SOMMAIRE
INTRODUCTION
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CONTEXTE HISTORIQUE : Le déclin de l’artisanat textile
............. page 2 ............. page 4 ............. page 6 ........... page 11
RENOUVEAU : la nécessité de l’artisanat textile Le besoin du savoir-faire ancestral Un gage de qualité Un enjeu majeur
........... page 12 ........... page 14 ........... page 16 ........... page 17
CONCLUSION
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BIBLIOGRAPHIE
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Les prémices du textile à travers les siècles et les pays Les avancées technologiques Le contexte économique et social
Couverture et quatrième de couverture : Kahori Maki, designer textile.
INTRODUCTION
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hacun de nous vit au quotidien avec du design textile autour de soi. On s’intéresse à la mode, à la décoration, à l’histoire et à l’origine de ce que l’on porte : la fibre, la matière, la teinture, le motif. On garde des tissus offerts par nos parents, le mouchoir en coton d’un grand-père, l’écharpe tricotée d’une grand-mère... On rapporte de nos différents voyages des foulards, des paréos, des tissus qui sont le souvenir le plus riche et emblématique du pays que l’on a découvert et de sa culture locale. En effet, dans le monde entier, l’artisanat textile traditionnel a conservé un rôle crucial : il constitue un marqueur culturel de poids, un élément important de la fierté nationale. Il est l’expression d’une civilisation, d’une tradition, d’une authenticité, d’une mémoire collective et mondiale. Cependant, le dernier siècle a été dur envers l’artisanat textile, au point de se demander si nous sommes en train de perdre les savoir-faire traditionnels de nos ancêtres. En effet, comment l’artisanat textile peut-il survivre à l’heure de la mondialisation ? Comment peut-il répondre aux besoins de notre société de consommation ? Nous tenterons de répondre à ces questions en suivant ce plan :
CONTEXTE HISTORIQUE : le déclin de l’artisanat textile
LES PRÉMICES DU TEXTILE À TRAVERS LES SIÈCLES ET LES PAYS LES AVANCÉES TECHNOLOGIQUES LE CONTEXTE ÉCONOMIQUE ET SOCIAL
RENOUVEAU : la nécessité de l’artisanat textile LE BESOIN DU SAVOIR-FAIRE ANCESTRAL UN GAGE DE QUALITÉ UN ENJEU MAJEUR
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AVANT DESIGN LE
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LES PRÉMICES DU TEXTILE À TRAVERS LES SIÈCLES ET LES PAYS
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es premiers vêtements portés, il y a environ 650 000 ans, sont vraisemblablement en peaux et fourrures d’animaux, rêches et grossières, et protégent les chasseurs-cueilleurs préhistoriques du froid. Ils se servent de peaux d’animaux comme costumes, drapés ou enfilés, et utilisent des lanières de cuir pour attacher les fourrures. Plus tard, il y a 40 000 ans, l’homme de Cro-Magnon développe des outils pointus comme des poinçons ou des aiguilles à coudre en os d’animaux, pouvant percer de petits trous dans les peaux, et ainsi lacer ou coudre des tuniques. L’homme préhistorique apprend progressivement à macérer les fibres végétales pour les rendre flexibles ainsi qu’à détacher les poils des cuirs grâce à des silex taillés, fabriquant d’abord, vers -8000, des feutres de lin, laine, poils, fourrure, voire en écorce d’arbre. Une forme de tricot, le nalbinding, est repérée dès -6000 en Le nablinding Judée. Les premiers tissus connus datent quant à eux de la Préhistoire, à la fin du néolithique (– 3 300 avant J.C.) : on prépare les fibres, on les carde, on les file puis on les tisse. Les fils de chaîne sont tendus entre deux bâtons de bois enfoncés dans le sol. Avec une perche, un fil de chaîne sur deux est tiré afin de créer un espace vide, appelé la foule, où le fil de trame passe, perpendiculairement aux fils de chaîne.
