(année universitaire 2011-2012)
Grade : 1ère année - L3 Pôle d’enseignement : « Économie, entreprises et secteur public » Matière : Les réalités de l’entreprise Date de la soutenance : mercredi 15 février
SUJET « Le modèle sud-coréen, un modèle d’avenir ? » Correspondant du groupe : Isabelle Bergheaud Membres du groupe : - Isabelle Bergheaud - Evrard Lenoir - Michaël Rameil - Christophe Seltzer - Jérémy Visage
Institut Supérieur du Management Public et Politique (ISMaPP) Établissement d’enseignement supérieur privé reconnu par l’Etat 80, rue Taitbout 75009 PARIS ✆ +33 (0) 1 55 50 12 40 ✉ cg@e-ismapp.com
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ommaire
Introduction……………………………………………………………………………………..… p.4 I/ Le take-off de l’économie sud-coréenne………………………………………………………...p.6 Un modèle aux influences chinoises et japonaises…………………………………………………..p.6 L’unification de la péninsule coréenne………………………………………………………p.6 La dynastie Choson (1392 – 1910)…………………………………………………………. p.7 La domination japonaise (1910 – 1945)………………………………………...…………....p.8 Le confucianisme de nos jours………………………………………………………………p.8 Le management sud-coréen……………………………………....…………………………p.9 Un modèle atypique cependant qui s’émancipe progressivement à partir de la déclaration d’indépendance de 1948………………………………………………………………………..…..p.11 Brève histoire de la Corée du Sud depuis son indépendance………………………………. p.11 Un modèle économique fondé sur l’industrialisation……………………………………... p.12 La Corée du Sud : 1er dragon d’Asie……………………………………………………….p.14 Une économie prospère mais pas à l’abri d’une crise……………………………………… p.14 II/ L’exemple du groupe Samsung………………………………………………………………. p.16 Les chaebols : leaders incontournables des marchés coréen et international……………...... p.16 Samsung : naissance et succès du chaebol coréen………………………………………..…p.17 « La République Samsung » entre les mains d’une même famille…………………………...p.18 Samsung aujourd’hui : « une pluie de records »…………………………………………….p.19 Management et culture d’entreprise de Samsung…………………………………………..p.21 Limites, enjeux et avenir de Samsung………………………………………………………p.24 III/ Faut-il envier le modèle sud-coréen ?....................................................................................................p.27 Pour une remise en cause de l’idée de « modèle sud-coréen » au sens d’un développement économique classique……………………………………………………………………....p.27 Le « modèle social » en question…………………………………………………………...p.28 Le modèle sud-coréen est-il un modèle d’avenir ?.........................................................................p.29 La culture managériale sud-coréenne, une culture particulière et exemplaire ?.........................p.31 Conclusion………………………………………………………………………………………... p.32 Remerciements…………………………………………………………………………………….p.33 Bibliographie………………………………………………………………………………………p.34 3
Introduction Isabelle Bergheaud et Christophe Seltzer
S’intéresser au « modèle sud-coréen » dans le cadre d’un cours sur les réalités d’entreprise est une tâche peu aisée. Au-delà du « miracle sur le fleuve Han » ou du « miracle économique coréen » qui décrivent l’incroyable succès d’un petit pays apparemment sans ressources, de cette « crevette » parmi les « baleines » chinoise ou indienne, il s’agit pour nous d’identifier les facteurs explicatifs d’une réelle réussite économique, comme de ses spécificités jusqu’aux formes managériales choisies. Nous disons « d’un petit pays apparemment sans ressources ». Mais en réalité, l’étude historique de cette région asiatique nous apprend que la modernité avait déjà été amorcée dès la fin du XIXème siècle à tout le moins. La Corée du Sud, en outre, s’inscrit dans une ère civilisationelle plus antérieure encore que la nôtre. Et à ce titre, elle a développé depuis longtemps une bureaucratie efficace. Ainsi, l’année 1945, et même 1953, ressemblent-elles à l’année 0 allemande : un état de ruine qui n’annihile pas les compétences séculaires d’un pays. La Corée du Sud n’a alors pas perdu l’ensemble de ses ressources, et tire même de ses trauma historiques une volonté d’aller vers l’avant. La rapide croissance économique qui s’amorce dès les années 1960 ne surgit pas de nulle part et c’est la raison pour laquelle, au-delà des modèles classique développés par les économistes à l’endroit de ce « miraculeux » take-off, nous avons voulu remonter plus loin dans l’histoire de ce qui est aujourd’hui une Corée divisée. Dans notre travail, la barrière linguistique est au premier chef une difficulté. Les sources scientifiques au sujet du modèle sud-coréen sont ténues, voire sur des sujets précis, inexistantes. C’est donc sous le prisme journalistique que nous sommes, de prime abord, confronté au sujet. Or ces sources-là sont dépendantes de ce que les Sud-Coréens veulent bien nous dire d’eux. C’est ce qu’Alain Delissen, professeur au Collège de France, historien spécialiste de ce pays, nous a fait comprendre avec gravité. Nous nous sommes en particuliers intéressés au cas du « chaebol » Samsung pour étudier plus concrètement le management sud-coréen. Mais là encore, les sources se limitent à des documents transmis par le groupe lui-même s’inscrivant à l’évidence dans une politique de communication. N’existe aucun ouvrage en particulier qui ne ce soit intéressé à cette réussite phénoménale. Le 31 janvier 2012, la Commission Européenne a ouvert une enquête à l’encontre de Samsoung Elctronics pour vérifier si le géant sud-coréen n’aurait pas abusé de ses droits sur ses brevets pour biaiser la concurrence sur le marché européen de la téléphonie 4
mobile. On reproche en effet à Samsung un manque de transparence. Mais ce n’est après tout qu’un trait structurant de toutes les entreprises qui touchent au secteur des technologies de pointe. Il apparait que Samsung fonctionne alors en fait comme une entreprise ayant parfaitement intégré le paradigme libéral occidental, et qu’en ce sens, il n’y aurait pas de modèle sud-coréen entrepreneurial bien spécifique. Parce que le développement des entreprises est intimement lié au développement économique d’un Etat en général, nous nous sommes plongés dans l’histoire récente du pays pour comprendre les facteurs du développement économique, notamment au travers des politiques publiques mises en œuvre avec efficacité. Et par là-même, nous avons taché de comprendre comment la société et ses représentations avaient pris part à ce développement. N’en demeure pas moins que le terme de « modèle » ne nous apparait pas en définitive comme probant pour appréhender la spécificité de la Corée du Sud, la spécificité de son économie ou de son management. Il nous est d’abord très difficile de répertorier des critères déterminants et invariants. Surtout, si la Corée du Sud semble bien se distinguer par une tension vers l’avenir caractéristique, elle semble en ce sens en fait avoir très bien intégré le libéralisme, aidée par une société très plastique. Dès lors, comment expliquer la réussite économique de ce pays au travers de facteurs plus variés que ce que ce qu’on évoque spontanément aujourd’hui ? Comment identifier des caractéristiques propres à un développement spécifiquement sud-coréen sans céder à l’utilisation du paradigme classique avancé par les économistes à l’endroit des pays qui se développent ? Enfin, comment comprendre la position de la Corée du Sud et de ses entreprises aujourd’hui dans ses rapports avec les anciennes puissances hégémoniques, et les nouveaux émergents ? Comment la Corée du Sud peut-elle ou veut-elle s’exporter comme modèle d’excellence libérale ? Nous étudierons le take-off de l’économie sud-coréenne dans un premier temps avant de s’arrêter sur l’entreprise emblématique que constitue Samsung. Finalement, il s’agira de nous interroger sur les arbres cachés par ce séquoia Samsung, et comprendre en quoi la Corée du Sud se veut une puissance d’avenir, plus qu’un modèle économique ou managérial, plutôt parfaitement en adéquation avec l’économie libérale que spécifiquement asiatique.
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I/ Le take-off de l’économie sud-coréenne Michaël Rameil
Un modèle aux influences chinoises et japonaises Pour mieux comprendre ce qu’est aujourd’hui le modèle coréen, il faut revenir sur l’histoire de ce pays qui se caractérise par une prégnance de la culture chinoise et japonaise. La position géographique de la Corée du Sud explique par elle seule l’importance des diverses influences de la Chine et de la Corée, les conflits et échanges viennent ensuite enrichir ce modèle coréen hybride sino-japonais.
L'unification de la péninsule coréenne
Les royaumes de Paekche dans le sud-ouest de la péninsule, fondée en 18 avant J-C, et de Silla dans le sud-est, fondée en 57 avant J-C, émergèrent aux IIIe et IVe siècles, alors que l'influence chinoise s'était affaiblie. Sur la côte sud, un troisième État, appelé Kaya, rivalisait avec les autres, mais ce fut le Koguryo qui, au Ve siècle, devint le plus puissant. En 668 de notre ère, le Silla, allié à la dynastie chinoise Tang et aidé par son armée, avait, cette année-là, vaincu le Koguryo et le Paekche en 660, et établit le premier État de la péninsule coréenne unifiée après avoir reconquis en 735 les deux protectorats établis par les Chinois. Le confucianisme favorise un lien entre père et fils ainé. Il se répand dès le VII siècle. C'est à Silla que le confucianisme s'implante le mieux en Corée, surtout après la destruction de Paekche (660) et de Koguryô (668) qui débouchèrent sur l'unification de la péninsule, une fois chassées les troupes chinoises (676). Les "docteurs" prennent de plus en plus d'importance dans les domaines social et politique. La connaissance de la culture chinoise devient une condition sine qua non pour avoir accès à la fonction publique et l'instauration des "trois degrés" montre bien que le pouvoir royal a décidé de préférer le savoir à la naissance qui était le privilège des "os". Le confucianisme devient la base de la "mystique de l'unification". La loyauté envers le souverain représente une des vertus cardinales du nouveau régime.
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La dynastie Choson (1392-1910)
Durant le XIVe siècle, les Coréens furent fortement influencés par des théories néoconfucianistes, qui avaient été formulées par le philosophe chinois Zhu Xi. Ce système de valeurs très développé stimula les classes moyennes de l'administration du Koryo, et leur mouvement pour une réforme politique et sociale fut à l'origine de l'accession au pouvoir de la dynastie Choson (ou Joseon). Ce n’est qu’au XVIe siècle, avec l’avènement de la dynastie Choson (1392-1910), que le confucianisme devint un puissant instrument de réorganisation étatique et sociale. Sous le règne du roi Sejong (1418-1450), le quatrième monarque de Choson, la Corée connut un épanouissement culturel et artistique sans précédent. C’est sous son règne que des savants de l’Académie royale inventèrent l’alphabet coréen, le Hangul, un système d’écriture conçu de manière scientifique, mais simple et efficace à la fois. Ce fut l'un des premiers exemples d'interventionnisme linguistique dans l'histoire du monde. Le règne du roi Sejong marqua ce qu'on appelle «l’âge d’or» de la Corée. Nombre d’inventions et d’idées nouvelles virent le jour durant cette période, dans les domaines de l’administration publique, de l’économie, des sciences naturelles, des sciences humaines, de la musique et de la médecine. Durant les deux premiers siècles de son existence, le royaume Choson fut bien gouverné et connut la paix, mais des divisions commencèrent à apparaître parmi l'élite au XVI e siècle. C'est au cours de cette période que le royaume fut envahi en 1592 par les Japonais, qui voulaient utiliser le pays comme base de transit pour conquérir la Chine. En septembre 1593, avec l'aide de la dynastie chinoise des Ming et des efforts de son héros national, l'amiral Yi Sunsin (15451598), le royaume Choson réussit à chasser les Japonais. Ces derniers renouvelèrent leur tentative en 1597, mais furent définitivement refoulés en 1598. Quelques décennies plus tard, le pays dut subir une invasion par le nord, perpétrée par la nouvelle dynastie chinoise d'origine mandchoue des Qing (1636). Le Choson dut accepter de devenir vassal de la Chine, alors que le prince héritier devait rester en otage à la cour impériale des Qing. La langue chinoise pénétra de façon plus importante dans le vocabulaire des Coréens. Au cours des deux siècles qui suivirent, le royaume Choson fut gouverné par des rois compétents, malgré l'apparition périodique de conflits entre différentes factions. Mais des changements sociaux, économiques et religieux mirent à l'épreuve le système politique et social du royaume Choson. Le christianisme fut introduit 1784 par la Chine et propagé après 1833 par des missionnaires français. En 1864, le roi Taewonkun déclara le christianisme hors la loi et repoussa les interventions militaires de la France (1866) et des États-Unis (1871). Il tenta aussi d'éliminer la corruption et de restaurer le prestige de l'État. Les réactions politiques suscitées par ces réformes provoquèrent néanmoins la chute du Taewonkun. Le Choson demeura un royaume relativement isolé du monde occidental, mais fidèle dans son alliance avec la Chine. En réalité, la Corée devint l'enjeu des puissances chinoise, japonaise et russe. En 1876, les Japonais 7
obligèrent le pays à établir des relations diplomatiques avec eux, tout en affaiblissant les liens traditionnels du royaume avec la Chine. La victoire du Japon sur la Chine (1895) et sur la Russie (1905) permit l'annexion officielle de Choson par le Japon en 1910, ce qui mit fin à la plus longue dynastie (celle des Choson) qu'ait connue l'histoire du monde.
La domination japonaise (1910-1945) Au plan linguistique, le Japon fit tout pour éliminer la langue coréenne et la remplacer par le japonais. Le chinois fut placé au même rang que les autres langues étrangères, le japonais devenant la langue officielle de la Corée. La politique linguistique reposa sur l'enseignement forcé du kokugo, la «langue nationale», c'est-à-dire le japonais. Dès 1911, un décret impérial fut promulgué en Corée sur l'éducation; il était destiné à «faire des Coréens un peuple fidèle». Après le soulèvement coréen du 1er mars 1919, un second décret impérial établit en 1922 un système d'enseignement primaire en six années, comme au Japon, et supprima les écoles traditionnelles coréennes qui assuraient l'éducation en coréen. Dans ces nouvelles écoles, on utilisa uniquement des manuels japonais identiques à ceux de la métropole. Un autre décret impérial fut promulgué en 1937. C'est alors que la japonisation devint plus sévère. Naisen ittai était le slogan officiel, c'est-à-dire «faire des Coréens des Japonais à part entière» (littéralement Japon et Corée, un seul corps). La Seconde Guerre Mondiale change la donne, amorçant le déclin de la domination japonaise sur la péninsule.
Le confucianisme de nos jours Définitivement écarté de la scène politique, le confucianisme est resté très présent dans la conscience collective des Coréens. Ses principes servent encore de base à la société et nombreux sont les auteurs qui voient dans sa survivance sociale l'origine des succès non seulement de la Corée mais de tous les dragons petits et grands qui secouent la poussière de l'Asie. A ce titre, quelques slogans que l'on trouve dans le métro, les bus, les lieux publics et qui sont les derniers avatars des belles maximes calligraphiées qui ornaient les Académies confucianistes d'autrefois. "Le métro c'est la sécurité, les usages c'est la discipline" "Avant de réclamer sa part, il faut d'abord remplir sa tâche" "Si je commence par respecter l'ordre, la société sera prospère et le pays puissant" "Dans notre école, on se met par deux et on s'aligne" "Cesser de fumer, c'est la santé, et la santé c'est la recherche du bonheur" "La santé commence avec le travail, la satisfaction commence avec la santé". L’histoire de la Corée du Sud, permet de mieux comprendre le développement actuel du pays et son modèle économique. Cette histoire est à l’origine d’une organisation socio-professionnelle particulière, entre confucianisme et culture japonaise. Sans que le modèle se réduise à cette bipolarité, le pays trouve dans ces deux fondements historiques, les deux piliers de son modèle économique.
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Le management sud coréen La Corée du Sud s’est vue considérée successivement comme une annexe de la Chine, une annexe du Japon. Et le confucianisme est encore très présent dans la culture coréenne ce qui a des répercussions sur la façon de penser le travail, de penser les organisations. De même, le Japon a influencé le modèle des entreprises sud coréennes, en mettant en place une forme de toyotisme à la coréenne. Dans cette civilisation ancienne, l'importance de la famille comme unité de base de l'identité sociale et de la fidélité (loyauté) est un trait crucial et prend son origine dans le confucianisme. Bernard Pras1 écrit dans « Que peut-on apprendre du management asiatique » : « l'entreprise (asiatique) s'efface souvent comme centre décisionnel derrière une entité plus puissante, la famille, ce que l'on retrouve d'ailleurs parmi les expatriés chinois ». Il ajoute : « les pays asiatiques n'ont jamais été modernes, et donc a fortiori postmodernes, ils sont « transmodernes ». De puissants liens sociaux, familiaux et claniques demeurent dans une société capitaliste et industrielle. Cette relique des sociétés traditionnelles fait toute la particularité du management coréen et dans une certaine mesure son succès face système occidental. Le marché du travail n'existe pas en Corée car il n'y a pas interchangeabilité des individus pour une même fonction mais appartenance d'une personne à un groupe social avec lequel il travaille et vit. L'occidental comprend mal comment un asiatique peut être tant attaché à son entreprise car il discerne mal les liens sociaux qui sous-tendent cet attachement. Le sujet occidental, est en permanence libre de nouer et de casser des liens plus instrumentaux que sociétaux. Autre caractéristique, le système légal est peu développé, subordonné aux élites politiques et à la classe politique dirigeante, d'où une importance faible accordée aux contrats et accords formels. Ce manque de système juridique institutionnalisé dans la société préindustrielle coréenne place les marchands dans une position subordonnée par rapport au pouvoir politique en Corée, il n'est pas possible de mobiliser du capital en dehors de l'Etat. La faiblesse de la législation a renforcé encore l'importance des relations interpersonnelles ou familiales en matière de management. L'Etat a exercé un contrôle très fort sur les intermédiaires financiers. En période de forte croissance, le contrôle du crédit permet à l'Etat d'exercer une influence directe sur les activités et choix des entreprises. Rappelons l'horizon de temps beaucoup plus large pris en compte dans le cadre de la mentalité et du management asiatiques. L'horizon plus court dans nos sociétés occidentales conduit à mettre l'accent sur les systèmes instrumentaux de compatibilité et de contrôle, les conflits industriels sont plus forts et le progrès se fait souvent à partir de ruptures. Dans le contexte asiatique, on met plus en évidence l'aspect ressources humaines avec l'insertion de la personne, la recherche de l'amélioration continue, et la flexibilité. Autre trait commun du management asiatique, sensible en Corée : les décisions émergent collectivement avec pour l'observateur occidental un certain manque de précision, une coordination non explicite, l'art du compromis 1
B. Cova et B.Pras : Que peut-on apprendre du management asiatique ?, centre de recherche DMSP, cahier n°223, octobre 1993 9
au sein de l'organisation et qui s'oppose aux décisions individuelles et au modèle hiérarchique de nos sociétés occidentales. L'importance de la confiance accordée s'oppose aussi à la notion de contrat courante dans notre système. De sorte que le modèle de management coréen apparaît plus humain par certain aspect, moins mécanique. L'équilibre est favorisé par l'ambiguïté, rien n'est arrêté. Bernard Pras note : « Les asiatiques n'aiment pas conceptualiser, définir les statuts, exprimer les opinions. » D'où l'importance vouée au consensus dans l'entreprise coréen. Le non-consensus est vécu comme un drame social et non comme un évènement banal et constructif. Il peut défaire des liens sociaux à tout jamais. Alors qu'il est facile en occident d'exprimer un point de vue contradictoire et d'arriver à une discussion conflictuelle dans le travail et dans les affaires, cela est extrêmement difficile en Corée du Sud et peut impliquer la rupture des liens sociaux, l'isolement complet de l'individu non seulement dans l'entreprise mais aussi dans la communauté. Bernard Cova évoque à ce sujet une anecdote où « un Européen croit qu'il y a eu, au cours d'une négociation, consensus des asiatiques autour de sa proposition, et où il s'avère par la suite que les asiatiques n'agissent pas conformément aux propositions qu'il croyait approuvées. Les asiatiques n'avaient pas voulu lui faire perdre la face, son identité et sa qualité, en public. D'autre part, contrairement à l'acteur socio-économique des organisations occidentales, l'asiatique n'a pas comme postulat la réduction de l'incertitude. Il crée au contraire en permanence une zone d'incertitude qu'il s'applique à lui-même, auquel s'ajoute un fort attrait pour le jeu qui conduit à un certain goût du risque, et à une forte volonté d'apprendre. Les dirigeants coréens adoptent en outre un style de management directif ne cherchant que peu ou pas à expliquer ou même justifier leurs décisions. La plus grande importance de l'individu et du législatif en Occident a conduit à des procédures plus formalisées et centrées sur les performances individuelles au sein de la structure, à une plus grande confiance accordée aux contrats formelles. Cependant l'auteur précédemment cité évoque une réduction de l'autorité du dirigeant dans l'entreprise en comparaison à celle des dirigeants asiatiques. L'importance du contractuel réduisant aussi la flexibilité et donnant moins de poids à la confiance en ses partenaires. Les relations reposant moins sur la famille ou l'autorité naturelle en Occident ont conduit à un renforcement du rôle de la formation et des associations diverses en tant que vecteurs de socialisation. Une transposition sans modifier le modèle culturelle semble compromise. En effet, les freins sont de tous ordres, y compris légaux. La régulation dans le domaine du travail rend inopérante un transfert poussé des méthodes de management asiatique dans un certain nombre de pays occidentaux. La possibilité d’une transposition stricto sensu paraît donc compromise. L’entreprise occidentale peut cependant profiter des principes coréens, en proposant un management nouveau adaptant le management coréen, au modèle occidental.
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Un modèle atypique cependant qui s’émancipe progressivement à partir de la déclaration d’indépendance de 1948 Isabelle Bergheaud La Corée du Sud s’inscrit selon Rostow dans un modèle. L’économiste et théoricien américain met en exergue un développement linéaire en cinq étapes des sociétés industrielles dans Les étapes de la croissance économique en 1960. La société d’origine, dite traditionnelle, vit de l’exploitation de la terre, demeure relativement hostile au progrès et connait un modèle social figé et très hiérarchisé. Elle connait ensuite un bouleversement important qui sont des conditions préalables au décollage économique du pays, ce que Rostow nomme « take-off». On peut schématiser les cinq étapes de la croissance économique de Rostow ainsi :
La société traditionnelle Les conditions préalables au démarrage économique Le décollage (« take-off ») La marche vers la maturité La société de consommation de masse
On pourrait situer ce changement précisément à l’heure de l’indépendance de la Corée du Sud, en 1948, qui va marquer, sous influence américaine, le choix de politiques inédites. Puis, durant une vingtaine d’années, le pays voit naître une phase de « take-off » par des investissements massifs dans l’industrie permettant un rythme durable de croissance. Soixante ans plus tard, de nouvelles industries se substituent à celles du « take-off », et le niveau de vie augmente sensiblement. On parvient alors à l’ultime étape, celle d’une « société de consommation des masses ». C’est précisément le plus rapide passage de la troisième à la quatrième étape qui est la source d’une critique du modèle de Rostow, énoncée par Alexander Gerschenkron dans Economis backwardness in historical perspective en 1962. La thèse de Gerschenkron montre que les pays qui se développent tardivement profitent de l’expérience des nations les ayant précédées et passent par un rattrapage accéléré, sautant parfois des étapes. Sans les sauter, la Corée du Sud semble à l’évidence les avoir enchainées avec une rapidité déconcertante.
Brève histoire de la Corée du Sud depuis son indépendance La division contemporaine de la Corée remonte à l’occupation japonaise commencée à partir de 1910. À la fin de la Seconde Guerre mondiale en 1945, la Corée a été divisée en deux zones par les puissances mondiales que sont les États-Unis et l'URSS. En 1948, le Sud et le Nord se constituent chacun en un État indépendant, un Nord communiste, et un Sud sous influence américaine. La guerre de Corée commence en juin 1950, le Sud étant soutenu par les États-Unis et le Nord par la Chine, c’est un point de cristallisation de la guerre froide, un enjeu planétaire. L'armistice de Panmunjeom, signé en 1953, met fin aux combats. Néanmoins, la guerre n'est toujours pas 11
officiellement terminée, en témoignent encore les récents incidents. La péninsule reste divisée par une zone démilitarisée aux alentours du 38e parallèle, qui est, paradoxalement, la plus militarisée au monde. Après la guerre, la République de Corée, régime autoritaire sous le gouvernement autocratique de Syngman Rhee puis sous la dictature de Park Chung-hee, a connu une croissance économique rapide faisant d'un pays du tiers-monde un des Quatre dragons asiatiques. Cette dictature s'est illustrée par des atteintes aux droits de l'homme en réprimant de façon meurtrières des émeutes à Gwangju le 18 mai 1980.2 C’est dans les années 1980 que des manifestations ont mis fin à la dictature pour installer un pouvoir démocratique. Kim Dae-jung est le premier président bénéficiant d'une véritable légitimité démocratique.
Un modèle économique fondé sur l’industrialisation
Les étapes de l’industrialisation selon SEO Ick-Jin La Corée du Sud, une analyse du processus de développement, Paris, l’Harmattan, 2000 Économie d’aide et de substitution des exportations (1950 - 1959) La Corée du Sud est aidée par les Etats-Unis de 1950 à 1958 par un programme de reconstruction : United Nations Korean Reconstruction Agency (UNKRA). La Corée a su s’inspirer de la théorie des avantages comparatifs de Ricardo qui soulignent qu’un pays ne peut pas tout produire de manière efficace. Dans le cadre du commerce international, un pays qui veut accroître sa richesse doit se spécialiser dans la production pour laquelle il est le plus performant par rapport aux autres. Le pays s’est alors d’abord spécialisé dans le textile, la maroquinerie, les jouets, engrais, agroalimentaire (sucre et farine). Ces domaines de production était peu coûteux en main d’œuvre et recherche et développement, et demandait une main d’œuvre peu qualifiée. Économie d’emprunt et d’exportation simple (1960 – 1970) On observe une politique de promotion des exportations (PPE), combinée au premier plan quinquennal mis en place par PARK Chung-Hee, arrivé au pouvoir en 1963. La Corée exporte sa production de textile, jouets, montres, appareils photos, agroalimentaire, ciment, raffinage pétrolier, montage électronique. Période Yushin : économie d’emprunt et d’exportation développée (1971 – 1979) La délocalisation des industries polluantes du Japon vers la Corée lance l’industrie sidérurgique, pétrochimique, mécanique, la construction navale et la papeterie dans la péninsule. Et durant cette période, le pays s’oriente vers les technologies de pointe (téléviseurs, calculatrices, L’Asie Orientale et Méridionale aux XIXème et XXème siècles, Hartmut Rottermund, PUF, « Nouvelle Clio », 1999 2
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montages électroniques pour débuter). Économie à deux marchés (1980 – 1987) Maîtrise de l’industrie automobile, des matériels électriques, des composants électroniques, des biotechnologies, de l’énergie nucléaire et enfin de l’informatique marquent une étape décisive dans l’évolution économique du pays. Cet envol industriel et économique est permis par le sacrifice consenti par la société coréenne. Même si le PIB coréen galopait, le niveau de vie, lui, reste faible, avec des salaires bas qui ne permettent pas une entrée dans la consommation de masse. Un « État-providence bourgeois » et la crise du fordisme coréen face à la mondialisation (1987 – 2004) L’augmentation des salaires entraîne une augmentation du niveau de vie inédite. Le pays encourage les entreprises à forte valeur ajoutée (comme celles spécialisées dans les NTIC). Pour Laurent Carroué, ce sont trois phases qui peuvent être distinguées dans le développement économique de la Corée du Sud de 1953, à 1980. Une phase de substitution aux importations entre 1953 et 1961 Un développement extraverti fondé sur l’essor des exportations de 1961 à 1973 La mise en place d’industries lourdes
"Les travailleurs coréens à l'assaut du dragon", in Le Monde diplomatique, février 1997 L’auteur souligne que le développement sud-coréen s’est orchestré autour de liens étroits entre l’Etat et les milieux d’affaires, que ce soit par le crédit dirigé, les restrictions aux importations, le financement de certaines industries ainsi qu’un gros effort de travail. Un effort particulier a été consenti par les populations puisque le gouvernement a favorisé les importations de matière première et de la technologie aux dépens des biens de consommation, encourageant l’épargne et l’investissement plus que la consommation. Pour Eric Bidet, la normalisation des relations avec le Japon à partir de 1965, et surtout un contexte géopolitique particulier ont contribué à l’essor économique spectaculaire de la Corée du Sud. En effet, l’engagement idéologique anti-communiste des Etats-Unis a fait bénéficier la Corée du Sud d’un transfert massif de technologie. La Corée du Sud a su devenir tourné son économie vers le secteur riche en innovations, et est donc devenu en leader mondial en matière de hautes technologies. L’illustration de nos propos se trouve dans les travaux de Christian Milleli3
La Corée du Sud, un nouveau modèle de la « nouvelle économie », Christian Milleli, les études du CERI, n°98, septembre 2003 3
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La Corée du Sud : 1er dragon d’Asie
Aujourd’hui, l'économie de la Corée du Sud est une économie de marché, dont le produit intérieur brut à parité de pouvoir d'achat est l'un des douze plus élevés dans le monde. La Corée du Sud est membre de l'OCDE. Faisant partie des quatre « dragons asiatiques », la Corée du Sud a connu depuis cinquante ans une croissance et une intégration dans l'économie mondiale exceptionnellement rapides comme nous avons pu le voir. Alors qu’en 1960, le PIB par habitant était comparable à celui des pays les moins avancés d'Afrique et d'Asie, comme le Cameroun et l'Indonésie, avec 260 dollars par habitant, il est aujourd’hui plus de dix fois supérieur à celui de la Corée du Nord voisine et du même niveau que ceux de la Grèce et de l'Espagne au sein de l’Union européenne. En 2010, il s'élève à 20 165 $ par habitant, ce qui la plaçe au 49e rang mondial. A titre comparatif, celui de la Corée du Nord sélève à seulement 1745 dollars par habitant, tandis qu’en Chine, il est de 4,283 dollars, et en France de 40,518 dollars.
Une économie prospère mais pas à l’abri d’une crise Entre la fin de l’année 1996 et le début de l’année 1997, une forte appréciation du dollar par rapport au yen entraîna une surévaluation du won (monnaie de la Corée du Sud) par rapport au yen, car la Corée voulait garder une parité avec le dollar. Cette situation va être à l’origine d’une crise des monnaies dans toute l’Asie de l’Est. Les exportations coréennes baissent rapidement suite à la dépréciation du yen par rapport au won, de juillet à octobre 1997, le won s’effondre et perd 50% de sa valeur. En outre, en Corée, les chaebols s’étaient fortement surendettés pour permettre l’expansion économique du pays. Leur taux d’endettement équivalait à trois fois leurs fonds propres. Alors cette crise économique se traduisit par un taux de chômage très élevé et de nombreuses faillites de conglomérats. La Corée du Sud n’a pas d’autre choix que de faire appel au FMI (Fonds Monétaire International). Ce dernier lui concède une aide de vingt et un milliards de dollars, et cinquante-huit milliards de dollars comme total de l’aide internationale (FMI inclus). Cette intervention du FMI et plus largement de l’aide internationale fut vécue par les Coréens comme une humiliation. Cette crise a permis de révéler les faiblesses de ce dragon. Avant la crise, la Corée évoluait dans un environnement marqué par la corruption et une forte collusion du monde des affaires, de l’Etat et de la sphère financière. La crise va mettre un terme à ce triangle dangereux, et va encadrer de façon plus stricte les chaebols. C’est la mise en place du « Big Deal », c’est-à-dire transparence et contrôle de l’économie sud-coréenne. L’économie sud-coréenne a su retrouver le chemin de la croissance dès 1999. Bien que la crise de 1997 ait ébranlé la Corée, cette période de conjoncture économique négative ne dura pas longtemps. Ce constat suffit cependant à pointer les faiblesses du modèle coréen, et si l’omniprésence de l’Etat s’est effacée, il n’en demeure pas moins que la Corée s’inscrivant désormais pleinement dans l’ère de la mondialisation s’expose eux répercussions des fluctuations du marché. Ainsi, suite à la crise des subprimes de 2007, la bourse de Séoul à baisser de 7%. Mais la Corée du Sud, tout comme l’Asie de façon générale, n’a pas été ébranlée 14
par la crise actuelle comme l’Union européenne. L’OCDE4 (Organisation de Coopération et de Développement économique) souligne d’ailleurs en ce qui concerne la Corée, qu’elle a réussi une des plus forte reprise économique après la récession mondiale de 2008, en fondant cette réussite dans un politique toujours qui favorise l’exportation, ainsi que la relance budgétaire accompagnée d’une relance monétaire. Mais pour l’OCDE, la croissance de la Corée est assurer à moyen à terme, et donc elle n’est pas à l’abri de connaître un ralentissement économique ou pire, de voir brusquement son modèle florissant s’écrouler. La Corée du Sud a su élever son économie très rapidement au lendemain de la Seconde guerre mondiale, au point de devenir une puissance économique à part entière et se classant même à la 12ème position des puissances mondiales. Et par l’originalité de son modèle que nous venons de présenter, elle est apparu comme un modèle enviable, en témoigne le succès du fleuron de l’économie coréenne : Samsung.
