n situ
Dori
Mali
Niger
TITAO Ouahigouya Kaya
BURKINA-FASO
Koudougou
Ouagadougou
Diapaga
Bobo-Dioulasso
Banfora
Bénin Ghana
Togo
Côte d'Ivoire
Burkina Faso La piste des paysans intègres 28
N° 99
L E M AGA ZI NE DE T E R R E NA
M A R S 2013
rAkètA BoinA productrice MArAîchère Au villAge de golongA, près de titAo, province du lorouM (nord du BurkinA fAso).
Aux portes du Sahel, des paysans armés de courage bravent les caprices du climat et des traditions d’un autre âge pour améliorer leurs conditions d’existence. Leur force : des organisations créées par les paysans eux-mêmes, pour les appuyer et tracer la voie d’une agriculture familiale. Textes et photos : Dominique Martin
M A R S 2013
L E M AGA ZI NE DE T E R R ENA
N° 99
29
A
u soleil de midi, ils sont cinq pour le repiquage des oignons. Le vieux père, les deux garçons, une fille plus jeune et lui, Tasséré Maïga, le chef de famille. Le petit périmètre maraîcher se trouve à deux pas de leur village de Rimassa. « Nous sommes six à vivre et travailler ici. Je n’ai pas d’employé. Quand on gagne c’est avec ma famille seulement. Comme cela, il n’y pas de difficultés à payer des employés ou leurs médicaments s’ils sont malades. On gagne même les années où cela ne donne pas beaucoup. » Le terrain, Tasséré l’a reçu de son grand-père. Il y a plus de trente ans, l’aïeul avait quitté Titao, le chef lieu de la province situé à dix kilomètres environ. Il était venu s’installer dans ce coin désert. Le village n’existait pas encore. L’eau, il fallait la puiser à dix-sept mètres de profondeur. Le puits du grand-père est toujours là, montre son petit-fils. L’ouvrage fut cuvelé avec la roche ferrugineuse locale qui croûte en surface de la latérite rouge. Ces temps sont loin et ce petit coin de Sahel a bien changé.
Tasséré en est lui à son dixième puits.
Fin janvier, plus rien ne pousse dans la poussière des champs alentour.
30
N° 99
L E M AGA ZI NE DE T E R R E NA
Deux seuls sont encore en usage. « Les autres se sont éboulés. Car c’est tout inondé ici l’hiver. En novembre, il y avait bien un mètre d’eau sur le périmètre. » Depuis la bourgade de Titao, sur une quinzaine de kilomètres, s’étend un lac provisoire. L’ancien bas-fond est encadré par deux digues. Durant la courte saison des pluies, de mai à octobre, il se remplit des averses parfois diluviennes. Ces pluies, quand elles abondent, sont du pain béni pour les récoltes de mil et de sorgho des paysans qui se déroulent en novembre. Les cultures sèches de céréales sont la base de l’alimentation des populations locales. L’an dernier il a bien plu. En revanche, 2011 fut une année de vache maigre pour les greniers familiaux. L’oignon, les choux, la tomate que Tasséré cultive, sont des cultures de contresaison et de vente. En cette fin janvier, plus rien ne pousse dans la poussière de ses champs alentour, hormis les arbres secs de la savane arborée. Ici au pied du bas fond ennoyé, il suffit de creuser un peu pour atteindre la nappe d’infiltration. Le paysan a juste à puiser dans une manne qui semble inépuisable. Cette année, il a bien sept mètres sous le pied. C’est même un peu trop. Il a fallu attendre un mois de plus que les eaux se retirent avant d’attaquer les cultures. Ce petit retard n’est pas le pire des aléas. Pour vendre ses légumes, Tasséré est livré à lui-même, et aux commerçants. Avec le développement des périmètres, ils affluent jusqu’au bord des champs. Certains camions arrivent de la capitale après trois heures et demi de route puis de piste. D’autres viennent de bien plus loin du Ghana ou du Togo, à plusieurs milliers de kilomètres au Sud. « On vend plus facilement aujourd’hui » estime le maraîcher. Mais rien n’est gagné d’avance. Ni le prix, ni même l’assurance de vendre. Tasséré vient d’en vivre la cuisante expérience. De longue date, il cultive des semences d’oignons pour le marché local. Pour les quarante kilos récoltés l’an dernier, il n’a pas réussi à trouver d’acheteurs. Le commerce n’est pas la seule chose qui lui échappe. La divagation du bétail est une autre menace. Une piste à zébus longe le périmètre de la famille. Les bovins en liberté M A R S 2013
