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DETROIT, de la Grandeur à la Décadence: Symbole d’une Amérique en Mutation ?



DETROIT, de la Grandeur à la Décadence: Symbole d’une Amérique en Mutation ?


Mémoire de fin d’études, sous la direction de Luc Pecquet, enseignantchercheur au CNRS.

Année scolaire 2012/2013, ENSA Saint-Etienne, domaine d’études 3 © FLAMMIN Hugo. Imprimé pour l’école nationale supérieure d’architecture de Saint-Etienne


Préambule

Obsession [ɔpsesjɔ̃ Nom féminin : Représentation,

accompagnée d’états émotifs pénibles, qui tend à accaparer tout le champ de la conscience.(1)

Ruines, friches, débris, rouille, traces, mémoires, silence, vides… Autant de termes qui agitent mes pensées, autant d’obsessions qui, juxtaposées, reflètent une partie de mes centres d’intérêt et trahissent de futures aspirations possibles une fois le diplôme d’architecte obtenu. De pérégrinations adolescentes dans les territoires de l’oubli, d’un goût prononcé pour les objets que je surnommai pimentés (issus de brocantes ou de recyclage), en passant par un rapport d’études sur les friches industrielles en Europe, tout laisse à penser que le sujet du dit mémoire suivant n’est pas une fatalité du destin mais plutôt la conséquence d’une éducation infantile trop permissive et d’une passion démesurée pour les histoires et la culture qui eurent à jamais raison de mon insouciance au regard des vieux machins, de ces trucs délabrés qu’on retrouve un peu partout sur cette terre, et que la société bien-pensante prend un malin plaisir à qualifier de désuets, dangereux, anachroniques, insalubres...

(1) REY A. (2006) Le Robert micro, dictionnaire de la langue française, Paris, Le robert


Force est de constater qu’au cours de mes précédents voyages, je retrouvai ces lieux de liberté, en attente de requalification, de destruction. Condamnés dont le seul crime était d’être trop vétuste, trop inadapté aux besoins actuels. Mon obsession, nourrie dans un premier temps par une collection photographique, s’est confirmée par la suite grâce à la toile mondiale, à des découvertes cinématographiques et écrites qui ont enrichies mes recherches sur la question du patrimoine et de sa définition. Il me semble qu’il est aujourd’hui difficile de définir avec précision la notion de patrimoine ; d’une part à cause d’une mutation de l’architecture occidentale du dimensionnement monumental au dimensionnement adapté, d’autre part du fait que le consumérisme, la mondialisation et la frénésie contemporaine transforment progressivement l’architecture en un produit manufacturé low-cost et temporaire (j’affirme ce point de vue au regard des dix critères de sélection de l’Unesco(2) et de ma propre expérience de l’architecture). Au cours de l’année dernière, mon obsession pour les questions relatives au patrimoine et aux espaces de mémoire n’a cessé de croitre. J’étais alors en échange à Montréal, Québec, dans un pays dont la culture, la définition de l’architecture, se posent en d’autres termes du fait d’une histoire relativement récente(3) . J’ai ainsi pu confronter ma connaissance européenne de la ville à la découverte d’une ville nord-américaine qui appréhende des mesures de protection de son paysage bâti. Durant ces trois cent soixante-cinq jours d’échange universitaire et plus encore, la possibilité m’a été donnée d’explorer l’est canadien ainsi que le nord-est américain. De Toronto, à New York, en passant par Chicago, j’ai été stupéfait par l’immensité des territoires et l’omniprésence de l’automobile dans la pratique de la ville.

(2) http://whc.unesco.org/fr/criteres/ (3) La plupart des historiens attribuent la date de création de Montréal à Samuel de Champlain, qui en 1611, fit ériger un poste de traite saisonnier sur l’île de Montréal, dans un lieu qu’il baptisa Place royale.


C’est dans ce contexte d’exploration, de découvertes et d’inattendu, que j’ai pour la première fois salué la ville de Détroit, située dans l’état du Michigan. Aussi brève notre rencontre fut-elle, elle laissa en moi des marques indélébiles. J’avais déjà entendu parler de « motor-city » auparavant, de son formidable essor et de son déclin actuel, mais jamais je n’aurais imaginé être confronté à une chose pareille : une ville entière en friche ! Et depuis ce jour précis, je me suis promis de tout mettre en œuvre pour comprendre comment une si grande ville américaine avait connu un destin aussi tragique. Je me souviens avoir parcouru seul, en plein jour, une des plus grandes artères de la ville sans ne jamais avoir croisé aucune âme. C’était insensé ! Après avoir visité New York, je me retrouvais dans une ville plus vaste encore où toute vie, tout espoir semblait avoir disparu.

Mémoire [memwaR] Nom féminin :

Faculté de conserver et de rappeler des choses passées ce qui s’y trouve associé ; l’esprit, en tant qu’il garde le souvenir du passé(4). par les étudiants après la licence.

Travail personnel présenté

(4) REY A. (2006) Le Robert micro, dictionnaire de la langue française, Paris, Le robert


Aujourd’hui de retour en France, bien décidé à poursuivre mes recherches et à retourner sillonner Détroit, j’ai entrepris d’orienter mon mémoire sur le berceau du label soul Motown, en espérant comprendre son parcours nébuleux et éventuellement proposer des solutions pour sa survie. Comme je l’ai indiqué précédemment, ce travail se poursuit dans la continuité du rapport de licence et est une formidable occasion de traiter un sujet qui me tient à cœur et qui, je l’espère, saura aussi vous interpeller. Je vous souhaite une bonne lecture.

FLAMMIN Hugo


Introduction

«Ce que brandit Barack Obama est moins un grand projet visant à remettre l’Amérique en selle qu’un panneau « défense d’entrer » pour éviter qu’un siècle d’acquis progressistes ne passe pas à la trappe. »(5)

Selon le calendrier Maya, la fin de l’humanité serait prévue pour le 21 décembre 2012. Ainsi circulent sur la toile depuis quelques temps déjà les scénarios catastrophes les plus pessimistes, d’utopiques après fin du monde et les délires les plus fous. Mais ne semblait t’elle pas s’être amorcée quatre ans auparavant, lorsque le monde subissait de plein fouet l’une des pires crises financières de son histoire ? Aucun pays n’a été épargné, certains atteints plus violemment que d’autres, remettant en question tout le fonctionnement d’une économie mondiale majoritairement capitaliste qui n’a eu pour effet que de renforcer les inégalités de revenus et les clivages entre riches et pauvres.(6) Depuis l’automne 2008, la hiérarchie mondiale n’a plus le même visage. L’Europe titube, l’incroyable essor Chinois semble à l’arrêt et le Japon peine à rebondir. Au pays de l’oncle Sam, le rêve américain ne semble plus à l’ordre du jour.

(5) BRINKLEY D. (2012) Ma feuille route pour un second mandat, Paris, Courrier International n°1149 (6) CAGNAT B. et PAPE E. (2012), Espoir et crispation, Paris, Courrier international hors série

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Feu la plus grande puissance économique mondiale paye le prix de ses erreurs passées (crise des sub-primes, investissement des villes dans l’immobilier, urbanisation périphérique des villes…)

La période de troubles que traverse le pays aux 50 états trouve par ailleurs une traduction spatiale, et ce à plusieurs échelles : À l’échelle nationale, le déclin du nord est - hormis la ville de New York qui garde son aura attractive - et le flux de population migrante important en direction du sud-ouest s’expliquent par la proximité des états du sud avec la frontière mexicaine, porte de l’Amérique du sud en pleine effervescence, zone davantage attrayante, où se concentrent la majorité des entreprises de haute technologie et les multinationales.( en 2011, 78% des plus hauts salaires ont été versés dans les états du sud et de l’ouest.) À l’échelle fédérale, une mauvaise répartition des financements et une séparation des pouvoirs politiques et administratifs des comtés et des états ont eu pour conséquence d’encourager l’autonomie des villes qui ont souvent eu recours à l’emprunt privé (avec des taux d’intérêts élevés). Ainsi il n’est pas rare de trouver des villes satellites plus riches que le comté lui-même, ou au contraire certaines municipalités majeures comme Détroit dont les principales sources de richesse sont issues d’une production périphérique et non centrale, comme ce fut le cas il y a encore quelques décennies. L’exemple de la ville de Détroit est le plus significatif des clivages territoriaux qui conditionnent son développement à l’échelle municipale : corruption, gestion administrative chaotique, centre-ville paupérisé et ségrégation raciale de longue date en ont fait le symbole d’une Amérique vacillante, en déclin…La décroissance est telle que certains quartiers qui faisaient autrefois rêver se retrouvent aujourd’hui à l’abandon ; à l’exemple de Highland Park, qui enregistre l’un des plus hauts taux de criminalité des U.S.A , un taux d’inoccupation résidentielle inavouable alors qu’il fut il y a encore quelques décennies le poumon de l’industrie de la ville.

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Introduction

L’Amérique et dans une moindre mesure, le reste du monde ont aujourd’hui les yeux rivés vers motor-city, car chacun sait que la ruine n’est pas faite pour perdurer. Les trois entités principales qui composent la ville américaine (le cadre résidentiel, les lieux de travail et les espaces publics) doivent être repensées pour répondre aux nouveaux besoins de la société américaine qui mue vers une organisation à l’européenne. C’est pourquoi Détroit occupe une place primordiale aux Etats-Unis puisque tout y semble possible, un nouvel eldorado qui dans les années à venir pourrait redevenir le symbole de la puissance américaine qu’elle fut autrefois. Il est alors judicieux de se poser la question suivante : Détroit, de la grandeur à la décadence : symbole d’une Amérique en mutation ?

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Photographie représentant l’usine Packard à l’heure actuelle. MOORE A., (2010), Detroit disassembled, Akron, Akron art museum and Damiani editore, 127 pages

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Partie 1: Détroit, de Motor-city à Notown Les Etats-Unis d’Amérique ont une histoire relativement récente et une politique urbaine dont le scénario est assez simple : un quadrillage dans lequel s’organisent plusieurs zones destinées à des besoins divers. Contrairement à la France, le centre-ville n’occupe pas la place prépondérante que nous lui accordons, mais nous y reviendrons plus tard. Autant en est-il que les Américains sont, avec une histoire très récente, moins préparés aux problèmes liés au déclin de leurs villes(7). Pour comprendre comment une ville américaine d’importance nationale peut perdre son influence aussi rapidement que Détroit, il me semble judicieux de commencer par un rappel historique de ses origines puis de ses multiples transformations, qui sauront potentiellement traduire les blessures consécutives qui l’ont affaiblie au cours des décennies.

(7) GALLAGHER J. ,(2010), Reimagining Detroit, opportunities for redefining an American city, Detroit MI, Wayne state University press, introduction

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1 : De la grandeur

1.1 Création et expansion de la ville

Détroit est située dans l’état du Michigan, au Nord-est des EtatsUnis, au milieu de la région des grands lacs qui bordent le Canada et les Etats-Unis. Entre le lac Huron et le lac Erie, le détroit a toujours eu une importance majeure dans le commerce maritime et terrestre du fait de sa position favorable. Sa création officielle remonte au 24 juillet 1701, lorsque Antoine de la motte Cadillac, alors officier à la cour de Louis XVI, fut chargé de coloniser les territoires indiens pour préserver la sécurité et étendre la zone commerciale du fleuve St-Laurent, qui traverse la ville de Québec et Montréal, déjà villes principales de la nouvelle France. Il navigue en direction de l’Est, dans plusieurs canots remplis d’équipages(8) et de vivres et atteint le détroit reliant les trois grands lacs supérieurs aux deux grands lacs inférieurs : Erié et Ontario. Ainsi fut établi le fort Pontchartrain, du nom du chancelier du roi qui allait valider les plans d’implantation du fort. En 1749, la rive sud du détroit est annexée et Détroit devient alors un village uni par la langue, la religion et l’allégeance politique. Durant ses premiers temps d’existence, le village vit de l’agriculture et du commerce de fourrures, florissants grâce à l’alliance des français avec les communautés iroquoises qui, en échange d’un savant mélange d’or et d’alcool, dévoilent leurs principaux territoires de chasse. La ville allait grandir encore davantage grâce à l’introduction de la fourrure de castors dans la cour du roi de France, devenant ainsi la principale source de richesses des marchands de la nouvelle France.