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www.oecd.org 15
II/L’exemple du groupe Samsung Jérémy Visage Comprendre le succès du modèle sud-coréen, c’est comprendre les acteurs qui en sont à l’origine. « Le miracle sur le fleuve Han » ou « Le miracle économique coréen » sont autant d’appellations utilisées pour décrire l’incroyable succès de ce petit pays, sans ressource apparente. Ceux qu’on félicite en premier lieu pour le succès de la « Crevette » entourée des « Baleines » que forment la Chine et le Japon, sont les grandes firmes du pays : les chaebols et le plus emblématique d’entre eux Samsung.
Les chaebols : leaders incontournables des marchés coréen et international Décrire un chaebol, c’est les décrire tous. Les compagnies Hyundai ou encore L.G sont depuis une vingtaine d’années parvenues, d’abord à s’imposer sur le marché coréen, mais par la suite également sur le marché tant convoité de l’international. Ces « entrelacs de prospérité» c’est-à-dire ces grandes entreprises à filiales multiples comprennent des centaines de milliers de salariés qui sont répartis dans ces nombreuses branches partout dans le monde. Ces conglomérats tentaculaires implantés aux quatre coins de la planète provoquent chez les Coréens un « sentiment de fierté incommensurable » selon Etienne Leenhardt, journaliste géopolitique. Ils sont caractérisés par une culture d’entreprise forte, ainsi qu’une direction à la fois, puissante secrète et héréditaire. Fondés juste après la guerre, ces chaebols symbolisent le décollage économique coréen. Si Hyundai signifie « modernité », et que LG est l’acronyme de « Lucky Goldstar » (un astre porteur de chance) c’est parce que leur histoire est avant tout basée sur une saga héroïque comme le montre Pascal Dayez-Burgeon dans son livre Les Coréens. Fondés ex-nihilo, tous ont bâti des empires mondiaux à l’influence considérable. Ces conglomérats excellent dans ce genre d’expansion et n’ont raté aucune révolution technologique. Leur stratégie consiste à dominer la production mondiale de produits cibles. Le dynamisme des chaebols provient d’abord de leurs équipes formées de salariés qualifiés, d’ingénieurs méticuleux et ensuite de leurs directions, qui sont souvent absolutistes et visionnaires. Ils sont libéraux par opposition naturelle à leur voisin du Nord communiste, mais l’Etat a cependant joué un rôle prépondérant dans leur développement. En 1961, l’Office de Planification Economique qui réunit les économistes coréens les plus réputés, mène une politique basée à la fois sur l’incitation mais aussi sur le contrôle, pour que l’agriculture ne pâtisse pas trop du développement exponentiel de l’industrialisation. L’Etat a donc parfois utilisé des méthodes keynésiennes lorsque cela était nécessaire comme dans les années 60 et au début des années 80. 16
Aujourd’hui les chaebols demeurent un levier incontestable de la croissance coréenne mais ne le domine peut-être pas autant qu’avant, au vue de l’émergence de contre-modèles comme le groupe POSCO, qui n’appartient à aucune famille à l’inverse de Samsung qui confie les postes-clés aux membres d’une seule et même famille.
Samsung : naissance et succès du chaebol coréen
En pleine occupation japonaise Byung Chull Lee nait en 1910. Tous les coréens le connaissent car il est à l’origine de Samsung et emblématique du miracle coréen. La volonté entrepreneuriale de Byung Chull Lee lui vaut d’être respecté au sein de l’économie coréenne car il a contribué au bien être de son pays. La réussite de la Corée et celle de Samsung sont intimement liées. Samsung est d’abord l’histoire d’un homme qui a su faire preuve d’une grande rationalité pour construire un véritable empire aux multiples records. C’est en 1936 que Byung Chull Lee crée une petite entreprise de décorticage de riz, les conditions économiques sont alors difficiles et il est contraint de vendre son entreprise qui avait pourtant atteint 50 salariés. Après deux années de voyages dans le nord de la Corée et en Chine, il se relance dans l’aventure d’entreprendre une activité d’import export de fruits et fruits de mer qu’il achète en Corée pour les revendre en Chine. « Samsung Sanghoi » est née et se développe en fabriquant des pâtes bon marché puis grâce aux bénéfices engendrés, se lance dans la brasserie Dès mai 1947, le siège de Samsung Sanghoi est centralisé à Séoul et en novembre de l’année suivante devient société anonyme et change de nom pour Samsung Moolsan où Byung Chull Lee détient 75% du capital et le reste revenant dès lors aux actionnaires. Avec l’indépendance de la Corée, Samsung continue sa croissance, mais la Guerre de Corée qui éclate en 1950 va stopper nette toute l’activité du pays. Malgré ces périodes de troubles, Byung-Chull Lee multiplie les affaires et s’aventure avec succès dans le raffinage du sucre et le textile, deux produits en forte demande dans la Corée sous-développée. Après la guerre, Samsung vit son second départ qui la hisse au sommet des grandes entreprises mondiales. Le président Syngmann Rhee (1953-1960) et le général Park Chung-Hee (19611979) changent la politique du pays pour promouvoir la reconstruction et l’essor de celui-ci en renforçant le lien entre gouvernement et entreprise et s’appuient pour cela sur les fameux chaebols. En Janvier 1952, Samsung devient membre de la Korea Chamber of Commerce and Industry et insiste sur le fait qu’il faut développer le commerce extérieur du pays. La diversification continue pour Samsung, qui commence par produire de la farine, puis semble vouloir se projeter outre mesure en visant le domaine bancaire car il devient dès 1957 actionnaire de trois banques. Les réussites se multiplient dans les nouvelles filiales que Samsung ne cessent de développer. Peu de domaine échappe au géant coréen : bâtiment, pneumatique, textile ; Samsung diversifie au maximum ses activités et excelle dans chacune d’entre elles. 17
Derrière les « trois étoiles » (« Sam Sung » en coréen) de la marque se cachent les leitmotivs du fondateur : « Devenir grand, devenir fort et durer éternellement ». Aussi internationale qu’elle soit, Samsung n’en reste pas moins indissociable du pays qui l’a vu naitre et le cercle vertueux des affaires du géant coréen est dès lors enclenché.
« La République Samsung » entre les mains d’une même famille
Il existe un lien entre le Burj Khalifa, la tour la plus haute du monde, l’iPhone présenté comme le Smartphone le plus populaire du monde et enfin Piltun-B la plus grande plate-forme off-shore jamais construite. Ce lien c’est Samsung. En effet, en occident, quand on pense à Samsung, on pense de fait, à Samsung Electronics qui n’est pourtant qu’une des multiples filiales du géant coréen. Les téléphones et autres téléviseurs de la marque font la reconnaissance de Samsung, mais ils ne sont que la partie immergée de cet impressionnant conglomérat tentaculaire. Samsung Electronics s’impose comme le fer de lance du groupe à l’étranger et devient en 2009 la première entreprise IT en terme de chiffre d’affaires et aujourd’hui sa capitalisation boursière est supérieure à celle de Sony, Nokia, Toshiba et Panasonic réunis. Samsung pèse en effet plus de 134 milliards de dollars en Bourse devenant ainsi la cinquième capitalisation boursière derrière Apple, IBM, Microsoft et Google selon les chiffres officiels. Pascal Dayez-Burgeon dans son livre Les Coréens5 nous montre, qu’en Corée, la marque est quasi-omniprésente dans tous les aspects de la vie quotidienne. Presqu’aucun secteur ne lui échappe. Samsung Life est numéro un du secteur assurance en Corée, les meilleurs appartements sont les résidences Raemian et sont made in Samsung C&T (filiale BTP du groupe) ; les hôtels les plus luxueux sont la propriété du groupe Shilla qui appartient à Samsung. Plus impressionnant encore, le premier réseau d’agences de communication Cheil, le Samsung Medical Center et l’équipe de baseball Samsung Lions sont autant de composantes de l’empire Samsung. Pas étonnant que la Corée soit alors surnommée la « République Samsung ». A titre de comparaison, c’est comme si Danone, Lagardère, BNP Paribas et Bouygues appartenaient à une seule et même famille, le poids d’une telle coalition et l’influence de ce groupe est alors compréhensible. Après la démission de Lee Byung-Chull en 1966, c’est son petit fils Lee Kun Hee qui prend la tête du groupe. Au total, la famille Lee détient des participations dans pas moins de 18 filiales du groupe Samsung dont 9,51 % dans Samsung Life, 54,39 % dans Samsung Everland et 5
Pascal Dayez-Burgeon, Les Coréens, Tallandier, 2011 18
12,97 % dans Samsung SDS. La fille ainée du fondateur détient Hansol qui semble désormais s’imposer comme un véritable conglomérat à part entière. Shinsegae est un acteur majeur de la grande distribution et est, par ailleurs, aux mains de la benjamine de Lee Byung Chull tandis que CJ Group présent dans l’agroalimentaire, la pharmaceutique, la logistique et les médias revient au fils ainé du père fondateur. Si toutes ces entités sont théoriquement séparées depuis les années 90, Samsung reste l’histoire d’une famille. Les liens familiaux sont conservés et restent tout aussi fort que les liens capitalistiques. La famille dans sa conception coréenne communément admise est bien, une cellule indivisible réunie pour le meilleur et pour le pire.
Samsung aujourd’hui : « une pluie de records »
Samsung en chiffre 165,9 milliards d’euros de chiffre d’affaire net en 2011 21,2 milliards d’euros de bénéfices nets en 2011 344 milliers d’employés dans le monde 40 000 ingénieurs et chercheurs actifs répartis dans 24 centres de R&D 4500 brevets en moyenne déposés chaque année. Samsung occupe en la matière le second rang mondial derrière le géant IBM 32,7 milliards d’euros d’investissements prévus en 2012 26 000 recrutements possibles en 2012 1 coréen sur 10 possède un Samsung Galaxy S D’après les chiffres des Echos. Samsung a su s’imposer comme l’une des entreprises mondialement reconnue. La croissance fulgurante de Samsung sur le marché coréen puis mondial peut s’expliquer tout d’abord par une stratégie précise qui vise à augmenter la productivité de la main d’œuvre, investir sur d’autres activités, et innover en permanence. Samsung a toujours eu à l’esprit que pour que le groupe soit viable, il doit être autonome et ne pas dépendre des facteurs extérieurs. Pour cela, au lieu d’emprunter ou dépendre des banques, de l’Etat, Samsung préfère s’autofinancer grâce à une recherche constante de rentabilité dans chaque secteur. De plus, Samsung profite d’une parfaite connaissance des marchés qui l’entourent et montre de véritables choix stratégiques et innovateurs. La multinationalisation du groupe ne fait plus de doute et Samsung tente sans relâche de s’implanter et de durer sur les plus gros marchés mondiaux comme les Etats-Unis, l’Europe, le Moyen-Orient en plus du marché 19
asiatique où la concurrence est féroce. Le graphique ci-dessous, tiré à partir des données de Samsung présente l’activité de Samsung par ses ventes. Près de la moitié de l’activité du groupe est en Asie tandis que l’autre moitié se concentre sur l’occident avec l’Europe et l’Amérique.
Graphique réalisé par Jeremy VISAGE, selon les chiffres des Echos En 1997, Samsung est un des rescapés de la crise asiatique et aide le pays à se relancer. La réaction de Samsung face à la crise a été assez radicale. Réduction du nombre de ses filiales à 45 et suppression de 50 000 emplois, ce qui a pour conséquence de faire baisser son taux d’endettement de 365% en 1997 à 148% fin 1999 selon les chiffres de Samsung France. La Corée du Sud devient alors la 15ème économie mondiale et Samsung un des groupes les plus importants de la planète se plaçant en 2009 en tête du marché de l’électronique mondial. Compétitive à l’étranger, la marque est déifiée en Corée où, plus qu’un champion, elle est bien le symbole du miracle national respecté et admiré. BTP, pétrochimie, banque et assurance, armement et nucléaire sont autant de domaines qui forment pas moins de 166 milliards d’Euros de chiffre d’affaires soit presque un cinquième du PIB de la Corée du Sud qui avoisine les 900 milliards de dollars selon le Fond Monétaire International. En décembre 2009, Samsung (associée à Hyundai et la compagnie nationale d’électricité) remporte le « contrat du siècle » : la construction des quatre centrales nucléaires d’Abu Dhabi pour un montant de 20 milliards de dollars. Samsung trône depuis une décennie au premier rang des chaebols et multiplie les records. Premier producteur mondial de semi-conducteurs, de microprocesseurs, de puces, d’écrans d’ordinateurs, d’imprimantes laser … Samsung a définitivement distancé le japonais Sony, l’américain Motorola et l’allemand Siemens. Pas moins de 270 000 salariés coréens pour « Samsung land ». 20
Samsung
133 milliards
Huyndai Motor
98 milliards
SK
78 milliards
LG
48 milliards
Selon les chiffres du Département Economie & Business de l’Université Chungcheong repris par le journal La Tribune
La consécration ultime arrive quand Samsung devient le premier fabricant au monde de Smartphones, battant le californien Apple. Le succès est accueilli avec fierté dans le « pays du matin calme » qui reste assoiffé de reconnaissance internationale. Si la ville coréenne Pyeongchang a remporté les Jeux Olympiques de 2018 face à des villes comme Annecy ou Munich, c’est sans doute grâce à la volonté de Samsung et Lee Kun Hee également membre du CIO.
Management et culture d’entreprise de Samsung
La culture d’entreprise, selon M. Thévenet est « un ensemble des valeurs partagées, rites, mythes et symboles et histoire de l’organisation ». C’est cette culture d’entreprise qu’il convient d’étudier chez Samsung. D’abord, il convient de revenir sur les travaux de Gert Hofstede qui en 1987 se fixa pour tâche d'étudier dans 53 filiales d'une grande entreprise internationale les interactions entre la culture d'entreprise, plus actuelle et qui se voulait générale et les cultures nationales plus spécifiques et dépendantes d'un passé plus long. Cette étude d'Hofstede visait à démontrer que la culture d'entreprise ne pouvait pas être la même dans toutes les filiales car elle ne faisait nullement disparaître la culture nationale ; dans le meilleur des cas, elle se juxtaposait à elle. Et la plupart du temps, c'était plutôt la culture nationale qui remodelait, au moins partiellement, la culture d'entreprise. Beaucoup de critiques, en particulier méthodologiques, furent adressées à l'ouvrage qui relatait cette recherche. Alain Delissen, par exemple, parle d’un « mythe de l’orient ». Samsung comme toutes les entreprises industrielles à la pointe de la technologie est tenue au secret. Le management interne à Samsung ne serait alors pas plus strict que celui exercé par des groupes tels que Apple qui ne sont en rien sud-coréens. Il faudrait donc relativiser cette image biaisée et occidentale qui voudrait que la culture d’un pays comme la Corée du Sud aurait un impact sur une entreprise comme Samsung, certes il existe des liens entre les deux, mais ils restent contestables.
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Le management de Samsung demeure néanmoins particulier. En effet, le groupe a mis en place une double stratégie qui a fait le succès de ce modèle sud-coréen. D’abord par -ce qu’appelle Rang-Ri Park-Barjot- une « intégration horizontale » qui consiste à diversifier les productions pour pénétrer et s’imposer sur tous les marchés, et en parallèle une « intégration verticale qui vise à contrôler à l’amont les sources d’approvisionnement (minerai de fer, pétrole ...) et à l’aval les circuits de distributions ».6 En plus de cela, Samsung conserve son objectif qui se cache derrière le nom même de la marque « Devenir grand, devenir fort et durer éternellement ». Ces « trois étoiles » forment le leitmotiv du fondateur et existent depuis sa création et sont toujours d’actualité. Ce sont d’ailleurs les 193 000 coréens employés par Samsung qui les connaissent le mieux. Pascal Dayez-Burgeon montre, dans son ouvrage Les coréens, qu’ils ont pour la « plupart des horaires à rallonge » et subissent la pression d’une organisation exigeante et hiérarchisée. En récompense de cela, leur entreprise leur offre un paternalisme impressionnant. Samsung construit leurs logements, financent leurs universités (à titre d’exemple celle de Sungkyungwan à Séoul), mais équipe également leurs lieux de travail de magasins, d’hôpitaux, de gymnases, en somme, Samsung crée de véritable « Villes Samsung » (huit au total ponctuent le territoire) qui fournissent le nécessaire et plus à des employés qui n’ont dès lors plus besoin de les quitter. De nombreux reportages télévisés comme celui réalisé par France 2 « un œil sur la planète »7 montre le secret dans lequel Samsung s’enferme mais « aucun véritable travail d’investigation journalistique n’a été produit pour l’instant » dénonce Alain Delissen, spécialiste de la Corée que nous avons interrogé.8 Prendre en main la vie de ses salariés a de nombreux intérêts pour Samsung qui gagne dès lors en productivité et en loyauté car ils sont immergés au cœur de l’entreprise qu’ils ne considèrent d’ailleurs plus vraiment comme telle. Cet « esprit Samsung » trouve son point d’orgue lors de chorégraphies impressionnantes et hyper-médiatisées, réalisées par les employés de la firme comme celle lors de la coupe du monde 2002. « Servir l’entreprise c’est servir la patrie » selon les Coréens, qu’a rencontrés par Pascal Dayez-Burgeon, qui se bousculent pour travailler chez Samsung qui représente l’idéal de l’entreprise. Tous rêvent d’y entrer parce que « cette entreprise n’est partie de rien » dans ce tout petit pays qu’est la Corée du Sud. Les diplômés adhérent au message et se ruent sur les postes à pourvoir. Le géant sponsorise les universités et ouvre même des écoles pour répondre à ses propres besoins en design par exemple avec l’Université de Design Samsung SADI. Samsung construit, investit, et embauche pas moins de 5000 jeunes chaque année par une gigantesque cérémonie d’intronisation et annonce 26 000 recrutements à travers le monde en 2012 selon un communiqué de la marque. « Pride in Samsung » est le slogan fièrement revendiqué par les nouveaux adhérents au groupe. « On entre d’ailleurs dans l’entreprise comme on entre en religion » selon les dires de Gilles Van Den Peereboom, un salarié Samsung d’origine Belge interrogé par l’équipe d’ « un Œil sur la Planète ». En effet, Samsung dispose d’une culture 6
Rang-Ri Park Barjot, Samsung, l'oeuvre d'un entrepreneur hors pair, Byung Chull Lee, Economica, 2008 « Un œil sur la Planète : La corée du Sud » diffusée sur France2 le 3 janvier 2011 8 Cf annexe 7
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d’entreprise très forte qui commence par un séjour dans un « centre d’entrainement » pendant trois semaines sans interruption, durant lesquels ils dorment « trois à quatre heure par nuit ».9 Alors qu’en 1993, il convoque les dirigeants des filiales à Francfort et leur aurait dit de « tout changer » sauf leurs femmes et leurs enfants, quelque mois plus tard, Samsung se lance dans la grande aventure du téléphone mobile, c’est alors un tournant qui s’opère en faveur du haut de gamme, de la qualité et du design, des critères jusque là étranger à la culture du groupe. Ceci montre la volonté de s’adapter en permanence à son temps, l’un des fondements de la culture Samsung. La philosophie de Samsung se résume dans sa nouvelle devise « Inspirer le monde, créer le futur ». Lee Kun Hee digne héritier de Samsung, n’a pas peur de changer les choses. Il a l’ambition de s’adapter à l’économie du XXIème siècle en développant un nouveau management pour le groupe. Chez Samsung, un code de conduite rigoureux et des valeurs essentielles sont au cœur de chaque prise de décision. Il souhaite former une direction plus humaniste et éthique qui entrera ainsi dans la compétitivité mondiale grâce à la technologie et l’innovation afin de se classer parmi les premières firmes. La qualité de ses produits devient l’objectif premier. En 3 ans, Samsung conquiert le marché des portables avec le SH-700 qui connait un fort succès et qui détrône le Motorola leader pourtant déjà bien ancré. Mais le côté humaniste et éthique de la marque reste contestable. En effet, les coréens sont souvent qualifiés de « nouveaux spartiates » car ils possèdent un véritable acharnement au travail qui rythme leur vie. Chez Samsung, il existe une condition sine qua non pour prétendre au recrutement : il faut renoncer à se syndiquer. Ceci montre bien une culture d’entreprise forte où la dévotion des employés est nécessaire au bon fonctionnement de l’entreprise. La Responsabilité Sociale de l’Entreprise Samsung qui multiplie les relations avec les différentes et nouvelles parties prenantes.
Source : Samsung.com
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« Un œil sur la Planète : La Corée du Sud » diffusée sur France2 le 3 janvier 2011
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Samsung a assimilé très vite le fait que le concept de Responsabilité Sociale de l’Entreprise, c’est-à-dire la question du développement durable, était incontournable. En effet Samsung publie via son site internet « la manière dont elle prend en compte les conséquences sociales et environnementales de ses activités ». L’entreprise a très bien compris l’intérêt éthique, et s’associent dès lors aux ONG qui sont créditées d’une forte côte de confiance. En effet, selon une enquête du Forum Economique Mondial, à la question « quelles sont les personnes influentes de ce monde qui vous semblent capables de traiter les problèmes qui se présenteront dans les prochaines années dans le meilleur intérêt pour vous et votre famille ? » Ce sont les ONG qui sont les plus plébiscitées. 10 C’est pour cela, que Samsung se mobilise pour de nombreuses causes humanitaires à travers le monde. En France, Samsung œuvre notamment en faveur de la recherche médicale, et s’engage aux côtés d’associations pour lutter contre le cancer en particulier celui du sein. En ce qui concerne Samsung India, elle a participé à l'inauguration de son deuxième centre « Smile Twin programme e-Learning » (STEP), en liaison avec Smile Foundation à Sriperumbudur, près de Chennai. L'usine Samsung étant d’ailleurs située dans la même localité. Ce centre d’apprentissage, dédié aux jeunes de milieux défavorisés a pour objectif l'autonomisation des jeunes par l'éducation et la transmission de moyens de subsistance durable. Cette initiative de Samsung s’inscrit dans une politique de responsabilité sociale de l'entreprise appelée "Samsung Project Hope", dans lequel la société soutient des projets dans les domaines de l'éducation, la culture et le bien-être social.
Limites, enjeux et avenir de Samsung Samsung au cœur de Cyber Corée Si la Corée du Sud a obtenu en 2003, le statut du pays le plus connecté au monde, ce n’est pas un hasard. En effet, dès 1999, avec le lancement du programme « Cyber Korea 21 », l’ambition est donnée : tout miser sur les TIC c'est-à-dire les Technologies de l’Information et de la Communication pour faire de la Corée du Sud une Cyber-Corée. Les chaebols investissent en masse et tout est fait pour favoriser la recherche dans ces domaines. Les Coréens du Sud seraient les plus nombreux à posséder des téléphones mobiles et à se connecter à Internet haut débit. Avec une vitesse moyenne de 14,4 mégabits par seconde, la Corée du Sud demeure le pays disposant de la connexion la plus rapide au monde, loin devant le Japon et les EtatsUnis11. En Corée du Sud, les nouvelles technologies ont cessé d’être un progrès pour constituer un véritable mode de vie. Google ne représente que 2 % d’utilisation en matière de moteur de
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Enquête effectué dans 15 pays en Janvier 2003 Ce rapport s'appuie sur les données recueillies par la plateforme Internet d'Akamai.
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recherche, tandis que Naver lancé six mois après le géant américain, décroche la première place. Ce moteur de recherche coréen est d’ailleurs soutenu par Samsung. « La guerre des brevets » Samsung / Apple L’enjeu pour Samsung est donc de se maintenir au sein de ce cybermonde malgré la concurrence rude dans ce domaine. Lorsqu’en 2007, Apple dévoile son iPhone, Samsung est pris de court, idem lors du lancement de la tablette iPad. En 2009, l’iPhone est présent partout dans le monde sauf dans les pays sous-développés et en Corée, car il existe une réglementation coréenne qui oblige les fabricants de Smartphones à offrir un système d’exploitation compatible avec le pays. Il faudrait alors pour Apple développer un nouveau logiciel spécifique à la Corée auquel il se refuse. Aujourd’hui cette réglementation est tombée, mais les produits Apple sortent toujours avec du retard en Corée, mais peu importe, les coréens ne sont pas les premiers fans de la marque à la pomme. Les deux concurrents directs se livrent une guerre des brevets technologiques et tentent de faire interdire de la vente les produits de l’autre. Samsung réfute la thèse selon laquelle elle ne serait qu’une entreprise qui se réduirait à un activisme plagiaire. Samsung se serait par exemple contenté de se placer dans le sillage de Sony par le passé et aujourd’hui dans celui d’Apple. Mais le pays se proclame aujourd’hui précurseur et Samsung dresse un plan spécifique pour atteindre les 400 milliards de dollars de recette et devenir l’une des cinq premières marques du monde d’ici 2020 grâce au nouveau crédo « créativité » « partenariat » « talent ». Limites et corruption chez Samsung La firme aux trois étoiles, qui a débuté en négociant du poisson séché, exerce aujourd’hui une influence économique et politique colossale. Rang-Ri Park-Barjo montre dans son livre paru en 2008, Samsung, l’œuvre d’un entrepreneur hors pair Byung Chull Lee12, que son poids dans l’économie du pays suscite à la fois le respect des Coréens mais fait aussi craindre des abus. Samsung est puissant et sans doute trop pour se conformer aux lois. Les gouvernants sont conscients que de la santé de Samsung dépend celle des finances publiques. En 2009, le dirigeant qui est également la plus grosse fortune du pays, est plongé au cœur d’un scandale mêlant corruption et fraude fiscale, bien qu’il soit condamné à la prison avec sursis, le gouvernement coréen décide de l’amnistier pour ne pas salir l’image de la marque -et de surcroît celle du pays – en vue de favoriser la candidature olympique. Kim Yong-Chull est un ancien avocat chez Samsung, qui a démissionné du groupe écoeuré par les pratiques illégales et non éthiques dont il prétend avoir été le témoin et même l’acteur. Il dénonce, dans Thinking Samsung, un livre paru en 2007, les abus de la corruption à grande échelle pratiquées par Samsung. Qualifié de « fiction » par le groupe, la presse coréenne ne couvre que très peu sa sortie car rappelons que Samsung bénéficie du plus gros budget publicitaire du pays. « Il n’existe pas dans les autres pays développés un exemple pareil d’emprise sur la société et sur l’opinion » « grâce à ses profits gigantesques, Samsung exerce son influence partout : sur les hommes politiques, l’administration, les médias, et même les 12
Samsung, l'oeuvre d'un entrepreneur hors pair, Byung Chull Lee, Economica, Rang-Ri Park Barjot, 2008
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universitaires, sans compter les juges et les procureurs » dénonce Kim Ky Won un professeur de la Korea National Open University. Dès lors, l’enjeu pour l’avenir de Samsung est de se réformer et s’adapter. Samsung reste la fierté du peuple coréen malgré la corruption et le suicide d’un vice-président du groupe qui peut illustrer les difficiles conditions de travail au sein du groupe exigeant. Il existe donc des excès inévitables de par la situation où, un seul groupe voire une seule famille, contrôle à ce point les richesses économiques d’un pays. Mais la force de Samsung réside dans sa vitesse extraordinaire d’exécution fournie par le travail acharné des coréens. Le chaebol exige de ses employés un dévouement hors norme. L’auteur du livre Sony vs Samsung, Chang Sea Jin13, expose le dilemme auquel Samsung serait aujourd’hui confronté. Maintenir l’organisation verticale qui lui a permis de s’adapter à la demande et résister aux crises ou bien se transformer radicalement pour favoriser la créativité moteur de la croissance de demain ? Si tous les chaebols sont connus pour la pression qu’ils exercent sur leurs employés, le cas de Samsung est particulier. En effet 30 % des nouveaux employés démissionnent au bout de trois ans selon Chang Sea-jin.14 Seuls ceux qui réussissent à s’adapter à la « culture Samsung » résistent. Cependant, les jeunes diplômés sud-coréens continuent de se bousculer aux portes de Samsung attirés par les hauts salaires et le prestige toujours intact de l’entreprise. Samsung possède tous les moyens de gérer son avenir et conserver son statut de leadership mondial dans les années à venir mais il doit dès lors se réformer et anticiper le futur. Lee Kun Hee semble l’avoir déjà compris et écrit sur son compte Twitter en mars 2010 : « Dans dix ans, la plupart des produits qui font la force du groupe auront disparu ».
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Sony vs Samsung: The Inside Story of the Electronics Giants Battle For Global Supremacy. Sea-Jin Chang, Wiley, 2008 14 Sony vs Samsung: The Inside Story of the Electronics Giants Battle For Global Supremacy. Sea-Jin Chang Wiley, 2008
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III/ Faut-il envier le modèle sud coréen ? Evrard Lenoir et Christophe Seltzer
Samsung apparait aujourd’hui comme un modèle extrêmement enviable comme nous l’avons vu. Mais cette entreprise est avant tout une multinationale de haute-technologie comme il en existe de par le monde, spécialement en Occident. Elle ne semble pas être un « modèle sud-coréen » d’entreprise à proprement parler, mais plutôt l’attribut d’une puissance asiatique nouvelle d’envergure mondiale qui a su intégrer les principes du libéralisme. Dès lors, que vaut un « modèle sud-coréen », qu’il soit économique, ou managérial ?
Pour une remise en cause de l’idée de « modèle sudcoréen » au sens d’un développement économique classique
Alain Delissen, directeur de l’Institut d’études coréennes au Collège de France, directeur adjoint du centre de recherches sur la Corée à l’EHESS et directeur d’études à l’EHESS, conteste le fait qu’il existerait un « modèle » sud-coréen, notion qui selon lui a peu de sens.15 Les économistes se sont extasiés devant une croissance extrêmement rapide, presque miraculeuse de la Corée. Pourtant, ce serait pour Alain Delissen, une perception faussée. La Coré avait dès la fin du XIXème siècle absorbé des nouveautés depuis la fin du XIXème siècle. Elle s’était déjà modernisée. Par ailleurs, elle hérite d’un appareil bureaucratique et d’une rationalité administrative qui remontent à beaucoup plus loin que notre modernité occidentale. Ce que les économistes font débuter aux années 1960, date de l’essor de l’économie sudcoréenne puise ses origines dans un développement qui précéda la Seconde guerre mondiale depuis des siècles. Si la Corée ne part de rien en 1945, c’est à cause d’une guerre qui la ruinée. Mais comme l’Allemagne de l’ « année 0 », la Corée du Sud qui va se développer a déjà évolué auparavant. Elle est ruinée mais ne part pas de rien. Elle a du reste était moins ruinée que la Corée du Nord, et elle va mettre à profiter tous les facteurs de développement qu’elle avait développés dès la fin du XIXème siècle autant que les traits de civilisation qui lui viennent de périodes reculées. Le capital injecté par les Etats-Unis, le Japon ou encore les grands organismes internationaux n’aurait été d’aucune utilité si un capital culturel ne préexistait pas depuis plus d’un siècle, si le capital savant et scolaire détenu par les sages n’était pas reconnu comme éminemment 15
Interview d’Alain Delissen en annexe
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respectable socialement, si l’Etat n’avait pas eu une culture de l’effort et de l’encadrement propice à la volonté de redresser le pays. Le développement de la Corée du Sud renvoie à son idiosyncrasie qui fait d’elle un pays ne ressemblant à nul autre.