l’empruntent pour s’abreuver dans le bas-fond. Tasséré a planté une clôture de troncs d’arbres et de grillage tout le long. Mais celle-ci n’entoure pas entièrement sa parcelle. La nuit dernière à vingt deux heures, il a encore surpris un animal, en train de piétiner ses oignons. Le maraîcher connaît bien son métier. Enfant, il arrosait déjà à la cuvette derrière son père sur le périmètre familial. Installé à son compte, il a développé petit à petit. Le vrai progrès, il le doit à une culture bien particulière, quasi inconnue ici il y a vingt ans. « C’est la pomme de terre qui nous a fait sortir de la pauvreté. Avec elle, la vie de la famille s’est améliorée. Avant, quand j’ai commencé, je n’avais même pas une charrette. » Sa première récolte vendue, il a pu acheter cet outil de transport indispensable auquel on attelle un âne. « Avec la deuxième récolte, j’ai pu gagner une paire de bœufs. Puis en 2011 une moto. Et l’an dernier une motopompe. » La famille de Tasséré s’est constitué aussi un petit cheptel de moutons. Ce petit monde fournit du fumier qui, une fois composté, nourrit la pomme de terre : « La production est meilleure qu’avec de l’engrais. » La motopompe est un gage d’avenir : « Aujourd’hui avec les arrosoirs, tu as la force de prendre 50 kg. Mais demain peut-être tu ne l’auras plus. » La machine économise les bras mais pompe aussi directement dans le bas-fond et évite ainsi de miner le terrain avec de nouveaux puits. « Avec elle, on peut se débrouiller à deux ou à trois. » Ce qui laisse aux enfants de vaquer à d’autres occupations.
Dans la région, la pomme de terre des paysans maraîchers jouit d’une puissante locomotive. Le 29 mars, producteurs et commerçants vont converger pour la douzième fête de la pomme de terre de Titao. La bourgade s’est attribuée le titre de capitale du fameux tubercule après avoir récupéré et développé cette fête qui, avant 2002, était l’orgueil de la ville de Ouahigouya, troisième agglomération du pays située à une heure de piste. Nombre de maraîchers comptent sur l’événement pour vendre leur production plantée courant décembre. Cette année, la récolte s’annonce abondante. L’an dernier, vu le manque d’eau, la province du Loroum n’avait produit que six cent soixante tonnes contre plus de trois mille l’année précédente. En périphérie de Titao, dans le village de Silmimossin, Souleymane Delem est un mordu et un pionnier du fameux tubercule. Ce matin, sur sa parcelle de 1 700 m2, il a rendez-vous avec Ibrahim Ouédraogo, son conseiller de gestion. Assis sous le manguier, ce dernier lui livre le détail des marges pour ses cultures de l’an dernier. Le conseiller énumère tous les chiffres de charges et de produits, le tout par oral en Moré, la langue la plus parlé au Burkina Faso. Sur neuf cents mètres carré de pommes de terre, Souleymane a dépensé l’équivalent de 210 euros (138 000 francs CFA) les deux tiers en semences et le reste en engrais chimiques. Il a récolté plus de trois tonnes et demie de tubercules, vendues 1 076 euros, après avoir soustrait environ quarante kilos pour sa famille et presque autant pour les dons aux proches. Au final cette culture lui laisse une marge de un euro par mètre carré. Les oignons s’avèrent aussi rentables avec presque un euro trente de marge.
des cordons pierreux enherBés instAllés sur les courBes de niveAu pour liMiter l’érosion de sols. ils sont reMis en ligne AvAnt chAque sAison des pluies.
