Magazine Greenpeace Suisse 2/2011 FR

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— Rainbow Warrior III: première expédition en vue  p. 48 g reen peace MEMBER 20 11, Nº 2

DOSSIER: Le tournant énergétique  p. 10 Du coton «bio» d’Inde et d’Afrique   p. 40 La production de soja détruit les forêts humides   p. 44 Année des forêts  p. 28, 38, 54


Editorial — Une nouvelle ère vient de s’ouvrir après ­Fukushima. Le monde est en train de se transformer depuis ce «Ground Zero» du nucléaire. Au moment de la clôture de la rédaction, à la mi-avril, nous assistons à une redécouverte de l’écologie. Nous souhaitons que cet élan soit durable. Aussi avons-nous décidé de rajeunir notre magazine. Vous tenez dans vos mains le premier numéro de cette nouvelle ère. Même sans la catastrophe au Japon, la protection de l’environnement est en pleine mutation et la Suisse, jadis pionnière, n’échappe pas à ce mouvement. Les idées écologiques se propagent rapidement. Elles forment désormais un thème majeur de la publicité, si sensible aux tendances. Mais les magazines qui accordent une place toujours plus importante à un mode de vie durable sont-ils véritablement écolos? Notre magazine le reste – et sans publicité. La communication connaît elle aussi de profonds bouleversements. Notamment sur Internet. Greenpeace utilise d’ailleurs tous les canaux numérique pour informer, inspirer, mobiliser. Mais nous constatons aussi un besoin de distance et de réflexion. Les gens ont envie d’un magazine qu’ils ­pourront conserver et consulter, un magazine ouvert à des idées et des perspectives différentes. C’est pourquoi nous ­devons accorder plus de place à la controverse. Dans le présent numéro, l’économie tient une place importante. Nous donnons la parole à des gens qui veulent gagner de l’argent avec la protection de l’environnement, comme Urs Studer, qui a développé une technologie de récupération de la chaleur à partir des eaux usées. Mais nous nous interrogeons aussi avec Susan Boos sur la notion de responsabilité. La précédente grande catastrophe – la marée noire pro­ voquée par l’explosion de la plateforme pétrolière «Deepwater Horizon» – avait mis en évidence la tension entre l’économie et l’écologie. L’ensemble du débat sur le climat souffre de cet antagonisme. Les répercussions de Fukushima sont diffé­ rentes: les fronts se fissurent et, contrairement à Tchernobyl il y a 25 ans, les chercheurs et les milieux économiques ­acceptent enfin de proposer des voies possibles pour un ­avenir renouvelable. Nous nous réjouissons de pouvoir vous présenter, à ce moment décisif, un nouveau magazine et de contribuer à une réflexion constructive, ouverte et indépendante. De nouveaux auteurs nous ont rejoints et les graphistes de l’agence Hubertus ont su donner une forme intéressante à nos contenus. Nous espérons que des idées – et non des catastrophes – détermineront le sommaire des prochains numéros. La rédaction


En action

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GREENPEACE POURSUIT SA LUTTE À TRAVERS LE MONDE

Surveillance nucléaire – Une indulgence programmée

Dossier: Le tournant énergétique

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Un essai de Susan Boos décrit comment l’autorité de ­surveillance nucléaire gère sa responsabilité

Pionniers de l’environnement 13

De l’idée au produit: trois entrepreneurs tournés vers l’avenir au service de l’efficacité énergétique

LE COURANT VERT EST GAGNANT

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UNE TROISIÈME CHANCE POUR LA SUISSE

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SOMMAIRE

Mais à condition que les règles soient les mêmes pour tous les producteurs

Kaspar Schuler, responsable de campagne, évoque deux ­occasions manquées de sortir du nucléaire HOHMANN, PRODUCTEUR DE COTON BIO: 40 L’ÉTHIQUE ET LE BUSINESS NE SE CONTREDISENT PAS Interview

RW III

Un bateau comme on n’en a jamais vu

2011 – Année des forêts LES ARBRES ET NOUS LORENZO PELLEGRINI – UNE VIE AVEC LA FORÊT GREENPEACE MET FIN AU DEBOISEMENT EN ­F INLANDE

Essai photographique POISON LIQUIDE EN CHINE

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Agriculture «Du Hagu-Hans du Brésil, ce serait quand même absurde»

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Carte Brèves Interview avec la «femme solaire» Mots fléchés écolos

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IMPRESSUM GREENPEACE MEMBER 2/2011 Éditeur/adresse de la rédaction Greenpeace Suisse Heinrichstrasse 147, case postale, 8031 Zurich Téléphone 044 447 41 41 / téléfax 044 447 41 99 www.greenpeace.ch — CP 80-6222-8 Équipe de rédaction: Tanja Keller (responsable), Matthias Wyssmann, Jonas Scheu, Roland Falk, Marc Ruegger Traduction en français: Nicole Viaud et Karin Vogt Maquette: Hubertus Design Impression: Swissprinters, Saint-Gall Papier couverture: Rebello recycling mat 150 gm 2 Papier intérieur: Ultralux semigloss UWS 70 gm 2 Tirage: 128 500 en allemand, 22 000 en français Parution: quatre fois par année Le magazine Greenpeace est adressé à tous les adhérents (cotisation annuelle à partir de CHF 72.–). Il peut refléter des opinions qui divergent des positions ­officielles de Greenpeace. Photo de couverture: © Oliver Tjaden / Greenpeace



Arrêter le désastre environnemental Des militants Greenpeace déploient une banderole géante pour demander la fermeture de la centrale au charbon du port de Bridgeport (USA), qui rejette un million de tonnes de dioxyde de carbone par année. Site contaminé

P hoto : © G reenpeace



Un spectacle poignant Avant le 25 anniversaire de Tchernobyl, des militants Greenpeace brésiliens simulent une catastrophe nucléaire et demandent à la Banque nationale de développement économique et social d’arrêter de financer des centrales nucléaires. Commémoration de Tchernobyl

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P hoto : I vo G onzalez / G reenpeace



Éclaboussures garanties Sur une mer agitée, un militant Greenpeace s’accroche à la chaîne de mouillage d’un navire de pêche taïwanais. Il demande ainsi aux autorités de sanctionner les entre­ prises qui enfreignent les dispositions relatives à la pêche. Prouesse risquée

P hoto : © Paul Hilton / G reenpeace


Résistance pacifique Malgré une forte présence policière, des militants Greenpeace s’enchaînent aux rails pour empêcher le ­passage d’un convoi «Castor» de 1100 tonnes de matériel radioactif entre La Hague (F) et Gorleben (D). Pouvoir étatique

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P hoto : Š M artin S torz / Greenpeace


Surveillance nucléaire – ­ Une indulgence programmée

Tournant énergétique

Par Susan Boos

Hans Wanner était inconnu du grand public. Mais le 11 mars, la terre tremble au Japon, un tsunami déferle sur Fukushima et la centrale ­nucléaire échappe à tout contrôle. Wanner est le directeur de l’Inspection fédérale de la sécurité nucléaire (IFSN). L’ancienne «Division principale de la sécurité des installations nucléaires» (DSN) est un peu la police du nucléaire suisse. Hans Wanner porte à ce titre une responsabilité dont il préfère éluder les conséquences dernières. La Suisse n’est pas Fukushima, une catastrophe nucléaire est impossible dans notre pays, déclare-t-il à qui veut l’entendre. Il doit en être convaincu, car il devrait autrement imaginer les conséquences d’une catastrophe à Mühleberg qui exigerait d’évacuer la ville de Berne. Ces dernières années, personne ne s’inté­ ressait vraiment à l’IFSN. Le débat public portait surtout sur les projets de nouveaux réacteurs. Les vieilles centrales encore en activité étaient presque oubliées. L’IFSN est chargée de les ­surveiller, mais elle ne remplit pas sa fonction de police. Placide, elle intervient ici ou là pour ­rappeler l’une ou l’autre obligation, affichant une patience à toute épreuve. C’est visiblement ce qui se passait au Japon. On sait désormais que, peu avant la catastrophe de Fukushima, l’opérateur Tepco soumettait encore des dossiers falsifiés à l’autorité de surveillance du nucléaire. Il avait omis de procéder à des tests importants concernant les généra­ trices et les pompes de secours. En guise de réaction, l’autorité de surveillance avait demandé à Tepco de déposer un nouveau rapport d’ici au mois de juin. Une patience qui s’est avérée fatale. La centrale de Fukushima est de même type que celle de Mühleberg et presque aussi vieille. Au tsunami japonais pourrait correspondre en Suisse le lac de Wohlen. Une rupture du barrage suite à un tremblement de terre pourrait transformer ce lac en gigantesque vague venant submerger la centrale. Mühleberg présente en outre des fissures sur le manteau du cœur. Magazine Greenpeace Nº 2 — 201 1

Fukushima aussi avait connu ce problème, mais les parties défectueuses avaient été remplacées. Hans Wanner est mal à l’aise lorsqu’il tente d’expliquer pourquoi Mühleberg est toujours en service. Il déclare: «Il faut un danger aigu pour justifier un arrêt immédiat.» C’est sans doute ce que pensait aussi l’autorité de surveillance japonaise à propos de Fukushima. Mais lorsque le danger aigu est là, il est déjà trop tard. L’IFSN recense une longue liste de défauts, et pas seulement à Mühleberg. Régulièrement, elle accorde de généreux délais aux opérateurs. L’exemple de Mühleberg est parlant, même si la situation n’est probablement pas meilleure à Beznau. Mais pour Mühleberg, une poignée de personnes s’opposent depuis des années à ­l’exploitation de cette centrale vétuste, accumulant un savoir impressionnant sur le sujet. Peu avant Noël 2009, les opposants à Mühleberg apprennent avec stupeur la décision du Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC) d’accorder une «autorisation d’exploitation illimitée» à Mühleberg. L’association «Fokus Anti-Atom» déclare alors: «En cas de fort séisme, le circuit de refroidissement pourrait se rompre et le manteau du cœur se fendre, dégageant les barres de combustibles et provoquant une fusion du cœur.» Le texte poursuit: «Nous aurions une catastrophe nucléaire que personne ne veut imaginer. Jusqu’à trois millions de personnes devraient être déplacées.» Il y a un an, nombreux étaient ceux qui estimaient un tel scénario largement exagéré. Aujourd’hui, le grand public prend conscience de la menace nucléaire. L’Inspection fédérale de la sécurité nuclé­ aire le savait depuis longtemps. En 2007, elle écrivait: «Le modèle du dispositif des tirants ­d’ancrage prévu pour la centrale nucléaire de Mühleberg dans le cadre des preuves à apporter pour une exploitation de longue durée ne peut pas être reconnu par la DSN comme une répa­

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P hoto: © Greenpeace

Surveillance nucléaire


Tournant énergétique

ration définitive du manteau du cœur.» L’autorité précise: «La centrale nucléaire de Mühleberg est tenue de présenter à la DSN un nouveau ­modèle de réparation du manteau fissuré du cœur d’ici au 31 décembre 2010.» L’IFSN n’a toujours rien entrepris à ce jour, alors qu’elle sait depuis quatre ans que la sécurité de la centrale n’est pas garantie. Elle a en revanche déclaré secrète une expertise qu’elle avait elle-même commandée en Allemagne à ce sujet. Les opposants à Mühleberg ont dû faire appel à la justice pour y avoir accès. Mais les juges leur ont interdit de citer le texte. Les grandes lignes de l’expertise ont pourtant filtré. Les experts jugent problématiques les fissures et les tirants d’ancrage censés réparer le manteau du cœur. L’institut «Ökoinstitut Darmstadt» a eu accès à l’expertise et constate: «En conclusion, nous ne comprenons pas ­pourquoi la DSN/IFSN continue d’autoriser ­l’exploitation de la centrale de Mühleberg malgré le jugement clairement négatif du TÜV sur le dispositif des tirants d’ancrage.» L’IFSN ignore donc l’expertise en sa possession pour éviter d’avoir à arrêter la centrale. Le DETEC pourrait intervenir, mais il se défausse régulièrement de sa responsabilité sur l’IFSN. Or celle-ci n’a jamais engagé de démarches sérieuses. Comment pourrait-elle justifier un soudain changement de cap? Comment aurait-elle le courage d’ordonner aux exploitants d’arrêter la centrale et de la sécuriser avant d’en poursuivre l’exploitation? Tout agent de police le ferait dans le cas d’un vélo aux freins défectueux. Mais dans le monde du nucléaire, l’indulgence règne. Le «danger aigu» n’étant pas à l’ordre du jour, les différentes instances ne cessent de se renvoyer la responsabilité. Les exploitants des centrales et les respon­ sables de la DSN/IFSN se côtoient depuis longtemps. On se connaît et on se fait confiance. Des représentants de la DSN siégeaient autrefois au Forum nucléaire suisse, le lobby du nucléaire. Depuis que la liste des membres est publique, l’IFSN n’y est plus officiellement représentée. Mais le problème n’est pas résolu. La direction de l’IFSN est recrutée par le conseil de l’IFSN, lequel est placé sous la présidence de Peter Huf­ schmied, un homme d’affaires qui a des relations commerciales avec les Forces motrices bernoises FMB. Sa «Maison tropicale» de Frutigen, un «espace découverte» situé dans l’Oberland Magazine Greenpeace Nº 2 — 201 1

bernois, a été sponsorisée par la Nagra, la ­Société coopérative nationale pour le stockage des ­déchets radioactifs. Or, FMB est l’exploitant de la centrale de Mühleberg et la Nagra est ­également soumise à la surveillance de l’IFSN. En outre, le conseil de l’IFSN compte parmi ses membres un certain Horst-Michael Prasser, dont la chaire à l’université de Zurich est financée par les exploitants des centrales nucléaires. Tout cela est illégal, car la loi sur l’Inspection fédérale de la sécurité nucléaire dit clairement: «Les membres du conseil de l’IFSN ne sont pas autorisés à exercer une activité commerciale ni à occuper une fonction fédérale ou cantonale ­pouvant porter préjudice à leur indépendance.» Le Conseil fédéral devrait intervenir. En fait, il n’aurait jamais dû engager ces personnes, car c’est lui qui élit les membres du conseil de l’IFSN. On entrevoit le fond du problème: Doris Leuthard, actuelle responsable du DETEC, était auparavant membre du Forum nucléaire et passe pour une fidèle adepte du nucléaire. Le lobby nucléaire est aussi très présent au Par­ lement: 98 parlementaires sur 246 sont membres de l’AVES, qui milite en faveur de l’industrie nucléaire. Economiesuisse joue également un rôle de premier plan: Urs Rellstab, jusqu’à récemment responsable de la campagne énergie auprès de la fédération des entreprises, a rejoint l’agence de relations publiques Burson-Marsteller. ­Celle-ci abrite le secrétariat du Forum nucléaire et mène à coup de millions une campagne de promotion du nucléaire. Au comité d’Economiesuisse, on trouve Kurt Rohrbach, directeur des FMB (centrale de Mühleberg) et Heinz Karrer, directeur d’Axpo (centrales de Beznau I/II). Voilà les coteries et mécanismes de pouvoir auxquels devrait se confronter l’IFSN, si toutefois elle en avait le courage. Que faire? En Allemagne, la surveillance nucléaire est moins centralisée. Les autorités confient les expertises à des organismes indépendants et concurrents. Résultat: des expertises mieux faites, plus claires et plus incisives. Et surtout: moins de manigances, un débat plus ouvert, davantage de sécurité. Il en résulte aussi un ­mouvement anti-nucléaire informé, fort et ­efficace. Susan Boos est rédactrice WOZ, Die Wochenzeitung

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Des ­entrepreneurs à la pointe de ­l’innovation

Pionniers de l’environnement

L’innovation se joue à la périphérie L’approvisionnement énergétique de l’avenir ne sera pas seulement renouvelable; il sera aussi ­décentralisé. L’électricité et la chaleur doivent être produites là où elles sont consommées. Des ­dizaines de milliers de toits solaires au lieu d’une grande centrale! Qu’il s’agisse de nouvelles ­technologies utilisant la chaleur résiduelle dans les canalisations ou la force d’écoulement de nos ruisseaux, un rapide coup d’œil au pays des ­pionniers de l’énergie le montre: la véritable inno­ vation mise sur le consommateur final et sur des groupes de taille modeste, par exemple des entreprises ou des coopératives immobilières, à la rigueur des communes ou des réseaux régio­ naux. Le potentiel économique et écologique ­déploiera ses effets lorsque ces découvertes ­géniales et ces initiatives locales seront appliquées sur une plus large ­échelle. D’innombrables PME et autres bricoleurs l’espèrent. Mais les investisseurs sont frileux. L’argent ­afflue sans problème vers les gigantesques projets énergétiques riches en innovations juteuses — ­lisez notre article à ce sujet à la page 18. Les géants de l’énergie restent fidèles à leur modèle com­ mercial et contrôlent les grandes lignes de l’appro­ visionnement, les fameuses «autoroutes de ­l’énergie». Ils engrangent des gains considérables sur les formidables quantités d’énergie qui tran­ sitent d’un pays à l’autre, au prix le plus élevé. Les ­approches décentralisées ne font pas leur affaire. Autrement dit, la Suisse a perdu sa position de pionnière dans les écotechnologies. Dans le grand jeu de l’énergie, notre pays préfère jouer la carte des grandes centrales et des usines de ­pompage, au risque de se provincialiser en matiè­ re d’énergies renouvelables. La véritable inno­ vation se joue pourtant à la périphérie. Or, le char­ me discret de la province a aussi ses avantages. Mais il est désormais temps de donner de l’argent aux bricoleurs — nous vous en présentons quel­ ques-uns dans ce numéro — afin qu’ils puissent vraiment donner forme à leurs projets. Il n’y a probablement rien à attendre des grands bailleurs de fonds classiques. Mais on est en droit d’espérer que de nombreux petits ­investisseurs d’un nouveau genre montreront la voie. Comme chacun sait, les dinosaures ont été remplacés par des espèces plus petites et plus agiles. -red

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Par Therese Marty Photos de Nicolas Fojtu

