partenariat » constructif entre donneurs d’ordre publics (État, collectivités territoriales) et les organisations représentatives des PME. La France doit aussi faire face au défi des entreprises de taille intermédiaire. On constate également aujourd’hui un déficit d’ d’établissements de taille intermédiaire : 18 % en France contre 26% en Allemagne. Ces entreprises peuvent être les grands groupes de demain mais elles doivent faire face à des faiblesses connues : les effets des seuils sociaux, la faiblesse des effets d’agglomération, l’insuffisante culture technique et surtout les difficultés de financement. Les banques sont trop frileuses à l’égard des jeunes entreprises. L’étude de l’INSEE publiée en mars 2010 donne un premier cadrage statistique de cette catégorie d’entreprises. Les ETI, qui comptent en moyenne 670 salariés, sont prédominantes dans le secteur de l’industrie. En effet, sur les 4 600 ETI recensées en France, 1 500 relèvent de l’industrie
1
Annexe 2 Entretien avec Harris Bodard délégué général du Groupement Interprofessionnel de la région
Vallée de Seine et Annexe 3 Entretien avec Mr Vincent Charlet membre du think tank la Fabrique de l’industrie
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(Année universitaire 2011-2012) manufacturière et contribuent à 59 % des exportations faites par l’ensemble des ETI et contribuent à 37 % de la valeur ajoutée. Par ailleurs, 1 350 ETI implantées en France appartiennent à un groupe dont la société mère est située à l’étranger. La plupart des autres ETI ont leur tête de groupe située en Île-de- France. Leurs effectifs sont répartis sur tout le territoire, avec une certaine concentration autour de grandes agglomérations, en région parisienne, à Lyon, Toulouse, Nantes et Rennes.
Les ETI ont de nombreux atouts : performance (surtout en matière d’exportation), incarnation d’un
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capitalisme vertueux » (vision de long terme, préférence pour l’investissement, relations sociales apaisées et forte culture d’entreprise), harmonieuse articulation entre le local et le global grâce à un enracinement important dans les territoires et à une capacité de projection sur les marchés internationaux. En France, on dénomme "systèmes productifs locaux" (SPL) les districts industriels dont le modèle est celui d’un développement économique local qui recouvre une concentration de PME-PMI sur un territoire géographiquement limité et défini par elles, la spécialisation dans un secteur d'activité autour d'un métier ou autour d'un produit. Cette organisation fonctionne comme un réseau d'interdépendances constituées d'unités productives ayant des activités similaires ou complémentaires qui se divisent le travail en associant les autres acteurs du territoire. On peut citer les exemples de la Cosmetic Valley (sept départements répartis sur trois régions : Centre (Eure-et-Loir, Indre-et-Loire, Loiret, Loir-et-Cher), Ile-de-France (Yvelines, Val d'Oise) et Haute- Normandie (Eure) ), la "Mécanic Vallée"( en Aveyron de Rodez à Tulle, en passant par Brive et Figeac), "Plastic Valley" ( Ain et Jura)
C. Enjeux industriels : la place du territoire
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(Année universitaire 2011-2012)
La France est engagée dans une transition économique, sociale et culturelle sans équivalent depuis un demisiècle et la structure territoriale est partie prenante de ces mutations économiques et sociales. Cela engendre notamment au niveau de l’industrie une réorganisation territoriale et les salariés concernés n’ont pas toujours les ressources de la mobilité géographique et professionnelle. Les grandes villes sont source d’emplois nouveaux liés aux évolutions technologiques et à l’industrie de pointe. Mais la réalité territoriale de la transition ne se réduit pas à l’opposition entre des zones d’industrie ancienne en déclin et des zones métropolitaines high-tech, et aux déficits d’ajustement résultant de la faiblesse des mobilités interrégionales
1. Les collectivités locales au cœur du développement de l’industrie Par Lucille PONCIN
L’époque
où
l’État
portait
seul
les
grands
projets
industriels
(nucléaire,
ferroviaire,
télécommunications…) est révolue. La décentralisation favorise de nos jours une impulsion de la politique industrielle par les collectivités territoriales et garantit la prise en compte des singularités des territoires. Les collectivités sont aujourd’hui l’acteur incontournable du développement économique aussi bien au niveau de la commune que du département et de la région, car elles disposent de compétences spécifiques (notamment distribution des aides). Ces aides aux entreprises, sous des formes très diverses, ont été très précieuses depuis le début de la crise et ont contribué à maintenir des activités industrielles et à accompagner leur mutation L’action en faveur de l’industrie ne résulte toutefois pas seulement des actions directes, mais aussi de la création par la collectivité d’un contexte favorable à l’investissement et au développement des activités. La politique d’aménagement du territoire, la politique sociale, la politique d’éducation menées par les collectivités produisent des effets sur l’industrie : réalisation de zones d’activité, création d’infrastructures terrestres, ferroviaires ou numériques, actions de formation ou installation d’établissements d’éducation favorisent l’attractivité du territoire pour les entreprises. Les activités industrielles reposent sur des investissements souvent importants en capital matériel comme immatériel : machines, infrastructures, formation, contacts avec les autres acteurs. Les petites et moyennes entreprises ne peuvent donc devenir compétitives sans l’appui des collectivités, qui peuvent
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(Année universitaire 2011-2012) encourager la mise en réseau grâce à leur place centrale au contact des administrations d’État comme des particuliers et des entrepreneurs. Les collectivités, notamment avec la création d’agences de développement, disposent des réseaux et de la connaissance du terrain qui leur permettent d’apporter un soutien efficace aux entreprises souhaitant se développer localement, lancer des produits ou exporter. Plusieurs collectivités et des autres acteurs publics ont eu un rôle positif lors de la crise économique et financière, notamment par leur capacité d’écoute et leur proximité par rapport aux entreprises. Les entreprises industrielles sont consommatrices de terrains pour installer leurs chaînes de production. Elles ont donc besoin d’une mise à disposition du foncier et souhaitent souvent rester proches de leurs fournisseurs ou grands clients, tout en ayant un accès aux infrastructures de transport. La disponibilité d’un foncier de qualité est donc l’une des premières conditions de l’installation, voire de l’extension d’une industrie locale. Les collectivités jouent à cet égard un rôle essentiel, par exemple lors du réaménagement des friches industrielles, de la reconversion de bases militaires ou de la libération d’emprises ferroviaires, la création de zones d’activité, ou d’infrastructures. Elles peuvent également définir dans certains cas un projet global permettant d’associer développement urbain (logements, commerces, services publics) et mise en valeur économique. Les collectivités peuvent aussi répondre au besoin de main d’œuvre qualifiée des entreprises. Leur rôle apparaît en lien avec les entreprises et grâce à leur connaissance du contexte économique et professionnel local, elles identifient les profils de main d’oeuvre nécessaires aux industries du territoire et favorisent la mise en place d’une offre éducative et de formation continue adaptée.