Mais la superficie et la récolte vendue n’ont rien à voir : sept cents kilos sur deux cents mètres carré. Une partie s’est « gâtée » pendant le stockage à la maison. La tomate offre une marge record avec presque cinq tonnes cueillies à la main sur six cents mètres carré. A surface équivalente, la rentabilité est le double de celle de la pomme de terre. Le prix était là, 180 francs CFA le kilo en moyenne (27 centimes d’euros) en bord de champ. « L’an passé il y a eu le marché, Cette année on espère aussi. » Ce n’est hélas pas toujours le cas. « La tomate peut rapporter gros mais aussi faire perdre beaucoup » souligne Ibrahim qui accompagne depuis vingt deux ans les producteurs de la région. Il est lui-même un cultivateur. En 2011, beaucoup ont connu une forte mévente. En 2007, le prix de la tomate avait chuté au plus bas dans tout le Burkina. Ibrahim se souvient de cette année où « ici tout a pourri car les Ghanéens ne sont pas venus acheter. Les gens étaient découragés ». La tomate est aussi une culture gourmande en intrants. La seule pour laquelle Souleymane dépense en traitements phytosanitaires. Le paysan doit faire face aussi à ses « charges de structure ». Du matériel rudimentaire : arrosoirs, puisettes, cordes, pioche, binettes. La contribution symbolique au conseil de gestion (3 000 F CFA). L’essentiel (75 000 F soit 115 euros) est la main d’œuvre, deux personnes qu’il emploie en saison.
A kouMBri, l’AniMAteur inoussA sigué fAit lA proMotion de l’Agroforesterie pAr régénérAtion des espèces nAturelles d’ArBres depuis 1988.
En face, la pomme de terre est la culture la plus sûre : « Il n’y a pas de problème avec. Elle se conserve mieux que les autres légumes et le marché est assuré. » Ibrahim complète en expliquant qu’en dernier recours, en cas de mévente, les autorités du pays se porteraient acquéreurs du tubercule afin de nourrir la population de Ouagadougou la capitale. En fait, c’est lui qui a convaincu Souleymane de se lancer dans cette production. Non sans malice. « Je l’ai poursuivi pendant trois ans mais il refusait. Je lui réservais un sac de semences de 25 kg mais il ne voulait jamais le prendre, je devais à chaque fois le revendre. La troisième année je suis parti en voyage. Comme je n’étais pas là, il a été obligé de prendre la semence et de planter.» Cela se passe entre 1998 et 1999. A ce moment, Souleymane se contente comme beaucoup de paysans de pratiquer la culture de céréales. Pendant l’hivernage, il produit aussi de la patate douce qu’il écoule sur les marchés quarantecinq kilomètres à la ronde. « Avec l’argent, j’achetais ensuite des mangues pour les revendre. » A cause de la combine d’Ibrahim, il est le premier dans son village à semer des pommes de terre. « Les habitants venaient voir comment il faisait. Certains parlaient mal. Heureusement il ne les a pas écoutés » raconte le conseiller qui a suivi l’affaire jusqu’à la récolte. « Les gens sont venus très nombreux pour aider. Une commerçante est arrivée de Ouahigouya. On a pesé sept cents kilos. Elle a payé 160 francs. Par la suite j’ai enlevé mes dépenses. » Avec le bénéfice, Souleymane s’est constitué un petit élevage de moutons à engraisser et de pintades dont il vend les oeufs. Son expérience a donné goût aux villageois. Doublement. « A la récolte, ils avaient blessé beaucoup de tubercules. J’ai apporté une marmite suite p. 32 pour les cuire et tout le monde en a mangé. »
une vAriAnte du « zAï » Avec seMis Associé de Mil et d’une grAine d’ArBre.
sous les effets du cliMAt, des zones entières deviennent non fertiles et incultes. les groupeMents nAAMs font lA proMotion de diverses techniques de reMise en culture.
M A R S 2013
L E M AGA ZI NE DE T E R R ENA
N° 99
31
Compléments d’infos, interviews et témoignages sonores, diaporamas sur www.horizon.coop, à partir du 15 mars.
« Avant, je ne pensais même pas possible de m’agrandir » Souleymane Komi, producteur à Titao.