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Vers 1 400 avant J.C., les premiers métiers à tisser verticaux apparaissent : la chaîne est alors tendue entre deux barres horizontales. Pour passer le fil de trame dans la foule, le moyen reste le même pendant longtemps : une navette se glisse à la main dans l’ouverture. Le tissage nécessite le filage de la laine de mouton ou de chèvre, ou encore de la fibre de coton, laine, lin ou soie. L’art du filage est attesté dès la sédentarisation des hommes qui découvrirent, il y a de cela environ 27 000 ans, qu’il était possible de fabriquer un fil solide en parallélisant les poils ou les fibres végétales, puis en donnant manuellement une torsion à ces faisceaux de fibres. Le premier outil de filage consistait en un petit bout de bois doté d’un crochet qui permettait d’attraper le fil. Le filage au fuseau et à la quenouille est attesté dès le VIe millénaire av. J.-C. jusqu’à l’apparition du rouet au début du XIVe siècle au Moyen-Orient. C’est au XVIIe siècle qu’on ajoute une pédale au rouet pour libérer la main droite du fileur, améliorant ainsi la technique. Mais malgré ce progrès, le tissage et le filage demeurent encore des opérations lentes, artisanales et relativement onéreuses. Un rouet traditionnel
Peinture chinoise Artiste inconnu
Un textile, une histoire L’HISTOIRE DE LA PRINCESSE SI LING CHI
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ne légende tirée du Livre des Odes de Confucius évoque comment, vers 2700 avant J.C., la Princesse Si-Ling-Chi, femme de l’Empereur Huang-Ti, découvre le secret du dévidage du cocon du ver à soie. Cependant, des fouilles archéologiques prouvent que cette découverte est bien plus ancienne. Par un après-midi de printemps, la princesse buvait son thé au pied d’un mûrier quand un cocon tomba dans sa tasse. Le cocon ramolli par le thé chaud commença à se défaire et la princesse, en cherchant à le retirer de sa tasse, accrocha le fil qui en le tirant lui parut sans fin. Elle l’enroula sur une baguette et se dit que l’on pourrait faire un beau tissu de ce fil si fin. Elle convoqua ses meilleurs tisserands, qui travaillèrent jours et nuits sur ce fil si fin et si fragile. Après de longs mois de travail, les tisserands arrivèrent à obtenir un tissu si doux que la princesse décida de ne plus jamais porter de vêtements d’une autre matière.
Leur génie fut de réussir à développer l’élevage du ver à soie et de songer à tuer la chrysalide avant l’éclosion du papillon, permettant ainsi l’obtention d’un fil continu de 500 à 1000 mètres de long. La princesse ordonna que le tissage de la soie demeure un secret. Des lois punissaient quiconque sortait du pays avec des graines de vers à soie ou des chenilles. Ce secret fut jalousement préservé pendant des siècles, constituant un fabuleux monopole commercial. Le monde était fasciné par cette matière et se demandait d’où pouvaient venir ces étoffes. Etait-ce une plante ? La peau d’un animal ? Toutes ces étoffes arrivèrent en Occident par les routes de la soie et nombreux furent ceux qui voulurent découvrir le secret de leur origine. Ce n’est que beaucoup plus tard que des moines venus de Byzance volèrent des graines, les cachèrent dans leur canne en bambou et les ramenèrent chez eux. C’est alors que, partout dans le monde, on commença à élever des vers et à tisser la soie.
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N AISSANCE DU DESIGN LES AVANCÉES TECHNOLOGIQUES
La révolution industrielle va tout bouleverser. S’ensuit alors une véritable course aux évolutions techniques qui aboutiront à l’industrie textile telle qu’on la connaît aujourd’hui.
