Harry Dickson 1 - Collection Hélios

À Alain Letort, sans lequel rien de ceci... - ou tout autre chose.

Histoires parues (sauf mention d’inédit) sous forme de fascicules chez Le Carnoplaste.

Pour admirer les couvertures, www.lecarnoplaste.fr Les Moutons électriques 198 route de Saint-Paul 26200 Montélimar ISBN : 978-2-36183-232-2 ISSN : 2275-1386

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ROBERT DARVEL HARRY DICKSON

LE DIEU INHABITÉ Chapitre i : les crimes de baker street

Le pauvre agent Ted Manley courait sous les cintres d’une chaleur

insolite. Ici et là des bruits de tôle ponctuaient sa fuite.

La nuit claire, striée par la vaine et filandreuse lueur des lampadaires, était tout à coup devenue oppressante et l’air épouvantablement lourd.

Maintenant qu’il avait quitté sa cachette l’agent fuyait comme s’il avait le diable à ses trousses.

Il avait attendu, prostré dans l’ombre d’un muret qui borde des friches incertaines au-delà des dernières façades de Baker Street.

Il s’était blotti sous les groseilliers, retenant sa respiration, tremblant de tous ses membres, jusqu’au moment ou une plume s’était posée sur son épaule.

Depuis, il fuyait.

Cette année-là restera dans la mémoire locale comme celle où on dut abattre les tilleuls de Baker Street, creusés par un parasite nommé Ahancara. Ce parasite – un ver, un simple annélide vorace – agite les branches en un perpétuel tremblement qui ne cesse qu’avec la chute de l’arbre. On avait émondé par précaution les branches menaçant de choir sur les têtes.

Elles avaient été remisées en hauts fagots dans l’ombre du broyeur à manivelle.

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Avec la chaleur, le funeste tremblement semblait s’être communiqué alentour, depuis la chaussée jusqu’aux faîtes d’ardoise, et jusqu’aux membres de l’agent Ted Manley.

Un reflet rapide soudain brisé par une arête rectiligne joua avec son œil.

Dépassant le haut du dernier mur attendait la mandibule hideuse du broyeur à branches. La tôle crissait abominablement.

Le policeman cessa d’avancer ; croyant fuir, il était revenu sur ses pas.

— Ne pas y retourner, songea-t-il. Ne pas retourner à Baker Street.

Il se détourna de la mécanique et pivota sur sa gauche. Un potager blafard, sec comme un quignon, hérissait de pousses hirsutes une pauvre terre de remblai. Trébuchant de frayeur, sans voir plus loin que son ombre, l’agent contourna un tonneau scié. Mal lui en prit : il brisa une claie, s’entailla les chevilles sur le vieil osier et coucha en une danse désordonné fumeterre, chélidoine et chardons. À cet instant un cri strident le cueillit.

— Au meurtre ! Au meurtre ! hurlait une voix féminine audelà des friches.

De frayeur l’agent battit des mains et éparpilla des fèves liées par un jonc, qui s’entrechoquèrent au sol avec un tintement de pluie sèche.

— Une autre victime ! songea-t-il avec horreur…

Il tourna délibérément le dos à l’appel et s’enfonça plus loin dans le potager en frissonnant de tout son être.

On tambourina à la porte du 92b Baker Street.

— M. Dickson ? C’est Goodfield, superintendant Goodfield, de Scotland Yard…

— Aha ! Un crime, donc ! Dites, ce doit être un cas extraordinaire pour que vous n’hésitiez pas à me réveiller au point du jour ?

— Hem… Extraordinaire, je ne sais pas… Non… Mais cela… Hem… à votre porte…

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— À ma porte ? Piétinez-vous la victime ?

— Enfin, pas loin de votre porte…

— Et vous avez besoin de moi.

— Pas exactement.

— Non ? Seriez-vous si plein de suffisance dès l’aurore que vous refusiez mes lumières ?

— C’est en raison de la proximité des faits que j’ose vous réveiller. La réprimande eût été sévère si vous étiez tombé sans être prévenu nez à nez avec notre dispositif policier déployé pour ainsi dire sur votre seuil.

