18 | Cinéma
La Faute à Rousseau
24 | Musique
Les femmes et le jazz
8 | Social
BULLETIN
La nouvelle précarité
LA REVUE SUISSE DE LA RECHERCHE ET DE SES APPLICATIONS
Juin 2012
16 | Santé
Maman déprime
28 | Ingénierie
La mini-hydraulique
13 | Economie La Suisse refuge des parias du net
ÉDITÉ PAR LA HAUTE ÉCOLE SPÉCIALISÉE DE SUISSE OCCIDENTALE HES-SO UNIVERSITY OF APPLIED SCIENCES WESTERN SWITZERLAND
Cécile Münch Alligné, professeure HES-SO Valais Wallis et ses modèles de micro-turbinage.
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Une précision créative
La précision représente un idéal suisse par excellence. C’est pourquoi nous avons décidé d’y consacrer ce troisième volume d’Hémisphères. Il s’agit également d’une valeur que nous souhaitons transmettre à nos 17’200 étudiantes et étudiants. Que ce soit dans le domaine de la santé, du design ou de l’ingénierie, il n’y a pas de perfection sans précision, sans l’intégration des méthodes et d’outils rigoureux. Pour une organisation aussi vaste que la HES-SO, qui réunit sept cantons, six domaines et plus d’une vingtaine d’écoles, l’exactitude des normes sert également de point de repère pour avancer ensemble dans la même direction.
ÉDITORIAL Marc-André Berclaz, président du Comité directeur de la HES-SO
Mais la précision ne saurait être érigée comme objectif unique. Prônée à outrance, elle mène à la rigidité, à l’étroitesse d’esprit, voire à l’absurdité. La précision dont nous parlons dans ce dossier est dynamique. Elle ne peut être dissociée de la créativité. Si nos étudiants acquièrent un savoir-faire minutieux, ils doivent également avoir intégré un savoir-être créatif. C’est ce dernier qui leur permettra de s’adapter constamment à de nouveaux environnements. Du côté de la recherche appliquée – précise par excellence car dirigée vers des réalisations concrètes – la créativité représente également une valeur fondamentale. C’est lorsqu’on associe des ingénieurs avec des designers ou des acteurs de la santé que l’innovation surgit. Lorsqu’on combine des méthodes rationnelles à des savoirfaire plus créatifs. Pour produire ce dossier, nos journalistes ont rencontré des chercheurs qui illustrent comment la précision peut être innovante. Dans des secteurs attendus, comme celui des nanotechnologies, mais également dans d’autres, plus surprenants, comme l’œnologie ou les arts de la scène. Je vous souhaite, chers lecteurs, de faire une lecture minutieuse de ces articles passionnants.
HÉMISPHÈRES La revue suisse de la recherche et de ses applications HES-SO www.revuehemispheres.com Edition HES-SO, Siège, rue de la Jeunesse 1, 2800 Delémont, Suisse, T +41 32 424 49 00, F +41 32 424 49 01, hemispheres@hes-so.ch Comité éditorial Rico Baldegger, Luc Bergeron, Claudio Bolzman, Philippe Bonhôte, Jean-Michel Bonvin, Rémy Campos, Annamaria Colombo Wiget, Angelika Güsewell, Lysianne Léchot Hirt, Philippe Longchamp, Max Monti, Vincent Moser, Anne-Catherine Sutermeister, Marianne Tellenbach Réalisation éditoriale et graphique LargeNetwork, Press agency, Abraham-Gevray 6, 1201 Genève, Suisse, T. +41 22 919 19 19, info@LargeNetwork.com Responsables de la publication Pierre Grosjean, Gabriel Sigrist Direction de projet Geneviève Ruiz Rédaction Tania Araman, Camille Guignet, Serge Maillard, Sylvain Menétrey, Diane Rodrigues, Geneviève Ruiz, Francesca Sacco, Alexandre Willemin, Julie Zaugg Images Ludivine Alberganti, Reto Albertalli, Jean-Luc Cramatte, Anthony Leuba, Bertrand Rey Maquette & mise en page Clémence Anex, Sandro Bacco Relecture www.lepetitcorrecteur.com Couverture Cécile Münch Alligné par Fred Merz
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Hémisphères primée aux European Design Awards 2012 La revue Hémisphères a gagné la médaille d’or au concours de graphisme et de design European Design Awards dans la catégorie magazine, le 26 mai dernier à Helsinki. Cette organisation, également connue sous le nom ED-Awards, récompense chaque année les meilleurs travaux européens dans le domaine de la communication visuelle. www.europeandesign.org
Hémisphères volume I,
paru en juin 2011.
Retours sur les précédents dossiers d’Hémisphères ÉCHOS
Hémisphères 1: L’intelligence des réseaux
Des réseaux de location entre particuliers Deux sites suisses de location entre particuliers, E-location.ch et Easyliz.ch, ont été mis en ligne durant l’hiver 2011. Un autre est venu les rejoindre récemment, E-syrent.ch. Chacun possède ses propres spécificités, mais le principe reste le même: louer des objets inutilisés entre particuliers ou professionnels. Mini-tronçonneuses, voitures, outils, jouets, vêtements haute couture ou encore appareils de massage pour le cou sont disponibles pour la location grâce à ces plateformes en réseau.
Un partenariat de recherche pour les smart grids En décembre dernier, EOS Holding et la HES-SO ont conclu un partenariat pour la recherche appliquée et le développement des «smart grids» en Suisse romande. EOS Holding soutiendra les projets d’intégration de nouvelles technologies dans le réseau électrique à hauteur d’1 million de francs par année, durant cinq ans.
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Un nouveau site de crowdfunding
La gastronomie des épluchures
Mis en ligne à la mi-février 2012, Wemakeit.ch sert à trouver des mécènes sur internet. C’est la pratique du crowdfunding, née aux Etats-Unis, qui permet de récolter les sommes manquantes à la réalisation d’un projet artistique ou culturel. En Suisse, le principe est le même: les aspirants rédigent une présentation, ou réalisent une vidéo, puis promettent une récompense aux donateurs si le projet fonctionne. Pour l’instant disponible en Suisse alémanique, le site Wemakeit.ch sera prochainement utilisable en Suisse romande.
Le compost est-il vraiment écolo? Alors qu’environ un quart de la nourriture de la planète finit aux ordures, certains vont encore plus loin et mangent leurs épluchures. Cette tendance culinaire se développe depuis quelques années: blogs ou vidéos dispensent conseils et astuces afin de cuisiner restes de légumes, coques de noix ou carcasses, aliments qui auraient des vertus nutritives insoupçonnées. Le livre de recettes de Sonia Ezgulian, Les épluchures: 10 façons de les accommoder est désormais disponible aux Editions de l’Epure.
Hémisphères 2: Ralentir pour progresser
Le boom du vélo électrique ne s’arrête pas
Baisse des victimes d’accident de la route Les Suisses rouleraient-ils moins vite? En 2011, le nombre de personnes décédées suite à un accident de la route a diminué de 2% et celui des blessés graves de 0,5%, comparé aux chiffres de 2010, selon l’Office fédéral des routes (Ofrou). Par contre, l’année 2011 a connu une augmentation de 15% du nombre de cyclistes victimes d’accident, ainsi qu’une hausse d’accidents incluant des personnes sur des passages piétons.
Pour aller au travail, faire ses courses ou se promener, les Suisses choisissent de plus en plus le vélo électrique. En 2011, 50’000 vélos électriques ont été vendus, soit une augmentation d’un quart des ventes de 2010. Selon l’Office de conseil pour deux-roues, le prix moyen des vélos électriques s’élève à 2’800 francs. Ils représentent actuellement 5,4% des vélos roulant en Suisse.
Le deuxième volume de la revue Hémisphères a suscité des réactions enthousiastes auprès des lecteurs et des médias romands. Extraits. «Je me suis abonné à votre revue Hémisphères, que je lis avec grand intérêt. J’apprécie son contenu extrêmement compétent et délicieusement décalé.» Alain Collaud, Romont
«J’ai découvert récemment la revue Hémisphères et je vous félicite pour la qualité de votre publication.» Vincent Demaurex, Lausanne
Hémisphères volume II,
paru en décembre 2011. En vente sur www.revuehemispheres.com
«J’ai apprécié votre manière d’aborder le thème de la Slowlife dans ce deuxième volume d’Hémisphères. Vous y avez apporté des éclairages nouveaux et inattendus.» Aurélie Perret, Gland
«J’ai pris connaissance de votre revue chez des amis et je la trouve tout simplement extraordinaire...» Arnaud Brukhnoff, Bordeaux
Médias «Ralentir pour progresser: un joli titre pour ce second volume d’Hémisphères, qui explore la lenteur. Un dossier très bien documenté.» Adrien Zerbini, Impatience, RTS, 1er décembre 2011
Les Suisses sensibles aux efforts écologiques Selon l’étude «Reader’s Digest Trusted Brands 2012», 73% des Suisses disent être d’accord de payer un produit plus cher s’il est écologique ou respectueux de l’environnement. Les consommateurs accordent une grande confiance aux marques «classiques», qu’ils connaissent depuis longtemps, ainsi qu’à celles qui font des efforts écologiques. 88% des Suisses trouvent important que les entreprises se mobilisent davantage pour l’environnement. Pourtant, 71% d’entre eux trouvent les prix des produits écologiques encore trop élevés.
Le plus vieux calendrier du monde Un mystérieux monolithe se trouvant près de Manchester en Angleterre servait de calendrier saisonnier aux paysans de l’âge de pierre. Daniel Brown, de la Nottingham University au Royaume-Uni, a présenté ses résultats en mars dernier après l’avoir longuement étudié. Selon le chercheur, le monolithe de Gardom’s Edge constitue un outil rudimentaire de la mesure du temps. Les saisons étaient mesurées grâce à l’illumination de certains côtés du monolithe, variant selon les moments de l’année.
«Ce deuxième volume de la revue Hémisphères n’est pas un hymne au mouvement slow, mais il questionne notre rapport paradoxal à la vitesse. Au fil des articles, les chercheurs apportent des réponses concrètes et originales.» Revue Reiso, 25 novembre 2011 Un article d’Hémisphères vous fait réagir? N’hésitez pas à nous écrire à hemispheres@hes-so.ch
Hémisphères est en vente dans les librairies et les kiosques romands. Il est possible de s’abonner ou d’acquérir les anciens numéros sur le site www.revuehemispheres.com. Le prochain volume sortira en décembre 2012.