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n 1733, le britannique John Kay met au point la «navette volante» afin d’améliorer la vitesse du tissage. Ce nouveau système mécanique permet de tisser les fils à une vitesse considérable et sous forme de tissus beaucoup plus larges. Elle nécessite donc moins de main d’œuvre. Toutefois, le rendement de production de fils deviendra insuffisant et les tisserands seront vite à court de matière première. C’est la raison pour laquelle beaucoup d’ingénieurs chercheront à perfectionner aussi le filage. En 1746, la première manufacture d’indiennes mulhousienne est créée, dans ce qui est encore la République de Mulhouse, par Koechlin, Schmalzer et Jean-Henri Dollfus. En 1769, Richard Arkwright dépose un brevet pour sa «water-frame», une machine à tisser fonctionnant grâce à un moteur hydraulique. Il signe ainsi la naissance de la première machine à tisser mécanique. C’est aussi la fin du tissage à domicile, puisqu’il faut désormais employer du personnel en usine pour faire tourner les machines. Arkwright fondera d’ailleurs luimême la première filature industrielle en 1771. Crompton invente quant à lui la spinning mule en 1779, permettant à un seul ouvrier de commander jusqu’à 1 000 fuseaux. C’est ensuite au tour du tisseur lyonnais Charles-Marie Jacquard d’imaginer en 1801 la Mécanique Jacquard : il perfectionne le métier à tisser automatique en y installant un dispositif à cartons perforées. Ce mécanisme simple et ingénieux permet à un seul ouvrier de réaliser des étoffes aux dessins complexes aussi facilement qu’une étoffe unie. La généralisation progressive des métiers à tisser employant les inventions de la navette volante et du métier Jacquard constitue une
véritable révolution technique et sociale de la profession. En 1812, tous les métiers à filer du RoyaumeUni produisent autant que quatre millions de rouets. Le filage industriel se développe avec deux inventions : d’une part, la machine à égrener le coton pour fournir la fibre ; d’autre part, celle du métier à tisser mécanique. Depuis, ce secteur n’a cessé d’évoluer d’autant plus que la production de la laine, du coton et de la soie n’a cessé de s’accroître dans le monde entier. Il faut attendre le dernier tiers du XIXe siècle pour voir la diffusion à grande échelle de métiers mécaniques réalisés en métal : seul ce matériau est en effet capable de supporter les chocs créés par la propulsion de la navette. Puis l’arrivée de l’électricité au début du XXe siècle permet de remplacer les machines à vapeur par de gros moteurs électriques. La mécanisation du métier à tisser est pratiquement achevée à la fin des années 1940. La navette, trop lourde et donc limitée en vitesse, est troquée contre un outil appelé « projectile » à partir de 1945. Cette innovation est ensuite simplifiée par une nouvelle technologie : le métier à jet de fluides, qui permet de pousser le fil de trame entre les nappes par un jet d’eau ou d’air sous pression. C’est la technologie qui est actuellement utilisée pour la production de masse. Les derniers progrès sur les métiers industriels viennent des programmations informatiques qui gèrent les entrelacements des fils. Cependant, le principe même du tissage reste inébranlable et ce depuis plus de six mille ans...
C’est ainsi que la notion de design apparaît : on conçoit l’esthétique du produit à l’origine et on le produit en grandes quantités pour rentabiliser les coûts des moules ou des appareils qui servent à le fabriquer.
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RÉCAPITULATIF 1
1733
Invention de la navette volante
1746
Première manufacture d’in diennes mulhousiennes
1769
Invention de la «water-frame» 4
1771
Première filature industrielle
1779
Invention de la spinning mule
1793 2
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Invention de la machine à égrener le coton
1801
Invention de la Mécanique Jacquard
1870
À partir de Métiers mécaniques en métal
XXe
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Début du siècle Arrivée de l’électricité Naissance du design
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1- La navette volante 2- La water-frame 3- Un métier à tisser mécanique 4- La machine à égrener le coton 5- Le travail des indiennes mulhousiennes 6- Une indienne mulhousienne 7- La Mécanique Jacquard 8- Un métier à tisser mécanique 9- La spinning mule 10- Les premières utilisations de la machine à égrener le coton 11- Le tissage aujourd’hui 12- Un métier à tisser récent
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Aujourd’hui, avec l’industrie, le design textile ne cesse de se développer, que ce soit les textiles fonctionnels (comme ceux de l’habillement, de l’ameublement ou du sport), ou techniques (les textiles à usage agricole, industriel, géotechnique, pour les ouvrages d’art, le second œuvre du bâtiment ou le transport).
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râce à la chimie, les chercheurs ne cessent d’inventer de nouvelles matières textiles, garantissant la qualité constante des produits tout en offrant des propriétés intéressantes et ce à moindre coût.
Bobines de fil synthétique
On distingue deux types de fibres d’origine chimique : les fibres textiles artificielles et les fibres textiles synthétiques. Les fibres textiles artificielles proviennent de matières premières naturelles. Elles peuvent être d’origine végétale animale. L’acétate, le viscose et le lyocell en sont des exemples. Les fibres textiles synthétiques sont d’origines organique ou minérale. Citons par exemple l’acrylique, le polyester et le polyamide, qui proviennent du pétrole. Le développement durable tend à encourager cette tendance. En effet, les tissus d’origine naturelle ne sont pas forcément écologiques : il faut par exemple dix-mille litres d’eau pour transformer un kilogramme de coton en tissu, depuis l’arrosage du coton jusqu’à sa teinture, son blanchiment et son utilisation. Le coton consomme également un quart des pesticides vendus sur la planète et 10% des pesticides utilisés en agriculture, après le riz et le blé, pour seulement 2,5% de la totalité des terres cultivées sur la planète. Quant aux teintures naturelles qui colorent les tissus, elles ont besoin pour être fixées sur le tissu de métaux toxiques comme le plomb et le chrome, en grande quantité.