La voix du superintendant s’affermit.

— L’agent qui effectuait sa ronde dans le secteur de Stainforth Square a téléphoné au Central pour nous prévenir d’un crime. On a tué à deux cent pas de chez vous. Mais rien ne vous oblige à quitter votre lit. Je pense avoir assez de métier pour traiter cette affaire. C’est un crime banal.

— Aucun crime ne saurait être qualifié de banal.

— Jugez par vous-même : il s’agit d’une femme égorgée.

— Cette pauvre femme méritait une telle fin ?

— C’est une femme aux mœurs légères !

— Son sang est-il moins rouge que le vôtre ?

— Pourquoi le serait-il ?

— Donc le crime n’a rien de banal.

— J’ai fait un usage malheureux du mot.

— Je descends vous rejoindre, dit simplement le détective.

Comme pour se rattraper, Goodfield officia de manière particulièrement scrupuleuse sur la scène du crime.

— Le crime est tout frais, dit-il. L’agent Ted Manley nous a prévenu il y a tout au plus cinq minutes Qui sait, l’assassin n’est pas loin. Voilà pourquoi j’ai osé vous réveiller.

Harry Dickson le suivait, vêtu comme s’il ne s’était pas couché, pipe à la bouche, regard brillant.

— Soyez-en remercié, mon bon ami, répondit-t-il. Je rêvais de molles béatitudes que je suis fort aise de voir balayées par du sang frais ! Où est-il, votre agent ?

— Il ne s’est pas encore présenté, mais voici la victime.

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Goodfield mena le détective à la femme, qu’on avait basculée dans le broyeur.

Sans doute aucun, c’était une garce. D’une trentaine d’années peut-être, vêtue comme un oignon gâté d’une succession de châles bruns qui sentaient l’ammoniac et l’alcool ; elle gisait sur le dos, tordue comme une racine. Ses dents étaient noires, ses lèvres sèches. Elle n’avait plus qu’une chaussure.

Le limier se pencha sur le macabre spectacle.

La pauvre victime présentait une face indescriptible. Un tour de manivelle avait coincé ses cheveux entre les roues ; son visage était maintenu tourné vers le ciel, la peau si tendue que son nez était comme cire sur une soucoupe.

De plus, elle avait la gorge fendue.

Après que le détective eut acquiescé, le médecin légiste Phileas Kilbourne tourna la manivelle afin de déloger la chevelure. À mesure qu’il agissait, la face de la pauvre femme redevint humaine. Son nez se remodela, un peu comme si, par amusement, on eût passé le film d’une bougie fondue se reconstituant.

— Son visage m’est familier, dit le médecin légiste en fronçant les sourcils.

— Et comment ne pas la connaître ! s’exclama Goodfield.

Elle se nomme Mary Chapmann. Ted Manley a vu juste. C’est vraiment une femme légère.

— Ah, lâcha le légiste en rougissant un peu.

— Je la connais aussi, dit Harry Dickson.

— La morale est sauve, si vous aussi…

— Qu’allez-vous penser, dit le détective sur un ton léger.

Ma profession m’autorise une grande familiarité avec ces personnes qui font commerce de leur chair sans que je sois esclave de vils appétits ni sujet à la réprobation publique.

— Tout comme la mienne, dit le légiste.

— Votre profession ?

— Il m’arrive d’autopsier des filles des rues. Je ne parlais pas d’elle précisément.

— Vous ne l’avez pas encore autopsiée, mais vous la connaissez. Ah ! La fébrilité du praticien devant sa tâche !…

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Le superintendant fit cesser par sa poésie le petit jeu entre les deux hommes : — C’était surtout une acrimonieuse carogne qui aura indisposé notre criminel de son racolage, et à l’œillade égrillarde se sera vue répondre un coup de surin, dit-il.

— Vil hommage à ses charmes, dit Kilbourne.

— Elle est gonflée de gin comme une outre, dit Harry Dickson qui s’était penché sur elle et l’observait à travers la fumée de sa bouffarde. L’œillade a du être incertaine. Il y aura eu méprise.