2. La région : échelon décisif pour créer un territoire industriel Par Lucille PONCIN
Les régions constituent l’échelon le plus adapté pour concevoir une stratégie de développement cohérente et adaptée aux territoires car elle touche au plus près à la vie de l’entreprise1 (infrastructures d’accès et de communication, emploi et formation, image). Les régions françaises étant diverses, il n’est toutefois pas question d’établir une répartition rigide des compétences, qui serait source d’inefficacité. Il existe plusieurs formes d'interventions: la définition des orientations stratégiques et du régime des aides aux entreprises au niveau des régions ou ce qui a trait à l'environnement de l'entreprise aux niveaux départemental et intercommunal. L’organisation de l’action
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Annexe 4 Audition de Gilles Le Blanc devant le Sénat
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(Année universitaire 2011-2012) industrielle, qui est au coeur de l’action économique, doit donc s’adapter au contexte local dans le cadre régional. L’aménagement du territoire, et notamment le développement des infrastructures, doit se mettre au service du développement économique. Un développement résolu des infrastructures de transport des hommes, des marchandises et des données joue un rôle de facilitateur essentiel dans une société caractérisée par la prédominance des réseaux et des échanges. Elles facilitent l’installation des entreprises en leur permettant de bénéficier à la fois des atouts propres au territoire et de l’accès aux ressources extérieures non disponibles localement. Les collectivités territoriales, notamment la région, jouent un rôle essentiel dans la conception et la réalisation des infrastructures nécessaires à l’implantation et au développement des entreprises. La qualité des universités et des établissements de recherche est essentielle pour permettre aux entreprises de trouver les capacités de recherche et développement dont elles ont besoin. Il est donc essentiel que l’ensemble des moyens ne soient pas concentrés sur certains territoires. L’ensemble des régions ont besoin d’un système d’éducation et de recherche qui leur permette d’apporter une réponse dans les secteurs qui présentent une importance stratégique pour l’économie régionale. La qualité de vie fait aussi partie des atouts de nombreux territoires français : Sophia Antipolis et Montpellier bénéficient sur ce plan d’une réputation qui permet à leurs entreprises de faire venir plus facilement des salariés, des chercheurs et des cadres de haut niveau. La promotion des savoir-faire locaux est également un moteur puissant pour la construction de l’image du territoire en matière économique et pour attirer les entreprises. La région peut considérée comme l’échelon à renforcer et à étendre à la fois géographiquement et en terme de compétences. L’intercommunalité qui est plébiscitée et l’Europe représente pour l’entreprise une opportunité dans la concurrence économique internationale.
3. Une politique industrielle européenne ? Par Roxane FAURE et Lucille PONCIN
Le développement de l’industrie est de plus en plus pris en compte parmi les autres politiques de l’UE, en particulier la politique de cohésion qui repose sur les trois fonds structurels que sont le Fonds européen de développement régional (FEDER), le Fonds social européen (FSE) et le Fonds de cohésion. L’UE est en effet en mesure d’apporter une valeur ajoutée forte dans plusieurs domaines stratégiques : l’économie de l’innovation, la recherche, la formation scolaire, universitaire et professionnelle, la politique
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(Année universitaire 2011-2012) spatiale, etc. mais aussi l’industrie de manière générale. Ainsi, le développement des réseaux transeuropéens (RTE) représente une opportunité pour relever le défi de la compétitivité. Un ensemble de propositions destinées à favoriser l’innovation et à améliorer la compétitivité de l’industrie européenne en définissant une nouvelle stratégie industrielle a été formulé dans différents documents présentés par la Commission européenne au cours de l’année 2010 : rapport sur la compétitivité de l’Europe et des États membres, révision du programme-cadre pour la recherche et le développement (PCRD), lancement d’une consultation publique sur le programme qui devra succéder au programme-cadre 2007-2013 pour l’innovation et la compétitivité (PIC), et, surtout, communication du 28 octobre 2010 intitulée «Une politique industrielle intégrée à l’ère de la mondialisation. Mettre la compétitivité et le développement durable sur le devant de la scène ». M. Antonio Tajani, vice-président de la Commission européenne et commissaire à l’industrie et à l’entrepreneuriat, a déclaré : « l’industrie est au coeur de l’Europe et elle est indispensable pour relever les défis actuels et futurs qui se présentent à notre société. L’Europe a besoin de l’industrie et l’industrie a besoin de l’Europe ».
Afin d'assurer le relais de l'ambition industrielle française au niveau européen et international, les Etats généraux de l'industrie soutiennent la mise en place de grands projets européens (notamment une coopération franco-allemande), et la mise en place de normes communes (techniques, réglementaires et environnementales), afin d'œuvrer à une politique fiscale cohérente. Ils préconisent une démarche collective de réflexion sur la politique industrielle, sous une forme similaire aux Etats généraux de l'industrie en France.
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(Année universitaire 2011-2012) A partir du couple franco-allemand, il faudrait aller vers le partage d'une ambition industrielle européenne. Le relais européen et international efficace de l'ambition française supposerait, au plan national, une concertation et une coordination étroite entre les pouvoirs publics, l'administration et les professions sur les thèmes majeurs à porter au plan supranational. Les règles communautaires ont jusqu'ici surtout concerné l'organisation de la concurrence intérieure et l'ouverture du marché intérieur, et trop peu le développement de l'activité et de l'emploi industriels en Europe. Un rééquilibrage serait donc nécessaire, dans le sens d'une nouvelle stratégie européenne de compétitivité pour l'industrie. Le droit communautaire pourrait se pencher sur les lacunes existantes, notamment en terme de dispositifs de garantie du respect des règles de la concurrence et des règles du commerce mondial par les pays tiers, et de dispositifs de sanctions en cas de non-respect de ses règles, comme des campagnes de contrôle de qualité des produits importés. Il s'agirait aussi de permettre d'avantager les PME dans les marchés publics, et de favoriser la mise en place d'une taxe carbone aux frontières européennes. La mise en place de normes communes, élaborées dans un cadre multi partenarial avec une participation active de l'industrie, devrait être une forme de gouvernance promue par l'UE. Il n’y a pas de politique industrielle européenne sans politique énergétique européenne. L’industrie européenne est en effet confrontée à une augmentation programmée des coûts de l’énergie, à une raréfaction des énergies traditionnelles, à la nécessité de stratégies communes en faveur des énergies renouvelables, au défi passionnant de la maîtrise d’énergie mais aussi à celui de la recherche de nouveaux minerais nécessaires à l’industrie de demain. Il faut veiller à la mise en œuvre d’une politique cohérente associant industrie et énergie.
