CASSIER Guillaume
Encadré par Cyrille Faivre-Aublin
L’architecture du terre-plein La disparition du socle par l’horizon
En quoi le travail de la déambulation dans la dimension stéréométrique modifie-t-elle la perception visuelle de l’horizon ?
1
2
Remerciements Je voudrais remercier dans un premier temps Cyrille Faivre-Aubin, mon tuteur de mémoire, qui m’a fait confiance et a su m’apporter énormément de connaissances et de conseils tout au long de cette année, tant pour le suivi de ce mémoire que pour celui du Projet de fin d’étude. Je
remercie
également,
Emmanuelle Sarrazin, Paolo Amaldi et Laurent Beaudouin pour leurs écoutes et conseils lors des nombreuses corrections croisées où ils ont pu être présents. Et pour finir, ma famille et mes amis qui ont su me motiver pendant cette longue période et qui me font confiance depuis le début.
1
« Face à Stonehenge, l’instant se fige et l’émotion augmente à mesure que se dégagent, avec force, les trois modalités fondamentales de l’acte de construire: modifier la croûte terrestre, s’élever et couronner vers le ciel » Livio Vacchini, Stonehenge, 2006
2
Avant-propos
D’aucuns vous diront qu’écrire un
Le
choix,
de
travailler
sur
mémoire dont le sujet principal est le
l’architecture crématoire ne peut être
socle consiste en un travail assez spécial.
motivée que par l’envie de comprendre
L’architecture donne à voir et à être vue.
et d’offrir des lieux destinés aux vivants,
Ce choix de travailler sur le socle mis en
à leurs souvenirs et leur permettre d’être
relation avec l’architecture crématoire peut
accompagnés dans le processus de deuil.
être vu comme lugubre. Mais je ne suis pas
Il ne s’agit pas d’honorer les morts, mais
de cet avis. Il est complexe d’expliquer ce
bien leur mémoire grâce aux vivants afin
ressenti puisque chaque personne en a
de souligner l’importance de la vie.
sa propre définition. Ces édifices ont des ambiances, cadrages, vues qui leur sont
Le socle est le commencement de
spécifiques et inspirent à la spiritualité ou
toute chose, comme un point de départ
à la méditation.
dans ma vie d’architecte.
3
Sommaire Avant-propos
3
Introduction
7
Chapitre 1 : Du socle à l’œuvre 1.
Le socle dans la sculpture
2. La
2.
17
1.1. Le socle comme support de l’œuvre
19
1.2. Le socle inhérent à l’œuvre
25
dimension stéréométrique en architecture
35
2.1. Le socle support
37
2.2. Le socle habité
41
2.2. Le socle support habité
47
Chapitre 2 : Le travail du terre-plein dans l’architecture crématoire 1.
15
Étude du crématorium d’Hofheide de RCR
53 57
1.1 Un projet par le socle
59
1.2. Un socle support et support habité
67
Étude du crématorium d’Uitzicht de Souto de Moura
75
2.1. Un projet par l’horizon
77
2.2. Un socle habité
85
4
Chapitre 3 : L’apparition et la disparition de la stéréométrie par l’horizon 1.
2.
La rampe, système phénoménologique de prise de conscience
101
1.1. D’un volonté d’enfouissement
101
1.2. A un dispositif de promenade architecturale
107
Le cadrage, support d’horizon
113
2.1. De la déambulation, vecteur de cadrage
113
2.2. A la disparition du socle par l’horizon
119
Conclusion Annexes
97
129
Crématorium d’Hofheide
133 137
Crématorium d’Uitzicht
143
Bibliographie
149
5
Stonehenge, Wiltshire, Grande Bretagne
6
Introduction
Par définition, un socle a pour
Il faut noter l’absence de définition
vocation d’être un élément de massivité,
claire et précise du terme «socle» dans
il exprime la solidité de l’architecture, une
le domaine architectural. Il est souvent
sorte de justification de la pensée. Le
remplacé par le terme «support», et c’est
socle joue alors un dialogue clair entre
peut-être ici que s’arrête sa compréhension.
le support et l’objet. La fonction de socle connecte l’architecture et l’art comme le
Au cours de mes recherches, j’ai pu
support d’une structure et d’une œuvre,
observer deux positions bien distinctes :
une sorte de mise en scène.
les architectes du socle et ceux de l’antisocle, a l’instar de Le Corbusier. La volonté de renversement des valeurs classiques de
« [...] Il est évident que l’art est transposable
ce dernier réside dans le fait qu’il souhaite
en architecture : l’art en tant qu’architecture
codifier le langage architectural selon les
et l’architecture en tant qu’art »1.
«cinq points de l’architecture moderne».
1 : HERZOG & DEMEURON, «Histoire naturelle», Centre Canadien d’architecture, Lars Müller Publishers, 2002
7
Photographie des pilotis de la cité radieuse de Le Corbusier, Marseille, France
8
Dans
cette
optique,
le
pilotis
Le choix de travailler sur les
apparaît donc comme le retournement du
crématoriums d’Hofheide et d’Uitzicht est
socle classique, le vide à la place du plein.
motivé par le fait qu’ils abordent la question
Néanmoins, cet écrit se focalisera sur les
du socle de deux manières totalement
architectes du socle l’ayant réinventé ou
différente. Cela donne à réfléchir sur la
réutilisé.
place qu’ils occupent dans leurs sites respectifs.
Cette volonté est traduite dans l’architecture Miessienne qui voit le socle
L’intention
de
ce
mémoire
comme un objet inhérent à l’œuvre jouant
est d’expliciter ce terme de «socle»
dans sa composition. Ce qui m’intéresse
emprunté à la fois au domaine de l’art et
est de comprendre la relation qu’il y a entre
de l’architecture. Il s’agira de comprendre
le socle et l’objet architectural.
comment ce travail de mise à distance de l’objet et son caractère réel modifie la
9
Photographie du socle de granit du Pavillon de Barcelone de Mies Van der Rohe, Barcelone, Espagne
10
perception visuelle que nous pouvons en avoir en se demandant :
C’est pour cela que dans un premier temps, j’étudierai le rapport entre art et architecture en m’appuyant sur le support physique et
sa dimension symbolique.
En quoi le travail de la déambulation
Cela nous permettra de comprendre et
dans la dimension stéréométrique
d’expliquer les effets qu’ils engendrent
modifie-t-elle la perception visuelle
avec l’horizon dans les crématoriums
de l’horizon ?
d’Hofheide ainsi que d’Uitzicht. Enfin, le dispositif phénoménologique de la pente et du cadrage au sein de ces deux édifices
Il est vrai que ce questionnement
sera mis en lumière.
précis sur ce terme, révèle de nombreux points qui sont liés à la perception que nous pouvons nous en faire.
11
Plan de sol du crématorium d’Hodheide
12
Plan de sol du crématorium d’Uitzicht
13
Chapitre 1 :
14
Du socle à l’œuvre
15
Photomontage personnel de la vierge de l’annonciation de Antonello Da Messina, afin de mettre en avant l’importance du cadre dans la perception visuelle d’une œuvre picturale
16
1. Le socle dans la sculpture
Comparable au cadre dans l’art pictural,
permettant
de
sanctuariser
l’espace dans lequel l’image se trouve, la présence du socle dans la sculpture a été depuis toujours une question essentielle à la création d’une œuvre. D’abord conçu comme une mise à distance, le socle, en tant qu’intermédiaire entre l’objet et le sol, le met en valeur. Il peut aussi contribuer à en développer le sens jusqu’à devenir lui-même une partie de l’œuvre. Cette première partie sera l’occasion d’introduire de manière synthétique le rôle du socle dans le cadre architectural ou sculptural.