Maintenir une réflexion ­permanente. Avancer pas à pas. Ne pas perdre espoir. Voilà la devise de trois hom­ mes qui consacrent beau­ coup de temps, d’efforts et d’argent à l’efficacité éner­ gétique. Greenpeace a vou­ lu connaître le chemine­ ment ardu qui mène d’une idée à un produit. Visite d’une conduite d’eau usée dans le quartier de Wülflingen à Winterthour. Les canalisations sont sales et étroites; pourtant les visiteurs ne manquent pas. Ils s’intéressent au système de ­récupération de la chaleur de l’eau usée, dont la température s’élève à 25 degrés en moyenne. Des échangeurs thermiques transforment en source d’énergie les eaux usées des bâtiments voisins. Un procédé écologique et efficace permet d’extraire la chaleur et de la rediriger vers les habitations. C’est en 1996, à Zurich, que les premiers échangeurs thermiques ont été installés dans des canalisations. Aujourd’hui, 42 installations de ce type sont en service, et 300 autres sont à l’étude dans 18 pays d’Europe, aux USA et en Asie. C’est la percée du système baptisé ­Rabtherm, adapté aux constructions industrielles ou résidentielles de plus de seize appartements. Une technologie probante à la fois sur le plan économique et écologique. Le développement de ce système ne s’est pas fait en un jour. Il y a vingt ans, l’ingénieur-mécanicien Urs Studer s’arrête devant une bouche

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Tournant énergétique

d’égout de Zurich Höngg en rentrant de son travail. Les vapeurs chaudes qui s’en dégagent le font réfléchir. «Il y a de vraies centrales énergétiques là-dessous», note ce propriétaire d’un florissant bureau d’ingénieurs dans le calepin qu’il porte toujours sur lui. Une pratique qui lui permet de consigner les idées qui lui viennent en route. Le projet de tirer profit de la chaleur résiduelle des eaux usées ne le lâchera plus. «Quand j’ai une idée, cela veut dire que je peux aussi la mettre en œuvre», tel est son credo. Mais la situation de départ n’est pas simple. A l’époque, le pétrole ne coûte pas cher et l’efficacité énergétique n’est pas à l’ordre du jour. «Les dix premières années, j’avançais peu, tout en investissant beaucoup de temps, d’énergie et d’argent», relate Studer. Il ne se plaint pas, au contraire. Son enthousiasme est contagieux. Comment tirer profit de la chaleur? Est-ce une opération rentable? Quels matériaux utiliser? A qui appartiennent les eaux usées? La clientèle sera-t-elle au rendez-vous? Autant d’aspects à méditer, discuter, calculer, éclaircir. Pour avoir plus de temps à consacrer à son projet, Studer vend son bureau d’ingénieurs. Il fait face à l’incompréhension de ses collègues et aux difficultés financières. Mais son épouse le soutient: ­«Elle a toujours cru en moi. Sans elle, je n’y serais pas arrivé.»

à cinq ans, alors que le cycle de vie de l’échangeur thermique est de 50 ans, celui du système global de 25 ans. Mais Studer n’est pas du genre à s’arrêter en si bon chemin. Infatigable, il parcourt le globe pour présenter son système Rabtherm et ses solutions innovantes, rechercher des projets, ­rencontrer des clients, discuter avec des producteurs et consulter des experts. On trouve une trace de ses activités dans l’empilement des dossiers soigneusement triés sur son bureau. Un ­fanion aux couleurs des USA rappelle le séjour qu’il effectua outre-Atlantique en tant que jeune ingénieur-mécanicien avant de devenir res­ ponsable du développement de l’entreprise Luwa puis d’intégrer la direction du groupe Sulzer. Il garde un excellent souvenir des Etats-Unis où il s’est senti bien et a beaucoup appris. Chef de projet de systèmes techniques pour les capsules spatiales Apollo, il était entouré de scientifiques et de pionniers. Il appréciait particulièrement qu’«on y découvrait et y réalisait en permanence quelque chose de nouveau». De la mentalité américaine, Studer retient la théorie des trois chances offertes à tout être humain au cours de sa vie. Lui-même laisse pourtant passer sa première opportunité: «Il y a de nombreuses années, j’ai développé un système de capsules pour machines à café. Que serait-il advenu si je n’avais pas laissé tomber?» La Séjour instructif aux USA deuxième chance est celle qu’il saisit: le système Le succès devient réalité. Mais Studer ne se Rabtherm est un succès. Reste la troisième repose pas sur ses lauriers. Il continue ses rechance. «Mettre en œuvre une idée nouvelle cherches, se remet en question. Son système ­demande beaucoup d’endurance», dit-il. Les ­Rabtherm entre-temps breveté gagne continuel­ obstacles à surmonter sont nombreux, en partilement en qualité et en efficacité. C’est là l’effet culier lorsque les projets sortent de l’ordinaire. d’une autre qualité de l’inventeur: la capacité de «Mais couvrir ne serait-ce qu’une partie de nos rechercher une aide auprès d’autrui: «Il y a toubesoins en énergie par des sources renouvelajours quelqu’un dont le savoir peut m’être utile.» bles représente encore un potentiel important.» Il ajoute qu’aujourd’hui, avec l’Internet, il est A-t-il lui-même un nouveau projet? «Qui sait…», ­facile de rassembler le savoir-faire. Les solutions dit-il en souriant. Sans rien révéler pour l’insnovatrices ont permis d’accroître la performance tant, il laisse cependant entendre qu’il s’agirait à du système Rabtherm de plus de 40%. Studer nouveau d’efficacité énergétique. découvre par exemple qu’il peut augmenter le rendement thermique de plus de 30% en empêTrois hommes passionnés de savoir chant la formation du film bactérien à la surface Sur un entrepôt d’usine entre les montagnes de l’eau. Il sait aussi convaincre le plus gros de Flums et les Churfirsten, des voiles solaires ­producteur mondial d’acier, ArcelorMittal, de dé- se dressent dans le ciel comme des ailes transpavelopper un acier inoxydable au coefficient de rentes. 320 panneaux solaires mobiles sont conductivité thermique amélioré de 80%. Grâce fixés à deux câbles eux-mêmes soutenus par des à cet effort de perfectionnement permanent, pylônes de téléphérique. Ce dispositif de câble une installation est aujourd’hui rentable en deux porteur est unique au monde. Mise en service le Magazine Greenpeace Nº 2 — 201 1

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Photo: © Greenpeace / Foj tu

Pionniers de l’environnement Hanspeter Ackermann, Roland Bartholet, Arthur Buechel (de g. à d.): Le trio qui fait avancer l’entreprise Solar Wings SA


2010. Mais tout ne se déroule pas comme prévu. Buechel explique: «Après la réalisation du ­premier projet, l’étape suivante aurait dû être la ­recherche d’un investisseur. Or la crise finan­ cière a ­éclaté.» Solar Wings est donc encore en ­recherche de fonds pour monter l’entreprise. Mais les trois partenaires bénéficient tout de même de certains appuis. Dans la vallée du 1er mars 2010, l’installation photovoltaïque proRhin à Saint-Gall, les gens se connaissent et s’enduit 90 000 kWh de courant par année et couvre traident. C’est par ce biais que se réalise l’installes besoins de trente ménages. L’extension prélation sur le site de logistique de Flumroc, entrevue pour cette année permettra même de passer prise qui s’engage également en faveur des à une production de 135 000 kWh. énergies renouvelables. Un quatrième homme C’est sur le site de Flumroc, fabriquant de lai- entre alors en scène: Hanspeter Ackermann, ne de roche dans la localité de Flums, que se ­directeur de Pamag Engineering, filiale de Flum­ réalise ce projet pionnier. Trois spécialistes ont roc. Ackermann participe aux travaux de re­ inventé ce système de montage sur câble et cherche, de calcul et de construction. Grâce à la créé l’entreprise Solar Wings SA pour développer participation d’Ackermann, c’est une installaet commercialiser leur invention: Franz Baum­ tion parfaitement montée, stabilisée et orientée gartner, professeur en énergies alternatives à qui produit aujourd’hui un précieux courant la Haute école zurichoise des sciences appli­solaire. «Nous n’avons aucun problème et les traquées (ZHAW) à Winterthour; Arthur Buechel, vaux d’entretien se réduisent à peu de chose», ingénieur électricien du Liechtenstein et diplôexplique Ackermann. mé MBA; enfin Roland Bartholet, président du «L’électricité devrait si possible être pro­ conseil d’administration de l’entreprise de duite là où elle sera consommée», telle est la construction mécanique Bartholet à Flums, au phi­losophie des trois propriétaires de Solar bénéfice d’une expérience de près de cinquante Wings. Leur installation photovoltaïque s’inscrit ans en construction de téléphérique. dans cette perspective. Les pionniers sont perTrois hommes qui partagent des connaissuadés que leur construction de câble éprouvée, sances et une passion: la photovoltaïque. «C’est robuste et facilement démontable sera couronune technologie fascinante qui n’a qu’un seul née de succès. «Un avantage décisif de notre ­inconvénient, c’est qu’elle est encore assez dispositif, c’est qu’il permet d’affecter à d’autres ­chère», explique Buechel. Tandis que les coûts et usages l’espace sous les panneaux solaires», dit l’efficacité des modules solaires s’améliorent en Buechel. Un autre atout réside dans la faible permanence, les solutions de montage n’ont quantité de matériel nécessaire. «Nous pensons pas évolué. «Les parcs solaires utilisent donc des que notre système pourra être installé dans des systèmes d’assemblage qui demandent beauzones résidentielles et industrielles – que ce soit coup d’aluminium, de béton ou d’acier, ce qui fait sur des aires de stationnement ou d’entrepôt.» monter les coûts». Et pour orienter les modules L’énergie pourra donc effectivement être proen fonction de la position du soleil, les systèmes duite là où e ­ lle est consommée. utilisent de nombreuses unités motrices. «Un Contribuer à la sauvegarde de l’environnefacteur qui augmente le coût, mais aussi le travail ment, c’est pour Buechel «un sentiment magnide maintenance.» fique». L’énergie solaire recèle selon lui un fort Buechel, Baumgartner et Bartholet parta­potentiel. Le point décisif est de maîtriser les gent une conviction: «Dans ce domaine, la coûts. «Il y a beaucoup à faire, surtout sur le plan ­technologie et l’innovation peuvent induire un du stockage de l’énergie, qui pose encore pro­ changement rapide et radical.» Après les pre­ blème.» Mais ce n’est qu’une question de temps: mières réunions en 2007, les travaux avancent «Les solutions intéressantes existent à l’état ra­pidement. Un prototype est réalisé au prind’ébauche, il faut maintenant les développer. Et temps 2008, suivi d’un projet pilote en Allemaécouter davantage ceux qui présentent des gne en décembre de la même année, et enfin par ­solutions plutôt que ceux qui ne font que ressasl’installation de Flums qui est montée en février ser les problèmes.» Entrepreneur aguerri, il sait

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«Les solutions intéressan­ tes existent à l’état ­d’ébauche, il faut mainte­ nant les développer»

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Photos : © G reenpeace / F o j tu

Pionniers de l’environnement

Urs Studer: «Mettre en œuvre une idée nouvelle ­demande beaucoup d’endurance»

combien il faut lutter pour faire aboutir des idées et des produits novateurs: «Avancer pas à pas pour avancer lentement, mais sûrement.» Hasan Isik et ses turbines L’histoire de Hasan Isik est celle d’un inventeur qui attend encore la percée de son projet. D’origine turque, cet inventeur professionnel vit en Suisse orientale et a déjà déposé une série de brevets. Notamment pour une brosse à dents avec éclairage intégré ou un système d’aération des toilettes économisant 90% de l’énergie normalement consommée. Mais la spécialité de cet autodidacte, ce sont les turbines. Isik connaît le sujet à fond. Il explique sa dernière invention par le dessin et le geste. «C’est une turbine de production d’énergie par les cours d’eau. Elle s’adapte à diverses conditions extérieures et présente un rendement comparativement élevé.» Comment fonctionne cet engin? «Au lieu d’une fixation rigide, les pales sont insérées dans la turbine de manière articulée, ce qui réduit la friction et donc la perte énergétique.» Cet homme de 44 ans est en mesure de décrire comment et pourquoi des éléments gonflables permetMagazine Greenpeace Nº 2 — 201 1

tront d’accroître l’efficacité de la turbine et de moduler des solutions individuelles. «Une bonne idée», c’est ce qu’il entend chaque fois qu’il présente son projet. Isik s’est adressé à l’EPFZ, à la Haute école zurichoise des sciences appliquées (ZHAW) de Winterthour, au département de l’énergie de son canton et à d’autres services spécialisés. Il est très satisfait du soutien scientifique reçu: «Les chercheurs et les spécialistes se disent convaincus de mon ­invention.» Il en a déjà déposé le brevet. Mais il lui manque encore le prototype qui permettrait d’effectuer les mesures nécessaires, étape coûteuse qu’il ne peut pas financer par lui-même. Isik n’abandonne pas pour autant, il lutte pour la réalisation de son projet. C’est d’ailleurs pour cela qu’il est venu d’Istanbul en Suisse, pays riche en cours d’eau, il y a cinq ans. Il est vrai qu’il s’attendait à moins de difficultés. Pas d’argent, pas (encore) d’investisseur prêt à donner une chance à sa turbine – tout cela est un peu décourageant. Mais Isik ne perd pas espoir de voir son projet prendre forme. Il pose un doigt sur son front: «Vous savez, ma tête ne cesse jamais de penser – jamais!»

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À armes égales, le courant vert est gagnant Par Marc Gusewski

Tournant énergétique

La législation suisse sur l’approvisionnement en électricité privilégie les monopoles électriques. Les producteurs ­indépendants de courant vert et les pionniers de l’énergie sont laissés à eux-mêmes. Le tournant énergétique vers la ­décentralisation ne semble pas encore être à l’ordre du jour. Les quatre tours de Hardau se dressent dans le ciel de Zurich. Bien connues des passagers des trains qui arrivent en gare de Zurich, elles ­forment le plus grand ensemble résidentiel de la ­ville. Elles en sont aussi, après l’hôpital muni­ cipal de Triemli, le plus gros consommateur d’énergie. Depuis 1990, deux microcentrales produisent le courant et la chaleur nécessaires. ­Devenues trop anciennes, le gouvernement de la ville prévoit de les remplacer par une pompe à chaleur, certes favorable au climat mais tout de même grosse consommatrice de courant. Un cas malheureusement typique. Etendu à l’échelle de la Suisse, le système pratiqué à ­Hardau, qui consiste à exploiter du gaz naturel pour la production de courant et de chaleur, ­permettrait de produire plus d’électricité que la centrale de Leibstadt. La part de ce système de couplage chaleur-force (CCF) dans la production totale de courant est pourtant en stagnation. Le bilan en termes d’énergie décentralisée est mitigé. Publiées en mars dernier, les statistiques CCF 2009 de l’Office fédéral de l’énergie ­indiquent que l’efficacité énergétique n’a pas ­progressé depuis la fin des années 1990. Seuls les ­incinérateurs de déchets ménagers ont produit plus de courant. Les énergies renouvelables ­(solaire, éolien, biomasse) produisent environ 850 millions de kWh de plus qu’en 1990, soit la moitié de la consommation annuelle de la ville de Bâle. Cela semble beaucoup, mais la ­consommation nationale a progressé douze fois plus ­durant la même période, avec environ 10 milliards de kWh. Après la catastrophe de Fukushima, les projets de centrales nucléaires à Beznau, Mühleberg et Gösgen ont du plomb dans l’aile. Les discusMagazine Greenpeace Nº 2 — 201 1

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sions politiques se déplacent vers la question des grandes centrales à gaz. Les solutions décentralisées sont ignorées, comme elles l’étaient déjà dans la «stratégie des quatre piliers» du Conseil fédéral. Elaborée en 2007, cette stratégie mise sur l’efficacité énergétique, les énergies renou­ velables, les grandes centrales et la politique énergétique extérieure, ce dernier pilier recouvrant notamment l’acquisition de gaz naturel. Les tarifs de l’électricité sont biaisés «Malgré quelques efforts de la Confédération, les conditions-cadre ne sont pas équitables pour la rentabilité de la production de courant vert et l’efficacité énergétique», commente ­Andreas A ­ ppenzeller, directeur d’ADEV Energie­ genossenschaft, une société pionnière du courant vert, basée à Liestal. Pourtant les fonds ­nécessaires sont là: «l’argent n’est pas le problème, il y en a suffisamment.» ADEV compte parmi les rares producteurs de courant écologique actifs à l’échelle natio­nale. La coopérative a été fondée en 1985 par des planificateurs en énergie et des responsables de la ­politique énergétique. Elle exploite des microcentrales décentralisées en Suisse, en Allemagne et en France. Près de 15 millions de fonds propres ont été placés. La production annuelle s’élève à environ 14 millions de kWh de courant écologique, pour une valeur d’environ 4 millions de francs. Le prix de marché est un problème pour les investisseurs, car il détermine en partie le niveau de la rétribution à prix coûtant du courant injecté (RPC) introduite en 2009. Lorsque le prix de l’électricité baisse, la rétribution pour le courant vert diminue elle aussi. Dans le pire des cas, ­l’exploitant se retrouve en déficit. «Personne n’a