Le «modèle social » en question On a pu parler du « sacrifice » du modèle social à l’endroit d’un développement économique fondé sur l’investissement plus que sur la consommation notamment, où les populations auraient été mises à rude épreuve pour atteindre aujourd’hui une situation enviable dans le monde. En réalité, pour Alain Delissen, cette vision des choses est extrêmement biaisée. Encore une fois, disant cela, nous présupposons un modèle social un peu universel, le modèle social français en particulier sans voir que la question ne se pose pas en ses termes en Asie, et en particulier en Corée du Sud Pour Alain Delissen, il est plus pertinent d’évoquer à cet endroit la longue expérience historique propre à la Corée du Sud, le souvenir de la perte d’indépendance, de la colonisation, de la Seconde Guerre mondiale, de la guerre civile… Toutes ces épreuves ont entrainé une résilience des Sud-Coréens, qui, ayant tout perdu, se sont fondus dans une plasticité pratique à toute épreuve. Il y avait une volonté de reconstruire une prospérité, volonté qui voit son terme, aujourd’hui encore, dans la ferme perspective de pouvoir un jour voir la Corée réunifiée. Le trauma historique a rendu les acteurs sociaux de la Corée du Sud très mobiles, en tension vers l’avenir. Derrière l’idéologie de la raideur perceptible dans un discours toujours mettant en avant les traits historiques et culturels, la culture traditionnelle, on comprend la réalité d’une plasticité sociale tout à fait favorable au capitalisme en particulier. En somme, nous sommes dans une dimension assez antithétique avec la rhétorique européenne, très libérale d’un continent qui reste inexorablement attaché au passé, qui s’y réfère toujours, dans une perspective très immobiliste.
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Le modèle sud-coréen est-il un modèle d’avenir ? Le modèle sud-coréen constitue-t-il un modèle durable, capable de constituer une référence économique et sociale planétaire pour les décennies à venir, notamment dans les pays en voie de développement ? Alain Delissen remet précisément en cause cette idée de modèle comme nous l’avons vu plus haut. Cependant, il ne nie pas le fait que la Corée du Sud constitue une société d’avenir qui pèsera de plus en plus à l’échelle internationale. En effet, ce pays est orienté vers l’avenir et dispose d’une forte culture étatique. La société est très tournée vers le libéralisme ce qui favorise son ouverture vers les marchés mondiaux, sans pour autant lui épargner les inévitables inconvénients que ce choix peut supposer. Mais leur trait caractéristique majeur est de « regarder vers l’avenir », chose qui semble moins évidente aux yeux de certains pour ce qui concerne les puissances « traditionnelles » comme les Etats-Unis ou l’Europe Occidentale. De ce fait, la Corée du Sud serait une « valeur montante », chef de file de la « nouvelle génération » des grandes puissances mondiales. Alors la Corée du Sud peut-elle étendre son influence sur différents endroits du globe, constituer une référence en matière de développement économique pour certains pays, et ce pour longtemps ? Cette tendance semble s’être bien amorcée, notamment au sein du continent africain, avec l’exemple des récents accords de coopération signés entre la Corée du Sud et la République Démocratique du Congo, qui compte bien profiter du savoir-faire sud-coréen en matière d’économie et d’industrie, pour accroître son développement intérieur et s’ériger en pionner du « renouveau africain ». Ainsi, le 8 juillet 2011, les chefs d’Etat coréen (Lee Myungbak) et congolais (Joseph Kabila) ont signé à Kinshasa (Congo) quatre accords de coopération dans lesquels la République de Corée du Sud s’est, notamment, engagée à apporter son expertise à la RDC en matière d’évaluation des ressources pétrolières et d’organisation du système de stockage et de distribution. Au cours de cette journée, le président congolais a exprimé sa ferme volonté d’accélérer le développement économique de la République Démocratique du Congo et émis le souhait de partager l’expérience du développement économique de la République de Corée. De son côté, le président coréen a salué son homologue congolais pour cette ferme volonté en vue du développement de la RDC et a exprimé le souhait que la République de Corée accompagne la République Démocratique du Congo dans ses efforts afin de consolider l’amitié constante entre les deux pays. Les discussions entre les deux chefs d’Etat ont également porté sur les moyens de renforcer la coopération réelle entre les deux pays dans l’ensemble des domaines tels que l’élaboration d’un plan national de développement stratégique, la coopération pour le développement, la construction des infrastructures, la mise en valeur des ressources, le commerce et les investissements ainsi que les échanges culturels pour approfondir davantage les relations coréano-congolaises. Dans l’objectif d’accompagner la RDC dans l’élaboration d’un plan national de développement stratégique, la Corée du Sud s’est engagée à partager son expérience 29
de développement économique, notamment dans le domaine de la gestion des finances publiques, y compris la fiscalité, et la formation des ressources humaines. Ces accords ont marqué un signal fort pour les entreprises sud-coréennes et congolaises, qui vont maintenant pouvoir coopérer ensemble, échanger leurs stratégies, s’implanter mutuellement dans les deux pays pour faire prospérer cette nouvelle entente essentiellement économique. Tout cela témoigne de la popularité du modèle économique et socio-culturel coréen sur le continent africain notamment. Ce modèle a une image d’avenir et de fait suscite l’espoir. Ce qui conduit de nombreux chefs d’Etat soucieux de développer leur pays, à l’image du président congolais, à intensifier les relations bilatérales avec la Corée du Sud. Bref, on le voit, l’exemple congolais prouve que la valeur d’avenir du système coréen ne semble plus à prouver dans les pays en quête de modernisation et de progrès. Et certains spécialistes soutiennent cette impression comme le professeur Jin Park, directeur du centre pour la recherche, coopération et connaissances à l’Institut international de l’Administration publique et Management de Séoul, selon qui les pays d’Afrique pour se développer doivent s’organiser autrement, notamment en comptant sur l’aide des pays en passe de devenir des puissances de premier plan comme la Corée du Sud. Pourtant, d’autres spécialistes comme Alain Delissen là encore, sont beaucoup plus sceptiques quant à ce soi-disant succès incontestable de l’exportation du « modèle » sud-coréen. Selon Delissen, non seulement la notion-même de « modèle » n’existe pas, mais la Corée du Sud ne peut en plus pas constituer une référence claire et indiscutable dans les décennies à venir. Cela s’explique par le fait que chaque pays a ses particularismes, ses propres coutumes, sa propre économie, et que par conséquent il semble difficile pour une nation étrangère d’imposer son style économique et industriel au sein d’une autre façon de fonctionner, aussi séduisant soit-il. C’est pourquoi selon Delissen, l’adaptabilité d’un pays à un autre est un leurre. Il n’est pas possible d’envisager que plusieurs autres pays se développent selon l’exemple sud-coréen dans le futur, à l’image de ce qu’est en train d’essayer de réaliser la République Démocratique du Congo. Mais selon le spécialiste, l’exemple congolais ne démonte en rien sa théorie puisque qu’il n’y voit qu’une opération de « marketing », destinée à « vendre » un « modèle » à un pays africain pour élargir le marché extérieur de la Corée et ainsi réunir plus de fonds pour le géant asiatique. C’est pourquoi il se montre très critique envers le professeur Jin Park notamment, qu’il accuse de dissimuler un tout autre objectif derrière une volonté apparente de contribuer au développement africain. Delissen affirme qu’il est illusoire de penser que cette opération fonctionnera réellement, puisqu’en fin de compte, elle ne bénéficiera pas réellement à celui pour qui elle avait été prévue. Pour autant, il ne nie pas le fait qu’en dépit de ces moyens et objectifs affichés contestables, cette situation prouve que de plus en plus, un nouveau marché économique bilatéral est en train de se constituer, entre l’Asie et l’Afrique. Fait plutôt rare, l’Europe et les Etats-Unis, puissances historiques, ne parviennent plus réellement à imposer leur influence dans ce qui semble être une nouvelle donne des relations et échanges économiques et industriels. On le voit, le cas du « modèle » sud-coréen et la question de sa durabilité divisent. Si sa capacité à s’exporter à l’international peut sembler contestable dans une certaine mesure, force est de 30
constater que la Corée du Sud est bien une puissance en grande expansion, puissance qui devrait bientôt jouer les tout premiers rôles dans le concert économique mondial, en atteste sa progressive émancipation dans les transactions vis-à-vis des grands acteurs économiques mondiaux traditionnels.
La culture managériale sud-coréenne, une culture particulière et exemplaire ? Samsung est emblématique de la réussite économique comme managériale de la Corée du Sud. On pourrait donc penser a priori que la culture d’entreprise qui y règne doit être particulière, propre à la Corée du Sud. Nous avons tenté de contacter Samsung Electronics en région parisienne sans succès. Pourtant, Samsung est un peu un « séquoia qui cache la forêt » explique Alain Delissen. Le tissu économique des petites entreprises est très développé, les PME constituent un objet d’étude très intéressant. En réalité, il n’y a pas de grande spécificité sud-coréenne dans la réussite de Samsung. Cette dernière entreprise, puissant conglomérat, est née du hasard de l’agencement des créneaux économiques. Finalement, entre Apple et Samsung, il n’y a pas de grande différence. En définitive, la Corée du Sud est bien un pays d’avenir. Elle l’est par son désir d’avenir car audelà du discours très centré sur les traditions, la Corée du Sud n’a pas peur de se moderniser. Elle épouse parfaitement la nouvelle donne de l’économie mondialisée, les mutations qui se présentent sans cesse. La Corée du Sud parait beaucoup mieux s’adapter au libéralisme que les pays européens. On peut bien sûr se demander si des revendications sociales ne pourraient pas naître. Mais il faut toujours prendre garde de ne pas raisonner dans un paradigme proprement occidental qui n’est de fait pas celui de l’Asie, raison pour laquelle notre regard porté sur ce continent en pleine expansion est très souvent biaisé.
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Conclusion Isabelle Bergheaud et Christophe Seltzer La Corée du Sud véhicule par sa culture – héritière de l’influence du confucianisme et de la colonisation japonaise – un modèle favorable au développement économique. Ainsi, pendant la seconde moitié du XXème siècle qui a suivi la guerre de Corée de 1950 à 1953, le pays s’est hissé au rang de 1er dragon d’Asie, et s’affirme aujourd’hui comme une vraie puissance économique au plan mondial. Le « chaebol » Samsung, fleuron de l’économie sud-coréenne, illustre par son management et son statut international la concrétisation de ce « modèle » sud-coréen. Toutefois, la notion de « modèle » porte à controverse comme l’a souligné Alain Delissen dans l’interview qu’il nous a accordée. En effet, ce terme reste ambigu quant à sa définition. Au demeurant, la culture coréenne ne saurait à elle seule expliquer la réussite économique du pays, puisque Samsung est in fine plus l’illustration d’une structure libérale typique d’une multinationale tournée vers l’industrie de hautes technologies, qu’une structure proprement coréenne. Les similitudes entre Samsung et Apple, par exemple, sont significatives : culture du secret, l’entreprise considérée comme une seconde famille par les employés, etc. Parler de management coréen, à proprement parler, c’est en fait céder à l’exotisme asiatique dans la mesure où le mangement coréen se tourne plus vers un modèle libérale occidentale que vers sa propre culture traditionnelle. La Corée du Sud se caractérise en fait par sa capacité à regarder toujours vers l’avenir tout en conservant un discours idéologique apparemment traditionnel. Elle a compris qu’elle ne pouvait se construire une place sur la scène économique mondiale qu’en s’inscrivant dans le sillon du modèle libéral, mais cela implique aussi qu’elle est désormais à la merci des fluctuations de ce marché. La Corée du Sud manifeste à l’instar des grandes puissances asiatiques une ferme volonté d’aller vers l’avenir tout en ne reniant pas les traumas historiques qui précisément sont constitutifs de cette volonté tenace. A contrario les pays du vieux continent, qui sous l’apparence de la modernité qu’ils auraient amené et conduiraient, ne lassent pas de regarder en arrière et de s’installer dans l’immobilisme. La Corée du Sud s’accommoderait donc mieux au libéralisme que nous, elle nous interroge donc avec gravité sur l’idée que nous nous faisons de notre importance civilisationnelle. La Corée du Sud est sinon un modèle particulier, surtout un exemple pour le paradigme libéral. Un exemple qui contient ses avantages, et ses inconvénients.
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Remerciements
Nous remercions Claire Cotentin, Responsable du séminaire de recherche appliqué, pour avoir encadré notre travail. Nous remercions également Alain Delissen, Directeur de l’Institut d’études coréennes au Collège de France, Directeur adjoint du centre de recherches sur la Corée à l’EHESS, Directeur d’études à l’EHESS, Membre des « Editorial Boards » de European Journal of East Asian Studies, et Korean Studies –, pour nous avoir accordé une interview au Collège de France.
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Bibliographie
Encyclopédie Microsoft Encarta 2007, article « Corée » Alain Delissen, « La Corée perle de l’empire », L’Histoire, n°333, 2008 Reportage « Un œil sur la Planète : la Corée du Sud », diffusé sur France 2 le 3 janvier 2011 Rang-Ri Park Barjot, Samsung, l'oeuvre d'un entrepreneur hors pair, Byung Chull Lee, Economica, 2008 Sony vs Samsung: The Inside Story of the Electronics Giants Battle For Global Supremacy. Sea-Jin Chang, Wiley, 2008
Les Coréens, Pascal Dayez-Burgeon, Tallandier, 2011 www.samsung.fr Hartmut O. Rottermund, Alain Delissen, François Gipouloux,
Claude Markovits, Nguyên Thê Anh, L’Asie Orientale et Méridionale aux XIXe et Xxe siècles – Chine, Corée, Japon, Asie du sud-est, Inde, PUF, nouvelle clio, 1999
www.oecd.org Sony vs Samsung: The Inside Story of the Electronics Giants Battle For Global Supremacy. Sea-Jin Chang, Wiley, 2008
Samsung, l'oeuvre d'un entrepreneur hors pair, Byung Chull Lee, Economica, Rang-Ri Park Barjot, 2008
Rang-Ri Park Barjot, Samsung, l'oeuvre d'un entrepreneur hors pair, Byung Chull Lee, Economica, 2008 La Corée du Sud, un nouveau modèle de la « nouvelle économie », Christian Milleli, les études du CERI, n°98, septembre 2003
B. Cova et B.Pras : Que peut-on apprendre du management asiatique ?, centre de recherche DMSP, cahier n°223, octobre 1993
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Annexes Grade : 1ère année - L3 Pôle d’enseignement : « Économie, entreprises et secteur public » Matière : Les réalités de l’entreprise Date de la soutenance : mercredi 15 février
SUJET « Le modèle sud-coréen, un modèle d’avenir ? » Correspondant du groupe : Isabelle Bergheaud Membres du groupe : - Isabelle Bergheaud - Evrard Lenoir - Michaël Rameil - Christophe Seltzer - Jérémy Visage
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Sommaire -
DELISSEN, Alain L’Histoire, n°333 (2008) « La Corée, perle de l’Empire » …………...p.3 BIDET, Eric, Corée du Sud : économie sociale et société civile, 1997 Le MondeEditions…………………………………………………………………………….……... p.5 THUDEROZ Christian, Histoire et sociologie du management, 2006 Ed. Presses polytechniques et universitaires romandes, ………………………………………………. p.7 Décryptage de l’interview avec Alain Delissen, le 30 janvier 2012, Collège de France……………………………………………………………………………………….p.11 B.COVA, B. PRAS , « Que peut-on apprendre du management asiatique ? » Centre de recherche Dauphine Marketing Stratégie Prespective, Cahier n°223, octobre 1993………p.13 MILELLI, Christian, « La Corée du Sud, nouveau modèle de la nouvelle « économie » ? », Les études du CERI n°98, septembre 2003………………………………………………...p.35
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L’Histoire, n°333 (2008) « La Corée, perle de l’empire » par Alain DELISSEN
Au XIXème siècle, la Corée était une entité politique et culturelle singulière bien qu’influencée par la voie confucéenne. Mais le Japon, qui prônait un impérialisme japonais – c’est-à-dire l’idée selon laquelle les grandes nations ont vocation à exercer leur tutelle sur les plus faibles, « colonisé ou être colonisé » – regardait avec envie la péninsule coréenne. Dès 1876, un traité (traité de Kanghwa) impose aux ports coréens de s’ouvrir de façon avantageuse aux Japonais. Ce traité marque le début de la présence japonaise en Corée. Si la Corée intéresse le Japon, hormis pour les raisons impérialistes citées ci-dessus, c’est que la Corée est dotée d’une position géographique intéressante notamment lors des guerres de 1894 – 1895 entre la Chine et le Japon et de 1904 – 1905 entre la Russie et le Japon, qui se sont par ailleurs soldées par deux victoires japonaises. L’ère Kwangmu (1897 – 1905) est l’ère dite de modernisation coréenne. Or, cette période fut entravée par l’ingérence japonaise au niveau commercial, militaire et migratoire. La Corée tenta de résister contre la dominance japonaise, en vain. En 1910, le Japon annexe la Corée en parlant de « fusion ». Le Japon défend pour ce faire une « originelle parenté raciale des deux peuples » (Japon et Corée). « Le Japon promet d’accueillir un peuple cadet sous le toit moderne d’un aîné bienveillant ». Dans les années 1930, les « Naissen ittai ! » fusent (« Japon-Corée, un seul corps »). La Corée accueille alors 900 000 Japonais, une politique d’assimilation est mise en place (dôka). Les Coréens, quant à eux, amorcent la résistance. Le 1er mars 1919, des manifestations pacifiques réclamèrent l’indépendance de la Corée, elles furent violemment réprimées. Dans les années 1920, le climat s’adoucit par une harmonisation entre les deux peuples («nisen yûwa »), puis, une planification économique de guerre promeut la Corée au rang de semi-périphérie industrielle. La Corée reçoit à cet égard es capitaux et équipements japonais. [Washigton épargne la Corée des bombardements alliés lors de la Seconde guerre mondiale] 40’s : « génocide culturel » → les Japonais imposent leur culture aux Coréens e veulent éteindre la leur. 1945 : indépendance de la Corée 3
1950 – 1953 : guerre de Corée, qui permet en outre une déjaponisation du pays.
La mémoire collective coréenne est marquée par des années de tutelle japonaise qui ont persécuté la culture coréenne. Nonobstant, la Corée tente de se rapprocher à nouveau du Japon, notamment dans une optique commerciale. De plus, cette période historique difficile est nommée par les Coréens eux-mêmes « modernité coloniale ».
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Corée du Sud : économie sociale et société civile : Eric Bidet L'économie coréenne, classée aujourd'hui parmi les trente premières puissances mondiales, se situait en 1955 « au même niveau que le Cameroun sur l'échelle du développement » 1955 : La Corée sort d'une guerre civile. C'est seulement à partir des années 60 que l'économie sud-coréenne entame une croissance irresistible. Trois grands facteurs explicatifs Des relations particulières avec les États-Unis et la Chine Des choix pertinents de l’État en matière de politique économique facteur culturel explicatif : le Confucianisme Les appellations utilisées pour qualifier le modèle Sud Coréen : Capitalisme d’État Capitalisme familial La Corée a adopté le mode d'organisation de type « Zaibatsu » -) Holdings très puissantes sous contrôle familial Elle a en outre reçu l'aide financière et technologique des États-Unis, en échange d'un engagement anti-communiste Au plan macro-économique, la tradition confucianiste a activement contribué à la croissance : Elle favorise l'éducation. Elle favorise une main d’œuvre disciplinée car elle met l'accent sur le strict respect de la hiérarchie et de l'ordre Il a aussi contribué à la formation du capitalisme d'Etat : - centre unique - importance de l'administration Les chaebols sont en effet de vastes conglomérats multi-activités sous contrôle majoritairement familial. Le confucianisme favorise un lien entre Père et fils ainé. L'atmosphère de l'entreprise se veut familial : Cumings ( 1997 ) : « Les dirigeants des conglomérats passent beaucoup de temps à convaincre leurs employés qu'ils font partie d'une même famille » 5
L'intervention constante de l'Etat dans les affaires économiques est en contradiction avec les thèses néo-libérales qui dominent aujourd'hui. Limite : un haut degré de corruption Le capitalisme coréen s'est construit dans le cadre d'une étroite collaboration : armée, administration, affaire. L’État a constamment orienté l'économie depuis 40 ans dans la direction qu'il souhaitait en accordant ses faveurs à un petit nombre d'entrepreneurs « amis » les chaebols. Le développement choisi par l’État met en évidence une gestion très stricte des finances, une politique commerciale combinant mesures protectionnistes et incitations aux exportations. Doublée d'une politique industrielle et technologique de croissance pour l'investissement donnant successivement la priorité : A l'industrie textile ( années 60 ) A l'industrie lourde ( année 70 ) A l'industrie électronique ( année 80 ) Enfin la haute technologie et l'industrie de l'information ( année 90 ) S'intéresser à la politique de succession chez samsung. L'emprunt a été grandement facilité, le risque de l'entrepreneur à en outre été réduit à presque rien en raison de garanties implicites accordées aux entreprises fidèles, ce qui fut l'une des causes de la crise de 1998. Les entreprises ont pu s'endetter jusqu'à 400% de leur fonds propres. On parle aussi avant 1998 d'un gouvernement d'entreprise peu performant encourageant un capitalisme sans profit. Fin 1997, au bord de la faillite, la Corée du sud, a bénéficié d'une aide internationale, de 57 milliards de dollars. En échange le pays s'est engagé à respecter les instruction du FMI : Hausse des taux d'intérêt Politique d'austérité financière, monétaire et budgétaire Rendre plus flexible la main d'oeuvre Ouverture des principaux secteurs de l'économie encore protégée Parallèlement l'Etat met en place une politique massive de restructuration des chaebols. – Licenciement massif de l'ordre de 30% dans certains secteurs – L’État a aussi durci sa politique d'aide en cas de faillite. Un an seulement après avoir touché le fond, ( PIB en baisse de 6% ), la Corée renouait avec la croissance enregistrant un taux de croissance du PIB de 10% en 1999 et de 8,8 % en 2000 6
Fiche : histoire et sociologie du management
A.La rationalistation bureaucratique : Le Taylorisme : 1910 : Taylor et taylorisme : Pour Taylor l'accroissement de la productivité est une condition indispensable à la généralisation du bien-être : elle permet de meilleurs salaires pour les ouvriers, des bénéfices plus importants pour les patrons et, pour les consommateurs une baisse des prix. Mais la grande autonomie laissée aux ouvriers dans l'organisation de leur travail leur permet de se laisser aller à la flanerie naturelle. Il est donc nécessaire de décomposer le travail en éléments les plus simples possibles avec un temps d'exécution associé One best way : décomposer le travail, jusqu'à trouver la combinaison productive la plus efficace. La one best way permet aux techniciens de maîtriser la conception du travail mais aussi le temps nécessaire à sa conception. L'ouvrier est soumis à la logique du temps alloué. Le principe de Fayol : Fayol définit la fonction administrative en 5 points : – – – – –
« Prévoir » « Organiser » « Commander » faire fonctionner le personnel « Coordonner » « Controler »
Fayol défend aussi la prise de contact directe entre personnes de même niveau hiérarchique Ford et le fordisme : Avec la chaine, on passe du temps d'exécution imposé au temps d'exécution incorporé. La machine rythme le temps de travail.
B.Le temps des psychologue : Ecole des relations humaines : Comme toute organisation formelle génère une organisation informelle, il est impératif, pour 7
Mayo, de gérer la dimension affective de l'entreprise, c'est à dire de la canaliser dans un sens positif pour elle. Ecole des besoins et motivations : Le défi du dirigeant moderne est de faire prendre conscience au salarié de ses richesses cachées et lui offrir la possibilité de les exprimer sur les lieux de travail, en tablant sur la satisfaction de ses besoins d'estime et de réalisation de soi. Motiver le salarié implique donc de nouvelles formes d'Organisation du travail : – Job rotation : changer le travailleur de poste afin de lutter contre la monotonie et ses effets ( sans reconcevoir les postes de travail, ce qui la rend financièrement très accessible ). La polyvalence qui en découle, permet de faire plus facilement face à l'absentéisme et au turn-over. – Job enlargement : regrouper sur un poste de travail des tâches de même nature. Outre une plus grande diversité du travail, cela permet d'allonger les cycles de production. – Job enrichment. Despécialiser verticalement le travail. L'ouvrier ou l'employé se voit ainsi confier des tâches plus « nobles » telles que l'entretient, le réglage des machines ou le contrôle de la qualité, tâches que la rationalisation bureaucratique avait dévolue à des spécialistes ad hoc... Pour Herzberf, la despecialisation verticale du travail est la seule tâche intéressante, car l'addition de tâche sans intérêt ne crée pas une tâche intéressante. Au niveau de l'encadrement, l'Ecole des besoins et des motivations met l'accent sur la direction par objectifs. Délégation d'autorité aux cadres et plus grande autonomie. Ecole Socio-Technique Partir de l'organisation, conserver les deux composantes sociales et techniques de l'entreprise.
C.Le temps des consultants 1970-1990 : Le management participatif : L'idée d'un management « participatif » prend son origine dans les années 60, en Europe et en Amérique du Nord, lors des débats à propos d'une « démocratie industielle ». Au début des année 80, elle connaît un regain d'intérêt lié à une technique particulière : les cercles de qualité, mis au point par Kaoru Ishikawa. Dès 1962, il invite les contremaîtres japonais à réunir les ouvriers en petits groupes afin de leur enseigner les méthodes de contrôle de la qualité. A la même époque, en France, la « participation » des salariés est remise au goût du jour via les « Lois Auroux instituant entre autres, en 1982, les GED, Groupes d'Expression Directe, et les CAB, Conseils d'Atelier et de Bureau dans les entreprises nationalisées. Permet d'offrir au salarié un droit d'expression direct et collectif » Qu'est ce qu'un cercle de qualité ? – –
choix et définition du problème recherche des causes 8
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recherche des solutions possibles presentation de la solution retenue à la hiérarchie si la solution est retenue, mise en œuvre et suivi de celle-ci.
1984 : publication de l'ouvrage de George Archier et Hervé Sérieyx, L'entreprise du troisième type. Le reengineering : Apparu au début des années 1990, le « reengineering » est le titre d'un ouvrage, publié en 1993 aux Etats-Unis, signé par deux consultants : Michel Hammer et James Champy, et rapidement vendu à plus de 2 millions d'exemplaires.. Le reengineering est une démarche de changement : – fondamentale, car elle « commence par déterminer ce qu'une entreprise doit faire avant de dire comment elle doit le faire » Le processus est « le mot le plus important, c'est celui qui pose le plus de problème aux dirigeants d'entreprises. La plupart d'entre eux ne raisonnent pas en termes de processus : Ils se polarisent sur les postes, les tâches, les gens, les structures, mais pas sur les processus. Pour Hammer et Champy, l'amélioration des processus est le clé des succés futurs. C'est en reconfigurant transversalement l'entreprise, en dépassant les découpages fonctionnels usuels, que le reengineering générera des gains spectaculaires Il s'agit de supprimer ce qui apparaît comme superflu en recentrant le fonctionnement de l'organisation sur le client, en décentralisant les responsabilités et en externalisant les activités non prioritaires. Corporate culture : William Ouchi ; théorie Z, faire face au modèle japonais. – L'emploi est garanti à vie – Les buts de l'entreprise et la place de chacun sont clairs – L'intégration repose sur des valeurs communes, acquise au sein des groupes de travail – Le contrôle réside plus dans la pression de ces groupes de travail que sur des règles formelles – Les décisions sont prises collectivement, après des consultations formelles – L'évaluation est collective et les sanctions indexée sur les résultats de l'unité de travail Respecter trois qualités fondamentales dans les relations de travail : – La confiance : ( reconnaître la valeur des apports des salariés, posséder un langage commun, acquis au cours d'expériences communes de travail ) – La proximité : ( réduire les distances hiérarchiques entre supérieurs et subordonnés ) – La subtilité : ( éviter la lourdeur des règles formelles, favoriser les relations entre colllègues ) Emerge ainsi une véritable « ingénierie sociale », destinée à favoriser l'épanouissement, sur les 9
lieux de travail, de l'homme social. Dans la « boite à outils » des Relations Humaines figurent notamment : – Le système du couseling. Formé par des conseillers placés en-dehors de la ligne hiérarchique, visanr à permettre à chaque travailleur de « dire tout ce qu'il a sur le cœur et cela sans bouleverser d'autres personnes, ni gâter ses relations avec elle. » – Le sociogramme, organigramme dressant la carte des affinités sélectives. – La formation des manager au commandement participatif – La boîte à suggestion. – L'information – L'Enquête d'opinion
D.Contrepoint : Les mythes du management : 10 rôles du manager : un symbole un leader ( il recrute, forme, motive ) un agent de liaison un observateur un diffuseur un porte-parole un régulateur un répartiseur de ressource un négociateur Mintzberg suggère de faire des débriefing avec ses subordonnés, de prendre des week-end pour vider sa mémoire, voir loin et large, de gérer efficacement son temps, en déléguant et en forçant son agenda. Approches récentes : Le management doit s'adapter suivant la technique de production et l'environnement. Il doit s'exercer différement suivant qu'il s'agit d'une combinaison productive ou de la recherche et développement. Cette dernière doit pouvoir s'extraire de la hiérarchie. L'analyse sociologique de Hofstede montre qu'il existe des formes d'organisation de l'entreprise plus adapté au schéma mental de certaines populations que d'autres. ( ex : France : environnement de travail, hiérarchique et sécuritaire. )
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Décryptage interview de M. Alain Delissen Directeur de l’Institut d’études coréennes au Collège de France, Directeur adjoint du centre de recherches sur la Corée à l’EHESS et Directeur d’études à l’EHESS. 1/ Dans plusieurs d’articles que vous avez publié sur la Corée du Sud, vous indiquez l’influence du modèle chinois (en particulier le confucianisme) et du modèle japonais. Le modèle coréen est-il un modèle hybride du modèle japonais et chinois ou bel et bien un modèle à part entière ? Selon Alain Delissen, la Corée, avant d’être un « modèle », est un pays à part entière. Ce n’est pas non plus, un mixte entre la Chine et le Japon. Si forcément il existe des échanges, des influences avec ses voisins, la Corée n’est en rien un hybride entre les deux pays et s’impose comme un pays à part entière. En ce qui concerne, le confucianisme, il est comparable à « ce que peut être le christianisme en France », il ne peut pas tout expliquer de ce qu’est la Corée du Sud. Le terme de « modèle » pose problème à M. Alain Delissen car il estime que cela implique des comparaisons, des jugements de valeurs et que c’est une notion trop vague. 2/ Quelles sont concrètement les relations de la Corée avec le Japon aujourd’hui? Alain Delissen explique que les deux pays possèdent une histoire très conflictuelle, cependant aujourd’hui, leur relations sont en fait assez assimilables à celles que peuvent entretenir des voisins comme la France et l’Allemagne qui eux aussi ont eu une histoire difficile. La Corée a souffert de l’impérialisme et du nationalisme mais aujourd’hui les rapports sont dans l’ensemble « pacifiés ». En fonction de l’alternance politique en Corée, les relations évoluent, en effet, sous la gauche coréenne la politique est davantage axée sur une collaboration régionale mais depuis cinq ans, la droite au pouvoir ralentie cette politique même si les rapports restent globalement bons. 3/ Avec la Chine ? D’après Alain Delissen, la Corée du Sud profite de l’expansion économique de ses voisins. La Corée est un petit pays par rapport à la Chine qui l’a souvent considérée comme une « périphérie ». Il n’y a jamais eu d’impérialisme chinois sur le pays, jamais d’ambition ou encore d’intervention. Lorsque la Chine devient communiste, les rapports se compliquent. Mais aujourd’hui on assiste à une « redécouverte » de la Chine d’aujourd’hui par les Coréens. La Corée du Sud est dépendante de ce qui se passe en Chine, par une sorte de « mono-addiction ». Leurs liens économiques sont spectaculaires. Plus que des échanges de produits manufacturés, il existe des flux humains importants. Les Coréens sont nombreux à apprendre la langue du pays avec lequel ils échangent beaucoup. 4/ Comment expliquer la réussite si rapide de la Corée du Sud sur le plan économique ? Selon lui, elle n’est pas si rapide que cela. C’est une question de perception. Il existe une « mythologie du développement sud-coréen » à nuancer. Dans les années 1960, le pays « re-part de très bas » après la guerre civile qui a déchiré le pays. Dans les années 1880 le pays n’était pas plus en retard que le Japon ou la Chine. La Corée s’est modernisée avec une à deux générations en retard par rapport à ses voisins mais au début du XXème siècle elle n’a pas à rougir de son développement. S’en suit l’impérialisme japonais et la transformation de la Corée en une « périphérie japonaise ». Donc le redémarrage n’est pas si rapide que cela, c’est le redémarrage d’un pays qui sort d’une guerre civile sanglante grâce aux capitaux financiers japonais, américains, et aux aides d’organismes tels que la Banque Mondiale mais aussi, grâce à un « capital endogène » déjà acquis avant la guerre.