17
18
1.1. Le socle comme support de l’œuvre Le socle qu’il soit défini dans le cadre
ciel, ce qui change toute sa dimension et
architectural ou sculptural, renvoi à la
le regard que nous y portons. Il y a donc
notion de support, afin de permettre la
une bipartition entre le socle et l’œuvre.
compréhension des différentes parties
L’un appartient au ciel et l’autre à la terre.
de l’objet. La notion de socle sera remise
Au cours de l’Histoire, la base, le
en question par Rodin. Jusqu’aux XIXe
piédestal, la plinthe ou le socle n’ont jamais
et XXe siècles, le socle sert à magnifier
été distingués. Ces termes là, sont souvent
les commandes publiques, la mise en
utilisés de manière interchangeable dans
valeur d’un
par
l’écriture savante moderne. Il n’y a aucune
le socle lui confère une valeur ajoutée
définition propre. Or, le bon sens suggère
supplémentaire. Il permet une mise à
que le mot «base» soit maintenu comme
distance de la terre et du contexte dans
terme général et de cohérence puisque
lequel l’œuvre est située. Le support aide
dans les conventions architecturales, le
alors à l’œuvre à s’élever et à appartenir au
terme «piédestal» doit être utilisé afin
personnage
célèbre
19
Dessins personnels de l’œuvre équestre de Marc Aurèle, mettant en avant la modification de la perception visuelle de l’œuvre en modifiant la hauteur du socle
20
de supporter un élément vertical, et la
de ce «socle» et ce qu’il procure comme
«plinthe» pour un élément horizontal.
sensation au spectateur.
Le socle pourrait être considéré comme un élément plus petit que la masse
L’œuvre
ci-contre
en
bronze,
qu’il supporte. On peut constater qu’il y a
dernier vestige équestre de l’Antiquité,
une confusion dans les différents termes
est exceptionnelle à bien des égards.
pour présenter le support de l’œuvre2 et ce
Elle frappe tant par sa taille que par
depuis la Renaissance. Les plus célèbres
l’impression de majesté qui s’en dégage.
cas de «socles» sont ceux de la sculpture
On peut voir qu’en modifiant la taille de ce
de Michel-Ange représentant «David»
socle de plus d’un mètre, la perception de
ainsi que «la statue équestre de Marc
grandeur change et ne procure plus l’effet
Aurèle». Tous deux possèdent un socle qui
initialement souhaité. On modifie alors
supporte la masse de la sculpture. Dans
la ligne visuelle et de ce fait l’image que
ces deux cas, on constate de l’importance
nous pouvons nous en faire. C’est le même
2 : Studies in the History of Art, National Gallery of Art, 2008, Vol. 70, Symposium Papers XLVII: Collecting Sculpture in
Early Modern Europe (2008).
21
Dessins personnels de l’œuvre de Michel-Ange représentant David, mettant en avant la modification de la perception visuelle de l’œuvre en modifiant la hauteur du socle
22
effet que nous procure l’œuvre «David» de
C’est dans cette période de mutation
Michel-Ange. La volonté de placer le sujet
qu’est réalisée l’œuvre de Michel-Ange.
sur un socle de quatre-vingts centimètres modifie le rapport du corps vis-à-vis du
En comparant ces deux œuvres
spectateur. En regardant la variation de
majeures, la dimension du socle prend
hauteur du socle sur la même œuvre,
toute son importance. Le socle existe et
on s’aperçoit de l’effet produit par ce
est assumé afin de mettre en valeur le
dimensionnement. Le socle permet donc
sujet. Son but est perceptif et modifie le
à Michel-Ange de sacraliser «David» et lui
rapport que l’on peut avoir avec l’œuvre.
donne une toute autre dimension.
Il la supporte, la met en valeur et permet
La Renaissance est une période humaniste où l’Homme est au centre de toutes les préoccupations avec une
de tourner autour, ce qui ramène cette dimension de mouvement. Il y a donc le socle et l’œuvre.
volonté de redécouvrir la culture antique.
23
«La rupture la plus importante dans l'histoire de la sculpture du XXe siècle a eu lieu avec la suppression du socle. Le concept historique de la sculpture sur socle instaure une séparation entre l'objet et l'espace comportemental du spectateur.» Richard Serra, Écrits et entretiens, Éd. Daniel LELONG, 1990, p.215.
24
1.2. Le socle inhérent à l’œuvre Rodin renouvelle la question et l’usage du socle : soit il sera tenté de le supprimer, soit de l’exagérer jusqu’à qu’il fasse partie intégrante de la sculpture, tout en abordant la question du matériau et de la gravité. «J'avais pensé que placé très bas le groupe devenait plus familier et faisait entrer le public mieux dans l'aspect de la misère et du sacrifice, du drame.» Lettre de Rodin à Omer Dewavrin, 8 décembre 1893 ; citée dans A. Le Normand-Romain & A. Haudiquet, Rodin. Les Bourgeois de Calais, éditions du Musée Rodin, Paris 2001, p. 38
Les fondements de cette tradition du socle, support de l’œuvre, sont ébranlés pour la première fois par Rodin à travers son œuvre «Les bourgeois de Calais». Pour l’artiste, le choix de ne pas utiliser un piédestal était la solution envisagée afin de permettre aux bourgeois d’être au niveau du sol. Sans piédestal, les bourgeois se voyaient intégrer de plein-pied à la misère
25
Dessins personnels «Les bourgeois de Calais» de Rodin permettant de mettre en avant la dimension humaine de l’œuvre.
26
de l’époque. Ils furent pourtant mis sur un
permet à celui qui la vit, de la parcourir et
socle, malgré le désaccord de Rodin qui
de pouvoir se mettre à son niveau. L’œil est
voulait que les bourgeois se mélangent au
donc directement à l’intérieur de l’œuvre,
peuple. Sa vision fut également contestée
ce qui rend son parcours plus intime car
dans le monde de l’art. Pour les gens
chacun en fait sa propre interprétation.
de l’époque, c’était le socle qui mettait en lumière la sculpture, tout comme le
Si le sol et la sculpture appartiennent à
cadre pour la peinture. On peut remarquer
deux espaces différents, la question de
grâce à ce montage, que la taille réelle
l’endroit où ils se touchent en devient
de l’œuvre correspond en tout point
pertinente. Giacometti l’explore par le
à la dimension humaine. Une prise de
traitement
position de la part de Rodin pour révéler
socle». La fonction du socle a été dans
le caractère «normal» de la bourgeoisie.
l’Histoire source de questions comme vu
Donner ce caractère si fort à une œuvre
précédemment avec Rodin. Giacometti
créatif
du
«problème
du
27
Dessins personnels de «L’homme qui marche» de Alberto Giacometti mettant en avant l’importance du socle dans la vision de l’œuvre
28
a recherché une base libérée de toutes
de la scène de l’«Homme qui marche»,
fonctions représentatives, afin de donner
d’où son importance. On déambule autour
un fondement à ses œuvres. Le sculpteur
comme ci lui évoluait autour de nous, tel le
démontre que ses œuvres peuvent, non
reflet de l’homme. Cette finesse du socle et
seulement saisir un mouvement, mais aussi
la taille de la sculpture (1,88m) permettent
transmettre une puissante impression
à celui qui la parcourt de se retrouver dans
de dynamisme. Celle-ci vient du fait de
la même ligne d’horizon et de prendre
l’écartement assez important de ses
place à l’intérieur d’elle pour comprendre
jambes et de l’inclinaison du buste projeté
ce qu’il voit. On peut ressentir de ce fait les
vers l’avant. Le transfert entre les appuis et
émotions transmises par Giacometti.
la tension de ses bras lui confère assurance et
aisance,
comme
si
l’artiste
Au regard de cette utilisation du
avait
socle, l’artiste Brancusi l’utilise de manière
développé une photographie. Le socle fixe
à le camoufler et fait de ce socle non
l’action dans le sol et fait parti intégrante
plus le support de l’œuvre, mais à le fait
29
Dessins personnels de «Adam et Ève» de Constantin Brancusi mettant en avant l’importance du socle dans la vision de l’œuvre
30
disparaître dans l’œuvre elle-même. Le
simple. Il réalise ses premières sculptures
souci constant de Brancusi est de faire
minimalistes : combinaison de modules de
émerger la sculpture en tant que telle, afin
bois brut aux formes géométriques simples.
que chaque sculpture soit une expression
Les éléments qui constituent l’œuvre
d’elle-même, et ce de façon exclusive.