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(Année universitaire 2011-2012)
CONCLUSION Si on ne peut que constater le déclin de l'entreprise industrielle, il semble excessif de la voir comme condamnée. Les ruptures socio-économiques de notre siècle ont transfiguré le monde industriel qui se voit désormais dans l'obligation de s'adapter aux nouvelles exigences posées par la mondialisation des échanges. L'industrie française a de multiple facettes, et si certains secteurs peuvent laisser croire qu'elle n'a plus d'avenir, d'autres permettent de penser des perspectives plus optimistes. L'entreprise industrielle est actuellement dans une phase transitoire, qui trouble notre perception, encore attachée à l'image traditionnelle de l'industrie manufacturière. Sa définition évolue et englobe désormais le domaine immatériel (services et biens). Il s'agit aujourd'hui de donner une impulsion nouvelle à l'entreprise industrielle, afin de défendre la compétitivité française à l'échelle globale, notamment à travers une coopération efficace entre les entreprises et les pouvoirs publics, à échelle locale comme à échelle européenne. Par Anne Sophie BRIAN et Roxane FAURE
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TABLE DES MATIÈRES SOMMAIRE………………………………………………………………………………………………….1 INTRODUCTION……………………………………………………………………………………………2 I.
L’entreprise industrielle en difficulté………………………………………….3 A. Constat d’un recul apparent………………………………………………………3 1. Définition et historique de l’industrie………………………………..……………….3 2. Le poids de l’industrie dans l’économie…..............................................5 3. Comparaison du poids industriel à l’international……………………….………….7
B. Rupture de l’environnement social économique et financier……...9 1. Les ruptures du monde industriel…………………………………………………....9 2. L’éclatement du modèle de consommation de masse…………………………..11 3. Les impacts de la crise………………….……………………………………………...12
C. Une industrie contrastée………………………………………………….……...13 1. L’évolution de la géographie industrielle de la France……………………………...13 2. Un modèle organisationnel du travail dans les secteurs traditionnels mieux adapté au monde économique actuel…………………………………………………16 3. Une répartition sectorielle…….…………………………………………………………19
II.
L’entreprise industrielle en transition……………………………………….….22 A. Hyperindustrie ou post-industrie ?..............................................22 1. L’avènement des services…………………………….…………………….……...……22
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(Année universitaire 2011-2012) 2. L’essor de l’industrie de l’immatériel…………………………………………………….23 3. Les biens immatériels…………………………………………………………..…….......26
B. Reconstruire un socle industriel………………………………………….……...28 1. Une image dégradée et peu attractive…………………………………..........28 2. Adapter les formations et intensifier les relations entre monde de l’entreprise et monde de la recherche………………….……………………….29 3. Consolider l’attractivité ainsi que les PME et ETI…………..………………..…31
C. Enjeux industriels : la place du territoire………………………………………33 1. Les collectivités locales au cœur du développement de l’industrie……..….34 2. La région échelon décisif pour créer un territoire industriel………………….35 3. Une politique industrielle européenne……………………………………….….36
CONCLUSION……………………………………………………………………………………………………...39 TABLE DES MATIERES………………………………………………………………….......................40
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(Année universitaire 2011-2012)
LIVRET D’ANNEXES Grade : Licence 3 Pôle d’enseignement : Économie, entreprise et secteur public Matière : Les réalités de l’entreprise Date de la soutenance : Mercredi 15 février 2012 (13h30-17h30) SUJET LA FIN DE L’ENTREPRISE INDUSTRIELLE?
SOMMAIRE ANNEXE 1
Entretien avec David Vignet, ingénieur Renault au technocentre de
Guyancourt ANNEXE 2
Entretien avec Harris Bodard délégué général du Groupement
Interprofessionnel de la région Vallée de Seine ANNEXE 3
Entretien avec Mr Vincent Charlet membre du think tank la Fabrique de
l’industrie ANNEXE 4
Audition N°VIII de M. Gilles Le Blanc, professeur d’économie à l’Ecole des
Mines de Paris devant le Sénat ANNEXE 5 Production industrielle française au troisième trimestre 2011 ANNEXE 6 Bibliographie et sites web ANNEXE 7 Remerciements
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(Année universitaire 2011-2012)
ANNEXE 1 Entretien avec David Vignet, ingénieur Renault au technocentre de Guyancourt1
La fin de l’entreprise industrielle se ressent-elle chez Renault ? Quelques chiffres pour replacer la position du groupe. La France est la principale localisation du groupe avec 45 % des effectifs pour 60 % de la masse salariale, deux tiers des effectifs d’ingénierie pour 86 % des dépenses dans ce domaine. La moitié de la production en valeur et le quart en volume sont réalisés en France. Enfin, 60 % des pièces sont achetées à des fournisseurs français. Renault est la première marque en France sur son secteur et la deuxième en Europe (première pour les véhicules utilitaires).Le groupe possède 38 usines dans le monde, dont 14 en France. Si le groupe a des activités dans d’autres pays depuis les années 1960, c’est en 1999 qu’a été lancé un mouvement volontariste d’internationalisation, tout en privilégiant le maintien des activités de production de véhicules haut de gamme et de véhicules utilitaires en France. Notre activité se caractérise par de gros volumes et des marges faibles, dans une économie de marché concurrentielle. La part du haut de gamme se contracte depuis dix ans, notamment en raison de la contrainte environnementale et des aides qui ne favorisent pas ce secteur. S’agissant des salaires et des charges, l’écart, tout compris, est de 1 à 6 entre la Roumanie et la France. Les charges sont de 15 % en Slovénie contre 47 % en France. La part d’intégration locale représente 50 % et il y a certaines pièces réimportées. Toutefois, le développement au Brésil exige de produire les pièces sur place. Les gains de compétitivité des implantations étrangères profitent de toute façon à l’ensemble du groupe. Il en va de même pour nos fournisseurs qui choisissent de délocaliser une partie de leur production. Les écarts de
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Propos recueillis le 20 décembre 2011 au technocentre de Guyancourt par Lucille Poncin
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(Année universitaire 2011-2012) compétitivité selon les pays peuvent aller de un à cinq : la réduction de ces écarts risque de prendre du temps.L’essentiel est de ne pas se faire distancer par la concurrence et de ne pas perdre des parts de marché. Si la crise de liquidités est passé, la crise de l’automobile, elle, perdure et le secteur ne bénéficie plus des mesures conjoncturelles telles que la prime à la casse.