32
N° 99
L E M AGA ZI NE DE T E R R E NA
C’est à ce moment que le paysan et son mentor démarrent le conseil de gestion. Comme Souleymane ne sait pas écrire, c’est un cousin qui note en français pour lui sur un cahier tous les travaux effectués sur chaque culture. Et vu les résultats, Issouf Barry a décidé de devenir lui aussi maraîcher. Ce cousin au sens large est en fait le détenteur du terrain que cultive Souleymane : « Avant il faisait la vie dans la capitale. Mais il a vu que c’était mieux ici » rigole ce dernier. Issouf travaillait en fait dans le bâtiment. Avant de revenir au village pour cultiver des légumes : « Je gagne mieux ma vie. La situation s’est améliorée pour ma famille, la nourriture, la santé, la scolarisation des enfants. » Depuis, explique-t-il, il a pu aussi se payer une moto et construire deux maisons, une pour sa mère, une pour lui et demain pense-t-il une troisième pour sa femme. Il n’est pas le seul à être revenu : « Maintenant beaucoup ne partent plus en Côte d’Ivoire comme avant pour trouver du travail. Avec une portion de terrain, tu peux rester ici et gagner un peu ta vie. » Issouf et Souleymane s’entraident. Ils ont le projet de développer leur production en agrandissant leur périmètre. « Les marges que je retire ne suffisent pas. L’élevage cela reste aléatoire. Il ne faut pas être obligé de vendre des bêtes pour faire face aux dépenses. Cette année aussi, les pintades n’ont pas pondu à cause de la pluie. Si je n’avais que ma famille, cela irait comme ça. » Mais Souleymane subvient aux besoins de vingt personnes parmi lesquelles ses parents qui ne sont plus en âge de travailler. Le projet imminent est d’acheter, à deux, une première motopompe puis peut-être une ou deux de plus. « C’est moins cher que d’avoir des employés et la pompe elle ne fatigue pas. » Ibrahim a déjà dit qu’il se porterait caution pour obtenir un crédit à la « B TEC » de Titao. Cette banque locale de dépôt et de crédit (1) fait partie d’un réseau de dix-huit caisses lancé en 1990 par la Fédération nationale des groupements Naam.
Ces institutions de micro finance paysanne comme le conseil de gestion, l’approvisionnement en semences de pommes de terres – importées de France – sont quelques uns des appuis aux paysans développés par la FNGN. L’organisation paysanne fédère plus de cinq mille quatre cent groupements villageois eux-mêmes regroupés en unions provinciales et régionales. Elle est née ici même dans la région Nord du Burkina en 1967, à Ouahigouya où elle a son siège. Ibrahim exerce son art de conseil pour le compte de neuf unions. Dans les locaux de celle de Titao, qui date de 1981, des infrastructures clés. Une cave enterrée, financée par la coopération italienne, sert à entreposer des oignons après la récolte mais aussi les semences de pommes de terre. L’union regroupe les demandes des groupements, transmet à la fédération, réceptionne puis redistribue les semences. Un tracteur équipé pour le travail du sol est loué pour démarrer la remise en culture des « clairières ». Des étendues désertiques où plus rien ne pousse même plus les arbres sauvages. Elles sont le résultat ultime des changements climatiques qui affectent toute la zone sahélienne depuis trente ans. Les pluies diluviennes érodent et tassent. M A R S 2013
Puis survient la sécheresse, de très fortes températures et ce fléau de l’Harmattan, le vent d’Est très sec chargé de poussières du Sahara. Son heure arrive en ce début février. Même très dégradés, ces sols peuvent retourner à la production de céréales moyennant diverses techniques, certaines ancestrales comme le « zaï » ou les tapis herbacés, remises au goût du jour par les groupements paysans. Avec d’autres méthodes de lutte antiérosive comme les cordons pierreux. L’union est également très active dans la formation et l’alphabétisation. Avec l’accès au crédit, aux intrants de base, le calcul des coûts et des marges, tout cela a profondément bouleversé le mode de pensée d’une partie des paysans.