sont conçus dans un même matériau, qui
Dans ce sens, il convient de voir que dans
interroge ainsi, la question de la masse et
les socles de Brancusi, celui-ci apporte une
du poids. Il fut connu principalement pour
importance toute particulière à la matière
sa «colonne sans fin» son œuvre à grande
travaillée. Il utilise aussi le socle multiple :
échelle. Comme Richard Serra, qui utilise
il les empile jusqu’à dix-sept fois, à l’instar
le sol comme socle, il fait un lien visuel et
de la «colonne sans fin», ce qui constitue
véritable entre art et architecture. Il intègre
ainsi des édifices constamment modifiés,
alors le mouvement et le parcourt dans
fréquemment massifs, construits selon
ses œuvres
des figures symétriques de géométrie
«Le
site
est
redéfini,
et
non
31
Photographie de «Clara-Clara» de Richard Serra mettant en avant l’importance du sol dans la vision de l’œuvre
32
représenté [...] La disposition des éléments sculpturaux dans le champ ouvert attire
Nous avons donc pu observer
l’attention du spectateur sur la topographie
comment le socle dans la sculpture
du paysage quand il le parcourt.»3
mais également dans les œuvres insitu, ou la posture peut changer à travers
Cette volonté de mouvement est présente comme un acte de découverte
les différentes œuvres classiques et contemporaines.
de cette approche visuelle qui, grâce à la modification d’un espace, lui confère toute sa grandeur. Le rapport créé par un élément vertical dans un paysage urbain horizontal sacralise l’élément pour lui donner un rôle. Il devient alors un élément à part entière du schéma visuel urbain.
3 : Richard Serra, «Notes form Sight Point Road», Perspecta, N°19, M.IT. Press, 1982, p. 180.
33
Le socle support
Le socle habité
Le socle support habité Dessins personnels permettant de comprendre les trois états du socle
34
2. La dimension stéréométrique en architecture
Nous avons vu dans la partie ci-dessus que le socle en sculpture peut changer à travers des œuvres classiques et contemporaines. La fonction originelle du socle (surélever, valoriser et mettre à distance) est devenue, grâce au temps et à de nouvelles façons de magnifier l’œuvre, une partie inhérente de celle-ci jusqu’à se confondre avec elle. Ce changement de posture que nous retrouvons également en architecture, par la présence de Axonométrie de la pyramide de Kukulkan au Mexique. Dessin personnel issue de la modélisation 3D de «bradenjj73»
pilotis comme chez Le Corbusier, aborde plusieurs fonctions qui ont évoluées au fil du temps et s’intègrent ou non à l’édifice.
35
Dessins personnels montrant l’importance stéréométrique de l’acropole d’Athènes tiré du dessin de Ictinus, Callicrates, Mnesikles et Phidias représentant la façade de l’Acropole d’Athènes
36
2.1. Le socle support En architecture, le socle fait parti de l’Histoire, au regard des temples mayas ou encore grecs. Le traité de Serlio mettant en avant la tripartition de l’architecture avec un début, un milieu et une fin, montre l’importance de ce socle, qui est la fondation et l’articulation majeure de l’édifice. Il est le garant de la solidité, de la pérennité de l’architecture et de la jonction avec le sol. Le socle modifie la croûte terrestre comme le dit Luvio Vacchini : « On voit bien que le socle n’appartient pas au bâtiment, mais à la terre», affirme-t-il en Axonométrie de l’acropole d’Athènes en Grèce. Dessin personnel issue de la modélisation 3D de «christina A»
parlant du Parthénon d’Athènes.
37
Dessins personnels du parthénon d’Athènes permettant de comprendre l’importance du socle et sa valeur
38
En regardant cela dans l’architecture
Sempérienne. Ce terre-plein permet de
contemporaine, de nombreux architectes
mettre en avant, et d’élever, et également
ont utilisé le socle de manière totalement
de donner une dimension encore plus
différente. On verra grâce à trois exemples
grande à ce que le Parthénon renferme,
majeurs, l’importance de celui-ci et ce qu’il
à savoir la statue d’Athéna, déesse de la
traduit.
guerre. Le fait d’avoir placé le Parthénon
Le Parthénon d’Athènes aborde
de manière à surplomber la ville revêt une
la question du socle de manière à le
symbolique toute particulière : être vu de
surélever. Il fait partie de lui et sa valeur
tous et protéger le peuple.
permet (comme nous pouvons le voir
Outre la dimension symbolique,
dans les schémas ci-contre) de mettre
le socle est une entité inhérente à
une distance, comme une clôture invisible
l’architecture comme on peut le voir dans
entre l’extérieur et le foyer. Cette notion est
la Villa Malaparte d’Adalberto Libera.
également présente dans la quadrilogie
39
Photographie de la Villa Malaparte de Adalberto Libera
40
2.2. Le socle habité La conception du socle a été bousculée par la radicalité de l’édifice de la Villa Malaparte. L’architecte Adalberto Libera a su intégrer la notion du socle habité dans un site totalement vierge. Il fait de l’édifice une œuvre par et pour le paysage en épousant la forme du site. Le support rocheux fait partie inhérente de l’édifice et devient sa base, l’édifice repose dessus. On peut faire un rapprochement avec le Parthénon d’Athènes sur la volonté de rehausser l’œuvre par sa situation géographique ainsi que par sa position forte dans le Axonométrie de la Villa Malaparte en Italie. Dessin personnel issue de la modélisation 3D de «ZNO»
paysage. La dimension stéréométrique et
41
Dessins personnels permettant de comprendre l’importance de la valeur stéréométrique dans la Villa Malaparte
42
tectonique est forte dans la villa Malaparte.
La massivité est également apportée
Concernant la dimension stéréométrique,
par l’uniformité des formes de l’édifice et
elle signifie qu’on habite le socle. La
par la présence de murs périphériques
dimension tectonique quant à elle est
rectilignes composés de percements qui
présente grâce à la courbe en toiture qui
ne sont pas anecdotiques et qui suivent le
met en scène le toit vis-à-vis de l’eau tel
plan intérieur lui-même dicté par la forme
un plongeoir.
de l’éperon rocheux. L’escalier présent sur le toit comme le début de la scène nous
La spécificité de l’édifice réside
conduit sans nous en rendre compte,
dans sa radicalité architecturale. Une
vers l’exceptionnelle vue que l’édifice
horizontale qui épouse un éperon rocheux
nous offre. Il fait de la toiture, un espace à
très vertical comme une sculpture, à
part entière et accentue cette dimension
l’instar de Brancusi qui travaille le socle de
tectonique dans l’édifice comme mis
manière à ne faire plus qu’un avec l’œuvre.
en place par Campo Baeza sur la Villa
43
Dessins personnels permettant de comprendre l’influence sur la distribution des espaces à la dimension stéréométrique dans la Villa Malaparte
44
Blas. Il s’est beaucoup inspiré de la Villa
La radicalité de la Villa Malaparte réside
Malaparte. Il utilise l’horizontalité, présente
dans la massivité de l’objet en lui-même
dans l’architecture de Libera en tant que
et dans la façon dont celui-ci épouse
point de début et de fin au bâtiment, en
son sol. On habite le socle. Il y a alors
intégrant une limite visuelle forte.
un rapport fort au paysage comme une envie d’en faire partie. Le rapport au lieu
La
déambulation
intérieure
est
est extrêmement marqué. La notion de
régie par une symétrie quasi-parfaite, à
Genius Loci de Christian Norberg-Schulz
la fois verticale, mais aussi horizontale
prend alors toute sa dimension :
puisque le cheminement est rectiligne et amène vers la vue. On monte les marches
« Le travail de l’architecte réside dans
pour accéder à la toiture, et on parcourt
la création de lieux signifiants qui aide
les espaces pour arriver à la vue dans les
l’homme à habiter. »4
niveaux inférieurs.
