Magazine Greenpeace Suisse 4/2011 FR

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— Expédition en ­Arctique 2011: la grande fonte  p. 43 g reen peace MEMBER 20 11, Nº4

DOSSIER: MATIèRES PREMIèRES  p. 20–35 Made in California  p. 12 Des poubelles à la table  p. 49 Fukushima, le trou noir  p. 64


Editorial — Tout va s’écrouler, entend-on partout. Ce serait la fin de la croissance, la fin d’un système. Mais faut-il parler d’effondrement ou de l’amorce d’une reconversion tant ­souhaitée pour l’économie et la société globale? A la croisée des chemins, Dr Jekyll et Mr Hyde ­pointent deux voies opposées. D’un côté, la (R)évolution éner­gétique et les convictions écologiques sont en progression. D’un autre côté, la folle ruée vers les dernières gouttes de ­pétrole se poursuit. Comble de l’absurde, certains osent qualifier cette course d’envolée économique, alors qu’elle va ­sombrer dans l’abîme. Cette édition du magazine Greenpeace dessine l’horizon des possibles, entre la débâcle totale et les visions por­ teuses d’avenir. La Californie, terre d’innovations, nous intéresse. C’est sur la côte occidentale du continent américain que naissent des mouvements cruciaux, mais aussi des entreprises comme Apple ou Google. Le pays des miracles est-il à la hauteur de sa réputation? Pour le savoir, lisez notre repor­ tage (pp. 12 à 19) et découvrez des paysages ensoleillés, mais aussi des zones dévastées. L’exploitation des matières premières ressemble aujourd’hui à un véritable train fantôme, passant de montagnes décapitées en glaciers explosés à la dynamite. Et les ­poubelles de nos supermarchés révèlent un gaspillage inima­ gi­nable de «matières premières», heureusement recyclées par les courageux dumpster divers. L’auteure de notre texte s’est essayée avec succès à cette «fouille des poubelles». Ailleurs, le recyclage des matières premières se pratique à grande échelle, comme nous avons pu le voir en Chine. Et lors de ce passage en Asie, nous n’oublions pas Fukushima, où la catastrophe continue. La lecture du magazine ne sera donc pas de tout repos… Mais comme vous le constaterez, Greenpeace ne passe pas non plus sous silence les bonnes nouvelles.

c ouverture: © Nic k C obbi ng / Green peace

La rédaction


Reportage

CALIFORNIA DREAMIN’ Le berceau américain des mouvances et des technologies ­rêve la révolution verte.

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LE PILLAGE MINIER Guerres, trafic, destruction: l’extraction des ­matières premières pollue la planète.

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DU POISON POUR EXTRAIRE DU GAZ Le gaz de schiste: interdit dans certains pays, prisé dans d’autres. Et la Suisse? LA BOURSE DE LA FERRAILLE A Shanghai, le recyclage devient un marché globalisé.

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Dossier: matières premières

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SOMMAIRE

33 AUTOCRITIQUE NéCESSAIRE Les installations photovoltaïques comportent elles aussi des risques: à examiner de plus près. 49 DE PRéCIEUX DéCHETS Montagnes de nourriture aux ordures: des protestataires se fournissent dans les conteneurs plutôt qu’au supermarché. Dumpster Diving

Interviews

KIKI TAUFIK, CARTOGR APHE FORESTIER ECKHARD WOLFF ET JULIA RITSCHARD, MILITANT·E

ESSAIS

DéGEL: L’ARCTIQUE EN PHOTOS COMPRENDRE L’ARGENT ET LA CROISSANCe

Nouvelle campagne

DROIT SANS FRONTIèRES

Fukushima

LE TROU NOIR DE L’IGNOR ANCE

En mémoire de

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DOROTHY STOWE WANGARI MAATHAI

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En action Courrier des lecteurs Avant-propos de la direction La carte Nouvelles technologies Climat: une fausse bonne idée Campagnes Brèves Mots fléchés écolos Magazine Greenpeace Nº 4 — 201 1

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Mentions légales GREENPEACE MEMBER 4/2011 Editeur/adresse de la rédaction Greenpeace Suisse Heinrichstrasse 147 Case postale, 8031 Zurich Téléphone 044 447 41 41, Téléfax 044 447 41 99 redaction@greenpeace.ch www.greenpeace.ch Equipe de rédaction: Tanja Keller (responsable), Matthias Wyssmann, Hina Struever, ­R oland Falk, Marc Rüegger Auteurs: Hannes Grassegger, Thomas Niederberger, ­Pascal Vinard, Léon Schneider, Kuno Roth, Marcel Hänggi, Urs Fitze, Inga Laas, Marc Ita, Susan Boos, Rex Wyler, ­M athias Schlegel ­Photographes: Thomas Muscionico, Nick Cobbing, Olivia Heusser Traduction en français: Nicole Viaud et Karin Vogt Maquette: Hubertus Design Impression: Swissprinters, Saint-Gall Papier intérieur et couverture: 100% recycling Ecritures: Lyon Text, Suisse BP Int’l Tirage: 117 500 en allemand, 22 000 en français Parution: quatre fois par année Le magazine Greenpeace est adressé à tous les adhérents (cotisation ­a nnuelle à partir de CHF 72.–). Il peut refléter des opinions qui divergent des positions officielles de Greenpeace. Dons: Compte postal: 80-6222-8 Dons en ligne: www.greenpeace.ch/dons Dons par SMS: envoyez GP et le montant en francs au 488 (par exemple pour CHF 10.–: GP 10)


Action de sauvetage en Asie Des militants Greenpeace libèrent un espadon de ­l’hameçon lancé par un navire de pêche taiwanais. Ils demandent à Taiwan d’épargner les espèces ­­ menacées dans le Pacifique. Pacifique occidental, 11 octobre 2011


Š Paul H ilton / G reenpeace



Protestation Headline en Afrique Blindtext: «Kusile tueAdip le climat», euipis exercilit proclament amconse les banderoles quation henibh suseuguer pendues siàbla une feugait, grue de sequam, la centrale consenim au charbon venit de ad dunt ent Kusile. praese Ce site ex eugait, est la quatrième venit, vel er centrale at erosla nulla plusfeu polluante facinim au monde dolumpour incipit, lescortie émissions de gaz à effet de serre. Greenpeace exige l’arrêt de Kusile et des investissements dans les énergies renouvelables. Ort, 1. Mai Afrique du2000 Sud, 11 juillet 2011

© Benedicte Kurzen / G reenpeace



Manifestation en Amérique du Sud Au siège principal de la firme pétrolière brésilienne OGX, un militant Greenpeace revendique la p ­ rotection de l’archipel des Abrolhos, menacé par ­l’extraction du ­pétrole. Greenpeace demande un moratoire de 20 ans pour la région. Rio de Janeiro, 31 août 2011

© Greenpeace / A lexandre Cappi


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Confrontation en Europe Pendant EcoVelocity, le salon de l’automobile prétendument verte, des militants Greenpeace en costume Star Wars dénoncent l’action maléfique de Volks­wagen sur l’environnement: le constructeur automobile ­s’oppose dans les coulisses à des lois plus strictes de protection du climat. Londres, 7 septembre 2011

Magazine Greenpeace Nº 4 — 201 1 © David S andison / G reenpeace

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Ecopop — le débat est lancé www.greenpeace.ch/debatten Le dernier magazine Greenpeace abordait dans deux articles l’initiative populaire «Halte à la surpopulation» de l’association Ecopop. A nos yeux, l’initiative crée un lien problématique entre la protection de l’environnement, l’immigration et la croissance démographique dans les pays du Sud. Elle demande une nette ­limitation de l’immigration en Suisse et un contrôle des naissances renforcé dans les pays en développement.

Les critiques ont été nombreuses et vives. Brefs messages ou longues prises de position, il n’est pas possible ici de présenter tous les aspects ­soulevés. Nous avons donc choisi de publier quelques objections fortes et de continuer le débat sur notre ­site ­internet: www.greenpeace.ch/debatten (en ­allemand seulement). Matthias Wyssmann

Prise de position d’Ecopop Dans sa prise de position, l’association Ecopop se dit «déçue de cette présentation biaisée et simpliste» de son initiative. La surexploitation de la planète par le nombre croissant de ses habitants est un problème «trop sérieux pour être balayé à l’aide du cliché ­abusif du colonialisme ou, pire, de l’eugénisme.» Ecopop avance des données de croissance démogra­ phique: «La population de la Terre s’accroît chaque jour de 220 000 personnes, cela fait 80 millions de plus par année! Un chiffre qui correspond justement à l’esti-

mation de l’ONU concernant le nombre annuel de grossesses non désirées.» En Suisse, «chaque ­seconde voit disparaître un m2 de précieuse terre arable sous le béton! La progression du terrain bâti ­depuis 1994 est due pour 77% à la croissance démographique!» Ecopop ne veut pas être associée à ­l’extrême droite et ses statuts «se distancient clairement de toute forme de xénophobie et de racisme.» Texte complet sur www.greenpeace.ch/debatten

Courrier des lecteurs A propos de l’écologie ­profonde Très inquiet, je me demande ce qui est arrivé à la rédaction du magazine. Pourquoi publier les élucubrations aussi confuses que contradictoires de Hannes Grass­ egger? Sa visée est claire: l’auteur estime que l’écologie profonde est une vision dangereuse et pense avoir trouvé là un moyen de discréditer les promoteurs de l’initiative Ecopop. (…) La population devrait pourtant prendre conscience que les êtres humains ne sont pas les maîtres du monde, autorisés à piller la planète à volonté. (…) C’est sur le fond aussi la conviction philosophique prônée par Greenpeace. L’organisation Ecopop peut donc se féliciter d’être ­associée à l’écologie profonde. Dieter Steiner, Zurich Magazine Greenpeace Nº 4 — 201 1

Eco-fascisme? Il est déplorable que Susan Boos tente d’assimiler Ecopop à une idéologie fascisante. C’est ­recourir au même procédé que ceux qui présentent les membres de Greenpeace comme des adeptes de l’éco-fascisme. Ecopop est une organisation qui a le courage de dénoncer des vérités qui dérangent. C’est aussi ce que fait Greenpeace. Est-ce déjà du fascisme que de vouloir d’abord changer la situation en Suisse par une initiative ­populaire, sans prétendre du même coup assurer l’avenir de la planète? Dieter Bachmann, par courriel Adoucir le sort du tiers monde Si l’initiative prévoit de soutenir le contrôle des naissances dans le tiers monde, c’est dans un souci

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de responsabilité globale et en vue d’adoucir, pour certains pays en développement, les conséquences des freins à l’immigration que nous demandons. Dr Friedrich Oelhafen, ­ Rupperswil Un miracle céleste Heureusement que l’on se ­décide enfin à agir contre «l’hiver démographique» de l’hémisphère nord! Moins de deux enfants par femme, même en Chine! La population chinoise augmente néanmoins? Ce doit être le fait d’un miracle céleste. Une population en diminution, quelle horreur! Les ours, les loups et les lynx retrouveraient un habitat en Suisse. Hannes Zürrer, Zurich


Selon une légende publiée pour la première fois il y a 50 ans, «il était une fois une ancienne de la tribu des Cree, nommée ‹Œil de feu›. Dans une prophétie, elle annonça que l’avidité de l’homme blanc détruirait la Terre. Un temps viendra où les poissons mourront dans les rivières, les oiseaux tomberont du ciel, les eaux deviendront noires et les arbres n’existeront plus. Ce sera le temps où les gardiens des légendes et des mythes, des rituels et de la sagesse ancestrale devront venir guérir le monde. Ils s’appelleront les ‹guerriers de l’arc-en-ciel› et seront la clé de la survie.» On croirait lire une description du monde actuel! L’objectif scientifique de limiter le réchauffement climatique à deux degrés semble déjà hors d’atteinte. Et même une limite de trois degrés exigerait des mesures immédiates et déterminées. Dans cette situation, la politique internationale choisit la voie du fatalisme et étudie déjà les conséquences de ce qu’impliquerait un réchauffement de cinq degrés au lieu de trois… Si le monde de la finance vit à crédit, la politique climatique n’est pas en reste. Même les dirigeants politiques les plus puissants ne parviennent pas à agir en fonction des constats scientifiquement établis. Comme si, tous réunis sur un radeau, ils dérivaient impuissants vers la cascade déchaînée… Pourtant les signes ne manquent pas pour nous inciter à agir immédiatement. L’année 2011 a vu l’effondrement d’une centrale nucléaire japonaise, mais ce sont aujourd’hui des systèmes entiers qui menacent de s’écrouler. Nous assistons étonnés aux événements qui se précipitent. Et tous, nous sommes à la fois acteurs et observateurs. Parfois paralysés par un sentiment d’impuissance, parfois transportés par l’énergie du changement. La décision fédérale de sortir du nucléaire est certes une formidable étape de ce changement. Mais les promoteurs de l’ancien système se préparent déjà à imposer de grandes centrales au gaz pour remplacer le nucléaire. Ce serait une nouvelle dette écologique accumulée aux dépens des générations futures. Qui permettrait de continuer de gaspiller du courant tout en produisant d’inutiles rejets de CO2. Il faudra lutter de toutes nos forces pour empêcher cette nouvelle dérive! Soutenons les mouvements sociaux, les initiatives citoyennes et les politiques qui s’engagent pour un mode de vie durable et un monde plus juste! Produisons nous-mêmes notre courant, investissons dans les énergies renouvelables, limitons notre consommation! Prenons notre vie en main, faisons de la politique, que ce soit dans la rue ou à la maison. Poussons les instances publiques et privées à agir, afin que nos convictions se traduisent dans la réalité. N’attendons pas les guerriers de l’arc-en-ciel. David est déjà là: c’est justement en cette année de crise que le nouveau Rainbow Warrior III a largué les amarres. Un navire de haute mer de cette taille, capable d’atteindre 15 nœuds (28 km/h) à la seule force du vent, une sensation! C’est un David bien déterminé à se battre contre Goliath. Car l’action de Greenpeace est plus nécessaire que jamais. Mais Greenpeace sait que rien ne se fera sans les innombrables David qui s’engagent à travers le monde. Les guerriers de l’arc-en-ciel et vous, David et moi: toutes et tous, nous sommes partie prenante de cette lutte. C’est ensemble que nous devrons reprendre notre vie en main et défendre la survie de la planète. Car sans notre engagement commun, même la plus belle des légendes ne nous tirera pas d’affaire.

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Markus Allemann, Verena Mühlberger, co-directeurs © Christian Grund

Avant-propos de la direction

David est là — n’attendons pas les guerriers de l’arc-en-ciel

P.-S. «Sortons du nucléaire», vous et nous en 2012; www.sortonsdunucleaire.ch.

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MADE IN CALIFORNIA Par Hannes Grassegger

reportage

Peut-on encore espérer un avenir écologique «made in California»? Une invitation au voyage, entre le lac agonisant de Salton Sea, l’imagerie brisée de Los Angeles et San Francisco la florissante. Niland, Sud-Est de la Californie. La chaleur et l’odeur ­ ’ammoniaque provenant des cadavres de poissons sont difficiled ment ­supportables. Je suis dans le Sud-Est de la Californie, au pied de «Salvation Mountain», un amas de déchets recouvert d’argile et peinturluré de slogans et de références bibliques. Juste à côté, le plus grand lac de Californie agonise en silence. Le «Salton Sea» est pollué, salinisé, abandonné. Une ambiance d’apocalypse. En repartant à bord de ma Dodge, je me demande si la Californie, cette région où se mêlent Disneyland et les visions apocalyptiques du «Jour d’après», est vraiment le pays promis qui montrera la voie à l’Occident. En route, Los Angeles. Depuis près de deux heures, je suis bloqué sur l’autoroute du centre-ville. Dix voies en parallèle, tout est engorgé, même la voie de dépassement réservée au covoiturage écologique. Aller d’Echo Park à Topanga Canyon me prendrait cinq heures en transports publics. Les réseaux de trains régionaux et de bus sont insuffisants, et la dégradation des finances de la ville contribue à les réduire encore davantage. Los Angeles est le fer de lance du monde occidental. Entre Disneyland et Hollywood s’étend une agglomération de 12,8 millions d’habitants, un des principaux pôles économiques de la ­planète. La Californie est la dixième économie au monde et la première des Etats-Unis. On a longtemps pensé que l’avenir écologique des Etats-Unis ne pourrait venir que de la Californie et de ses entreprises. La ruée vers l’or, Berkeley et ses manifestations, Davis la ville écologique modèle, mais aussi HP, Google ou l’iPad sont immédiatement associés au nom de cette région. Et 34 des 100 principales entreprises de technologie propre sont basées en Californie. La Californie est aussi le berceau de quelques-uns des principaux bouleversements que le monde occidental a traversés ces dernières décennies: la Haight Street de San Francisco est le symbole de la génération hippie; Apple a changé notre quotidien et l’Etat a une législation environnementale parmi les plus sévères au monde. En Californie, même l’ancien gouverneur Arnold Schwarzen­ egger est devenu un écologiste convaincu. En juillet 2006, il ­surprend tout le monde en proposant d’introduire un office de proMagazine Greenpeace Nº 4 — 201 1

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tection du climat et en élaborant un plan d’action contre le ­réchauffement de la planète. Le 27 septembre 2006, il signe la loi environnementale la plus stricte que la nation n’ait jamais vue. Mais au terme de son mandat, les finances publiques sont à sec et les crises se succèdent. Peut-on encore espérer une révolution verte venant de Californie? Au début de l’automne 2011, des pans entiers du secteur de l’énergie verte s’effondrent. La bulle verte éclate avec la faillite de Solyndra, un fabricant de cellules solaires qui engloutit 500 millions de dollars de subventions dans sa chute. L’affaire devient un problème pour la campagne électorale de Barack Obama. L’économie verte venait à peine de s’affirmer et voilà qu’elle implose. La plupart des grands projets ne se sont pas réalisés. Selon une étude de la Brookings Institution, la Californie ne comptait que 320 000 emplois dans le secteur de l’écologie à la mi-2011, dont un peu moins de 90 000 pour la zone de Los Angeles. Et alors que l’économie américaine a progressé de 4,2% par année depuis 2003, la croissance du secteur vert s’est limitée à 3,4% en moyenne. Topanga Canyon, Los Angeles. Le smog m’obstrue les poumons. Ramona Gonzalez m’attend depuis une heure. Cette musicienne de 27 ans incarne la génération bohémienne des quartiers d’Echo Park et de Silver Lake. Son nom de scène est Nite Jewel, ses productions entreraient dans la rubrique «Urban» sous iTunes Magazine Greenpeace Nº 4 — 201 1

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©2 011 T omas M uscionico

Salton Sea, près de Niland: pollué, salinisé et presque à sec, le plus grand lac californien agonise.


