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Direct ! Encore associé à une image un peu « vieillotte », le marché de la vente directe à domicile affiche pourtant des couleurs à faire pâlir les réseaux de distribution traditionnelle. Clichés dépoussiérés, nouveaux venus, professionnalisation des salariés, intégration des nouvelles technologies, potentiel international : ses opérateurs ont aujourd’hui clairement identifié les leviers de croissance.
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Vente directe à domicile : dynamique et porteuse de croissance Il est un marché qui brave fièrement les vents de la crise : la vente directe à domicile connaît une croissance notable depuis ces dernières années. Riche d’acteurs historiques et de jeunes pousses, le secteur rassemble des opérateurs qui doivent composer avec les nouvelles tendances de consommation, les nouvelles technologies et la professionnalisation de leur réseau afin d’assurer leur pérennité. Par Stéphanie Santerre
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(un constat appuyé par le Credoc, qui relève des pics de croissance au milieu des années 90 et à partir de 2009). Ceci, mais pas seulement. À contre-pied des clichés poussiéreux qui trustent encore l’imaginaire col-
lectif rapport aux réunions « tupperware » des années passées, la vente directe a su se réinventer et se poser les bonnes questions pour progresser, dans un monde où le profil du consommateur a changé, exigeant une approche plus ludique et plus éthique dans la façon d’aborder des produits vendus hors des circuits traditionnels.
Véritable symbole de réussite, la griffe de vente à domicile Charlott’Lingerie a su défier les turbulences d’un secteur de la lingerie pourtant bien mis à mal sur le marché physique. Appuyée sur un réseau de 3500 hôtesses de vente et près de 480 000 clientes, la société créée il y a vingt ans par son actuelle PDG Véronique Garnodier a d’ailleurs été classée au premier rang des PME françaises les plus rentables par le magazine L’Entreprise en octobre 2011.
À contre-pied de la morosité économique Modèle de croissance en ces temps troublés, cette « troisième voie » de distribution (aux côtés de la vente en magasins et de la vente par correspondance) a également su capter l’intérêt des réseaux professionnels, regroupant, dans le cas du groupe ESCP Mode par exemple, des managers opérant dans l’univers La vente à de la mode et du luxe. domicile m’a forcée Membre de l’association à proposer une offre des Alumni de l’ESCPEurope, en lien avec des souple et nomade homologues des autres ALIX DE LA FOREST PDG DE LA MARQUE ÉPONYME business schools, le groupe a récemment mis à l’honneur ce domaine et les intervenants qu’il considère à la pointe de leur secteur au travers d’une table ronde orientée sur « les business mode qui ne connaissent pas la crise ». Pour Sophie Drouard, Consultante en Stratégie de Marque et animatrice du think-tank ESCP- Mode, « ce secteur constitue un champ de bataille très intéressant, et semble très porteur pour les jeunes entrepreneurs dans un contexte morose. De leur côté, les consommateurs
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xemple de résistance à la crise, alternative ou réponse aux attentes sociétales qui en émanent, le marché de la vente directe connaît une croissance soutenue depuis une vingtaine d’années. Un dynamisme qui ne fléchit pas : en 2011, le secteur a représenté un chiffre d’affaires de 3,7 milliards d’euros tous secteurs confondus, 450 000 à 480 000 distributeurs auxquels s’ajoutent des emplois indirects (production, services généraux etc.). En outre, la dernière étude réalisée par le Credoc et par Geste pour le ministère de l’Emploi précise que le nombre de vendeurs sous statut VDI (80 % des vendeurs en vente directe) a été multiplié par six entre 1995 et 2011, avec environ 350 000 emplois aujourd’hui, dont une bonne moitié à temps partiel, la plupart des vendeurs indépendants travaillant de manière occasionnelle. Avec un chiffre d’affaires représentant près de 40 % des parts de marché, le secteur de l’habitat devance ainsi l’univers de la gastronomie et du culinaire (14 %), le bien-être et la diététique, à égalité avec la beauté et les cosmétiques (10 %). Le circuit textile et accessoires de mode représente à lui seul 8 % de l’activité globale, une part qui devrait jouir d’une croissance modérée à court terme. Si ces acteurs communiquent leur optimisme pour l’avenir aussi haut que s’exprime le dynamisme de ce secteur, c’est qu’ils évoluent aussi en marge de la conjoncture, en bénéficiant, de manière collatérale, d’un regain de potentiel né des difficultés économiques de beaucoup de secteurs touchés par la crise
JC Confection a remporté le Prix de la Jeune Entreprise 2011 pour avoir développé avec succès la vente à domicile de ses collections, Divilune, Gérard Matel et Isis. Pour l’instant, seules Divilune et Gérard Matel sont présentées en réunion, mais Isis devrait bientôt suivre.