Des aides ont-elles été apportées au secteur de l’automobile ? quels moyens de renouveau ? Le groupe Renault a bénéficié des aides publiques et a réduit ses dépenses, notamment les investissements. Mais les entreprises n’ont pas, fait l’objet des mêmes restructurations brutales qu’aux États-Unis. Le groupe a besoin d’un réseau de fournisseur sain et compétitif c’est pourquoi en 2009, Renault a contribué pour 1,5 milliard d’euros à la survie de ce réseau, au titre à la fois des mesures résultant de la loi de modernisation de l’économie, d’un soutien financier à court terme et du fonds de modernisation des équipementiers, mais aussi par la renonciation aux méthodes de négociation habituelles. Les enjeux majeurs sont : – la consolidation des marchés automobiles hors Europe ; – le renforcement de la compétitivité en Europe, par exemple par l’adaptation des capacités et la création de nouvelles activités comme le recyclage des véhicules, ainsi que par l’innovation (véhicules utilitaires à Sandouville, véhicule électrique à Flins). Un des objectifs est de devenir les leaders des véhicules sans émission de gaz à effet de serre, secteur auquel est consacré deux milliards d’euros d’investissements. Les véhicules électriques devraient représenter 10 % du marché en 2015 et il y a une inquiétude sur la capacité des producteurs européens de batterie à répondre à la demande. Le groupe Renault s’est fortement engagé en y consacrant plusieurs milliards d’investissement. Le sujet a été très présent au Mondial de l’automobile et le défi à relever concerne l’autonomie des batteries. Le groupe Bolloré s’est engagé sur cette voie ainsi que différents partenaires, mais il ne faut pas se tromper de direction. Il faudra coopérer dans ce domaine avec Peugeot PSA, au moins pour se mettre d’accord sur le choix des infrastructures. Pour pouvoir vendre ces véhicules partout
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(Année universitaire 2011-2012) en Europe et dans le monde, il faudra que les systèmes de recharge soient compatibles. C’est la masse qui permettra d’infiltrer les marchés.
Votre industrie automobile pourrait donc se renouveler dans la voiture électrique, mais cela profitera-t-il à l’industrie française ? Sur les quatre modèles de véhicules électriques à fabriquer, deux seront fabriqués en France : la Kangoo électrique à Maubeuge et l’équivalent d’une Clio à Flins, qui sera produite sur le site en Turquie. A la différence de des concurrents qui ont choisi de fabriquer des véhicules hybrides, Renault a fait le choix du tout électrique en développant une filière de production et d’expertise française, qui sera un atout pour l’avenir. Le pari fait est celui de produire des voitures électriques au même prix que les voitures traditionnelles. Il y a une dose de risque que à assumer, comme dans tout pari. Cependant ce n’est plus la même logique qu’il y a dix ans. Aujourd’hui, la cible visée sont les personnes qui feront cent kilomètres dans la journée. Cet objectif est tout à fait en ligne avec les types de déplacements qui, dans 60 % des cas, sont inférieurs à trente kilomètres. Cette stratégie se construit à partir d’études de marché très précises. Elles montrent que 55 % des voitures vendues en région parisienne concernent une deuxième voiture. Par ailleurs, il y à une recherche de fidélisation des clients qui disposent de flottes captives tels que La Poste qui pourrait se montrer intéressée par la Kangoo électrique. Il y a un potentiel sur ce segment. Comme dernier point il faut souligner et regretter le désamour qu’il y a entre la France et son industrie, ce qui n’est pas le cas en Allemagne. Comment rendre notre industrie plus attractive, en particulier pour les jeunes ? Il faut leur faire savoir qu’il y a et aura encore besoin de jeunes ingénieurs et techniciens compétents pour développer notre industrie et rester en France.
Que pensez-vous de la place de l’immatériel dans l’industrie automobile ? Les entreprises automobiles ont toutes conservé une base matérielle substantielle articulée autour d’usines et d’unités de production qui continuent à former la colonne vertébrale de ces entreprises.
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(Année universitaire 2011-2012) Cependant, plusieurs évolutions sensibles ont contribué à l’augmentation de la part des activités immatérielles dans ce secteur. D’abord, dans l’automobile comme dans le reste de l’économie, l’innovation est devenue un élément clé de la compétitivité des entreprises. Ainsi, le secteur est à l’origine du plus important effort de recherche dans notre pays, représentant à lui seul près de 15 % des dépenses de recherche des entreprises privées. Les automobiles embarquent ainsi de plus en plus des logiciels et des systèmes complexes, et la valeur de ces systèmes est de plus en plus importante par rapport aux matières premières proprement dites. L’innovation est non seulement technologique mais concerne aussi la créativité et l’imaginaire et se caractérise par une gamme de choix offerte aux consommateurs de plus en plus large, en termes de modèles ou de couleurs Autre aspect du passage de l’industrie automobile dans l’ère de l’immatériel : l’imbrication croissante des relations entre les constructeurs et leurs équipementiers et le fait que les constructeurs sous-traitent une part croissante de la production. Désormais, 70 à 80 % du coût global de la fabrication d’un véhicule est assuré par les prestations des fournisseurs externes. Il ne s’agit pas ici de sous-traitance traditionnelle mais bien de partenariats stratégiques. Les équipementiers sont de plus en plus présents dans les centres de conception des constructeurs, mais aussi sur les parcs fournisseurs des usines de montage. L’ensemble des intervenants sur la chaîne de production s’inscrit donc dans une démarche partagée et continue de productivité et d’innovation. Les constructeurs automobiles deviennent donc de plus en plus des assembleurs, davantage que des producteurs, et développent ainsi un « capital organisationnel » qui constitue un de leurs actifs immatériels les plus précieux. Le poids des activités de services en complément de la production automobile est important. En effet, les constructeurs ont développé une offre de services de plus en plus riche : financement des acquisitions, marché de l’occasion, assistance, réparation… Un des points d’aboutissement de cette évolution est le développement des formules de location longue durée, dans lequel les constructeurs ne vendent plus d’automobiles mais fournissent un package de services rémunérés par un forfait mensuel. Ainsi, des entreprises symboles de l’ère industrielle se muent progressivement en des acteurs majeurs de l’économie de l’immatériel.