(8) 25 canoës avec à leur bord une cinquantaine de soldats de l’armée royale française, une cinquantaine de colons pour la plupart artisans, deux prêtres et assez de vivre pour subsister durant plusieurs mois. (MARTELE S., (2012), Detroit, a biography, Chicago ILL, Chicago press review, p3)

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Partie 1 : Détroit, De Motor-city à Notwn

Gravure représentant le fort Pontchartrain à sa création http://www.museevirtuel-virtualmuseum.ca/sgc-cms/histoires_de_chez_nouscommunity_memories/CommunityMemories2/ADEX/0001/image/storycard/

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Mais un premier incident allait ébranler la communauté Détroitienne : la guerre de sept ans, qui avait éclatée en Europe en 1754, allait s’étendre au nouveau monde. Intitulé Guerre de la conquête, pour le contrôle des territoires d’Amérique du Nord, le conflit fut intense, et après de sanglantes batailles, le fort Pontchartrain devint propriété de la reine d’Angleterre(9). Dans le courant des années 1770, après une insurrection des colons Américains opposés au régime dictatorial anglais, une nouvelle bataille allait faire rage. En 1776, le 4 juillet, un homme, Thomas Jefferson, rédige la déclaration d’indépendance des Etats-Unis. En 1783, le traité de Paix est signé et consacre la naissance et la souveraineté des Etats-Unis d’Amérique. Dès lors, le juge Augustus Woodward (qui donna son nom à l’une des principales artères de la ville) fut désigné par Thomas Jefferson pour reconstruire la ville de Détroit, touchée par la guerre ; constituant le premier acte notable d’urbanisme. La rive sud de la ville quant à elle, restée du côté Canadien et donc britannique, tournera durablement le dos à son opposée Américaine. En 1805, un incendie gigantesque ravage la ville, à l’exception du fort Pontchartrain. Cet incident marquera un tournant dans la conception de Détroit. Les premières maisons bâties en bois qui n’ont pas résistées au feu, devaient être repensées de manière plus solide, car la ville s’agrandissait vite et il devenait nécessaire pour les Américains de donner une image plus stable de leur cité, notamment aux yeux de leurs voisins Canadiens. Cet essor démographique va s’intensifier plus tard avec la création du canal Erié et Well-land, ainsi que l’introduction du chemin de fer et du bateau à vapeur qui propulseront la région des grands lacs comme position stratégique des Etats-Unis. En 1854, après plusieurs pourparlers, un traité de réciprocité va enfin être signé entre les Etats-Unis et le Canada, qui aura pour effet de décupler les relations commerciales entre les deux rives.

(9) 1763 : Le conflit s’acheva avec l’assignation aux britanniques tous les territoires français à l’Est du Mississipi.

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Partie 1 : Détroit, De Motor-city à Notwn

Gravure représentant le président Américain Thomas Jefferson http://www.s9.com/Biography/Jefferson-Thomas

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1.2 Le 19ème siècle : Le miracle de l’industrie

Si la révolution industrielle fut une période de prospérité et d’innovations aux Etats-Unis plus qu’ailleurs dans le monde, elle le fut encore davantage à Détroit. La proximité du fleuve, un vaste territoire inoccupé, des ressources immenses en matières premières : tout semblait prédestiner la paisible bourgade agricole à devenir un centre industriel majeur. Mais cette transition n’allait pas s’effectuer aussi simplement qu’il n’y paraissait. En 1837, selon les archives municipales, on enregistrait en moyenne six accostages quotidiens de bateaux de croisière, et à la fin de l’année, un peu plus de 200,000 voyageurs avaient foulé le sol de Détroit. L’état du Michigan, tout comme le reste de la côte pacifique Nordest du territoire, connaissait une croissance exponentielle de sa population. Pour exemple, en 1860, on dénombrait 45,620 habitants à Détroit. 10 ans plus tard, 79,600, puis 286,000 en 1900. Parmi ces nouveaux arrivants, des français, des Italiens, des afro-américains, tous assoiffés de réussite et bercés par les promesses d’une croissance à deux chiffres. La municipalité encore jeune ne réussissait pas à maitriser un tel flux de population et le résultat était quasi-inévitable : la ville, sans infrastructures adéquates n’aurait pas la capacité d’accueillir autant d’immigrants. De gigantesques bidonvilles s’installèrent donc autour des voies ferrées, à proximité d’usines florissantes qui jouxtaient des terrains agricoles immenses ; les services publics fonctionnaient avec parcimonie…Détroit à ce moment de l’histoire avait besoin d’un changement radical dans son organisation pour espérer devenir la « Paris de l’ouest », comme certains riches investisseurs Américains la surnommaient déjà. C’est justement dans l’investissement privé que la désormais 19ème ville plus importante des Etats-Unis trouvera la réponse à ses maux. Un peu plus tôt, en 1854, la rive sud Canadienne connaissait un développement accru grâce à l’industriel Hiram Walker.

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Partie 1 : Détroit, De Motor-city à Notwn

Celui-ci bénéficiant du traité de réciprocité, installe une première distillerie côté Canadien. S’en suit une arrivée massive de travailleurs qui contraint Walker à trouver une solution au problème de logement de ses ouvriers. Walkerville est ainsi créée, entièrement financée par l’industriel(10). L’exemple d’Hiram Walker et sa cité ouvrière va avoir une influence dans la mentalité des investisseurs et industriels de Détroit, également désireux d’étendre leur activité et de s’enrichir rapidement. Le premier à franchir le pas est Edmund A Brush, fils d’agriculteurs dont la famille, originaire du Michigan, était déjà bien installée et possédait d’immenses terres arables autour de la ville. Brush eu l’idée de mettre en vente une partie de ses terres aux industriels, et garda une autre partie pour y construire des immeubles de logements et de bureaux destinés à la location. Le quartier de Brush Park était né. Par la suite, un autre investisseur, également conscient de la potentielle richesse qui sommeillait à Détroit, mit à son tour une partie de ses terrains en vente. Elisha Taylor, procureur général de l’époque, possédait déjà de nombreuses terres et décida d’investir au Nord de la ville, à proximité de Woodward avenue et De Hamtramck. Plusieurs immeubles de 4 ou 5 niveaux assez cossus sortent de terre et un nouveau quartier nait, qui permet de loger une partie de cette nouvelle population et accroit par ailleurs l’aire urbaine de Détroit.

(10) La ville sera annexée en 1935 à la ville de Windsor

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À la fin du 19ème siècle, la ville entre dans un tournant de son histoire. En 1889, le premier gratte-ciel(11) émane de terre et ouvre la voie à la croissance verticale, redéfinissant le visage de Détroit. Il est important de comprendre qu’à ce moment-ci de son histoire, la vision du rêve américain bascule « de l’idée de liberté individuelle originelle à celle de la richesse et de l’acquisition »(12). Le héros américain n’est plus le pionnier, l’explorateur, mais bel et bien le « self-made millionnaire ». Les travailleurs, quant à eux, deviennent le carburant nécessaire de l’immense machine capitaliste alors en marche. Et c’est à Détroit que l’Amérique capitaliste va justement trouver l’un de ses plus grands héros, en la personne de Henry Ford.

(11) Le Hammond building est considéré comme le premier gratte-ciel en structure métallique de la ville de Détroit. Il a été commandé en 1889 à l’architecte Harry W.J Edbrooke, de Chicago, par l’industriel George H. Hammond. Possédant déjà une usine d’emballage à Détroit, Hammond désireux d’agrandir ses bureaux passa commande d’un immeuble assez grand, et qui devait représenter un symbole de sa réussite personnelle aux yeux des Détroiteurs. Ainsi naquit le Hammond building. (Source : http://historicdetroit.org/building/hammond-building/) (12) MARTELE S., (2012), Detroit, a biography, Chicago ILL, Chicago press review, p70)

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Partie 1 : Détroit, De Motor-city à Notwn

De gauche à droite : Le Hammond Building, Fort Street Presbyterian Church, City Hall. Tous les bâtiments ont été détruits. http://secondat.blogspot.fr/2009/09/ detroits-gilded-age.html

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1.3 Détroit et le Fordisme

Pour parvenir à éclaircir le destin tragique que va connaître Détroit au 20ème siècle, je ne peux passer sous silence le rôle qu’a joué Henry Ford dans la destinée future de la ville. Ce jeune ingénieur de la célèbre Edison illuminating Company, marquera à jamais le monde moderne grâce à l’introduction d’un nouveau mode de production industriel fondé sur les lignes d’assemblage. En 1893, il met au point son premier moteur à combustion, qui équipera la Ford T, celle-là même qui lui assurera une richesse formidable, grâce à un faible coût d’achat, une simplicité de réparation, et une rapidité de production. Il crée la Ford corporation en 1903, et commence la production en série de modèles T. Le succès ne se fait pas attendre : au lendemain de la première guerre mondiale, la T équipe près d’un ménage américain sur deux, parmi ceux qui possèdent une voiture.(13) La première usine de la rue Mack devenue trop petite, Ford déménage au Canada, puis revient s’installer à Highland Park, aujourd’hui tristement célèbre pour son taux de criminalité, de chômage et d’analphabétisme élevé. Il n’en demeure pas moins que la paisible ville paysanne de 426 habitants en 1910, en comptera 20,000 en 1920 ; la plupart des maisons ayant été construites par Henry Ford pour loger ses ouvriers à proximité de leur lieu de travail et de la nature. Le banlieue de Détroit s’accroît ! La réussite de Ford est également le résultat d’une politique écono mique et sociale favorisant des salaires élevés. Preuve en est : James Couzens, manager financier de Henry ford, garantit 5$/jour à ses ouvriers en 1919. Pour Ford, « un ouvrier bien payé est un excellent client ».

(13) Voir fiche technique de la Ford T au sur le site du musée national des arts et métiers français

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Partie 1 : Détroit, De Motor-city à Notwn

La machine Ford entraîne dans son sillage de nombreuses entreprises sous-traitantes qui basent toute leur réussite sur leur partenariat avec la marque. Des ingénieurs travaillent d’arrache-pied à adapter le réseau de routes à l’arrivée de la voiture, et c’est encore à Détroit que les premières avenues goudronnées voient le jour. Les autres constructeurs américains, comme Packard, Chrysler ou General Motors, ne vont pas tarder à rejoindre la folie automobile qui s’empare de Détroit. Motor-City allait naître, une ville pour les besoins de la voiture et crée par les besoins de la voiture. Détroit, Michigan sera déclarée en 1920 4ème ville de la nation, comptabilisant un peu plus de 1,400,000 habitants. Le paysage rural de la fin du 19ème siècle a désormais laissé place à un décor qui inspirera Métropolis de Fritz Lang(14) : une ville quadrillée, où les strips bordent des gratte-ciel de dizaines de mètres de hauteur, là où la démesure américaine trouvera comme à New York ses premières marques.

