2011#FLAMMIN Hugo
LES FRICHES INDUSTRIELLES EUROPテ右NNES DE NOUVEAUX TERRITOIRES POUR LA CULTURE
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Les villes portent les stigmates des ‘‘ passages du temps, occasionnellement les promesses d’époques futures. ’’
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MARGUERITE YOURCENAR
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TABLE DES MATIÈRES
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Dans quelle mesure les occupations illégales de friches industrielles
permettent-elles de contribuer à la rénovation urbaine des quartiers ?
Avant-propos........................................................................................................................ 9-10 Introduction.........................................................................................................................13-14 1#La valeur de la friche industrielle dans l’espace ubain...............................17-24 1.1 L’industrialisation des villes : un choix stratégique contestable..........................17-19 1.2 Les répercussions de la mise en friche de l’industrie sur le territoire................ 19-20 1.3 Symboliques et représentations de l’espace industriel abandonné................... 21-24
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#De l’appropriation à l’occupation : le rôle de la culture alternative dans la transformation et la redéfinition du lieu............................................................. 27-38
2.2 De l’individu au collectif : le lieu comme support d’expression et de rassemblement communautaire............................................................................................................. 29-34 2.3 L’acceptation du collectif par le quartier : l’opportunité de justifier un possible engagement de la municipalité................................................................................35-38
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2.1 L’occupation : un acte revendicatif........................................................................ 27-28
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3# L’engagement de l’état envers les collectifs : une assurance de durabilité conditionnée......................................................................................................................... 41-46 3.1 Le collectif légitimé : la promesse d’un positionnement durable de la culture alternative dans l’espace urbain...................................................................................... 41-44 3.2 L’entente : une possibilité sporadique.................................................................. 44-46
conclusion......................................................................................................... 49-50 Bibliographie....................................................................................................................53-54
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synthèse personnelle......................................................................................................57-58
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AVANT-PROPOS
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Rêveur de nature, j’ai toujours eu la fâcheuse tendance à préférer déambuler plutôt que marcher. Je considère chacun de mes trajets à pied comme une occasion de développer mon imaginaire et ma curiosité. J’essaye toujours d’animer celui-ci de rencontres ou de mise en situation inhabituelles. La ville a pour moi l’apparence d’une immense scène théâtrale où tout est possible, et où chaque habitant devient acteur et possède un rôle à jouer. En tant qu’étudiant en architecture, j’accorde nécessairement un regard attentif au décor de ce théâtre : l’espace bâti. Il s’avère que ce décor est riche et diversifié, mélange de différentes époques et traduction spatiale de besoins. Cette pluralité est essentielle car chaque bâtiment possède une histoire singulière liée à un contexte historique particulier. À travers chaque mur résonne ainsi l’écho de vies passées. C’est pourquoi il me semble important de considérer avec attention chacune des entités qui composent le décor des villes, de la plus ancienne à la plus récente, avant de s’engager dans un processus de renouvellement urbain et de transformations. « Ainsi, durant les six mille premières années du monde,[...], l’architecture a été la grande écriture du genre humain. » Victor Hugo En habitant St Etienne, une ville en pleine mutation, j’ai pu me rendre compte que les transformations du territoire pouvaient être rapides et qu’elles modifiaient de façon visible les repères spatiaux des citadins. Le renouvellement de l’espace urbain passe en effet par la réhabilitation d’ensembles construits ou à l’inverse, par leur démolition, qui permet de récupérer des terrains constructibles dans des zones saturées par une importante occupation des sols. Naïf, j’ai longtemps considéré que seules les constructions nobles ou liées à l’institution méritaient d’être conservées. Je n’attachais pas réellement d’importance à la disparition ou la requalification de bâtiments quelconques. Ce n’est qu’en 2000 que j’ai finalement pris conscience des répercussions que pouvait engendrer une modification de l’espace bâti auprès des populations. La destruction de la muraille de Chine, une barre d’habitations
de Beaulieu, à 200m de la muraille, j’ai pu assister au dynamitage du bâtiment comme le reste des habitants du quartier. Parmi eux, certaines familles que je connaissais assistaient impuissantes à la destruction de leur lieu de vie. Leur tristesse était d’autant plus grande qu’ils savaient qu’ils seraient relogés dans un autre quartier. Cet évènement, contre toutes attentes, m’a profondément marqué. Je partageai la même tristesse car je savais que je ne reverrais peut-être pas certains de mes amis.
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de 450 logements, a été l’élément déclencheur de ma prise de conscience. Habitant à l’époque dans le quartier
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De plus, je ressentais aussi une impression de vide, une sorte de perte d’identité. Je me souviens qu’à la suite de ce dynamitage, tous les stéphanois avaient partagés, à un moment, ce même sentiment. Par la suite, je suis retourné sur les lieux avec une amie qui y avait vécu, simplement par curiosité. J’étais alors impressionné par la quantité de gravats et de déchets qui s’étaient accumulés. En parcourant ces décombres, nous trouvions ça et là des objets du quotidien, témoins de la vie passée du bâtiment. La végétation commençait aussi à reprendre ses droits, effaçant les traces du passage de l’homme. Dans cet espace devenu inaccueillant et silencieux, Je ressentais alors un profond sentiment de liberté et de quiétude. Je pense que c’est à partir de ce moment que j’ai commencé à éprouver un attachement pour les espaces vides, abandonnés. Je trouvai à ces espaces une dimension poétique, une certaine beauté dans leur désordre. Plus tard, je me suis mis à explorer la ville à la recherche de ces lieux. Je débutais aussi la photographie et souhaitais saisir en images les éventuels espaces découverts. Ma très grande curiosité me poussait à braver les interdits pour découvrir les secrets que pouvaient renfermer les espaces à l’abandon, dont personne ne se préoccupait plus. J’imaginais une seconde vie aux bâtiments. Vidés de leur activité, tout devenait possible à l’intérieur de ceux-ci, le temps semblant s’y être arrêté. J’aimais aller me perdre de temps à autres dans ces espaces, par besoin d’être seul. Je continuais mes explorations de lieux, qui de plus en plus souvent étaient des friches industrielles, sans réel autre but que celui de pratiquer la photographie et récupérer des objets laissés sur place.En 2010, au cours d’un voyage à Berlin, j’ai découvert un lieu artistique emblématique de la culture alternative allemande, le Tachelès. Ce bâtiment qui fut autrefois une prison avait été réapproprié et transformé par un collectif d’artistes. L’atmosphère qui se dégageait du Tachelès me rappelait celle des friches industrielles que j’avais visitées, sauf qu’ici le lieu à l’abandon avait trouvé un second souffle. Voulant en savoir davantage sur ce lieu, je décidai à mon retour de faire de plus amples recherches. J’étais alors surpris d’apprendre que le collectif, qui avait occupé le lieu durant des années, risquait prochainement d’être expulsé. Un investisseur avait proposé
tous les enjeux qu’ils représentent pour la ville. Ce rapport d’études sera donc articulé autour d’une présentation approfondie des friches industrielles, de leurs représentations symboliques, et autour d’une réflexion critique sur le processus de réhabilitation des quartiers et de leur espace bâti.