4: Christian Norberg-Schulz, Genius Loci : Paysage, ambiance, architecture. Éd Mardaga, 1997
45
Photographie de la Casa Blas de Alberto Campo Baeza
46
2.2. Le socle support habité La dernière conception du socle entrepris de manière courante chez Alberto Campo Baeza permet réellement de définir le rôle de support dans l’architecture. Au regard de ses nombreux projets et notamment celui de la Casa Blas, on remarque que l’élément le plus travaillé est bien le socle. Il est inhérent à son édifice. Il donne à celui-ci une place centrale. En analysant la façade, on se rend compte que la proportion du socle est plus importante que la structure qu’il supporte et augmente encore cette sensation de massivité du socle, comme Axonométrie de la Casa Blas en Espagne. Dessin personnel issue de la modélisation 3D de «felippe23»
un rappel à l’univers de Brancusi sur le
47
Croquis de Alberto Campo Baeza qui montre l’influence de son socle sur la pente
Dessins personnels permettant de comprendre l’importance de la valeur stéréométrique dans la Casa Blas
48
travail du socle. Il conçoit cette maison
qui met en valeur l’espace. La lumière
avec une volonté de sublimer la gravité
transperce la boite stéréométrique et
comme le dit Pierre Von Meiss :
augmente ainsi la sensation de volume
«La gravité construit l’espace. Les
et de masse. L’architecte sculpte son
éléments matériels lourds, qui donnent
socle, à l’instar d’Eduardo Chillida qui
vie aux formes qui emplissent l’espace,
cherche une géométrie inscrite dans la
doivent finir par transmettre la gravité et
pierre et devient intrinsèque à celle-ci. La
le poids de sa matérialité à la terre. Le
finesse des ouvertures au Nord empêche
système gravitationnel, la structure, est
l’extérieur d’imposer sa présence dans la
celle qui ordonne l’espace, celle qui le
partie la plus intime, servant seulement de
construit.»5
repère spatial comme à l’intérieur d’une
Ce sont les ouvertures qui subliment le socle et qui apportent dans les espaces nobles de la maison toute la lumière
grotte. L’effet procure alors un sentiment de protection. La sensation de massivité s’oppose
5: MEISS, Pierre Von, De la forme au lieu. Une introduction à l’étude d’architecture. Presses Polytechniques et Universitaires Romandes, Lausanne, Suisse, 1993
49
Dessins personnels permettant de comprendre l’influence sur la distribution des espaces à la dimension stéréométrique dans la Casa Blas
50
dès lors avec celle de légèreté dans
remarque dès lors cette envie de faire
cette structure transparente et vide. La
communiquer les deux entités du projet
déambulation libre à l’intérieur de cet
en mettant en place un dialogue dans la
espace contraste avec celle du socle
proportion des espaces ainsi que dans la
plus guidée et austère. À l’intérieur du
dimension tectonique et stéréométrique à
prisme en verre, rien n’interrompt la
l’intérieur du socle. Ce dernier protège le
communication
est
foyer, espace central de la maison, grâce
Mais en
à l’enveloppe. Cette volonté de travailler
regardant de plus près, on s’aperçoit de la
ce dialogue spatial et spirituel renvoie à
trame mise en place par Campo Baeza. La
la quadrilogie sempérienne comme celui
tectonique guide alors le schéma spatial
de la villa Malaparte. Il aura une influence
de la stéréométrie. La structure que ce
sur le travail de son élève et futur assistant,
socle supporte devient l’emplacement
Jesús Aparicio6.
visuelle.
L’espace
libre de tout élément porteur.
du vide dans la boite stéréométrique. On
6 : Campo Baeza mettra en avant la dimension stéréométrique et tectonique du mur. Jesús Aparicio quant à lui montrera
que la tectonique peut devenir stéréométrique et inversement. Il écrira «El muro», en théorisant la notion du mur dans la quadriloge Sempérienne
51
Chapitre 2 :
52
Le travail du terre-plein dans l’architecture crématoire
53
54
Après avoir mis en avant les trois états du
socle,
nous
allons
comprendre
dans ce deuxième chapitre comment la question stéréométrique est traitée, par l’intermédiaire de l’étude des deux crématoriums, (celui d’Hofheide et celui d’Uitzicht), et comment elle influe sur le caractère visuel du site dans lequel ils évoluent. Tous
les
documents
présentés
ci-après sont le fruit d’un long travail de redessin personnel m’ayant permis de comprendre plus précisément la réflexion de ces architectes.
55
Photographie aérienne du crématorium d’Hofheide
56
1. Étude du crématorium d’Hofheide de RCR 1.1 Un projet par le socle Fruit d’un travail d’ensemble à la fois paysagé et architectural, le crématorium d’Hofheide en Belgique a été construit de 2010 à 2014, à Holsbeek dans la province
flamande de Brabant. Il est érigé en périphérie de la ville et proche des axes routiers de l’autoroute E314 et de la N223. Disposé dans un site marécageux, le projet regroupe un cimetière, un columbarium, un crématorium et pour finir un jardin du souvenir. Le crématorium arbore alors une place centrale dans la juxtaposition de toutes les entités. La végétation joue le rôle de barrière visuelle par rapport à la ville et
57
Plan de sol du crématorium d’Hofheide
58
recentre ainsi le projet sur lui-même. C’est en regardant la conférence de RCR à l’ENSA de Nancy intitulée lumière,
mémoire. Le titre de cette sous-partie, le projet
matière»
par le socle, a pour objectif de mettre en
présentée 2013, que j’ai compris que le
avant la justification de celui-ci par et pour
contexte de projet chez RCR revêt une
le site ainsi que les influences paysagères
importance particulière, notamment dans
et visuelles qu’il engendre.
«Architecture,
terre,
associé à un lieu de recueillement et de
«le Musée Soulage» dans la ville Rodez ou
Carme Pigem, explique dans la
encore «La cuisine de Nègrepelisse». Le site
conférence de «Arc en Rêve» à Bordeaux
est un enjeu majeur qui ne doit en aucun
en 2018, que la volonté première de ce
cas être une entité à part du projet, mais
projet (dont le programme n’est en aucun
doit au contraire en faire parti. L’agence
cas lié à la religion), est de permettre à
souhaite donner un statut particulier au
la fois la rencontre et la déambulation.
projet qu’elle créée, afin qu’il puisse être
Ce parcours extérieur laisse place au
59
Façade est et ouest du crématorium d’Hofheide
60
recueillement et à la contemplation. Le
également l’emplacement du parking,
paysage très particulier des Flandres, plat
qui est en réalité une entité du projet
et peu vallonné, donne à ce site toutes
complètement
ses caractéristiques et met en place un
de celui-ci grâce au grand chêne qui
point bas, à savoir le marécage. Le rapport
le cache. Cela participe à la dimension
de l’eau avec le ciel transmet toute la
sacrée de l’édifice et le magnifie puisqu’en
spiritualité au lieu. Une minutie a été
déambulant sur la passerelle d’entrée,
apportée à l’élaboration du paysage avec
on rentre littéralement dans un nouvel
l’introduction d’une liaison faite grâce aux
environnement. On observe bien dans
passerelles, qui permettent de se rendre
les coupes ci-contre, l’influence du cadre
sur les lieux de mémoire. Tout ce chemin
paysagé dans la relation qu’entretient le
spirituel pour la sacralisation du ciel et du
projet avec son environnement. Une partie
lieu est mis en exergue par l’eau. On retrouve
boisée et une partie libre visuellement
cette volonté paysagère en regardant
permettent de donner de la profondeur au
dissociée
visuellement
61
Schémas personnels montrant l’influence du socle sur le site initial
62
site.
l’intérêt d’avoir utilisé la fonction de socle On peut remarquer également que
et montre que cet édifice est un projet par
la forme du bâtiment n’est pas anodine:
le socle. En regardant la topographie du
un monolithe posé sur l’eau en béton
site, on s’aperçoit que l’utilisation du terre-
et
L’image
plein induit une remise à niveau du terrain.
du sarcophage est donc visuellement
La déclivité entraîne la mise en place
renvoyée comme un rappel à la dimension
d’une dimension stéréométrique afin de
sacrée du lieu. Cette volonté de rapprocher
retravailler le marécage. Pour des besoins
la forme du projet à celle d’un sarcophage
fonctionnels lors de la construction du
renvoie également à la notion de socle.
projet, le marécage a été asséché pour
Ce projet est un socle. La dimension
faciliter le nivellement du terrain et une
stéréométrique fait le projet.
construction plus rapide. Dans le dernier
complètement
Les apercevoir
schémas
introverti.
que
l’on
peut
schéma, on se rend compte que l’image
ci-contre mettent en avant
du sarcophage est directement visible et
63
Schémas personnels montrant l’influence du socle sur le site initial
64
a été l’intention de départ du projet selon RCR.