Energie verte

encore vraiment étudié cette corrélation», dé­ clare Appenzeller. Quel serait le véritable prix de marché pour l’électricité? Selon les observateurs, les tarifs ­actuels sont biaisés. Au cours des dix ou quinze dernières années, les consommateurs auraient amorti malgré eux de manière anticipée les ­investissements de la branche électrique à hauteur de 8 ou 10 milliards de francs, notamment la centrale nucléaire de Leibstadt. Conséquence: les frais de production des géants de l’électricité sont historiquement bas. Le secteur de l’électri­ cité a constitué des réserves de 15 à 20 milliards de francs, comme l’indiquent les rapports ­annuels des sociétés. Ces fonds permettent aux monopoles de l’énergie de financer leurs projets actuels et futurs. Cette situation est inédite. Une même génération de consommateurs finance les anciennes centrales, leur exploitation actuelle et les ­investissements futurs. D’ailleurs, les industriels suisses s’en plaignent; aux côtés de l’Union ­suisse des arts et métiers, ils luttent de longue date contre les prix excessifs de l’électricité. On ne peut pourtant pas soupçonner ces acteurs d’un excès de zèle écologique... Les règles devraient être les mêmes pour tous. La coopérative «Greenpeace Energy», à Hambourg, a par exemple tiré profit de l’ouver­ ture du marché de l’électricité allemand pour promouvoir l’énergie renouvelable et décentralisée. Martin Schaefer, porte-parole de la coopé­ rative, précise: «Les affaires marchent bien ­depuis que la politique a mis tous les acteurs sur un pied d’égalité.» La société a d’ailleurs ­présenté une étude à la mi-avril qui montre que «l’énergie éolienne et hydraulique est déjà moins chère que le charbon et le nucléaire.» La loi suisse sur l’approvisionnement en électricité (LApEl) de 2009 privilégie les monopoles partiels et les grands producteurs d’élec­ tricité. Les cantons accordent en effet aux opérateurs un accès au réseau et des concessions d’utilisation sans faire jouer la concurrence. Les propriétaires de centrales peuvent en outre ­répercuter sur leur clientèle les frais de base pour l’exploitation du réseau. Et la loi autorise un ­gonflement considérable des frais de distribution du courant, l’autorité de régulation ne pouvant intervenir que dans des cas extrêmes. Andreas Appenzeller, directeur de la coopérative ADEV de Liestal, revient sur ce point: «Notre seule chance Magazine Greenpeace Nº 2 — 201 1

serait d’être soumis aux mêmes règles qu’eux.» Selon les calculs d’ADEV, l’instauration de règles équitables provoquerait un véritable envol de la production indépendante de courant vert. Timidité face au tournant énergétique Rolf Wüstenhagen, de l’institut d’économie et d’écologie de la Haute école de Saint-Gall, confirme les analyses d’ADEV sur les raisons qui pénalisent les petits producteurs écologiques. Lorsque des producteurs comparent des projets de centrales, leurs estimations de rentabilité se fondent souvent sur les coûts de revient: «On ­oppose ainsi un courant soi-disant bon marché, issu du nucléaire et du charbon, aux énergies ­renouvelables réputées chères.» Les priorités de la politique énergétique ­devront donc être repensées. Une étude récente indique les pistes à suivre. Intitulée «L’efficacité électrique et les énergies renouvelables: une ­alternative rentable aux grandes centrales», elle a été mandatée par Greenpeace, la Fondation suisse de l’énergie, le WWF, Pro Natura, les cantons de Bâle-Ville et de Genève et les services ­industriels bernois EWB. L’étude conclut que l’échec du tournant énergétique est imputable aux défaillances de la politique: «Le cœur de la stratégie de promotion de l’efficacité électrique et des énergies renou­velables, ce serait une taxe d’incitation sur le c­ ourant qui augmenterait la compétitivité de ­l’efficacité et des énergies renouvelables de ­manière à permettre leur percée sur les marchés.» Or, c’est justement l’écueil auquel se heurtent, depuis des décennies, toutes les tentatives politiques d’engager un tournant énergétique. En décembre dernier, le Conseil fédéral a encore prolongé d’une année le monopole de l’élec­­ tricité au profit des opérateurs actuels et annoncé des prolongations ultérieures. Dans ces conditions, les pionniers de l’énergie et les producteurs de courant vert n’ont qu’une chance minime de s’imposer face aux prestataires traditionnels. La banque Sarasin, spécialisée notamment dans les énergies renouvelables, constate ­pourtant: «En 2008, les installations de production d’électricité à base de sources renouvelables ont dépassé en nombre en Europe et aux EtatsUnis les installations traditionnelles.» A armes égales, les énergies renouvelables s’imposeraient très certainement pour la production électrique de demain.

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Photo : © K laus Ró zsa / Ex -Press P hoto: © L üthy &Ledergerber /imagopress .com

Tournant énergétique Actions de résistance: en janvier 1969, les protestations s’élèvent après l’accident du réacteur expérimental de Lucens, et le 2 juillet 1977 à Däniken contre la centrale nucléaire de Gösgen. Magazine Greenpeace Nº 2 — 201 1

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Une troisième chance pour la Suisse

Une troisième chance pour la Suisse

Par Kaspar Schuler, responsable Greenpeace de la campagne climat & énergie

Le premier accident s’est produit dans un réacteur nucléaire suisse construit de manière dilettante. Le deuxième à cause de l’économie planifiée soviétique. Le troisième au Japon, un pays hautement industrialisé. Quand la Suisse optera-t-elle enfin pour un approvisionnement énergétique propre et sûr? Kaspar Schuler explique comment il a vécu cette impasse depuis 33 ans et quelles sont les exigences de Greenpeace. Première chance: le 21 janvier 1969

offrant une alternative à une consommation effrénée d’énergie: «Au lieu d’encourager la production énergétique en construisant de granLe premier réacteur nucléaire suisse a été mis des installations centralisées, il serait possible en service dans une caverne rocheuse à Lucens, de promouvoir des technologies à faible consomà proximité d’Yverdon. Il avait été développé et mation d’énergie, par exemple une isolation construit par un consortium local composé de thermique renforcée des bâtiments. Des éconoreprésentants de l’industrie, des cantons et des mies d’énergie et une véritable substitution communes. Après quelques heures d’exploita­peuvent devenir les deux composantes complétion seulement, il était hors de contrôle suite à la mentaires d’une stratégie globale d’utilisation surchauffe d’une barre de combustible qui avait rationnelle de l’énergie, les économies corresfondu. Le personnel avait été évacué et la pondant à l’aspect quantitatif et la substitution à ­caverne scellée durant des décennies. Le rêve l’aspect qualitatif de l’énergie.» Les mesures du «réacteur suisse» s’était envolé. Le rapport prévues pour la mise en œuvre de ce programme ­d’enquête ne sera présenté que dix ans plus tard. sont une taxe et un fonds pour l’énergie, des Les tentatives d’explication proposées se heurmoyens qui devraient être «utilisés de manière taient toutes à des contradictions insolubles. ciblée pour des projets de recherche et déve­ Le réacteur à eau bouillante de Mühleberg loppement dans le domaine de l’énergie, des et les réacteurs à eau pressurisée de Beznau I et II mesures d’économies efficaces, ainsi que la prosont par la suite entrés en service, suivis par motion des nouvelles technologies et des énerles centrales nucléaires de Gösgen en 1979 et de gies renouvelables locales.» Leibstadt en 1984. J’avais vingt ans quand j’ai acheté ce livre et En septembre 1978 – il y a donc 33 ans –, me suis creusé les méninges devant la com­ quelques-uns des cerveaux les plus lucides de plexité de la politique énergétique. Par la suite, Suisse en matière de politique énergétique de telles voix prophétiques sont restées lettre ­publiaient un ouvrage intitulé «Au-delà de la morte. L’Agence internationale de l’énergie recontrainte des faits: une contribution des prochera même officiellement à la Suisse son ­organisations écologiques à la conception globale gaspillage énergétique et son manque de contrôde l’énergie suisse». Les auteurs y dévelople politique. Je commence alors à mieux compaient la vision très documentée d’un appro­ prendre les tendances lourdes de la politique visionnement énergétique écologique en Suisse énergétique suisse. Magazine Greenpeace Nº 2 — 201 1

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Tournant énergétique

Deuxième chance: le 26 avril 1986 Le réacteur du bloc 4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl explose. Plusieurs dizaines de milliers de liquidateurs meurent; le nuage radioactif qui se forme en haute altitude suite à la combustion du graphite se déplace vers l’Europe de l’Ouest, survolant la Biélorussie qui souffre aujourd’hui encore terriblement des conséquences de la catastrophe. L’Allemagne est préoccupée et, au bord du lac de Constance, on enfouit les récoltes de légumes. Sur l’autre rive, en Suisse, on tranquillise les gens. En cette journée ensoleillée du 26 avril 1986, je jouais au bac à sable avec mon fils de quatre ans et son petit frère de deux ans. Aujourd’hui, je pourrais me gifler tant je m’en veux de l’avoir fait! En matière de politique énergétique, c’est toujours l’inertie la plus totale. L’économie de l’énergie fait de la publicité pour une douzaine de nouvelles centrales de pompage-turbinage dans les Alpes suisses, sous prétexte que l’Europe a absolument besoin de la «batterie de secours» que constitue l’énergie hydraulique suisse. En réalité, il s’agit déjà à l’époque de la reconversion de l’énergie nucléaire pléthorique. La population se laisse embobiner par le Conseil fédéral et le Parlement: en 1990, elle approuve le moratoire sur l’énergie nucléaire, mais refuse la sortie du nucléaire. En 2003, la prolongation du moratoire sur les centrales nucléaires est également rejetée. Les grands groupes Axpo, FMB et Atel – la future Alpiq – saisissent l’occasion: dès l’été 2008, ils projettent la construction de trois nouvelles centrales «de remplacement», d’une puissance pourtant trois fois supérieure aux précédentes.

Troisième chance: le 11 mars 2011

Après un séisme sous-marin, la centrale nucléaire de Fukushima I / Daiichi est submergée par un tsunami. Le lendemain matin, alors que je téléphone aux collaborateurs de Greenpeace et parle avec ma compagne d’aller travailler le ­dimanche, ma petite fille de sept ans commence à écrire quelque chose sur une feuille de papier qu’elle me met sous les yeux: «PAS DE TÉLÉCONFÉRENCE. NE VA PAS AU BUREAU!» Magazine Greenpeace Nº 2 — 201 1

Comme beaucoup d’autres enfants dans le monde, son appel ne sera pas entendu pendant des semaines. La situation n’était probablement pas différente en 1986, alors que Greenpeace Suisse venait de fêter son deuxième anniversaire. L’histoire se répète. Il est donc temps de se poser les questions essentielles: Allons-nous une fois de plus échouer dans le débat sur la politique énergétique? C’est bien possible. Ces prochains jours, lors de la session spéciale du Parlement consacrée à ce sujet, la conseillère fédérale Doris Leuthard doit afficher clairement sa position, au nom du gouvernement. Il y a trois ans, elle m’avait rétorqué, quelque peu excédée, que les centrales nucléaires suisses ne sont pas comparables à Tchernobyl et que la Suisse n’est pas l’Union soviétique: «Vous le savez parfaitement!» Or, Fukushima I et Mühleberg sont des centrales du même type. Le Japon et la Suisse sont deux pays hautement développés. Madame Leuthard a-t-elle tiré une leçon des récents événements? Elle fera probablement de la publicité pour des usines à gaz plutôt que pour des centrales nucléaires. L’essentiel est qu’elle continuera à militer pour de ­grandes centrales qui entravent les efforts en matière d’efficacité énergétique et torpillent une production énergétique décentralisée. Après le Conseil fédéral, c’est le Parlement qui devra prendre position en juin sur quarante interventions en matière de politique nucléaire et deux motions déposées par Grunder et ­Schmidt qui demandent explicitement la sortie de l’énergie nucléaire. Regardez bien qui va ­voter quoi. Il y a des élections cet automne… Le secteur de l’économie électrique a-t-il tiré des enseignements? Pas vraiment. Heinz Karrer, le dirigeant le plus rusé des producteurs d’énergie nucléaire en Suisse, a semblé quelque peu déstabilisé au ­début de la catastrophe et s’est publiquement demandé si renoncer à une nouvelle centrale n’était pas la meilleure solution pour Axpo. Mais début avril, il nous écrivait dans un style que l’on aurait pu croire dépassé: «Compte tenu de la situation actuelle, il est trop tôt pour prendre des décisions d’une portée plus large sur le plan de la politique énergétique.» Giovanni Leonardi, le grand patron d’Alpiq, entonne le même refrain et déclare que, person-

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Une troisième chance pour la Suisse

nellement, il ne compte pas agir: «En décidant de suspendre la procédure relative aux demandes d’autorisation générale, la conseillère fédérale Doris Leuthard a pris la décision qui s’imposait dans les circonstances actuelles. (...) Le dernier mot reviendra au peuple suisse.» Quant au directeur des FMB, Kurt Rohrbach, dès le 29 mars, il affirmait catégoriquement à Greenpeace que, malgré des fissures dans le manteau du réacteur, la centrale nucléaire de Mühleberg n’avait pas de problèmes sérieux: «Sur la base d’une première évaluation des événements au Japon (…) aucune mesure d’urgence n’est nécessaire du point de vue actuel pour la centrale. (…) Elle est conçue pour résister aux risques qui lui sont propres et dispose d’importants systèmes de sécurité.» Le contexte économique du secteur de l’énergie a-t-il changé? De toute évidence. S’agissant du débat sur la politique énergétique, Greenpeace Suisse a été la première, avec d’autres organisations environnementales, à présenter des estimations solidement étayées pour une sortie du nucléaire dans les 15 à 25 prochaines années. Le résultat est ­éloquent: grâce aux progrès technologiques, un approvisionnement électrique respectueux du climat et fondé sur les principaux piliers que sont l’énergie hydraulique, le solaire, la géothermie, la biomasse et l’éolien est possible. Notamment si, en même temps, on tire parti du potentiel d’efficacité énergétique qui est loin d’être épuisé. Nous n’avons pas besoin de grandes usines à gaz. Une sortie du nucléaire en 2035 est possible en recourant uniquement à la production intérieure. Pour une sortie plus rapide – d’ici 2025 –, nous serions obligés d’importer de l’énergie, par exemple de l’énergie éolienne. De telles importations ne signifieraient pas une dépendance unilatérale, car la Suisse est et reste, grâce à ses lacs de retenue, un partenaire incontournable pour le réseau d’interconnexion européen. L’Europe dans son ensemble pourrait d’ici 2050 assurer son approvisionnement énergétique sans recourir au charbon ou à l’énergie nucléaire, ainsi que l’a calculé une étude de Greenpeace International parue au début de l’année. Ce qu’il faut au préalable, c’est une extension des ­réseaux électriques: au niveau régional, grâce à des réseaux de distribution d’électricité intel­ ligents (smart grids), et au niveau du continent Magazine Greenpeace Nº 2 — 201 1

grâce à des lignes de transmission à haute tension et à courant continu. Un tel approvisionnement énergétique véritablement durable avait été proposé dès 1978 par les précurseurs de la politique énergétique. Il est aujourd’hui possible de le mettre en œuvre. Comme à l’époque, les deux mesures politiques les plus importantes à cet effet sont une redevance incitative sur l’énergie et la promotion ciblée d’une production d’énergie renouvelable décentralisée. La Suisse connaît déjà le mécanisme de la rétribution à prix coûtant du courant injecté (RPC). La redevance incitative n’a, en revanche, toujours pas été concrétisée. En jetant un regard rétrospectif sur les ­quarante dernières années, il n’y a pas de raison de pavoiser. Pourtant, je mise tout sur cette ­troisième chance qui s’offre aujourd’hui à la Suisse. Cela pourrait être la dernière dans un pays qui possède les plus vieilles centrales nucléaires du monde. Si une catastrophe nucléaire devait survenir à Mühleberg, ma fille n’aurait pas ­besoin de me tendre un papier pour exiger ma présence. Je resterai auprès d’elle.

Les priorités de Greenpeace après Fukushima La catastrophe nucléaire de Fukushima nous conduit à intensifier et à redéfinir notre engagement en faveur de la sortie du nucléaire. Un référendum national sur la construction de nouvelles centrales nucléaires – tel qu’il était prévu pour 2013 – n’est, espérons-le, plus nécessaire. Nous exigeons des grands groupes électriques Axpo, Alpiq et FMB qu’ils retirent définitivement leurs demandes d’autorisation générale pour deux nouvelles centrales nucléaires. Une simple sus­ pension n’est pas suffisante. Nous demandons à l’IFSN (Inspection fédérale de la sécurité nucléaire) et au Conseil fédéral de mettre immédiatement hors service la centrale de Mühleberg et de la fermer le plus rapidement ­possible. Nous attendons du Conseil fédéral et du ­Parlement une réorientation de la politique énergé­ tique suisse dès la session d’été. Contrairement à la construction de nouvelles centrales nucléaires, un approvisionnement en électricité sûr, décen­ tralisé et renouvelable renforcera notre économie dans toutes les régions de Suisse. Dès l’automne, nous ferons une tournée dans toute la Suisse pour présenter une exposition ­intéressante sur l’énergie.

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À LA RECHERCHE

CARTE

Les sites de stockage définitif des déchets

USA 1960 \ 58 490 \ tuf; à définir

Finlande

La question du stockage définitif est de facto toujours sans réponse aux USA. Après des décennies de recherche, le président Obama a suspendu le projet Yucca Mountain en 2009, préoccupé par des questions de sécurité. La commission d’experts cherche de nouvelles solutions au problème des déchets nucléaires.

1977 \ 1710 \ granite

La Finlande compte être le premier pays au monde à ouvrir un site de stockage définitif pour les déchets hautement radioactifs. La demande d’autorisation de construire à Olkiluoto devrait être déposée en 2012. Le début de l’enfouissement est prévu pour 2020. Mais comme en Suède, une série de questions reste en suspens.

58 490 tonnes a\b\c a mise en service du premier réacteur commercial b barres de combustible usé en tonnes de métal lourd c type de roche d’accueil favorisé

Allemagne 1971 \ 10 630 \ roche saline

Etat de la recherche du dépôt définitif site choisi examen d’un site en cours ou terminé

20 000 tonnes

recherche scientifique en laboratoire ­souterrain

10 000 tonnes

pas de recherche de dépôt final pays sans centrales nucléaires

Les recherches se concentrent sur le dôme salin de Gorleben, considéré comme le seul site possible. Mais dès le début, des doutes s’expriment au sujet de ce choix. Les milieux politiques espèrent néanmoins l’ouverture d’un dépôt à partir de 2035.

1000 tonnes d’éléments de combustible usé 1 mm = 1000 tonnes


E DU DÉPÔT FINAL

s hautement radioactifs restent une illusion.

Suisse

Russie

1969 \ 1440 \ argile

1954 \ 13 940 \ granite

Les éléments de combustible usé sont surtout stockés sur le site nucléaire de Mayak, en Sibérie. De premières études pour un dépôt définitif sont conduites notamment sur la péninsule de Kola. La décision de création d’un laboratoire souterrain est prévue pour 2015.

