Remerciements
Je tiens à remercier particulièrement Madame Agnès Devictor pour avoir accepté de diriger ce mémoire, pour ses encouragements tout au long de ce travail et surtout pour le temps qu’elle a consacré à m’orienter tout en me laissant libre de mes choix. J’exprime toute ma gratitude à Élodie Morel-Lebbos, Directrice de la rédaction ainsi qu’à toute l’équipe d’iloubnan.info. À Myriam Catusse (CNRS - IFPO1), Karam Karam (Lebanese Center for Policy Studies, Lebanese University - IFPO), Rita Chémaly (CEMAM2), Yves Gonzalez Quijano (GREMMO3), Lebanese Association for Democratic Elections, Engagelebanon.org, lebloggers.org, Tawfik Nassar, Michaël Bourgatte, Cécile Dorléans, David Chauvet, Marie & Christian Huguet. Je remercie aussi les amis rencontrés au hasard de mon parcours et qui ont souvent fait preuve d’une grande disponibilité : Ralph Nashawaty, Anne Ilcinkas, Pascale Yussef, Stéphanie Aoun, Florent Éveillé, Geoffrey Le Guilcher, Nuha Mohammed, Jean-Charles BenSichou et Christelle Bakhache.
1
Institut Français du Proche Orient – antenne de Beyrouth, Liban.
2
Centre d’Études du Monde Arabe Moderne, Université Saint Joseph, Beyrouth
3
Groupe de Recherches et d’Études sur la Méditerranée et le Moyen Orient – Université Lumière Lyon 2 – Centre National de la Recherche Scientifique – Institut d’Études Politiques de Lyon.
Mots et concepts clés : Reconfigurations médiatiques, nouvelles audiences, nouveaux publics, communautés, cyberjournalisme, pure player, fracture numérique, web 2.0, web social, mobilisation politique, élections municipales, Beyrouth, Liban, Nouvelle Technologie de l’Information et de la Communication (NTIC), Internet, société civile, Proche-Orient, espace public, messages, émissions, réceptions, jeu de miroir.
Résumé : Le travail suivant tache d’analyser la possible émergence d’une nouvelle sorte de communauté et de nouvelles sortes de solidarités à travers l’exemple d’un type de mobilisation particulier : les élections municipales de Beyrouth 2010 vues par un portail d’information en ligne libanais, iloubnan.info. À travers une analyse sémiologique du projet journalistique de certains aspects du cyberjournalisme, cette étude caractérise d’une manière originale le public, les nouvelles « audiences » qu’un cybermédia peut se « préter » dans un pays à part au sein du Proche Orient. L’espace public libanais et la manière dont circule l’information en son sein est certainement l’élément principal de ce mémoire ; à travers eux, nous essayons de définir certaines propriétés de l’identité libanaise et leurs positions face à un supposé « miroir technologique » qu’Internet aurait engendré. Miroir réversible dans lequel la « rue arabe » serait en mesure (ou pas) de s’observer donc de comprendre le rôle qu’ils peuvent jouer dans différents processus de communication, mais miroir face auquel les nouveaux médias se regardent eux aussi et ajustent leurs stratégies de communication face à de nouvelles manières de faire de la part d’un public qui évolue et se transforme.
Key words :
Abstract : This dissertation study attempts to discern the (supposed) emergence of a new kind of community and solidarity through the example of a specific type of mobilization: The 2010 Beirut Municipal Elections as reported by the Lebanese online newswire.iloubnan.info. Through a semiotic analysis of some cyber-journalism aspects, this study characterizes, in an original way, the new "audiences" that the online media can "claim" in Lebanon. The Lebanese public opinion and how information circulates inside are certainly the main component of this master degree thesis ; through them, we try to define some features of the Lebanese culture identity and their reflected stances via "e-journalism" that Internet has created. A « reversible mirror » in which one the « Arab street » would be able (or not) to observe therefore, to understand the role they can play in various communication processes, but a mirror in which the new media could observe itself and modify their communication strategies and address new ways of doing the part of a public that is evolving and changing.