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NAVIGATION
UN ROBOT QUI TRAIT LES VACHES
RETOUR À LA FONCTION UNIQUE
On connaissait déjà la machine à traire, mais pas le robot intelligent, qui, en plus, recueille des données sur la production de lait d’une vache. C’est pourtant ce que commercialise la marque hollandaise Lely. Le robot répond au petit nom d’«Astronaut» et effectue des tests sur la qualité du lait et l’hygiène de la mamelle lors de la traite. Le troupeau peut ainsi être géré grâce à un tableau de bord sur l’ordinateur, ou grâce à une application smartphone en option.
La jeune marque Punkt, basée à Lugano, s’est offert les services d’une star du design, Jasper Morrison, pour créer son nouveau réveil. Simple et épuré, cet objet est le second commercialisé par l’entreprise créée en 2008. Il correspond à sa philosophie, qui souhaite revenir à des appareils sans fonctions multiples. Le premier produit de Punkt, un téléphone sans fil, permet uniquement de passer des appels. Ces créations sont vendues dans de nombreux pays d’Europe, ainsi qu’à Singapour et aux Etats-Unis.
www.lely.com
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www.punktgroup.com
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Spotify rationné en Suisse Alors que le célèbre programme d’écoute de musique en streaming lève ses limitations dans cinq pays européens, des restrictions sont toujours en vigueur en Suisse. Disponible depuis novembre 2011, le compte gratuit Spotify Free offre un accès illimité les six premiers mois, puis certaines limites apparaissent. Selon le site de Spotify, après ces six premiers mois, l’utilisateur du compte recevra deux heures et demi d’écoute par semaine, à moins de souscrire à un compte payant. www.spotify.com
LE CHIFFRE
OPW
4200
Un village pour les malades d’Alzheimer A Wiedlisbach, dans le canton de Berne, un complexe de 23 bâtiments d’un nouveau genre sera prochainement construit. Les appartements sont conçus pour accueillir des patients atteints d’Alzheimer ou d’autres maladies neurodégénératives. Afin de ne pas les troubler, l’architecture ressemblera à celle des années 1950 et les infirmiers porteront des habits de commerçant ou de jardinier. Un village similaire a été construit en 2009, près d’Amsterdam en Hollande. Ces projets sont sujets à controverse chez les spécialistes en gériatrie. www.wiedlisbach.ch
LES JEUX VIDÉO VIOLENTS FONT DU BIEN AU CERVEAU
Le temps de travail se réduit
Une chercheuse genevoise a montré que les jeux vidéo violents avaient des effets bénéfiques sur le cerveau des joueurs. Selon Daphné Bavelier, ils développeraient l’activité cérébrale, en accroissant la capacité d’attention et de réflexes de la personne tenant la manette, qu’elle soit une grande consommatrice ou une amatrice occasionnelle s’y adonnant quelques heures par semaine.
En Suisse, le temps de travail moyen a diminué d’un tiers en soixante ans. Un employé travaillait en moyenne 2400 heures par an en 1950, contre seulement 1600 heures actuellement, selon une étude du Centre de recherches conjoncturelles (KOF) soutenue par le Fonds national suisse. Cette évolution est expliquée par différents facteurs, notamment l’augmentation des congés payés, la croissance du temps partiel et les progrès technologiques.
www.unige.ch
www.kof.ethz.ch
C’est l’empreinte aquatique quotidienne d’un Suisse, en litres, selon une étude de la DDC et du WWF. Ce chiffre comprend la consommation indirecte, comme l’eau nécessaire à la production d’un steak ou d’un jeans. La consommation directe d’eau par habitant s’élève à 162 l d’eau par jour.
PLANÈTE Des extraterrestres potentiels L’Observatoire austral européen a annoncé que des milliards de planètes habitables existaient dans notre galaxie. A partir d’un panel d’étoiles de type naines rouges, les chercheurs ont pu estimer le nombre de planètes qui pourraient contenir de l’eau. Une centaine se trouverait dans le voisinage de notre système solaire, à environ 30 années-lumière. www.eso.org
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A l’ère de la nouvelle précarité SOCIAL
Les Suisses qui oscillent autour du seuil de pauvreté sont toujours plus nombreux. Jean-Luc Heeb s’est penché sur leur parcours de vie. TEXTE | Julie
Zaugg Albertalli
PHOTOS | Reto
En Suisse, la pauvreté avance souvent à visage masqué, tant le pays connaît un niveau élevé de prospérité. Pourtant, de nombreux citoyens helvétiques vivent dans le dénuement. Et les causes de cette précarité sont restées étonnement stables ces trente dernières années. On a en revanche vu apparaître une nouvelle catégorie de pauvres: les précaires, situés juste en dessus ou en dessous du seuil de pauvreté. Ils composent désormais la majeure partie du bataillon des démunis. Entretien avec Jean-Luc Heeb, professeur à la Haute Ecole de travail social de Fribourg, qui vient de terminer une recherche sur les trajectoires de la pauvreté en Suisse.
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Près d’un Suisse sur sept en dessous du seuil de pauvreté En 2010, 14,2% de la population suisse était exposée au risque de pauvreté, soit près d’une personne sur sept, selon les derniers chiffres de l’Office fédéral de la statistique. Ces gens se trouvaient en dessous du seuil de précarité, fixé à 60% du revenu moyen helvétique, soit 28’540 francs par an. Cela correspond à un salaire de 2’400 francs par mois pour une personne seule et à 5’000 francs par mois pour un couple avec deux enfants. Les moins de 17 ans (18% exposés au risque de pauvreté) et les plus de 65 ans (23%) étaient les plus touchés. La situation était encore pire pour ceux vivant dans un ménage monoparental (32,8%), n’ayant fréquenté que l’école obligatoire (25,1%) ou vivant seuls après 65 ans (29,4%). Le nombre d’enfants dans un ménage constitue également un facteur aggravant: le risque de pauvreté est de 7,1% pour les couples sans enfant, contre 21,4% pour ceux qui en ont trois ou plus. En outre, 21,3% de la population n’avait pas les moyens de faire face à une dépense imprévue et 9,6% ne pouvait pas s’offrir une semaine de vacances par an hors de son domicile.
Reto Albertalli est un photographe suisse basé à Genève et au Tessin. Agé de 33 ans, il est le cofondateur de l’agence photographique Phovea et travaille comme photojournaliste pour les plus importants magazines et journaux du pays. Ses intérêts et son amour pour le voyage l’ont emmené dans plusieurs pays, mais surtout au Moyen-Orient. Dans cette série sur la pauvreté en Suisse, il ne connaît ni les nom, ni les parcours des sujets. Une volonté d’anonymat qui faisait partie de son projet.
HÉMISPHÈRES Les mécanismes qui mènent à la pauvreté ont-ils beaucoup changé ces dernières années?
Le courant de pensée dominant part du principe que la pauvreté s’est démocratisée: n’importe qui peut être touché à n’importe quel moment, du chef à l’employé subalterne. Cette notion a donné lieu à un imaginaire populaire fort, celui du cadre qui perd son emploi et se retrouve du jour au lendemain à la rue. Or dans les faits, les choses n’ont pas tellement changé. Les causes de la pauvreté restent assez stables et continuent de suivre les clivages sociaux classiques.
JEAN-LUC HEEB
Quels sont ces facteurs?
Le principal reste la formation, soit le nombre d’années passées à l’école et aux études. Plus elles sont nombreuses et plus le risque de pauvreté diminue. Le fait d’être une femme est un autre facteur aggravant. Les événements de la vie familiale (divorce, famille monoparentale) jouent également un rôle, tout comme ceux de la vie professionnelle (perte de son emploi, accident, maladie). Tous ces facteurs doivent être examinés sur la durée et en interaction les uns avec les autres car, souvent, ils s’enchaînent. Cela permet de déterminer HÉMISPHÈRES BULLETIN
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Nouvelles précarités
un certain nombre de profils particulièrement à risque, comme les femmes élevant seules leurs enfants suite à un divorce ou l’employé qui perd son poste et a des problèmes de santé. A-t-on vu apparaître de nouvelles formes de pauvreté?
L’augmentation des divorces a mis davantage les femmes en situation de risque. En accédant à une autonomie financière par le travail, elles ont acquis la possibilité de se séparer de leur conjoint. Mais le revers de la médaille est qu’elles s’exposent ensuite à une plus grande précarité, car elles sont dans des emplois moins bien rémunérés et se retrouvent souvent avec la garde des enfants. L’accroissement du chômage dès les années 1980 a également créé un nouveau facteur de risque, largement absent durant les Trentes Glorieuses. Y a-t-il un âge où l’on est plus susceptible de se retrouver dans le dénuement?
Les jeunes expérimentent souvent une phase de précarité lorsqu’ils quittent le domicile parental. Leur niveau de vie remonte vers 30-40 ans, lorsqu’ils ont pris pied dans la vie active. Mais il y a une grande diversité de cas: il est bien plus facile d’effectuer cette transition lorsqu’on a une formation élevée. De plus, toujours davantage de jeunes ne quittent le domicile familial que vers 30 ans, ce qui repousse cette phase intermédiaire. La pauvreté est plus marquée encore chez les enfants issus d’un ménage monoparental. Souvent, ce désavantage initial a des répercussions sur leur niveau de formation ultérieur et donc sur leur état de pauvreté comme adultes. Qu’en est-il des personnes âgées?