— Elle aura effectué une station prolongée dans un débit de boissons avant de se faire fendre.

— Un bouge, au seuil de notre home ! s’exclama le détective.

Que les ligues de tempérance ne se ruent-elles pour le fermer !

Reprenant son sérieux, le limier désigna la plaie au cou du tuyau de sa pipe.

La délivrance en avait subrepticement modifié la courbe. Il apparut que c’était une plaie au dessin hésitant, comme tranchée par une main inexperte qui avait dû s’y reprendre à deux ou trois fois pour joindre les deux oreilles. La plaie brouillonne était ponctuée sur le côté gauche d’une marque en creux de la taille d’un ongle.

Suivant le regard du détective, Goodfield observa la marque à son tour et afin d’être récompensé de son attention, il émit quelque conclusion.

— Cela nous apprend que l’assassin a œuvré avec sa main droite ; qu’il a porté le coup avec une violence certaine et qu’il est propriétaire d’un couteau pliant, ainsi que le dit cette marque laissée par la virole, déclara-t-il.

— Est-il manchot ? demanda le détective.

— Manchot ? répéta Goodfield.

— Ce que laisse supposer le fait qu’au contraire de sa main droite dont vous venez d’établir dûment l’existence, vous n’ayez trouvé trace de la gauche !

— Dickson ! Vous vous moquez. La scène vous laisse-t-elle de marbre que vous avez toute cette ironie à l’esprit ? Cette femme a été tuée tout de même !

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— Non. Le superintendant recula de surprise.

— Non ? Vous êtes en train de me dire qu’on ne l’a pas égorgée ?

— Si, dit le détective. Mais elle était déjà morte !

Pressé de confirmer les dires du détective, le médecin légiste effectua une observation soutenue de la victime.

— C’est exact, confirma-t-il. Le cœur de cette femme ne battait plus lorsqu’on lui a ouvert la gorge. Le sang s’est contenté de s’écouler comme un coulis ; il ne se trouve aucune trace témoignant d’un jet issu de la pression exercée par l’organe.

Harry Dickson se tourna vers le superintendant.

— Voilà, Goodfield. Vous êtes un policeman fameux, mais il vous faut encore apprendre à discerner des faits qui fussent dignes de vos brillantes velléités déductives.

— Peuh ! Et qu’est-ce que cela change ? N’est-ce point conduite répréhensible que d’égorger une femme, fut-elle morte au préalable ?

— Certes, mais il ne s’agit plus d’un crime. Tout au plus d’une conduite inconvenante sur la voie publique.

— Et alors ?

— C’est au motif d’un crime que vous m’avez réveillé. Qu’essayez-vous de me refiler, grossier camelot ?

Goodfield se tut, rendu muet par l’absurde logique du limier. Lequel s’était éloigné de quelques pas pour prendre plus large mesure des choses.

Il remuait la tête, tantôt fouillant du regard chaque pouce carré de la chaussée, tantôt laissant ses yeux se perdre vers Oxford Street.

La rue était maintenant dégagée des ombres nocturnes. De grandes traînées blanchâtres zébraient les façades.

Il tira soudain le policier par la manche.

— Voyez, Goodfield, dit-il, montrant le trottoir, ces traces de chute vierges de sang. C’est ici que Mary Chapmann est morte. Elle a succombé subitement. Elle est tombée comme un sac. Suivez maintenant cette marque noire. Voyez ce soulier.

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— Morte, elle a été traînée jusqu’à la broyeuse ?

— Exactement. C’est seulement là-bas qu’on l’a égorgée.

Autre chose : pour se hisser à hauteur de la goulotte, l’assassin a pris appui sur la manivelle avec le pied, d’où le tour donné.

C’est donc un assassin de petite taille dont nous admirons le travail. Et d’une force toute relative. La trace laissée par la semelle est aussi hésitante que la plaie de sa gorge.

Le détective releva la tête.

— Décidément, rien ne fut aisé pour notre apprenti-criminel. À cet instant précis un cri d’horreur fusa.

— Au meurtre ! Au meurtre ! hurlait une voix féminine juste au-dessus des têtes.

— Aha !… ricana le limier.