TABLE DES MATIERES Avant Propos …………………………………………………………………………………1 Introduction …………………………………………………………………………………..6 Nouveaux médias, nouveau monde arabe ? ......................................................................... 10
2
3
4
1.1
Se débarrasser des idées reçues................................................................................... 10
1.2
Une information qui évolue ? Internet et le journalisme............................................. 13
1.3
Étude de cas : Beyrouth 2010, élections et solidarité 2.0 ?......................................... 17
iloubnan.info, pure player libanais franco anglophone ................................................. 20 2.1
Présentation ................................................................................................................. 20
2.2
« Présentation de soi » ................................................................................................ 23
2.3
Particularités sémiologiques et technologiques du cyberjournalisme......................... 26
2.4
Utilisation et approche d’iloubnan.info ...................................................................... 30
Nouveaux publics, nouvelles élections ?......................................................................... 32 3.1
Espace public et société civile .................................................................................... 32
3.2
La rue arabe................................................................................................................. 36
3.3
Vers une zone grise entre parole publique et privée ................................................... 39
3.4
Des « révolutions » reconstruites ................................................................................ 42
Les élections municipales 2010 de Beyrouth sur iloubnan.info ................................... 46 4.1
Emergence d’un espace public numérique ?............................................................... 46
4.2
Un public anti « mystification » de l’image................................................................ 51
4.3
Nouveaux (é)lecteurs, nouvelle communauté ? .......................................................... 59
Conclusion ............................................................................................................................. 62 Bibliographie …………………………………………………………………………………64 Annexes ………………………………………………………………………………………73
Qu’on le veuille ou non, il est évident que les nouvelles technologies vont nous obliger à modifier notre politique de l’information, qui n’a pas subi de changement depuis des années. Leur introduction va entraîner une évolution vers une information de type plus libéral. On nous a dit maintes fois que cela risquait de nous mener à la décomposition, nos pays étant exposés d’un côté à la pression du colonialisme (ancien et nouveau) et de l’autre à des facteurs d’aliénation et de déchirement interne. […] Mais il faut finir par admettre qu’avec la diffusion spatiale, le statut quo […] n’a aucune chance de se maintenir. Hamdy Kandil Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée, N°47, 1er trimestre 1988, p.80.
Avant-propos Dans l’introduction de La société de l’information au Proche Orient, Internet au Liban et en Syrie4, Yves Gonzales-Quijano et Christophe Varin posent la question de l’existence d’une « société de l’information au Proche Orient ». Effectivement, en 2004 (date de sortie de l’ouvrage cité précédemment), le sentiment que le monde arabe vivait sous la menace d’une « fracture numérique5 » irrémédiable était très présent ; posant de nouveaux enjeux sociaux, politiques et culturels. Le travail entrepris au Caire en 2009 et dans le cadre d’une première année de Master Stratégies du Développement Culturel, partait du postulat de l’existence d’une « rue arabe numérique » conjuguée à une « Nahda6 digitale » (en arabe: al nahda = « la renaissance ») qui constituerait un « espace public alternatif dans des sociétés soumises à des régimes autoritaires mais promptes à s’émouvoir pour des enjeux identitaires »7. Il s’agit à présent d’interroger l’articulation Internet / émergence de nouvelles audiences sur le web et le « jeu de miroir » qui s’installe entre ces audiences et les émetteurs d’informations. « Jeu » complexe où émetteurs et récepteurs d’informations se regardent, s’interrogent par écrans interposés, deviennent complémentaires et parfois même, inversent leurs rôles au sein des processus de communication (notamment en ce qui concerne les nouveaux prescripteurs d’informations, personnes physiques ou morales ayant de l’influence sur nos choix face à une information globalisante, à la fois émetteurs et récepteurs
4
GONZALEZ-QUIJANO, Yves, VARIN, Christophe (Textes édités par), La société de l’information au Proche Orient, Internet au Liban et en Syrie, CEMAM – GREMMO, Beyrouth, Liban, 2004.
5
La fracture numérique se caractérisant à la fois par la disparité d’accès pure et simple aux technologies du Web mais aussi par les inégalités existantes au sein même des utilisateurs d’Internet. En effet, les clivages entre émetteurs et récepteurs, entre pays riches et pauvres, entre centres urbains et zones rurales, entre l’accès au haut débit selon que l’on soit dans un endroit plus ou moins dense en population.