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d’acheter le bâtiment et son terrain de 23,000 m² pour 35 millions d’euros et la conservation du bâtiment ainsi que du collectif ne semblaient pas envisagée. J’ai donc décidé d’étudier de plus près ces espaces pour comprendre
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INTRODUCTION
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La ville est une notion qui aujourd’hui apparaît de plus en plus difficile à définir. Alors qu’autrefois, les villes avaient un caractère autonome et cherchaient à signifier leurs limites dans le territoire, elles vont, dès la fin du 18ème siècle, tenter de se développer et de se rapprocher les unes des autres. Les limites vont alors s’estomper, les remparts des cités médiévales vont disparaître, remplacés par une délimitation virtuelle du territoire. Les villes s’étendent progressivement et renforcent leur présence spatiale. Le contrôle et la gestion de l’ensemble des territoires occupés par les villes deviennent de plus en plus difficiles pour l’Etat qui a déjà décentralisé une partie de son pouvoir (cette décentralisation des pouvoirs reste cependant partielle). L’exode rural va de même participer à l’accroissement de l’espace des villes, qui devient de moins en moins identifiable (certaines communes vont finir par s’enchevêtrer). On ne peut plus alors parler de ville mais d’espace urbain. « Là où on pense que la ville finit, et où en fait elle recommence.» Pier Paolo Pasolini1 Ce changement de définition de l’espace des villes est aussi le résultat des mutations sociales et économiques de la société. En effet, le phénomène de mondialisation a eu pour conséquence d’unifier les besoins et les pratiques quotidiennes des sociétés. Un mode de vie global se met en place, basé essentiellement sur les possibilités d’échanges et une liberté des flux. Les villes deviennent logiquement les centres de cette uniformisation culturelle et doivent s’adapter à ces exigences nouvelles (mobilité des populations, nécessité d’une architecture dynamique…). L’architecture, même si elle reste le symbole visuel de la richesse d’une ville, ne peut plus être conçue comme un monument qui occuperait l’espace pour des décennies. Aujourd’hui, l’espace urbain qui est en perpétuelle mutation nécessite des constructions évolutives et économiques puisque les flux se déplacent rapidement à l’intérieur de la ville. Ce sont ces flux qui dictent la fonction à attribuer à chaque quartier. La délocalisation des activités principales peut ainsi redéfinir l’usage de quartiers entiers dans un délai très court. Il est évident qu’un déplacement spatial
qui auraient perdus leur source d’activité et d’emploi première connaissent souvent un départ massif de leur population. Cette migration a pour conséquence d’augmenter les espaces vacants. En premier lieu, ce sont des logements qui vont peu à peu devenir inoccupés. Les sites de production rencontrant des difficultés vont à leur tour générer d’immenses friches dans l’espace urbain au moment de leur désaffectation. 1
La ville franchisée, formes et structures de la ville contemporaine, David Mangin, 2004, p 10
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ou une mutation des activités économiques principales va laisser des séquelles sur l’espace urbain. Les quartiers
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Ces constructions laissées à l’abandon ne peuvent rester indéfiniment vides puisque l’espace urbain a constamment besoin de nouveaux territoires. Les politiques adoptées par la municipalité pourront être multiples quant à cette catégorie d’espaces : démolitions, réhabilitations, classement en tant que patrimoine bâti. Elles dépendent essentiellement du bon vouloir des propriétaires des terrains, et de la demande d’éventuels investisseurs. Mais parfois, des acteurs inattendus peuvent influencer ces décisions institutionnelles. Ainsi, ce rapport d’études va permettre de démontrer que des acteurs marginaux comme les collectifs culturels vont permettre de contribuer à la rénovation urbaine des quartiers, par leur occupation illégale de friches industrielles.
B\ Exemple d’industrie réhabilitée, quartier de Kreuzberg, Berlin, 2010
A et B : images personnelles prises au cours d’un voyage en Allemagne
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A\ Exemple d’industrie réhabilitée, quartier de Kreuzberg, Berlin, 2010
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1#LA VALEUR DE LA FRICHE INDUSTRIELLE DANS L’ESPACE URBAIN
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Pour saisir les enjeux que représentent les friches industrielles sur le territoire et sur ses occupants, notamment en milieu urbain, il est essentiel de rappeler le contexte dans lequel ces espaces se sont développés et les raisons pour lesquelles leur foisonnement a été si important. Comme chacun sait, le dix-neuvième siècle a été marqué par une série d’avancées et de découvertes technologiques qui ont littéralement transformé le quotidien des populations. L’arrivée du chemin de fer, de l’électricité ou encore la modernisation des procédés de fabrication ont permis aux sociétés et aux nations de se développer et de s’ouvrir sur le monde. Une telle conjoncture économique, en Europe plus particulièrement, eu pour conséquence la redéfinition de l’organisation du travail qui allait tendre à se standardiser. Les besoins formidables qu’exigeait la révolution industrielle ont obligé les entrepreneurs à accroître leur capacité de production, notamment par l’achat de machines et l’agrandissement de leurs locaux. On vit alors apparaître de gigantesques usines ou entrepôts dans les paysages ruraux et urbains, qui garantiraient aux entreprises (et dans une moindre mesure, aux états) d’engendrer un profit considérable. Produits à partir des matériaux mêmes de cette révolution, les bâtiments ont pour la plupart été conçus selon un scénario identique : dans des délais souvent réduits et dans une recherche d’efficacité spatiale à moindre coût. Aux structures bois, métal et brique initiales vinrent s’ajouter au fur et à mesure du développement technologique de nouvelles matières plus légères et plus faciles à mettre en œuvre (pré-dalles, plastiques…).
1.1 L’industrialisation des villes : un choix stratégique contestable
Véritables symboles de la réussite économique d’un pays, les industries ont progressivement marqué le paysage
En s’intéressant aux multiples raisons qui justifient le choix du site d’implantation d’une industrie (proximité d’un cours d’eau, étendue de la parcelle, proximité des réseaux de communication…), il apparaît évident qu’une installation en ville a été privilégiée, d’autant plus que la ville centralise les domaines parallèles à l’industrie et permet de fournir une main d’œuvre importante.
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architectural des villes par leur identité singulière et leur échelle imposante.
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Ce développement urbain de l’industrie a bien évidemment été autorisé par les collectivités territoriales sous certaines conditions. L’étude du cas français montre ainsi que l’essentiel des sites de production industrielle se sont installés en périphérie des centres citadins au cours de la révolution industrielle. Deux raisons principales permettent d’expliquer cette tendance : au-delà des nuisances sonores et environnementales que dégagent l’industrie, les cœurs urbains doivent rester consacrés aux activités commerciales et culturelles ; qui participent à améliorer l’attrait et l’image d’une ville, à l’inverse des industries qui encore aujourd’hui, renvoient à une image négative. La ville de Saint-Etienne est un exemple frappant des répercussions que peut avoir l’installation de l’industrie lourde dans une ville. Ternie par son image de « ville noire » véhiculée par les puits de mine depuis le début du 20ème siècle, il a fallu attendre une période récente et des projets de renouvellement urbain importants pour que le poids de l’héritage industriel diminue (il y a à peine une quinzaine d’années, les façades du centre-ville étaient encore couvertes de suie. Durant le deuxième mandat de Michel Thiollière, au début des années 2000, un projet de colorisation des façades du centre-ville fut alors proposé autour de 7 nuances de jaune). Dans une autre mesure, l’importance de certaines entreprises nécessitait la création de centaines de logements pour héberger les salariés à proximité de leur lieu de travail, ces derniers ne disposant pas systématiquement de moyens de déplacement suffisants. Les terrains constructibles du centre ville étant devenus inadaptés face à une telle demande, de véritables quartiers ouvriers ont ainsi vu le jour en continuité du tissu urbain existant. La planification et le financement de ces quartiers, qui étaient assurés par les industriels, donna lieu à pléthores de réalisations au caractère utopique, qui redéfinissaient l’habitat collectif et dont les enjeux sociaux sont aujourd’hui contestables (la conception de ces cités ouvrières au-delà de leur caractère hygiéniste, était en partie réfléchie dans le but de renforcer le contrôle du dirigeant sur ses ouvriers et sur leur vie).
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Extrait du manifeste du parti communiste de Karl Marx et Friedrich Engels 1848
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« Ils veulent remplacer les conditions historiques de l’émancipation par des conditions tirées de leur imagination, et l’organisation réelle et graduelle du prolétariat en classe sociale par une organisation élucubrée de la société ».2
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C\ Le familistère de Guise, construit par Jean-Baptiste André Godin entre 1858 et 1883 pour loger les ouvriers de sa firme.
D\ La cité ouvrière de Mulhouse*, achevée en 1846 a été constuite par l’architecte ingénieur Émile Muller à la demande des actionnaires de la société Mulhousienne des Cités Ouvrières
Il va sans dire que la conception de tels espaces a eu un impact sur l’organisation sociale du quartier et son rapport à la ville. Habiter une cité ouvrière signifiait ordonner son quotidien autour de l’usine. Les nombreux commerces de proximité et lieux de divertissement qui s’installaient jouaient par ailleurs un rôle important car ils permettaient aux habitants de limiter leurs déplacements et partager des moments de détente loin du vacarme des machines. On peut ainsi considérer les cités ouvrières comme des « villages » autarciques plutôt que des quartiers à part entière de la ville, du fait de l’étendue restreinte des échanges et la revendication d’appartenance à une communauté solidaire de ses populations.
1.2 Les répercussions de la mise en friche de l’industrie sur le territoire
l’occurrence les enjeux de la mise en friche d’un site industriel et ses répercussions sur l’espace urbain.
