Le Monde - 16-04-2019

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MARDI 16 AVRIL 2019 75E ANNÉE– NO 23098 2,80 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE WWW.LEMONDE.FR ― FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

Nucléaire : les pistes de l’Elysée pour découper EDF ▶ La direction d’EDF et

▶ Cette réforme vise à

▶ L’une des hypothèses est

▶ Les activités plus

▶ Alors que l’exécutif

l’Elysée envisagent fortement la nationalisation d’une partie des activités et la privatisation progressive d’une autre

réorganiser en profondeur ce groupe qui perd chaque année de nombreux clients et présente 33 milliards d’euros de dette

de nationaliser les activités nucléaires, existantes et futures, ce qui obligerait l’Etat à investir massivement dans ce domaine

rentables, concernant notamment la fourniture d’électricité aux particuliers, pourraient s’ouvrir aux capitaux privés

doit rendre ses arbitrages, les syndicats dénoncent d’ores et déjà un projet de « démantèlement »

Grand débat La campagne de Macron en pointillé Après trois mois à sillonner la France et à occuper le devant de la scène, le président de la République devait dévoiler lundi soir ses « chantiers d’actions prioritaires » et « des mesures concrètes » pour les Français. Le chef de l’Etat compte sur ce moment pour relancer son quinquennat et « enclencher une nouvelle dynamique ». L’opposition dénonce, quant à elle, une campagne déguisée

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International Les paris risqués de Donald Trump au Proche-Orient

LA PATRONNE DE LA CNIL DÉVOILE SA STRATÉGIE ▶ Marie-Laure

Denis, nommée en février, expose pour la première fois ses priorités ▶ Elle prône une application très stricte du règlement général sur la protection des données (RGPD)

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l’administration américaine doit dévoiler dans les semaines à venir sa stratégie pour le ProcheOrient. Ce plan, en préparation depuis deux ans, est l’œuvre de trois proches du président, réputés favorables au premier ministre israélien Nétanyahou et à sa politique de colonisation. Alors que Donald Trump affiche son hostilité à la solution à deux Etats, les Palestiniens se di-

sent déjà hostiles à son plan. La stratégie américaine vise à améliorer leur situation économique tout en réduisant fortement leur marge de manœuvre politique. Dans une lettre dont Le Monde a eu connaissance, trente-sept exministres des affaires étrangères de divers Etats membres de l’UE pressent l’Europe de ne pas rester passive.

Finlande L’extrême droite fait une percée aux législatives

Dossier éco La fin annoncée de l’âge du plastique

Le parti des Vrais Finlandais a obtenu la seconde place lors du scrutin, dimanche 14 avril. Porté par sa ligne dure, résolument nationaliste et antiimmigration, il progresse et talonne les sociauxdémocrates, qui devraient être chargés de former le prochain gouvernement

En réponse au fléau de la pollution due aux déchets en plastique, toute l’industrie – de la pétrochimie à la grande distribution – amorce une mue à marche forcée. Les techniques de recyclage progressent, de nombreuses solutions de substitution sont à l’étude

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ÉD ITO R IAL

LIBYE : L’ÉCHEC DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE P. 27 ET INTERNATIONAL P. 4

Le 12 avril, à Paris. JEAN-LUC BERTINI POUR « LE MONDE »

RACE, GENRE, RELIGION : TENSIONS DANS LES UNIVERSITÉS le blocage, lundi 25 mars, à la Sorbonne, de la pièce de théâtre Les Suppliantes, d’Eschyle, parce que des acteurs portaient des masques noirs, n’est que le dernier en date des multiples incidents qui secouent les facultés.

Sur le genre, la religion ou la race, les crispations sont nombreuses, au point que des enseignants dénoncent aujourd’hui un repli identitaire qui interdit tout débat. Le sociologue Eric Fassin dénonce une « indignation sélective », esti-

mant que la droite n’est pas en reste pour censurer. Les polémiques ne sont pas nouvelles dans le milieu universitaire, mais leur champ a évolué et les réseaux sociaux en ont démultiplié l’écho.

Paris Un plan d’urgence pour les quartiers difficiles

Contemporary Art Fair

25— 28 April 2019 Tour & Taxis

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Politique LE REGARD DE PLANTU Le virage écoloidentitaire de Marine Le Pen PAGE 1 0

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Spectacles Des humoristes africains en tournée en France

25-28 04.2019

by EASYFAIRS

Reportage A Guernesey, dans la maison de Victor Hugo

Main partner

PAGE 2 2 Algérie 220 DA, Allemagne 3,50 €, Andorre 3,20 €, Autriche 3,50 €, Belgique 3,00 €, Cameroun 2 300 F CFA, Canada 5,50 $ Can, Chypre 3,20 €, Côte d'Ivoire 2 300 F CFA, Danemark 35 KRD, Espagne 3,30 €, Gabon 2 300 F CFA, Grande-Bretagne 2,90 £, Grèce 3,40 €, Guadeloupe-Martinique 3,20 €, Guyane 3,40 €, Hongrie 1 190 HUF, Irlande 3,30 €, Italie 3,30 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 3,00 €, Malte 3,20 €, Maroc 20 DH, Pays-Bas 3,50 €, Portugal cont. 3,30 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 300 F CFA, Suisse 4,20 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 3,80 DT, Afrique CFA autres 2 300 F CFA


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INTERNATIONAL Trump prépare sa « paix » au Proche-Orient

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MARDI 16 AVRIL 2019

La Maison Blanche veut profiter de la faiblesse des Palestiniens pour imposer un processus favorable à Israël washington, jérusalem correspondants

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ersonne ne l’a consulté, mais tout le monde en parle. Malgré des révélations quasi quotidiennes sur l’administration Trump, un sujet est resté placé sous le sceau du secret. Il s’agit du plan de paix pour tenter de résoudre le conflit israélo-palestinien, échafaudé depuis deux ans par trois proches du président : son ancien avocat Jason Greenblatt, son gendre et conseiller, Jared Kushner, et enfin l’ambassadeur des EtatsUnis en Israël, David Friedman, fervent soutien de la colonisation. Ces trois juifs très religieux, à la proximité affichée avec Benyamin Nétanyahou, prétendent pouvoir réussir là où toutes les administrations américaines ont échoué depuis des décennies. Et cela en favorisant une normalisation des relations entre l’Etat hébreu et les pays arabes. Depuis deux ans, cette équipe solidaire a souvent démenti de supposées « fuites » sur le contenu du document, qui se veut exhaustif. Elle envisage de révéler ses propositions dans les semaines à venir, maintenant que les élections législatives israéliennes du 9 avril sont passées. Robert Malley, ancien négociateur de l’administration de Barack Obama, évoque un premier volet économique visant à améliorer les conditions de vie des Palestiniens « avec le calcul erroné que cela mobilisera l’opinion publique palestinienne contre ses dirigeants ». Selon un sondage publié le 19 mars par le centre d’études PSR, 79 % de Palestiniens veulent que le plan Trump soit rejeté, avant même d’en connaître le contenu. Ce premier volet serait suivi d’un plan politique qui, même sans proposer un Etat palestinien, pourrait provoquer des tensions au sein de la nouvelle coalition que M. Nétanyahou devrait former dans les semaines à venir avec l’extrême droite et les partis religieux. « Dogmes obsolètes » Ce projet ne produirait, selon Robert Malley, qu’un « inconfort temporaire » pour M. Nétanyahou. Le dirigeant peut s’abriter derrière la position intransigeante de Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne, qui a rompu tout contact avec les émissaires américains depuis janvier 2018. L’échec est prévisible, il ne resterait qu’à en attribuer la responsabilité. Comme l’estime l’ancien négociateur américain, l’administration Trump espère que ce plan

Une affiche de campagne de Benyamin Nétanyahou, le représentant avec Donald Trump, le 8 avril, à Tel-Aviv. AMIR COHEN/REUTERS

aura une postérité « en changeant les paradigmes » de la question palestinienne. « L’administration américaine est convaincue que tout le monde est prisonnier de dogmes devenus obsolètes », estime-t-il. « Il y a eu beaucoup d’idées depuis quarante ans. Aucune n’a apporté la paix entre Israéliens et Palestiniens », a déclaré, samedi 13 avril sur CNN, le secrétaire d’Etat, Mike Pompeo. « La nôtre est de proposer une vision qui présente des idées nouvelles, différentes, uniques, qui tentent de reformuler et de remodeler ce qui est un problème insoluble », a-t-il poursuivi. En réalité, un plan Trump est déjà à l’œuvre. Washington considère la solution à deux Etats comme « un simple slogan », selon Jason Greenblatt. L’administration américaine a remis en cause la définition des réfugiés palestiniens retenue par la mission de l’ONU leur venant en aide, l’UNRWA, privée de financements américains. Washington a reconnu de façon unilatérale Jérusalem comme capitale d’Israël, en

décembre 2017. Il n’y a plus la moindre critique publique de la part des Etats-Unis à propos de l’extension des colonies israéliennes en Cisjordanie occupée. Les pays arabes courtisés L’Autorité palestinienne, elle, n’a eu droit qu’à des pressions financières et des manœuvres d’intimidation pour accepter le plan quand il sera présenté. Les pays arabes, très courtisés, sont invités à la fois à financer le volet économique du document et à peser sur Mahmoud Abbas. Le 14 avril, tandis que le nouveau gouvernement palestinien de Mohammed Shtayyeh prêtait serment, le raïs a répété qu’il ne voyait aucun intérêt à discuter avec l’administration Trump. Mais Washington mise sur un changement de priorités des pays arabes, afin qu’ils ne rejettent pas en bloc le plan. Le dossier palestinien n’a pas été mentionné, le 9 avril, dans les comptes rendus des discussions de Donald Trump avec les dirigeants de deux pays-clés : l’Egypte et l’Arabie saoudite.

Le 11 avril, Jason Greenblatt, sur Twitter, écrivait ceci « à l’attention de l’Autorité palestinienne » : « Notre plan va grandement améliorer la vie des Palestiniens et créer quelque chose de très différent de ce qui existe. C’est un plan réaliste pour s’épanouir/prospérer, même si cela implique des compromis. Ce n’est pas une liquidation. » Ce message, qui se prétend rassurant, ne convainc personne côté palestinien, où l’on répète les mêmes formules : retour aux frontières antérieures à la guerre de 1967, Jérusalem capitale partagée. L’un des Tweet récents de l’ambassadeur David Friedman représente la quintessence de l’approche américaine : vive l’économie, au détriment des droits politiques palestiniens. Le 10 avril, il partageait son plaisir. « Super matinée au nouveau centre commercial au nord de Jérusalem (…). Israéliens et Palestiniens travaillant, faisant des courses et des affaires ensemble – un chemin simple vers la paix ! » Ce message semblant rendre un hommage inoffensif à la coexistence au quotidien entre Juifs et

L’Autorité palestinienne n’a eu droit qu’à des pressions financières et des manœuvres d’intimidation Arabes passe sous silence l’emplacement du centre, au bord de la route 60, qui traverse la Cisjordanie du nord au sud. La zone industrielle d’Atarot, en face du mur de séparation, est au milieu d’un damier de colonies et de quartiers arabes. Mais Donald Trump s’en était dit convaincu en janvier 2018 d’une formule désinvolte : « Jérusalem n’est plus sur la table. » Benyamin Nétanyahou a évoqué le plan de Trump, le 5 avril, dans Israel Hayom, un journal consacré à sa gloire. « Je ne me coordonne pas avec lui, disait le premier ministre. J’ai exposé trois principes élémentaires devant lui

et ses conseillers. J’espère vraiment qu’ils apparaissent dans le plan. Premièrement, nous n’évacuerons pas un seul colon. Pas une seule colonie, pas un seul colon. Deuxièmement, nous maintiendrons un contrôle sur la zone entière à l’ouest du Jourdain. Nous aurons une présence permanente. C’est la principale autorité souveraine qui demeurera dans toute situation. Troisièmement, nous ne diviserons pas Jérusalem. » Le lendemain de cet entretien, en toute fin de campagne électorale, M. Nétanyahou a, pour la première fois, exprimé sa volonté d’œuvrer à l’annexion « graduelle » des colonies en Cisjordanie, de façon unilatérale. Il s’agit d’un tournant personnel, après des années où M. Nétanayhou n’a consacré aucun effort à des négociations avec les Palestiniens. Le dirigeant mise sur le rejet du plan par Mahmoud Abbas. Dès lors, il pourrait avancer sur la route de l’annexion, avec ses alliés de l’extrême droite. Et sans doute une bénédiction américaine. p gilles paris et piotr smolar

En Europe, la mise en garde d’ex-ministres des affaires étrangères Un texte, signé notamment par MM. Védrine et Ayrault, s’inquiète de la création d’une entité palestinienne « dépourvue de souveraineté » jérusalem - correspondant

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es sujets de controverse entre Européens et Américains s’accumulent : négociations commerciales, accord sur le nucléaire iranien dont Washington s’est retiré, protection de l’environnement… L’un des plus symboliques concerne la différence radicale d’approche du conflit israélo-palestinien. L’administration Trump, qui prépare en secret son plan de paix, a décidé d’ignorer les paramètres traditionnels de la solution à deux Etats, de fouler aux pieds le droit international et les résolutions de l’ONU. L’illustration de cette rupture a été la reconnaissance unila-

térale de Jérusalem comme capitale d’Israël, en décembre 2017, par le président américain. Divisés sur l’attitude à adopter face à Israël, dont le glissement nationaliste et identitaire s’est confirmé lors des élections législatives du 9 avril, les Etats membres de l’UE peinent à se faire entendre. L’UE s’en tient aux condamnations traditionnelles de la colonisation et à la promotion d’une solution à deux Etats qui paraît plus lointaine que jamais. C’est pour sortir l’Europe de cette passivité dangereuse que 37 anciens ministres des affaires étrangères, de différents Etat-membres, ont adressé un courrier à Federica Mogherini, la haute repré-

sentante de l’UE, et à leurs collègues aujourd’hui en fonctions, dimanche 14 avril. Une démarche pour l’honneur Ce courrier, dont Le Monde a eu connaissance, invite les Européens à rappeler de façon claire les paramètres traditionnels de la solution à deux Etats, avant même la publication du plan Trump. « Il est crucial pour l’Europe d’être vigilante et d’agir de façon stratégique », soulignent les signataires, parmi lesquels se trouvent deux Français, Jean-Marc Ayrault et Hubert Védrine. Interrogé par Le Monde, ce dernier s’alarme de « l’évolution sur le terrain aux antipodes de ce qu’[ils] espérai[ent] ».

Le projet de l’administration américaine « va être un plan Afrique du Sud, résume Hubert Védrine, en référence au régime d’apartheid qui avait existé dans ce pays. C’est le moment de s’exprimer car personne ne le fait. Nétanyahou a été extrêmement efficace ces dernières années pour accuser d’antisémitisme toute critique d’Israël. Même si ce sont des propos de campagne, ses récentes déclarations en faveur d’une annexion des colonies auraient provoqué une levée de boucliers il y a dix ou vingt ans ». Les fractures entre Européens au sujet d’Israël sont si profondes que les signataires ne se font guère d’illusions. Il s’agit presque d’une démarche pour l’honneur.

« Malheureusement, l’administration américaine actuelle s’est éloignée des politiques américaines anciennes et a pris ses distances avec les normes établies du droit international », dit la lettre, qui met en garde au sujet de la déstabilisation possible de pays situés « à la porte de l’Europe ». Le texte cite la reconnaissance de Jérusalem et « l’indifférence dérangeante » manifestée au sujet de l’expansion des colonies en Cisjordanie, alors que les deux parties « glissent dans une réalité à un Etat avec des droits inégaux ». Disant partager la « frustration » de l’administration Trump au sujet des échecs passés dans les négociations de paix, les signataires

notent toutefois qu’un plan réduisant le projet d’Etat palestinien à « une entité dépourvue de souveraineté, de contiguïté territoriale et de viabilité économique » porterait un coup fatal à la cause d’une paix durable. Les anciens ministres des affaires étrangères souhaitent que l’Europe joue « son rôle unique en tant que point de référence dans un ordre mondial basé sur la loi ». De deux façons : en veillant à l’application des résolutions du Conseil de sécurité, ce qui relève d’un vœu pieux ; en assurant les défenseurs des droits de l’homme en Israël et en Palestine de son soutien, « plus important que jamais ». p p. sm.


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L’extrême droite talonne la gauche en Finlande Après un passage au pouvoir, les Vrais Finlandais se sont radicalisés et terminent deuxièmes aux législatives malmö (suède) correspondante régionale

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ls étaient encore à moins de 10 % des intentions de vote en décembre 2018. La scission du parti, après l’OPA menée sur les postes-clés par sa frange radicale en juin 2017, semblait avoir condamné l’extrême droite finlandaise, privée de ses cinq ministres dissidents, à jouer les seconds rôles. Mais dimanche 14 avril, après quatre années au pouvoir en coalition avec la droite et le centre, le parti des Vrais Finlandais a réalisé ce que même son chef de file, Jussi Halla-aho, « n’attendait pas », en décrochant la deuxième place des élections législatives, avec 17,5 % des voix, à 0,2 point seulement des sociaux-démocrates (17,7 %). Il aura fallu attendre minuit pour obtenir les scores, qui devront encore être confirmés par un recomptage des voix, avant que le résultat définitif soit proclamé mercredi 17 avril. Arrivés en tête du scrutin, les sociaux-démocrates décrochent 40 sièges de députés, au coude-à-coude avec les Vrais Finlandais, qui totalisent 39 mandats, juste devant les conservateurs de la Coalition nationale, qui obtiennent 17 % des voix et 38 sièges. « Pour la première fois depuis 1999, les sociaux-démocrates sont le parti du premier ministre », s’est réjoui Antti Rinne, chef de file de la formation depuis 2014. M. Rinne a précisé qu’il entendait former un gouvernement « avant la fin mai ». Mais il faudra toutes les compétences

de cet ancien leader syndical de 56 ans pour y parvenir. Car même s’ils arrivent en tête, en progression de 1,2 point par rapport à 2015, les sociaux-démocrates font beaucoup moins bien que prévu. Antti Rinne lui-même n’obtient que 11 400 voix personnelles, contre plus de 19 000 pour Sanna Marin, la vice-présidente du parti, qui a assuré l’intérim en janvier et février, en l’absence de son président, victime d’une grave pneumonie en Espagne à Noël. Parmi leurs partenaires privilégiés, les écologistes de la Ligue verte figurent parmi les gagnants de ce scrutin avec 11,5 % des voix, un résultat historique. La question du climat s’est imposée dans la campagne électorale, forçant les partis traditionnels à présenter des mesures pour réduire les émissions du pays. Avec une exception : les Vrais Finlandais, climatosceptiques, qui ont réussi à en faire un sujet supplémentaire de polarisation. Austérité sanctionnée Les Verts doivent également leur popularité à celle de leur chef de file, Pekka Haavisto, 61 ans, à leur tête depuis octobre 2018. A la présidentielle de 2012, le candidat écologiste avait fait sensation, faisant campagne avec son compagnon, un coiffeur d’origine équatorienne, et parvenant à se qualifier pour le second tour. Dimanche, M. Haavisto a obtenu plus de 20 000 votes personnels. La gauche radicale progresse également, à 8,2 %. Antti Rinne devrait cependant tenter de convaincre en priorité une des deux

Entrés au gouvernement en 2015, les Vrais Finlandais avaient renié une bonne partie de leur programme eurosceptique grandes formations de la coalition sortante de le rejoindre. Grand perdant des élections, le Parti centriste du premier ministre Juha Sipilä n’obtient que 13,8 % des voix (contre 21,1 % en 2015) et perd 18 députés, son pire résultat depuis 1917. Sanctionné pour sa politique d’austérité et incapable de mener à bien la réforme de la santé qu’il s’était engagé à mettre en place, M. Sipilä, ancien homme d’affaires, multimillionnaire, a cristal-

lisé le mécontentement contre son gouvernement. Par contraste, malgré quatre années au sein de l’exécutif, les conservateurs de la Coalition nationale s’en sortent avec à peine quelques égratignures. Dimanche soir, le leader des sociaux-démocrates a assuré que sa priorité était de « restaurer la confiance du peuple ». La Finlande est habituée aux larges coalitions gouvernementales. Aux lendemains des législatives de 2015, où ils avaient obtenu 17,6 % des voix, les Vrais Finlandais étaient même, pour la première fois, parvenus au pouvoir, quitte à renier une bonne partie de leur programme eurosceptique. Interrogé sur une éventuelle négociation avec un parti qui s’est nettement radicalisé depuis, M. Rinne a « refusé de spéculer ». Mis à part le Parti du peuple suédois, aucune des autres formations n’a officiellement exclu de collaborer avec l’extrême droite.

Mais autant le fondateur du parti des Vrais Finlandais, Timo Soini, ministre des affaires étrangères dans le gouvernement sortant, comptait de nombreux partisans au sein des formations traditionnelles, autant la personnalité et les idées de son successeur, Jussi Halla-aho, rebute. Linguiste, spécialiste des langues slaves, cet idéologue s’est fait connaître au début des années 2000 par le blog où il distillait son discours nationaliste, antiimmigration et islamophobe. Présidence de l’UE Il a pris sa carte chez les Vrais Finlandais en 2010, puis est entré au Parlement l’année suivante. Il avait alors été condamné en première instance pour blasphème et incitation à la haine raciale, avant d’être blanchi en appel. En 2012, la Cour suprême a confirmé la condamnation, ce qui ne l’a pas empêché d’être élu eurodéputé en 2015.

Deux ans plus tard, M. Halla-aho, ainsi que ses alliés les plus radicaux au sein de la formation, reprochant aux modérés leur participation au gouvernement, en ont pris la direction, menant à la scission du parti. Dimanche, les dissidents rassemblés au sein de la Réforme bleue n’ont remporté que 1 % des voix, perdant leurs 17 sièges de députés, qui sont retournés dans le giron des Vrais Finlandais. Dans la circonscription d’Helsinki où il se présentait, Jussi Halla-aho a obtenu 30 500 voix, le record du scrutin. « Nous voulons être au gouvernement mais à condition d’avancer sur les sujets qui sont importants pour nos électeurs », a-t-il fait savoir. Parmi ces priorités : la fermeture des frontières aux demandeurs d’asile. Même si elle s’annonce difficile, la constitution d’un gouvernement presse : à partir du 1er juillet, la Finlande assumera la présidence de l’Union européenne. p anne-françoise hivert

Nouveau

OPEL COMBO

Shoah : Jair Bolsonaro crée la polémique Le président brésilien a estimé que « l’on pouvait pardonner » le génocide des juifs sao paulo - correspondante

T

entant de justifier l’injustifiable, ses proches évoquent l’impulsivité du président, les autres parlent plus cruellement de son ignorance. Samedi 13 avril, Jair Bolsonaro s’est évertué, en vain, à éteindre une nouvelle polémique déclenchée par sa parole éruptive et inconséquente. Après avoir attaqué les homosexuels, les femmes, les Noirs, après avoir fait l’éloge des tortionnaires et encensé la dictature militaire (1964-1985), l’ancien capitaine de l’armée a créé la polémique au sujet de la Shoah. Le chef d’Etat brésilien s’est laissé aller, jeudi, à affirmer, devant un parterre de pasteurs évangéliques, que « l’on pouvait pardonner, mais pas oublier », la Shoah. Le propos a provoqué l’ire d’Israël, pays avec lequel Jair Bolsonaro prétend se rapprocher. « Nous nous opposerons toujours à ceux qui nient la vérité ou souhaitent effacer notre mémoire, qu’il s’agisse d’individus, de groupes, de chefs de partis ou de premiers ministres », a réagi samedi sur Twitter, le président de l’Etat hébreu, Réouven Rivlin. Ajoutant : « Le peuple juif combattra toujours l’antisémitisme et la xénophobie. Les dirigeants politiques doivent dessiner le futur. Les historiens décrivent le passé (…). Aucun des deux ne devrait s’égarer sur le territoire de l’autre. » Le centre Yad Vashem, dédié à la mémoire des six millions de victimes de la Shoah, a aussi fait état de son désaccord avec le président brésilien. Confus et comme étonné de l’émoi suscité par ses propos, Jair

Bolsonaro s’est fendu, samedi, d’une lettre adressée au peuple juif. Dans sa missive, le chef de l’extrême droite brésilienne rappelle le mot qu’il avait laissé sur le livre du mémorial de la Shoah lors de sa visite à Jérusalem début avril : « Celui qui oublie son passé est condamné à ne pas avoir d’avenir. » Le chef d’Etat confesse aussi que « le pardon est quelque chose de personnel ». Mais loin de s’excuser, il se dédouane, attribuant le trouble à de prétendues mauvaises intentions venant de ses ennemis, « ceux qui veulent m’éloigner de mes amis juifs », écrit-il. « Le nazisme est de gauche » L’épisode s’ajoute à une précédente controverse déclenchée peu de temps après la visite de Jair Bolsonaro au mur des Lamentations. Le président avait alors conforté son ministre des relations extérieures, Ernesto Araujo, affirmant n’avoir « aucun doute » sur le fait que « le nazisme est de gauche ». « Jair Bolsonaro est un président impulsif et incontrôlable. Avec ce propos sans doute pas planifié sur la Shoah, il démontre une fois de plus qu’il n’a aucune notion ni compréhension de faits historiques à même de susciter des crises diplomatiques. C’est inquiétant et dangereux pour les relations entre le Brésil et le reste du monde », estime Oliver Stuenkel, professeur de relations internationales à la fondation Getulio Vargas à Sao Paulo, redoutant que le président brésilien soit peu à peu considéré comme un allié « toxique » pour les démocraties occidentales. p claire gatinois

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0123 MARDI 16 AVRIL 2019

Soudan : l’armée donne des gages sans convaincre Le nouveau chef du Conseil militaire de transition promet un gouvernement civil johannesburg correspondant régional

A

bien regarder le profil des généraux qui, au sein du Conseil militaire de transition (TMC), doivent influer sur la manière dont va être géré le Soudan après le départ du président Omar Al-Bachir, il est raisonnable de se demander si le pays est bel et bien engagé dans une forme de transformation ou, déjà, englué dans une forme sophistiquée de restauration. A la tête du TMC – un groupe de dix officiers supérieurs formé à la hâte quand il est devenu évident que, face à la pression de la rue, Omar Al-Bachir devait quitter le pouvoir –, le général Fattah Al-Burhan rahmane a pour lui d’être peu connu du public. Cela lui rend la vie moins difficile que celle de son prédécesseur à la tête de ce qui ressemblait à une junte en bonne et due forme : le général Ibn Aouf avait été contraint à la démission, une journée seulement après la chute d’Omar Al-Bachir. Neutraliser les services secrets Depuis, il est censé avoir été mis à la retraite. Cet homme incarne plus les travers des généraux du régime Bachir que les espoirs des manifestants ou ceux de l’Association des professionnels du Soudan (SPA). La SPA fait partie d’une coalition, la Déclaration pour la liberté et le changement, qui appelle à continuer de manifester, tant il est clair que l’épreuve de force n’est pas terminée. Le TMC, depuis samedi, consulte les forces politiques du pays, afin de déterminer la forme constitutionnelle à donner à la transition. Il s’efforce aussi de neutraliser le NISS (les services

secrets). Les généraux cherchent à conserver la haute main sur le pouvoir, tout en consentant à ce qu’un gouvernement civil, sous la direction d’un premier ministre, soit nommé. La Déclaration pour la liberté et le changement exige que le Soudan soit dirigé par un président, et qu’il s’agisse d’un civil. Mais si une formule avec un premier ministre devrait peut-être retenue, il faudrait pour cela s’entendre sur un nom. Les militaires ont organisé, dimanche, une consultation avec des partis qui s’étaient compromis avec l’ancien régime, et qui brouillent les cartes en poussant plusieurs candidatures. C’est le premier blocage de la situation. Il est d’autant plus difficile à résoudre qu’il y a une ambiguïté fondamentale concernant les véritables intentions de l’armée. « Soyons clairs : ce sont les généraux de Bachir. On ne pouvait, jusqu’ici, accéder à un poste de commandement sans être un proche du régime, et bénéficier d’une confiance absolue, rappelle Suliman Baldo, conseiller de l’ONG de défense des droits de l’homme Enough. Ils sont à présent dans une position historique de choix entre le démantèlement d’un régime dont ils étaient les piliers et la prolongation de ce régime sous une autre forme. »

Des civils et militaires soudanais manifestent devant le ministère de la défense, à Khartoum, le 14 avril. STRINGER/REUTERS

Pour introduire une rupture claire avec le passé, la Déclaration pour la liberté et le changement a publié un plan en neuf points. Il devra faire l’objet de négociations dans les jours à venir. Tout semble encore possible. Déjà, sous la pression de la rue, de la SPA et de leurs alliés, les membres du Conseil militaire ont commencé à mener une « dé-bachirisation » précautionneuse. Les responsables de la contestation arrêtés depuis le début des manifestations, les militants, les manifestants ou les passants raflés au hasard, qui encombraient les prisons et centres secrets de détention, sont tous en voie de recouvrer leur liberté. Parmi les décisions annoncées dans la soirée du dimanche 14 avril, figure aussi la saisie des avoirs du Parti du congrès national (NCP), au pouvoir jusqu’ici.

Pour l’ONU, priorité à la « stabilité » Invité de l’émission « Internationales » sur TV5Monde, en partenariat avec RFI et Le Monde, dimanche 14 avril, et interrogé sur le sort du dictateur soudanais destitué Omar Al-Bachir, inculpé de génocide par la Cour pénale internationale, Adama Dieng, conseiller spécial du secrétaire général des Nations unies pour la prévention des génocides, a souligné que « la priorité est la stabilité du Soudan et le départ des militaires du pouvoir ». Il rappelle que le statut de la CPI prévoit qu’on puisse « mettre entre parenthèses un processus judiciaire afin de favoriser la paix ».

Le général Al-Burhan fait partie de ceux qui ont élaboré la politique de répression au Darfour Pendant le week-end, une partie des principales installations du NISS, les services de sécurité et de renseignement, a été investie par les militaires. Mais la rupture avec l’ordre précédent est loin d’être nette. Le général Aouad Mohamed Ahmed Ibn Aouf était un proche du chef du NISS, Salah Gosh. Ce dernier, depuis qu’il est revenu à la tête de cette institution, après en avoir été écarté lors d’une période de disgrâce, trône sur une organisation qui absorbe la plus grande partie du budget de l’Etat et peut compter sur des dizaines de milliers d’agents armés. Le NISS incarnait tous les abus du pouvoir soudanais. L’idée de conserver, dans l’ombre du général Ibn Aouf, l’influence d’un Salah Gosh omnipotent, était intolérable pour les responsables de la contestation. Après avoir été contraint à démissionner samedi, Salah Gosh a pris sa retraite dimanche, mais n’a pas été inquiété. Les

responsables de la Déclaration pour la liberté et le changement exigent qu’une centaine de personnes impliquées aussi bien dans les violences, les abus de pouvoir au sein du NCP ou les massacres au Darfour, soient arrêtées. Le héros de la contestation Dans un premier temps, la rage s’est dirigée contre le NISS. Pendant le week-end, la population, surtout au Darfour, s’est retournée contre ses bureaux dans plusieurs villes : Golo, Zelingei, Kas, Mornei, et enfin Nertiti, où le responsable de l’administration, durant la phase de violences dans la région pendant les années 2000, n’était autre que le général Al-Burhan, qui préside désormais le TMC. Non seulement Abdel Fattah Al-Burhan a fait partie du groupe des responsables militaires qui ont élaboré la politique de répression au Darfour (300 000 morts selon les Nations unies), mais il a continué à jouer un rôle après le pic des massacres, notamment en contribuant à accompagner la progression dans l’appareil sécuritaire d’un homme, Muhammad Hamdan Daglo, dit « Hemetti », en remplacement de l’exleader des janjawids, Musa Hilal. Les janjawids, ex-miliciens recrutés parmi les tribus arabes et chargés de la politique de terre brûlée au Darfour, ont été inté-

grés dans des unités placées sous l’autorité du NISS, puis de l’armée. Regroupés dans une Force de soutien rapide, ils ont été déployés le long des frontières, bénéficiant du plan élaboré par le Soudan avec des pays européens – dont la France – pour bloquer le passage de migrants, tandis que des milliers d’entre eux étaient envoyés combattre aux côtés de la coalition emmenée par l’Arabie saoudite dans la guerre au Yémen. Or le colonel Hemetti est désormais numéro deux du TMC. Il a retenu ses forces lors des dernières phases de répression des manifestants, a même enregistré une vidéo pour affirmer qu’il ne lâcherait pas ses troupes sur la foule occupant le centre de Khartoum, et fait figure, dans l’immédiat, de héros du mouvement de contestation. Dans ses nouvelles fonctions, il a reçu le chargé d’affaires américain. Les deux hommes qui dirigent le conseil militaire ont donc en commun de s’être connus au Darfour, avant de poursuivre ensemble des intérêts qui les ont amenés à se rapprocher de l’Arabie saoudite et des Emirats arabes unis. Samedi, une fois rendue publique la nomination du général Al-Burhan à la tête du TMC, Riyad a annoncé un plan d’urgence pour le Soudan, avec promesse de livraison de blé, de pétrole et de produits pharmaceutiques. p jean-philippe rémy

« En Libye, nous continuons à rechercher une solution politique » Ghassan Salamé, le chef de la mission de l’ONU en Libye, s’inquiète autant des « fissures » au Conseil de sécurité que de l’offensive d’Haftar

ENTRETIEN

tunis - correspondant

L’

offensive du 4 avril du maréchal Khalifa Haftar, chef de l’Armée nationale libyenne (ANL), contre le gouvernement libyen d’« accord national » de Faïez Sarraj, a provoqué de violents combats près de Tripoli. Le chef de la mission des Nations unies pour la Libye, Ghassan Salamé, déplore les « fissures » de la communauté internationale dans la crise libyenne. Quelle est la situation sur le terrain, une dizaine de jours après le déclenchement de l’offensive du maréchal Haftar sur Tripoli ? Sur le plan humanitaire, on déplorait dimanche en milieu de journée 130 tués, 600 blessés et 17 000 personnes déplacées. Beaucoup d’hôpitaux sont saturés. Dans certains cas, le droit humanitaire n’est malheureusement pas respecté car huit ambulances et une école ont été prises pour cible. Sur le plan purement

militaire, la ligne de front autour de Tripoli, qui court sur 150 kilomètres mais où les combats n’ont vraiment lieu que sur 40 kilomètres, n’a pas beaucoup évolué depuis une semaine. A deux ou trois exceptions près, les combats se déroulent dans des zones peu urbanisées. Mais notre grande crainte est qu’ils finissent par toucher des zones résidentielles et donc fassent plus de victimes. Cette offensive de M. Haftar fait voler en éclats le processus politique. Comment voyezvous sa reprise ? Le processus politique a reçu un très grand coup. Surtout que j’ai dû prendre la douloureuse décision de reporter la tenue de la conférence nationale qui devait avoir lieu du 14 au 16 avril à Ghadamès. Nous y travaillions depuis un an. Pour la première fois depuis 2011, une rencontre devait réunir tout le spectre politique libyen. Les invitations avaient été lancées, il n’y avait eu aucun refus. L’opinion publique percevait l’événement comme une lueur d’espoir.

« Les succès militaires ici ou là ne peuvent enlever l’énorme polarisation qui existe en Libye » D’autre part, ce qui se passe remet en cause notre travail en direction des milices de Tripoli. Un cessez-le-feu avait été conclu en septembre 2018 à l’issue de combats entre ces milices de Tripoli et un groupe armé du sud de la capitale [Tarhouna]. Nous nous employions à réduire l’influence de ces milices de la capitale. Or ce travail de six mois est aujourd’hui remis en cause par le fait que ces mêmes milices sont désormais sollicitées pour la défense de Tripoli. Les Nations unies avaient parrainé un accord le 28 février à Abou Dhabi entre M. Sarraj et M. Haftar. Cet accord n’est

pas entré en application. Que s’est-il passé ? Il y avait eu une entente à Abou Dhabi pour réunifier l’appareil exécutif de l’Etat, mais nous n’avons pas réussi à la formaliser. Les autorités de l’Est devaient être mieux représentées dans le conseil présidentiel. L’idée est que cette réunification des institutions commence par le gouvernement et percole ensuite en touchant la Banque centrale, la Cour des comptes, etc. Les deux parties ont accepté le principe d’un Etat civil. Le gouvernement réunifié devait organiser des élections législatives et présidentielles. Mais il y a eu ensuite des demandes d’amendements de part et d’autre. D’abord sur les noms de personnalités évoqués pour les instances exécutives à réunifier. Ensuite sur une structure nouvelle qui devait être créée, le Conseil de sécurité nationale. Il y a eu des retours en arrière de part et d’autre sur ces deux points qui n’étaient pas insolubles et qui auraient nécessité une nouvelle réunion entre les deux hommes.