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5/ Est-ce aussi un modèle social ? Encore une fois, l’idée d’un « modèle » social sud coréen n’a selon lui, pas plus de sens qu’un « modèle social français ». Dans les années 60, les Coréens vivent de manière épouvantable après la guerre civile. Cependant, ils investissent dans leur mutation, il faut tout reconstruire. Ce qui ressort chez les Coréens c’est leur mobilité, leur plasticité à côté de leur idéologie raide et traditionnelle. 6/ L’économie coréenne est-elle désormais à l’abri d’une crise ? (cf. crise des monnaie et financière de 1997) Selon lui, l’économie sud-coréenne n’est en rien à l’abri d’une crise, tout comme les autres pays du monde. La crise de 1997, les coréens l’appellent « la crise du FMI » pour s’en dédouaner. A cette date, les entreprises étaient en cessation de paiement, et le pays intoxiqué par la dette privée. Aujourd’hui, l’économie est trop liée à la croissance chinoise. 7/ Depuis la crise de 1997, la collusion entre État et entreprise a été dénoncé, pour autant la corruption a-t-elle vraiment disparu en Corée du Sud ? A son sens, la corruption n’est pas plus importante en Corée qu’elle peut l’être en France. Aujourd’hui l’Etat est un « nain dans le levier économique à côté des chaebols ». Mais l’Etat coréen malgré tout, conserve la capacité d’investir en masse dans des infrastructures, et dans de grands projets. Si la corruption est plus spectaculaire c’est parce que les politiques ont pour coutume d’être déjà des hommes très riches en Corée. 8/ Samsung est-il un chaebol qui résume à lui seul le modèle de réussite sud coréen ? Samsung, c’est l’histoire d’une marque, d’un homme et d’une situation avec une stratégie bien menée. Pas tous les chaebols ont réussi. Samsung ne peut pas expliquer ni illustrer le succès de la Corée. Il existe de nombreuses Petites et Moyennes Entreprises qui eux aussi contribuent à la base de l’économie coréenne. Samsung ne doit pas être « le séquoia qui cache la forêt de la vie économique coréenne ». 9/ Le professeur de l’école politique nationale et de management de Séoul, Jin Park a tenu une conférence à Kinshasa sur le thème : « Comment expliquer la réussite de l’économie coréenne aux Africains ? ». Pensez-vous que l’on puisse exporter le modèle sud coréen ? Il n’existe pas de modèle sud-coréen. Chaque pays a des particularismes et l’adaptabilité est un leurre. Alain Delissen se montre très critique envers Jin Park qui selon lui « cherche à vendre le modèle pour attirer des fonds ». 10/ Finalement est que l’on peut dire que le modèle sud coréen est un modèle d’avenir ? La Corée est un pays qui est orienté vers l’avenir et qui dispose d’une forte culture étatique. C’est une société libérale qui dispose également de faiblesse que cela peut supposer. Mais leur trait caractéristique majeur est de « regarder vers l’avenir », plus que les Français qui sont souvent qualifiés de « nostalgiques du passé ».
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QUE PEUT-ON APPRENDRE DU MANAGEMENT ASIATIQUE?
Au-delà des réflexions sur le management à la japonaise , peut-on considérer qu'il y a un management asiatique, ou au contraire doit-on parler d'approches différenciées, peuton en tirer certaines leçons? Telle est la problématique de cet article qui résulte de la session de 1992 du Séminaire Francophone d'Analyses Stratégiques Européennes. Ce séminaire lancé en 1987 par le Professeur Emerite Sylvain Wickham et qui réunit des chercheurs de divers pays européens, est coordonné par le Centre de recherche DMSP de l'Université Paris Dauphine et l'EAP, avec le concours de la FNEGE. Il fonctionne sur la base de sélection d'articles par les membres du séminaire et de débats autour de leur présentation. Les développements qui suivent n'ont donc pas pour objet de faire une analyse exhaustive du sujet mais plutôt de stimuler la réflexion à partir d'éléments issus de la discussion des textes présentés. ------------------------------------------------------------
Mots-clés : Apprentissage organisationnel, Asie, Management asiatique Ce cahier de recherche a été publié, dans une version révisée, dans la Revue Française de Gestion, N°103, Mars-Avril-Mai 1995, pp. 20-32.
WHAT CAN WE LEARN FROM ASIAN MANAGEMENT?
Beyond enthusiasm towards Japanese management practices, can we consider that it exists something we can call "Asian management"? Or shall we consider that we face a constellation of diverse management practices? In any case, the central question is "can we learn "? This paper develops the results of the 1992 session of the Séminaire Francophone d'Analyses Stratégiques Européennes dedicated to Asian management. This seminar was set up in 1987 by the Emeritus Professor Sylvain Wickham. It gathers researchers from different European countries. This seminar is jointly managed by the DMSP research center and the EAP with support from the FNEGE. It is based on a sampling of articles on a specific topic that are analyzed by the members of the seminar. This working paper does not want to be an exhaustive review of the literature but to be a stimulus for further research and discussion. ------------------------------------------------------------
Key Words: Asia, Asian Management, Organizational Learning A revised version of this working paper has been published in Revue Française de Gestion, N°103, March-April-May 1995, pp. 20-32.
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QUE PEUT-ON APPRENDRE DU MANAGEMENT ASIATIQUE?
Introduction Le management asiatique est un sujet important, souvent occulté en Occident au bénéfice de la construction européenne, ou réduit à sa composante japonaise. Pourtant, "autour de l'axe allant de Tokyo à Djakarta, c'est-à-dire le Japon, la Corée, Taïwan, Hong-Kong, les provinces chinoises de Guandong et de Fujian, le Vietnam, la Malaisie, Singapour et l'Indonésie, il y aura 600 millions de consommateurs à la fin de la décennie. Le taux de croissance à long terme de l'Asie de l'Est est de 7 à 9%, soit le double de celui du Japon. Considérées globalement, les entreprises nord-américaines sont en retrait dans la région. Les entreprises européennes, occupées par les nouveaux défis auxquels elles sont confrontées sur leur continent, n'accroissent pas leurs investissements dans la région proportionnellement à la croissance locale. A contrario, dans toute l'Asie de l'Est, les investissements des entreprises japonaises se poursuivent à un rythme accéléré" (Courtis, 1992, p. 13). Durant les années 1970 et 1980, les nouveaux pays industrialisés asiatiques -Hong Kong, Singapour, la Corée du Sud et Taïwan- ont connu une croissance impressionnante. A partir du milieu des années 80, cette croissance a commencé à se réduire suite à un certain nombre de phénomènes tels que le renforcement des monnaies ou l' augmentation du coût de la main-d'oeuvre. Il n'en reste pas moins vrai qu'entre 1987 et 1990, les investissements directs du Japon et de ces quatre pays dans les pays de l'ASEAN ont connu un taux de croissance annuel de 103%. Ce mouvement devrait se prolonger encore un certain nombre d'années. Il faut souligner les investissements massifs des dragons dans la région et un développement intra-asiatique de plus en plus fort. Par exemple, les investissements en Thaïlande sont représentés pour 50% par les investissements japonais, pour 25% par des investissements en provenance de Taïwan et de Corée et pour 25% par des investissements d'autres origines. En Corée et à Taïwan, les investissements faits à l'étranger dépassent les investissements locaux, pourtant très importants. Ces investissements vont vers les pays de l'Asean du fait entre autres de la proximité géographique et de la proximité culturelle. Le commerce intra-asiatique a augmenté de 20% par an pendant la même période.(1987 à 1990), ce qui représente presque deux fois le taux de croissance du commerce entre l'Asie et l'Amérique du Nord. Ceci est dû en partie à une augmentation de la division du travail dans les économies Asie-Pacifique. Le commerce intra-Asie va émerger comme un force d'entraînement de l'expansion commerciale dans les économies des pays d'Asie-Pacifique dans les années quatre-vingt-dix (Wu, 1991). Cette montée de la puissance économique asiatique et des échanges inter-asiatiques nourrit l'intérêt des chercheurs et praticiens occidentaux pour les pratiques managériales de pays tel que le Japon, bien sûr, mais aussi la Corée, Singapour, Taïwan et même la Chine. Dans les années 80, les entreprises comme Sony ou Toyota sont devenues les modèles à suivre pour les dirigeants occidentaux qui s'interrogent sur ce qu'ils pourraient apprendre des succès de Microteck à Taïwan ou de Sahavirya en Thaïlande, par exemple. Les chercheurs et consultants dissèquent un nombre croissant de rapports d'origine asiatique, rédigés en anglais, sur les évolutions des entreprises de ces pays, tel le récent et déjà fameux, "Management dynamism : a study of selected companies in Asia" (1991), édité par la Asian Productivity Organisation. Face à ces évolutions, on peutse poser un certain nombre de questions:
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-Peut-on parler de constantes dans le management asiatique ? -Y-a-t-il un type ou des types géographiques de management asiatique? -Peut-on apprendre du management asiatique et des modèles dominants ? 1. Constantes dans le management asiatique Penser aux constantes du management asiatique, c'est se pencher sur les constantes inter-asiatiques, perceptibles par des occidentaux, par rapport aux constantes européennes (Hirsch et Swierczek, 1993). Certaines constantes se retrouvent depuis les époques pré-industrielles ou dans le processus d'industrialisation au Japon, en Corée du Sud, en Chine: c'est, par exemple, le rôle de l'Etat. De façon plus générale, trois grands types de constantes peuvent être mis en évidence actuellement dans le management asiatique : les notions de familles et de réseaux, la notion de temps, et les capacités de remise en cause combinées à une conception holiste des choses.
1.1. Pré-industrialisation et processus d'industrialisation Comme le montre Whitley (1992), une des caractéristiques les plus frappantes des sociétés pré-industrielles japonaises, coréennes et chinoises est la remarquable longévité et stabilité de leurs civilisations et systèmes politiques comparés à ceux de l'Europe. La Corée par exemple a été unifiée en 668 avant Jésus Christ (Steinberg, 1989, Whitley 1992, p.219). Ces pays se développèrent de façon différente, relativement isolés les uns des autres, mais l'importance de la famille comme unité de base de l'identité sociale et de la fidélité (loyauté) est un trait crucial commun à ces trois sociétés comme cela sera présenté ci-après. On retrouve aussi comme points communs un système légal peu développé, subordonné aux élites politiques et à la classe politique dirigeante qui a pour corollaire une importance faible accordée aux contrats et accords formels. Ce manque de système juridique institutionnalisé dans les sociétés pré-industrielles japonaises, coréennes et chinoises a pour conséquence de placer les marchands dans une position subordonnée par rapport au pouvoir politique en Corée et en Chine ou par rapport au système d'autorité féodal au Japon; ainsi, il n'était pas possible dans ces sociétés de mobiliser du capital en dehors de l'Etat Un autre trait que partagent le Japon, la Corée et la Chine est la grande importance de l'éducation pour accéder à un certain statut, ce qui a conduit à des investissements élevés dans le domaine éducatif. Tout ceci illustre la position dominante de l'Etat dans ces sociétés; l'Etat s'est avéré être le seul agent économique capable de coordonner et stimuler le développement à une grande échelle. L'homogénéité des populations, la relation déférente à l'autorité ont renforcé ce phénomène, pris en main par les élites bureaucratiques. La faiblesse de la législation a renforcé encore l'importance des relations inter-personnelles et/ou familiales en matière de management. Excepté à Hong Kong, l'Etat a exercé un contrôle très fort sur les intermédiaires financiers depuis 1945 et s'est assuré qu'ils appuyaient le développement économique. En période de forte croissance, le contrôle du crédit permet à l'Etat d'exercer une influence directe sur les activités et choix des entreprises, même au Japon où les banques sont plus indépendantes de l'Etat que dans les autres pays. Enfin, le marché du travail s'est caractérisé pendant l'industrialisation par une forte segmentation, en particulier entre hommes et femmes, celles-ci fournissant une maind'oeuvre bon marché peu qualifiée (Deyo, 1989)
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Tableau 1 Traits communs de pays de l'Asie du Sud-Est pré-industrielle et de leur processus d'industrialisation Caractéristiques des sociétés pré-industrielles japonaises, coréennes et chinoises (a) longévité, isolement et homogénéité de chaque société (b) primauté de la famille (c) subordination du système légal (d) soumission des marchands à l'autorité (e) importance de l'éducation Caractéristiques des processus d'industrialisation au Japon, en Corée du Sud, à Taïwan et à Hong Kong (a) autonomie de l'Etat (moins à Hong Kong) (b) destruction de la classe des propriétaires terriens (c) élite bureaucratique prestigieuse (d) faible développement de la législation (entre autres de la législation du travail) (e) faible mouvement de main d'oeuvre (excepté au Japon pendant la deuxième guerre mondiale) (f) système financier de crédit dominé par l'Etat (excepté à Hong Kong) (g) marché du travail segmenté en particulier entre hommes et femmes) (h) faible développement de compétences poussées (en particulier des femmes)
Source: Whitley (1992, p.220)
1.2.-Notions de familles et de réseaux Si l'on s'intéresse aux modèles asiatiques, il faut élargir la notion d'acteur socioéconomique au-delà du modèle anglo-saxon traditionnel de la firme, avec des frontières précises. Même si la théorie des réseaux montre que l'entreprise n'est plus une île (Callon, 1989 ; Hakansson & Snehota, 1989) et qu'elle n'a plus de frontières (Campbell, 1991), elle reste l'acteur socio-économique de base aussi bien que le centre décisionnel dans l'environnement économique occidental. En Asie, au contraire, l'entreprise s'efface souvent comme centre décisionnel derrière une entité plus puissante, la famille, ce que l'on retrouve d'ailleurs parmi les expatriés chinois (Whitley, 1991, p. 128). L'Asie, et le Japon en particulier, se sont industrialisés (de Broucker, 1990) sans défaire les puissants liens sociaux; en ce sens les pays asiatiques n'ont jamais été modernes, et donc à fortiori postmodernes comme les sociétés occidentales actuelles: ils sont "transmodernes" (Berque, 1990). La firme n'est, dans ce cadre, qu'une "forme" importée qui ne remplace pas les autres structures sociales mais se fond en elles; le marché du travail n'existe pas (Campbell, 1991) car il n'y a pas interchangeabilité des individus pour une même fonction ("homo economicus") mais appartenance d'une personne à un groupe social avec lequel il travaille et vit. Cette appartenance peut paraître, à nous autres occidentaux, comme une énorme entrave. En effet, nous comprenons mal comment un asiatique peut être tant attaché à son entreprise car nous ne discernons que difficilement les liens sociaux inaltérables qui sous-tendent cet attachement. Notre référence est celle occidentale du sujet moderne par rapport aux groupes sociaux: contrairement au sujet asiatique, il est en permanence libre de nouer et de casser des liens plus instrumentaux que sociétaux.
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Les choses sont d'ailleurs en train de changer en Asie, à commencer par le Japon (Berque, 1990, p. 5 et 6). Bon nombre de japonais et d'observateurs mesurent la distance que le Japon a parcouru en se modernisant irréversiblement, en juxtaposant l'actuel au traditionnel, par recomposition le plus souvent, et par dénaturation dans de nombreux cas. De façon significative d'ailleurs, d'aucuns au Japon considèrent aujourd'hui que les entreprises nippones sont allées trop loin dans l'économique et qu'elles doivent se recentrer sur leur rôle sociétal (Hanada, 1991).
1.3.-Notion de temps C'est un lieu commun que de rappeler l'horizon de temps beaucoup plus long pris en compte dans le cadre de la mentalité et du management asiatiques. A titre d'exemple, on peut rappeler que les documents officiels des congrès en République Populaire de Chine portent sur des objectifs et des planifications à long terme. Ainsi, lors du XIIIème congrès, l'objectif affiché était de devenir la première puissance industrielle mondiale à un horizon de 50 ans tout en restant fidèle à terme à un système socialiste, même si la conjoncture peut amener parfois à s'en éloigner en apparence. Cet horizon temporel constitue une des caractéristiques importante de différenciation entre Occident et Orient. L'horizon plus court pris en compte dans nos sociétés occidentales conduit à mettre l'accent sur les systèmes instrumentaux de comptabilité et de contrôle, les conflits industriels sont plus forts et le progrès se fait souvent à partir de ruptures ; dans le contexte asiatique, on met plus en évidence l'aspect ressources humaines avec l'insertion de la personne, la recherche de l'amélioration continue, et la flexibilité (Usunier, 1992). Cette vision à long terme se traduit par exemple dans les stratégies de pénétration des entreprises japonaises sur les marchés de l'Europe de l'Est. Compte-tenu des difficultés en Europe occidentale et de l'endettement américain, les investissements les plus importants en Europe de l'Est, notamment dans le domaine des infrastructures, sont les investissements japonais et ceci pour plusieurs raisons. La première raison est liée au fait que les japonais sont les mieux armés financièrement malgré certains remous monétaires; la seconde est que le lien entre les Sogo Shoshas, les banques et les entreprises industrielles préparent particulièrement bien ces dernières à répondre à ce type de demande; la troisième -la plus importante- est qu'une entrée en Europe de l'Est constitue une future entrée en Europe de l'Ouest en cas de renforcement de mesures protectionnistes; il s'agit donc de mesures de long terme, typique d'une approche asiatique (Cutts, 1991).
1.4-Recherche de consensus, conception holiste, capacité de remise en cause On peut rappeler quelques distinctions bien connues sur les modes de prise de décision (Hirsch et Swierczek, 1993) . Des traits communs du management asiatique sont les décisions émergeant collectivement avec pour l'observateur occidental un certain manque de précision (comptabilité confidentielle), une coordination non explicite, l'art du compromis au sein de l'organisation; autant d'éléments que l'on peut opposer aux décisions individuelles, au modèle hiérarchique de nos sociétés occidentales. L'importance de la confiance accordée s'oppose aussi à la notion de contrat courante dans notre système. Les asiatiques n'aiment pas conceptualiser les situations, définir les statuts, exprimer les opinions. Les mots importent peu, rien n'est tout à fait vrai ou faux, bon ou mauvais, ce sont les ambiances qui comptent. L'équilibre est favorisé par l'ambiguïté et l'absence de paroles. Le "consensus" n'est souvent que le résultat d'une pression sociale, où le nonconsensus, c'est-à-dire le conflit, est vécu comme un drame social et non comme un DMSP 1993, B. Cova et B. Pras
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évènement banal et constructif. Il peut défaire les liens sociaux à tout jamais : alors qu'il est facile en Occident d'exprimer un point de vue contradictoire et d'arriver à une discussion "conflictuelle" dans le travail et les affaires, sans conséquence sur les liens sociaux, cela est extrêmement difficile en Asie et peut impliquer la rupture des liens sociaux, l'isolement complet de l'individu non seulement dans l'entreprise, mais aussi dans la communauté. Dans une société régie par les liens sociaux et non par les liens économiques, le non consensus est une violence psychique, violence évitée le plus possible en ne faisant pas perdre la face à autrui et même en lui "donnant de la face" si nécessaire pour éviter le non consensus. Ainsi, nombreuses sont les anecdotes où un Européen croit qu'il y a, au cours d'une négociation, consensus des asiatiques autour de sa proposition, et où il s'avère par la suite que les asiatiques n'agissent pas conformément aux propositions qu'il croyait approuvées. Ses interlocuteurs asiatiques n'avaient pas voulu lui faire perdre la face, c'est-à-dire son identité et sa qualité, en public. Par contre il peut aussi arriver que l'Européen soit exclu de fait de la société, de par sa qualité d'étranger à la communauté, et donc qu'il ne soit pas grave pour l'asiatique de lui faire perdre la face: n'ayant pas de liens sociaux, il n'est pas une personne au sens plein du terme, il n'a pas encore de "face" dans cette communauté; c'est ce que l'on rencontre, et tant qu'européen, dans la brutalité des négociations avec certains chinois. Cette recherche de consensus se retrouve dans une conception holiste des choses. Un pays comme le Japon peut apparaitre comme un pays d'harmonie et de paix où les conflits n'ont pas cours et ne viennent pas briser la marche continue vers le développement économique. Certains décrivent même la société japonaise comme un "tout harmonieux" dans lequel l'absence d'individualisme, le sentiment d'appartenance au groupe, la prise de décision collective effacent les conditions d'émergence du conflit. Pour eux, c'est le groupe et non l'individu qui constitue la cellule primitive du système social. Dans cette vision holiste, le Japon, comme tous les pays asiatiques, s'oppose à l'Occident et à la modernité qui caractérise nos pays. Au-delà de cette vision un peu candide, on peut dire que si les conflits et les frustrations ne sont pas absents des systèmes socio-économiques asiatiques, ils sont relégués à la marge et ne revêtent pas un rôle central comme dans les systèmes occidentaux; on peut penser aux conflits syndicaux notamment. Mais société holiste ne veut pas dire société immobile; au contraire, les pays asiatiques montrent de surprenants exemples de capacité de remise en cause et d'évolution rapide. Contrairement à l'acteur socio-économique défini par l'analyse économique et la sociologie des organisations occidentales, l'asiatique n'a pas comme postulat la réduction d'incertitude. Il crée au contraire en permanence une zone d'incertitude qu'il s'applique à lui-même. Si l'on ajoute un fort attrait pour le jeu qui conduit à un certain goût du risque, la capacité de remise en cause, comme celle d'apprendre (Warner, 1992) est souvent importante. Singapour constitue ainsi un cas exemplaire et correspond au passage classique du stade de pays industriel à celui de pays industrialisé (Wu, 1991), avec un très fort poids des services. La capacité de changement de Singapour est impressionnante car les bouleversements s'effectuent sur des périodes très courtes. En effet, Singapour s'oriente vers des activités à forte valeur ajoutée en se diversifiant vers des activités nouvelles (biotechnologie, microélectronique par exemple) et vers les services (transport, services financiers et marché financier, localisation de sièges de multinationales). Ceci nécessite une infrastructure de tout premier plan en matière de communications, de transport, de personnel anglophone de qualité. Cette évolution entreprise sur une dizaine d'années passe par l'éducation et la formation et donc la mise en oeuvre d'un "processus éducatif" très important et nécessite la mobilisation de toutes les énergies.
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Ces points sont communs aux diverses cultures asiatiques. Mais sur ces dimensions et sur les processus de fonctionnement organisationnels, sur les stratégies et les caractéristiques des managers, peut-on parler d'un ou de plusieurs management asiatiques ? 2. Management asiatique : vers une opposition Chine/Japon? On découpe généralement la région Asie-Pacifique de la façon suivante : -ASEAN -Indochine -Les dragons: Corée, Taïwan, Hong Kong, et Singapour qui fait à la fois partie des pays de l'Asean et des dragons -La Chine et son bassin -Le Japon et sa zone (qui commence à pénétrer le Vietnam, qui se développe en Mongolie et en Chine) -La zone Asie-Pacifique et la Californie
Les zones d'influence sont complexes : on rappellera les relations étroites entre Chine d'une part et Taïwan, Hong-kong et la Corée, la zone Japon-Corée d'autre part, avec certains traits culturels communs. De 1970 à 1985, les ressemblances entre le Japon et les dragons portent sur la très forte croissance du PNB, le fort niveau d'investissement, les différences étant essentiellement un interventionnisme étatique plus fort dans le cas du Japon et un coût de la main-d'oeuvre encore relativement faible dans le cas des dragons. Les quatre dragons s'intégrent de plus en plus à l'économie japonaise en étant de plus en plus complémentaires. On peut parler d'intégration verticale croissante depuis 1985. Mais nul n'ignore les différences entre Chine et Japon, le premier avec sa zone d'influence politique et commerciale et le second sa zone d'influence économique. "La coordination entre le pouvoir économique du Japon et le pouvoir politique de la Chine renforcerait la position des deux pays (....). Cependant une analyse historique amène à être très prudent quant à la possibilité que ces deux puissances puisseny développer un ensemble de visions communes sur lesquelles appuyer leur désir de coopération" (Chih-yu-Shih, 1989, p.190)
Afin de caractériser les styles de management asiatiques, il apparait intéressant de regarder les différences organisationnelles, les différences individuelles et les différences stratégiques. 2.1.- Différences organisationnelles et styles de management Les liens personnels, particuliers et diffus entre les entreprises familiales à Taïwan, Hong Kong, et dans les communautés économiques chinoises sont importants de même que les alliances à long terme entre des entreprises japonaises. Néanmoins de nombreuses différences existent entre entreprises japonaises et chinoises, mais aussi entre celles-ci et entreprises coréennes par exemple (Tableaux 2 et 3), qu'il s'agisse de.leur rôle en tant qu'acteurs économiques, de leurs interconnections sur les marchés, ou de leur systèmes internes de coordination et de contrôle. Une excellente analyse des différences entre les entreprises asiatiques a été présentée par Whitley (1991) et est résumée dans les tableaux 1 et 2. Ces tableaux rappellent les caractéristiques des entreprises et de leur environnement.
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Au Japon, on peut parler de clan spécialisé avec les "kaisha". En Corée, il s'agit d'énorme conglomérat familial ou "chaebol" intégré verticalement et contrôlant un grand nombre de fonctions et d'activités à travers la hiérarchie et un style managérial directif. Les groupes taïwanais consistent en des réseaux informels entre entreprises basés sur des relations familiales, des joint-ventures, de l'assistance financière, etc. Ce sont des coalitions informelles plutôt que des systèmes hiérarchiques intégrés (Numazaki, 1989). Les entreprises chinoises seront des entreprises familiales moins intégrées verticalement que les conglomérats coréens. Les entreprises japonaises et chinoises sont moins auto-suffisantes (en terme d'intégration verticale que les entreprises coréennes) et se concentrent sur certaines étapes de la production (Orru et al., 1988).
La réponse vis-à-vis du risque diffère entre les entreprises. Les japonais s'appuient sur des niveaux élévés d'implication des employés et font fortement partager le risque aux sous-traitants et aux autres partenaires de l'entreprise, ce qui introduit la flexibilité. Les chinois pour leur part limitent leur engagement en restant relativement petit et en s'appuyant sur des réseaux d'obligations mutuelles avec les employés, les fournisseurs et les agents commerciaux. Ces obligations sont basées sur les rapports personnels et les réputations mais restent limitées et flexibles (Orru et al., 1988). La réponse au risque des entreprises coréennes repose sur l'intégration verticale et la diversification (Amsden, 1989) De hauts niveaux de spécialisation au Japon, à Taïwan et à Hong Kong impliquent des degrés de dépendance élevés vis-à-vis des acheteurs, fournisseurs et distributeurs. La relation avec eux est plus confiante au Japon -avec un fort partage d'information et de compétences, parfois même de capital- qu'à Taïwan ou à Hong Kong. L'étendue de la coordination des activités économiques entre secteurs varie aussi selon les pays. Par exemple, beaucoup de grandes sociétés japonaises ont des relations de long terme avec des entreprises dans d'autres industries, avec les banques et les sociétés d'assurance alors que les "chaebols" coréens sont beaucoup moins directement interconnectés, mais les entreprises ont des liens entre elles par l'intermédiaire des agences d'Etat ou des alliances politiques. Quant aux entreprises taïwanaises, on retrouve les interconnections familiales.
Nature de l'autorité Les structures d'autorité interne des entreprises asiatiques varient selon leur origine. Les grandes entreprises japonaises manifestent une plus faible centralisation dans la prise de décision et dans l'initiation de plans que les "chaebols" coréens ou les entreprises familiales chinoises. Ceci est du à leur système d'autorité moins personnel et plus collectif -lié à une séparation plus forte entre l'autorité et le contrôle- qu'au sein des entreprises chinoises ou coréennes. Par contre, l'association de l'autorité personnelle à la propriété est une caractéristique clé du "chaebol" et de l'entreprise familiale chinoise. Ceci se traduit dans la conception du rôle de manager. On ne s'attend pas à ce que les managers japonais fassent preuve d'omniscience ou d'omnipotence, ou à ce qu'ils soient distants vis-à-vis des subordonnés. Les chinois, propriétaires de leur société, doivent montrer leur autorité et leur supériorité morale en étant réservés et dignes et en ne révélant pas leurs émotions. Alors que les dirigeants japonais sont responsables de la morale du groupe et poussent aux réalisations du groupe, les dirigeants chinois et coréens adoptent un style plus directif ne cherchant que peu ou pas à expliquer ou même à justifier les décisions.
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Etant donné la nature plus personnelle de l'autorité dans les entreprises chinoises et coréennes, les engagements et politiques d'emploi à long terme sont moins institutionnalisées dans ces entreprises que dans les entreprises japonaises; ces engagements et politiques sont plus dépendants du choix personnel du propriétaire de l'entreprise. Règles et procédures Si l'on s'intéresse plus particulièrement au manager chinois, on s'aperçoit que la différence fondamentale entre celui-ci et le manager occidental repose sur la définition des responsabilités, les règles et procédures qui caractérisent le style de direction des managers. Le manager chinois a officiellement quatre responsabilités: envers l'état, envers l'entreprise, envers les travailleurs, et envers les organisations avec lesquelles la firme est en contact. Ces responsabilités ne sont ni clairement définies ni hiérarchisées par ordre d'importance. Les nouveaux objectifs de profit viennent d'ailleurs s'ajouter aux autres toujours sans hiérarchie (Boisot et Xing, 1991). Il est possible néanmoins que la façon de procéder des dirigeants chinois soit liée au contexte et aux turbulences provoquées par les réformes et par le caractère arbitraire des directives administratives. L'occidental, pour sa part, traduit au cours du temps le caractère vague des tâches auxquelles il est confronté en un ensemble de règles et procèdures qui lui permettent plus tard de déléguer ces tâches. De même, les procédures formelles sont importantes dans les entreprises japonaises et on un poids plus grand dans les entreprises coréennes que dans les entreprises chinoises. Les entreprises japonaises font preuve d'une beaucoup plus grande formalisation des règles et procédures. A la fois les entreprises chinoises et japonaises donnent une grande importance au contrôle par la socialisation mais au Japon, ceci est renforcé par des contrôles externes sous forme de règles bien définies qui reflètent un consensus organisationnel. Il faut néanmoins souligner que les entreprises chinoises implantées en Chine Populaire (Boisot & Xing, 1991) sont souvent caractérisées par un manque de rationalité des managers aggravé par un manque de culture managériale de base des employés -au contraire du Japon -ce qui donne un management à la fois très centralisé et très personnalisé- chaque employé arrivant à être en contact direct avec le manager.
