Journée d’étude : Les nouvelles modalités de l’accompagnement des personnes âgées en EMS 29 mai 2019
Penser autrement la « démence » et son accompagnement psychologique Anne-Claude Juillerat Van der Linden & Martial Van der Linden
Le vieillissement cérébral et cognitif Le vieillissement affecte le fonctionnement cérébral et cognitif (la mémoire, l’attention, etc.) Il existe de grandes différences entre les personnes âgées dans l’importance des difficultés cognitives liées à l’âge chez certaines personnes âgées, on constate des difficultés importantes et progressives, qui entravent le fonctionnement quotidien (une « démence ») Comprendre les causes de ces différences : une question essentielle !
Les aspects problématiques du vieillissement cérébral et cognitif
L’approche biomédicale dominante : plusieurs maladies : maladie d’Alzheimer, démence fronto-temporale, démence à corps de Lewy, etc. ces maladies ont une cause spécifique, qui les distingue les unes des autres, et du vieillissement normal nécessité d’intensifier la recherche neurobiologique afin de trouver la cause et le traitement pharmacologique / médical efficace (à appliquer le plus tôt possible) importance d’un dépistage précoce > trouble cognitif léger; maladie d’Alzheimer préclinique (sans symptôme), sur base de biomarqueurs
L’approche biomédicale dominante
Maladies dévastatrices et tragiques , et champ lexical qui les accompagne : une condamnation sans appel, une catastrophe absolue la perte d’identité, le « zombie », le « mort-vivant », la «mort blanche» un retour en enfance: une inversion des rôles parentaux; l’accent étant mis sur le « fardeau » que représente cet état pour les proches un ennemi, un monstre qui doit être combattu à tout prix (langage guerrier)
La maladie d’Alzheimer : évolution du concept Aloïs Alzheimer (1901)
un état rare, étrange, apparaissant chez des personnes avant 60 ans
A partir des années 1970 / 1980,
la manière dont des spécialistes ont nommé les difficultés progressives et importantes rencontrées par certaines personnes âgées du fait du vieillissement de leur cerveau
La maladie d’Alzheimer : un mythe ? Mythe dans le sens de « Construction de l’esprit » à laquelle les personnes adaptent leur manière de penser et de se comporter qui donne confiance et qui incite à certaines actions …mais qui peut ne pas correspondre à la réalité
Pourquoi ce mythe et son amplification ?
Récolter de l’argent pour la recherche
Robert Butler, Institut National sur le Vieillissement (NIA/USA) : « Pratiquer la politique sanitaire de l’angoisse »
Société basée sur l’individualisme, l’efficacité, la compétition
Illusion que l’on pourra vaincre le vieillissement : recherche de la jeunesse éternelle ; médicalisation du vieillissement (et médecine «anti-âge»)
Garantir les intérêts des entreprises pharmaceutiques
Jack de la Torre (2012) : la recherche sur la « maladie d’Alzheimer » est en crise
A la croisée des chemins ….
ces 20 dernières années, la « maladie d’Alzheimer » a fait l’objet d’environ 73'000 articles scientifiques, conduisant ainsi à une moyenne phénoménale de 100 articles par jour la très grande majorité de ces articles est d’un très faible intérêt scientifique peu de progrès quant à la compréhension et à la prise en charge clinique de cette « maladie » … et si l’on s’était trompé d’approche ?
La « maladie d’Alzheimer » n’a pas de symptômes cognitifs spécifiques
Elle peut s’exprimer par des difficultés cognitives variables : mémoire, langage, perception, raisonnement/jugement, etc. (parfois, pas de pb de mémoire) L’évolution de ces difficultés est très variable d’une personne à l’autre avec, fréquemment, de longues périodes de stabilité (jusqu’à 7 ans), voire, dans certains cas, une amélioration tant au plan cérébral que cognitif caractère dynamique du vieillissement cérébral et cognitif
Et si l’on s’était trompé d’approche ?
Et si l’on s’était trompé d’approche ? Les personnes qui ont reçu le diagnostic de « maladie d’Alzheimer » ont très souvent différents types d’anomalies cérébrales : - outre des plaques séniles et des dégénérescence neurofibrillaires : protéine TDP43, corps de Lewy, sclérose hippocampique, diverses anomalies vasculaires, etc.