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De nouvelles techniques de fabrication de tissus apparaîssent également, telles que le non-tissé, le sans couture ou les textiles 3D. En outre, de nouveaux traitements d’ennoblissement affleurent sur le marché, modifiant le toucher, l’aspect de l’étoffe, mais aussi ses propriétés. On distingue les apprêts dits «mécaniques», essentiellement dus à l’action physique des machines, et les apprêts dits «chimiques», faisant intervenir des produits. En partant d’une cinquantaine de matériaux d’origine naturelle ou synthétique, les diverses opérations mécaniques réalisables peuvent conduire à la fabrication d’environ cinq-cents types de tissus différents. On distingue ainsi les nanotechnologies, la microencapsulation, les textiles à couleur changeante et les matières rétroréfléchissantes. L’avancée de l’industrie textile ne s’arrête pas là. On prévoit en effet de développer l’utilisation de matériaux tels que le fil d’araignée, plus résistant que l’acier, et de procédés comme le plasma (qui présente de nombreuses propriétés bénéfiques en plus d’être écologique), le CO2 supercritique (en tant que transporteur écologique de colorants de teinture) ou encore l’iridescence.
Papillon iridescent
MĂŠtier Ă tresses pouvant utiliser toutes sortes de fibres textiles.
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LE CONTEXTE ÉCONOMIQUE ET SOCIAL
Ainsi, l’industrie textile a progressivement pris le pas sur la production artisanale. Le design textile n’est d’ailleurs pas envisageable sans une perspective industrielle. Mais plus qu’une série de progrès techniques, c’est un véritable phénomène social qui a opéré ce changement.
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vant l’ère industrielle, on ne parle pas de «consommation». En effet, l’acquisition des biens de valeur ne concerne qu’une frange limitée de la société : la noblesse, le clergé et les marchands. Qualitativement, elle est en elle-même définie par une idée de la richesse plus concrète, différente de notre appréhension actuelle. Être riche, dans l’Antiquité, c’est surtout posséder une terre, un beau domaine et s’entourer de belles choses. La mutation de l’ère industrielle retourne de fond en comble cette idée de la richesse. Ainsi, la production de masse ne se comprend qu’au sein de notre système économique, le capitalisme : c’est désormais l’accumulation des capitaux qui prime. De même, nos préocuppations ne sont plus identiques. L’homme a toujours cru en quatre choses fondamentales pour sa vie: - assurer une transcendance à son existence - assurer sa subsistance - assurer la perpétuation de son espèce, de son nom - assurer son bien-être. Même s’il est vrai que l’homme a de tout temps témoigné d’une attirance compréhensible pour une certaine forme de superflu, comme l’art et les vêtements, la transcendance constituait pour la majorité des humains le but de l’existence. Le bouleversement apporté par la révolution industrielle est d’inverser les proportions en donnant de plus en plus d’importance au superflu et de moins en moins d’importance à la transcendance.
Ce changement de mode de vie comme de mentalité implique que l’homme postmoderne vit dans une totale immersion dans le monde de la consommation. Le terme consommer est couramment associé avec des images : celle d’une société d’abondance avec sa profusion de nourriture, son accumulation de toutes sortes d’objets, de la machine à laver à la voiture de la dernière série d’un constructeur, celle du caddie du supermarché plein à déborder, de l’étalage d’un luxe éblouissant, celle de la facilité d’acheter tout tout de suite et cela sans limite. La philosophie de vie de nos contemporains est de profiter au maximum. La consommation est un modèle de plaisir, le plaisir d’acheter pour se faire plaisir, une auto-gratification perpétuelle. Plaisir aussi de se montrer avec l’attrait captivant de la nouveauté : le nouveau jean, le nouveau vêtement coupé selon la dernière mode… Plaisir de se faire voir, d’être envié, de consommer pour épater. La publicité encourage d’ailleurs cette étrange compulsion du consommateur dans la frénésie de l’achat. L’achat ne se fait plus par besoin, mais bien par désir. Ce phénomène, associé à la mondialisation, à la hausse de la population mondiale et à ses besoins/désirs toujours croissants, entraîne une demande de plus en plus importante et des coûts de productions toujours plus élevés. D’autre part, l’avènement de la société de consommation engendre une évolution rapide des genres et des modes, ce qui entraîne une production toujours plus importante de produits textiles.