sur le périmètre maraîcher des Naams qui touche Titao, Souleymane Komi est un de ces nouveaux paysans. Producteur de légumes, il est aussi secrétaire du comité de gestion de cette unité de neuf hectares créée en 1997. L’outil de production collectif bénéficie depuis peu de canaux en dur alimentés par pompage direct, rénovation financée par des fonds européens. Les parcelles sont attribuées à une centaine de familles. Dont celle de Souleymane. Lui explique qu’il a radicalement changé depuis qu’il connaît les résultats de ses cultures. « Avant, je ne voulais pas prendre de crédit pour éviter que quelqu’un ne vienne me demander de rembourser. Je ne pensais même pas possible de m’agrandir. Il y avait les cultures que nous aimions et cultivions beaucoup comme le piment et l’aubergine. Mais qui en définitive sont assez peu rentables. Nous faisions aussi des carottes par habitude que l’on écoulait mal. Maintenant nous savons mieux ce que nous devons faire. » Lui aussi est devenu fervent adepte de la pomme de terre, y compris dans son assiette. « Les gens ne croyaient pas que l’on pouvait se nourrir avec cela. On pensait que c’était de la nourriture pour les Nassara (les Blancs). » A présent, le paysan calcule et anticipe. « Dès le mois de novembre, j’ai su que j’avais besoin de 450 000 F pour mon maraîchage, mes intrants, élargir mon jardin, acheter ma motopompe. J’avais à peine la moitié. J’ai réfléchi. Je suis allé à la banque avec ma prévision. Je leur ai expliqué ce que j’allais faire et gagner. Ils m’ont accompagné.» Souleymane est de ceux qui n’ont pas succombé aux sirènes. Un coup d’œil panoramique dans le périmètre montre qu’il est un des rares hommes à y travailler. Autour de lui, ce sont les femmes qui arrosent, sarclent, plantent. La soif de l’or avale les maris, les fils et les frères depuis deux ans. Le Burkina connaît un vrai boom aurifère. Quarante tonnes du précieux métal ont officiellement été extraites en 2012 du sous-sol du pays. De nombreux gisements ont été découverts, notamment dans la région Nord, jusque dans les villages autour de Titao. Sur le périmètre équipé à neuf, des parcelles ne sont plus cultivées. « Beaucoup de ceux qui sont partis faire fortune reviennent maintenant » considère Ibrahim. Les femmes en attendant assurent l’essentiel. Elles sont les premières à investir les activités développées par les unions. Elles et leurs groupements sont de longue date les piliers invisibles de l’activité maraîchère dans la région. suite p. 34
A Silmimossin, Souleymane et Issouf s’entraident. Ils vont investir dans une motopompe.
M A R S 2013
L E M AGA ZI NE DE T E R R ENA
N° 99
33
1
2 3
4
1 A kouMBri, AzétA kindo lA présidente de l’union et zoenABou ouédrAogo lA Meunière Auprès du Moulin de lA «plAte-forMe Multifonctionnelle». 2 les feMMes sont un des piliers de l’Activité MArAîchère qu’elles développent Aujourd’hui à leur propre coMpte. 3 tAndis que les hoMMes tentent leur chAnce dAns les Mines d’or, les feMMes du périMètre de titAo Assurent l’essentiel. 4 Au villAge de riMAssA-tAnguin, lA présidente sAfiètA ouédrAogo (à droite), lA trésorière et lA gestionnAire Assurent lA vie et lA survie du grenier de sécurité AliMentAire.
34
N° 99
L E M AGA ZI NE DE T E R R E NA
M A R S 2013
Quatre paysannes sur cinq pratiqueraient peu ou prou la culture de légumes. Il y a dix ans, elles se contentaient encore de l’oignon et surtout de l’ail, activité exclusivement féminine. Depuis, elles aussi se sont mises à la pomme de terre pour améliorer leurs affaires. Au périmètre du village de Golonga sur la route de Djibo, rakèta boina égraine son chapelet
d’activités tandis qu’elle nourrit le dernier-né de ses cinq enfants. Au moins
trois cents mètres carré de pommes de terre, quarante planches d’oignons de dix mètres carrés chacune, et un carré d’ail. Quinze ans que cette femme réservée s’est lancée dans le maraîchage de contre saison. En hiver, elle cultive son mil, ses haricots et les arachides qu’elle vend. Elle élève aussi quelques moutons. Les légumes sont vendus en bord de champ, sauf l’ail que Rakèta écoule avec ses arachides les vendredis au marché de Titao. Son mari est versé lui aussi dans les légumes. Mais dans le couple, c’est chacun ses oignons. « Je travaille uniquement ma parcelle. J’achète ma semence, mes engrais et je mets le fumier de mon élevage. Chacun a son argent. » Pour les enfants, la santé, l’habillement, l’école, les deux parents contribuent. « Mon mari dépense davantage que moi pour la famille. Il gagne plus et c’est lui le chef de famille. Il doit jouer son rôle. » Rakèta a agrandi petit à petit, ajouté la pomme de terre, adopté le conseil de gestion. Le puits collectif est loin de ses parcelles. La femme travaille seule avec l’aide de son fils