Absence d’efficacité des médicaments
Et si l’on s’était trompé d’approche ? La frontière entre le vieillissement dit normal et la « maladie d’Alzheimer » n’est pas claire présence fréquente de plaques séniles (protéine amyloïde) et de dégénérescences neurofibrillaires (protéine tau) chez des personnes âgées ne présentant pas de troubles cognitifs ou de « démence » Absence de corrélation claire entre sites d’accumulations des signes anatomopathologiques de « maladie d’Alzheimer » et symptômes cliniques (ex. Sœurs de Notre-Dame)
Et si l’on s’était trompé d’approche ?
Le diagnostic de «Trouble cognitif léger» (Mild Cognitive Impairment, MCI) est très problématique le devenir dominant des personnes avec ce diagnostic est la stabilité, le retour à la normale, même après un délai de 10 ans il est fréquent d’observer une performance faible à un test cognitif chez des personnes normales faiblesses cognitives anciennes, fluctuation dans la motivation, fatigue, inattention, anxiété, inquiétudes, ruminations, troubles du sommeil, stéréotypes, erreur de mesure, médication, etc.
Et si l’on s’était trompé d’approche ?
En résumé, on est face à une « maladie d’Alzheimer »
sans symptômes spécifiques sans signes neuropathologiques spécifiques sans frontière nette avec le vieillissement dit normal sans traitement médical / pharmacologique efficace déterminée par des facteurs de risque multiples intervenant tout au long de la vie
PSYCHOLOGI QUES
BIOPHYSIOLOGI QUES
Facteurs génétiques, forces et fragilités
De multiples facteurs influencent le vieillissement
Sommeil
Traumas crâniens
Evénements traumatiques, dépressions, parcours de vie, vulnérabilités Image de soi, stéréotypes
Vision, audition
Stress
Facteurs de risque cardiovasculaire
Personnalité
Qualité de l’environnement
Education
Alimentation
Activités stimulantes
Engagement, insertion sociale, solitude Statut socio-économique Situation de vie
PSYCHOSOCIA UX
Médicaments Tabagisme, alcoolisme
Activité physique
ENVIRONNEMEN T
Une approche plus plausible des cognitifs associés à l’âge »
« défis
Le vieillissement s’accompagne de changements cérébraux et de difficultés cognitives qui, dans le grand âge, affectent, de façon importante, de nombreuses personnes
le vieillissement cérébral et cognitif fait partie de l’aventure humaine.
L’importance des problèmes cognitifs, et leur évolution, varient considérablement d’une personne âgée à l’autre
Cette évolution plus ou moins problématique dépend de très nombreux facteurs et mécanismes qui interviennent tout au long de la vie
Une autre approche du vieillissement cérébral problématique
« Quand vous avez rencontré une personne avec une démence, vous avez rencontré une personne avec une démence. » Professeur Tom Kitwood
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Une autre approche du vieillissement cérébral problématique
Une personne avec un vieillissement cérébral problématique est avant tout une personne, avec des signes divers de vieillissement problématique.
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Une conception humaniste du vieillissement cognitif et cérébral
Une approche nous conduisant à une réflexion sur nous-mêmes et à plus d’humilité concernant les défis auxquels nous devons faire face ne pas diviser le monde entre ceux qui ont la « maladie d’Alzheimer » (ou une « démence » ) et ceux qui ne l’ont pas nous partageons tous les vulnérabilités du vieillissement cérébral et cognitif
Même avec des problèmes cognitifs importants, la personne âgée garde une vitalité, un potentiel de développement, une identité
Quelle(s) alternative(s) ?
Aller vers une société « personnes âgées admises », y compris quand elles ont des difficultés cognitives Favoriser les relations intergénérationnelles au sein de la communauté. Refuser l’étiquette de maladie d’Alzheimer Réintégrer les diverses manifestations de cette soi-disant « maladie spécifique » dans le contexte plus large du vieillissement cérébral, dans ses multiples expressions plus ou moins problématiques, Rendre à la personne âgée toute son humanité, et aussi lui permettre de changer profondément le regard qu’elle porte sur elle-même et que les autres lui adressent.