I llustration: © Jill Mattes

Trois régions en bordure de la frontière allemande devraient être examinées d’ici à 2023, sans préjuger du résultat. Indépendamment de cette procédure, le laboratoire souterrain du Mont Terri procède déjà à des études sur les argiles à opalinus.


Il n’existe toujours pas de dépôt final pour les ­déchets hautement radio­ actifs. C’est une des ­principales raisons de ­dire non à la construction de nouvelles centrales nucléaires.

AMÉRIQUES

EUROPE

Canada

France

Suède

1962 \ 35 410 \ granite

1959 \ 30 990 \ argile

1972 \ 4800 \ granite

Argentine

Grande-Bretagne

1974 \ 3370 \ à définir

1956 \ 26 320 \ à définir

Le Canada prépare la fermeture du laboratoire souterrain de Whiteshell, à Pinawa, après des décennies de recherches sur le granite. Pour la création d’un dépôt final, Ottawa mise sur les communes volontaires des régions consommant de l’énergie nucléaire.

Les éléments de combustible usé sont stockés sur les sites des centrales nucléaires.

Brésil 1982 \ 420 \ à définir

CARTE

Les éléments de combustible usé sont stockés sur les sites des centrales nucléaires.

Mexique 1989 \ 420 \ à définir

Les éléments de combustible usé sont stockés sur les sites des centrales nucléaires.

Le laboratoire souterrain de Bure étudie l’argile comme roche d’accueil. Les projets de création d’un laboratoire souterrain de granite ont échoué du fait de la résistance de la population. Bure pourrait devenir un site de stockage définitif à partir de 2025.

Le gouvernement décide en 1982 d’entreposer les déchets nucléaires pour une durée de 50 ans. Pour la recherche d’un dépôt final, Londres veut faire appel aux communes volontaires. Trois d’entre elles sont disposées à né­ gocier. L’Ecosse prévoit un ­mode de stockage particulier proche de la surface.

Ukraine 1977 \ 5950 \ à définir

L’Ukraine veut entreposer ses déchets pour une durée d’au moins 50 ans.

La Suède souhaite ouvrir un dépôt final à Forsmark «au début des années 2020». La construction devrait débuter en 2015 pour se terminer en 2070. Mais tous les aspects de la technique de stockage ne sont pas clarifiés pour l’instant.

Espagne 1986 \ 4550 \ roche saline, argile et granite

L’Espagne a reporté sa décision sur un éventuel dépôt en couche géologique profonde, arguant de la lenteur de la recherche de sites appropriés à l’échelle internationale. Pour les décennies à venir, les déchets hautement radioactifs seront entreposés dans un dépôt centralisé transitoire. Huit communes volontaires se proposent pour accueillir ce site, moyennant des paiements se chiffrant en millions d’euros.

Belgique 1974 \ 2920 \ argile

Le laboratoire souterrain de Mol s’appelle HADES (High Activity Disposal Experimental Site). Un site de sto­ ckage définitif ne sera pas disponible avant 2080.

République tchèque 1985 \ 910 \ à définir

a\b\c a mise en service du premier réacteur commercial b barres de combustible usé en tonnes de métal lourd c type de roche d’accueil favorisé

Magazine Greenpeace Nº 2 — 201 1

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La République tchèque veut choisir trois sites candidats pour un dépôt définitif en 2015. La mise en service est prévue pour 2065 au plus tôt. Mais Prague espère pouvoir profiter d’une solution internationale.


ASIE République slovaque

Pays-Bas

Japon

Pakistan

1972 \ 840 \ à définir

1969 \ 410 \ roche saline ou argile

1966 \ 21 760 \ granite

1972 \ 190 \ à définir

La Slovaquie stocke ses déchets nucléaires sur les sites de ses centrales. Elle a entamé une recherche de site de stockage définitif, mais espère une solution internationale.

Les Pays-Bas ont reporté de cent ans la solution au problème des déchets nucléaires. L’entrepôt provisoire HABOG, à Vlissingen, devrait servir jusqu’en 2103.

Hongrie

Slovénie

1983 \ 1010 \ à définir

1981 \ 240 \ à définir

La Hongrie étudie actuellement les formations argileuses aux environs de Pécs pour y installer un laboratoire souterrain. La construction débutera en 2020 au plus tôt.

Bulgarie 1974 \ 1740 \ à définir

La Bulgarie fait retraiter une partie de ses barres de combustible usé en Russie, le reste est entreposé à titre pro­ visoire. Le pays n’a pas décidé ce qu’il fera à long terme de ses déchets nucléaires.

Roumanie 1996 \ 1090 \ à définir

La Roumanie dépose ses ­éléments de combustible usé sur les sites des centrales nucléaires. Après dix ans, ils sont transférés dans un ­dépôt temporaire centralisé. Des études préliminaires sont menées en vue d’un dépôt final.

Arménie 1976 \ 300 \ à définir

Jusqu’à l’effondrement de l’Union soviétique, la Russie reprenait les déchets nucléaires produits en Arménie. ­Actuellement, le combustible usé est stocké sur le site de la centrale.

Corée du Sud

Aucun dépôt ultime ne sera opératoire avant 2050. Parallèlement à ses propres recherches, la Slovénie espère qu’une solution internationale sera mise en place.

1963 \ 1070 \ à définir

L’Italie a mis fin à sa production nucléaire en 1990, après la catastrophe nu­ cléaire de Tchernobyl. Une reprise du nucléaire est néanmoins prévue. Les ­déchets sont stockés dans les centrales nucléaires ­arrêtées, une partie du combustible usé est encore en cours de retraitement à l’étranger. Les premiers projets de dépôt final ont été mis en échec par les protestations de la population.

Lituanie La Lituanie a mis hors service sa deuxième et dernière centrale nucléaire en 2009 sur demande de l’Union européenne. Le pays prévoit d’entreposer ses déchets nucléaires pour une durée de 50 ans.

Magazine Greenpeace Nº 2 — 201 1

1977 \ 10 730 \ à définir

La Corée du Sud entend inaugurer un entrepôt provisoire central en 2016.

Inde 1969 \ 4450 \ à définir

Italie

1983 \ 1380 \ à définir

Le Japon veut ouvrir un dépôt ultime en 2035 et fait appel aux communes volontaires pour le choix du site. Le pays construit actuellement deux laboratoires souterrains à Mizunami (granite) et Horonobe (roche sédimentaire).

Le pays entretient un laboratoire de recherche sur la question du stockage ultime.

Les éléments de combustible usé sont entreposés dans les centrales nucléaires.

Iran à partir de la fin 2011 \ 0 \ à définir

Les barres de combustible usé devraient être réacheminées en Russie.

Kazakhstan 1973 / 10 / à définir

Le Kazakhstan a mis hors service sa dernière centrale nucléaire en 1999, mais ­prévoit la reprise du ­nu­cléaire. Le pays étudie ­actuellement l’élaboration d’une loi sur le stockage ­définitif des déchets.

Chine 1991 \ 3060 \ granite

La Chine étudie trois sites possibles de stockage définitif des déchets dans le désert de Gobi. La décision devrait tomber dans dix ans. Un dépôt final ne sera pas mis en service avant 2050.

Taïwan

AFRIQUE Afrique du Sud 1984 \ 530 \ à définir

Les éléments de combustible usé sont stockés sur les sites des centrales.

1978 \ 3210 \ à définir

Cet Etat insulaire revendiqué par la Chine dépose ses éléments de combustible usé sur les sites des centrales nucléaires. Selon l’opérateur national, des études préliminaires sont en cours pour définir un dépôt final. Mais étant donné la «politique d’une seule Chine» prônée par Péking, la solution d’un stockage sur le territoire de la République populaire de Chine a aussi ses partisans.

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Sources: AIEA, Agence pour l’énergie nucléaire (OCDE), World Nuclear Association, autorités nationales. Calcul des quantités de ­déchets: Österreichisches­ ­Ökologie-Institut, sur mandat du magazine Greenpeace.


LES ARBRES ET NOUS L’anthropologue Jeremy Narby décrit comment les forêts ont façonné l’être humain, et réciproquement. Il explique en quoi les forêts européennes diffèrent des forêts tropicales.

2011 – ANNÉE DES FORÊTS

Par Jeremy Narby Jeremy Narby s’est fait connaître par une étude conduite dans les forêts d’Amazonie. Intitulée «Le Serpent cosmique» et publiée à Genève en 1995, cette étude a mis en évidence une cohérence surprenante entre la science moderne occidentale et les savoirs chamaniques ancestraux. Les deux systèmes de savoir présentent une vision similaire des fondements de la vie – ce que nous appelons l’ADN ou la génétique. Jeremy Narby a vécu deux ans auprès de la population autochtone des Ashaninka pour étudier sa relation aux ressources naturelles. Le travail de recherche a pris une tournure toute particulière au contact de la drogue chamanique Ayahuasca. L’entretien mené en mars dernier avec Jeremy Narby n’a toutefois pas porté sur les hallucinations, mais sur la forêt, puisque 2011 a été décrétée année internationale des forêts par l’ONU. Jeremy Narby vit dans une vieille maison située au milieu d’un parc dont l’état révèle que son locataire n’est pas passionné par l’art du jardinage… Comparé aux paysages forestiers d’Amazonie péruvienne, l’aménagement de la verdure locale doit forcément paraître dérisoire. C’est d’ailleurs l’un des thèmes de son livre: la «maigre» biodiversité de la forêt européenne avec ses 10 000 années d’ancienneté par rapport aux forêts tropicales humides vieilles d’une centaine de millions d’années. La première fois que je me suis aventuré dans la forêt tropicale du ­Pérou, dans la vallée de Pichis, j’étais accompagnée de deux indiens Ashaninka. Nous suivions la trouée percée par les exploitants forestiers et leurs bulldozers. Jusqu’à fin de la piste. A l’entrée de la forêt, le spectacle de ces arbres immenses me ­coupe le souffle. Je pense à la cathédrale de Reims, car on se croirait dans une cathédrale végétale: hauteur du plafond de cimes, fraîcheur de l’air, acoustique particulière qui réfléchit et étouffe à la fois les bruits de la forêt… A l’époque je parlais encore de la «jungle» et m’attendais à quelque chose d’effrayant. Mais non, l’ambiance qui me happe est faite de beauté et d’hypnose. Je suis soulagé d’échapper à la chaleur et à la clarté éblouissante de l’extérieur. J’ouvre les yeux et je suis ébloui cette fois par la diversité infinie de la nature, qui me rappelle le foisonnement d’un tableau impressionniste. Chaque plante est unique. Comme j’allais le découvrir, je me trouve dans l’épicentre de la biodiversité. Un seul hectare abrite 330 espèces d’arbres – plus que l’ensemble du continent européen. Magazine Greenpeace Nº 2 — 201 1

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Les arbres, symboles d’immortalité

Les paléontologues nous disent qu’il y a 150 millions d’années, le Jura ressemblait aux Bahamas, avec des plages de sable fin et des températures de 30 degrés. Le bon vieux temps! Le Jura se situait alors à la latitude de l’actuel Maroc, au bord de la mer, et la végétation était faite de conifères primitifs. La biosphère est en évolution permanente: les continents dérivent, le climat se réchauffe ou se refroidit, les espèces apparaissent et disparaissent. L’être humain était encore totalement absent du paysage. Nous, humains, appartenons à l’ordre des primates, mammifè­ res qui se sont adaptés à la vie dans les arbres. Les premiers primates connus, il y a environ 55 millions d’années, avaient la taille d’un petit écureuil. Les dinosaures avaient déjà disparu et la Terre était chaude et humide, couverte d’immenses forêts. D’autres mammifères vivaient sur le sol, certains dangereux et de grande taille. Mais les cimes étaient le royaume des primates. Les arbres les protégeaient des dangers à terre et pourvoyaient à leur nourriture. Au fil du temps, le corps des primates s’adapte à la forêt: une colonne vertébrale verticale, longue et souple; des omoplates permettant une grande ouverture des bras; des membres allongés, des articulations souples et des pouces capables de rotation sur les mains; des doigts longs et sensibles, aptes à saisir les branches avec rapidité et précision; enfin des ongles à la place des griffes, ce qui améliore également la sensibilité. Les primates ont les yeux situés sur le devant de la tête et non sur les côtés, ce qui leur permet de mieux percevoir les reliefs. Pour des animaux qui sautent de branche en branche, savoir apprécier les distances est une faculté essentielle. C’est ainsi qu’est née notre ­vision tridimensionnelle. Un quadrupède qui se meut à terre évolue dans deux dimensions, tandis que le primate en possède trois. Vivre dans les ­arbres est une tâche complexe et dangereuse qui aiguise les sens et la vigilance. C’est pourquoi les primates ont des cerveaux relativement volumineux par rapport à leur taille. Les premiers singes anthropoïdes apparaissent en Afrique il y a environ 25 millions d’années. Certains commencent à se déplacer ­au-dessous des branches, suspendus par les bras, le torse en position verticale. C’est le début de la marche bipède. Quelques millions ­d’années plus tard, l’Afrique se dessèche et les forêts humides font place à la savane. L’occasion pour certaines espèces de primates de s’aventurer sur le sol. Les débuts de la marche sur deux jambes restent mystérieux. Mais ce sont bien ces premiers pas qui nous ont séparés des arbres. Tous les primates actuels, gorilles, bonobos et autres, sont capables de se déplacer sur deux pieds. Les grands animaux vivaient sur le sol: hyène, lion, tigre à dents de sabre. Il était donc utile pour les primates de savoir grimper aux ­arbres. Les premières espèces de l’Homo escaladaient encore les arbres Magazine Greenpeace Nº 2 — 201 1

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que ce soit pour cueillir des fruits et du miel ou se protéger des dangers. Et les arbres restent importants au quotidien, notamment pour la f­abrication d’armes et d’outils. Une particularité de l’humain est sa capacité de faire du feu. Le bois de la forêt nous réchauffe depuis la nuit des temps. Il y a 200 000 ans, l’humain moderne nommé Homo sapiens ­sapiens coupe le cordon ombilical qui le reliait aux arbres. Il découvre de nouvelles possibilités de se nourrir et de se protéger. Mais cela ne fait que 500 ou 600 générations que nous avons commencé à remplacer les arbres par des cultures d’origine humaine. En passant à l’état d’agriculteurs, nous avons commencé à considérer les arbres comme des obstacles. Il y a encore 20 000 ans, la Suisse était dépourvue de forêts. C’était l’époque de la dernière grande glaciation et certaines zones du haut plateau étaient couvertes d’une couche de glace de 300 m d’épaisseur. Les arbres étaient rares. Les zones non recouvertes de glace étaient des steppes à mammouths: froides et sèches, herbeuses et parsemées de bocages de bouleaux nains. La fonte des glaces ne commence en Europe qu’il y a 16 000 ans. Les arbres feuillus, qui s’étaient repliés au Proche-Orient, migrent à nouveau vers le Nord. Le réchauffement du climat est responsable du développement des forêts que nous connaissons actuellement. Les premières espèces à réap­ paraître sont l’olivier méditerranéen et le chêne, suivis du genévrier, du saule et du bouleau. Les arbres feuillus essaiment vers le Nord, de la Méditerranée à la Scandinavie, à la vitesse d’environ 1 km par année. La forêt de nos contrées est donc très jeune puisqu’elle n’a pas plus de 10 000 ans. La forêt amazonienne, en revanche, n’a pas subi de glaciation ou de traumatisme depuis au moins 65 millions d’années. L’in­ croyable biodiversité de l’Amazonie s’est constituée sur une durée au moins 6000 fois plus importante que les forêts européennes. Pour véritablement comprendre la forêt, il faut donc se familiariser avec la forêt ­tropicale. Il y a 10 000 ans, la jeune forêt engendre en Europe des sols pro­ pices à l’agriculture et à l’élevage bovin. Les feuilles tombées se transforment en humus. Il y a 8000 ans, la forêt ressemble déjà à celle que nous connaissons aujourd’hui. Les peuples qui pratiquent l’agriculture arrivent d’Orient il y a environ 7000 ans et commencent à déboiser les terrains à la hache de pierre. Le défrichement s’accélère avec l’invention de la hache de métal, il y a 4000 ans. L’impitoyable déforestation de l’Europe se prolonge jusqu’au début du XXe siècle. Le mot forêt provient du latin foris qui signifie «hors de», «extérieur» à la culture humaine. Les langues européennes séparent la sphère humaine de la nature, et notamment de la forêt. La culture est censée nous distinguer de la nature. Mais le sens premier du mot Magazine Greenpeace Nº 2 — 201 1

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culture est bien la «culture du sol», comme en témoigne le terme «agriculture». Or il est impossible de cultiver le sol tant qu’il n’est pas défriché. La culture suppose donc le déboisement. Nos sociétés et nos cultures sont construites sur l’opposition aux arbres. Le mot latin désignant la forêt est d’ailleurs silva, qui dans de nombreuses langues s’apparente à la notion «sauvage». Mais la vie est pleine de paradoxes et les êtres humains ont adoré les arbres tout en les abattant. Les arbres sont au cœur de nombreuses cosmologies. Il suffit de lire la Genèse, aux chapitres 2 et 3; ou de penser à l’arbre de la vie, de la connaissance du bien et du mal dans le jardin d’Eden. Ses fruits ouvrent les yeux des premiers êtres humains et leur permettent de considérer la vie du point de vue des Dieux. Avec ses racines qui plongent dans la terre et ses branches qui s’élancent vers le ciel, l’arbre est le symbole universel de l’échange ­entre le ciel et la terre. L’arbre de la Terre est aussi synonyme de l’axe terrestre. Cette vision se retrouve aussi bien dans la chaîne cosmique des Celtes que dans le frêne Yggdrasil scandinave, l’olivier de l’Orient islamique et l’arbre Bodhi à l’ombre duquel Bouddha atteignit la connaissance suprême. Les arbres perdent leurs feuilles et les réutilisent. Ils symbolisent le cycle de la vie et de la mort. Les arbres jouissent d’une longue vie. La plupart d’entre eux vivent pendant des siècles, voire plus d’un millénaire pour certains. Par leurs pousses, ils gagnent même une forme d’immortalité. Les arbres dominent le temps qui passe. La plupart des arbres ne sont pas solitaires mais vivent en colonies. Leurs bourgeons sont en revanche des plantes autonomes. Il est possible de diviser un arbre sans le faire mourir – une idée qui va à l’encontre de notre conception de l’individu. L’arbre est un organisme ambivalent, à la fois individuel et collectif. Les arbres dépassent tous les autres êtres vivants en taille, poids et longévité, et ce sont eux qui s’approchent le plus du ciel, bien qu’ils soient enracinés dans la terre. Nous entretenons un rapport ambivalent, fait d’amour et de ­hai­ne, aux arbres. Nous avons récemment commencé à abattre les ­arbres à l’échelle continentale tout en continuant à les révérer. Ce compor­tement a quelque chose du parricide ou du matricide. L’Homo sapiens a commencé par couper le cordon ombilical qui le liait aux ­arbres avant de couper les arbres eux-mêmes. Heureusement, il n’est pas trop tard, nous n’avons pas encore abattu tous les arbres de la ­planète. Les arbres ont façonné notre existence. Ils assainissent l’air que nous respirons. Sans eux, nous ne pourrions probablement pas exister. Un monde sans arbres serait un monde sans êtres humains.

