Périphérique Le premier soir, j’imaginais que je serais débordée de travail pendant les jours qui suivraient la Grande Panne. De fait, cette journée avait été éprouvante. J’avais dû calmer les citoyens bloqués sur la périphérique, alors que je ne savais rien et n’étais pas franchement rassurée. J’avais pris sur moi et joué à merveille mon rôle de représentante de l’ordre. En rentrant seule dans ma cellule ce soir-là, je n’en savais pas plus que n’importe qui. Sur tous les écrans de la bulle, la belle Fiona Rainbow, première speakerine du canal officiel, ne cessait de répéter : « Le Processeur, après des siècles de bon fonctionnement, s’est arrêté depuis plus de douze heures déjà. Le conseil ignore la raison de cette panne et met tout en œuvre pour Le redémarrer. » À ma grande surprise, la perspective ne m’effrayait pas. En dînant, je cherchai à comprendre les raisons de mon détachement. Réalisais-je vraiment ce que signifiait cet événement que mes concitoyens qualifiaient de catastrophique, d’apocalyptique même ? Oui, je le comprenais. Mais j’étais lucide, et consciente des conséquences d’un arrêt définitif du Processeur, peut-être plus que les citoyens qui ne connaissaient pas l’extérieur. Sortir révélait l’importance de la bulle et de son gardien. Chaque mission était évidemment pénible, mais le pire restait le retour : l’attente des dosages viraux était un calvaire. Engoncés dans nos scaphandres et enfermés dans notre silence, nous, brigadiers externes, commencions par attendre dans le sas collectif l’appel de nos noms. « Lieutenant Barnett », avait ainsi maintes fois appelé le Processeur. Je détestais cette voix synthétique et austère et c’est mécaniquement que je me dirigeais vers le sas individuel. 42