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Changer les pratiques d’évaluation Une autre manière d’aborder les problèmes avec la personne et de transmettre les résultats d’une évaluation - prendre en compte la complexité - ne pas enfermer la personne dans des « maladies de fin de vie » catastrophiques et stigmatisantes - mettre l’accent sur ce qui relie la personne aux autres et se focaliser sur ses capacités préservées, ainsi que sur ses possibilités de développement et de bien-être
Indiquer que :
Une autre façon d’aborder les problèmes avec la personne
le vieillissement cérébral et cognitif fait partie de l’aventure humaine l’évolution de ces difficultés n’est pas prévisible on peut encore bien vivre avec des difficultés cognitives, et avoir une place et un rôle dans la société il existe différentes démarches susceptibles de ralentir ou d'atténuer l’impact des difficultés cognitives chacun.e a des capacités préservées
Une autre manière d’envisager les problèmes Une autre manière d’expliquer les problèmes Une autre manière de faire face aux problèmes
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Prévention Changer les pratiques d’intervention
Interventions psychologiques et psychosociales individualisées Changer de culture dans les structures d’hébergement à long terme
Changer les pratiques d’intervention
Créer des communautés de vie « amies des personnes présentant une démence » (dementiafriendly communities) l’exemple de l’aéroport Heathrow, + rencensement européen Médéric Alzheimer/Fond. de France Au-delà de la bienveillance et de l’attention, créer des communautés « qui rendent capables les personnes présentant une démence » (dementia-enabling communities) abattre les obstacles sociaux qui les infantilisent et les rendent incapables ; changer le vocabulaire Prendre en compte la souffrance et le besoin d’aide des personnes présentant une « démence » et de leurs proches rôle des interventions psychologiques et psychosociales
www.association-viva.org
Interventions psychologiques et psychosociales Interventions psychologiques et psychosociales permettant d’améliorer la qualité de vie des personnes et de leurs proches centrées sur des buts spécifiques en lien avec la vie quotidienne plurifactorielles et taillées sur mesure en fonction des difficultés spécifiques et des capacités préservées des personnes (pas de programme « miracle ») favorisant les relations intergénérationnelles, le maintien d’un rôle dans la communauté, le sentiment d’identité et de continuité personnelle, la créativité ; réduisant la stigmatisation et les stéréotypes (importance du vocabulaire et de la communication) approche individualisée, à plusieurs facettes complémentaires (« person-based / person-centered»)
Changer les pratiques d’intervention
Changer de culture dans les structures d’hébergement à long terme
Encore trop souvent, les structures d’hébergement pour les personnes présentant une démence adoptent une approche centrée sur les questions médicales, la sécurité, les directives bureaucratiques et l’uniformité (voire l’économie…)
au détriment d’une approche orientée vers la personne en tant que personne singulière, et favorisant ses aspirations, sa qualité de vie, son bien-être et ses liens avec la société
Conséquences de l’approche biomédicale dans les structures d’hébergement à long terme La surcharge médicamenteuse : Elseviers et al. (2010) sur 76 structures d’hébergement : en moyenne 8.4 médicaments par personne (dont la prescription fréquente de neuroleptiques) La pathologisation des comportements : l’erreur fondamentale d’attribution
La pathologisation des comportements
L’erreur fondamentale d’attribution
Pathologisation des comportements
Les comportements « anormaux » des personnes âgées avec vieillissement cérébral problématique sont automatiquement considérés comme étant des manifestations de leur « maladie » Tout comportement déviant de la norme est interprété comme un signe de « démence » ou de trouble psychiatrique.
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Pathologisation des comportements
Les personnes avec une « démence » sont considérées comme n’ayant plus de capacité de raisonner, de savoir ce qui est bien ou mal, on les décharge de toute responsabilité Des comportements sont considérés comme représentatifs de « stades de démence », par ex., des vocalisations. Et l’on ne va pas chercher à comprendre ce qui pourrait être communiqué
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Pathologisation des comportements Considérer les comportements uniquement dans le contexte d’une « maladie » implique que les possibilités de comprendre la signification des comportements sont souvent négligées La prise en compte de l’hétérogénéité et des nuances des manifestations du vieillissement cérébral/cognitif problématique nécessite d’adopter une approche individualisée, centrée sur la personne et tenant compte de multiples facteurs. Besoin de formation des aidants/soignants : agitation, bain…
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Faire autrement : Prendre en compte l’hétérogénéité du vieillissement problématique, avoir une approche individualisée, centrée sur la personne et prenant en compte les multiples facteurs ayant infléchi son parcours de vie et sa situation actuelle Contextualiser les comportements, prendre en compte la biographie, les expériences de vie Tenter de comprendre la signification ou le but du comportement Reconnaître et mettre en valeur la capacité à s’exprimer et à agir
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Quels types d’interventions psychologiques ? Une approche fonctionnelle individualisée basée sur les besoins non satisfaits, prenant en compte le but et la fonction du comportement «problématique» (Cohen-Mansfield, 2015)
p. ex., l’analyse fonctionnelle pourra identifier qu’un comportement agressif peut constituer un moyen de communiquer sa solitude ou son anxiété, d’éviter la honte, ou encore constituer une réponse à l’inconfort, à la douleur ou à la peur.