A : http://www.ac-versailles.fr/etabliss/michelet-vanves/conf/jeudis_cites2.html B : http://www.crdp-strasbourg.fr/data/patrimoine-industriel/mulhouse-19/cite_ouvriere.php?parent=25
*À Mulhouse, la Société de construction mécanique Koechlin ainsi que des industriels du textile construiront entre 1854 et 1900, 1243 logements en location-vente pour loger les ouvriers des usines
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Ce rappel contextuel nécessaire permet dès à présent d’aborder le thème principal de cette réflexion, en
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En premier lieu, il s’avère indispensable de définir avec précision la notion de friche. En effet, ce terme peur recouvrir plusieurs sens et désigne une multitude de territoires. La première caractéristique est l’abandon total d’activité sur le terrain. En agriculture, on parle de déprise agricole, c’est-à-dire l’arrêt de l’entretien d’une terre jusqu’à son reboisement naturel. En milieu urbain, la friche désigne une zone dans laquelle les activités liées au travail ont cessées en raison d’un dépeuplement important ou à la suite d’une récession ou d’une mutation économique. La vaste campagne de fermeture des grands sites de production industriels Français des années 80 peut ainsi être expliquée par les deux chocs pétroliers de 73 et 79 mais aussi par la mondialisation et les délocalisations d’entreprises. La friche urbaine, selon les cas, peut se limiter aux enceintes d’un bâtiment industriel ou au contraire s’étendre à l’échelle d’une ville, on parle alors de ville fantôme. « La friche est un état sauvage. Comme une mauvaise herbe, elle prolifère et enfonce ses racines loin dans la terre. Comme du lierre, elle s’accroche et rampe jusque dans les maisons. Jour après jour son emprise est plus forte. » Pierre Dejonquères3 Aux Etats-Unis, l’exemple de la ville de Gary, crée en 1906, est édifiant. Bâtie par la United states Steel corporation, une industrie sidérurgique, la ville qui comptait jusqu’à 200,000 habitants a été dépeuplée à la suite d’une crise économique grave dans les années 80. Moins d’un quart de la population y réside actuellement. Au-delà du dépeuplement des territoires mis en friche, certains signes permettent de les identifier. Ces signes affectent dans un premier temps l’aspect extérieur du lieu. L’abandon d’un site industriel notamment, se traduit par la détérioration progressive des façades (murs ternis, carreaux brisés), et la prolifération rapide de végétation, résultantes de l’absence d’entretien. Un autre marqueur important du processus de désaffection est la disparition progressive des limites de propriété privée. Les barrières et murs d’enceinte qui ceinturent et sécurisent l’accès au site ont tendance à s’effacer avec le temps, offrant ainsi l’opportunité à d’éventuels curieux de pénétrer à l’intérieur
envisageable, celui-ci n’ayant plus réellement de propriétaire, tout du moins visible.
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Tout doit disparaître, Pierre Dejonquères, sylvain Marcelli, 2005, p31
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des bâtiments. Cette étape est primordiale puisque c’est à partir de ce moment qu’une appropriation du lieu est
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E\ L’ancien palace theater, de la ville de Gary, Indiana photographie de Andrew Moore, 2005
F\ L’église méthodiste de Gary, Indiana photographie de Andrew Moore, 2005
1.3 Symboliques et représentations de l’espace industriel abandonné
L’absence du propriétaire et d’activité ne doivent pas être considérées comme une perte d’identité du lieu. Au contraire, la mise en friche a pour effet de questionner les populations sur la valeur patrimoniale des espaces industriels abandonnés ainsi que leur devenir. Force est de constater que la symbolique associée à ces espaces dépend avant tout du rapport affectif de chacun. Pour certains, la friche industrielle pourra être associée à un lieu de mémoire collectif lié au travail. Un ancien ouvrier ou voisin, lorsqu’il retourne dans une usine après sa fermeture, aura tendance à se remémorer l’activité qui animait le lieu, les liens sociaux qu’il aura pu y créer, avec une certaine nostalgie. La présence de machines ou d’objets laissés sur place faisant écho des moments de douleur, de lutte ou de liesse qu’il aura pu partager avec ses
« La friche dit le temps passé. Si la plupart des machines ont disparu […] la friche porte encore en elle, par bribes, des preuves de la présence des ouvriers. Ramassés dans les décombres ces objets dont personne n’a voulu. » Pierre Dejonquères4
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Tout doit disparaître, Pierre Dejonquères, sylvain Marcelli, 2005, p45
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semblables.
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Pour cette catégorie d’individus, la mise en friche constitue un réel traumatisme puisqu’elle signifie la perte d’emploi et le bouleversement du mode de vie. C’est tout un quartier qui perd son âme lorsqu’une industrie disparaît et cette douleur peut mettre de nombreuses années avant de s’estomper. « c’est aussi le lieu ou l’on demeure le plus longuement et avec lequel il faut bien se familiariser […] cet environnement contraignant apparaît paradoxalement comme un lieu de vie. » Gustave -Nicolas Fischer5 Elle s’accompagne d’autant plus d’un sentiment d’abandon, d’oubli, vis-à-vis de la collectivité. Quand la principale source d’activité d’un quartier disparaît, les populations sont livrées à elles-mêmes, la municipalité ne voyant plus d’intérêt à investir dans ces secteurs devenus inattractifs. La friche devient alors le symbole physique du désengagement de l’état, et il n’est pas rare de constater une paupérisation rapide du quartier et une montée de l’insécurité qui ne fait qu’aggraver le sentiment d’isolement des habitants. Une autre considération possible vis-à-vis de l’espace industriel en friche est celle du vide, de l’inconnu. Une fois déserté, le bâtiment retrouve peu à peu son apparence extérieure originelle, donnant à redécouvrir une structure jadis masquée par d’éventuelles décorations, destinées à amoindrir l’aspect austère et sombre du lieu. Les espaces intérieurs inoccupés semblent quand à eux renfermer de nombreux secrets. L’interdiction de l’accès au public a pour résultat de renforcer le caractère mystérieux de la friche et encourage le développement d’un imaginaire collectif. Il est intéressant de noter ici que même si le propriétaire des lieux a disparu, une volonté de contrôle sur le terrain persiste. Ainsi, de manière paradoxale, les terrains abandonnés conservent une valeur foncière non négligeable, et ne peuvent rester indéfiniment inexploités, surtout en milieu urbain. Une nouvelle notion apparait dès lors dans la définition de la friche : son caractère provisoire. Il est cependant évident que durant cette période de latence, le contrôle des friches reste minime, la surveillance et l’entretien des lieux ayant un coût trop élevé. Cette précision est déterminante pour comprendre les étapes de
forge Barriol et Dallière, située à Andrézieux-Bouthéon, il m’a suffit d’enjamber un talus pour me retrouver au cœur de l’installation. En questionnant d’autres « explorateurs » de friches sur les motifs qui les poussaient à franchir les barrières de sécurité pour pénétrer les lieux, les mêmes réponses m’ont systématiquement été données : Le désir de découvrir l’inconnu, de braver les interdits, une recherche de mise en danger. 5
Espace industriel et liberté, Gustave -Nicolas Fischer, 1980, p131
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l’appropriation d’une friche car elle devient alors facilement accessible. Pour pénétrer à l’intérieur de l’ancienne
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Cette dernière conception est d’autant plus importante qu’elle traduit un changement dans la perception collective du lieu. Autrefois symbole d’un monde organisé autour du travail, représentation spatiale d’une division du travail hiérarchique et autoritaire, le patrimoine industriel devient paradoxalement, lors de sa mise en friche, un lieu de désordre ou tout contrôle aurait disparu, perdant ainsi une partie de son caractère obscur. En pénétrant une friche, le visiteur agit par conséquent de manière engagée, conscient des répercussions physiques et morales qu’il pourrait subir (sans entretien, les bâtiments pourraient s’effondrer à tout moment. D’autre part, en outrepassant les interdits, le visiteur se met en position d’illégalité). Cette mise en danger volontaire est d’autant plus justifiée par la recherche de liberté et de règles non établies caractéristiques de l’espace abandonné. « Dans la friche, tout est permis […] droit absolu de se retirer du monde balisé […] pourri d’ennui qui fait l’ordinaire. » Pierre Dejonquères L’espace industriel, une fois vidé de toutes traces d’activité, devient un terrain de jeux aux potentialités infinies, à l’inverse de sa conception originale unidirectionnelle. Chacun est libre de trouver sa propre alternative à l’utilisation de l’espace puisqu’il ne semble plus appartenir à personne (explorer une friche, c’est découvrir un monde inconnu, redevenu vierge). « les intérieurs et les extérieurs de la friche rendus à eux-mêmes dans les plus parfaites proportions deviennent les praticables d’une mise en scène où se décide un autre monde fait d’apparitions, de visions subites et d’interprétations étranges. Par un glissement subtil, le constat immobile si linéaire, se détourne de la
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Tout doit disparaître, Pierre Dejonquères, sylvain Marcelli, 2005, p36 Marseille d’un destin l’autre. La manufacture des tabacs de la belle-de-mai, Philippe mioche, Robert Pujade, françois Seigneur, 2001, p20
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réalité, l’excède jusqu’à se tenir au plus près de l’imagination du spectateur. » Philippe mioche
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K
L
G,H,I,J,K,L: ensemble de photographies personnelles prises à l’intérieur de l’ancienne forge Barriol et Dallière, à Andrézieux-Bouthéon en 2011, dans le cadre d’une investigation sur le terrain.