6
Au XIXe siècle, la Nahda, fut une véritable renaissance arabe moderne, à la fois politique, culturelle et religieuse. Initialement, cette mouvance était largement concentrée en Égypte. Déclenchée par Mehmet Ali après la campagne napoléonienne d’Égypte (1798 – 1801), elle fait suite au choc ottoman face à leur retard technique sur l’Occident et débute l’affirmation dans le Moyen Orient de quatre principes importés d’Occident : le principe de la raison, la participation au pouvoir (démocratie), l’unité politique et religieuse, l’interprétation et non plus l’imitation du texte sacré, le Coran. Elle correspond à une véritable promotion de la démocratie et des Droits de l’Homme et à une volonté de traitement égal des citoyens quelle que soit leur religion. La Nahda, dans sa seconde phase (XXe siècle) correspond aussi à un moment de réinvention identitaire pour le monde arabe ; mouvement politique et culturel qui vit le jour, en grande partie, au Liban. Voir notamment DELCAMBRE, Anne Marie, Mahomet La parole d’Allah, Gallimard, Paris, 1987 et BAUCHARD, Denis & LEVEAU, Rémy (Direction. CAHAN Judith, coordination), La Démocratie est-elle soluble dans l’islam ? CNRS Éditions, Paris, 2007.
7
DUPRET, Baudouin & FERRIÉ, Jean-Noël, (Direction), Médias, guerres et identités Les pratiques communicationnelles de l’appartenance politique, ethnique et religieuse, Éditions des Archives Contemporaines, Paris, 2008, p.7.
1
d’information, utilisateurs « hybrides » sur lesquels nous reviendrons dans l’analyse). Sans cesser de s’observer l’un l’autre, de se transformer en fonction du reflet qui apparaît sur les deux faces de ce « miroir », métaphore de cette nouvelle configuration médiatique, signataires et auditeurs-lecteurs des messages informatifs évoluent parallèlement en essayant peut être d’inventer une nouvelle sorte d’espace public (numérique). Les interrogations sur la capacité, réelle où supposée, des nouveaux médias à modifier la vie politique, culturelle et sociale arabe sont alors et plus que jamais d’actualité. Les travaux portant sur les médias arabes sont aujourd’hui en recrudescence, mais ils restent axés, bien souvent, sur l’étude des phénomènes liés aux pratiques télévisuelles et au développement des médias satellitaires8 (remarquons néanmoins que ces problématiques sont aujourd’hui et de plus en plus au centre de différents travaux scientifiques dans divers domaines: économie, informatique, ainsi que dans l’ensemble des sciences humaines). Il s’agit donc de montrer dans cette étude qu’en analysant Internet (plus précisément la création et diffusion d’informations sur le web social), on peut apporter un éclairage sur la société de l’information proche orientale et sur l’espace public libanais (C’est à dire l’ensemble des espaces de passage et de rassemblement dans les sociétés humaines, en particulier urbaines, à l’usage de tous). Pour analyser la création et la diffusion d’informations, la rédaction du portail d’information en ligne iloubnan.info9 proposait un travail de suivi des élections municipales 2010 de Beyrouth sur Internet (impact « politique » sur les réseaux sociaux du web, les blogs, sites d’informations en présence au Liban). L’observation de ce segment permettait de prolonger les recherches entreprises en 2009 en Égypte10 mais posait toutefois plus d’un problème méthodologique, à commencer par ceux qui tiennent à « la nature volatile d’un objet dont les frontières physiques et typologiques sont bien difficiles à tracer »11. Quelles audiences se donnent les « segments » que nous étudions ? Et de quelle manière la sphère médiatique (en partant de l’exemple des élections municipales de Beyrouth 2010) et la
8
Cf. GUAAYBESS, Touriyya, Télévisions arabes sur orbite : un système médiatique en mutation (1960-2004), CNRS Communications, CNRS Éditions, Paris, 2005.
9
http://www.iloubnan.info
10
Qui plus est, Égypte et Liban correspondent, au sein du levant (en arabe mashreq – le levant ; en opposition au maghreb - le couchant), aux principales zones d’influences politiques, économiques et culturelles.