Les situations sont très contrastées. En principe, les seniors sortent d’une longue période d’activité professionnelle avec un salaire confortable et bénéficient d’un système social qui fonctionne encore. Ils devraient donc être à l’abri du besoin. Mais certains ont eu des parcours accidentés, n’ont, par exemple, travaillé qu’à temps 10 HÉMISPHÈRES BULLETIN
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Un salaire minimum pour tout le monde? Le salaire est l’un des principaux facteurs explicatifs de la pauvreté. C’est pourquoi l’Union syndicale suisse se bat pour l’introduction d’un revenu minimum. Elle a déposé fin janvier une initiative populaire réclamant un salaire d’au moins 22 francs de l’heure, soit 4’000 francs par mois pour quarante-deux heures de travail hebdomadaire. A l’heure actuelle, quelque 400’000 personnes, pourtant employées, n’arrivent pas à joindre les deux bouts, car elles ne gagnent pas suffisamment. Certains cantons se sont déjà prononcés sur l’introduction d’un tel salaire de base: Vaud et Genève l’ont rejetée en mai et novembre dernier, Neuchâtel l’a acceptée fin 2010. Le gouvernement valaisan vient, lui, d’inaugurer une première en Suisse, en imposant une rémunération minimale à son secteur de la construction, dépourvu de convention collective depuis le 1er janvier 2012.
partiel et n’ont de ce fait pas cotisé au deuxième pilier. Ils se retrouvent alors avec une simple rente AVS. Le visage de la pauvreté est-il le même en 2012 qu’à d’autres époques?
A l’époque de la révolution industrielle, elle signifiait qu’on peinait à se nourrir ou à avoir un toit. Aujourd’hui, grâce au système de sécurité sociale, les pauvres ne sont plus menacés dans leur survie, du moins en Europe occidentale. Dans le cadre de la recherche que nous avons menée, nous avons mesuré la pauvreté à l’aide de dix indicateurs, dont la capacité à s’offrir une semaine de vacances par an, le fait de posséder une voiture, une télévision ou un ordinateur et la possibilité de constituer une épargne. Plutôt que de pauvreté, on devrait donc parler de privation ou de restrictions imposées à son mode de vie. Il existe également toute une catégorie de gens qui se trouvent dans une zone de précarité, ni tout à fait pauvres ni tout à fait riches…
Oui et leur nombre est en forte augmentation. Ces personnes en situation de précarité, qui oscillent constamment d’un côté et de l’autre du seuil de pauvreté en fonction d’éléments biographiques (divorce, chômage, etc.), représentent 10 à 15% de l’échantillon que nous avons examiné, contre 5% qui sont en situation de réelle détresse – le reste étant épargné.
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Nouvelles précarités
Dans cette catégorie on trouve notamment les «working poor», ces personnes qui ne parviennent pas à joindre les deux bouts même avec un travail à temps plein. Il peut s’agir d’une famille qui doit subsister sur un seul salaire de 4’000 francs, d’une mère célibataire qui cumule plusieurs emplois à temps partiel ou d’un migrant disposant d’un faible niveau d’éducation. Existe-t-il un filet social pour ces personnes?
Les aides dispensées par l’Etat sont en principe destinées aux personnes qui n’ont pas de revenu. Par exemple, quelqu’un qui devient invalide et ne peut plus travailler aura droit à une
prise en charge adéquate. En revanche, celui qui touche un salaire qui ne lui suffit pas pour vivre ne touchera le plus souvent que peu ou pas d’aides sociales. Ces dernières ont été conçues pour répondre à des situations de pauvreté et non de précarité. Mais elles ne sont parfois plus adaptées aux nouvelles réalités sociales. Il ne faut pas négliger non plus le facteur psychologique: les personnes qui ont un travail ont souvent honte d’être considérées comme pauvres, ce qui les empêche de faire appel aux aides auxquelles elles auraient droit. Parfois, les gens ne sont tout simplement pas au courant de leur existence, comme les subsides pour l’assurance maladie.
«Une fois le loyer et les assurances maladie payés, il ne reste plus grand-chose.» La famille d’Arman, 56 ans, survit avec 3’600 francs par mois. Arman* fait partie de cette catégorie invisible de la population qui travaille mais peine néanmoins à boucler les fins de mois. Employé à 60% par une entreprise de nettoyage, il gagne 1’600 francs par mois. Sa femme a un emploi de vendeuse, également à 60%, qui lui rapporte 2’000 francs par mois. «On se débrouille mais le budget est très serré car nous avons trois enfants, raconte l’homme de 56 ans. Une fois le loyer et les assurances maladie payés, il ne reste pas grand-chose.» Le couple touchait des aides sociales jusqu’en 2011, mais il a choisi d’y renoncer. «Ma femme a eu des ennuis de santé, des rhumatismes, alors elle ne travaillait qu’à 40% l’année passée, explique ce Genevois d’origine iranienne. Mais nous 12 HÉMISPHÈRES BULLETIN
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sommes désormais passés dans un barème supérieur et n’aurions plus droit qu’à environ 200 francs par mois. Cela ne vaut plus la peine d’accomplir toutes les démarches.» Une situation typique de ceux qu’on appelle les «working poor»: situés juste au seuil de la pauvreté, ils sont bien souvent exclus du système des aides étatiques. Le refus de se considérer comme démuni joue aussi un rôle. «Ça me fait mal au cœur d’aller à l’assistance sociale, de tendre la main, relève Arman. Après tout, nous ne sommes pas en train de mourir de faim.» Il doit cependant renoncer à bon nombre d’achats s’il veut joindre les deux bouts. «Je ne peux pas emmener mes enfants au restaurant, même pas chez McDonald’s, ni leur payer des vacances», détaille-t-il.
Il y a trois ans, il a dû emprunter de l’argent à des amis pour pouvoir se rendre au chevet de sa mère malade en Iran. «Je ne suis retourné qu’une fois dans mon pays en vingt ans, dit-il. Ma femme ne peut pas non plus rendre visite à sa famille au Maroc, car les billets d’avion sont trop chers.» Plus inattendu, Arman peine à s’acquitter des frais engendrés par sa demande de naturalisation. «Il y en a eu pour 3’000 francs.» Une vieille histoire de primes d’assurance maladie impayées a en outre causé la suspension de son dossier. «J’ai jusqu’en 2013 pour rembourser des arriérés de 9’000 francs, sinon ma demande sera annulée et je devrai tout recommencer à zéro», soupire-t-il. * prénom d’emprunt
La Suisse, refuge des parias du net ÉCONOMIE
Le pays fait figure de havre de paix numérique pour les sites de téléchargement pirates ou les pages censurées. Mais comme en fiscalité, son culte de la sphère privée risque de lui attirer les foudres de l’étranger. TEXTE | Serge
Maillard
«Aujourd’hui, pour quelqu’un qui veut installer un serveur pour du téléchargement de musique piratée ou des données sensibles, il n’y a guère que le Venezuela qui offre une tranquillité pareille!» Pour Sébastien Fanti, avocat valaisan spécialisé dans les nouvelles technologies, cela ne fait guère de doute: la Suisse figure parmi les Etats les moins intrusifs de la planète en matière de libertés sur internet. Au point, prévient le spécialiste, que le pays risque de finir sur la «liste noire des paradis numériques», si la situation ne change pas.
En cause notamment: l’article 19a de la Loi fédérale sur le droit d’auteur, qui autorise «l’utilisation d’une œuvre divulguée à des fins personnelles ou dans un cercle de personnes étroitement liées, tels des parents ou des amis». En clair, la Loi suisse sur les droits d’auteur autorise le téléchargement de toutes sortes de données numériques, mais pas leur mise à disposition. «Par ailleurs, il n’existe pas de loi sur la responsabilité pénale des hébergeurs, complète Daniel Rappo, professeur à la Haute Ecole d’Ingénierie et de Gestion du Canton de Vaud. Sont-ils responsables du contenu publié? Il y a un flou juridique.» HÉMISPHÈRES BULLETIN
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Internet et téléchargement
Megaupload: les chiffres révélés par le FBI après la fermeture 4
19 janvier 2012 Fermeture du site Megaupload.com 3
Rapidshare.com 2
+50%
+150%
1
Depositfiles.com Visiteurs uniques par jour (en millions)
Oct. 2010
Jan. 2011
Avril 2011
Juil. 2011
Un vide dans lequel se sont engouffrés les persécutés de la toile, faisant de la Suisse une terre d’asile du web, alors que ses voisins durcissaient leur législation numérique, comme l’illustre la loi Hadopi en France. Dès décembre 2010, un site suisse a figuré parmi les premiers à reprendre tout le contenu de WikiLeaks, après que les autorités américaines ont entrepris de le désactiver. C’est également à la suite d’une interdiction aux Etats-Unis que le site satirique «trash» Encyclopedia Dramatica a trouvé refuge sur une adresse suisse en avril 2011. Dernier cas de figure: la fermeture en janvier du site de téléchargement en ligne Megaupload et l’arrestation de son fondateur Kim Dotcom en Nouvelle-Zélande ont conduit à une augmentation considérable du trafic sur un site suisse de partage de contenus, RapidShare, basé dans le canton de Zoug. «RapidShare est protégé par la législation suisse, car il ne propose pas l’échange de produits frauduleux, mais du stockage 14 HÉMISPHÈRES BULLETIN
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de contenu en ligne, relève Anne-Dominique Salamin de Cyberlearn (centre e-learning de la HES-SO). Mais assez rapidement, il peut y avoir des dérives vers du téléchargement de musique ou de vidéos piratées.» Derrière cette permissivité, existe-t-il une volonté délibérée de la part des autorités suisses de laisser le plus de champs possible aux internautes? «Pas du tout, estime la responsable. La Suisse est tout simplement en retard au niveau législatif, car elle a tardivement empoigné le débat sur l’informatique et les libertés individuelles.» Comme le souligne Daniel Rappo, «l’adoption et l’application d’une nouvelle loi sur la surveillance des internautes coûtent cher en temps et en argent.» Mais ce manque de réactivité pourrait coûter encore plus cher à la Suisse à terme, estime Sébastien Fanti: «Un site comme RapidShare est très clairement dans l’illégalité, mais personne ne bouge. Aujourd’hui, la première industrie d’exportation des Etats-Unis est le
e 13 site le plus visité au monde
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50 millions de visiteurs uniques par jour
Comment éviter un nouveau conflit avec les Etats-Unis, cette fois sur internet, après les controverses autour du secret bancaire et des fonds en déshérence? «Je ne pense pas que la Suisse soit prête à adopter une loi du type Hadopi, estime Anne-Dominique Salamin. La protection de la sphère privée est très importante, et elle commence dès que l’on rentre chez soi.» Même constat chez Daniel Rappo: «Le fédéralisme suisse laisse beaucoup d’autonomie à l’individu. L’identification permanente de l’internaute ferait trop penser à Big Brother.»