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2#DE L’APPROPRIATION À L’OCCUPATION : LE RÔLE DE LA CULTURE ALTERNATIVE DANS LA TRANSFORMATION ET LA REDÉFINITON DU LIEU
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2.1 L’occupation : un acte revendicatif
Même si la mémoire silencieuse du lieu est conservée, parfois plus visible du fait de la présence d’objets laissés sur place, la plupart des occupations de friches sont caractérisées par la recherche d’une redéfinition de l’usage de l’espace, qui passe alors nécessairement par son appropriation. Puisque la friche permet de sortir du monde ordinaire et représente un support immense de création et de revendication, le visiteur est libre de manipuler le lieu à sa guise. Cette occupation, qui s’effectue d’abord de manière ponctuelle, va devenir de plus en plus permanente pour des populations marginales qui refusent d’accepter les normes imposées par l’institution et les principes de la société de consommation. Ils trouvent dans l’espace industriel abandonné un véritable refuge. « Là, les plaies urbaines ouvertes par l’économie, l’industrie, sont aptes à les accueillir. Dans les espaces désertes par les acteurs économiques, abandonnés par le politique, leurs désirs inacceptables au centre peuvent s’exprimer discrètement. » Gustave-Nicolas Fischer8 Pour certains individus, l’occupation de la friche industrielle va même devenir une nécessité. En effet, un trait commun aux occupants des friches est leur situation de grande précarité. La plupart du temps jeunes, sans emploi et dans une situation familiale conflictuelle, ces « squatteurs », comme la société les désigne, n’ont pas trouvé d’autre résidence que les friches industrielles qui leur offre un foyer provisoire, puisque aucune autre alternative de logement ne leur est possible. Même si les origines du squat sont lointaines, c’est dans les années 80 qu’ils sont majoritairement apparus. Leur développement résulte à la fois de l’accroissement des loyers du centre-ville mais aussi de la critique des politiques de
tité, le plus souvent accompagnée de l’expulsion forcée des populations.
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Espace industriel et liberté, Gustave -Nicolas Fischer, 1980, p82
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réhabilitation qui entraînent l’embourgeoisement de certains quartiers populaires et leur perte d’iden-
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« Levez-vous ! Les balles des promoteurs détruisent notre ville […] jour après jour ils détruisent un peu plus notre espace de vie. Ils remettent partout les mêmes blocs de béton pour correspondre au marché […] ils promettent aux gens du travail mais personne ne remarque combien la ville meurt sans bruit. » Tract annonçant la manifestation contre la politique de réhabilitation de Kreuzberg 9 juin 1979.9 Les friches industrielles, même si elles ne sont pas les seuls lieux de squats des centres-villes, n’en restent pas moins les territoires les plus vastes et les plus faciles à pénétrer. Le risque d’expulsion est par ailleurs moins important dans la friche que dans un immeuble vacant du centre ville car ces espaces sont moins contrôlés et moins proches des autorités administratives. La durée du squat dépendra de la tolérance des autorités administratives et du propriétaire du terrain. « Ils les investissent alors, revendiquant haut et fort le droit à un logement bon marché. Parfois les autorités ferment les yeux, tolèrent collaborent même avec les occupants, inventant de nouveaux contrats de bail, distribuant les subventions. D’autre fois au gré du climat politique et social elles se rebiffent, ordonnent l’évacua-
M\ Exemple d’occupation illégale, le squat de la rue Rivoli, Paris, 2010 (tirée de wikipédia, source inconnue).
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N\ L’usine à Genève, haut lieu de la culture alternative, Photographie de S. Pernecker, 2007.
Friches industrielles, un monde culturel en mutation, Fabrice Raffin, 2007, p 110 http://archives.tsr.ch/player/instant-squatt. Consulté le 01/04/11
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tion, font donner la police… » Propos extraits d’un reportage vidéo de Annie Butler , journaliste à la TSR.10
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2.2 De l’individu au collectif : le lieu comme support d’expression et de rassemblement communautaire
La multiplication des squats montre qu’un processus de rassemblement identitaire s’établit peu à peu. Ces acteurs marginaux cherchent à se réunir au sein d’un espace qui deviendrait pour eux le pilier d’un mouvement de contestation et d’une affirmation culturelle singulière par rapport au reste de la ville. L’occupation d’un site abandonné en milieu urbain représente un enjeu essentiel car il garantit l’acquisition d’une visibilité plus forte. La création de collectifs de squatteurs va ainsi permettre d’organiser les occupations et d’attirer de nouveaux membres, citadins ou ruraux, qui partagent des valeurs de vie et des idéaux communs, basés sur une remise en question sociale et politique et la recherche d’un mode de vie alternatif. Parmi ces membres, figurent aussi de nombreux acteurs culturels qui sont à la recherche d’un espace de création et de développement. En l’absence de lieux dédiés à la pratique de la culture, ou alors inadaptés aux besoins artistiques exigés par une nouvelle génération d’artistes, la friche permet de bénéficier d’un vaste espace de recherche non soumis à des contraintes financières ou éthiques. Les occupants peuvent utiliser et modifier l’aménagement intérieur d’une façon très libre; puisqu’il n’est contraint par aucune autorité. Cet apport culturel est primordial car l’espace de squat devient un lieu d’expression et le support d’une cohésion sociale entre les membres des collectifs. « l’aménagement intérieur hérité du passé n’est pas une contrainte suffisante qui dirait irrémédiablement l’usage qu’on doit en faire. Au contraire, elle peut accueillir aisément des pratiques et des imaginations diverses, multiples et évolutives. » Gustave-Nicolas Fischer11 Il est utile de préciser que cet aménagement possède un caractère provisoire et se fixe dans un temps
une certaine idée de création. Il n’a pas réellement de planification dans la réorganisation de l’espace mais plutôt une transformation désordonnée basée sur un l’enchevêtrement de projets personnels. Cette transformation résulte qui plus est du rapport sensible qu’entretient chaque occupant avec le lieu.
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Espace industriel et liberté, Gustave -Nicolas Fischer, 1980, p82
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indéterminé, puisque l’existence de la friche semble éphémère. Ce rapport au temps va de pair avec
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L’installation des collectifs n’est que le résultat d’un lent processus d’appropriation matérialisé par des interventions progressives et diversifiées sur le lieu. Dans un premier temps, le choix du site s’effectue grâce à la présence de marqueurs visuels tels que des graffitis ou le collage d’affiches sur les murs extérieurs du bâtiment. Ces premières actions qui semblent quelconques permettent au contraire une prise de conscience collective de la potentialité d’un site. Très peu de temps après la mise en place des marqueurs visuels, on constate une véritable prolifération de ceux-ci, ce qui prouve que le processus de rassemblement communautaire a déjà commencé. La plupart du temps ce « marquage » des lieux est fonction de la taille de la friche et de sa possibilité d’aménagement. Mais l’importance historique est tout aussi primordiale dans la recherche d’un site d’occupation. Plus la valeur patrimoniale d’un bâtiment investi est grande, plus la visibilité du collectif et sa posture de résistance vis-à-vis des politiques urbaines sera accrue. A travers l’occupation d’un lieu de mémoire collective majeur, on tente de signifier un attachement à l’espace urbain. Les collectifs souhaitent par là obtenir une réelle reconnaissance de leur existence et du rôle qu’ils jouent dans la préservation de l’identité culturelle des villes. Très souvent, les collectifs conservent l’aspect extérieur des bâtiments, les aménagements étant concentrés dans les espaces intérieurs. Le but n’est pas de transfigurer l’image originelle du lieu mais plutôt d’expérimenter de nouveaux usages. La transformation du lieu a pour but de prouver qu’une autre utilisation de l’espace est envisageable et permettrait de redonner vie à certains quartiers. A Berlin, l’exemple de l’UFA Fabrik, un ancien site de production cinématographique de l’Universum Film AG est remarquable. La fermeture de ce fleuron de la culture Berlinoise d’avant guerre marqua les esprits Allemands car c’était 15000m2 de surface qui allait être abandonnés. Le terrain, mis en friche en 1963, ne
alternatif qui souhaitait redonner un usage culturel à l’UFA Fabrik. Malgré l’éloignement du centre ville, les actions du collectif ont été reconnues puisque le site fait aujourd’hui partie des principaux lieux de diffusion culturelle de Berlin. Il a aussi permis de redonner vie à un quartier délaissé.
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retrouva de second souffle qu’à partir de 1979, avec le début d’une occupation permanente par un collectif
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O\ Le plan de l’UFA Fabrik Source: http://www.ufafabrik.de/de/nav.php?pid=a11
P\ Le centre équestre de l’UFA Fabrik Photographie tirée de Wikipédia, source inconnue.