commencent à fuir la vente uniformisée, au profit d’un commerce plus humanisé. » Dans son rapport, le Crédoc confirme cette analyse : « Au domicile ou à celui d’un proche, la relation acheteur/vendeur est généralement plus humaine qu’en magasin, le client potentiel se sentant en confiance dans un environnement connu et où l’effet d’émulation est apprécié. » Acteur engagé sur ce secteur depuis des années, JC Confection, entreprise de confection française de prêt-à-porter haut de gamme et luxe située à Moncoutant (Deux-Sèvres) près de Cholet, constate également une évolution notable, favorable à sa croissance. « La crise, confie son dirigeant Hervé Tetard, a intensifié les dépôts de bilan et donc la perte des emplois dans la fabrication française. Une conjoncture qui nous a permis de maintenir au moins les effectifs français pour se lancer dans la vente à domicile, une activité supplémentaire qui nous a aidés à garder le cap. Effectifs conservés au niveau de la production ; nous commençons aujourd’hui à réembaucher dans des services particuliers, notamment au niveau du pôle vendeurs, l’entreprise ayant passé la barre des 185 vendeurs aujourd’hui, contre 28 en 2003. » La société a par ailleurs reçu le Prix de la Jeune Entreprise 2011 lors du Congrès de la FVD en mai 2012, pour avoir développé avec succès la vente à domicile de ses collections.
Made in France, proximité, innovation : les nouvelles tendances La holding, qui rassemble 650 personnes, déploie ainsi trois marques à domicile : Isis Collection, créée en 2003 suite au dépôt de bilan de la société Solfin, Divilune (2008) et enfin Gérard Matel, rachetée pour compléter le réseau de vendeurs en 2010. Techniquement, seules les deux dernières sont pour l’heure présentées en réunion, pré-
cise Hervé Tetard, Isis, la plus forte activité, étant traitée en représentation individuelle (one-to-one), avant de s’orienter bientôt davantage en mode « tupperware ». Si l’avantage tourne en faveur de ce secteur depuis quelque temps, celui-ci ne souffre d’aucun immobilisme. Réinventer la profession, bousculer son image un peu « vieillotte », saisir les leviers de croissance du commerce traditionnel, comprendre les tendances… les conditions de survie de la vente directe à domicile ont changé, poussant ses acteurs à se remettre en cause. JC Confection, pour qui le Made in France est redevenu un argument dopant du marché du prêtà-porter, observe ce renouveau directement des attentes émises par ses clients : « Il y a en effet une demande permanente sur l’origine de l’offre, alors qu’à l’époque, les produits pouvaient provenir d’Asie, l’important était le produit. La recherche permanente du bon prix, qui implique la délocalisation à outrance, était auparavant le nerf de la guerre. Maintenant, alors que nous parlons de trois millions de chômeurs, un vrai retour en arrière s’est opéré : les entreprises qui souhaitent aujourd’hui se lancer dans la vente à domicile doivent impérativement considérer les aspects éthique, durable et création locale dans leur démarche. Personnellement, dire que 50 % de notre production est fabriquée en France, alors que d’autres sont à zéro, est devenu un argument de poids auprès des consommateurs. » Si JC Confection a également compris l’intérêt d’adapter son offre produit pour s’ancrer dans l’air du temps – en créant notamment une ligne supplémentaire à Isis, « IC » – d’autres jeunes acteurs, à l’instar d’Alix de la Forest, qui a lancé il y a moins de deux ans son activité éponyme de vente de chaussures personnalisées à domicile, ont parié sur un concept nouveau et audacieux. « Dans toutes mes recherches de création d’entreprise, relate-t-elle, je voulais quelque chose qui valorise l’artisanat français,