On peut ainsi aisément imaginer que seule la production de masse peut répondre convenablement à la demande, laissant peu de marge à la création artisanale.
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LE BESOIN DU SAVOIR-FAIRE ANCESTRAL
Cependant et contre toute attente, les affinités entre artisanat et design industriel sont de nos jours très fortes. Dès 1940, à la recherche d’un textile toujours plus innovant et de meilleure qualité, bien des designers perpétuent tout en améliorant l’art de nos ancêtres...
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ien que la majorité des articles en textile soit désormais fabriquée en série, nombreux sont les designers qui ont une formation ou un passé d’artisan, ou qui mènent de front la création artisanale d’objets à tirage limité et leurs activités de designer industriel. Les avant-gardes de Cranbrook Aux États-Unis, la fameuse académie des arts de Cranbrook a déterminé les grandes orientations du design de textile durant les années 40 et 50. Son influence perdure grâce à d’anciens élèves tels que Jack Lenor Larsen, une figure majeure du design de textile. Resté fidèle à l’artisanat, ce défenseur acharné des tissus d’art est aussi un grand spécialiste du tissage industriel et des fibres synthétiques, ayant exercé une influence considérable sur le marché du textile industriel haut de gamme. C’est un des nombreux artisans-designers à avoir emprunté à l’art et à l’artisanat d’autres cultures le thème de ses collections : Andine (1956), Africaine (1963) et Irlandaise (1969). Le département d’État américain a fait appel à lui comme consultant sur divers projets de tissage des fibres végétales à Taiwan et au ViêtNam. La notice que lui a consacrée High Styles en 1985 lui accordait la prééminence dans le domaine du design de tissus d’ameublement, qui est restée longtemps d’actualité.
Jack Lenor Larsen et son travail
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Marianne Strengell, qui prend la tête du département textile de Cranbrook en 1942, encourage à la fois le design et la production. Outre l’initiation au tissage et la création des textiles, Marianne Strengell réintroduit alors à Cranbrook des cours pratiques pour le dessin et la réalisation de tissus imprimés. Robert D. Sailors, diplômé du département textile de Cranbrook, tisse quant à lui tout ce qui peut l’être. Il monte sa propre firme qui sort des étoffes tissées tant à la main que sur métiers mécaniques. Les innovateurs Mais l’académie de Cranbrook n’est pas la seule à emprunter à l’artisanat des idées pour la fabrication industrielle. Formée à Berkeley et à l’université de Columbia, Dorothy Liebes est une des premières Américaines à adapter à la production de masse des motifs créés selon des techniques artisanales. Dès 1930, elle réalise à la main ses premières commandes pour des architectes californiens. En 1940, elle se lance dans la création textile à large échelle, ouvre son propre studio à New York en 1948 et ne travaille plus que pour la grande industrie. Impossible de parler de design textile sans mentionner la couturière et graveuse Anni Albers. De fait, tous les designers occidentaux de l’après-guerre ont une dette envers elle. En 1949, elle est la première à qui le Museum of Modern Art de New York consacre une exposition personnelle. Partisane d’une production industrielle qui s’appuie sur un dessin de conception artisanale, elle plaide notamment dans On Design (1959) et On Weaving (1965) en faveur d’un design qui ne soit pas seulement graphique : pour elle, il est indispensable pour le designer de manipuler les étoffes, de façon à ce qu’il puisse se pénétrer de leur structure tridimensionnelle.