Lorsque les collectifs se forment et décident de prendre possession de l’espace en friche, les moyens dont ils disposent sont souvent minimes. Néanmoins, les premières interventions dans le lieu, malgré leur discrétion et leur fragilité, sont toujours le reflet d’une grande motivation de la part des membres qui sont animés d’un désir de reconnaissance. La réussite du collectif repose par conséquent sur le partage de valeurs sociales essentielles (absence de profit personnel, passion pour la culture, désintéressement des origines sociales de chacun…) et la mise en commun des compétences. Cet échange de savoirs prédispose le collectif à l’autogestion et accentue sa liberté d’autonomie, confirmant ainsi son opposition à l’ordre établi (la municipalité n’ayant aucune influence morale sur le collectif).
d’un reportage vidéo de Annie Butler , journaliste à la TSR.12
12
http://archives.tsr.ch/player/instant-squatt. Consulté le 01/04/11
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« Tout est récupéré parmi les restes de la société de consommation […] on sent aussi comme une affirmation, esthétique et éthique un défi au propre en ordre qui est la norme à l’extérieur ». Propos extraits
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L’extension des compétences va aussi permettre d’étendre les formes d’engagement du collectif dans le lieu. Les premières marques d’appropriations n’ayant pas de réelles répercussions dans l’espace urbain, les collectifs vont alors commencer à redéfinir l’espace pour lui donner un usage de diffusion et de production culturelle plus visible. La friche industrielle devient dès lors l’espace de rassemblement et d’épanouissement des cultures alternatives qui se reconnaissent à l’intérieur de celui-ci. Au-delà de son caractère singulier, la friche renvoie à un sentiment d’improvisation, d’exaltation dans l’incertitude. L’intérêt du lieu réside dans l’absence de formalisation et de régulation. Les prétextes de rassemblement sont généralement axés sur la recherche de divertissement et l’opportunité de faire la fête dans un espace différent. Des concerts, expositions artistiques et même des représentations théâtrales sont autant d’évènements qui assurent au collectif une visibilité et un attrait dans la ville. Il faut noter que ces évènements ont un caractère bénévole, les participants acceptant de ne pas être rémunérés. L’essentiel des bénéfices est plutôt réservé à l’amélioration de l’aménagement intérieur et le financement de nouveaux projets culturels. Les artistes qui utilisent la friche comme lieu de représentation et d’intervention sont dons eux-mêmes acteurs du mouvement alternatif puisque le profit ne fait pas partie de leurs motivations. En échange, la friche leur assure une liberté totale d’expression et l’assurance d’un public réceptif. Qui plus est, la friche constitue pour les jeunes talents qui souhaitent s’exporter à la ville de véritables scènes tremplins. De nombreux styles collectifs a ainsi permis à des groupes comme The Prodigy, Asian Dub foundation ou encore Fat boy slim (dont la musique était jugée trop marginale par les maisons de production) d’être découverts par le public. Le manque de moyens n’apparaît pas dans cet exemple comme une contrainte qui influencerait la qualité des manifestations culturelles
garde comme la drum and bass ou la techno ont pu se généraliser à travers ce type d’espaces où la musique n’était pas censurée. Durant la décennie 90, l’organisation de concerts par les collectifs a ainsi permis à des groupes comme The Prodigy, Asian Dub foundation ou encore Fat boy slim (dont la musique était jugée trop marginale par les maisons de production) d’être découverts par le public.
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organisées, puisque ces groupes ont aujourd’hui acquis une renommée internationale. musicaux d’avant-
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Le manque de moyens n’apparaît pas dans cet exemple comme une contrainte qui influencerait la qualité des manifestations culturelles organisées, puisque ces groupes ont aujourd’hui acquis une renommée internationale. L’augmentation croissante des demandes d’interventions artistiques et du nombre de spectateurs montre que la friche accentue progressivement sa présence culturelle à l’échelle de la ville. Cette augmentation n’est pas sans poser de problèmes pour le collectif qui occupe l’espace de la friche. En premier lieu, la multiplication des manifestations culturelles va poser des difficultés de gestion. En effet, plus l’évènement organisé va être important, plus les moyens techniques et humains devront être conséquents. L’augmentation du nombre de membres dans le collectif apparaît pour ainsi dire inévitable. Ces nouveaux arrivants peuvent se présenter d’eux-mêmes, certains ayant déjà apporté leur soutien au collectif, d’autres ayant été contactés parce qu’ils possédaient une compétence particulière. En recrutant, les acteurs principaux des collectifs ont conscience que des conflits puissent éclater au sein du groupe. Le risque premier est que ces conflits troublent la cohésion du collectif et dans le pire des cas, aboutissent à sa dissolution (il en va de même lorsque l’un des membres de l’administration quitte le collectif). En second lieu, des rassemblements plus soutenus vont engendrer des nuisances pour les habitants voisins de la friche, surtout le soir. Lors d’un concert par exemple, le public occupera autant l’espace intérieur que les limites proches du bâtiment. Sans réels services de sécurité, les collectifs ne peuvent filtrer les allées et venues dans la friche. Les rues qui la bordent sont donc un espace de transition où l’effervescence de la friche est diffusée. Les déchets ou les détériorations sur le mobilier urbain qui marquent le passage des noctambules représentent toujours un problème car elles donnent une image négative des collectifs et les discréditent auprès des populations et des collectivités territoriales. Une sensibilisation des participants est donc primordiale pour assurer la pérennité de l’occupation de la friche.
collectif cherche à améliorer son image et sa valeur dans l’espace urbain. Avec une organisation plus professionnelle, il pourrait légitimer son positionnement dans la friche et obtenir une reconnaissance de sa portée culturelle et sociale auprès de la municipalité.
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Ces difficultés poussent le collectif à trouver de nouvelles organisations et à mieux définir le rôle attribué à chacun des membres. Cette période de restructuration marque un tournant dans l’occupation du lieu car le
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Dans un autre registre, le collectif exige une grande flexibilité et une polyvalence de la part de ses membres. En effectuant des tâches de natures diverses, chacun prend alors conscience des limites de sa capacité d’adaptation. Le membre va alors trouver naturellement sa place au sein du collectif car il préférera se spécialiser dans un domaine pour lequel il aura plus de prédisposition et d’attrait. La dimension sociale du collectif apparaît ici essentielle car elle permet à des individus marginaux ou rejetés de retrouver une place au sein de la société. En privilégiant une activité, l’individu acquiert au fur et à mesure des compétences précises qui lui serviront dans ses démarches futures de réinsertion professionnelle. « je dessinai pas mal de trucs [...] Un jour, il manquait quelqu’un pour faire une plaquette pour un concert […] j’ai proposé de faire le truc, je l’ai fait, et après j’ai eu pas mal d’occasions comme ça […] Aujourd’hui […] je sais aussi que je suis capable de faire mon truc […] j’ai déjà des contacts, le mec avec qui je bosse il connaît du monde. Donc, on va ouvrir une boîte avec ce mec que j’ai rencontré là-bas ». Sylvain membres du collectif l’Oreille est Hardie13. Cet aspect formateur des collectifs et ce désir d’amélioration se retrouvent systématiquement dans les exemples d’occupations Européennes. Les difficultés de gestion, le manque de moyens et l’incertitude sont autant de traits communs à l’ensemble des collectifs. De prime abord, on pourrait alors considérer que les collectifs sont basés sur un modèle préétabli et qu’aucune distinction réelle n’existe entre eux. Mais ce jugement s’avère inexact. Chaque collectif possède au contraire une identité, un choix de diffusion culturelle et des projets qui lui sont propres. Alors qu’à Berlin, le collectif qui occupe l’UFA Fabrik gère un centre équestre, à Genève, dans l’usine, c’est une salle de concerts et un restaurant qui sont gérés. Conscients d’une telle diversité, les acteurs des mouvements culturels alternatifs vont, à lafin des années 80 commencer à se rencontrer pour mettre en commun les expériences et les savoirs acquis au cours des occupations. A l’issue de ces rencontres entre
des collectifs et assurer leur maintien (en 1983, un représentant d’un collectif situé à Bruxelles -qui occupait les halles de Schaerbeek- crée l’association trans Europe Halles. L’objet de l’association est « la création d’un réseau européen de lieux culturels indépendants »). Les manifestations organisées adoptent à partir de ce moment une dimension culturelle internationale. 13
Friches industrielles, un monde culturel en mutation, Fabrice Raffin, 2007, p 158
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les collectifs, un solide réseau d’échange et d’entraide va être mis en place pour contribuer au développement
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2.3 L’acceptation du collectif par le quartier : l’opportunité de justifier un possible engagement de la municipalité Le positionnement du collectif dans la friche va alors se justifier et prendre sens puisqu’il contribue à renforcer l’attrait culturel de la ville. Il faut préciser que la portée culturelle des collectifs demeure réservée à un public restreint. Pour envisager l’éventualité d’un soutien de la municipalité (qui permettrait de pérenniser l’activité des occupants des friches), le collectif va devoir perdre une partie de son caractère marginal en organisant de nouveaux évènements destinés à un plus large public que celui de la culture alternative. L’acceptation du collectif par les habitants qui résident autour de la friche constitue une première étape indispensable pour espérer un engagement de la municipalité. Mais cette intégration n’est pas toujours évidente, les collectifs ayant une image négative auprès des populations. De fait, l’occupation d’une friche par les collectifs est perçue par les habitants du quartier comme le résultat d’un désintéressement des institutions à leur égard. Ecarté des politiques urbaines de rénovation, le quartier deviendrait un lieu de relégation où les populations indésirables seraient rassemblées. « La friche est l’enclave clandestine des vies de pauvreté » la friche est une terre de relégation. Etre certain d’y trouver toujours les caravanes des gens du voyage : c’est ici qu’on les parque. » Pierre Dejonquères14 D’autre part, l’occupation de la friche industrielle par les collectifs est très mal vécue pour les habitants qui y ont construit une partie de leur vie et qui gardent un attachement fort à leur ancien lieu de travail. Pour des populations ouvrières vieillissantes, l’arrivée de nouveaux résidents, étrangers à l’histoire du quartier, apparaît toujours comme une menace. Les collectifs, en transformant l’usage du lieu, se positionnent en rupture vis-à-vis du caractère industriel initialement propre au quartier. Les anciens habitants se sentent alors dépossédés
Ce marquage territorial de la présence du collectif entraîne de plus un bouleversement dans la vie du quartier. Les activités proposées par les collectifs –qui n’invitent d’ailleurs pas à une participation des habitants-, vont avoir des répercussions négatives sur l’espace urbain.