Une approche fonctionnelle individualisée basée sur les besoins non satisfaits
Ces besoins non satisfaits peuvent concerner différents domaines :
la douleur, la santé et l’inconfort physique l’inconfort psychologique le besoin de contacts sociaux des conditions environnementales inconfortables des interactions inadéquates (p. ex., un langage infantilisant) un niveau inadéquat de stimulation (trop bas, trop élevé, inapproprié)
Garder un sentiment de contrôle et de responsabilité sur le quotidien
La prise de risque fait partie de la vie
Minimiser l’autorité directive et bureaucratique, mettre en place des assemblées de résidants, placer le maximum de décisions aux mains des résidants (voir Shura et al., 2011, recherche-action participative)
Les personnes âgées ayant reçu un diagnostic de « démence » peuvent évaluer leur qualité de vie alors que les proches, ainsi que les soignants, sous-estiment la qualité de vie des personnes âgées (Beer et al., 2010) peuvent exprimer leurs souhaits et mentionner ce qu’elles ressentent comme une atteinte à leur dignité (Heggestad & Nortvedt, 2013) sont capables d’auto-évaluer un aspect de leur bien-être existentiel : le sentiment d’avoir des buts dans la vie (Mak, 2010)
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L’importance du sentiment de contrôle de son existence (Langer & Rodin, 1976) Premier groupe de personnes On insistait sur le fait qu’elles pouvaient influer sur leurs conditions de vie dans l’institution : centration sur le sentiment de responsabilité personnelle
Deuxième groupe de personnes On insistait sur la responsabilité des membres du personnel par rapport au bienêtre des résidants
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L’importance du sentiment de contrôle de son existence (Langer & Rodin, 1976) Les personnes du premier groupe
se sentaient plus heureuses, plus actives avaient plus d’interactions sociales à l’intérieur et à l’extérieur passaient moins de temps à regarder passivement la télévision étaient plus assidues à la séance de cinéma avaient une meilleure santé (évaluée par les médecins) après 18 mois, deux fois moins de personnes décédées dans ce groupe que dans l’autre
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Une approche centrée sur la personne et sa qualité de vie Inventer de nouvelles structures ! S’attaquer aux quatre fléaux que sont la solitude, le sentiment d’impuissance, l’ennui, et les activités qui n’ont pas de sens créer un habitat à taille humaine permettant des contacts proches et continus avec d’autres personnes (faciliter l’intimité), des enfants, des animaux, des plantes faire en sorte que les personnes gardent un sentiment de contrôle et de responsabilité sur les événements quotidiens imprégner la vie quotidienne de variété et de spontanéité; faciliter l’ouverture vers la société donner la possibilité de faire des choses auxquelles on trouve un sens
Une approche centrée sur la personne et sa qualité de vie
Deux éléments plus spécifiques
ne pas pathologiser les comportements «problématiques» en les attribuant automatiquement à la démence (à un dysfonctionnement cérébral), mais prendre en compte leur signification, ainsi que les facteurs relationnels, situationnels, contextuels et environnementaux pouvant les avoir suscités
donner toute leur place aux interventions psychologiques, psychosociales et environnementales individualisées : travail minutieux et interdisciplinaire d’observation et d’analyse, besoin d’empirisme et de modèles théoriques
La démence: une image de notre société « révélant ce que nous sommes réellement » un monde qui valorise l’efficacité et l’individualisme au détriment de la compassion, de la solidarité, de l’engagement social et de la « mémoire de notre humanité partagée ».
S’engager pour un autre type de société
Défendre une autre manière de penser le vieillissement, c’est aussi s’engager pour un autre type de société, dans laquelle la vulnérabilité, la différence et la finitude ont toute leur place !
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