Ce monolithe, sorti de terre comme un tombeau, fait également référence à
Le
travail
stéréométrique,
s’est
Adolf Loos, qui voit l’architecture mémoriel
donc réalisé dans les deux sens, comme
comme
le
seul
rapprochement
présenté sur les schémas ci-contre. Ils
l’architecture et de l’art.
de
sont venus retravailler le terrain afin de créer deux parties souterraines qui seront les espaces crématoires et techniques de
«Seule
une
toute
petite
partie
de
l’édifice. Le socle est d’une réelle utilité
l’architecture relève de l’art : le tombeau
dans le site, tant paysagère que pour servir
et le monument. Tout le reste, tout ce qui
le projet. Cela lui confère toute sa force.
est au service d’une fin, est à écarter du
Les architectes prennent donc en compte
domaine de l’art.»7
toute ces considérations pour faire de cet édifice, un projet par le socle.
7 : Adolf Loos, Crime et ornement, Payot, Rivage poche, p. 113.
65
66
1.2 Un socle support et support habité C’est en regardant cette question du socle inhérent à l’œuvre et vécu comme l’articulation entre la structure et le sol que le crématorium d’Hofheide m’a paru pertinent. Généralement, cette rencontre entre le socle et l’édifice est marqué par un changement de matérialité, une sorte de limite entre chaque partie, favorisant l’autonomie des différents entités du projet. Cette didactique permet de lire le bâtiment de façon claire et précise (un début, un milieu et une fin). Dans le crématorium dessiné par RCR, cet élément monolithe émerge de l’eau et créé une continuité
67
Axonométrie du crématorium d’Hofheide montrant la dimension paysagère de projet
68
horizontal dans le site. La rupture dans le
Dans
l’histoire
de
l’architecture
langage architectural se fait donc par une
contemporaine, on s’aperçoit que le socle
modification de l’état entre le liquide et
ne fait pas partie des étages nobles et
le solide. En regardant l’axonométrie qui
qu’il est utilisé en grande majorité, pour
met en avant le caractère monolithe que
les usages de services, les parking ou
l’on peut associer à la figure du tombeau
les locaux techniques. On cache dans
chez Adolf Loos, on se rend compte que
le socle les espaces moins nobles du
ce socle n’est pas uniquement le support.
projet. On constate que chez RCR, cela est
Il est également celui qui gère la totalité
également le cas.
de la déambulation, à la fois extérieure et
Mais, ce socle est également la
intérieure. Il est le plateau qui supporte
liaison entre le foyer et le tombeau. On
l’œuvre. On peut alors observer deux
retrouve ces notions chez Loos, comme
rampes qui amènent au sous-sol et qui
évoquée
font de ce socle, un socle habité.
Gottfried Semper où, celui-ci met en avant
précédemment,
et
chez
69
Dessins personnels montrant l’impact du socle sur le site initial
70
l’existence du foyer comme «principal
crémation et sous les parties communes
élément ou élément moral de l’architecture».
de l’espace de restauration. Dès lors, on
Viennent ensuite autour du foyer le toit, la
se rend compte que les parties que l’on
clôture et la terrasse. Tels sont les quatre
nomme de «sacrée», n’ont pas le même
éléments de l’architecture et constituent
rapport au sol que les autres. C’est dans
sa quadrilogie. On remarque cela dans les
ces espaces-là que le socle joue le rôle
figures ci-contre. Effectivement, le socle est
d’articulation entre le sol et l’édifice, entre
abordé de deux manières différentes : tout
la mort et la vie, entre le ciel et la terre. De
d’abord le socle support que l’on retrouve
plus, au regard de la déambulation (que
sous les salles de commémorations et qui
nous regarderons plus en détails dans
leurs donnent une nouvelle dimension
le prochain et dernier chapitre), l’usage
(comme avec le Parthénon d’Athènes), on
du socle est aussi différent. Comme on
les élèvent vers le ciel. Ensuite, le socle
peut le voir sur les coupes/figures, le
habité que l’on retrouve sous le foyer de
socle déambulatoire est un support qui
71
Axonométrie éclatée du crématorium d’Hofheide montrant l’articulation du socle sur le projet
72
joue le même rôle que dans les salles de
d’articuler le projet avec les différentes
commémoration, et permet de donner à
entités comme on peut le remarquer sur
l’horizon toute une symbolique visuelle et
ces deux axonométries. La passerelle peut
spirituelle dans le rapport de l’eau et de la
également devenir une nouvelle ligne
rampe.
topographique du lieu. On ne se rend plus
Un édifice donnant l’image
d’émerger
naturellement
du
sol
compte de ce qui est là.
et
transmettant un effet de continuité visuelle permet
de
transmettre
sensation
permet de caractériser le site, de lui
et au contexte
donner encore plus d’importance et de le
dans lequel il est inscrit. La dimension
souligner. Il devient un prolongement de
stéréométrique chez RCR met en place
celui-ci, un édifice mémoriel inhérent au
cette continuité grâce à la passerelle
site.
de profondeur au site
la
L’utilisation du socle dans ce projet,
d’accès. Ce socle joue a pour rôles
73
Axonométrie éclatée du crématorium d’Hofheide montrant l’articulation du socle sur le projet
74
75
Photographie aérienne du crématorium d’Uitzicht
76
2. Étude du crématorium d’Uitzicht de Souto de Moura 2.1. Un projet par l’horizon
Inauguré en 2011, le crématorium d’Uitzicht, qui signifie «vue», a été creusé à Courtrai, dans la province flamande des Flandres. Situé dans le sud du centre historique de la ville, il est bordé par une zone pavillonnaire de faible densité, constituée de grands espaces ouverts et une topographie en pente douce. la
continuité
Le projet s’inscrit dans de
l’aménagement
du
cimetière Secchi et Vigano présent en contre bas. Il fut réalisé dans les années 1990.
L’aménagement
propose
une
succession de plateau suivant la pente du site.
L’intention principale du projet
77
Plan de sol du crématorium d’Uitzicht
78
était l’intégration dans le site actuel afin
caractère horizontal de l’édifice, comme un
de ne pas altérer la topographie existante.
signal au milieu de cet horizon lunaire. La
Pour cela, Souto de Moura, jouxte le
végétalisation du toit participe également
cimetière jusqu’à même le toucher avec
à cela et devient le miroir du site, dont les
la grande horizontale du projet qui donne
prairies vertes tapissent les terres. Seule
toute sa force à cette intégration. Le
une rampe étroite et parallèle à la route
projet prend part dans le site en suivant
initie une séquence linéaire amenant
de façon radicale la route attenante et
à l’intime et permet de se couper du
perpendiculaire au cimetière. L’ensemble
monde. Une cour extérieure trapézoïdale
du programme est logé dans un niveau
met fin à la rampe et devient un atrium
s’enfouissant dans le sol. A peine un mètre
composé uniquement d’un arbre en son
de l’édifice émerge au-dessus du niveau
centre, présidant l’espace de manière
de la rue. Seule la verticalité de la cheminé,
majestueuse. Les salles de cérémonies
d’un aspect sculpturale, contrecarre le
sont directement liées avec le parking
79
Façades du crématorium d’Hofheide
80
attenant afin d’éviter de mélanger les
réelle maturité dans le travail de Souto de
itinéraires de processions. Une seconde
Moura. Il reprend le travail de son maître,
rampe permet de desservir la partie plus
qu’il suggère de la même manière dans
technique de l’édifice, ce qui amène à une
le crématorium d’Uitzicht. L’horizontalité
séparation des usages avec une partie
du projet est marqué depuis le niveau
plus intime et l’autre plus technique.