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Tout doit disparaître, Pierre Dejonquères, sylvain Marcelli, 2005, p36
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d’une partie de leur identité puisqu’ils ont l’impression que la friche ne leur appartient plus.
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Les nuisances sonores liées au manque d’insonorisation des lieux et au stationnement des individus dans la rue avant et après un concert, l’apparition de pratiques liées à l’usage et la vente de drogue ou d’alcool sont autant de facteurs qui participent à la stigmatisation négative des collectifs. « le soir je ferme, avant je restais ouvert jusqu’à minuit une heure du matin, mais si c’est pour avoir des drogués chez moi ça m’intéresse pas […] c’est pas la clientèle qu’il y a à l’intérieur (de l’usine), c’est surtout la faune qui gravite autour, c’est ce qui fait du mal, qui est néfaste » Fernand, le patron du restaurant situé en face de l’Usine, place des Volontaires15. Le collectif, pour améliorer son rapport avec le quartier, va d’abord devoir lutter contre ces nuisances. Comme nous l’avons vu précédemment, les membres démarrent un processus de sensibilisation auprès des participants (distribution de tracts, réunions d’informations…). Le but est une prise de conscience de la responsabilité de chacun dans le développement culturel futur de la friche. En outre, les services d’ordre et de nettoyage des collectifs sont renforcés pour réduire les traces du passage des individus et limiter la gêne occasionnée au cours d’un évènement. Tandis que certains collectifs vont faire appel à des organismes privés ou parfois aux forces de l’ordre pour renforcer la sécurité autour de la friche, d’autres réduiront progressivement la durée nocturne des manifestations. De telles décisions montrent que les collectifs, pour améliorer leur image dans l’espace urbain, doivent se soumettre à un certain conformisme. Une partie de leur caractère contestataire initial est donc sacrifiée (les valeurs et les revendications du collectif n’en demeurent pas moins inchangées). Cette perte est d’autant plus significative lorsque le collectif prend la décision de s’ouvrir aux habitants du quartier. Les activités proposées au sein de la fiche ne seront ainsi plus réservées à la population marginale des mouvements alternatifs. Des spectacles, expositions ou ateliers culturels vont alors être mis en place
tés car il ne souhaite pas réellement aider le collectif. Ce n’est que grâce à la curiosité de certains habitants et à force de rencontres avec les membres du collectif qu’un réel lien va commencer à se créer.
15
Friches industrielles, un monde culturel en mutation, Fabrice Raffin, 2007, p 213
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pour attirer les habitants. Dans un premier temps, le voisinage ne trouve pas d’intérêt à participer à ces activi-
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Durant les discussions, il va apparaître que les rapports sociaux qui se créent au sein du collectif sont similaires à ceux des quartiers délaissés: une même entraide, un même besoin de reconnaissance et de critique des pouvoirs publics. D’autre part, l’aspect formateur du collectif est apprécié puisqu’il participe à la réinsertion sociale et professionnelle de personnes en difficulté. À cela s’ajoute une reconnaissance des efforts faits par le collectif pour réduire les nuisances. Au bout d’un certain temps, des habitants vont commencer à s’intéresser au travail du collectif et se présenter aux évènements organisés. A posteriori, tous s’accorderont pour dire que le collectif a une réelle potentialité culturelle pour le quartier manquant de vie. Grâce au bouche à oreille entre les habitants, le collectif va progressivement être toléré par le quartier. Pour réellement parler d’acceptation, il faut attendre le moment où certains habitants vont se présenter d’eux-mêmes au collectif, animés de l’envie d’aider à organiser un évènement ou de participer à la concrétisation de celui-ci. Tous les efforts faits par les collectifs en matière d’organisation et d’ouverture à l’espace urbain prouvent à quel point le besoin de reconnaissance est important pour les membres. Ils traduisent de même une volonté de pérenniser leur occupation et de justifier la valeur culturelle du collectif dans la ville. A partir des années 90, les premiers engagements des acteurs politiques envers les collectifs vont prouver que ces efforts ne seront pas
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restés vains.
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Q,R,S,T: Ensemble de photographies montrant les espaces intérieurs et extérieurs du confort Moderne de Poitiers Source: Filckr
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3 #L’ENGAGEMENT DE L’ÉTAT ENVERS LES COLLECTIFS : UNE ASSURANCE DE DURABILITÉ CONDITIONNÉE
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3.1 Le collectif légitimé : la promesse d’un positionnement durable de la culture alternative dans l’espace urbain
L’implication des pouvoirs politiques marque un bouleversement dans la vie du collectif car elle symbolise une prise en compte et une acceptation des valeurs marginales de celui-ci. La municipalité, en reconnaissant l’utilité du collectif auprès des populations, admet qu’elle ne peut détenir l’entière responsabilité du développement culturel de la ville. Il est certain que la culture ne peut être soumise à aucune autorité. La recherche d’un contrôle total de la culture par le pouvoir est inenvisageable car elle constituerait une atteinte aux libertés fondamentales (l’appropriation étatique de la culture est caractéristique des dictatures). Culture : «un ensemble lié de manières de penser, de sentir et d’agir plus ou moins formalisées qui, étant apprises et partagées par une pluralité de personnes, servent, d’une manière à la fois objective et symbolique, à constituer ces personnes en une collectivité particulière et distincte.» (Guy Rocher, 1969, 88). Les concessions faites par la municipalité au moment de leur rapprochement des collectifs prouvent aussi que la contestation de l’autorité a toujours des répercussions positives sur le développement futur des villes. C’est dans une volonté de refus de la norme que le collectif trouve l’énergie nécessaire à sa survie et multiplie les projets. Comme nous l’avons vu, ces projets ont des vertus sociales, artistiques et culturelles au sein des quartiers et permettent à des zones urbaines meurtries de retrouver un semblant de vie. L’attribution de nouvelles fonctions à des lieux oubliés tels que les friches va permettre de leur redonner un usage et participera à la requalification du quartier. Cet aspect est d’autant plus apprécié par la municipalité qui ne peut parvenir à régler tous les maux de la ville. Le collectif, en participant à sa manière au renouvellement urbain des quartiers (qui plus est par des actions culturelles bénévoles), devient un partenaire essentiel pour la collectivité
«Les friches industrielles réinvesties à des fins culturelles traduisent ainsi un passage, une transition, et pourraient même en être la métaphore : la transformation des anciens symboles de la production industrielle en fabriques d’imaginaires.» Marie Vanhamme16
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Usines désaffectées, fabriques d’imaginaires, Marie Vanhamme. Patrice Loubon, 2001, préface
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qui se doit d’être aidé et encouragé de manière durable.