©2 011 T omas M uscionico © 20 11 Tomas Muscionico

Topanga Canyon: un refuge pour échapper à la ville — sans se couper de tout

Ramona «Nite Jewel» Gonzalez: «La nature, c’est pour les solitaires.» Magazine Greenpeace Nº 4 — 201 1

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reportage

Radio. Après des études de philosophie, la fille de L.A. a récemment quitté la ville pour se «mettre au vert». Partant de la route côtière en direction de Malibu, on bifurque vers Topanga Canyon et s’enfonce dans une vallée de plus en plus verte. Jouxtant Los Angeles, la région offre un refuge à ceux qui veulent échapper à la ville sans se couper de tout. On y trouve aussi bien des artistes que des hommes d’affaires. Neil Young, la rockstar qui voulait changer le monde avec son véhicule électrique Lincvolt, est un ancien habitant. Au restaurant Froggy’s, les magazines gratuits portent des titres comme Réveil à la nature. Ramona affirme s’y sentir plus heureuse, plus légère, moins soucieuse qu’en ville. Le lieu est propice aux randonnées. «Vivre ici, c’est un luxe, dit-elle. On n’est pas confronté à la destruction de la planète. La seule chose qui unit les habitants est le respect mutuel: vivre et laisser vivre. La nature, c’est pour les solitaires.» Ramona nous parle d’une de ses chansons Unearthy Delights: «Il y est question du hasard de la nature, de son arbitraire, de son chaos. La vraie nature, pas celle que l’on voit dans les parcs publics, ne se soucie pas des êtres humains.» Elle enchaîne: «Ici à Topanga, je consomme la nature. Je ne lutte plus pour la protection de l’environnement. Il y a moins de gens qui m’inspirent de la haine en détruisant notre planète. Je m’occupe moins des autres. Cela me permet de penser à moi-même et de me concentrer sur ma musique.» Tandis que certains se regroupent dans de petites communes nostalgiques comme Arcata, la Mecque de la protection des arbres dans le Nord de la Californie, Nite Jewel a trouvé à Topanga le ­cadre idyllique pour pratiquer un mode de vie écologique qui lui est propre, dénué de tout romantisme, proche de la nature, sans être ­particulièrement responsable. Big Sur, Highway One. Entre Los Angeles, la ville visionnaire, et San Francisco, le paradis de l’innovation, la nature reprend ses droits. Au volant de ma Dodge, je me dirige vers le nord. La Highway One longe la côte, l’Océan n’est parfois plus qu’à une dizaine de mètres. Je suis les méandres et les montées de l’autoroute jusqu’à Big Sur, avec ses collines boisées aux falaises abruptes. Pour les Californiens, l’expérience de la nature passe par la voiture. A deux heures de route de Los Angeles, vous pouvez observer des otaries sur le sable ou traverser des forêts de séquoias géants. C’est à Big Sur que vécut l’écrivain Henry Miller dès 1942 et qu’il rédigea sa critique de la société américaine: Le cauchemar climatisé. Se réfugier dans la nature fait partie de la culture californienne. C’est là qu’ont pris naissance les premières tentatives d’ancrer l’écologie dans le quotidien. Davis, ville universitaire près de Sacramento, est le paradis de la bicyclette. Alors que les EtatsUnis commençaient tout juste de combattre la ségrégation raciale dans les années 1960, émergeait à Davis un mouvement luttant contre le symbole de la vie américaine, la voiture. Dès 1966, les écologistes imposèrent au conseil municipal une politique favorable au vélo et Davis devint le modèle mondial de la politique ­urbaine verte. Magazine Greenpeace Nº 4 — 201 1

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Fort Mason, San Francisco. A l’est de San Francisco, la ville universitaire de Berkeley a l’esprit écolo. Cette région de la Bay Area est le paradis des start-up qui y bénéficient d’importants soutiens. Le site «The Hub» offre des infrastructures de travail à louer. Une fois l’entreprise lancée, l’accélérateur «50 Startups» est là pour la faire décoller en offrant un appui en termes de conseil et de financement. A l’étape suivante, les «incubateurs» font le lien entre jeunes pousses et mentors. C’est ainsi que les futurs Google, Apple et autres Facebook peuvent germer: une véritable serre économique. Et l’impact social est dorénavant reconnu comme un investissement. Socap11 est le salon des entreprises et des investisseurs ­défendant des visions écologiques et sociales. L’événement a lieu à Fort Mason, une caserne désaffectée de la baie de San Francisco. Il réunit des hommes en costume-cravate comme des étudiants en baskets provenant de plus de 50 pays. Les ateliers ont par exemple pour thème: «Création d’entreprises en changement: la perspective écologique 3.0». Eric Schmidt, administrateur de Google, est présent, tout comme la Fondation Bill Gates ou Forbes Magazine. Myshkin Ingawale, 29 ans, est venu de Bombay pour présenter son invention: un test sanguin électronique bon marché conçu pour le corps médical indien. Il cherche un investissement de 300 000 dollars, qu’il pourrait bien trouver ici, car il a été invité au salon par le Unreasonable Institute, favori de l’événement. Créé Magazine Greenpeace Nº 4 — 201 1

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©2 011 T omas M uscionico

Pour beaucoup de Californiens, l’expérience de la nature passe par la voiture.


reportage

il y a seulement deux ans, cet institut ne soutient que les entreprises capables d’améliorer la vie d’«au moins un million de personnes». Les candidats doivent réussir un «camp d’apprentissage» de six semaines leur permettant de se perfectionner en communication, recrutement de personnel et création de bénéfices. L’institut tisse un réseau choisi d’investisseurs, de mentors et de jeunes entreprises. «Quand nous avons voulu créer une entreprise sociale, nous nous sommes heurtés aux obstacles typiques de la phase de lancement», explique Teju Ravilochan, 24 ans, cofondateur de l’ins­ titut. «Nous avons compris qu’il n’y avait pas d’argent pour ces ­entreprises au départ: pour accéder aux crédits, il faut des gens qui vous font confiance. C’est pourquoi nous tissons un réseau au ­service des entreprises. Nos camps réunissent 25 jeunes entrepreneurs et leurs mentors dans une maison. Le jeune fondateur de start-up se brosse les dents à côté d’un grand directeur de Hewlett Packard! Et la journée se passe dans des ateliers ou au travail.» C’est ainsi que se créent des liens de confiance pour la vie. Unreasonable Institute annonce ses camps dans plus de 70 pays. Les participants ne viennent presque jamais d’Europe, un tiers sont originaires des USA. «Beaucoup viennent d’Inde, récemment du Kenya et de l’Ouganda, relate le jeune vice-président. Pour nous, le critère décisif est la capacité du projet à prendre de l’ampleur.» La taille, l’optimisme et les perspectives mondiales sont les atouts de l’institut. «La Silicon Valley, c’est une façon particulière de pratiquer l’économie, fondée sur des réseaux étroits et une vision égalitaire», écrit Margaret O’Mara, spécialiste en histoire économique. Depuis l’époque de la ruée vers l’or, la capacité à prendre des risques s’allie ici aux talents venus du monde entier. Les villes de Boulder au Colorado et d’Austin au Texas travaillent sur de nouveaux modèles d’affaires et tentent de surpasser la Silicon Valley pour devenir la nouvelle Mecque de l’écologie. Pour le professeur Michael Porter, l’entreprise réellement au service du monde est celle qui crée une «valeur partagée» (shared value), ce qui ne l’empêche pas de générer des bénéfices conséquents. Ferry Plaza Farmer’s Market. Peu avant le pont d’Oakland Bay, j’aperçois un marché paysan. Les fruits de bonne qualité sont rares en Californie. Les supermarchés ne vendent pratiquement que de la marchandise industrielle: calibrée, énorme, fade. Tout le contraire ici. Fréquenté par la classe moyenne écologiste de San Francisco, ce marché paysan sent bon les mets fraîchement cuisinés. La famille Bariani y vend son huile d’olive produite en Californie. La clientèle est invitée à goûter la saveur des fruits. Jennifer, 21 ans, explique le sens des affichettes qui garnissent les stands. «Cela fait 50 ans que nous ne faisons pas attention à ce que nous mangeons, au point de trouver normal que la nourriture sorte des usines. Puis nous sommes tous tombés malades et nous devons aujourd’hui réapprendre ce que manger veut dire.» En 2007, les coûts du diabète s’élevaient à 174 milliards de dollars aux Etats-Unis. Près de 30% des plus de 65 ans ont développé Magazine Greenpeace Nº 4 — 201 1

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Whole Foods, Santa Monica. Je quitte la Bay Area, le lieu rêvé des accros à la technique qui veulent lancer leur entreprise. De retour à Los Angeles, plutôt source de style de vie, je rencontre James Ferraro, un musicien de 26 ans, qui fait ses achats. Nous sommes au Whole Foods, à Santa Monica, un supermarché vert très prisé, à l’ambiance de défilé de mode. «Whole Foods est un phénomène social», me dit James. Il vient de sortir un disque sur le mode de vie écolo à l’ère digitale. «Cela fonctionne comme Apple, comme toute autre chose en Californie. Le produit véhicule des valeurs symboliques. Whole Foods vend le sentiment de faire partie d’un mouvement populaire.» En ces temps de monnaies virtuelles, le naturel devient une marchandise. «Local» est un slogan qui désigne le lien avec la campagne. La consommation de denrées locales crée une communauté, explique une serveuse du restaurant précisément baptisé le «Local». Amelia est la bouchère préférée du lieu: «Nous achetons notre viande chez un seul fermier. La bête abattue est transportée au restaurant sous les yeux de la clientèle. La viande est dépecée, vous assistez à tout le processus.» Elle ne croit pas aux labels ­biologiques, mais plutôt à une économie «post-bio» basée sur les rapports de confiance. Le besoin de nature est tellement fort que les branchés de Los Angeles vont désherber les jardins potagers communautaires urbains à la sortie de leur séance de yoga. VELA Community Center, Los Angeles. Plus à l’est, à 20 minutes de route, les boîtes aux lettres des maisons portent des noms espagnols. Au centre communautaire VELA, Reanne Estrada se bat pour apprendre l’alimentation saine à une poignée d’adolescents latinos. 40% des habitants de la ville sont originaires d’Amérique latine. Parmi eux, le diabète touche même les jeunes. «Ma mère ne peut pas se payer une voiture. Pour acheter des fruits frais, le déplacement lui prendrait des heures. Quand je suis à l’école et que j’ai faim, je n’ai pas le temps d’acheter des légumes. De toute façon, on n’en trouve pas», relate Jocelyne, 17 ans. Le problème des «déserts alimentaires» devient tangible. Dans le quartier, il y a surtout des fast-foods et des magasins d’alcool. Le projet de Reanne s’appelle «Market Makeovers». Il vise à informer la population pour créer une demande de produits frais. Magazine Greenpeace Nº 4 — 201 1

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© 20 11 Tomas M uscionico

James Ferraro au marché des produits frais à Silver Lake: «Le supermarché vert est un phénomène social.»

© 201 1 Tomas Muscionico

reportage

la maladie. Des centaines d’organisations s’engagent pour un vrai changement, qui semble déjà à l’œuvre en Californie. Les grands chefs deviennent des célébrités. Les restaurants végétaliens foisonnent. Même les «taco trucks», les buvettes itinérantes, misent sur l’alimentation de qualité et biologique. L’alimentation est une piste intéressante pour créer un lien entre les populations urbaines de Californie et la nature. D’abord, il y a l’expérience du goût, suivie de la conscience écologique. «Faire l’expérience du goût, se relier au rythme de la nature», dit le tract distribué par Jennifer. Point 4: «Protéger l’environnement». Une démarche logique, dès lors que l’on comprend d’où vient ce que l’on mange.

La communauté VELA: des adolescents ­latinos apprennent l’alimentation saine.


Il s’agit aussi de convaincre les magasins du quartier de proposer ces produits. Ici, la révolution verte semble encore illusoire. Et pourtant. Un nouvel Eden. «La Californie est le centre mondial de l­ ’innovation technologique: on ne compte plus les inventions dans le domaine des technologies propres. C’est ici et maintenant que cela se passe», dit Jason Matlof, de la société de capital-risque Battery. «Les technologies propres poursuivent leur envol. C’est le troisième champ d’investissement après les médias électroniques et le cloud computing.» Le futurologue Jamais Cascio, 45 ans, passe pour le prophète de la technologie verte. Il voit sa région comme un champ expé­ rimental: «Los Angeles est l’univers en petit. Ce qui réussit ici peut réussir partout.» Selon lui, c’est la politique de subventions de la Chine qui a détruit l’industrie californienne des cellules solaires. Mais il ne perd pas espoir et travaille sur un nouveau livre qui ­s’intitule A New Kind of Eden. Il y développe trois scénarios pour un avenir vert en Californie: Indiscutablement vert: le modèle californien du développement vert ne fonctionnera que si l’économie connaît une relance et si la population et la politique continuent d’orienter l’économie locale sur la voie écologique. Vert sous contrainte: si l’économie continue de stagner et si la Californie se tourne vers des infrastructures bon marché, c’està-dire les importations chinoises, la région deviendra néanmoins plus écologique, car la Chine mise à fond sur les technologies vertes. Vert par dépassement: malgré le déclin économique, la ­Californie prend son élan et devance ses concurrents par un effort de volonté. La nécessité de renouveler les infrastructures est ­perçue comme une chance pour la conversion écologique. La Californie reste à la pointe du progrès. Pour Jamais Cascio, la capacité californienne à se réinventer en permanence est le principal atout sur la voie écologique: «La Californie, c’est l’évolution par excellence.» Disneyland. Pour la première fois, je prends un train en ­ alifornie. Publicité en bordure de la voie ferrée: Agrifuture préC sente un robot qui s’occupe d’un jardin plein d’énormes fruits. Coïncidence, les jardins communautaires robotisés sont justement l’une des visions écologiques de Jamais Cascio. Ici à Disneyland, Tarzan vit sur un arbre en plastique. Mickey, symbole du citoyen américain moyen, possède un poulailler, tout comme les pionniers d’Echo Park. Et le train à grande vitesse roule déjà à Disneyland, alors qu’il est tant attendu dans la réalité, le projet approuvé depuis des années restant toujours lettre morte. Le métro aérien est presque vide. Sous les voies, les gens font la queue pour visiter Autopia, attraction sponsorisée par Chevron. Les rires des enfants fusent des auto-tamponneuses dotées de vrais réservoirs à essence. A Tomorrowland, je me construis mon avenir virtuel durable sur un écran tactile, avant d’assister à la démonstration d’un véhicule équipé d’un bouton vert qui permet de passer au mode de fonctionnement écologique. Magazine Greenpeace Nº 4 — 201 1

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LA FOLLE RUéE VERS LES MATIèRES PREMIèRES

© Ron Watts / C O RBI S

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Les besoins en matières premières, énergies et métaux sont énormes, tandis que les gisements fossiles facilement accessibles deviennent ­rares. Les multinationales exploitent donc des régions de plus en plus r­ eculées. Décapitation de montagnes dans les Appalaches, explosion de glaciers dans les Andes, labourage des fonds marins dans le Pacifique, exploitation de gaz de schiste en Suisse et bientôt déglaçage des océans pour en extraire le méthane. Si le boom semble ne pas avoir de limites, c’est bien à nous de lui en imposer. Cinq exemples bien sombres — et une lueur d’espoir.

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Par Thomas Niederberger — Les conséquences de la ruée vers les matières premières sont catas­ trophiques. Certaines font brièvement les grands titres des médias, ­comme la marée noire de la plateforme pétrolière Deepwater Horizon dans le golfe du ­Mexique ou la rupture du bassin de rétention de l’usine d’aluminium MAL en Hongrie, les deux en 2010. La pollution rampante, la corruption quotidi­enne et les violations des droits humains liées à l’extraction des matières premières sont en ­revanche peu connues. Les ­dimensions du désastre dépassent l’imagination. Nous avons pourtant en main les principaux ­éléments pour comprendre le problème, car la Suisse fait ­partie des pays les plus impliqués dans le business des matières premières. Décapiter les montagnes Depuis la révolution industrielle, on brûle du charbon pour produire de l’énergie. Une ­méthode aussi primitive que bon marché. Quand les réserves s’épuiseront-elles? Difficile à dire, les données se contredisent. Une chose est sûre: l’extraction devient de plus en plus destructrice, à mesure que les gisements facilement accessibles se raréfient. Dans les Appalaches, aux Etats-Unis, plus de 500 sommets ont déjà été «décapités». Cette méthode d’extraction s’appelle «Mountain Top Removal» (MTR), ou rasage de montagnes. On commence par déboiser, puis on rase la couche supérieure de terre, avant de faire exploser la roche pour accéder au gisement de charbon, qui sera extrait par des pelles mécaniques spéciales. Ensuite, nouvelle explosion pour mettre au jour une couche inférieure de charbon. Les masses de roche, transformées en déblai, sont déversées dans les dépressions et vallées avoisinantes, puis recouvertes d’un semblant de verdure. Le lessivage du charbon produit des boues chargées d’arsenic et de métaux lourds, qui sont stockées dans d’énormes bassins de rétention. A la ­différence de l’extraction traditionnelle, la méthode MTR permet l’usage de grandes machines performantes. La production est donc plus ­élevée tout en demandant moins de personnel. Mais les coûts indirects pour les êtres humains et la nature sont gigantesques: dans les Appalaches, 5000 km2 de forêt ont déjà été sacrifiés. Plus de 2000 km de cours d’eau ont été enterrés sous les décombres – une perte dramatique en biotopes naturels. La poussière des explosions Magazine Greenpeace Nº 4 — 201 1

empoisonne l’air et pollue les eaux. Des études indiquent une augmentation des cancers, des maladies respiratoires et des malformations néonatales dans la région. La production de charbon s’envole. Les auto­ rités déclarent vouloir agir contre le changement climatique, mais la hausse des prix de l’énergie entraîne un boom du charbon. Responsable de 45% des rejets mondiaux de CO2, c’est le principal facteur de nuisance pour le climat. La Chine et l’Inde comptent parmi les plus gros producteurs, mais importent néanmoins du charbon pour faire face à leur consommation en forte croissance. La moitié de l’électricité produite aux Etats-Unis provient du charbon et le pays n’a aucune intention de changer de cap. Au contraire, plus de 150 nouvelles centrales au charbon sont en cours de planification ou de construction. Faire exploser les glaciers Dans la cordillère des Andes, entre le Chili et l’Argentine, environ 200 mines d’or, de cuivre ou d’argent sont prévues, en voie de réalisation ou en exploitation. La plupart sont des «mégamines». Rien à voir avec l’industrie minière traditionnelle, où les mineurs descendaient dans les galeries, équipés de pioches et de dynamite. Les mégamines servent à extraire des minéraux sous forme de traces en faisant exploser d’énormes masses de roche qui sont ensuite moulues et dissoutes à l’aide de cyanure, opération qui dévore d’immenses ressources. Un exemple est la mine de Veladero, exploitée par la multinationale canadienne Barrick Gold, à 5000 mètres d’altitude dans les Andes argentines. La «récolte» est de 1,5 g d’or par tonne de roche explosée. Dix fois moins que ce que l’on peut extraire d’une tonne de déchets électroniques! «L’or est invisible, il est détecté à l’aide de méthodes chimiques et géologiques», explique le journaliste Jesús Rodriguez, qui d ­ écrit la suite du processus: l’or brut est acheminé à Zurich et fondu en lingots d’or certifiés dans un atelier de fonte au Tessin. Ensuite, c’est l­’entrée sur le marché mondial et la transformation en bijoux ou en placements sûrs en ces temps de crise. La mine de Veladero se situe majoritairement dans la zone de pergélisol. Une route a été tracée à travers un glacier pour permettre d’y accéder. Des géologues indépendants ont découvert une série de petits glaciers qui seront dé-

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© K ent K essinger and Appalachian Voices

Guyandotte, en Virginie-Occidentale (USA): l’un des 500 sommets rasés pour extraire le charbon.

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© G reenpeace / M artin Katz

Le bilan de la mine argentine de Veladero: 1,5 g d’or par tonne de glacier explosé. La place économique suisse L’UBS a investi près d’un milliard de dollars dans des multinationales pratiquant le «Mountain Top Removal». Genève et Zoug comptent, avec Londres, Singapour et New York, parmi les principales places du négoce des matières premières. Glencore et Xstrata, les deux compagnies sœurs de Zoug, jouent en première division. Xstrata veut par exemple extraire 40 millions de tonnes de charbon par année de la mine de Cerrejón en Colombie. Cela implique de dévier la seule ­rivière de la région aride de La Guajira et de déplacer douze communautés indigènes. L’entreprise Repower, dont le canton des Grisons Magazine Greenpeace Nº 4 — 201 1

détient 46% des actions, entend construire dans le Sud de l’Italie et dans le Nord de l’Allemagne deux méga-centrales alimentées en charbon bon marché, notamment en pro­venance de Colombie. Xstrata ­exploite aussi la mine de cuivre et d’or de La Alumbrera, en Argentine (voir ci-contre), et prévoit trois ­projets gigantesques qui soulèvent l’opposition de la population locale à El Pachón, Agua Rica et Filo Colorado. Deux tiers de la production annuelle en or transitent par des négociants et des ateliers de fonte suisses, tout cela dans le plus grand secret. La Déclaration de Berne vient de publier un livre à ce sujet: Swiss Trading SA: la Suisse, le né­ goce et la malédiction des matières

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­ remières (voir la rubrique «A lire», p page 28). Les ingrédients du succès de la place économique suisse: un bas niveau d’imposition, ainsi que la discrétion et la complaisance des autorités. La loi sur le blanchiment d’argent n’est pas appliquée aux négociants de matières premières, pourtant mentionnés dans le texte légal. Mais ces lacunes pourraient bien être comblées prochainement. Les Etats-Unis ont adopté une législation sévère sur la transparence des flux financiers du secteur des matières premières. L’Union européenne veut avancer sur la même voie. La Suisse devra bien se plier à ces exigences.