L’influence scandinave Par le biais d’expositions itinérantes, de foires internationales ou de produits d’exportation, c’est la Scandinavie qui a l’influence la plus décisive sur le textile. Les designs artisans scandinaves se distinguent à la première Triennale organisée après-guerre à Milan (1951) où une médaille d’or récompense Juliana Sveinsdottir, une islandaise spécialiste des créations associant tissage et tricot jouant des contrastes entre laine écrue et diverses laines teintes. Le prix Lunning est une autre excellente opération promotionnelle pour ces pays : jusqu’en 1972, il récompense des créateurs de premier plan et contribue à persuader distributeurs et détaillants de l’existence d’un style scandinave. Ainsi commence la valorisation du beau et de l’authentique... La danoise Vibeke Klint est l’une des lauréates de ce prix, bien connue aujourd’hui pour ses étoffes tissées main d’une grande beauté. L’engouement pour l’artisanat textile dans le monde En Europe, les développements les plus significatifs du design textile sont l’oeuvre de deux femmes : Enid Marx, une designer et peintre qui s’est toujours montrée passionnée par le tissage et la teinture, et Marianne Straub, l’une des plus grandes créatrices de tissus en Angleterre, qui basait la production industrielle sur ses propres dessins. Elles encouragent l’association du design d’industrie avec l’artisanat. Parallèlement, les stylistes asiatiques renouent avec leurs modes vestimentaires traditionnelles et les techniques de tissage ancestrales, tout en exploitant les fibres nouvelles et les procédés chimiques de traitement des étoffes mis au point par l’industrie textile. Dans les années 90, le monde tourne les yeux vers le Japon qui crée des tissus merveilleusement inventifs comme ceux de Junichi Arai. Utilisant à la fois les fibres synthétiques et naturelles et à partir d’un tissage favorisant la liberté de l’étoffe plutôt que le contrôle de la tension, il allie technologie et tradition artisanale pour créer une texture presque vivante. Il prouve ainsi que le design textile n’est pas prêt de montrer ses limites...
Ces influences ont permis à l’artisanat textile de perdurer. Plus encore, il devient un véritable effet de mode. Aujourd’hui, il existe même des associations qui lui donnent l’accès pour tous. Prenons l’exemple du tricot : longtemps considéré comme une occupation de grandmère, il s’impose de fil en aiguille comme un loisir branché. La preuve avec le lancement, en novembre dernier à Rennes, des cafés-tricot. « Toutes les générations sont présentes. On a des mamies qui tricotent depuis longtemps et des plus jeunes, qui viennent de s’y mettre », dit Chloé de Ryck, coordinatrice de projet. Toutes ont un objectif : recouvrir la salle de concert de l’Antipode de pièces de tricot, à l’occasion du festival Urbaines. Pour les aider dans leur démarche, l’Antipode s’est attaché les services de Charlotte Lung, artiste rennaise de 24 ans pratiquant le yarn bombing. « Il s’agit d’égayer la ville en recouvrant l’espace urbain avec de la laine tricotée », explique l’étudiante en arts plastiques. Autre exemple au Québec avec 655 Cercles de fermières dans lesquelles plus de 30 000 membres sont répartis. Ce sont des associations apolitiques de femmes dont le principal objectif est la transmission du patrimoine culturel et artisanal. Ses adhérents organisent des ateliers, un grand concours d’artisanat à travers la province, des activités dans les écoles, ils ont aussi plusieurs publications à leur actif, parfois des livres ou encore un magazine, cinq fois par an. Plusieurs techniques de tricot ou de tissage sont également expliquées sur leur site Internet, ce qui permet évidemment de toucher une clientèle plus jeune. La présidente provinciale des Cercles de fermières, Louise Largarde, explique à ce propos : « Le tricot, est redevenu à la mode chez les jeunes. Ils sont vraiment très intéressés. Et maintenant, on sent une remontée de la broderie. »
Ainsi l’artisanat textile se transmet sans plus être vu comme une activité désuète. Chacun se l’approprie à sa manière, apportant toujours plus, par un savoirfaire ancestral sans cesse innové, aux créations textiles ou même à l’industrie.
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UN GAGE DE QUALITÉ
Aujourd’hui, notamment grâce à l’influence scandinave, l’artisanat textile est synonyme du beau et de l’authentique. Il est aussi bien l’apanage du luxe qu’une valeur sûre comme complément à l’industrie.