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Le caractère international de certains collectifs, du fait de leur attachement à un réseau d’échanges (cf. trans Europe Halles), représente une justification toute aussi importante pour l’engagement des pouvoirs publics qui voient dans l’organisation d’un évènement culturel de taille européenne une occasion d’améliorer l’offre culturelle proposée. D’autre part, ce renforcement de la portée culturelle du quartier va attirer de nouvelles populations et pourra selon les cas, aboutir à la construction de nouveaux logements. La municipalité procède donc à différentes démarches pour soutenir le collectif. Ces démarches sont dans un premier temps administratives. Pour pérenniser l’activité du collectif, il est nécessaire d’établir un contrat de bail avec le propriétaire du terrain. Ce contrat, renouvelable, va permettre de préciser les conditions de l’occupation du collectif dans la friche et officialisera son existence auprès des instances juridiques. Le propriétaire peut décider de ne pas percevoir de loyers et offrir gratuitement un accès des locaux aux membres. Dans certains cas, il va réclamer une participation financière du collectif. La municipalité va alors se porter garante, le collectif ne disposant pas de moyens suffisants. Selon l’importance de la portée culturelle du collectif, elle pourra décider de racheter la friche afin d’éviter une éventuelle opération immobilière sur le terrain. (En 1988, la ville de Poitiers rachète le Confort Moderne, un ancien local d’une entreprise d’électroménager occupé par le collectif « Etat d’Urgence », qui n’arrivait plus à trouver de financement). En rachetant le terrain, la municipalité semble montrer au collectif qu’elle souhaite établir un rapport durable. Le soutien de la municipalité passe aussi par des formations des membres du bureau administratif du collectif pour améliorer sa gestion. Ces formations professionnelles ont pour but de résoudre les problèmes liés à l’autogestion du collectif. Elles permettent d’apprendre à mieux anticiper l’organisation des évènements afin d’en améliorer le déroulement et la qualité. Une autre forme d’engagement essentielle pour le collectif est l’apport de moyens techniques et humains
(hi-fi, éclairage…) dont elle dispose, et pourra dépêcher sur place quelques agents municipaux (techniciens, cantonniers, police…). Le but recherché étant que les membres du collectif puissent dialoguer avec les membres de la municipalité.
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Friches industrielles, un monde culturel en mutation, Fabrice Raffin, 2007, p 213
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par la municipalité. Pour un concert par exemple, elle pourra prêter au collectif une partie des équipements
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En échange de ce soutien, la municipalité va proposer au collectif d’intégrer un réseau local de culture. Une telle insertion signifie que la culture alternative est reconnue comme un acteur fondamental du renouvellement urbain, elle nécessite donc une visibilité spatiale plus présente dans la ville. Au même titre que les fonds régionaux d’art contemporains(FRAC)19, le collectif qui occupe la friche participe au renforcement de la culture locale face aux institutions culturelles nationales. « La notion d’espace culturel urbain a été adoptée en 1992 par le conseil administratif sur proposition du département des affaires culturelles. Les ECUS (espaces culturels urbains) constituent aujourd’hui un véritable réseau d’équipements culturels, reconnus dans leur spécificité et leur diversité(…) Les espaces culturels urbains sont au service d’une politique de démocratisation de la culture(…), ils créent un maillage très serré entre les différentes expressions de la culture vivante et répondent ainsi aux attentes de publics très diversifiés. » Le directeur des affaires culturelles de Genève en 199620 Cette insertion à un réseau local va permettre au collectif d’enrichir ses contacts avec le milieu artistique et culturel et permettra d’assurer la promotion de ses membres (des opportunités professionnelles pouvant se présenter à ces derniers dans d’autres structures culturelles). Cette institutionnalisation peut être considérée comme l’aboutissement d’un long processus de recherche d’acceptation urbaine des collectifs. Etant devenus acteurs légitimes de la diffusion culturelle au sein des quartiers, les collectifs peuvent désormais espérer bénéficier du même soutien durable que pour un musée ou un centre d’arts contemporain. A Genève par exemple, l’association Etats d’Urgence (aujourd’hui renommée l’Usine), reçoit depuis 1998 une subvention annuelle (environ 300 000 francs suisses) de la municipalité genevoise qui lui permet d’étendre sa programmation et rémunérer les membres permanents. Il faut préciser que seuls les fonds publics sont acceptés, le collectif se refusant à
à la ville peut être amené à changer, le collectif garde ainsi toujours ses valeurs premières. Ce sont ces valeurs et ce besoin d’autogestion qui vont faire la singularité et la richesse des friches industrielles par rapport aux autres espaces dédiés à la culture.
19 Les Fracs ont été crée pour affirmer leur vocation spécifique face au Fonds national d’art contemporain dans le cadre d’une politique gouvernementale de décentralisation volontariste 20 Friches industrielles, un monde culturel en mutation, Fabrice Raffin, 2007, p 224
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relayer des intérêts commerciaux de sponsors ou à promouvoir de la marchandise. Même si son rapport
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On ne peut d’ailleurs plus vraiment parler de friche puisque le lieu a retrouvé un nouvel usage et une occupation permanente. Qui plus est, la redéfinition du patrimoine industriel comme nouvel espace de diffusion culturel passe par une réhabilitation partielle voire totale du bâtiment. Cette réhabilitation, symbole du renouvellement urbain du quartier et de l’engagement municipal, montre que l’espace bâti n’est pas figé et qu’on peut lui trouver de nouveaux usages. Ces espaces trop souvent négligés des populations ont pourtant des potentialités infinies. Pour moi, il est primordial de redéfinir les espaces abandonnés de l’espace urbain, qui participent à la redensification des centres-villes. Avant d’envisager une expansion de l’aire urbaine, il est plus judicieux d’exploiter toutes les possibilités de l’espace existant. En préférant redéfinir l’espace bâti pour lui attribuer de nouveaux usages, les municipalités encouragent la mixité urbaine et limitent les phénomènes de « zonage ».
Afin de saisir au mieux les répercussions de l’appropriation et de la redéfinition d’une friche industrielle sur l’espace urbain et ses occupants, je me suis volontairement basé sur des cas européens exemplaires, où l’occupation du collectif avait une finalité concrète et des effets positifs à l’échelle de la ville. Je me dois de rappeler que de tels exemples de réussite demeurent rares, et que dans la majorité des cas, la présence des collectifs a peu d’incidence sur le devenir des friches. En réalité, l’engagement des pouvoirs publics envers les collectifs dépendra à la fois de l’orientation politique de la ville et du contexte économique. La friche industrielle constitue toujours une réserve financière non négligeable. Sa réhabilitation à des fins culturelles sera fonction de l’ouverture d’esprit des institutions, qui pourront préférer une recherche de plus-value immobilière des terrains (grâce aux projets des promoteurs) plutôt qu’une préservation de l’identité des quartiers. Même si l’utilité de certains collectifs peut être davantage considérée, l’essentiel des occupations resteront éphémères, l’état souhaitant reprendre le contrôle des lieux et ainsi démontrer son autorité. Les expulsions fréquentes de collectifs prouvent par ailleurs que leurs revendications ne sont pas systématiquement prises en compte et traduisent aussi un manque de considération vis-à-vis des populations marginales.
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3.2 L’entente : une possibilité sporadique
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On retrouve implicitement cette volonté de contrôle lors du rapprochement de certains collectifs avec la municipalité. Le subventionnement d’un collectif, son inscription dans un réseau culturel local pourront être envisagées sous certaines conditions (exigences de résultats, uniformisation des pratiques culturelles, l’acceptation d’une perte d’identité marginale). « le CM travaillera autant que faire se peut, en partenariat avec les établissements culturels et les équipements socioculturels de Poitiers tant sur des actions qu’il pourrait proposer que sur des actions qui pourraient lui être proposées (art 5 de la convention d’occupation signée entre la ville de Poitiers et le CM en 96)21 Nous devons comprendre ici que la transformation de l’usage d’un lieu par d’autres acteurs que les pouvoirs publics est possible mais nécessite des efforts et des sacrifices importants. L’engagement dans une lutte acharnée de reconnaissance de la valeur du patrimoine bâti au sein des quartiers ne garantit pas forcément un aboutissement
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Friches industrielles, un monde culturel en mutation, Fabrice Raffin, 2007, p 229
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positif. La durabilité d’une occupation illégale revendicative est donc à l’image du lieu approprié : incertaine.
U : Le futur nouveau terrain d’implantation du centre dramatique national de Saint-Étienne Photographie personnelle prise en 2011.
