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MARCO MON MARI EST EN PRISON
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Cela va faire un an que je ne l’ai pas vu. Marco est en prison depuis tout ce temps, il a été arrêté parce que les voisins l’ont dénoncé : il avait une plantation de zamal dans le fond de la cour, une dizaine de pieds au total. Je pense que la justice a voulu faire un exemple. Il a été condamné à 2 ans de prison ferme pour détention et cession de substances illicites.
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Depuis sa condamnation, je ne l’ai plus revu. Nous habitons trop loin, dans les Hauts du Tampon et lui, est incarcéré au Port. Prendre le bus relève pour moi du parcours du combattant, il me faut prendre au moins 3 bus pour me rendre dans l’Ouest et il faut se lever très tôt. Alors avec mes 2 enfants en bas-âge, c’est un vrai problème. Je ne conduis pas, alors je suis aussi condamnée que lui. Je lui envoie souvent des lettres avec les photos des enfants, et je l’appelle une fois par semaine. C’est tout ce qui me reste.
En attendant qu’il sorte, je me retrouve à gérer les choses du quotidien, affronter les regards des autres, dans notre village. Tout le monde sait que mon mari est en prison pour du zamal. Dans les Hauts, les regards et les critiques sont quelquefois assez violents, mais je marche la tête haute même si personne ne me fréquente plus, même la famille nous a lâchés. Je me souviens encore du jour où les gendarmes sont arrivés chez nous. Il était encore tôt, nous étions encore en train de dormir.
J’ai entendu un bruit sourd contre la porte d’entrée et j’ai vu une dizaine d’hommes en noir armés et cagoulés qui ont fait irruption dans mon salon. Madeline, ma fille de 5 ans, hurlait et tenait son doudou à bout de bras, au milieu de tous ces hommes. J’entendais aussi les cris de Kerann dans son berceau et je me suis précipitée pour les prendre tous les deux dans mes bras. J’ai ensuite vu mon mari plaqué au sol, menotté et conduit dans le fourgon des gendarmes. Ils ont tout fouillé dans la maison, tout retourné. Puis, ils sont allés dans la cour ; là aussi, tout a été fouillé, les poules se sont échappées et les lapins aussi. Je les regardais en pleurant, je ne comprenais pas ce qui se passait. Puis, j’ai juste eu le temps d’appeler ma mère pour qu’elle vienne garder mes enfants, j’ai moi aussi été emmenée par les gendarmes. Marco m’a innocentée et j’ai pu rentrer à la maison avec 24 heures de garde à vue. Je pensais que j’avais touché le fond. C’est là que le vrai cauchemar a commencé : j’ai dû lui trouver un avocat, trouver l’argent pour le payer, et dans tout ça, continuer à m’occuper des enfants et de faire tourner le foyer. Le plus difficile est le regard des autres. Une fois, je suis sortie acheter du pain et j’ai croisé Fabrice, un “ ami ” de Marco. Il avait l’habitude de venir quand il voulait à la maison. Je suis allée vers lui pour lui dire bonjour comme autrefois, mais il m’a ignorée, il a traversé le chemin sans me regarder. Ça m’a fait mal.
Je l’ai appelé, il m’a regardée et m’a dit qu’il n’avait rien à dire à la femme d’un zamalien, alors que lui aussi fumait avec mon mari ! J’en ai parlé à Marco lorsque je l’ai appelé, lui aussi n’a pas compris. Fabrice, il le considérait comme son frère et il nous abandonnait de la façon la plus lâche qui soit. Je sais que Marco ne va pas tarder à “ péter les plombs ”. Il ne s’adapte pas à ses conditions de détention. Il me dit souvent qu’il en a marre, qu’il a envie de se suicider.
Il côtoie les meurtriers, les violeurs, des prisonniers qui sont malades dans leur tête et qui ne cherchent que la bagarre une fois que les matons ont le dos tourné. Il m’a raconté quelques épisodes de prisonniers qui ont été tabassés parce qu’ils ne voulaient pas donner une cigarette ou parce que leur tête ne revenait pas aux caïds de la prison. Il doit même payer pour regarder la télé. Pour prendre une douche, ils y vont à deux avec un autre co-détenu avec qui il a sympathisé, l’un fait le guet pendant que l’autre se lave. Je ne sais pas quoi faire pour l’aider, son avocat me dit que lui aussi est impuissant. Quand le téléphone sonne, j’ai peur que ce soit l’administration pénitentiaire pour m’annoncer qu’il lui est arrivé quelque chose. J’essaie d’être forte pour lui et pour les enfants, mais je n’ai pas de soutien, pas de famille ; alors, je pleure souvent lorsque les enfants sont endormis.
Il nous reste encore 1 an avant de revoir enfin mon mari. Son avocat a fait une demande de remise de peine, nous attendons la décision du tribunal. Je prie tous les jours pour qu’il rentre à la maison. Nous déménagerons après, je ne supporte plus les regards des gens du village. J’espère que Marco aura la force d’attendre d’ici là.
C.H.