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Tableau 2 CARACTERISTIQUES DES FIRMES ASIATIQUES Caractéristiques Entreprise
Nature des firmes Spécialisation
Clan japonais
Forte
Chaebol coréen (conglomérat familial)
familiale chinoise
Faible
Forte dans les entreprises hiérarchisées Faible dans les entreprises familiales
Modèles de croissance
Evolutif
Discontinu opportuniste
Volume diversification opportuniste
Organisation du marché Relation contractuelle
Forte
Faible
Moyenne
Forte (groupes d'entreprises et Etat)
Faible (sauf Etat)
Moyenne (alliances personnelles)
Forte
Forte
Coordination entre les secteurs
Coordination de l'autorité Signification de l'autorité personnelle et de la propriétéFaible Signification des procédures formelles Style managérial
Forte
Moyenne
Faible
Facilitatif
Directif
Didactique
Implication du personnel
Emotionnel
Conditionnel
Conditionnel
Source: Whitley, 1991, p. 133 DMSP 1993, B. Cova et B. Pras
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Tableau 3
CONTEXTE INSTITUTIONNEL Japon
Corée
Taïwan
Kong Coordination par l'Etat des Stratégies
Moyenne
Forte
Moyenne
Faible
Intégration des banques et de l'industrie
Forte
Forte
Moyenne
Moyenne
Autorité familiale patriarcale
Faible
Faible
Forte
Forte
Primauté de la famille
Moyenne
Rapport basé sur la confiance et l'obligation Reconnaissance de la réciprocité entre supérieurs et subordonnés Base personnelle de l'autorité
Forte
Forte
Hong
Forte
Moyen
Fort
Fort
Fort
Fort
Faible
Faible
Faible
Moyenne
Forte
Forte
Forte
Source: Whitley, 1991, p.137
2.2.- Caractéristiques individuelles A titre d'illustration des différences individuelles entre les cadres des divers pays asiatiques, on peut rappeler les styles de négociation des japonais et des chinois. Les japonais sont très bien préparés à la négociation, en particulier en ce qui concerne la culture de leurs interlocuteurs (Tung, 1984) Ils ont parfaitement défini ce que sont leurs intérêts de base et les défendront avec d'autant plus de vigueur qu'ils ont bien identifié les intérêts d'autrui. Dans la négociation, le rôle de l'acheteur est dominant. Les japonais dissimuleront dans la mesure du possible leurs émotions; DMSP 1993, B. Cova et B. Pras
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comme tous les asiatiques, il ne faut pas leur faire perdre la face (Burt, 1984). On peut ajouter qu'il est difficile dans le cadre d'un groupe de négociateurs japonais de savoir qui exerce quelle fonction et qui détient quel pouvoir. Mais ces deux dernières caractéristiques sont valables aussi dans le cas de négociations avec des chinois. Les chinois, dans le cadre de la négociation, adoptent volontairement une attitude passive pour amener l'autre à s'exprimer au maximum et ils n'hésiteront pas à le déstabiliser, à dévoiler son jeu. Habituellement, ils établissent le calendrier et utilisent le temps avec clairvoyance en particulier si l'autre a des échéances ou souhaite conclure au plus vite. Ils ne montrent jamais d'impatience. Ils privilégient la loyauté; pour eux une relation positive doit être constante (Pye, 1987). Les stratégies de négociation intégratives, c'est-à-dire celles qui tendent à maximiser le résultat global de la négociation pour les divers partenaires sont largement adoptées par les japonais (Graham et Meissner 1986); ces derniers sont extrêmement bien informés et connaissent très bien la culture de l'autre. A l'opposé les américains, les allemands et les coréens choisiraient des stratégies intermédiaires, plus distributives c'est-à-dire où on privilégie ses propres objectifs en prenant peu en compte les objectifs de l'autre dans la recherche d'une solution. Les américains ont une stratégie très orientée "résolution de problème". Qu'il s'agisse des négociations sino-américaines ou américano-nippones, le manque de connaissance a priori par les américains de la culture de l'autre est frappant Les attitudes des chinois, japonais ou vietnamiens sont proches face au recours au contentieux ". Le "bon juge" chinois, japonais ou vietnamien n'est pas celui qui se préoccupe de rendre une décision équitable mais est celui qui parvient à ne pas rendre de décision, parce qu'il a su amener les adversaires à se réconcilier (David, 1987). Ces points sont bien résumés par Usunier (1992). Signalons néanmoins que l'éthique et les valeurs vis-à-vis de la pratique commerciale varient selon les pays asiatiques (Dubinsky, Jolson, Kotabe & Lim, 1991).
2.3.- Stratégies d'entreprises C'est sur cette partie que l'on est souvent le plus informé (voir le récent dossier de la Revue française de Gestion sur le Japon). Compte-tenu du nombre d'articles sur la question, nous rappellerons seulement ici que les stratégies des entreprises asiatiques autres que japonaises prennent souvent la forme d'une stratégie de domination par les coûts alors que les stratégies à la japonaise reposent aujourd'hui à la fois sur la domination par les coûts et la différentiation, avec une forte innovation de design, de produit, de procédé. Si la primauté reste le marché, un des éléments clé de la stratégie est le temps : vision à long terme et utilisation du temps, c'est-à-dire de la vitesse de réaction et d'introduction sur les marchés comme avantage compétitif. A ce propos, d'aucuns ont constaté au début des années 90 une tendance au repli des performances japonaises avec une chute importante de la bourse japonaise et ont parlé de la fin du modèle japonais, remplacé par le modèle chinois ou coréen. Il faut néanmoins éviter de porter des conclusions hâtives sur l'économie japonaise et l'évolution du marché financier. "La mise en difficulté d'un quart à un tiers des banques petites et moyennes, c'est-à-dire de celles qui ont aujourd'hui des bilans surexposés aux secteurs les plus risqués de l'économie et qui sont alourdies par des actifs créés lors du mouvement spéculatif des années 80 conduit à une cure d'amaigrissement du secteur financier qui le rendra plus efficace et plus compétitif que jamais vers le milieu des années 90" (Courtis, 1992, p.12). En fait, les années 50-70 ont été celles du modèle américain, à l'image des multinationales américaines, les années 70-80 (Clark, 1979) ont vu apparaître le modèle
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japonais et on peut se demander à juste titre si les années 90 et 2000 ne seront pas celles d'autres modèles asiatiques comme ceux des entreprises chinoises ou coréennes. 3. Que peut-on apprendre ou transposer ? Peut-on apprendre quelque chose? Avant même de proposer un embryon de réponse, il faut se poser la question des contraintes environnementales et culturellles et se demander (Spender, 1989; Whitley, 1991): Avec qui et de qui peut-on apprendre?
3.1-Caractéristiques asiatiques et occidentales Whitley (1992) montre très bien les différences environnementales et culturelles entre les systèmes occidentaux et asiatiques. Les sociétés occidentales sont plus différentiées et pluralistes que les sociétés asiatiques. La plupart des sociétés occidentales dévelopèrent d'autres centres d'autorité et de pouvoir que la famille et l'Etat. Il est intéressant de noter que l'Etat moderne, les unifications ou réunifications sont récentes en Europe et moins stables qu'en Asie. Les évolutions des années 90 le montrent encore. La culture est beaucoup plus individualiste. Le développement des centres urbains en Europe a contribué à cette indépendance vis-à-vis de l'Etat d'un point de vue économique et à l'apparition d'une classe capitaliste, ce qui n'était pas possible dans des pays comme le Japon, la Corée et la Chine (Werner, 1988). Et de la même façon, les chefs d'entreprises sont moins dépendants en moyenne du pouvoir politique en Occident qu'en Asie, les relations entre les dirigeants d'entreprises et les hommes politiques étant plus partenariales en Occident (Katzenstein, 1985) Les relations à l'autorité ne sont pas influencées par une omniprésence de l'Etat mais plus par les développements des systèmes légaux et institutionnels qui ont donné des bases juridiques communes ou proches aux occidentaux. La plus grande importance de l'individu et du législatif en Occident a conduit à des procédures plus formalisées et centrées sur les performances individuelles au sein de la structure, à une plus grande confiance accordée aux contrats formels. Le développement du légal en Occident a néanmoins réduit l'autorité du dirigeant dans l'entreprise en comparaison à celle des dirigeants asiatiques. De la même façon, l'importance du "contractuel" a réduit la flexibilité, a donné moins de poids à la confiance en la parole de ses partenaires et a facilité le développement de structures hiérarchiques imposantes et de réseaux impersonnels. Les relations reposant moins sur la famille ou l'autorité naturelle en Occident qu'en Asie, ceci a conduit à un renforcement du rôle de la formation et des associations diverses en tant que vecteurs de socialisation. C'est ainsi, à titre d'exemple, que l'on constate un fort poids des associations comme celles des anciens éléves de grandes écoles en Occident. Enfin, le rôle beaucoup plus grand en Occident de la main-d'oeuvre spécialisée et hautement qualifiée limite en partie la flexibilité de l'entreprise en matière de maind'oeuvre. Cela signifie que des changements dans les formations ont des impacts et conséquences beaucoup plus lourds sur l'organisation du travail en Occident qu'en Asie et que les stratégies de délocalisation sont souvent indispensables pour introduire la flexibilité.
Il ressort de ces aspects que les modèles de management ne peuvent pas être facilement transposés d'un continent à un autre même si historiquement, tel ou tel modèle peut apparaître comme le plus efficace ou dominant. DMSP 1993, B. Cova et B. Pras
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Les différences historiques, culturelles, sociales et économiques entre régions du monde et pays définissent les modes de fonctionnement des entreprises, que ce soit dans leur pays d'origine ou dans ceux où elles s'implantent. La capacité des multinationales à transplanter avec succès des pratiques domestiques dans les pays où elles s'implantent dépend d'après Whitley (1992) d'un certain nombre de conditions: -l'homogénéité et la cohésion du système économique et de management dans l'économie d'origine; -l'homogénéité et la cohésion des institutions et des systèmes économiques et de management du pays hôte; -la force relative de la multinationale comparée à celle des institutions locales et au regard des procédures existantes. Ainsi, l'importance des discussions collectives, des procédures consensuelles dans les entreprises japonaises rend difficile la délégation des décisions majeures dans leurs filiales à des managers étrangers. De la même façon, on ne voit pas comment les entreprises familiales chinoises pourraient s'appuyer sur un système d'autorité impersonnel et formel avec des managers étrangers dans leurs filiales. Néanmoins, quand les systèmes économiques et de management sont relativement diversifiés dans le pays hôte, il est plus facile d'exporter son modèle de management. Ainsi, il est relativement plus facile pour une entreprise japonaise d'exporter son mode de management en Grande-Bretagne, par exemple, qu'à une entreprise britannique d'exporter le sien au Japon. Le transfert d'un système est d'autant plus facile que l'économie d'origine de la multinationale est forte. Plus l'économie est dominante, plus l'exportation de ses propres méthodes sera aisé. Mais les freins sont de tous ordres, y compris légaux. Ainsi, la régulation dans le domaine du travail rend inopérante un transfert poussé des méthodes de management asiatique dans un certain nombre de pays occidentaux. En fait, il existe une variété considérable de modes de management et d'organisation et aucun n'est supérieur en tant que tel de manière absolue, pas plus qu'une domination temporaire dans l'économie mondiale n'implique une supériorité continue d'un mode de gestion. Ces modes de gestion résultent de contextes institutionnels et, de façon plus profonde, de l'organisation pré-industrielle de la société et du processus d'industrialisation, du poids de l'Etat, de la cohésion et plus ou moins grande variété des modèles au sein d'une société.
3.2. Avec qui et de qui peut-on apprendre? L'analyse des entreprises et des systèmes économiques en Asie du Sud-Est montre qu'il existe trois façons différentes et cohérentes d'organiser les économies de marché dans cette zone: la façon japonaise, la façon coréenne, et la façon taïwanaise ou de Hong Kong (Whitley, 1992), façons qui résultent de contextes institutionnels particuliers. C'est ainsi que le Japon apparait comme le pays qui, par isomorphisme dû à la compétition internationale, est aujourd'hui le plus "copié", car le plus proche du modèle socio-économique occidental avec des firmes ressemblant au modèle occidental et jouant un rôle similaire d'acteur économique majeur. De plus, c'est avec le Japon que se sont développés le plus grand nombre d'accords de coopération, les coopérations et les ententes étant possibles sur la seule base des compétences économiques ou technologiques. Au contraire les réseaux chinois de support mutuel ("guanxi") sont totalement fermés non seulement aux non chinois, mais aussi à ceux qui ne présentent pas certaines caractéristiques de base communes, comme par exemple le lieu de naissance (Whitley, 1991); il en va de même pour les réseaux coréens.
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Le modèle japonais semble être celui dont on peut le plus facilement apprendre mais le peut-on réellement? Passant outre la question du sujet de l'apprentissage, la majorité des spécialistes en sont aujourd'hui au "oui mais" pour ce qui concerne la possibilité d'apprendre. Le credo du Commissariat Général au Plan (Merrien, 1991) en ce qui concerne le Japon en fournit un bel exemple: "Nous ne devons pas croire que des conditions culturelles et sociales qui ont facilité la naissance du toyotisme sont indispensables à son application. Il est clair que certaines caractéristiques du système social japonais ne sont pas transposables en France (...). Mais le véritable problème n'est pas là; il consiste à trouver un hybride économiquement et socialement efficace du toyotisme et du systême culturel et social français, en respectant un des principes fondamentaux (et fondateurs) du toyotisme: le consensus" (Merrien, 1991, p. 10). Cette position s'appuie sur le constat que les japonais auraient déjà fait une partie du chemin vers l'occidentalisation et que nous pouvons donc faire l'autre partie du chemin pour arriver comme eux à un hybride. Il s'agit de "concentrer nos efforts sur les améliorations qui, sans changer l'âme de notre système, permettraient de faciliter l'adaptation (et non l'adoption!) de méthodes japonaises", (Merrien, 1991, p. 12). Ce à quoi un des spécialistes du Japon (de Bettignies,1992, p. 22 ) rétorque : "Pendant vingt ans, nous avons cru que c'était au niveau des "techniques", des "outils" ou de la "culture" que se situait l'avantage compétitif japonais. En fait, c'est au niveau du "software", du paradigme que nous devons pénétrer pour saisir la logique du système. Cela est possible mais au prix d'une grande ascèse intellectuelle. Nous admettons que notre systême mériterait d'être reconsidéré, mais nous ne voyons pas comment en modifier les sous-ensembles sans remettre en question son essence-même, sa logique". Le fameux "consensus", présenté comme un des principes fondamentaux du toyotisme (Womack, Jones & Roos, 1990), apparait ainsi être un de ces sous-ensembles non modifiables que l'on ne peut appliquer sans remettre en cause toute notre logique occidentale. On n'est alors plus dans l'adaptation souhaitée précédemment mais dans la révolution paradigmatique. Pour comprendre vraiment le consensus à la japonaise, il faut d'abord réaliser (Campbell, 1991, p. 7) que le directeur japonais contrôle le réseau de compétences internes, mais par touches légères et délicates et concentre son action à gérer les interfaces, plutôt qu'à gérer directement les départements et les personnes. Les cadres supérieurs sont des catalyseurs et des mentors, les cadres moyens sont des leaders de groupe créatifs, et les employés des membres de groupe créatifs (Nonaka, 1991, p. 8). Ceci est extrêmement difficile à mettre en oeuvre et les entreprises mixtes Asie/Occident fournissent un bon terrain d'investigation de dysfonctionnements fondés, à la fois sur des conceptions totalement différentes des relations interindividuelles, et sur la position d'étranger au système d'obligations inter-asiatiques qu'y occupe l'Européen. Dans les entreprises occidentales implantées au Japon avec du personnel japonais, du fait d'un manque de bases communes, le consensus consiste souvent en un ensemble d'échanges dans lequel aucune des parties ne comprend la position de l'autre, ce qui fait baisser le niveau de confiance (Pucik, 1991, p. 44). Dans les entreprises japonaises implantées en Europe avec du personnel européen, les rapports sont souvent teintés de prudence et de méfiance (Holden, 1990, p. 561) et il en est de même pour les entreprises japonaises implantées aux Etats-Unis (Rehder, 1989, p. 24). Deux niveaux de problèmes se présentent : 1) Les managers occidentaux ont une conception du management différente de celle des managers japonais, les premiers s'inscrivant dans le cadre d'une fonction précise et
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d'une carrière, les seconds étant plus polyvalent et centré sur leur entreprise (Holden, 1991, p. 562); 2) Les japonais ne comprennent pas culturellement la notion de critique constructive, classique en Occident et les cadres occidentaux qui défendent des idées pour améliorer un aspect de la performance peuvent être considérés comme déloyaux (Holden, 1991, p. 564). La difficulté réside dans le fait que ceci touche à l'organisation et au système de management mais au mode de fonctionnement de l'individu lui-même.
3.3-Des propositions individuelles lentes à mettre en oeuvre On constate une lente évolution de la lecture du management asiatique par les européens des années 70 aux années 90. Les managers européens ont petit à petit appris à déceler les solutions complexes à l'orientale passant par l'individu. Le maître-mot est alors le talent de l'individu. Par exemple en Recherche et Développement, on transfère les compétences en transférant les hommes (Yamanouchi,1986; Bobe, 1991) et on met de plus en plus en place des systèmes de gestion et de reconnaissance du talent et des initiatives personnelles (Bobe, 1991), on cherche à insuffler le goût de l'aventure et du risque (Hamel & Prahalad, 1992, p. 92). Plus difficilement transposables encore apparaissent être le rapport au temps, le mode de fonctionnement par consensus et la focalisation sur l'accomplissement personnel ; toutes propositions touchant directement l'individu dans ses valeurs et ses repères culturels. Pour rester sur le cas japonais, le souci d'évolution permanente individuelle n'est pas seulement un trait du management, il fait partie de la culture profonde des japonais comme en témoigne l'ouvrage de Graf Dürckheim (1974) sur le "Hara". Et les entreprises japonaises se soucient de plus en plus du développement de la "qualité humaine" qu'elles pensent avoir laissé de côté au profit la performance économique (Hanada, 1991, p. 218). La réalisation personnelle, jusqu'alors rejetée comme facteur contraire aux activités de l'entreprise, doit être favorisée (Hanada, 1991, p. 219) : "la vraie victoire c'est de vaincre contre soi-même, non contre quelqu'un d'autre". Cela explique peut-être pourquoi de nombreux stages de relations humaines en Europe semblent aujourd'hui s'orienter vers des contenus de plus en plus ésotériques, à la recherche d'une dimension autre que celle essentiellement utilitaire et matérielle de la vie en entreprise.
3.4- Des propositions organisationnelles et stratégiques Difficile à mettre en oeuvre dans les sociétés occidentales est le système de réseau entre banques, entreprises, autres partenaires mais la litérature en management et les réflexions nombreuses des entreprises sur les réseaux montre que ceci est en marche. On est loin des réseaux familiaux chinois mais ce type de préoccupation est désormais intégré dans les stratégies de bon nombre d'entreprises. Donner la primauté au marché, mettre en place une excellente circulation de l'information n'est guère plus facile car, outre les solutions organisationnelles, cela passe aussi par le culturel. De même, l'environnement économique des entreprises asiatiques n'est pas transposable. Le plus facilement transposable apparait être les stratégies d'entreprise proprement dites avec innovation de produit et innovation de procédé par exemple. Mais des séries d'autres éléments peuvent être transposables. A titre d'exemple, on peut citer deux
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approches: jouer sur le temps comme avantage concurrentiel; utiliser la technique de "target cost level" "en comptabilité. Le temps devient, en efet, un des éléments primordiaux de l'avantage concurrentiel (Stalk, 1990). Ceci peut se retrouver dans le cadre du système d'information et du planning, de l'innovation, de la fabrication de la vente et de la distribution. Pour ne prendre que l'exemple de l'innovation, la mise au point d'un nouveau poste récepteur de télévision varie en termes de temps de un à trois selon les entreprises, les entreprises asiatiques et en particulier japonaises ayant souvent les délais les plus courts; ceci est dû entre autres : -dans l'industrie, à l'accent mis sur des cycles de production courts et sur des petits lots; améliorations par petites doses mais fréquentes; -dans l'organisation, aux travaux de mise au point d'un produit en utilisant les services de l'usine composés d'équipes polyvalentes plutôt que d'équipes fonctionnelles; -dans la programmation des travaux, à la délégation des responsabilités au niveau local. On constate que bien que transposable, ceci n'est pas simple à appliquer. Des entreprises comme la Régie Renault s'emploient à raccourcir les délais de mise en marché des produits nouveaux. Le principe du "target cost level" (Sakurai, 1989) par rapport à celui de l’établissement classique du prix de revient repose sur une approche qui part du marché. Au cours du processus de lancement de nouveaux produits et/ou de fixation de prix, l'entreprise part de l'étude de marché, du concept et du développement envisagé du produit pour décider du prix acceptable sur le marché pour atteindre la part de marché envisagée. Ce prix de marché est ensuite confronté aux conditions de développement possibles du produit et un processus d'itérations et d'ajustement est effectué jusqu'à ce que le développement et les conditions de fabrication soient compatibles avec le prix marché. On retrouve là aussi la prééminence du marché dans les décisions, la recherche et la production étant des conditions de compétitivité. Cette approche comptable est particulièrement intéressante et originale et aisément transposable dans le contexte des entreprises occidentales. De façon plus générale, la comptabilité, avec l'"activity based costing" constitue le noyau d'une philosophie visant plus loin que le simple calcul du prix de revient, et, comme le concept de qualité totale, il traduit, encore une fois, le souci d'amélioration permanente du manager; "un directeur des achats par exemple doit pouvoir maintenir les coûts à un niveau constant par ordre d'achat et même être capable de les alléger en adaptant son organisation" (Bruggeman, 1992, p.2) et en faisant évoluer les soustraitants partenaires.
Conclusion L'Europe est entre l'Amérique et l'Asie, tant dans l'espace que dans le temps. Après avoir longtemps pris pour modèle le management scientifique à l'américaine, les entreprises européennes et leurs porte-paroles (consultants, enseignants, chercheurs, délégués ministériels) ont aujourd'hui les yeux fixés sur le management asiatique et ses capacités de flexibilité et d'innovation. L'examen du management asiatique est révélateur des avantages de certaines pratiques et permet aux entreprises de mieux éclairer leur propre mode de fonctionnement et même parfois de (re)légitimer certaines pratiques managériales européennes occultées jusqu'à maintenant comme par exemple le management créatif fondé sur un projet. Ce sont ces pratiques que met en lumière l'ouvrage de Vidal (1990) sur le management à l'italienne qui affiche quelques DMSP 1993, B. Cova et B. Pras
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ressemblances avec les constantes présentées du management asiatique; ce sont les mêmes que l'on retrouve dans l'article de Simon (1992) décrivant la réussite des "mittlestand managers" allemands et dans l'article de Berry, Bouchiki et Kimberly (1993) mettant en lumière les réussites du management à la française. Les réflexions sur le management asiatiques amènent à s'interroger sur notre substance industrielle et économique et sur son originalité (Morita, 1992). Certaines pratiques sont transposables lorsque le prix à payer culturellement et socialement n'est pas trop élevé (Magaud et Sugita, 1992). La solution est celle d'une amélioration et adaptation de notre système dans les limites du contexte sociétal occidental. C'est la raison pour laquelle, en l'état actuel des choses, certains éléments du management de type japonais paraissent plus transposables aux entreprises occidentales que le management coréen ou chinois, hormis bien sûr certains cas de délocalisation et de "joint-ventures".
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Christian Milelli
La Corée du Sud, nouveau modèle de la « nouvelle économie » ?
Résumé « Nouvelle économie » rime en Corée du Sud avec Internet. En effet, « le pays du matin calme » est devenu en 2003 « le pays le plus connecté au monde ». La présente Etude multiplie les éclairages sur ce phénomène où Internet est appréhendé non seulement comme un réseau physique mais aussi comme un levier de transformation de la vie économique et sociale du pays. Si le rôle de l’Etat a été décisif et demeure central, il ne suffit pas toutefois à expliquer l’extrême rapidité de la propagation du nouveau média électronique et renvoie à un faisceau de causalités. L’expérience coréenne se différencie des autres expériences nationales antérieures par le « débordement » de la sphère marchande dans les domaines de l’éducation, de l’action associative et même de la vie politique. L’émergence d’une dimension nationale constitue une deuxième caractéristique qui semble, a priori, paradoxale, tant Internet est porteur d’universalité ; l’observation de l’évolution du trafic Internet au plan national atteste pourtant de cette orientation. La Corée du Sud n’est pas un cas isolé en Asie, bien au contraire, mais le pays a pris de l’avance sur ses voisins pour devenir un nouveau « modèle ». Au-delà de ces traits singuliers, l’expérience coréenne dans l’usage d’Internet constitue un nouvel avatar au plan mondial de la mise en œuvre de la « révolution informationnelle » entendue comme un processus remodelant à un rythme rapide les fondements matériels de l’ensemble d’une société.
Christian Milelli
South Korea, a new model for the new economy?
Abstract The « new economy » in South Korea rhymes with the Internet. In 2003, the “land of morning calm” has actually become the most connected country in the world. The present study tackles this phenomenon from a number of angles. The Internet is not only considered as a physical network but a lever of transformation of the country’s economic and social life. Although the role of the state has been decisive and remains focal, it is not enough to explain the extreme rapidity with which the new electronic medium spread, which is due to a broad range of causes. The Korean experience differs from former ones in that it extends well beyond the market sphere (ecommerce) to areas such as education, volunteer associations and even politics. The emergence of a national dimension constitutes another characteristic that at first seems paradoxical, since the Internet is so universal in scope. Yet observation of the evolution of Internet traffic on the national level confirms this trend. South Korea is far from an exceptional case in Asia, but the country has taken the lead over its neighbors, becoming a new “model.” Beyond these singular features, the Korean experience in the use of the Internet again demonstrates that a global “information revolution” – in other words, a process that is quickly reshaping the material bases of an entire society – is underway.
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La Corée du Sud, nouveau modèle de la « nouvelle économie » ?
Christian Milelli FORUM - Fondements des organisations et des régulations de l'univers marchand, UMR 7028
On sait peu en France, en dehors d’un cercle restreint d’initiés, que la Corée du Sud jouit du statut de « pays le plus connecté au monde ». Quelques indicateurs permettent de prendre la mesure du phénomène : au début de l’année 2003, la Corée du Sud, avec 10 millions d’usagers à l’Internet haut débit1, soit près de 70 % des ménages, devançait largement les Etats-Unis qui n'en comptaient que 22 %2. Il en était de même en ce qui concerne le temps de connexion, qui était en moyenne de seize heures par semaine, à comparer à dix heures chez les internautes nord-américains et à quatre heures chez les Britanniques. L’objet de la présente Etude est de fournir des éclairages multiples sur cette réalité émergente et encore instable ; nous nous sommes pour cela fondé sur une série d’entretiens que nous avons menés en Corée du Sud durant le mois de mai 2003 avec différents acteurs locaux – représentants de l’administration, du secteur privé, journalistes –, qui nous ont permis d’aller au-delà de la rhétorique usuelle relative à la « société de la connaissance ».
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Appelé aussi large bande (broadband) ; correspond à la capacité (ou vitesse de transfert) des réseaux de télécommunication. Par opposition aux premiers accès Internet via un modem téléphonique (dial-up) d’une vitesse de transmission de 56 Kbits/s (Kilobits par seconde), le monde d’Internet haut-débit commence à 512 Kbits/s.
2
En 2003, 94 % des internautes coréens disposaient de connections haut débit à leur domicile, alors qu’aux Etats-Unis le taux n’était que de 18 %, en Suède 23 %, au Japon 27 %.
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Nous sommes parti du constat de Manuel Castells3 : « la technique ne détermine pas la société, elle l’incarne, et la société ne détermine pas d’avantage l’innovation technique, elle l’utilise ». Internet, qui constitue l’élément central de notre étude, est donc vu à la fois comme un réseau physique4 et un vecteur de transformation de la vie économique et sociale. L’approche économique usuelle – même si la prise en compte des déterminants de nature économique est essentielle pour mieux comprendre les ressorts de l’expérience en cours – a été dépassée. Le regard s’est ainsi porté sur des processus qualifiés de « débordement » de la sphère marchande dans les champs de l’éducation, de l’action associative et de la vie politique ; une attention particulière a été accordée aux jeux vidéo qui ont rempli une fonction d’apprentissage de premier ordre. L’émergence d’une dimension nationale paraît ici paradoxale, tant Internet se caractérise par son universalité. L’observation de l’évolution du trafic Internet en Corée du Sud témoigne pourtant de cette orientation. En effet, si à l’origine le trafic Internet y était largement extraverti – 98 % allait à l’étranger – cette situation a été récemment inversée. Ainsi en 2003, le trafic domestique représente 85 % de l’ensemble. Mais il faut être, ici, prudent dans l’interprétation des chiffres, car cela ne veut pas dire pour autant que le volume du trafic à l’international ait décru, bien au contraire. Et si sa part relative ne représente plus que 15 %, c’est que le volume du trafic domestique a littéralement explosé. Après l’effondrement de la « nouvelle économie » aux Etats-Unis, durant l’année 2000, une interrogation ressurgit au contact de l’expérience coréenne : est-on confronté au phénomène d’un monde largement virtuel construit et entretenu par un discours mystificateur, ou au contraire bel et bien à une réalité sociale dont les contours se dessinent sous nos yeux ? L’hypothèse avancée est que « le pays du matin calme » est un nouvel avatar au plan mondial de la mise en œuvre de la « révolution informationnelle » entendue comme un processus remodelant à un rythme rapide les fondements matériels de l’ensemble d’une société. L’expérience coréenne d’informatisation n’est pas un cas isolé en Asie, bien au contraire, mais sa singularité réside dans le fait que le pays a pris de l’avance sur ses voisins les plus développés, comme le Japon, Taiwan ou encore Singapour, devenant un « modèle » suscitant à son tour des émules.
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M. Castells, La Société en réseaux : l’ère de l’information, Vol. 1, Paris, Fayard, 1998, p. 28.
4
Internet n’est pas un simple réseau mais plutôt un ensemble de normes permettant l’interopérabilité de machines hétérogènes de traitement numérique de l’information ; ces normes permettent aussi l’interconnexion des différents réseaux informatiques et leur administration sur un mode totalement décentralisé (voir E. Brousseau et N. Curien, « Economie de l’Internet », Revue économique, Vol. 52, numéro hors série, 2001).
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LES FACTEURS EXPLICATIFS
Tout a commencé en juillet 1998, lorsque la société Korea Thrunet, nouvelle venue dans le secteur des télécommunications, a commercialisé un service d’accès Internet haut débit via le câble ; suivit, en avril 1999, la commercialisation par Hanaro Telecom d’un nouveau mode d’accès rapide à Internet, l’ADSL5, sur la base d’un abonnement forfaitaire mensuel de 38 dollars. Ces initiatives avaient été précédées, en 1997, par l’offre d’un accès ADSL par l’opérateur historique, Korea Telecom, auprès de 1 500 usagers. Mais dans un contexte de crise financière aiguë, cette expérience n’avait pas été poursuivie car l’étude de marché avait vite fait apparaître que les usagers n’étaient pas prêts à contracter un abonnement mensuel de 70 dollars, montant que l’opérateur avait fixé afin d'assurer son équilibre financier. Korea Telecom revint en juin 1999 avec des tarifs similaires à ceux d’Hanaro. Ces faits ont marqué le début de l’ère de l’Internet haut débit en Corée du Sud, caractérisée par une dynamique extrêmement rapide. La recherche du ou des facteurs explicatif(s) conduit à l’identification d’un faisceau de causalités au sein duquel l’Etat occupe une place centrale qui s’inscrit dans une perspective historique remontant au début des années 19606. Mais l’interventionnisme public n’explique pas tout. Des facteurs plus contingents ont favorisé l’émergence du nouveau phénomène comme un cycle de surinvestissement opéré dans le domaine des réseaux de télécommunications, au début des années 1990, qui a jeté les fondations de la « société informationnelle », ou encore des tarifs et des services attractifs résultant d’une vive concurrence entre opérateurs de télécommunications ; celle-ci a été instrumentalisée par le gouvernement afin d’obtenir une diffusion rapide du nouveau média. Il s’agit, ensuite, de facteurs qui ont accéléré sa diffusion. Si la forte densité d’habitations 7 et le mode d’habitat collectif ont leur part dans l’explication, la vague déferlante de l’ouverture de salles de jeux (PC bangs) à travers tout le pays se révèle être, avec le recul, un puissant levier d’adoption de l’Internet haut débit. A l’origine de ce phénomène spécifique à la Corée du Sud se trouve la popularité du jeu en ligne Starcraft, lancé en 1998. Il s’agit, enfin, de facteurs dont certains constituent des ruptures dans l’ordre des faits ou des représentations : la crise financière de 1997, qui a permis de nouvelles expérimentations, entre dans ce cadre ; car comme toute situation de crise, elle a levé un certain nombre d’inhibitions sociales et a incité de nouveaux acteurs à s’affranchir des pesanteurs existantes en contournant l’emprise des forces économiques dominantes préoccupées, en 1998 et 1999, par leur survie. Ainsi, les valeurs libertaires qui sont à l’origine d’Internet 8 et qui
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Asymmetric Digital Subscriber Line qui est une nouvelle technologie utilisant les lignes téléphoniques existantes. 6
A. Amsden, Asia’s Next Giant : South Korea and Late Industrialization, Oxford University Press, 1989. 7
70 % de la population nationale vit dans les sept plus grandes villes dans des tours résidentielles, et Séoul concentre à elle seule le quart de la population du pays. En conséquence, le raccordement des usagers au réseau a été peu coûteux et permis des gains de temps. Il en a résulté une large couverture de la population nationale.
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Conjointement à l’action du ministère de la Défense (DARPA) et de la communauté scientifique aux Etats-Unis, berceau d’Internet.
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perdurent sous la forme, par exemple, du logiciel « libre »9, ont-elles pu émerger plus facilement dans une société dont les fondements avaient été fragilisés par la crise.