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Photos: © Lu Guang / Greenpeace

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POISON LIQUIDE La Chine accélère son industrialisation sans se soucier des ­conséquences. Résultat: de nombreux cours d’eau se transforment en dépotoirs insalubres. Photos de Lu Guang

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Membre de la campagne Greenpeace, cette femme prélève un échantillon d’eau d’un fleuve pollué à Dadun, près de la ville de Xintang (province de Guangdong). Ce fief de l’industrie ­textile est fortement contaminé. Greenpeace a mis en évi­dence les effets de la pollution sur les habitants. 2 Dans la région de Yanglingang, les produits de la pêche sont contaminés. Les pêcheurs vivent à proximité d’une industrie lourde à assainir de toute urgence. 3 Un canal près de Gurao, dans le district de Shantou, est à ce point souillé d’ordures que la vie animale en est pratiquement bannie. Une menace également pour la population des environs. 4 Des écolières de Gurao rejoignent leur domicile à bicyclette. La main plaquée sur la bouche, elles n’ont pourtant aucune chance d’échapper à la pollution atmosphérique. 5 L’usine de papier de Yanglingang sur le Yangtsé est un pro­ blème pour les pêcheurs de la région. Leurs filets sont constam­ ment obstrués de déchets.

Poison liquide

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L’eau potable devient un bien rare, en particulier en Chine et en Asie du Sud-Est. Souvent peu contrôlée, l’industrie de ces régions compromet gravement la santé des êtres humains et l’intégrité de l’environnement. Une étude internationale menée par Greenpeace met en ­évidence les effets désastreux de cette évolution sur les cours d’eau et leurs riverains. En Chine, le Yangtsé est dans un état déplorable. 400 millions de personnes et la moitié des usines du pays sont situées à proximité du fleuve. Les polluants déversés dans le Yangtsé se retrouvent jusqu’en Mer de Chine orientale. Les cancers se multiplient dans de nombreux villages. Un décompte non officiel identifie près de 500 ­«villages à cancer». Si les causes exactes de ce phénomène ne sont pas encore connues, il est fort probable qu’elles soient liées aux substances toxiques émises par les usines dont le mode de production n’est pas du tout respectueux de l’environnement. L’étude de Greenpeace met aussi en évidence des cas de productions néfastes dans l’hémisphère Nord, qui devraient faire réfléchir les ­sociétés du Sud. En effet, l’assainissement écologique coûte souvent le centuple des profits issus d’une telle production. Et les fonds manquent Magazine Greenpeace Nº 2 — 201 1

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fréquemment pour mener à bien les réhabilitations environnementales. Le rapport conclut que pour éviter les dégradations de l’environnement, il faut exclure les poisons à la source c’està-dire les bannir de la production. L’étude «Hidden Consequences of Water Pollu­ tion» (Les effets invisibles de la pollution de l’eau) est le coup d’envoi de la campagne mondiale de Greenpeace pour une eau salubre. Vous trouverez cette étude basée sur d’amples recherches sur www.greenpeace.org, photos et interviews à l’ap­ pui.


UN HOMME QUI A PRIS ­RACINE

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Récit recueilli par Sarah Chevalier

Lorenzo Pellegrini arpente les forêts de la Vallée de Joux depuis plus de 50 ans. Il connaît le bois qui se prête le mieux à la fabrication des guitares et des violons, et les arbres lui racontent bien davantage que les humains.

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«A 5 ans, j’ai appris comment fabriquer du charbon de bois pour le fer à repasser de ma mère. Plus tard, je passais jusqu’à sept mois par année dans les Abruzzes comme bûcheron. Je fabriquais des sabots et vendais le bois de moindre qualité pour le chauf­fage. Je m’étais construit une cabane, à cinq heures de marche du village le plus proche. Je ne travaille qu’à la hache pour abattre un arbre, sans les techniques modernes. Le bois se coupe en hiver, quand la sève est basse. Et il faut attendre la bonne lune, la lune décrois­ sante. Quand j’abats un arbre, je le laisse s’assécher dans la forêt. Si le bois devient bleu, c’est un signe de moisissure. Le bois le mieux adapté aux besoins des luthiers, on le fait sécher pendant une vingtaine d’années. Depuis cinquante ans que je vis au Jura, je prends soin des forêts, j’élague les arbres quand les troncs sont trop serrés. La plupart du temps, je me promène seul, j’écoute ce que me dit la nature. Quand j’examine les écorces, les branchages et les racines, je sais toute de suite quand un arbre est parfait. Dans notre région du Jura, on trouve un bois au cœur très sec. L’eau est rare, les racines s’étendent souvent sur 100 mètres de distance pour tirer assez d’humidité dans le sol calcaire. Ce bois, qui ne doit pousser que d’une tête par an, se prête bien à la fabrication des guitares et des violons. Mais il faut veiller à choisir des troncs sans grandes ramifications. J’ai beaucoup de respect pour les arbres. En novembre dernier, nous en avons abattu un qui avait bien 800 ans. Qu’est-ce qu’une vie hu­ maine à côté de celle d’un arbre? Le temps prend une autre signification. Plus un arbre est vieux, plus sa structure devient fine. Il arrive qu’on ait besoin d’une loupe pour lire les cernes de croissance sur une souche. Il existe entre la forêt et moi une unité qui m’est indispen­sable. La forêt est mon refuge, mon univers.» Retrouvez le portrait de Lorenzo Pellegrini, l’homme des forêts, dans un livre d’Anne-Lise ­Vullioud ­intitulé «Le cueilleur ­d’arbres» et un DVD, à ­commander tous deux au prix total de 79 CHF auprès de l’auteure: info@annelisevullioud.ch.

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P hoto: © A nne-L ise Vullioud

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Au milieu des arbres, Lorenzo Pellegrini est dans son univers.


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de produire que je connais, c’est une absurdité. J’ai vu l’industrie textile se transformer. J’ai voulu créer un prestataire de services utiles à tous. Combien de travailleurs compte le réseau de production lié à votre entreprise Remei? Cet entretien avec Patrick ­Hohmann, Nous coordonnons 54 entreprises, qui occu­fondateur de l­ ’entreprise pionnière pent entre 80 000 et 100 000 personnes. du ­textile biologique Remei, a été conduit Remei était à l’origine une entreprise conventionnelle. Comment avez-vous dépar Hannes Grassegger. couvert la production biologique? Par une publicité du WWF qui présentait le coton cueilli à la main. C’était en 1990, je crois. Le dépliant parlait de la récolte à la main comme d’une bonne chose. C’est vrai d’ailleurs, car ce mode de récolte évite l’usage d’agents défoliants. Mais je me suis dit que je n’allais pas m’arrêter là. En fait, ce n’est qu’aux USA que la cueillette à la main était inhabituelle. Au niveau mondial, 70% du coton était de toute manière récolté à la main. Visitant mes filatures en Inde peu après, j’ai interrogé mes fournisseurs sur la provenance de leur coton. Ils m’ont répondu qu’il venait de C’est un «patron» à l’ancienne qui fait travailler loin. Mais pourquoi ne pas produire sur place, et son fils dans sa propre entreprise. Lui-même fils faire du coton biologique? Leur première réaction à ma question a été le rire. A l’époque il n’y d’un négociant en textile, élevé en Egypte et au Soudan, il a pendant des décennies pratiqué avait pas encore de mouvement en faveur de la production «bio». Neuf mois plus tard, je repose une production textile conventionnelle. Mais en 1990, sa vie prend un tournant qui fera jaser ma question au responsable de la filature de ses collègues: il adhère aux valeurs écologiques. Maikaal, qui me répond: «Allons-y!» Vous êtes la cheville ouvrière de l’entreprise Et ne fait pas les choses à moitié. Depuis 2005, son entreprise ne fabrique plus que des produits Remei. Vous vous qualifiez vous-même de biologiques. Les temps sont durs, les obstacles patron. Votre entreprise n’a rien de révolutionnaire, à première vue. ne manquent pas, les escrocs non plus, les prix Presque tous les collaborateurs possèdent fluctuent. Mais Hohmann aime se battre. Dans une participation (Hohmann brandit un registre ce secteur, il faut des valeurs, dit ce patron d’actionnaires). Une entreprise qui émet des aujourd’hui convaincu de la participation. Il a actions nominatives! Ai-je vraiment dit «patron»? développé une éthique d’entreprise toute J’ai un style de conduite assez large et j’essaie ­particulière. d’être un bon patron qui écoute son personnel. Je coordonne une équipe dirigeante composée Hannes Grassegger: Dernièrement, lors de la visite de vos champs de coton «bio» en Inde, de six personnes. Moi et mon fils sommes les seuls hommes dans cette équipe de direction. vous avez révélé que la culture du coton Un bon patron? Mais quelles sont vos van’est plus une affaire rentable. Mais ayant leurs d’entrepreneur? engagé votre parole, vous vous sentez Je voudrais garantir la qualité, mais aussi la ­responsable. Etes-vous passé de l’homme justice des prix. La qualité, c’est tirer le meilleur d’affaires au visionnaire? Patrick Hohmann: Même simple homme d’affai- du produit. La justice des prix, c’est travailler de manière à ce que toutes les personnes implires, j’étais déjà visionnaire. Je voulais gagner beaucoup d’argent, faire une belle carrière. Mais quées puissent se développer et recevoir la part qui leur est due – et non qu’une personne mette la vie nous fait évoluer. On fait des rencontres, la main sur les bénéfices tandis que les autres ne on fonde une famille. Avec l’âge, on comprend gardent que les miettes. davantage. A 40 ans, je me suis dit: la manière

Agriculture

Un visionnaire, mais pas un rêveur: Patrick Hohmann, patron de l’entreprise ­Remei, passe pour un entre­ preneur attaché à l’éthique, qui parvient à faire le lien entre le «bio» et le business.

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Photo : © F lorian Jaenicke / w w w.greenpeace- magazin .de

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Patrick Hohmann avec des ouvriers agricoles indiens: La culture «bio» est une lutte sans relâche. Le génie ­génétique est l’illusion de la simplicité. Lorsqu’on coopère avec des milliers de partenaires, comme je le fais, il n’est pas possible de trancher dans chaque cas particulier. Ce qu’il faut, ce sont des règles. Et c’est justement ce qui est difficile: trouver des règles et sensibiliser le personnel à leur application. C’est la clé du succès. Créer une entreprise structurée autour de règles qui doivent rester vivantes, évolutives. Le bilan de l’entreprise est chaque fois l’occasion de nous demander: quel est l’effet de notre activité sur les paysans? Vous vous mettez donc à la place des autres? Oui! J’adopte la perspective du paysan, mais aussi du client final. Vous dites que votre éthique d’entrepreneur consiste aujourd’hui à être utile tant aux fournisseurs qu’aux clients, pour que Remei constitue une valeur et non seulement un coût. Je ne crois pas qu’il y ait contradiction entre l’économie et l’éthique. Sans la dimension éthique, l’économie échappe à tout contrôle, tandis que l’économie éthique parvient à l’équilibre. Trop d’éthique nuit à la rentabilité, mais trop peu d’éthique nuit à tout le reste. Trouver Magazine Greenpeace Nº 2 — 201 1

un équilibre entre l’offre et la demande, voilà une activité qui construit des ponts, qui crée de la valeur. C’est ainsi que nous voulons générer les bénéfices de notre entreprise. L’utilité de notre firme pour la clientèle réside dans le fait que les partenaires sont gagnants à l’échange. Vous testez aussi des méthodes biodyna­ miques. Quelle importance accordez-vous à l’anthroposophie? L’anthroposophie m’apporte des réflexions qui favorisent la coopération transculturelle. Notamment l’idée que chacun est libre de suivre son propre univers de pensée. Et que chacun étant tourné vers l’autre, il est absurde de pratiquer une activité économique seulement pour soi-même; c’est toujours aussi pour autrui que nous travaillons. Enfin que nous sommes tous égaux devant la loi et que les règles s’appliquent à chacun. En respectant ce principe, il est possible d’avoir des échanges économiques mondiaux sans répression, sans imposition de règles. Nous proposons les méthodes biody­namiques, mais nous ne les imposons pas à nos paysans. Suite à la crise que traverse le coton biologique depuis 2009 et à un grave problème per-

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Photo : © bio R e / B ö thling Photo: © bioRe / B öthling

Agriculture

Récolte de coton à Kasrawad, en Inde: «Il n’y a pas contradiction entre l’économie et l’éthique. Sans ­l’éthique, l’économie échappe à tout contrôle; avec, elle parvient à l’équilibre.»

Travail à la main: «Je ne peux imaginer de vivre sans lutter pour la production biologique ou pour une ­économie consciente de ses responsabilités socia­ les. Les valeurs sont au cœur de notre action.» Magazine Greenpeace Nº 2 — 201 1

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sonnel de santé, comment avez-vous eu la force de reprendre les rênes de l’entreprise? Mais c’est toute ma vie! Je ne peux pas imaginer de vivre sans lutter pour la production biologique ou plus généralement pour une économie consciente de ses responsabilités sociales. Je veux réussir une production à la fois rentable et durable. Même si cela ne semble pas toujours possible, je souhaite que les personnes qui coopèrent avec moi tirent un avantage de cette collaboration. Je constate que ce n’est pas encore gagné. Il faut poser des bases bien plus larges, associer davantage de personnes à cette démarche. Un patron à lui seul ne suffit pas. L’idée de la coopération participative doit être développée et étendue à toute la chaîne de production, du paysan jusqu’au commerce de détail. Le vieux modèle de la concurrence horizontale est mort. Quelle est l’importance des valeurs pour un acteur de la production biologique? Je pense que les valeurs sont au cœur de notre action. En termes de valeurs et de croyances, comment la critique, notamment de la part des médias, peut-elle faire avancer la production biologique? Je ne suis pas un donneur de leçons. Et les critiques me dérangent parfois. Mais j’en tiens compte et je me dis qu’il pourrait y avoir du vrai dans ce qui se dit. La critique est une dimension importante de notre travail. Nous essayons d’en tirer profit pour améliorer notre performance. En 2010, les médias ont diffué des informations sur des produits biologiques contaminés par des organismes génétiquement modifiés. Cela nous a incités à renforcer notre système de contrôle. Et nous avons constaté que nous devons redoubler d’efforts pour tenir tête au génie génétique. Votre rapport annuel 2009 mentionnait déjà de sérieux problèmes dans ce domaine. La production «bio» n’avait encore jamais fait preuve d’une telle franchise. Quel ­avantage pour vous? Je ne me soucie pas de ce que pensent les autres. Dire la vérité est le meilleur moyen de ne pas devoir se remémorer ses propres déclarations. La culture biologique n’est pas simple. Il faut lutter. Seuls les partisans du génie génétique veulent nous faire croire que les choses sont Magazine Greenpeace Nº 2 — 201 1

simples. Cela ne correspond pas à la réalité. Travailler en contact avec la réalité, c’est aussi se heurter à des résistances. Si l’on veut associer autrui à sa propre démarche, il faut dire la vérité. Mais Remei a perdu des milliers de paysans, peut-être en raison des contrôles plus ­poussés que vous pratiquez. Ne surestimezvous pas le problème du génie génétique? Non, il faut prendre la menace du génie génétique très au sérieux. C’est une culture qui repose sur la plus pure empirie. Vous avez d’abord la révolution verte; puis vous constatez qu’il y a trop de mauvaises herbes; alors vous les bombardez d’herbicides et éliminez par la même occasion les insectes utiles. Cela vous amène à asperger les plantes de pesticides pour les protéger des parasites. Or ceux-ci se sont répandus à la surface inférieure des feuilles et la prochaine étape est donc d’empoisonner la plante elle-même… Le génie génétique crée une perturbation permanente, y compris du point de vue social. Avec nous, les paysans se sont débarrassés de leurs dettes. Revenant au génie génétique, ils se retrouvent à nouveau couverts de dettes. Il faut trouver un équilibre. Cela ne passera pas par l’empoisonnement des champs. Il faut modifier nos schémas de pensée! La culture biologique instaure un rapport de force équilibré. Je suis trop vieux pour croire au génie génétique. Il y a trop de contradictions. Les efforts déployés pour les pratiques éthiques réduisent vos bénéfices. L’entreprise est financièrement saine, surtout en regard de la situation des autres entre­ prises textiles. Nos comptes sont excédentaires. Mais les profits ne sont pas la seule dimension. Il faut gagner de l’argent pour développer une action sociale. Nous voulons créer des bénéfices et nous nous donnons des objectifs dans ce ­domaine, mais nous voulons davantage. L’entreprise textile Remei, à Rotkreuz près de ­Lucerne, est un grand nom de la production textile biologique. Environ 7000 paysans d’Inde et de Tanzanie produisent du coton pour Remei, qui se conçoit comme un coordinateur. Les vêtements Remei passent par un système de production à plusieurs niveaux avant d’aboutir dans les rayons de Monoprix, Coop et Mammut. Greenpeace mise également sur l’entreprise Remei.