de la route par la pureté du garde-corps
Le projet est donc pensé pour et
en béton. Depuis la plaine, la linéarité du
par son horizontalité comme le suggère
projet est marquée par la grande ouverture
les façades ci-contre. Souto de Moura a
sur le site, et la fenêtre d’angle efface la
suivi les deux déclivités, ce qui permet
verticalité du mur. La présence de la terre
d’intégrer le projet d’une manière unique
est également importante puisqu’elle
dans le site. On retrouve également cette
affirme
dimension dans le projet de la piscine
d’introversion à l’intérieur de l’édifice et
«Das Marès» d’Alvaro Siza, qui montre une
souligne son enfouissement de manière
davantage
cette
sensation
81
Schémas personnels montrant l’influence du socle sur le site initial
82
subtile. Si
exclusivement pour lui. C’est ce qui fait l’on
s’intéresse
contexte
toute l’importance et toute la pertinence
une déclivité générée
du projet. Il est là ou il devrait être. Il ne fait
naturellement amenait à un cadrage propre
plus qu’un avec lui. Brancusi serait alors le
sur le site que l’on pouvait observer depuis
parfait exemple de cette volonté dans le
la route. Une grande horizontalité dû à la
domaine de l’art. Le socle chez Souto de
topographie est présente. On remarque
Moura devient l’œuvre en elle-même, et
que Souto de Moura a souhaité garder
donne à l’édifice ce caractère si unique.
cette vision que l’on avait initialement. Il
La précision avec laquelle l’architecte a
vient excaver uniquement la terre dont
pensé le crématorium traduit cette volonté
il a besoin afin d’intégrer le projet le plus
d’unifier le site et l’objet. Il est pensé par et
simplement et le plus sagement possible. Il
pour l’horizontalité qu’il génère. L’effet est
ne le dénature en aucune façon, le bâtiment
en même temps humble et puissant.
initial du projet,
au
épouse le site comme s’il avait été construit
83
Schémas personnels montrant l’influence du socle sur le site initial
84
85
86
2.2 Un socle habité Pour Souto de Moura, l’architecture est toujours la recherche d’une réponse appropriée dans un endroit précis. Chaque site est unique, et sa réponse également. C’est pourquoi, le crématorium d’Uitzicht, (signifiant «vue» en Néerlandais) fascine par son implantation. L’édifice est littéralement blotti dans le paysage. Finalement, seule la cheminée de crémation vient interrompre l’horizontalité du site et du bâtiment. L’enfouissement induit alors une pente douce qui guide la famille. Elle permet une mise à distance de la route et donne un caractère intime à cette cour,
87
Axonométrie du crématorium d’Uitzicht montrant la dimension paysagère du projet
88
par la présence centrale d’un arbre ainsi
la fonction qu’il transmet. Sculpter le socle,
que celle de l’oeuvre de Pedro Cabrita
à la manière de Souto de Moura, introduit
Reis: «Looking at Silence». Nous avons
le fait de générer des vides, créant des
pu comprendre que le support s’exprime
espaces ou amenant des respirations dans
comme un tout, par sa géométrie ainsi
cette boite stéréométrique.
que sa matérialité. Quand on parle d’éléments stéréométriques, on peut faire
«C’est
l’architecture
massive,
le lien avec des espaces qui sont alors
pierreuse, pesante. Celle qui prend place
sculptés, creusés à même la matière. Le
sur terre comme si elle naissait d’elle.
premier habitat primitif, la grotte, nous
C’est l’architecture qui cherche la lumière,
renvoie à cette façon d’habiter l’espace
qui perfore ces murs pour que la lumière
stéréométrique. Le rapport entre socle et
entre à l’intérieur. C’est l’architecture du
objet s’emploie dans l’idée qu’il existe un
podium, du soubassement, de la base,
lien entre l’usage fait du socle etla fonction
celle du stylobate. C’est pour résumer,
89
Dessins personnels montrant l’impact du socle sur le site initial
90
l’architecture de la grotte. »8. Ce parallèle
symbolique dans leur rapport au ciel.
que nous pouvons faire avec la notion
de «grotte» et le crématorium d’Uitzicht
décrochement, de générer un patio qui
est simple : on constate (grâce au figure
induit une séquence d’entrée et lui donne
ci-contre), qu’il vient habiter ce socle. Il
tout une dimension spirituelle par la mise
crée un élément monolithique qui vient
en place d’une rampe. La présence de
supporter la topographie. Cet adossement
l’oeuvre de Pedro Cabrita Reis renforce
génère des passages, des failles entre la
encore plus ce sentiment. De part sa couleur
structure en béton et la pente existante.
brique et son nom «Looking at silence», elle
Ce sont les interstices entre la topographie
contraste avec le reste. L’apport de tout ces
et le construit qui forment des espaces
systèmes permet alors un recentrement
saisissants et qui donnent au projet tout
de l’âme lorsqu’on parcourt cet espace
sa force. Soit il s’adosse, soit il se décroche
décroché de tout, comme un temps de
et concède aux espaces une dimension
pause avant la cérémonie. le creusement,
Il permet également grâce, à ce
8 : Alberto Campo Baeza, La idea construida, Éditions de l’Esperou, 2010
91
Dessins personnels montrant l’impact des patios dans la lecture du projet
92
Souto de Moura parvient à installer un
que malgré la rigidité de ses volumes à
plan horizontal dans le paysage. Les
priori «simples» et extrêmement étirés, le
patios donnent une dimension verticale
projet scande la discrétion et l’introversion.
aux espaces adjacents qu’ils distribuent et
Quant à l’empreinte du squelette de
les baignent de lumière. Ce patio central
l’édifice dans le site, celui-ci vient se nicher
joue donc également le rôle de mise à
au pied de la pente douce, comme s’il en
distance. L’architecture vient réellement
émergeait. Il épouse la courbe de manière
habiter le socle, le terreplein. Il intègre de
élégante et permet de faire un dernier
la plus belle des façons son édifice dans
adieu dans une grande sobriété.
le contexte topographique du lieu et de ce qu’il s’en dégage. L’axonométrie éclatée
Le lieu est ce qui nous rattache au
nous permet de comprendre toute les
défunt. Un endroit hors du temps qui nous
subtilités du projet et tout le caractère
plonge dans un sentiment de plénitude. Il
paysagé du site. On voit très clairement
fait le lien entre deux mondes, celui des
93
Axonométrie éclatée du crématorium d’Uitzicht montrant l’articulation du socle sur le projet
94
vivants et celui des morts, comme seul et unique attachement matériel qu’il puisse y avoir. Le crématorium est ce point, entre les deux états de l’âme. Il sort de terre et devient une jonction entre le ciel et le terre, la vie et la mort.
95
Chapitre 3 :
96
L’apparition et la disparition de la stéréométrie par l’horizon
97
«La rampe entraîne les corps dans une danse, dessinant comme des fils invisibles entre le corps et des formes à différentes distances, du proche au lointain, jusqu'à l' horizon.» Kimmel Laurence, L 'architecture comme paysage, Alvaro Siza, Edition Petra, Octobre 2010, p.11
98
Dans
cette
ultime
partie,
qui
conclue mon analyse de cette dimension stéréométrique dans l’architecture, nous allons comprendre comment et par quels dispositifs le socle inhérent à elle disparaît au profit de l’horizon.
99
Dessins de Claude Parent «Dans la nature vierge amorce de l’incision», 2007
100
1. La rampe, système phénoménologique de prise de conscience 1.1. D’un volonté d’enfouissement
Notion de verticalité de par sa forme et sa fonction, la rampe entretient un lien avec l’architecture, elle relie un «haut» et un «bas» et amorce une sensation gravitaire. La perception du lieu est alors changeante et intègre une notion de mouvement qui est inhérente à cet objet. Dans ces deux crématoriums, les points de vues, que nous avions initialement, ne sont plus. La rampe modifie cette perception visuelle que nous avons du lieu dans lequel nous nous trouvons. Elle permet de se détacher de l’espace vécu initialement et de parcourir un nouvel espace. Cette
101
Collage personnel montrant la dimension de l’horizon dans la déambulation de la rampe du crématorium d’Uitzicht
102
nouvelle dimension consiste, grâce a cet enfouissement, a éloigner la personne
apporte est également très important. Le
ciel, de
élément liberté
et
immatériel
endeuillée du monde extérieur. Cette mise
évocateur
d’infini,
est
à distance n’est plus uniquement visuelle,
présent dans la descente du crématorium
elle suggère une hiérarchie entre le monde
d’Uitzicht. C’est le seul élément visible
des vivants et celui des morts.
que nous avons quand nous descendons
L’objectif lié à la descente ou à la
cette rampe. Elle nous ramène également
montée réside dans l’intérêt qu’elle suscite.