VENDRE et qui justifie, à travers un service intelligent, un éventuel surcoût du produit. Par ailleurs, la vente à domicile m’a forcée à proposer une offre très souple et nomade, m’obligeant à prioriser certains produits, dans un contexte d’adaptation colossale par rapport à des enseignes physiques. » Misant sur un créneau quasi inexistant, cette ancienne d’HEC et de l’IFOP présente aujourd’hui, sous forme « d’ateliers de création » animés par une ambassadrice, une série de modèles de chaussures « customisables » à l’envi suivant un choix préalable de déclinaisons. « Chacune des clientes peut créer un modèle qui lui ressemble, et se l’approprier de façon ludique. Le moment est convivial et nous relevons plus de 10 % de réachat ! Pour des produits tournant autour de 200 euros, c’est un très bon chiffre. »
Réseau : professionnaliser pour fidéliser
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Compris entre 30 et 80 ans, cœur de cible orienté la trentaine CSP+, le spectre de la cliente Alix de la Forest balaie large. La fondatrice, qui pensait trouver davantage de salut en province,
« Dire que nous fabriquons à 50 % en France est un argument de poids » HERVÉ TÉTARD - PDG JC CONFECTION
exprime finalement une grande satisfaction sur la région parisienne. Son bilan personnel : entre 30 et 40 ventes réalisées par mois, les vendeuses réalisant quant à elles une moyenne de 25 ventes. Dépendante comme tous de la fiabilité de son réseau, Alix de la Forest évolue sur un secteur qui a encore traditionnellement du mal à attirer et retenir ses vendeurs. Soit un enjeu majeur de la vente directe, très appuyé par le Credoc qui précise que le taux de turnover, ou de recrutement pour les indépendants, est élevé : 45 % contre 23 % pour le métier de vendeur en général en France. L’ancienneté des indépendants serait ainsi de 2 ans, contre 7 ans pour les vendeurs salariés, les départs intervenant souvent dès la première année. Pour le Crédoc, les principaux motifs d’abandon semblent ainsi émaner « de la difficulté relationnelle dans la relation de vente, le manque de persévérance dans le suivi de la formation et de rigueur dans l’organisation personnelle ». À cette problématique, Philippe Jacquelinet, PDG de Captain Tortue et président de la FDV, répond sans sommation : « Il faut trois à quatre mois pour former des vendeurs… et deux à trois ans pour qu’ils soient
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performants. » Et le dirigeant de maîtriser son sujet : l’une des plus belles success stories du marché européen, créée en 1993 à Nîmes, implique aujourd’hui 27 000 hôtesses, 2700 démonstratrices 150 animatrices, 15 managers, 8 directeurs de secteur pour près de 350 000 clients. Inclus l’activité de ses cinq lignes, Captain Tortue espère en outre réaliser 115 millions d’euros de chiffre d’affaires à horizon 2015. Mais la chose n’est pas aisée pour tout le monde : « Même quand je parle avec des gens qui gèrent un gros réseau, souligne Alix de la Forest, la “bonne vendeuse”, qui soit à la fois apporteuse d’affaires, motivée et de bon conseil, reste difficile à appréhender. » Hervé Tetard, de son côté, évoque également la nécessité de former au sein de la structure : « Dans l’objectif de passer à court terme de 85 à 150 vendeurs pour Isis, afin de couvrir l’ensemble de la France, nous allons lancer de vastes opérations de recrutement avec des POE collectives (Ndlr : préparations opérationnelles de l’emploi) afin d’embaucher des vrais pros. Si on veut des gens vivant de leur travail, il faut obligatoirement des temps pleins, de préférence sous statut VRP. » Dans cette veine, le Credoc réitère également la priorité de sécuriser les emplois, à travers par exemple des formations diplômantes et à terme, pourquoi pas, « de favoriser la reconnaissance de “certification” de la VD permettant de favoriser la mobilité des personnes dans l’espace européen ».