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truits par cette exploitation minière, ce qui est en principe contraire à la loi (voir ci-dessous). Comme Veladero, la plupart des mines prévues avoisinent des sources d’eau qui sont vitales pour la faune, la flore et la population vivant dans des sortes d’oasis au pied des montagnes. Comme dans la petite ville d’Andalgalá, en dessous de La Alumbrera: cette mine géante, exploitée ­depuis 1997, dévore 100 millions de litres d’eau par jour, pompés dans la nappe phréatique d’un haut plateau. Le niveau d’eau des fleuves a ­depuis lors connu une baisse dramatique. Les poussières des explosions et les substances utilisées pour dissoudre les métaux contaminent l’air, le sol et l’eau de toute la région. Un militant du mouvement citoyen qui lutte contre la mine se rappelle: «La première chose qui nous a fait réfléchir a été de voir des renards sans fourrure près de la mine.» Depuis, enfants et adultes tombent plus souvent malades. Mais les statistiques manquent pour prouver scientifiquement la relation. Une loi pour protéger les glaciers. Qu’est-ce qu’un glacier? Où finit-il? Que se passe-t-il s’il disparaît? Un débat d’une rare vigueur fait rage sur ces questions en Argentine. Une loi nationale interdit en effet depuis octobre 2010 l’exploitation ­minière dans les massifs glaciers. Un succès de plus pour les organisations écologistes et le mouvement citoyen Unión de Asambleas Ciudadanas après le rejet d’un projet de mine d’or par 81% de la popu­ lation de la petite ville d’Esquel. Les compagnies minières tentent par tous les moyens de prouver que leurs projets n’empiètent pas sur le territoire d’un glacier, tout en continuant de faire pression sur les gouvernements provinciaux et les tribunaux pour bloquer la loi et son exigence de cartographier les massifs glaciers. Pour l’instant, il n’existe pas de registre officiel des glaciers, mais les organisations environnementales ont commencé à les recenser et ont découvert des dizaines de «glaciers rocheux» dans des zones visées par des projets miniers. Il s’agit de glaciers mélangés aux éboulis, qui sont ­passés sous silence dans les rapports environnementaux des multinationales. Ce type de glaciers joue pourtant un rôle important comme site de stockage dans le cycle de l’eau. Pour les compagnies minières, il ne s’agit pas de «vrais» glaciers. Où s’arrête la «zone périglaciaire» interdite aux exploitations? Des bataillons d’avocats et de juges étudient actuellement la glaciologie. Car les enjeux financiers de cette cartographie sont énormes. Magazine Greenpeace Nº 4 — 201 1

«La première chose qui nous a fait réfléchir a été de voir des renards sans ­fourrure près de la mine.»

Labourer les fonds marins… Cela fait un certain temps déjà que l’industrie du pétrole s’intéresse aux grands fonds océaniques. Et voici que les compagnies minières en font à leur tour un terrain de prospection. La première mine commerciale en eaux profondes s’appelle Solwara 1. Elle se situe dans les eaux de Papouasie-Nouvelle-Guinée et sera mise en exploitation en 2013 au plus tôt. En janvier dernier, la firme canadienne Nautilus Minerals recevait l’autorisation d’exploiter une surface de 59 km2 de fonds marins pour l’extraction de ­sulfures polymétalliques, à environ 1600 m de profondeur. Ces sulfures se forment à la rupture des plateaux continentaux, où l’eau s’infiltre dans la croûte terrestre et se rapproche du magma. Réchauffée au cours de ce processus, l’eau s’enrichit de métaux dissous. Lorsqu’elle remonte vers les fonds marins sous forme de source chaude, elle se refroidit brutalement en déposant une croûte métallique composée notamment de cuivre, de zinc, d’or et d’argent. C’est cette croûte que l’on veut raser à l’aide de véhicules à chenilles téléguidés. Les sulfures seraient ensuite mélangés à l’eau de mer pour former une

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© A L EX S M A IL ES / S yG M A / C OR B IS

La population indigène de Papouasie-Nouvelle-Guinée craint de nouveaux conflits armés, après ceux de 1997 qui concernaient déjà les matières premières et la destruction environnementale.

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L’extraction des nodules de manganèse 1

Navire d’acheminement 2 Plateforme d’extraction 3 Canal d’extraction 4 Dispositif de récupération

5 Nodules de manganèse 6 Collecteur 7 Injection d’eau résiduelle 8 Nuages de particules

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boue à pomper sur un navire de production. L’eau résiduelle serait réinjectée vers les fonds marins après séparation de la masse métallique, laquelle serait acheminée vers la terre ferme pour subir des traitements chimiques produisant les différents métaux. Nautilus Minerals soutient que les dégâts liés à l’exploitation seraient minimes. Mais les biologistes marins et les organisations écologistes s’inquiètent. L’écosystème extrêmement sensible des grands fonds reste très mal connu. Une chose est sûre: les organismes vivant dans les fonds marins seraient détruits. Leur rétablissement prendrait des décennies. Les nuages de particules soulevés par le labourage du sol marin pourraient également étouffer la vie dans des zones plus éloignées. Craignant les impacts de cette production sur leur principale activité, la pêche, les populations indigènes des côtes s’opposent au projet: «Nous ne sommes pas des cobayes», déclaraient-elles par voie de presse en juillet dernier. Leur méfiance s’explique notamment par l’expérience catastrophique des activités minières classiques en Papouasie-NouvelleGuinée: pollution de systèmes fluviaux entiers, déplacement de populations indigènes, déclenchement de conflits armés… Nautilus Minerals n’hésite pas à en tirer un argument en faveur de son procédé: «La production en eaux profondes n’implique pas de déplacement de population et n’entre donc pas en conflit avec l’usage traditionnel du sol.» La multinationale oublie pourtant les créatures des grands fonds, pratiquement inconnues jusqu’à aujourd’hui et dont la disparition passera inaperçue. Outre Nautilus Minerals, nombre de multinationales se sont procuré des licences de prospection dans les grands fonds. Les Etats insulaires du Pacifique sont les principaux concernés, leurs eaux étant soumises au droit national. Pour les eaux internationales, considérées comme un «patrimoine de l’humanité», c’est l’Autorité internationale des fonds marins qui sera compétente pour accorder des licences d’exploitation. Les règles d’octroi sont encore en discussion. Seules les agences publiques de recherche ont pour l’heure reçu une autorisation d’extraction de nodules de manganèse ou de sulfures polymétalliques dans le Pacifique Nord et l’océan Indien. Les acteurs impliqués sont la Chine, la France, l’Allemagne, l’Inde, le Japon, la Russie, la Corée du Sud, un consortium d’Europe de l’Est et, depuis peu, la République de Nauru.

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…puis s’attaquer à la glace des océans? Les prophètes de l’énergie fossile prétendent qu’avec la fin du pétrole, du gaz naturel et du charbon, il reste toujours la combustion de la glace. Appelé familièrement «glace qui brûle», l’hydrate de méthane est issu de la décompo­ sition de matières organiques. Les gisements se trouvent dans les zones de pergélisol de l’hémi­ sphère nord, à partir d’une profondeur de 150 m. Mais on en trouve aussi et surtout dans les océans des talus continentaux, à une profondeur variant de 100 à 300 m en fonction de la tem­ pérature et de la pression. L’hydrate de méthane est la plus vaste réserve d’énergie fossile. Selon les estimations, celle-ci renfermerait trois fois plus de carbone que les réserves cumulées de pétrole, de gaz et de charbon. Diverses entreprises développent des techniques d’injection d’eau chaude, de produits dégivrants ou de dioxyde de carbone (CO2) ­liquide dans les sites de stockage d’hydrate de méthane. Le but est de faire fondre la glace pour aspirer le méthane. Mais ce gaz nuit gravement au climat, étant 20 à 30 fois plus agressif que le CO2 pour l’atmosphère. Or son extraction du pergélisol, tant sur terre que dans l’océan, implique d’importants rejets incontrôlés de méthane dans l’air. L’extraction de méthane se réalisera-t-elle, et à partir de quand? Cela dépend de l’évolution de la technique et des prix de l’énergie. Dans le pergélisol de l’Alaska, l’extraction pourrait commencer en 2015. Pour la production en milieu marin, rien ne se fera avant encore au moins dix ans. Comme le pergélisol dans les montagnes, l’hydrate de méthane joue en effet un rôle stabilisateur pour la roche des talus continentaux. L’extraction du méthane pourrait donc déstabiliser les plateaux continentaux et déclencher des tsunamis. Les multinationales pollueuses tentent de se donner une image «verte». Même dans le secteur des matières premières, elles ne peuvent plus se ­fermer aux critiques. Elles ont donc commencé à publier des rapports sur la durabilité et à faire des dons à des œuvres d’entraide locales ou à des parcs naturels. A l’échelle internationale, elles misent sur des codes de conduite facultatifs ou des systèmes de certification. Mais tant que les règles ne seront ni contraignantes, ni recevables en justice, tant qu’il n’y aura pas de contrôle indépendant, les belles déclarations de ce qui est probablement l’industrie Magazine Greenpeace Nº 4 — 201 1

la plus sale de la planète se résumeront à une simple opération d’écoblanchiment. La rébellion de la base Les réserves d’énergies fossiles et de ­métaux ne sont pas infinies. Les gisements facilement accessibles et bon marché sont plus ou moins épuisés. Les nouvelles technologies et le cours élevé des matières premières permettent certes de produire dans des régions de plus en plus reculées et dans des concentrations de plus en plus faibles. Mais l’énergie et les coûts associés à ces productions augmentent. Le risque lié aux ­investissements s’accroît, notamment à cause des variations spéculatives de prix. La con­cen­ tration d’une matière première sur un site ­donné n’est souvent plus le critère décisif pour lancer un projet: les facteurs qui emportent la décision sont plutôt le taux d’imposition, les prix de l’énergie et de l’eau ou la faiblesse de la ­législation. C’est pourquoi la production s’est déplacée du Nord vers les pays du Sud, où les industries «sales» rencontrent souvent moins d’obstacles. Mais le monde devient plus petit, même pour les multinationales. Les populations locales étaient autrefois mal informées et n’intervenaient pas avant l’apparition des premiers dégâts. Aujourd’hui, suite aux mauvaises expériences de ces dernières années, les protestations s’élèvent souvent dès la phase de planification. Et parfois avec succès: l’Argentine, le Mexique, le Pérou, le Bangladesh ou la Turquie ont vu de puissants mouvements citoyens ­empêcher des projets miniers, voire convaincre les Parlements d’interdire l’usage du cyanure ou même l’exploitation minière en tant que telle. A travers le monde, les populations indigènes insistent de plus en plus sur le «consentement libre, préalable et éclairé», un droit garanti par les Nations Unies en cas de projets sur leurs territoires ancestraux. Le monde prend progres­ sivement conscience que l’époque des matières premières bon marché est révolue et que nous devons nous atteler sérieusement à la recherche de solutions alternatives.

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sou­terraines et superficielles, et augmentation de la fréquence des tremblements de terre. D’autre part, le bilan CO2 mis en avant par les gaziers est biaisé: il faut y ­ajouter les émanations de CO2 liées à la construction et au fonction­ nement des puits, au transport de l’eau et du gaz, ainsi que le méthane Le gaz de schiste est exploité A lire qui fuit dans l’atmosphère lors ­depuis 1999 aux Etats-Unis. Depuis du processus. Les conséquences de peu, on commence à s’y intéresser l’extraction de gaz de schiste sont en Europe et en ­Suisse. Pascal pires que celles de la production de ­Vinard, géologue et spécialiste de gaz naturel conventionnel. la géothermie profonde, nous offre Le 21 juin 2011, l’Arkansas a un tour d’horizon de la question. ­décidé d’interdire le recours à cette technique, après avoir recensé 1220 Le gaz de schiste est un gaz naturel séismes depuis le début de l’année. Malgré cela, l’administration Obastocké dans des roches sédimentaires composées d’argiles, de cal- ma maintient son cap en la matière. caires et de silicates. Il est bien plus difficile d’accès que le gaz naturel De ce côté de l’Atlantique, traditionnel. le flou règne En attendant de devenir un ­exportateur net en ce qui concerne Une exploitation déjà le gaz, les Etats-Unis sont d’ores et ­industrielle aux Etats-Unis déjà partis à l’assaut des gisements Les Etats-Unis sont les chamUn livre qui s’attaque à un sujet pions en matière d’hydrocarbures de schiste outre-mer, en Europe notamment. Pour ce faire, ils sibrûlant: pour la première fois, la et ceux-là restent leur priorité Déclaration de Berne (DB) étudie le géostratégique. Alors que les réser- gnent des accords de coopération avec des compagnies européennes rôle des multinationales suisses ves indigènes s’épuisent, la deet l’importance de la plaque tour- mande augmente, accroissant la et acquièrent des concessions nante suisse dans le commerce dépendance envers l’étranger. Ces ­d’exploration, en Suisse également. La Suisse dispose d’un ap­pro­ des matières premières. Elle met quinze dernières années, le gaz en lumière le contexte et les de schiste est apparu comme la pa- visionnement diversifié en gaz ­victimes de ce commerce, décrit le nacée à ce problème. Début 2011, ­naturel. Ce qui en fait l’un des pays on comptait 493 000 forages d’ex- les moins dépendants du gaz russe. fonctionnement du négoce des matières premières et les conflits ploitation actifs aux Etats-Unis. Cependant, la totalité de notre dans les pays producteurs, préLes dégâts environnementaux consommation vient de l’étranger. sente les alternatives et formule des sont effarants en maints endroits, Le forage de Noville VD ne chan­ revendications. Commandez cet notamment à cause du recours à la gera guère les choses. excellent ouvrage qui traite un sujet fracturation hydraulique. Cette Dans les années 1970 et 1980, dernière consiste à envoyer de l’eau bon nombre de campagnes d’excrucial de politique économique: à très forte pression dans le souswww.evb.ch/fr. ploration furent effectuées. Du pésol afin de briser les roches. Plus de trole fut trouvé à Essertines VD et du gaz naturel conventionnel à 10 000 à 15 000 m3 d’eau sont consommés par forage. On y ajoute Hermrigen BE, mais leur ex­ ploitation n’était pas rentable à des substances chimiques, biocides, lubrifiants et autre détergents l’époque. Or les concessionnaires servant à empêcher les fissures et reviennent à la charge depuis fractures de se refermer. Les risques ­quelques années. A Hermrigen, un sont connus: pollution des eaux forage est en cours et les campaMatières premières

© Editions d ’ en bas

POLLUTION ET SéISMES – LA MENACE DU GAZ DE ­SCHISTE

Swiss Trading SA: la S ­ uisse, le négoce et la malédiction des ­matières premières

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gnes de reconnaissance sismique se succèdent. Après le Tessin cet été, ce fut la région d’Obwald et de Nidwald dernièrement. Le Grosde-Vaud est le prochain sur la liste. Les risques sont exacerbés en ­Suisse du fait de la forte densité de population et de l’importance des eaux souterraines pour l’appro­ visionnement en eau potable. Pour l’instant, les demandes de concession d’exploration pour le gaz de schiste sont en attente. La France a décidé un moratoire sur la fracturation hydraulique, et les refus fribourgeois d’avril et vaudois de septembre 2011 freinent les ambitions en Suisse. Le fédéralisme suisse implique cependant des ­positions non coordonnées entre les différents cantons. Devant cette situation, la SSIGE (Société suisse de l’industrie du gaz et des eaux) réfléchit à une commission technique pour définir une «norme» sur le gaz de schiste, qui pourrait servir de base aux autorités cantonales compétentes dans le futur. Dans l’intervalle, il n’existe pas de position univoque et le risque de revirements est bien réel. Au moment où le Conseil des Etats a confirmé la sortie du nucléaire, le pire scénario possible serait bel et bien de se lancer dans l’exploration et ­l’exploitation du gaz de schiste. Géologue et hydrogéologue, ­Pascal Vinard est expert de la question des roches de schiste. Il a fait partie de la délégation suisse à l’ESA, l’agence spatiale européenne travaillant sur les méthodes modernes d’observation de la Terre pour la ­gestion environnementale et des catastrophes, et sur les technologies de navigation satellitaire (GPS, Galileo). Pascal Vinard est actif dans le domaine des énergies renouvelables et de la géothermie profonde.

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La position de Greenpeace Suisse

Les réserves de gaz de schiste potentiellement présentes sur le territoire suisse ne doivent en aucun cas être exploitées. La méthode de la fracturation ­hydraulique utilisée pour le gaz de schiste pose de graves problèmes environne­ mentaux. L’injection d’eau chargée d’additifs chimiques est susceptible de polluer les eaux souterraines et les sols. Les forages nécessitent d’énormes quantités d’eau et de produits chimiques. Il en résulte la formation de boues toxiques polluant les eaux de surface, le sol et l’air, et pour lesquelles il faut assurer le ­dépôt et le traitement. Pour chaque forage, l’acheminement des eaux et des additifs ainsi que l’évacuation des boues entraînent des dizaines de mouvements de camions par jour. L’exploitation du gaz de schiste va à l’encontre des objectifs de la Suisse en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Si cela peut réduire les importations d’hydrocarbures, notre ­dépendance aux énergies fossiles en serait renforcée. L’extraction de gaz de schiste risque en outre de créer des obstacles ­sérieux aux investissements dans les énergies renouvelables.

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Matières premières

DES DéCHETS QUI VALENT DE L’OR

A Shanghai, le recyclage devient un marché globalisé. Par Léon Schneider La bourse chinoise des matières premières, le Shanghai Futures Exchange (SHFE), est une bourse un peu particulière. Si elle fonctionne sur le principe de l’offre et de la demande, les demandeurs – exclu­sivement des entreprises chinoises – peuvent proposer des prix nettement supérieurs à ceux du marché mondial. Pour soutenir ce secteur, l’Etat chinois compense en effet le différentiel de prix. Selon le ­ma­gazine économique allemand Wirtschaftswoche, le ­niveau des prix à Shanghai dépassait au premier semestre 2009 de 15% ceux de New York ou de Londres. La Chine consomme-t-elle beaucoup de cuivre à une période donnée? Le prix de la tonne de cuivre pourra être supérieur de 1000 dollars par rapport aux deux grandes bourses concurrentes, le London Metal Exchange et le Comex à New York. Les marchands de ferraille en Europe en tirent les conséquences: en cas de hausse des prix en Chine, ils se tournent vers l’Extrême-Orient et délaissent les recycleurs locaux, quitte à les ­mettre en difficulté. Stefan-Georg Fuchs est responsable des achats chez un recycleur de Westphalie, en Allemagne: «Les déchets de cuivre sont notre plus grande mine de cuivre en ­Europe», déclare-t-il. Son entreprise stocke normalement jusqu’à Magazine Greenpeace Nº 4 — 201 1

10 000 tonnes de cuivre de ­ré­cu­pération, une réserve de travail pour quatre semaines. Mais en janvier 2009, les matières premières se raréfient sur le marché ­mondial: ses entrepôts se vident et le chômage technique menace. «Il est important que la collecte et le recyclage du cuivre restent en Europe», conclut Fuchs. Pour l’aluminium, c’est la même histoire. Le secrétaire général de la fédération des recycleurs d’aluminium européens (OEA), Günter Kirchner, affirme: «Les exportations de déchets d’alu en Chine (et en Inde) sont un danger latent pour l’industrie du recyclage en Europe. Malgré des techniques plus modernes et une productivité ­élevée, les fonderies européennes sont souvent perdantes, car les conditions ne sont pas équitables.» Les derniers chiffres de l’OEA sont alarmants: 2,2 millions de tonnes d’aluminium recyclées en 2009 contre 3 millions en 2007. Le résultat de 2,6 millions de tonnes en 2010 est un peu meilleur, mais reste inférieur de 14% à celui de 2007. Si la baisse des dernières années est liée à la crise économique et financière, Kirchner sou­ ligne que les exportations vers la Chine ont augmenté durant cette période. «Le recyclage reste ­garanti, mais pas en Europe.» Douze millions de voitures sont envoyées à la casse chaque année. Un potentiel qui intéresse le ­recycleur chinois Huaren Resources Recycling, qui entend importer deux millions de ces épaves euro-

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péennes d’ici 2012. La collecte vise l’aluminium, l’acier, le lithium, le plomb, le plastique, le palladium et les terres rares. Selon BlackRock, plus grande société de gestion d’investissement au monde avec près de 3650 milliards de dollars d’actifs, la Chine consomme 46% de la production mondiale d’aluminium, 48% de l’acier et même 58% du nickel. Pour couvrir cette demande, l’Etat chinois est prêt à payer un excédent de prix. Et comme l’extraction est chère, la Chine mise sur les déchets métalliques recyclés. Le recyclage est une affaire en or. Une tonne de téléphones ­portables contient de 300 à 350 g d’or, pour une valeur de près de 15 000 francs. La Fondation suisse pour la pratique environnementale (Pusch) écrit que 40% des matériaux d’un téléphone mobile pourraient être recyclés. La durée de vie d’un portable est en principe de sept ans, mais les Suisses en rachètent un nouveau tous les 12 à 18 mois en moyenne, ce qui représente environ 2,8 millions d’unités vendues par année. Et seul un ­portable sur sept est confié à un organisme de recyclage. 1000 tonnes de matériaux passent ainsi aux ordures ménagères ou restent stockées dans les ménages. Ceuxci regorgent d’ailleurs de cuivre usagé: Swiss Recycling estime qu’on trouve 200 kg de cuivre par ménage, dans les conduites électriques, les tuyaux de chauffage et les gouttières. Cette réserve aiguise les appétits en Chine. Les exportations suisses de métaux et de produits métalliques vers la Chine ont passé de 19 202 tonnes en 2006 à 24 771 en 2010. D’après l’Administration fédérale des douanes, la valeur de ces exportations a augmenté de plus de 55% entre 2009 et 2010. A ­l’inverse, les importations suisses


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© N atalie Behring -Chisholm / G reenpeace

La Chine achète à bon prix les déchets recyclables: les recycleurs européens sont les perdants.