Le cri venait d’être poussé par Miss Reeperswith, gouvernante de Mrs. Flitzcroft, depuis le troisième étage de la demeure devant laquelle se trouvaient nos trois hommes, la broyeuse et la pauvre Mary Chapmann. À sa grande surprise, les policemen furent là avant qu’elle eût cessé de crier. Miss Reeperswith était une femme toute modelée par le devoir, aussi trouva-t-elle la ressource de maîtriser sa terreur et de s’excuser de n’avoir pas eu le temps de préparer un cordial.

— La Justice est d’une telle célérité ! dit-elle, un peu bousculée néanmoins.

On l’interrogea. Elle expliqua avoir eu le sommeil interrompu par une porte qui claquait. Celle des appartements de Mrs. Flitzcroft. La serrure en avait été forcée. Elle avait trouvé sa maîtresse hors de son lit, sur les tapis. La gorge ouverte.

— L’affaire se complique ! s’exclama Goodfield.

— Pas du tout, rectifia Harry Dickson. Voyez la tenue de Mrs. Flitzcroft : elle nous indique qu’elle était encore au lit ; qu’elle dormait ; qu’un bruit inusité – peut-être le cri poussé par Mary Chapmann au moment de son brusque trépas – l’a réveillée ; qu’elle s’est levée ; qu’elle est venue à la fenêtre qui donne sur la rue ; qu’elle a poussé les volets. Elle a sans doute vu à ce moment qu’on traînait, qu’on basculait ou qu’on 11

égorgeait Mary Chapmann. Elle a dû crier. L’égorgeur l’aura vue à son tour. Il sera monté et l’aura tuée.

Le détective se redressa.

— Ceci, dit-il, presque joyeux, ceci, Goodfield, est un crime ! Voyez le sang qui a noyé à grands jets les tapis jusqu’au mur ! Cette Mrs. Flitzcroft était, elle, bien vivante lorsqu’on l’a ouverte !

— Est-ce le même couteau ? demanda Goodfield.

— Même trace, même virole. C’est le même outil, dit Kilbourne.

Harry Dickson se pencha par-dessus l’épaule du légiste.

— Est-ce bien la même main qui le tenait ?

— Que voulez-vous dire ?

— Le fil de la plaie est net, sans accroc ni reprise. De plus, Goodfield, ne remarquez-vous pas un détail offert à votre sagacité ?

— Quoi donc ?

— La marque de la virole est à droite. Ce crime n’est pas de la même main. Votre manchot est ambidextre… conclut le limier d’une voix sentencieuse.

— Mon manchot !…

— En tout cas, la mort de Mrs. Flitzcroft remonte à très peu de temps, confirma le légiste. Tout comme la blessure de Mary Chapmann.

Goodfield se redressa.

— L’assassin rôde peut-être encore ! …

— Les assassins, retoucha Harry Dickson. Le maître et l’élève.

Dans son potager, l’agent Ted Manley, épuisé, avait cessé de vouloir échapper à l’horreur.

On marchait derrière lui. Il se retourna. Une plume blanche se posa sur son épaule.

— C’est vous, dit-il, qui allez me tuer avec cette…

Ce furent ses derniers mots.

On lui trancha la tête avec une vieille faux dont le morfil sentait la ciboule et la menthe sauvage.

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On s’agita au bas des fenêtres de feue Mrs. Flitzcroft. L’un des agents, Robert Dyke, réclamait la présence du superintendant. Il venait de découvrir un quidam blotti dans un recoin.

— Un témoin ? avança le légiste.

— Le coupable ! affirma le superintendant en descendant lestement les marches tandis que le détective prenait congé de Miss Reeperswith moins vivement, l’assurant de sa profonde sympathie, la priant de bien vouloir regagner ses propres appartements et de repousser le moment de faire le ménage.

Pendant ce temps l’agent Robert Dyke emmenait Goodfield à dix maisons de là. Le superintendant fouilla du regard la rue toute farineuse des ombres nocturnes en train de se dissiper.

— Où donc ? Je ne vois rien !…

— Là, dit l’agent Dyke.