PHOTO: JEAN-LUC CRAMATTE
4% du trafic mondial
divertissement. Ils vont donc mettre une forte pression sur les législations trop laxistes sur le piratage à leurs yeux.» Face à cette menace qui pointe à l’horizon, l’avocat critique l’aveuglement des politiciens suisses: «Ils n’ont aucune connaissance du dossier, et manquent totalement d’anticipation. Google n’a pas été cité au parlement depuis trois ans.»
«Il n’existe pas de loi sur la responsabilité pénale des hébergeurs en Suisse. Sont-ils responsables du contenu publié? Il y a un flou juridique.» DANIEL RAPPO
professeur à la Haute Ecole d’Ingénierie et de Gestion du Canton de Vaud
«A mon avis, la réponse à apporter n’est pas législative mais économique, via un nouveau business model qui légalise le téléchargement, juge Anne-Dominique Salamin. Une bonne partie des utilisateurs de Megaupload étaient prêts à payer pour avoir rapidement accès à des séries ou des films.» Sébastien Fanti propose de son côté un «impôt libératoire pour le droit d’auteur sur internet», qui se rapproche des accords Rubik en matière fiscale: «Cela pourrait être une taxe de 10 francs par mois sur l’utilisation d’internet.» Avec sa législation souple, la Suisse «constitue un terrain fertile à l’expérimentation de nouveaux modèles économiques», relève Daniel Rappo. Le pays pourrait passer du statut de camp de réfugiés du net à celui d’incubateur d’idées. Mais pour cela, il faut encore attendre que l’état d’esprit change chez les décideurs politiques: comme le souligne Anne-Dominique Salamin, «le fond du problème, c’est que les lois sont faites par une génération de profanes pour les utilisateurs de la génération 2.0». HÉMISPHÈRES BULLETIN
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Bébé pleure, maman déprime SANTÉ
Près de 18% des jeunes mères souffrent de dépression post-partum. Des recherches menées à Genève lèvent un coin de voile sur cette souffrance qui demeure taboue. TEXTE | Francesca
Sacco
«Si mon bébé pleure, cela veut dire que je suis une mauvaise mère.» Ce jugement à l’emporte-pièce peut conduire entre 10 et 18% des femmes à la dépression postpartum, une pathologie décrite dès 1968 aux Etats-Unis. Celle-ci se manifeste par la tristesse, de l’anxiété, et serait influencée par un sentiment d’incompétence. Des recherches menées par Chantal Razurel, professeure à la Haute Ecole de santé Genève, filière sage-femme, montrent que les pleurs du bébé sont l’un des principaux facteurs pouvant saper le sentiment de confiance en soi, essentiel pour bien vivre sa maternité. Ses recherches, qui ont bénéficié d’un soutien du Fonds national de la recherche scientifique suisse, fournissent des témoignages révélateurs: «Je me demandais ce qu’on allait penser de moi si mon enfant pleurait», confie ainsi une mère. «J’ai toujours l’impression qu’on me considère comme une mauvaise mère s’il pleure», dit telle autre. Psychologue et responsable du Centre périnatal Bien naître, bien grandir à Genève, Muriel Heulin confirme: «Je rencontre des mères qui me disent qu’elles appréhendent de sortir de chez elles et qu’il arrive qu’elles descendent d’un bus parce que leur bébé pleure et que tout le monde les regarde.» 16 HÉMISPHÈRES BULLETIN
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En comparaison, les perturbations du sommeil et les difficultés résultant de la modification de la relation de couple sont des facteurs de dépression post-partum moindres. «Les pleurs du bébé et les difficultés liées à l’allaitement renvoient à l’idée de la continuité physique de la mère, c’est-à-dire à un vécu plus narcissique que les conflits relationnels, par exemple, explique Muriel Heulin. Or, la grossesse et l’accouchement sont des périodes où toute l’histoire ancienne, avec sa part de traumatismes, remonte à la surface. Et la résurgence des traumatismes a tendance à exacerber la fragilité narcissique.» Centrée sur elle-même, la mère qui n’arrive pas à se rassurer sur sa capacité fondamentale à bien s’occuper de son enfant risque donc de percevoir les pleurs du bébé comme un signe d’échec personnel. Par ailleurs, les femmes manquent de modèles de référence: «L’exemple de leur mère est trop éloigné pour elles et celui de leur grand-mère souvent absent, observe Chantel Razurel. On constate qu’elles ont tendance à se comparer aux autres femmes qui viennent d’accoucher, en particulier à leur voisine de chambre lors de l’hospitalisation post-partum. Or, elles peuvent se sentir disqualifiées si cette comparaison ne tourne
pas à leur avantage et leur sentiment de compétence est alors fortement abaissé. C’est comme si elles se plaçaient dans une logique de compétition au lieu de se situer dans un processus d’apprentissage.» Muriel Heulin confirme là encore: «J’ai connu une femme qui se dévalorisait elle-même en regardant sa voisine de quartier pour qui tout se passait bien.» La situation est particulièrement difficile pour les mères primipares: «Comme elles n’ont pas la possibilité de se référer à une expérience antérieure, elles sont vulnérables et se sentent vite peu compétentes dans leur rôle», relève Chantal Razurel.
PHOTO: ANTHONY LEUBA
Depuis les premières descriptions des effets négatifs de la dépression post-partum sur le développement du nourrisson, dans les années 1980, la psychiatrie périnatale connaît un regain d’intérêt. Ainsi, un entretien de soutien à la parentalité a été mis en place il y a une année environ aux Hôpitaux cantonaux universitaires de Genève. Dans certains pays comme la France, des unités psychiatriques mère-enfant ont été ouvertes. «Il faut savoir que la dépression post-partum peut se soigner rapidement et bien lorsqu’elle est prise en charge, se réjouit Nathalie Nanzer, pédopsychiatre aux Hôpitaux cantonaux universitaires de Genève et auteure du livre «La dépression postnatale, sortir du silence». C’est pourquoi les femmes ne devraient pas hésiter à consulter.»
«Lorsqu’elles n’ont pas la possibilité de se référer à une expérience antérieure, les jeunes mères se sentent vite peu compétentes dans leur rôle.»
Les multiples facettes de la psychologie périnatale La psychopathologie périnatale englobe des manifestations hétérogènes dont la plus connue est la dépression post-partum. Celle-ci peut survenir à n’importe quel moment au cours de l’année qui suit l’accouchement et se résorbe souvent naturellement en quelques semaines ou mois. Mais elle peut aussi durer des années et entraîner de graves perturbations de la relation mère-enfant. A noter qu’on la confond souvent avec le baby-blues, qui est un épisode bénin caractérisé par de la tristesse, des crises de larmes et de l’irritabilité. Touchant 50% des jeunes mères, il disparaît spontanément en moins de dix jours après l’accouchement. Le déni de grossesse est pour sa part méconnu. On parle de déni partiel lorsque la femme prend conscience de sa grossesse avant l’accouchement (1 cas pour 300 à 500 naissances) et de déni total lorsqu’elle ne réalise ce qui lui arrive qu’après avoir mis au monde son enfant (un cas pour 2500 naissances). Les experts sont divisés quant à l’existence d’une psychopathologie sous-jacente. Ce qui est certain, c’est que le déni de grossesse ne doit pas être assimilé à l’infanticide, qui concerne une naissance sur 8000 et relève sans contredit du trouble psychique. Enfin, depuis quelques années, certains psychiatres, comme Benoît Bayle, s’intéressent à la psychopathologie conceptionnelle. Celle-ci concerne essentiellement les enfants issus d’un rapport sexuel traumatique (inceste, viol en général).
CHANTAL RAZUREL
Professeure à la Haute Ecole de santé Genève, filière sage-femme
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La faute à Rousseau CINÉMA
Des étudiants en cinéma et des réalisateurs confirmés ont été invités à mettre Rousseau et son œuvre en images. Une vaste entreprise qui a déjà donné naissance à 34 courts-métrages. TEXTE | Sylvain
Menétrey
Au cinéma, le nom de Jean-Jacques Rousseau rappellera aux cinéphiles de l’underground un réalisateur belge proche de l’entarteur Noël Godin qui réalise des films bricolés et contestataires en marge de l’industrie depuis près de cinquante ans. Les cinéphiles tout court se souviendront qu’Alain Tanner a cité des lignes du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité entre les hommes dans Jonas qui aura 25 ans en l’an 2000. Mais hormis ces courtes apparitions et clins d’œil, Rousseau n’a pas beaucoup inspiré le cinéma. Ses grands classiques n’ont en tout cas donné lieu à aucune adaptation, ce qui va changer bientôt puisque Francis Reusser prépare une version de La Nouvelle Héloïse. Dans l’immédiat, on peut déjà découvrir 50 courts-métrages réalisés par des cinéastes suisses et étrangers, reconnus ou encore en formation, dans le cadre La Faute à Rousseau. Ce projet, initié par le cinéaste genevois Pierre Maillard, avec la collaboration de 18 HÉMISPHÈRES BULLETIN
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la RTS, de Rita Production et de la HEADGenève, donne une vision ouverte et moderne de la figure et des écrits du philosophe genevois. «L’idée m’est venue alors que mon fils révisait l’œuvre de Rousseau pour son bac, raconte Pierre Maillard. Il m’a confié que cela lui parlait beaucoup. C’était aussi l’époque des indignados espagnols et du printemps arabe, deux mouvements qui ont invoqué Rousseau. Je me suis dit qu’il serait intéressant d’en faire un projet cinématographique, qui, au départ, n’avait rien à voir avec la commémoration du tricentenaire.» Pierre Maillard contacte alors Jean Perret, responsable du Département cinéma/cinéma du réel de la HEAD-Genève, qui s’enthousiasme rapidement: «Explorer une œuvre aussi foisonnante et contradictoire que celle de Rousseau représente un immense défi pour des cinéastes. L’idée d’associer nos étudiants à une telle aventure nous a vite séduits.» En plus de la HEAD, d’autres écoles de cinéma, en Allemagne, en France, au Canada et au Liban, ont participé à La Faute à Rousseau.