à la terre et permet de faire le lien visuel
A l’image chez Souto de Moura avec cette
entre ces deux éléments symboliques.
cour trapézoïdale et la présence de l’arbre
La rampe donne a comprendre cette
en son centre qui préside l’espace. La
dimension d’enfouissement et le rapport
sculpture participe aussi à cela et nous
au ciel qu’elle engendre. La quête de
amène a découvrir petit à petit cette
lumière, et les nombreux dispositifs qui
espace. Le rapport au ciel que la rampe
y participent, multiplient les différentes
103
Collage personnel montrant la dimension de l’horizon dans la déambulation de la rampe du crématorium d’Uitzicht
104
expériences sensorielles pour déclencher
monde, dans lequel nous ne sommes pas
une émotion propre à ce lieu. La rampe
encore présent, ce qui introduit alors cette
induit une volonté de déplacement. Elle
notion du temps lié à celle du parcours.
devient un espace habité et vécu par celui
C’est cette dualité-là que la rampe
qui la parcourt et agit comme un entre-
génère donne une perception totalement
deux : entre deux atmosphères, deux
différente de l’espace, et permet ainsi de
entités, le ciel et la terre. Ce système met
vivre l’instant présent.
en relation deux espaces, celui qui précède et celui qui vient, et associe la conscience du proche à cette action. En parcourant cette rampe, il se recentre sur lui-même et prend conscience de ce qui est là. L’espace transitoire devient un moment suspendu. On rentre dans un nouveau
105
Richard Serra, Shift, King City, Ontario, 1970
106
1.2. A un dispositif de promenade architecturale
La rampe présente dans ces deux projets est vécue comme un espace de circulation vertical est au même titre que l’escalier. Ces espaces impliquent la dimension du mouvement du corps dans l’espace. La rampe se déploie sur une distance plutôt longue et génère un parcours. Cette dimension donne à l’édifice une expérience phénoménologique du lieu. On retrouve cela dans l’œuvre «Shift» de Richard Serra, qui se parcourt le long des émergences. Il nous fait comprendre les limites visuelles et physiques de son œuvre. Elles sont induites et déterminées
107
Continuité
Monolithe
Vides
Pleins
Dessins personnels montrant l’impact de la déambulation intérieure et extérieure du projet sur les différents cadrages
108
par la distance maximale à laquelle
au sol, qui est similaire intérieurement
deux personnes peuvent se tenir debout
et extérieurement, générant une fluidité
sans se perdre de vue. Le paysage varie
dans la déambulation (comme le montre
en fonction du point de vue duquel on
les figures ci-contre). Et d’autre part, on se
l’observe, et la topographie influe sur la
rend compte que le parcours architectural
longueur des émergences. C’est la seule
induit par cette matérialité, génère un
création de Richard Serra qui introduira
déambulation qui est dite «libre» dans
volontairement la notion du parcours, et
cette dimension du socle. La dimension
donc du temps au sein de son œuvre.
stéréométrique de l’édifice, est également
Cette notion est présente dans
celui de la déambulation. Les pleins et
les deux crématoriums. Cependant si
les vides intérieurs du projet participent
l’on s’attarde sur celui d’Hofheide, cette
à faire rentrer le paysage à l’intérieur de
dimension est inhérente à celle du socle.
l’édifice , accentuant alors cette dimension
D’une part, par la continuité de matérialité
symbolique de l’horizon. Elle se veut
109
Servis
Servant
Limites physiques
Limites visuelles
Dessins personnels montrant l’impact de la déambulation intérieure et extérieure du projet sur les différents cadrages
110
intérieure et extérieure. La mise en place
l’horizon, rappelant ce lien entre terre et
de cette coursive extérieure permet
ciel.
cette liaison symbolique. Après chaque cérémonie,
les
personnes
présentent
La rampe permet donc d’introduire
dans le crématorium quittent les salles
cette dimension du parcours architectural,
de commémorations vers la coursive,
et également celle du cadrage. On peut
générant ainsi une sensation de liberté et
l’observer dans le crématorium d’Uitzicht
donne le sentiment que le défunt a rejoint
qui lui aussi introduit cette notion. Tout
le ciel ou la terre.
deux ponctuent la célébration par une
Ce parti-pris est fort et participe
déambulation et un cadrage sur l’horizon
à la réinterprétation de la promenade
qui,
d’une
manière
psychologique,
architecturale qui devient alors le parcours
annulent la sensation gravitaire que le
du deuil. Celui-ci est encaissé dans le socle
socle (ou valeur stéréométrique) induisent
et met le regard de la famille au niveau de
sur l’édifice.
111
« Il s’agit d’un vide qui existe par les proportions et la forme que lui donne le cadre. En marquant la limite, le cadre convertit le vide en tableau» Anne Faure, « Le cadrage comme outil de perception : la villa Lemoîne de Rem Koolhaas.». In Cinéma, architecture, Campanotto Editore, 2011, p.384.
112
2. Le cadrage, support d’horizon 2.1. De la déambulation, vecteur de cadrage
Le mouvement et le temps sont tout deux vecteurs d’expériences corporelles qui permettent de donner un rythme et une dimension instable au projet. La conception d’un parcours permet d’engager une expérience à la fois spirituelle et visuelle, où l’horizon joue un rôle prépondérant Plus qu’un parcours, c’est une expérience rythmique qu’offre RCR et Souto de Moura dans leur projet. L’horizon est un vide, comme le souligne Anne Faure, et le cadre souligne celui-ci. Cette déambulation mis en place chez RCR et Souto participe à la dimension spirituelle du projet et devient
113
Dessin personnel et collage montrant l’impact de la déambulation intérieure et extérieure du projet sur les différents cadrages
114
une introspection pour celui qui le vit.
nous le parcourons. Tout le projet est pensé
Chacun le vit différemment. Ces différents
pour l’horizon. A la fin de la cérémonie, le
plan-séquences du projet de RCR ont tous
parcours est à sens unique, on ne revient
l’horizon comme point de vue. Cependant,
jamais en arrière. On rentre dans l’édifice
ils donnent à voir celui-ci de différentes
en apercevant l’horizon, et on le quitte par
manières et lui transmettent une dimension
l’horizon. Le projet est porté par lui et le
symbolique unique. La séquence d’entrée
mouvement. On le vit de façon différente.
joue le rôle de porte entre les domaines des vivants et des défunts.
A l’inverse, chez Souto de Moura,
En passant sous l’auvent, le rapport
cette rampe nous coupe de tout horizon
à l’horizon change. En effet, c’est lui qui fait
pour nous recentrer sur la dimension
le lien entre la dimension stéréométrique
symbolique du lieu et le rapport que
et tectonique du projet, et qui compresse
le projet a avec lui. On s’en détache
la ligne visuelle que nous avons quand
pour mieux le redécouvrir. La séquence
115
Dessin personnel et collage montrant l’impact de la déambulation intérieure et extérieure du projet sur les différents cadrages
116
d’entrée permet de se couper du monde
Cette étude des deux différents
par la rampe. Mais une fois rentré, l’horizon
parcours, montre à quel point l’horizon est
est là. La fenêtre d’angle le souligne et
un élément qui rend présent l’édifice et qui
le magnifie. Sa présence rassure. Toute
l’annule à la fois. Ainsi, l’horizon génère
la déambulation générée s’appuie sur
des cadrages qui sont propres à chaque
l’horizon et par la présence du ciel dans les
édifice et qui en font une expérience
ouvertures en toiture. Nous le retrouvons à
corporelle unique et intime.
chaque mouvement, une fois de manière zénithale et une seconde fois par le patio. Le parcours intérieur devient un parcours du ciel. Quant à la séquence de sortie, elle redonne une importance majeur à l’horizon.
