1 Il glissa un œillet vert sur son habit, le piqua en place avec une épingle et se regarda dans le miroir, la longue glace qui se dressait près de la fenêtre de sa chambre londonienne. Le soir d’été était si lumineux qu’il distinguait clairement son double, bien qu’il fût juste sept heures. Il se campa là dans sa posture favorite et la plus caractéristique, le genou gauche légèrement ployé et les bras ballant à ses côtés, en train de se regarder, comme une femme se regarde avant de partir à une soirée. La rumeur basse et soutenue de Piccadilly, telle celle de la marée qui ruisselle sur une plage lisse, s’insinuait à ses oreilles de façon monocorde et l’incitait à son insu vers une certaine méditation. Flottant par la fenêtre drapée de rideaux la douce lumière citron scintillait sur le dos en argent des brosses posées sur la table de toilette, sur la robe de chambre en soie qui pendait à un crochet derrière la porte, sur la grande masse des roses « Gloire de Dijon », qui rêvaient dans une coupe blanc ivoire posée sur l’écritoire en bois brun foncé. Elle captait l’éclat doré des cheveux blonds du jeune homme pour en faire le plus lumineux des ors, jusqu’à ce que, malgré la blême lassitude de son visage, la pâleur inquiète de ses yeux, il ressemblât à un ange sur un vitrail d’église conçu par Burne-Jones4, un ange quelque peu blasé face à la conduite inconséquente de sa vie. Il s’admira franchement en observant son reflet, changeant à l’occasion de pose, se présentant à lui-même, tantôt de face,