aîné de dix sept ans. « Le matin, il arrose la moitié des pommes de terres à l’arrosoir, avant d’aller à l’école. Je fais l’autre partie le soir. » Pour les oignons et l’ail, Rakèta utilise maintenant les services de la motopompe de son beau frère dont les parcelles touchent aux siennes. Moyennant un forfait de 15 000 francs (23 euros) pour la campagne. Son plus gros souci, dit-elle, est d’obtenir de nouveaux crédits. « Je suis à jour de tout ce que je dois mais à la banque on me dit qu’il y a trop d’impayés chez les autres, qu’il faut que je patiente. » Rakèta comptait acheter des arachides à la récolte auprès des autres femmes pour son commerce. « Mais maintenant elles sont devenues chères. » A la « B TEC » de Titao, Ousmane Kagoné le gérant déclare pourtant que les femmes sont bien
les clientes privilégiées de la banque paysanne Les prêts accordés sur six mois pour
payer les intrants, la main d’œuvre, acheter des moutons d’embouche ou financer toute activité de petit commerce ne sont attribués que moyennant un dépôt d’un quart du montant demandé. « Sauf pour les femmes. Jusqu’à 75 000 francs, nous ne leur demandons pas de garantie. » La raison est qu’elles remboursent mieux que les hommes, explique Lisette Ouédraogo, employée qui monte les dossiers et assure le recouvrement : « Les femmes sont souvent en groupe. On n’a pas de problème avec elles. Les montants qu’elles prennent ne sont pas élevés. » Malgré tout, les fonds disponibles sont maintenant insuffisants reconnaît le gérant.
La banque paysanne fut conçue à l’origine pour effectuer des dépôts à vue. « Les gens viennent verser le matin puis parfois retournent le soir retirer un peu d’argent pour acheter quelque chose, Cela évite les vols, les termites qui mangent les billets, et aussi de dépenser n’importe comment » précise Clarisse Zaniba la caissière qui connaît bien ses clients. Ces dernières années, la demande de crédit a augmenté fortement, en dépit de taux d’intérêt identiques à ceux des autres banques, de l’ordre de dix pourcents. L’encours à la caisse de Titao atteint aujourd’hui cent vingt-cinq millions de francs alors que le montant des dépôts n’est que de cent millions, déplore Ousmane Kagoné. « Nous devons emprunter la différence auprès de l’union des B TEC. A ce jour, nous avons quatre-vingt demandes de crédits non satisfaites pour quinze millions de francs. » Les quatre cents greniers de sécurité alimentaire sont un autre service d’utilité paysanne que les femmes ont pris en main. Au village de Rimassa-Tanguin, elles sont trois bénévoles à tenir les cordons de la bourse afin d’assurer « la vie et la survie » de cette association de soutien aux plus démunis, explique la présidente Safièta Ouédraogo, assise auprès de Djeneba la trésorière. Le grenier villageois pallie à la difficulté de s’approvisionner en ville chez les commerçants, en particulier pour les personnes âgées peu valides ou celles ayant peu de moyens. Il joue un rôle crucial en période de soudure pour environ un millier de familles de Rimassa et des villages alentours. « En mars, nous commençons à acheter des céréales auprès des grossistes situés dans la région Ouest » complète Boureima Kirakoya, l’homme qui appuie les femmes du comité de gestion. Les vendeurs de ces zones excédentaires assurent le transport. Pour se financer, les femmes sollicitent un crédit auprès de la cellule des greniers de la Fédération des Naams. Prêt qu’elles doivent rembourser avec intérêt. Malgré tout, acheter au grenier revient moins cher que chez les commerçants. Quand le sac de cent kilos vaut 15 000 F à Rimassa, il en coûte 15 750 chez les marchands de Titao, selon Safièta. La différence paraît faible mais il est moins coûteux d’acheter au village, d’autant que chacun peut ici prendre au même prix et au jour le jour, de toutes petites quantités, l’équivalent de 10 francs (moins de deux centimes d’euros) ou d’une boîte à tomates de mil. L’an dernier, le grenier a écoulé cinquante tonnes de céréales, cinq cents sacs de cent kilos, mais il aurait fallu le double vu les faibles récoltes de la fin 2011. Il était vide en septembre, deux mois avant le gros des battages. Les femmes achètent en plusieurs fois, cent cinquante à deux cents sacs correspondant à la capacité du bâtiment de stockage. Celui-ci a été construit il y a vingt ans avec l’aide d’une ONG. Le prêt fournit la trésorerie pour le premier achat. L’an dernier, les femmes avaient emprunté deux millions de francs soit plus de trois mille euros. Cette année, elles ont demandé 2,6 millions. « Notre souci, insiste Safièta, est de ne pas prendre trop suite p. 36 de risque. » M A R S 2013
« Avec les femmes, il n’y a pas de problème de remboursement.» Lisette Ouédraogo, employée de la banque B Tec de Titao.