(14) Réalisateur allemand d’origine autrichienne, considéré comme l’un des maîtres du cinéma expressionniste allemand. Métropolis est son œuvre la plus connue, et est classé au Registre international Mémoire du monde de l’UNESCO

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Vue aérienne du complexe industriel de l’usine Ford (rouge complex) en 1927 http://www.bcampbell.org/BuffState/History117Fall2008/River_Rouge_tool_and_ die8b00276r.jpg

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Partie 1 : DĂŠtroit, De Motor-city Ă Notwn

Anciennes photographies montrant les usines automobile Packard http://www.detroitpubliclibrary.org/

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1.4 Le cœur industriel du pays

Jusque dans les années 20, Détroit connait un succès retentissant grâce à une puissante industrie automobile et une urbanisation continue. La grande guerre qui éclate en 1914 et affaiblit l’Europe va au contraire avoir un impact bénéfique pour l’Amérique, propulsée sur le devant de la scène mondiale en tant que grande puissance. Motor-City a de nouveau eu un rôle clé à jouer dans cette réussite historique. Lorsque les Etats-Unis interviennent dans le conflit en 1917, de nombreux Américains quittent leur patrie pour rejoindre l’Europe. Pour fournir l’armement nécessaire dans les délais, mais aussi continuer le développement du pays, une main d’œuvre temporaire est requise. Ce sont d’abord les femmes qui prennent la place dans les usines des hommes partis combattre, puis les populations paysannes attirées par de meilleurs salaires et conditions de vie. Parmi ces nouveaux arrivants, de nombreux afro-Américains originaires des Etats limitrophes ainsi qu’une population immigrante européenne ayant fui la guerre en espérant trouver de meilleurs lendemains. Ce sont ces communautés fraichement débarquées qui repeupleront une partie du territoire après 1918. Au-delà de son enrichissement, le pays aux 50 états allait profiter de sa renommée acquise durant la guerre pour rayonner à l’échelle mondiale. Les géants américains de l’époque vont s’exporter à travers la planète, et avec des besoins toujours grandissants, l’appareil productif allait devoir s’adapter. Les industries parmi les plus grandes jamais construites allaient voir le jour à Détroit, qui deviendra à la fin des années 20 le cœur industriel du pays.Pour conserver sa suprématie, Henry Ford par exemple, délocalise ses usines au sud-ouest de Détroit, dans le complexe industriel qui deviendra pendant un

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Partie 1 : Détroit, De Motor-city à Notwn

temps le plus vaste du monde : l’usine Ford de rivière Rouge(15).

Ancienne photographie montrant l’intérieur de l’usine Ford http://www.detroitpubliclibrary.org/

(15) L’usine Ford de rivière rouge fut et est resté un incompréhensible complexe industriel qui, à son apogée, comptait 93 bâtiments avec une surface au sol de plus de 1,400,000 m² ; répartis sur une parcelle de 2,5km de large sur 1,6 km de long. Un anneau de 160km de voie ferrée traversait la ville depuis le complexe. (MARTELE S., (2012), Detroit, a biography, Chicago ILL, Chicago press review, p101)

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2 : À la décadence

2.1 La grande dépression

Avec un début de siècle encourageant pour le pays de l’oncle Sam, tout porte à croire que la ville de Détroit a renforcé sa stabilité : mais les failles du système capitaliste Américain vont rapidement ébranler la confiance des Détroiteurs. La grande dépression mondiale de 1929 ne va pas épargner les Etats-Unis, et infligera des blessures profondes à la ville qui mit le monde sur quatre roues. Récession économique et inflation monétaire ont pour effet d’engendrer un retrait massif de l’argent des particuliers auprès des banques. Ces mêmes établissements, privés, dont le fonctionnement est basé sur les crédits auprès des réserves fédérales et des banques nationales ne disposent pas de suffisamment de ressources pour rembourser leurs emprunts(16). Ainsi, en 1927, la Guardian Detroit Bank, fusion d’un groupe de plusieurs banques locales, se déclare insolvable. Le même scénario se propage à Motown dans les banques et en 1933, le gouverneur William Comstock ordonne la fermeture de toutes les banques fédérales et étatiques du Michigan pour leur laisser le temps de recouvrir leur dettes. 550 banques ferment. Avec une population d’un peu plus de 1,600,000 habitants, la ville n’a plus de liquidités(17). À partir de là, les Détroiteurs vont vivre des temps difficiles. La municipalité, malgré des efforts considérables, ne parvient à garder la tête hors de l’eau. Dans un geste désespéré, elle tente de faire appel aux industriels pour recouvrir une partie de la dette des banques.

(16) Pour s’informer davantage sur l’économie américaine, voir le documentaire Le rêve américain disponible sur Youtube © (17) (MARTELE S., (2012), Detroit, a biography, Chicago ILL, Chicago press review, p116)

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Partie 1 : Détroit, De Motor-city à Notwn

Certains comme Chrysler ou General Motors, tendront la main aux politiciens. Henry Ford quant à lui, va choisir de ne pas agir, amoindrissant son image publique déjà ternie à cause des conditions de travail pénibles auxquelles ses ouvriers devaient faire face. En 1931, ce dernier annonce 107,000 licenciements. Ce nouvel affront public est très mal perçu au sein des usines, où la pression syndicale était déjà forte. En 1937, tout bascule. Les travailleurs de tout le pays entre en grève et de violents affrontements éclatent entre les forces de l’ordre et les ouvriers. Les plus sanglants auront lieu autour du complexe Ford de la rivière rouge. A partir de ce moment, la ville entame un cycle de récession. En 1940, Franklin Roosevelt tenta de redonner vie à l’activité industrielle de Motor-city, en utilisant les lignes d’assemblage pour fabriquer « l’arsenal de la démocratie »(18). Mais ce bref regain d’activité ne sera que temporaire, et d’autres problèmes qui sommeillaient à Détroit depuis des décennies étaient sur le point d’éclater.

(18) Surnom donné à Détroit durant la seconde guerre mondiale

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2.2 La déconcentration urbaine ou le déclin du centre-ville de Détroit, une conséquence directe du changement sociétal

À la sortie de la seconde guerre mondiale, contre toute attente, le monde semble prendre un nouveau départ, plus optimiste, avec la promesse d’oublier les guerres et de se préoccuper de la reconstruction. La principale volonté politique à l’époque était de retrouver une croissance stable pour redémarrer la consommation et relancer l’économie mondiale. Aux Etats-Unis, la lutte ouvrière de 1937 semble s’être apaisée grâce aux négociations des syndicats avec le patronat. Un projet de société sans classes voit le jour, bénéfique pour l’ouvrier consommateur qui va progressivement former une gigantesque classe moyenne(19). Sur le plan urbanistique et architectural, la fin des années 40 marque un tournant dans la conception originelle de la ville Américaine. Des architectes de renommée mondiale comme Ludwig Hilberseimer(20) et Le Corbusier (avec sa cité idéale) tentent de redéfinir la ville de demain, plus en lien avec la nature, avec des conditions de logement égales pour tous et une hiérarchisation des besoins à l’échelle spatiale. L’image du rêve américain de société égale et libre de Jefferson, ternie par les spéculations bancaires de la grande dépression, va recouvrir un nouveau visage grâce à l’introduction d’un symbole de liberté plus actuel : l’automobile, placée au centre de la ville moderne. Avec le baby-boom et une consommation des ménages moyens en hausse, l’utilisation de la voiture se démocratise donc.

(19) La ville franchisée, p198 (20) Architecte germano-americain élève de Mies van der rohe. Hilberseimer tente d’ordonner la disapearing city : une ville qui s’effrange, passant progressivement d’une grille à des systèmes en peigne ou en arête de poisson, desservant à terme des tours isolées dans la verdure, face à des lacs et des océans (MANGIN D., (2004), La ville franchisée, formes et structures de la ville contemporaine, Paris , éditions de la Villette, 398 pages)

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Partie 1 : Détroit, De Motor-city à Notwn

Le projet utopique Futurama(21) de Norman Bel Geddes, laissé de côté pendant la guerre, va se concrétiser avec l’apparition d’un système de voies rapides qui fondera la structure urbaine de la ville nord-Américaine telle que nous la connaissons aujourd’hui. Dans les années 40, un programme national de remise à niveau des routes est mis en place et l’état fédéral d’Eisehhower accorde ses premières aides au transport routier de marchandises. De grands projets d’express-ways (65,000 kms) se succèdent, reliant les différents états et métropoles entre eux. Dans les centres-ville, l’arrivée de ces express-ways suppose l’élargissement des voies existantes. Ainsi, des villes comme Las Vegas ou Détroit vont investir dans la création et l’élargissement des rues, et dans le macadam(22). À Détroit, plus particulièrement, tout est mis en œuvre pour favoriser les déplacements en voiture. De larges avenues comme Woodward (9 voies) permettent d’entrer facilement en centre-ville, les connexions entre avenues et entrées d’autoroutes sont mises en valeur, et toutes les voies de circulation sont repensées pour le stationnement. Les déplacements piétons, avec un réseau de transport collectif laissé de côté (projet de métro refusé), n’ont donc pas d’avenir viable. Le tissu autoroutier, loin des Parkways proposés par Frederick Olmsted, donne une image de plus en plus terne au paysage. Les villes comme Détroit deviennent, avec une grille orthogonale érodée par les déplacements automobiles, métropolitaines.

(21) Futurama était l’exposition principale du pavillon américain de l’exposition universelle de New York en 1939. On trouvait à l’intérieur du bâtiment une maquette de ce que représentaient les visions de la ville futuriste de l’époque. Imaginée par le designer Norman Bel Geddes , la cité du Futurama s’organisait autour d’un réseau de voies rapides destinées à réduire les embouteillages et desservir rapidement les cités pavillonnaires situées en périphérie des centreville. Il est intéressant de noter que Futurama a été financée par la compagnie Géneral Motors. (22) GHORRA-GOBIN, C., (2003), Ville et société urbaine aux États-Unis, Paris, éditions Armand Colin, p36

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Detroit, de la grandeur à la décadence: symbole d’une amérique en Mutation?

Albert Pope, dans son ouvrage Ladders(23), qualifiera cette évolution de ville centrifuge à ville centripète. La limite entre centre et périphérie va s’estomper d’autant plus avec l’introduction d’un autre pilier de la société du rêve américain et de l’American way of life : la maison individuelle, l’une des trois entités principales de la ville américaine encore actuelle (le lieu de travail, le lieu de vie et le lieu de loisirs). Pour comprendre le phénomène d’étalement urbain, il faut revenir un peu en arrière, au début du XXème siècle, pour y trouver l’origine de cette suburbanisation. Les villes du nord-est, extrêmement industrielles, ne permettaient pas de combiner un mode de vie simple, pastoral, en lien avec la nature et inscrit dans la tradition américaine avec le mode de vie plus moderne de la ville qui offrait pourtant de nouveaux services innovants. Cynthia GHORRA GOBIN, parle de l’idéal de la maison urbaine devenant synonyme de cadre « pastoral » où la vertu, l’amour et la stabilité devaient prévaloir contre le désordre et le chaos de la ville(24) . Avec un nouveau système routier et une multiplication du parc automobile, l’accès à la nature depuis le centre-ville était simplifié. Les premiers projets de banlieues pavillonnaires, enclins à accueillir des familles aisées désireuses de retrouver un cadre de vie au plus proche de la nature, émergèrent. En 1929, à Radbury, un premier prototype de cité-jardin inspiré du concept Anglais de Ebenezer Howard annonçait les prémices de l’habitat semi-rural adapté à la voiture. La politique du New Deal(25) de Franklin Roosevelt fut un argument supplémentaire pour l’accroissement du middle landscape.