Mon Oncle d’Amérique
Dans Mon Oncle d’Amérique, chacun poursuit seul sa route. Anna Luif Il était important de dire que la petite fille était seule et que cette solitude lui convient, même si elle cherche aussi un camarade. Lui, il pourrait représenter Rousseau, à la fois intelligent, mais occupé par ses idées, davantage que par le quotidien.
Dans Mon Oncle d’Amérique, Anna Luif raconte la rencontre entre une petite fille et un voyageur d’origine indienne dans un Intercity. Des personnages libres, que la société empêche de faire ce qu’ils veulent.
Vos deux personnages sont des anticonformistes, est-ce donc cette qualité que vous avez aimée chez Rousseau? Anna Luif Je dois admettre que j’ai peu lu Rousseau, ce qui navre mon copain philosophe. Mais à travers tous les extraits que j’ai lus, c’est cette défense de ses idées personnelles, au risque de se faire persécuter qui m’a paru la plus proche de mes valeurs. Mes personnages, bien qu’extrêmes, expriment cette idée. Ils sont libres, mais la société les empêche de faire ce qu’ils veulent.
Un Tamoul tombait amoureux d’une Suissesse contre l’avis de sa famille dans votre film Madly in Love. Dans un de vos courtsmétrages, c’était une adolescente qui était folle du petit ami de sa mère. Cette fois-ci, vous racontez la brève amitié d’une petite fille de 5 ans et d’un homme d’origine indienne dans un train. Les rencontres au-delà des préjugés semblent décidément vous intéresser. Anna Luif Oui, mais je pense que c’est pour une raison assez bizarre. Quand je travaille sur un court-métrage, je me lance directement dans l’écriture sans trop réfléchir, contrairement à un long-métrage, où je cherche à conceptualiser d’abord. Face à la feuille blanche, c’est toujours des histoires de contraste qui me viennent à l’esprit, comme des petits et des grands qui entrent en collision, certainement parce que cela donne des récits amusants.
Une petite fille avec un homme adulte qui n’est manifestement pas son père, de nos jours, ça évoque forcément la pédophilie. Anna Luif Oui, mais c’est en arrière-plan. J’espérais que les spectateurs y penseraient sans imaginer que ce soit une issue possible.
Avec son film Barbares et sauvages, le réalisateur Daniel Schweizer revient sur l’aspect anthropologique de l’œuvre de Rousseau, et se demande comment on peut saisir l’autre dans sa complexité sans se penser soi.
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Une petite fille avec son sac d’écolière, à moins que ce ne soit son baluchon d’aventurière, erre en gare de Zurich. On la retrouve ensommeillée à bord d’un Intercity, face à une voyageuse qui s’inquiète de la voir seule. Pour lui échapper, la petite fille s’invente un oncle, qui ne lui ressemble pas beaucoup. Entretien avec la réalisatrice Anna Luif, auteure de Mon Oncle d’Amérique.
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CINÉMA
«J’ai voulu jouer sur l’ambiguïté du philosophe.»
La Faute à Rousseau
«Faire travailler des étudiants avec des réalisateurs confirmés a été une belle expérience, d’autant plus que les films de certains jeunes sont d’une si grande qualité qu’on les croirait réalisés par des professionnels», poursuit Jean Perret.
Camille De Pietro est la réalisatrice de Nature humaine. Cette étudiante en cinéma raconte l’histoire d’un homme ayant décidé de vivre loin de tout et de tous. Propos recueillis par Camille Guignet
Les deux premiers volets de la série ont déjà été diffusés sur la TSR et dans divers lieux culturels romands. On découvre des pépites et des créations forcément moins emballantes. Rousseau pouvant vite s’avérer pesant traduit en images, ce sont les réalisateurs qui ont abordé par la bande l’œuvre originale qui s’en sortent le mieux. A commencer par Lionel Baier qui réalise un petit bijou, drôle et sexy dans sa manière de mélanger corps, esprits et théories dans une baignoire. Quasi performatif, Nos Rêves vos cauchemars de Felipe Monroy vaut par la présence de l’acteur Gilles Tschudi, qui vocifère des extraits Du Contrat social dans les Rues Basses de Genève avant de se faire emmener par des vigiles. Canaille! de Thomas Ammann présente un vieillard nu, image perturbante pour le spectateur du Rousseau des Confessions qui affirme vouloir se dépeindre dans «toute la vérité de la nature».
Comment votre court-métrage illustre-t-il la pensée de Rousseau? Camille De Pietro Le personnage principal de mon film présente le côté méticuleux et précis du penseur, qui était un trait de caractère lié à sa passion pour la botanique. J’ai aussi voulu jouer sur l’ambiguïté du philosophe. Dans Les Rêveries d’un promeneur solitaire, Jean-Jacques Rousseau prétend faire l’éloge de la nature mais parle en réalité des hommes qu’il a connus et des maux qu’ils lui ont causés. En cherchant ainsi l’Homme sous chaque arbre, sur chaque sentier, j’ai le sentiment que l’auteur avait surtout envie de le retrouver pour se faire enfin accepter. Est-ce également le désir de votre protagoniste? Camille De Pietro Mon personnage cherche dans la nature l’homme qui, au contraire de ceux qu’il a connus, lui accordera l’attention et le respect dont il a tellement besoin. Comme il présente des traits obsessionnels, il se montre prêt à tout sacrifier pour que cet autre existe tel qu’il l’a imaginé.
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On attend les derniers épisodes du projet qui annonce des films d’Apichatpong Weerasethakul ou de Frédéric Mermoud. Les deux premiers volets ont été présentés au festival Visions du Réel de Nyon.
La réalisatrice Chantal Michel célèbre le sentiment amoureux dans Hélène et Paul, le portrait d’un couple comblé par le plaisir des choses simples. 20 HÉMISPHÈRES BULLETIN
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En tant qu’étudiante à la HEAD-Genève, qu’avez-vous appris de cette expérience? Camille De Pietro S’inspirer de la pensée d’un auteur pour enrichir un projet, qui devient peu à peu personnel, a représenté une démarche très enrichissante et nouvelle pour moi. Réaliser ce court-métrage m’a également permis de mieux connaître l’œuvre de Jean-Jacques Rousseau, que je connaissais mal malgré mes trois ans d’études en philosophie. Finalement, le fait de ne pas pouvoir dépasser les quatre minutes de film a été difficile, mais aussi stimulant.
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Dans son film Emile de 1 à 5, Lionel Baier relit l’éducation des garçons en faisant des allers-retours entre Rousseau et Elisabeth Badinter.
Emile de 1 à 5 Cinq jeunes hommes se retrouvent dans un bain moussant pour évoquer la maternité au masculin. Dans Emile de 1 à 5, Lionel Baier donne une lecture très libre, sensuelle et comique du traité d’éducation de Rousseau, qu’il hybride avec des thèses d’Elisabeth Badinter sur les notions de genres. Le film a été sélectionné aux Quartz du cinéma suisse. Vous n’êtes, paraît-il, pas un inconditionnel de Rousseau. Pourquoi avoir accepté cette commande? Lionel Baier Je garde effectivement de Rousseau un souvenir de lecture obligatoire. J’avais lu l’Emile et les Rêveries en classe, deux livres qui ne m’avaient pas trop plu, en particulier l’Emile, certainement parce que je ne l’avais pas tout à fait compris à l’époque. Le livre XY d’Elisabeth Badinter sur la notion de genres m’avait par contre impressionné.
Au moment où l’on me commandait ce film, elle sortait son essai sur les mères. On la voyait ferrailler avec le monde médiatico-culturel sur les plateaux télé où elle tentait de transmettre un discours plus complexe. Je me suis dit qu’il valait la peine de relire l’éducation des garçons en faisant des allers-retours entre des choses écrites par Rousseau et les déclarations de Badinter. Les cinq Emile de votre film, ce sont aussi les cinq enfants abandonnés de Rousseau. Lionel Baier Oui, j’ai appris qu’il avait laissé ses enfants à l’aide sociale. J’ai relu l’Emile comme le livre d’un type qui a foncièrement échoué dans son rôle de père et qui demande pardon. Dans votre film, on est surtout en pleine confusion des genres. Lionel Baier En tout cas, il pose la question du sentiment maternel. Qu’est-ce que c’est que d’être une bonne mère quand on est un homme? Et contrairement à l’image que je m’en faisais, Rousseau est plutôt un bon vivant, pas dénué de sensualité, avec un corps, des désirs. Faut-il voir dans votre film un rapport avec Cléo de 5 à 7, le film d’Agnès Varda? Lionel Baier C’est juste un clin d’œil, une petite allitération, mais qui n’a aucun rapport d’ordre thématique.
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CINÉMA
La Faute à Rousseau
Rousseau, 300 ans d’actualité Le Genevois Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) a marqué au travers de son oeuvre des pans entiers de la pensée contemporaine. Inventaire de ses influences hétéroclites. TEXTE | Sylvain
SCIENCES HUMAINES NAISSANCE DES ÉTATS-UNIS
Inspiré par Rousseau, Thomas Jefferson militait pour la souveraineté du peuple et rêvait d’une société de petits propriétaires terriens libres et égaux.
POLITIQUE
Ménetrey Fourtouill
GRAPHISME | Sébastien
MOZART
A 12 ans, le jeune prodige de la musique s’inspire de l’intermède Le Devin du village, écrit par Rousseau en 1753, pour composer le singspiel Bastien et Bastienne.
ARTS XVIII E
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PESTALOZZI
PSYCHANALYSE
Le père fondateur de la pédagogie a une révélation en lisant l’Emile. Il n’a de cesse dès lors de donner une traduction pratique à l’utopie rousseauiste.
Livres d’introspection, Les Confessions pourraient avoir valeur de psychanalyse avant son invention.
RÉVOLUTION CHINOISE
SMALL IS BEAUTIFUL
Les premières traductions du Du Contrat social en chinois vers 1901 servent en partie de base théorique pour la Révolution de 1911 qui renverse la dynastie Qing.
Rousseau destine Du Contrat social à des petits Etats et n’imagine pas le succès de son modèle à une plus large échelle.