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(Année universitaire 2011-2012)
ANNEXE 2 Entretien avec Harris Bodard délégué général du Groupement Interprofessionnel de la région Vallée de Seine1
Que pensez-vous du constat d’un recul apparent de l’industrie ? Dans la Vallée de Seine (Yvelines→ Conflans, Poissy, Les Mureaux) il y a une forte tradition de production industrielle lourde avec notamment trois filières : l’automobile, l’aérospatial et le bâtiment. - Le bâtiment avait pour ressource les carrières qui donnaient du ciment et permettait la construction d’autoroute . - L’automobile se concentrait sur le site PSA Peugeot Poissy qui a possédé jusqu’à 12 mille ouvriers et n’en possède aujourd’hui que 4 mille. Et sur le site Renault Flins, site historique de Renault, on comptait 22 mille ouvriers et ils ne sont à présent que 4 mille. - L’aérospatial se concentre sur les Mureaux avec EADS Astrium. Mr Bodard souligne que ces pertes d’emplois ont beaucoup touché les PMI dépendantes des grandes entreprises. Avec la politique globale de limitation de recherche des coûts, la robotisation et la limitation des sous-traitants celle-ci ont perdu leur utilité. Avant l’ensemble des composants était produit sur site et maintenant le rôle de l’usine se limite à l’assemblage ( ex : l’usine de Poissy ne produit plus que de la taulerie et réalise l’assemblage de pièces venant de l’étranger).Les seules PMI survivantes ont du avoir recours à une hyperspécialisation pour les grands groupes ou à une réorientation. Le recul de l’industrie est aussi du aux coûts de production en France, coûts humains et foncier, qui rendent moins compétitif. Le marché est aussi un facteur de recul de l’industrie. En effet en Occident le taux de croissance est faible, le marché est presque saturé et c’est donc un marché de renouvellement du parc automobile
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Propos recueillis le 28 décembre 2011 au siège du GIR par Lucille Poncin
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(Année universitaire 2011-2012) et de l’électroménager. Les entreprises industrielles françaises préfèrent parfois produire et vendre à l’étranger (Chine, Brésil, Inde : les nouveaux marchés)
Que pensez-vous de la part actuelle de l’industrie et de la « culture industrielle » ? La vallée de Seine compte 5000 entreprises industrielles et PME. Cependant on constate que la part de l’industrie diminue au profit des services. Et les emplois purement industriels ne relevant pas des services se font rares. L’industrie produit de la richesse et de la valeur ajoutée, elle crée une plus value. Malgré tout la représentation de la culture industrielle est négative avec des a priori de danger, de risque, de pollution, d’insalubrité, et de peu de qualification. Il y un phénomène de désaffection du corps enseignant vis-à-vis de l’industrie. Dans un système méritocratique avec la culture du diplôme et de l’artisanat il n’y a pas de place pour l’industrie lourde. Il faut réenchanter l’industrie et souligner les progrès fait en matière d’hygiène, de sécurité et d’environnement ainsi que la mise en place de grande manifestation comme la semaine de l’industrie. Il faut aussi souligner le paradoxe d’une volonté politique qui veut « réindustrialiser la France » et la volonté des citoyens d’avoir les industries mais pas les nuisances qui en découlent (bruit, pollution, site SEVESO)
La fin de l’entreprise industrielle est-elle inéluctable ? Même si la part de l’industrie a diminuée celle-ci est encore forte et produit de la richesse. La recherche et le développement, le fait de favoriser les savoirs et l’innovation fait progresser l’industrie de façon continue, notamment à travers les hautes technologies. L’investissement dans l’industrie se situe dans un temps long dissocié du temps court de la politique, c’est pourquoi il faut voir à long terme. Le principe du « consommer français » est intéressant à échelle locale. On peut utiliser les ressources présentes sur le territoire et ainsi valoriser celui-ci (ex : GIR « made in vallée de Seine) mais sans autarcie. Il faut ré-impulser la production industrielle sur un modèle compétitif.
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(Année universitaire 2011-2012) La France doit jouer sur ses points forts et renforcer le rôle des PME par l’implication des grands groupes. Il faut regrouper les PME pour qu’il y ait convergence et synergie autour d’un même secteur.
Il faut mutualiser et mettre en commun. Relever l’industrie par le bas grâce aux PME. La fin de l’entreprise industrielle n’est pas inéluctable et il faut « renforcer ses forces et combler ses faiblesses » dans une vision globale du territoire et de son organisation spatiale.
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ANNEXE 3 Entretien avec Mr Vincent Charlet membre du think tank la Fabrique de l’industrie 1 La Fabrique de l’industrie a été lancée en octobre 2011 à l’initiative de l’Union des Industries et des Métiers de la Métallurgie (UIMM), du Cercle de l’Industrie et
du Groupe des Fédérations
Industrielles (GFI). Ce think tank se veut un « lieu indépendant de réflexions et de débats, dédié aux problématiques de l’industrie, et aux liens de celle-ci avec l’économie et la société. »
Que penser du recul apparent de l’industrie ? Lorsque l’on parle de recul il faut savoir si c’est en terme de produits industriels, ceux-ci ont augmenté, ou en terme d’emplois ou de place de l’industrie dans le PIB qui ont connu une diminution. Les statistiques ne recouvrent pas forcément les mêmes notions selon les pays et ces notions sont évolutives. On peut noter également un problème de compétitivité de l’industrie française qui a des difficultés à exporter
et doit faire face à la concurrence. La comparaison avec l’Allemagne peut être
particulièrement parlante. Le coût de l’emploi était moindre en France qu’en Allemagne mais celleci valorisait ses produits de qualité et le « hors prix ». Lors de la réunification, l’Allemagne a mis en place des délocalisations internes qui ont fait baisser le coût du travail quand celui augmentait en France après les 35h. L’Allemagne avec ses baisses de coût et ses produits de qualité a rattrapé et dépassé la France. En ce qui concerne le phénomène de délocalisation on peut voir que celui-ci ne constitue que 10 % des destructions d’emplois malgré sa très grande visibilité et sa forte médiatisation. L’intérêt des médias se cristallise autour de la notion de « site industriel ». Une entreprise qui passe de 500 emplois à 50 en quelques années ne crée aucune réaction et personne n’en parle mais une entreprise qui délocalise même si elle le fait en respectant toutes les règles (négociation, replacement des employés) sera critiquée.