(23) Il consacre l’ouvrage à la multiplication des extensions, qui se rabattent, en échelle ou en arête de poisson, sur les voies artérielles. Selon lui, ces systèmes diminuent le nombre d’itinéraires potentiels offerts par la grille orthogonale du XIXème siècle et contribuent à l’enfermement résidentiel en centre-ville. (24) GHORRA-GOBIN, C., (2003), Ville et société urbaine aux États-Unis, Paris, éditions Armand Colin, p27 (25) Roosevelt mis en place une politique d’aide à l’acquisition d’une maison qui reposait sur un crédit à taux d’intérêt faible, destiné aux familles les plus démunies.

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Partie 1 : DĂŠtroit, De Motor-city Ă Notwn

Norman Bel Geddes devant la maquette de Futurama http://glasstire.com/2013/01/02/a-few-days-away-from-the-end-of-the-future/

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Plan du projet de Radbury http://glasstire.com/2013/01/02/a-few-days-away-from-the-end-of-the-future/

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Partie 1 : Détroit, De Motor-city à Notwn

Selon les archives du bureau de recensement fédéral américain, entre 1946 et 1960, 46 millions de maisons individuelles ont été construites pour seulement deux millions d’appartements. Ce boom de la construction, principalement bénéfique aux investisseurs immobiliers privés et aux banques, allait transformer radicalement le paysage bâti aux Etats-Unis. La population suburbaine américaine, qui ne représentait que 9,1% en 1920, passera à 50,5% au début des années 2000. Détroit n’échappe pas au phénomène de l’urban sprawl, avec une augmentation considérable de la population des périphéries. En 1950, la métropole Détroitienne comptait 1,867,000 habitants. En 2000, 4,505,000 habitants ont été recensés. Le territoire de la ville s’étend, mais la population du centre diminue considérablement (1,850,000 habitants en 1950 ; 951,000 en 2000). À cela plusieurs raisons. Le contrecoup de la suburbanisation a été marqué par un accroissement de la distance entre les emplois du centre-ville et le domicile périphérique. Les central business districts et les centres industriels sont devenus au début des années 1950 trop éloignés de la vie familiale. Avec un réseau de transports en perpétuelle amélioration et une nouvelle politique fédérale qui se propose d’amoindrir le coût d’achat des terrains en banlieues -qui plus est mieux desservis par le tissu autoroutier que le centre- , les entrepreneurs, et avec eux les emplois tertiaires, vont naturellement basculer vers la banlieue. Les entreprises, concentrées autour des pôles de vie et des échangeurs autoroutiers, sont rejointes pas les shopping malls et les business-parks qui finissent par former ce que Joel Garreau nomma les edge cities(26). Ces nouvelles centralités périphériques en expansion après 1950, totalement adaptées à la voiture et situées autour des banlieues résidentielles, créent une métropole polycentrique. Le centre-ville n’occupe plus la place attractive du début du siècle et tombe par conséquent en désuétude.

(26) Joel Garreau est un auteur et journaliste américain intéressé par les questions urbaines et architecturales. Il définit pour la première fois le terme de Edge city dans son ouvrage Edge City: Life on the New Frontier, en 1999.

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Schéma permettant d’expliquer l’expansion des edge cities de Détroit

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Partie 1 : Détroit, De Motor-city à Notwn

Avec une aire urbaine de 360 km², les répercussions d’un tel mouvement d’activité et de population sont considérables à Détroit. J’ai choisi d’illustrer mon propos à travers trois exemples précis de trois zones périphériques de la ville : Ann Arbor city, Livonia city et South Field city, en les comparant avec le centre-ville de Detroit, entre deux périodes précises et en analysant l’évolution du nombre d’emplois. Les résultats sont les suivants : Detroit

1970 2000 735,104

345,424

Ann Arbor 52,499 124,398 Livonia 50,858 105,019 South field

55,912

128,407

Il est évident que l’étalement urbain est une des principales raisons du déclin du centre-ville de Détroit. Sa fébrile santé s’est détériorée avec la récession industrielle et le déplacement des activités commerciales et de loisirs vers les banlieues où la population de Détroit avait désormais choisie de résider. Mais d’autres facteurs plus obscurs ont un rôle à jouer dans le déclin de Motor-city.

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2.3 Les forteresses modernes comme aboutissement de la politique privative et de la ségrégation spatiale.

La politique de suburbanisation, qui se prolonge aux Etats-Unis durant la guerre froide, est, comme nous l’avons vu précédemment, un phénomène issu du remaniement du rêve américain, dont les fondements reposent sur les principes honorables de liberté, d’égalité et d’amélioration des conditions de vie. Les rapports de l’administration fédérale l’attestent, tout a été fait pour encourager la propagation des lotissements de banlieues en pleine nature, là où la tranquille famille américaine moyenne pourrait vivre des jours heureux, entourés de leurs chers voisins, tous blancs. En effet, cette promesse de lendemains chantants a ciblé la population blanche américaine, hostile à « tout mélange indésirable » qui risquerait de mettre en péril l’avenir de ces chères têtes blondes. La population afro-américaine, déjà à moitié tolérée, a donc été gentiment évincée de toute réflexion politique, entraînant un accroissement tranquille de la ségrégation raciale. À Détroit, cette ségrégation va être particulièrement rude alors que les blacks, loin de représenter une minorité, participaient pourtant notablement à l’économie et la culture locale. En 1943, le tristement célèbre So journey truth housing project(27), est construit, symbole d’une Amérique raciste qui donna naissance au KKK. Cet affront est très mal perçu par les minorités ethniques et la pression monte d’un cran avec une première série d’affrontement qui éclatent dans la nuit du 29 juin. En trois jours, 34 personnes sont tuées. Parmi elles, essentiellement des afros. Un remaniement subtil des faits va permettre de rejeter la responsabilité de la violence et des dégâts matériels sur ces derniers. En pleine période de seconde guerre mondiale, l’histoire retiendra que la production de

(27) Le so journey truth housing project est un projet de lotissement de maisons individuelles de la banlieue de Détroit volontairement séparé du quartier voisin par un grand mur (car majoritairement peuplé d’afro-américains).

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Partie 1 : Détroit, De Motor-city à Notwn

l’arsenal de la démocratie fut ralentie du fait des affrontements. Il est, pour les citoyens américains blancs de l’époque, antipatriotique de mettre en péril la réussite militaire du pays. L’histoire passera aussi sous silence qu’une action isolée de quelques jeunes a été une formidable occasion politique de renforcer le fossé entre blancs et noirs. (Aucune charge n’a été retenue contre les policiers qui se sont adonnés sans raison au lynchage de centaines d’innocents). À la suite de ces évènements, la cohabitation va se dégrader considérablement et les banlieues de Détroit se renferment sur elles-mêmes (on parle aujourd’hui de gated communities), les forces de police sont quant à elles accrues ; tandis que les conditions de vie des afro-américains ne vont faire qu’empirer. Les forteresses blanches, périphériques, se sont enrichies progressivement au détriment du centre-ville, dont la plupart des habitants, d’origine africaine et bien souvent ouvriers, ne possédaient ni le pouvoir, ni les ressources nécessaires pour rejoindre les riches banlieues prospères. Le centre-ville représentait à présent un danger, un lieu sans intérêt et il devenait nécessaire de le traverser uniquement en voiture, pour sa sécurité. Le commerce de proximité avait très peu de chances d’en ressortir indemne. En 1965, fut signé le pacte automobile entre les Etats-Unis et le Canada. Cette erreur politique, loin de relancer l’industrie automobile américaine vacillante à cause du compétitif marché japonais, allait propulser la rive sud Canadienne de Détroit sur le devant de la scène et creuser les disparités entre le centre américain et ses périphéries. En témoigne l’évolution de Windsor, ville de l’Ontario, province canadienne la plus riche. À la suite de la signature du pacte, l’urbanisation de la rive sud connait une croissance exponentielle. Les investisseurs et familles riches américaines, attirés par des prix attractifs, davantage de sécurité et de meilleures rémunérations, colonisent Windsor(28).

(28) Les américains achètent de plus en plus côté Canadien du fait de l’augmentation des prix de l’immobilier à Détroit. De plus, le Canada offre un meilleur taux de change du dollar et de meilleurs services (légalisation du jeu).

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À l’opposé de Détroit, Windsor soigne son centre-ville avec une approche plus européenne. Entre 1970 et 1991, les banlieues de la rive sud vont connaître un taux de développement de plus de 56%.(29) Hormis le CBD de Détroit, où sont encore installés les sièges sociaux des big three(30), le reste du centre-ville semble voué à devenir un lieu de transition entre le domicile et le lieu de travail. Les afro-américains sont dorénavant la population majoritaire de l’inner-city de Détroit, que la municipalité laisse de côté pour mieux se concentrer sur de nouveaux centres attractifs périphériques. La tension raciale, grandissante depuis les évènements de 1943, est à son point culminant. En 1967, un raid de la police dans un bar clandestin du centre, géré par des afros, dégénère : les rues de Détroit s’embrasent. Durant plus d’une semaine, de violents affrontements ont lieu dans toute la ville et il faudra l’intervention de la garde nationale pour stopper les émeutes les plus sanglantes et destructrices de toute l’histoire des Etats-Unis. Le bilan est lourd. 43 morts, 467 blessés et 2,000 bâtiments détruits. Le mouvement des droits civiques, promesse d’émancipation, ne suffirait pas à redonner confiance aux populations noires, qui verront définitivement disparaitre leur idéaux avec l’assassinat de Martin Luther King en 1968. C’est dans ce contexte chaotique que le président Johnson décida courageusement de proposer Détroit pour la candidature aux jeux olympiques d’été de 1968. En pleine guerre froide, les récentes émeutes ne devaient pas ternir l’image de la superpuissance américaine. La vidéo de propagande, Detroit, a demonstration city(31), proposée à la commission olympique, représentait une ville pleine d’effervescence, optimiste où toutes les communautés vivaient main dans la main. C’est Mexico(32) qui a finalement été retenue, et

(29) (30) (31) (32)

Windsor, à la frontière de Détroit Nom donné aux trois plus grands constructeurs automobiles américains. À voir en annexe numérique

On retiendra des jeux de Mexico le geste des athlètes Tommie smith et John Carlos, arrivés sur le podium la tête baissé et le poing levé, en référence au mouvement black power.

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Partie 1 : Détroit, De Motor-city à Notwn

le navire Détroit pouvait continuer de sombrer paisiblement. Ni l’élection du premier maire noir Coleman Young en 1973, ni le renaissance-center(33) construit à la sortie du choc pétrolier ne pourront empêcher Détroit de connaître un destin tragique. La ville qui mit le monde sur quatre-roues allait devenir ville fantôme, affublée d’un nouveau surnom : Notown.

(33) Groupe de 7 gratte-ciel dessiné par l’architecte John Portman. Le complexe appartient à General Motors qui y installe son siège social. La tour centrale, Detroit Marriott, est le plus haut gratte-ciel contentant exclusivement un hôtel du continent américain. Véritable ville dans la ville, le complexe fut créé à l’origine pour redynamiser le cœur de Détroit.