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PÉDAGOGIE FREINET
Développée par Célestin Freinet, cette méthode met l’accent comme chez Rousseau sur l’action: l’enfant apprend en faisant.
KHMERS ROUGES
Plusieurs révolutionnaires cambodgiens se sont inspirés des idées de Rousseau, découvertes en France sur les bancs des facultés marxistes.
FLAUBERT, PROUST
NEW AGE
La narration de La Nouvelle Héloïse, grand succès au XVIIIe siècle, préfigure les romans sur le temps de Flaubert ou Proust.
Dans les Rêveries d’un promeneur solitaire, Rousseau s’adonne à une méthode de méditation dans la nature, sorte de contemplation laïque qui rompt avec le tumulte de la vie.
PÈRE FONDATEUR
MÉFIANCE ENVERS LE PROGRÈS
EMMANUEL KANT
Rousseau propose une vision non utilitariste de la nature. Certains auteurs contemporains ont ainsi tenté de lui donner le statut d’ancêtre de l’écologie.
Rousseau évoque l’ambivalence de la perfectibilité humaine, à la fois capacité de l’homme à se développer, tout en le dénaturant et en l’emmenant vers la décrépitude.
Le concept d’autonomie de Kant doit beaucoup à la conception de l’Homme moral de Rousseau.
LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ
TOTALITARISME
Du Contrat social inspire
la Révolution française et plus généralement la démocratie contemporaine.
ÉCHIQUIER POLITIQUE
Rousseau affirme dans Du Contrat social qu’afin d’atteindre la liberté civile, le peuple doit renoncer à sa liberté individuelle. Certains y voient les prémices du totalitarisme.
L’opposition entre Voltaire, un libéral, et Rousseau, un démocrate républicain, préfigure l’affrontement politique moderne gauche-droite.
MUSIQUE ITALIENNE
LÉON TOLSTOÏ
Rousseau, critique à l’égard de la musique française pensée comme une science et basée sur l’harmonie, soutient et aide à populariser la musique italienne, plus légère et mélodique.
PSYCHOPÉDAGOGIE
La méthode de la nondirectivité, développée par le grand psychologue américain Carl Rogers, doit beaucoup à la théorie d’éducation négative présentée dans l’Emile.
AXEL HONNETH
Critique du capitalisme, le philosophe allemand a pour but de revivifier le projet de philosophie sociale initiée par Rousseau.
Le grand écrivain russe idolâtrait Rousseau, allant même jusqu’à porter un médaillon du philosophe autour du cou.
ETHNOLOGIE
Claude Lévi-Strauss considère Rousseau comme le père de l’ethnologie, notamment par son étude du passage de l’homme de la nature à la culture.
INDIGNÉS
Rousseau estime que les riches ont établi des règles injustes en s’appropriant des ressources et en obligeant les pauvres à se vendre.
AUTOBIOGRAPHIE
Rousseau est considéré comme l’inventeur de l’autobiographie, avec ses 12 livres Les Confessions.
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Si peu de femmes MUSIQUE
Au pays de Louis Armstrong, les femmes sont nettement moins nombreuses que les hommes. Divers spécialistes en études genre se sont penchés sur la question. TEXTE | Tania
Personne n’osera le nier: dans le monde du jazz, les femmes sont nettement sousreprésentées. Si Billie Holiday et Ella Fitzgerald ont bel et bien réussi à s’élever au rang de légendes au même titre que Louis Armstrong, Miles Davis ou Duke Ellington, force est de constater que la liste est plus longue d’un côté que de l’autre. Le souvenir lointain d’une société sexiste désormais dépassée? Pas si sûr: les écoles de jazz en Suisse affichent aujourd’hui le même déséquilibre, les étudiantes atteignant tout juste une moyenne de 15% des effectifs, et le corps professoral comptant une écrasante majorité d’hommes. A l’heure où il est de bon ton de promouvoir l’égalité des chances, le phénomène occupe les esprits de nombreux spécialistes en études genre. A Paris, la sociologue Marie Buscatto a publié plusieurs ouvrages et articles sur le sujet. Pour elle, le problème est à la fois une histoire de réseaux, de normes et de stéréotypes. «Le milieu du jazz étant essentiel24 HÉMISPHÈRES BULLETIN
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Araman
lement «masculin», les musiciennes y manquent de visibilité et n’y sont pas considérées de manière équivalente aux hommes. Les groupes ont donc tendance, sans réelle volonté de discriminer, à engager des collègues hommes.» Pour s’extraire de ce cercle vicieux, comme l’ont montré différentes études sur le sujet, il faudrait, selon la spécialiste, que le taux de représentation féminine dépasse le seuil des 30%. Or, même aux Etats-Unis, où la situation se révèle plus encourageante que sous nos latitudes, les femmes n’occuperaient que 25% de la scène du jazz. Mais comment expliquer qu’un tel déséquilibre se soit installé? Anciennement déléguée à l’égalité pour la Haute Ecole de musique de Lucerne, Judith Estermann apporte des éléments de réponse dans son article Contexte et raisons de la faible représentation des femmes dans la musique jazz, pop, rock, publié en 2009. Parmi les «coupables» désignés, la socialisation différenciée entre
les sexes: là où un garçon choisira ses partenaires musicaux en fonction de leurs performances, une fille privilégiera le côté relationnel et optera par exemple pour le groupe dans lequel joue déjà sa meilleure amie. Elle se laissera par ailleurs plus facilement influencer par ses parents et ceux-ci accepteront peut-être difficilement de la voir traîner dans les bars malfamés souvent associés au monde du jazz ou évoluer dans un univers essentiellement masculin. Nous revoilà plongés dans ce fameux cercle vicieux, le même qui dissuade les femmes de se lancer dans cette voie par manque de modèles de leur propre sexe.
PHOTO: BERTRAND REY
dans le jazz
Une enquête au-delà du problème de genre «Je serais ravie de voir davantage de femmes dans le milieu du jazz, mais il ne faut surtout pas forcer la donne. Mieux vaut attendre qu’elles soient prêtes au lieu de les accepter tout de suite dans un groupe. Un réel intérêt, une réelle motivation viendront à bout de tous les obstacles.» Professeure de chant à la Haute Ecole de musique de Lausanne (HEMU), Susanne Abbuehl dirige depuis début 2012 un projet de recherche visant à mieux comprendre le phénomène de sousreprésentation féminine dans le milieu du jazz. Au-delà du fameux problème de genre, elle souhaite avant tout se pencher sur les parcours des étudiants, hommes et femmes, de la HEMU afin d’identifier les éventuels obstacles rencontrés par les uns et les autres. «Je m’intéresse à l’individualité de chaque musicien, il y a tellement de parcours, de visions différentes dans le jazz… Pour ma part, je n’ai jamais connu de difficultés à cause de mon sexe. C’est une thématique qui m’est restée très longtemps étrangère. L’idée de cette étude, c’est de dresser un état des lieux de la situation, de déterminer si elle doit effectivement être changée et de quelle manière.»
Dans son étude, Judith Estermann souligne également qu’hommes et femmes n’ont pas la même façon d’expliquer leurs échecs et leurs succès. Alors que les premiers attribuent leur réussite à leurs capacités personnelles et rendent l’environnement extérieur responsable des éventuelles déconvenues, les secondes ont tendance à fonctionner HÉMISPHÈRES BULLETIN
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MUSIQUE
Elisa Barman – Le jazz, oui mais…
Femmes et jazz
«Dans le monde du jazz, on appelle les chanteuses les chianteuses. On est trop souvent mises en avant par rapport au reste du groupe, du coup, on n’a pas très bonne réputation. C’est difficile de se faire sa place…» Agée aujourd’hui de 30 ans, la Genevoise d’adoption Elisa Barman a dû se résoudre à ne pas vivre uniquement de sa voix. Elle se forme actuellement pour devenir professeure de musique et donne déjà des cours dans les cycles d’orientation.
de manière opposée. Or, l’improvisation, inhérente à ce genre musical, recèle un risque constant. Il est nécessaire d’expérimenter et donc de commettre des erreurs.
Comment, alors, remédier à ces inégalités? En Suisse, plusieurs projets ont été mis sur pied. Le premier, instauré par Judith Esterman en 2004, visait à créer des «Female Band Workshop», des ateliers destinés à faciliter l’intégration des filles dans les groupes de jazz. Le second, lancé en 2010, prend la forme d’un annuaire sur internet (www.helvetiarockt.ch) améliorant la visibilité des musiciennes de jazz, qu’elles soient chanteuses ou instrumentalistes. Le futur du jazz sera-t-il donc plus ancré dans la féminité? Une chose est sûre: de plus en plus de femmes semblent se lancer dans l’aventure. «Dans le cadre de mes cours, je remarque pas mal de jeunes filles qui ne sont pas prêtes à se laisser marcher sur les pieds, se réjouit Elisa Barman. Elles en veulent, elles iront loin.»
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PHOTO: ANTHONY LEUBA
Pour compléter le tableau, mentionnons encore que le rôle des femmes dans le monde du jazz se cantonne généralement à celui de chanteuse. Et lorsqu’elles jouent d’un instrument, on les retrouve plus volontiers au clavier d’un piano que derrière une batterie ou grattant une contrebasse. «Bien sûr, il y a une question pratique, reconnaît Elisa Barman, chanteuse de jazz et professeure de musique en formation à Genève (lire son portrait ci-contre). La contrebasse est un instrument difficile à transporter.» Mais ces considérations physiologiques ne sont pas les seules à entrer en ligne de compte: «Certains instruments sont considérés, socialement, comme «féminins» ou «masculins». La trompette, par exemple, est synonyme de puissance, donc souvent associée aux hommes.»