Avez-vous été surpris par cette offensive ? M. Haftar avait déjà fait des déclarations en ce sens. Il l’avait dit en public et en privé. C’est une idée qu’il caressait depuis longtemps. Après son avancée dans le Sud en février, il y avait eu des signes avant-coureurs. Mais le moment qu’il a choisi est étonnant : la visite effectuée en Libye du 4 au 6 avril par Antonio Guterres [le secrétaire général de l’ONU], qui venait soutenir la conférence nationale et concrétiser l’arrangement d’Abou Dhabi. Comment jugez-vous l’attitude de la communauté internationale ? Les fissures apparues au Conseil de sécurité de l’ONU m’inquiètent tout autant que les combats euxmêmes. Il existe des tiraillements entre ceux qui expriment une certaine compréhension vis-à-vis d’Haftar, et d’autres qui ont moins de compréhension. Personne ne peut le nier. Ces tiraillements ne se sont pas exacerbés. Ils s’affichent plus ouvertement.

Comment voyez-vous la reprise du dialogue politique ? Le moment est difficile mais nous n’allons pas lâcher prise. Tous les conflits connaissent des cycles. Nous nous trouvons dans le cycle ascendant. Mais il va y avoir un moment où les discussions pourront reprendre. Nous allons continuer à rechercher une solution politique. Ma détermination n’est pas moindre que ma patience. La solution ne peut être que politique. Car les succès militaires ici ou là ne peuvent enlever l’énorme polarisation qui existe en Libye. Ceux qui défendent la solution militaire se rendront compte qu’on ne peut pas régler le problème de cette manière. Il faut une solution politique qui règle en profondeur différentes questions : le rapport entre pouvoirs locaux et pouvoir central, la redistribution de la manne pétrolière et l’infusion d’une culture du consensus aujourd’hui minoritaire dans le pays. p propos recueillis par frédéric bobin


international | 5

0123 MARDI 16 AVRIL 2019

L’Indonésie à l’heure des « fake news » électorales Le président Joko Widodo est favori du scrutin de mercredi en dépit de multiples fausses informations contre lui bandung (indonésie) envoyé spécial

L

e gouverneur de la province de Java ouest est inquiet. « L’importance d’Internet est désormais telle ici que la prolifération des fausses nouvelles peut jouer un rôle crucial », redoute Ridwan Kamil, qui soutient l’actuel président indonésien Joko Widodo, candidat à sa réélection aux élections présidentielle et législatives du 17 avril. Avec 48 millions d’habitants, cette province est la plus peuplée d’Indonésie et le choix de ses électeurs pèsera tout particulièrement. Le gouverneur a des raisons de se préoccuper des « fake news », même si les sondages disent que le chef de l’Etat a toutes les chances d’être réélu : selon de récentes statistiques, quelque 130 millions d’Indonésiens, soit presque la moitié de la population, passent environ trois heures par jour sur les réseaux sociaux – ce taux serait l’un des plus élevé au monde. Certains experts estiment qu’une grande partie de ce qui est colporté, non seulement sur le chef de l’Etat mais aussi sur les quelque 245 000 candidats à ces élections – qui sont aussi celles des députés, des sénateurs, des gouverneurs et des maires –, est faux. « Jokowi » – surnom du président – est un politicien réputé pour sa tolérance et son ouverture sur les questions religieuses et sociétales qui agitent la plus grande nation musulmane du monde. Il est un grand défenseur de l’har-

Une rumeur malveillante accuse le président d’avoir fait venir de Chine des conteneurs de bulletins de vote à son nom monie entre communautés à un moment d’essor de l’islam militant et de l’intolérance religieuse. Cette réalité inquiète entre autres l’importante minorité chrétienne – 10 % de la population, soit 26 millions de personnes. « Unité anti-hoax » « Jokowi » est ainsi la cible favorite des islamistes de toutes obédiences. Les plus radicaux sont assistés sur la Toile par une inquiétante organisation, la « Cyber-armée des musulmans » (MCA), dont les priorités sont d’attaquer le président et de répandre la parole intégriste. « Les rumeurs les plus invraisemblables se propagent sur M. Jokowi et peuvent influer sur la décision d’un certain nombre de gens peu éduqués, surtout ceux que j’appelle les électeurs émotionnels, très influençables », détaille le gouverneur, fringant quadragénaire en saharienne sombre et coiffé du peci, la toque traditionnelle de l’extrême orient musulman. Cet après-midi, Ridwal Kamil doit prendre le train pour Djakarta et n’a le temps d’accorder un en-

tretien que dans sa limousine qui fonce dans les rues de Bandung, la capitale provinciale. « J’ai créé ma propre unité anti-hoax [contre les canulars], explique-t-il avec un sourire en coin. Chaque lundi, mes équipes font le “top 5 fake news” de la semaine : 80 % portent sur la politique, 20 % sur l’économie. » Les dernières rumeurs malveillantes se déploient sur un large éventail : les unes avertissent les musulmans que, s’il est réélu, le président Widodo interdira l’appel à la prière. D’autres prédisent que « Jokowi » légalisera le mariage homosexuel, dans un archipel où la croissance de l’homophobie va de pair avec la montée en puissance de la bigoterie. Une dernière l’accuse d’avoir fait venir de Chine des conteneurs remplis de bulletins de vote imprimés à son nom pour bourrer les urnes. Dans un café art déco du centre de Bandung, deux Indonésiennes expliquent être, elles aussi, à la manœuvre pour contrer les manipulations des thuriféraires de

l’« islam radikal », comme on dit en indonésien : Esti, 52 ans, et Naluri, 39 ans, sont membres d’un collectif pro- « Jokowi ». Inquiètes de la poussée islamo-conservatrice, ces deux musulmanes comptent sur l’actuel chef de l’Etat pour y faire pièce et conspuent son adversaire aux élections, Prabowo Subianto : elles craignent que cet ancien officier des forces spéciales, notamment soutenu par les franges les plus conservatrices de la société, contribue à un renforcement de l’influence des religieux. « Lui-même n’est pas fondamentaliste, admet Esti, mais s’il gagne, il pourrait bien être tenté de récompenser les islamistes pour leur soutien durant la campagne. » Les deux militantes ont mis sur pied leur propre organisation anti-hoax en diffusant sur Internet des argumentaires à opposer aux bobards de leurs adversaires idéologiques. Esti, architecte, était dans les manifestations étudiantes de 1998, quand un mouvement

populaire força l’ancien dictateur Suharto, à la tête du pays depuis 1967, à la démission. Naluri est artiste et s’alarme d’un possible retour de la censure : « Il est toujours dangereux d’instrumentaliser la religion à des fins politiques. » Un challenger lui aussi ciblé En tout cas, il n’est pas rare ces temps-ci d’entendre des adversaires du président dire que celui-ci est « anti-islam ». Cette réputation ne repose sur rien : le chef de l’Etat est un musulman pieux. Il a choisi, pour des raisons politiques, un ouléma conservateur comme candidat à la vice-présidence. Et quand son ami Basuki Tjahaja Purnama, alias « Ahok », l’ancien gouverneur de Djakarta, fut condamné en 2017 à deux ans de prison pour « blasphème », le chef de l’Etat ne défendit pas ce chrétien d’origine chinoise victime de la vindicte des fondamentalistes. Prabowo, le challenger, a luimême été la cible de commentaires désobligeants dans le rayon

des « fake news » : il se colporte en effet que l’ancien officier aux poses martiales aurait été émasculé durant une opération militaire. Il a préféré y répondre directement en publiant un communiqué qui pourrait se traduire ainsi : « Si je n’en avais pas, comment pourrais-je avoir un fils ? » Quatre-vingts personnes s’occupent désormais au niveau national de débusquer les fausses informations, dont elles font le compte rendu régulier lors de conférences de presse. Au niveau de la société civile, une sorte de coalition de la « vérification numérique », nommée CekFakta, se charge de mettre en garde les principaux médias contre les fausses rumeurs. « J’ai fait faire un sondage », conclut le gouverneur de Java-ouest avant de grimper dans l’express pour Djakarta : « Il démontre qu’une moitié d’électeurs fait partie de la catégorie émotionnellenon rationnelle. » Il y aurait effectivement de quoi s’alarmer. p bruno philip

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MONSIEUR LE PRÉSIDENT,

Remous en Inde après le « cadeau » fiscal de Paris L’opposition s’est saisie des informations du « Monde » concernant un proche de Modi new delhi - correspondance

L

e Parti du Congrès n’a pas perdu de temps. Trois heures à peine après la publication des révélations du Monde sur l’effacement, par la France, de 143,7 millions d’euros de dettes fiscales à un industriel indien associé à Dassault, alors que se négociait la vente des 36 Rafale en 2015, le parti d’opposition a organisé une conférence de presse, samedi 13 avril à la mi-journée. Au troisième jour d’une période électorale qui doit durer jusqu’au 19 mai, le porte-parole du Parti du Congrès, Randeep Singh Surjewala, a brandi une photocopie devant les caméras : « Tous ceux qui ont la bénédiction de Narendra Modi [le premier ministre] peuvent obtenir ce qu’ils veulent. » Le Parti du Congrès accuse depuis des mois M. Modi d’avoir favorisé Anil Ambani, partenaire en Inde de l’avionneur français Dassault, dans le contrat conclu en septembre 2016 pour 7,9 milliards d’euros. Samedi, Rahul Gandhi, le président du parti, a répété lors d’un meeting électoral que le dirigeant indien avait « volé 300 milliards de roupies [3,8 milliards d’euros] pour le donner à son ami voleur ». Narendra Modi est accusé depuis des mois par l’opposition de n’être qu’un « intermédiaire » d’Anil Ambani. Puis le Parti communiste est entré à son tour dans la polémique. « Alors que ce gouvernement refuse d’effacer les dettes des paysans et des étudiants qui sont dans une condition déplorable et se suicident, il facilite l’effacement des dettes pour les grandes entreprises », a réagi D. Raja, l’un de ses dirigeants. Les partisans de M. Modi, pourtant si prompts à réagir, étaient

dans l’embarras. Fallait-il attaquer ? Cela aurait été reconnaître l’implication de M. Modi dans une affaire qui ne concerne directement que l’Etat français, Dassault et Anil Ambani. Des utilisateurs de médias sociaux ont cependant accusé Le Monde d’avoir été « acheté » par le Parti du Congrès. Plus surprenante fut la réaction du ministère indien de la défense, qui a publié un communiqué où il explique que « tout lien établi entre un problème fiscal et le sujet des Rafale est une tentative de désinformation entièrement, tendancieuse, malveillante et inexacte ». Ce qui a conduit le quotidien The Telegraph à s’étonner de ce « curieux communiqué », dans la mesure où « personne n’a accusé le ministère de la défense de quoi que ce soit ». Impôts « insoutenables » L’ambassade de France en Inde a publié un communiqué un peu plus tard dans lequel elle explique que l’accord fiscal entre Reliance Flag Atlantic France et l’administration française avait été signé « dans le strict respect du cadre législatif et réglementaire », affirmant qu’il n’y avait eu « aucune interférence politique ». De son côté, le groupe Reliance Communications a expliqué que les impôts réclamés par l’administration française étaient « insoutenables et illégaux » et a contesté tout favoritisme dans l’accord fiscal agréé. M. Modi n’a pas réagi aux révélations du Monde. Lors d’un déplacement samedi dans le Karnataka, il a qualifié le gouvernement de cet Etat du sud de l’Inde dont le Congrès fait partie de « gouvernement de la commission 20 % à 30 % », en faisant référence à la pratique des pots-de-vin. p julien bouissou

Chaque année, plus de deux millions de Français personnes atteintes de maladies chroniques ou aiguës, ou en situation de perte d’autonomie en raison de leur âge ou d’un handicap - bénéficient d’une continuité de soins à leur domicile grâce à l’accompagnement des prestataires de santé.

Une telle mesure va à l’encontre des ambitions portées par votre gouvernement en matière de maintien à domicile et d’accélération du virage ambulatoire, mais surtout de l’intérêt des 2 millions de patients aujourd’hui pris en charge, et de tous ceux qui pourront l’être dans le futur.

Cette prise en charge repose sur les 25 000 salariés de plus de 2000 entreprises et associations. Elle se déploie au plus près des territoires et est indispensable aux patients pour lesquels l’univers hospitalier ne représente pas une solution de soins adaptée et pérenne.

À défaut de révision des objectifs de baisses tarifaires et des outils de régulation, les prestataires de santé à domicile ne seront bientôt plus en capacité de réaliser leurs missions selon des standards qualitatifs suffisants.

La santé à domicile répond à l’aspiration toujours plus forte de nos concitoyens à être soignés chez eux, ainsi qu’aux enjeux de transformation de notre système de santé. Pourtant, ce maillon essentiel de la chaîne de soins est aujourd’hui gravement menacé par la volonté du Comité Économique des Produits de Santé (CEPS) d’imposer des baisses tarifaires insoutenables, dans une logique purement comptable et court-termiste. Monsieur le Président, vous ne pouvez accepter cette diminution drastique des moyens dédiés au domicile.

Depuis des années, notre secteur n’a eu de cesse de demander un travail concerté afin de mettre en œuvre des mécanismes de régulation garantissant à la fois la qualité des prises en charge et une maîtrise raisonnée des dépenses. Demandes restées sans suite. Monsieur le Président, face au silence du CEPS et du Ministère de la santé, nous n’avons d’autre choix que d’appeler les patients et la profession à se mobiliser le mardi 16 avril et de solliciter votre intervention afin de permettre la réouverture d’un dialogue constructif visant à résoudre les différends tant sur les objectifs que sur la méthode.

81%

2M

2000

des Français souhaitent pouvoir suivre leur traitement chez eux

de patients bénéficient de prestations de santé à domicile

structures privées ou associatives dans toute la France

Viavoice – novembre 2017


6 | planète

En Castille, une « ruée vers le porc » contestée Les habitants et les écologistes redoutent l’implantation d’un réseau d’élevages disproportionnés REPORTAGE almendros (espagne) -

C’

envoyée spéciale

est là », dit Antonio Heras en montrant un terrain parsemé d’amandiers sur les hauteurs d’Almendros, un minuscule village de la région de Castille-la Manche. « C’est là, répètet-il, indigné, qu’ils ont prévu d’installer un élevage industriel de 2 685 truies reproductrices. Imaginez 16 000 m2 de ferme, avec ce que ça implique comme consommation d’eau, alors que les agriculteurs ont déjà du mal à irriguer leurs terres. Pour nous, ça serait un drame. » M. Heras parle des « 51 tonnes de nitrates par an » que produirait le lisier de l’exploitation « tout près d’un espace protégé pour les oiseaux migrateurs ». Il accuse le maire d’avoir « caché ce projet » présenté en décembre 2016, « dont nous n’avons pris connaissance qu’en janvier 2018 », et d’avoir « cédé à la cupidité » en « apportant ses propres terrains » pour permettre l’épandage du purin.

Pour les 275 habitants d’Almendros, c’en était trop. Il y a un an, ils ont créé une association qui a réussi à stopper la ferme en dénonçant des erreurs lors de la concession des permis environnementaux. « Nous sommes devenus le fer de lance du combat contre le porc industriel », revendique M. Heras. L’histoire d’Almendros se répète un peu partout dans les villages de Castille-la Manche, où la colère gronde. Depuis quelques années, la région, l’une des plus rurales d’Espagne et l’une des moins peuplées (26 habitants par km2), vit une véritable ruée vers le cochon. Les organisations écologistes dénoncent une « invasion ». « La production se déplace vers la Castille-la Manche car les autres régions, notamment la Catalogne et l’Aragon, sont saturées, explique Daniel Gonzalez, le fondateur de Pueblos vivos (« Villages vivants ») de la province de Cuenca, une organisation qui lutte contre les fermes industrielles. Les grandes entreprises de viande pensent qu’en s’instal-

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lant dans des petits villages, ils pourront agir impunément. » A la veille des élections municipales du 26 mai, la tension est montée d’un cran. Les associations écologistes ont manifesté le 10 mars, à Tolède, pour demander au Parlement régional un moratoire sur l’élevage intensif, en vain. Depuis quelques années, le secteur du porc se porte particulièrement bien en Espagne, qui possède le plus grand cheptel porcin d’Europe, un peu plus de 30 millions d’animaux. Elle est le quatrième producteur mondial, derrière la Chine, les EtatsUnis et l’Allemagne. La performance du secteur est le fruit d’une réorganisation en profondeur. Depuis le milieu des années 1990, les exploitants ont opté pour le modèle américain intégré (l’éleveur apporte l’infrastructure, les entreprises fournissent les animaux et la nourriture) et non celui européen, qui privilégie les coopératives. Alimenter le marché asiatique L’Espagne exporte 55 % de sa production, rapportant un peu plus de 4,5 milliards d’euros en 2018 (+ 7,5 % par rapport à 2017). La France est la première destination du porc espagnol, mais le marché asiatique est de plus en plus demandeur, notamment le Japon, et surtout la Chine. En visite officielle à Madrid en novembre 2018, le président chinois Xi Jinping a signé un nouvel accord « qui permettra de vendre une plus grande variété de produits », explique Daniel de Miguel, chargé des exportations d’Interporc, l’association interprofessionnelle qui, depuis 2008, regroupe tous les acteurs de la filière porcine autour d’une politique de conquête de nouveaux marchés à l’international.

tion, dénonce Daniel Gonzalez. Ils parlent d’emplois dans une région Golfe où le dépeuplement est un vrai proFRANCE de Gascogne blème, mais ce genre d’exploitation nécessite très peu de personnel. » La gestion du purin est particuESPAGNE lièrement problématique. En attendant d’être utilisés, le lisier et le Madrid fumier sont stockés dans des fosAlmendros PORTUGAL ses étanches. L’épandage doit en principe suivre des règles très précises : pas plus de 210 kg de nitraCastille-la Manche tes par hectare et par an, 170 kg dans les zones considérées vulnérables, comme Almendros. « Au200 km delà de ces quantités, le sol ne peut plus absorber les nitrates et ils s’infiltrent dans les nappes phréatiAvec de si belles perspectives, ques », explique M. Gonzalez. les entreprises du secteur voient grand. Incarlopsa, principal four- « L’odeur est insupportable » nisseur de Mercadona, la plus Les entreprises de la viande « bénégrande chaîne espagnole de su- ficient du soutien du gouvernement permarchés, a annoncé qu’il vou- de la région, or les responsables rélait disposer d’un cheptel « de gionaux nous ont souvent avoué 1 million, voire 1,5 million de qu’ils ne peuvent pas tout contrôler, porcs » en Castille-la Manche, car ils n’ont pas assez de moyens, autour de son abattoir de Taran- ajoute le militant écologiste. Les con, tout près d’Almendros. « Pour abus passent souvent inaperçus ». cela, il nous faudra beaucoup de Le gouvernement de Castille-la fermes », a déclaré à la radio locale Manche se défend. « Nous évason PDG, Clemente Loriente. luons de manière très stricte l’imIcpor, une entreprise qui gère pact environnemental de toutes les les élevages « intégrés », et dont demandes d’exploitation, les éleIncarlopsa est en partie proprié- veurs le savent bien », assure Cristaire, a récemment annoncé un tina Fernandez Garcia-Viso, l’une investissement de 150 millions de ses porte-parole. d’euros en Castille-la Manche Cela n’a pas toujours été le cas. A d’ici à 2023, afin de développer Balsa de Ves, « ils ont commencé des fermes industrielles, dont par une ferme de truies, puis ils ont celle d’Almendros, et d’édifier, à ajouté un incinérateur, explique quelques kilomètres, une usine Natividad Perez, la maire de ce pede fabrication d’alimentation tit village de la province d’Albaanimale. « Nous voulons cons- cete. Maintenant ils brûlent truire un modèle de développe- 100 tonnes de déchets par jour, ment durable en créant des em- l’odeur est insupportable. Et puis il plois en milieu rural », assure un y a le va-et-vient des camions ». porte-parole d’Icpor. « Ces projets ont empoisonné la Pour les écologistes, il s’agit vie des villages, explique Antonio d’un piège. « Ils veulent tisser un Heras. A Almendros, le maire a réseau dans lequel les villages ne même essayé de supprimer des lisseraient que des unités de produc- tes électorales une dizaine de per-

LES CHIFFRES 30,8 MILLIONS L’Espagne possède le plus grand cheptel porcin d’Europe, devant l’Allemagne (26,4 millions), la France (13,7 millions), et le Danemark (12,6 millions).

123 % Les exportations espagnoles de viande de porc à destination de pays extérieurs à l’Union européenne ont augmenté de 123 % entre 2014 et 2018. Elles ont atteint 675 531 tonnes en 2018. Parmi les principaux destinataires, le Japon (+ 7,5 %) et la Chine (+ 4,2 %).

104 819 En 2016, la région de CastilleLa Manche a passé la barre symbolique des 100 000 tonnes exportées, soit environ un tiers de sa production. En trois ans, la région a doublé ses exportations.

sonnes qui s’opposent au projet. » Sollicité, le maire d’Almendros, Acisclo Jimenez (Parti populaire), n’a pas souhaité s’exprimer. A Balsa de Ves, « nous avons perdu presque la moitié de nos habitants. Il y a dix ans, nous étions 222, nous ne sommes plus que 136 », ajoute Mme Perez. « Au début, c’était dur, on se sentait démunis, raconte la maire. Depuis on s’est organisés, et on a réussi à stopper plusieurs projets, mais pour mon village, c’est trop tard. » p isabelle piquer

La deuxième vie inattendue des Autolib’ dans le Loir-et-Cher A Romorantin, un garagiste reconditionne et revend les Bluecar. Des familles modestes les adoptent, sans renoncer à l’essence romorantin (loir-et-cher) envoyé spécial

D

isparues des rues de Paris depuis juillet 2018, les Autolib’ s’offrent une renaissance en Loir-et-Cher. « L’autre jour, j’ai croisé une de nos Autolib’ repeinte à la bombe, raconte David Cavarec, gérant d’un garage à Romorantin. Comme la carrosserie est en alu, le résultat était vraiment sale, ça débordait de partout. Mais le gars s’en fout, il est content parce qu’il ne s’arrête plus à la pompe. » Depuis la résiliation du contrat entre la Mairie de Paris et le constructeur Bolloré, une flotte de 3 500 véhicules a rejoint à l’automne un ancien parking de l’usine Matra – fermée en 2003 – dans la capitale solognote. Le garage Cavarec a été le premier à les reconditionner et à les revendre à l’unité. Les 250 premières Autolib’ d’occasion ont été « bradées » à 3 700 euros pièce, batterie incluse. Certains clients ont profité d’une prime à la conversion de 2 000 euros. Le garage Cavarec vend désormais son Autolib’, de type Bluecar, à 4 500 euros. « Nous avons des voitures de 2011 avec 11 000 km et des sièges lacérés, d’autres de 2015 avec 40 000 km au compteur. Les batteries sont censées tenir 400 000 km, donc c’est le prix juste », affirme David Cavarec. Les nouveaux usagers de l’Autolib’ n’ont cependant pas renoncé à l’essence. « Nos clients sont d’abord des travailleurs. Les retraités et étudiants sont moins nombreux. Ils prennent la Bluecar pour se rendre au boulot et gardent la voiture à essence pour le week-end et les vacances. » C’est le cas d’Elisabeth, déjà propriétaire d’une Laguna diesel,

« On a pas mal de pépins techniques. Mais, pour moins de 4 000 euros, difficile de se plaindre » LIONEL

acquéreur d’une Bluecar

dont le lieu de travail est à plus de 70 km de son domicile. « On vit à la campagne, à l’extérieur d’Orléans. Mon mari me dépose au bureau avec l’Autolib’, puis rejoint le sien. En comptant le retour, on fait 150 km par jour, soit presque une charge complète ou 3 euros d’électricité. C’est une grosse économie. » Lionel, son mari, est moins convaincu. « Je dirais qu’on n’a pas assez de recul et pas mal de pépins techniques. Mais pour moins de 4 000 euros, c’est difficile de se plaindre. » Josette Musiat vit à Champignyen-Beauce. Elle est aide-soignante à l’hôpital de Blois, 20 km plus au sud. Son mari travaille de nuit, au centre de tri postal de Mer. Leur voiture électrique se distingue par un habillage jaune citron. « Je m’en sers la première, durant la journée. Puis c’est son tour. » Leur démarche est surtout écologique. « A la maison, on mange bio et on limite nos déchets au maximum. On voulait aller plus loin en roulant électrique au quotidien, mais une Zoé, c’est autour de 25 000 euros, sans compter la location de la batterie. Là, on en a eu pour 2 700 euros grâce la reprise d’une ancienne Renault. » Josette et son mari conservent une Citröen C4 diesel. « Elle a 10 ans. A

l’époque, on ne savait pas que le gazole était mauvais. » Maxime Minerbe, magicien-illusionniste installé à Blois, prête une attention particulière à ses costumes et ses accessoires de scène. Alors pas question de rejoindre une salle de spectacle au volant de sa voiture gris alu, aux sièges en similicuir : « Elle est peu confortable, avec un look affreux qui ne respire pas la réussite sociale mais plutôt le côté économe. On l’appelle la canette, parce qu’elle est en aluminium et froissée par endroits. On ne s’en sert que pour les courses et les petits déplacements courants. » Un autoradio à la place de l’écran Une petite communauté de propriétaires d’Autolib’ romorantinais s’est créée sur Facebook. On y apprend à remplacer l’écran d’accueil par un autoradio, installer un radar de recul ou se débarrasser de cette étrange boîte noire, dotée d’une carte SIM et dissimulée derrière la boîte à gants. L’un des membres, boulanger de campagne aux tournées quotidiennes de 80 km, y dévoile son dernier exploit : la transformation de son engin en utilitaire, assez grand pour 70 baguettes et 45 pains. Une partie de la flotte de Bluecar a quitté le Loir-et-Cher pour rejoindre le Morbihan. Le garage Autopuzz de Lorient a acheté 1 000 modèles, et en a déjà écoulé 600. « Chaque jour, un camion part de Romorantin et nous ramène dix Autolib’. Après travaux, elles se revendent comme des petits pains. Nos derniers clients sont deux petits maraîchers bio », se réjouit Julien Raymond, commercial au garage Autopuzz de Lorient. p jordan pouille


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FRANCE Un grand débat aux petits airs de campagne 0123

MARDI 16 AVRIL 2019

Après trois mois et demi à tenter de reconquérir les Français, Macron devait dévoiler ses annonces lundi soir

C

RÉCIT

eci n’est pas une campagne présidentielle. Emmanuel Macron se tient au milieu de la salle, micro à la main, et répond au feu roulant des questions. Fiscalité, écologie, démocratie, immigration… Du 15 janvier au 4 avril, de Bourgtheroulde (Eure) à Cozzano (Corse-du-Sud), la scène s’est rejouée à l’identique à l’occasion des onze déplacements en province que le président de la République a menés dans le cadre du grand débat national. Celle-ci n’est pas sans rappeler les meetings de l’ancien ministre de François Hollande, à l’automne 2016. Emmanuel Macron n’était pas encore candidat mais occupait déjà la scène, seul, entouré de rangées de chaises, comme immergé au milieu des Français. Il restituait alors les résultats de la « grande marche », l’opération de porte-à-porte organisée par En marche ! pour recueillir – déjà – les doléances des concitoyens. Cette similitude ne doit rien au hasard : le responsable du pôle image et événements de l’Elysée, Arnaud Jolens, a repris le dispositif qu’il avait lui-même conçu à l’époque. Seule différence, la scène a été enlevée pour qu’Emmanuel Macron se trouve au même niveau que les Français venus débattre avec lui, et non plus en surplomb. Après trois mois passés comme en suspension, le quinquennat du plus jeune président de l’histoire de la Ve République va pouvoir se poursuivre. « Lundi 15 avril, à 20 heures, je vous réponds », a promis Emmanuel Macron dans une courte vidéo mise en ligne, dimanche soir, sur les réseaux sociaux. Le grand débat national, ouvert en réponse à la crise des « gilets jaunes », se termine avec une allocution télévisée du chef de l’Etat pour dévoiler « les chantiers d’action prioritaires » et « les premières mesures concrètes », a annoncé son entourage.

Séance de rattrapage Un plan d’action que M. Macron doit préciser lors d’une conférence de presse, mercredi, à l’Elysée. La première depuis son élection. Le moment, très centré autour du chef de l’Etat, se veut à la hauteur des attentes suscitées. Dimanche soir, M. Macron recevait la plus grande partie de ses ministres à l’Elysée pour « mobiliser » le gouvernement et « enclencher une nouvelle dynamique », rapporte-t-on à la présidence. En décembre 2018, Emmanuel Macron a semblé saisir l’ardoise magique que lui tendaient les « gilets jaunes ». Une forme de séance

Emmanuel Macron, à Etang-surArroux, en Saôneet- Loire, le 7 février. LAURENCE GEAI POUR « LE MONDE »

de rattrapage de l’élection présidentielle de 2017 s’est jouée avec le grand débat national. Faut-il baisser ou non les impôts ? Augmenter ou pas l’âge de départ à la retraite ? Maintenir une fiscalité écologique qui touche les ménages ? Rogner sur la dépense publique ? Ouvrir le champ du référendum ? Revoir la politique d’immigration ? Comme lors d’une campagne, la plupart des grands choix économiques ou sociétaux ont été remis sur le plan de travail lors des trois derniers mois. Qu’ont retenu les électeurs de la campagne de 2017, si ce n’est l’aspiration au renouveau et les harangues – « rends l’argent ! » – lancées contre François Fillon, empêtré dans les affaires ? « Nous avons eu une présidentielle tellement bizarre que certains sujets qui préoccupent normalement les Français sont passés au second plan », reconnaît la députée La République en marche (LRM) des Yvelines Aurore Bergé. Reprenons depuis le début, donc. Dans un entretien au Monde, le 18 mars, François Bayrou a reconnu que le grand débat marquait l’opportunité d’« un nouveau

départ ». « D’habitude, c’est l’élection présidentielle qui offre une telle occasion, note le président du MoDem. Cette fois, nous allons pouvoir trouver cette chance en dehors de la pression, des passions et des illusions propres aux séquences électorales. » En privé, un proche d’Emmanuel Macron estime que « la Ve République est fatiguée, les cycles se sont rétrécis comme peau de chagrin ». L’amour dure trois ans, écrit le romancier. Combien de temps les Français s’attachentils à un président ? Quoi qu’il en soit, le chef de l’Etat a cherché à les séduire de nouveau, se déplaçant de région en région. Les chaînes d’information ont suivi, une partie des Français aussi. Sous les sarcasmes des oppositions. « Emmanuel Macron a épuisé son temps de parole médiatique jusqu’à la présidentielle de 2027 », se moque le bras droit de Jean-Luc Mélenchon, Manuel Bompard. « Emmanuel adore ça. Il se régale ! », observe un proche du président. Une campagne présidentielle, ce grand débat national ? Si oui, d’un genre inédit. « Le président contre

le reste du monde », résume un ami du premier ministre, Edouard Philippe. Ici, pas d’adversaire ou de contre-projet. Certains partis d’opposition ont bien tenté d’apporter leur écot au grand débat mais ils ont souvent semblé prêcher dans le désert. Tout au long de ces trois mois, seul un homme a émergé, tendu vers deux objectifs : tenter de renouer le fil avec « son » peuple, comme lui-même le dirait, et sauver son quinquennat.

« Il y a un rejet du président de la République et, en même temps, il n’y a que sa parole qui compte », note un ministre

« Vertu cathartique » « Il y a un rejet du président de la République et en même temps il n’y a que sa parole qui compte », note un ministre. « Si le président a décidé de participer au grand débat, c’est parce que les Français voulaient poser des questions à l’Etat. Il y a une vertu cathartique à toucher le pouvoir », dit-on à l’Elysée. Au fil des semaines, une forme d’optimisme a fini par renaître par petites touches, au sommet de l’Etat. « J’étais sceptique, je pensais que les gens verraient que c’était pour occuper le temps, raconte un allié d’Emmanuel Macron. Mais finalement, ce grand débat l’a réta-

bli dans sa crédibilité, sa combativité. » « Après quatorze one-manshow, souligne un membre éminent du gouvernement, le président, ce colosse avec un pied d’argile, s’est redressé. » Certes, l’éruption s’est progressivement calmée et la lave a séché sur le flanc du volcan. Mais celui-ci ne dort que d’un sommeil léger. Seulement 28 % des Français disent avoir confiance en M. Macron, selon le baromètre Elabe, publié le 4 avril. Il y a deux ans, ils étaient 45 %. De même, si la liste de la majorité continue de faire la course en tête dans les intentions de vote pour les élections

européennes, le scrutin du 26 mai s’annonce incertain : 44 % des Français disent vouloir exprimer à cette occasion leur insatisfaction à l’égard du président, plutôt que de se déterminer sur les enjeux européens, relève une enquête publiée par Harris interactive le 14 avril. Comment sortir du grand débat, entendaient de manière rituelle, ces dernières semaines, ministres, parlementaires et conseillers du pouvoir ? « Pas les pieds devant, j’espère », plaisantait, il y a peu, un proche du chef de l’Etat, qui reconnaît sans peine : « Avec le grand débat, on a fait tapis, comme au poker. » Reste à avoir la meilleure main. « C’est un moment important pour savoir si on bascule ou non dans le discrédit définitif de la démocratie représentative », reconnaît un proche d’Edouard Philippe. Le couperet va tomber, comme on fixe son écran de télévision le soir du second tour de la présidentielle pour voir se dessiner le visage du vainqueur. Cinq, quatre, trois, deux, un… p olivier faye et cédric pietralunga

La gouvernance du futur système de retraites se dessine Le haut-commissaire à la réforme, Jean-Paul Delevoye, a imaginé une « structure de tête » pour surplomber les 42 régimes de retraite

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est un sujet aussi technique que politique et qui donne des sueurs froides aux partenaires sociaux. Jean-Paul Delevoye, le haut-commissaire à la réforme des retraites, réexamine cette semaine la gouvernance du futur système universel que veut mettre en place le gouvernement. Dans un document de travail remis aux syndicats et au patronat, l’équipe de M. Delevoye souhaite créer une « structure de tête » du nouveau système qui viendrait surplomber les 42 régimes de retraite existant et prendrait la forme d’un établissement public. Si la réforme ne s’appliquera qu’à partir de 2025, cette structure commencerait à

être mise en place dès le vote de la loi, soit en 2020 selon le texte. La gouvernance serait organisée autour d’un conseil d’administration, « par exemple quinze représentants des employeurs et quinze représentants des salariés », et d’une assemblée générale qui aurait vocation à représenter la diversité des autres assurés et employeurs (professions libérales, activités artistiques, pilotes…). Reste le plus délicat : définir « le partage de compétences » pour savoir qui décide de quoi entre l’Etat et le conseil d’administration. Autrement dit, qui détient le pouvoir. Pour le régime du privé géré par la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV), ce sont actuelle-

ment les pouvoirs publics qui déterminent les paramètres de la retraite de base dans le cadre de la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS). A l’Agirc-Arrco, le régime complémentaire des salariés, ce sont les partenaires sociaux qui tiennent les manettes, avec un contrôle limité de l’Etat. Or selon le document, le premier schéma (type CNAV) « paraît inadapté » quand le second (type Agirc-Arrco) « pose des questions en termes de responsabilité des pouvoirs publics, d’articulation avec les LFSS, de maîtrise de la dépense publique et des prélèvements obligatoires ». Une façon de tenter de rassurer syndicats et patronat dont beau-

coup redoutent que l’Etat fasse main basse sur les retraites. Lors de la dernière séance sur le sujet en mars, le Medef était sorti fort mécontent et avait crié à l’« étatisation » du système. Pour tenter d’apaiser les craintes, le haut-commissariat propose un schéma qui se veut « équilibré » et laisse ouverte la discussion sur la répartition des compétences (qui décide du taux de cotisation, des valeurs des points…) entre le conseil d’administration et l’Etat. Ce dernier garderait toutefois certaines prérogatives : le calendrier décisionnel s’insérerait dans la programmation annuelle et pluriannuelle des finances publiques, et le choix d’une réforme des retrai-

tes resterait de son ressort. Dans ce cas, le conseil d’administration serait obligatoirement consulté. « Captation » des réserves Pour Eric Chevée (CPME), « c’est évident, c’est une étatisation, même s’ils prennent la précaution de mettre un conseil d’administration paritaire avec des règles de représentativité ad hoc ». Serge Lavagna (CFE-CGC) craint « une gestion politique » des retraites. « Quand l’Etat aura la main dessus – on parle de 320 milliards d’euros – il les utilisera comme une variable d’ajustement » dans le cadre du budget général, juge-t-il. « C’est la fin du paritarisme », s’alarme aussi Philippe Pihet (FO). Même si le sujet n’est

pas abordé dans le document, ce dernier craint également « une captation » des réserves financières accumulées par les régimes de retraite qui seraient mises dans un pot commun. A commencer par celles de l’Agirc-Arrco qui représentent 65 milliards d’euros. Frédéric Sève (CFDT) est un des rares qui ne s’affolent pas. « Personne ne fait confiance à personne pour piloter tout ça, résume-t-il. Il faut donc trouver un deal entre un système qui soit assez indépendant [du pouvoir politique] pour rassurer tout le monde – il peut y avoir une majorité délirante – mais qui soit aussi pilotable pour préserver l’équilibre financier. » p raphaëlle besse desmoulières