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Photographies illustrant les émeutes de Détroit de 1967. http://funnelme.wordpress.com/2011/08/07/urban-riots-detroit-1967/

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Partie 1 : Détroit, De Motor-city à Notwn

Carte représentant la séctorisation raciale de Détroit. Les points bleus représentent la population afro-américaine. http://www.dailymail.co.uk/news/article-1315078/Race-maps-America.html

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De haut en bas: La ville de Windsor et le renaissance center http://media.nowpublic.net/images//01/5/0155ef5034441269c5c99a173c96fba5. jpg http://www.internationalmetropolis.com/images/2006//927.jpg

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Partie 2 : Conditions de survie de la ville sinistrée

Partie 2 : Conditions de survie de la ville sinistrée À partir du début des années 1980, les Etats-Unis connaissent une période de récession due en partie aux différentes crises pétrolières et l’expansion des marchés asiatiques. Pour rester compétitive, l’Amérique doit augmenter sa production, réduire les couts de fabrication et s’adapter à de nouvelles demandes en matière technologique. Les industries et entreprises tertiaires se développent pour rattraper leur retard et les emplois se qualifient. Avec la signature de l’ALENA (accord de libre-échange nord-américain), en 1994, les échanges frontaliers se multiplient, ayant pour effet une migration massive des populations vers le Canada et le Mexique. Dans le Michigan, les populations migrent vers la Sunbelt, les territoires au nord et vers le Canada. Ce flux migratoire se traduit à l’échelle spatiale par un développement des villes satellites et un élargissement de la métropole de Détroit. Le territoire urbain grandit malgré le manque de moyens financiers et matériels de la municipalité. Face à ces nouveaux besoins, les pouvoirs politiques se décentralisent et les investissements, sur la base de crédit à taux élevés, se concentrent dans les zones attractives de la périphérie. Le centre-ville peut donc continuer son déclin avec davantage de rapidité puisque le budget jusqu’ici accordé à sa gestion va être réduit. Des coupes drastiques sont effectuées dans le transport, la sécurité et les services de base comme l’éducation qui ont pour conséquence la montée du taux d’analphabétisation, une hausse de la criminalité et de la pauvreté. A la fin des années 1980, la délocalisation de l’usine Chrysler de Highland Park (en centre-ville) vers Auburn Hills (à plus de 60km au nord) aura pour effet de réduire la population du quartier de ¼ et réduire le budget qui lui est accordé de 80%. Et ce scénario va se

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reproduire dans plusieurs quartiers du centre. Les familles qui en ont les moyens ont fui Détroit (ces 8 dernières années : on enregistrait à Détroit une baisse de 97% du nombre de propriétaires de maisons individuelles)(34). Les familles les plus pauvres, majoritairement noires(35), sont contraintes de rester. Elles vont survivre dans des conditions de précarité sévères, privées des emplois ouvriers délocalisés et des services municipaux de base. « Le refoulé de l’urbanisme, ce que Manhattan rejette dans le Bronx ou Paris dans les cités se trouvait ici clamé au cœur des choses »(36). En temps de crise tous les prétextes sont bons pour justifier sa survie : ainsi, commerce parallèle et magouilles les plus diverses se multiplient, chacun tentant à sa manière de récolter quelques dollars. Incendies volontaires, meurtres et trafics de drogues augmentent, alors que les effectifs policiers sont réduits dans les quartiers du centre. Au début du 20ème siècle, Détroit semble assez terrifiante pour être le lieu du chaos. Les médias la décrivent comme la ville la plus dangereuse des Etats-Unis (baptisée murder-city), qui fut choisie en 1987 pour être le lieu de tournage de Robocop, récit d’un monde apocalyptique, sanglant et désordonné. Les chiffres ci-après attestent de l’ampleur des dégâts et prouve à quel point la ville est en passe de devenir un nouveau symbole, celui de l’échec de la politique urbaine américaine. Prenant l’année 2000 en référence, mes recherches ont permis d’aboutir au bilan suivant : 416 meurtres ont été commis à Détroit-centre. 90,000 bâtiments à l’abandon ont été comptabilisés. Le taux de pauvreté y était de 29%...

(34) BINELLI M., (2012), Detroit city is the place to be, the afterlife of an American Metropolis, New-York, Metropolitan books, 336 pages (35) En 2000, 81% de la population de Détroit est d’origine afro-améri-

caine, tandis que 2/3 des quartiers de la métropole sont blancs

PAVANS J. (Janvier 2005) , Villes futures, Quelque chose de Detroit, Paris, Editions revue des deux mondes, p 109.

(36)

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Partie 2 : Conditions de survie de la ville sinistrĂŠe

Photographies du quartier abandonnĂŠ de Coleman Young airport http://www.detroiturbex.com/

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1 : La politique du Do it Yourself, un succès temporaire Selon la culture capitaliste américaine qui repose sur des investissements dictés par les marchés, si une zone géographique comme le nord-est n’est plus attractive, les flux monétaires et donc migratoires se redirigent en conséquence vers les zones de richesse, au dépens de la zone déclinante(37). Ajoutés à cela, des problèmes sociaux et politiques. L’Amérique est certes, un pays jeune qui n’est pas préparée au déclin de ses villes, mais doit-on, au regard de la situation de ces dernières décennies, se contenter d’annoncer la mort prochaine du centre de Détroit?

1.1

L’esprit communautaire comme moyen de subsistance

Lorsqu’une municipalité est trop endettée et trop corrompue pour garantir le maintien des services de base dans les quartiers qui la composent, ses habitants, livrés à eux-mêmes n’ont d’autre choix que de faire appel à leurs propres ressources. En parallèle des troubles et des violences qui font la une des médias, un mouvement d’initiatives positives plus discrètes se propage à l’intérieur des foyers de Détroit, qui permettront de prolonger sa survie. Les premières actions, sur le principe du DIY(38), se multiplient : augmentation du nombre de pompiers bénévoles, cours à

(37) La ruée vers l’or de Klondike, au Yukon, Canada, attira 100,000 prospecteurs entre 1896 et 1899. Des villes champignons comme Dawson city (comptant alors 30,000 habitants) poussèrent le long de voies ferrées et furent totalement abandonnées en 1899 lorsque de nouveaux gisements furent découverts ailleurs. (38) Do It Yourself : référence au mouvement populaire des années 1950 qui promulguait l’auto-construction de sa maison. Plus tard, ce concept sera étendu à d’autres domaines, la base restant la même : économiser de l’argent et apprendre des techniques de manière récréative.

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Partie 2 : Conditions de survie de la ville sinistrée

domicile, échanges de services, création de brigades de surveillance de voisinage…Les Détroiteurs, qui par le passé ont déjà eu à faire face à des temps durs, ne se démoralisent pas. Ces « héros », comme je le considère, tentent avec peu de moyens d’améliorer le quotidien de leur quartier, bien décidés à prendre en main leur organisation, l’avenir de leur ville. Un système d’entraide se met en place, qui permet un rassemblement communautaire de la population. Les tensions raciales semblent même un peu s’apaiser, puisque tous les habitants du centre-ville ont désormais une préoccupation commune, celle de sauver Détroit. Mais ces actions, encore trop isolées, ont besoin d’une réelle visibilité à l’échelle de la ville. En 1996, une première initiative va faire date, permettant à la société positive Détroitienne de faire parler d’elle. Tyree Guyton, artiste de Détroit, avait l’habitude de recycler et revendre des objets ramassés dans les friches industrielles et les maisons abandonnées. Il eut un jour l’idée de réutiliser certains de ces objets, pour les transformer en œuvre d’art, afin de redonner un peu de couleurs et de vie à son quartier à moitié à l’abandon et sous le joug des gangs. Les sculptures et peintures, disséminés dans son jardin et sa maison, symbolisent la diversité, dénoncent la pauvreté. Admiratifs, les voisins s’empressèrent de commander des œuvres à Tyree et commencèrent à peindre leurs maisons avec des couleurs vives. Tout le quartier s’impliquerait bientôt dans la continuation de l’œuvre, qui parviendrait au fil du temps à redonner une atmosphère chaleureuse au lieu. L’attraction locale du Heidelberg project(39) résonnera en premier lieu à l’échelle nationale puis à l’échelle internationale (50,000 visiteurs en 2010). Le lieu est aujourd’hui devenu un immense village culturel qui comporte un centre de formation, des galeries ainsi que des lieux d’hébergements. Le Heidelberg project est sans équivoque un moment marquant pour les Détroiteurs, ayant permis de redonner un peu de bonheur et de confiance aux plus démunis. Il a aussi prouvé que les Détroiteurs étaient maitres de leur destin, dans une ville en attente d’un

(39) Pour plus d’informations, je vous invite à consulter le site du projet au lien suivant : http://www.heidelberg.org/

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Photographies du Heildelberg project http://www.blogcdn.com/www.gadling.com/media/2011/07/obsessive-placesheidelberg-project.png

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nouveau visage, qui retrouvait grâce à la créativité et l’initiative de certains de ses habitants de nouvelles perspectives d’avenir. « La pauvreté dans la liberté est préférable à la soumission dans l’opulence » Ahmadou Kourouma(40). 1.2

Le retour à la nature

Le projet de Tyree Guyton, malgré tout l’espoir qu’il aura suscité auprès des habitants, est resté limité à l’échelle d’un quartier. Une installation artistique, même étendue, ne peut résoudre à elle seule les problèmes économiques et sociaux d’une ville sinistrée de plus de 370 km² ; et les Détroiteurs en ont parfaitement conscience. Il faut trouver un moyen efficace d’améliorer l’ensemble des conditions de vie de la communauté des habitants de l’inner-city, lui permettre de s’enrichir rapidement tout en préservant la liberté et l’autonomie de ses membres. Les perspectives de développement de Détroit semblent de prime-abord limitées, la moitié de ses infrastructures étant à l’abandon, avec une végétation de plus en plus envahissante. Et c’est justement dans la nature que Détroit trouvera peutêtre son salut. En 1896, en pleine crise, le maire Hazen Pingree avait mis en place le programme des angree potato patches (jardins ouvriers), pour permettre aux familles dans le besoin de posséder une parcelle agricole. Chaque parcelle de terrain inutilisée de la ville était réquisitionnée pour la plantation de fruits et légumes. Inspirés par le succès de la politique de Pingree, les habitants de la ville vont de ce fait progressivement renouer avec la tradition rurale qui précéda le développement industriel de Motor-city. D’autant plus que toutes les conditions étaient réunies pour la réussite d’un programme d’agriculture urbaine à grande échelle : en 2010, les chercheurs de l’université de l’état du Michigan(41) ont conclus « qu’une pro(40) Extrait de “En attendant les bêtes sauvages, éditions seuil, 2000, Paris (41) GALLAGHER J. ,(2010), Reimagining Detroit, opportunities for redefining an

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duction agricole importante permettrait de fournir suffisamment de nourriture pour répondre à 75% des besoins en légumes et 40% des besoins en fruits de l’ensemble de la communauté de Détroit». Bon ensoleillement, larges terrains en friches, meilleure alimentation…Le projet séduit. À la fin des années 1990, les jardins communautaires se multiplient à Détroit. Ils permettent dans un premier temps d’embellir et déstresser les gens. Chaque quartier possède bientôt son jardin, ouvert à tous les habitants qui souhaitent apprendre et participer à la production locale. Il faut noter que ces jardins sont entièrement autogérés et autofinancés par la population qui s’approprie d’elle-même les friches industrielles et urbaines sans autorisation préalable. Durant cette période, le système bureaucratique à Détroit était plus que grotesque. Pour acheter une parcelle de terrain ou une maison, il fallait patienter des mois. Les Détroiteurs, qui ne pouvaient pas attendre de mourir de faim, ont tout simplement squattés les parcelles. L’agriculture urbaine apparaît comme LA solution miracle qui pourrait permettre le redressement de Détroit. En 1997, une première ferme d’agriculture urbaine est ouverte, financée par l’église catholique romane (représentée par l’ordre des frères Capucins). Les récoltes permettent d’organiser une immense soupe populaire annuelle. Mais cette action caritative louable n’engendre aucuns bénéfices, pourtant nécessaires à la reprise économique de Détroit. Le décollage de l’activité aura finalement lieu en 2009, lorsque Majora Carter, célèbre activiste New Yorkaise, propose Détroit comme ville-pilote pour la création d’une coopérative d’agriculture urbaine autogérée de rayonnement national. L’association Detroit resource network est créée, subventionnée par les dons des principales entreprises agricoles des Etats-Unis. La même année, l’association aidera 517 jardins familiaux et 244 jar-