L’association patronale Swissmem ne tient pas compte du recyclage dans son analyse de la situation.

de métaux en provenance de Chine n’ont augmenté que de 15%, tant en quantité qu’en valeur. La Suisse ne produisant pratiquement pas de métal, l’essentiel des exportations correspond donc à du métal de récupération. Le recyclage devient un enjeu économique, du moins en Europe. Dans un rapport sur les matières premières publié à la mi-septembre, l’Union européenne souligne ­l’importance de la récupération. Celle-ci est présentée, après ­l’extraction de matières premières et la «diplomatie des matières premières», comme le troisième pilier d’une stratégie visant à assurer l’approvisionnement de l’UE en matières premières. Ce document du Parlement européen rappelle que le recyclage fournit beaucoup d’emplois et pourrait en créer encore davantage: «Il faut donc le promouvoir et le renforcer.» Magazine Greenpeace Nº 4 — 201 1

En Suisse, l’importance du r­ ecyclage n’a pas encore été pleinement reconnue. Le Département fédéral de l’économie (DFE), dirigé par le conseiller fédéral Johann Schneider-Ammann, se borne à déclarer: «L’instauration de systèmes de recyclage systématique est maintenant un acquis que l’on ne remet plus en question.» Même Swissmem hésite à promouvoir le recyclage comme ­source de matières premières en Suisse. Présidée par SchneiderAmmann jusqu’à son élection au Conseil fédéral, l’association de l’industrie suisse des machines, des équipements électriques et des métaux a certes rédigé une analyse sur la «politique stratégique des matières premières». Mais le recyclage y est passé sous silence au profit de lamentations sur les «pratiques protectionnistes» et de la revendication de «marchés ouverts et compétitifs». Seule une contribution du vice-président de Swissmem, Jean-Philippe Kohli, évoque le «renforcement de l’économie du recyclage». La conclusion du texte met toutefois uniquement l’accent sur la nécessité d’une ouverture des marchés. Kohli est seul à pointer la ­question du recyclage. Le service SMD, à la fois banque de données et archives des médias suisses, ne contient pas une seule occurrence pour la combinaison des termes «recyclage», «stratégie de matières premières» et «Suisse». Mais les choses commencent à bouger au niveau communal. Le 11 février 2011, le chef du département des travaux publics zurichois, Markus Kägi (UDC), évoquait pour la première fois le «urban mining», l’extraction de matières premières à partir des déchets. Le recyclage est encore perçu comme relevant de la protection

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de l’environnement. C’est donc l’Office fédéral de l’environnement qui souligne l’importance des réserves de matières premières dans les matériaux usagés. Le soutien au secteur du recyclage correspond pourtant aussi à une tâche de ­politique économique. Grâce à la collecte systématique, l’économie suisse accédait en 2009 à une quantité d’aluminium d’une valeur de 135 millions de francs. Au prix actuel de près de 10 000 francs la tonne, les 7000 tonnes de cuivre collectées représentaient environ 70 millions de francs. En Allemagne, le recyclage permet une économie de plus de 5 milliards d’euros sur les importations de matières premières. Près de 14% de l’extraction des matières premières relèvent déjà du recyclage, une part qui n’était que de 2% il y a une quinzaine d’années. Pour la Suisse, les données ne sont pas disponibles. Le jour où la Suisse constatera, chiffres à l’appui, que ses déchets métalliques sont bradés en Chine au lieu d’être vendus à des entreprises locales, elle risque bien de regretter sa passivité actuelle.


Matières premières

© Paul Langrock / Z enit / G reenpeace

LE TALON D’ACHILLE DE LA ­TECHNOLOGIE VERTE

stockage du courant vert – posent en effet elles aussi des problèmes écologiques et sociaux. Un rapport récent* analyse ces problèmes, notamment liés aux besoins en En septembre 2011, la ville chinoi- matières premières pour les nouse de Haining a connu de violentes velles technologies énergétiques. «Les auteurs du rapport préconiprotestations. Des centaines ­d’habitantes et d’habitants criaient sent un développement rapide de l’énergie éolienne et solaire», dit leur colère contre l’entreprise ­JinkoSolar. Pour la population, les Peter Fuchs, directeur de l’associaémissions de fluorure de ce tion PowerShift. «Mais pour être ­producteur de cellules solaires sont crédible, l’économie verte ne peut responsables d’un nombre élevé se limiter à une reconversion techde cancers ­parmi la population et nocratique du Nord. Elle doit aussi de la mort de nombreux poissons. conclure un nouvel accord équi­ Les auto­rités ont commencé par table avec les pays du Sud pour la arrêter le porte-parole des protes- fourniture des matières premières.» tataires en l’accusant de répandre L’exemple du photovoltaïque des calomnies. Mais le jour suiLes technologies vertes sevant, elles ont suspendu la producraient-elles les nouveaux pollueurs? tion de l’usine. Prenons le photovoltaïque (PV), Les techniques visant à favoriser le tournant énergétique – cellu- actuellement la plus importante des nouvelles énergies renouvelables les solaires, éoliennes, piles de Les installations de photovoltaïque comportent elles aussi des ­risques: à examiner de plus près. Par Marcel ­Hänggi

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en Suisse. «Pour les systèmes photovoltaïques, c’est la forte consommation d’énergie nécessaire à leur production qui nuit à l’environnement», explique Mariska de WildScholten, de SmartGreenScans, une agence spécialisée dans l’écobilan du PV. Il est toutefois faux de prétendre, comme on l’entend parfois, que les cellules solaires produiraient moins d’énergie que celle liée à leur production. Les installations PV du Sud de l’Europe mettent généralement entre 0,8 et 1,8 an pour compenser l’énergie consommée lors de leur fabrication, et quelques mois de plus pour les installations plus anciennes. L’expérience manque encore pour quantifier la production nette du cycle de vie total des systèmes les plus récents. Mais Mariska de Wild-Scholten estime qu’une installation PV produira au moins trente fois l’énergie consommée pour sa production. De son côté, le pétrole ne contient que dix-sept fois l’énergie moyenne nécessaire à son extraction. Et à mesure que le pétrole facilement accessible se raréfie, le bilan se dégrade, tandis qu’il continue de s’améliorer pour le photovoltaïque grâce au progrès technique. La fabrication des installations PV ne demande en outre pas ­beaucoup de matières premières. 90% des cellules solaires sont fabriquées en silicium, une substance non toxique et aussi commune que le sable, d’ailleurs constituée (le plus souvent) de quartz, donc de dioxyde de silicium. Le reste du marché correspond à des cellules solaires utilisant d’autres matériaux, en partie rares. Selon Mariska de Wild-Scholten, les cellules solaires en couches minces à base de tellurure de cadmium (CdTe) sont celles qui ­présentent le meilleur bilan écologique. C’est étonnant, car le CdTe


Comparaison des productions d’électricité

Production d’électricité ⁄ points MCDA*

Centrale nucléaire type EPR ⁄ 13,90 Centrale nucléaire 4e génération ⁄ 10,80 Charbon sans captage de CO2 ⁄ 21,40 Charbon avec captage de CO2 ⁄ 21,90

Centrale à cycle combiné gaz-vapeur ⁄ 10,30 Centrale à cycle combiné gaz-vapeur avec capt. CO2 ⁄ 19,30 Pile à combustible au gaz naturel ⁄ 5,93 Biomasse de déchets (paille) avec couplage chaleur-force ⁄ 10,00 Photovoltaïque (toiture, couches minces) ⁄ 2,88

Solaire thermique ⁄ 1,02

0

Eolienne en mer ⁄ 6,95 5 10 15

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La comparaison des sources d’énergie dépend de la pondération des facteurs. L’Institut Paul Scherrer (PSI) a développé une méthode tenant compte des divers aspects écologiques, sociaux et économiques. L’analyse retient les techniques qui seront probablement disponibles en 2050. Des progrès sont surtout escomptés pour la photovoltaïque et la fission nucléaire (4e génération). La pondération des critères se fonde sur un sondage réalisé auprès des acteurs concernés (représentants des consommateurs, producteurs d’énergie, organi­ sations environnementales, scientifiques, politiques, etc.). Plus la barre est courte, et plus l’appréciation est positive. * MCDA (Multiple Criteria Decision Aid) Magazine Greenpeace Nº 4 — 201 1

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S OURC E: S T EFAN HIR S C HBERG / PS I / Pro jeT Needs 2 0 0 9

est nocif pour la santé humaine et le cadmium n’est autorisé qu’en toutes petites quantités dans les appareils électriques et électro­ niques (les cellules solaires ne sont pas concernées par cette restriction). Mais la spécialiste ­précise que le CdTe est nettement moins problématique que d’autres composés de cadmium facilement solubles. Et les cellules solaires ne dégagent que d’infimes quantités de cette substance. Par ailleurs, le cadmium et le tellurure étant des sous-produits de l’extraction de métal, il n’est pas nécessaire d’ouvrir des mines pour obtenir ces éléments. Quant au silicium, s’il est certes fréquent et inoffensif, l’extraction du quartz et la production de silicium pur consomment toutefois beaucoup d’énergie. Production, recyclage et ­infrastructures La qualité écologique des cellules solaires dépend dans une large mesure du mode de production et du recyclage. La firme JinkoSolar déjà mentionnée a manifestement renoncé à immobiliser (purifier) les ions fluorures issus de sa production. La production de PV peut en effet elle aussi nuire au climat: la fabrication de cellules solaires en couches minces à base de silicium (et celle des puces informatiques) fait généralement intervenir des gaz de purification comme le trifluorure d’azote (NF3). Le NF3 est un gaz à effet de serre dévastateur dont l’impact est 17 000 fois supérieur à celui du CO2. Bien que le NF3 soit en principe facile à neutraliser, le protocole de Kyoto n’en fait pas mention et les pays signataires sont donc peu motivés à imposer l’élimination de ce gaz. Un sixième environ de la production mondiale de NF3 s’échappe ainsi dans l’atmosphère.


Le tournant énergétique ne se limite toutefois pas aux nouvelles techniques. Selon les scénarios les plus récents, l’augmentation de la part des énergies renouvelables implique une adaptation et un ­développement des réseaux de distribution du courant. Une opération qui nécessite beaucoup de cuivre, dont l’extraction, minière la plupart du temps, n’est pas sans conséquence sur les paysages, les réserves d’eau et la dissémination de substances chimiques. Il en résulte d’énormes quantités de boues toxiques stockées dans des bassins de rétention, qui ne sont souvent pas étanches. Les besoins en nouvelles lignes de courant ­dépendront de la stratégie qui sera choisie: un courant vert produit à grande distance, comme les énergies fossiles d’aujourd’hui, devra être acheminé par des lignes à haute tension de courant continu, par exemple du Sahara vers l’Europe en passant par la Méditerranée. Si le courant est au contraire décentralisé, les besoins supplémentaires seront sans doute moindres. Autre problème: il faut savoir stocker la production irrégulière des sources renouvelables. Plusieurs techniques sont à l’étude. Une idée souvent mentionnée est qu’un parc de voitures électrifiées pourrait absorber les variations de la production en permettant de recharger les batteries au moment où la production de courant est plus importante.

techniques (IZT) de Berlin, les ­besoins en lithium dépasseront la production mondiale dès 2015. Certains pronostics se veulent rassurants: la Bolivie aurait des réserves de 100 millions de tonnes de lithium, bien plus que les gisements actuellement accessibles, déclare la fédération minière bolivienne. Néanmoins, le gouvernement des Etats-Unis ne chiffre les réserves boliviennes qu’à 9 millions de tonnes, d’autres sources les estiment à 300 000 tonnes uniquement. L’an dernier, le Pentagone annonçait la découverte d’énormes gisements de lithium en Afghanistan, mais certains pensent que cette déclaration sert surtout à justifier la présence militaire états-unienne dans la région. Le projet de convertir un parc mondial de voitures à l’électricité se heurtera sous peu au manque de matières premières. De plus, le stockage dans des millions de batteries n’est pas pertinent d’un point de vue énergétique et écologique. Selon l’Institut de recherche ­Empa, l’écobilan total des véhicules é ­ lectriques n’est en effet pas meilleur que celui des voitures à basse consommation d’essence.

Le tournant énergétique ne se réduit pas à la technique Comme l’éolien ou la géothermie, le solaire est nettement plus écologique que l’énergie fossile ou nucléaire, même en tenant compte des paramètres écologiques, économiques et sociaux (voir tableau ci-contre). Mais pour garantir la Données incertaines Mais pour stocker de grandes qualité des nouvelles énergies, quantités d’électricité, il faudrait il faut insister sur les normes envirecharger des millions de batteries. ronnementales et sociales tout Actuellement à base de lithium, au long de la chaîne de production: ces batteries contiennent aussi des matières premières à l’élimi­ d’autres métaux, par exemple le nation en passant par la transforcobalt ou des terres rares comme le mation. Le recyclage est favorable néodyme et le dysprosium. ­Selon à l’environnement, surtout si cette l’Institut de futurologie et d’études dimension est intégrée dès la Magazine Greenpeace Nº 4 — 201 1

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conception du produit. Une production décentralisée de courant contribuera à réduire les infrastructures utilisant de grandes quantités de matériel et donc à diminuer les nuisances environnementales qui y sont liées. Le seul passage de l’énergie traditionnelle aux énergies renouvelables, sans remise en question des modes de production, de ­distribution et de consommation, ne permet donc pas de parler d’un véritable «tournant énergétique». *Rapport disponible en allemand: PowerShift / Forum Umwelt und ­Entwicklung: Oben hui, unten pfui? Rohstoffe für die «grüne» Wirtschaft: Bedarfe, Probleme, Handlungs­ optionen für Politik, Wirtschaft und Zivilgesellschaft, Berlin 2011: http://power-shift.de/?p=624.


L’APOCALyPSE

Les géants des océans: hab

Baleine de Minke d Nord < inconnu > 150 000

LA CARTE

Baleine franche du Pacifique Nord < inconnu > Max. quelques centaines

Baleine du Groenland < inconnu > 10 000 Marsouins du Pacifique

Rorqual boréal < inconnu > 50 000

É Q U A T E U R

Rorqual commun < 500 000 > 65 000

Baleine franche de l’Atlantique Nord < 3000—15 000 > 300—350

Boto (Dauphin rose de l’Amazone)

Cachalot < 1 100 00 > 360 000 Dauphin de la Plata

B

A

L

E

S A N C T U A I R E L ’ O C É A D E N R I E N I

Populations de grands cétacés (estimation) < >

avant la chasse baleinière industrielle aujourd’hui

A U S T R

A

L

Baleine franche australe < 60 000 > 7000

Routes migratoires des baleines à bosse Routes migratoires Zones d’alimentation (été) Aires de reproduction (hiver)


DES BALEINES

bitats, migrations et effectifs

du

Dauphin de l’Indus Dauphin du Yangzi Dauphin du Gange

Baleine bleue < 300 000 > 5000

Rorqual de Bryde < 90 000 > 43 000

B

A

L

E

I N

E T U A I R N C S A ’ O C è A N L D E R I E

I N D I E N

Baleine à bosse < 125 000—1 500 000 > 12 000

Baleine de Minke du Sud < inconnu > 312 000

Aire de distribution de certaines espèces

Narval Marsouin commun Marsouin du golfe de Californie (vaquita) Dauphins d’eau douce (anciennes aires de distribution)

© CA RSTEN RAFFEL / WWW.GREEN PEAC E-MAGAZ IN. DE

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LES CARTES SONT DES PREUVES»

GREENPEACE INDONÉSIE

Kiki Taufik, 36 ans, est né à Java, en Indonésie. Les cartes géographiques le fascinent depuis sa jeunesse. Spécialiste SIG (systèmes d’information géographique) chez Greenpeace, il montre la situation précaire des forêts primaires. Greenpeace: Quand as-tu commencé à ­cartographier? Apprécies-tu ce travail? Kiki Taufik: Quand j’étais au collège, j’ai participé à un groupe qui s’intéressait aux forêts ­naturelles. J’adorais faire des randonnées et lire des cartes. Un ami m’a suggéré de choisir la ­géographie comme branche principale à l’université. Mon activité professionnelle tourne autour des cartes depuis 1996. Oui, ce travail est très gratifiant. Comment as-tu décidé de te consacrer ­professionnellement aux SIG? J’ai trouvé passionnant d’apprendre à réaliser des cartes à l’aide des systèmes d’information géographique. Surtout pour les forêts. C’est mon intérêt pour les cartes qui m’a amené sur cette voie. Connaissais-tu Greenpeace avant d’être engagé par l’organisation? J’ai entendu parler de Greenpeace quand j’étais écolier, lorsque le Rainbow Warrior ­accostait à Jakarta dans les années 1990. Il était question d’une campagne contre l’exportation illégale de déchets chimiques, une affaire passionnante pour l’adolescent que j’étais. Plus tard, je travaillais pour une organisation de cartographie et Greenpeace passait de temps en temps pour demander des données sur l’inventaire forestier ou le déboisement. Mais avant de travailler pour Greenpeace, la réalisation de cartes n’était pas ma tâche principale. Les cartes sont pour Greenpeace la clé des campagnes. C’est cela qui est passionnant: je participe à quelque chose d’important. Greenpeace a besoin d’analyses et de rapports. Elle sollicite le savoir des spécialistes pour ­comprendre la réalité. C’est nécessaire pour démentir les informations fausses ou obsolètes. Magazine Greenpeace Nº 4 — 201 1

Avais-tu déjà travaillé pour une ­organi­sation non gouvernementale auparavant? Mon ancien employeur était le consultant SarVision Indonésie, qui travaillait sur les cartes satellitaires. Il existait une coopération avec l’ONG Borneo Orangutan Survival Foundation (BOS). Je soutenais également d’autres orga­ nisations d’utilité ­publique, notamment Walhi, la plus grande et la plus ancienne association de protection des forêts en Indonésie, en lui fournissant des cartes d’inventaire forestier. Deux raisons me semblent déterminantes pour accepter un poste. La première est que le travail doit être en lien avec ma formation; or, les SIG s’inscrivent très bien dans cette perspective. La seconde est que je ne travaillerais jamais pour un employeur qui nuit à l’environnement. Cela semble un grand principe abstrait, mais il vient du cœur. Que fais-tu exactement chez Greenpeace? Je collecte les données importantes pour la cartographie: couverture forestière, forêts de tourbières, zones menacées, réserves forestières, régions déboisées ou concessions accordées aux entreprises. J’analyse les données et rédige un rapport pour l’une ou l’autre campagne Greenpeace. On te qualifie de «spécialiste SIG en chef», est-ce exagéré? Un peu, oui. Mais les systèmes de géo­ information sont une spécialisation importante pour la cartographie, c’est pourquoi on me considère comme un spécialiste. Pour la qualification «en chef», je suis moins sûr... Peut-être parce que j’ai quatre enfants? Je parais le plus âgé de mon équipe, c’est peut-être lié à cela. Les cartes sont-elles importantes pour les ONG et le secteur forestier? Très importantes. Toutes les institutions qui travaillent sur l’espace ou les ressources devraient avoir un service de cartographie. Les ONG comme Greenpeace, qui mènent des campagnes, doivent pouvoir avancer des preuves. Et les cartes sont, avec les photos et les vidéos, les meilleures preuves qui soient. Tu travailles sur l’économie forestière ­depuis des années. Quel est l’état des forêts en Indonésie? Nos forêts sont dans un état critique. C’est sur l’île de Sumatra que la situation est la plus

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grave. Les forêts de tourbières sont détruites au profit des plantations. Une catastrophe pour les forêts, mais aussi pour le climat mondial, car cette forêt stocke d’immenses quantités de ­carbone. Le déboisement de Sumatra a commencé dans les années 1980, avec une accélération depuis les années 1990. L’évolution échappe à tout contrôle. Les gouvernements provinciaux et les autorités locales vendent des terres ensuite affectées à la production d’huile de palme, de papier ou de bois, ou encore à l’exploitation minière. Et les dégâts continuent. Te souviens-tu des immenses incendies de forêt de 1997-1998? La fumée a même couvert la Malaisie et Singapour, qui nous en ­veulent encore. Le déboisement et les atteintes à la forêt doivent cesser. Sinon ce trésor de la forêt sera perdu. Les 9 millions d’hectares de forêt de la province de Riau, à Sumatra, se sont aujourd’hui réduits à 931 000 hectares. Sur une échelle ­allant de 1 à 10 – 10 représentant la destruction totale – l’état des forêts pluviales d’Indonésie correspondrait à 8. Magazine Greenpeace Nº 4 — 201 1

© G reenpeace

© G reenpeace

Kiki Taufik, expert en cartographie chez Greenpeace: «Mon travail peut réfuter les informations trompeuses.»