117
118
2.2. A la disparition du socle par l’horizon
Donner à voir à voir l’horizon est l’un des enjeux dans ce genre projet. L’horizon constitue la jointure lointaine de la terre et du ciel. Outre sa dimension symbolique dans l’architecture crématoire, il constitue une ligne visuelle propre au corps de l’Homme, qui regarde au loin. Il est dicté par le mouvement ainsi que la physionomie du sujet. Cette ligne permet de se situer entre un ici et un là-bas, un haut et un bas. L’horizon témoigne de l’aspect gravitaire du monde et de l’endroit d’où il est observé. Il révèle alors la manière dont il est cadré. Il modifie l’horizon et la perception que nous
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Schéma personnel sur le travail de Richard Serra sur : Vertical and Horizontal Reversals en 2013
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en avons. C’est en regardant le travail de
une sensation de masse, de gravité, ou
Richard Serra sur «Vertical and Horizontal
au contraire être dilater et donner à voir
Reversals» en 2013, qui met apparut que
l’intégralité de ce que nous percevons.
l’influence du cadre modifie la ligne
Le
d’horizon que nous avions initialement. La
modifie également la perception que nous
recherche de Serra met en exergue le fait
pouvons avoir et introduit la notion de
que deux rectangles identiques, de par leur
mouvement, et donc de parcours.
fractionnement
du
champ
visuel
géométrie, et leur différente juxtaposition,
Ce parallèle avec le travail de Serra
modifient la perception que nous avions
me permet alors de comprendre les enjeux
d’eux et par conséquent celle du cadre
de disparition du socle dans les deux
et du cadré. Les deux rectangles agissent
projets du corpus ; ces derniers offrent
comme le champ visuel, qui en fonction
une vision sur l’horizon changeante en
de l’endroit dans lequel on se trouve est
fonction du point de vue et des dispositifs
modifié. Il peut être comprimé et donner
phénoménologiques de mouvement et
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Souto de Moura
RCR
Comparaison du cadrage chez Souto de Moura et RCR
122
de cadrage mis en place. Que cela soit
Cette dualité, permet de justifier son
dans le projet de RCR ou celui de Souto
utilisation et la perception que nous
de Moura, le cadrage est omniprésent, et
avons de ce «peigne» en acier corten.
cette volonté de se détacher du socle par
Anecdotiquement, il reprend la figure du
celui-ci l’est également. Les cadrages ci-
schéma de circulation dans l’édifice.
contre traitent exactement de cette notion
D’un autre coté, chez Souto de
de compression et de dilatation du champ
Moura, c’est l’utilisation de la poutre-voile
visuel de celui qui parcourt l’édifice. Dans le
qui permet cette compression du champ
crématorium d’Hofheide, la compression
visuel et donne au cadrage cette sensation
est générée par le dispositif du auvent en
de gravité. Les deux dispositifs engendrés
acier corten qui vient séquencer le ciel et
par le socle d’un coté et un ornement de
donner cette impression d’horizontalité.
l’autre, permettent une disparition de la
Il joue pleinement ses rôles : induire
dimension stéréométrique que mettent en
une horizontale et servir d’ornement.
place ces deux projets. La modification de
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Coupe et façade montrant l’impact de la rampe et de l’enfouissement sur la hauteur du regard et la perception de l’horizon dans le projet du crématorium d’Hofheide
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l’altimétrie modifie la hauteur du regard qui devient celle de l’horizon. On ne se focalise plus sur la dimension du socle mais bien sur celle de la vue. L’horizon annule ce socle afin d’ouvrir le champ visuel sur le paysage. Cette dimension stéréométrique, au-delà de justifier l’implantation du projet dans son contexte, permet aussi de s’en détacher et de donner toute la dimension paysagère au projet. Ce dernier est à la fois symbolique et spirituel. Dans un crématorium l’horizon engendre une dualité entre le ciel et la terre, et entre les vivants et les morts.
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Coupe et façade montrant l’impact de la rampe et de l’enfouissement sur la hauteur du regard et la perception de l’horizon dans le projet du crématorium d’Uitzicht
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127
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Conclusion
Le socle n’est donc pas un élément qui se veut détaché de l’architecture. Il a une signification depuis l’antiquité et devient une entité projectuelle à part entière. Cette démarche de mémoire a pour volonté de définir le rôle et le caractère intrinsèque de celui-ci dans l’architecture. Nous avons pu comprendre que de
nombreux
architectes
et
artistes
ont œuvré dans sa requalification et sa place dans l’architecture. Le socle sert l’édifice et l’œuvre, mais amène d’autres spécificités dans la dimension symbolique et stéréométrique qu’il implique. Cette
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volonté de s’enfouir ou de se révéler
de justifier et de souligner l’édifice afin de
entraîne
que
lui apporter toute sa force. Il émancipe les
simplement celle d’un support que joue le
limites entre ce qui appartient à la terre et
socle. Cette conclusion répond donc à la
au ciel, tout en confrontant la gravité et la
question initiale du mémoire :
dimension humaine de celui-ci.
alors
d’autres
notions
Si dans l’art le socle apporte une En quoi le travail de la déambulation dans
dimension verticale (du moins, c’est ce qui
la dimension stéréométrique modifie-t-
le caractérise généralement), il permet
elle la perception visuelle de l’horizon ?
également de générer un nouveau plan horizontal modifiant toute la perception
Au regard de toute cette démarche de
que nous pouvons avoir de l’œuvre. C’est
mémoire, le socle joue un rôle essentiel
également son usage premier depuis
dans l’expression architecturale. D’une
l’Antiquité au regard de l’architecture.
simplicité formelle et radicale, il permet
L’horizontal crée le socle.
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Cette
dimension
du
terre-plein
par une entité.
permet alors de faire le lien entre les espaces stéréométrique et tectonique comme
Mais
habiter
le
socle
permet
on a pu l’observer dans le crématorium
également de transcender le rôle initial
d’Hofheide de RCR et également chez
qu’il peut avoir, à savoir celui de support.
Campo Baeza (par la mise en place cette
On habite alors le cœur de l’édifice, ce
limite entre ces deux dimensions). En effet,
qui le rend plus intimement lié à la terre
cette limite horizontale induite par le socle
et renforce cette dimension symbolique.
permet de souligner et de rendre visible
L’image du socle n’est pas uniquement
l’articulation entre lui et l’édifice, à l’instar
mécanique, elle est aussi spirituelle, car
de la sculpture.
elle permet élever l’œuvre du sol.
Le socle devient une
architecture qui se suffit à elle-même et qui
RCR élève son crématorium au
instaure une dualité entre stéréométrique
dessus de l’eau dont le socle élève lui-
et tectonique, deux univers distincts réunis
aussi l’édifice. Cette dimension horizontale
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est un acte élémentaire. Il prolonge l’esprit
avant, et a souligner cette horizon tout en
du lieu par une architecture simple (de part
effaçant la dimension stéréométrique de
sa forme) et complexe (dans les rapports
l’œuvre. On peut alors dire que le socle d’un
qu’il engendre).
édifice mémoriel apporte une nouvelle
Mais
les
rapports
qu’induisent
l’enfouissement sont tout autres. Souto de Moura participe a donner à l’horizon tout la symbolique de la dualité terre/ciel.
dimension sur l’horizon et souligne son caractère symbolique. Comme le dit Adolf Loos «Seule une toute petite partie de l’architecture relève de l’art : le tombeau et le monument. Tout
Les deux crématoriums permettent de générer un horizon propre à eux et
le reste, tout ce qui est au service d’une fin, est à écarter du domaine de l’art».
aux sites dans lesquels ils évoluent. Les dispositifs de la rampe et de la déambulation participent à le mettre en
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Penser le projet par le socle revient donc à exprimer l’essentiel avec simplicité et respect du site dans lequel l’édifice s’inscrit. Dès lors, on pourrait se questionner sur
ce
qu’engendre
la
dimension
stéréométrique sur la réflexion du projet et sur l’introversion architecturale qu’elle induit dans un édifice mémoriel.
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Annexes
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Crématorium d’Hofheide
137
Plan de masse du crématorium d’Hofheide
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R+1
RDC
R-1
Plan de niveau du crématorium d’Hofheide
139
Façades du crématorium d’Hofheide
140
Coupes du crématorium d’Hofheide
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Crématorium d’Uitzicht
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Plan de masse du crématorium d’Uitzicht
144
Plan de sol du crématorium d’Uitzicht
145
Façades et coupes du crématorium d’Uitzicht
146
Coupes du crématorium d’Uitzicht
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