American city, Detroit MI, Wayne state University press, p 48

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De haut en bas: Eastern market de DĂŠtroit http://georgevutetakis.com/blog/2011/extraordinary-grains-in-historic-easternmarket/ Hantz Farming project http://www.organicnation.tv/blog/?currentPage=10

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dins communautaires à se développer(42). À la fin de la saison, selon Ashley Atkinson(43), la production de fruits et légumes à Détroit aurait atteint un pic de 150,000 kg. Pour permettre à chaque producteur de récolter le fruit de son labeur, la Capitol Hill Community Foundation et le gouvernement du district de Columbia vont s’associer pour faire revivre le célèbre Eastern market, marché couvert historique de la ville, dévasté par un incendie en 2007. L’agriculture urbaine de Détroit a maintenant un point de repère visible, qui attire la population de toute la métropole et bientôt de tout l’état, à la recherche de produits frais, locaux plutôt que ceux issus de la production de masse. Le marché profite à l’ensemble de la ville et surtout du quartier, où activités commerciales et projets de rénovations urbaines s’accroissent. Le succès de l’Eastern Market va inspirer de nombreux Détroiteurs, conscients de la richesse potentielle que peut engendrer une production agraire massive, dans une ville où l’achat de larges parcelles est peu onéreux. La même année, John Hantz, un businessman local, crée un raz-de-marée médiatique en annonçant sa volonté de devenir propriétaire de centaines de terrains abandonnés, qu’il souhaite transformer en gigantesque ferme urbaine. Le projet séduit la municipalité mais pas les habitants, qui voient d’un mauvais œil l’implantation d’une ferme commerciale de grande envergure. Si John Hantz promet de fournir emploi et salaire aux Détroiteurs, il ne garantît aucunement d’aider la communauté en redistribuant les bénéfices de sa production. Après des débats virulents, la vision de Hantz ne sera finalement que partiellement réalisée, loin de la plus grande ferme urbaine du monde qu’il avait promis. Avec l’essor des fermes urbaines, la ville de l’automobile semble enfin vouloir renaître de ses cendres. Mais il est préférable d’éviter toute conclusion hâtive. Détroit est une ville de la démesure et son passé a prouvé qu’il était dangereux d’orienter son destin autour

(42) GALLAGHER J. ,(2010), Reimagining Detroit, opportunities for redefining an American city, Detroit MI, Wayne state University press, p 51 (43) À la tête de l’organisation the Greening of Detroit

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d’une seule activité. L’agriculture urbaine, qui présente par ailleurs certaines limites (production saisonnière, coût élevé de décontamination des sols), ne peut être le seul remède aux maux de Détroit. Des centaines de John Hantz et de jardins communautaires ne suffiraient pas à combler les 107 km² de terrains encore à l’abandon. Détroit est un donut et une mixité des usages assurera une amélioration à long terme du centre-ville.

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2 : Les bénéfices involontaires de l’usage des médias sur le développement culturel et artistique de Détroit L’agriculture urbaine est un premier pilier de la nouvelle structure de Détroit, encore instable. Pour ne pas compromettre sa santé fébrile, il est préférable de ne pas risquer de miser encore sur l’industrie, qui continue son éternelle ascension vers le bas (l’entreprise Général Motors a annoncé sa faillite en 2009). Pourquoi dans ce cas ne pas suivre le modèle de New York, et investir dans l’art et la culture(44) ? Plus proche encore que la grosse pomme, la ville de Windsor, sur la rive sud, est un formidable exemple de mixité culturelle. La force de son centre-ville repose sur une proximité de l’art avec le piéton et des rues thématiques (little Italy), qui encouragent la mixité sociale et permettent de mettre en avant les richesses culturelles. Windsor soigne son centre-ville, qui plus est doté du plus gros Casino du Canada. Ce n’est pas pour rien que pour le festival de la liberté de 2006, 70% des animations se déroulent à Windsor contre 30% à Détroit(45). L’inner-city ne possède ni les infrastructures, ni la qualité culturelle qui lui permettent d’attirer les touristes. Preuve en est : la même année, la majorité des réservations hôtelières pour le super bowl XL ont été enregistrées à Windsor, alors que le championnat avait lieu sur le sol Américain. Les médias semblaient pourtant avoir bien travaillés : publicités et animations au budget faramineux montraient au reste du monde que Détroit, dans une Amérique qui allait subir de plein fouet la crise des subprimes, avait renoué avec la croissance. Sans doute pour ne pas perdre la face, les rues de Motown(46) -revalorisées pour l’occasion-furent utilisées pour la promotion des nouveaux

(44) En 1992, 56% des immigrés New-Yorkais ont choisi la ville pour son offre culturelle et sa mixité. Ville et société urbain aux Etat-Unis. (45) MILHAUD O., (2001), Windsor, à la frontière de Détroit, géographie des relations, mémoire de géographie, université Jean Moulin, Lyon III (46) Surnom donné à Détroit

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modèles automobiles issus des chaînes de fabrication de Détroit, qui annonçaient la couleur : proudly built in America ! Mais les journalistes dépêchés sur place n’étaient pas dupes, le vrai visage de Détroit était celui d’une Amérique en déclin, submergée par des décennies de problèmes non résolus. Avec le Superbowl et le salon de l’automobile, les rumeurs d’une ville en ruine, qui peine à se relever, grandissent dans le monde de l’information, et s’étendent bien au-delà des frontières du continent. Reportages et documentaires se succèdent, l’audimat étant assuré avec une histoire aussi dramatique et croustillante que celle de Détroit. Les Détroiteurs en seront ravis… Les médias sont une source d’informations qui, lorsqu’ils sont utilisés de manière malsaine par les pouvoirs politiques, permettent de remodeler la vérité. On se souviendra par exemple du film Robocop qui utilisa les rues de Détroit comme lieu de tournage d’un monde apocalyptique ou bien encore de la diffusion à répétition des vidéos amateurs montrant des scènes de violence sur les principales chaînes de la télévision nationale américaine. Mais parfois, l’usage des médias peut engendrer des bénéfices involontaires.

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Vue aérienne du casino de Windsor http://www.aerialpics.com/B/casinowindsor.jpg

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1.1

La ruine, une richesse possible ?

Installé confortablement devant son téléviseur, le spectateur lambda observe paisiblement le spectacle de Détroit en ruine. Les images de friches industrielles, de maisons à l’abandon se succèdent. Comme par exemple le reportage Detroit : la faillite d’un symbole-réalisé par France 5 en 2012-, qui met davantage en avant le paysage abandonné que les initiatives communautaires. Bien évidemment, la friche n’a pas seulement un effet négatif sur celui qui la regarde. Chez certaines personnes, dont je fais partie, la ruine a un pouvoir d’attraction étrange. La friche industrielle, mystérieuse et interdite, appelle à son exploration. Lieu de vide, elle est aussi un lieu de possibilités et de libertés infinies pour les adeptes de l’exploration urbaine et les artistes. Selon Pierre Dejonquères, « dans la friche tout est permis […] droit absolu de se retirer du monde balisé […] pourri d’ennui qui fait l’ordinaire. »(47). Constamment à la recherche d’un espace de liberté, hors de contrôle, les artistes voient Détroit comme un nouvel Eldorado, là où l’échec politique a laissé place à l’autogestion et le retour à une vie plus essentielle. La première invasion artistique et culturelle de Motown a lieu à la fin des années 1980. Des photographes américains et européens se pressent à Détroit pour immortaliser les friches et s’adonner à leur exploration, espérant avoir le meilleur cliché de rouille ou de débris. La plupart des photos mettent en valeur l’esthétique de la ruine, sans réel sujet sérieux. Cette catégorie d’amateurs, largement accueillie par les Détroiteurs à leur arrivée, ne sera bientôt plus perçue d’un si bon œil, car elle va théâtraliser la ruine et faire perdurer l’image négative que les habitants tentent pourtant de dépasser. Une ruée de photographes envahit Détroit, des excursions photos sont organisées pour les touristes, et un mouvement photographique est désigné, le ruin porn, qui compte aujourd’hui de plus en plus d’adeptes avec à leur tête les français Yves MARCHAND et Romain MEFFRE, rendu célèbres par

(47) Pierre Dejonquères, sylvain Marcelli, tout doit disparaître, édition inventaire/ invention, 2005, 83pages

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leurs extraordinaires photos prises de Détroit à la chambre. Pour ma part, le seul reportage photographique digne d’être cité est celui du photographe américain d’origine chilienne Camilo José Vergara. Au début des années 1980, il parcoure les Etats-Unis pour réaliser une série de clichés sur les nouveaux ghettos américains. Lorsque son destin croise celui de Détroit, Vergara sera fasciné par l’immensité de la ruine de Détroit, et l’impossible réussite de toute politique traditionnelle. Pour lui le capitalisme Américain semble déjà déchu à Détroit, dont les temples en ruine seraient, selon lui, comme l’annonciation du futur des villes qui ont suivi le modèle d’urbanisation des Etats-Unis. Il aura la vision utopique de transformer Détroit en immense musée à ciel ouvert, une acropole dont les vestiges raconteraient l’histoire du monde industriel. Placée au centre de l’Acropolis, le Parthénon de Vergara serait la Michigan central station(48). Le mouvement de photographes de cette période est aujourd’hui accompagné par le mouvement des Doers, convaincus que Détroit serait le « wild west » (49)de la créativité. Ils viennent de toute l’Amérique pour aider Détroit avec leurs meilleures armes : l’art et la culture. Principalement jeunes, les Doers ont choisi d’élire domicile à Détroit pour peindre, écrire où y jouer de la musique. Plus libre, plus sauvage que les autres, la ville offre un potentiel d’avenir plus intéressant pour des individus las de la société capitaliste qui soutiennent le mouvement occupy. D’après Tony Goldman, responsable de la gentrification de SOHO à Manhattan, Détroit, si elle continue dans cette voie, serait en passe de devenir le futur SOHO.

(48) Gare centrale du Michigan, conçue en 1913, par la même firme qui dessina la gare centrale de New York. En activité jusqu’en 1988, la gare sera plus tard le symbole de la ruine de Détroit. (49) MANDRAY N. et BIENVENU H., (Mai 2012), À détroit, ils réinventent l’American Dream ! Revue Glamour N°98

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Photographie de La gare centrale du Michigand de Détroit MARCHAND Y. MEFFRE R., (2011), Detroit, vestige du rêve Américain, Paris, editions Steidl, 230 pages

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“The only serious competitor to urban farming as saving Detroit story was (…) artists. Because Detroit was the new Brooklyn (...) they came to Detroit from Europe because Detroit was the next berlin”(50)

1.2

N’en fait pas tout un cinéma

Parmi les Doers qui repeuplent tranquillement le centre-ville, j’ai omis de parler des nombreux réalisateurs en herbe qui ont la chance à Détroit d’avoir d’immenses décors librement accessibles pour s’adonner au 7ème art. Après tout, avec des locaux vides gigantesques, la proximité du paysage rural et une présence artistique accrue, Détroit ne pourrait-elle finalement trouver son salut grâce au cinéma, en devenant le Hollywood du Midwest ? Loin d’être une hérésie, cette idée nouvelle très sérieuse est en ce moment à l’étude, c’est tout du moins la dernière en date que j’ai pu trouver au travers de mes recherches comme projet d’ampleur de revalorisation du centre. Les plus grandes sociétés de production américaine se bousculent à Détroit depuis 2011, date à laquelle le gouverneur annonça qu’il baisserait les taxes sur les industries du cinéma qui s’implanterait au Michigan. En 2012, la société de production Raleigh va par exemple investir 120 millions de dollars dans l’achat d’équipements et d’immeubles à Détroit, couvrant une surface de 48,000 m². Depuis le début des années 2000, de nombreux films ont été tournés à Motown, dont Red Dawn, remake d’un film de propagande de Reagan des années 1980 qui montrait une Amérique triomphante face aux soviétiques. Si j’ai choisi ce film, c’est parce qu’il fait l’apologie du super-héros qui parvient à libérer

(50) BINELLI M., (2012), Detroit city is the place to be, the afterlife of an American Metropolis, New-York, Metropolitan books, 336 pages

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l’Amérique d’une invasion communiste chinoise. Et c’est à Détroit que le super-héros triomphera de ses ennemis, comme si les Américains cherchaient à retrouver l’image forte qu’ils avaient perdus, où qu’ils préféraient ne pas regarder le vrai visage des Etats-Unis à l’heure actuelle : un pays en pleine crise, cherchant un nouveau Départ, de nouveaux symboles. Le déclin de Détroit n’est que le début du naufrage et comme nous allons le voir, c’est justement dans la ville où le rêve américain est né puis mort qu’il parviendra peut-être à se réinventer.