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a haute couture joue un rôle d’avant-garde et ses œuvres préfigurent la mode. Parmi un certain nombre de critères, le travail doit impérativement être réalisé à la main : à partir d’un simple croquis, les créations sont réalisées dans les ateliers de la maison. La mode fait ainsi de l’artisanat textile le luxe suprême. Ainsi, la broderie d’art a été reprise par la haute couture pour devenir l’apanage exclusif du tissu de luxe. C’est un français, François Lesage, qui en est considéré comme le roi incontesté. Dans les années 1980, il fait sensation en reproduisant sur une robe de Chanel le décor d’un vase Ming et en ornant d’une copie en sequins des Iris de Van Gogh un modèle d’Yves YSL - François Lesage Saint Laurent. Ce goût pour la broderie se remarque aussi auprès des écoles. C’est le cas de l’école de broderie Lesage, à Paris, comme le confirme la professeure Annie Penin : « Il y a beaucoup de relève. Des étudiants qui viennent du monde entier. » Au Centre des textiles contemporains de Montréal, Louise Lemieux-Bérubé, la directrice générale, remarque aussi une hausse dans les inscriptions. « Depuis trois ans, on doit faire deux groupes de première année, dit-elle. C’est une remontée qui nous donne beaucoup d’espoir pour le textile. On est dans de bonnes années ! » Aujourd’hui, les grands couturiers ne font plus seulement des vêtements : nombreux sont ceux qui, telle Vivienne Westwood, élargissent leurs compétences et leur art à d’autres univers comme la décoration d’intérieur ( papiers peints, tapis, rideaux, coussins...). Comprenant cet engouement pour l’artisanat textile, de nombreuses marques et entreprises en ont adopté l’alliance avec l’industrie. Le métier
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d’illustrateur textile fait même surface en marge du designer. Ainsi, des grandes marques telles que Hermès, Pierre Frey ou encore Missoni ont fait de leur signature un design textile de qualité dessiné à la main. Mais ce n’est pas seulement l’exclusivité des maisons de luxe. Prenons l’exemple de la firme internationale Ikéa. Son succès dans la catégorie textile provient d’un large assortiment de tissus de qualité à petit prix avec un grand choix de styles : unis, à carreaux et à rayures, à motifs géométriques abstraits mais aussi des tissus de caractère. Il y en a pour tous les goûts et ce grâce à ses nombreux designers dont les sources d’inspiration sont variées : des plantes exotiques, au charme des maisons suédoises, voire aux formes et couleurs de pièces automobiles cassées ! Cette envie de fait-main se retrouve aussi sur internet. Les blogs proposant des tutoriels de couture et de loisirs créatifs sont très prisés par les internautes. On peut même vendre ses propres créations, entre pièces uniques et petites séries, grâce à des sites comme Etsy ou Dawanda. En outre, le salon international des tissus d’habillement Première Vision vient confirmer cette tendance en proposant pour la deuxième année consécutive un espace exclusif intitulé Maison d’Exceptions. Créateurs, industriels et maisons de couture y trouvent une sélection de maisons d’artisanat textile du monde entier, chacun de ces ateliers ayant su préserver et développer des savoir-faire textiles uniques, entre tradition et innovation. Pour montrer un peu plus son engagement envers l’artisanat textile, Première Vision a également lancé sur le web le magazine de Maison d’Exceptions, une plateforme qui fait la part belle à la création de mode et à l’artisanat tout autour du monde. Une belle initiative qui attire bien des curieux...
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UN ENJEU MAJEUR
Davantage qu’un savoir-faire ancestral et un gage de qualité, l’artisanat textile a également un caractère bien plus profond. Outre un marqueur culturel, une fierté nationale, il peut se transformer en un enjeu absolument majeur.
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elon les pays, les cultures, le textile peut prendre bien des aspects : un moyen de lutter ou militer pour la femme, pour la liberté d’expression mais aussi pour contrer la pauvreté et développer l’économie du pays. L’émancipation de la femme C’est ainsi que les mouvements féministes ont revendiqué comme traditionnellement - et exclusivement - leur propriété, des branches spécifiques de l’artisanat, notamment le matelassé (les quilts en patchwork) et la broderie. Pour diverse et subtile que soit l’argumentation politique, elle cherche en partie à faire prendre au sérieux des activités auxquelles les femmes sont traditionnellement associées (entretien de la maison, arts dits ménagers). Ainsi, la broderie peut être utilisée de façon figurative pour créer des images politiques, mais c’est aussi et ce par nature, un art qui requiert un soin et une minutie extrêmes. Autre exemple, en Guinée, l’art textile joue un rôle dans la création d’emplois et la promotion de la femme par les filières telles que la couture, la broderie, la teinture etc... La liberté d’expression En Europe de l’Est, l’art textile, moins surveillé que la peinture ou la sculpture, est resté l’un des rares domaines où hommes et femmes conservaient une certaine liberté d’expression. La meilleure représentante polonaise de cette école est Magdalena Abakanowicz, dont les structures abstraites ont peu à peu évolué vers un figuratif insidieusement subversif.