Lilian et Philippe Jacquelinet, fondateurs de Captain Tortue en 1993.
Personnaliser le besoin du consommateur ou encore réconcilier la jeune génération avec le métier de la vente directe, loin des clichés de la « ruralité » et de « la clientèle âgée », constituent là encore un enjeu essentiel pour attirer les vendeurs. Une jeune génération marquée par l’avènement d’Internet, un complément qui a lui seul, aujourd’hui, pourrait séduire les nouveaux venus sur ce marché.
Miser sur les nouvelles technologies Parce que son évolution doit aussi passer par l’usage des nouvelles technologies, la vente directe mérite d’en tirer profit tant sur l’analyse des profils de clientèle, que sur l’identification des cibles, l’incitation à la vente ou encore la promotion. « Au-delà, poursuit le Credoc, on peut imaginer une vente en réunion virtuelle par visioconférence, ainsi que le développement de boutiques online gérées par les vendeurs, permettant aux clients de renouveler leur produit sans se déplacer. » Jeune pousse de la VD, Alix
de la Forest fait partie de cette génération qui n’est plus à convaincre du bienfait des passerelles entre son activité et les technologies du Web : « Je les surutilise, enchérit-elle. Je ne comprends même pas qu’on fasse l’impasse dessus. Rien que Facebook m’a permis de toucher un plus large réseau de clientes. J’envoie également une newsletter mensuelle aux clientes, leur proposant la “chaussure du mois”, non personnalisable mais à prix réduit. Ce procédé permet de faire découvrir des modèles. » Pour sa part, l’approche du Web comme levier de croissance de JC Confection consiste d’abord en une veille sur les réseaux sociaux : « Nous venons de créer en interne un poste spécialisé e-commerce, rapporte Hervé Tetard, qui anime notre page Facebook et le site Internet, pour promouvoir notre qualité de fabricant français. Nous ne faisons pas de vente directe online, mais nous y réfléchissons. » L’exemple est enfin notable du côté de Charlott’Lingerie, qui a développé un outil devant permettre à terme à ses vendeuses de personnaliser une page Web pour certains produits à la vente, ou encore d’Yves Rocher et sa marque Stanhome, qui propose sur son site un lien vers les blogs des conseillères de la marque. Xerfi, qui remarque dans son analyse de secteur l’émergence des plateformes de mise en relation entre les acteurs de la vente à domicile, évoque en particulier le cas Seedbees, « premier réseau social de la vente à domicile », qui souhaite faciliter le recrutement de clients et de vendeurs pour les entreprises de vente directe. Un site qui, précise Xerfi, intéresse plus les marques qui se lancent sur ce marché que les opérateurs historiquement présents. Si l’on marche dans les pas de Captain Tortue, qui avec une telle assise sur le marché envisage désormais d’intensifier son activité à l’international, ce dernier levier de croissance offre enfin des perspectives intéressantes pour les entreprises. La société, rachetée à 60 % par le fonds L Capital (LVMH) en 2011, a su aiguiser l’appétit des investisseurs par son business model. Brésil, Canada, Inde, Japon, Russie… rassemblent à eux seuls 12 millions d’emplois dans la vente directe, rappelle la Fédération. Pour la FVD, « cet objectif n’est pas nouveau », et la Fédération s’est déjà dotée d’un personnel multilingue « afin de répondre aux sollicitations des entreprises étrangères ». Une Fédération qui a également mis en place des informations sur la structure des marchés étrangers notamment. Quant au marché français, son chiffre d’affaires devrait progresser de 3,5 % en valeur en 2012, puis de 4 % en 2013, estime Xerfi dans ses perspectives. Un dynamisme qui ne devrait pas s’altérer, l’activité des opérateurs de la vente à domicile devant poursuivre sa croissance à l’horizon 2013, malgré la morosité économique. ■