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Illustration représentant Obama, de l’artiste Aislin pour la Gazette de Montréal, 2008

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Partie 3 : Détroti, laboratoire d’une Amérique qui se réinvente

Partie 3 : Détroit, laboratoire d’une Amérique qui se réinvente

En 2011, le cumul des dettes publiques s’élevait à 2000 milliards de dollars, n’épargnant aucun état (Stockon, la 13ème ville de Californie, a récemment déposée le bilan).(51) Arrivé au pouvoir en pleine récession, Barack Obama, premier président afro-américain des Etats-Unis, avait la lourde tâche de redresser le pays pour lui redonner toute son énergie et sa suprématie. Promoteur du « yes we can », issu d’une campagne basée sur l’optimisme, il est aujourd’hui devenu, après sa réélection le leader du « no you won’t », avec en trame de fond la volonté de sauvegarder les acquis progressistes et limiter la casse. Depuis le début du 20ème siècle, l’Amérique comme nous l’avons vu, sait s’inventer des super-héros. Obama en fusse-t-il un, sa mission s’annonçait déjà difficile, et semble le devenir de plus en plus. Car au-delà d’une crise financière, les Etats-Unis connaissent aussi des bouleversements sociaux sans précédents. La nouvelle Amérique s’oppose au conservatisme, aux baby-boomers(52) élevés avec la culture de l’automobile et de la maison familiale de banlieue, piliers de de l’American Dream. Obama va devoir gérer ces deux facettes de la société en conflit

(51) FRERICHS-CIGLY M. (Juin 2012), La ville de Stockon, Californie, est en faillite, luxe Radio Maroc (52) La première utilisation du terme baby-boomer fut utilisée par le quotidien américain The Bennington banner,en décembre 1977

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au cours de son nouveau mandat pour peut-être parvenir à unifier une population hantée par les démons du racisme, des armes à feu et des « gated communities.»(53)

Photographie de Guillaume Gaudet pour le courrier international n)1144

(53) MANGIN D.(2004), Privatopia, Paris, la ville franchisée p223-226

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Pärtie 3 : Détroit, laboratoire d’une Amérique qui se réinvente

1 : Le lifting du rêve américain Les principaux magazines et journaux de la presse américaine ont une actualité redondante ces derniers temps. Tous dressent le portrait d’une Amérique qui veut se réinventer après la crise, en panne de réussites individuelles marquantes. Autrefois florissante, la classe moyenne a maintenant la tête sous l’eau. Il est de plus en plus fréquent de voir se multiplier caravanes et camping-cars sur les parkings de supermarchés, abris des familles surendettés abusées par la tromperie de l’American way of life et du consumérisme poussé à son paroxysme. De Détroit à Las Vegas, la pauvreté urbaine grandit. Le cas de Vegas, où les paillettes se mélangent désormais avec la boue, est d’ailleurs tout aussi intéressant que Détroit. La ville qui s’est bâtie autour de l’entertainment et du tourisme de masse n’attire plus. Son taux de chômage, de14%, est celui le plus élevé du pays, avec un taux de suicide proche de 20%. La propagation de cette pauvreté urbaine s’explique principalement par la décentralisation du pouvoir politique. Trop de municipalités, comme Détroit, ont fait le choix de développer leur couronne périphérique en encourageant la propagation des banlieues pavillonnaires et des edge-cities. Un pouvoir politique étalé, dans un état fédéral qui encouragea l’autonomie économique de ses villes satellitaires, n’aura eu pour conséquence que de renforcer la distanciation entre ville centre et métropole, ainsi que la concurrence entre ces micro-cités. Plus le territoire d’une ville augmente, plus il devient difficile de le gérer. Et les exemples de faillites municipales regorgent, répercussions de grands projets urbains ratés, financés par des emprunts privés risqués. Stockon, à 135 km de San Francisco, a aujourd’hui 700 millions de dettes. Obligé d’intervenir, l’état Américain va devoir rembourser une partie de cette somme en puisant dans ses réserves.

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Carte représentant les différents taux de pauvreté aux Etats-Unis http://www.cdc.gov/pcd/issues/2007/oct/images/07_0091_05.gif

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Pärtie 3 : Détroit, laboratoire d’une Amérique qui se réinvente

« Faîtes un tour en voiture dans n’importe quelle banlieue américaine excentrée et vous verrez des centres commerciaux vides, entourés de parkings déserts. Ces monuments au krach boursier ne vont pas repartir à la vie. Même si l’économie repart. Car la demande de logements qui soutenait l’activité de ces banlieues ne reviendra pas non plus. » christopher Leinberger(54) Pour espérer résoudre une partie de ses problèmes politiques, sociaux et économiques, L’Amérique n’aura pas d’autre choix que de concentrer ses systèmes politiques, et réduire l’étalement urbain pour redynamiser le centre de ses villes. Une aspiration urbaine plus européenne est préférable pour les Etats-Unis, dont la société est en pleine mutation. La jeunesse américaine d’aujourd’hui, bercée par la technologie et qui préfère les déplacements à vélo(55), exigera demain un lieu de vie correspondant à ses besoins. Selon une enquête réalisée en 2007 par le cabinet immobilier RCLCO, 43% des 15-30ans préféreraient vivre dans une banlieue proche du centre où les logements sont plus petits et le besoins de voiture moindre. Les besoins de cette génération doivent être pris en compte dans les politiques de rénovation et de revalorisation des centre-ville, car c’est elle qui risque de redéfinir le rêve américain. Avec Détroit, le pays dispose d’un immense laboratoire pour cette nouvelle société en devenir, puisque que l’orientation de la ville n’est pas encore décidée. Le développement de l’agriculture urbaine, le verdissement de ses rues et des projets culturels ont par ailleurs confirmés qu’une ville qui s’adapte à ce changement sociétal a toutes les chances de redevenir un pôle attractif majeur. En 2010, la population éduquée de moins de 35 ans a progressé de 59%. En 2012, ce chiffre a encore progressé de 25%(56). Le choix des Doers et artistes de coloniser Détroit est le signe que la ville de l’au(54) THOMPSON D. et WEISSMANN J., (Octobre 2012), La voiture et la banlieue, c’est bon pour les vieux, Courrier international n°1144 p18 (55) À New York, un premier système de vélo en libre-service a vu le jour en 2012. (56) BINELLI M., (2012), Detroit city is the place to be, the afterlife of an American Metropolis, New-York, Metropolitan books, 336 pages

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tomobile doit continuer les efforts de rajeunissement de son centre, au travers de projets audacieux. Mais son véritable envol aura lieu uniquement lorsque la ville trouvera enfin une organisation géographique et politique commune pour toutes les entités qui composent son territoire.

1.1Vers un juste redimensionnement de la ville

Pour l’instant, le centre-ville qui concentre les principaux projets de développement et la couronne périphérique Détrotienne sont toujours deux entités distinctes, gérées par des administrations autonomes. Il est primordial d’uniformiser l’ensemble du territoire de la métropole pour amoindrir les disparités entre les différents quartiers et réduire la sectorisation spatiale qui fut lourde de conséquences pour Détroit. Pour garantir une meilleure distribution des services publics et un renouvellement urbain qui soit profitable à l’ensemble des Détroiteurs, les pouvoirs politiques n’ont pas d’autre choix que de s’unifier pour réfléchir à la reconnexion de la banlieue et du centre. L’intégration urbaine de tous les quartiers exige des moyens considérables, il faut donc se concentrer sur les espaces de passage, à égale distance de l’inner-city et des edge-cities. Contrairement à la théorie selon laquelle Détroit rétrécirait, la ville a gardé la même surface. Elle cherche plutôt à recentrer sa population pour limiter l’étalement urbain. L’idée est de réfléchir à l’intégration urbaine des quartiers en bordure du centre, entre-deux nécessaire pour la reconnexion intra et extramuros. En 2010, le maire Dave Bing a présenté sa politique de rightsizing, qui aide les populations des zones sinistrées à déménager vers les zones intermédiaires à densifier. Le programme de revitalisation de Woodward avenue, au nord du centre-ville, a ainsi bénéficié d’un apport monétaire municipal et fédéral significatif (29%) pour sa mise en application.

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Pärtie 3 : Détroit, laboratoire d’une Amérique qui se réinvente

D’autre part, Bing a plus récemment déclaré le lancement du projet 14, qui propose de réhabiliter les maisons abandonnées de l’entre-deux pour loger les policiers, espérant ainsi augmenter les forces de sécurité autour du centre-ville. Mais la plus intéressante proposition politique fait partie d’un projet gouvernemental à plus grande échelle, le plan 15x15, proposé par le gouverneur Snyder. L’initiative live Midtown, partie du programme, encourage financièrement les jeunes Détroiteurs talentueux à se reloger en banlieue proche et dans les quartiers en rénovation du centre. Snyder espère 15,000 nouveaux résidents de moins de 35 ans pour Détroit en 2015. Ce programme encourage aussi les micros entreprises à investir dans les territoires en repeuplement, qui bénéficieront d’un taux de taxation réduit et de subventions gouvernementales. Le rightsizing est une entreprise politique périlleuse qui, si elle fonctionne, permettra d’uniformiser les quartiers de Détroit au sein d’une seule métropole. Elle pourrait devenir, si Détroit continue son accroissement démographique, la troisième ville des Etats-Unis, après New York et Los Angeles, avec un peu plus de 4 millions d’habitants à l’heure actuelle, toutes zones comprises.

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Carte des projets en cours

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2 : La ville américaine de demain Détroit est un champ expérimental immense pour l’ensemble des Américains. Tous les yeux sont aujourd’hui rivés vers Motor-city, qui semble définitivement vouloir enterrer sa douloureuse histoire. Elle est un cas d’étude pour de nombreux étudiants en architecture de prestigieuses universités comme Harvard. L’American istitute of Architects y développe actuellement un concept novateur de villages urbains. Un acteur politique majeur de Détroit parle d’elle comme du futur centre mondial de production agricole biologique. Les plus grands gratte-ciel sont réhabilités pour accueillir commerces, sociétés de production cinématographiques et start-ups… Détroit est sans aucun doute LA ville qui réinventera l’urbanisme Américain de demain. Mais ce succès reste à mesurer sur le long terme. Les Etats-Unis font toujours face à une crise sévère et tous les problèmes ne sont pas encore résolus à Détroit. La confiance des habitants d’une ville qui a connue toutes les répercussions de l’échec du système politique sera dure à reconquérir. Une chose est sure, la communauté de Détroit est un acteur majeur du changement sociétal. Les Détroiteurs, rassemblés par la méfiance à l’égard du système et la volonté de sortir de l’individualisme capitaliste, réinventent un rêve américain plus authentique, dont la structure repose désormais sur la liberté, l’entraide et le partage des ressources. Espérons que ce modèle de société saura perdurer une fois le redressement total de la ville accompli, sans retomber dans la recherche exclusive de profits où la confiance aveugle envers le pouvoir politique qui causa déjà plusieurs fois sa perte. Car si Détroit devait de nouveau être confrontée à une dépression majeure, parviendrait-elle à y survivre encore ?