Goodfield distingua une petite silhouette renfoncée derrière un amas de planches.

C’était un mioche tout miséreux, assis sur une pierre de seuil, la tête dans les bras, une jambe repliée sous son séant et l’autre tendue toute droite devant lui. De ses bras dépassait sa nuque, touffe noire singulièrement désordonnée.

— Qu’est-ce que ce malheureux fait seul, à cette heure, dans la rue ? Il gémit exactement comme quelqu’un qui vient d’assister à un spectacle atroce. Gageons que son témoignage sera d’importance. Oh ! Grand dieu…

Une sueur froide baigna l’échine du policeman. Ce qu’il venait de conclure était effroyable…

— Non, se rappela-t-il, Mary Chapmann n’a pas d’enfant.

Agissons néanmoins avec tact et prudence. Agent Dyke, n’allez pas plus loin, je me charge d’alpaguer le drôle en douceur.

Alors que Goodfield s’approchait, disposé à l’apostropher gentiment, le môme, découvrant l’uniforme, fut saisi d’une terreur brutale.

Vif comme un moineau, il déguerpit.

Goodfield s’enflamma.

— Je ne vais tout de même pas laisser s’enfuir un témoin capital ! Que dirai-je à la hiérarchie ? Qu’un mouflet m’a filé 13

sous le nez ? J’entends d’ici les quolibets. Sans compter qu’il est peut-être coupable !… Hep ! Attend !…

Laissant l’agent Dyke planté sur le trottoir, Goodfield emboîta le pas du gamin.

Le môme avait les jambes tordues. Il marchait avec difficulté, mais vélocement.

Tout à coup, alors qu’il passait à hauteur d’un mur donnant sur un potager, il disparut.

Le superintendant se morigéna.

— Satanée fleur des rues ! Sa claudication était une farce ! Il sait parfaitement feindre un handicap pour endormir la méfiance. Mais non ! Le voici de nouveau !

Le gamin avait réapparu sur le trottoir, comme s’il avait été repoussé de sa cachette. S’il avait voulu se dissimuler, il venait de se voir signifier qu’il était indésirable.

La massive silhouette d’un policeman s’encadra dans l’embrasure.

— L’agent Ted Manley, se dit le superintendant.

— Bonjour collègue, salua Goodfield alors qu’il arrivait à la hauteur du policeman. Merci pour votre prompt à-propos.

Lorsqu’il découvrit le superintendant, le policeman se frotta fébrilement la joue, se passa l’index sur les lèvres, détourna la tête, cracha une plume sur le coaltar suintant du trottoir.

— C’est un témoin, ajouta Goodfield. Il retardait par de vaines simagrées le moment de sa capture. À l’énoncé de la faute, ledit collègue se baissa et s’empara du malheureux mioche. Piégé dans les bras robustes, le gamin se recroquevilla de terreur. Il agrippa l’uniforme de ses deux mains si fortement qu’il en arracha les boutons.

— Tu vas nous donner ton nom, dit Goodfield.

Le môme roulait de grands yeux. Parler l’eût mis en règle vis-à-vis de la Loi, mais l’agent le tenait par la gorge et l’empêchait d’articuler la moindre parole. Le seul son qu’il proféra fut une plainte.

Il se débattait bravement.

Ses pieds ne touchaient pas le sol.

Goodfield protesta.

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— Vous allez le démantibuler !

— Je connais le gaillard, dit le policeman.

Il avait une voix de canard à court de souffle. Il dardait sur Goodfield ses petits yeux bizarres.

— Vous le connaissez, et vous l’accusez. D’après vous, il est capable de commettre un crime ?

— Pas précisément lui, dit le policeman en tournant son doigt auprès de sa tempe. Plus justement, la tante, sous son crâne.

— La tante ?…

— Auntie Daphné.

Suivant le doigt tournant, Goodfield s’aperçut que l’oreille du policeman était factice.

— Êtes-vous seul ? demanda l’étrange gaillard.

— Seul ? Qu’entendez-vous par là ? Bien sûr que non ! Ne faites-vous pas partie des hommes appelés sur les lieux du crime ?