L E M AGA ZI NE DE T E R R ENA
N° 99
35
les femmes de Koumbri comptent bâtir un second grenier. Azéta Kindo, la septuagénaire
Un peu plus au Nord, à trente kilomètres environ,
AFDI Pays de la Loire partenaire des organisations paysannes depuis sa création en 1981, l’aFdI Pays de la Loire vient en appui à deux grandes organisations paysannes du Burkina Faso. La Fédération nationale des groupements Naam (FNGN), née en 1967, est présente dans 27 provinces du pays à travers plus de 5 400 groupements villageois qui regroupent 600 000 adhérents. La seconde organisation est la Fédération des professionnels agricoles du Burkina. La FePaB a été créée en 1997. elle s’appuie sur 218 unions régionales et quarante constituées à l’échelle des provinces. La contribution financière de l’aFdI vise notamment à sécuriser les ressources humaines nécessaires au fonctionnement de ces organisations sur le terrain : postes de cadres, de conseillers à l’exploitation familiale, d’animateurs des organisations de producteurs. L’aFdI Pays de la Loire entretient également un courant d’échange régulier « de paysan à paysan », entre professionnels. dix Burkinabés sont ainsi accueillis chaque année dans toute la région.
Compléments d’infos, interviews et témoignages sonores, diaporamas sur www.horizon.coop, à partir du 15 mars. 36
N° 99
L E M AGA ZI NE DE T E R R E NA
présidente souhaite rendre l’activité permanente : « L’insécurité alimentaire ici c’est toute l’année. » Le comité stocke à ce jour trois tonnes de niébé acheté à la récolte. Pour le mil, il s’approvisionne au sud du pays à travers les bourses d’échanges organisées avec les commerçants par la fédération. Le grenier a fourni cent vingt tonnes l’an dernier à plus de mille trois cent familles. A un prix quinze à vingt pourcents moins cher que dans le commerce, selon Azéta. « Personne ne peut acheter plus d’un sac. Nous sommes là pour la population pas pour les commerçants. » Les femmes de l’union de Koumbri ont développé bien d’autres activités. Comme la « plateforme multifonctionnelle ». Ce bâtiment est équipé d’un moteur diesel et d’une génératrice de courant électrique. Chaque jour, vingt à cinquante paysannes laissent leur mil, leur maïs ou sorgho à Zoenabou Ouédraogo. Pendant que la meunière moud le grain pour elles, moyennant une indemnité, ces dames peuvent vaquer à des activités lucratives, au lieu de passer des heures à piler. La plateforme alimente en électricité diverses activités allant du soutien scolaire le soir à la boutique de Mariam Ouarama, la coiffeuse du village. Depuis vingt ans, les groupements prennent très au sérieux l’implication des femmes dans l’économie locale. En 1987, la fédération crée aux portes de Ouahigouya, le centre de formation et de production de Basnéré. Celui-ci bénéficie aujourd’hui aux femmes de toute la région et au delà. Il forme, emploie. Il transforme en savons et fruits ou légumes séchés divers produits de cueillette fournies par des milliers de paysannes du territoire. Des animatrices locales favorisent les activités féminines à la base. Depuis 1986, Bibata Kindo rencontre et réunit les femmes des villages de l’union de Koumbri. « En 1990, elles n’avaient accès à aucune activité économique. » Traditionnellement, la femme en son foyer n’avait le droit de toucher ni au grenier à céréales ni à l’élevage. Elle dépendait pour tout du bon vouloir de son mari. « Nous avons travaillé toutes ensemble pour identifier les activités possibles, trié et identifié quarante-quatre qui étaient exerçables. » La conviction de l’animatrice est que renforcer les capacités de femmes est nécessaire