De quartets en duos, elle entame diverses collaborations avant finalement de se rendre à l’évidence. «Les cachets étaient dérisoires, c’était impossible d’en vivre.» Même si son duo actuel – en compagnie d’un ami guitariste – se rattache plutôt à la folk et à la pop, elle conserve tout de même un pied dans le monde du jazz en animant des ateliers vocaux dans le cadre de l’AMR. www.myspace.com/baptisteetelisa
PHOTO: ANTHONY LEUBA
Arrivée sur le tard dans le milieu du jazz – «Mon père écoutait des CD de Chet Baker, ça m’a donné envie de chanter» –, elle commence ses classes à 19 ans dans son Tessin natal avant d’émigrer à Genève, où elle intègre l’école professionnelle de l’Association pour l’encouragement de la musique improvisée (AMR). «Nous étions deux filles pour huit garçons. Mais je ne me suis pas sentie mise de côté pour autant.» Elle monte rapidement un premier groupe expérimental, avant de s’associer à deux copines pour créer le trio Elé, qui rencontre un certain succès sur la scène genevoise.
Juliane Rickenmann, une saxophoniste globe-trotteuse L’Australie, le Japon, la Chine, Bombay, la Thaïlande, et bien sûr New York: la saxophoniste neuchâteloise Juliane Rickenmann aura davantage fait ses classes de musicienne dans les rues et les bars du monde entier que sur les bancs d’une école suisse. «Au départ, je devais simplement partir une année pour perfectionner ma technique de saxophone avant d’intégrer le Conservatoire de jazz de Montreux. Finalement, je ne suis revenue que des années plus tard.» Après des premières expériences très enrichissantes à Melbourne et à Kyoto – «Les Japonais sont très férus de jazz, de nombreuses femmes y jouent de la batterie ou du saxo» –, Juliane Rickenmann s’envole finalement pour la Grosse Pomme: elle y fait la connaissance du batteur Denis Charles, qui la prend sous son aile. «Là-bas, mon statut de femme n’a jamais été un obstacle. Au contraire, on me respectait. J’étais jeune, seule à New York, sans argent, portée uniquement par mon amour du jazz: les gens du milieu avaient envie de m’aider à progresser.» Le retour en Suisse s’avère en revanche plus difficile: «Je ne jouais pratiquement plus. Aux Etats-Unis, les bars sont ouverts tous les soirs, je donnais des concerts 3 ou 4 fois par semaine…» Après deux ans de cours à Montreux, elle décide donc de repartir, cette fois en Chine, où elle décroche un contrat pour jouer dans un hôtel. De fil en aiguille, elle se retrouve finalement à Bombay, puis à Bangkok, avant de commencer à ressentir le mal du pays. Aujourd’hui maman d’un petit bébé de 6 mois, elle parvient à concilier sa vie de femme et d’artiste. «J’ai monté plusieurs groupes, j’arrive à vivre de ma musique.» Quant à son saxophone, souvent considéré comme un instrument masculin, elle assure pouvoir aussi en «jouer tout en douceur… Et puis, on rencontre de plus en plus de femmes dans le milieu. Je joue avec beaucoup d’hommes et il y a énormément de tolérance.» www.julianerickenmann.com
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L’eau exploitée jusqu’à la dernière goutte INGÉNIERIE
Les projets de centrales hydrauliques de petite taille abondent dans les Alpes suisses. Puisant leur force dans les réseaux d’eau potable et usée, ces installations se révèlent particulièrement écologiques. TEXTE | Alexandre
Willemin
d’accroître la productivité de l’hydraulique que d’environ 2-3 TWh, soit une augmentation d’environ 5-8%», affirme Nicolas Crettenand, qui rédige une thèse à l’EPFL sur la petite hydraulique en Suisse. Un chiffre optimiste qui fait partie des mesures nécessaires pour sortir la Suisse de sa dépendance à l’énergie atomique dès 2034. Plusieurs projets sont à l’étude pour y parvenir, notamment des surélévations de barrages existants.
Plusieurs raisons expliquent le regain d’intérêt pour des structures aux dimensions plus modestes, notamment le manque d’emplacements disponibles. «Il ne sera possible
La petite hydraulique aura aussi son rôle à jouer pour renoncer au nucléaire. Les centrales de taille réduite permettent de produire actuellement 3,8 TWh par année, ce qui représente 5,7% de la production totale d’électricité en Suisse. Selon l’OFEN, cette production pourrait être augmentée de plus d’un tiers d’ici à 2034.
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Les projets de barrages colossaux construits au pied des glaciers, c’était au siècle passé. Aujourd’hui, la petite hydraulique fait son retour en force. Au début du XXe siècle, 7000 petites centrales d’une production inférieure à 10 MWh étaient en service. Un millier seulement ont subsisté. Elles représentent environ 10% de la production hydro-électrique totale de la Suisse, selon l’Office fédéral de l’énergie (OFEN).
Cette micro-turbine peut être installée dans les canalisations d’eau potable. Ce prototype a été réalisé conjointement par la HES-SO et l’EPFL. 28 HÉMISPHÈRES BULLETIN
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Pour permettre à ces projets de voir le jour, la Confédération a mis en place en 2007 la loi sur l’approvisionnement en électricité et l’introduction de la rétribution au prix coûtant. «Cette nouvelle législation permet de subventionner les petites centrales en prélevant une partie des recettes des grandes», explique Jean-Marc Ribi, professeur à l’Ecole d’ingénieurs et d’architectes de Fribourg.
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La mini-hydraulique
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INGÉNIERIE
En plus de centrales au fil de l’eau, d’autres projets novateurs sont aujourd’hui réalisables. «Des turbines peuvent être placées aujourd’hui dans les canalisations d’eau potable», explique Cécile Münch Alligné, professeure HES-SO Valais Wallis, spécialisée en micro-turbinage. Ces systèmes remplacent les réducteurs de pression, nécessaires pour que les conduites d’eau potable n’aient pas à supporter des forces supérieures à 4 barres. «Des turbines similaires peuvent également profiter du débit des stations d’épuration, poursuit la professeure. Une des premières centrales de ce type en Suisse a été construite à Verbier.» D’autres projets prévoient d’installer des turbines dans les canaux de fuite, au pied des barrages déjà existants. «Une localisation optimale, puisque le débit de l’eau est important mais reste inexploité, souligne Cécile Münch Alligné. Par ailleurs, la consommation d’eau potable varie fortement pendant une journée. Il est intéressant de se localiser à la sortie des barrages, là où la production peut 30 HÉMISPHÈRES BULLETIN
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être mieux régulée. Les différents types d’énergies renouvelables sont complémentaires: la production d’hydro-électricité est bien plus facile à réguler que le solaire ou l’éolien!» Et la petite hydraulique a de beaux jours devant elle, même en cas de réchauffement climatique accru. «Si les températures augmentent de manière importante en Suisse, les précipitations se feront plus extrêmes mais le débit moyen des rivières restera le même, estime Aline Choulot, ingénieure chez Mhylab, fondation vaudoise spécialisée dans la conception de turbines. La petite hydraulique sera bien moins influencée par le recul des glaciers que les grands barrages!»
PHOTO: JEAN-LUC CRAMATTE
TROIS QUESTIONS À JEAN-MARC RIBI Professeur à l’Ecole d’ingénieurs et d’architectes de Fribourg et spécialiste en petite hydraulique.
«D’un point de vue environnemental, l’énergie issue du micro-turbinage peut être qualifiée de très propre.»
Quels sont les avantages écologiques des turbines installées sur les réseaux d’eau potable? Ces petites centrales hydrauliques ont un impact très faible sur l’environnement puisqu’elles se greffent sur des réseaux déjà existants. Il faut faire attention à veiller quand même que la qualité de l’eau potable soit préservée lors du turbinage. Un autre avantage: on prélève l’eau dans les massifs souterrains. Nul besoin de diminuer le débit des rivières et il n’y a donc pas de nuisance pour la faune et la flore des cours d’eau. D’un point de vue environnemental, cette énergie peut être qualifiée de très propre. Peut-on se greffer sur d’anciens réseaux ou ces installations ne sont-elles possibles que sur de nouvelles sources d’eau potable? Souvent, ce sont des réseaux déjà existants, mais qui doivent être assainis. A ce moment-là, on se pose donc la question d’y ajouter une turbine pour remplacer les réducteurs de pression déjà présents. Auparavant, le coût de production de l’électricité était plus elevé que le prix de vente pour ce genre d’ouvrages. Avec l’introduction de la rétribution au prix coûtant, ces installations sont devenues rentables.
Ce schéma de micro-turbine et celui de la page précédente ont été réalisés dans le cadre du projet Hydro VS, qui cherche à valoriser la production d’énergie des infrastructures hydrauliques existantes, telles que les aménagements hydrauliques de grande puissance, les réseaux d’eau potable et d’eaux usées, ou les installations d’alimentation des canons à neige.
Quelle est l’importance de cette énergie pour le marché de l’électricité? Elle ne représente que quelques pour-cent par rapport à la production hydraulique totale en Suisse. Le rôle de ces petites centrales n’est pourtant pas négligeable, même si elles restent complémentaires aux grandes infrastructures déjà existantes. J’ai participé à l’élaboration d’une centrale de ce type à Haut-Intyamon (FR). Elle permet tout de même de fournir en électricité la moitié des ménages de cette commune.
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HES-SO
design et arts visuels | économie et services | ingénierie et architecture | musique et arts de la scène | santé | travail social
Une affiche géométrique pour Paléo DESIGN
Record d’affluence à la Haute Ecole de santé de Fribourg
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PHOTO: PALÉO / J.-Y. RANU ET A. FARINA
SANTÉ
La Haute Ecole de santé de Fribourg a accueilli 474 étudiants dans ses filières Bachelor en Soins infirmiers et maturité spécialisée lors de la dernière rentrée académique. Cela représente 128 étudiantes et étudiants de plus qu’à la rentrée 2010, soit un record. La hausse des inscriptions est constante depuis 2006. Ces augmentations sont dues au succès des études professionnalisantes dans le domaine de la Santé, ainsi qu’au nombre suffisant de places de stage.
Aurélien Farina a remporté le concours d’affiche lancé pour le 37e Paléo Festival de Nyon. Ce graphiste de 27 ans est diplômé en Communication visuelle de la Haute Ecole d’art et de designGenève. Sa particularité? L’affiche montre uniquement des éléments typographiques. Géométrique, mais très graphique et harmonieuse, elle structure les différents niveaux d’informations grâce à un jeu de couleurs. Le lauréat explique qu’il aime «concevoir des projets complexes, intrigants et ludiques, qui comptent sur l’intelligence du public. C’est un ping-pong entre l’œil et l’esprit: l’affiche est conçue dans son rapport à son lecteur, elle fait participer les gens qui la regardent.»