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Propos recueillis le 20 janvier à l’Ecole des Mines de Paris par Lucille Poncin
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(Année universitaire 2011-2012) Tous les secteurs industriels et tous les territoires sont-ils dans la même situation ? Tous les secteurs ne sont pas au même niveau. Si on prend l’exemple des industries de l’agroalimentaire (IAA) ce secteur a souvent été montré comme réussissant très bien mais la France est de plus en plus mise en difficulté (cf. rapport Rouault). Malgré l’aide de la PAC et les nombreux effets de marques (label terroir, AOC, saveur de l’année) l’agroalimentaire français a des difficultés à s’exporter. Les produits se veulent familiaux et de production artisanale. A l’inverse en Allemagne la filière de l’agroalimentaire s’est « industrialisée » et standardisée. On peut souligner la mise en tension entre la compétitivité et la qualité. En ce qui concerne la filière des hautes technologies la compétitivité varie d’assez faible dans le secteur des logiciels à importante dans la microélectronique mais avec un marché volatil. Le secteur de l’automobile est en difficulté mais entre dans un nouveau cycle, celui de la voiture électrique. Le cabinet de conseil McKinsey & Company distingue l’industrie exposée qui souffre de la
concurrence des pays émergents, l’industrie sédentaire ou domestique qui se perpétue, l’industrie intensive en technologie et connaissance et l’industrie à fort contenu de marque te valeur ajoutée. Les industries de hautes technologies et du luxe représentent 20% quand l’industrie sédentaire et domestique représente 40% et l’industrie exposée 40% aussi. Sauf révolution les 20% d’industries dynamiques ne peuvent soutenir les autres 80%. En ce qui concerne les différents territoires, P. Veltz dans Mondialisation, villes et territoires : L'économie d'archipel parle d’une concentration des activités productives avec un assèchement du territoire vers la métropole. A la fin des années 80-90 la peur du « made in china » pousse à intérioriser la théorie d’un monde occidental concentré sur les hautes technologies, la valeur ajoutée et les services (Alcatel entreprise sans usines). Cette vision s’est révélée fausse et ce parti prit un échec. Industrie est un des poumons de l’économie dont les vertus ont été oubliées. Les services ont créés un creux entre les emplois peu qualifiés et très qualifiés, il y a une dilution de la classe moyenne. De plus les services sont mobiles et oscillent entre métropolisation et exportation à l’étranger. L’industrie à un rapport plus étendu et durable au territoire, un ancrage territorial
plus structurant. On peut prendre l’exemple de
l’écosystème grenoblois qui a une très forte dynamique liée à l’histoire, à la culture et au volontarisme (la Zirst (zone pour l'innovation et les réalisations scientifiques et technologiques) de 51
(Année universitaire 2011-2012) Meylan, près de Grenoble, est l'une des plus prestigieuses technopoles françaises où les plus grands noms de la haute technologie ont élu domicile: Cap Gemini, Schneider Electric, Thomson. Chaque année, de nouveaux candidats se pressent aux portes de la zone, où ont été créés 6 200 emplois depuis 1971.) Le rapport au territoire s’est transformé avec la mondialisation et ce qui se gérait à échelle nationale se gère maintenant à échelle mondiale. Le marché occidental est mature ou saturé il y a donc un appel d’air des autres marchés. Mais s’il y a une usine Michelin au Brésil cela n’est pas forcément mauvais pour l’usine de Clermont Ferrand. Il est logique de produire là où se trouve le marché.
Quelle peut-être la perception des services dans l’industrie ? et la place de l’industrie de l’immatériel ? Les emplois de l’industrie se sont vus en partie transférés et externalisés ce qui peut expliquer l’importance des services. On peut dire que l’on parle différemment d’une même chose. On peut aussi prendre l’exemple de Rolls Royce fabriquant de moteur d’avion qui a concentré sa valeur ajoutée sur les services associés aux produits ou Michelin qui ne vend plus des pneus mais des kilomètres. Cette nouvelle industrie de la fonctionnalité crée-t-elle vraiment de nouvelles activités ? En ce qui concerne l’industrie de l’immatériel Gilles Le Blanc précise que les industries dépensent autant en R&D qu’en développement matériel. Mais l’influence commerciale est inchiffrable et on ne peut pas réellement calculer l’impact d’une nouvelle campagne sur l’achat d’un nouveau produit par rapport à un ancien. C’est, si l’on peut dire en exagérant, un pari fait en aveugle. Cette « économie pollen » propose parfois une innovation ouverte en associant des partenaires extérieurs (Fiat 500 conçue sur la proposition d’un sondage en ligne ou plateforme Apple store ouverte pour les applications) Il n’y a pas de révolution de l’immatériel car ces procédés ne fonctionnent pas dans toutes les structures et ne créent pas forcément beaucoup d’emplois.
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(Année universitaire 2011-2012) Que penser de l’image dégradée de l’entreprise industrielle ? Une anecdote pour illustrer cette vision négative. Le Président de la République doit aller dans une usine de construction d’ailes d’avion. L’équipe de communication s’y rend avant et devant le fait qu’il n’y ait que douze employés pour faire fonctionner l’usine décide de rajouter des figurants pour que le Président puisse s’adresser à une foule d’ouvriers. Toute cette théâtralisation pour que lors de la retransmission médiatique l’image rendue corresponde à l’image que se font les citoyens de l’industrie. On peut aussi constater cette représentation en cherchant sur Google des images de l’industrie ou des images du monde du business (finance, banque) . Les images de l’industrie montrent des usines tandis que les images de la finance ou de la banque montrent de jeunes cadres dynamiques. De même on peut voir l’anecdote d’une maîtresse d’école qui emmène se classe visiter une usine et qui au moment du départ leur dit « vous voyez ce qui va vous arriver si vous ne travaillez pas bien ». Il faut rendre l’industrie de nouveau attractive, notamment par l’alternance.