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La méthode Loiseau à l’épreuve du feu La tête de liste de la majorité pour les européennes ne parvient pas, à ce stade, à creuser l’écart avec le RN REPORTAGE roubaix, valenciennes (nord)-

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envoyé spécial

ais elle a un défaut alors ? », ironise une femme. Nathalie Loiseau, cigarette à la bouche, sourit de la remarque. Et complète, en riant, aux côtés du ministre de l’action et des comptes publics, Gérald Darmanin : « J’en ai plein ! Je pique les cigarettes des autres ! » La tête de liste La République en marche (LRM) aux élections européennes s’offre une pause, à Roubaix, après avoir visité une association accompagnant des jeunes dans des projets de formation en Europe. La première étape d’un déplacement marathon dans le Nord, vendredi 12 avril. L’occasion de présenter les mesures phares de son programme. Comme le projet d’instaurer un smic européen, lors d’une déambulation chez un équipementier automobile, à Valenciennes. Ou encore le besoin de faire de l’Europe un continent à la pointe du numérique, dans un centre spécialisé dans la création de jeux vidéo. L’occasion, aussi, de tenter de casser l’image de « techno » qui lui colle à la peau depuis le début de la campagne. Une « caricature » dans laquelle l’ex-ministre des affaires européennes, qui revendique son goût du « terrain », ne se reconnaît pas. A chaque étape, celle qui mène sa première campagne électorale s’est ainsi efforcée de se montrer abordable et à l’écoute de ses interlocuteurs. Comme lorsqu’elle a prolongé la discussion avec des jeunes à Roubaix, avec un plaisir non dissimulé. « Marge de progression » Peu connue du grand public, cette diplomate de 54 ans n’avait pourtant pas forcément vocation à conduire la liste de la majorité pour le scrutin du 26 mai. Après avoir passé vingt-six ans au Quai d’Orsay, celle qui a dirigé l’ENA de 2012 à 2017 a été plus habituée durant sa carrière à traiter des dossiers sensibles en coulisses qu’à se retrouver sur une estrade,

« Je ne veux pas ressembler à ce que les Français rejettent : le spectacle de la politique » NATHALIE LOISEAU

tête de liste LRM aux élections européennes

en pleine lumière, à haranguer la foule. Une réalité qu’elle ne renie pas. « Je ne suis pas une grande oratrice. Ma passion, c’est d’écrire, confie-t-elle au Monde. Je ne suis pas une bête de foire et ne fais pas tourner un ballon sur mon nez ! » Nathalie Loiseau assume de mener une campagne à son image : sérieuse, mais sans flamboyance, comme l’a illustré son discours lors d’une réunion militante à Valenciennes, qui ressemblait à un exposé pédagogique sur l’importance de l’Europe. Une présentation de haut vol, sur un ton monocorde. Sans effet de scène ni grandes envolées. « Je ne veux pas inventer ce que je ne suis pas. Et ne veux pas ressembler à ce que les Français rejettent : le spectacle de la politique », affirme celle qui se décrit comme « une bosseuse », prête à se plonger sur un sujet complexe pour le maîtriser sur le bout des doigts. Comme lorsque Emmanuel Macron lui a confié les affaires européennes, en juin 2017. « C’est dingue qu’on dise de moi : “Merde, elle bosse !” », s’agace au passage cette ex-première de la classe, qui a su lire à l’âge de 4 ans et a sauté deux classes, avant d’obtenir son bac avec mention très bien. Sa désignation en tant que tête de liste n’a pourtant pas permis d’insuffler une réelle dynamique à la campagne macroniste. Depuis, LRM stagne dans les intentions de vote. Certes, la majorité reste légèrement en tête, mais sans être encore parvenue à creuser l’écart de manière significative avec le Rassemblement national. Mme Loiseau reconnaît un début de campagne légèrement poussif entre sa déclaration de

Nathalie Loiseau à Valenciennes (Nord), le 12 avril. DAVID PAUWELS POUR « LE MONDE »

candidature ratée le 14 mars, lors d’un débat face à Marine Le Pen sur France 2, et des prestations peu convaincantes lors des débats médiatiques. « Il faut toujours avoir une marge de progression », se rassure celle qui juge ne pas avoir la tâche facile, en tant que représentante du chef de l’Etat. « Lors des débats, on m’a toujours coupé la parole car les autres candidats n’ont qu’une envie : critiquer Macron et le gouvernement, et refaire le match de 2017. » Sa mission, selon les stratèges de LRM ? Mobiliser au maximum parmi les quelque 8,5 millions d’électeurs du candidat d’En marche ! au premier tour de la présidentielle. « Elle doit avant tout jouer la sécurité, en faisant en sorte que notre socle ne s’érode pas », résume un dirigeant du

parti. A six semaines du vote, Mme Loiseau s’y emploie en ciblant principalement les électeurs de centre gauche et de centre droite. Pour les séduire, l’exjuppéiste, qui était rocardienne dans sa jeunesse, se présente comme un pur produit du « en même temps » macroniste. « Bateleurs d’estrade » « J’ai des convictions sociétales de gauche mais je suis aussi de droite modérée », précise-t-elle, en se disant aussi bien compatible avec l’aile droite de la majorité, incarnée par Edouard Philippe, qu’avec celle de gauche, représentée par le député Aurélien Taché. Soucieuse de tenir cette ligne centrale, elle plaide pour une « Europe sociale » ou érige la transition écologique comme le thème prioritaire de sa campa-

gne. Quitte à prendre ses distances avec certaines positions du gouvernement, notamment quand le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, a accusé les ONG venant en aide aux migrants d’être « complice des passeurs » en Méditerranée. Avant les annonces d’Emmanuel Macron à l’issue du grand débat, Nathalie Loiseau assure ne pas craindre que cette consultation nationale suscite de la déception et fragilise le score de sa liste. « Les européennes font partie des sorties du grand débat et sont une réponse à la crise des “gilets jaunes” », veut-elle croire, en soulignant que plusieurs attentes de ces derniers – comme la régulation des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) ou la lutte contre l’évasion fiscale – se règlent au Parlement européen.

Si certains députés LRM ne cachent pas leur scepticisme, d’autres se disent rassurés par sa maîtrise des sujets européens. « Elle incarne ce que l’on veut faire au Parlement européen : le choix de la compétence, tranche Gilles Boyer, l’un de ses colistiers. Il faut savoir ce que l’on veut : des bateleurs d’estrade bons pendant un mois de campagne et nuls pendant cinq ans de mandat ? » Lorsqu’ils évoquent leur candidate, certains élus macronistes lui trouvent d’ailleurs une ressemblance avec Angela Merkel. La comparaison avec la chancelière allemande amuse la principale intéressée. « Comme elle, je ne lâcherai rien pour défendre les intérêts des Français », assure-t-elle. Avant de rectifier : « Mais je suis quand même plus marrante qu’elle ! » p alexandre lemarié

En Nouvelle-Calédonie, le nickel, enjeu stratégique avant les élections Le gouvernement collégial doit prendre mardi des décisions sur l’avenir de la filière, qui auront des conséquences politiques nouméa - correspondante,

C’

est peut-être un tournant pour l’avenir industriel de la NouvelleCalédonie. Un avenir qui repose en grande partie sur l’exploitation de la filière du nickel, dont ce territoire français du Pacifique, doté d’une large autonomie, est le cinquième producteur mondial. L’enjeu est d’autant plus important que doivent avoir lieu, le 12 mai, les élections provinciales, qui détermineront la composition du Congrès et du gouvernement du territoire, ceux-là mêmes qui devront négocier la sortie de l’accord de Nouméa du 5 mai 1998, alors que le référendum sur l’indépendance du 4 novembre 2018 a donné une majorité de 56,4 % en faveur du non. Mardi 16 avril, les onze membres du gouvernement collégial de Nouvelle-Calédonie doivent se prononcer sur la demande de la Société Le Nickel (SLN), filiale d’Eramet et opérateur historique du nickel calédonien, d’exporter 2 millions de tonnes de minerai brut en 2019 (contre 1,2 millions aujourd’hui), 3 millions en 2020 puis 4 millions de tonnes annuelles à partir de 2021 et au cours des

huit années suivantes. Aux abois après avoir accumulé 120 milliards de francs CFP (1 milliard d’euros) de pertes sur les sept derniers exercices, la « vieille dame », sobriquet de l’entreprise fondée en 1880, tente de sauver sa peau en augmentant ses ventes de minerai en Asie pour éponger les déficits de son usine métallurgique, Doniambo, poussiéreux mammouth à l’entrée de Nouméa. Les nerfs à fleur de peau Pour Christel Bories, la PDG d’Eramet, « le temps est compté ». « Au premier trimestre 2020, nous n’aurons plus de trésorerie. On ne pourra pas attendre de ne plus avoir d’argent dans les caisses pour engager une procédure de sauvegarde », a-t-elle mis en garde. Le problème, c’est que ce « nouveau modèle économique » de la SLN, consistant à augmenter l’export de minerai brut, se heurte à la « doctrine nickel » que les indépendantistes prônent avec constance depuis vingt ans. Dimanche, Paul Néaoutyine, l’influent président indépendantiste de la province Nord, a taxé les plans de la SLN, emblème du colonialisme aux yeux des Kanak, de « politique de la terre brûlée ».

« Les difficultés peuvent permettre de déboucher sur une opportunité » DIDIER JULIENNE expert auprès des responsables de la province Nord

Les indépendantistes prônent l’« optimisation de la valorisation de la ressource minière » autour de deux principes : la transformation sur place des minerais à haute teneur, dont le symbole est l’usine Koniambo, codétenue par la Société minière du Sud Pacifique (SMSP) située dans la province Nord, et le géant Glencore, et l’exportation des minerais à faible teneur dans des usines offshore au sein desquelles le « pays » a une participation majoritaire. En Corée du Sud, la SMSP détient 51 % d’une usine métallurgique en partenariat avec l’aciériste Posco, qui, en retour, a obtenu 49 % du domaine du mineur calédonien. « Entre 2009 et 2014, la Corée nous a rapporté près de 10 milliards CFP [84 millions d’euros] de

dividendes et on a produit 45 000 tonnes de nickel métal en 2018 », rappelle André Dang, 82 ans, l’immarcescible stratège de la percée des Kanak dans l’industrie du nickel. Sur le même schéma, la SMSP vient de s’associer en Chine à Yangzhou Yichuan Nickel. « Trois bateaux de 150 000 tonnes ont déjà été livrés. L’accord porte sur la fourniture de 600 000 tonnes annuelles sur vingt-cinq ans », confie M. Dang, qui ambitionne de prendre possession d’une deuxième usine en Chine. « C’est pour ça qu’on veut les 4 millions de tonnes de la SLN. Ils n’auront pas le choix, sinon les Kanak vont se mobiliser sur le terrain », avertit un cadre indépendantiste, alors que les sites miniers de la SLN sont essentiellement situés dans des régions tribales où son lourd passif environnemental met les nerfs à fleur de peau. L’état-major de la SMSP, qui a présenté sa stratégie au gouvernement calédonien, assure avoir reçu « une oreille attentive, y compris chez les loyalistes ». « C’est la première fois depuis dix ans qu’il est peut-être possible de trouver une stratégie commune entre les différents acteurs, estime Didier

Julienne, expert influent auprès des responsables de la province Nord. Les difficultés peuvent permettre de déboucher sur une opportunité. » Forte de l’avis favorable rendu début avril par le Comité du commerce extérieur minier, la SLN se dit quant à elle « confiante dans le feu vert de l’exécutif » et « ouverte » aux convoitises de la SMSP. « Il y a 1,5 million de tonnes pour lesquelles la SLN a des engagements contractuels de son côté, mais on est prêt à leur vendre 1 million de tonnes pour leur usine de Corée, indique une source interne. Pour le reste, ça fera l’objet de négociations commerciales. » Cette stratégie permettra-t-elle de sauver l’unité métallurgique de la SLN de la débâcle ? « Cette

usine poubelle est condamnée. Par contre, la SLN possède 75 % des meilleures mines de nickel, qu’elle s’est accaparées au fil des générations, et une emprise foncière de 250 hectares à l’entrée de Nouméa. On peut faire des choses », confie un élu du FLNKS. A la veille des prochaines élections provinciales, alors qu’un deuxième référendum sur l’indépendance doit avoir lieu en 2020, éventuellement suivi d’un troisième en 2022, nul doute que le FLNKS fera pression sur l’Etat, détenteur de 26 % d’Eramet, pour que le contrôle de la SLN figure dans la corbeille de la décolonisation. « Le fruit est mûr, il va tomber », parie l’entourage de M. Dang. p patrick roger (à paris) et claudine wéry

Vale efface la dette des provinces Le géant brésilien Vale vient de faire un cadeau de 250 millions de dollars (220 millions d’euros) aux trois provinces de NouvelleCalédonie, au terme de deux ans de négociations. Entrées en 2005 à hauteur de 5 % au capital du projet d’usine métallurgique de nickel de Vale, à Goro, dans le sud de la Nouvelle-Calédonie, les collectivités avaient ensuite été incapables de mettre au pot pour faire face à l’explosion de ses coûts. Vale ayant payé à leur place, la dette des provinces envers l’industriel s’élevait en 2019 à 36,9 milliards de francs CFP (347 millions de dollars).


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Anne Hidalgo muscle son dispositif dans les quartiers difficiles de la capitale

Bataille politique à Paris pour l’accueil des migrants

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La Mairie multiplie les adresses à l’Etat. La maire de Paris veut notamment interdire les distributions d’aide alimentaire non encadrées Les associations aussi durcissent le ton

« Abcès de fixation » Les élus entendent aussi mieux structurer la distribution d’aide alimentaire. Le constat est clair : après le passage de certaines associations venues distribuer des repas aux pauvres ou aux migrants, les lieux se retrouvent couverts de déchets. C’est parfois le cas autour des rues Pajol et Philippe-de-Girard. « En outre, cela crée des abcès de fixation pour les réfugiés », et peut conduire à des rixes, note la Mairie. La question des motivations de certaines de ces associations, et de leur éventuel prosélytisme religieux, est également posée. Afin de mettre un peu d’ordre, la Mairie a commencé à négocier une « charte de la distribution alimentaire », qui devrait être signée par les grandes structures spécialisées comme Les Restaurants du cœur, l’Armée du salut ou Emmaüs. « Les autres associations ne pourront plus intervenir sans une déclaration préalable, et ne devront distribuer de nourriture que dans les endroits et aux conditions que nous aurons déterminés », affirme Emmanuel Grégoire, le premier adjoint d’Anne Hidalgo. La deuxième mesure-choc concerne les commerces. Un certain nombre d’entre eux sont dans le radar tant de la police que de la

La municipalité est décidée à faire partir les commerçants qui posent des difficultés et dont la mauvaise foi est avérée Mairie. « De petites épiceries vendent de l’alcool de façon problématique, constate Emmanuel Grégoire. Cela aboutit à des attroupements qui dégénèrent en beuverie généralisée, puis en bagarre. » D’autres commerçants sont suspectés de blanchiment d’argent, de trafics divers, ou encore de pressions sur des concurrents pour racheter leurs baux.

« Pour lutter contre le sentiment d’impunité, nous sommes prêts à déclencher les feux de l’enfer », promet le premier adjoint. En l’occurrence, la Mairie est décidée à faire partir de force les gérants posant d’énormes difficultés et dont la mauvaise foi est avérée. « Voie juridique incertaine » La Semaest, la société d’économie mixte de la Ville de Paris spécialisée dans la revitalisation du petit commerce, pourrait utiliser pour la première fois un droit de préemption sur les baux problématiques. « Nous sommes en train d’établir la liste des commerces en cause, en lien avec la mairie du 18e arrondissement, précise-t-on à l’Hôtel de ville. C’est une voie juridique incertaine, mais qui fera trembler certains. » Le plan d’urgence comporte un troisième volet, plus festif. Pour

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top aux distributions d’aide alimentaire qui dérapent, stop aux commerçants fraudeurs… La maire de Paris, Anne Hidalgo, doit annoncer, lundi 15 avril, une poignée de « mesures ciblées » destinées à « améliorer rapidement » certaines « situations inacceptables » dans les quartiers populaires du nord et de l’est de Paris. Objectif : obtenir des résultats tangibles dès 2019, c’est-à-dire avant les élections municipales de 2020, pour lesquelles la propreté et la sécurité s’annoncent des enjeux majeurs. Ainsi est-ce à Barbès que Rachida Dati, candidate à l’investiture Les Républicains, a réservé sa première visite de campagne, en mars. Saleté, insécurité, trafics en tout genre, toxicomanie, prostitution, bagarres… Dans certains quartiers comme Barbès, mais aussi Stalingrad ou porte de la Chapelle, les problèmes se concentrent, et la situation devient très tendue. Les riverains se désespèrent, les associations caritatives aussi, notamment en raison de la dégradation de la situation dans les camps de migrants. De nombreuses personnes ont ainsi été blessées le week-end des 6 et 7 avril dans une série de rixes à coups de couteau entre migrants, notamment afghans et érythréens, près de la porte de la Chapelle. La police a interpellé dix-sept personnes. Quinze associations ont mené une grève symbolique deux jours plus tard, afin d’alerter les pouvoirs publics. Pour Anne Hidalgo, l’Etat a une grande responsabilité dans cette crise. C’est à lui de gérer la question des migrants et de leur hébergement, dit en substance la maire de Paris, qui fait pression pour que le ministère de l’intérieur agisse. De même que c’est à la police nationale de s’attaquer au trafic de drogue sur la « colline du crack », un terrain vague à côté du périphérique. L’élue socialiste n’en a pas moins décidé de muscler sa propre politique dans ces quartiers populaires. Pour y rétablir un peu de tranquillité, la Mairie compte renforcer les équipes d’agents de la nouvelle police municipale. Une brigade sera « présente au quotidien, sept jours sur sept », sur la « promenade urbaine » située sous le métro aérien de Barbès à Stalingrad, et alentours.

Dans l’endiverie de Soyécourt, l’ensemble de la production se veut le plus responsable possible. Les racines ne sont achetées qu’à des producteurs connus et reconnus pour la qualité de leur travail. La séparation de l’endive et de ses racines est effectuée à la main, tout comme l’emballage. Quant aux résidus après épluchage, ils sont transformés en gaz et cette source d’énergie permet de couvrir à l’heure actuelle 60% de la consommation énergétique des installations de l’exploitation. Tous ces facteurs combinés ont valu à Christophe les certifications Global GAP (Référentiel de Bonnes Pratiques Agricoles) et IFS (Référentiel international pour la qualité et sécurité des produits) qui prouvent l’excellence de son travail.

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améliorer la vie et l’image de ces quartiers, la Mairie compte accroître les aides financières aux initiatives telles que les vide-greniers, les spectacles, etc. Elle prévoit aussi une grande journée d’animation clôturée par un feu d’artifice sur le bassin de la Villette, le 29 juin. Au total, le budget pour toutes ces actions sera de 2,5 millions d’euros en 2019. « Cela ne va donc pas révolutionner les choses, reconnaît-on à l’Hôtel de ville. L’essentiel, c’est qu’un quart du plan d’investissement de la mandature bénéficie aux quartiers populaires, alors qu’il ne concerne que 16,5 % de la population parisienne. » Anne Hidalgo espère néanmoins que ces mesures supplémentaires aideront à apaiser des quartiers dont les habitants sont exaspérés. p denis cosnard

es grandes manœuvres politiques s’accélèrent autour des campements de migrants au nord de Paris. Depuis fin mars, Anne Hidalgo se rend toutes les semaines porte de La Chapelle pour interpeller l’Etat sur la situation des centaines de personnes à la rue – la plupart demandeuses d’asile – près du périphérique. La préfecture d’Ile-deFrance a pourtant mis à l’abri près de 800 personnes la semaine dernière, mais entre 700 et 1 300 dorment encore sous tente. Les associations durcissent aussi le ton. Dimanche 14 avril, à l’initiative de la Fédération des acteurs de la solidarité, dix-huit d’entre elles ont demandé à l’Etat, dans une tribune publiée par Le Parisien, une mise à l’abri des personnes, sans considération de leur statut administratif. Des associations prestataires de l’héber-

gement avaient menacé, mercredi 10 avril, de ne pas répondre aux sollicitations de la préfecture. D’autres associations et collectifs avaient auparavant suspendu une journée leur action humanitaire sur les campements pour dénoncer la situation. « Il y a une convergence assez inédite », remarque Louis Barda de Médecins du monde. La maire socialiste multiplie les actes : elle a annoncé l’ouverture imminente d’un centre humanitaire porte de La Chapelle, avec des douches, des toilettes, un point d’eau ainsi qu’un accès aux soins, « pour que les gens aient le minimum de dignité qu’on doit à un être humain », précise Dominique Versini, adjointe à la maire de Paris chargé des solidarités. L’élue devait aussi détailler lundi l’ouverture en juin d’une maison des réfugiés, dans le 14e arrondissement. Le lieu offrira des informations sur l’insertion professionnelle et sociale, l’apprentissage du français ou encore l’hébergement citoyen. « Les choses bougent depuis une semaine et dans le bon sens, observe Louis Barda. Mais ça fait neuf mois qu’on dit à la Mairie qu’il manque des toilettes sur les campements. » « Décourager les gens » Difficile de ne pas voir, du côté d’Anne Hidalgo, l’effet d’un agenda politique, alors que les appétits des candidats aux municipales de 2020 s’affûtent. « Pour nos dirigeants, l’accueil des migrants fait monter l’extrême droite mais l’exemple de Paris, où le Rassemblement national ne présentera pas de liste aux élections municipales, démontre que ce n’est pas le cas », défend Mme Versini. « Compte tenu de la sociologie électorale de la capitale, Anne Hidalgo a fait de ce sujet un marqueur politique et elle ira toutes les semaines pointer les insuffisances de l’Etat, analyse un haut fonctionnaire qui connaît bien le sujet. Ça met les préfets de région dans des situations impossibles parce qu’à chaque fois qu’ils essayent d’organiser les choses, le ministère de l’intérieur les engueule au nom du fameux “appel d’air” que l’accueil risquerait de créer. » Malgré un doublement en quelques années du parc d’hébergement, celui-ci reste sous-dimensionné : un demandeur d’asile sur deux n’est pas hébergé, et l’Ile-de-France concentre plus de la moitié des demandes. « En n’agissant pas, on ne peut que penser qu’il y a une volonté politique de décourager les gens, s’indigne Eric Pliez, président du Samusocial de Paris. Dans les campements de Paris, 15 % des personnes ont le statut de réfugié. » Compte tenu de l’augmentation de la demande d’asile (+ 20 % en 2018), rien n’annonce une résorption du phénomène. Outre l’augmentation des capacités d’accueil, les associations et la Mairie demandent un « moratoire » sur l’application du règlement de Dublin, comme lors du démantèlement de la « jungle » de Calais en 2016. Plus de la moitié des personnes présentes sur les campements de Paris sont en effet « dublinées », c’est-à-dire que l’examen de leur situation relève en théorie d’un autre Etat de l’Union européenne. Mais si la France ne parvient pas à les y transférer dans un délai de six à dix-huit mois, alors elles peuvent déposer une demande d’asile. Cette situation explique que les personnes restent à la rue et quittent les hébergements depuis lesquels elles risquent d’être transférées. Pour juguler l’augmentation de la demande d’asile, le gouvernement défend un durcissement de l’application de Dublin. p julia pascual


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Le virage écolo-identitaire de Marine Le Pen Pour la présidente du RN, l’écologie passe d’abord par la protection des frontières et des nations

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ocalisme. » L’ex-FN a définitivement trouvé son concept totem. Aucun débat télévisé, aucune sortie de campagne sans que ce « localisme » ne soit agité par un lieutenant du parti d’extrême droite pour afficher sa nouvelle conscience écologique. Marine Le Pen l’a brandi une nouvelle fois dans une interview au Parisien, samedi 13 avril, pour présenter sa « vision de l’Europe ». « Vision » qu’elle développera lundi, à Strasbourg. Le Rassemblement national (RN) doit en effet y dévoiler son programme pour l’élection européenne ainsi qu’un « manifeste » pour « l’alliance européenne des nations », dont Hervé Juvin a été « la cheville ouvrière », selon l’étatmajor du parti d’extrême droite. Installé en cinquième place de la liste du RN aux européennes, après avoir été pressenti comme potentiel porte-drapeau, l’essayiste nationaliste et conservateur de 63 ans est régulièrement présenté comme le nouvel « intello écolo » du parti. Marine Le Pen ellemême s’inspire très largement de cette caution d’autant plus bienvenue que l’écologie est devenue un argument de campagne pour l’ensemble des partis politiques avant le scrutin européen, traditionnellement favorable aux écologistes. Depuis le lancement de son offensive européenne, la patronne du RN ne manque pas une occasion d’afficher le supposé virage vert de son parti. En février, la visite d’un élevage de porcs en plein

L’écologie radicale a longtemps été écartée du programme frontiste, Jean-Marie Le Pen la qualifiant de « préoccupation de bobo »

air à Maizières-les-Joinville (Haute-Marne) devient ainsi le prétexte pour sa tête de liste, Jordan Bardella, d’affirmer qu’« on ne peut pas faire d’écologie sans frontières ». Quelques semaines plus tard, Marine Le Pen jure en Seineet-Marne que le RN défend désormais « une vision totalement alternative » de l’écologie, à savoir « la protection des écosystèmes, à commencer par les écosystèmes humains que sont les nations ». Une analyse « alternative » loin d’être nouvelle à l’extrême droite. Dès la fin des années 1960, Alain de Benoist et le Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne (Grece) – mouvement pensé comme une « Nouvelle droite » identitaire et nationaliste prêchant la différence entre les peuples – développaient déjà les thèmes du « localisme » et de l’écologie radicale antimondialiste. « Pour eux, les véritables écologistes sont ceux qui prennent en compte l’immigration comme un facteur déterminant de déséquilibre culturel et/ou ethnique », analyse l’historien spécialiste de l’extrême droite Stéphane François. Une conception dont le RN de Marine Le Pen semble désormais se rapprocher fortement. Mixophobie Une première percée de type « écologie des peuples » avait été introduite au sein du parti lepéniste par Bruno Mégret dans les années 1990, avant que son putsch raté ne l’écarte autant que cette idée. Le FN connaît un nouveau verdissement en 2014 avec l’éphémère conseiller de Marine Le Pen, Laurent Ozon, qui incarnait cette ligne identitaire et écologiste radicale avant de devoir quitter le parti après avoir « expliqué » par l’immigration le geste du terroriste norvégien Anders Breivik, qui a tué 77 personnes en 2011. Eclipsée durant de nombreuses années du programme frontiste – Jean-Marie Le Pen la qualifiant de « préoccupation de bobo » – l’écologie radicale fait donc son retour dans le discours lepéniste.

Derrière Hervé Juvin, qui était d’ailleurs intervenu dès 2010 dans un colloque du Bloc identitaire, c’est l’état-major RN tout entier qui ne cesse de brandir le concept de « localisme ». « Derrière cette défense des circuits courts, il s’agit de promouvoir plus largement une forme d’autarcie grand-continentale dans la continuité des théories nationales-révolutionnaires », précise Stéphane François. Car l’écologie version RN est d’abord axée sur le rejet de l’étranger et de l’immigration. En meeting en Normandie en février, Hervé Juvin lance ainsi : « Je ne veux pas mourir dans une réserve. » Derrière, pointe l’idée radicale d’un prétendu « génocide des peuples blancs », qui s’inscrit précisément dans la doctrine de l’« écologie des populations », selon laquelle chaque civilisation s’épanouit dans son aire civilisationnelle et géographique. Début avril, sur BFM-TV, l’écoloidentitaire du RN poursuit sur sa lancée écolo-radicale et interpelle le candidat écologiste Yannick Jadot en assénant que « tout écologue sait bien qu’un système vivant complexe ne survit pas à des espèces invasives ». Et Hervé Juvin de désigner comme « espèces invasives » : « la finance mondialisée », « un certain nombre d’ONG » et… « les migrations de masse ». « Aucun système vivant complexe ne résiste à des migrations de masse », conclut-il. On retrouve là l’un des attributs principaux de l’écologie identitaire : la mixophobie. « Pour préserver les biotopes (comprendre les ethnosphères), selon eux, il faut refuser à la fois l’installation de populations immigrées (allogènes) et le métissage sur le sol européen », explicite Stéphane François. Au Monde, Hervé Juvin affirme même que « l’extinction de la diversité des sociétés humaines [lui] paraît plus grave aujourd’hui que le réchauffement climatique ». Sur les grands sujets environnementaux, Hervé Juvin développe d’ailleurs une ligne qui ferait assez peu consensus chez les écologistes : il est résolument pro nu-

« L’extinction de la diversité des sociétés humaines me paraît plus grave que le réchauffement climatique » HERVÉ JUVIN,

cinquième sur la liste RN

cléaire, estimant que « le choix de sortie du nucléaire en Allemagne est criminel » ; et pourfend les éoliennes, comme Marine Le Pen qui a lancé une campagne « Stop éoliennes », début avril. « Les migrants c’est comme les éoliennes, tout le monde est d’accord pour qu’il y en ait mais personne ne veut que ce soit à côté de chez lui », a-telle même osé dimanche lors de l’émission Le Grand Jury de RTL/ Le Figaro/LCI. Déclarations climatosceptiques S’il se dit convaincu de la nécessité de lutter contre le changement climatique, il est aussi opposé à la taxe carbone, qui consiste « à faire payer la ruralité et la proximité ». Mais M. Juvin est également prêt à formuler des propositions plus iconoclastes comme « la limitation obligatoire de la consommation de viande, qui devra forcément se faire par la loi », pour limiter les émissions de CO2 liées à la production de viande bovine. Une proposition, qui ne figure pas dans les propositions officielles du parti, avec lequel M. Juvin prend parfois des libertés. Il déplore ainsi que certains cadres du RN aient fait des déclarations clairement climatosceptiques, comme le membre du bureau exécutif Nicolas Bay, qui avait estimé que le rôle de l’activité humaine dans le changement climatique est « plus limité qu’on ne le dit parfois » – au mépris du très large consensus scientifique sur la question. M. Juvin estime même que les Etats-Unis de

Donald Trump sont devenus un « Etat voyou » en sortant de l’accord de Paris sur le climat – une position là aussi à rebours des compliments adressés au président américain par la direction du parti d’extrême droite. Mais le même Donald Trump est érigé en exemple par M. Juvin lorsqu’il impose des tarifs douaniers très élevés pour limiter les importations et qu’il critique le libre-échange. Sans propositions concrètes pour la transition énergétique ou pour lutter contre le réchauffement, M. Juvin et le RN s’en remettent à des recettes classiques : combattre le libre-échange, sortir des accords commerciaux internationaux et encourager les échanges locaux. Comment mettre en œuvre une telle logique ? Hervé Juvin ne formalise pas d’autres propositions qu’une sortie partielle du marché intérieur de l’Union européenne sur certains produits, sans préciser lesquels. Selon Europe 1 qui révélait dimanche, quelques mesures du programme, le RN propose ainsi de détaxer les circuits courts, de taxer les importations anti-écologiques et de mettre en place une « une responsabilité nationale des entreprises », calculée en fonction de critères comme « le refus des délocalisations, l’embauche d’une main-d’œuvre nationale, l’incitation à recourir à des fournisseurs et produits locaux ». La nouvelle conscience écologique du RN peut-elle lui rapporter des voix ? Peut-être pas immédiatement, selon le directeur de l’observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès, Jean-Yves Camus, « mais l’idée peut faire son chemin… les écolos vont peut-être voter Europe écologie le 26 mai, mais le thème peut parler au-delà des captifs de l’extrême droite ». Et le grand public associant l’écologie à la gauche – « seuls les initiés connaissent le chemin de ces idées dans la droite radicale » – l’argument pourrait bien jouer comme « un élément de dédiabolisation en plus ». p

LE CONTEXTE NI FREXIT NI SORTIE DE L’EURO Rival de la liste de La République en marche dans les sondages, le Rassemblement national (RN) devait présenter son programme européen à Strasbourg, lundi 15 avril, alors que le chef de l’Etat s’exprime à 20 heures à la télévision. Dans un entretien au Parisien publié samedi, Marine Le Pen réinstalle le duel avec le chef de l’Etat, affirmant une nouvelle fois que le scrutin européen sera l’occasion d’« envoyer un signal » à M. Macron. Elle y dessine en outre les contours de son « Europe à la carte ». Plus question de Frexit ni de sortie de l’euro dans le programme européen du parti d’extrême droite, qui entretenait le flou depuis son revirement sur ces questions au lendemain de sa défaite présidentielle. Le RN veut désormais remplacer l’Union européenne par « une Europe des nations et des peuples » basée sur des coopérations à la carte, et insiste sur le fait qu’« aucun Etat ne doit être contraint de financer des projets sans un juste retour au moins équivalent à sa contribution ». Des propositions qui, pour entrer en vigueur, devraient être validées par l’ensemble des Etats membres. Jean-Marie Le Pen fera le lendemain ses adieux au Parlement européen et à la vie politique, lors d’un discours à Strasbourg.

lucie soullier et nabil wakim

120 C’est le nombre de personnes comptabilisées à bord du navire qui a été intercepté, samedi à Sainte-Rose, sur la côte est de l’île française de la Réunion dans l’océan Indien. Il s’agirait de Sri-Lankais, ce qui porterait à sept le nombre d’embarcations de migrants sri-lankais interceptées à La Réunion depuis mars 2018. Un peu plus de 4 000 kilomètres séparent La Réunion du Sri Lanka. – (AFP.) POLI C E

Le Défenseur des droits veut une inspection des commissariats parisiens Jacques Toubon a demandé au ministre de l’intérieur « une inspection de l’ensemble » des commissariats parisiens dont certains ont donné ces dernières années des « ordres et des consignes discriminatoires ». Cet avis a été transmis « pour information » au procureur de Paris. Le Défenseur des droits « constate » que des « ordres manifestement illégaux » enjoignant de « procéder à des contrôles d’identité de “bandes de Noirs et Nord-Africains” dans un secteur défini, et à des évictions systématiques de “SDF et de Roms”, ont été diffusés » dans un arrondissement, entre 2012 et 2018. – (AFP.)

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VI OLEN C ES

Agression dans un collège : un mineur mis en examen Un adolescent de 15 ans a été mis en examen et placé sous

contrôle judiciaire, dimanche 14 avril, trois jours après l’agression d’une enseignante dans un collège de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Jeudi 11 avril, trois jeunes étaient entrés dans le collège ElsaTriolet et l’un d’eux, ancien élève, avait tiré avec un pistolet à billes en direction d’une enseignante, qui n’a pas été blessée. Le collège s’est mis en grève. – (AFP.) EU R OPÉEN N ES

Place publique face à une vague de départs de fondateurs déçus Déçus par un fonctionnement «pyramidal» et l’alliance avec le PS, près de la moitié des fondateurs de Place publique ont quitté le mouvement de Raphaël Glucksmann depuis un mois. Lancé en novembre2018 avec l’ambition d’unir la gauche, Place publique est finalement opposé à Génération.s, le parti de Benoît Hamon, et à EELV. La moitié des 22 signataires de «l’acte de naissance» du mouvement se sont mis en retrait. – (AFP.)