ÉCONOMIE
La Haute Ecole de gestion Arc a créé l’Institut du marketing horloger (IMH) – dont le doyen est François Courvoisier – et lancé une formation unique au monde: le Certificate of Advanced Studies en marketing horloger. La troisième volée commencera les cours au mois de mai 2012. La formation abordera les thèmes suivants: la culture horlogère, la stratégie d’entreprise ou le comportement des clients. Les cours sont donnés par des professeurs HES-SO, ainsi que par des intervenants travaillant dans l’horlogerie. Ce programme d’études s’adresse aux professionnels du secteur horloger, ainsi qu’aux fournisseurs, chargés de communication et conseillers d’entreprises. Les six mois de cours aboutissent sur un travail pratique de fin d’études, basé sur un cas d’entreprise ou une recherche originale.
Animation théâtrale: une offre unique en Suisse romande
Une nouvelle orientation en viticulture
THÉÂTRE
INGÉNIERIE
Un Certificat de formation continue en animation théâtrale sera décerné pour une quatrième volée par La Manufacture – Haute Ecole de théâtre de Suisse romande. Son programme aborde l’animation et la médiation théâtrales, ainsi que la conduite de projets théâtraux pour différents publics et contextes: milieux scolaires, parascolaires, culturels, hospitaliers, socio-thérapeutiques, carcéraux, en entreprise, etc. Le travail de certification consiste à construire un projet concret d’animation. Cette formation est destinée aux professionnels du spectacle, comédiens, metteurs en scène, mais également aux travailleurs sociaux et aux enseignants appelés à mener des projets théâtraux.
L’université d’été s’intéresse à la fin de vie SOCIAL
Les villes intelligentes RECHERCHE HES-SO
SmartCity est constitué de différents projets novateurs qui ont pour but d’améliorer la qualité de vie des citadins. La HES–SO a lancé un appel aux participants avant de retenir cinq idées. Parmi celles-ci, des programmes tels que Clean City, une démarche permettant de déterminer la qualité de l’air lorsqu’un projet d’urbanisme est en cours, ou encore CO2MeOH, un procédé qui transforme le CO2 en méthanol, produisant ainsi un carburant neutre. Il y a aussi l’Innovation Center, qui souhaite créer un pôle de compétences helvétique en cyberadministration ou la recherche Smart Clean City, qui propose un assainissement des eaux usées grâce à des biocharbons, fabriqués à partir de déchets verts. Ces biocharbons, aménagés en jardins urbains, traiteront les eaux usées. Des réunions seront organisées en Suisse romande, afin que ces projets puissent être intégrés dans la vie quotidienne des citoyens.
La troisième université d’été du travail social se tiendra du 2 au 13 juillet 2012 à la Haute Ecole du travail social et de la santé – EESP – de Lausanne. Cette année, les cours aborderont le thème «Fin de vie et travail social», qui comprend l’accompagnement d’une personne en fin de vie, ainsi que de ses proches. Une dizaine de pays contribueront à ce programme.
PHOTO: HES-SO
Etudier le marketing horloger
Une nouvelle orientation en viticulture et œnologie s’ouvre au sein du master HES-SO en Life Sciences. La première volée sera accueillie en septembre 2012. Les étudiants pourront développer des aptitudes dans la viticulture telles que l’analyse des parcelles, la génétique et l’environnement, la vinification (paramètres techniques et qualité du raisin), l’analyse sensorielle, ainsi que des compétences économiques (marketing, management, et ressources humaines). Les cours seront donnés à l’Ecole d’ingénieurs de Changins, ainsi qu’à Berne et à Spiez. HÉMISPHÈRES BULLETIN
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HES-SO
Progresser en anglais grâce à l’iPhone HES-SO PHOTO: HES-SO – CYBERLEARN
L’application M-Drill permet d’exercer son anglais sur iPhone. Conçue par Cyberlearn, centre de e-learning de la HES-SO, elle propose d’améliorer la pratique de la langue en quelques minutes par jour. M-Drill est gratuit et requiert l’e-mail de l’utilisateur.
Lors de l’inscription, l’application demande les disponibilités de son propriétaire: il peut ainsi déterminer s’il souhaite s’entraîner les mardis, les jeudis et vendredis, de midi à 14 h, par exemple. Suivant son emploi du temps, il recevra six questions par jour. Chaque réponse correcte vaut 100 points, un indice pour trouver la réponse peut être obtenu au prix de
Un recul qui affecte l’imaginaire
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«Jusque vers 1700, le glacier représentait un endroit maudit et un repaire pour les âmes en peine», raconte Amédée Zryd, professeur à la Haute Ecole d’ingénieurs du Valais et coauteur d’un récent ouvrage intitulé Glaciers, passé-présent du Rhône au Mont-Blanc. Pour que cette conception évolue, il faudra que le poète et naturaliste bernois Albrecht de Haller publie Les Alpes en 1729, un ouvrage qui idéalise la montagne et exalte les vertus des montagnards. Petit à petit, une exploration systématique des Alpes et des glaciers 28 HÉMISPHÈRES BULLETIN
6 num 40.– éros
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se mettra en place, grâce à des aventuriers souvent issus du monde scientifique. Les glaciers deviendront des icônes et s’enracineront dans la conscience collective occidentale comme des symboles de pureté et de santé. «Tout au long du XXe siècle, le glacier s’est fait emblème et support publicitaire, précise Amédée Zryd. Sa pureté fait rêver et vendre les séjours à la montagne, les joies de la neige et des PORTRAITS sports d’hiver.» ! # "
Un phénomène qui ne devrait pas s’arrêter de sitôt, d’après le glaciologue: «La montagne est un écosystème particulièrement sensible. Les modèles numériques prévoient d’ici à 2050 une augmentation possible des températures estivales de 1 à 5 degrés, selon le scénario le plus pessimiste. En conséquence, le recul des glaciers va se poursuivre et, si les prévisions se vérifient, seuls les plus " " grands subsisteront.»
Cette adoration de l’Homme moderne pour ce que ses ancêtres appelaient «monts de glace» se retrouve pourtant très vite face à un paradoxe: «Depuis le début des mesures systématiques des glaciers en 1850, ils n’ont pratiquement pas cessé de reculer», relève Amédée Zryd. En raison notamment d’étés de plus en plus chauds, les glaciers alpins ont perdu plus de 30% de leur masse en cent cinquante ans.
Pour documenter ce recul dans son livre, Amédée Zryd s’est associé au directeur de publication Nicolas Crispini et au photographe Hilaire Dumoulin. Ce dernier a parcouru les vallées alpines durant plusieurs années pour retrouver les points de vue qui permettent des comparaisons avec d’anciennes photos. Un travail méticuleux, dont le résultat est époustouflant.
PHOTO: BERTRAND REY
TEXTE | Geneviève
«Seigneur, rends-moi à mes frères pour que je puisse leur dire de ne pas venir en ce lieu de torture où le pavement de marbre du sol rocheux n’est que glace», écrit Jean de Bremble, moine de l’abbaye de Canterburry, alors qu’il se rend à Rome en l’an 1188 et qu’il passe par le col du Grand-Saint-Bernard.
25 points. Les réponses et les erreurs seront prises en compte afin de constituer de nouvelles questions adaptées au niveau d’anglais. Les statistiques des résultats sont également consultables dans le menu, ainsi que le niveau de l’utilisateur. M-Drill sera prochainement disponible sur Android, ainsi que dans des versions pour apprendre le français et l’allemand.
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Caroline Vitelli, 31 ans, observatrice assidue de Facebook
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«Facebook est un médicament venimeux» Il ne se passe pas un jour sans que l’artiste contemporaine genevoise Caroline Vitelli ne passe du temps sur Facebook. «J’y ai plusieurs centaines d’amis, même si ce mot est usurpé. Etre en contact artificiel avec autant de monde, c’est à la fois étrange et hallucinant. Cela nous confronte directement au concept des six degrés de séparation entre chaque être humain du sociologue Stanley Milgram.» Observer comment les gens se mettent en scène sur ce réseau fascine cette passionnée de dadaïsme: «On voit de belles histoires, mais aussi des choses pathétiques. Assister en direct à la séparation de certains couples peut devenir trash.» Facebook représente également un outil de travail pour Caroline Vitelli: «C’est une plateforme de promotion. Des collectionneurs m’y contactent directement. Les échanges avec d’autres artistes peuvent être créatifs. Mais parfois aussi désespérants… Pour cela, je dis que Facebook est un médicament venimeux.»
Aura Pucci, 26 ans, déconnectée
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«Je préfère voir mes amis dans la vraie vie» Quatre cent millions de gens sont sur Facebook? Et alors… Aura Pucci ne voit aucun intérêt à exposer sa vie privée sur un site social. «Je n’aime pas l’idée de figurer sur un réseau élargi, sans connaître toutes les personnes qui en font partie.» La jeune étudiante en design préfère voir ses amis en tête à tête pour prendre de leurs nouvelles. Un choix qui ne manque pas de faire réagir son entourage. «Beaucoup de gens ne comprennent pas pourquoi je suis réticente. Ils pensent que je passe à côté de quelque chose et que c’est même dommageable de ne pas faire partie de la grande toile.»
Si c’est vrai qu’il lui est arrivé une fois ou deux de ne pas être mise au courant d’événements, elle n’a jamais manqué une information capitale. «Mes amis connectés me tiennent toujours au courant…»
En vente dans les librairies et kiosques de Suisse romande au prix de CHF 9.–, la revue Hémisphères est cependant gratuite pour tous les étudiants et collaborateurs de la HES-SO. Elle paraît 2 fois par année et le prochain volume est prévu pour le mois de décembre 2012.
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La première édition de la carte Siegfried a été publiée à partir de 1870. Pour la première fois, ces cartes ont été établies à partir de relevés originaux sur le terrain.
Pour recevoir les 6 prochaines éditions à domicile au prix avantageux de CHF 40.–, on peut s’abonner par:
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INTERNET Le plus facile est de s’inscrire en ligne sur le site www.revuehemispheres.com
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