Es-tu optimiste pour l’avenir des forêts? Le moratoire demandé par le président ­indonésien peut-il aboutir? Je suis pessimiste. Sauf si nous parvenons à faire pression sur le gouvernement. Les fonctionnaires sont encore nombreux à contourner les règles. Ils arrangent des marchés illégaux pour se remplir les poches, sans penser aux conséquences. Si les lois ne sont pas respectées, nous aurons tout perdu d’ici à 2050. Je veux que mes enfants puissent encore profiter de la beauté des forêts quand ils seront grands. Qu’ils puissent apprécier la nature, comme leur père. Je suis souvent dehors avec eux pour qu’ils découvrent l’environnement. Je souhaite remercier toutes les personnes qui soutiennent Greenpeace en Suisse. C’est grâce à ce soutien financier que nous pouvons poursuivre notre travail de sauvetage des forêts indonésiennes. Chaque contribution compte pour créer un avenir meilleur.

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© gina D onz é

BÉNÉVOLAT

«Abandonner ne me viendrait jamais à l’idée» Eckhard Wolff et Julia Ritschard s’engagent en faveur de l’environnement comme ­militants bénévoles chez Greenpeace. Eckhard a 64 ans et Julia 21. Comment la mouvance écologiste a-t-elle évolué au cours des 40 dernières années? Un entretien intergénération. Greenpeace: Julia, pourquoi t’es-tu engagée comme bénévole chez Greenpeace? Je ne supporte pas de voir comment on est en train de ruiner la planète. Je préfère agir ­plutôt que rester sans rien faire. Depuis que je m’engage, je n’ai plus l’impression de subir les problèmes du monde sans pouvoir y remédier. Avec d’autres militants, je travaille sur différents projets, notamment pour empêcher le groupe énergétique grison Repower de prendre des participations dans des centrales à charbon. ­J’apprends beaucoup de choses en tant que bénévole, de l’organisation à la façon de réagir à des situations critiques. Et toi, Eckhard? Mon père luttait contre la rectification de cours d’eau dans le Nord de l’Allemagne, près de Brême, à la fin des années 1950. Il s’agissait déjà de sauver la flore et la faune, même s’il n’y avait pas encore de grandes organisations environnementales. Mai 68 et le mouvement antinucléaire des années 1970 n’étaient pas non plus encadrés par de telles organisations. J’étais souvent aux premières lignes, au cœur de l’action. Greenpeace n’est arrivée que plus tard, au début Magazine Greenpeace Nº 4 — 201 1

des années 1980 en Allemagne et à partir de 1986 en Suisse. Longtemps, je n’ai été qu’un simple adhérent, car j’avais d’autres priorités dans ma vie professionnelle et dans mon engagement bénévole. Depuis douze ans, mon engagement s’est considérablement intensifié. Et cela ne faiblira pas quand je serai à la retraite. Ma motivation est inchangée: je ne supporte pas ­l’injustice et je me mobilise pour que les générations actuelles et futures puissent vivre dignement dans un monde qui vaille la peine d’être préservé. N’êtes-vous jamais tentés d’abandonner face à l’ampleur des problèmes, ici et ailleurs? Julia: Abandonner ne me viendrait jamais à l’idée, même si l’indifférence que j’observe, en particulier chez les jeunes, me préoccupe parfois. Nombreux sont ceux qui disent qu’on ne peut de toute façon rien changer. Or, vu le peu de temps qu’il nous reste pour empêcher le changement climatique, cette attitude me fait peur. Mais je sens aussi souvent combien mon travail est apprécié. Eckhard: Abandonner? Cette idée ne me viendrait pas à l’esprit, car elle n’est pas justifiée.

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Ce n’est pas vrai que nous allons dans le mur sans pouvoir agir. Les succès rapides sont sans doute rares, mais, à force de persévérance, nous avons beaucoup obtenu. Je me réjouis de la sortie du nucléaire. En même temps, je suis ­révolté d’entendre des politiciens dire que les connaissances ont changé. Cela fait déjà trente ans que nous savons tout cela. 2012 marquera les 20 ans du Sommet de Rio. Le monde entier s’était alors engagé à prendre enfin les questions environnementales au sérieux. Avec l’Agenda 21, des mesures devaient être mises en œuvre en faveur du développement durable. Julia, le Sommet de Rio a-t-il influencé ton engagement? Julia: Lorsque j’étais jeune, mais aussi à l’âge adulte, je n’ai jamais vraiment réalisé que Rio balisait la voie qui allait conduire à une protection de l’environnement. Cela doit tenir au fait que, malgré les promesses et les bonnes intentions, il ne s’est concrètement pas passé grand-chose. Le débat sur le climat qui a suivi aura été une première étape déterminante, mais il est vraiment urgent de passer aux actes. Qu’a apporté le Sommet de Rio, Eckhard? Eckhard: C’est l’éternelle question du verre à moitié plein ou à moitié vide. Pour le militant, il est quasiment vide, car il ne s’est pas passé grand-chose depuis. Mais il faut reconnaître que Rio a fait bouger les choses dans la recherche scientifique. De nombreux experts ont compris que leur engagement était nécessaire. Aujourd’hui, même les gens de la finance ne contestent plus que nous allons dans le mur. Le problème est qu’ils ne s’en soucient guère. Pouvez-vous sentir, en tant que militants, que l’opinion publique est plus réceptive à votre démarche? Eckhard: Je me souviens d’une action contre les entreprises chimiques à Bâle: nous avions déversé de la terre d’une gravière devant leurs portes et placé symboliquement des fûts de produits toxiques pour protester contre le retard dans l’assainissement des décharges. Un portier s’est montré compréhensif, les policiers qui étaient là par hasard n’ont pas bougé, mais les médias n’ont pas relaté l’événement. La même chose s’est produite lors d’une assemblée ­générale de Nestlé. Malgré les grands discours sur la durabilité et la responsabilité des entre­ prises, on ne souhaite pas que nos initiatives aboutissent. Dans la rue, nous nous heurtons à la Magazine Greenpeace Nº 4 — 201 1

«En matière de climat, la première chose que nous devons faire, c’est agir.»

résignation et à l’indifférence à l’égard des ­problèmes environnementaux ou de l’évolution politique. Vos actions vous conduisent-elles à parler directement avec vos opposants ou avec des passants? Julia: Cela nous arrive régulièrement. Lors d’une manifestation publique sponsorisée par Repower à Samedan, nous avons introduit dans la salle la maquette d’une centrale à charbon pour manifester contre les projets de Repower dans ce domaine. La première réaction a été de nous expulser de la salle. Mais lorsque nous avons souligné qu’il était question de Repower et non de l’organisateur, nous avons pu entrer à nouveau et un débat passionnant a eu lieu. Eckhard: De telles discussions peuvent se produire et nous les recherchons, mais elles peuvent aussi déboucher sur une très grande hostilité à notre égard. Tout est possible. C’est dans l’ordre des choses pour moi. Même si on manifeste de manière pacifique, il faut être préparé à tout. Comment c’était autrefois? Eckhard: A l’époque, parler signifiait surtout exploiter tous les moyens juridiques. Ce n’est

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BÉNÉVOLAT

qu’après que l’on manifestait. Nous n’avions pratiquement pas de contacts directs. Dans une bataille judiciaire, les points de vue sont clairs et les fronts clairement délimités. C’est encore vrai aujourd’hui. Julia: Je partage ce point de vue. Dans un pays comme la Suisse, qui abrite tant de banques, de multinationales et d’entreprises énergétiques investissant au niveau mondial dans des activités qui détruisent la planète, il faut des actions et des manifestations. Il est souvent utile de discuter au préalable, mais la pression de l’action et du grand public sont nécessaires. Sinon, on n’arrive à rien. Dans les années 1970, la lutte contre le ­nucléaire avait la priorité. Aujourd’hui, la sortie du nucléaire est pratiquement ­acquise. Quels sont les sujets qui mobilisent les militants de Greenpeace en 2012? Julia: Je n’ai pas connu cette période, mais il fut un temps où le nucléaire était vu comme la solution à nos problèmes énergétiques. Cette époque est assurément révolue. Mais l’énergie et les matières premières restent des sujets plus actuels que jamais. Quand des entreprises prétendument durables comme Repower misent sur le charbon, je ne vois pas de vrai changement de paradigme. Aujourd’hui comme hier, on fait croire aux gens que de nouvelles technologies permettront de maîtriser la situation. Or, c’est précisément cette croyance dans la technologie qui pose problème. Eckhard: Dans les années 1970, les rapports du Club de Rome attiraient l’attention sur les limites de la croissance. Aujourd’hui, il faudrait juste actualiser ces chiffres, car le message fondamental reste le même. Ce qui nous préoccupe en plus, c’est le système financier libéralisé, y compris les places financières offshore. Cela ne fait qu’empirer la situation. Eckhard, vous avez manifesté presque sans moyens de communication modernes. Les médias sociaux sont aujourd’hui omniprésents. Quel rôle Facebook et les autres jouent-ils? Eckhard: Chez les jeunes, il n’est plus ­pos­sible de s’en passer. Je reste personnellement sceptique, pour des raisons de protection des données. Julia: Les médias sociaux sont devenus des instruments essentiels si l’on veut que le grand public participe. Mais ce sont des instruments Magazine Greenpeace Nº 4 — 201 1

utiles, rien de plus. Aucun outil électronique ne peut remplacer un entretien personnel. Vous travaillez ensemble dans le cadre de certaines actions. Comment la rencontre se fait-elle entre nouveaux et anciens ­militants? Julia: Nous consultons des personnes comme Eckhard, car leur expérience est précieuse dans certaines situations délicates et leur parole a parfois plus de chances d’être écoutée. ­J’apprécie beaucoup cette collaboration. A travers son attitude, Eckhard me donne le sentiment d’agir comme il le faut. Eckhard: Jeunes et moins jeunes peuvent se compléter parfaitement. A mon âge, je ne dois plus m’impliquer dans des situations où je ­pourrais atteindre mes limites physiques; cela ne me dit plus rien de passer des jours sous la tente. Mais je suis présent là où mon expérience est requise. Des cheveux gris peuvent parfois faire des miracles. Et en ce qui concerne Julia, cela fait du bien d’avoir des jeunes comme elle autour de soi. Son engagement est admirable. Entretien réalisé par Urs Fitze, bureau de presse Seegrund Julia Ritschard est née en 1990 et participe depuis 2009 à différents groupes d’action de Green­ peace. Elle travaille à mi-temps dans une auberge coopérative à Weinfelden. Eckhard Wolff, né en 1947, est membre de Greenpeace depuis sa création, tout d’abord en Allemagne, puis en Suisse à partir de l’an 2000. Il vit en Suisse depuis 1986 et part à la retraite ces prochains jours.

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Essai photographique

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Un dangereux dégel En Arctique, la banquise disparaît et le climat menace de ­basculer. Le photographe anglais Nick Cobbing a ­accompagné une équipe de chercheurs sur l’Arctic Sunrise, le brise-­glace de Greenpeace. Photos de Nick Cobbing

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Essai photographique

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La mission que Greenpeace a effectuée cette année dans l’Arctique avec l’Université de Cambridge est arrivée à une conclusion effrayante: la banquise a encore fondu par rapport à 2007, où l’on avait pourtant enregistré l’épaisseur la plus faible jamais mesurée. Les scientifiques à bord de l’Arctic Sunrise, le brise-glace de Green­ peace, n’ont pas caché leur inquiétude: sans cette couche de glace compacte qui réfléchit 80% des rayons solaires et régule le climat, notre planète risque de connaître un désastre ces prochaines décennies. L’artiste John Quigley a reproduit sur la glace le dessin de l’«Homme de Vitruve» de Léonard de Vinci, amputé de certaines parties du corps afin de symboliser l’érosion à proximité du Pôle.

1 Ce guetteur sur le pont de l’Arctic Sunrise est chargé de prévenir, en cas de danger, les membres de l’équipage qui travaillent sur la glace. 2 Equipés d’appareils spéciaux, les colla­ borateurs de Greenpeace se préparent à étudier l’état de la glace à proximité de Svalbard. 3 L’«Homme de Vitruve», représenté sur la glace par John Quigley d’après le dessin de ­Léonard de Vinci, illustre la fonte alarmante de la banquise. 4 L’Arctic Sunrise, le brise-glace de Greenpeace — il n’y a pratiquement plus de glace ­compacte; le bouclier de la Terre est en train de se briser. 5 Un scientifique expertise un morceau de carotte de glace: chaque échantillon a été ­analysé dans le laboratoire du navire.

L’Anglais Nick Cobbing, 44 ans, travaille depuis 20 ans comme photographe. Depuis 17 ans, il p ­ articipe à des projets de Greenpeace dans le monde entier. Il s’est déjà rendu quatre fois dans L’Arctique dont il a su capter les changements avec sensibilité dans d’excellentes photos qui lui ont valu plusieurs prix internationaux. Nick Cobbing vit à Londres et est père d’une fille de 18 ans. Magazine Greenpeace Nº 4 — 201 1

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Des poubelles qui recèlent des trésors par Inga Laas

Les glaneurs

Les grands distributeurs ­jettent chaque année des ­tonnes de denrées ali­­­­­men­taires — à cause de ­règles d’hygiène et de ­dates de péremption exagérées. Des per­sonnes ont commencé à se rebeller contre cette culture du gaspillage. Elles se ravitaillent dans les p ­ oubelles. Pas par néces­sité, mais en signe de pro­testation.

«Plonger» dans des conteneurs, c’est faire des découvertes pour le moins inattendues. Il n’est pas question, en l’occurrence, de pêche sousmarine, mais de ce qu’on appelle en anglais le «trash diving» ou «dumpster diving», litté­ ralement «plongée dans les bennes à ordures», autrement dit le «glanage» ou la récupération dans les poubelles. Il suffit de jeter un œil sur les bennes à ­l’arrière des supermarchés pour en comprendre la raison: on y trouve de tout. Pas seulement des ordures, mais aussi du pain, du fromage, des bananes, des conserves, voire des appareils ­ménagers – ou pourquoi pas une plastifieuse (c’est arrivé!). Bref, presque tout ce que l’on trouve dans les rayonnages des grandes enseignes. Ce soir, en fouillant dans les containers près du magasin Denner d’un village des bords du lac de Zurich, j’ai fait ma réserve de lessive pour l’année (boîtes aux coins déchirés), récupéré un pack de canettes de bière (une était cassée) et trouvé dix barquettes de tomates (un tiers étaient moisies). Comme souvent, il y avait plus que je pouvais emporter. Un tel gaspillage fait mal au cœur. La disparité entre famine et Magazine Greenpeace Nº 4 — 201 1

­ pulence est choquante. Le glanage est une façon o de répondre à ce gâchis. Certaines personnes font les poubelles par nécessité; les glaneurs, eux, le font par choix. Illustration d’un luxe paradoxal: nous ne somme pas pauvres au point de devoir faire les poubelles; nous sommes riches au point de nous le permettre. Pas assez beaux pour le présentoir Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), un ­Européen produit en moyenne 280 kg de déchets alimentaires par année. En Suisse, ce sont 765 000 tonnes de ­substances organiques par an qui finissent à la ­poubelle. On y trouve des aliments emballés, des restes de repas et des ordures ménagères, mais aussi des déchets provenant du jardin. Aucun chiffre récent ne permet de savoir quelle est la quantité de denrées alimentaires jetées. Ce qui a le plus surpris Markus Christen, responsable de la dernière enquête sur la composition des ordures, c’est la qualité de la mar­ chandise jetée: «Nous aurions pu nous nourrir sans problème avec cela pendant une semaine.»

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Sabine Vulic, porte-parole de Coop, affirme: «Chez nous, rien n’atterrit dans les conteneurs.» Pour ce qui est de la marchandise invendue, le règlement est clair: prix réduits pour les clients et les collaborateurs, et distribution à des ­institutions sociales comme «Table couvre-toi» ou «Table Suisse». Coop recycle aussi chaque année 12 000 tonnes de fruits et de légumes qui serviront de nourriture pour le bétail ou seront transformés en biogaz. Urs Naef, porte-parole de Migros, ne ­souhaite «pas prendre position» au sujet du glanage. Migros s’efforce de ne rien jeter en vendant des produits dont la date de péremption est proche avec des rabais allant jusqu’à 50%. S’ils restent invendus, les collaboratrices et collaborateurs peuvent les acheter avec un rabais de 75% jusqu’à la date limite de consommation. Le géant orange n’oublie pas non plus les réseaux sociaux qui redistribuent la marchandise encore consommable aux nécessiteux. Enfin, Migros utilise des tonnes de nourriture pour produire du biogaz. Roland Schüren est le premier boulanger d’Allemagne à produire l’énergie nécessaire à son entreprise à partir de vieux pain. «Mieux vaut une utilisation énergétique que rien du tout», Pas étonnant quand on sait qu’il suffit dit-il, même s’il reconnaît qu’il serait préférable d’une rupture dans la chaîne du froid lors du de ne produire que les quantités nécessaires. Ma cousine Mia, neuf ans, a une nouvelle transport pour détruire des centaines de kilos de passion: la «date limite de consommation». nour­riture. Les règles d’hygiène imposent d’éli«13.09.2011», marmonne-t-elle en vérifiant la miner les denrées alimentaires même si elles sont ­encore consommables. Pire, il arrive souvent boîte de lait avant d’affirmer d’un ton pé­ que les produits alimentaires atterrissent dans remptoire: «C’est aujourd’hui! C’est périmé, on les conteneurs simplement à cause de leur aspect ne peut plus le boire.» Et que faut-il donc faire extérieur – des pommes tavelées ou mâchées, avec ce lait? «Le jeter, bien entendu.» Mais par exemple. Si la marchandise est emballée, c’est après l’avoir senti et goûté, elle change d’avis: le tout le contenu qui ira à la poubelle. lait ne finira pas dans l’évier. De fait, de nos Les bennes qui encombrent les cours des jours, le consommateur se fie davantage à la supermarchés témoignent de cette pratique. date de péremption figurant sur l’emballage qu’à Les gros distributeurs ont réagi de manière ses cinq sens. ­différente lorsque Greenpeace les a contactés: Denner n’a pas répondu; Aldi jette dans des Le yaourt se conserve des mois au frais conteneurs verrouillés tout ce qui dépasse la Des archéologues ont retrouvé du miel dans date de consommation minimale – «pour que des tombeaux égyptiens – il était encore bon. La teneur élevée en sucre et l’antibiotique naturel personne ne vienne voir s’il y a des restes de nourriture», explique Sven Bradke, porte-parole empêchent la formation de moisissure. Le miel se conserve au moins dix ans dans un lieu obscur d’Aldi Suisse. La peur d’être tenu pour res­ ponsable de la consommation de marchandise à une température de dix degrés. Mais rares sont ceux qui le savent. Ce n’est qu’en 2006 que la avariée est grande. Seuls quelques produits alimentaires comme le pain sont vendus à prix Confédération a décidé de limiter la durée de consommation du miel. Les gens ne savent plus réduit, mais le personnel n’a droit à rien.