Quelles sont les difficultés des PME et ETI ? Les PME sont moins nombreuses en France qu’en Allemagne. Il faut les aider à se renforcer et surtout les aider à croître et à se stabiliser. Les dirigeants de PME soulignent le problème d’impôts trop élevés et aussi le rapport entre donneurs d’ordre et sous-traitants. De plus les banques ont tendances à être des investisseurs trop prudents qui, en ne prenant pas de risques, ne se créent pas d’opportunité. Les dirigeants des PME ont parfois aussi des tords dans la gestion trop patrimoniale et familiale de leur entreprise. Ils ne prennent pas de risques extérieurs et peuvent manquer d’ambition.
La fin de l’entreprise industrielle ? Il y a 100 ans, 85% de la population active travaillait dans l’agriculture, aujourd’hui cette proportion est deux fois moindre. Il y a eu un phénomène de gain de productivité qui permet de mettre en place moins d’emplois quand il y a plus de besoins. Certains scénarii soulignent que le coût croissant de l’énergie pourrait entrainer une hausse des prix du transport et ainsi rendre les bas coûts des pays émergents inintéressants. On pourrait alors imaginer un phénomène de relocalisation de
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(Année universitaire 2011-2012) l’industrie en France. Cependant il semble moins spéculatif de s’intéresser à l’avenir de l’industrie à travers les phénomènes de société, le vieillissement de la population va entrainer un développement des industries de santé et de services à la personne. L’industrie est toujours présente en France et elle aura toujours un avenir même si nul ne sait de quoi il sera fait.
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ANNEXE 4 AUDITION N° VIII DE M. GILLES LE BLANC, PROFESSEUR D’ÉCONOMIE À L’ÉCOLE DES MINES DE PARIS La commission du sénat N° 403 sur la désindustrialisation des territoires procède à l’audition de M. Gilles Le Blanc, professeur d’économie à l’École des mines de Paris.
M. Gilles Le Blanc. – Mon champ d’étude concerne depuis quinze ans l’industrie et les politiques industrielles dans leur ensemble, sans se limiter à des secteurs ou à des territoires particuliers. Les contributions aux états généraux de l’industrie ont montré que les régions ne partageaient pas toutes la même vision de l’industrie. Si la problématique industrielle semblait même absente dans certaines d’entre elles, d’autres, en revanche, ont formulé des propositions concrètes mais qui ne sont pas nécessairement transposables à l’ensemble du territoire. En effet, si la politique industrielle comporte une dimension nationale et même européenne, je tire de mon expérience la conviction qu’il faut admettre une certaine différenciation des outils et des modes de financement. Traditionnellement, les outils mis en œuvre concernent certains secteurs ou ont une portée générique : recherche et développement, investissement. Or ces deux fondements sont aujourd’hui moins adaptés. D’une part, la définition des secteurs suppose l’identification d’acteurs caractérisés par un certain nombre de points communs, ce qui permet de garantir l’efficacité des moyens ciblés vers ces acteurs. Or cette homogénéité n’existe plus, en particulier dans les secteurs porteurs tels que la santé et les nouvelles technologies. Il est donc plus difficile d’orienter les moyens vers ces acteurs. D’autre part, l’application des outils génériques, outre les quelques effets d’aubaine qui peuvent en réduire l’efficacité, se heurte surtout à des effets de seuil et de proportionnalité. Ainsi, la moitié des
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(Année universitaire 2011-2012) PME sont tout simplement trop petites pour pouvoir réellement innover, ce qui réduit l’impact des mesures centrées sur la recherche et le développement. Nous manquons en fait d’informations suffisamment précises pour orienter correctement les outils et les décisions publiques. Il est très important, même si cela représente un coût, de construire une grille commune d’analyse en mobilisant les agences, administrations et établissements publics qui détiennent aujourd’hui ces informations de manière dispersée. J’évoquerai ensuite la dimension géographique de l’industrie. Les délocalisations concernent les activités productives, mais également et de plus en plus les centres de recherche, les laboratoires et les activités de conception, dans les secteurs les plus variés. Il s’agit moins de rechercher le coût du travail le plus bas que d’améliorer l’efficacité de ces activités. Ce type de délocalisation prend plutôt pour cible des pays comme les États-Unis ou Singapour, voire la Russie. Il s’agit d’une véritable menace, car un enjeu essentiel est celui de la fixation des normes et des standards, qui détermine les caractéristiques des produits qui seront fabriqués dans le monde entier. Or l’Europe est en train de perdre la bataille des standards, y compris dans le domaine environnemental. Il faut souligner par ailleurs que la recherche ne peut être séparée de l’industrialisation, l’une et l’autre nécessitant des interactions constantes. Toutefois, l’innovation a une particularité par rapport à la production ou la commercialisation : les gains d’efficacité potentiels sont considérables, car seule une fraction des dépenses qui lui sont consacrées ont une application réelle. Une amélioration du rendement de cet effort d’innovation peut donc avoir un effet très important sur les résultats globaux. Or, on constate que, dans certains espaces, l’efficacité des dépenses d’innovation est supérieure.
M. Jean-Pierre Sueur. – De quels espaces s’agit-il ?
M. Gilles Le Blanc.
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(Année universitaire 2011-2012) – Ces territoires innovants ne sont pas forcément liés à un secteur donné, contrairement à la plupart des pôles de compétitivité. Ils sont caractérisés par la présence d’entités productives, mais aussi de laboratoires, de financeurs et de personnels administratifs. Pour prendre l’exemple des nanotechnologies, on a concentré les moyens sur la recherche et le développement, mais sans avoir déterminé précisément quelles seraient les utilisations futures. Il aurait fallu mieux associer un dialogue intersectoriel avec les représentants des différentes industries concernées afin de mieux valoriser les procédés technologiques. Quant au financement, le soutien public doit à un certain moment trouver un relais auprès des investisseurs privés. Enfin, les entreprises doivent également trouver des gestionnaires pour assurer leur développement : or le recrutement d’un directeur des ressources humaines ou d’un directeur financier se fait sur des bases plus locales que celui d’un technicien de haut niveau que l’on peut faire venir de loin. La dimension régionale est donc essentielle aussi bien au niveau de l’innovation que de la main d’œuvre. Elle l’est aussi pour l’expérimentation des solutions, qui permet l’adoption et la diffusion des solutions technologiques. Ainsi, dans le domaine de l’environnement, les conditions spécifiques à chaque pays et à chaque territoire supposent la mise en œuvre de solutions différenciées, au contraire des technologies de l’information pour lesquelles un même produit peut être diffusé dans le monde entier. Ces solutions devront donc être expérimentées et validées au niveau local, en fonction des caractéristiques des territoires.
