Notre argent et la crise climatique
Stratégie pour une place financière climatiquement neutre Une recommandation de Greenpeace Suisse, mai 2020
Responsabilité de la place financière suisse La place financière suisse est une des principales places financières de la planète, elle joue donc un rôle important pour lutter contre la crise climatique. Des billions de francs suisses (CHF) y transitent sous forme de fonds propres ou étrangers en direction de l’économie internationale et génèrent, à travers l’activité qu’ils financent, plusieurs fois plus d’émissions de gaz à effet de serre (GES) que la Suisse n’en émet à l’intérieur de ses frontières.¹ Ces financements attisent actuellement un réchauffement de l’atmosphère planétaire de 4 à 6°C² au lieu de 1.5°C³ auquel la Suisse s’est engagée en ratifiant l’Accord de Paris sur le climat. Le dernier rapport de Greenpeace sur les affaires nocives pour le climat montre que durant chacune
des 4 dernières années, les deux grandes banques UBS et Credit Suisse (CS) ont financé le secteur international du charbon, du pétrole et du gaz dans une mesure telle qu’elles sont coresponsables de plus d’émissions que la Suisse n’en a généré à l’intérieur de ses frontières. Si nous voulons atteindre les objectifs climatiques de l’Accord de Paris, il faut aussi que les acteurs de la finance (en premier lieu les banques, les assurances et les investisseurs) y participent. Ils doivent retirer leurs investissements et fonds étrangers de tous les projets et entreprises nuisibles pour le climat et les réorienter vers ce qui est neutre ou même positif pour le climat dans le but de soutenir un scénario de changement climatique d’au maximum 1.5°C.
Marquages dans la forêt: L’industrie pétrolière est à la recherche de ressources souterraines en Alberta, au Canada. © Greenpeace / Ian Willms
1 Selon un calcul de de l’Alliance climatique suisse basé sur des données de l’OFEV. 2 Test de compatibilité climatique, OFEV 2016, https://www.bafu.admin.ch/bafu/fr/home/themes/climat/info-specia-
listes/climat-et-marche-financier.html 3 Selon les recommandations du GIEC dans le cadre du Rapport spécial 1.5°C publié en 2018, nous nous concentrons ci-après sur l’objectif de 1.5°C en respect de l’Accord de Paris.
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Mesures pour réorienter la place financière suisse Il faut prendre les mesures ci-dessous pour que la place financière suisse ne soit plus une partie du problème, mais devienne une partie de la solution (par ordre d’importance). Retrait immédiat des combustibles extrêmement nocifs. L’arrêt immédiat du financement de l’exploitation de réserves et l’extraction de combustibles fossiles particulièrement nocifs pour le climat (p. ex. charbon, pétrole de sables bitumineux et fracking) est indispensable pour atteindre les objectifs climatiques.4 Ce type de combustible n’a aucune place dans un scénario 1.5°C, car il y a déjà plus de réserves de combustibles que ce qu’il faudrait brûler. Si les acteurs financiers ne renoncent pas volontairement à ces financements, ils faut les interdire au niveau politique et législatif en référence aux objectifs climatiques.
Sortie progressive de tous les combustibles fossiles Les acteurs financiers établis en Suisse ne peuvent financer par des fonds propres ou étrangers des entreprises actives dans la production et la mise à disposition de combustibles fossiles que si ces entreprises s’engagent à transformer leur modèle d’affaires de façon compatible avec l’Accord de Paris et montrent de façon fiable/vraisemblable comment elles entendent atteindre ce but à temps. Il est du devoir des acteurs financiers de mettre à disposition le capital nécessaire à cette transformation, de vérifier chaque année les progrès de ses entreprises dans la transformation de leur modèle d’affaires et d’arrêter immédiatement le financement en cas d’absence de succès ou de succès insuffisants.
La mine de charbon de Duvha en Afrique du Sud. © Greenpeace / Ruth Sacco
4 Il faut assurer que les financements d’entreprises qui ne sont pas liés à des projets ne puissent pas être détournés vers des activités nocives pour le climat.
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Transformation vers le financement d’une économie 1.5°C Nous pensons que les mesures suivantes sont indispensables pour que le secteur financier suisse puisse financer à moyen terme une économie mondiale compatible avec les objectifs de protection du climat : 1. Définition d’une économie favorable au climat et compte rendu des effets climatiques de ses activités Réaffecter du capital à une économie mondiale neutre pour le climat implique que cette économie et ses activités soient définies et que les effets de ces activités sur le climat soient identifiés. Pour cela, l’Etat doit collaborer avec les acteurs de l’économie, de la finance, des sciences et aussi avec la société civile pour élaborer les bases informationnelles et référentielles suivantes.
A. Définir un scénario 1.5°C pour l’économie mondiale Ce scénario sert de référence et décrit les développements technologiques pour limiter le changement climatique à 1.5°C au maximum, ainsi que les transformations de l’économie planétaire dans tous les secteurs concernés d’ici 20505.
B. Classement des activités : Un classement qui suit le scénario ci-dessus définit les activités nocives pour le climat et celles qui y sont favorables, il constitue la base pour les décisions de financement. La définition peut être élaborée par les associations sectorielles en collaboration avec l’OFEV, le département des finances et des organisations écologistes et se greffer6 sur le classement de l’UE7.