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Débats sur la race, le genre : tensions dans les facs Une succession d’incidents a eu lieu ces derniers mois

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ntaille grave à la liberté d’expression, contresens, avènement d’une nouvelle censure au nom d’un politiquement correct devenu absurde… Depuis le blocage de la pièce de théâtre Les Suppliantes, d’Eschyle, lundi 25 mars à la Sorbonne, par des militants de la cause noire et des étudiants dénonçant le racisme dont la mise en scène était à leurs yeux coupable, en raison des masques sombres des acteurs, les réactions pleuvent. Mais pour ceux qui travaillent au quotidien dans les universités, cet incident ne vient pas de nulle part. Il apparaît comme la manifestation extrême d’une série de tensions qui se développent depuis plusieurs années. Les thématiques autour de l’identité, qu’il s’agisse du genre, de la religion ou encore de la « race », sont sources de crispations, dans les universités, depuis maintenant plusieurs années. Particulièrement dans les facs de sciences humaines, en première ligne sur ces sujets, qui mettent « tout le monde un peu mal à l’aise », reconnaît un universitaire. « Le climat est difficile sur ces questions à l’université, comme c’est le cas dans toute la société », résume Hervé Christofol, secrétaire général du Snesup-FSU, l’un des deux principaux syndicats de personnels de l’enseignement supérieur. « Il y a toujours eu une contestation du discours universitaire, des accusations de parti pris idéologique… Ce sont les objets qui changent avec les époques, et aujourd’hui, cela se concentre sur les questions de repli identitaire », poursuit Alain Tallon, doyen de la faculté des lettres de Sorbonne université, qui compte reprogram-

mer la pièce de théâtre en mai. Dans son établissement, l’historien décrit ces tensions comme un phénomène « très ponctuel ». A l’université de Paris-Nanterre, le président Jean-François Balaudé a aussi vu émerger de telles crispations : « Il y a une sensibilité qui émane d’associations étudiantes, très minoritaires, qui portent des revendications fortes en termes de lutte antiraciste et qui, pour quelques-unes, ont tendance à faire une lecture raciale des politiques que conduisent les universités. » Lorsque l’université ne donne pas suite à une demande de locaux pour un événement ou un débat, elle est tout de suite « suspectée de complaisance envers les discriminations », rapporte-t-il. Bataille d’enseignants Dernier événement en date : lors du festival de marionnettes accueilli chaque année à l’université, en mars, « il y avait des marionnettes de différentes couleurs, dont une noire, il y a eu une grosse polémique chez certains étudiants qui nous ont accusés de cautionner ce spectacle qui donnerait lieu à du “blackface” [se grimer en noir pour se moquer des Noirs]… nous n’avons même pas répondu », confie le président. D’autres universitaires ont pris la plume au lendemain de l’annulation des Suppliantes. Cet « événement s’inscrit dans une longue série », ont dénoncé 120 signataires d’une tribune publiée dans Libération, sous la bannière Vigilance universités, voyant dans ce blocage une « nouvelle intervention de l’idéologie radicale racialiste à l’université qui, une fois encore, s’attaque à la liberté d’expression ». Fondé en 2016, ce réseau entend

« combattre toutes les formes de racisme et d’antisémitisme, de communautarisme et de racialisme prétendument décolonial, (…) lutte pour la défense de la laïcité à l’université », et compte une centaine de membres, rapporte l’un d’eux, Gilles Denis, historien des sciences du vivant à l’université de Lille. Les membres de ce collectif listent les incidents, qui se multiplient ces dernières années. Et de citer, la tentative, notamment par Solidaires étudiant.e.s, de censurer dans plusieurs universités la lecture par le Théâtre K du texte de Charb Lettre aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes (Les Echappés, 2015) ; la censure du festival Escale en Israël, projet universitaire de l’association estudiantine PankulturA en lien avec l’Institut français, empêché par des militants de la cause palestinienne et des enseignants, à l’Institut d’administration des entreprises (IAE) de Lille ; ou encore la « censure » d’un séminaire intitulé « La laïcité est-elle islamophobe ? » à l’université de Lille, que souhaitait organiser la commission laïcité du Snesup, en 2017, auquel était invité l’écrivain Mohamed Sifaoui, dont la présidence a refusé

la tenue « sous prétexte des risques de troubles à l’ordre public », rapporte Gilles Denis. Ce collectif pointe principalement la responsabilité des « thèses décolonialistes », qui verraient leur audience croître à l’université. « Les études post-coloniales, nées en Inde et aux Etats-Unis, sont tout à fait légitimes, dit Michel Dreyfus, directeur de recherche émérite au CNRS, membre du réseau. Mais l’idéologie décolonialiste qui en émane conduit à une fragmentation de plus en plus grande entre diverses minorités, avec une montée des crispations identitaires. » Indignations sélectives Cette querelle est aussi une bataille d’enseignants et un choc d’idéologies. Derrière les thèses décoloniales, l’influence d’un homme, Eric Fassin, est régulièrement soulignée par ses contempteurs. Ce sociologue de l’université Paris-VIII-Vincennes-Saint-Denis travaille sur les questions de « race, genre et classe ». Il renvoie ceux qui dénoncent aujourd’hui ces censures à leurs indignations sélectives. « Lorsqu’il a fallu se mobiliser pour éviter la censure, sous la pression de groupes de la droite

« Aujourd’hui, la contestation du discours universitaire se concentre sur les questions de repli identitaire » ALAIN TALLON

doyen de la faculté des lettres de Sorbonne université

identitaire et de groupes dits “républicains”, d’un colloque de recherche organisé en 2017 à l’université Paris-Est-Créteil sur l’intersectionnalité [notion qui analyse les liens entre les différentes discriminations de classe, de race, de genre] dans les recherches en éducation, où étaient ces prétendus défenseurs de la liberté d’expression ? » A l’université Lyon-II, le directeur de l’UFR d’anthropologie, sociologie et science politique, David Garibay, pointe aussi les excès de ceux qui, selon lui, ont tendance à voir un peu trop vite des thèses décolonialistes partout. Il s’est retrouvé épinglé, dans la presse,

pour avoir étudié en travaux dirigés un texte sur le féminisme islamique. Les réactions outrées ont fusé. Comment pouvait-on accoler ces deux termes ? « C’est une remise en question du travail universitaire, défend-il, alors que nous sommes là pour discuter d’un certain nombre de textes, et que celui-ci entrait dans la thématique traitée par l’enseignante. » Un petit groupe d’une dizaine d’étudiants, sur une promo de 250, avait réagi dès la rentrée, lors de la distribution du programme de cours, pour contester ce sujet. « Ce qui est assez nouveau pour nous, ce n’est pas de débattre avec des étudiants en désaccord », rapporte le professeur de science politique, qui se rappelle qu’à une autre époque, ce sont les cours sur le marxisme ou la gauche qui pouvaient faire l’objet de polarisation. « La différence, c’est l’utilisation de relais dans le monde associatif, militant, puis des réseaux sociaux pour tenter d’empêcher qu’un texte soit discuté », estime l’enseignant, qui voit là un « durcissement ». Le cours a néanmoins eu lieu sans difficulté, loin des polémiques enflammées. p camille stromboni

Pour l’UNEF, « il existe un racisme institutionnel » Mélanie Luce, la présidente du syndicat étudiant, continue de défendre le blocage de la pièce « Les Suppliantes » fin mars à la Sorbonne

propos recueillis par c. st.

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Les réunions non mixtes pour des personnes « racisées », qui provoquent régulièrement de vifs débats, sont-elles désormais une pratique courante du syndicat ? C’est un outil utilisé par notre organisation. Ces réunions sont

mixtes. Mais aucune décision n’est prise dans ce cadre, ces réunions donnent lieu à des comptes rendus et les décisions du syndicat sont prises dans un cadre mixte. p

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N’est-ce pas au juge de décider en la matière ? Le rassemblement d’étudiants à l’entrée de la pièce a été spontané. Nous comprenons qu’ils aient réagi et se soient mobilisés. Il faut que cette pièce ait lieu mais sans mise en scène raciste. On soutient la culture, mais on est antiraciste. On pourrait aller au tribunal, mais ce n’est pas notre vo-

La lutte contre les discriminations est-elle devenue le combat prioritaire du syndicat, devant les questions proprement universitaires ? Le racisme, le sexisme, la LGBTphobie sont des enjeux importants pour nous. Il n’y a pas de changement, notre action a toujours été multiforme. Nous nous battons pour la démocratisation de l’université, cela passe par la lutte contre la sélection, contre la hausse des droits d’inscription pour les étudiants étrangers, pour un système de bourses suffisant et contre les discriminations. Sur ce dernier point, nous avons plusieurs revendications à l’université. Des référents doivent être mis en place pour traiter

L’UNEF se reconnaît-elle désormais dans un courant « décolonial », avec au cœur de sa vision la question des personnes dites « racisées » ? Ce n’est pas la meilleure manière de nous définir. On est antiracistes et universalistes. Mais nous avons conscience que l’universalisme républicain a été dévoyé et nous empêche aujourd’hui de lutter efficacement contre les discriminations. Nous ne pensons pas qu’il y a un racisme d’Etat, comme cela a été le cas par exemple en Afrique du Sud du temps des lois racistes, mais il existe un racisme institutionnel, dans le sens où nos institutions reproduisent le racisme de notre société.

organisées environ deux fois par an, pour libérer la parole des personnes racisées, afin qu’elles puissent témoigner des discriminations qu’elles subissent. Ce que nous faisons aussi pour les femmes, avec des réunions non

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tion du fait des caractéristiques attribuées à leur couleur de peau. Nous avons demandé au metteur en scène de ne pas avoir recours à ce procédé, d’autres choix existaient pour reproduire les Danaïdes. Ce n’est pas possible de reprendre aujourd’hui une mise en scène avec des connotations racistes. Le racisme, ce n’est pas une opinion, c’est un délit.

de toutes les discriminations. Et ce, avec des moyens suffisants, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, pour ceux qui traitent les questions d’égalité.

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Que répondez-vous aux nombreux universitaires qui ont dénoncé cette censure des « Suppliantes » comme un « antiracisme dévoyé » et un « contresens » autour du « blackface » ? Des étudiants de la Sorbonne sont venus nous voir pour nous parler de cette pièce, qui avait utilisé, l’an passé, le « blackface », ce grimage en noir qui existe dans le théâtre pour caricaturer. Ils étaient scandalisés. Même si cette pièce date du Ve siècle av. J.- C., elle s’inscrit dans l’actualité, la jouer ainsi, c’est porter le poids du « blackface ». Le metteur en scène a beau avoir finalement choisi des masques cette fois-ci, ces derniers caricaturent de la même manière les personnes racisées, c’est-à-dire qui subissent un processus de racisa-

lonté, nous voulons discuter avec le metteur en scène. Nous sommes une génération qui est beaucoup plus sensible aux questions de discriminations. Nous avons conscience que le racisme transparaît dans tout notre quotidien. Ce n’est pas seulement l’extrême droite, cela vient de toute la société, on peut avoir des pratiques racistes sans s’en rendre compte. C’est le principe d’une norme qui a été intériorisée.

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UNEF, deuxième syndicat étudiant, s’est singularisé sur la scène universitaire en soutenant le blocage de la pièce de théâtre Les Suppliantes, à la Sorbonne, le 25 mars. Mélanie Luce, qui a pris les rênes de l’organisation étudiante en février 2019, maintient cette position controversée.

« Nous avons demandé au metteur en scène de ne pas avoir recours aux masques »

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ÉCONOMIE & ENTREPRISE « Un an après le RGPD, la fin de la tolérance » 12 |

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Nommée en février, la présidente de la CNIL, Marie-Laure Denis, expose au « Monde » ses priorités pour 2019

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ENTRETIEN

e 25 mai 2018 entrait en vigueur le règlement général sur la protection des données (RGPD) qui consolide les droits des citoyens et renforce les obligations des entreprises en matière de données personnelles. En France, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) est chargée d’appliquer ce texte ambitieux. Marie-Laure Denis, sa présidente depuis février, a accordé au Monde son premier entretien, à l’occasion de la présentation du rapport annuel de l’institution, lundi 15 avril. Le nombre de plaintes enregistrées par la CNIL a augmenté avec le RGPD. La tendance se confirme-t-elle en 2019 ? La CNIL a enregistré plus de 11 000 plaintes en 2018. Sur les sept mois de 2018 où le RGPD était en vigueur [il est entré en application le 25 mai 2018], nous avons constaté une augmentation de 32 % et cette tendance se poursuit en 2019. Quels sont les points du RGPD qui posent encore des difficultés aujourd’hui ? Les entreprises s’interrogent sur la façon dont les plaintes sont traitées en collaboration entre les CNIL européennes. Nous avons aussi beaucoup de questions sur les obligations des entreprises, notamment sur le registre des données, sur les données qu’elles peuvent traiter ou sur les notifications de violation de données. Depuis le RGPD, les entreprises doivent notifier les violations de données à la CNIL dans les 72 heures. Il y en a eu 1 100 en 2018. Nous voulons accompagner tous les acteurs. Les 4 millions d’entreprises françaises n’ont pas la capacité de faire face de la même façon à leurs obligations. Nous essayons d’adopter des mécanismes de droit souple pour les aider. Nous allons publier un guide pour les collectivités locales, comme nous avons publié le guide TPE-PME en 2018.

La CNIL a infligé récemment une lourde sanction pécuniaire à Google. Faut-il en attendre d’autres ? La sanction de 4 % du chiffre d’affaires prévue par le RGPD est-elle taboue ? Il n’y a aucun tabou à utiliser avec discernement toute la palette de sanctions dont dispose la CNIL, des avertissements aux sanctions pécuniaires, en passant par les mises en demeure. Nous avons toujours une volonté d’accompagnement forte mais, à partir de maintenant, c’est la fin d’une certaine forme de tolérance, un an après l’entrée en vigueur du RGPD. L’accompagnement ne serait pas crédible sans contrôle assorti, le cas échéant, de sanctions. Quelles sont vos priorités en matière de contrôle pour 2019 ? Nous vérifierons que les droits prévus par le RGPD pour les internautes, comme le droit d’accès, de rectification et d’opposition à leurs données, sont bien exerçables. Nous nous pencherons sur la responsabilité des sous-traitants. Enfin, nous contrôlerons le respect des nouveaux droits des mineurs, notamment les modalités de recueil du consentement des parents pour l’activité des enfants de moins de 15 ans sur certaines plates-formes en ligne ou la vidéosurveillance dans les écoles.

Dans les locaux de la CNIL, le 7 avril. JEAN-LUC BERTINI POUR « LE MONDE »

Croyez-vous à l’annonce de Mark Zuckerberg de faire de Facebook un réseau social centré sur la vie privée ? Nous suivons ces déclarations avec beaucoup d’intérêt, mais il faudra voir ce qu’il se passe concrètement. Le RGPD est un vecteur d’influence au-delà de l’Europe. Après le Brésil et le Japon, les Etats-Unis s’interrogent, dans la foulée de la Californie qui a adopté une loi inspirée par le texte européen. Il y a une prise de conscience mondiale.

En rapportant nos effectifs au nombre de Français, nous figurons dans les trois derniers pays de l’Union européenne. Les Britanniques, pour une population équivalente, seront 800 en 2020. Nous sommes 215. De plus, en 2019, je souhaite renforcer la capacité d’expertise de la CNIL et nous allons accentuer nos préconisations sur les assistants vocaux. Même chose pour la protection des données dans le cloud. Il faut aussi accompagner de plus en plus d’entreprises ainsi que les pouvoirs publics : nous rendons un avis sur un projet de texte [loi, décret…] tous les trois jours. Cela suppose davantage de moyens, notamment en termes d’effectifs.

Le RGPD a amplifié les missions de la CNIL. Avez-vous des moyens suffisants ?

Continuerez-vous à réclamer un nouveau cadre juridique pour la vidéosurveillance ?

« Il n’y a aucun tabou à utiliser toute la palette de sanctions, des avertissements aux sanctions pécuniaires » Il peut y avoir un décalage entre les usages de la vidéoprotection, et les textes qui encadrent ces usages. Aujourd’hui, il n’y a pas de base légale pour l’utilisation de la reconnaissance faciale à des fins sécuritaires, par exemple. Nous appelons donc à un débat. La CNIL n’oppose pas la protection de la vie privée et la sécurité, mais tente de trouver des garanties pour les concilier.

La CNIL a été, lors des débats sur le fichier biométrique TES ou la loi sur le renseignement, le poil à gratter du gouvernement. Cela va-t-il continuer ? Bien sûr ! La CNIL doit alerter les pouvoirs publics quand il y a un risque pour la vie privée. Et faire porter sa voix de façon forte et exigeante, mais aussi pragmatique, en essayant de trouver des solutions pour concilier des impératifs a priori divergents. Il faut nous voir comme un appui potentiel, bruyant le cas échéant, plutôt que comme un empêcheur de tourner en rond. La CNIL régule depuis longtemps les grandes plates-formes numériques. Aujourd’hui, c’est une priorité politique. Quel regard portez-vous sur cette dynamique ? Elle est positive. Les grandes

plates-formes ont une place tellement déterminante qu’il est normal qu’elles ne s’autorégulent pas, et qu’il y ait une implication forte des pouvoirs publics, que ce soit sur les questions de concurrence, de protection des données ou encore de fiscalité. Même les responsables des plates-formes appellent désormais à une corégulation. Mais ils auront toujours intérêt à ne pas être régulés… Je ne suis pas sûre que ce soit dans leur intérêt. La vraie conquête des années à venir, c’est la confiance. Et elle n’existera pas si ces plates-formes s’autorégulent. Je constate avec plaisir qu’il existe un début de convergence mondiale, du moins sur la question de la protection des données. p propos recueillis par martin untersinger

L’arrivée de Frédéric Mitterrand secoue Christian Bourgois éditeur La nomination de l’ancien ministre pour succéder à Dominique Bourgois est provisoire, assure le nouveau propriétaire, Olivier Mitterrand

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ne rupture consommée en trois mois et un remplacement qui fait jaser. La holding de la famille Mitterrand, présidée par Olivier Mitterrand, avait annoncé le 9 janvier son entrée dans le capital de Christian Bourgois éditeur avant d’en prendre le contrôle. La maison a publié Les Versets sataniques de Salman Rushdie et compte parmi ses auteurs J. R. R. Tolkien, Toni Morrison, Georges Perec, Fernando Pessoa… Le 9 avril, son ancienne propriétaire, Dominique Bourgois, la veuve du fondateur, aux manettes de cette petite entreprise depuis douze ans, l’a quittée, très fâchée. Olivier Mitterrand l’a remplacée dans la foulée à la direction éditoriale par son frère

Frédéric, ex-ministre de la culture. Une nomination qui suscite un tollé dans la profession. Récusant tout parachutage préorchestré, Olivier Mitterrand affirme « que Frédéric ne s’installe pas à la tête de la maison de façon définitive », mais bien provisoirement. Un chasseur de tête aurait été mandaté pour dénicher un directeur général et un directeur éditorial. Une femme d’une quarantaine d’années serait en tête de liste. « J’ai 71 ans et je n’ai pas la compétence pour faire ce travail de 9 heures à minuit, confirme Frédéric Mitterrand. Ce qui compte, c’est de remettre la maison en marche : rassurer les auteurs, constituer une équipe capable de com-

prendre le legs de cette entreprise et la renouveler avec doigté. » « Je suis conscient des enjeux, ajoutet-il, et je sais qu’il faut faire vite. » « Un choc émotionnel » Frédéric Mitterrand explique le divorce avec Dominique Bourgois par « un choc de deux cultures, de deux personnalités ». « Au bout de quinze jours, elle s’est aperçue qu’elle avait fait une erreur [en vendant] », explique un de ses proches. L’éditrice n’a pas souhaité s’exprimer. « Le milieu présente l’affaire comme un clash entre un méchant capitaliste qui ne connaît rien à l’édition et une éditrice évincée en raison de son mauvais caractère, raille l’ancien ministre. Je pense

qu’elle a été héroïque. En héritant de la maison, elle ne s’est pas dépêchée de vendre pour aller vivre dans le Lubéron. » Sans donner le montant de la transaction, Dominique Bourgois expliquait, en janvier, « rester à la tête de l’entreprise, jusqu’à ce qu’[elle] décide de partir ». Elle assurait que Frédéric Mitterrand était un « ami de quarante ans ». L’ancien ministre dit simplement l’avoir mise en contact avec son frère qui souhaitait, à 75 ans, investir dans une entreprise culturelle. La greffe n’a pas pris, mais les cohabitations entre anciens et nouveaux propriétaires sont souvent houleuses. Polytechnicien, homme d’affaires, Olivier Mitterrand a fondé et dirigé Les Nou-

veaux Constructeurs, un groupe de promotion immobilière de 841 millions d’euros de chiffre d’affaires. « Dominique Bourgois a sans doute eu un choc émotionnel en vendant la maison », explique le nouveau propriétaire. Les meilleurs amis de l’éditrice lui reconnaissent un immense talent dans son métier, mais un sens lacunaire des affaires et un « caractère entier voire éruptif ». Olivier Mitterrand assure qu’au moment de la vente « elle n’avait pas signé de clause sur la date de son départ ». Avant de choisir la famille Mitterrand, Dominique Bourgois avait entamé des négociations de vente – qu’elle avait rompues – avec Vera Michalski-Hoffmann, la

présidente de l’éditeur francosuisse Libella. Avec ses cinq salariés (hors les traducteurs), Christian Bourgois éditeur reste fragile financièrement. Frédéric Mitterrand évoque dans Le Point une dette de 1,4 million d’euros. Les comptes ne sont plus déposés aux greffes du tribunal de commerce de Paris depuis fin 2015. La maison a frôlé la faillite deux fois, en 1989 et en 2007. Olivier Mitterrand confirme que « les comptes sont déficitaires ». « Ce n’est pas un métier dans lequel on gagne de l’argent », constatet-il, en assurant que sa priorité « est d’assurer la pérennité » de la maison. Et d’éviter une fuite des auteurs chez les concurrents. p nicole vulser


économie & entreprise | 13

0123 MARDI 16 AVRIL 2019

Les pistes de l’exécutif pour découper EDF La direction de l’électricien et l’Etat préparent un plan de séparation des activités nucléaires

L’

Etat veut-il sauver le groupe EDF ou le détruire ? », s’alarme un syndicaliste. Depuis plus d’un an, la réflexion sur la réorganisation du premier électricien européen bat son plein à l’Elysée et à la direction d’EDF. Au menu : la nationalisation d’une partie des activités… et la privatisation progressive d’une autre. Un dossier explosif pour le gouvernement, sous pression dans le dossier Groupe ADP. Mais la réorganisation d’EDF, telle qu’elle est exposée dans le plan baptisé, selon Le Parisien, « Hercule », est autrement plus électrique : l’entreprise est une part du patrimoine national, et, dans le climat actuel, toute réorganisation pourrait être interprétée comme un démantèlement. Or, le groupe fait face à une équation quasi impossible : il perd des centaines de milliers de clients chaque année et doit prévoir des milliards d’euros d’investissement pour prolonger un parc

nucléaire vieillissant – sans même parler du financement de nouvelles centrales. Tout ça sur fond d’une dette colossale, d’environ 33 milliards d’euros. Face à cette situation difficile, l’exécutif et le PDG de l’électricien, Jean-Bernard Lévy – qui va être reconduit à son poste en mai –, ont lancé les grandes manœuvres pour « sauver le soldat EDF ». « On est d’accord sur quelques grands principes, mais on n’a réglé que 10 % du dos-

Les activités nucléaires, existantes et futures, seraient rassemblées dans une entreprise 100 % publique

sier », explique un acteur central du sujet. Officiellement, Emmanuel Macron n’a pas pris position sur le sujet. En novembre 2018, il a demandé au patron d’EDF de se saisir de ce sujet et de formuler des propositions d’ici à 2021. L’objectif : avoir réglé cette question avant la prochaine élection présidentielle de 2022. Renflouer les caisses Plusieurs scénarios sont sur la table dans les ministères et à la direction d’EDF. L’idée serait de conserver une maison mère qui aurait deux principales filiales. D’une part, les activités nucléaires, existantes et futures, dans une entreprise 100 % publique. La direction d’EDF rêve d’y ajouter les barrages hydroélectriques, que la France s’est pourtant engagée à ouvrir à la concurrence. Cet ensemble représenterait plus de 80 % de la production d’électricité en France.

Lorsqu’il était ministre de l’économie, Emmanuel Macron avait déjà évoqué cette possibilité, estimant qu’une solution aux problèmes d’EDF pourrait consister à « rompre le lien entre les activités dans le domaine du nucléaire en France et le reste du groupe ». Pour y parvenir, il faudrait faire voter dans la loi la création d’un établissement public, une sorte de retour au statut précédent d’EDF, avant l’ouverture du marché à la concurrence. De l’autre côté, le groupe restant comprendrait un attelage hétéroclite : les activités dans les énergies renouvelables, les services, la fourniture d’électricité aux particuliers, et la distribution, à savoir Enedis (ex-ERDF). Cet assemblage pourrait progressivement être ouvert aux capitaux privés : une manière de renflouer les caisses en attirant les investisseurs effrayés par le nucléaire sur des activités rentables. Une deuxième branche qui ressemblerait étran-

La rente nucléaire au cœur du débat avec Bruxelles c’est un sujet complexe, mais central dans le débat autour de la réorganisation d’EDF : comment répartir le bénéfice de la rente nucléaire ? Les 58 réacteurs du parc français, construits dans les années 1970 et 1980, produisent une électricité compétitive, ce qui permet à la France d’être l’un des pays où l’électricité est la moins chère d’Europe. Mais EDF est dans une situation particulière, puisque le groupe est à la fois opérateur de l’ensemble des centrales nucléaires et fournisseur d’électricité pour environ 80 % des foyers. Une situation que la Commission européenne juge contraire aux règles de la concurrence. Pour éviter un démantèlement du groupe souhaité par Bruxelles, le gouvernement Fillon avait inventé, en 2011, un mécanisme permettant aux concurrents d’EDF d’accéder à la production nucléaire à des conditions avantageuses. Ce dispositif, appelé Arenh (accès régulé à l’électricité nucléaire historique), reposait sur un mécanisme simple : un quart de la production nucléaire peut être préacheté par les fournisseurs alternatifs, s’ils le souhaitent.

EDF en avait accepté le principe à l’époque, en espérant que cela n’aurait pas trop d’impact. Aujourd’hui, la direction du groupe s’est donné comme objectif prioritaire de mettre à bas l’Arenh. « C’est un sujet majeur, car il s’agit d’un risque mortel pour l’entreprise », dramatise un dirigeant, qui estime que le fait de devoir réserver une partie de cette production à des concurrents, sans visibilité et à un tarif fixe et peu cher, fait perdre à EDF des centaines de millions d’euros. Un groupe de travail entre l’entreprise et le gouvernement œuvre à réformer entièrement ce dispositif, qui doit s’achever en 2025. Colère des concurrents Ce système a aujourd’hui deux dimensions essentielles. D’abord, par le biais d’un calcul complexe, il a un impact direct sur les prix de l’électricité. C’est parce que le mécanisme a trouvé ses limites en fin d’année 2018 que les factures d’électricité des particuliers devraient augmenter de 5,9 % en juin. Une hausse qui devait intervenir plus tôt, mais qui a été repoussée par

PERTES & PROFITS | PUBLICIS

nabil wakim

Collaborateur au sein du service des assemblées (H/F)

Le troisième âge de la publicité

En relation avec les services et avec les élus de la collectivité, vous participez à l’organisation et la gestion des réunions des assemblées délibérantes (du Conseil départemental, de la Commission Permanente et des commissions thématiques) et suivez la bonne exécution de leurs décisions. Vous travaillez au sein d’une équipe constituée de 4 agents. Votre mission principale vise à sécuriser et garantir la qualité du processus délibératif de la collectivité dans le cadre de la législation en vigueur et à accompagner les élus dans l’exercice de leur mandat. Sous l’autorité de la Directrice du Secrétariat Général dépendant de la Direction Générale des Services, vous serez chargé(e) : • de la préparation, du suivi des réunions de l’assemblée départementale et des commissions permanentes • du contrôle administratif et juridique des dossiers qui sont soumis aux instances délibératives et de leurs actes d’exécution • de la rédaction de comptes rendus • du conseil aux services • d’informer, conseiller et accompagner les élus dans l’exercice de leur mandat. Vous disposez de bonnes connaissances en droit public en lien avec le fonctionnement des collectivités locales complétées par des notions budgétaires. Doté(e) de capacités rédactionnelles, d’esprit d’analyse et de synthèse, vous faites preuve d’un relationnel aisé, de diplomatie et de fermeté. Vous savez gérer les urgences, et vous adapter aux fluctuations de l’activité (contraintes de présence en phase de préparation des réunions et lors des réunions). Disponible, réactif·ve, discret·e et rigoureux·se, vous maîtrisez les outils informatiques. Une expérience professionnelle acquise dans un poste similaire serait appréciée.

AUDACIEU

puissantes, concevant des campagnes mondiales et jouant sur l’effet de taille pour négocier les prix auprès des diffuseurs. Publicis, né en 1927, était l’un des rois de ce nouveau monde qui s’est épanoui après la seconde guerre mondiale. L’apothéose aurait dû être la fusion entre Publicis et son principal concurrent américain, Omnicom, en 2013. Mariage heureusement raté. Car au même moment s’achevait cet âge d’or avec l’extension infinie du domaine d’Internet. Il ne s’agissait pas d’un transfert de la réclame des journaux vers les sites Web mais d’un changement de paradigme. On ne parlait plus à la masse pour lui vendre une voiture, mais à l’individu. Les données sur l’identité et le comportement des consommateurs sont devenues primordiales. En aval de leur métier, les grands réseaux ont été court-circuités par Google et Facebook, qui parlaient directement aux clients, et en amont par les grands informaticiens champions de l’algorithme, comme Accenture, la première société de service informatique au monde. La lutte s’intensifie et les héros changent de visage. p

na. w.

gement au périmètre actuel d’un autre groupe français, Engie (exGDF Suez), qui a misé depuis quelques années sur une stratégie de ce type. Petit détail qui a son importance : pour respecter les règles européennes, chaque filiale devrait avoir un PDG différent, avec une séparation très claire de ses comptes et de ses activités. Mais une fois ces orientations posées, les questions qui s’ouvrent sont nombreuses. « Il y a deux manières d’envisager cette structure nucléaire : elle peut servir pour la renaissance du nucléaire ou pour la sortie progressive », note un observateur avisé du dossier. Dans l’esprit de la direction d’EDF et de Bercy, le choix est clair : créer cette filiale a pour objectif d’assurer la pérennité de la filière nucléaire et la construction de nouvelles centrales EPR pour le futur. Or, les opérations de mise à niveau des centrales et la mise aux normes post-Fukushima vont encore coûter entre 55 et 75 milliards d’euros. Dans les prochaines années, EDF devra y consacrer quelque 5 milliards d’euros par an. De même, le lancement d’un nouveau programme nucléaire risque d’être particulièrement coûteux. Certes, les nouveaux réacteurs devraient coûter moins cher que l’EPR de Flamanville – qui va coûter plus de 11 milliards d’euros après plus de douze ans de travaux –, mais ils représentent là aussi un investissement considérable qu’EDF n’a plus les moyens d’assumer. Résultat : ce sera à l’Etat – et donc

aux contribuables – de soutenir le colosse aux pieds d’argile qu’est devenu EDF. Là aussi, les détails sont loin d’être réglés. Comment racheter sans se ruiner les participations des actionnaires minoritaires d’EDF pour permettre ce plan ? Comment convaincre la Commission européenne d’un retour aussi massif de l’investissement public dans la production nucléaire ? Avant de pouvoir s’attaquer à la structure du groupe, le gouvernement doit d’abord franchir une étape majeure : réformer le bénéfice de la rente nucléaire. A travers un dispositif complexe appelé Arenh (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique), EDF est tenu de revendre à un prix fixe une part de la production nucléaire à ses concurrents. Ce mécanisme avait été mis en place en 2011 pour convaincre la Commission européenne de ne pas exiger un démantèlement de l’électricien. Il est aujourd’hui considéré par EDF comme un obstacle majeur à sa remise à flot. Une analyse partagée à Bercy. Les fournisseurs alternatifs d’électricité (Engie, Total Direct Energie, etc.) estiment, à l’inverse, que ce mécanisme est trop favorable à EDF. Or, c’est en mettant dans la balance une réforme de l’Arenh que le gouvernement espère convaincre Bruxelles d’accepter une réorganisation qui ferait revenir l’Etat dans une partie du capital. Dans cette bataille très politique, les syndicats d’EDF dénoncent un projet de « démantèlement » de l’entreprise publique. « Ils veulent casser le modèle d’EDF », s’inquiétait, il y a quelques semaines, Sébastien Menesplier, secrétaire général de la fédération CGT Mines-Energie. Car la renationalisation d’une partie de l’appareil de production se ferait au prix de l’ouverture du capital des autres branches du groupe. Autrement dit : la fin du modèle du groupe intégré né en 1946, issu du projet du Conseil national de la Résistance. p

Le Département des Landes recrute pour son Service des Assemblées

p a r p hil ip p e e s ca nde

En annonçant, ce dimanche 14 avril, l’acquisition du spécialiste américain de l’analyse des données de comportement des consommateurs, Epsilon, pour plus de 4 milliards de dollars (3,5 milliards d’euros), le français Publicis participe à l’aventure du troisième âge de la publicité. Dans son grand roman Illusions perdues, Balzac (1799-1850) raconte la naissance des journaux… et de la publicité, qui bouclait leurs fins de mois (déjà) difficiles. Le modèle économique était plutôt rustique. L’Opéra, le théâtre, achetaient quelques centaines d’abonnements à la revue, en échange d’une critique de la pièce. Discutable sur le plan éthique, ce procédé à permis l’éclosion d’une presse réservée à une élite parisienne, celle des hôtels particuliers, des soirées mondaines et des fiacres au bois de Boulogne. La démocratisation du savoir et de la consommation du XXe siècle a donné naissance à un monde plus sophistiqué de réclames et d’affiches, puis de spots radio et télé. Pour gérer cette communication de masse, les médias se sont professionnalisés, et la publicité aussi. Des agences de plus en plus

le gouvernement pour cause de mouvement des « gilets jaunes ». Surtout, l’Arenh est une forme de garantie pour Bruxelles qu’EDF n’abuse pas de sa position dominante. « C’est en fait le sujet numéro un pour EDF et l’Etat français auprès de la Commission européenne », assure un proche de l’entreprise publique. Autrement dit : pour « vendre » à Bruxelles la réorganisation d’EDF, il faut en passer par une renégociation de ce dispositif. En séparant les activités de production et de fourniture d’électricité, le gouvernement peut plaider qu’EDF n’est plus un monopole qui contrôle tous les maillons de la chaîne. Mais Bruxelles exigera une étanchéité très grande entre les deux structures pour accepter de réformer l’Arenh. Les concurrents d’EDF voient tout cela d’un très mauvais œil : « EDF risque de gagner sur tous les tableaux, note le dirigeant d’un groupe concurrent. Si ça continue comme ça, ils vont se faire renflouer par l’Etat et supprimer le mécanisme qui permet la concurrence ! » p

Dans le climat actuel, toute réorganisation pourrait être interprétée comme un démantèlement

Conditions à remplir : Recrutement par voie statutaire sur le cadre d’emplois des Attachés ou Rédacteurs territoriaux (mutation, détachement, liste d’aptitude). Poste à pourvoir dès que possible Merci d’adresser votre dossier de candidature avec les éléments suivants au plus tard le 26 avril 2019, dernier délai : CV détaillé, lettre de motivation, dernier bulletin de salaire, dernière situation administrative pour les fonctionnaires et le dernier entretien professionnel : • Par courrier à M. le Président du Conseil départemental des Landes, Direction des Ressources Humaines et des Moyens, Hôtel du Département, rue Victor Hugo, 40025 MONT-DE-MARSAN CEDEX • par mail à : drh.recrutement@landes.fr Renseignements : Mme Laure BEORLEGUI, Responsable du Service des Assemblées, 05 58 05 40 40 poste 8021

www.landes.fr


14 | économie & entreprise

0123 MARDI 16 AVRIL 2019

Le plastique, incontournable et incontrôlé EN SOIXANTE-QUINZE ANS, LES HUMAINS ONT GÉNÉRÉ :

Une production de plus en plus massive, notamment pour les emballages PRODUCTION MONDIALE DE PLASTIQUE, en millions de tonnes par an

8,3 milliards de tonnes

396 millions

400

DEMANDE DE MATIÈRES PLASTIQUES EN EUROPE en 2017, selon la finalité, en %

de matières plastiques

40 % Emballages

Soit

53 kg

350

de plastique

313 300

Bâtiment

19,4

La moitié de l’ensemble du plastique produit depuis 1950 l’a été entre 2000 et 2016

Automobile

10

250

soit l’équivalent du poids de

DOSSIER

L

a différence avec la génération précédente est que nous ne pourrons pas dire à nos enfants qu’on ne savait pas et qu’on ne pouvait rien faire. » Raphaël de Taisne, 30 ans, a misé sur l’exemplarité pour commercialiser, en 2014, sa marque de boissons bio, Yumi. Le choix a porté sur des bouteilles en plastique biodégradable issu de résidus de canne à sucre. Comme lui, de nombreux jeunes dirigeants sont convaincus de l’urgence. Dans un rapport de 2018, les Nations unies estiment que la pollution par les déchets en plastique est « l’un des plus grands fléaux environnementaux de notre temps ». Le message commence tout juste à s’imposer : l’âge du plastique à tout-va, pilier de la consommation à outrance des « trente glorieuses », touche à sa fin. « Les grandes marques ont amorcé un changement de stratégie vis-à-vis du plastique il y a seulement deux ans pour les pionnières, confie Laurent Auguste, directeur chargé du développement innovation et marchés du groupe Veolia. Du côté de la pétrochimie, c’est à l’été 2018 que les patrons des grands groupes mondiaux se sont alliés pour en faire une priorité. » Ce qui a abouti à l’annonce de la création, en janvier, de l’Alliance internationale pour l’élimination des déchets plastiques, qui réunit une trentaine d’entreprises mondiales – BASF, Total, Henkel, Procter & Gamble, Veolia, Suez… – pour investir 1,5 milliard de dollars sur cinq ans dans la réduction et la gestion des déchets plastiques dans une logique d’économie circulaire. DES INTERDICTIONS D’USAGE