M. Martial Bourquin, président. – Je vous remercie pour cet éclairage nouveau.
M. Alain Chatillon, rapporteur. – C’est un exposé extrêmement clair qui souligne le rôle de l’innovation. Je rappelle que le rapport de M. Alain Costes sur les nanotechnologies expliquait il y a deux ans que nous sommes en train de rater une occasion parce que nous ne savons pas mettre en oeuvre les innovations proposées.
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(Année universitaire 2011-2012) M. Jean-Jacques Mirassou. – Vous avez dit d’une part que l’on manquait de la capacité humaine à mettre en oeuvre les innovations et d’autre part que l’innovation profitait de la proximité avec la production. Le risque me paraît donc être que nous perdions, à terme, aussi bien la production que l’innovation !
Mme Christiane Demontès. – Pourriez-vous indiquer ce que vous pensez de l’action des pôles de compétitivité en matière d’innovation ?
Mme Esther Sittler. – Je rejoins vos propos sur la nécessité des liens entre la recherche et la production : je peux ainsi citer le cas d’une entreprise qui a externalisé une partie de sa production en Inde mais en conservant l’autre partie sur notre territoire, au contact de ses activités de recherche.
M. Martial Bourquin, président. – Selon vous, quel est le territoire le plus pertinent pour mener une action en faveur de l’industrie ? Que pensez-vous par ailleurs des politiques tendant à mettre des cadres à disposition des PME ?
M. Gilles Le Blanc. – Je ne crois pas que la production et la recherche industrielles soient condamnées à disparaître : l’industrie a toute sa place dans nos territoires, surtout si nous savons exploiter la dimension locale. S’agissant des pôles de compétitivité, les PME qui y participent sont en général celles qui sont déjà proches des grands groupes. Les PME isolées sont handicapées par une taille insuffisante pour participer aux pôles. Le partage de ressources humaines ne peut être une réponse que temporaire pour franchir un cap difficile : l’entreprise doit disposer de ses cadres et de ses techniciens à temps plein sur le long terme. Seul le passage à une taille supérieure permet de trouver les ressources nécessaires pour embaucher les personnes qui permettront de faire de l’innovation. La difficulté à cet égard est de convaincre des entreprises similaires qu’elles doivent se rapprocher.
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(Année universitaire 2011-2012) Concernant l’échelle appropriée pour l’action publique, une logique centralisée est parfois utile, mais il faut sans doute avoir dans ce cas une approche européenne. Ainsi, la voiture électrique aurait dû être développée en commun avec d’autres pays. Au niveau local, l’échelon régional me paraît le plus adéquat. Il faut en effet éviter une spécialisation excessive, qui ne permet pas de réaliser les transferts nécessaires entre les secteurs. Il ne faut pas non plus choisir un champ d’action trop large afin de faciliter la circulation des informations entre les acteurs. La région, qui regroupe souvent plus d’un million d’habitants, permet par sa diversité et sa taille de mettre en œuvre des expérimentations significatives avec des ressources suffisantes. Je considère en conséquence qu’une grande partie des aides apportées aux entreprises, qui s’élèvent à 60 milliards d’euros environ, devraient être orientées vers des structures plus locales. L’évaluation elle-même n’est pas possible au niveau national car elle demande une compréhension des enjeux et une collecte des informations que l’on peut obtenir de manière plus efficace au niveau régional. S’agissant enfin de la gouvernance territoriale, les différents débats en cours sur la réorganisation au niveau régional des différentes structures d’action économique doivent permettre de déterminer comment construire celle qui pourra obtenir les informations et avoir la légitimité pour prendre des décisions et mener des évaluations rigoureuses.
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ANNEXE 6
Bibliographie et sites web Rapport au Commissariat Général du Plan « Du gouvernement d’entreprise au gouvernement de réseau » Avril 2001 Rapport de la Commission permanente de concertation pour l’industrie « L’industrie en 20062007 » 2007 Rapport de la Commission sur l’économie de l’immateriel présidée par M. Jean-Pierre Jouyet et Maurice Lévy Novembre 2006 L’industrie en France une perspective historique Denis Woronoff Professeur émérite de l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, Les Jeudis du CHEAr - Ministère de la Défense - DGA Rapport « La mondialisation immatérielle » de Daniel Cohen et Thierry Verdier 2008 Livre blanc des ingénieurs et scientifiques de France Novembre 2011 Rapport N°403 de la commission du Sénat sur la désindustrialisation des territoires présidée par M. Martial Bourquin, Avril 2011 Rapport de la Commission Permanente de Concertation pour l’Industrie sur la situation de l’industrie en France 2009 L’industrie dans l’économie française (1978-2003) : une étude comparée Gilles Le Blanc Avril 2005 Les espaces de la dynamique industrielle, état des lieux et problématiques Gilles Le Blanc La grande transition. La France dans le monde qui vient Pierre Veltz, Seuil mars 2008 Le nouveau monde industriel Pierre Veltz, Seuil 2000 Trois leçons sur la société post-industrielle Daniel Cohen Désindustrialisation, délocalisation de Lionel Fontagné et Jean-Hervé Lorenzi Février 2005 La France souffre-t-elle d’une mauvaise spécialisation ? Gille Le Blanc Avril 2007. Haute technologie et échelles de qualité : de fortes asymétries en Europe. Lionel Fontagné, Michael Freudenberg et Deniz Ünal-Kesenci. 1999
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(Année universitaire 2011-2012) Socio- économie des services. Jean GADREY www.lekiosque.finances.gouv.fr www.industrie.gouv.fr www.insee.fr www.territoires.gouv.fr www.territoires2040.datar.gouv.fr www.lemonde.fr www.lesechos.fr www.sessi.fr
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ANNEXE 7
Remerciements Présenté par ordre alphabétique Nous tenons à remercier tout particulièrement les trois intervenants qui ont apporté leur contribution à ce mémoire :
Monsieur Harris Bodard, délégué général du GIR (Groupement Interprofessionnel de la Région Vallée de Seine) qui constitue un réseau local d’entrepreneurs et de responsables d’entreprises de Conflans Ste Honorine à Bonnières sur Seine et de Magny en Vexin à Houdan.
Monsieur Vincent Charlet, directeur délégué aux études dans le think tank La Fabrique de l’industrie, ancien membre de l'Observatoire des Sciences et Techniques, ancien consultant au sein de Technopolis France .
Monsieur David Vignet, ingénieur au technocentre Renault de Guyancourt.
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