Le rôle décisif de l’Etat
Le gouvernement a amorcé, en juin 1993, les contours d’un plan national pour la construction d’une infrastructure de télécommunications à haut débit couvrant l’ensemble du territoire ; en mai 1994, l’Informatization Promotion Committee présidé par le Premier ministre a été établi et a servi de cadre pour préparer le Comprehensive Plan for Korea Information Infrastructure Establishment Project qui a été officiellement lancé en mars 1995. La nouvelle priorité gouvernementale s’inscrivait en fait dans la poursuite de l’informatisation du pays, considérée comme vitale pour le développement national. Le premier plan (Korea Backbone Computer Network 1987-1992), qui finançait l’équipement en micro-informatique et la formation de la population nationale, avait établi les fondations de la « société informationnelle » à venir ; l’objectif du nouveau plan visait à relier ces différents ordinateurs, ce qui était désormais possible avec l’avènement d’Internet dans la première moitié de la décennie 199010. Tout au long de ces années, le gouvernement a pratiqué une politique volontariste avec un sens consommé de la communication et des slogans, stratégie qui ne s’est pas démentie durant et après la crise de 1997 ; celle-ci a même entraîné un accroissement des ressources publiques ainsi qu’un raccourcissement des délais de déploiement des différentes infrastructures de base.
La « Korea Information Infrastructure » Au-delà de ce qui aurait pu passer comme un simple mot d’ordre, le discours officiel a été relayé par la définition du cadre d’action et des règles du jeu : la Korea Information Infrastructure (KII) est ainsi née et elle a pris effet immédiatement, le ministère de l’Information et de la Communication (MIC) étant le maître d’œuvre du nouveau chantier. Pour mener à bien l’ambitieux programme, le ministère s’est appuyé sur diverses agences publiques (National Computerization Agency, Korea Information Society Development Institute...) ou sur des relais associatifs (par exemple la Korea Association of Information and Telecommunications). Le montant des investissements requis a été chiffré et la nécessité d’impliquer les différents opérateurs, y compris ceux en place, a été clairement affirmée. La démarche suivie demeure celle d’un gouvernement et d’une administration visionnaires résolument engagés dans la maîtrise de la transformation économique et sociale du pays. L’Information SuperHighway Strategy du vice-président Al Gore, lancé avec éclat en
9
Comme le logiciel Linux.
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Internet était déjà une réalité depuis 1985 au sein de la communauté scientifique nord-américaine, mais c’est l’autorisation donnée par le gouvernement des Etats-Unis de « commercialiser » Internet à partir de 1995 qui a réellement lancé le « réseau des réseaux ».
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1993 – juste après l’entrée en fonction du Président Clinton – a incontestablement influencé les autorités coréennes (et bien d'autres !). Mais si ces dernières ont pris soin d’examiner en détail les expériences étrangères – ne se limitant d’ailleurs pas aux expériences pionnières nord-américaines11 – avant de prendre des décisions, il apparaît que la Corée du Sud a choisi sa propre voie, comme nous le montrerons tout au long de cette Etude12. Le programme KII comportait trois volets (voir le tableau 1) 13 : un premier consacré à l’informatisation des activités de l’administration et du gouvernement (KII Government), un deuxième portant sur des activités de recherche dans le domaine des réseaux de télécommunications (KII Tesbed ou KOREN14) et un troisième centré sur le développement de l’usage des nouvelles technologies de l’information (KII Public). Les deux premiers relevaient de l’action publique alors que le troisième était du ressort des opérateurs de télécommunications. La principale réalisation du premier programme a été la mise en place d’un réseau en fibres optiques de 71 000 km pour un coût de 21 milliards d’euros. Le programme expérimental KOREN basé sur un réseau de super ordinateurs a été couplé à des programmes similaires menés au Japon et à Singapour. Le plan national comprenait des mesures aussi variées que15 : – l’introduction de la dérégulation du secteur des télécommunications, qui permettait de susciter la concurrence entre les différents opérateurs ; – le financement mixte (public/privé) des infrastructures : mise en construction d’une structure de type réseau à très haut débit constituant l’épine dorsale du réseau national 16 (financement public de 1,5 milliard de dollars), le raccordement des utilisateurs au réseau (prêts bonifiés ou soft loans d’un montant d’un milliard de dollars), et le financement public de la recherche et du développement des technologies Internet (700 millions de dollars) ; – l’octroi de subventions aux ménages à faibles revenus pour l’achat d’un PC ; – des formations gratuites ; – le raccordement gratuit des écoles primaires et secondaires à l’Internet haut débit ; – la mise en œuvre de larges campagnes de promotion des avantages de l’informatisation. L’Etat a engagé par le biais du MIC des fonds publics qui sont passés de 858 milliards de wons en 1996 à près de 3 trillions de wons (2,4 milliards d'euros) en 2002. Le fonds de promotion de l’informatisation a été affecté au MIC pour financer sa politique de manière discrétionnaire, la Korea Development Bank assurant la gestion du compte. Cette ligne budgétaire s’est révélée particulièrement appropriée dans le domaine de l’e-
11
Il en sera de même plus tard avec le programme e-Japan, conçu en 1999, visant à doter le Japon d’un réseau de fibres optiques à haut-débit. 12
Cette orientation nous a été clairement rappelée lors d’entretiens avec des représentants du MIC (Séoul, mai 2003). 13
Les tableaux, graphiques, figures et documents se trouvent en annexe à la fin de l'Etude.
14
Pour Korea Advanced Research Network.
15
Department of Trade and Industry, « Broadband Mission to South Korea », Londres, 2002.
16
Le terme anglais utilisé, backbone, décrit bien sa fonction.
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government, par définition conflictuel, pour imposer les décisions politiques. Le tableau 2 met en évidence l’accroissement constant des ressources publiques affectées à l’informatisation du pays (+60 % entre 1996 et 1999) dans un contexte de crise. L’austérité budgétaire qui caractérise cette période a conduit à des arbitrages douloureux, non exempts de heurts et de résistances car certains ministères ont vu leur dotation annuelle réduite.
Une politique publique renouvelée En y regardant de plus près, il apparaît que la démarche adoptée par les représentants de l’Etat s’est démarquée des politiques industrielles classiques fondées sur le seul soutien aux entreprises nationales. En effet, s'il est intervenu dans de nombreux domaines – adaptation du cadre réglementaire légal, soutien à des secteurs émergents, etc. – « l’Etat développementaliste » coréen a fait réellement preuve d'innovation, prenant en compte les besoins des usagers. Trois raisons au moins expliquent ce changement de comportement. En premier lieu, l’examen attentif des expériences étrangères a explicitement mis en évidence l’émergence d’un nouveau paradigme autour d’Internet : la demande, notamment les préférences des usagers et des consommateurs potentiels, est désormais un ressort tout aussi décisif que l’offre de solutions techniques (débit des transmissions). Ainsi, dans une société prise de « fièvre éducative », la promotion des avantages en termes d’éducation a-t-elle été l'un des principaux stimulants de la demande des consommateurs en ce qui concerne l'accès à l’Internet haut débit. Par ailleurs, la candidature du pays à l’OCDE à la fin des années 1980 l'a conduit à se mettre aux normes et à déréglementer certains pans de son économie. C’est dans un tel contexte que le secteur des télécommunications a été libéralisé à partir de juillet 1990. En deuxième lieu, la sévère crise financière de 1997 et la mise en œuvre de mesures structurelles, qui a coïncidé avec le démarrage du deuxième plan national d’informatisation, ont ébranlé les routines administratives qui avaient jusque-là fondé l’action publique. Le gouvernement ne s’est toutefois pas limité à reproduire les expériences étrangères mais a aussi innové en la matière. Il a d’abord offert des lignes de crédits à des taux avantageux (soft loans) aux fournisseurs d’accès. En 1999, 77 millions de dollars ont ainsi été affectés ; une enveloppe d’un montant identique a été allouée l’année suivante pour les zones moins densément peuplées, comme les petites villes. Par la suite, ce type de soutien a été étendu aux zones rurales ; dans ce cas de figure, les prêts à taux bonifié peuvent représenter jusqu’à 40 % de l’investissement global (Provide Loan for Construction of Broadband Information Network). Il est prévu qu’il se poursuive jusqu’en 2005, avec une enveloppe additionnelle de 926 millions de dollars pour la période 20012005. Il a ensuite mis en place, en juin 2000, un programme de sensibilisation de masse dénommé Ten Million People Internet Education17, parallèlement à une action plus ciblée sur les femmes mariées sans activité professionnelle. Les tarifs offerts étant largement accessibles, le programme s’est révélé être un franc succès et a engendré un véritable
17
De 2000 à 2002, près de 14 millions de Coréens, dont 40 % de personnes vivant à la campagne et 25 % d’étudiants, ont bénéficié de ce programme national de formation.
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engouement des femmes au foyer. Les responsables gouvernementaux avaient estimé que la diffusion rapide d’Internet était largement conditionnée par l’adhésion de ce type de population, qui contrôle les budgets familiaux et dispose d’une forte influence dans l’orientation des décisions d’achat. Enfin, l’Etat a poursuivi en 1999 une politique active de promotion des logements précablés en instituant un système de labellisation après que le MIC eut défini, en septembre 1997, des standards techniques. L’introduction de labels sur une base volontaire, attestant que les dits immeubles à usage résidentiel ou professionnel étaient dotés de capacité d’accès et de transfert rapide de l’information, était vue comme un facteur incitatif tant pour les entreprises du bâtiment que pour les acquéreurs d’appartements. En définitive, l’Etat a rempli une fonction de catalyseur, prenant soin d’inciter les entreprises privées à entrer sur un marché naissant via une garantie informelle fondée sur son engagement. Partant de là, il a suscité un climat de confiance et réduit l’incertitude et le risque qui entourent généralement ce type de projets.
Le jeu de la concurrence
Les deux premières offres commerciales ont été proposées par deux nouveaux venus : Thrunet, en juillet 1998, et Hanaro Telecom, en avril 1999 ; ce dernier n’a d’ailleurs pas attendu la libéralisation de la boucle locale – effective depuis juillet 2002 – pour entrer sur le marché, venant ainsi concurrencer directement l’opérateur historique, Korea Telecom, en construisant son propre réseau (fibre optique). La concurrence ne s’est pas limitée aux opérateurs : elle a aussi concerné les types d’accès, ADSL, câble et accès satellitaires dans les zones montagneuses ou faiblement peuplées. Elle a d’abord porté sur les tarifs, qui se sont finalement stabilisés autour de 30 000 wons (24 euros) par mois. Leur nivellement a conduit les opérateurs et les fournisseurs d’accès à différencier leur offre en fonction de la qualité du service offert ; les deux opérateurs principaux, Korea Telecom et Hanaro, n’ont cessé d’investir dans des réseaux à large bande depuis l’avènement de la technologie DSL.
La géographie et la démographie locales
La forte densité de population permet de dégager de substantielles économies d’échelle pour la mise en place de réseau à large bande. Il faut savoir que près de 80 % de la population vit dans des zones urbaines densément peuplées et que plus de 50 % des Coréens habitent dans des complexes immobiliers. Selon les deux principaux opérateurs, ce type d’habitat a joué un rôle de premier plan dans le succès de leur stratégie.
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Le phénomène des « PC bangs »
La prolifération de plus de 21 000 salles de jeux vidéo (PC bangs), entre 1998 et 2001, a constitué un levier de croissance majeur pour l’offre de nouveaux services. Avec le recul, on s'aperçoit qu'elle a été le facteur le plus important en ce qui concerne la formation d’une nouvelle génération à l’usage d’Internet. Comparables aux cybercafés, ces salles offraient des PC avec des accès Internet haut débit ; elles ont rapidement été adoptées par les jeunes comme des lieux pratiques, divertissants et « branchés » pour jouer et acquérir la nouvelle culture de l’usage de l’Internet haut débit. Mais, surtout, elles ont offert des accès rapides, dont la plus grande partie des utilisateurs ne disposaient pas encore chez eux. L’accroissement du nombre de salles de jeu est allé de pair avec l’irruption de milliers de nouveaux usagers. En fait, cette dynamique a fourni le premier marché commercial pour les développeurs de contenu, particulièrement les développeurs de jeux en ligne. Elle a également constitué un stimulant de première importance pour l'expansion de l’Internet haut débit en milieu résidentiel. Ce faisant, l’engouement d’une classe d’âge pour les jeux en ligne a fourni une solution au dilemme classique de la poule et de l’œuf en jouant simultanément sur la diffusion du nouveau média électronique et le développement des contenus permettant une croissance auto-entretenue.
Un solide socle productif national
La diffusion de l’Internet haut débit a pu s’appuyer sur le dynamisme du secteur électronique national : la production a été multipliée par 10 entre 1990 et 2000 – 15,2 à 150,5 trillions de wons. Au plus fort de la crise financière de 1997, lorsque le PIB a reculé de plus 3 % entre 1997 et 1998, la croissance de ce secteur d’activité n’a pas faibli, pour atteindre des taux à deux chiffres : 27 % en 1997 et 16,7 % l’année suivante. L’émergence d’un surplus commercial croissant dans ce secteur électronique – de 1,7 milliard de dollars en 1990 à 16,8 milliards en 2002 – ne s’est pas fait au détriment du marché intérieur, dont la part dans l’ensemble de la production sectorielle a même progressé entre 1990 (91 %) et 2001 (93 %). Cette dynamique a permis à des groupes comme Samsung Electronics et LG Electronics de prendre les premières places mondiales dans le domaine des écrans plats ou des combinés téléphoniques à écran couleur. En outre, s’il est vrai qu’à l’origine, la technologie ADSL a été fournie par les grandes entreprises étrangères comme Alcatel18, Lucent ou encore Cisco, le démarrage de l’Internet haut débit a incité les acteurs nationaux à entrer sur leur marché ; ils en ont rapidement gagné des parts et ont finalement évincé les firmes étrangères.
18
En livrant un million de lignes DSL à Hanaro et KT, en 1999 et 2000, l’entreprise française a contribué à un démarrage rapide du haut débit en Corée du Sud.
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LA SITUATION ACTUELLE
La diffusion de l’Internet haut débit fixe dans un temps réduit – l’offre commerciale a débuté en juillet 1998 – constitue la principale caractéristique de l’expérience coréenne ; la rapidité de la propagation a permis à la Corée du Sud de se hisser au premier rang mondial, loin devant les Etats-Unis (voir le tableau 3). Le marché a connu deux orientations contrastées : si les technologies se sont diversifiées – durant les années 1999 et 2000, pour le fixe et, depuis 2002, avec les premiers pas de la téléphonie mobile dite de troisième génération (3G) – en revanche, le nombre des opérateurs a commencé à se contracter en raison de l’âpreté de la concurrence qui écrase les marges commerciales ; la pérennité des acteurs industriels est étroitement liée à leur taille et à leur part de marché. La technologie ADSL constituait, à la fin 2002, le premier mode d’accès avec plus de 50 % des usagers, devant le câble et les réseaux locaux (voir le tableau 4 ainsi que les documents 1 et 2).
Les différents acteurs
Le cadre réglementaire La révision de la loi cadre sur les télécommunications (Telecommunications Busines Act) en 1998 et 1999 a introduit une classification fonctionnelle et hiérarchique, qui n’est pas sans rappeler le cadre réglementaire introduit au Japon en 198519. Un premier groupe dénommé Facilities-based telecom service provider regroupe les opérateurs propriétaires de lignes qui fournissent les services de télécommunications de base. L’obtention d’une licence du MIC est obligatoire et la part cumulée des sociétés étrangères dans le capital d’un opérateur ne peut excéder la barre des 49 % 20. L’opérateur historique KT et les sociétés Hanaro Telecom, Dacom et Onse entrent dans ce cadre. Un second groupe, dit Special telecom service provider, inclut les opérateurs non propriétaires d’infrastructures qui sont contraints de louer des lignes. Dans ce cas une simple procédure d’enregistrement auprès du MIC est requise et l’entrée sur le marché domestique est totalement ouverte aux firmes étrangères. Enfin, un troisième groupe (Value-added telecom service provider) réunit les sociétés prestataires de services comme la fourniture d’accès à Internet ; dans ce cas, une simple déclaration auprès du MIC suffit.
19
C. Milelli, « Les nouvelles règles du jeu dans le secteur des télécommunications au Japon », Accomex, n° 33, mai-juin 2000, pp. 29-35. 20
Poste d'expansion économique, « L’Internet haut débit en Corée du Sud », Séoul, 18 mars 2003.
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Les fournisseurs d’accès En octobre 2002, trois sociétés privées – KT21, Hanaro et Thrunet, qui détenaient respectivement 46 %, 28,5 % et 13 % de parts du marché national – et trois fournisseurs publics – Korea Education and Research Information Service22, Korea Institute of Science and Technology Information23 et Dacom24 se partageaient l’offre. La mission de ces derniers était la fourniture d’accès gratuits ou subventionnés aux écoles secondaires, bibliothèques universitaires, centre nationaux de recherche ainsi qu’aux organismes publics sensibles comme la police, l’armée ou les hôpitaux. Si le niveau élevé de concurrence a eu un impact significatif au niveau de la demande – pression continue à la baisse des tarifs –, il a également pesé sur l’offre, notamment en termes de retour sur investissements, compte tenu du montant élevé des investissements réalisés. Par exemple Hanaro, seul opérateur alternatif pour les appels locaux, a été contraint d’entreprendre de coûteux investissements dans l’infrastructure de base pour mettre en place un réseau en fibres optiques, conjointement à des campagnes de promotions onéreuses.
Des tarifs attractifs25 Les tarifs pratiqués par les opérateurs sont très proches : fin 2001, le forfait mensuel d’un accès ADSL (8 Mbits/s) proposé par les deux opérateurs Korea Telecom et Hanaro, étaient rigoureusement identiques – 38 000 wons – alors qu’il oscillait entre 30 000 (Dreamline) et 38 000 wons pour Thrunet à la même époque pour un accès câble. Mais dans ce cas, il fallait majorer ce montant d’un ticket d’entrée de l’ordre de 40 000 wons et de frais d’installation pour les utilisateurs non abonnés au câble. Il y avait toutefois une différence non négligeable qui portait sur le coût de connexion pour l’accès ADSL : 30 000 wons pour Korea Telecom et 80 000 pour Hanaro, soit plus du double ! L’explication réside dans l’avantage de l’opérateur historique fondé sur la densité de son réseau.
21
Anciennement Korea Telecom, monopole public, KT est depuis le 30 juin 2002 une entreprise entièrement privée. 22
Créé début 1999, il gère un réseau national et un portail. Accès gratuit aux écoles secondaires et aux bibliothèques universitaires. 23
Créé en janvier 2001, il gère trois services : KREONet qui est l’un des principaux réseaux coréens d’ordinateurs, KREONet 2 qui est la nouvelle génération en cours de test et HPCNet qui permet de relier les super-calculateurs et les utilisateurs. 24
Il gère le projet National Information Infrastructure depuis 1995. Il est constitué d’un réseau national d’ATM avec un tronc d’une longueur de plus de 8 000 km. 25
Korea Network Information Center, ISP Directory, 2002.
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Une concurrence excessive ?
Le modèle de l’abonnement forfaitaire qui a permis une large diffusion du nouveau média fait actuellement l’objet d’une tentative de remise en cause de la part des opérateurs et des autorités de régulation. Le MIC vient de rendre public un rapport avançant l’idée que les opérateurs fournissant des accès Internet haut débit fixe devraient modifier leur mode de facturation afin de dégager les ressources financières nécessaires pour continuer à assurer le développement du réseau. Il est ainsi explicitement proposé de discriminer les tarifs en fonction de la durée des sessions. La rationalité économique mise en avant touche les opérateurs (cf supra) et les usagers. Dans ce dernier cas, le système actuel pénalise incontestablement les surfeurs occasionnels, dont l’abonnement subventionne les surfeurs intensifs. L’essor continu du trafic dû aux jeux en réseau et au téléchargement de fichiers multimédias via les systèmes peer-to-peer26, met à rude épreuve les capacités des réseaux, ce qui conduit les opérateurs à investir tous les ans des milliards de wons pour maintenir la qualité du service. KT a ainsi prévu d’investir 40 milliards de wons en 2003 alors qu’Hanaro en a déjà engagé pour sa part 140 milliards cette année27. Mais l’introduction d’un nouveau système de tarification comporte deux risques : le premier réside dans son caractère beaucoup moins incitatif pour les nouveaux abonnés, d’où un effet potentiellement dépressif sur l’évolution du marché, le deuxième a trait à l’opposition des groupes civiques qui entendent manifester avec éclat leur désaccord. Mais si le niveau de la concurrence paraît élevé pour les opérateurs, il n’est toutefois pas excessif pour tous et concerne essentiellement les plus petits, qui sont les plus vulnérables financièrement mais également les plus innovants. Cette tendance conduit inexorablement à une consolidation du secteur et à une diminution de la variété de l’offre. Enfin, elle conforte l’emprise des opérateurs de télécommunications sur les producteurs de contenu. Les difficultés actuelles rencontrées par le premier portail coréen, Daum, pour nouer des alliances avec les opérateurs afin de consolider sa base de clientèle dans le cadre du développement de la téléphonie 3G en est une illustration.
L’Etat toujours présent
Le troisième plan d’informatisation de la société portant sur la période 2002-2006 (eKorea Vision 2006) constitue la clé de voûte de l’actuel dispositif gouvernemental. La figure 1 rappelle l’engagement des plus hautes autorités de l’Etat dans ce domaine. Il s’est concrétisé par des réunions périodiques sur la stratégie d’informatisation présidées par le président de la République (Conseil stratégique de l'informatisation), et
26
Type d’architecture réseau de connexion directe entre deux ou plusieurs ordinateurs, où chacun joue un rôle client et serveur (réseau « d’égal à égal »). 27
« Carriers mull revamping flat-free system », The Korea Herald, 7 juin 2003, à consulter sur le site http://www.koreaherald.co.kr
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l’instauration d’un Comité de promotion de l’informatisation composé de vingt-cinq ministres sous l’autorité du Premier ministre. La première instance joue un rôle crucial dans l’orientation stratégique de la politique nationale en matière d’informatisation en coordonnant les politiques menées dans les différents ministères. Tous les membres du gouvernement ainsi que des experts privés participent à ces réunions. La deuxième instance évalue l’état d’avancement des grands projets, tels que le Korea Information Infrastructure ; elle est aussi compétente pour homogénéiser les diverses pratiques d’ecommerce et d’e-government. Elle s’appuie sur un comité technique (Informatization Executive Committe) qui coiffe à son tour vingt-quatre sous-comités (Informatization Enforcement Sub-Committees). Chaque sous-comité est responsable de la mise en œuvre effective des nouvelles lois28, de l’évaluation périodique des résultats et de la modification du cadre législatif et réglementaire. Enfin, l’Informatization Promotion Committee prend l’avis de comités d’experts consultatifs. Dernier point, dans le cadre de la convergence des réseaux de télécommunications fixes et mobiles, le gouvernement s’est engagé à favoriser l’adoption rapide du nouveau protocole Internet (IPv6)29, car sur la base du protocole existant il n’y aura plus d’adresses Internet disponibles d’ici cinq ans ! Et afin de donner l’exemple, le gouvernement a prévu d’introduire le nouveau protocole sur les réseaux non commerciaux dont il assure la tutelle. A côté des mesures de soutien à l’infrastructure de télécommunications de base, qui constitue de loin le premier poste de dépenses publiques, le gouvernement s’est engagé à accélérer la mise en œuvre des projets d’e-government et à soutenir le commerce électronique, notamment auprès de la multitude de PME dont la participation demeure encore très faible : en 2001, la part du commerce électronique réalisé par l’ensemble des PME coréennes30 comparativement au total du commerce qu’elles avaient réalisé se situait autour de 10 %. Le gouvernement a pris, semble-t-il, la mesure du risque d’émergence d’un nouveau dualisme au sein du système productif national entre, d’une part, les entreprises déjà ou en cours d’informatisation et, d’autre part, celles qui ne disposent pas des moyens financiers de le faire. En conséquence, il a prévu un soutien financier direct aux PME en difficulté pour l’acquisition et le développement d’une informatique de gestion communicante (Intranets et Application Service Providers). Enfin, l’attaque par un virus informatique et la paralysie des principaux serveurs coréens, dont la Bourse de Séoul, le 26 janvier 2003, ont rappelé l’extrême vulnérabilité des réseaux informatiques ouverts. Cet incident a conduit les autorités d’une part à renforcer au plan national le dispositif existant afin de systématiser les avis d’alerte et d’inciter les différents protagonistes à partager leur expertise, et d’autre part à accentuer la coopération internationale et à jouer un rôle plus actif au sein des instances internationales ad hoc (par exemple, le Forum for Incident Response and Security Teams).
28
Par exemple, le Digital Divide Closing Committee est basé sur le Closing Digital Divide Act. 29
Pour Internet Protocol version 6, norme conçue par l’IETF (Internet Engineering Task Force) en remplacement de la version actuelle (IPv4). 30
Celles-ci représentent 99,2% du nombre total d’entreprises.
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Du fixe au mobile
La Corée du Sud a compris très tôt que la convergence des mondes de l’Internet et de la téléphonie cellulaire était au cœur du succès des services de données mobiles à valeur ajoutée. C’est ainsi que l’on a vu émerger, à partir de l’année 2000, un discours mobilisateur relayé par de nombreuses études pointant les perspectives ouvertes par l’arrivée de l’Internet mobile31. Le pays a devancé le Japon, généralement présenté comme le leader mondial en ce domaine, pour la commercialisation de services de téléphonie cellulaire assimilables à de la troisième génération (3G)32. Le nombre d’abonnés à ce nouveau service a crû rapidement : il y avait plus de 4 millions d’abonnés à la fin 2001 ; en outre, le grand nombre et la variété des services offerts ont permis d’augmenter de manière substantielle le chiffre d'affaires des opérateurs33. Le MIC a attribué, selon le principe du « concours de beauté »34, trois licences 3G permettant des accès rapides à Internet : deux selon la norme W-CDMA35 attribuées, en décembre 2000, à KT et à SK pour un montant unitaire de 1,1 milliard d’euros et une, en août 2001, à LG selon la norme CDMA2000 pour 970 millions d’euros 36. Sans atteindre la situation confuse de l’Europe suite aux modalités d’introduction de la téléphonie 3G, un certain nombre d’interrogations se font toutefois jour en Corée du Sud sur les coûts cachés des choix politiques opérés. Premièrement, il est clair que l’adoption de standards étrangers 37 s’est fait à un coût relativement élevé. Deuxièmement, devant les risques de divergence des réseaux en raison de l’usage de plateformes non compatibles par les opérateurs, le gouvernement coréen a imposé une standardisation38; mais devant la ferme opposition du constructeur américain Sun Microsystems réclamant le paiement de redevances, il a finalement
31
D'après un entretien réalisé à Séoul en mai 2003.
32
SK, en octobre 2001, avec une offre basée sur la norme CDMA 1x (144 Kbits/s), puis, en janvier 2002, une nouvelle offre sur une norme plus évoluée, CDMA 1x EVDO (2,4 Mbits) ; les deux autres opérateurs, KTF filiale de KT et LG Telecom filiale de LG Electronics, ont rapidement suivi. 33
Par exemple, les Coréens qui utilisent encore un portable 2G semblable à la plupart des téléphones GSM en Europe, ne dépensent en moyenne que 1,9 euro par mois en services Internet mobile. Mais la dépense passe à 7,6 euros pour les nouveaux détenteurs de portable 2,5G à écran couleur. 34
Méthode selon laquelle le régulateur fait son choix à partir des offres les mieux disantes relativement à un ensemble de critères prédéfinis de nature technique ou économique. Elle s’oppose aux enchères où le montant financier proposé par le soumissionnaire est le critère déterminant de sélection. 35
Il s'agit de la norme de la 3G européenne. 36
Poste d'expansion économique, « Le marché de la téléphonie mobile en Corée du Sud », Séoul, 18 mars 2003. 37
38
CDMA est un brevet détenu par la firme californienne Qualcomm. Korea Wireless Standardization Forum.
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accepté un arrangement ; les opérateurs coréens ont perdu au passage la maîtrise du développement technologique. Troisièmement, compte tenu de l’incertitude actuelle sur l’émergence d’un standard dominant le marché mondial de la téléphonie mobile39, SK et KT ont différé leur choix en faveur de l’une ou l’autre technologie en retenant les deux standards ; le standard CDMA2000 a déjà fait l’objet d’investissements substantiels de leur part alors que le standard W-CDMA, qui a servi de base à l’octroi de licences d’exploitation de la part des autorités, n’a pas encore donné lieu à des engagements industriels (voir Document 2 en annexe). Mais mû par une logique de politique industrielle traditionnelle – soutien aux « champions » nationaux –, le MIC souhaite la mise en œuvre rapide des deux technologies concurrentes afin d’élargir la base productive des constructeurs nationaux de combinés téléphoniques, étape jugée nécessaire pour la conquête des marchés étrangers. Si SK Telecom et KT vont déployer dès cette année cette technologie dans certains lieux de la capitale, le troisième opérateur de mobiles, LG Telecom, fort d’une version plus puissante de la technologie concurrente (CDMA EV-DV), entend la déployer à la fin de la prochaine année40. Si l’on fait abstraction de ces contingences, on peut s’interroger sur le risque de cannibalisation des accès existants, notamment l’ADSL et le câble. Il semble que la substitution entre les deux médias (fixe versus mobile) bute sur des contraintes physiques, par exemple la taille de l’écran de visualisation41, alors que les premiers usages font apparaître une complémentarité entre les accès fixes et mobiles.
39
« Wireless operators wage standards war », JoongAng Daily, 29 mai 2003. 40
« W-CDMA service ready by mid-2006 », The Korea Herald, 7 juin 2003, à consulter sur le site http://www.koreaherald.co.kr 41
Sur la base d’entretiens effectués à Séoul en mai 2003.
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LA SPHERE MARCHANDE
La sphère marchande inclut non seulement le commerce électronique au sens large, mais aussi les transactions bancaires et financières électroniques ainsi que les jeux en ligne.
Le commerce électronique42
Selon les chiffres officiels43, le chiffre d’affaires total des activités du commerce électronique est passé de 60 trillions de wons, en 2000, à 130 trillions (104 milliards d’euros), en 2001, soit une croissance de plus de 100 %. L’essentiel (à peine moins de 90 % pour les trois premiers trimestres 2002) était constitué de commerce intermédiaire ou Business-to-Business (B2B), loin devant le commerce final ou Business-toConsumers (B2C) ; la concrétisation des premières mesures d’e-government se lit clairement dans le tableau 5. Avec un volume de près de 100 milliards de dollars pour les neuf premiers mois de l’année 2002, le commerce électronique coréen occupait une place de premier plan en Asie, même s'il apparaissait toutefois encore loin derrière celui des Etats-Unis (2,4 trillions de dollars en 2002).
Le B2B La place prépondérante des activités de B2B rappelle que le commerce électronique n’est pas né avec Internet mais que les réseaux spécialisés permettant l’échange de données informatiques (EDI) fonctionnaient déjà auparavant, en Corée du Sud comme ailleurs. La résilience des structures conglomérales est visible dans l’importance de la part du commerce intragroupe – 60 % pour le premier semestre 2002 – dans l’ensemble de ce type de commerce. Le basculement des réseaux d’entreprises fermés à Internet, par définition ouvert, s’est fait à partir de l’année 2000, où la part du B2B via Internet représentait encore moins de 30 % du total de ce commerce. L’essor actuel se nourrit de la dynamique des commandes d’approvisionnement en ligne et les sources substantielles d’économies que son usage apporte par le biais des sites internes ou par l’entremise de places de marché. Par exemple, en 2001, Samsung Electronics, fleuron du plus puissant chaebol, utilisait Internet dans 85 % de ses commandes, tandis que le
42
La part des activités commerciales peut être saisie par l’importance du sous-domaine .co, derrière .kr au sein des adresses Internet : en effet, celle-ci représente plus de 85% de l’ensemble des adresses coréennes loin devant .pe avec 6,55% et .or avec 4,15%. 43
Ces chiffres sont en fait des approximations en raison du large usage d’enquêtes partielles et de l’imprécision des définitions ; cette remarque ne se limite pas à la Corée du Sud et concerne l’activité même du commerce électronique.