Ces premiers pas ont été décidés sous la pression récente de l’opinion publique, alertée par plusieurs ONG comme la Surfrider Foundation ou la Fondation Ellen MacArthur, très actives sur ce dossier. Leur communication a eu d’autant plus d’impact que la pollution est visible : les films montrant des espèces protégées, comme des tortues, des dauphins ou des hippocampes, prisonniers d’anneaux de plastique ou ayant ingéré des déchets ont accéléré une prise de conscience massive. Et « la révélation d’un septième continent de matières plastiques attirées par les courants marins au milieu des océans a été un déclencheur », se rappelle Bernard Pinatel, directeur général raffinage-chimie chez Total. Cette prise de conscience se concrétise par des changements d’habitude de consommation chez certains et, surtout, sur le plan politique par des interdictions d’usage. Le mouvement a été amorcé en 2011 avec la campagne « Ban the Bag » (« interdisons les sacs »)

213

200

pour chaque habitant de la planète en 2016

150

30,6

MATÉRIAUX LES PLUS FABRIQUÉS DANS LE MONDE

120

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plastique

1er ciment

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2

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1950

1960

2e acier

0

1970

1980

1990

2000

2016

SOURCES : WEF, WFF, SCIENCES MAG (GEYER, JAMBECK ET LAVANDER LAW), UNEP, COMMISSION EUROPÉENNE, FONDATION ELLEN MACARTHUR

L’adieu au plastique Développement du recyclage, mise au point de solutions de substitution… En réponse au fléau de la pollution due aux déchets plastiques, c’est toute l’industrie – de la pétrochimie à la grande distribution – qui amorce une mue à marche forcée

de la Surfrider Foundation. Elle a conduit en 2015 à l’adoption d’une première directive européenne appelant à réduire l’usage des sacs en plastique. Transposée en France dans le cadre du Grenelle de l’environnement, elle a abouti à une interdiction, au 1er juillet 2016, des sacs en plastique de caisse distribués dans les commerces. Depuis, les interdictions se sont concentrées sur les plastiques d’emballage ou plastiques à usage unique. Selon un rapport du WWF, ils représentent 40 % de la production mondiale en 2016 et figurent en bonne place parmi les 8 millions de tonnes de plastiques qui se retrouvent chaque année dans les océans. En mars, un accord a été signé à Nai-

robi par 170 pays en faveur d’un « engagement à réduire significativement » les plastiques à usage unique d’ici à 2030. Un cran audessus, l’UE a franchi le pas fin mars en adoptant une directive interdisant totalement ces plastiques à partir de 2021. « L’instrument juridique le plus ambitieux du monde en matière de déchets marins », s’est félicitée la Commission européenne. Cette accélération est aussi liée à l’émergence d’un risque sanitaire, noté pour la première fois en 2018 dans le rapport des Nations unies. Le document met en évidence la perméabilité de notre chaîne alimentaire aux plastiques, par l’intermédiaire des microplastiques (des particules dispersées en

« LA RÉVÉLATION D’UN SEPTIÈME CONTINENT DE MATIÈRES PLASTIQUES AU MILIEU DES OCÉANS A ÉTÉ UN DÉCLENCHEUR » BERNARD PINATEL

Total

A Amiens, l’intelligence artificielle au service du recyclage où vont les déchets recyclables que l’on dépose dans les poubelles de tri sélectif ? Pour douze collectivités du département de la Somme, ils commencent par être déversés par les camions de collecte dans l’immense hangar de l’usine Veolia, en périphérie d’Amiens, où flotte une odeur douceâtre. Deux équipes de onze personnes se relaient chaque jour pour sélectionner et séparer dans cette masse douze matières premières (aluminium, acier, carton, papier, PET clair, PET foncé, film plastique…). Celles-ci sont ensuite conditionnées dans de grandes balles homogènes pour être recyclées dans des filières spécifiques. Depuis sa création en 1998, le centre de tri d’Amiens a été plusieurs fois modernisé. « Avant 2013, l’ensemble des opérations de tri étaient réalisées par les opérateurs, rappelle Philippe

Autres

822 000 tours Eiffel

Herdhebaut, le directeur du site. Depuis, un premier tri par séquence est réalisé par des machines, des trommels et des souffleries, qui séparent les grandes familles de déchets. Un tri optique, conçu par Veolia, a aussi été introduit en 2016. L’objectif était d’abord d’améliorer les conditions de travail et, en particulier, de réduire les contacts avec des déchets dangereux. » En fin de ligne, dans une cabine insonorisée où une forte ventilation a été installée, les agents situés de part et d’autre de deux tapis roulants ont les yeux rivés sur les déchets qui défilent. « Les opérateurs n’interviennent plus qu’en contrôle du tri mécanique pour en assurer la qualité, précise Philippe Herdhebaut. Les cadences restent importantes. Pour éviter les troubles musculaires et osseux, nous avons mis en place des procédures, comme

une gymnastique de 10 minutes avant le démarrage, un changement de poste toutes les heures et des postes qui s’adaptent à la taille de l’opérateur pour que le mouvement soit le plus fluide possible. » Extension des consignes de tri A côté des opérateurs, une cabine spécifique a été construite pour accueillir, en avril 2018, une machine d’un nouveau genre. Six mois de réglages ont été nécessaires pour qu’elle se constitue une photothèque de déchets. Aujourd’hui, le robot Max-AI détecte et sépare, au rythme de 3 600 gestes par heure (contre 2 200 pour un opérateur humain) les plastiques qui n’ont pu être retirés de la ligne des papiers. « L’intelligence artificielle nous aide à faire face à l’extension des consignes de tri, mise en place en 2016 pour

les collectivités de la Somme clientes de Veolia, explique Philippe Herdhebaut. Cette simplification, pour les ménages, de l’usage de leur poubelle jaune nous apporte des volumes en augmentation de 30 %, des objets plus légers, donc plus difficiles à trier, et une plus grande variété de plastiques. » L’opération, qui était simple quand les seuls plastiques étaient les bouteilles, est devenue incroyablement complexe quand on y ajoute pots, barquettes, films alimentaires, tubes de dentifrice… Veolia vient de remporter pour quinze ans le marché de la collecte et du tri des agglomérations de Nantes et de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), qui adoptent l’extension des consignes de tri. Le groupe prévoit d’y installer deux robots Max-AI d’ici à la fin de l’année. p t. m. (à amiens)

mer ou sur terre dont la taille est inférieure à 5 millimètres) ingérés par les poissons et les hommes, et aux produits chimiques ajoutés lors de la fabrication du plastique. A l’issue de ce constat, toutes les études, celle de l’ONU comme le dernier bilan du WWF, déplorent le manque de connaissances scientifiques concernant ses effets sur la santé humaine. Encore incertaine, l’ampleur du risque n’en est pas moins prise au sérieux par les industriels. Leur angoisse : un bouleversement tel que le connaît aujourd’hui le secteur automobile post-« dieselgate », obligé de basculer à marche forcée vers des technologies alternatives malgré les milliers d’emplois en jeu. British Petroleum, dans son dernier exercice de prospective (« BP Energy Outlook 2019 »), élabore un scénario d’interdiction mondiale des plastiques à usage unique à partir de 2040. Une telle mesure représenterait une économie de 4 millions de barils de pétrole par jour, estime la compagnie. Sans interdiction, on assisterait sur vingt ans à une progression de la demande de 2 millions de barils par jour. Les industriels fourbissent leurs armes, en privilégiant pour l’instant le recyclage par rapport à la substitution pure et simple. « Dès 2015, notre PDG, Patrick Pouyanné, a posé comme ambition pour Total de répondre aux objectifs imposés par la COP21 en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Cela passe, pour le groupe, par le développement des biocarburants et du recyclage », explique Bernard Pinatel. Et la major française ne lésine plus sur les moyens : elle vient d’acquérir le spécialiste du recyclage du polypropylène Synova, s’investit dans l’Alliance internationale pour l’élimination des déchets plastiques, a mis en service, en décembre 2018, son usine thaïlandaise de plastiques biosourcés et en prévoit une deuxième d’ici trois ans. Surtout, Total a investi dans une expérience pilote pour trouver une solution de re-


économie & entreprise | 15

0123 MARDI 16 AVRIL 2019

Une matière polluante tout au long de son cycle de vie

Un retraitement insuffisant, notamment dans les pays pauvres

En Europe, des fortes disparités de gestion

LE PLASTIQUE EST SOUVENT ISSU DU PÉTROLE

DEVENIR DES DÉCHETS PLASTIQUES GÉNÉRÉS DANS LE MONDE EN 2016

TAUX DES DÉCHETS PLASTIQUES MIS EN DÉCHARGE en 2016

90 %

Déchets mal gérés

Déchets gérés

du plastique est produit grâce aux matières premières fossiles, notamment le pétrole

63 %

37 % dont

Soit

6%

de la consommation mondiale de pétrole

Soit

la consommation du trafic aérien mondial

20 %

Décharge contrôlée*

Recyclage

10 % à 30 %

dont 15 % Incinération

25 %

12 %

30 % à 50 %

Déchets non collectés, jetés sur le sol, dans les eaux douces ou en zones marines

Décharge non contrôlée

Plus de 50 %

PART DES DÉCHETS MAL GÉRÉS DANS LE TOTAL DES DÉCHETS PLASTIQUES GÉNÉRÉS EN 2016, en %

1%

390 millions de tonnes de CO2 émises en 2012 du fait de la production et de l’incinération de plastique

(correspond aux émissions de CO2 de l’Italie)

28 %

0 % à 10 %

Pays à revenu élevé

90 %

Pays à faible revenu

Entre 70 % et 80 % des déchets marins sont des déchets plastiques

6 300 millions de tonnes de déchets plastiques générés depuis 1950, dans le monde

*avec compactage, couverture du sol, surveillance des gaz...

cyclage pour le Polystyrène, dont la consommation française (110 000 tonnes) provient principalement de son site de Carling (Moselle). Cette résine, que l’on retrouve dans les pots de yaourt, n’est pas facilement recyclable aujourd’hui (seules deux usines en Espagne et en Allemagne peuvent le recycler, mais dans des matières très dégradées, pour en faire des cintres ou des pots de fleurs). Ce projet d’ampleur, prévu pour 2020, a associé l’ensemble de la filière, et notamment l’écoorganisme des déchets ménagers Citeo ainsi que Syndifrais, le syndicat national des fabricants de produits laitiers frais. L’OBSTACLE DU POUVOIR D’ACHAT

L’affaire est d’importance pour un groupe comme Danone, administrateur influent de Citeo, qui souhaiterait faire aussi bien avec ses produits laitiers qu’avec ses bouteilles d’eau : dès mai, la bouteille de Volvic sera fabriquée à 100 % à partir de polytéréphtalate d’éthylène (PET) recyclé. Le groupe affirme « réfléchir à une expérimentation d’utilisation de matériaux biosourcés PLA » pour sa seule marque bio Les 2 Vaches. La prise de conscience, au sein des marques grand public, concerne les segments haut de gamme, siglés bio ou premium, pour lesquels les consommateurs sont prêts à payer le coût. A côté du Polystyrène, de nombreuses filières de recyclage restent à actionner, comme celle sur les films plastiques ménagers. Une PME française, Machaon, basée à Châlons-en-Champagne, est la seule en Europe à avoir développé une solution pour recycler la résine de polyéthylène basse densité (PEBD), dont la collecte ne pèse actuellement que 20 000 tonnes mais qui atteindra 80 000 tonnes en 2022, avec l’extension des consignes de tri. « Notre défi, aujourd’hui, est de trouver des marchés pour écouler les matières recyclées, explique son dirigeant, Mathieu Le Bigot. Notre client, le groupe Sphère, qui produit des sacs-poubelles, ne peut absorber toute notre production, dont une partie repart en Chine faute de demande. Il faut que les grandes marques, comme Nestlé, avec qui nous sommes en discussion, réclament à leurs fournisseurs d’intégrer une part de matière recyclée dans leurs emballages. » Car le plastique vierge reste très bon marché à produire, ce qui bloque le développement du recyclage. Comme le souligne le rapport du WWF, « la baisse des coûts de production a accéléré la production de plastique vierge, atteignant 396 millions de tonnes en 2016. Le prix actuel du plastique vierge sur le marché ne tient pas compte de l’ensemble des coûts qu’il fait peser sur la société et la nature ». Résultat, sur les 60 millions de tonnes produites en Europe, 25 millions de tonnes sont collectées et seulement 7 millions sont incinérées ou recyclées. On est donc encore très loin du compte.

« On pourrait faire beaucoup mieux, plaide Jean-Louis Chaussade, le directeur général de Suez, qui deviendra en mai président du conseil d’administration. Mais le recyclage est une industrie de coûts fixes qui reste très sensible au prix de la matière vierge. Quand le prix du baril de pétrole a baissé, nos usines n’ont plus été compétitives. Chaque année, Suez collecte environ 400 000 tonnes de plastiques en Europe, pour n’en recycler seulement que 140 000, car la filière n’est pas rentable pour que le groupe fasse plus. Le gouvernement ne peut pas juste réclamer une augmentation du recyclage, il faut aussi créer un marché avec une véritable demande pour les matières recyclées, même si elles sont plus onéreuses que les matières vierges. Aucun acteur important n’investira s’il n’est pas certain qu’il y aura à long terme de la rentabilité. » Cette vérité des prix se heurte directement aux revendications de pouvoir d’achat. Une contradiction que souhaite dépasser Brune Poirson, secrétaire d’Etat auprès du ministre de la transition écologique et solidaire, dans le projet de loi sur l’économie circulaire qu’elle présentera avant l’été. « J’entends répondre aux demandes des Français qui se sont exprimées lors du grand débat (…) en faveur de la lutte contre les déchets plastiques, at-elle affirmé lors de la présentation du “pacte national sur les emballages plastiques”, le 21 février, où une dizaine de grandes marques et de distributeurs ont pu annoncer

« LE PRIX ACTUEL DU PLASTIQUE VIERGE NE TIENT PAS COMPTE DE L’ENSEMBLE DES COÛTS QU’IL FAIT PESER SUR LA SOCIÉTÉ ET LA NATURE », SOULIGNE UN RAPPORT DE WWF

INFOGRAPHIE : MARIANNE BOYER, MAXIME MAINGUET

leurs engagements. Mais je vais exiger que ce soit bien aux industriels de la filière de faire des efforts : ils devront prendre à leur charge les surcoûts engendrés par ces mesures en faveur de la transition écologique. » Elle prévoit ainsi d’intégrer un bonus-malus allant jusqu’à 10 % du prix des produits, afin que celui intégrant de la matière recyclée soit moins cher. Une baisse de la TVA sur le recyclage est également annoncée. L’autre levier, pour aboutir à 100 % de recyclage en 2025, est l’extension du tri à tous les emballages plastiques d’ici à 2022 sur tout le territoire. « Cette simplification du tri des plastiques pour les ménages permettra de doubler le taux de recyclage, qui est aujourd’hui de 26 %, des 1,15 million de tonnes de plastiques captées », anticipe Jean Hornain, directeur général de Citeo. DES INNOVATIONS TOUS AZIMUTS

Evidemment, le plus radical serait de se passer totalement du plastique. Le groupe Carrefour est en train de prendre une longueur d’avance sur cette option. Outre une participation au projet Loop d’e-commerce avec emballages consignés, le groupe a annoncé la suppression des emballages plastiques des fruits et légumes bio ou la possibilité offerte aux clients d’apporter leurs propres contenants alimentaires. « Nous lançons cette année un accélérateur, en partenariat avec Système U, explique Bertrand Swiderski, le direc-

teur du développement durable. Celui-ci va sélectionner les besoins d’innovation et les alternatives disponibles sur le marché pour éviter d’utiliser du plastique. Cela se concrétisera dès la fin de l’année dans nos rayons par le biais de notre gamme de produits à marque distributeur. Nous attendons les candidatures d’une centaine de start-up d’ici à juin. » L’innovation sera la clé. Elle peut émerger d’une PME, telle qu’Apifilm, en Picardie, qui a mis au point un emballage alimentaire à partir d’une toile de coton enduite de cire d’abeille. Ou d’une start-up, comme la toulousaine Le Drive tout nu, qui prépare des courses dans des contenants réutilisables (bocaux, cartons) et qui les lave une fois rendus. Les changements d’échelle nécessiteront surtout beaucoup de capitaux. « Depuis plus de deux ans, nous avons investi 200 millions d’euros dans une machine qui peut aujourd’hui produire jusqu’à 400 000 tonnes par an de carton à la fois complètement imperméable, apte au contact alimentaire et très facilement recyclable car sans ajout de plastique, s’enthousiasme Markku Hämäläinen, président du groupe finlandais Kotkamills. De quoi répondre à la demande en Europe de gobelets de café, d’emballages de surgelés, de hamburgers… » Il serait temps. Avec 250 milliards de gobelets consommés chaque année dans le monde, on est encore loin du zéro déchet. p thierry mestayer

« Les consommateurs ont été très peu responsabilisés » matthieu glachant est professeur à l’Ecole des mines de Paris, directeur du Cerna, le Centre d’économie industrielle de Mines ParisTech. Economiste de l’environnement et de l’énergie, il a coprésidé, avec le député Matthieu Orphelin (ex-LRM), le groupe de travail fiscalité et financement qui a préparé la feuille de route pour l’économie circulaire que le gouvernement a dévoilée le 23 avril. L’objectif des pouvoirs publics d’aboutir à 100 % de plastiques recyclés en 2025 est-il réaliste ? Il est maximaliste. Cela fait partie d’un jeu des politiques environnementales de brandir des objectifs extrêmes qu’on sait ne jamais pouvoir atteindre. Il y a néanmoins des acquis qui marquent une véritable accélération. La feuille de route économie circulaire (FREC) a notamment débouché, dès la loi de finances pour 2019, sur une forte augmentation, jusqu’en 2025, de la taxe générale sur les

activités polluantes (TGAP), qui touche les déchets mis en décharge et incinérés. La FREC a aussi acté, même si cela n’a pas été encore intégré dans la loi de finances, une baisse de la TVA sur les activités de recyclage et de récupération. Ce qui est une manière de les subventionner. Dernière chose : les normes sur les incinérateurs et les décharges ont été rehaussées, ce qui a augmenté leur performance environnementale et renchéri leur coût d’utilisation. Couplées avec les aides de l’Ademe en faveur de l’innovation dans l’économie circulaire, cela fait un ensemble tout de même vertueux. Pour accélérer, faudrait-il augmenter le prix de l’écocontribution payée par les industriels ? Cette pseudo-fiscalité représente un montant financier non négligeable, plus important que la TGAP. Sur les emballages, nous avons, avec Citeo, un signal prix qui est aujourd’hui significatif et incitatif, avec une assiette à la

tonne qui invite à réduire le poids et une partie fixe à l’unité qui décourage la multiplication des emballages. Sur le plastique, le sujet est aussi de favoriser l’utilisation par les industriels des matériaux les plus facilement recyclables. Or le système n’a pas été conçu pour substituer aux plastiques d’autres emballages, comme la brique Tetra Pak pour les boissons, mais pour financer le recyclage. Les cahiers des charges des éco-organismes comme Citeo, homologués par l’Etat, sont d’ailleurs extrêmement précis sur les taux de recyclage, mais très imprécis sur les objectifs de réduction de la production de déchets. Quelle serait la première mesure à prendre pour réduire les volumes de déchets ? Les consommateurs ont été très peu responsabilisés : ils paient la collecte et le traitement par une fiscalité qui est basée sur la valeur locative des logements – la taxe d’enlèvement sur les

ordures ménagères. Avec ce système, vous payez le même montant quelle que soit votre production de plastiques. L’incitation à réduire sa pollution est nulle. C’est le modèle dominant aujourd’hui par rapport à celui de la redevance d’enlèvement des ordures ménagères. Avec ce système, 6 millions de Français paient une facture calculée au prorata de leur production de déchets non recyclables, la tarification des déchets recyclables restant, elle, au forfait. Une étude du conseil général du développement durable de 2016 montre que cette tarification a un impact très fort. Son premier bénéfice est pédagogique, en faisant prendre conscience aux ménages que la gestion des déchets coûte cher. Autres avantages : une augmentation des volumes de tri de 30 % et une réduction de 10 % de la quantité totale de déchets. Des résultats qui devraient inspirer les pouvoirs publics à l’étendre plus largement. p propos recueillis par t. m.


16 | sports

0123 MARDI 16 AVRIL 2019

Le retour au sommet de Tiger Woods Le golfeur américain, dont les problèmes de dos avaient stoppé la carrière, a remporté le Masters d’Augusta GOLF

S

i les chats ont sept vies, alors le « Tigre » en a au moins deux. Voilà peutêtre l’explication la plus rationnelle à l’improbable renaissance de Tiger Woods. Onze ans déjà que l’Américain attendait un nouveau titre dans un majeur, l’un de ces quatre tournois qui rythment chaque saison. Une éternité pour un golfeur, comme pour n’importe quel sportif. Jusqu’à ce dimanche 14 avril aprèsmidi et ce poing brandi en l’air, ce poing final pour fêter sa victoire au Masters d’Augusta. Cette histoire à l’américaine contient des hauts et des bas, des larmes de joie comme de tristesse. Elle plairait aux scénaristes d’Hollywood, mais vient plutôt de se dérouler dans l’Etat de Géorgie, de l’autre côté des Etats-Unis. Le héros a 43 ans. Des cheveux en moins, depuis le temps, mais un titre en plus.

LES CHIFFRES 15 Tiger Woods a remporté 15 tournois majeurs : le Masters d’Augusta (5 fois entre 1997 et 2019), l’Open américain (3 fois entre 2000 et 2008), l’Open britannique (3 fois entre 2000 et 2006) et l’USPGA (4 fois entre 1999 et 2007). Il compte également 81 victoires dans le circuit américain, le PGA Tour.

1 SUR 8 Le golfeur n’a pas connu le même succès dans la compétition par équipes la plus prestigieuse : en huit participations avec les Etats-Unis, il compte seulement une victoire en Ryder Cup (1999) pour sept défaites face aux meilleurs Européens.

4 Handicapé par de lourds problèmes de dos, Tiger Woods a subi quatre opérations entre 2014 et 2017.

« Je ne pouvais plus marcher, je ne pouvais plus rester assis ou allongé, je ne pouvais plus rien faire » TIGER WOODS

« Cette victoire est peut-être l’une des plus belles à cause de tout ce qui s’est passé avant », résume l’intéressé, au terme de ce énième succès. Soyons précis : au terme de son quinzième succès en majeur, qui le conforte dans son statut de golfeur le plus titré encore en activité. Le plus miraculé, aussi, après tant de douleurs : entre mars 2014 et avril 2017, la légende a eu mal au dos. « Je ne pouvais plus marcher, je ne pouvais plus rester assis ou allongé, je ne pouvais plus rien faire. » En trois ans, quatre opérations. La quatrième, une fusion de vertèbres, lui a redonné « une chance d’avoir une vie normale. Et tout à coup, je me suis aussi rendu compte que je pouvais de nouveau jouer au golf. J’ai eu le sentiment que je pouvais remettre toutes les pièces du puzzle en place pour pouvoir bien jouer et même gagner. » Plutôt lucide, Tiger Woods estime aujourd’hui avoir « toujours de bonnes mains ». Le quadragénaire compense comme il peut ce qu’il a perdu en puissance physique, qualité qui a d’abord fait sa singularité. A la fin des années 1990, il fallait voir l’effet produit sur le grand public. Le jeune homme bousculait les habitudes : avec lui, le cliché du golfeur ventripotent s’estompait devant cet athlète habitué des salles de gym pour prendre du muscle. D’une décennie à l’autre, toujours ces mêmes casquettes noires, toujours ces mêmes polos rouges. C’est que le golfeur a un équipementier à exhiber. Sa notoriété dépasse celle de son sport, et les marques l’ont très bien compris. Les contrats publicitaires ont longtemps fait de lui le sportif le mieux payé au monde. Même après le scandale de ses

Tiger Woods célèbre sa victoire au Masters d’Augusta (Géorgie), dimanche 14 avril, KEVIN C. COX/AFP

tromperies : en 2010, le comportement volage de Woods poussait au divorce la top model suédoise Elin Nordegren. Une période troublée Il y a deux ans, le père de deux ans enfants a dû présenter ses excuses pour une autre raison. En mai 2017, un mois après son ultime opération, il se faisait arrêter dans la nuit. A 3 heures du matin, près de sa résidence floridienne, la police le retrouvait en petite forme : somnolant au volant de sa voiture, au bord de la route, pare-chocs embouti. « Je veux que le public sache qu’il n’y a pas d’alcool là-dedans. Ce qui s’est passé est une réaction inattendue à une prescription médicale », avait-il assuré dans USA Today. Les sponsors continuent, semble-t-il, de croire en lui. Selon le

classement du magazine Forbes, ses revenus en 2018 le placent encore à la 16e place des sportifs les mieux payés : 43 millions de dollars (38 millions d’euros) il y a un an, alors même qu’il revenait à peine à la compétition. Aux Etats-Unis, la Maison Blanche a également affiché son soutien. Dimanche, sur Twitter, le président Donald Trump a fait parler son expertise golfique pour saluer « un vraiment grand champion ». Son prédécesseur Barack Obama a, pour sa part, remercié ce « symbole d’excellence, de courage et de détermination ». Depuis ses débuts, Tiger Woods incarne aussi un autre symbole positif : celui d’une Amérique métissée (père noir, mère asiatique). A plus forte raison dans un sport comme le golf, longtemps resté l’apanage des Blancs : la première

Trump a salué « un vraiment grand champion » et Obama a remercié ce « symbole de courage » participation d’un golfeur afroaméricain (Lee Elder) au Masters d’Augusta date seulement de 1975. Tiger Woods a d’abord fait son entrée dans l’histoire pour des records de précocité. En 1997, il remportait son premier majeur, déjà à Augusta. De quoi devenir le plus jeune vainqueur dans l’histoire de la compétition (21 ans, 3 mois et 14 jours), puis le plus jeune nu-

méro un mondial de son sport (quarante-deux semaines seulement après son passage chez les professionnels). Aujourd’hui, le « revenant » pourrait songer à un autre record. Avec désormais quinze titres majeurs, il se rapproche de son compatriote Jack Nicklaus, l’homme aux dix-huit trophées entre 1962 et 1986. « Honnêtement, je n’y ai pas encore pensé une seule seconde. Je suis sûr que cela viendra plus tard. Ou pas », ajoute Tiger Woods, comme s’il voulait de nouveau ménager ses effets. Le « Tigre » a encore un peu de temps, si l’on se fie aux temps de passage de son aîné, alias l’« Ours d’or » (« Golden Bear ») : Jack Nicklaus avait remporté son 18e et dernier majeur à l’âge respectable de 46 ans. p adrien pécout

Cette année, Evaldas Siskevicius était à l’heure à Roubaix En 2018, le coureur lituanien avait fait sensation en finissant derrière la voiture-balai. Dimanche 14 avril, il a pris la neuvième place

CYCLISME roubaix (nord) - envoyé spécial

C

ette fois, la grille était ouverte. Le public était encore dans les gradins du vélodrome de Roubaix, réchauffé au houblon et par la victoire du « local » Philippe Gilbert. Dimanche 14 avril, Evaldas Siskevicius a sprinté avec l’énergie qui lui restait, pris la neuvième place de Paris-Roubaix, et regardé sa montre : 17 h 12. « Je voulais finir Paris-Roubaix une heure plus tôt que l’année dernière et vous savez quoi ? J’ai fini 1 h 03 plus tôt, donc je suis content. » Le Lituanien arbore les couleurs de la petite équipe Delko Marseille-Provence et un sourire d’enfant : à 30 ans, il vient de boucler la plus belle course de sa carrière à l’endroit même qui lui avait valu une célébrité bouleversante au début, humiliante à la longue. En 2018, « Siske » était arrivé au moment où les organisateurs fermaient le vélodrome, abandonné par la voiture-balai sur ordre de la direction, car les routes devaient rouvrir dans l’agglomération lilloise. En un regard, le

Une énième crevaison l’avait forcé à récupérer une roue arrière dans sa voiture… placée sur la dépanneuse préposé à la grille avait compris que Siskevicius était décidé à goûter à son tour et demi sur le vélodrome, et l’avait rouvert. Il était 18 h 15 environ et un photographe avait capté l’instant. Plus tôt, une caméra de la chaîne flamande Sporza, dans la voiturebalai, avait aussi donné à voir l’abnégation du coureur : une énième crevaison dans le carrefour de l’Arbre l’avait forcé à récupérer une roue arrière dans sa voiture… placée sur la dépanneuse, car ellemême n’avait pas eu de bol, ce jour-là. Siskevicius, au lieu de rentrer au chaud dans la voiture-balai, l’avait ensuite laissée filer et rallié le vélodrome dans la circulation,

avec l’obligation de s’arrêter aux feux rouges. Quelques jours plus tard, au site Directvélo, il avait donné une explication pleine de bon sens terrien : « C’est comme toute chose de la vie : quand tu commences, tu dois finir. » « L’année dernière, c’était difficile, dit-il un an plus tard dans un français parfait, mâtiné d’accent balte. Là, je ne vous cache pas que lorsque je suis entré dans le bus, les larmes ont commencé à couler. J’ai parlé avec ma femme et ça va mieux. Au début, les messages me faisaient énormément plaisir, mais après, c’était devenu un peu vexant. Tout le monde me parlait de ça et quand on est cycliste, on est fier que l’on parle de ses résultats. » « Ça l’a piqué au vif » Ses employeurs lui parleront sans doute longtemps de sa neuvième place à Roubaix, qui fait de la petite Delko la meilleure équipe française sur l’« enfer du Nord ». Un premier résultat à ce niveau que Siskevicius est allé chercher avec les jambes et la tête, prenant l’initiative d’attaquer ce qu’il restait du peloton à

20 kilomètres de l’arrivée pour prendre un peu d’avance en vue des deux derniers secteurs pavés les plus difficiles. Ce n’est qu’à l’entrée du carrefour de l’Arbre qu’il était repris par un groupe d’outsiders, auquel il s’accrochait avec les dents avant de sprinter pour une place dans les dix premiers sur la ligne. Avant cela, son Paris-Roubaix avait été un miroir inversé du pré-

cédent : ni chute, ni crevaison, ni problème mécanique. Et surtout des jambes de rêve, après des semaines avec un entraînement adapté, tourné vers cet objectif. Cet hiver, Evaldas Siskevicius avait semblé vacciné de cette course qu’il regardait à la télévision étant enfant, à Vilnius. Hors de question pour lui de la remettre à son programme, mais les directeurs sportifs avaient insisté :

Quatrième « monument » pour Gilbert En remportant, dimanche 14 avril, Paris-Roubaix, qu’il courait seulement pour la troisième fois, le Belge Philippe Gilbert, 36 ans, s’est adjugé le quatrième « monument » cycliste de sa carrière : il ne lui manque plus qu’une victoire à Milan-Sanremo pour rejoindre les trois coureurs des années 1960 et 1970 (Rick Van Looy, Eddy Merckx, Roger De Vlaeminck) qui ont gagné les cinq plus grandes classiques, les fameux « monuments » : Milan-Sanremo, le Tour des Flandres, Paris-Roubaix, Liège-Bastogne-Liège et le Tour de Lombardie. Après de nombreux succès dans d’autres épreuves, le Wallon s’est tourné tardivement vers les classiques de pavés. « Quand j’ai décidé de m’y mettre à fond, beaucoup de gens ont dit que ce n’était pas pour moi, a expliqué Gilbert. Je suis devenu un coureur un peu différent et j’ai gagné le Tour des Flandres [en 2017]. » Le Belge aspire toujours à gagner les cinq monuments, « un rêve un peu fou que j’ai eu voici une dizaine d’années ».

Paris-Roubaix était fait pour ce gros rouleur, courageux et de solide constitution. « Sans doute que l’expérience de l’année dernière, et les quantités de chambrages qu’il y a eus, ça l’a un peu rebuté », suppose Andy Flickinger, son directeur sportif. Qui confesse que l’équipe ne s’est pas retenue, durant des mois, de le charrier sur cet épisode « un peu spécial pour un coureur ». Au point que le Lituanien a abordé l’édition suivante le mors aux dents. « Il ne voulait pas qu’on parle de lui comme d’un coureur qui va chercher le pain le dimanche et est tout juste capable de finir Paris-Roubaix. » Son entraîneur, Kevin Rinaldi, dont il est voisin dans la région de La Ciotat (Bouches-du-Rhône), confirme que si « ce buzz pouvait sembler rigolo de l’extérieur, ça l’a piqué au vif de montrer ce visage-là. Il était extrêmement revanchard ». Lundi, Evaldas Siskevicius a prévu de se poser devant la télévision et de revoir la course en intégralité. Il pourra même se voir franchir la ligne d’arrivée. p clément guillou


carnet | 17

0123 MARDI 16 AVRIL 2019

Dominique Stéhelin

Le Carnet

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Biologiste

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AU CARNET DU «MONDE»

Naissance Françoise et Pierre VELTZ Suzanne et Gérard RICCI, ont l’immense joie de faire part de la naissance, à Nice, de

Clara, sœur de

Robin,

chez Marie VELTZ et Pierre RICCI.

Décès En 1988. AP

de

On nous prie d’annoncer le décès

M. René BONNEY,

B

rillant chercheur ayant principalement travaillé sur les mécanismes biologiques de la cancérisation, Dominique Stéhelin, mort à Lille le 12 avril à l’âge de 75 ans, restera dans l’histoire comme l’une des grands oubliés du prix Nobel. Sa contribution à la découverte des oncogènes – des gènes dont l’altération entraîne le développement d’un cancer – n’avait pas été pris en compte par le jury qui distingua en 1989 pour cette avancée deux professeurs à l’université de Californie à San Francisco, Michael Bishop et Harold Varmus. A l’époque de ces travaux, le biologiste était chercheur détaché du CNRS, de 1972 à 1975, dans le laboratoire de Michael Bishop. Il revendiquait un rôle décisif dans l’identification des oncogènes arguant qu’il avait repris des recherches que d’autres avaient abandonnées. Dans un article pour le numéro de mars 1987 de la revue Scientific American, Michael Bishop écrivait : « En 1972, Dominique Stéhelin, Varmus et moi avons décidé de tester “l’hypothèse oncogène”, proposée par Robert Huebner et George Todaro, du National Cancer Institute. » Bishop était même plus explicite dans le même article et attribuait à Stéhelin la paternité des travaux de biologie ayant abouti à l’identification du gène « src » (pour « sarcome »), dont l’augmentation de l’activité serait liée à la progression du cancer. Le premier auteur des deux principaux articles décrivant la découverte n’était autre que Dominique Stéhelin.

« Amertume » Ce dernier avait contesté son éviction par le jury Nobel en expliquant : « Des gens disent que le comité Nobel ne voit pas d’un bon œil d’associer les chercheurs qui ont été au niveau postdoctoral dans les laboratoires, parce que le travail est principalement un travail d’exécution sur des idées lancées par les patrons. En ce qui me concerne, je voudrais rappeler que j’étais, à l’époque, payé par le CNRS et envoyé par le gouvernement français. Et je ne vois pas ce que cela aurait changé pour eux [les membres du jury] d’en mettre un troisième dans le lot, fût-il non-américain. » Face à l’« amertume » exprimée par le scientifique, le comité Nobel avait justifié son choix. Membre du jury, Peter Reichard avait affirmé : « Nous étions au courant de la participation de Stéhelin au programme de recherche. Mais nous avons décidé que Bishop et Varmus en étaient les véritables responsa-

survenu à Paris, le 10 avril 2019, à l’âge de soixante-quinze ans.