11
GONZALEZ-QUIJANO, Yves, VARIN, Christophe, op.cit. p.70.
2
supposée sphère civique du web12 se consultent, s’ignorent, se questionnent, s’influencent l’une l’autre au sein de ce « jeu de miroir », élément problématique de ce travail. Il s’agit donc ici de déconstruire certains mécanismes et stratégies de communication médiatiques menées durant les élections municipales de Beyrouth pour tenter de comprendre comment de nouveaux organes de presse pensent (consciemment ou non) leurs rapports aux publics, comment ils « idéalisent » leurs audiences et le supposé espace public auquel ils s’adressent (les médias, médiations écrites et/ou visuelles dont il sera question seront analysés sémiotiquement et selon leurs modalités de circulation et de transformation). L’étude qui suit tente par ailleurs de savoir s’il existe une spécificité arabe ou libanaise dans ce processus de communication. Elle interroge de la même manière « l’écrit d’écran »13 libanais (publié en anglais et en français du fait que nous n’avons pas accès à l’arabe) et la question des rapports entre objets, textes et pratiques ; en mettant particulièrement en lumière une modalité spécifique qu’Yves Jeanneret qualifie de « transformations médiatiques contemporaines, celle qui concerne l’activité d’écriture, de lecture et de manipulation des objets écrits »14. Elle tente de comprendre de quelle manière ou plutôt par quel « chemin » appréhender certaines « briques du construit identitaire »15 libanais et de clarifier ce que l’on entend par « média », notion encore trop souvent mal identifiée. L’analyse porte aussi sur ce que l’on entend par la notion de « communauté », « d’audiences » et de « publics» des médias dans un pays où une telle question reste au cœur des débats socioculturels et politiques. Le média est un moyen de diffusion d’informations (prenons l’exemple de la presse écrite, de la radio, de la télévision, ou bien encore d’Internet16 qui peut, par ailleurs, être qualifié de « méta-média », objet combinant la majorité des aspects visuels, écrits et sonores des autres médias17, média sur des médias). Internet a bouleversé la logique informationnelle
12
Constituée par exemple de bloggeurs renommés, de médias indépendants en ligne reconnus, des différents réseaux sociaux et du quidam qui s’intéresse aux enjeux politiques libanais, etc. L’analyse tachera d’ailleurs d’analyser la réalité de cette sphère civique.
13
Notion créée par Emmanuël Souchier, professeur en Sciences de l’Information et de la Communication, Ecole Nationale Supérieure des Télécommunications – Paris.
14
JEANNERET, Yves, Y-a-t-il (vraiment) des technologies de l’information ? Presses Universitaires du Septentrion, Villeneuve d’Ascq, xs2007, p.149.
15
ABDALLAH, Sebastian, Chatter online à Beyrouth in DUPRET, Baudouin & FERRIÉ, Jean-Noël, Introduction, op. cit, p. 195
16
Cf. HUGUET, François, Mémoire Master 1 SDC PCC, Le défi des bloggeurs égyptiens, entre contestation numérique, combat pour la démocratisation et construction d’une société civile (Direction : Agnès Devictor), où le postulat de départ était qu’Internet pouvait ouvrir de nouveaux espaces de débats publics, tant au niveau local que transnational pour favoriser une certaine forme d’indépendance politique, civique et sociale.
17
JEANNERET, Yves, VARIN Christophe, op.cit.