au mieux vivre de tous. A commencer par leur santé « qui est au centre de tout » considère Bibata. Cela veut dire battre en brèche les traditions douloureuses, toutes les pratiques ancestrales néfastes à la santé et à l’intégrité physique et psychique des femmes. La première est l’excision, mutilation contre laquelle cette animatrice lutte depuis vingt cinq ans en expliquant aux femmes toutes les conséquences pour leur corps et leur sexualité. Il a fallu pour cela libérer la parole. Aller dans les écoles afin que les enfants interrogent leurs parents. « Moi-même au début, j’avais du mal à parler de tout cela. » Le mariage M A R S 2013
forcé, les maladies sexuellement transmissibles, le lévirat, les grossesses trop rapprochées sont les autres plaies contre lesquelles les animatrices Naam luttent. « Elles ont reculé mais continuent de façon cachée. Il faut du temps. Aujourd’hui les femmes non excisées sont une minorité. Il faut continuer à sensibiliser jusqu’à ce qu’elles deviennent la majorité. Nos mères, nos grandmères étaient convaincues que c’était nécessaire pour qu’une femme soit digne. » Les sites aurifères sont un nouveau fléau avec les maladies liées à la poussière, aux IST notamment le sida, « et la drogue parmi nos jeunes ». Selon Bibata, il est temps d’oser parler de la famille. Si les femmes conquièrent leur place, cela n’a pas vraiment amélioré la communication dans les couples. Avant le mari décidait de tout, aujourd’hui chacun gère d’abord ses affaires sans se préoccuper de celles de son conjoint. A Koumbri, Bibata démarre une expérimentation avec trente-cinq familles pour améliorer l’entente et la collaboration autour du projet de la famille. « C’est la base pour développer une entreprise familiale. »
amidou Ganamé est l’un des pionniers qui ont accompagné le fondateur en 1967. « A
Au siège de la fédération à Ouahigouya,
l’origine Bernard Lédéa avait commencé en créant des groupes post scolaires pour les élèves qui sortaient des centres de formation et d’éducation rurale. Ils ont ensuite évolué vers des groupements de jeunes agriculteurs. Le but était de garder nos jeunes au village plutôt qu’ils ne partent en ville ou en Côte d’Ivoire. Puis on a intégré tout le monde, les femmes, le troisième âge, ceux qui ne sont pas allés à l’école. » Amidou, aujourd’hui secrétaire de la fédération, reconnaît que le combat n’est pas encore gagné. La fièvre de l’or, l’individualisme, le changement climatique ne facilitent pas la tâche de cette vaste entreprise de plusieurs générations. Pour lui, seulement un tiers du chemin est fait. La plus grande menace viendrait des paysans eux-mêmes. « Avec cette natalité que nous n’avons pas réussi à endiguer. Généraliser le planning familial n’a fait qu’étaler les naissances sans les diminuer. » La mèche de l’explosion démographique brûle toujours. Sur le département de Titao par exemple, des études prévoient que la population augmentera encore de moitié de 2006 à 2020. « Avec cela, est-ce qu’on ne s’appauvrit pas tous les jours ? Nous devons adapter la charge, le nombre de bouches à nourrir que nous avons avec nos moyens et possibilités. Nous sommes nous-mêmes notre malheur. » L’idée et la force des Naams fut de « compter sur nous avant de demander de l’aide aux autres ». Mais regrette Amidou, « nous n’avons pas la force du politique en visite qui, face aux problèmes de la population, dit que quand il rentrera il apportera le remède. Les gens devraient être conscients qu’attendre les solutions des autres ne fait que les mettre eux en retard. » ■ (1) Baoré (« grenier ») Tradition d’Epargne et de Crédit.