4 SEPTEMBRE 1943 Naissance à Thoisy-la-Berchère (Côte-d’Or) 1972-1975 Contribue à la découverte des oncogènes avec les Américains Michael Bishop et Harold Varmus. 1996-1999 Dirige l’Institut de biologie de Lille 12 AVRIL 2019 Mort à Lille

La crémation a eu lieu le samedi 13 avril, à 10 h 30, au cimetière du Père-Lachaise, 71, rue des Rondeaux, Paris 20e. Claire Chevrier, Luc Chevrier, Anne et Thierry Charon, Henri, Julien, Arnaud, Sophie, Ondine, Domitille, ont la tristesse d’annoncer le décès de leur père, beau-père et grandpère,

Antoine CHEVRIER,

bles. Ils ont joué un rôle indispensable, ce qui n’est pas le cas de Stéhelin et d’autres. » Pour le professeur Erling Norrby, vice-président du comité Nobel, il était clair que Bishop et Varmus « avaient tiré les conclusions et mené le programme à terme », ajoutant : « Nous sommes surpris de la réaction de Stéhelin. Cela ne peut que nuire à son image. Il s’est comporté comme un paon. » L’institution suédoise ne revint pas sur sa décision malgré la prise de position en sa faveur des lauréats et les déclarations de soutien de ses confrères français, du directeur général du CNRS et d’Hubert Curien, alors ministre de la recherche auprès de qui Stéhelin était conseiller de 1989 à 1993. Pour autant, la carrière de Dominique Stéhelin, né le 4 septembre 1943 à Thoisy-la-Berchère (Côte-d’Or), ne se résume pas à cette injustice. Il avait démontré que le virus responsable d’une tumeur chez le poulet, le sarcome de Rous, devenait cancérigène en incorporant dans son génome le gène « src » présent dans les cellules normales et en le modifiant – un travail cosigné avec Varmus et Bishop et publié en 1976 dans Nature, que le Nobel distingua. A son retour des Etats-Unis, il rejoint, en 1976, l’unité de recherche Inserm dirigée à Lille par le professeur Jean Semaille et poursuit la découverte et la caractérisation de nouveaux oncogènes. Il dirige ensuite, de 1979 à 1991, une unité de recherche sur le campus de l’Institut Pasteur de Lille. Sur le même campus, il dirige de 1992 à 1995 le projet de l’Institut de biologie de Lille, un centre de recherche créé en 1996 par le CNRS avec le soutien de la région Nord Pas-de-Calais et en sera le premier directeur jusqu’en 1999. Dominique Stéhelin y dirigera ensuite une unité de recherche puis une équipe. Il se consacrera notamment à l’étude des propriétés antitumorales d’un petit virus à ADN, le parvovirus H1 qui se multiplie sélectivement dans les cellules cancéreuses et les détruit. p paul benkimoun

docteur en droit, ancien syndic judiciaire, président de l’Association nationale des syndics et administrateurs judiciaires de France, mandataire judiciaire près le Tribunal de commerce de Paris, avocat à la Cour, survenu dans sa treizième année.

quatre-vingt-

Les obsèques auront lieu en l’église Saint-François-Xavier, Paris e 7 , le mardi 16 avril 2019, à 10 heures, suivies de l’inhumation dans le caveau familial au cimetière du Montparnasse, Paris 14e. Benoît, Gautier et Quentin Dreyfus, ont la tristesse de faire part du décès de

Bernard DREYFUS,

professeur au CNAM, adjoint du Défenseur des Droits, ancien directeur de la DATAR, survenu le 8 avril 2019, des suites d’une trop longue maladie. La cérémonie se déroulera le mercredi 17 avril, à 15 h 30, en l’église de la Rédemption, 16, rue Chauchat, Paris 9e. Ni fleurs ni couronnes, vos dons sont à adresser à l’Institut Gustave Roussy ou bien à l’Hôpital d’Instruction des Armées Percy. Une collation alsacienne sera proposée en sa mémoire à la brasserie chez Jenny, 39, boulevard du Temple, Paris 3e, à l’issue de la cérémonie. M. Stéphane Israël, président du conseil d’administration du Cnam, M. Olivier Faron, administrateur général Et l’ensemble des personnels du Conservatoire national des arts et métiers,

Sylvestre et Anne Coudert, ses parents, Jacques, Raphaëlle et son fiancé Quentin, Éric, ses frères et sœur, Yves et Laurence Coudert, Yves et Claude Rouard, ses grands-parents, Ses parrain et marraines, Ses oncles et tantes, Ses cousins et cousines

ont l’immense tristesse de faire part du décès de

France,

La cérémonie religieuse a été célébrée ce lundi 15 avril, à 10 heures, en l’église Saint-Léon, Paris 15e. L’inhumation aura lieu au cimetière de Saint-Pardoux-le-Vieux (Corrèze), dans l’intimité familiale. Une messe sera célébrée à son intention, en l’abbatiale de Meymac (Corrèze), le mercredi 17 avril, à 11 heures. Des arbres et des hortensias seront plantés à la mémoire de France, merci d’éviter les fleurs coupées. Vous pouvez militer pour le don du sang et aider au financement de la recherche sur le cancer : Gustave Roussy à Villejuif, Institut Curie de Paris, Oncopole de Toulouse. Sa famille, Ses amis, ont la douleur d’annoncer le décès de

Michel GUYON, survenu le 10 avril 2019, à Paris, à l’âge de soixante-dix-sept ans. Ses obsèques auront lieu le mercredi 17 avril, à 15 h 30, en la salle de la Coupole, au crématorium du cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e. Pas de fleurs, mais vos dons sur une cagnotte seront reversés à France Parkinson : https://www.leetchi.com/c/franceparkinson-pour-michel-guyon « Si la charité vient à manquer, à quoi sert tout le reste. » Saint Augustin. « Continuez à rire de ce qui nous faisait rire. Je ne suis pas loin. Juste de l’autre côté du chemin. » Charles Péguy. michelguyon11@yahoo.fr Ury (Seine-et-Marne). Mmes Caroline Hamisky, Dorothée Lalanne, Marie Lalanne, Valérie Kling, ses filles, Roman, Julie, Louis, Auguste, Clémentine, Capucine, ses petits-enfants, Lilas, Bianca, Céleste, Pénélope, Lucinda, Paloma, Juniper, Félix, Iris, ses arrière-petits-enfants Et M. Jean-Philippe Lalanne, ont l’immense tristesse d’annoncer la disparition de leur mère, grandmère, arrière-grand-mère et bellesœur,

Mme Claude LALANNE,

ancien résistant et maquisard dit « Corsaire », chevalier de la Légion d’honneur,

Il nous a quittés il y a cinquante ans et n’a jamais été aussi présent.

Les funérailles sont célébrées ce lundi 15 avril, à 14 h 30, en l’église de Villefranche-sur-Cher. Claire, sa fille, Marie-Christine, Danielle, Yvan, Thérèse, Jean-Pierre, ses sœurs, frère, belle-sœur, beaufrère, Frédérique, Anne, Rémi, Nicole, Philippe, ses nièces et neveux et leurs enfants, ont la tristesse disparition de

d’annoncer

La cérémonie religieuse sera célébrée le mardi 16 avril, à 14 h 30. Jean-Gabriel Mitterrand, avec les collaborateurs de la Galerie Mitterrand, a l’immense tristesse de faire part de la disparition de

Claude LALANNE, 1925-2019.

Il adresse ses pensées émues à ses filles et à toute sa famille ainsi qu’à tous ceux qui travaillaient auprès d’elle chaque jour. sera

« Claude travaille comme chantent les oiseaux (…), dans ces merveilleux espaces féminins où se confondent les énigmes et les évidences. » François-Xavier Lalanne (1924-2008).

M. Bernard DREYFUS,

ont la douleur d’annoncer le décès de

Janine MARRET,

veuve HOLTZER, auteure de nombreux ouvrages sur l’économie d’entreprise sous le nom de « Janine MEYER ». Les obsèques auront lieu le mardi 16 avril 2019, à 13 h 30 au crématorium du cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e.

« Nous regardons penchés nos sillages sans lune, un dieu toujours vivant nous retient à ses bords et souffle sur nos yeux la poussière des dunes, la trace d’un visage ébloui se rendort… » Jacques-Henri Beucler, Signes, 1944. 16 avril 1969 - 16 avril 2019.

la

Gilette OZILOU DIDIER,

ancienne responsable du service Orientation-Carrières de l’ESSEC. La cérémonie aura lieu mardi 16 avril 2019, à 15 heures, au cimetière parisien de Pantin, 164, avenue Jean-Jaurès. Nicole Battefort Perrin, sa mère, Eviana Hartman, sa compagne, Clarisse Perrin, sa fille, Anne Perrin, sa sœur, Lucie et Paul Alexandre, ses neveux, ont la très grande tristesse de faire part du décès de

François Eloi PERRIN,

né le 23 octobre 1968, architecte chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres, survenu le 1er avril 2019, à Oxnard (Californie). Une messe en sa mémoire sera célébrée le mardi 16 avril, à 10 heures, en l’église Saint-Germain de Charonne, 4, place Saint Blaise, Paris 20e. 37, rue de l’Abbé Groult, 75015 Paris. Alain Laurenceau, son mari, Pierre et André Solomiac, ses frères, Sa famille, Ses amies,

Hélène Beucler Et ses enfants.

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Assemblée générale L’Association du Mouvement Français pour le Planning Familial de Paris, tiendra son assemblée générale, le mardi 14 mai 2019, à 19 heures, 10, rue Vivienne, 75002 Paris.

Communications diverses Dans le cadre de la préparation d’un documentaire sur les voyages en URSS entre 1953 et 1989, nous recherchons des particuliers ayant effectué ce voyage durant cette période et qui possèdent des films de leurs séjours. Merci de contacter la société de production audiovisuelle ZED : Mail : temoignage.zed@gmail.com Tél. : 01 40 57 40 58. Le Consistoire souhaite de bonnes fêtes de Pessah 5779 à toute la Communauté. Les informations et la liste des produits cacher pour Pessah sont sur www.consistoire.org ou sur l’application Consistoire (Iphone ou Androïd).

ont l’immense tristesse d’annoncer la disparition de

Jacqueline SOLOMIAC,

le 10 avril 2019, à Fontainebleau.

ont appris avec la plus profonde tristesse le décès de

Ils s’associent à la peine de sa famille et de ses proches et leur adressent leurs sincères condoléances.

ont le très grand chagrin de faire part du décès de

survenu le 11 avril 2019, à l’âge de quatre-vingt-seize ans.

le 9 avril 2019, à l’âge de vingt-quatre ans, à Gustave Roussy.

Eliane Meyer, Agnès et Emmanuel Meyer Gay, ses enfants, Alexander, Lou, Tom, Zoé, Nina et Lili, ses petits-enfants Et l’ensemble de sa famille,

professeur titulaire de l’ancienne chaire du Cnam Administration et gestion des collectivités locales.

Anniversaire de décès

Jacques NASCIET,

Et ses si nombreux amis,

La cérémonie religieuse célébrée le mardi 16 avril 2019.

Philippe et Marie-Hélène, son fils et sa belle-fille, Catherine, sa fille, Benjamin, Caroline, Élise, Julie, Nicolas et Quentin, ses petits-enfants,

conservateur en chef honoraire, comédienne, survenue le 11 mars 2019. La cérémonie aura lieu le mercredi 17 avril, à 14 heures, au crématorium du cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e. Françoise Liassine-Svagelski, sa sœur, Philippe Svagelski, son frère et leurs familles, ont la tristesse de faire part du décès de

Ginette SVAGELSKI, survenu le 28 mars 2019. 78, avenue Secrétan, 75019 Paris. 18 bis, rue Pierre Bayen, 51000 Châlons-en-Champagne.

SOS AMITIE Envie d’être utile ? Rejoignez-nous ! Les bénévoles de SOS Amitié écoutent par téléphone et par internet ceux qui souffrent de solitude, mal-être et pensées suicidaires. Nous ne répondons qu’à 1 appel sur 3 et recherchons des écoutants bénévoles. L’écoute peut sauver des vies et enrichir la vôtre. Horaires flexibles, formation assurée. En IdF RDV sur www.sosamitieidf.asso.fr En région RDV sur www.sos-amitie.comw

Société éditrice du « Monde » SA Président du directoire, directeur de la publication Louis Dreyfus Directeur du « Monde », directeur délégué de la publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio Directeur de la rédaction Luc Bronner Directrice déléguée à l’organisation des rédactions Françoise Tovo Direction adjointe de la rédaction Philippe Broussard, Alexis Delcambre, Benoît Hopquin, Franck Johannes, Marie-Pierre Lannelongue, Caroline Monnot, Cécile Prieur Direction éditoriale Gérard Courtois, Alain Frachon, Sylvie Kauffmann Rédaction en chef numérique Hélène Bekmezian, Emmanuelle Chevallereau Rédaction en chef quotidien Michel Guerrin, Christian Massol Directeur délégué au développement du groupe Gilles van Kote Directeur du numérique Julien Laroche-Joubert Rédacteur en chef chargé des diversifications éditoriales Emmanuel Davidenkoff Chef d’édition Sabine Ledoux Directrice du design Mélina Zerbib Direction artistique du quotidien Sylvain Peirani Photographie Nicolas Jimenez Infographie Delphine Papin Médiateur Franck Nouchi Directrice des ressources humaines du groupe Emilie Conte Secrétaire générale de la rédaction Christine Laget Conseil de surveillance Jean-Louis Beffa, président, Sébastien Carganico, vice-président


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Au Venezuela, l’énergie du désespoir Mer des Caraïbes Caracas

État de Caraboro Patanemo

Valles del Tuy

VENEZUELA

GUYANA

COLOMBIE

BRÉSIL

250 km

La photographe Fabiola Ferrero s’est rendue dans les zones rurales de son pays, où les habitants tentent de survivre malgré la crise économique et l’impasse politique valles del tuy (venezuela) - envoyée spéciale

J’

ai passé une grande partie de mon enfance sur une plage aux eaux marron du Venezuela, à Machurucuto, dans l’Etat de Miranda. Toute la journée, mes amis et moi nous régalions de mangues, de biscuits. A présent, la crise voile les souvenirs. Revenue sur la plage il y a quelques mois, j’ai vu des gens de villages voisins chercher les mangues dans les jardins et les emporter en charrette. C’est ainsi que je décrirais les pénuries dans les zones rurales : on ne mange plus les fruits par plaisir, mais par besoin. Dans certaines communautés, l’accès aux services de base a toujours été précaire, et ce bien avant les crises économique et politique qui touchent le pays. Mais aujourd’hui, la disette d’eau, de nourriture, de gaz y est extrême. En octobre 2018, 82 % de la population manquaient d’eau régulièrement, et la situation a empiré avec les récentes coupures de courant. C’est ce que j’ai voulu montrer dans cette série de photographies, réalisée en mars. Consigner comment le Vénézuélien moyen survit au milieu de la pire crise économique que le pays ait connue. Les rues autrefois bruyantes, vidées de leurs habitants, les immeubles en ruine montrent la gloire ancienne de ce qui a été, un temps, le pays le plus riche d’Amérique du Sud. Les grandes fermes aux grilles aujourd’hui rouillées étaient la source de l’alimentation des Vénézuéliens. Difficile d’en trouver à présent. Selon une enquête indépendante de plusieurs universités, 90 % des familles n’ont pas les ressources suffisantes pour se nourrir.

« Rien n’a d’importance » Un matin, j’ai rencontré Bikeyma Morales à Patanemo, dans l’Etat de Carabobo. Cette femme refusait d’être une ombre. A chaque question qu’on lui posait sur la crise, elle répondait en évoquant la mer. « Je n’ai besoin de rien d’autre, estimait-elle. Regardez cette vue. » Personne, au village, n’était au courant de ce qui se passait en dehors, car le téléphone ne passait plus depuis un an. Ils cuisinaient au feu de bois et se nourrissaient de poissons pêchés dans la mer. « Rien n’a d’importance, insistaitelle, quand on est sur la côte de Patanemo. » Le jour suivant, je suis allée voir des femmes à Tocoron, dans les vallées du Tuy. Un village dévasté par la sécheresse et contrôlé par les bandes criminelles. C’est là que j’ai connu Katiuska, enceinte de son septième enfant, et qui ne mangeait que du yucca, une sorte d’asperge sauvage, depuis plusieurs jours. Elle avait le regard perdu et n’avait plus la moindre énergie. Ses lèvres étaient pâles. Elle parlait avec de longs silences, comme si elle s’endormait, et elle se caressait le ventre. Elle m’a dit qu’elle n’en pouvait plus. « Mes enfants me disent : maman, hier j’ai rêvé que je mangeais. Qu’est-ce que je peux leur répondre ? » Moi non plus je n’ai pas su quoi lui répondre. Photographier le Venezuela, c’est se remplir de magie le matin, et sentir son cœur déchiré au coucher du soleil. Ou l’inverse. p texte et photos : fabiola ferrero

Nidia Cadiz, chez elle, à Valles del Tuy, le 25 mars.

J’ai gardé les affaires de mon mari, mort il y a trois mois. Pendant un an, il n’a pas eu les médicaments pour son diabète. Nous sommes six. Nous avons vendu notre voiture et notre réfrigérateur. Quand j’ai un peu de riz, je donne tout à mes enfants. J’ai passé jusqu’à trois jours sans repas. Je pleure la mort de mon mari. Et parce que j’ai faim. nidia cadiz, 45 ans


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A gauche : en attendant de pouvoir remplir des bidons d’eau potable. A droite : Misaida Sanz, 30 ans, chez elle, dans la région de Valles del Tuy, le 25 mars. « La dernière fois que j’ai mangé de la viande, c’était à Noël. C’était du poulet avec du riz. Avant, nous avions des sardines, des pâtes… Maintenant, je mange du yucca chaque jour. Je n’en supporte plus l’odeur, ma fille non plus. Je me brosse les dents avec du sel. Nous survivons grâce à l’eau de la rivière et à la charité. » PHOTOS : FABIOLA FERRERO POUR « LE MONDE »

A gauche : Bikeyman Morales, 50 ans, propriétaire d’un restaurant, à Patanemo, en mars. « Ma belle-fille était enceinte de huit mois. Elle est allée à l’hôpital pour une urgence. Mais il manquait le matériel nécessaire, et le bébé est mort. Nous n’avons pas d’ambulances. Nous avons déjà dû transporter dans notre pick-up des gens qui faisaient des crises cardiaques… La solidarité nous aide à survivre, nous ne devons pas les laisser nous prendre ça. » A droite : des habitants profitent de la plage lors de la deuxième grande panne de courant nationale, en mars.

A gauche : un homme cherche du bois pour remplacer le gaz, afin de cuisiner, dans l’Etat de Carabobo, le 23 mars. A droite : Katisuka Morales, 30 ans, chez elle dans la région de Valles del Tuy, le 25 mars. « J’ai six enfants et je suis enceinte du septième. Je n’ai pas mangé aujourd’hui, car je ne peux plus manger de yucca, et c’est tout ce que nous avons depuis des semaines. Le docteur m’a dit de manger équilibré pour mon bébé, mais comment faire ? Ma fille m’a raconté qu’elle avait fait un rêve… elle mangeait. Je n’ai pas de mots pour dire ce que je ressens. »


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CULTURE

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« Ça ira (1) Fin de Louis », écrit et mis en scène par Joël Pommerat, ici en juin 2015, au Théâtre des Amandiers de Nanterre (Hauts-deSeine). ELIZABETH CARECCHIO

La Révolution de 1789 face aux « gilets jaunes » Le spectacle à succès de Joël Pommerat « Ça ira » est repris au Théâtre de la Porte Saint-Martin, à Paris

A

THÉÂTRE

h ça ira, ça ira, ça ira, la Révolution est de retour. Dans sa version théâtrale, en tout cas : Ça ira (1) Fin de Louis, le spectacle extraordinaire que Joël Pommerat et ses comédiens ont créé à partir de la Révolution française de 1789, s’installe au Théâtre de la Porte Saint-Martin, à Paris, jusqu’à l’été. Ce sera la dernière série de représentations de cette pièce d’ores et déjà historique, qui n’a cessé de tourner – triomphalement – en France et dans le monde entier depuis sa création à Mons, en Belgique, en septembre 2015, et qui a été récompensée par trois Molières en 2016. Autant dire qu’il s’agit là d’une occasion unique de voir ou revoir ce spectacle qui sait, comme aucun autre, rendre à nouveau désirables la politique et le débat démocratique, dans une époque que certains voudraient post-politique. « Je n’avais jamais eu l’intention d’écrire une pièce sur la Révolution française, se souvient Joël Pommerat, deux jours avant la première du 13 avril à la Porte Saint-Martin. Au départ, le projet est né du désir de travailler sur l’archive, le document historique, et de revenir à un théâtre épique. Je me suis rendu compte que, finalement, j’avais envie de m’inscrire dans une tradition de théâtre historique à la Shakespeare ou à la Hugo. Et puis il s’agissait de continuer à creuser ce sillon des représentations individuelles et collectives, que j’explore depuis des années : la question de l’individu autoproducteur de réel, créateur de sa propre réalité. Comment naissent les idéologies, comme elles se développent… ». Joël Pommerat songeait plutôt à s’attaquer à la Résistance, ou à l’une des révolutions du

XIXe siècle, quand, à la fin 2012, il a lu le livre de l’auteur et éditeur Eric Hazan, Une histoire de la Révolution française (éd. La Fabrique, 2012). « Je me suis alors rendu compte que pour mener une sorte d’archéologie de la réalité idéologique de notre époque, c’était bien à 1789 qu’il fallait revenir, constate-t-il : tout part de là, dans la culture politique française, et tout y ramène, en permanence. C’est vraiment le mythe fondateur de notre culture démocratique ». Une fiction contemporaine Restait, à partir de là, à réussir à créer un vrai spectacle de théâtre, ce qu’est Ça ira, ô combien. Pour ce faire, Joël Pommerat a d’abord lu et fait lire à ses quatorze comédiens tout ce qui peut se lire sur le sujet, avec une prédilection pour les ouvrages de l’historien américain Thimoty Tackett – notamment Par la volonté du peuple. Comment les députés de 1789 sont devenus révolutionnaires (Albin Michel, 1997) – et de la chercheuse française Sophie Wahnich – L’Intelligence politique de la Révolution française (Textuel, 2013). Il a également demandé à un jeune historien spécialiste de la période, Guillaume Mazeau, d’ac-

compagner la troupe pendant toute la durée des répétitions. Des répétitions qui ont duré neuf mois, pour accoucher de ce spectacle que Pommerat et son équipe définissent comme une « fiction contemporaine inspirée de la Révolution » plus que comme une pièce « sur » la Révolution. L’auteur-metteur en scène avait comme obsession de fuir le folklore, les clichés attachés au mythe, la reconstitution historique. Pas de Marat, de Danton, de Robespierre, de Saint-Just ni de Collot d’Herbois dans Ça ira, mais des personnages fictifs composés à partir de figures réelles, à l’image de la députée Lefranc, incarnée par l’actrice Saadia Bentaïeb, et inspirée à la fois de Mirabeau, de Sieyès et de Rabaut Saint-Etienne. Seuls Louis XVI et Marie-Antoinette sont représentés en tant que tels – et encore, bien loin des images d’Epinal. Mais ce qui est là et bien là, c’est l’essence des paroles et des débats, passionnés, enflammés, tels que Joël Pommerat a réussi à les traduire dans une langue audible aujourd’hui, sans les trahir. « Je crois qu’on ne peut pas faire de spectacle historique, au sens de la reconstitution, analyse Joël

Jean Robert-Charrier mise sur « Ça ira » Il espère que « ça ira », pour Ça ira… Jean Robert-Charrier, le jeune (35 ans) et audacieux directeur du Théâtre de la Porte Saint-Martin, à Paris, confie avoir des sueurs froides, à la veille de la première du spectacle de Joël Pommerat. Pour cet établissement privé, la programmation jusqu’à la fin du mois de juillet de ce spectacle sur la Révolution française d’une durée de quatre heures trente représente un engagement considérable. « Même si nous remplissons la salle tous les soirs, nous atteindrons à peine l’équilibre financier », explique-t-il. Ce passionné de théâtre n’a pourtant pas hésité, estimant qu’il avait là l’occasion de « faire connaître à un public plus large ce spectacle nécessaire, à l’intérêt citoyen évident ». Et derrière sa barbe et ses lunettes rondes à la Tchekhov, il sourit : « J’espère que l’élite politique et économique va venir. »

« Vous ne voyez pas que les gens sont désespérés ? » lance une députée du tiers état à un collègue de la noblesse Pommerat. Je ne peux pas voir le passé en costumes, cela n’a pas de sens pour moi. La reconstitution est toujours une illusion, une fiction, ne serait-ce que parce qu’on n’a pas les mêmes corps aujourd’hui qu’à l’époque. Jouer en costumes contemporains, dans une langue épurée de ses anachronismes, vise à permettre au spectateur de ramener la Révolution dans son présent à lui, à empêcher qu’il se dise qu’il assiste à la vie de gens d’autrefois. » Or ce présent s’est convoqué comme jamais Pommerat et son équipe n’auraient pu l’imaginer, pendant tout ce voyage effectué par Ça ira à travers la France et le monde, de Lille à Toulouse, d’Amsterdam à Pékin en passant par Sao Paulo – où les représentations furent électriques, quelques jours avant la destitution de Dilma Rousseff –, Ottawa, Tokyo ou Mexico. Joël Pommerat a commencé à écrire le canevas de son spectacle en janvier 2015, au moment des attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes, à Paris. Quelques jours après la première française, le 6 novembre 2015, avaient lieu les attentats du 13 novembre à Paris. Puis il y a eu le mouvement Nuit debout, au printemps 2016. Et désormais, depuis novembre 2018, celui des « gilets jaunes ». « Sans qu’il n’y soit jamais fait allusion

directement dans le spectacle, le contexte dans lequel on joue imprègne émotionnellement les acteurs et les spectateurs, et la réception de Ça ira, note Joël Pommerat. Après les attentats du 13 novembre, la question de la violence politique a évidemment été au cœur de l’émotion collective, palpable pendant les représentations. Au moment de Nuit debout, le public était particulièrement attentif à tout ce qui touche à la constitution d’une culture démocratique, à l’organisation profonde d’une société. Aujourd’hui, avec les “gilets jaunes”, la question de la légalité qui s’oppose à une justice plus fondamentale résonne avec force. » A le revoir aujourd’hui, trois ans et demi après la première au Théâtre des Amandiers de Nanterre, le spectacle donne l’impression d’avoir encore gagné en force de percussion avec le présent, sans rien avoir perdu de ses flamboyantes qualités théâtrales. Il entre de manière sidérante en résonance avec l’actualité que nous vivons depuis le début de la crise des « gilets jaunes ». Et ce d’autant plus qu’il est porté par une troupe exceptionnelle, composée d’acteurs qui ne craignent pas d’incarner de tout leur être, corps et âme, non seulement des personnages, mais des idées, des points de vue, des conflits intimes et publics. On sursaute quand, au tout début du spectacle, le ministre des finances de Louis XVI, partisan d’un assouplissement du système monarchique, fait remarquer au roi : « Depuis quelques années, notre système fiscal est ressenti par une bonne partie de la population comme injuste. » On se pince quand on entend une députée du tiers état lancer à un de ses collègues de la noblesse : « Vous ne voyez pas que les gens sont désespérés ? »

Pourtant, Joël Pommerat n’a pas réécrit une ligne de son texte, depuis la création en 2015. Et jamais les formidables acteurs de la troupe ne forcent le trait. « On essaie justement de ne plaquer aucune référence à l’actualité, revendique Anne Rotger, qui joue, entre autres rôles, celui de MarieAntoinette. Notre travail, c’est d’être au plus près du présent de la représentation, pour laisser travailler l’imaginaire du spectateur. Mais évidemment, ce qui se passe ne nous est pas indifférent, et forme sans doute comme un sous-texte invisible. » C’est l’actualité nationale et mondiale qui, au cours de ces cinq ans de vie de Ça ira, s’est chargée de donner toute sa validité à l’archéologie révolutionnaire menée par l’auteur-metteur en scène et sa troupe. De toute cette aventure, Joël Pommerat retient un enseignement principal : « La révolution a toujours un caractère imprévisible, accidentel. Si je n’avais pas travaillé sur ce spectacle, je n’aurais pas cette perception de la complexité extrême du moment que l’on est en train de vivre en France. » Comme dirait l’un des personnages de Ça ira : « Nous vivons un moment historique, tâchons d’être à la hauteur. » p fabienne darge

Ça ira (1) Fin de Louis, de et par Joël Pommerat (texte publié aux éditions Actes Sud « Papiers »). Théâtre de la Porte Saint-Martin, 18, boulevard Saint-Martin, Paris 10e. Jeudi, vendredi, samedi à 19 heures, dimanche à 17 heures, jusqu’au 26 juillet. De 12 € à 42 €. Durée : 4 heures 30. A lire : Avec Joël Pommerat. Tomme II : l’écriture de Ça ira (1) Fin de Louis, de Marion Boudier (Actes Sud « Papiers », 176 p., 15 €).


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Richard Galliano, la musique en éclectique L’accordéoniste publie « The Tokyo Concert », qui mêle différents auteurs et styles

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Le salon rouge de la maison de Victor Hugo à Guernesey. JEAN-CHRISTOPHE GODET

Le repaire du Victor Hugo décorateur et architecte Pèlerinage sur l’île de Guernesey, où la maison de l’écrivain, rénovée, est de nouveau ouverte à la visite REPORTAGE guernesey

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uelle drôle de bicoque ! Pas du tout ce à quoi on s’attendait. De Victor Hugo (1802-1885), on avait l’image du bourgeois républicain, le conservateur devenu l’ami du peuple, l’écrivain épique, prosateur classique, comptable parcimonieux, homme de logique et d’ambitions. A Hauteville House, seule et unique maison qu’il posséda, à Guernesey, l’une des îles Anglo-Normandes sous domination britannique, c’est un tout autre homme que l’on découvre. Un Hugo décorateur, artiste fantaisiste et architecte fantasque, à mi-chemin entre un héros de Tintin et le facteur Cheval. La pluie bat au carreau. Si la maison était située au milieu de la lande, on penserait aux Hauts de Hurlevent (Poche, 1974), d’Emily Brontë (1818-1848). Mais elle surplombe le port, faisant face aux flots ténébreux et, au-delà de l’horizon, comme par défi, à la France. C’est dans cette maison qu’on disait hantée que Victor Hugo, fuyant le Second Empire et un Louis Napoléon Bonaparte qu’autrefois il soutint avant de le combattre, a fini par se réfugier en 1856. Il y restera presque vingt ans. Et il la hante encore. Romantique et rococo Sur trois niveaux, les meubles au bois sombre sculpté à l’envi frisent le délire gothique, les panneaux façon chinois, dessinés par l’écrivain, font penser à une fumerie d’opium, les faïences de Delft nous emmènent chez les peintres flamands. Les tentures scandinaves, les mélanges de styles, de couleurs, d’époques, la collection d’assiettes accrochée au plafond… Tout fait penser au capitaine fou d’un navire inventé pour rester en cale à rêver d’aventures. Or, c’est ici qu’il écrira La Légende des siècles

Toute la décoration du lieu fait penser au capitaine fou d’un navire inventé pour rester en cale à rêver d’aventures (1859), Les Misérables (1862), Les Travailleurs de la mer (1866), L’Homme qui rit (1869)… En 1927, elle a été offerte par les descendants de l’écrivain à la Ville de Paris. Celle-ci y a entrepris de grands travaux de restauration, avec l’aide de la Fondation François Pinault (laquelle a mis 3,5 millions d’euros sur les 4,3 millions du budget). La maison était menacée par les dégâts des eaux et le défi du temps, mais le travail est allé au-delà, en s’évertuant à retrouver l’aménagement qu’en fit l’écrivain en l’achetant. A se promener à travers ce décor tout à la fois romantique et rococo, on se dit que le fantôme de Victor Hugo – celui qui écrivait dans la préface de Cromwell (1827) : « Le réel résulte de la combinaison toute naturelle de deux types, le sublime et le grotesque » – doit être content. Les maisons d’écrivains sont ainsi faites qu’elles appellent au rêve et à l’introspection. On imagine la salle du billard au rez-dechaussée se transformant les soirs de brume en tripot, ou la table dans la pièce vitrée adjacente servant à des expériences de spiritisme. Nos pas de visiteurs – invités post-mortem – ne font aucun bruit sur les moquettes épaisses. On se croise en silence. En passant devant les vitrines qui conservent comme autrefois les ouvrages de la bibliothèque de l’écrivain, chacun se met à psalmodier quelques vers des 158 poèmes qui composaient

Contemplations, dont la publication, en 1856, lui permit d’acheter cette maison. En fait, tout le monde connaît le même : « Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées/Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit/Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées/Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit… » L’adieu à Léopoldine, sa fille aînée, morte noyée dans la Seine. Pèlerinage littéraire… Mais peut-on restaurer une âme ? Sous les toits, son royaume Derrière la bibliothèque, un escalier miniature mène sous les toits. C’est là que commence véritablement le royaume d’Hugo, celui où il vivait, comme dans un phare, tel Nemo face aux éléments dans un bathyscaphe construit en plein ciel. Côté sud du look out – « regarder dehors », ainsi qu’il avait baptisé ce grenier aménagé dès 1861 –, il y a sa chambre, minuscule. Un petit lit, à peine une banquette, face à la porte vitrée donnant sur le toit qui surplombe la mer. Caché dans la soupente, de quoi faire ses ablutions. Une croix processionnelle. Comme Hugo a peur de ce vent qui fait siffler les murs, il fait dormir une bonne dans le placard attenant, et sa belle-sœur dans la pièce à côté. Si l’on ouvre la porte-fenêtre, on peut par quelques marches en bois rejoindre le faîte de la maison et surplomber la baie, le port, la ville, le monde. L’écrivain a aussi fait trouer le toit à l’ouest, une autre verrière, étrange, comme dans une image de Gustave Doré. Et installé des banquettes en escalier, couvertes de tapis épais – pas pour s’asseoir, mais pour qu’il puisse y mettre à sécher ses feuilles encore fraîches d’encre –, et puis deux écritoires pour y écrire debout. On a attendu l’inattention d’un guide pour poser notre carnet sur l’un des pupitres, face à l’horizon mouillé. Pas d’appel des ténèbres,

MUSIQUE

uelques jours avant sa mort, le 26 janvier, le compositeur Michel Legrand a demandé à son ami l’accordéoniste Richard Galliano d’assurer la direction artistique des deux concerts qu’il devait donner avec ses invités au Grand Rex, à Paris, les 17 et 18 avril. En dépit de sa disparition, les concerts sont maintenus et deviendront de fait un hommage au musicien disparu. Ils s’ouvriront sur Le Petit Journal, interprété par son big band, une composition dont Michel Legrand disait qu’elle était « un échantillon de démonstration, un tour de chauffe » destiné à « mettre l’auditeur en appétit ». Ils s’achèveront sur la célébrissime Chanson des jumelles, le sommet de la bande originale du film Les Demoiselles de Rochefort (1968), « l’œuvre la plus ensoleillée, la plus optimiste née de ma fraternité avec Jacques Demy », disait Michel Legrand. Comme en écho, Richard Galliano ajoute : « La Chanson des jumelles est une explosion d’euphorie et d’élégance. La conclusion idéale à ce concert. »

pas d’inspiration subite, de stylo qui court sur la page mû par des forces occultes, non. Mais une émotion soudaine comme un clin d’œil de l’au-delà. p laurent carpentier

Hauteville House à Guernesey. Visites guidées par groupes de dix, tous les jours sauf le mercredi. Jusqu’au 30 septembre. Maisonsvictorhugo.paris.fr

Couleurs et émotions Après cet hommage fraternel et collectif, l’accordéoniste reprendra la route pour présenter son nouvel album, The Tokyo Concert, paru le 12 avril, un récital en solo, enregistré au Japon le printemps dernier. « Le solo, c’est la liberté d’aller où je veux, de jouer tout ce qui me passe par la tête et, chaque fois, j’essaie de rentrer sur scène sans faire vraiment de programme précis », raconte le musicien. C’est aussi un challenge, car beaucoup pensent qu’un accordéon seul est ennuyeux. « Ils ne savent pas que c’est un orchestre à lui tout seul ! », remarque le musicien. Qui insiste : « Par rapport a l’accordéon, j’ai toujours une revanche à prendre : mon père était accordéoniste, et il a souffert dans les années 1960 de voir le mouvement yéyé rejeter l’accordéon alors qu’aux Etats-Unis, Bill Haley avait un accordéoniste qui jouait le boggie-woogie. »

« Jouer en solo, c’est la liberté d’aller où je veux, de jouer tout ce qui me passe par la tête » Lui explique être touché par « toute musique véhiculant “des couleurs, des sentiments et des émotions”, comme disait Nougaro ». Claude Nougaro, le grand ami qu’il avait rencontré à Paris au début des années 1970, après s’être exilé de son Sud natal et avec lequel il a signé quelques titres inoubliables (Allée des brouillards, Des voiliers, Vie violence). D’une musicalité exaltante, The Tokyo Concert propose un répertoire rapprochant ses propres compositions et des arrangements sur des œuvres qui lui parlent. L’album s’écoute et se vit comme un voyage, surprenant par l’éclectisme de ses escales, passant de Debussy (Clair de lune) à une valse de sa composition (Valse à Margaux), d’un enchaînement de trois titres de Michel Legrand (The Windmills Of Your Mind, Once Upon a Summertime, You Must Believe in Spring) à un clin d’œil au Brésil (Sertao), puis à l’Andaluza du compositeur et pianiste espagnol Enrique Granados (1867-1916). « Cet album, c’est le fruit de toutes mes expériences, résume l’accordéoniste. J’adore moi-même écouter de la musique en aléatoire. » p patrick labesse

The Tokyo Concert, de Richard Galliano (1CD Jade/Universal) Concerts : Breteuil (Eure) le 19 avril, Espalion (Aveyron) le 28 avril, Paris (église SaintGermain-des-Prés, dans le cadre du festival Jazz à Saint-Germaindes-Prés) le 17 mai. Hommage à Michel Legrand, sous la direction artistique de Richard Galliano, les 17 et 18 avril au Grand Rex (avec Natalie Dessay, Michel Portal, Ibrahim Maalouf, Biréli Lagrène, Sylvain Luc, Nana Mouskouri, Marie Oppert…).