Les glaneurs

Les glaneurs d’ordures agissent dans le flou ­juridique.

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comment se conservent les aliments. Y a-t-il encore quelqu’un aujourd’hui qui entrepose des pommes reinettes et des pommes de terre ensemble, parce que l’éthylène des premières ralentit la germination des secondes? Dans de nombreux cas, nous pouvons faire confiance à nos cinq sens pour savoir si un produit est encore bon. C’est d’ailleurs ce que nous faisons avec le vin. Qui aurait l’idée de chercher la date de péremption sur une vieille bouteille de Château Margaux? Il est étonnant que l’on ne se fie plus à son propre jugement pour les produits laitiers. Rien qu’à l’odeur, on sait si le lait a tourné. Conservé au frais, le yaourt se conserve des mois avant que le couvercle ne se bombe. Certains fromages peuvent être consommés pendant des décennies s’ils sont entreposés comme il faut. Il paraît que les Valaisans conservaient autrefois du fromage et du vin dans leur cave pour leurs vieux jours! La date de péremption, réglementée depuis 1967, joue un rôle capital dans notre attitude à l’égard de la nourriture. La loi distingue deux types de déclaration: la «date de durée de conservation minimale» et la «date limite de consomMagazine Greenpeace Nº 4 — 201 1

mation». Les mentions «emballé le...» ou «à vendre jusqu’au...» sont facultatives. Les denrées rapidement périssables, qui doivent être conservées au réfrigérateur, doivent porter la mention «à consommer jusqu’au». Elles ne peuvent être vendues ou distribuées à des institutions sociales au-delà de cette date. La date de durée de conservation minimale est quant à elle indiquée sur les produits alimentaires conservables. Les produits dont la date de conservation est dépassée ne doivent pas être jetés et peuvent être vendus à prix réduit. Le fabricant est cependant libéré de son obligation de garantie. Parallèlement, la Société suisse de nutrition (SSN) admet explicitement que ces produits peuvent, pour la plupart, être consommés sans risque même si la date de conser­ vation minimale est dépassée. C’est aussi le cas aux Pays-Bas, où la chaîne de supermarchés Jumbo invite ses clients à emporter gratuitement les produits ayant une durée de conservation de moins de deux jours. Si les magasins tendent généralement à éliminer la marchandise au lieu d’en faire cadeau, c’est moins par souci des ­risques potentiels pour la santé qu’en raison des

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Les glaneurs

Les producteurs devraient être obligés de donner leurs invendus aux institutions sociales.

profits qui leur échappent. Donc, tous aux conteneurs! En Suisse, le glanage est plus répandu que l’on ne pense, bien qu’on en parle peu et que les informations soient rares. Tout le contraire aux Etats-Unis, où le glanage est à la mode. Chez nos voisins allemands, les glaneurs sont bien informés. Des sites comme dumpstern.de relaient l’indignation et le mécontentement contre le gaspillage des denrées alimentaires; on y trouve des explications sur la situation juridique des glaneurs et des petits tuyaux pour glaner sans problème. Dans les grandes villes allemandes, le glanage a un caractère plus souvent existentiel qu’idéologique. Il est rare que l’on se rencontre; mais on échange et on partage. En Suisse, il n’existe pas beaucoup de dépôts d’ordures accessibles et non verrouillés, mais il y en a. Là où j’habite, Aldi, Denner et Spar veillent à ce que ma table soit toujours bien garnie. Quand je fouille dans les containers, les regards sont braqués sur moi: certains, méprisants, ­s’accompagnent de commentaires du genre «Espèce de petite parasite!», mais d’autres sont Magazine Greenpeace Nº 4 — 201 1

reconnaissants. Il n’est pas rare que l’on me dise: «La prochaine fois, je viendrai avec vous.» En plein jour et sans cagoule, j’attire plus l’attention qu’une révoltée en sweat noir à capuche. Car «faire les poubelles» n’est pas un comportement normal qui cadre avec notre mode de pensée. Nous refusons de voir que des denrées alimentaires finissent à la poubelle. Que se passerait-il si des mères de famille se mettaient à se servir dans les poubelles? Ou des employés de bureau sur le chemin du travail? Ce serait de l’activisme politique dans toutes les catégories sociales. De retour chez moi, je contemple mon butin: tomates, salade, oranges, yaourt (et même un grille-pain qui fonctionne parfaitement). De la marchandise de première catégorie! Et qui a une valeur énorme. Le boulanger Schüren évoque cette exigence d’avoir des présentoirs bien garnis jusqu’à la fermeture. Le vendeur s’attire les ­foudres du client si un produit n’est pas disponible. Il faut offrir du pain frais et croustillant à toute heure, et donc produire trop. C’est la faute aux clients qui «en veulent toujours plus». D’après le psychologue Stephan Grünewald, nous n’achetons pas ce dont nous avons besoin sur le moment, mais ce que nous utiliserons un jour: «Nous essayons d’être armés pour faire face à toutes les situations, et c’est pourquoi, fina­ lement, nous achetons toujours trop.» Et cela ne concerne pas seulement les achats du ménage. La dimension anarchiste du glanage A la tête d’un service de traiteur, Maria ­raconte comment elle a récemment dû jeter une pièce montée d’une valeur de 600 francs après un mariage. Un quart seulement avait été mangé et le reste est allé à la poubelle. «Nous ne pouvons pas en faire cadeau. Car, selon le contrat, les aliments appartiennent désormais au client qui les a payés.» Elle ajoute: «Et même si le client est d’accord, l’office de l’hygiène s’y oppose – les denrées alimentaires qui n’ont pas été entreposées dans des réfrigérateurs, mais servies à table, doivent être éliminées. Un vrai dilemme!» Pour beaucoup de gens, le glanage flirte avec l’anarchisme. Les glaneurs se déplacent à la nuit tombante, lorsque les magasins sont fermés – et ils sont, juridiquement, dans une zone grise. On a l’impression de faire quelque chose d’illégal, bien que cela ne soit pas interdit. Mais, au fond, à qui appartiennent les ordures?

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© O livia Heussler

© Olivia Heussler

Valentin Thurn la défendent dans leur documentaire Taste the Waste: producteurs et commerçants devraient selon eux être obligés de donner les aliments invendus à des institutions sociales; les denrées périssables en surplus devraient être taxées. Cela permettrait d’éco­nomiser des frais de recyclage et de préserver le climat. Depuis juillet 2011, il est interdit en Suisse d’utiliser les restes de repas pour nourrir les porcs – par crainte des épidémies. Dans l’Union européenne, cette interdiction a entraîné une production supplémentaire d’environ cinq millions de tonnes de céréales fourragères. Or, les restes de cuisine pourraient être traités à la chaleur avant d’être donnés au bétail. A eux seuls, Migros et Coop produisent 30 000 tonnes de déchets organiques. Ce chiffre serait encore plus élevé si l’on tenait compte des denrées alimentaires qui n’arrivent pas sur les rayonnages des magasins faute de satisfaire aux critères esthétiques qui leur sont imposés. Les agriculteurs sont contraints de pratiquer une surproduction constante pour pallier les pertes ­occasionnées par les produits n’ayant pas la forme jugée souhaitable.

Markus Melzl, porte-parole du Ministère public de Bâle, nous renseigne: «Si quelqu’un jette des denrées alimentaires dans une benne à ordures pour les éliminer, n’importe qui peut en disposer. Il ne s’agit pas d’un cadeau offert au service d’enlèvement des ordures. Le propriétaire des produits est d’accord pour qu’ils soient éliminés. Il renonce à l’objet et celui-ci n’a plus de nouveau détenteur.» En Allemagne, les limites sont nettement plus rigoureuses: les ordures peuvent être la propriété de quelqu’un. S’en emparer peut avoir des conséquences pénales. Toujours est-il que l’intérêt du public et de la police pour le vol de biens «sans valeur» reste modéré, même si le butin est aussi savoureux que précieux. Bien que je sois la reine des glaneuses, je me sens toujours un peu en faute. J’ai l’impression que le monde marche sur la tête. On ne condamne pas le gaspillage et la destruction de denrées ­alimentaires, mais la volonté de leur assigner leur véritable fonction. L’idée que l’on devrait «punir» fiscalement le gaspillage de denrées alimentaires n’est pas nouvelle. Les journalistes Stefan Kreutzberger et Magazine Greenpeace Nº 4 — 201 1

La liste des exigences est difficilement applicable La branche des fruits et légumes a édicté des «dispositions en matière de qualité»: le diamètre des tomates charnues doit par exemple être compris entre 67 et 102 mm, le concombre doit présenter une courbure de 10 mm au plus pour une longueur de 10 cm et il existe une table des couleurs pour les degrés de maturité. La liste des instructions est longue et difficilement ­applicable. Encore plus absurde: elle s’applique même aux tomates en conserves, à la purée ou aux garnitures pour pizza. Les aliments qui ne satisfont pas à ces exigences restent à pourrir sur place ou finissent dans le meilleur des cas au compost. Je me plais à imaginer à quoi ressemblerait un marché ­agricole pour ces fruits et légumes «difformes». Et si nous apprenions à considérer de nouveau notre nourriture comme quelque chose ­d’existentiel et, pourquoi pas, de sacré? Carlo Petrini, fondateur du mouvement Slow Food, raconte qu’en Italie, lorsqu’un morceau de pain tombe par terre, certaines personnes âgées le ramassent et le baisent avant de le poser à nouveau sur la table.

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Bricoler pour survivre: les nouvelles technologies

Trieuse de déchets en plastique

Ménager les ressources — telle était l’intention du professeur Gunther Krieg, de Karlsruhe, lorsqu’il a commencé à développer son système Powersort 200. Grâce à la spectro­ scopie laser à grande vitesse, ce ­système analyse les matières hétérogènes dans les granulés de PET ­(téréphtalate de polyéthylène) issus du recyclage. Le PET ne peut être ­retraité que sous une forme pure et sa fabrication requiert beaucoup d’énergie: 1,9 kg de pétrole brut par kilo de PET. Il doit donc être exempt de résidus plastiques renfermant des composés chlorés ou des métaux lourds. Ceux-ci ne pouvaient être ­détectés ni à l’œil nu ni au moyen de ­caméras ou d’autres méthodes. L’équipe de Gunther Krieg prévoit d’utiliser une technologie semblable pour ­éliminer les matériaux gênants provenant des déchets électroniques afin de pouvoir traiter les matières contenues dans le châssis des télé­ viseurs et les appareils ménagers.

L’énergie des ­vagues

La firme écossaise Pelamis (terme grec désignant un organisme marin) planche depuis sept ans sur un «serpent de mer» mécanique capable de générer de l’électricité. Cette structure de 1300 tonnes et 150 mètres de long a été mise à l’eau en 2004 au large des îles Orcades. Elle produit 2,7 millions de kilowattheures par an et alimente 500 ménages. Le principe est relativement simple: les segments du serpent se balancent au rythme des vagues et font tourner les générateurs intégrés dans le corps

du monstre. Selon les ingénieurs de Pelamis, 25 000 installations pourraient couvrir 20 % des besoins en électricité de la Grande-Bretagne. Le gouvernement britannique soutient les recherches dans le domaine de l’énergie marine à hauteur de 75 millions d’euros.

L’agriculture ­verticale

Le projet de l’Américain Dickson Despommier est pour le moins futuriste. En 2050, 80 % de la population mondiale devrait vivre dans des méga­ lopoles. D’où l’intérêt de produire les aliments sur place, car les terres cultivables seront toujours plus rares et la qualité des sols toujours plus mauvaise. Le projet The Vertical Farm prévoit de gigantesques tours dans lesquelles les légumes seront cultivés hors-sol, dans une solution nutritive (hydroponie) ou au moyen d’un air saturé de nutriments et de vapeur d’eau (aéroponie). Les besoins en eau pourraient diminuer de 90 %, les émissions de CO2 seraient quasi inexistantes, car il ne serait plus nécessaire de convoyer la marchandise sur de longues distances. Autre avantage: les aliments seraient produits en toute saison. Revers de la médaille: les agriculteurs se retrouveraient pour la plupart au chômage. Mais ils pourraient être dédommagés par des subventions provenant d’une imposition systématique des émissions de CO2, estime Despommier. Les surfaces cultivables ainsi libérées feraient place à d’immenses forêts capables de filtrer les substances polluantes. Il existe déjà des projets et des clients intéressés par ces ­fermes verticales en Chine et au Proche-Orient.


Du courant ­pro­venant d’une sphère creuse

millions de nourrissons et de petits enfants dans les pays émergents. Leur invention, une petite machine de sept kilos, agit sur l’ADN des virus et des bactéries pour que les agents pathogènes ne soient plus un danger Horst Schmidt-Böcking, professeur pour l’homme. Les chercheurs ont émérite de physique allemand, a exploité la découverte du scientifique imaginé une centrale de pompage d’un genre bien particulier. Dans une américain John Keys qui, en 1919, avait montré l’intérêt des ultraviolets pour centrale classique, on utilise deux bassins pour créer une différence de la stérilisation — une irradiation de douze secondes suffit. L’appareil UV pression à l’avant et à l’arrière de la turbine, ce qui permet de faire circu- Waterworks peut traiter 1000 litres d’eau par heure. L’eau purifiée peut ler l’eau et produit de l’électricité. être bue sans risque. En l’absence de ­Notre scientifique aimerait obtenir cette différence en mer. A 2000 mè- réseau électrique, le petit appareil fonctionne avec une batterie de voitres de profondeur, la pression est ture ou un module photovoltaïque. Il a de 200 bar. L’idée est de créer une pression plus basse dans une sphère déjà fait ses preuves lors de certaines catastrophes écologiques, comme en acier de 100 mètres de diamètre et d’y faire circuler de l’eau pompée à après le terrible tsunami de 2004. la surface en utilisant du courant ­excédentaire de centrales éoliennes. Avec une sphère deux fois plus La société SunCoal, de Ludwigsfelde ­grosse plongée à 4000 mètres de près de Berlin, est en train de peau­ profondeur et une pression de finer du biochar. Produit à partir de 400 bar, on pourrait «produire quatre matériaux végétaux, celui-ci devrait ­gigawatts dix heures par jour et être plus efficace que le combustible ­remplacer quatre centrales nucléai- traditionnel. «L’année prochaine, res pendant les heures de pointe». nous le produirons à l’échelle indus­Calculé sur une année, il serait possi- trielle», promet l’équipe de dix perble «de stocker 1,5 % des besoins sonnes réunie autour de son directeur, ­allemands en électricité». Le profes- Tobias Wittmann. Le procédé n’est seur Schmidt-Böcking a déposé une pas très compliqué: des restes végédemande de brevet pour son idée. taux sont hachés, puis lavés pour

Le biochar

Désinfection de l’eau

Ashok Gadgil et Vikas Garud sont cette année les lauréats de l’European Inventor Award. Une récompense méritée pour ces deux chercheurs américains qui travaillent depuis 1996 sur le UV Waterworks, un appareil de désinfection de l’eau qui pourrait sauver de la mort des

r­ etirer pierres, sable et terre de la biomasse et «réduire ainsi la teneur en cendres de notre charbon». La carbonisation s’effectue à une température de 200 °C dans un récipient sous pression de moins de 20 bar. Après quelques heures, on obtient une boue noire dont la teneur en eau est réduite à 8 % par séchage thermique. Une tonne de déchets végétaux permet de produire jusqu’à 800 kg de pellets de charbon.


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S’il faut être

contre Goliath, autant l’être avec

de


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L’histoire a montré à de multiples reprises comment chacune et chacun d’entre nous peut accomplir quelque chose de grand et d’apparemment impossible. C’est un combat inégal de ce type que Greenpeace livre au quotidien contre les Goliath de ce monde pour protéger durablement notre environnement. Plus nous serons nombreux à être des David, plus nous serons efficaces dans notre lutte contre les Goliath.

Les principaux succès de David Les succès les plus importants de l’histoire de Greenpeace: t Fin de la chasse commerciale à la baleine. t Interdiction de l’exploitation minière dans l’Antarctique pour 50 ans à partir de 1998. t Pas d’immersion de plateformes pétrolières, par exemple la plateforme Brent Spar. t Interdiction mondiale de l’immersion de déchets radioactifs et industriels en haute mer. t Nestlé, Unilever et Burger King renoncent à l’huile de palme provenant de la destruction des forêts anciennes.

Les prochains Goliath t La pêche pirate, notamment de l’Europe, au large des côtes de l’Afrique. t L’abattage illégal de bois par les grandes entreprises dans les forêts anciennes. t La lutte pour les matières premières dans l’Arctique.

Offre le magazine Greenpeace pendant une année Pour atteindre nos objectifs, nous avons besoin de soutiens encore plus nombreux, des David comme toi. Fais connaître la campagne «Devenir David» à tes amies et amis. Il te suffit de remplir la carte ci-jointe. Les nouveaux David recevront en cadeaux le magazine Greenpeace pendant une année ainsi qu’un porte-clés «David». Nous nous réjouissons de ton aide afin que nous puissions, ensemble, protéger la planète contre de nouvelles exploitations.

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LA CROISSANCE ET ­L’ARGENT – COURS ACCéLéRé Du fait des tensions croissantes entre économie, écologie et pétrole, les crises se multiplient et se complexifient. Le «Crash Course» de Chris Martenson, disponible en libre accès, en explique les tenants et les aboutissants et offre un point de vue inédit.