3
médiatique en questionnant d’une nouvelle manière l’idée de neutralité, en cherchant à remédier au problème du sens unique de l’information (communication verticale par exemple) et au manque de personnalisation du message médiatique. Il ne s’agit pas dans ce mémoire d’analyser la réception des messages et les usages du web mais bien de montrer que ce média offre la possibilité de faire du simple récepteur un émetteur devenant ainsi un indicateur particulièrement pertinent pour saisir une activité informationnelle et/ou communicationnelle et des stratégies de communication sociales, culturelles, civiques, politiques et économiques. Le travail mené tente d’analyser des objets médiatiques issus du web (blogs, sites Internet, dépêches web, réseaux sociaux (Facebook, Twitter), leurs contenus (concernant, de près ou de loin, les élections municipales de Beyrouth), leur « présentation de soi »18 et les stratégies de communications dans lesquels ils s’inscrivent pour essayer de comprendre l’apparente participation et non plus simple consommation d’un public. S’intéresser à Internet au Liban c’est aussi ne pas retenir uniquement la spécificité d’une situation dans une région donnée, mais élaborer une réflexion plus ouverte pour comprendre les interactions avec le système mondialisé. C’est « mettre en évidence, en fonction de densités et d’échelles variables, certains retards (infrastructures et qualité des services, taux de pénétration et usage d’Internet, etc.) mais aussi certaines avancées parfois inattendues, selon des rythmes qui peuvent connaître des paliers, des inversions de tendances et de brusques accélérations »19. Parallèlement à cela, et c’est en ce sens que ce travail interroge la notion de participation collective et la question des publics ; il est nécessaire de s’intéresser aux conditions de réussite d’une communication interactive « à la libanaise », intégrant multilinguisme20, interculturalité21 et besoins d’ouvertures. Et c’est bien les moyens
18
DUPRET, Baudouin & FERRIÉ, Jean-Noël, (Direction), Médias, guerres et identités, op.cit. p. 62 – 87.
19
GONZALES-QUIJANO, Yves, VARIN, Christophe, op.cit. p.11.
20
D’après l’article 11 de la Constitution Libanaise, (modifiée le 21 septembre 1990 après les accords de Taëf) l’arabe est la langue officielle du Liban, il stipule aussi que : « L'arabe est la langue nationale officielle. Une loi spéciale déterminera les cas où il sera fait usage du français.». Les influences régionales et les différentes occupations au cours des siècles pourraient expliquer pourquoi tant de langues différentes sont parlées dans ce pays. En raison de l’histoire du Liban, le français et l’anglais, en plus de l’arabe classique, demeurent des langues relativement pratiquées comme langues secondes. Étant donné que les Libanais ont toujours été de grands commerçants, la connaissance des langues étrangères est une pratique courante. En effet, presque tous les Libanais parlent l’arabe classique, 45 % le français et 40 % l’anglais. En général, le français est répandu dans les familles chrétiennes et dans les couches aisées musulmanes; la majorité des musulmans ont tendance à être plutôt anglophiles. Des études effectuées en 2000-2001 par la Commission des Affaires Culturelles du gouvernement français démontrent que les vrais bilingues arabe-français représenteraient 28,5 % de la population, alors que les bilingues arabe-anglais seraient 14 %. Par ailleurs, 73 % des bilingues arabe-français connaîtraient également l’anglais. Il s’agirait d’un trilinguisme presque diglossique où l’arabe serait utilisé à la fois comme langue maternelle et comme langue vernaculaire, le français servant essentiellement comme langue de culture et l’anglais comme langue fonctionnelle pour les communications avec l’extérieur.
21
D’après les données du CIRAL (Centre Interdisciplinaire de Recherche sur les Activités Langagières) - Département de Langues, linguistique et traduction de l’Université de Laval au Québec (http://www.ciral.ulaval.ca), Les groupes ethniques libanais sont au nombre de 22 (au moins). Les communautés d'origine du Liban sont les Arabes libanais (70,1%), les Druzes (10,1%), les Arméniens (4,9%), les
4
de communication numérique au Liban qui problématisent le travail. Moyens qui impliquent, dès lors, une réception, une « manière de faire » nouvelle, pour reprendre la formule de Michel de Certeau22, qui donnent un écho dans la réalité. Médias qui, en définitive, nous intéressent moins pour eux-mêmes que pour ce qu’ils disent sur l’émergence de « nouveaux publics »23. « Nouveaux publics » arabes donc, confrontés, dans un temps et un espace où les frontières tendent à s’effacer, à une multitude de discours véhiculés par un vaste système de communication. Ce dernier imposerait d’ailleurs des règles qui selon Yves Gonzales-Quijano « ne constituent pas un simple habillage mais au contraire un puissant modelage, une structuration en profondeur de l’information qui donnent corps aux convictions et aux croyances, aux manières de voir le monde et d’y donner sens à sa présence »24. Nouvelles audiences qui avaient offert une certaine lecture dans le travail de Master 1 mené en Égypte et qui permettent de croire en la possibilité de réponses aux questions que l’entrée dans la modernité n’a cessé de poser aux sociétés arabes depuis le milieu du XIXe siècle. « Nouveaux »
publics,
« nouveaux »
médias
et
formes
de
communication,
« nouvelles » configurations de participations collectives qui sont au centre de ce mémoire tout comme les attributs même de ces objets, dont le caractère, soit disant novateur, reste à questionner.