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«Du Hagu-Hans du Brésil, ce ­serait quand même absurde» Entretien réalisé par Claudio De Boni

Agriculture

Pour les pays producteurs, la culture de soja signifie monocultures, pesticides, érosion, pollution et ­concurrence à l’alimentation de la population. Martin Aebi (35 ans) et sa femme Gudrun (30 ans) sont tous les deux issus de familles paysannes et ont trois enfants. Ensemble, ils élèvent des vaches et des cochons dans les collines de l’Emmental. Dès cette année, leurs vaches vont passer au fourrage vert, car les importations de soja en provenance des pays d’outre-mer sont écologiquement et socialement problé­ matiques. Un changement qui s’avère toutefois assez ­compliqué en pratique. Greenpeace: Martin Aebi, vous élevez seize vaches. Que mangent-elles et combien de lait donnent-elles? Martin Aebi: En été, les vaches broutent l’herbe des pâturages. En hiver, elles mangent du foin et des aliments concentrés. Une vache donne en­ viron 6000 litres de lait par an, quoique la quantité dépende de la race. Nous aurions de la place pour dix-neuf vaches, mais nous atteignons déjà nos quotas avec seize. A l’avenir, vous souhaitez si possible nourrir vos vaches uniquement avec de l’herbe. Pourquoi? C’est un reportage à la télévision sur les ­importations d’aliments concentrés en provenance de pays d’outre-mer qui a servi de déclic. Le soja, importé en quantités toujours plus importantes, est une composante essentielle de cette alimentation concentrée. Je savais depuis mes études au lycée agricole que cela pose Magazine Greenpeace Nº 2 — 201 1

­ roblème, mais je ne pensais pas qu’il soit possip ble, économiquement, de renoncer aux aliments concentrés. Une alimentation uniquement à base ­d’herbe est-elle tombée en désuétude chez les paysans? Effectivement. L’utilisation d’aliments concentrés est devenue la norme depuis quelques années. La plupart des paysans souhaitent avant tout obtenir des performances laitières élevées par tête. C’est ancré dans les esprits et cela complique le passage au fourrage vert. On vous regarde de travers lorsque la production moyenne par vache laitière baisse. Mon objectif est de produire le plus possible de lait par hectare de terrain. C’est une unité de mesure plus sensée, mais qui n’est malheureusement pas récompensée jusqu’à présent. Quels sont les plus gros obstacles à cette ­reconversion? Un tel changement ne s’opère pas du jour au lendemain. Le plus difficile est le manque d’échange d’expériences. Comment peut-on ramener des vaches élevées avec une alimen­ tation concentrée à un fourrage local? Il n’existe pratiquement aucune donnée fiable sur ce s­ ujet. Par ailleurs, il est difficile d’évaluer quelles races réagissent à quel changement de ­fourrage et combien de lait elles vont encore donner. C’est pourtant un élément décisif, car pour nourrir une famille de paysans de cinq personnes, il faut pouvoir le calculer avec précision. Le «lait vert» devrait donc certainement coûter plus que le lait produit à partir d’aliments concentrés conventionnels. La qualité a un prix. A combien s’élèveront les pertes quanti­ tatives dans la production de lait après le changement? Nous estimons que nos vaches produiront en moyenne 20 à 25% de lait en moins. Il n’est pas sûr que nous puissions compenser cette ­baisse de revenus avec les économies réalisées en achat de fourrage. Car produire plus de foin ­signifie aussi plus de frais. L’élevage doit également être adapté, aussi bien en ce qui concerne le croisement des races que le rythme des naissances. Beaucoup de choses sont imprévisibles, mais après tout, nous travaillons avec la nature. Vous prenez volontairement un risque en procédant à ce changement. Le souci des conséquences écologiques et sociales de la production de soja est-il votre seul motif ?

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Photo : © G reenpeace / S cheu

«Du Hagu-Hans du Brésil, ce serait quand même absurde»

Non. J’en attends aussi des vaches plus s­ aines. De plus, il est prouvé que le lait du fourrage vert présente de meilleures valeurs nutritives que le lait produit de manière conventionnelle. Le fourrage vert est du reste judicieux: les vaches sont des ruminants et nous pouvons produire du lait avec du fourrage de notre environnement. Dans notre coopérative de fromagerie, nous ­fabriquons de l’Emmental et d’autres spécialités locales, par exemple de la raclette ou un fro­ mage affiné et épicé qui s’appelle le hagu-hans, du nom d’un personnage du livre de Jeremias ­Gotthelf, Uli le fermier. Du hagu-hans du Brésil, ce serait quand même absurde! Pendant l’interview avec Martin Aebi, la vache Helga a donné naissance à son troisième veau. Les Aebi ont cherché un nom qui commence par un «H» et se sont décidés pour Hina — une ­suggestion de Greenpeace, car c’est ainsi que s’appelle notre rédactrice photo qui est justement en congé maternité actuellement.

Les enjeux de la politique du soja La population suisse consomme trop de viande, de produits laitiers et d’œufs. Pour produire ces ­aliments, il faut un élevage intensif d’animaux de rente, avec à la clé une surfertilisation des sols et des eaux, une perte de biodiversité végétale et ­animale, ainsi que des émissions de gaz à effet de serre. La production des fourrages néces­saires aux vaches, porcs et poules mobilise à l’étranger une surface quasiment équivalente à l’ensemble des terres arables suisses (275 000 hectares). Les importations de soja s’élèvent à 300 000 tonnes par année, soit 800 tonnes par jour! C’est dix fois plus qu’en 1990. Un rapport Greenpeace identifie les raisons de la demande croissante de soja, mais aussi les pistes permettant de réduire les importations. L’expansion de la production de lait et de volaille, l’optimisation de l’affouragement, la baisse des prix à l’importation et l’interdiction des farines ­animales depuis 2001 sont en cause. Les incita­ tions financières peuvent aussi être mention­ nées, par exemple le supplément versé pour le lait trans­formé en fromage ou le niveau élevé des contri­butions pour garde d’animaux. Une part ­estimée à 41% du soja importé sert à l’affourage­ ment des ­vaches laitières, veaux et génisses (porcs: 29%,­­volaille: 26%). Or, l’herbe des pâtura­ ges locaux, le foin et l’ensilage d’herbe pourraient couvrir presque intégralement les besoins en ­alimentation ­bovine. Magazine Greenpeace Nº 2 — 201 1

Le soja sert surtout à l’affouragement des v­ aches de haut rendement laitier. C’est donc ­l’élevage bovin qui recèle le meilleur potentiel de réduction des importations. Les animaux pour­ raient retourner à une alimentation traditionnelle: l’herbe des prés et des pâturages. Une telle ­pratique serait bénéfique à l’environnement et respectueuse des animaux. Elle éviterait la surpro­duction de lait et de viande. Autre avan­ tage, le lait et la viande des bêtes nourries à l’her­ be de ­pâturage présentent de meilleurs taux ­d’acides gras polyinsaturés. Greenpeace deman­ de donc une production de lait et de viande ­adaptée aux conditions locales. Les responsables politiques doivent mettre en place les incitations néces­saires pour un affouragement plus éco­ logique des bovins. Et le marché doit s’ouvrir à la promotion de ces produits. Les producteurs bio ont déjà réduit la part de fourrage concentré dans l’alimentation de leurs vaches. Le label IP-Suisse entend lui ­aussi introduire un lait labellisé «à l’herbe». Greenpeace salue ces initiatives et s’engage pour que l’alimentation bovine exempte de fourrages concentrés redevienne la norme. Raport Greenpeace (all.) à télécharger sur: greenpeace.ch/soja

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Des faits surprenants

Selon les scientifiques, la vie dans les océans a com­mencé il y a environ trois milliards d’années. La profondeur moyenne des océans est d’environ 3,7 kilomètres. La Fosse des Mariannes est la dépres­ sion sous-marine la plus profonde du monde. Son point le plus profond se trouve à plus de 11 kilomètres au-des­ sous du niveau de la mer. Le Mont Everest (8847 m) n’est pas la plus haute mon­tagne du monde. Cet honneur revient au Mauna Kea à Hawaï dont la hauteur totale s’élève à 10 200 mètres si on la mesure depuis le fond de l’océan. Les pieuvres ont trois cœurs. La baleine bleue est le plus grand ani­ mal de tous les temps et dépasse tous les ­dinosaures de la préhistoire. Son cœur est aussi gros qu’une Citroën 2CV. 90% des stocks de grands poissons prédateurs ont disparu. Magazine Greenpeace Nº 2 — 201 1

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I llustration: © Gisbert Lange / www. greenpeace- magazin .de

Il y a peut-être du vrai dans les histoires de serpents de mer: ces créatures n’étaient pas des monstres, mais des poissons très rares. La vision du régalec (Regalecus glesne), le plus grand ­vertébré marin pouvant mesurer jusqu’à quinze mètres de long, donna vrai­ semblablement lieu à ces histoires de ­monstres marins. La pression au point le plus profond de l’océan correspond à celle de cinquante ­jumbo-jets qui seraient superposés sur un homme allongé. Bien que les récifs coralliens ne ­couvrent que 0,5% du fond des océans, plus de 90% de toutes les espèces ­marines dépendent directement ou ­indirectement d’eux. Il y a autant de glace dans l’Antarctique que d’eau dans l’océan Atlantique. Le terme «Arctique» vient du grec et ­signifie «ours».


Un bateau comme on n’en a jamais vu La naissance du Rainbow Warrior III Par Thomas Jucker

Flotte

La tradition veut qu’au cours d’une cérémonie, la marraine ­désignée brise une bouteille de champagne sur la coque du nouveau bateau. Celui-ci est ensuite mis à l’eau, avant sa ­première sortie en mer. Le voyage inaugural du Rainbow ­Warrior III a au contraire déjà eu lieu alors que le bateau était ­encore loin d’être achevé. Ce n’est là qu’une des ­nom­breuses particularités de ce fascinant vaisseau amiral de Greenpeace. La maquette du Rainbow Warrior III exposée dans le hall d’accueil du chantier naval Fassmer ne passe pas inaperçue. Avec sa coque verte laquée sur laquelle se dessine le célèbre arc-­ en-ciel, ses cinq voiles d’un blanc immaculé et sa silhouette incomparable, elle attire le regard comme par magie: le nouveau navire de Greenpeace est d’ores et déjà une star. Le chantier naval a pourtant construit des bateaux ­nettement plus grands et plus chers, mais les vitrines qui accueillent les modèles réduits de ces bateaux sont aujourd’hui reléguées dans les couloirs de l’entreprise. Fassmer est un chantier naval polyvalent. Il construit des ferries, des bateaux hydrographes et océanographiques, des vedettes de sauvetage, des yachts de luxe, des patrouilleurs militaires de haute mer, des frégates pour les douanes et les garde-côtes; autant de constructions complexes devant remplir des tâches spécifiques. Dans les hangars situés le long de la Weser entre Bremer­ haven et Brême, on fabrique aussi des canots de sauvetage pour des cargos ou des navires de croisière, ainsi que des pales et des revêtements pour des installations éoliennes en pleine mer. Magazine Greenpeace Nº 2 — 201 1

«Nous sommes dans les délais», déclare Uwe Lampe, l’un des chefs de projet de Fassmer, responsable de la construction du Rainbow Warrior III. «Le bateau va être mis à flot dans la deuxième moitié de juin.» Ensuite, il va devoir rester à quai en face du chantier naval pendant six semaines – une période stressante durant laquelle les ingénieurs testent les systèmes tandis que les ouvriers parachèvent les travaux d’aménagement. En même temps, les gigantesques mâts seront dressés sur le pont du bateau et on installera les voiles et leurs enrouleurs. A la mi-septembre suivra une phase d’essai de deux semaines en mer. Pour être plus précis, ce sera la deuxième sortie en mer du Rainbow Warrior III. Le bateau a en effet déjà navigué durant deux jours en novembre dernier. La coque en acier avait alors été remorquée de Pologne jusqu’à Bremerhaven, puis le long de la Weser jusqu’au chantier naval de Fassmer. Un voyage de quelques 600 milles marins (environ 1100 km) que le convoi a parcouru en 50 heures. Une fois terminé, le bateau ne sera pas tellement plus rapide. Mais le Rainbow Warrior ne pesait alors que 320 tonnes

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Plans: © Fassmer / Di jkstra & Partners

Rainbow Warrior III Le Rainbow Warrior III dispose de trente cabines, d’une hélisurface, d’un petit hôpital et d’une salle de tri sélectif. Magazine Greenpeace Nº 2 — 201 1

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et se réduisait à un simple squelette en acier, à savoir les parties de la coque, du pont et des superstructures qui sont fabriquées en acier. Un bateau encore loin d’être terminé, seulement recouvert d’une peinture rouge de protection. La construction de la coque au chantier naval Maritim de Gdansk – une entreprise qui ­produit aussi des cargos porte-conteneurs – a duré six mois. Une machine de découpe plasma assistée par ordinateur a tout d’abord taillé des centaines de plaques d’acier de 6 à 50 mil­ limètres d’épaisseur. Ces éléments ont ensuite été soudés en huit sections. Les ouvriers de construction navale ont enfin assemblé ces pièces préfabriquées pour former une coque ­comportant une quille, un pont et les éléments des superstructures.

un gréement exceptionnel et un système de propulsion électrique actionnant l’arbre de l’hélice. A cela viennent s’ajouter un espace pour stocker les bouteilles de plongée ainsi que des ateliers de réparation pour le bateau lui-même, les canots et les moteurs. Dans une salle réservée au tri sélectif, on trouve deux presses à ordures ainsi qu’un appareil à broyer les bouteilles en verre. Le RW III, comme on l’appelle également, est par ailleurs un authentique voilier et pas seulement (comme ses prédécesseurs) un ancien chalutier auquel Greenpeace aurait appris à faire de la voile. Le nouveau bateau – c’est du moins ce qu’espèrent les marins de Greenpeace – ­accomplira les neuf dixièmes de ses voyages à la voile, le moteur servant uniquement en cas d’accalmie ou d’urgence. Ce sera un excellent voilier et le nom de son architecte hollandais en est la Une année de travaux préparatoires garantie, puisque le bureau Gerard Dijkstra & Au chantier naval Fassmer, les travaux Partners a déjà dessiné maints voiliers célèbres. avaient déjà commencé longtemps auparavant. Pour avoir toutes les propriétés d’un bon Le 2 juillet 2009, Gerd Leipold, alors directeur voilier, le Rainbow Warrior III a été équipé d’une exécutif de Greenpeace International, signait le quille aérodynamique qui confère à sa coque un contrat de construction. Les ingénieurs s’étaient tirant d’eau de 5,1 mètres. Celle-ci sera lestée au mis aussitôt au travail. Les dessins du Rainbow moyen de 44 tonnes de plomb qui maintiendront Warrior III, conçus par l’architecte néerlandais le bateau à la verticale et contrebalanceront la Gerard Dijkstra, devaient être convertis en plans pression des 1290 mètres carrés de voilure. informatiques nécessaires pour piloter la maLe plomb est depuis longtemps dans la lonchine de découpe plasma. Les ingénieurs ont gue liste des priorités à traiter d’ici la mise à soigneusement calculé l’épaisseur de chaque flots. Il va être hissé à la main dans la quille sous élément ainsi que la charge attendue. Ce minu- forme de barres: 1630 barres de 27 kilos chacune. tieux travail préparatoire a duré près d’une C’est la raison pour laquelle la quille présente année: chaque câble électrique, chaque con­ une grande ouverture béante sur l’un de ses duite d’eau, chacun des éléments de la salle des flancs. Une fois remplie de plomb, elle sera soumachines et du gréement ont pris forme l’un dée et son étanchéité sera contrôlée avec de l’air après l’autre sur des écrans. Même l’aménagecomprimé. Si l’on utilise du plomb dans les voiment des trente cabines, des tables, des toiletliers, c’est à cause de sa densité, mais aussi parce tes et de la cuisine a été conçu au millimètre que les voiliers ont besoin d’un centre de gravité près sur le bateau virtuel. aussi bas que possible, comme un culbuto. Le Le Rainbow Warrior III est un bateau combéton ne pourrait pas être utilisé comme lest, car pliqué. Peu de bateaux possèdent un héliport et il faudrait trop de place: un mètre cube de béton doivent donc disposer d’un réservoir de 3000 pèse 2,4 tonnes, tandis qu’un mètre cube d’acier litres d’essence pour l’hélicoptère. Peu de ponts fait déjà 7,9 tonnes. accueillent une telle diversité de canots pneuEn revanche, un mètre cube de plomb pèse matiques pouvant être mis à l’eau en quelques 11,3 tonnes! Ce métal est donc privilégié comme instants par des grues sophistiquées. La liste des lest, bien qu’il soit très cher. Pour une quille d’un équipements spéciaux du navire est longue: un poids de 44 tonnes, cela représente un coût de système de communication hypersophistiqué 150 000 francs. Le plomb est un métal lourd et permettant d’envoyer des images aux médias du par conséquent toxique – Greenpeace en assume milieu de l’océan, un bureau de campagne et le risque. Mais, au contraire du béton et d’autres une salle de conférence pouvant accueillir une matériaux de lest, il peut être retraité presque à cinquantaine de personnes, un petit hôpital, l’infini. Magazine Greenpeace Nº 2 — 201 1

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Un gigantesque puzzle: les éléments de la coque ont été fabriqués au chantier naval Maritim de Gdansk, en Pologne. Le gros œuvre du navire pèse 320 tonnes.

