arts de l’islam
Une aile de libellule pour le département des Arts de l’Islam
Ci-contre Vue en coupe du futur département des Arts de l’Islam. Ci-dessous Modélisation 3D de la charpente métallique.
par Sophie Makariou, Aude Pichard et Laurent Ricard
Dans les fossés du Louvre, en face de l’église Saint-Germain-l’Auxerrois, se dresse depuis quelque temps un étrange objet : sur une structure tubulaire blanche et des parois en verre, une aile immatérielle se pose. Le chantier le plus important mené ici depuis celui du Grand Louvre se poursuit.
Un peu d’or, des reflets qui vont du vert au violet en fonction de l’incidence du soleil, du verre – que l’on aperçoit peu – et, à nouveau, un fin réseau métallique composent ensemble une étoffe architecturale inédite. C’est une petite vue sur le futur toit du département des Arts de l’Islam qui s’ouvre là, en cet endroit insolite et que ne perçoit presque pas le piéton de Paris. L’œuvre des architectes Mario Bellini et Rudy Ricciotti se déploiera sur deux niveaux ; l’un en sous-sol, l’autre en rez-de-chaussée, ils occupent la plus grande part du sol de la cour Visconti, au cœur de ce bras du Louvre qui longe la Seine. Avec la cour Lefuel, qui accueille le grand escalier en fer à cheval descendant de la 22
salle du Manège, c’est la plus ornée des cours intérieures. L’architecture en est complexe, car de construction hétérogène. Elle n’offre pas de ligne de corniche continue sur laquelle aurait pu venir se poser aisément une verrière ; une telle structure aurait culminé, en outre, à plus d’une trentaine de mètres au-dessus de collections qu’elle aurait visuellement écrasées. La solution retenue par le projet lauréat a donc consisté à proposer la création d’un écrin de verre qui se détache des façades historiques. Ainsi, de toute part, le visiteur pourra découvrir l’ensemble architectural formé par la cour Visconti et qui demeurait inaccessible. Depuis l’intérieur des espaces et les ailes voisines, on pourra découvrir la touche finale :
posé au-dessus du parallélépipède de verre, un nuage doré, une « aile de libellule » comme se plaît à le dire Mario Bellini. Fruit d’une intense recherche, le résultat a évolué par rapport au concours et il en résulte un objet qui fait venir à l’esprit les comparaisons les plus folles avec les chefs-d’œuvre de la cuisine moléculaire ! Démesure et précision Artisan du bel effet, Bellini poursuit inlassablement la superposition des transparences éthérées et le jeu des couleurs en assemblant des matières au creuset de sa recherche. La surprise n’a pas encore totalement pris forme, la peau change tandis que commence à se construire la structure ; la légèreté se conjugue
ici avec la pesanteur. Ce ne sont pas moins de 135 tonnes qui reposent sur seulement huit points d’appui circulaires inclinés ; quatre d’entre eux suivent une trajectoire depuis l’aile de verre jusqu’au sous-sol, sur une hauteur qui peut aller jusqu’à 9 mètres. Effilés, leur diamètre n’excède pas 30 cm. La prouesse de la conception architecturale ne s’arrête pas là : elle fait appel à la plus haute technicité et à une recherche constante d’innovation. La géométrie tridimensionnelle de la peau de verre et de métal a nécessité un important travail de modélisation informatique, et ce afin de déterminer les relations et les angles d’inclinaison des quelque 1 500 triangles qui la composent. C’est un projet de la démesure et de la précision.
Pour monter ce gigantesque Meccano, chaque élément de la tubulure porte un numéro qui lui assure une place exacte, la sienne et nulle autre, dans l’ensemble de la construction. Quarante-cinq éléments préassemblés seront acheminés sur le chantier parisien pour parachever l’intégralité de l’assemblage. On s’en souviendra, chacun de ces éléments passera sous le petit porche Visconti, qui aura eu le dernier mot sur les dimensions des assemblages (voir Grande Galerie n° 14). À l’atelier de fabrication de la charpente, à Cracovie, l’excellence de l’assemblage est vérifiée au laser. Elle sera à nouveau mesurée à Paris lors de la phase finale. Pour faire face à l’innovation, sur ce chantier hors norme, il a
fallu passer à travers une procédure d’homologation de la structure, une ATEx (Appréciation Technique d’Expérimentation). L’avis a été favorable. Il visait à tester la résistance à la charge de neige, à l’échauffement et à la dilatation entre verres et joints pour s’assurer de leur étanchéité, et bien sûr la tenue dans le temps de l’ensemble du complexe. Il était enfin crucial de vérifier l’absence de point de stagnation des eaux de pluie, alors que certaines pentes sont inférieures à 10 %. Depuis l’ouverture de la Pyramide, qui vient de fêter ses vingt ans, le Louvre n’avait plus jamais eu l’occasion de confronter son architecture palatiale avec l’absolue modernité de son siècle. C’est désormais chose faite. 23