Alaouites (2,8%), les Chaldéens (0,5%), les Araméens (0,1%), les Assyriens (0,1%) et les Juifs (0,01%). Tous les autres sont des communautés immigrantes: Palestiniens, Égyptiens, Syriens, Français, Irakiens, Américains, Kurdes, Turcs, etc. 22
DE CERTEAU, Michel, L’invention du quotidien 1. Arts de faire, Folio, Gallimard, 1990.
23
GONZALES-QUIJANO, Yves, GUAAYBESS, Touriyya, (direction), Les arabes parlent aux arabes, La révolution de l’information dans le monde arabe, Actes Sud - Sinbad, Arles, 2009, p.16.
24
GONZALES-QUIJANO, Yves, VARIN, Christophe, op.cit.
5
Introduction Depuis le début des années 1990, le Liban a plus ou moins disparu des feux de l’actualité sanglante et guerrière qui déchirent de nombreux points du globe25. Quinze années durant (de 1975 à 1990, date des accords de Taëf26 mettant fin à la guerre civile libanaise), le pays du cèdre a joué sa participation malheureuse dans la géopolitique régionale et « les évènements qui l’ont frappé ont aussi annoncé le modèle des explosions balkaniques qui ont pris le relais, sitôt le champ proche-oriental calmé provisoirement, après l’expulsion de l’Irak du Koweït (1991) et la mise en place du « processus de Madrid » destiné à organiser la paix entre israéliens et arabes »27. Chercher à définir ce pays, même modestement, est une entreprise délicate ; l’exotisme et l’image « cliché » étant presque toujours au rendez-vous. Loin d’être une terre exotique, le Liban ressemblerait plutôt à ce qu’en dit Amin Maalouf « (Il n’est) pas une exception mais plutôt le miroir du Monde, un raccourci de l’aventure humaine et une préfiguration de l’avenir commun »28. La nouvelle donne médiatique, au centre des thèmes de ce travail, a certainement modifié ce paysage. Dans ce contexte, nous tenterons de trouver une posture énonciative cohérente pour tâcher d’étudier les reconfigurations médiatiques en présence au Liban à partir d’un exemple de mobilisation particulière qui se déroulait lors de ce stage de fin d’études et de nos observations sur le terrain. Les élections municipales 2010 de Beyrouth ne signifient pas une évolution du jeu politique libanais qui depuis 2005 s’est refermé dans un schéma dichotomique29. Avant cela,
25
Il est néanmoins, et de plus en plus au centre de l’actualité politique proche orientale et ce depuis 2005, année de l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafik Hariri et de la « révolution du cèdre » (voir note 29). En 2006, le conflit israélo arabe se réengageait avec les affrontements libano israéliens (guerre de juillet) et aujourd’hui, été 2010, les menaces d’éclatement d’un nouveau conflit se font de plus en plus sentir.
26
Un « document d’entente nationale » fût signé à Taëf (Arabie Saoudite) le 5 novembre 1989 dans le but de mettre fin aux quinze années de guerre civile que le Liban venait de traverser. La seconde république libanaise naissait de ce contexte après que les accords de Taëf prirent force de loi constitutionnelle en 1990.
27
CORM, Georges, Le Liban contemporain histoire et société, La Découverte, Paris, 2005, p.20.
28
MAALOUF, Amin, Les identités meurtrières, Grasset, Paris, 1998.