JEUDI 18 AVRIL – 19 H GRAND AMPHITHÉÂTRE

EUROPE : D’UN SIÈCLE À L’AUTRE POUR UNE EUROPE DES JEUNES ET DES ARTISTES LECTURE, POÉSIE, MUSIQUE, DANSE 1re ACTION ARTISTIQUE 18-XX1 AVEC 150 JEUNES & EMMANUELLE BÉART AMOS GITAÏ CHARLOTTE RAMPLING EMMANUEL DEMARCY-MOTA SABRINA OUAZANI ABD AL MALIK RACHEL KAHN ARMAN MÉLIÈS FABRICE MELQUIOT… ENTRÉE GRATUITE SUR INSCRIPTION theatredelaville-paris.com


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0123 MARDI 16 AVRIL 2019

« En Afrique, l’humour est une forme de résilience » Le producteur nigérien Mamane lance la première édition du Comédie festival africain à Paris et en tournée ENTRETIEN

« L’humour, en Afrique, c’est la politesse du désespoir, c’est toucher du doigt ce qui ne va pas »

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e rire africain débarque en France. Humoriste nigérien, producteur et chroniqueur depuis dix ans sur RFI, Mamane, avec le soutien de la société de production Dark Smile de l’humoriste français Jérémy Ferrari, lance, du 16 au 27 avril, la première édition du Comédie festival africain (CFA) à Paris et en tournée. Comment ce festival d’humour africain est-il né? J’ai commencé ma carrière d’humoriste en France au début des années 2000 mais j’ai toujours eu la volonté de jouer aussi en Afrique. Dans mes spectacles, je parle des problèmes de mon continent : du manque de démocratie, des coupures d’électricité, des trous dans les routes, etc., de ce que vivent les gens. Raconter cela en France, où les spectateurs retrouvent ensuite le confort de la vie parisienne, c’est moins fort et moins utile. C’est pourquoi j’ai créé en 2015 le festival Abidjan Capitale du rire, monté une boîte de production, Gondwana City Productions, et lancé, en 2016, « Le Parlement du rire » sur Canal+ Afrique. Cette émission humoristique, vraiment panafricaine, a fait découvrir plusieurs humoristes qui étaient connus uniquement dans leur pays. Puis il y a eu, en 2017, la rencontre avec Jérémy Ferrari qui a précipité les choses : on l’a invité au festival d’Abidjan, puis au « Parlement du rire », dans le rôle du conseiller blanc du président. Il voulait faire rire le public africain, pas celui des expatriés ou des instituts français. L’idée d’un festival africain en France est donc une idée commune ? Oui. Nous voulions faire ce pont entre l’Afrique et la France pour faire contrepoids à la Françafrique. Faire rire chacun des peuples en faisant découvrir, en France, des humoristes africains qui vivent sur ce continent et qui, après le festival, rentrent chez eux. Un humoriste ne peut pas être comme un footballeur, il faut qu’il soit tout le temps au contact des réalités quotidiennes. On monte le festival CFA pour internationaliser la renom-

pour initier à l’écriture, au jeu de scène, mais aussi pour former des techniciens son et lumière. Au total, sept artistes, représentant quatre pays (Côte d’Ivoire, Niger, Congo, Gabon), font partie de la programmation du CFA. Michel Gohou et Digbeu Cravate sont des exceptions. Ils viennent de la télévision. Gohou est devenu populaire grâce au feuilleton Ma famille et l’émission « Le Gohou Show ».

Jérémy Ferrari et Mamane, le 20 avril 2018, au Trianon, à Paris, dans le cadre du spectacle « Sans Visa 2 ». COLLECTIF DCLICS-WOOJUNG PARK & ROOP SY

« Nous voulions faire ce pont entre l’Afrique et la France pour faire contrepoids à la Françafrique » mée de nos humoristes et créer une famille. Ce pont est une manière d’internationaliser l’humour. Est-il si facile de l’exporter ? Non, l’humour n’est pas exportable. Il faut une langue et des références communes. Les humoristes africains viennent jouer non pas en lissant leur humour mais en restant fidèles à eux-mêmes, en amenant l’accent, les cou-

leurs, les réalités africaines, de nouvelles sonorités, un nouveau discours. Comme en cuisine, le public doit faire l’effort d’aller vers de nouvelles saveurs. Le but est d’internationaliser le public, pas l’humour. Si on édulcorait le propos de ces humoristes, le public africain qui vit en France ne nous le pardonnerait pas. On va s’enjailler et s’enrichir ensemble par le même rire ! Je ne vends pas une marque. Je ne prends pas des humoristes africains en leur disant « je vais t’emmener en Europe ». On nous a déjà fait le coup en nous piquant nos matières premières, on ne nous piquera pas nos humoristes ! L’idée est que puisse se créer, en Afrique, une économie de l’humour, que ce secteur puisse être un avenir, une perspective professionnelle. Les chanteurs ont connu ça, les footballeurs aussi. On veut désormais sortir les hu-

moristes africains de l’image de saltimbanque à qui on dit : « Mais à part ça, tu fais quoi comme boulot ? » Il faut installer les humoristes africains en Afrique, pour qu’ils y travaillent et qu’ils puissent faire bouger la société africaine en parlant de ce que s’y passe. Et l’humour en Afrique est encore dans sa forme la plus noble. C’est-à-dire ? C’est vraiment la politesse du désespoir, c’est mettre en évidence, toucher du doigt ce qui ne va pas pour interpeller les gens. Comme pouvaient le faire Coluche ou Desproges. En France, aujourd’hui, l’humour est devenu du business, du divertissement. Or un excès de divertissement devient de la diversion : « Venez passer un bon moment pour ne pas penser à vos problèmes ». Alors qu’en Afrique, c’est l’inverse : « Venez rire de vos pro-

blèmes pour qu’on trouve la solution ensemble ». C’est une forme de résilience. Comment avez-vous sélectionné les humoristes pour le festival CFA ? Grâce au « Parlement du rire », on a lancé un appel à candidatures dans toute l’Afrique. Nous avons reçu des textes ou des vidéos filmées au smartphone. Certains sont passés sur Canal+ Afrique, puis les meilleurs au festival d’Abidjan. Je viens aussi d’ouvrir à Abidjan le Gondwana Club, le premier comedy club de l’Afrique francophone. Car il n’y avait pas de scène spécialisée dans l’humour. Les baptêmes, les mariages, les anniversaires ou encore les meetings politiques, pour chauffer la salle, sont les seules occasions de jouer. J’ai aussi le projet d’ouvrir dans deux ans à Niamey, au Niger, une école de comédie

Angelin Preljocaj danse avec la mort

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es corps au sol. Blancheur des cuisses, des mollets, des bras sur le fond noir des maillots et de la scène. Eclat mat et paradoxalement lumineux de la peau, qui irradie dans l’obscurité sa pâleur glacée entre vie et mort, révélant la beauté inconfortable de la défaite physique annoncée. Cet effet mosaïque fait durablement scintiller le spectacle Still Life, chorégraphié pour six danseurs, par Angelin Preljocaj. Créé en 2017, comme une pièce-laboratoire pour ouvrir le robinet gestuel sans obligation de résultat, elle offre un relief particulier grâce à sa plasticité en noir et blanc, lorgnant parfois du côté du théâtre d’ombres. Soutenue par la bande-son anxiogène d’Alva Noto, Ryuichi Sakamoto et 79 D, cette « nature morte » se place sous influence des vanités. Ces peintures apparaissent à partir du XVIIe siècle et juxtaposent fruits, fleurs, livres, sur la ligne

d’horizon funeste de tout être humain, en pointant la féroce absurdité de ses activités. Sur le plateau, des éléments emblématiques comme un crâne, une couronne, un sablier, un perroquet deviennent des sculptures lumineuses, posées sur des socles sombres. Gardiens de l’espace, dont ils redessinent la géométrie, ils dialoguent avec les corps-objets des interprètes, qui prennent la pose ou se transforment en se coiffant d’un cube blanc. Cette inclusion d’accessoires, de jambes et de bras explosés en tous sens unit l’espace d’un instant un plateau mi-chair, mi-plastique. Still Life creuse un motif très peu exploré par Angelin Preljocaj, directeur du Pavillon noir, Centre chorégraphique national d’Aix-en-Provence, figure du spectacle vivant depuis la création de sa compagnie en 1984 : celui d’une danse d’accessoires, qui nouerait des alliances, voire des alliages, entre le corps, le mouvement et l’objet. Souvenir de sa version ultra-ludique des 4 Sai-

sons…, de Vivaldi, chorégraphiées en 2005, avec la collaboration du plasticien Fabrice Hybert. Les interprètes y jouaient à la corde à sauter, se déguisaient en ours gonflable… L’enfance multicolore a fait place à la maturité en noir et blanc, et le catalogue des jouets a dérapé du côté du répertoire funéraire. Haute précision La danse, elle, se moque du temps qui file. Le compte à rebours a commencé, mais elle refuse de se figer et se dresse comme un rempart contre la mélancolie. Elle dégaine sec et tire dans tous les sens. Arabesque à droite, relevé à gauche, grand plié en biais, ronds de jambes pour lier le changement de cap, ça tourne girouette chez Preljocaj avec une jouissance de la belle mécanique à l’ouvrage dont l’engrenage ne coince jamais. Angelin Preljocaj aime la haute précision. Au risque que la beauté de sa danse multifacettes, biseautée jusqu’à plus soif, évacue sa

charge intime de nervosité, pour ne devenir qu’un ballet de formes, aussi inventif soit-il. Still Life ralentit parfois le tempo en rêvant un peu. Un brin de mystère dans un sas de lumière bleutée. Avant que le feu de l’action ne reparte de plus belle. Still Life est présenté avec une pièce très courte Ghost (2018) – hommage de Preljocaj à Marius Petipa (1818-1910), le maître du ballet classique –, créée le 27 novembre 2018 dans le cadre du fes-

« Still Life » creuse un motif très peu exploré par Preljocaj, celui des alliances entre le corps, le mouvement et l’objet

Qu’attendez-vous de ce festival en France ? J’aimerais que le public ressorte en se disant : « On s’est marré, on a appris des choses, on a découvert des artistes et d’autres univers. » Comme s’ils revenaient d’un voyage où ils n’auraient pas fait du all inclusive, mais du tourisme chez l’habitant ! p propos recueillis par sandrine blanchard

Comédie festival africain (CFA), du 16 au 27 avril à Paris (Casino de Paris, La Cigale, Comédie de Paris) et en tournée (Bruxelles, Lille, Nantes, Marseille, Bordeaux), avec Mamane, Michel Gohou, Digbeu Cravate, Ronsia, Joël, Ambassadeur Agalawal, Le Magnific, Omar Defunzu.

PAT R I MOI N E

Une tombe de la Ve dynastie découverte à Saqqara, en Egypte

« Still Life », présenté au Centquatre, à Paris, inclut des accessoires inspirés des vanités

DANSE

Les humoristes africains peuvent-ils rire de tout ? Oui. On rit de tout, on peut tout se dire. Le seul sujet encore peu abordé est celui de la religion et de sa prise de pouvoir – comme par exemple l’imam Dicko, au Mali, qui remplit les stades avec ses fidèles. Les humoristes n’ont pas encore perçu ce danger-là. Mais ça va venir. Au « Parlement du rire », on parle de tous les dysfonctionnements politiques et sociétaux : l’intégrisme, la polygamie, etc. On a créé la famille du Gondwana. Les humoristes savent qu’ils peuvent compter sur nous s’ils ont un problème chez eux lié à ce qu’ils ont dit sur scène.

tival Diaghilev de Saint-Pétersbourg. Ce programme conclut, du 17 au 21 avril, la 7e édition du festival Séquence Danse Paris, piloté par le Centquatre. Parallèlement, on peut aussi y voir l’exposition photo et la performance Mnémosyne, de Josef Nadj, ainsi que la tentative burlesque sur le rire, intitulée Augusto, d’Alessandro Sciarroni. Depuis le 13 mars, ce rendezvous, qui a décliné près d’une vingtaine de spectacles, dont Tropismes, tranche de clubbing secouée servie par Olivier Dubois, a d’ores et déjà rallié 15 000 spectateurs sur le fil de cinquante-trois représentations. p rosita boisseau

Still Life/Ghost, d’Angelin Preljocaj. Du 17 au 21 avril, 21 heures. De 20 à 28 euros. Augusto, d’Alessandro Sciarroni, du 16 au 20 avril, 20 heures. Mnémosyne, de Josef Nadj, du 16 au 21 avril. Séquence Danse Paris Le Centquatre, Paris 19e. Tél. : 01-53-35-50-00. 104.fr

Les autorités égyptiennes ont dévoilé, samedi 13 avril, à Saqqara, près du Caire, la tombe d’un haut responsable datant de la Ve dynastie et ornée de reliefs colorés et d’inscriptions bien préservées. Le prénommé « Khuwy » aurait été un noble durant la Ve dynastie (entre 2 500 et 2 300 avant J.-C.). La même équipe a déjà découvert plusieurs tombes datant de la Ve dynastie. – (AFP.) PAT R I MOI N E

A Rome, le premier palais de Néron ouvre au public La Domus Transitoria, le premier palais de l’empereur Néron (37-68), à Rome, a ouvert au public, vendredi 12 avril, après dix ans d’une restauration délicate. Le palais somptueux autrefois orné de feuilles d’or, de pierres précieuses et de perles avait été détruit en 64 par le grand incendie de Rome. Néron l’avait alors abandonné pour en construire un autre, la Domus Aurea (« maison dorée »). – (AFP.)


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Michel Barnier en mode commando

VOTRE SOIRÉE TÉLÉ

Dans les coulisses des tractations sur le Brexit, avec le négociateur en chef de l’UE. Un documentaire passionnant ARTE MARDI 16 - 20 H 50 DOCUMENTAIRE

L’

Europe n’en a pas fini avec le Brexit. L’interminable feuilleton à rebondissements a déjà repoussé à plusieurs reprises la date de sortie effective de l’Union européenne (UE) du Royaume-Uni. Ce devait être le 29 mars ? Trop juste. Le 12 avril ? Raté. Le 23 mai ? Pourquoi pas ? Mais il faudra peut-être patienter jusqu’au 31 octobre, date limite fixée mercredi 10 avril par les vingt-huit dirigeants de l’Union, Theresa May (première ministre britannique) comprise, pour que ce Brexit grand-guignolesque devienne réalité. En attendant une issue à ce grand divorce plus compliqué que prévu, un personnage occupe une place centrale au milieu de ce chaos, et semble tenir le cap. Son job ? Négociateur en chef de l’Union européenne. Un travail d’une complexité folle, tant les dossiers sensibles sont nombreux, les mauvaises volontés palpables, les intérêts parfois di-

vergents. Cet homme, c’est le Savoyard Michel Barnier (Les Républicains), qui est, de fait, au cœur de ce passionnant documentaire signé du Belge Alain de Halleux. Ce dernier a obtenu l’accès à des zones habituellement interdites aux caméras : réunions techniques restreintes, coulisses des sommets européens, cinquième étage ultra-sécurisé du Berlaymont, siège de la Comission européenne à Bruxelles, où Michel Barnier et son équipe de choc, composée d’une cinquantaine de fonctionnaires de haut niveau, travaillent comme des forcenés sur un accord de sortie du Royaume-Uni. Un boulot qui rend les nuits aussi fatigantes que les jours, épuisant mais visiblement passionnant. Comment Michel Barnier et ses troupes travaillent-ils concrètement avec leurs homologues britanniques depuis de longs mois ? C’est ce que le documentaire nous fait découvrir. « Le Brexit est une affaire très grave qui nous oblige à détricoter quarante-quatre ans de relations », résume le Français. Comme le rappelle plus prosaïquement un autre témoin : « Les

M AR D I 16 AVR IL TF1 21.00 L’Arme fatale Série avec Damon Wayans, Keesha Sharp (EU, 2019). 22.50 L’Arme fatale Série avec Clayne Crawford, Jordana Brewster (EU, 2018, 2017). France 2 21.00 Les Sept Mercenaires Film d’Antoine Fuqua avec Denzel Washington, Ethan Hawke (EU, 2016, 140 min). 23.20 La Maison des hommes violents Documentaire de Marie-Christine Gambart (Fr., 2017, 55 min).

Le Français Michel Barnier est au cœur du documentaire. POINT DU JOUR/ARTE

Britanniques quittent 750 accords internationaux ! » En novembre 2018, l’équipe de Barnier publiait un traité de retrait monumental : 583 pages et 185 articles ! Nuits blanches et agacements Le mérite de ce documentaire est d’avoir pu suivre au plus près les interventions de cette task force, au gré des négociations âpres, des réunions fiévreuses, des nuits blanches, des inquiétudes non dissimulées et des agacements perceptibles. A Bruxelles, bien sûr, où siègent les instances de l’UE, mais aussi à Sofia, à Derry, deuxième ville d’Irlande du Nord,

nouvelle frontière « en dur » sur le sol irlandais qui paraît bloquer le dossier du Brexit. Très inquiet sur ce sujet, Michel Barnier, que l’on suit en visite à Derry, estime que la question de cette frontière irlandaise est un problème majeur, alors que David Davis, qui a quitté ses fonctions de secrétaire d’Etat à la sortie de l’UE du Royaume-Uni le 8 juillet 2018, n’y voyait, lui, qu’un problème « technique ». Le feuilleton continue. p

en passant par Salzbourg et Copenhague. Grâce à son accès privilégié, Alain de Halleux fait vivre ces négociations comme un thriller. Face caméra, Michel Barnier ne cache rien de ses sentiments. Parfois soucieux, agacé, dur en affaires, car sa mission est aussi d’éviter que le Brexit ne fasse tache d’huile et que l’UE ne se détricote. Pas facile lorsqu’on a devant soi un négociateur comme l’europhobe britannique David Davis… Entre la libre circulation des citoyens, les questions d’argent, les traités commerciaux à revoir, les dossiers épineux ne manquent pas. Mais c’est bien le risque d’une

alain constant

Brexit, the clock is ticking, d’Alain de Halleux (Bel., 2019, 93 min).

Le dernier film des frères Taviani confronte l’amitié entre deux hommes au péril de leur amour pour une femme

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lus que des traits des personnages, de leurs motivations, c’est du brouillard qui les entoure que l’on s’imprègne en regardant Una questione privata, dernier film réalisé par Paolo et Vittorio Taviani (Vittorio, l’aîné, est mort le 15 avril 2018). De la brume épaisse qui s’abat sur les collines des Langhe, cette région du Piémont où se situe l’action du ré-

cit, emprunté à Beppe Fenoglio (1922-1963) – auteur qui consacra son œuvre aux partisans italiens, dont il avait fait partie. Comme son titre l’indique, le film met en mouvement les mécaniques contradictoires des passions privées et de l’action politique armée. Les Taviani ont beau traiter consciencieusement ce thème, leur film semble se défaire de cette intention pour devenir une succession de visions ténébreuses d’un passé à la fois glorieux et terrifiant – la guerre de partisans contre les fascistes.

On est au dernier automne de la seconde guerre mondiale. Dans les collines du Piémont, les partisans affrontent les Chemises noires de la république de Salo. De très jeunes gens battent la campagne dans le froid, mal armés, mal vêtus, mal nourris. Au hasard d’une patrouille, Milton (Luca Marinelli) revient dans la maison de maître où il a composé, en 1943, avec Giorgio (Lorenzo Richelmy) et Fulvia (Valentina Belle), un triangle amoureux qui mêla littérature, jazz et marivaudage. Depuis, Fulvia s’est réfugiée en ville ;

HORIZONTALEMENT

I. Fait tomber les masques. II. Plaisir GRILLE N° 19 - 090 PAR PHILIPPE DUPUIS

solitaire. Notre oncle d’Amérique.

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thomas sotinel

Una questione privata, de Paolo et Vittorio Taviani. Avec Luca Marinelli (It., 2017, 85 min).

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SUDOKU N°19-090

I II

IV. Messagère divine. Ne me quitte

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de Joliette sur le Saint-Laurent.

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pour chacun. Vitrines de la presse.

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VI. Meuble héraldique royal. Propre III

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pas, disait-il avant de partir. V. Autour

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IX. Garda pour lui. Attaquai la pureté. VI VII

X. Accrocheraient en surface. VERTICALEMENT

1. Très sensible, elle peut tenir chaud VIII IX

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VIII. Ecran au foyer. La moitié de tout. Dans les comptes de l’entreprise.

sur la couche. 2. Pousse à améliorer nos possibilités. 3. Possessif. Attaqua

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VII. Inventaires dans le détail. IV

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Très facile

Complétez toute la grille avec des chiffres allant de 1 à 9. Chaque chiffre ne doit être utilisé qu’une 3 8 seule fois par ligne, par colonne et par 6 carré de neuf cases. Réalisé par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)

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Arte 20.50 Brexit, the Clock is Ticking Documentaire d’Alain de Halleux et Stéphanie Thomas (Fr., 2019, 90 min). M6 21.00 Bienvenue à bord Film d’Eric Lavaine avec Valérie Lemercier, Franck Dubosc (Fr., 2011, 115 min). 22.55 Zumba, metal et aventure : la folie des croisières à thèmes Documentaire de Renaud d’Hetru (Fr., 2017).

0123 est édité par la Société éditrice

III. Ouverture de gamme. Complètement absurde. Sorties du corpus.

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pour faire douter de la justesse des décisions et des impulsions. Malgré des retours en arrière laborieux qui évoquent l’éden fracassé par la guerre, ce film bref, imparfait mais bouleversant, retentit comme l’ultime célébration d’une façon de pratiquer un art, dont l’un des premiers et plus beaux exemples fut Païsa, de Roberto Rossellini. p

Milton puis Giorgio ont rejoint les rangs des partisans. La gouvernante laisse entendre à Milton, jusqu’alors sûr de l’amour de Fulvia, que Giorgio en a lui aussi été le récipiendaire. Le jeune homme se lance alors à la recherche de son ami et désormais rival. Dans ce paysage d’escarpements et de fermes isolées, le garçon pose son regard halluciné sur ce monde qui lui échappe. La réalité se défait en une série de plans : une fillette s’extrait d’un monceau de cadavres, un prisonnier fasciste cesse de parler. Et toujours le brouillard,

Canal+ 21.00 Le Cercle littéraire de Guernesey Film de Mike Newell avec Lily James, Matthew Goode (RU-EU, 2018, 125 min). 23.05 Tchi Tcha Magazine présenté par Laurie Cholewa France 5 20.55 Les Enfants perdus d’Angleterre Documentaire de Stéphanie Thomas et Pierre Chassagnieux (Fr., 2018, 65 min). 22.40 C dans l’air Magazine présenté par Caroline Roux.

Les mécaniques contradictoires de l’amour et de l’action armée CINÉ+ CLUB MARDI 16 - 22 H 45 FILM

France 3 21.00 Capitaine Marleau Série avec Corinne Masiero, Niels Arestrup, Florence Thomassin (Fr., 2017). 23.25 Phantom Boy Film d’animation d’Alain Gagnol et Jean-Loup Felicioli (Fr./Bel., 2015, 85 min).

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du « Monde » SA. Durée de la société : 99 ans à compter du 15 décembre 2000. Capital social : 124.610.348,70 ¤. Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS). Rédaction 80, boulevard Auguste-Blanqui, 75707 Paris Cedex 13 Tél. : 01-57-28-20-00 Abonnements par téléphone : de France 3289 (Service 0,30 ¤/min + prix appel) ; de l’étranger : (33) 1-76-26-32-89 ; par courrier électronique : abojournalpapier@lemonde.fr. Tarif 1 an : France métropolitaine : 399 ¤ Courrier des lecteurs blog : http://mediateur.blog.lemonde.fr/ ; Par courrier électronique : courrier-des-lecteurs@lemonde.fr Médiateur : mediateur@lemonde.fr Internet : site d’information : www.lemonde.fr ; Finances : http://finance.lemonde.fr ; Emploi : www.talents.fr/ Immobilier : http://immo.lemonde.fr Documentation : http ://archives.lemonde.fr Collection : Le Monde sur CD-ROM : CEDROM-SNI 01-44-82-66-40 Le Monde sur microfilms : 03-88-04-28-60

La reproduction de tout article est interdite sans l’accord de l’administration. Commission paritaire des publications et agences de presse n° 0722 C 81975 ISSN 0395-2037

bassement. 4. Apporta un parfum X

d’étoiles. Personnel. 5. Première dynastie chinoise. Article. Un peu flippant. 6. Très fatigué. Recouvre riche-

SOLUTION DE LA GRILLE N° 19 - 089

ment. 7. Fit très bonne impression.

HORIZONTALEMENT I. Assibilation. II. Boulas. Situa. III. Smasher. Rait.

Dans l’erreur. 8. Dans le filet. Au

IV. On. Araser. V. Logement. Der. VI. Ultra. Gag. Mi. VII. Té. RSA. Trams.

Mexique et en Russie. 9. Mis en circu-

VIII. Inga. Rpu (pur). DUT. IX. Otite. Lazare. X. Négativismes.

lation dans la confusion. 10. Fait un

VERTICALEMENT 1. Absolution. 2. Somnolente. 3. Sua. Gt. GIG. 4. Ils. Er-

rata. 5. Bahamas. Et. 6. Isère. Ar. 7. Rang. PLV. 8. As. Statuai. 9. Tire. GR. Zs. 10. Itard. Adam. 11. Oui. Emmuré. 12. Naturistes.

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L’Imprimerie, 79 rue de Roissy, 93290 Tremblay-en-France Toulouse (Occitane Imprimerie) Montpellier (« Midi Libre ») Origine du papier : France. Taux de fibres recyclées : 100 %. Ce journal est imprimé sur un papier UPM issu de forêts gérées durablement, porteur de l’Ecolabel européen sous le N°FI/37/001. Eutrophisation : PTot = 0.009 kg/tonne de papier


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IDÉES

0123 MARDI 16 AVRIL 2019

Sandrine Rui « L’impératif participatif, une idée aussi vieille que la démocratie » La sociologue revient sur le processus du grand débat mis en place par Emmanuel Macron. Selon elle, si ce type de dispositif produit des effets, ceux-ci restent globalement difficiles à mesurer

ENTRETIEN

S

andrine Rui, maîtresse de conférences en sociologie et vice-présidente de l’université de Bordeaux, est spécialiste des processus de démocratie participative. Elle a notamment écrit La Démocratie en débat. Les citoyens face à l’action publique (Armand Colin, 2004). Engagé à la mi-janvier par Emmanuel Macron, le grand débat national aura finalement mobilisé 1,5 million de Français. Au regard de ce chiffre, peut-on dire que la démocratie participative sort gagnante de cet exercice ? Il faut surtout se demander ce qu’elle pourrait y perdre si les conclusions du grand débat n’étaient pas à la hauteur des attentes qu’il a suscitées. Mais ce qui importe plus encore, c’est de savoir ce qui en résultera pour la démocratie au sens large. La crise ouverte par le mouvement des « gilets jaunes » a révélé, de façon aiguë, un point limite de la gouvernabilité d’une société fragmentée et divisée. La question est de savoir si l’on va parvenir collectivement à tirer les leçons de ce qui s’est joué dans le cadre de ce débat et à ses bords. Il ne suffira pas au président de la République de dire : « Je vous ai compris. » Les citoyens attendent des décisions, des actes. Mais aussi la mise en récit d’un projet cohérent, qui donne du sens et un horizon à partager pour l’avenir. D’après certains, ce grand débat a surtout mis en exergue l’ancrage de l’individualisme dans la société. « La majorité de ceux qui ont participé ont réagi par rapport à leur situation personnelle. Il est difficile d’y voir un projet national », regrette ainsi un conseiller de l’exécutif. Qu’en pensez-vous ?

La plus-value d’un dispositif participatif, c’est de permettre aux citoyens de contribuer au débat depuis leurs conditions d’existence, leurs intérêts et leurs opinions personnelles. Il faut l’assumer, car c’est la matière même du politique. On ne peut pas reprocher aux individus qu’on a invités à s’engager de s’en tenir à leur expérience propre. Sur certaines scènes du grand débat, les participants ont d’ailleurs eu l’occasion de dépasser l’expression de leurs intérêts personnels, et d’entrer dans des dynamiques de discussion collective pour faire des propositions. Mais si ces propositions nous intéressent collectivement, c’est justement parce qu’elles partent des expériences individuelles. Inédit par sa forme comme par son ampleur, le grand débat national s’inscrit dans toute une panoplie de processus qui permettent aux citoyens de se mêler directement des affaires qui les concernent. De quand date, en France, le développement de cette démocratie participative ? Même si la démocratie représentative reste le modèle dominant, l’impératif participatif est une idée aussi vieille que la démocratie. En France, il suscite un regain d’intérêt des pouvoirs publics depuis près de trente ans. Au début des années 1990, de grands projets dans le secteur de l’aménagement et des infrastructures de transport – autour du TGV, notamment – suscitent en effet un certain nombre de conflits-phares, qui bloquent l’avancée des décisions et vont amener le législateur et l’exécutif à s’interroger sur la manière d’agir. Dans ce contexte de crise, l’élargissement de la participation est alors entrevu comme un élément constitutif de l’action publique, et l’on voit apparaître les premières dispositions législatives et réglementaires introduisant une dose de démocratie

Jacques Moulin Il faut envoyer la Maison du peuple à la ferraille Œuvre pionnière de l’architecture des années 1930, l’édifice de Clichy-la-Garenne, dont la restauration fait polémique, n’avait pas vocation à durer, selon l’architecte en chef des Monuments historiques

E APRÈS DEUX GÉNÉRATIONS, UN BÂTIMENT N’EST PLUS ADAPTÉ À LA SOCIÉTÉ, DISAIT SON CONCEPTEUR

levée à Clichy-la-Garenne (Hautsde-Seine) entre 1936 et 1939, la Maison du peuple est une des constructions les plus passionnantes de ce qu’a donné, en architecture, le Mouvement moderne. Conçue comme un ensemble expérimental, elle était l’aboutissement du bâtiment machine dont rêvaient les architectes les plus novateurs de l’époque. Son architecte, Marcel Lods, fit appel à un des rares ingénieurs qui croyaient encore aux vertus des structures métalliques, Vladimir Bodiansky, et sollicita aussi le designer Jean Prouvé,

participative. Le principe du « débat de l’amont », qui permet d’organiser une concertation en continu très en amont de la décision, est formalisé en 1992 par une circulaire. Celle-ci sera suivie d’un texte de loi en 1995, qui vient installer la procédure de débat public et créer la première mouture de la Commission nationale du débat public (CNDP). L’objectif, à l’époque, était avant tout de trouver une façon d’asseoir la légitimité des décisions publiques. Mais il y a d’autres motivations : on considère que les processus participatifs sont susceptibles de favoriser la cohésion sociale, et de produire des politiques publiques mieux adaptées à leurs ressortissants. En quelques décennies, l’institutionnalisation de la participation n’a ainsi cessé de s’étendre – conseils de quartier, procédure organisée par la CNDP, débats nationaux (sur l’école, la transition énergétique, etc.), consultations en ligne, ou encore saisines par voie de pétition du Conseil économique, social et environnemental. Cette montée des processus participatifs a-t-elle répondu aux demandes des citoyens ? Oui et non. Ces dispositifs produisent indéniablement des effets – sur les participants eux-mêmes comme sur les décisions –, mais ils restent globalement difficiles à mesurer. Et il faut bien constater que les diagnostics de crise perdurent. La défiance ne cesse de se renforcer à l’égard des institutions et des autorités, alors

UNE FOIS QU’ON A PROPOSÉ AUX CITOYENS DE S’ENGAGER, DE PARTICIPER, COMMENT CETTE PAROLE VA-T-ELLE ÊTRE TRADUITE EN DÉCISIONS LÉGITIMES ET EN ACTIONS ?

pionnier du démontable. Lors d’un passage à Paris, en 1946, Frank Lloyd Wright écrivit à son propos que « l’on n’avait encore rien de pareil en Amérique ». Imaginé comme une machine, le bâtiment devait être entretenu comme tel. Dans les années qui suivirent la Libération, il ne le fut pas. Après quelques projets de transformation en bureau de poste ou en centre commercial, il perdit tout usage autre que celui, sporadique, de marché couvert. Ni vandalisme ni désespoir En 1981, l’arrivée de Jack Lang au ministère de la culture suscita une tentative de renouveau, qui resta inaboutie, malgré et après un classement aux Monuments historiques en 1983. Quand un ouvrage est abandonné, aucune méthode banalisée n’est efficace. A la recherche de sites capables de transformer la banlieue parisienne en ville, l’Etat et la métropole du Grand Paris lancèrent en 2016 l’idée de restaurer la Maison du peuple en lui redonnant une vie publique réelle. L’objet du concours était de « l’affirmer dans l’espace urbain et la révéler par un signal architectural ». L’architecte Rudy Ricciotti le remporta, proposant une restauration scrupuleuse et une réouverture au public avec des commerces au rez-dechaussée et une grande salle d’expositions à l’étage, gérée par le Centre Pompidou. Pour financer l’ensemble, il proposa une

même que celles-ci sont plus proches des citoyens qu’elles ne l’ont jamais été, au sens où elles affrontent le débat. Mais cette réalité n’est pas perçue, ou est considérée comme insatisfaisante. Pour quelles raisons ? Cela peut tenir aux imperfections de ces dispositifs ou à la complexité de leur mise en œuvre. Mais aussi aux aspirations de la population, souvent ambivalentes : les enquêtes d’opinion révèlent une demande toujours accrue de participation, mais la base sociale des participants ne s’élargit pas. Les enjeux de discussion y sont aussi pour quelque chose, car certains d’entre eux, pourtant cruciaux, ne sont que rarement soumis à la discussion. C’est d’ailleurs l’un des éléments inédits du grand débat que d’avoir ouvert le dialogue sur la fiscalité, qui fait le plus souvent partie des points aveugles de ces débats citoyens. Que faudrait-il faire pour améliorer leur efficacité ? La démocratie représentative, malgré ses imperfections, a un avantage de poids par rapport aux instruments participatifs : elle permet de désigner des responsables, vers qui on pourra se tourner pour rendre des comptes. Les dispositifs de participation et de délibération, eux, s’arrêtent toujours au seuil de la décision. C’est donc l’articulation entre ces deux mécanismes qu’il faudrait renforcer. C’est une problématique constante : une fois qu’on a proposé aux citoyens de s’engager, de participer, comment cette parole va-t-elle être traduite en décisions légitimes et en actions ? Dans un article publié en 2016 dans la revue « Histoire, économie & société », vous affirmez que les processus participatifs ont contribué à l’affaiblissement des corps intermédiaires. De quelle manière ? L’affaiblissement de la société civile organisée auquel on assiste depuis quelques décennies, notamment celui des syndicats, a de nombreuses causes – à commencer par l’individualisation de notre société. Les processus participatifs y ont contribué, ne serait-ce que parce que leur développement, dans les années 1990, s’est précisément fondé sur ce diagnostic : dans plusieurs secteurs d’inter-

tour enchanteresse, non pas en continuité de la Maison du peuple, mais volontairement différente et posée sur elle sans mordre, ni sur ses façades ni sur le moindre espace intérieur significatif. Etait-ce trop demander ? Un monument participant au renouveau d’un quartier, attirant les visiteurs et autofinancé : l’idée était trop belle pour ne pas susciter la réaction. On hurla au loup, on le compara à une cathédrale, on n’hésita pas à affirmer que la notion de monument historique n’existerait plus si on osait construire cette tour qui permettait précisément de sauver celui-ci. Une querelle des Anciens et des Modernes permet de voir comment s’actualisent les postures les plus passéistes. Celle-ci ne fut même pas drôle, réutilisant des arguments émis dès 1823 pour s’opposer, heureusement en vain, à la flèche de fonte proposée par l’architecte Jean-Antoine Alavoine sur la cathédrale de Rouen. Et depuis trois ans qu’a eu lieu le concours du Grand Paris et que fusent les critiques, aucune autre proposition n’a encore été émise… Entre accepter le projet Ricciotti et laisser la Maison du peuple à son sort, aucune décision n’est encore prise. Reste une hypothèse qui n’a pas encore été envisagée : il faut la détruire. Non par vandalisme ou par désespoir devant autant d’aporisme, mais parce qu’elle était faite

vention publique, l’accroissement des crises et des conflits provenait de ce que les corps intermédiaires, devenus cogestionnaires de l’action publique, n’étaient plus en mesure de jouer leur rôle de médiation et de régulation sociale face à de nouvelles formes de mobilisations citoyennes. Autrement dit : ces corps intermédiaires étaient à la fois trop forts et trop faibles, ce qui a amené le législateur à impliquer directement les citoyens. L’institutionnalisation de cette participation avait donc tout lieu d’être perçue comme une menace pour les capacités d’action et de représentation des acteurs organisés de la société civile. Et de fait : dans les débats publics, la parole des citoyens vient concurrencer celle des syndicats et des associations dans leur rôle de médiation sociale et politique. N’est-ce pas là une bonne occasion de revitaliser le débat démocratique ? Cela peut l’être, à condition de ne pas jouer les uns contre les autres. Pour les corps intermédiaires, dont la raison d’être est de représenter des intérêts collectifs, ce n’est pas simple de cohabiter avec des paroles plus singulières. Et cette difficulté n’est pas à prendre à la légère, car ces acteurs de la société civile sont, eux aussi, essentiels à la vie démocratique. Cela dit, dans leurs propres instances, syndicats et associations sont de plus en plus conscients de la nécessité de se confronter aux nouvelles formes de mobilisation citoyenne. Et cette confrontation peut être une occasion de régénération. C’est très perceptible, par exemple, en ce qui concerne les organisations environnementales : à force d’affronter en situation de débat public l’expression d’individus issus de catégories sociales modestes, pour qui certaines mesures écologiques accentuent les difficultés rencontrées au quotidien, ils ont progressivement intégré la question de la justice sociale dans leurs revendications. Une fois encore, tout est question d’articulation. Le cœur battant d’une démocratie, ce sont les mécanismes d’articulation. Et c’est quand ces mécanismes sont inexistants ou imparfaits que cela coince. p propos recueillis par catherine vincent

pour être détruite. Le choix d’une architecture métallique n’avait pas pour objectif de créer un ouvrage immortel. Bien au contraire, il entrait dans une logique de renouvellement du bâtiment. Marcel Lods lui-même affirmait qu’après deux générations un bâtiment n’était plus adapté à la société et qu’il devenait une gêne pour elle. Il a autorisé toutes les transformations de ses ouvrages et s’est opposé au classement de la cité de la Muette à Drancy. En 1976, il proposait de déplacer la Maison du peuple si elle pouvait servir ailleurs. Marcel Lods a inventé l’architecture éphémère. C’était son vœu et cela reste son plus grand apport à l’histoire de l’architecture. Quatrevingts ans après sa construction, envoyer la Maison du peuple à la ferraille serait l’aboutissement de sa démarche. p