Photo: © Oliver Tj aden / Greenpeace

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Un passeport vert pour le RW III Nous en arrivons à une autre spécialité du Rainbow Warrior III: Greenpeace veut que son navire amiral soit le plus écologique du genre. Cela a son prix, et l’esprit d’innovation de ses constructeurs a été, une fois de plus, mis à contribution. Le RW III dispose de cuves pouvant recueillir jusqu’à 60 000 litres d’eaux usées qui pourront être pompées dans les ports. L’eau grise (eau de vaisselle et de douche) et l’eau noire (toilettes) subiront une première épuration à bord afin de pouvoir être éliminées en pleine mer en cas d’urgence. D’autres cuves peuvent conte­ nir jusqu’à 2700 litres d’huiles usagées ainsi que 3500 litres d’eau provenant du fond de cale. Outre de l’eau de condensation, il s’y écoule en effet d’autres liquides. Le bateau va recevoir un «passeport vert», en l’occurrence un passeport environnemental. C’est ainsi en tout cas que l’on dénommait jusqu’à récemment l’actuelle certification IHM (Inventory of Hazardous Materials) de la société de classification de navires Germanischer Lloyd. En pratique, cela signifie que tous les éléments du bateau sont inventoriés, la présence de neuf substances nocives pour la couche d’ozone et neuf métaux lourds étant indiquée. Ainsi, ­lorsque le navire sera mis à la ferraille un jour, on saura où ces matériaux se trouvent. Cet inventaire est un travail de Sisyphe, car, tandis que certains gaz comme le halon, nocifs pour l’ozone, peuvent aujourd’hui être aisément remplacés, des métaux lourds sont également présents dans les composants électroniques tels les transistors et les diodes. Or, de l’électronique, sur un bateau spécial de 58 mètres, il y en a presque partout. Uwe Lampe, le discret chef de projet, soupire: «Nous avons 160 fournisseurs et nous devons exiger de chacun des listes précises des substances contenues dans ses produits.» En pénétrant dans le hangar qui accueille le Rainbow Warrior III en construction, on se sent presque écrasé par les dimensions du bateau. D’allure gigantesque, il semble occuper tout l’espace de la grande halle. Le tirant d’eau de plus de cinq mètres renforce encore cette impression de monumentalité. La ligne de flottaison, qui marque le niveau au-dessus duquel le bateau émerge, se trouve actuellement à plus de six mètres de haut, la coque et la quille étant posées sur le slip de halage au moyen duquel le bateau a été transporté dans le hangar. Magazine Greenpeace Nº 2 — 201 1

Le RW III, comme on l’appelle également, est par ailleurs un authentique voilier et pas seulement (comme ses ­prédécesseurs) un ancien chalutier auquel Greenpeace aurait appris à faire de la ­voile.

Le visiteur se sent petit comme une fourmi lorsqu’il grimpe d’étage en étage l’échafaudage qui entoure le bateau. Quand on arrive sur le vaste pont, les proportions sont à nouveau rétablies. On peut y voir une solide porte en acier, capable de résister aux assauts des vagues, et des surfaces bordées d’un bastingage massif sur lequel seront plus tard arrimés les canots. Dans la cabine de pilotage, les ouvertures des fenêtres n’ont pas encore été découpées, afin que l’aluminium ne se déforme pas lors des travaux de soudure. En jetant un coup d’œil sur le plat-bord conduisant à la proue, le caractère du navire est déjà nettement perceptible. En fermant légè­ rement les yeux, on peut imaginer les immenses voiles hissées sur les mâts et pressentir la façon dont le bateau s’inclinera légèrement sous la pression du gréement de 50 mètres de haut. Nous aurions pu rester longtemps sur ce pont, à regarder les nombreux détails et nous imprégner de l’atmosphère du chantier. Mais il est midi et Uwe Lampe suit ses ouvriers qui ­quittent le hangar pour aller déjeuner. Nous jetons un dernier regard sur la maquette rutilante dans le hall d’accueil du chantier naval. Un air glacial s’engouffre par la grande baie ouverte. Dehors, le ciel est gris et le vent mordant. La mer n’est pas encore en vue.

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Le compte y est presque: il ne manque que cinq millions de francs. De nombreuses personnes sont déjà attachées au voilier encore en construction. Elles veulent faire partie de l’aventure du Rainbow Warrior III et écrire une page d’histoire avec nous. A l’occasion de la collecte de cet automne, nous avions exceptionnellement décidé de ­déroger pendant trois mois à notre règlement concernant les dons. Ce dernier prescrivait en effet de n’accepter des dons liés à des projets qu’à partir de 10 000 francs. Certaines personnes ont versé cinq francs, d’autres 250 000. Chaque contribution est importante et leurs motivations sont aussi diverses que le sont les êtres ­humains. Une donatrice a, par exemple, renoncé à une bague en diamant qu’elle avait reçue de son mari pour son 25e anniversaire de mariage. Elle a fait don de la ­valeur de la bague à Greenpeace. Pour d’autres, il s’agis­ sait de rendre possible une technologie respectueuse de l’environnement marin et fixant de nouveaux critères Magazine Greenpeace pour la navigation. Certains étaient tout simplement

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f­ ascinés par ce navire, symbole d’espoir et de justice ­environnementale, qu’il s’agisse du Rainbow Warrior I, II ou III. Et nombreux sont ceux qui ont décidé de faire un don parce qu’un navire de Greenpeace plus rapide ­signifie une meilleure protection des océans et de leur biodiversité. Des médias nous ont aussi proposé des pos­ sibilités de publicité gratuites ou avantageuses. Nous apprécions le soutien de nos donatrices et ­donateurs suisses et nous leur raconterons volontiers les premiers succès de notre nouveau combattant des mers après sa mise à l’eau, en automne 2011. A l’origine, nous voulions citer nommément les person­ nes ayant octroyé des dons de plus de 5000 francs pour le Rainbow Warrior III. Or, la majorité d’entre elles ont ­souhaité explicitement ne pas être mentionnées. Aussi avons-nous renoncé à le faire et nous voudrions remer­ cier ici toutes celles et tous ceux qui ont généreusement soutenu la construction du Rainbow Warrior III.

Photo: © Oliver Tj aden / Greenpeace

Un grand merci! Grâce aux donatrices et donateurs suisses, Greenpeace Suisse a pu réunir 1,4 millions de francs pour le Rainbow Warrior III, le nouveau héros des mers. A l’automne dernier, les coûts de construction de notre navire amiral nous laissaient perplexes. Sur les 30 millions de francs nécessaires, il en manquait encore 17,5 millions: une somme à vous donner le vertige, même pour une organisation internationale dotée de sa propre flotte. L’appel lancé à nos donatrices et donateurs – en Suisse et dans le monde – a fait des miracles.


Les ­tronçonneuses se sont tues

territoire des Sami. Lorsqu’il s’est rendu compte que la survie des rennes était menacée, Paadar a voulu négocier avec l’exploitant forestier qui continuait néanmoins d’exiger la mise en valeur de nouvelles zones. En désespoir de cause, l’éleveur de rennes s’est tourné vers Greenpeace. Malgré des Par Lisa Begere ­températures descendant jusqu’à –30° C la nuit, un «Forest Rescue Camp» a été monté dans le Grand Nord. Des militants ont parcouru la forêt enneigée avec l’éleveur sami et accroché des panneaux portant l’inscription: «Attention! Forêt importante pour l’élevage des rennes». Se déplaçant à bord de traîneaux tirés par des chiens, ils ont cartographié la forêt. Certains villageois ne voyaient pas l’opération d’un bon œil, car des bûcherons vivent aussi dans cette région. Mais Greenpeace a tenu bon et a pris contact Kalevi Paadar, un habitant de Nellim en Finavec des entreprises impliquées dans l’abattage lande, vit comme ses ancêtres de l’élevage des des arbres. Après avoir rendu visite au directeur rennes. Ce berger appartient au peuple de Stora Enso, un fabricant de papier, l’exploi­ ­autochtone des Sami. Il parcourt les forêts de tation de la forêt a cessé et le camp a été levé. Laponie sur sa motoneige, suivant la trace des Les tronçonneuses ont toutefois rapiderennes. Durant les longs hivers sombres, ces ment fait leur retour. Paadar a alors décidé de animaux se nourrissent d’usnée, un genre de porter plainte contre l’Etat finlandais auprès du lichen qui pousse uniquement sur des branches Tribunal administratif d’Ivalo et, après avoir d’arbres dont certains ont plus de cent ans. Un consulté Greenpeace, auprès du Conseil des hectare de forêt vierge fournit 500 kilos d’usnée, droits de l’homme de l’ONU. «La déforestation une forêt exploitée uniquement cinq kilos. porte atteinte à l’élevage des rennes et menace La Finlande ne compte plus que 3% des la culture des Sami», ont-ils reconnu. Sur reforêts anciennes encore existantes en Europe. commandation de l’ONU, les autorités ont dans Le nombre croissant de plantations forestières un premier temps mis un terme à leurs activités menace des centaines d’espèces animales et forestières autour de Nellim. Greenpeace n’a végétales. Ces plantations se caractérisent par pas relâché la pression, organisant des actions une absence de bois mort. Or, celui-ci est le de grande envergure dans le port de Lübeck, biotope de nombreux organismes utiles et d’où les cargos transportaient du papier finlancontribue ainsi à la vitalité de la forêt. La succes- dais vers l’Allemagne. sion de petites coupes rases détruit la forêt Aujourd’hui, 1500 kilomètres carrés de ­ancienne de manière irréversible. En raison des ­forêt ancienne sont protégés durablement des rudes conditions climatiques dans cette région ­tronçonneuses de l’industrie papetière. L’engapolaire, la végétation ne pousse qu’avec une gement de Greenpeace aux côtés des Sami extrême lenteur; ce qui a été déboisé ne peut ­pendant plusieurs années a été récompensé. plus être replanté. Bien que l’industrie finlanUne convention a été signée en décembre 2010 daise du papier et du bois se qualifie de durable, à Helsinki. Le recensement cartographique a elle détruit les derniers vestiges de sa forêt permis de localiser cette précieuse forêt dans ­ancienne pour des magazines et du matériel laquelle l’Etat renonce à toute coupe durant les d’emballage. vingt prochaines années. Aucune partie ne Pendant des années, Paadar a lutté contre ­pense reprendre ses activités au terme de cette le vacarme des tronçonneuses. Dans les années période. 1970, la société d’exploitation forestière Metsähallitus, propriété de l’Etat, a commencé à procéder à des coupes massives et à rogner le

2011 – Année des forêts

Greenpeace a gagné sa ­bataille pour la préservation d’une zone de forêt ancienne en Laponie. Une victoire ­vitale pour les éleveurs de rennes sami.

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Photo : Š Matti Snellman / Greenpeace

Les tronçonneuses se sont tues


Malheureusement, un élevage durable digne de ce nom comme la pisciculture en étangs, pratiquée depuis des siècles dans les pays asiatiques, avec des poissons et des canards se nourrissant de plantes dans des rizières inondées, ne se voit pas attribuer de label bio. Pas plus que les poissons sauvages vivant dans leur environnement naturel et provenant des stocks sains exploités de manière durable. C’est ainsi qu’il est préférable, par exemple, d’opter pour du sauPar Bruno Heinzer — Crevettes bio du Banglamon sauvage du Pacifique provenant de la pêche desh, pangasius bio du Vietnam, truites bio éle- contrôlée par l’Etat en Alaska plutôt que pour du vées en Suisse… Bio, bio, bio. Les consommasaumon d’élevage bio norvégien. Du point de teurs de poisson n’ont que l’embarras du choix. vue de l’écologie et de la protection des animaux, En revanche, il n’est pas certain que ce label sur les féras et les perches du lac de Zurich ou de lequel on ne tarit pas d’éloges garantisse vérita- Zoug battent toutes les truites «bio» des élevages blement la durabilité et le bien-être des en bassins de pierre. poissons. Conclusion: certains poissons de la pêche Le poisson bio est bien sûr un meilleur choix sauvage peuvent être le meilleur choix pour que celui provenant de la pêche industrielle ou l’acheteur. Il vaut donc la peine de bien regar­der de l’aquaculture non contrôlée. Mais tous les pois- les étiquettes. Le guide des poissons de sons bio vivent en fin de compte dans des ­«cages» Greenpeace pourra vous être utile à cet égard. et sont nourris artificiellement. Certes, cette Il existe également sous forme d’application production offre une alternative au consomma- ­iPhone. Il met les points sur les «i»: évitez les teur qui ne souhaite pas manger de poisson­ poissons prédateurs – saumon, truite, féra, ­pêché en quantité abusive. L’élevage bio préserve ­sandre ou loup de mer – issus de l’élevage et des milieux naturels détruits et des cycles de ­n’achetez que du saumon de l’Alaska; pour resrenouvellement déjà compromis. Il est toutefois pecter vraiment le développement durable, rarement respectueux du bien-être des anioffrez-vous le luxe d’acheter des poissons prémaux. Autrement dit: les vaches et les poulets bio dateurs d’eau douce provenant des lacs suisses. Vous pouvez télécharger le guide des ont le droit de sortir, mais pas les poissons bio. poissons ou installer l’application sous: Les poissons d’élevage les plus achetés – le saumon et la truite – sont des prédateurs soli­ www.greenpeace.ch/app. taires et de grands voyageurs. Même si ce qu’on appelle la «densité d’occupation» (nombre d’animaux par rapport au volume d’eau) est un peu plus basse dans l’élevage bio, elle est toutefois encore loin de celle d’un élevage conforme à l’espèce. Dans le cas des poissons prédateurs en captivité, leur alimentation restera toujours un problème. Les espèces qui mangent des ­plantes ou les omnivores comme la carpe et le pangasius conviennent un peu mieux à la ­pisciculture. Les crevettes ne devraient pas non plus être élevées en cage. Elles ne se reproduisent plus une fois dans les parcs. Dans l’élevage bio, les cre­ vettes vivent dans des forêts de mangroves qu’elles contribuent à protéger et aucune alimentation complémentaire ne leur est donnée. L’objectif premier devrait être en effet de préserver l’habitat naturel et le cycle de vie des animaux. Élevage de poissons

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Illustrations: © Greenpeace /S. Schadwinkel

Brèves

De nombreux poissons bio sont des détenus mal nourris


Muttenz

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I llustration : © C odecheck .info

Votre mobile vous ­indique le bon choix

Le colin et d’autres espèces sont menacés par la surpêche. Une application gratuite pour iPhone ou Android signale les poissons à éviter à l’achat. ­Codecheck.info propose également des informa­ tions sur d’autres produits alimentaires. A peine avez-vous scanné le code-barres avec la caméra de votre mobile que déjà les informations sur les poissons s’affichent à l’écran. Ceux qui souhaitent vérifier leur achat via ­Internet à l’adresse www.codecheck.info peuvent eux aussi consulter aisément ces données (disponible uniquement en allemand). La plateforme dispose de la plus vaste base de données indépendante de produits (plus de 90 000 y sont répertoriés) existant dans l’espace germanophone. Elle est exploitée par une association reconnue d’utilité publique dont le siège se trouve à Zurich. Cette jeune équipe se base sur l’expertise d’organisations de la santé, de protection des consommateurs et de l’environnement ainsi que d’une communauté d’intérêt qui recense, évalue et contrôle les données. Cette initiative a été bien accueillie et a déjà reçu plusieurs distinctions internationales. L’application est disponible pour iPhone et Android. Les informations sur les poissons sont fournies par des experts de Greenpeace Suisse. Codecheck offre également des renseignements sur l’huile de palme dont la production pro­ voque le déboisement d’immenses surfaces de la forêt vierge indonésienne, menaçant ainsi des milliers d’espèces animales. Le CO2 rejeté par ces activités contribue à la dégradation du climat de la planète. Codecheck prévoit d’ores et déjà des ­informations sur d’autres produits permettant une consommation responsable. Codecheck confère plus de transparence au marché et encourage ainsi des produits de qualité, car ce qui n’est pas acheté disparaît des rayonnages. www.codecheck.info (en all. seulement) Magazine Greenpeace Nº 2 — 201 1

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Nouvelle alliance contre les déchets chimiques

Seize organisations, partis et associations des deux Bâle s’engagent désormais sous le nom d’Allianz Deponien Muttenz (ADM) pour que les décharges de produits chimiques de Muttenz/BL soient assainies en toute sécurité et que l’eau potable y soit traitée en plusieurs étapes. Tous les travaux doivent être effectués en tenant compte des développements les plus récents de la technologie et les coûts doivent être pris en charge par Novartis, Syngenta, Clariant et BASF. Le Collectif Bonfol (CB), qui suit depuis onze ans l’assainissement de la décharge industrielle de Bonfol dans le Jura, a servi de modèle. Le PS, les Verts et le syndicat Unia sont représentés au sein de l’ADM. Lors de sa création, Greenpeace, le WWF, le comité d’action Chemiemüll weg! ainsi que l’ATE étaient de la partie.

rrrevolve.ch

Un site web pour les écolos en quête de bonnes affaires

Nombre de produits que nous utilisons dans notre vie quotidienne sont désormais verts, mais leur design est souvent affreux. Les responsables de la boutique en ligne www.rrrevolve.ch essaient de corriger cette image en proposant de nombreux produits amusants et utiles pour la maison, la vie professionnelle ou les loisirs. On y trouve notamment des bracelets de montre en bois, une corbeille à papier réalisée à partir de journaux ou un chargeur solaire pour iPhone. Naturellement, l’assortiment comprend aussi des produits plus classiques, comme des sels de bain. Tout est écologique, sans risque pour l’environnement et commercialisé dans le respect du commerce équitable. Un eldorado pour les écolos en quête de bonnes affaires.