29
Mouvements du 8 mars et du 14 mars. Le 8 mars 2005, suite à l’assassinat du Premier Ministre Rafic Hariri (25 février 2005) et à la démission du premier ministre pro-syrien Omar Karamé, qui engendrèrent la « révolution du Cèdre », les partis pro-syriens chiites Amal, Hezbollah, chrétiens el-Marada et le Parti Social Nationaliste Syrien organisent une manifestation qui rassemble des centaines de milliers de personnes (1 600 000 selon les organisateurs, 1 500 000 selon Al Jazeera, 800 000 par les forces de l'ordre et 200 000 par Future TV, propriété de feu Rafic Hariri) pour dénoncer la tentative d'ingérence des puissances occidentales dans les affaires syro-libanaises. Une controverse suit, l'opposition anti syrienne accuse les organisateurs d'avoir « apporté » des Syriens pour gonfler le nombre de participants à la manifestation. Omar Karamé est une nouvelle fois désigné premier ministre, la crise libanaise continue. Le 14 mars 2005, l'opposition
6
dans les années 1990, le Liban comportait de nombreux acteurs politiques, porteurs d’un nouveau projet civil et laïc pour la société. Les universités notamment30, comptaient des mouvements militants forts, porteurs de revendications importantes. Cette même décennie laissait entrevoir des indices d’émergence de nouveaux acteurs, de nouvelles manières de faire de la politique. Mais le communautarisme libanais (et sa « surenchère », selon Corm31), « produit de la modernité et non point une constante historique, une réalité permanente et essentielle », a refait son apparition pour redevenir un moyen d’autopromotion sur la scène politique. Dans les années 2000, ces acteurs n’ont pas disparu, leurs successeurs arrivent, organisés différemment. Pour Myriam Catusse, chercheuse au CNRS basée à l’Institut Français du Proche-Orient de Beyrouth, les années 2000 ont fermé le jeu politique, l’espace de mobilisations politiques, syndicales, civiques et estudiantines. La cause ? Encore une fois la grande polarisation autour des blocs politiques du 8 et du 14 mars (Cf. note 29). L’émergence supposée de nouveaux acteurs (sociopolitiques) est–elle possible grâce aux nouveaux outils (et modes) de mobilisation qu’offrent le web social, les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication32 en général et la reconfiguration médiatique Proche Orientale ? Comment ces supposés nouveaux acteurs (qui comprennent les nouveaux médias – « cyberjournaux sociaux» notamment), outsiders auraient une possibilité de devenir insiders grâce à de nouveaux outils technologiques sachant qu’il s’agit aussi d’une possibilité importante pour ces insiders d’être encore plus dominants ? C’est à partir de telles
libanaise à l'occupation syrienne et au régime prosyrien en place à Beyrouth, rassemble plusieurs centaines de milliers de personnes (800 000 selon Robert Fizk, 1 200 000 selon les organisateurs). Venant de toutes les régions du pays essentiellement druzes, sunnites ou chrétiennes, la foule réclame, sur l'immense place des Martyrs de Beyrouth, la vérité sur l'assassinat de Rafic Hariri, le départ de la présence syrienne et du gouvernement d'Omar Karamé. Le même jour, le général Michel Aoun annonce son retour au Liban après 15 ans d’exil forcé en France. Après ces deux dates clés dans la compréhension du jeu politique actuel libanais, les forces syriennes se retirent lentement du Liban. Quelque 14 000 militaires syriens stationnaient au Liban avant le début du repli décidé par la Syrie, soumise à une pression internationale sans précédent depuis l'entrée de ses troupes au Liban en 1976. En 2010, la coalition du 8 mars est animé par le Hezbollah, le mouvement Amal, et le Courant Patriotique Libre de Michel Aoun. Celle du 14 mars est quant à elle animée par le Courant du futur de Saâd el-Hariri, le parti progressiste socialiste du chef druze Walid Joumblatt et des leaders et groupes chrétiens dont les Forces Libanaises de Samir Geagea et le Kataëb de Amin Gemayel. 30
Propos extraits d’un entretien avec Myriam Catusse, chercheuse en Sciences politiques, CNRS – IFPO Beyrouth. 19 mai 2010. Catusse et Karam Karam évoquent tous les deux les mobilisations citoyennes post 1990 : liberté syndicale dans les universités (Université Saint Joseph, American University in Beirut), nécessité du retrait syrien, combat pour la laïcité, etc. voir leurs entretiens en annexes. À propos du mouvement civil libanais, voir KARAM, Karam, Le mouvement civil au Liban. Revendications, protestations et mobilisations associative dans l’après guerre, Karthala, Paris, 2006.