Jacques Moulin est architecte en chef des Monuments historiques depuis 1984. Il est notamment responsable du parc et des jardins du domaine national de Versailles, de la manufacture des Gobelins, du Mobilier national, de l’Ecole militaire, de la basilique de Saint-Denis. Il a cofondé, en 2009, l’agence 2BDM Architectes


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Archives sur le génocide au Rwanda « L’accès aux sources secrètes doit être étendu aux juges » Alors qu’une commission d’historiens va pouvoir examiner des documents, jusque-là inaccessibles, sur le rôle de la France au Rwanda de 1990 à 1994, les avocats des parties civiles dans le dossier du massacre de Bisesero réclament que cet accès soit élargi aux magistrats

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e chef de l’Etat vient de décider de réunir une commission d’historiens et de spécialistes pour faire la lumière sur l’attitude de la France pendant la préparation, la commission et les suites du génocide contre les Tutsi au Rwanda. Cette commission, si l’on en croit son président, aura accès à toutes les informations utiles et donc aux archives qui, à ce jour, n’ont été ouvertes que de manière très parcellaire. Au-delà des procédures actuellement en cours contre des personnes accusées d’avoir participé au génocide, d’autres procédures ont été engagées à raison de l’attitude observée par l’armée française lors de l’opération annoncée comme humanitaire et dénommée « Turquoise ». Rappelons brièvement les faits. Le génocide contre les Tutsi est en cours depuis deux mois et demi lorsque les autorités françaises déclenchent, le 22 juin 1994, l’opération « Turquoise », avec l’objectif officiel de mettre fin aux massacres. Les troupes du Front patriotique rwandais (FPR), la rébellion majoritairement tutsi, sont alors en passe d’infliger une défaite militaire aux forces gouvernementales, largement impliquées dans les tueries. Le 27 juin, à Bisesero, une hauteur surplombant le lac Kivu, des survivants tutsi réfugiés dans les montagnes, traqués quotidiennement, reprennent espoir lorsqu’ils voient arriver un petit détachement de militaires français conduit par un officier. Celui-ci conseille aux survivants, qui implorent la protection française, de retourner se cacher, mais promet de revenir. Trois jours s’écouleront avant que des militaires français ne reviennent. Entre-temps, des centaines de Tutsi réfugiés dans ces collines auront été massacrés par les génocidaires. Que s’est-il passé du 27 au 30 juin 1994 dans la chaîne de commandement militaire et

Mes Laure Heinich et Karine Bourdié, avocates des rescapés tutsi de Bisesero ; Mes Eric Plouvier et Olivier Foks, avocats de l’association Survie ; Me Patrick Baudouin, avocat de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) ; Me Michel Tubiana, avocat de la Ligue des droits de l’homme (LDH)

ON NE COMPRENDRAIT PAS QUE LES HISTORIENS AIENT UN ACCÈS TOTAL AUX ARCHIVES, MAIS PAS LES JUGES politique française ? Y a-t-il eu une terrible erreur d’appréciation ou ce délai traduisait-il la volonté délibérée de ne pas intervenir, au risque de faciliter l’extermination des Tutsi de Bisesero ? C’est tout l’enjeu d’une instruction ouverte à la suite d’une plainte contre X déposée par six rescapés tutsi devant le tribunal aux armées de Paris, et transmise en 2012 au pôle « Crimes contre l’humanité, crimes et délits de guerre » du tribunal de Paris et dans laquelle les organisations que nous représentons sont aussi parties civiles. Manifestation de la vérité Les parties civiles dans ce dossier ont, de manière répétée, demandé à ce que les archives soient accessibles pour la manifestation de la vérité. Chaque fois, l’accès général et inconditionnel aux documents militaires a été refusé au nom du secret-défense : certains documents essentiels n’ont pas été communiqués aux magistrats instructeurs ou ne l’ont été que partiellement. Cela empêche les juges de mener leur instruction jusqu’au bout et alimente les soupçons qui pèsent sur de hauts gradés français et la chaîne politique de commandement. En permettant l’accès d’une commission d’historiens, le chef de l’Etat, garant du fonctionnement des institutions et notamment de celui de la justice, lève les obstacles jusque-là opposés aux magistrats : on ne comprendrait pas que les historiens aient un accès total aux archives, mais pas les juges. Au moment où les magistrats responsables du dossier Bisesero envisagent de clôturer leur instruction, il est indispensable que la décision d’accès aux sources secrètes soit, vingt-cinq ans après les faits, étendue immédiatement aux juges qui ont la charge de la manifestation de la vérité. p

Samy Cohen En Israël, la démocratie a reculé, la paix attendra Dans la campagne pour les élections législatives en Israël, la droite n’a « pas lésiné sur des moyens indignes d’une démocratie », alors que passait « à la trappe » le débat sur le processus de paix, déplore le politiste

L

es Israéliens viennent de voter, le 9 avril, pour leurs représentants à la Knesset. Malgré un contexte de tension dans le Sud face au Hamas, et dans le Nord en raison de la présence iranienne en Syrie, les élections se sont déroulées dans la plus grande transparence, une multitude de partis se sont affrontés dans une compétition ouverte et concurrentielle. La démocratie en sort-elle pour autant renforcée ? Rien n’est moins sûr. La démocratie ne se limite pas à des procédures, si bien huilées soient-elles, elle est également et surtout une question de valeurs. Or, les partis politiques au pouvoir et leurs électeurs n’en ont guère tenu compte. C’est la campagne électorale la plus « sale » qui se soit jamais déroulée dans ce pays. Les députés de droite, en particulier, n’ont pas lésiné sur des moyens indignes d’une démocratie pour contrer leur principal challenger, Benny Gantz, ancien chef d’état-major de l’armée. Que n’a-t-on pas dit de lui ? Que c’est un gauchiste, qu’il est instable, qu’il s’est allié aux partis arabes, sans compter des rumeurs sur une soi-disant affaire de harcèlement sexuel du temps où il était écolier. Les électeurs de droite, eux, contre toute attente, ont fait fi de l’inculpation de Benyamin Nétanyahou pour trois affaires de corruption et d’abus de confiance. Avant même que le procureur général, Avichaï Mandelblit, ne fasse connaître ses conclusions, le Likoud et Benyamin Nétanyahou se mobilisaient pour tenter d’empêcher leur divulgation. Tandis que le premier ministre, accusant le magistrat de vouloir intervenir dans le processus électoral, demandait le report de ses conclusions à une date postérieure aux élections, une campagne de dénigrement sans précédent était conduite contre les gardiens de l’Etat de droit afin de les réduire au silence. Tous les commentateurs, et les députés de droite eux-mêmes, s’attendaient à une désaffection d’une partie des électeurs du Likoud, pariant sur un transfert de 4 ou 5 sièges au profit d’un autre parti. C’est

tout le contraire qui s’est produit. Non seulement les électeurs du Likoud ont fait preuve d’une fidélité à toute épreuve, mais jamais Benyamin Nétanyahou n’a obtenu un score aussi élevé : 36 députés, soit six de plus que lors de la précédente élection, en 2015. Les réflexes démocratiques n’ont guère joué, révélant à quel point la culture démocratique de la droite israélienne est faible. La procédure déclenchée par Avichaï Mandelblit a manifestement eu un effet contre-productif sur un électorat craignant par-dessus tout de perdre le pouvoir. La charge contre les juges La campagne a également montré le peu de cas que les dirigeants des grands partis politiques font des électeurs arabes, qui représentent quelque 18 % de la société israélienne. Fidèle à lui-même, Benyamin Netanyahou n’a cessé d’attaquer les députés de cette minorité, pour mieux rassembler autour de lui un électorat qui n’aime pas les Arabes et qui en a peur. Il a su instrumentaliser ces sentiments à son profit avec un succès consommé. Le Likoud dota même ses militants de caméras cachées pour surveiller les bureaux de vote arabes. La stratégie électorale de Benny Gantz n’a guère été plus brillante. Il a mis un point d’honneur à se distancier des partis arabes afin de capter l’électorat modéré de droite. Le résultat est qu’environ un cinquième de la société israélienne est considéré comme inapte à participer au pouvoir. Comment s’étonner du taux élevé d’abstention chez les électeurs arabes ? Le résultat des élections lui-même n’augure rien de bon pour la démocratie. La majorité de droite, qui n’a eu de cesse d’attaquer les ONG des droits de l’homme, les Arabes d’Israël, la Cour suprême ainsi que les médias, est reconduite presque à l’identique. Certes, le parti La Nouvelle Droite mené par Naftali Bennett et Ayelet Shaked, qui ont conduit la charge contre les juges, n’entrera pas à la Knesset. Mais l’absence d’Ayelet Shaked, ministre la justice sor-

tante, qui s’était promis de réduire à néant le pouvoir de la Cour suprême et de changer les règles de nomination des juges pour confier tous les pouvoirs à la Knesset, ne modifierait pas fondamentalement la donne. Ce serait oublier une donnée de fond : la Cour suprême est porteuse de valeurs libérales, universalistes, défend les droits et les libertés fondamentaux et, à ce titre, gêne le projet politique des partis nationalistes et religieux. Il y a entre les deux une divergence irréductible. Quand bien même cette instance judiciaire s’arrangerait pour ménager la sensibilité nationaliste de ces partis, et avaliserait des lois liberticides comme elle l’a déjà fait, l’obsession majeure de ces députés reste inchangée : mettre à genoux ces juges « trop à gauche ». Il s’agit autant d’une lutte de pouvoir que d’un combat sur des valeurs, qui se prête mal au compromis. Cet affrontement ne disparaîtra pas par enchantement. D’ailleurs, faut-il le rappeler, les attaques contre la Cour suprême ont commencé plusieurs années avant qu’Ayelet Shaked devienne ministre de la justice. Quant à l’échec du tandem Bennett-Shaked, il est compensé par le succès d’un parti plus extrémiste, l’Union des droites, encore plus hostile à la Cour suprême et aux Arabes, déterminé à arracher l’annexion des territoires de Cisjordanie. Ce parti est composé de trois députés ultranationalistes orthodoxes et de deux députés se rattachant à la mouvance du rabbin raciste Meir Kahane, connu pour ses diatribes violentes contre les Arabes et la gauche. Un dernier point, non moins préoccupant, est l’absence de débat sur le processus de paix. Des questions telles que les relations avec les Palestiniens, l’avenir des territoires, le sort des colonies, sont passées à la trappe, jugées par la quasi-totalité des partis politiques comme électoralement non porteuses. La démocratie a reculé, la paix attendra. p

Samy Cohen est directeur de recherche émérite à Sciences Po et au Centre de recherches internationales (CERI). Il est l’auteur notamment d’« Israël et ses colombes. Enquête sur le camp de la paix » (Gallimard, 2016).

Rwanda, un dessin inapproprié CETTE ERREUR NE REFLÈTE EN RIEN LA POSITION DU « MONDE » SUR CE GÉNOCIDE QUI A CAUSÉ LA MORT DE PRÈS DE 1 MILLION DE PERSONNES

L

e dessin de Serguei sur le Rwanda, publié dans Le Monde daté du 12 avril, a choqué de nombreux lecteurs qui ont exprimé leur indignation, notamment sur les réseaux sociaux. En pleine commémoration des 25 ans du génocide des Tutsis, ce dessin relativise en effet la spécificité et l’ampleur du drame vécu par cette communauté. Même si ce n’était pas l’intention de l’auteur, il était donc totalement inapproprié et n’aurait pas dû être publié sous cette forme fautive. Le Monde présente ses excuses aux lecteurs qui en ont été heurtés, en particulier au sein de la communauté rwandaise. Cette erreur ne reflète en rien la position, sans aucune ambiguïté, de notre journal sur ce génocide qui a causé la mort de près de 1 million de personnes, entre avril et juin 1994. Pour n’évoquer que des articles récents, nous nous sommes attachés depuis un mois à

éclairer les zones d’ombre de ce drame à travers plus d’une vingtaine d’enquêtes et de reportages. Une série a été consacrée à son financement en trois épisodes, une autre aux lieux de mémoire au Rwanda (neuf épisodes). Des tribunes d’intellectuels et de militaires, une couverture politique des cérémonies (à Paris, à Kigali lors du déplacement du député Hervé Berville, sur la commission des archives, etc.) démontrent la mobilisation de notre rédaction sur ce sujet. Cet engagement a été rappelé par un nouvel éditorial, dans l’édition du Monde datée dimanche 7 - lundi 8 avril, appelant, après plusieurs autres, au « droit de savoir et au devoir de vérité » sur ce génocide dont nous veillerons à ne jamais laisser remettre en doute la nature et la gravité. p jérôme fenoglio, directeur du « monde »


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0123 MARDI 16 AVRIL 2019

YANN LEGENDRE

Thomas Philippon L’œil tourné vers l’Amérique A 44 ans, l’économiste français, professeur de finance à la New York University, a documenté, chiffres à l’appui, la cartellisation de l’économie aux Etats-Unis

PORTRAIT

L

orsqu’il a débarqué à Boston pour faire sa thèse au Massachusetts Institute of Technology (MIT), en 1999, le jeune polytechnicien Thomas Philippon s’est retrouvé au paradis. Au paradis du consommateur, en tout cas : pendant l’euphorie économique des années Clinton, les ordinateurs portables coûtaient bien moins cher qu’en Europe, la connexion à l’Internet naissant était très bon marché et lorsqu’il fallait se rendre à un séminaire, Thomas Philippon prenait l’avion, comme tous les étudiants. Puis, insensiblement, tout a changé : vingt ans plus tard, les abonnements au téléphone portable et à Internet coûtent bien plus cher qu’en Europe, les prix des billets d’avion sont prohibitifs et nul ne rapporte plus de matériel informatique des Etats-Unis. Cette dérive s’est faite progressivement, sans que les Américains s’en aperçoivent vraiment. Thomas Philippon, qui nous reçoit dans son bureau de la New York University, au cœur de Manhattan, compare le destin du consommateur américain à celui d’une grenouille : la légende (erronée) prétend que, plongée dans l’eau bouillante, la grenouille saute et s’échappe, alors que mise dans l’eau froide sur un réchaud, elle s’endort et se laisse cuire sans réagir – comme le consommateur américain, qui n’a pas réalisé que, depuis une vingtaine d’années, les prix avaient augmenté. L’économiste français explique, dans un livre à paraître en septembre aux Etats-Unis, The Great Reversal (« le grand renversement »), « comment l’Amérique a abandonné les marchés libres » et a cartellisé son économie. Astucieuse analyse qui consiste à prendre les Etats-Unis au piège de leur propre credo capitalistique : Thomas Philippon leur prêche les vertus du libéralisme. Il y a quelques années, M. Philippon figurait parmi les « jeunes économistes » distingués par le Cercle des écono-

mistes et Le Monde (2009), ainsi que parmi les 25 jeunes économistes récompensés par le FMI (2014). Il a désormais 44 ans et il est professeur de finance. « Je suis titulaire d’une chaire depuis 2018. Je suis un vieux ponte, donc je peux radoter », plaisante ce grand gaillard sportif, qui juge un peu « archaïque » le statut inamovible de professeur – il protège la liberté de recherche mais peut conduire à « s’encroûter ». Pour écrire son livre, l’économiste ne s’est pas fondé sur ses intuitions : dans son propos liminaire, il rend hommage à un professeur de la fin des années 1970, qui avait détourné la devise américaine (« In God we trust ») lors d’une audition devant le Congrès : « Nous avons confiance en Dieu, les autres doivent fournir des données. » Economie de rentiers Thomas Philippon adhère à cette démarche fondée sur la preuve. « Fondamentalement, je ne suis pas idéologue. En économie, il faut regarder les données. » Et l’étude des données a produit des découvertes inattendues. « Mon livre explique que les Américains ont laissé leur marché se cartelliser et qu’il faut qu’ils reviennent à des marchés libres et concurrentiels. Ce n’est pas ce que j’avais l’intention d’écrire quand j’ai commencé ma recherche : j’essayais de comprendre pourquoi l’investissement baissait depuis 2000, alors que les valorisations boursières et les profits augmentaient. » Réponse : ces profits étaient le fruit, non pas de la productivité,

« FONDAMENTALEMENT, JE NE SUIS PAS IDÉOLOGUE. EN ÉCONOMIE, IL FAUT REGARDER LES DONNÉES » THOMAS PHILIPPON

mais de la cartellisation – aux EtatsUnis, il ne reste plus que quatre compagnies aériennes et trois opérateurs de téléphonie. Protégées de la concurrence, les entreprises augmentent leurs prix sans procéder à des investissements. Le héraut de cette économie de rentiers n’est autre que Warren Buffett, cet investisseur de génie qui a investi dans des entreprises quasi monopolistiques aux profits garantis, comme Coca-Cola. Les Américains ont inventé l’antitrust à la fin du XIXe siècle, démantelé l’empire pétrolier Rockefeller en 1914, libéralisé sous les démocrates (Jimmy Carter dans l’aérien) et les républicains (Ronald Reagan dans les télécoms, avec l’éclatement d’ATT), mais ils se sont assoupis, au début du XXIe siècle, alors que leurs idées libérales triomphaient partout sur la planète. « Maintenir des marchés libres, c’est une tâche de tous les jours, c’est un travail de Sisyphe, constate Thomas Philippon. Les chefs d’entreprise tentent de créer des situations de monopole. » La bascule historique repérée par M. Philippon est en partie idéologique : depuis des décennies, les juges ont repris à leur compte les idées émises par Robert Bork, ancien ministre de la justice républicain et adepte de l’école de Chicago. Dans The Antitrust Paradox (New York Free Press, 1978, non traduit), M. Bork estimait que les consommateurs bénéficiaient de la concentration des entreprises et que le capitalisme se régulerait tout seul. La bascule est aussi politique : le lobbying outrancier des entreprises auprès des élus a conduit à ériger des barrières limitant l’arrivée de nouveaux entrants sur les marchés. Thomas Philippon pensait que l’Europe, comme souvent, suivrait la destinée américaine, mais ce fut sa seconde surprise : il n’en est rien, au contraire. « L’Europe a créé un système indépendant, dont la résistance à la corruption est assez forte parce qu’il a un objet clair : protéger le consommateur européen. » L’économiste, qui a

successivement soutenu Ségolène Royal, François Hollande et Emmanuel Macron aux élections présidentielles, tord le cou aux idées souvent propagées en France. « La politique de concurrence est ce qui marche le mieux en Europe, tranche cet homme qui a passé un an au cabinet de Pierre Moscovici, en 2012-2013, avant de revenir à New York. Quand on voit la manière dont l’économie française marche, c’est dur de ne pas devenir un peu plus libéral. L’Etat centralisé est trop omniprésent dans trop de domaines. Le savoir de manière abstraite, c’est une chose, le constater tous les jours, c’en est une autre. » « Il va se passer quelque chose » Aujourd’hui, Thomas Philippon pense Amérique. Il espère qu’à l’automne, son livre, qui a été placé en tête de promotion par les éditions Harvard University Press, sera un succès. Et qu’il nourrira le débat politique, un an avant l’élection présidentielle américaine de 2020. Car il est convaincu qu’« il va se passer quelque chose ». Aux Etats-Unis, Donald Trump a voulu insuffler une nouvelle jeunesse à la politique de concurrence en interdisant la fusion AT&T-Time Warner, mais les juges lui ont infligé un camouflet. « Donald Trump a eu

tort de politiser le débat : il a instrumentalisé l’antitrust à des fins politiques pour se venger de CNN [une chaîne, propriété de Time Warner, en guerre ouverte avec le président], alors que la concurrence devrait être une politique transpartisane. » Jusqu’à présent, les présidents américains avaient beaucoup protégé leurs amis : la défense et l’énergie pour les républicains, la Silicon Valley pour les démocrates. « Ce n’est pas Obama qui allait démanteler Google », souligne Thomas Philippon. Il ne croît guère aux solutions radicales, comme le démantèlement d’Amazon, de Google et de Facebook prôné par Elizabeth Warren, la sénatrice du Massachusetts candidate à l’investiture démocrate. M. Philippon pense qu’il sera très dur de revenir sur la concentration dans l’aviation et les télécoms, mais il estime que l’on peut faire beaucoup d’autres choses. « Cela commence par la protection des données. » Après avoir ricané contre l’Europe, les Américains suivent d’ailleurs le mouvement, notamment en Californie. « Je ne vois plus un article qui se moque de l’Europe. La première chose à faire désormais, c’est de regarder ce que font les Européens et de s’en inspirer. » p arnaud leparmentier (new york, correspondant)

La présidence impériale de Donald Trump ANALYSE

L LA VOLONTÉ D’OMNIPOTENCE EST VÉRIFIÉE PAR LES ATTAQUES SYSTÉMATIQUES DU PRÉSIDENT CONTRE LES DÉCISIONS DE JUSTICE QUI NE VONT PAS DANS SON SENS

es départs au sein du gouvernement de Donald Trump sont devenus si fréquents qu’il devient difficile d’en tenir la comptabilité. Celui de la secrétaire (ministre) à la sécurité nationale qui s’occupe de l’immigration, Kirstjen Nielsen, le 7 avril, avait été précédé l’avantveille par l’éviction du responsable de la police anti-immigration. Il a été suivi le lendemain par la démission du patron du Secret Service, qui est chargé de la protection des personnalités et donc de la sécurité du président des Etats-Unis. Cette instabilité avait été inaugurée par la démission du premier conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump, Michael Flynn, vingt-quatre jours seulement après l’arrivée du milliardaire à la Maison Blanche. Cette valse est brutale. Il n’est plus question comme par le passé que le limogé reste en poste en attendant la nomination puis la confirmation de son successeur. Elle est aussi sans précédent. En un peu plus de trois ans, quinze postes gouvernementaux ont changé de titulaire, au lieu de sept pendant la même période pour le premier mandat du démocrate Barack Obama et quatre seulement pour celui du républicain George W. Bush. Cette valse pourrait être réduite à une illustration du caractère excentrique d’un président qui se présentait avant son élection comme « le seul capable de remettre en

route Washington », si elle ne dévoilait pas le dédain profond de Donald Trump pour les institutions qu’il a juré de respecter et de défendre en prenant ses fonctions. Les limogeages répétés annoncés par le président sur son compte Twitter ont en effet entraîné la multiplication des intérimaires, parfois aux postes les plus sensibles. Alors que les Etats-Unis sont toujours engagés dans la plus longue de leurs guerres, en Afghanistan, le poste de secrétaire à la défense est occupé provisoirement par l’ancien numéro deux de James Mattis parti en décembre 2018, Patrick Shanahan, et ce depuis le 1er janvier. Comme celui de secrétaire à l’intérieur du 2 janvier au 11 avril, et celui de la sécurité intérieure depuis le 8 avril. « J’ai plus de flexibilité » S’y ajoutent ceux d’ambassadeur aux Nations unies, de l’équivalent du ministre du budget et même du poste correspondant à celui de secrétaire général de la Maison Blanche (chief of staff), tous occupés par des intérimaires depuis le 1er ou le 2 janvier. Outre le secrétaire aux petites entreprises, six autres agences fédérales, dont celle chargée des catastrophes naturelles et celle des denrées alimentaires et des médicaments, sont également dirigées par des responsables provisoires dans « une administration de bureaux vides », selon la formule d’un observateur étranger. La comptabilité du Washington Post et du Partnership for Public Service, une organisation indépendante

spécialisée dans la gouvernance, montre que la majorité des ministères compte, en effet, un tiers des postes renouvelés à chaque alternance (spoil system) non pourvus, dont la moitié ou plus pour ceux de la justice, du travail et de l’intérieur. Loin de s’en formaliser, Donald Trump a avoué « aimer les intérimaires parce que cela me donne l’occasion d’agir vite », dans un entretien à CBS, en février. « J’ai plus de flexibilité », a-t-il ajouté. Ce type de nomination permet de se dispenser de l’étape exigeante de la confirmation de ses candidats par le Sénat, indispensable pour un bon nombre de postes concernés, et où son parti est pourtant majoritaire. Certes, une partie des intérimaires est composée d’adjoints ayant déjà subi cette épreuve, mais pour un autre niveau de compétences requises et donc avec une moindre exigence. Cette gestion entraîne une dilution des responsabilités, les personnes nommées provisoirement étant privées de légitimité et donc incitées à se plier à la sorte de verticale du pouvoir créée de facto par le président. La « flexibilité » vantée par Donald Trump finit par éroder également l’équilibre des pouvoirs prévu par la Constitution. Confronté à ces intérimaires susceptibles à chaque instant de quitter leurs fonctions, le Congrès est d’autant moins incité à les entendre, et à exercer l’une de ses principales activités de contrôle du pouvoir exécutif. Et qu’importe, manifestement, si cette servilité exigée par Donald Trump pénalise l’ac-

tion gouvernementale fédérale faute de s’inscrire dans la durée. La précarisation organisée s’inscrit donc dans la tentation de présidence sans frein d’un milliardaire qui n’a jamais eu à répondre de ses choix d’homme d’affaires devant le moindre conseil d’administration, son entreprise n’étant pas cotée en Bourse. La volonté d’omnipotence est vérifiée par les attaques systématiques du président contre les décisions de justice qui ne vont pas dans son sens. Ce qui lui a déjà valu un ferme rappel à l’ordre, en novembre 2018, du président de la Cour suprême, la plus haute instance juridique américaine, John Roberts, pourtant nommé par un président républicain. Cette tentation de mise au pas est également illustrée par les deux dernières nominations auxquelles Donald Trump a procédé pour la Réserve fédérale, que dirige Jerome Powell, promu par ses soins mais jugé manifestement trop indépendant. Le président a choisi deux affidés, dont un éphémère candidat à l’investiture républicaine en 2012 qui avait dû renoncer après des accusations de harcèlement sexuel. Donald Trump peut d’autant plus s’installer dans cet usage maximaliste des institutions que le Parti républicain lui laisse les coudées franches. Les voix du Grand Old Party qui dénonçaient naguère avec grandiloquence le « roi » Barack Obama légitiment aujourd’hui une présidence impériale. p gilles paris (washington, correspondant)


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0123 MARDI 16 AVRIL 2019

ÉCONOMIE |

CHRONIQUE

par j ean- m iche l b e zat

La feuille d’impôt, plus que la feuille de paie

Tout un peuple d’« invisibles » Ce n’est pas l’avis des « gilets jaunes ». Leur mansuétude pour les patrons s’explique d’abord par l’origine de la révolte, l’augmentation des taxes sur les carburants automobiles. Et par la composition hétéroclite d’un mouvement agrégeant des salariés certes, mais aussi des artisans, des chômeurs, des travailleurs précaires, des retraités aux maigres pensions, des femmes seules, des fonctionnaires peu qualifiés… Tout un peuple d’« invisibles » parfois éloignés de l’entreprise et fédérés par un sentiment de relégation plus que par une conscience de classe, comme à l’époque des luttes ouvrières. L’indulgence des manifestants tient aussi à la bonne image des dirigeants de PME et des entrepreneurs auprès d’une majorité de Français, qui ne les assimilent pas aux « élites » honnies comme les patrons du CAC 40. Ils savent que trop d’entreprises sont sur la corde raide. Quarante ans de désindustrialisation, de précarisation et de chômage de masse qui ont renversé le rapport de force au détriment des salariés, et une décennie de stagnation du pouvoir d’achat, ont fini par imposer l’idée qu’il n’y a plus de grain à moudre. Comme s’ils avaient intériorisé que se battre contre son patron, c’est retourner une arme contre soi. Où se retourner, alors ? Vers le « président des riches » comme exutoire ; et vers l’Etat comme gui-

OÙ SE RETOURNER, ALORS ? VERS LE « PRÉSIDENT DES RICHES » COMME EXUTOIRE

LES « GILETS JAUNES » ONT INTÉRIORISÉ QUE SE BATTRE CONTRE SON PATRON, C’EST RETOURNER UNE ARME CONTRE SOI chet unique. Maître de l’évolution du smic, des cotisations et de l’impôt, le gouvernement détiendrait, seul, les clés du coffre. Les « gilets jaunes » ont beau ressentir une « immense exaspération fiscale », selon les mots du premier ministre, ils ont une « idée fisc » : hausse du pouvoir d’achat et redistribution des richesses doivent passer par la réforme des impôts ou par le biais moins avouable du déficit public. Ainsi les 10 milliards d’euros octroyés par M. Macron en décembre 2018 seront en grande partie financés par la dette. Les transferts socio-fiscaux ont une importance vitale pour la cohésion sociale, même s’ils représentent un tiers du PIB, soit 750 milliards d’euros. Ils ne sont que l’expression de cette « passion de l’égalité » qui, selon Tocqueville, anime les Français et qui a fait de leur pays l’un des moins inégalitaires du monde. « Le niveau de vie des 20 % des plus pauvres est accru de près de 75 % grâce à la redistribution. Leur revenu mensuel moyen passe de 560 euros à 960 euros », indiquait une note versée au grand débat par le gouvernement. Ce « pognon de dingue » remet 5 millions de personnes au-dessus du seuil de pauvreté. Est-il sain, pour autant, de l’invoquer sans cesse dans un pays champion des prélèvements obligatoires avec 46,2 % de la richesse nationale ? La redistribution pourrait, certes, être plus favorable aux classes moyennes et populaires. Mais même une partie de la gauche a fini par admettre qu’elle avait atteint ses limites, puisque l’Etat-providence ne favorise pas la mobilité sociale. Il faut six générations pour que le descendant d’une famille du bas de l’échelle des revenus accède au revenu moyen. Un des plus mauvais résultats des pays développés. En se retournant vers l’Etat, les « gilets jaunes » obéissent à un vieux réflexe, plus vieux même que l’Etat-providence. En 1848, le député Frédéric Bastiat ironisait déjà, à la tribune de l’Assemblée nationale : « Monsieur, je n’ai pas l’honneur de vous connaître, mais je gage dix contre un que depuis six mois vous faites des utopies ; et si vous en faites, je gage dix contre un que vous chargez l’Etat de les réaliser. » Le penseur libéral, avocat enflammé d’un Etat minimal, concluait : « L’Etat, c’est la grande fiction à travers laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde. » Le « monsieur » pourrait être un « gilet jaune » et les « utopies », certaines de ses doléances. Le président de la République est désormais seul face à un chœur discordant de citoyens qui se sentent tous victimes. Le riche s’indigne : « Les impôts sont confiscatoires. » Le pauvre lui réplique : « Vous n’en payez pas assez. » Et le Français moyen râle : « Nous payons pour tout le monde. » Il va lui falloir un grand sens des équilibres politiques pour répondre à cette cacophonie et aux injonctions contradictoires d’un peuple qui réclame tout à trac moins d’impôts et plus de services publics. p

Tirage du Monde daté dimanche 14-lundi 15 avril : 210 382 exemplaires

L

a Libye vient d’entrer dans sa troisième guerre civile depuis 2011. L’échec est cuisant pour une communauté internationale qui a fait preuve de son impuissance et de ses divisions. Huit ans après le début du soulèvement qui renversa le régime de Mouammar Kadhafi avec l’aide de l’OTAN, le pays n’en finit pas d’être en proie au chaos, livré aux chefs de milice ou aux tenants d’un militarisme régressif. L’offensive déclenchée le 4 avril sur Tripoli par le maréchal Khalifa Haftar, le chef de l’Armée nationale libyenne (ANL), ramène le pays cinq ans en arrière, quand la guerre civile éclatait durant l’été 2014. Si les combats restent relativement limités, ils font craindre le risque d’un embrasement plus général en Tripolitaine (Ouest).

ce « gouvernement d’accord national » installé à Tripoli depuis le printemps 2016, était un inconnu avant que les Nations unies ne le choisissent pour incarner la solution politique en Libye. Dès lors, l’autorité de M. Sarraj n’a cessé de faire l’objet d’un travail de déstabilisation, dans lequel le maréchal Haftar a joué un rôle-clé. Soutenu par les Emirats arabes unis, l’Egypte et l’Arabie saoudite, l’homme fort de l’Est a considéré que M.Sarraj était à Tripoli l’otage des « Frères musulmans » et des « milices ». Or la vérité est qu’à partir de 2016 la frange islamiste la plus dure avait été évincée de Tripoli, même si M. Sarraj demeurait dépendant à l’égard des milices. Ces dernières étaient toutefois plus motivées par l’appât du gain que par l’idéologie. Dans ce duel entre l’Est et l’Ouest, Haftar a capitalisé sur le ras-le-bol de la population vis-à-vis du désordre milicien. Pour autant, des capitales occidentales, dont Paris, qui l’avait soutenu dans ses opérations antiterroristes à Benghazi, n’auraient jamais dû se nourrir d’illusions sur les ambitions du maréchal. Haftar est partisan d’un régime militariste à rebours des idéaux de la révolution de 2011. Si le dialogue est nécessaire avec cet acteur « incontournable », le convaincre de renoncer à son entreprise de conquête par la force est impératif pour stabiliser la Libye. p

Une nouvelle fois, les civils vont payer un lourd tribut alors que, déjà, des informations font état de violations du droit humanitaire. Les acquis engrangés depuis 2016 dans la lutte antiterroriste, en particulier contre la présence de l’organisation Etat islamique (EI), sont fragilisés. Cette dernière avait prospéré sur la fracture qui s’était ouverte entre l’Est et l’Ouest en 2014. La fragmentation du pays en fiefs rivaux et l’absence de gouvernement central avaient offert un terreau fertile à l’implantation de groupes djihadistes. L’accord signé à Skhirat (Maroc) en décembre 2015 devait réunifier le pays afin de mieux prévenir la dérive. Si cette réunification n’a pas eu lieu, les camps rivaux de l’Est et de l’Ouest, engagés dans un dialogue malaisé, avaient au moins cessé de se battre frontalement. L’accalmie avait facilité une mobilisation victorieuse contre les repaires extrémistes à Benghazi et surtout à Syrte, où l’EI avait établi son sanctuaire d’Afrique du Nord. Mais il y a tout lieu de craindre que la fracture qui se rouvre depuis dix jours libère des espaces que des groupes terroristes mettront à profit. Pour la communauté internationale, l’éclatement de cette nouvelle guerre civile signe un revers cinglant. Le maréchal Haftar a déclenché les hostilités contre un gouvernement mis en place par les Nations unies elles-mêmes. Faïez Sarraj, le chef de

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on patron, Geoffroy Roux de Bézieux, en est resté incrédule. Par quel miracle le siège du Medef, dans le très bourgeois 7e arrondissement de Paris, n’a-t-il pas été caillassé durant ces samedis de colère où des « gilets jaunes » se sont attaqués à des banques, à des commerces et à des symboles du luxe, comme le Fouquet’s ? Par quel hasard les patrons ont-ils échappé à leur vindicte ? Et par quel mystère leur revendication sur le pouvoir d’achat – au cœur de la crise – a-telle été plus fiscale que salariale ? Car des ronds-points occupés aux forums du grand débat national, ce n’est pas la feuille de paie qui a mobilisé, mais la feuille d’impôt. Ce phénomène sans précédent a laissé en rase campagne des syndicats incapables de capitaliser sur ce mouvement ; et il a propulsé le chef de l’Etat en première ligne – seul et sommé de répondre à une forte attente de justice fiscale et sociale. Au moins le constat des sondeurs se confirme-t-il : le pouvoir d’achat reste la priorité des Français, devant l’emploi, l’insécurité, le terrorisme et l’immigration. C’est même le premier sujet qui influencera leur vote à l’élection européenne du 26 mai, selon la dernière enquête Odoxa pour Franceinfo et Le Figaro, en date du 4 avril. Le revenu des 20 millions de salariés du privé, ce devrait être d’abord l’affaire des chefs d’entreprise, s’agaçait la Macronie dès le début du mouvement. Ce qui avait poussé Emmanuel Macron à demander à ceux qui le pouvaient de verser une prime de fin d’année, qui a finalement bénéficié à 10 % des salariés pour un montant moyen de 450 euros.

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