Chasse à la baleine

Livres

© WALD E + G RAF V erlag / Illustrations de Robert Crumb

Un job qui a du plomb dans l’aile

Brèves

Guide de la désobéissance civile

The Monkey Wrench Gang, un ouvrage aussi impertinent qu’amusant publié en 1975 aux Etats-Unis, est paru en français en 2006 sous le titre Le Gang de la clef à molette. L’histoire tourne autour d’un groupe de militants écologistes un peu déjantés qui pratiquent la désobéissance civile et s’exercent à manier des explosifs pour la bonne cause. Malgré sa philosophie non violente, Greenpeace recommande cet ouvrage illustré par le dessinateur culte Robert Crumb. (Traduit en français par Pierre Guillaumin, Editions Gallmeister, Paris, 2006: www.gallmeister.fr). Livres

Critique de la folie de la croissance

Dans leur dernier livre intitulé Schluss mit dem Wachstumswahn, les deux auteurs Urs Gasche et Hanspeter Guggenbühl plaident pour un abandon radical de l’idéologie de la croissance. Elevée au rang de religion, la croissance économique détruit la nature et ne se maintient qu’au prix d’une «orgie de l’endettement». Les auteurs ne se contentent toutefois pas d’analyser avec compétence l’absurdité de la consommation énergétique et du capitalisme financier moderne. Ils proposent également toute une série de solutions qui pourraient nous sortir de cette impasse. L’ouvrage peut être commandé sous: www.rueggerverlag.ch (en all. seulement) Magazine Greenpeace Nº 2 — 201 1

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Cette année, le ministre japonais de l’agriculture, de la forêt et de la pêche a mis prématurément fin à la saison de la chasse à la baleine dans l’Antarctique. Les flottes ont été rappelées au port. Les informateurs de Greenpeace affirment que cette interruption, avec ­uniquement la moitié des prises habituelles, était planifiée dès le début. Les entrepôts frigorifiques seraient pleins. La demande ayant baissé, 5000 tonnes de viande de baleine se sont accumulées, menaçant de précipiter toute la branche dans la ruine. Au cours des dix dernières années, Greenpeace a ­régulièrement dénoncé la corruption régnant dans ce commerce. Il y a trois ans, deux informateurs avaient ­découvert qu’une certaine quantité de viande était vendue aux fonctionnaires et aux équipages des bateaux. Ils ont été emprisonnés et accusés eux-mêmes de vol. Malgré leur recours, ils risquent une année de prison. Greenpeace continue de lutter infatigablement pour une interdiction générale de la chasse à la baleine, enregistrant régulièrement des succès partiels: l’agence responsable de la pêche à la baleine a déjà ­intenté des actions contre des collaborateurs qui avaient remis gratuitement de la viande de baleine à des membres des équipages, violant ainsi leur propre code d’éthique.

Forêts de montagne

Engagement pour les bûcherons­ ­amateurs

La fondation Bergwaldprojekt appelle à une semaine de travail bénévole dans une forêt de montagne. Des femmes et des hommes âgés de 18 à 88 ans peuvent y participer. Ils travailleront dans le respect des normes les plus récentes, selon leurs propres capacités et au ­rythme qu’ils auront eux-mêmes choisi. Des places sont encore libres pour ­toutes les personnes qui souhaitent mettre la main à la pâte.

Vous trouverez de plus amples détails sous: www.bergwaldprojekt.org/fr ou en téléphonant au 081 650 40 40.


I llustration : S onj a Bü rgi

Camp climatique

Créer un microcosme

Pour la troisième fois, l’organisation Camp climatique Suisse offre la possibilité aux personnes intéressées par la nature de recréer un «monde» durable dans un champ. Au cours de différents ateliers thématiques et méthodologiques, qui se dérouleront du 29 juillet au 7 août, nous leur proposerons des ­savoirs, du mouvement et de l’action et leur apprendrons à s’engager. Le camp aura lieu dans les Grisons et accueillera aussi bien des francophones que des germanophones. La participation est gratuite, à l’exception d’une contribution aux frais de repas.

Les personnes intéressées ­trouveront des informations ­détaillées sous: www.campclimat.ch UBS

Une huile de palme propre

Quelles lignes directrices l’UBS applique-t-elle pour ses transactions dans le secteur de l’huile de palme et de l’industrie forestière? Telle était la question clé d’une campagne de Greenpeace lancée en décembre dernier. La raison en était que l’UBS fait des affaires avec des entreprises contestées dans le secteur de l’huile de palme et de la cellulose, par exemple le groupe indonésien Sinar Mas. Or, ces deux ­types de production contribuent massivement à la destruction de la forêt

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­ ierge indonésienne. La banque vient v d’annoncer qu’elle entend réexaminer ses relations avec des clients aux activités discutables. C’est une décision ­importante qui va dans la bonne direction. Mais en l’absence de lignes de conduite détaillées, les investisseurs n’ont toujours pas la possibilité d’évaluer l’attitude de la banque à l’égard des problèmes liés au respect de l’environnement et des droits de l’homme. Il serait important que les acteurs de la branche financière assument mieux leur responsabilité dans la lutte contre le changement climatique et la destruction de l’environnement. Les aspects sociaux et écologiques ne sont jusqu’à présent pratiquement pas pris en compte dans leur système. Greenpeace invite l’UBS et d’autres établissements financiers à publier leurs lignes de conduite internes concernant les opérations délicates dans le secteur de l’huile de palme et de l’industrie forestière.

Indonésie

Repentir des ­destructeurs de la ­forêt?

Comme il a été déjà prouvé, Sinar Mas et sa filiale Golden Agri Resources (GAR), les fournisseurs indonésiens d’huile de palme, détruisent des ­tourbières et déboisent la forêt vierge pour y développer leurs plantations. Au cours des trois dernières années, Greenpeace a réussi à convaincre des grandes entreprises comme Unilever, Nestlé, Kraft et Burger King de résilier leurs contrats directs avec GAR, deuxième plus grand producteur mondial d’huile de palme. Greenpeace avait rendu publics les agissements de ce producteur dans le cadre d’une ­vaste campagne de sensibilisation internationale et dévoilé les relations que ce dernier entretenait avec de grandes sociétés de l’agroalimentaire. GAR a annoncé son intention de ne plus déboiser de forêts à «haute teneur en carbone», c’est-à-dire celles qui emmagasinent beaucoup de dioxyde de carbone. Les tourbières, qui constituent l’habitat d’espèces animales ­rares comme l’orang-outang et jouent

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un rôle déterminant dans la protection du climat, seront également épargnées. De plus, les droits des populations locales et indigènes seront à l’avenir respectés. GAR, en collaboration avec l’organisation The Forest Trust (TFT), entend garantir la concrétisation de ces objectifs. Greenpeace suivra attentivement l’évolution de la situation en espérant que le gouver­ nement indonésien réussira à imposer de nouveaux critères dans l’industrie ­forestière et la production d’huile de palme. Un moratoire empêchant toute nouvelle expansion serait nécessaire.

GreenLeaks

Opération détection précoce

Dévoiler des abus dans les domaines de l’environnement, du climat et de la ­protection des consommateurs, tel est l’objectif de la plateforme GreenLeaks qui a été mise en ligne en janvier à ­Berlin. Des journalistes, des juristes et des militants se sont rassemblés à cet effet autour du réalisateur de documentaires australien Scott Millwood. Ils ne se concentreront toutefois pas seulement sur les actions illégales dans le domaine du commerce des émissions de CO2 ou les atteintes à l’environnement par de grands groupes. Ils ­s’intéresseront aussi aux pratiques discutables sur le plan local. Les exploitants de GreenLeaks, à la différence de ceux de WikiLeaks, ne se considèrent pas comme des accusateurs mettant au pilori des entreprises ou des gouver­ nements, mais plutôt comme des partenaires qui signalent les problèmes dès leur apparition. Ils peuvent ainsi susciter des actions correctives précoces et empêcher des catastrophes comme ­celle du Golfe du Mexique. GreenLeaks compte suivre de près tous les cas ­signalés, jusqu’à ce que les personnes concernées agissent. Les exploitants sont en train de mettre en place une boîte aux lettres électronique sécurisée au moyen de laquelle des informations pourront être envoyées anonymement à la plateforme.

www.greenleaks.org


Double impact sur l’environnement

Pour chaque adhésion parrainée (au moins Fr. 72.–), vous recevrez trois numéros de la Revue Durable d‘une valeur de Fr. 40.–. Ce périodique publie des dossiers sur l’écologie et le développement durable. Les nouveaux adhérents recevront régulièrement le magazine de Greenpeace. Nous remercions la Revue Durable pour son soutien. Davantage d‘informations: www.greenpeace.ch/member4member, www.larevuedurable.com


SI L’ON VEUT… Le nouveau guide de Greenpeace sur les legs et testaments peut aider à régler de manière plus claire les questions liées à la succession et à l’expression de ses dernières volontés. Depuis plus de dix-huit ans, Greenpeace offre des conseils lorsqu’une personne envisage ou a déjà décidé de faire un legs au profit de l’organisation. Qui a droit à une part obligatoire? Comment coucher sur son testament une organisation comme Greenpeace? Qu’est-ce que la quotité disponible? Vous trouverez les réponses à ces questions dans le nouveau guide des legs et testaments. Il vous montre comment ­rédiger un testament ou le modifier, dans quel lieu le conserver et comment désigner votre exécuteur testamentaire. De plus, les lectrices et les lecteurs apprendront ce qu’un legs accordé à Greenpeace peut apporter. Cette publication est disponible gratuitement auprès de Greenpeace à partir de juin 2011. Les personnes intéressées sont priées de s’annoncer auprès de Muriel Bonnardin, tél. 044 447 41 64 (du lundi au jeudi) ou par e-mail à l’adresse: muriel.bonnardin@ch.greenpeace.org. Par Muriel Bonnardin Wethmar, responsable des legs

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«Nous devons constamment revenir à la charge»

L’énergie qu’elle économise depuis des décennies grâce à son mode de vie spartiate, Elsy Zulliger la concentre doublement dans sa personne: cette femme de bientôt 90 ans sait peser ses mots et ses connaissances sont aussi actuelles qu’à l’époque où elle luttait pour les économies d’électricité et les énergies renouvelables. Elle espère continuer à se battre dans les prochai­ nes années pour un avenir sans ­nucléaire. Madame Zulliger, vous auriez pu profiter de votre retraite et vous consacrer à des ­choses plus contemplatives que les questions d’énergie. Au lieu de cela, vous ­remplissez encore des boîtes aux lettres de matériel d’information. Qu’est-ce qui vous anime? C’est difficile pour moi de ne pas pouvoir faire plus! Car je suis profondément convaincue qu’il est possible d’assurer notre approvision­ nement énergétique sans piller les ressources Magazine Greenpeace Nº 2 — 201 1

naturelles et sans ces dangereuses centrales nucléaires qui vont léguer des déchets radio­ actifs à des générations d’êtres humains. Avec la fondation SOLEILsuisse, vous ­prôniez déjà, il y a une trentaine d’années, les économies d’énergie et le passage aux énergies renouvelables. Pourquoi ce tournant ne s’est-il toujours pas produit? Le principal problème, c’est que l’être ­humain cherche la facilité: c’est son refus obstiné de prendre les devants. Il serait pourtant si facile pour chacun de nous d’économiser du courant dans notre vie quotidienne! A cela vient s’ajouter le fait que l’on oublie de plus en plus les dangers du nucléaire. Que faut-il pour que les gens sortent de leur léthargie? Malheureusement, seule une nouvelle catastrophe nucléaire pourrait sans doute vraiment faire bouger les gens... Il ­serait aussi certainement utile de rationner une fois le courant. ­Chacun commencerait alors à mettre le couvercle sur la casserole pour faire chauffer de l’eau ou cesserait de faire tourner des lave-linges à moitié vide.

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I llustration: © Rahel A rnold

Interview

Entretien réalisé par Franziska Rosemund


«Nous devons constamment revenir à la charge»

Les politiciens pourraient prendre des mesures pour obliger les gens à économiser l’énergie. Mais les politiciens ne le veulent même pas! La plupart sont sous l’emprise des milieux économiques qui n’ont pas intérêt à l’abandon du nucléaire. Voilà pourquoi nous n’avons toujours pas de prescriptions contraignantes concernant les appareils électriques et pourquoi la promotion des énergies renouvelables est si timide. La nature humaine ne vous laisse guère d’espoir et votre confiance en la politique n’est pas très grande. D’où ­tirez-vous donc votre assurance? Je me réjouis des nombreuses initiatives privées que nous observons aujourd’hui dans le domaine des énergies renouvelables. Il suffit de penser à l’immense installation photovoltaïque de Melchnau, qui produit de l’électricité pour 65 ménages, ou à la Marche de Pentecôte contre le nucléaire l’année dernière. Mais ce qui me donne le plus d’espoir, ce sont les jeunes, car il en va de leur avenir. Si on leur transmet plus de connaissances sur les possibilités des énergies renouvelables à l’école et s’ils remarquent que la construction de nouvelles centrales ­nucléaires n’est pas la bonne option, alors des changements se produiront. Nous devons absolument encourager le dialogue avec les jeunes! Vous ne dépensez pas beaucoup d’énergie, car vous menez un style de vie des plus ­spartiates. La plupart des gens vivent toutefois dans une autre réalité. Que conseilleriez-vous aux Suisses moyens qui veulent contribuer au tournant énergétique? Tout d’abord, de nombreuses personnes doivent comprendre que vivre modestement rend plus heureux que l’opulence: moins on a et plus on est satisfait. Or, quand on est satisfait, on a moins de besoins et on mène une vie plus saine et plus heureuse. Cet objectif très noble est bien difficile à ­atteindre dans une époque qui mise tout sur la consommation et qui vous propose ­toujours plus d’appareils électroniques. On gagnerait déjà beaucoup si chacun se demandait s’il a vraiment besoin de tel ou tel appareil. Et si oui, si ce modèle est le plus ­économe en énergie. Il faudrait quand même faire preuve de bon sens. Dans environ deux ans aura lieu une ­votation décisive pour le tournant énergétiMagazine Greenpeace Nº 2 — 201 1

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que en Suisse: la votation sur la construction de nouvelles centrales nucléaires. Que conseillez-vous aux personnes qui s’opposent résolument à ces nouvelles centrales? De la ténacité et de l’endurance! A l’époque, j’ai distribué du matériel d’information deux fois ou trois fois dans certaines boîtes aux lettres jusqu’à ce que je remarque que les gens avaient compris de quoi il s’agissait vraiment. Mais le plus important est d’avancer des arguments percutants. Si tous les toits suisses étaient équipés de panneaux solaires, chaque commune pourrait produire elle-même sa propre électricité et même en vendre. Cet argument est ­tellement évident qu’il finira bien par s’ancrer dans les esprits. Oseriez-vous faire un pronostic concernant le résultat de ces votations? Nous pouvons y arriver. Pour cela, nous devons revenir constamment à la charge et montrer que tout peut fonctionner sans nouvelle centrale nucléaire. Si le Bon Dieu le veut bien, j’apporterai moi aussi ma contribution à cette tâche. Note de la rédaction: cet entretien a été réalisé avant la catastrophe nucléaire de Fukushima et ne tient pas compte des dernières évolutions de la situation politique.

La «femme solaire» de Thunstetten Elsy Zulliger — femme de ménage de son état — s’est fait un nom dans les années 1970 en tant qu’adversaire résolue de la centrale nucléaire que les Forces motrices bernoises voulaient ­construire à Graben BE. Membre du mouvement ­SOLEILsuisse, elle a tenu des stands d’infor­ mation pendant des années et a plaidé pour l’éner­ gie solaire lors de cours et d’expositions. Depuis de nombreuses années, elle a renoncé au télé­ phone, n’utilise pratiquement plus de fer à repas­ ser et son frigidaire n’est plus en service. Il y a trente ans, elle a fait installer sur son toit des pan­ neaux solaires qui lui fournissent de l’eau chaude. Aujourd’hui, alors qu’elle va bientôt fêter ses 90 ans, elle se chauffe toujours au bois. Elsy Zulliger continue d’intervenir dans le débat: avant la vota­ tion bernoise sur la centrale de Mühleberg, elle a distribué du matériel d’information concernant les problèmes de l’énergie nucléaire; dans sa com­ mune, elle pose toujours les questions qui déran­ gent au sujet de la politique énergétique locale.


Quel pays prévoit d'ouvrir le premier site de stockage final de déchets nucléaires au monde?

Ville de Belgique

Chacun des Glissade volumes contrôlée d'un du footouvrage balleur

Ensemble de pratiques sociales

Avant nous

Araignée de mer

Jours du calendrier romain

Pâturage

Le père

Échec total

21

Navire

5 Maison individuelle avec jardin

Plateforme en ligne pour dénoncer les scandales écologiques

Garçon d'écurie soignant les chevaux

Marque le doute

Manganèse

Pénurie

Filet d'eau

Partie de négation

8

6 22

23

3

Sur quelle île trouve-t-on la plus haute montagne (mesurée depuis les fonds marins)?

Bon génie

Ville de la Drôme Trouble dû à la crainte

Désavoué En latin, la même chose

Île dans les Hébrides

Une des îles Ioniennes

7 Animal marin couvert de piquants

Préposition

14

Monnaie de Corée

20 Très grande colère Quel animal a trois cœurs?

17

Poisson nordique Pronom personnel Il s'use en roulant sur la route

Rappel Vestiges du passé Musicien, écrivain français

4 Nom poétique de l'Irlande

Ville des USA, (Nevada)

Fourrage concentré importé en Suisse

11 Égouttoir Lentille

16 Ancienne mesure de longueur pour étoffes

Salé, puis séché à la fumée

Original

2 10 Diluant Époux, conjoint

Clair, distinct, explicite

12

Préfixe signifiant air

13

Apparence Table du trictrac

9

Béryllium

Affluent du Danube Réalise les opérations Article Dans le vent

1

Quel est le plus grand organisme marin de la planète?

Volonté permettant d'agir avec efficacité

Pains cuits en une fois

18

19 15

Lichen sur les arbres 1103740

1 2 3 4 5 6 7

8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23

Gagnez «Vivre vert», le guide de Greenpeace pour un mode de vie plus écologique! Conditions de participation: ­envoyez la solution jusqu’à la mi-juin par courriel à redaktion@greenpeace.ch ou par poste à Greenpeace Suisse, ­rédaction magazine, mots fléchés écolos, case postale, 8031 Zurich. La date du timbre postal ou de réception du courriel fait foi. La voie juridique est exclue. Il ne sera échangé aucune correspondance. Magazine Greenpeace Nº 2 — 201 1

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Photo : © G reenpeace

Mots fléchés

Élevé L'envol Sorte de de lutte l'industrie japonaise textile chinoise Conjonction pollue de notam- l'hypothèse ment... Libre


Pho to: © Ch ri stia n Åsl un d / Greenp eac e


AZB 8015 Zürich

Les affiches et autocollants portant ce logo peuvent être commandés sur: www.akwnein.ch/aktiv.html

— Rapport Annuel 2010 Ce que nous avons achevé. Ce que votre contribution a rendu possible. Tous les faits et chiffres: le rapport annuel 2010 de Greenpeace est maintenant en ligne. www.greenpeace.ch/rapportannuel


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