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Conclusion

Conclusion L’orientation de mon travail autour de la ville de Détroit a été une merveilleuse occasion de traiter un sujet qui me tient depuis longtemps à cœur, les friches industrielles et la ruine dans le paysage urbain. Et cet exemple m’a permis de confirmer certaines intuitions que j’avais eu au cours du précédant travail écrit, présenté pour l’obtention de la licence. A savoir que ces lieux ont un potentiel extraordinaire et que l’architecture peut jouer tantôt un rôle de préservation de la mémoire collective, tantôt un rôle d’oubli(57). Qui plus est, l’espace bâti abandonné, au regard de Détroit, peut, selon le cas, s’avérer plus utile à la revalorisation d’une ville qu’un nouvel espace bâti.

Ce mémoire m’a par ailleurs permis, au fil des recherches, de sortir des préjugés que je me faisais de la société Américaine. Je trouve que la rapidité à laquelle sont prises les décisions urgentes, l’esprit communautaire de sa population et un constant positivisme sont des exemples à suivre. Notamment dans notre Europe vieillissante et plus particulièrement en France, où lenteur dans les décisions, individualisme et règlementation de la liberté sont de bon ton.

(57) Voir WEINRICH, H., (1999) Léthé, art et critique de l’oubli, Paris, éditions Fayard, 313 pages

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http://img1.etsystatic.com/005/0/6387441/il_fullxfull.387645821_o1g9.jpg

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Annexes

Lexique

Bibliographie

Table des matières

Remerciements

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Lexique Strip

Middle landscape

Voie commerçante à l’usage presque exclusif des voitures et où les enseignes publicitaires sont grandes et nombreuses ; les architectes et les urbanistes ont porté un nouveau regard sur le strip à la suite des travaux de Robert Venturi et de Denise S.Brown menés à Las Vegas.

Terme introduit dans les années 50 par l’architecte paysagiste Peter G. Rowe pour parler des paysages intermédiaires, de transitions entre le paysage rural et le paysage urbain.

Parkway Ancêtre de l’autoroute urbaine qui faisait l’objet d’un traitement paysager et qui permettait au citadin de se promener dans la nature

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Urban sprawl Terme anglais utilisé pour désigner le phénomène d’étalement urbain d’une ville en dehors de sa limite historique. Edge city noyau urbain situé à la périphérie d’une métropole. Pour Joel Garreau, une edge city doit rssembler au moins 500,000 m² de bureaux, 60,000 m² de commerces, et réunir l’ensemble des fonctionsn perçues comme constitutives d’une centralité d’agglomération.

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Central business district

Rightsizing

Désigne depuis les années 1930 le secteur des affaires de la ville-centre de la métropole . Il se reconnait à son skyline

Politique mise en place par le Maire Dave BING qui repose sur le repeuplement des quartiers autour du centre de Détroit, pour maximiser l’espace habitable.

Gated communities Enclave résidentielle regroupant des maisons individuelles et des maisons de ville ainsi que des équipements de loisirs dans un espace protégé et délimité. Inner city Quartier central où vivent généralement des populations délaissées par tout ceux qui sont partis en banlieue.

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Bibliographie

Bibliographie Ouvrages et articles de revues en langue française : BREVILLE B. et HALIMI S., (octobre 2012), Où va l’Amérique ?, Manière de voir n°125 DUBAS S., (8 juin 2012), La 13ème ville de Californie dépose le bilan, Le temps FRERICHS-CIGLY M., (Juin 2012), La ville de Stockon, Californie, est en faillite, luxe Radio Maroc FRIEDMAN T-L., (Novembre 2012), Une seconde chance pour Obama, Courrier international n°1149 GHORRA-GOBIN, C., (2003), Ville et société urbaine aux États-Unis, Paris, éditions Armand Colin, 192 pages HARRIS F., (novembre 2012), Les africains-Américains laissés pour compte, Courrier international (hors-série) MANGIN D., (2004), La ville franchisée, formes et structures de la ville contemporaine, Paris , éditions de la Villette, 398 pages MANDRAY N. et BIENVENU H., (Mai 2012), À détroit, ils réinventent l’American Dream ! Revue Glamour N°98 MARCHAND Y. MEFFRE R., (2011), Detroit, vestige du rêve Américain, Paris, editions Steidl, 230 pages MILHAUD O., (2001), Windsor, à la frontière de Détroit, géographie des relations, mémoire de géographie, université Jean Moulin, Lyon III

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PAVANS J. (Janvier 2005) , Villes futures, Quelque chose de Detroit, Paris, Editions revue des deux mondes, pages 107 à 114 POPELARD A. et VANNIER P., (janvier 2010), Détroit, la ville américaine qui rétrécit, Le monde diplomatique THOMPSON D. et WEISSMANN J., (Octobre 2012), La voiture et la banlieue, c’est bon pour les vieux, Courrier international n°1144 VENKATESH, S., (novembre 2003), Fin des « villes chocolat, banlieue vanille » américaines, Le monde diplomatique WEINRICH, H., (1999) Léthé, art et critique de l’oubli, Paris, éditions Fayard, 313 pages

Ouvrages et articles de revues en langue anglaise : BINELLI M., (2012), Detroit city is the place to be, the afterlife of an American Metropolis, New-York, Metropolitan books, 336 pages BOGGS G-L.,(2009), Detroit, city of hope, Buiding a sustainable economy out of the ashes of industry, These times revue CLEMENS P., (2006), Made in Detroit, a memoir, New-York, Anchor books edition, 256 pages GALLAGHER J. ,(2010), Reimagining Detroit, opportunities for redefining an American city, Detroit MI, Wayne state University press, 163 pages MARTELE S., (2012), Detroit, a biography, Chicago ILL, Chicago press review, 304 pages MOORE A., (2010), Detroit disassembled, Akron, Akron art museum and Damiani editore, 127 pages NUTTING J., (2008), Redevelopment capacity in the city of Detroit, Semcog entreprise

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Bibliographie

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Reportages et films à Detroit :

BRADLEY D., (2012), Red Dawn, MGM, 93 minutes CHENU G. et JOLY F., (24 novembre 2011), L’Amérique en faillite, Envoyé spécial, France 2 productions, 29 minutes DEROUET T. et BARBE N., (20 novembre 2012), Le monde en face : Detroit, la faillite d’un symbole, Bonobo productions pour France 5, 52 minutes HANDY J., (1965), Detroit: city on the move, City of Detroit production, 16 minutes HANSON C., (2002), 8 mile, Universal Studios, 110 minutes INCONNU., (2009), Death of Detroit-USA, Journeyman pictures, 22 minutes LEDUFF C., (2009), Detroit 09’, the movie, Max Ortiz, 25 minutes SIEGEL L., (2009), Behind Detroit’s notorious ruins, Siegel Logan’s production for Life magazine, 4 minutes TARKOVSKY A., (1979), Stalker, Kino international, 155 minutes TILLON F., (2010), Detroit, ville sauvage, Ego production, 80 minutes VERHOEVEN P., (1987), Robocop, Orion pictures, 102 minutes

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Ressources en ligne :

France :

http://www.lemonde.fr/ http://www.monde-diplomatique.fr/ http://www.courrierinternational.com/

Amérique du Nord :

http://www.ledevoir.com/ http://www.freep.com/ http://www.detroitnews.com/ http://www.detroitmi.gov/ http://www.positivedetroit.net/ http://www.detroityes.com/mb/atdasd_headlines.php http://www.time.com/time/ http://www.detroiturbex.com/ http://www.aia.org/

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Table des matières

Table des matières

Préambule 6

Introduction

Partie 1 : Détroit, de Motor-city à Notown

10

1 : De la grandeur

14 15

1.1 Création et expansion de la ville

15

1.2 Le 19ème siècle : le miracle de l’industrie

17

1.3 Détroit et le Fordisme

23

1.4 Le coeur industriel du pays

27

2 : À la décadence

29

2.1 La grande dépression

29

2.2 La déconcentration urbaine ou le

31

déclin du centre-ville de Détroit, une conséquence

directe du changement sociétal

86


Detroit, de la grandeur à la décadence: symbole d’une amérique en Mutation?

2.3 Les forteresses modernes comme

aboutissement de la politique privative

et de la ségrégation spatiale

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Partie 2 : Conditions de survie de la ville sinistrée

46

49

1 : La politique du Do IT Yourself, un succès temporaire

1.1 L’esprit communautaire comme moyen

de résistance

1.2 Le retour à la nature

2 : Les bénéfices involontaires de l’usage

des médias sur le développement culturel

et artistique de Détroit

1.1 La ruine, une richesse possible ?

87

49

52

57

60


Table des matières

Partie 3 : Détroit, le laboratoire d’une Amérique qui se réinvente

66

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1 : Le lifting du rêve Américain

1.1 Vers un juste redimensionnement de la ville

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2 : La ville Américaine de Demain

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Conclusion

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Lexique

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Bibliographie

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Table des matières

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Remerciements

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Detroit, de la grandeur à la décadence: symbole d’une amérique en Mutation?

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Remerciements

Remerciements

Je tiens à remercier Luc Pecquet, mon professeur référant, pour son assistance et sa disponibilité au cours de l’élaboration de mon mémoire. Je tiens aussi à remercier tous les enseignants de l’ENSASE qui ont pu m’apporter leur soutien durant cette dernière année de recherches. Merci également à Peter Jacobs, professeur d’architecture de l’université de Montréal, et Dan Pitera, directeur du Detroit collaborative Design Center pour leur aide précieuse J’adresse d’autre part mes remerciements les plus profonds à toutes les personnes de Détroit que j’ai pu rencontrer ou avec lesquelles j’ai pu entrer en contact Ce mémoire n’aurait pas pu être écrit sans la participation de toutes les personnes qui m’entourent ou que j’aurais oublié de citer, merci à vous tous.

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http://www.detroiturbex.com/

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http://www.detroiturbex.com/

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Les Etats-Unis sont en pleine mutation. Problèmes économiques, sociaux et politiques, trop longtemps passés sous silence, explosent aujourd’hui, entraînant le naufrage du rêve Américain. Cette crise sociétale trouve une traduction spatiale, dans des villes où l’urbanisme périphérique, la conception urbaine à l’échelle de la voiture n’ont fait qu’augmenter les disparités territoriales. Parmi les métropoles les plus douloureusement atteintes, Détroit, fleuron historique de l’industrie automobile, fait figure de symbole. Victime de l’échec des politiques urbaines successives et d’un étalement urbain sauvage, la ville qui mit le monde sur quatre roues est désormais une immense friche qui semble vouée à disparaitre. Mais est-il raisonnable de tirer des conclusions trop hâtives ? L’étude de différents projets significatifs de ces dernières décennies prouve au contraire que les habitants de Détroit, loin d’avoir abandonnés la lutte pour leur survie, se sont organisés et rassemblés pour reconstruire leur territoire. De l’agriculture urbaine à la promotion de l’art dans la rue, tout porte à croire qu’une nouvelle société plus égalitaire, plus responsable de son devenir est au contraire en train d’émerger. Dans une ville où tout est à repenser, la place accordée à la liberté et l’exploration est infinie. L’immense laboratoire urbain que représente Détroit ne pourrait-il pas devenir le futur modèle de ville qui réinventera le rêve Américain ? « Real thinks happen in Detroit! » Amanda, responsable de la communication au sein du Heidelberg project


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