— Quels hommes ? dit l’agent.

D’un geste large de la main qui tenait le môme secoué comme une poupée de chiffons, il montra Baker Street.

La rue était vide, chaude et silencieuse ; la nuit exsudait des bouffées brûlantes ; les nuages se traînaient comme des poutrelles d’acier sous un ciel de gare. Il n’y avait pas l’ombre d’un être humain.

Tout à son devoir, le scrupuleux superintendant avait semé Dyke, ses hommes et Harry Dickson.

— Quel crime ? ajouta le policeman plus bizarrement encore.

Goodfield fronça les sourcils.

Il eut l’intuition que quelque chose de terrible allait de se passer. Le policeman lui inspira une frayeur sourde. Il avait de petits yeux fiévreux sans cesse en mouvement.

Qui était-il ?

— Est-ce vous qui avez prévenu le central ?

— Quel est le nom de cet agent ?

— Ted Manley. C’est absurde…

— Absurde ?…

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Tandis que le policeman dévisageait Goodfield, le gamin s’échappa de la poigne qui l’étouffait au prix d’une contorsion exemplaire et s’enfuit de sa drôle de démarche, les poings serrés sur les boutons qu’il avait arrachés.

— Vous l’avez laissé fuir ! s’exclama Goodfield.

— Ce n’est point si fâcheux qu’il y paraît, dit le policeman.

Il a laissé son couteau.

— Un couteau pliant !… La virole !… C’est l’arme du crime !…

— L’arme du crime, répéta l’autre en dépliant la lame et en levant l’arme à une proximité déplaisante de la poitrine réglementairement sanglée du superintendant. Exactement. L’arme du crime.

— Encore un cri !… s’exclama le médecin légiste.

— Tout proche, là-bas, où Goodfield a filé, dit Harry Dickson. Notre zélé fonctionnaire est aux prises avec le criminel !

Suivez-moi !

Ils coururent le long du mur aveugle qui clôturait des friches. Une petite silhouette fonça sur eux.

— On court vers nous !…

— Un gamin !

— Attrapons-le !

— Ma parole, il a vu le diable !

— Peut-être fuit-il le criminel… Le voilà qui file à gauche !…

Séparons-nous ! À moi la chaussée. Il revient vers vous ! Kilbourne, attrapez-le !

— Il tente de me feinter ! Je l’ai ! Il perd une poignée de billes ! Zut !…

Patatras, déséquilibré par les billes, le médecin légiste alla donner contre la brique et resta estourbi tandis que le môme bondissait sur l’appui ainsi offert par son épaule et passait le mur.

— J’arrive, cria l’agent Dyke.

— Il va filer ! cria Harry Dickson en revenant depuis la chaussée vers le trottoir. Tu ne m’auras pas à ce jeu, petit singe… Je le tiens par le pied ! Allons donc ! Le soulier me reste dans la main ! Voilà qu’il s’échappe !…

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Glissant le soulier dans sa poche, le détective sauta le mur à son tour.

De l’autre côté, il ne trouva que des ombres immobiles. Le gamin s’était coulé dans un indiscernable chemin, vif comme un lièvre, silencieux comme un hérisson.

— Le sacripant nous a filé entre les doigts, rumina-t-il.

Force m’est de constater qu’il se comporte tout de même en coupable. Mais alors pourquoi venir dans mes bras et puis s’enfuir ?… Qu’il ait eu peur de l’uniforme, je puis le concevoir, mais me fuir, moi !… Ne suis-je Loi au visage plus avenant ?

Le détective s’avança parmi les cultures.

Des fèves crissèrent sous ses semelles.

Plus loin, il buta sur une tête humaine fraîchement tranchée.

Puis il trouva à deux pas la victime de la décollation. Un jeune policeman aux yeux écarquillés.

Il découvrit Goodfield un peu plus loin.

Le superintendant gisait à l’entrée du potager, posé comme un ballot de vêtements fendu.

On l’avait égorgé.

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HARRY DICKSON - 1 Robert Darvel

Disponible début mars en librairie et sur le site des Moutons électriques http://www.moutons-electriques.fr/livre-373