14 Shéhérazade décida que le bandit de grand chemin mentait. Qui n’avait jamais entendu parler de Yazad la triomphante, de l’infâme Sawâb ? Ou alors, songea-t-elle avec une satisfaction emplie de cynisme, l’homme est véritablement inculte et se fait passer pour érudit. « C’est que tu ne voyages guère. Tout le monde connaît la cité-tombeau. Les nouvelles des dernières lunes n’ont pas dû parvenir jusqu’à cette contrée reculée. — À la réflexion, cela me dit vaguement quelque chose, égrena le brigand d’un ton détaché. Un de mes hommes a dû m’en parler. Dis-m’en plus. » Shéhérazade reprenait les rênes de la conversation. Elle avait ferré le poisson, le sentait tirer sur la ligne. Le malfrat était presque sous sa coupe. Ne restait plus qu’à se débrouiller convenablement pour l’histoire. Elle n’aurait plus à se soucier du coupe-jarret, une fois qu’elle le tiendrait en haleine ; en revanche, elle craignait le moment où Shahryar la retrouverait. Quelle serait la réaction du sultan trancheur de têtes lorsqu’il découvrirait que son épouse fugitive contait à un brigand ? Elle se leva de table puis alla s’asseoir sur sa couche, couverte d’oripeaux blancs et fauves. Un peu de confort ne lui ferait pas de mal, après une telle journée. Son ravisseur installa une chaise en face d’elle et s’y affala. La reine aux mille et une légendes se préparait au pire des lendemains. Puis elle commença à raconter.
+++ Le crépuscule avait déjà chassé le jour ; la lumière, vaincue, était partie se terrer dans le royaume souterrain, effarouchée comme un rongeur chassé par une bande de chacals. Un vent frais coulait entre les tentes du campement en faisant claquer les bannières babyloniennes, teintes en vert vif. Enveloppés dans de chauds manteaux de laine, les gardes affrontaient la nuit, figés dans leur vigilance. Seuls quelques soldats patrouillaient discrètement en s’échangeant des ordres murmurés. Les rares sons du camp ne rassuraient pas le jeune adolescent indisposé