Essai

par Mark Ita Les pays européens et les Etats-Unis, tout comme leurs systèmes bancaires, affichent un surendettement vertigineux. Depuis l’éclatement de la bulle immobilière américaine qui a précipité les banques du monde entier dans le chaos en 2008, les gouvernements doivent faire face à des crises successives. Des mesures désespérées ont été prises en Irlande, au Portugal, en Grèce, en Espagne et en Italie, mais sans traiter le mal à la racine. Les dettes sont financées par de ­nouveaux emprunts, avec la promesse implicite de les rembourser un jour avec les intérêts. L’hypothèse est qu’il y aura demain toujours plus de tout. Quel rapport avec les problèmes urgents du réchauffement ­climatique, de la destruction des forêts tropicales, de la pollution des mers ou de la surpêche? Et avec le pic pétrolier, autrement dit la stag­ nation de l’exploitation pétrolière, encore ignorée d’une vaste partie de la population? Beaucoup plus qu’on ne le pense. Chris Martenson, docteur en neurotoxicologie de 49 ans, a occupé une fonction de cadre supérieur au sein du groupe pharmaceutique Pfizer jusqu’en 2005, date à laquelle il réalise que les prémisses économiques de notre société de services et de consommation reposent sur des illusions et que nous allons dans le mur. Martenson a vu venir la crise financière de 2008. Il démissionne, réduit son train de vie, se ­retire à la campagne avec sa famille et commence à étudier minutieusement les fondements de notre économie. Qu’est-ce que l’argent? Quelle est sa fonction? De quoi résulte-t-il? Comment se multiplie-t-il? Qui prend les décisions en matière financière? Quel est l’impact de l’argent? Qu’est-ce que la croissance? Il poursuit sur sa lancée en se penchant sur d’autres problèmes majeurs de notre époque: destruction de l’environnement, raréfaction des matières premières, croissance exponentielle de la consom­ mation mondiale et stagnation de l’exploitation pétrolière. Il fait le lien entre ces phénomènes. En partant de thèmes généralement consi­ Magazine Greenpeace Nº 4 — 201 1

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dérés isolément, il brosse un tableau d’ensemble très convaincant de la situation et avance une thèse qui prend le contre-pied des ­explications et des prévisions quelque peu fumeuses de nos élites économiques. Chris Martenson s’est donné pour objectif d’informer le plus grand nombre possible de gens des tenants et des aboutissants du problème et de les familiariser à l’idée que le monde «normal» dans ­lequel nous avons grandi et que nous supposons immuable est en train de se transformer radicalement. Si l’on ne veut pas être pris de court, il faut voir les choses en face: l’humanité est dans une situation ­iné­dite et les vingt prochaines années seront fondamentalement ­différentes des vingt dernières. Le «Crash Course» se compose de vingt brèves séquences vidéo sur l’économie, l’énergie et l’environnement, le tout librement ­accessible sur internet. Visionner le cours en ligne ne demande pas plus de quatre heures. Son contenu est dense, concis, aisément ­compréhensible et même divertissant. Le cours nous introduit dans le monde de l’économie financière et expose le rôle de l’argent dans l’ordinaire de la vie quotidienne. L’argent doit se multiplier en raison de sa nature même. L’énergie que nous avons pu utiliser en quantité croissante grâce au pétrole est une clé de voûte de notre civilisation complexe, basée sur la division du travail. Sans énergie, la société ne peut se développer. Or cette énergie atteint ses limites, car l’exploitation pétrolière stagne dans le monde entier; les gisements exploitables sans trop d’efforts ni de risques sont en train de se tarir. Aucune solution de rechange n’est en vue. C’est pourquoi l’ère de la croissance économique est arrivée à son terme. Les crises financières, énergétiques et conjoncturelles toujours plus violentes et rapprochées en sont l’expression. Le temps presse et Martenson le montre de manière impressionnante en évoquant le caractère exponentiel de ce qu’il appelle ­l’«accroissement»: les quantités doublent à des intervalles de temps de plus en plus courts. Si l’on considère l’évolution de la population mondiale, de la masse monétaire, de la consommation d’énergie, de la disparition des espèces, de la pollution des mers au cours des cent dernières années, on constate une accélération très nette depuis la ­Seconde Guerre mondiale. Les graphiques de Martenson mettent en évidence des courbes en «crosse de hockey», avec des évolutions toujours plus marquées et des proportions inquiétantes au point de devenir incontrôlables. La crise financière actuelle n’est pas une crise cyclique qui sera bientôt surmontée, comme les gourous de la conjoncture veulent nous le faire croire. Elle est l’expression d’un bouleversement fonda­ mental, d’une régression économique aux conséquences profondes qui s’accompagnera de troubles. Le mouvement Occupy Wall Street Magazine Greenpeace Nº 4 — 201 1

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Essai

t­ raduit clairement une déception à l’égard de l’ordre établi. C’est un appel à tourner le dos aux illusions fatales de la croissance. Chris Martenson a investi sa fortune et son talent dans cette ­entreprise, à savoir expliquer cette nouvelle donne aux personnes qui se sentent désorientées et proposer des solutions pour l’affronter. En 2008, il a lancé son site web en plusieurs langues où il anime des forums sur différents thèmes d’actualité. Il n’est pas un prophète de mauvais augure, qui se plaît à peindre le diable sur la muraille, mais une personne éclairée et optimiste qui voit dans l’instauration d’une ­économie ne reposant pas sur la consommation une chance à saisir. A une condition: que nous regardions la réalité en face et cessions de succomber aux sirènes de la consommation et à l’idée que tous les habitants de la planète pourront adopter notre mode de vie. J’ai découvert Chris Martenson sur internet il y a deux ans. J’ai été convaincu et fasciné par ses points de vue non conventionnels, le lien qu’il fait entre la finance, l’énergie et l’environnement, ainsi que par ce cours simple et aisément compréhensible qui m’a permis de comprendre en peu de temps des questions complexes. Avec un petit groupe de gens en Suisse et en Allemagne, j’en ai proposé une version allemande. Je le recommande fortement à toutes celles et tous ceux qui souhaitent mieux connaître les développements actuels sans avoir le temps de les étudier à fond en se plongeant dans de gros pavés. Le cours est parfaitement indiqué pour les écoles et les uni­ versités. C’est en effet aux jeunes générations qu’il incombera de poser de nouveaux jalons. Les choses doivent changer, mais nous ne connaissons pas la marche à suivre. La situation est totalement inédite. Le «Crash Course» de Chris Martenson est disponible gratuitement en anglais, français, allemand et espagnol sur le site www.chrismartenson.com. Mark Ita est avocat et consultant en santé. Il est actuellement à la tête de la délégation de la Croix-Rouge suisse au Pakistan.

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Droit sans frontières

Des règles ­claires pour les multinationales suisses

Trafigura, géant du négoce des matières pre­ mières qui réalise un chiffre d’affaires annuel de 80 milliards de dollars. En 2006, ce groupe a déversé le contenu d’un cargo rempli de déchets pétroliers hautement toxiques dans des décharges de Côte d’Ivoire, provoquant la mort de quinze personnes et des dizaines de milliers d’intoxications. Greenpeace a bloqué le bateau dans un port. Après d’âpres négociations Nous avons un problème d’immigration: et une forte pression populaire, la multinatio269 grands groupes étrangers ont transféré nale s’est engagée à dédommager les victimes. leur siège social en Suisse entre 2003 et Des milliers de personnes attendent toujours le 2009. Souvent en raison d’avantages fiscaux respect de cet engagement. Une législation et d’un système juridique qui permet aux ­adéquate aurait permis de poursuivre Trafigura multinationales de s’en tirer à bon compte en dès le départ. cas de violation des droits des personnes ou Les exigences de l’alliance «Droit sans frontières»: de l’environnement. Les choses doivent L’alliance «Droit sans frontières» réclame que les changer. sociétés ayant leur siège en Suisse soient tenues de respecter les droits humains et les normes Selon l’Atlas du Monde diplomatique, les multi­ nationales ont réalisé en 2010 plus d’un quart du ­environnementales partout dans le monde. produit intérieur brut mondial. Par le biais de Des bases légales sont nécessaires leurs succursales, filiales et sous-traitants, elles • pour obliger les multinationales suisses à contrôlent près des deux tiers du commerce prendre des mesures afin d’éviter que leurs activimondial. tés ou celles de leurs filiales et sous-traitants Alors que les grands groupes ne connaissent pas de frontières, les réglementations aux- ­violent les droits humains ou dégradent l’environnement, en Suisse et ailleurs (devoir de diligence); quelles ils sont soumis se limitent souvent à • pour que les personnes ayant subi des l’échelle nationale. Le contrôle démocratique est faible face à la puissance croissante des mul- ­dommages liés aux activités de multinationales suisses, de leurs filiales et/ou de leurs sous-­ tinationales. La responsabilité sociale des ­entreprises tient certes une place de choix dans traitants puissent porter plainte en Suisse et exiger réparation. les campagnes de relations publiques et les ­rapports annuels. Mais il s’agit généralement de Aidez-nous à donner plus de poids à la justice belles paroles et de déclarations d’intention. dans le secteur économique et signez la pétition Les multinationales ne sont pas tenues de ­respecter les droits humains et les normes envi- sous www.droitsansfrontieres.ch. ronnementales. La liste des candidats retenus Public Eye 2012 ces dernières a ­ nnées pour les Public Eye A partir du 5 janvier prochain, une consultation sur Awards organisés par Greenpeace et la Déclarale site www.publiceye.ch permettra d’élire l’entretion de Berne donne un aperçu édifiant de prise la plus irresponsable de l’année. Fin janvier, leurs méfaits (www.publiceye.ch). Greenpeace et la Déclaration de Berne désig­ne­ Lancée début novembre par une cinquantaine d’ONG, la campagne «Droit sans frontiè- ront les «lauréats» lors du Forum de Davos. Des représentants de «Droit sans frontières» seront res» entend imposer des règles juridiquement contraignantes en Suisse afin de pouvoir deman- également présents. Leur objectif: réduire, grâce à de meilleures réglementations, le nombre der des comptes aux multinationales qui y sont domiciliées. Greenpeace soutient cette campa- ­effrayant de violations des droits humains et de délits environnementaux. gne. Dans notre lutte pour le respect des droits humains et de l’environnement, nous dénonçons les abus et exigeons des explications. Exemple: Magazine Greenpeace Nº 4 — 201 1

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Une fausse bonne idée

© Biosphoto / D enis Bringard

Climat

par Mathias Schlegel

A l’origine, la société Eco Energie Etoy voulait simplement transformer les ­ex­cédents de colza suisses en biodiesel. Or, entretemps, elle importe son huile de France. Une absurdité! Et Greenpeace n’est pas la seule à le penser. L’Office fédéral de l’environnement vient de lui sup­ primer ses allégements fiscaux. Les Vaudois s’y opposent.

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Le 16 novembre 2011, Eco Energie Etoy organisait une conférence de presse réunissant Roland Martin, directeur de la coopérative, Isabelle Chevalley, conseillère nationale et membre des Verts Libéraux, Hans Björn Püttgen, de l’Energy Center de l’EPFL, ainsi que des responsables de Prométerre et de l’Union suisse des paysans. Le message de la présentation était clair: le ­nouveau modèle de calcul de l’écobilan est trop strict. «Les normes helvétiques en la matière sont tout simplement irréalistes», déclare Roland Martin. Isabelle Chevalley ajoute que «les ­parlementaires sont prêts à se battre pour revenir sur cette méthode de calcul», dénonçant ce qu’elle voit comme une «surinterprétation de la loi» par les fonctionnaires de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV). La coopérative a été fondée en 1994 en tant qu’installation pilote et de démonstration. ­Grâce à ce statut, qu’elle conserve depuis 17 ans, elle bénéficie d’un allégement fiscal qui lui permet d’être bénéficiaire. «Le Parlement qui avait accordé son soutien à quelques installations pilotes, dont celle d’Etoy, a décidé de renforcer les dispositions légales pour tenir compte aussi de leur impact global sur l’environnement. Cela afin d’éviter que le problème climatique ne soit reporté ailleurs», déclarait Christophe Rotzetter, de l’OFEV, à Terre et Nature. L’administration fédérale fixe une condition impérative à la production d’agrocarburant: la charge environ­ nementale de cette production ne doit pas dépasser de plus de 25% celle des carburants fossiles. Ne respectant pas ce critère, Eco Energie Etoy devrait devenir dès 2012 une usine de production standard, soumise à la nouvelle loi sur l’imposition des huiles minérales. Pour sa défense, la coopérative met en avant son rôle de régulateur dans le marché du colza. Les excédents n’ayant pas trouvé preneur auprès de l’industrie alimentaire peuvent être valorisés par la production de carburant plutôt que d’être revendus à perte. On peut toutefois légitimement s’interroger sur la raison d’être de tels excédents dans un contexte marqué par une augmentation constante des importations d’huile de palme. L’huile de palme, dont la consommation

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est mauvaise pour la santé, est un vecteur important de la déforestation (voir ci-contre). L’huile de colza est au contraire probablement une des meilleures en ce qui concerne la qualité nutritive. Depuis deux ans, il n’y pas de surplus en Suisse et Eco Energie Etoy doit importer de France la totalité du colza qu’elle utilise pour répondre à la demande de ses clients. «Vu les nombreux aléas, il est difficile de prévoir la quantité d’une récolte», justifie Roland Martin. Afin de pouvoir effectivement jouer son rôle de régulateur dans les années avec surplus, la coopé­ rative importe du colza de France les années où les récoltes sont moins bonnes. En 2010 et 2011, la Suisse a importé de l’huile de palme pour l’industrie alimentaire et du colza pour la fabrication de carburant. Une situation ubuesque qui ne profite à personne, sauf peut-être au marché. Pour l’environnement et les agriculteurs, il ­serait bien plus efficace de défendre la culture du colza dans le cadre d’une agriculture vivrière et durable à laquelle elle s’adapte parfaitement. Même s’il faut pour cela faire une entorse à la logique du libre marché. Ajoutons enfin que d’autres solutions ­s’offrent aux agriculteurs en matière d’énergie. La valorisation des déchets végétaux à travers la production de biogaz présente un bien meilleur écobilan que le biodiesel. Cette activité permet de produire de la chaleur et de l’électricité à moindre coût pour les agriculteurs qui y gagnent donc en productivité. La production d’huile végétale carburant à l’usage des seuls agriculteurs est également une bonne solution. Il existe d’autres voies pour défendre les producteurs de colza suisses et il est important que les instances publiques interviennent ­rapidement afin de donner aux agriculteurs les moyens de mettre en œuvre une production réellement durable. Mathias Schlegel est porte-parole des campagnes Climat et Energie de Greenpeace Suisse romande.

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L’huile de palme: une importation dont on peut se passer Selon une statistique de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), les importations d’huile de palme ont doublé en Europe, essentiellement à cause de l’utilisation du colza ­comme agrocarburant, mais aussi à cause de l’augmentation de la demande de l’industrie alimentaire qui s’en sert pour remplacer les graisses hydro­ génées. L’explosion de la culture des palmiers à huile a nécessité de dégager d’énormes surfaces agri­ coles au détriment des forêts vierges. Avec l’élevage et la production de papier, c’est l’un des trois principaux vecteurs de la déforestation. En Indonésie, 40% des forêts primaires sont définitivement détruites et les trois quarts au moins des forêts restantes sont sérieusement menacés. La déforestation entraîne une augmentation des émissions de gaz à effet de serre qui fait de l’Indonésie le troisième plus gros émetteur de la planète. Greenpeace lutte depuis des années pour dénoncer les méfaits liés à l’explosion de la demande en huile de palme. En 2009, une campagne internationale avait été lancée contre Nestlé. L’entreprise vevey­ sanne avait fini par plier et s’était engagée à prendre des mesures pour garantir que l’huile de palme q ­ u’elle utilise provienne d’une production n’entraînant pas de déforestation. En 2011, Neste Oil avait été désignée «pire entreprise de l’année» par plus de 17 000 internautes à l’occasion des Public Eye Awards, soit 4000 voix de plus que BP moins d’un an après la ­catastrophe dans le golfe du Mexique. L’entreprise ­finlandaise produit des agrocarburants à base d’huile de palme indonésienne. En Suisse, certains produits sont taxés, voire ­interdits, en raison de leurs effets néfastes sur l’environnement. L’huile de palme n’en fait malheureusement pas partie. Son importation a triplé dans notre pays au cours de la dernière décennie. A propos de l’huile de palme, Roland Martin, d’Eco Energie Etoy, déclare que «son importation est autorisée et que son prix ‹attractif› en motive l’utilisation». Est-il admissible que l’huile de palme importée de pays en développement, où sa production est synonyme d’atteintes graves à l’environnement et aux droits ­humains, soit concurrentielle par rapport aux oléagineux produits en suisse de façon durable?

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Un désastre qui n’en finit pas par Susan Boos

Fukushima

Les dernières nouvelles de Fukushima datent de ­plusieurs semaines. On pourrait penser que la situation est sous contrôle dans les réacteurs de la centrale. Or la seule chose qui ne ­change pas, c’est l’ignorance dans laquelle on nous tient.

Fukushima? Une catastrophe sans fin. Sur le site de la Société allemande pour la sûreté des ­installations et des réacteurs nucléaires (GRS), un tableau en couleurs permet de voir ce que l’on sait et ce que l’on ne sait pas. Pour les réacteurs 1, 2 et 3, les champs en rouge indiquent: «Noyau fondu», «Système de refroidissement du réacteur hors d’usage». A la rubrique «Etat des éléments dans la piscine de désactivation», on peut lire «inconnu» ou « dégâts supposés». Les réponses «inconnu» ou «supposé» apparaissent sur plusieurs champs en jaune ou en rouge. Le rouge symbolise une situation dramatique, le jaune une situation moyennement dangereuse et le vert une situation pas trop préoccupante. Mais aucune des rubriques consacrées à ces trois réacteurs n’est en vert. La GRS a mis en ligne ce tableau à la mimars et tente de l’actualiser régulièrement. Il n’a pourtant guère changé ces derniers mois. Tout simplement parce que la GRS n’en sait pas plus. Et, apparemment, personne d’autre non plus en Occident. Peut-être en sait-on plus à Fukushima... Mais presque rien ne filtre à l’extérieur. On ne Magazine Greenpeace Nº 4 — 201 1

sait pas combien de gens y travaillent ni ce qu’ils y font. Plus de 10 000 personnes seraient intervenues au cours des six premiers mois de l’année. Qui? Pour quoi faire? Tepco, l’exploitant de la centrale, a certes communiqué le nombre de travailleurs irradiés et à quelles doses. Mais on sait aussi que Tepco a envoyé des travailleurs sans dosimètre dans le réacteur endommagé – impossible donc de connaître leur degré d’irradiation. On n’en sait pas davantage sur l’état de santé de ces gens. Que sont devenus ceux qui se sont retrouvés à patauger dans de l’eau hautement radioactive? Sont-ils malades? Quelquesuns sont-ils déjà morts? Les autorités refusent de laisser pénétrer des équipes étrangères dans l’installation. L’Agence internationale de l’énergie atomique ou le Programme des Nations Unies pour ­l’environnement auraient aimé envoyer leurs experts, mais sans succès pour l’instant. Est-ce la fierté ou la honte qui motive les dirigeants japonais? Toujours est-il qu’un tel comportement est fatal pour les habitants des régions concernées. Car on ne dispose jusqu’à présent d’aucune donnée fiable. Il existe bien des cartes indiquant les zones contaminées au césium: émetteur de rayons gamma très pénétrants et dotés d’une longue portée, le césium peut être mesuré depuis un hélicoptère. Mais ce n’est qu’un des nombreux radionucléides libérés dans l’atmosphère. Ce n’est pas non plus le pire, car sa demi-vie biologique est d’environ trois mois; autrement dit, la moitié du césium aura été éliminé dans l’urine par l’organisme en trois mois. Les «points chauds» radioactifs La fusion du cœur du réacteur à Fukushima a aussi libéré du strontium et du plutonium. Le strontium est un émetteur de rayons bêta aux effets plus dévastateurs que le césium; comme il se fixe dans les os ou les dents, il reste presque à vie dans l’organisme. Quant au plutonium, c’est l’un des radionucléides les plus dangereux qui soient. En inhaler un milligramme suffit à provoquer un cancer du poumon. Comme le strontium, on ne peut le déceler qu’au moyen de prélèvements – un compteur Geiger n’est d’au­ cune aide. La terre, l’herbe, le lait ou les poissons devraient donc être testés à grande échelle. C’est difficile, car lors d’un accident comme celui de Tchernobyl ou de Fukushima, les particules

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© Jeremy Soutey rat

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Des tests fastidieux: une habitante de Fukushima fait vérifier la radioactivité de ses légumes.