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groupe sidérurgique Posco (70 % de la production de l’acier coréen) était encore allé plus loin avec un taux de 95 %. Une autre explication réside dans le souci des grands conglomérats nationaux de ne pas se faire distancer par leurs concurrents japonais et nord-américains déjà bien avancés dans l’établissement de plateformes oligopolistiques dans la plupart des biens intermédiaires. Ainsi, en février 2002, trois des quatre plus grands chaebol (SK, LG et Hyundai) ont-ils mis en place un portail intégré verticalement afin d’écouler leurs excédents de produits chimiques. Par ailleurs, les chaebol poursuivent des stratégies indifférenciées de commerce électronique (B2C et B2B). Par exemple, Samsung, le premier groupe national, dispose avec Samsung Internet Shopping Mall du site B2C dont le chiffre d’affaires était le plus élevé en 2002. Mais cette dynamique ne touche à ce jour que les grandes entreprises. La lecture de la répartition sectorielle du B2B met en évidence le rôle central de l’industrie manufacturière nationale ainsi que ses spécialisations. Le secteur manufacturier représente la part du lion (80 % des transactions en 2001), devant le commerce de gros et de détail (13 %) et le secteur du BTP (4 %). Trois secteurs industriels émergent : celui de la construction électrique-électronique (32 %), celui de la construction automobile et des chantiers navals (27 %), et le secteur des produits métalliques et non métalliques (11,5 %). Cette distribution est assez comparable, hormis la place des chantiers navals, à celle que l’on rencontre en France par exemple. Néanmoins, la dynamique est telle qu’elle commence à toucher des secteurs de commerce traditionnel, à l’image du grand marché de la capitale, Namdaemun, fameux pour ses 110 000 petits magasins – dans le domaine de l’habillement, du petit matériel et de l’outillage, des bijoux... – et le marchandage qui s'y pratique. En 2003, la ville de Séoul et les instances de gestion du marché prévoient d’investir un milliard de wons pour l’établissement d’un portail. Une infrastructure de communication sans fil va y être installée et chaque échoppe sera dotée d’un assistant digital personnel et de programmes de gestion des stocks. Et pour conserver son caractère de marché traditionnel, la page d’accueil de Namdaemun aura une fonction simulant une négociation sur les prix, de sorte que les acheteurs pourront avoir l’impression d’avoir réellement marchandé44.
Le B2C La structure de ce type de commerce électronique est comparable à celle que l’on trouve dans les autres pays. Si à l’origine les achats de livre ont constitué le premier poste d’achat, au dernier trimestre 2002, les ventes d’ordinateurs et d’équipements de télécommunications venaient en tête avec un tiers des ventes, suivies par l’équipement automobile (12 %), les réservations de titres de transports (7 %), les produits culturels – livres, CD, etc. – (6 %) et les cosmétiques (6 %). Ce changement est dû à une modification des préférences des consommateurs mais aussi à l’irruption de nouvelles offres. Or la concurrence est telle que les différentes places de marché ont été jusqu’ici incapables de dégager le moindre profit en raison du coût élevé de l’usage des cartes de crédit et de celui de la logistique. La concurrence pour l’instant nationale devrait encore s’exacerber avec l’entrée de portails globaux, comme Yahoo et Lycos, ou des sites
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« Haggling online due at Namdaemun » JoongAng Daily, 28 mai 2003.
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spécialisés comme Amazon, qui vient de nouer une alliance avec Samsung. La télévision est aussi largement utilisée par le biais du téléachat, dont le chiffre d’affaires a pratiquement doublé tous les ans depuis 1995, date de son lancement. Mais on assiste pour la première fois depuis le début de l’année 2003 à un tassement de l’activité, phénomène qui dépasse la simple explication conjoncturelle – repli de la consommation intérieure – et traduit plutôt une saturation du marché d’après les experts. Deux verrous freinent l’essor de ce type de commerce électronique : il s’agit, d’une part, de l’absence de paiement sécurisé en ligne et, d’autre part, du coût encore élevé de l’usage des cartes de crédit45 ; il fallait, en 2002, acquitter 2,7 % de frais de commission pour les achats en ligne alors que le taux n’était que de 1,5 % pour les grands magasins. Le tableau 6 met en évidence la part encore faible du commerce électronique proprement dit (achats) sur le fixe et le mobile, même si cette part est plus élevée sur le fixe, ce qui était attendu en raison de son antériorité. Le téléchargement des sonneries ou des fonds d’écran constitue encore le premier usage sur le mobile, loin devant l’envoi de mails ou les jeux, alors que dans le cas du fixe les forums de discussion sont les activités les plus prisées. Les premiers effets du commerce électronique sur la structure du tissu industriel national ne sont pas encore perceptibles. Enfin, la place relativement importante des activités de B2G (voir le tableau 5), s’explique par l’obligation légale, depuis 2001, pour toutes les administrations, de passer leurs commandes en ligne : en 2001, les commandes de matériel devançaient, avec 47 %, celles d’équipement et de machines (32 %).
Le retour des droits de propriété
Le développement d’Internet et de la masse d’informations que le réseau achemine a fait resurgir la question des droits de propriété que l’on pensait jusque-là relativement stabilisée du point de vue conceptuel et institutionnel. Face à ce nouveau chantier, les acteurs coréens, dépourvus de toute solution éprouvée, ont dû à leur tour innover. Le Korean Intellectual Property Office a ainsi décidé d’octroyer à l'entreprise locale de commerce en ligne Hansol CSN, un brevet assorti de droits exclusifs pour une durée de 20 ans, mesure inédite qui va à l’encontre des pratiques actuelles. Concrètement, une demande de brevet a été déposée en 1999 pour un projet dénommé Alliance Program, qui relie les logos et l’information sur les produits sur ses pages web à d’autres sites. Ce qui est étonnant c’est que ce système est largement utilisé partout dans le monde, sans avoir donné lieu à un dépôt de brevet. Il en ressort que près de 3 000 entreprises coréennes vont devoir désormais payer des redevances à Hansol, y compris les principaux acteurs que sont Samsung Corp et LG Home Shopping46.
45
Cela est paradoxal quand on connaît le large usage des cartes de crédit depuis 1999. L’emballement du phénomène a même conduit les organismes gestionnaires au bord de la faillite, durant la première moitié de l’année 2003. 46
« Internet retailers face a royalty jab », JoongAng Daily, 22 janvier 2003, à consulter sur le site http://joongangdaily.joins.com
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Il en est de même dans le domaine sensible en Europe et aux Etats-Unis47 des sites de musique fournissant des services gratuits de téléchargement (notamment en format MP3). Un premier accord a ainsi été signé entre le Korean Association of Phonogram Producers (KAPP), soutenu par le ministère de la Culture et du Tourisme et neuf fournisseurs coréens de musique en ligne48, accord qui a pris effet en juillet 2003 et qui stipule le versement de redevances d’un montant forfaitaire de 2 000 à 3 000 wons par mois au KAPP. Cette décision s’inscrit dans une volonté de se détacher des stratégies d’offres de services gratuits en partie financées par la publicité sur lesquelles s’était construite la « nouvelle économie ». L’idée est bel et bien d’introduire de nouveaux « modèles d’affaires » permettant de dégager des ressources financières suffisantes pour une croissance moins chaotique.
Les transactions bancaires et financières
Les banques coréennes fournissent désormais des services en ligne continus à leurs clients49. Il s'agit essentiellement de la possibilité de vérifier son solde bancaire et de transférer des fonds, ou encore l’octroi de crédits aux entreprises. Début 2003, plus de 18 millions de personnes, soit 39 % de la population totale, les utilisaient (voir le tableau 7). Compte tenu de l’engouement pour la téléphonie cellulaire, la plupart des banques nationales offrent des services via les réseaux de téléphonie mobile. Mais la véritable dynamique réside dans la passation d’ordres de bourse par Internet. Ce phénomène a pris son essor après que le gouvernement a aboli les commissions fixes de courtage en 1997. En 1998, la part des ordres en ligne était inférieure à 5 % du total. Mais quatre ans plus tard, avec plus de 65 % des ordres passés en ligne, la Corée du Sud a devancé les Etats-Unis. Or ce phénomène n’est pas neutre d’un point de vue économique. Il a d’abord inexorablement conduit à la consolidation des quarante-quatre sociétés de courtage qui existaient en 2002, seul domaine d’activité ayant été épargné par la restructuration du secteur bancaire et financier national après la crise de 1997-98. Quand on sait qu’une part substantielle de leur chiffre d’affaires, donc de leurs profits, est constituée de commissions de courtage, et que la généralisation des ordres en ligne s’est accompagnée d’une chute de leurs commissions, qui sont désormais en moyenne le cinquième de celles qui prévalaient antérieurement, on comprend mieux la logique à l’œuvre. Ensuite il a exacerbé ce que l’on appelle le day trading – achats et ventes des mêmes valeurs sur une seule journée de cotation – qui constitue une nouvelle source de volatilité, donc d’instabilité pour des marchés encore fragiles. Enfin, comme tout massmedia, l’interaction que permet Internet favorise la propagation de rumeurs et fausses
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Rappelons la fermeture définitive sur ordre de justice, en 2002, de Napster, remplacé depuis par Kazaa qui est à son tour l’objet de poursuites judiciaires de la part de l’industrie du disque. 48
Max MP3, Nine4U, Music City, Lets Music, Puckii, Music Amp, Norimax, Imufe et SongN.com. Toutefois, le principal acteur, Bugs, qui représente la moitié du marché intérieur, n’a pas signé l’accord sans pour autant s’opposer au principe du paiement de redevances. 49
La Corée du Sud venait au troisième rang mondial, derrière la Suède et la Norvège.
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informations, contribuant par ce biais à ébranler la confiance des différents acteurs, qui est le fondement même du fonctionnement des marchés financiers.
Le marché du travail
Internet est devenu également un vecteur important dans le fonctionnement du marché du travail : il est utilisé à la fois par les demandeurs d’emploi et par les employeurs ; beaucoup d’entreprises n’ont d’ailleurs pas d’autre mode de recrutement qu’Internet. Des sites en ligne se sont ainsi développés, sur lesquels des demandeurs d’emploi fournissent directement des informations détaillées au sujet de leurs expériences professionnelles passées, parfois assorties de commentaires personnels (electronic freelance ou e-lancers). En mai 1999, le gouvernement a lancé officiellement un marché électronique du travail, dénommé Work-Net, s’inspirant d’une expérience canadienne (WorkInfoNet). Le système est accessible via Internet et il fournit de nombreuses informations et services tels que les emplois vacants, la formation professionnelle ou encore les statistiques et la législation du travail. Presque tous les emplois vacants répertoriés dans les organismes publics peuvent être atteints par ce biais. A ce jour, plus de 3 millions de personnes à la recherche d’un emploi sont enregistrées sur ce site, qui reçoit quotidiennement jusqu’à 50 000 visiteurs.
Les jeux en ligne
Les jeux en ligne ont joué un rôle crucial dans la diffusion rapide de l’Internet haut débit en Corée du Sud, nous l'avons vu. L’initiation de toute une classe d’âge – la plupart des adolescents ont découvert Internet par le truchement du haut débit en jouant – constitue à ce jour un exemple unique au monde. L’expérience de la Corée du Sud contraste avec celle des pays européens et des Etats-Unis : en Corée, ce sont des jeux de stratégie mettant aux prises un nombre important de joueurs, alors qu’en Europe et aux Etats-Unis il s’agit plutôt de jeux de combat impliquant en moyenne huit joueurs. Ces jeux ont créé un monde virtuel dans lequel des centaines de milliers de joueurs coexistent. Chacun peut en permanence modifier les contours de cet univers. A l’inverse des jeux disponibles sur des consoles individuelles (PlayStation de Sony, par exemple), ce type de jeux n’est pas fondé sur la dextérité de l'utilisateur, mais plutôt sur l’interaction en temps réel avec d’autres joueurs50. En outre, ces jeux peuvent être mis à jour régulièrement par l’adjonction de nouveaux épisodes, et ils ont une durée de vie plus longue – de l’ordre de cinq à six ans – que les jeux individuels. Ils requièrent toutefois des ressources substantielles pour leur développement, leur mise en ligne et leur maintenance.
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Ces jeux présentent les caractéristiques suivantes : nécessité du haut débit, 4 000 utilisateurs/serveur, 40 serveurs (chaque serveur supportant un « monde virtuel »), maximum de 160 000 utilisateurs en même temps, heures d’affluence (22 heures – 3 heures du matin).
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Le chiffre d’affaires des jeux en ligne a progressé en Corée du Sud de 40 % entre 2000 et 2001 pour atteindre 268 milliards de wons, soit cent fois plus qu’au Japon. Le marché des jeux en ligne est relativement concentré : il est constitué de 300 opérateurs dont 10 dominent le marché. Le niveau de la concurrence est beaucoup plus rude qu’au Japon. Le leader du marché est NCSoft Corp avec un chiffre d’affaires qui a été multiplié par 250 au cours des cinq dernières années ! La réussite de NCSoft n’est pas isolée, la société Neowiz par exemple, fournisseur de jeux en ligne en trois dimensions, a fait état d’une croissance record de son chiffre d’affaires et de son profit au premier trimestre 2003. Dans le cas de NCSoft, les joueurs s’acquittent d’un abonnement forfaitaire mensuel de 23 dollars pour jouer de leur domicile, ou bien ils peuvent jouer du PC bang sur la base d’un paiement de l’ordre de 0,8 dollars de l'heure. NCSoft est rémunéré par les fournisseurs d’accès qui offrent ses jeux aux abonnés. Si, à l’origine, 80 % des revenus provenaient des PC bangs, ils représentent actuellement 50 %.
NCSoft un nouveau « modèle d’affaires » Le fondateur de cette société, qui a à peine quatre ans d’âge, a d’emblée pris la dimension des spécificités de ce type de jeux par rapport à ceux que l’on trouvait sur les consoles. Le principe est le suivant : après avoir acquitté un droit d’usage, les joueurs peuvent créer leurs propres aventures, souvent en forgeant des alliances avec d’autres joueurs : on ne joue plus contre un ordinateur mais contre d’autres joueurs éloignés. De nouveaux épisodes sont régulièrement introduits. La société, avec 42% du marché domestique des jeux en ligne, est un leader innovant. Elle doit sa position à son nouveau jeu stratégique, Lineage, qui compte 4 millions de joueurs réguliers, principalement en Corée et à Taiwan où 150 000 personnes peuvent jouer simultanément. En 2001, 70 % du chiffre d’affaires de NCSoft provenaient de joueurs utilisant des accès résidentiels. Ce constat a conduit la société à concevoir et à lancer des jeux en ligne plus adaptés aux goûts familiaux. La question de la commercialisation de ces jeux en dehors de la Corée ou de l’Asie est problématique tant chaque marché national a pour l’instant produit sa propre culture.
En dépit de la réussite de NCSoft, la popularité des PC bangs ne se dément pas. A cela au moins deux raisons : d'une part, les tarifs y sont toujours abordables, d'autre part les joueurs peuvent s’y affranchir de la tutelle des parents, qui continuent d’accorder une grande importance à l’éducation, ce qui fait que les enfants ont, a priori, moins de facilité pour jouer à la maison. L’usage intensif et extensif de ces jeux commence à produire des effets sociaux non négligeables. Le dernier jeu de NCSoft, Lineage, reproduit par exemple à partir de la constitution de communautés – on peut même parler de clans51 – divers comportements humains aussi bien dans le domaine de la politique, de l’économie que de la sphère sociale. Et ils doivent suivre ce mode d’organisation afin de jouer efficacement et de remporter les parties. Le lieu de rencontre de ces communautés est le plus souvent les PC bangs. Ces groupes sont majoritairement constitués de jeunes hommes âgés d’une dizaine d’années à la trentaine passée. La Corée est le seul pays au monde à disposer de joueurs professionnels sous contrat avec des entreprises locales ; en 2000 s’est tenu à Séoul, après des phases préliminaires dans quarante-cinq pays, un concours international de jeux en ligne.
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Sur la base d’entretiens, Séoul mai 2003.
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Par ailleurs, ces jeux s’avèrent être une activité lucrative, qui contribue à revigorer une bourse des nouvelles valeurs, le Kosdaq, quelque peu sinistrée par l’éclatement de la « bulle » Internet. Par exemple, Webzen, un développeur de jeux en ligne, a battu tous les records (3,3 trillions de wons, soit 2,6 milliards d'euros) lors de l‘introduction sur le Kosdaq, au mois de mai 2003. Les trois fondateurs se sont rencontrés sur Internet, en 1997, via une communauté virtuelle pour le développement des jeux. Selon le MIC52, les jeux en ligne occupent certes une place importante dans le paysage quotidien des adolescents coréens, mais le phénomène doit être relativisé. En effet, si on procède à des comparaisons internationales, ces derniers ne jouent pas plus que leurs homologues européens par exemple : le nombre d’heures passées à jouer en ligne en Corée correspond à peu près à celui consacré aux consoles de type Playstation de Sony. En outre, il y a de nombreuses autres communautés hébergées et accessibles via Internet en dehors de celles qui concernent les jeux en ligne. Mais s’il est un secteur, a priori, dans lequel l’Etat n’a joué aucun rôle, c’est bien celui des jeux en ligne : sa croissance doit tout à l’initiative privée... L’Etat a néanmoins jugé nécessaire d’intervenir en créant en 1999, sous la tutelle du ministère de la Culture et du Tourisme, le Korea Game Promotion Center53. Ses missions se sont étoffées, en 2002, et comprennent désormais la promotion des exportations – avec un objectif, en 2003, de 500 millions de wons pour une production totale d’une valeur d’un trillion –, de la formation professionnelle (Game Academy), et un soutien ciblé à des activités de recherche et entreprenariales (venture business)54. Ce soutien national a été complété par deux initiatives locales portant sur la création de complexes industriels de jeu à Daejeon et à Gwangju55.
LE DEBORDEMENT DE LA SPHERE MARCHANDE
La sphère marchande n'est pas le domaine exclusif de l'utilisation d'Internet. L'expansion de celle-ci tient à un processus qui s’appuie principalement sur les mutations profondes que connaît la société coréenne. Mais en y regardant de plus près, il apparaît que le nouveau média électronique n’a joué qu’un rôle de catalyseur dans les transformations en cours, notamment dans le développement de la vie communautaire. Cette propension culturelle qui est bien antérieure à l’arrivée d’Internet et coïncide en fait avec la démocratisation du pays, à partir des années 1980, constitue peut-être le facteur explicatif le plus pertinent de l’adhésion des Coréens aux nouvelles technologies de l’information et de la communication. La prolifération des forums virtuels atteste de cette
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Entretien, Séoul, mai 2003.
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Qui est devenu, en janvier 2002, le Korea Game Development and Promotion Institute.
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Entretien, Séoul, mai 2003.
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Korea Game Development and Promotion Institute, 2003: The Rise of Korean Games, Séoul, 2003.
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nouvelle vitalité, comme le montre le succès du portail Daum, créé en 1999, qui comprend 2,5 millions de clubs virtuels et revendique 26 millions d’usagers. Cet engouement lui a permis d’être l’une des rares à être bénéficiaire, en 2002, dans le secteur de la « nouvelle économie ». D’autres entreprises tentent d’ailleurs de mettre en valeur ce penchant pour la vie communautaire en capitalisant sur l’agrégation de la diversité des opinions qui favorisent des prises de décision collectives ou l’association d’activités ludiques, éducatives ou culturelles56. Deux expériences récentes de grande ampleur ont attesté le rôle de « facilitateur » social que peut jouer Internet : il s’agit, d’une part, de la Coupe du monde de football de 2002 qui a été co-organisée par la Corée du Sud et le Japon et, d’autre part, de la dernière élection du président de la République, en décembre 2002. Dans le premier cas, Internet a été utilisé pour susciter un mouvement de soutien et de ferveur autour de la sélection nationale. Il a aussi contribué à réunir dans la rue une foule de personnes afin de célébrer les différents succès de l’équipe lors des phases de qualification pour les poules finales. Le large usage d’Internet a permis à ce phénomène social d’être quasi spontané. Dans l’autre cas, il s’est agi de la forte mobilisation par le biais d'Internet des supporters d’un des deux candidats, qui a fait pencher la balance. L’innovation (la désagréable surprise pour certains !) a résidé dans le fait qu’un candidat qui n'était pas donné vainqueur dans les sondages d’opinion et n'était pas soutenu par l’establishment économique, notamment par les dirigeants des chaebol, a finalement emporté les suffrages des électeurs. Plus largement, Internet participe incontestablement à l’émergence de contre-pouvoirs dans une société qui reste encore largement sous l’emprise des faiseurs d’opinion, au premier chef desquels les appareils d’Etat, dont l’objectif premier est d’assurer un contrôle social.
L’éducation
L’éducation est un thème sensible dans un pays comme la Corée du Sud, où l’école constitue une institution centrale non seulement en tant que creuset de l’identité nationale mais aussi comme vecteur essentiel de promotion sociale. L’éducation des enfants demeure une valeur familiale fondamentale. Partant de là, il paraît logique que les premières campagnes gouvernementales de promotion de l’Internet aient explicitement mis en avant les avantages du nouveau média dans l’acquisition et la maîtrise des connaissances. Selon le Korea Education and Research Information Service, des initiatives aussi simples que l’encouragement à ce que les maîtres d’école fassent figurer les devoirs à faire à la maison sur leur site web, ou l’obligation pour les élèves d’envoyer leurs devoirs par courriel, conduit les parents à penser qu’Internet est désormais une composante essentielle de l’éducation et de la réussite de leurs enfants. Les risques de dépendance et de détournement du nouveau média pour les jeunes classes d’âge ont été pris en compte récemment. Ainsi le ministère de l’Education a-t-il
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En 2002, 40 % des internautes coréens appartenaient à des communautés en ligne, 6 % faisant partie de plus de treize communautés.
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confié le soin à l’université nationale de Séoul et au Korea Agency for Digital Opportunity and Promotion, qui promeut l’usage d’Internet, de mettre au point un test de dépendance à Internet57. Expérimenté auprès de 2 000 élèves, il a montré que 5 % des élèves des classes élémentaires, et 4 % des élèves des classes secondaires présentaient un réel risque de dépendance58. Le gouvernement a financé le câblage des écoles ; KT fournit, depuis le mois de septembre 2000, des accès Internet (200 Kbits/s) à 10 000 écoles. Toutefois, le volontarisme des autorités publiques en ce domaine répond partiellement aux défis que constituent un certain nombre de problèmes structurels au sein de l’institution éducative59. Le système universitaire apparaît encore comme le maillon faible du système éducatif du pays60, même si plus de 40 % des universités offrent des cours en ligne et que 16 cyberuniversités existent déjà. Il en est de même du système public de recherche qui, malgré des dépenses globales dans ce domaine approchant la barre des 3 % du PIB, voit son rendement amoindri par le manque d’interaction entre les universités, les instituts publics de recherche et le secteur privé. Enfin, il est un autre domaine sensible qui concerne la constitution de bases de données centralisées relatives aux élèves et aux étudiants, permettant notamment d’assurer le suivi pédagogique. Dans le cadre de l’informatisation des différentes administrations, le gouvernement a dépensé 22 milliards de wons (17,6 millions d'euros) pour la constitution du National Education Information System qui est utilisé par près de la totalité des établissements scolaires. Le problème actuel réside dans l’opposition à certaines parties du système d’information manifestée par un puissant syndicat d’enseignants – le Korean Teachers and Educational Workers Union, de tendance progressiste – appuyé par plus de mille groupes civiques. Le principal grief avancé est qu’il rend public des informations qui ne devraient pas l’être, car elles relèvent fondamentalement de la vie privée. Un panel d’experts61 a donné raison aux plaignants et recommandé de modifier le contenu du système d’information pour supprimer les domaines incriminés. Il s’agit, par exemple, d’informations relatives à la santé des étudiants ou encore à leur niveau lors de l’examen pour l’admission à l’université. La commission a aussi recommandé de ne pas retenir d'informations personnelles sur les enseignants, comme leur type sanguin ou leur appartenance à une organisation sociale et politique62. Le débat a vite pris une tournure politique, démontrant la vitalité de la société civile, lorsque deux syndicats d’enseignants de tendance conservatrice – le Korean Federation of Teachers’ Associations et le Korean Union of Teaching and Education Workers – refusant la décision prise et entérinée par le ministre, ont décidé de lancer une campagne nationale de recueil de signatures demandant explicitement la révocation du ministre de l’Education.
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Il se présente sous la forme d’un questionnaire comportant 40 questions. « Internet addiction can be tested », JoongAng Daily, 17 février 2003. Voir Economic Survey of Korea, Paris, OCDE, 2003. OCDE, La Corée du Sud, 2003. National Human Rights Commission of Korea.
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« Human rights panel recommend NEIS revision », The Korea Herald, 13 mai 2003, à consulter sur le site http://www.koreaherald.co.kr
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Les relations citoyens-administration
La mise en place de l’e-government a été jalonnée de nombreuses mesures. Les premiers pas remontent au milieu des années 1980 lors de l’implantation du National Basic Information System, par lequel l’information administrative de base – les titres de propriété des immeubles et des véhicules par exemple – a été progressivement informatisée63. A partir de la moitié des années 1990, le pays a mis en œuvre le KII qui a conduit au lancement d’un programme systématique (Comprehensive Plan for eGovernment) en 1999. Et, en 2000, le dispositif public a même renversé le sens habituel de la relation : désormais le citoyen prime sur le bureaucrate avec un nouveau slogan, « Government for citizen » (G4C) ! Les efforts déployés en faveur de l’e-government ont ensuite été accentués, début 2001, après l’établissement d’un comité d’experts – Special Comittee for e-Government64 – directement rattaché à la présidence de la République. En 2001, l’Information Strategy Planning for Construction of an Interconnected Information System a été désigné comme l’un des principaux piliers du nouveau système d’information publique et a été inauguré en grandes pompes, en novembre 2002. Il offre un éventail de services uniques via un portail unique65. Le MIC, à travers la National Computerization Agency, a joué un rôle critique dans toutes les phases préliminaires des projets de cyberadministration. Pour ce faire il a eu recours à partir de 1996 à un fond spécialisé, l’Informatization Promotion Fund. Il a collecté approximativement 2,5 milliards de dollars dont l’origine provenait, d’une part, du budget national et, d’autre part, de l’abondement par les opérateurs de télécommunications (KT et Hanaro). Cette facilité de trésorerie a permis au ministère de financer sans attendre les premières opérations à un moment crucial où le budget public n’avait pas connaissance de projets suffisamment préparés et étayés en termes de services offerts et de coûts. Le ministère était par ailleurs convaincu de la nécessité de procéder à une évaluation systématique et détaillée des divers programmes avant de s’engager dans des efforts concrets et nécessairement coûteux. De manière générale, les projets coréens en matière d’e-government sont comparables à ceux que l’on trouve, avec des degrés d’avancement divers, dans les pays industrialisés66. Ils visent fondamentalement à faciliter l’accès aux documents publics, à simplifier l’administration, à partager les informations administratives et à mettre en relation les citoyens et l’administration. En 2003, onze projets présélectionnés ont été mis en œuvre avec un budget de 0,8 million de dollars (voir le tableau 8). Si, officiellement, l’Information Promotion Committee, sous la tutelle du Premier ministre, joue un rôle de coordination et d’arbitrage des intérêts parfois opposés des agences gouvernementales, en pratique, ce sont les différents ministères, comme le MIC, le Ministry of Planing and Budgeting ou encore le Ministry of Government
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National Computerization Agency, E-Government in Korea, Séoul, 2002.
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Composé de neuf hauts fonctionnaires et de six représentants de la société civile.
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Entretien avec un représentant de la National Computerization Agency, Séoul, mai 2003.
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Selon l’OCDE, la Suède est le pays au monde le plus avancé dans ce domaine.
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Administration and Home Affairs, dont les champs de compétences recoupent largement l’e-government, qui ont eu une fonction décisive. Le système en ligne de commandes publiques inclut approximativement 26 000 organismes publics et plus de 95 000 entreprises. Avec 3 trillions de wons (2,4 milliards d'euros) le gain estimé de son usage constitue le premier poste d’économie pour les finances publiques (voir le tableau 9). Mais la mise en œuvre de ces projets – notamment l’installation de 835 kiosques électroniques dans les administrations et certaines gares – qui ont été lancés en grande fanfare par le gouvernement, en novembre 2002, s’est avérée jusqu’ici décevante. Le verdict des usagers a été sans appel : l’usage en est trop complexe, d’où leur désintérêt. La passation des commandes publiques en ligne est le seul projet d’e-government qui fonctionne réellement : 87 % des commandes sont déjà passées en ligne. En dehors de l’efficacité et de l’ouverture à de nouveaux prestataires, la généralisation de ce type de transactions peut contribuer à réduire la corruption entre fonctionnaires, hommes politiques et dirigeants d’entreprise. La complexité est le principal reproche et la plupart des usagers trouvent que les démarches traditionnelles telles que le déplacement aux guichets des différentes administrations ou un appel téléphonique demeurent plus rapides. La demande d’accès aux différentes bases de données administratives nécessite que l’identité du demandeur soit reconnue par un code. Si quatre agences publiques ont été sélectionnées par le gouvernement pour produire ces codes sous forme d’une seule base de données, cette procédure nécessite toutefois que l’usager se rende au préalable dans une banque. Mais cette nécessaire démarche reste largement méconnue, ce qui suscite des tentatives d’interrogation du système électronique infructueuses et le rejet, in fine, du système dans sa forme actuelle. En novembre 2002, lors du lancement effectif de l’e-government, 155 000 personnes en moyenne accédaient quotidiennement à ses services, alors que six mois plus tard le nombre se situait au tiers. A l’heure actuelle, les 950 demandes par jour ne représentent que 0,095 % des trois millions de documents civils traités quotidiennement hors ligne. Une deuxième récrimination des utilisateurs tient à ce que les services les plus demandés ne sont pas accessibles en ligne en raison du peu d’entrain et même de la réticence de certaines administrations à collaborer pleinement. Un troisième problème invoqué résulte de l’absence de caractère juridique des documents traités en ligne. Par exemple, une fois accomplies les différentes procédures sur Internet pour obtenir des fiches d’état civil, il faut soit se rendre en personne auprès des administrations, soit recevoir les documents valides par courriel. Enfin, le propre de tout système d’information électronique est de fonctionner de manière continue (24 heures sur 24), s’il est fait exception des nécessaires périodes de courte durée permettant d’assurer les opérations usuelles de maintenance. Mais tel n’est pas le cas de l’e-government coréen ! En effet, en raison d’un conflit ouvert entre le Ministry of Government Administration and Home Affairs et le MIC au sujet de l’autorité de tutelle du site informatique, le système n’est accessible via Internet que pendant les heures ouvrables...
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La vie politique
Internet a parfois été vu comme le média idéal pour assurer une relation étroite entre le pouvoir et le peuple : la démocratie directe serait à portée, avec ses sondages permanents, ses référendums réguliers et un accessibilité quasi instantanée aux informations de nature politiques67. A l’évidence, la Corée du Sud ne remplit pas encore ces conditions (le fera-t-elle un jour, et d’ailleurs est-ce souhaitable ?). Il n’en demeure pas moins que des signes récents ont mis en évidence le rôle que pouvait jouer Internet dans la vie politique nationale. Les enquêtes d’opinion par Internet ont acquis un nouveau statut lors de la campagne du dernier président Roh Moo-hyun en 2002 que nous avons évoquée plus haut. Ses partisans ont eu largement recours aux sondages électroniques instantanés afin d’ajuster le contenu des discours et des programmes avec le souci de produire et de diffuser sur « le réseau des réseaux » une image positive de leur candidat. L’équipe de campagne a bien compris tout l’intérêt qu’elle pouvait tirer du nouveau média et l’a parfaitement exploité pour toucher des masses de citoyens « branchés », contribuant ainsi largement à la victoire de Roh Moo-hyun à l’investiture suprême. De manière incidente, cet événement traduit l’émergence d’un secteur d’activité économique dynamique, celui des enquêtes en ligne : son chiffre d’affaires annuel est ainsi passé de 200 millions de wons en 1997 à 5 milliards de wons (4 millions d'euros) en 2002, il est estimé à 15 milliards (12 millions d'euros) pour l’année 2003 68. Fort du rôle joué par Internet dans son élection surprise, le nouveau président utilise désormais ce média afin de rechercher un support direct et une légitimité auprès des diverses communautés virtuelles de citoyens. C’est ainsi que devant la résistance de certaines forces sociales nationales, il a adressé, début mai 2003, un courriel à plus de 5 millions de citoyens dans lequel il comparait certains hommes politiques nationaux à de « la mauvaise herbe » qu’il fallait arracher69. Le président est conscient d’avoir une dette vis-à-vis des moins de 40 ans, qui se sont constitués en un groupe de soutien comprenant 70 000 membres via Internet dénommé Roh Sa Mo70. Un deuxième phénomène intéressant dans le champ du politique réside dans le développement de mouvements de citoyens (simin undong). Apparus à la fin des années 1980, ils ont proliféré, dans la décennie suivante, d’abord autour des questions d’environnement (pollution industrielle, urbanisation outrancière...), puis autour de questions relatives à la cohésion et la justice sociale (réduction des inégalités, contrôle de la bonne utilisation des fonds publics et de la moralité des élus). Selon Eric Bidet : « aujourd’hui, ces mouvements constituent un des contre-pouvoirs les mieux organisés et les plus actifs au sein de la société sud-coréenne, et l’un des principaux lieux de
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Voir M. Gensollen , « Marché électronique ou réseaux commerciaux », Revue économique, Vol. 52, numéro hors série, octobre 2001, pp. 137-161. 68
The Korea Herald, 6 février 2003, à consulter sur le site http://www.koreaherald.co.kr 69
« "Pull the weeds" Roh e-mail says », JoongAng Daily, 9 mai 2003, à consulter sur le site http://joongangdaily.joins.com 70
« Les personnes qui aiment Roh Moo-hyun ».