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CONCLUSIONENVERS LES COLLECTIFS : UNE
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Au cours du 20ème siècle, de profonds changements économiques et sociaux ont bouleversé la conception de l’espace européen. La mondialisation, l’ouverture des frontières ou l’apparition de nouvelles technologies ont eu pour effet de transformer les villes, qui devaient répondre à de nouveaux besoins. Cette période a aussi été marquée par le développement d’activités modernes qui allaient redéfinir la conception du travail. Un tel développement va avoir pour conséquence une extension du territoire des villes, dont les limites vont tendre à s’effacer au fur et à mesure. De nouvelles zones en périphérie des centres urbains seront alors définies pour accueillir les nouvelles populations ou activités. Ces modifications spatiales, souvent très rapides, vont transformer de manière durable la représentation de la ville auprès de ces habitants. Au cours des années 70, deux chocs pétroliers successifs vont mettre un terme à la période faste communément appelée « les trente glorieuses ». Au-delà des répercussions morales qu’ils vont entraîner, ils vont aussi déclencher le début d’une crise industrielle majeure. Vieillissantes, inadaptées aux nouveaux besoins de la société, les industries vont perdre leur attrait au sein des villes. Un processus de délocalisation de l’activité industrielle ne fera qu’accélérer leur perte. L’une après l’autre, les industries qui ne disposent pas de moyens suffisants pour rebondir vont fermer, laissant ainsi de vastes espaces désaffectés au cœur du tissu urbain. Ces friches industrielles marquent le paysage des villes par leur taille imposante. Véritables symboles de l’abandon d’un quartier par ses habitants et la municipalité, les friches témoignent des répercussions de la transformation rapide des villes. Pour certains, ces espaces vont être considérés comme un lieu de mémoire collectif, pour d’autres un véritable terrain de jeux aux potentialités infinies. Par recherche de liberté ou seulement par besoin de trouver un refuge, quelques individus vont s’approprier la friche en l’occupant de manière ponctuelle. Ces espaces vont bientôt être investis par une nouvelle génération d’individus, animés d’un désir de contestation et d’opposition à la norme. Pour ces marginaux, la friche représente un
tous contrôle ou de règles établies.
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support d’expression et de rassemblement identitaire alternatif intéressant, puisqu’il semble détaché de
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Ils vont squatter les lieux de manière illégale, poussés par un désir de reconnaissance de leur singularité dans l’espace urbain. La friche va très vite devenir le lieu central des revendications. Cette communauté marginale pour accroitre sa visibilité, va se rassembler en collectifs, dont la principale arme est la culture. En organisant des manifestations culturelles et en ouvrant l’accès du lieu au public, le collectif va chercher dans un premier temps à attirer de nouveaux membres pour renforcer sa présence dans le lieu. Plus tard, il tentera de se rapprocher des habitants du quartier pour justifier son occupation auprès de la municipalité. Le but recherché étant de légitimer son activité et d’occuper le lieu de manière durable. Comme j’ai tenté de le démontrer à travers ce rapport d’études, les friches industrielles doivent faire partie des programmes de réhabilitation de l’espace urbain. Loin d’être des espaces morts, inutiles, les friches industrielles représentent au contraire un véritable lieu de potentialité. La transformation de l’usage du lieu par des acteurs indépendants comme les collectifs prouve que la municipalité n’est pas le seul acteur du renouvellement urbain des quartiers. De plus, ce changement d’usage montre à quel point la culture peut valoriser le quartier et la ville. Je pense qu’une augmentation des lieux dédiés à la culture est bénéfique pour les populations, la culture ayant un caractère formateur, une dimension sociale et politique forte. En suivant l’actualité des projets de la ville de Saint-Etienne, je suis surpris par le nombre croissant de réhabilitation de friches industrielles en espaces dédiés à la culture (la cité du design en est un exemple frappant). De même, en parcourant l’actualité architecturale européenne, j’ai trouvé un nombre conséquent de projets en lien avec une friche. Je suis donc assez confiant quant au devenir de ces espaces que j’apprécie et qui méritent de ne pas être détruits.
Si j’avais un retour critique à faire par rapport à ce rapport d’études, je dirai que j’aurai aimé avoir plus de temps pour rencontrer des collectifs et visiter davantage de friches. Mes recherches m’ont amené à explorer des friches
regret car j’ai pris beaucoup de plaisir à étudier ce sujet qui d’autre part me passionne et m’interroge. J’espère avoir pu vous faire partager une partie de mon intérêt à travers la lecture de ce dossier. Longue vie à la culture !
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à Saint-Etienne, Andrézieux-Bouthéon, Lyon, mais je n’ai pas pu rencontrer beaucoup d’acteurs. Ce sera mon seul
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BIBLIOGRAPHIE
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Sites internet consultés
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Sources personnelles Flickr Google images déviant art
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Iconographie
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SYNTHÈSE PERSONNELLE
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Après l’obtention du baccalauréat en 2005, je décidai sans réelle conviction de poursuivre des études supérieures. Alors à peine majeur, j’avais le sentiment que mon parcours scolaire s’annoncerait chaotique si je ne trouvai pas une formation dans laquelle j’aurai le sentiment de m’épanouir. J’avais cru à tort trouver ma vocation dans la pratique des langues, mais la faculté n’était décidemment pas faîte pour moi. A la suite de cet échec, je pris le temps de redéfinir mes centres d’intérêt. Il s’avéra que j’avais une prédisposition pour le dessin et la conception d’objets. Au cours d’un salon étudiant, je découvris une école spécialisée dans les domaines de l’art, l’école d’arts appliqués de Bellecour. Suite à un entretien concluant avec le directeur, je me retrouvai donc admis en mise à niveau en arts appliqués à Lyon. Au cours de cette année d’études, j’allai être initié à tous les domaines de la création artistique (dessin, design, graphisme, architecture…). C’est durant cette période que j’allai affirmer mon choix d’orientation professionnelle : je souhaitai désormais être architecte. Cette formation me permettrait non seulement de continuer la pratique du dessin mais aussi d’acquérir des compétences techniques concrètes. Etant de nature généreuse, je pensai aussi que l’architecture me donnerait les moyens d’améliorer une partie de la vie des gens. Après avoir réussi le concours d’entrée de plusieurs écoles d’architecture rhônalpines, mon choix se porta finalement sur l’ENSASE, qui m’avait été recommandée et dont le programme me semblait intéressant. Une fois mon année de mise à niveau validée, je préparai mon entrée en école d’architecture. La première chose qui m’avait frappé en découvrant l’école était sa taille restreinte, à l’échelle humaine. Je trouvai aussi que le nombre d’étudiants était limité. Loin d’être désagréable, cette faible proportion d’étudiants encourageait à la rencontre. Au cours de la semaine d’intégration, un parrain m’avait été attribué. Je devais faire appel à celui-ci si jamais j’avais des difficultés dans un quelconque domaine. Je trouvai les rapports entre élèves très agréables, dénoués de toute compétition pourtant caractéristique des éta-
projet et ses enseignants. On m’avait parlé de l’importance de celui-ci vis-à-vis du reste des enseignements mais j’étais loin de me douter qu’il prendrait autant d’ampleur sur mon emploi du temps. J’eu alors l’occasion d’expérimenter les premières « charrettes », avec d’autres camarades. Les « rendus » allaient occuper une partie grandissante de mon esprit et me contraindre à faire des choix. Si je devais décrire les études d’architecture en quelques mots, je parlerai entre autres de cette nécessité constante de faire des choix.
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blissements d’enseignement supérieurs. Durant la première année, j’allai apprendre à redouter l’atelier de
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Malheureusement pour moi, les efforts que j’avais fournis au cours de cette première année avaient été insuffisants puisque je redoublai le deuxième semestre. Aujourd’hui, je considère cet échec comme un « heureux concours de circonstances » puisqu’il m’a permis de prendre du recul et de gagner en maturité. Une chose qui m’a surpris les premiers temps était la richesse et la diversité des cours proposés. Liés à la technique, à l’anthropologie, la sociologie, l’art… tous les enseignements proposés étaient utiles pour appréhender les questions d’espaces. Je regrette par contre qu’ils n’aient pas toujours eu de liens ou de suite logique (parfois, on pouvait retrouver un cours similaire dans deux matières différentes). Par la suite, j’ai ressenti une intensification de la charge de travail, en partie due à l’acquisition d’un rythme de travail. Je pense pouvoir affirmer avec certitude que depuis quatre ans, 70% de mes week-ends ont été intégralement consacrés au travail. Cette course contre le temps fait aussi partie des réalités du métier d’architecte et il est nécessaire pour l’étudiant de trouver son rythme. En ce qui me concerne, j’ai finit par m’habituer à un telle cadence, même si je trouve que l’urgence permanente à laquelle nous sommes contraints nuit à la qualité de l’apprentissage (je suis souvent obligé de suspendre mes recherches pour produire. Je sais qu’il aura peu de chance que je trouve le temps de les poursuivre plus tard.). Enfin, ces précédentes années d’études à l’ENSASE auront été une formidable période de voyages et de découvertes. Dans le cadre de cours ou de projets associatifs, j’ai en effet eu la chance de pouvoir découvrir de nouvelles formes d’architecture. Ces voyages ont été très formateurs et m’ont donné l’envie de continuer mes études à l’étran-
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ger. J’intègrerai ainsi une école Québécoise à la suite de l’obtention de la licence.
Enseignant référent : GRANDVOINNET Philippe
RAPPORT D’ÉTUDES