Fukushima

radioactives sont dispersées de façon inégale. Suivant les intempéries et le terrain, elles s’accumulent sur certains «points chauds» où le rayonnement est supérieur à la moyenne. Les points chauds ne sont bien sûr pas visibles et le terrain environnant peut être presque propre. On ne sait pas exactement quelles régions sont contaminées, ni à quel degré: on découvre constamment de nouveaux points chauds. ­Certains se trouvent même à Tokyo, à 200 km des réacteurs endommagés. Il y a plus de 20 ans, après la catastrophe de Tchernobyl, réaliser des cartes de l’irradiation était encore une entreprise fastidieuse. Il fallait presque deux semaines pour prouver la présence de plutonium dans un prélèvement. Aujourd’hui, des laboratoires spécialisés sont en mesure de pratiquer ces analyses en deux jours et d’y déceler les quantités les plus infimes. Le gouvernement minimise le danger Pour la population, il serait vital d’avoir ces informations. Impossible en effet de se protéger sans savoir où se trouvent les lieux les plus contaminés. Mais il faudrait aussi s’assurer que les gens ne mangent pas des aliments ­contaminés. Ce phénomène avait été observé à Tchernobyl: les scans complets effectués par le Corps suisse d’aide en cas de catastrophe en collaboration avec le laboratoire AC de Spiez avaient montré que les femmes avaient ingéré nettement moins de radionucléides que les hommes. Elles s’étaient manifestement pliées plus strictement aux recommandations des autorités. De tels scans prenaient beaucoup de temps dans les années 1990. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Le laboratoire AC de Spiez aurait volontiers mis ses appareils mobiles à dispo­ sition du Japon, mais ce dernier a refusé. Le gouvernement réagit comme les Soviétiques: il minimise les risques. Fin septembre, il a levé les recommandations d’évacuation pour cinq communes – notamment Minamisoma et Naraha, deux villes qui ont été survolées par le nuage radioactif. Or on mesure encore 0,51 mi­ crosievert par heure à l’entrée de l’hôpital de Minamisoma, et même 0,77 microsievert dans une école élémentaire de Naraha! Soit 4,5, voire 6,75 millisieverts par an. Le gouvernement a relevé la valeur limite à 20 millisieverts/an peu Magazine Greenpeace Nº 4 — 201 1

après l’accident, soit la valeur appliquée partout dans le monde pour les travailleurs des centrales nucléaires. Mais au Japon, on prétend que de telles doses sont acceptables pour les enfants. Dans certaines communes, on déblaie la terre contaminée pour faire baisser l’irradiation. Il y a peu de chances pour que cela ait de l’effet. A la fin des années 1980, les Soviétiques avaient fait la même chose dans plusieurs villages proches de Tchernobyl, mais la radioactivité était rapidement revenue à son niveau antérieur. Entraînés par l’eau et la neige, les radionucléides s’infiltrent en effet dans le sol d’où on ne peut les extraire. La décontamination de zones aussi vastes est une tâche quasiment impossible. En outre, personne ne sait où mettre les quantités de terre radioactive. Actuellement, on creuse dans les cours des écoles contaminées de grandes fosses que l’on isole au moyen de bâches en plastique. On y déverse ensuite la terre que l’on recouvre de plastique, puis d’une couche de terre. Plus tard, on épandra à nouveau du sable sur la cour. Désormais, les cours des établissements scolaires renferment de petites décharges de déchets nucléaires. Cela ne devrait être qu’une solution temporaire, mais personne ne sait combien de temps cela va durer. De plus en plus de voix s’élèvent pour critiquer ces mesures de décontamination qui ­semblent vouées à l’échec. Des radionucléides s’écoulent dans les canalisations, car les ­maisons contaminées sont souvent nettoyées au Kärcher. La décontamination ne revient qu’à déplacer et à disperser de façon absurde les particules radioactives. Aucun moyen de décon­ tamination efficace ne peut être utilisé à vaste échelle. La seule solution serait d’évacuer les habitants, mais les autorités veulent l’éviter, car le coût est exorbitant et cela concernerait ­également des grandes villes comme Fukushima. Susan Boos, rédactrice à WOZ, Die Wochenzeitung. Auteure de Beherrschtes Entsetzen – Das Leben in der Ukraine zehn Jahre nach ­Tschernobyl. Dernières informations sur Fukushima sous: www.greenpeace.ch

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© G reenpeace / A lan Katowitz

i­ mpôts, ils émigrent en Nouvelle-Zélande en 1961. Ils y organisent des manifestations devant l’ambassade américaine et protestent contre les essais nucléaires français en Polynésie. Lorsque la Nouvelle-Zélande envoie, elle aussi, des troupes au Vietnam en 1965, ils partent pour le Canada. A Vancouver, Dorothy travaille comme thérapeute familiale et permet à Irving de s’engager à plein temps comme militant de la paix. Ils font la connaissance des Quakers Jim et Marie Bohlen et de Zoe Hunter: ce groupe constitue le noyau d’une organisation pacifiste et écologiste dont les manifestations attireront bientôt l’at­ tention dans le monde entier. Lorsque les EtatsUnis annoncent en 1968 une série d’essais nu­ cléaires en Alaska, les Stowe fondent le comité «Don’t Make a Wave», en référence aux craintes que ces explosions ne déclenchent un tsunami. Dorothy Stowe mobilise des travailleurs ­sociaux et des groupes de femmes pour un boycott des produits américains qui devait durer jusqu’à ce que les tests soient suspendus. Lorsque Jim et Marie Bohlen proposent de pénétrer en bateau par Rex Weyler, dans la zone des essais, Dorothy et Irving Stowe écrivain, journaliste et ancien directeur de sont de la partie. Ils affrètent un chalutier qu’ils baptisent «Greenpeace». Ce bateau prend la Greenpeace mer en septembre 1971; intercepté par les gardeDorothy Anne Rabinowitz est née le 22 décemcôtes, il n’atteindra jamais la zone des essais. bre 1920 à Providence, dans l’Etat de Rhode Mais l’action fait sensation et, en février 1972, le Island (Etats-Unis). Son père Jacob, telle qu’elle gouvernement américain décide de mettre un le décrivait elle-même, était quelqu’un de poli­ terme aux essais nucléaires. A partir de mai 1972, le groupe prend le nom tiquement «engagé en faveur de la justice – pas seulement pour les juifs, mais pour tous les de «Greenpeace». L’organisation a aujourd’hui des bureaux dans plus de 40 pays, y compris la hommes.» Sa mère, Rebecca Miller, enseignait Chine, l’Inde et, depuis peu, l’Afrique. «C’est l’hébreu et éveilla en elle le désir d’apprendre. étonnant ce que peuvent faire des gens rassemDorothy étudie au Pembroke College, puis blés autour d’une table de cuisine», faisait ­devient assistante sociale en psychiatrie et première présidente du syndicat local des employés ­observer Dorothy récemment. Dorothy Stowe s’est éteinte le 23 juillet 2010 du service public. En 1953, elle épouse Irving Strasmich, un défenseur des droits civiques. En à Vancouver, à l’âge de 89 ans. La meilleure ­chose que nous puissions faire pour sa mémoire, hommage à Harriet Beecher Stowe, une féministe américaine qui s’était battue pour l’abolition c’est de poursuivre notre travail en faveur de la paix, de la justice et de la planète. de l’esclavage, ils adoptèrent le nom de famille de Stowe. Leurs deux enfants, Robert, né en 1955, et Barbara, née en 1956, vivent à Vancouver. Dorothy Stowe aura partagé jusqu’à la fin de sa vie les convictions de Greenpeace, l’organisation Dans les années 1950, Dorothy et Irving qu’elle avait contribué à créer. Dorothy a légué Stowe commencent à lutter contre l’arme ­nucléaire. Ils s’inspirent d’idées du mouvement 5000 dollars canadiens à Greenpeace International. Cela nous honore et nous touche profondéQuaker, comme celle de «porter témoignage» ment. (bearing witness) et d’«opposer la vérité aux puissants» (speaking truth to power). Refusant de financer la guerre du Vietnam avec leurs

Nécrologie

Dorothy Stowe, Cofondatrice de Greenpeace

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© S imon L im / G reenpeace

Le long chemin vers la justice

Campagnes

2012: Concrétiser la ­sortie du nucléaire

Lorsque vous lirez ces lignes, le Conseil national aura, espérons-le, entériné la sortie du nucléaire. Même si cette étape devait échouer au Parlement, cela ne changerait rien au fait que le Conseil fédéral travaille d’arrache-pied à sa stratégie énergétique pour 2050. Cette derniére montrera comment il est possible d’assurer l’approvisionnement énergétique de la Suisse sans centrales nucléaires. Greenpeace apporte son savoir-faire dans ce processus stratégique chapeauté par l’Office fédéral de l’énergie. En discutant avec tous les acteurs impliqués — des fournisseurs d’électricité aux protecteurs de la nature et du paysage —, nous veillons à créer un cadre robuste pour la transition énergétique: rétribution à prix courant illimitée du courant injecté, processus d’autorisation simplifié pour le développement des énergies ­renouvelables, taxe incitative sur la consommation électrique, ainsi que réseau électrique permettant l’injection d’énergies renouvelables en grande quantité et l’harmonisation intelligente entre l’offre et la demande. En plus du processus politique, Greenpeace veillera à ce que ce tournant énergétique prenne forme en Suisse. L’année prochaine, nous lançons une campagne sur la production et la valorisation des énergies renouvelables et nous pointerons du doigt les gaspillages les plus flagrants. Notre campagne contre le nucléaire est entièrement placée sous le signe de la sécurité des centrales existantes, dont certaines sont très anciennes. La catastrophe nucléaire du Japon, pays à haute technologie, a montré ce qu’il faut entendre par «risque résiduel». Nous exigerons que la protection des êtres humains et de l’environnement contre le risque nucléaire soit prise au sérieux en Suisse.

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Le peuple indigène des Deni vit en harmonie avec la nature sur 1500 km2 de la forêt tropicale amazonienne. Dans les années 1980, l’habitat de ces Indiens a été menacé par les grandes exploitations forestières. Les Indiens ont réclamé la reconnaissance officielle de leur territoire et le droit à l’autodétermination. Mais le gouvernement brésilien n’a pas suivi, arguant que les frontières de ce territoire ne seraient pas clairement identifiables vues d’avion ou de bateau. Vingt ans seront nécessaires pour obtenir cette reconnaissance. Dans l’intervalle, le territoire a été illégalement vendu à des groupes forestiers, sans l’accord des Deni. C’est ainsi qu’a commencé la collaboration entre Greenpeace et les Indiens. Avec des militants de Greenpeace venus de huit pays, les Deni ont pratiqué des percées dans la jungle pour délimiter leurs frontières. Le 9 octobre 2001, le gouvernement brésilien a dû reconnaître officiellement le territoire et les Indiens ont obtenu le droit de repousser les intrus. A l’occasion du dixième anniversaire de cette reconnaissance, les Deni ont décidé de mettre en place un plan de gestion de leur région pour continuer d’en assurer la protection.

épilogue

La forêt tropicale amazonienne et le territoire des Deni sont à nouveau menacés par une possible modification du code forestier. La loi sur les forêts brésiliennes doit en effet être assouplie. Les peines sanctionnant les coupes illégales pourraient être supprimées pendant cinq ans, les zones protégées réduites et l’exigence légale d’un reboisement des surfaces déboisées ne serait conservée qu’à partir d’une certaine taille d’exploitation agricole.

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© G reenpeace

riétés non autorisées de riz GM. D’après l’Econo­ mic Observer, plus grand magazine économique chinois, le ministère chinois de l’Agriculture a pris la sage décision de cesser la commercialisation de riz GM. Cette décision nous concerne tous, car la culture de riz GM à large échelle rendrait impossible une production sans OGM, et ce durablement. Nous n’aurions plus la liberté de choisir. Un autre problème se poserait également à propos des brevets étrangers sur les variétés de riz GM qui pourraient menacer la sécurité alimentaire de la Chine. Le riz constitue en effet le prinBarbie et Ken: qui aurait pensé que le couple idéal cipal aliment pour 1,3 milliard de Chinois. volerait un jour en éclats? En juin dernier, Green­ peace révèle que le producteur Mattel achète son matériel d’emballage auprès d’Asia Pulp & Paper (APP), une entreprise de cellulose et de papier largement responsable de la déforestation en ­Indonésie et donc de la disparition de l’habitat du En juillet dernier, Greenpeace a publié le rapport tigre de Sumatra et de l’orang-outang, deux espè- Linge sale montrant que la plupart des textiles de ces menacées. Cette entreprise est considérée marque testés dans le monde recèlent des traces comme particulièrement agressive et sans scru- d’éthoxylate de nonylphénole (NPE), une substanpule. Rien que dans les provinces indonésiennes ce toxique: ce perturbateur endocrinien a été déde Riau et de Jambi, elle a détruit plus d’un million celé sur 52 produits sur 78. Des prélèvements d’hectares de forêt tropicale. APP est en outre d’eau et des analyses indépendantes effectuées mêlée à des conflits fonciers au sujet desquels il près de deux usines textiles chinoises sur le lui est reproché de violer les droits humains. Une Yangzi et la rivière des Perles ont révélé la préinterview avec Ken, dans laquelle il envoyait pro- sence de nonylphénole, de colorants azoïques, mener sa chère Barbie, a fait éclater la vérité au de métaux lourds et d’autres substances toxigrand jour. 500 000 personnes ont réagi dans le ques. Or les habitants utilisent l’eau de ces rivièmonde entier et envoyé un courriel de protesta- res pour leur alimentation et l’irrigation de leurs tion à Mattel. Avec succès, car Mattel s’est enga- champs. Un scandale qui a incité plus de 600 pergé à donner l’ordre à ses fournisseurs de ne plus sonnes de dix pays à se débarrasser de leur «lintolérer l’utilisation de fibres de bois provenant de ge sale» devant des magasins Nike et Adidas, sources controversées et d’entreprises connues établissant ainsi un record mondial de striptease. pour détruire les forêts. Les nouvelles directives Dans les deux mois qui ont suivi, Puma, Nike, Adiencouragent l’utilisation de papier recyclé et pri- das et H&M se sont engagés à désintoxiquer tous vilégient les produits en bois certifiés FSC (Forest leurs sous-traitants d’ici 2020. Ce ne sont pour l’heure que des déclarations d’intention, mais Stewardship Council). Greenpeace vérifiera si les actes suivent...

Un divorce qui fait du bruit

Fini le linge sale!

Gel de la commer­cia­ lisation de riz OGM en Chine

La Chine compte parmi les plus gros exportateurs de riz au monde. Pas étonnant donc si ce pays procède depuis 1999 à des essais de riz génétiquement modifié (GM). Il est en revanche inquiétant de découvrir régulièrement en Europe du riz importé de Chine qui a été contaminé par des vaMagazine Greenpeace Nº 4 — 201 1

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Energie

Sortie du nucléaire

DCNS, le fabricant français de sous-marins nucléaires, a annoncé son projet de petite centrale nucléaire sous-marine. Destinée à être arrimée par 100 m de fond, l’installation du nom de Flexblue est conçue pour alimenter en courant une ville côtière (de 100 000 à 1 million d’habitants). D’une puissance de 50 à 250 MW, la centrale mesurerait 100 m de long et 14 m de large. Mené en partenariat avec Areva, EDF et le Commissariat à l’énergie atomique, le projet mobilise 150 ingénieurs. La décision de construire un prototype devrait être prise en 2013 pour une mise en service en 2017. Construit aux chantiers navals de Cherbourg, Flexblue serait acheminé par bateau. DCNS est majoritairement en main de l’Etat français, dont un objectif stratégique est d’exporter des technologies nucléaires aux pays émergents, pourtant richement dotés en potentiel solaire. «Ce projet s’adresse à tous les pays qui ont une façade maritime, ce qui fait beaucoup de monde!» annonce Patrick Boissier, PDG de DCNS. «Sa réalisation n’est concevable que dans des pays qui n’ont pas trop de réticences vis-à-vis du nucléaire», ajoute Bruno Tertrais, de la Fondation pour la recherche stratégique. «Il y a un marché pour les pays qui n’ont pas les moyens de s’offrir les centrales classiques», juge Tertrais. Un point de vue partagé par DCNS, qui table sur un marché potentiel de 200 unités. Didier Anger, ancien membre du Parlement européen, sou­ ligne: «En cas d’accident, il n’y a pas pire que l’eau, car la pollution radioactive s’y disperse plus vite que dans l’air. (...) Le réchauffement brutal des eaux provoquerait un formidable choc thermique destructeur de vie, une évaporation et une dispersion d’un nuage d’aérosols toxiques.» Le projet Flexblue est symptomatique de la course à la survie de l’industrie nucléaire qui, année après année, perd du terrain dans le marché mondial de l’approvisionnement en énergie. Une course qui menace la survie du reste du monde. Philippe de Rougemont

Greenpeace Suisse soutient les deux initiatives populaires «Pour la sortie programmée de l’énergie nucléaire» («Sortir du nucléaire», au milieu de ce numéro) et «De nouveaux emplois grâce aux énergies renouvelables» («Cleantech»). L’initiative «Sortir du nucléaire» a aujourd’hui besoin de votre signature. Le Conseil fédéral et le Parlement ont approuvé la sortie du nucléaire dans une déclaration d’intention assez vague. Dans les prochaines années, il faudra donner forme au futur énergétique d’une Suisse sans centrales nucléaires – même lorsque Fukushima ne fera plus la une des journaux. La Suisse a ­notamment besoin d’un calendrier pour la fermeture de toutes les centrales nucléaires, échéance que l’initiative «Sortir du nucléaire» fixe à 2029. Pour que le tournant énergétique devienne une réalité, il convient de renforcer la production et la valorisation des énergies renouvelables dans toutes les ­régions et de prendre des mesures fermes pour accroître l’efficacité énergétique. C’est ce qu’exige l’initiative «Cleantech» lancée par le Parti socialiste. Si le PS a déjà pu déposer sa demande de référendum, la récolte des signatures pour la sortie du nucléaire est encore en cours. Veuillez utiliser les listes de signatures ci-jointes; vous aiderez ainsi à ce que le Conseil fédéral et le Parlement posent les jalons nécessaires.

Brèves

Le réacteur sous-marin Flexblue: risque maximal

Annonce

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Posez les jalons!


Hommage aux ­ onateurs décédés d

Le 15 septembre 2011, à l’occasion des 40 ans de Greenpeace et de la Journée internationale du testament, un arbre commémoratif a été inauguré en présence du Conseil de fondation et de la direction de Greenpeace Suisse. Cet arbre, placé à l’entrée du bureau de Greenpeace Suisse, est un hommage aux nombreuses personnes qui ont couché Greenpeace sur leur testament et ont ainsi laissé un signal positif pour l’avenir. Leur générosité est une contribution majeure à la protection de la nature et de l’environnement, et un cadeau fait aux générations futures. La mémoire des donatrices et ­donateurs reste vivante à travers les succès de Greenpeace. Plus de 200 personnes ont déjà choisi de faire un legs à Greenpeace afin de pérenniser les valeurs qu’elles défendent de leur vivant. Nous aimerions rendre hommage à ces hommes et femmes au moyen de cet arbre du souvenir, symbole visuel simple de notre respect et de notre reconnaissance. Projet Forêt de montagne

Chacun peut être un sauveteur

Vous avez envie d’accomplir un travail bénévole en forêt? Votre engagement contribuera à préserver les forêts de montagne. Le magazine Greenpeace a accom­pagné un projet et publie un reportage sur www.greenpeace.ch/bergwald (en allemand seulement). Commandez dès maintenant le programme de l’année 2012 sous: www.bergwaldprojekt.ch/fr

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Nécrologie

Energie solaire

© C hristian Å slund / G reenpeace

Arbre du souvenir

Faire des gâteaux avec de «l’électricité d’ici»

Dans l’Emmental, il existe quelques centrales solaires qui ne reçoivent ni la rétribution à prix coûtant du courant injecté, ni une rétribution de la plus-value écologique de La Kényane Wangari Maathai, prix la part des Forces motrices ber­ Nobel de la Paix, n’est plus. Celle noises (FMB). C’est la raison pour qui était surnommée la «maman laquelle Franz Held, Markus Gisdes arbres» est morte des suites ler et Anton Küchler, les initiateurs de «Strom von hier», se sont assod’un cancer à Nairobi à l’âge de ciés pour fonder leur organisation. 71 ans, a annoncé l’organisation Green Belt Movement qu’elle avait En partenariat avec «Strom von hier», le Projet Solaire Jeunesse a créée. Pendant des dizaines ­d’années, elle avait fustigé les poli- collaboré à la construction d’une installation photovoltaïque. La ticiens corrompus et encouragé des milliers de personnes à planter Suisse a pratiquement entériné la sortie du nucléaire et les ressourdes arbres. Dans sa lutte pour la protection de l’environnement et ces pétrolières tendent à se tarir. le respect des droits humains, Il est donc plus important que la biologiste avait risqué maintes jamais pour le pays de disposer fois sa vie. Elle fut à plusieurs d’un approvisionnement énergé­reprises battue et emprisonnée par tique régional et décentralisé. les hommes de main de l’ancien L’énergie solaire est une évidence potentat Daniel Arap Moi. L’orga- dans une région aussi ensoleillée nisation Green Belt Movement que l’Emmental. L’un des plus s’est donné pour objectif de reboi- gros clients de «Strom von hier» ser les surfaces forestières dé­ est le célèbre fabricant de biscuits truites. Presque 40 millions d’arKambly, à Trubschachen. Celui-ci bres ont été plantés depuis 1997. s’est engagé à acheter chaque Cette femme qui a toujours déannée 100 000 kWh d’électricité fendu la démocratie et la protecsolaire auprès de «Strom von tion de l’environnement était reshier». C’est plus du double de ce qu’il commandait auprès des FMB. pectée dans le monde entier. Wangari Maathai a été la première L’électricité était alors produite sur le toit du Stade de Suisse. Le femme africaine à recevoir le courant solaire de Kambly provienprix Nobel de la Paix, en 2004. dra désormais d’une centrale ­installée sur le toit d’une étable de Sumiswald.

Wangari Maathai est décédée

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Envoyez la solution jusqu’au 31 janvier 2012 par courriel à redaction@greenpeace.ch ou par voie ­postale à Greenpeace Suisse, rédaction magazine, mots fléchés écolos, case postale, 8031 Zurich. La date du timbre postal ou de réception du courriel fait foi. La voie juridique est exclue. Il ne sera ­échangé aucune correspondance.

Mots fléchés

© Verlag F rederking & Thaler

Gagnez l’un des trois albums The Arctic

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© greenp eac e / cH riStia n ÅSL un D


AZB 8031 Zürich AZB g r e e n pe ace M E M B ER 8031 Zürich

Que tu t’appelles Lisa, Marc, Roger ou Céline,

tu es en fait un


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