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résistance à la transition vers un modèle libéral d’inspiration anglo-saxonne »71. Ces orientations récentes montrent qu’Internet participe incontestablement à la remise en cause du modèle de gouvernance antérieur en permettant la formation d’opinions publiques diversifiées. Il n’y a donc pas ici de déterminisme technologique mais seulement une confluence d’événements.
L’ENVERS DE L’INFORMATISATION DE LA SOCIETE
Le risque de « fossé numérique » qui était régulièrement avancé comme le principal danger pour la cohérence sociale et l'obstacle à la réduction des inégalités, tend à laisser place au plan national à des inquiétudes plus contingentes, résultant de l’émergence d’une nouvelle délinquance. La Corée du Sud s’inscrit dans cette tendance générale même si le pays, en raison de son niveau d’informatisation avancé, est préoccupé par des questions de sécurité informatique. Il n’en demeure pas moins que la Corée du Sud comporte un certain nombre d’inégalités devant les accès à Internet (voir le tableau 10). L’âge, suivi du niveau d’éducation, sont les deux facteurs principaux de discrimination. Cette dernière dimension confirme les résultats de travaux empiriques sur le rôle crucial du niveau d’éducation dans la diffusion des technologies de l’information. La promulgation, en septembre 2001, du Digital Gap Narrowing Act a permis au gouvernement de prendre un certain nombre de mesures de correction : ne pas tenir à l’écart les zones rurales ou peu accessibles du nouveau réseau national de télécommunications à très grande vitesse 72, offrir gratuitement des ordinateurs d’occasion aux catégories sociales à faibles revenus et aux personnes handicapées, etc. La cyberdélinquance constitue à l’évidence un problème crucial pour l’informatisation du pays, d’autant plus que les différents réseaux de télécommunications fixes et mobiles se sont progressivement entrelacés. Le tableau 11 fournit un premier bilan de ces différents délits : contenus indécents et piratage. Si depuis 2000 la progression du nombre d’internautes et celle du nombre de contenus indécents sont parfaitement corrélés, le volume d’incidents relevant d’actes de piratage a littéralement explosé : +174 % entre 2000 et 200173. Et selon la National Police Agency, le pays a reçu près de 4 500 plaintes de tentatives d’incursion de pirates sur les serveurs coréens, d’août 2000 à mars 2001, soit 40 % des délits répertoriés au plan mondial ; la Corée du Sud devance les Etats-Unis, la Chine et Taiwan pour ce type de délits. Le gouvernement a décidé,
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Eric Bidet, « Corée du Sud : leçons et impact de la crise », in Jean-Marie Bouissou, Diana Hochraich, Christian Milelli (dir.), Après la crise... les économies asiatiques face aux défis de la mondialisation, Paris, Karthala (à paraître en 2003). 72
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« Super-highway Information Network ». Selon la Korea Association of Information and Telecommunication.
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depuis octobre 2001, d’instaurer le 15 de chaque mois un jour de sensibilisation du public aux dangers de la cyberdélinquance. Il a aussi renforcé l’arsenal juridique en promulguant le 1er juillet 2001 une loi cadre (Major Information and Communication Infrastructure Protection Act). Enfin, un autre aspect peu évoqué a trait à la précarisation des personnes employées par de nombreuses sociétés de la « nouvelle économie ». Un certain nombre d’anecdotes convergentes74 montrent que ce couplage de plus en plus étroit entre ces sociétés et celles de « l’ancienne » économie est une source croissante de stress pour les employés. Ainsi, confrontés au scepticisme des internautes coréens sur les avantages du commerce en ligne, les sites de vente ont-ils comprimé drastiquement les délais entre la commande en ligne et la livraison effective : dans la capitale, les nouveaux commerçants s’engagent à livrer à domicile les commandes passées dans la journée.
L’AVENEMENT DE LA « SOCIETE INFORMATIONNELLE » ?
Le passage rapide de la Corée du Sud, pays fortement industrialisé, à une société de type informationnelle montre qu’un pays peut s’affranchir sous certaines conditions de contraintes fortes résultant de son histoire et de son mode de configuration institutionnelle, pour emprunter une autre trajectoire de développement75. Cette inflexion doit, ici, beaucoup au rôle de l’Etat qui est non seulement l’architecte d’un grand dessein national, mais aussi l’artisan de la transformation du cadre d’action et du contexte afin que les différents agents disposent d’une certaine marge de manœuvre pour déployer leurs stratégies. Il s’agit d’abord des acteurs industriels. En premier lieu, l’émergence d’une industrie électronique nationale, avec des groupes de premier plan mondial, a favorisé cette évolution par la fourniture de solutions techniques appropriées : le secteur des technologies de l’information est celui qui a le taux de croissance le plus élevé au sein de l’économie nationale. En second lieu, la multiplication des canaux de financements externes aux entreprises s’est notamment traduit par la mise en place et la poursuite après la crise de marché de capital-risque76 – en 2000, avec 2 trillions de wons, soit 0,63 % du PIB, c'était le marché le plus développé d’Asie, loin devant le Japon – dont le placement de fonds a nourri le soutien de nouvelles sociétés d’Internet. En effet, la part des technologies de l’information et de la communication dans les placements des sociétés de capital-risque est passée de 7 % en 1998 à 64 % en 2001. Toutefois, le gouvernement, à hauteur de 52 %, et les chaebol, pour 40 %, constituaient la quasitotalité des pourvoyeurs de fonds, et ce malgré des mesures de dérégulation prises
74
Sur la base d’entretiens, Séoul, mai 2003.
75
Pour évoquer ce phénomène on parle de path-dependency. Voir Brian Arthur, Increasing Returns and Path Dependency in the Economy, The University of Michigan Press, Ann Arbor, 1994. 76
A presque triplé en volume entre 1998 et 2001.
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après la crise de 199777. Mais un regard plus attentif sur cette « société informationnelle » en émergence révèle d’abord, ce que confirment toutes les comparaisons internationales, le niveau avancé de l’infrastructure de base dans le domaine des réseaux de télécommunications. Les projets gouvernementaux en cours portent largement sur cette dimension perçue comme prioritaire : toujours plus de débit ! Cette orientation est accentuée par l’arrivée du téléphone mobile 3G et ses lourdes contraintes économiques et techniques. Le graphique 1 fait ainsi apparaître que la diversité des usages d’Internet est encore relativement réduite compte tenu de l’infrastructure en place ; les comparaisons internationales ne sont pas ici à l’avantage de la Corée du Sud. Ce constat rappelle qu’il n’y a pas de déterminisme technologique, et que la société informationnelle ne constitue pas une nouvelle forme d’évolution de nos sociétés, mais qu’elle doit être étroitement couplée à un espace politique ouvert et à une place croissante dédiée à la connaissance dans la production de valeur. A ce titre la recherche et l’enseignement supérieur sont des vecteurs cruciaux de cette société en devenir. Les autorités ont pris la mesure de l'enjeu et mis en place des programmes volontaristes qui tentent de dépasser certaines limites, dont le déficit de communication entre les institutions nationales de recherche et les entreprises. Les autorités mobilisent le média électronique de manière croissante. Ainsi, dans le cadre de l’e-government, tout inventeur peut, depuis janvier 1999, remplir sur Internet une demande d’enregistrement de brevet auprès du Korea Intellectual Property Office78. Tout citoyen peut aussi procéder gratuitement à des recherches sur les bases de brevets nationales et étrangères79. Dans le domaine de la vie politique et sociale, il est incontestable qu’Internet a ébranlé l’emprise de l’Etat et des grands conglomérats en permettant une plus grande diversité d’informations. Mais ici encore Internet doit être vu davantage comme un révélateur, au mieux un catalyseur du changement social et politique. Plus généralement, l’avenir de la Corée du Sud réside plus dans sa capacité à forger des institutions propres permettant notamment l’éducation des citoyens et l’exercice de la citoyenneté par la délibération et le compromis politique, que dans le fait de devenir plus privatisé, plus global ou encore plus américain. L’expérience menée par « le pays du matin calme » dans le domaine de l’Internet haut débit montre que cela est possible80.
77
Ainsi, moins de 3 % des fonds étaient d’origine étrangère. 78
38 milliards de wons on été dépensé de 1995 à 1998 pour mettre au point ce système (KIPOnet Service) ; en 2001, plus de 80 % des 290 000 demandes de brevet ont été introduites en ligne et le nombre d’utilisateurs a atteint 3,3 millions. 79
En 2001, plus de 20 millions de brevets étaient ainsi disponibles en ligne.
80
L’auteur remercie les services du Poste d’expansion économique de Séoul (Guillaume Briand, Hong KieUn) pour leur collaboration.
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64
Sources d'information Experience,KoreaInformation Development Institute, février 2002.
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Center,
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KoreaAssociationofInformation Telecommunication, http://www.kait.or.kr
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Content
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Korea
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Network
Statistical
Office,
Information
Center,
32
65
http://www.nic.or.kr (prend en charge l’inscription et la gestion des noms de domaine portant l’extension kr. C’est aussi un observatoire du développement d’Internet au plan national).
Ministry of Information http://www.mic.go.kr
and
NationalComputerization http://www.nca.or.kr
Agency,
Posted’expansionéconomique http://www.dree.org/me
(Séoul),
Communication,
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Annexes
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Principales lois en matière d’informatisation de la société
• Informatization Promotion Basic Act Votée le 4 août 1995, promulguée en janvier 1996, elle a été révisée en janvier 2001. C'est la loi cadre pour la politique nationale d’informatisation : elle trace les grandes lignes du KII, établit l’Informatization Promotion Committee, qui sera la cheville ouvrière des programmes nationaux, et met en place un fond de soutien aux différentes réalisations, l’Informatization Promotion Fund. Elle a aussi pour objectif de promouvoir les activités d’informatisation au sein des organismes publics (e-government) et plus généralement l’accélération de l’infrastructure d’une industrie du transfert d’informations.
• Civil Affairs Service Processing Act Promulguée le 22 août 1997, elle a pour objectif de réaliser une administration accessible qui garantisse les droits individuels en préparant un dispositif institutionnel qui accepte les opinions des usagers sur l’administration et le service des affaires civiles. Le décret d’application, qui fut amendé le 13 octobre 2000, a préparé les stipulations de base sur l’offre d’un service des affaires civiles via Internet.
• Closing the Digital Divide Act Promulguée le 16 janvier 2001, elle a pour objet de stimuler l’environnement et de fournir des opportunités pour l’usage de l’information aux titulaires de faibles revenus, les personnes handicapées ainsi que les personnes âgées, qui sont dans une position désavantageuse dans l’usage de l’information en raison de conditions économiques, physiques et sociales particulières.
• Computer Program Protection Act A été promulguée le 31 décembre 1986 et révisée en janvier 2001. En raison de la tendance croissante à la violation des droits de propriété, il s’engage désormais à protéger les détenteurs de copyrights et de droits de propriété intellectuelle sur les programmes informatiques et les applications. La révision tient également compte des dispositifs en la matière du nouveau traité international sur les droits de propriété.
• Consumer Protection on e-Commerce Act Elle définit des transactions équitables de services et de propriété en matière de commerce électronique et du télémarketing. Elle protège aussi le droit des consommateurs.
• Digital Gap Narrowing Act Promulguée en septembre 2001, elle a servi de base pour un plan gouvernemental associant 14 ministères.
• Digital Signature Act Promulguée le 5 février 1999, elle a été révisée en décembre 2001. Elle définit juridiquement la signature électronique et son usage ; elle garantit aussi la sécurité et la fiabilité dans l’envoi de données.
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• Establishment and Utilization of National Geography Information System Act Promulguée le 21 janvier 2000, elle vise à préparer la société du XXIe siècle fondée sur l’information en fournissant au public des informations géographiques précises. Elle prévoit aussi de rationaliser l’usage de l’espace et la gestion du système national d’information géographique.
• Framework on e-Commerce Act Promulguée le 8 février 1999, elle traite des questions de base du commerce électronique, à savoir assigner au document électronique le même niveau d’attribut juridique que celui du document écrit, assurer la fiabilité du commerce électronique, protéger les consommateurs et pousser la politique de promotion du commerce électronique.
• Freedom of Information Act Promulguée le 31 décembre 1996, elle assure le droit des personnes de savoir, ainsi que leur participation dans l’administration en spécifiant l’obligation de divulgation de l’information par les institutions publiques. Elle traite également des aspects concernant les demandes des individus pour la divulgation des informations. De manière générale, cette loi stipule le statut des prétendants à la divulgation d’informations, les informations non soumises à divulgation, les procédures de divulgation et celles concernant les recours en cas d’insatisfaction, etc.
• Laws on Protection of Intellectual Property Rights A la suite du développement de la technologie digitale et d’Internet, la protection effective et l’application de divers droits de propriété intellectuelle, telle que les copyrights, les brevets et marques, sont devenus cruciaux. La Corée du Sud a amendé le Copyright Act en janvier 2000. Elle stipulait la transmission du droit du détenteur de copyright et a permis la reproduction et la transmission entre bibliothèques via des systèmes de traitement de l’information. En outre, le Computer Program Protection Act a été amendé plusieurs fois pour établir un droit de transmission des programmes informatiques, interdire les activités qui rendent inapplicables les mesures de protection et autoriser le reverse analysis des programmes.
• Management of Digital Contents Act Cette loi a été promulguée le 28 janvier 2000 afin d’assurer l’infrastructure de l’industrie nationale d’information de telle manière que les secteurs publics et privés puissent utiliser systématiquement des ressources informationnelles qui sont dispersées au sein des différentes administrations tant centrales que locales.
• Promotion of Digitalization of Administrative Work for E-government Realization Act Promulguée le 28 mars 2001, elle a pour objectif d’améliorer la productivité, la sécurité et l’égalité des administrations, et la promotion de la numérisation des tâches de l’administration, telle que la numérisation de la gestion, du service, la réduction du travail de documentation, et la promotion des projets d’e-government.
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• Protection of Major Information Infrastructure Act Promulguée le 26 janvier 2001, elle prévoit l’établissement de manière systématique et large de contremesures pour la protection des infrastructures de communication des principales informations. Elles visent des délits tels que le piratage ou les virus informatiques qui deviennent de plus en plus dangereux avec la dépendance des sociétés actuelles aux systèmes de communication, à la suite des progrès de l’informatisation.
• Privacy Act Promulguée le 7 janvier 1994, elle a été révisée en janvier 2002. Fondamentalement, elle protège la nature privative et la liberté des communications. Plus concrètement, elle vise à lutter contre des effets indésirables de l’usage d’informations personnelles, qui peuvent survenir compte tenu de l’expansion de l’informatisation des principales industries nationales conjointement à la mise en réseau à l’échelle nationale des ordinateurs et bases de données des différentes administrations. Elle spécifie clairement les critères pour la collecte et le traitement des informations à caractère privé, et offre de nombreux droits et recours aux détenteurs de ces informations, comme la divulgation et la rectification des informations.
• Public Record Management of Public Institutions Act Promulguée le 29 janvier 1999, elle vise à gérer de manière systématique les enregistrements au sein des institutions publiques en préparant un schéma uniforme sur la gestion des enregistrements, fondé sur une approche claire et systématique pour la collecte et la maintenance des principaux documents au sein d’organismes publics, comme l’Assemblée nationale, les ministères, les tribunaux et les institutions locales.
• Software Industry Promotion Act Cette loi est en fait un large amendement opéré en janvier 2000 de la Software Development Promotion Act. Elle stipule de manière systématique la mise en place d’un plan de moyen terme pour la promotion de l’industrie du logiciel, fondement de la compétitivité de l'économie nationale dans la société du XXI e siècle.
• Special Video Tele-trial Act Promulguée le 6 décembre 1995, elle étend le service judiciaire en permettant aux insulaires et aux résidents de zones montagneuses retirées de passer en jugement pour de faibles délits devant des juridictions d’une ville sans avoir l’obligation d’être physiquement présents.
• Utilization and Security of Information System and Protection of Personal Information Act Promulguée le 16 janvier 2001, elle stipule la préparation d’une politique de promotion de l’usage des réseaux d’échange d’informations et la sécurité des adresses Internet, l’usage de messages digitaux, la protection des informations personnelles et des enfants vis-à-vis d’informations à caractère sexuel ou de nature violente, la sécurité des réseaux, le contrôle de la délinquance et la restriction dans l’envoi de spam.
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Document 1 Les différentes technologies d’accès large bande de type fixe • Les accès par le câble. En fait, c’est une technologie hybride comprenant un câble en fibre optique entre la station émettrice et un point focal, et un câble coaxial en cuivre de celui-ci à l’usager. Ce service a été introduit en juillet 1998 par Thrunet. Les autres opérateurs ont rapidement suivi et la concurrence s’est élargie avec l’entrée de sociétés de télévision ; toutefois, Thrunet a pu conserver sa place de leader. • Les lignes d’abonnés numériques asymétriques relèvent de la technologie xDSL, car il existe plusieurs variantes, dont la plus utilisée est l’ADSL. Cette technologie peut être mise en œuvre rapidement car elle utilise les lignes existantes en cuivre servant aux transmissions téléphoniques vocales. Elle permet de supporter des applications multimédia, comme la vidéo à la demande. Elle a été introduite, en avril 1999, par Hanaro Telecom qui a été rejoint par KT ; à l’heure actuelle le marché est dominé par ces deux opérateurs. Le débit de cette technologie est en cours de développement (Very high-speed DSL pour un débit de 20 Mbits/s). • Des réseaux locaux (Local Area Network/LAN) à base de fibres optiques connectent des ensembles d’immeubles. La première offre commerciale émanait de KT en décembre 2000 (Megapass Ntopia) et, au début de l’année 2002, il disposait de 64 000 usagers de son nouveau service ; Hanaro Telecom a suivi, en septembre 2001 (HanaFOS e-Valley). Les deux opérateurs ont amorcé un rapprochement avec des entreprises de construction pour développer leur offre. Source : National Computerization Agency, « 2OO2 Korea Internet White Paper », Séoul, 2002.
Document 2 Les différentes technologies d’accès large bande de type mobile • Les accès via le satellite constituent à ce jour la principale alternative aux accès filaires pour l’Internet haut débit (tableau 4). Le recours aux satellites Koreasat Mugungwha* permet des accès maximum de 3Mbits/s. SK Telecom a débuté la commercialisation de ce service en juin 2000 (Satellite Megapass). Au début de l’année 2002, l’entreprise faisait état de 12 000 abonnés ; dans la mesure où l’ADSL et le câble étaient déjà largement diffusés, ce service a été cantonné aux régions montagneuses et isolées. • Wireless LAN (Wifi) d’une fréquence de 2,4 GHz utilisant des bornes placées dans certains endroits publics, comme les gares et les aéroports. Leur couverture est toutefois limitée (hotspots). • La boucle locale. Il s’agit d’utiliser une fréquence de 2,3 GHz. Ce service est en phase de test – Hanaro et KT expérimentent des technologies étrangères – avant l’attribution prochaine de licences. Les vitesses de transmission oscillent entre 144 Kbits/s et 2,4 Mbits/s. Cette technologie devrait permettre de dépasser les limites de la précédente et accroître les perspectives du haut débit mobile. • Les accès via le téléphone. Les performances dans le domaine du téléphone ne sont pas encore du même niveau que ceux des accès filaires, mais la situation évolue rapidement. Elle est liée à des facteurs spécifiques à la Corée du Sud, concurrence sévère entre les trois opérateurs et l’environnement régional, notamment la dynamique du marché chinois. KTF et LG Telecom offrent des services Internet via le standard d’accès multiple à répartition des codes (cdma2000 1x) dit de troisième génération ou 3G**, alors qu’en Europe le standard adopté par les opérateurs est l’UMTS dans le prolongement du GSM. On rappellera que la 3G présente un avantage considérable permettant aux opérateurs d’offrir des services multimédia en améliorant considérablement la capacité des différents canaux d’abonnés individuels et celles des cellules de façon globale. Les opérateurs coréens ont bénéficié de licence 3G à un coût faible comparativement à ce qui s’est passé en Europe – allocation selon le système du « concours de beauté » – de sorte que leur bilan n’a pas été immédiatement plombé. En octobre 2000, SK Telecom a lancé, avec des équipements Samsung, le premier service CDMA2000 1x commercial du monde dans la bande des 800 MHz ; il a été suivi, en mai 2001, par les deux autres opérateurs, LG Telecom et Korea Telecom Freetel. SK Telecom déclarait avoir plus de 7 millions d’abonnés à ce nouveau service, début avril 2002, soit le tiers de ses abonnés ; l’opérateur a introduit, en janvier 2002, une version plus puissante (CDMA2000 1x EV-DO) avec des débits de 2,4 Mbits. * Deux satellites sont actuellement opérationnels, dont le premier a été lancé en 1995 ; le prochain satellite construit par Alcatel sera mis en orbite en 2006. ** En fait, il s’agit de 2,5G qui correspond à la solution européenne, dite GPRS (General Packet Radio System).
Source : National Computerization Agency, « 2002, Korea Internet White Paper », Séoul, mai 2002.
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Tableau 1 Les différentes composantes du Plan KII, 1995-2003
KII government
KII Testbed
KII public
Principal utilisateur
Gouvernement, administration
Centres de recherche, universités
Ménages, entreprises
Investisseurs
Public
Mixte
Privé
Objectif principal
Réseau principal
Réseau expérimental à très fort débit (Testbed)
Boucle locale
Phase 1 : (1995-1997)
Connexion de 80 zones d’appel
Débit de 2,5 Gbits/s entre Séoul et Taejon
Phase 2 : (1998-2000)
Connecter toutes les 144 villes avec réseau fibres optiques
Phase 3 : (2001-2003)
Accroissement de la capacité de 1transmission (Tbits/s)
2
3
Fibres optiques pour les grands immeubles résidentiels 30% des ménage câblés (ADSL ou câbles)
Réseau tout optique
Plus de 80% des ménages disposant des accès de 20 4Mbits/s
1 Tbits/s
: Tera bits pas seconde, soit un débit de 10 12 bits par seconde : Giga bits par seconde, soit un débit de 109 bits par seconde 3Il s’agit de la dernière portion d’un réseau reliant l’utilisateur au premier nœud du réseau des opérateurs 4Mbits/s : Mega bits par seconde, soit un débit de 10 6 bits par seconde 2 Gbits/s
Source : MIC, 2003
Tableau 2 Evolution du budget d’informatisation (en milliards de wons, 1996-2003)
Informatisation Fonds de promotion de l’informatisation TOTAL
1996
1997
1998
1999
2000
2001
2002
499
708
850
1 234
1 359
1 503
1 611
359
554
773
850
748
981
1 189
858
1 262
1 623
2 084
2 107
2 484
2 800
Source : MIC, 2003
Tableau 3 Comparaisons internationales des taux de pénétration de l’Internet haut débit (taux pour 100 personnes, octobre 2001)
Pays Corée du Sud
Taux de pénétration 13,91
Canada
6,22
Suède
4,52
Etats-Unis
3,20
OCDE
1,96
Japon
0,90
Union Européenne
0,82
Source : OCDE 2002
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Tableau 4 Evolution du nombre d’utilisateurs d’Internet haut débit (selon les différents accès, 1998-2002)
Mode d’accès
1998
1999
2000
2001
2002
En %
ADSL
639
171 283
2 074 123
4 387 637
5 664 415
54,4
Câble
13 162
193 244
1 386 058
2 530 008
3 553 830
34,1
539 887
875 850
1 181 352
11,3
1 444
17 424
12 020
5 889
0,2
13 801
365 971
4 017 492
7 805 515
10 405 486
100,0
-
10 millions
19 millions
22 millions
-
Réseaux locaux (LAN) Satellite Total des accès Internet haut débit TOTALdesaccès Internet Source : MIC 2003
Figure 1 Les différents acteurs de la politique nationale d’Informatisation
Comité de promotion de l’Informatisation Conseil stratégique de l’Informatisation (présidé par le Président de la République)
Président : Premier ministre Membres : 24 ministres
Comité exécutif de l’Informatisation Président : Premier assistant du Premier ministre Membres : 25 ministres adjoints
Comité consultatif 26 membres de la société civile
Ministère de l’Information et de la Communication (planification de l’Informatisation)
Sous-comité de mise en application des différentes mesures
National Computerization Agency Aspects légaux, réglementaires
juridiques,
Source : National Computerization Agency, “White paper 2002 on Informatization”, Séoul
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Tableau 5 Composition du commerce électronique (en milliards de wons et %, 1999-2002)
2000
2001
10/2002
Montant
%
Montant
%
Montant
%
B2C
771
1,3
2 813
2,2
3 623
2,8
B2B
55 163
91
118 810
91,6
113 134
88,7
B2G
-
-
7 668
5,9
10 405
8,2
Autres
4 692
7,7
458
0,3
314
0,2
TOTAL
60 628
100,0
129 750
100,0
127 476
100,0
Source : Korea National Statistical Office, 2002 et 2003
Tableau 6 Comparaison des usages du fixe et du mobile pour les accès Internet (en %, 2001)
Fixe
Mobile
43,0
16,0
9,6
73,4
51,4
34,4
Divertissements
26,6
26,4
Chat
45,6
13,4
Jeux
41,2
38,8
Information
15,0
27,2
Achats
19,6
6,8
Réservation
11,2
12,0
e-banking
13,4
5,6
e-bourse
7,2
7,0
Suivi de services
8,2
19,4
Recherche Sonneries, fonds d’écran
Source : NCA, 2002
Tableau 7 L’e-bank (volume en milliers, montant en 100 millions de wons)
Année 2000
Année 2001 (sept.)
Volume
Montant
Volume
Montant
31 861
-
72 812
-
Transferts de fonds
4 731
835 105
14 082
1 059 045
Demandes de prêts
103
9 295
337
24 121
36 695
-
87 191
-
Relevés divers
Total Source : Bank of Korea, 2001
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Tableau 8 Les programmes en cours dans le domaine de l’e-government, 2002
Ministères ou organismes publics responsables
Projets
Nouveaux services publics pour les usagers
Accroissement de la productivité de l’administration
Innovation dans le domaine des services administratifs via le service électronique de guichet unique (70 % des services et accès à 393 documents officiels)
Ministry of Government Administration and Home Affairs
Intégration de l’information de quatre grands types d’assurance (sécurité sociale, pension de retraite, couverture socialedutravail,indemnités d’accident du travail) et accès via Internet
National Pension Corp. National Health Insurance Corp. Labor Welfare Corp. HumanResourcesDevelopment Corp.
Service de déclarations fiscales via Internet (150 types d’impôts et taxes)
National Tax Service
Marchés publics via Internet (G2B)
Public Procurement Service
Comptabilité publique
Ministry of Finance and Economy
Projetd’informatisationde l’administration à différents échelons
Ministry of Government Administration and Home Affairs
Gestion électronique de l’éducation reliant 10 000 écoles (Comprehensive plan for ICT use in elementary and secondary schools)
Ministry of Education and Human Resources Development
Gestion du personnel
Civil Service Commission
Introduction de validation documents électroniques
et
de
Ministry of Government Administration and Home Affairs
Mise en place de l’infrastructure publique de base et certification publique électronique
Ministry of Government Administration and Home Affairs MinistryofInformationand Communication
Renforcer l’intégration des différents services publics
Ministry of Government Administration and Home Affairs MinistryofInformationand Communication Ministry of Planning and Budget
Fondations du e-government
Source : National Computerization Agency, “White paper 2002 on Informatization”
Les Etudes du CERI - n° 98 - septembre 2003
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Tableau 9 Estimation des économies réalisées après l’implémentation des principaux projets d’egovernment
Programme
Montant
Government e-Procurement (G2B)
3,2 trillions de wons
Government for Citizens (G4C)
1,8 trillion de wons
Home Tax Service
170 milliards de wons
Source : Special Committee for e-government, 2003
Tableau 10 Profils des groupes les plus connectés et de ceux qui le sont le moins (selon six critères socio-économiques, juin 20002)
Groupes …
Age
… ayant le plusfort usage
6-19 ans
Taux d’utilisation (%)
Niveau d éducation
Activité
Revenus
Région
Sexe
Diplômés d’université
Cols blancs
2,5 millions de wons
Séoul
masculin
90,6
82,1
81,2
72,6
65,3
63,5
… ayant le plusfaible usage
50 ans et plus
Ecole secondaire ou élémentaire
Cols bleus
1,5 million de wons ou moins
Chungnam
féminin
Taux d’utilisation (%)
9,6
5,8
29,2
34,9
44,1
52,4
Ecart (%)
81
76,3
52
37,7
21,2
11,1
Source : Korea Internet Information Center, 2002
Tableau 11 Nombre de délits sur Internet
Année
Nombre d’internautes
Informations
Piratage
à caractère indécent 2000
4 017 000
8 700
1 943
2001
7 806 000
14 000
5 333
2002
10 400 000
16 000
Source : Korea Information Strategy Development Institute, 2003
Les Etudes du CERI - n° 98 - septembre 2003
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Graphique 1 Distribution des différents usages d’Internet (en % des activités journalières)
14
12 En % du 10 nombre d'Internautes 8
6
4
2
0 1
2
3
4
5
6
7
8
9 10 11 12 13 14 15 16 17 18
Nombre d'usages dif f érents Source : Korea Information Strategy Development Institute, 2003
Tableau 12 Les différentes étapes de l’informatisation de la société coréenne (1993-2002) Année 1993
1994
1995
1996
1997
1998
1999
Mesures prises et réalisations Ouverture à la concurrence du service de paging Diffusion du PC Plan national pour la mise en place de l’infrastructure informationnelle Création du ministère de l’Information et de la Communication Premières commercialisations de services Internet Mise en place du cadre de la loi relative à l’informatisation Validation du programme d’infrastructure d’information à haut débit Lancement du service de TV par câble Promotion de projets pilotes locaux afin de réduire les risques de disparités informationnelles au plan national Introduction de l’échange électronique de documents Emergence des premières communautés virtuelles Réalisation de la première phase du système national d’information haut débit Début du commerce électronique Généralisation des services d’échange électronique de documents Mesures pour faciliter le passage en l’an 2000 Premiers services administratifs via Internet Généralisation des salles de jeux Mise en place du troisième Plan national d’informatisation (Cyber Korea 21) Vif essor des nouvelles entreprises dans le domaine des technologies de l’Information Le nombre d’abonnés au téléphone mobile a dépassé celui du téléphone fixe Emergence d’effets négatifs de l’informatisation : dualisme informationnel, piratage, virus Lancement du service d’Internet mobile Mise en place du Plan de promotion du commerce électronique Généralisation des documents électroniques à toutes les instances gouvernementales Encouragement à l’usage de l’Internet mobile via le téléphone mobile, les PDA Lancement du service de TV hertzienne numérique Mise en place du e-government Lancement du service de radio satellite numérique
2000 2001 2002
77 Source : National Computerization Agency, “White Paper 2002 on Informatization”
Les Etudes du CERI - n° 98 - septembre 2003