Magdalena Abakanowicz - Tłumu
Une solution pour les pays en difficulté ? En dehors de l’exemple bien connu des pays asiatiques qui ont su faire de la filière textile un véritable tremplin pour leur économie, celle-ci pourrait être d’une aide précieuse pour développer les pays en difficulté. Ainsi, au Sénégal, l’artisanat du textile possède un certain nombre de points forts et de capacités prometteuses. La filière, fortement intégrée et liée à l’industrie nationale de coton, compte des entrepreneurs motivés et des créateurs innovants, notamment des femmes très actives. Elle jouit d’une main-d’œuvre qualifiée et de ressources humaines formées. La riche tradition du textile artisanal est source de distinction dans ce secteur. Elle attire des partenaires institutionnels et commerciaux qui représentent une diversité d’intérêts, de la croissance économique à la défense de la culture en passant par le développement communautaire. De même, au Burkina Faso, l’artisanat textile occupe environ un tiers des artisans et comprend surtout les métiers de la filature manuelle, du tissage, la teinture et de la confection. Depuis quelques années, il semble faire preuve d’un certain dynamisme qui se base avant tout sur la réussite socioprofessionnelle de nombreux couturiers ainsi que par la tenue fréquente de défilés de mode et d’expositions à l’occasion d’importants événements comme le FESPACO et le SIAO. Cette réputation contribue à attirer les jeunes dans cette voie et à susciter du même coup la création de nombreuses écoles professionnelles. Ainsi, le nombre de centres de formations et ateliers de coutures s’est considérablement accru ces dernières années dans les principales villes du pays. Il pourrait donc jouer un rôle important dans la création d’emplois en faveur de la jeunesse, très touchée par le chômage.
L’artisanat textile est donc également un enjeu politique, social et économique potentiellement majeur.
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CONCLUSION
A
insi, nous pouvons constater que design textile artisanal a réussi à perdurer au fil des années. S’il a été mis en danger par l’ascension fulgurante de l’industrie combinée à l’émergence d’une société de consommation toujours plus insatiable, il est resté nécessaire à la conception. Non pas qu’il puisse prétendre répondre seul aux besoins de cette société : trop lent, trop onéreux, il n’est pas envisageable face à une demande de plus en plus élevée. Cependant, en complément de l’industrie, il est redevenu un indicateur de qualité et de créativité. Indépendamment, nous avons vu que l’artisanat textile peut être un enjeu politique, économique ou encore social majeur : l’homme prend à coeur ce besoin de préserver ce que l’on peut appeler son patrimoine. Marqueur culturel de poids, il est le symbole d’une diversité remarquable de civilisations. Nous pouvons même aller jusqu’à affirmer qu’à l’heure de la mondialisation, le choix de l’artisanat, encore déconsidéré il y a peu, devient un véritable engagement pour une clientèle de plus en plus large. Est-ce la recherche d’authenticité ou la réaction à l’uniformisation ? En tout cas, le design textile artisanal est décidément une tendance contemporaine.
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BIBLIOGRAPHIE
LIVRES :
DORMER Peter, Le Design depuis 1945, Thames & Hudson, 2002 FAU Alexandra, Histoire des tissus en France, Ouest France, 2006
DOCUMENTS AUDIOS:
Habiller le monde : les métiers du textile 2/4, L’avenir de l’artisanat traditionnel, avec Anabel Vallard, Anne Grosfilley, Danielle Le Bonnois, diffusé sur France Culture, 17 janvier 2012, 11h, 49 minutes.
PÉRIODIQUES :
Gicquel Jérôme, «À l’Antipode MJC», 20 minutes, 22 janvier 2013, page 1
SITES INTERNET :
fr.wikipedia.org/wiki/Industrie_textile fr.wikipedia.org/wiki/Textile fr.wikipedia.org/wiki/Design_textile http://www.paulette-magazine.com/fr/actu_chiffons/artisanat-et-mode-une-tendance-davenir/661 http-//www.linternaute.com/histoire/motcle/4663/a/1/1/industrie_textile http-//www.gralon.net/articles/materiel-et-consommables/materiels-industriels/article-limpression-sur-textile---presentation-et-evolutions--3962 http-//www.alternatives-economiques.fr/france---le-textile-a-besoin-d-investissements_ fr_art_209_24796 http-//industrietextile.centerblog.net/ http-//habillementtextile.blogspot.fr/2009/11/italie-histoire-de-lindustrie-du www.ikea.com www.etsy.com http://www.maisondexceptions.com/
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