C. Compte rendu de l’effet sur le climat Les acteurs économiques (particulièrement de l’économie réelle) sont tenus d’identifier l’effet de leurs activités sur le climat à l’égard des acteurs financiers, et donc aussi des investissements et des financements dans ces activités. Dans une économie mondialisée tant du point de vue réel que financier, cela doit se faire dans un cadre harmonisé au niveau international (p. ex. selon les recommandations de la Task Force on Climate-Related Financial Disclosures TCFD).
2. Engagement de tous les acteurs financiers en faveur d’un modèle d’affaires favorable au climat Dans un 1er temps, le Conseil fédéral définit avec les acteurs financiers institutionnels les objectifs qui mettent leurs affaires en accord avec le scénario 1.5°C. Cela concerne surtout les émissions scope-3 qui sont conforme à leurs portefeuilles d’investissement et de financement. Les gestionnaires de fortune sont en outre tenus de faire tout ce qui est légalement possible pour aligner également les fonds de leurs clients sur ce scénario. Dans un 2e temps, les prescriptions sont étendues aux acteurs privés des marchés financiers.
A. Les acteurs financiers doivent déterminer le statu quo de l’effet climatique de leurs activités d’affaires et définir un itinéraire de transformation compatible avec le scénario 1.5°C pour leur modèle d’affaires.
5. Ce scénario devrait se baser sur des connaissances scientifiques concernant le budget CO2 restant (voir méthodologie p. ex. sur https://www.ipcc.ch/sr15/) et définir des objectifs de réduction des émissions par pays et par secteur en tenant compte des possibilités techniques, des couts et des responsabilités historiques. Les développements du scénario devraient être contraignants durant les prochaines années. Des réévaluations régulières (p. ex. tous les 5 ans) des réductions d’émissions réalisées et des moyens techniques disponibles à ce moment-là assurent que la transformation est efficiente et montre des effets. 6. La caractérisation des activités en « vert », « gris » et « brun » dans le classement doit clairement se baser sur les exigences du scénario 1.5°C. D’autres objectifs de durabilité doivent être pris en compte lors de l’évaluation des activités et le classement doit être compris comme une construction dynamique qui nécessite d’être actualisée régulièrement en accord avec les scénarios. 7. Concernant le classement de l’UE, voir : https://ec.europa.eu/knowledge4policy/publication/sustainable-finance-teg-final-report-eu-taxonomy_en
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B. Les acteurs financiers rapportent chaque année publiquement sur l’évolution de l’effet de leurs activités commerciales sur le climat (y c. l’argent qu’ils gèrent pour des clients) et identifient les progrès en fonction des exigences de transformations compatibles 1.5°C8. Les acteurs doivent assurer qu’ils atteignent ces objectifs au moins sur une moyenne de 3 ans.
C. Ils identifient les effets sur le climat des portefeuilles de leurs clients et assurés, et leur offrent des produits financiers ou des solutions de placements durables et compatibles 1.5°C.
D. Si les objectifs de la Confédération ne sont pas remplis, les émissions trop élevées seront pénalisées par des redevances appropriées conformément au principe de la vérité des couts.
Pour soutenir la transformation du secteur financier, le Conseil fédéral et les autorités de régulation mettent en vigueur les mesures suivantes.
3. Rétablir la vérité des prix ➛ Les financements d’activités nocives pour le climat sont pénalisés par des exigences plus importantes en fonds propres9. Cela permet simultanément de faire face aux risques de transition que les entreprises et la place financière prennent en effectuant de tels placements. ➛ Les gains issus de financements nocifs pour le climat sont progressivement pénalisés par une taxe d’incitation qui se base sur les couts externalisés que ces investissements causent à la collectivité. 4. Soutien des financements durables La Confédération et les cantons soutiennent le financement de projets pionniers neutres ou positifs pour le climat en soutenant les acteurs financiers par un pool d’experts en évaluation des risques (technical assisting) et assument une partie du risque par des cautions. 5. Directives de placement plus strictes pour les acteurs financiers publics Pour donner de l’allant à la transformation, il faut que les organisations publiques et semipubliques ayant des volumes de placements conséquents jouent le rôle de pionniers. Il s’agit en l’occurrence du fonds AVS, de la SUVA, des caisses de pension (prévoyance obligatoire LPP), de la caisse de compensation, de La Poste et des CFF, ainsi que des Banques canto-
nales et enfin et surtout de la Banque nationale suisse (BNS) qui doivent être contraint au niveau politique par des directives de placement strictes à investir dans des activités économiques neutres et positives pour le climat, et à retirer leurs capitaux des investissements qui ne sont pas durables. Ces investisseurs sont particulièrement liés au bien public du fait de l’origine du capital géré et du but de leurs activités. Ils doivent donc aller de l’avant et montrer l’exemple en s’engageant dans la bonne direction en tant que pionniers 6. Montrer clairement les risques climatiques Les risques climatiques financiers que les acteurs financiers prennent avec leurs financements (risques physiques et risques transitionnels), doivent être régulièrement identifiés. Des « stress tests » réguliers dans un scénario 1.5°C en font partie. Les autorités de régulation édictent les recommandations et réglementations nécessaires pour cela. La méthodologie d’identification des risques doit être publique.
8 Selon des calculs du PNUE pour la transition planétaire pour respecter le scénario 1.5°C, les effets climatiques des
activités commerciales doivent diminuer d’au moins 7.6% par an entre 2020 et 2030. 9 D’une part, cela rend ainsi les financements nocifs pour le climat moins rentables et d’autre part, les exigences de fonds propres plus importants tiennent compte du fait que ces financements sont également soumis à des risques de transformation nettement plus élevés.
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