31
CORM, Georges, Le Liban contemporain, op.cit. p.21. Georges Corm considère effectivement que l’institution des communautés dans l’ordre public libanais et leurs politisations sont le résultat de l’Histoire contemporaine du Liban, du jeu et des rivalités des puissances européennes et de l’Empire Ottoman passées.
32
(NTIC) Comprennent les objets communicants (terminaux de communication capables d’envoyer, de recevoir, d’enregistrer et lire des informations numériques multimédia via les réseaux de communication filaires ou sans fils) mais inclut plus largement toutes les technologies de télécommunication numérique, non seulement les terminaux, mais l’infrastructure technologique comme les réseaux et les serveurs.
7
interrogations que nous avons construit les deux axes problématiques principaux de ce travail qui sont, dans un premier temps, d’essayer de savoir si Internet et nouveaux médias au Liban riment avec émergence de « nouvelles » audiences ou publics (et, le cas échéant, quels sont leurs liens avec la notion de communauté, quelle est la réalité de cette supposée Nahda numérique) ? Mais aussi de savoir si ces nouveaux médias configurent une nouvelle société de l’information au Liban comprenant un nouveau type d’espace public de dialogues, de débats, d’échanges et de controverses ? Notons d’ores et déjà que ce travail concerne le « Liban urbain », celui de la ville, qui s’oppose au « Liban de la montagne ». Deux sociétés, deux histoires, qui entrent souvent en collision. Espace urbain, celui de sa capitale plus précisément, où se déroulait un scrutin municipal et où de nouvelles formes de médias s’emparent d’un tel évènement pour, peutêtre, cristalliser de nouveaux enjeux communicationnels et informatifs. Comment un média appréhende et traite un tel événement ? Comment penser une relation et un format de transmission d’informations à un public qui évolue, qui n’a plus vraiment le même rapport à l’information, à l’écrit, à l’image ? Et comment se « présenter » à lui ? Dans Le défi des bloggeurs égyptiens, entre contestation numérique, combat pour la démocratisation et construction d’une société civile33, nous concluions en observant que comme dans la sphère financière, un des moteurs de la globalisation, dans le secteur de la communication, est le contournement des règles édictées par les autorités de tutelles. Dans le monde arabe, ce jeu dynamique entre autorités, opérateurs et utilisateurs conduit au développement de nouveaux produits, de nouveaux supports et en définitive à l’extension d’un système bien au-delà des frontières nationales. La « baguette magique » de la convergence technologique permettrait de postuler la fin des territoires, par-delà lesquels on communique et on s’informe. Sur la zone qui nous intéresse ici, durant la première période qui s’étend de l’avènement de la télévision en 1960 jusqu’après la première guerre du Golfe (Iran/Irak - 1980-88), l’État était considéré comme émetteur unique. Dans un deuxième temps, en réalité nous préférons parler de transition, il perdait son « royaume » ; « Son » public devenant « Le » public34. L’exemple de l’apparition du réseau des réseaux a des conséquences inédites dans l’espace public car l’enjeu est peut être ici : une sphère publique
33
HUGUET, François, Mémoire Master 1 SDC PCC, UAPV-2009 dir. Agnès Devictor op.cit.
34
GUAAYBESS, Touriyya, Télévisions arabes sur orbite, op.cit.
8
contrôlée par l’État. Effectivement, ce dernier autorisait certains à intégrer cet espace en interdisant l’accès à d’autres ; or, Internet l’intègre. Son ouverture au pluralisme équivaudrait sans doute à l’avènement de cet espace de débat et de discussions accessible à tous, praticiens et grand public, un lieu d’expression où la distribution de biens symboliques se dérobe au seul jugement de l’État. En reprenant des travaux sur les évolutions du web dans le monde arabe, nous aimerions montrer comment les (cyber) médias jouent une place tout à fait particulière dans cette nouvelle organisation du réseau des réseaux. Comment ils définissent peut être les contours d’un nouvel « espace public arabe » que certains opposent à l’espace public habermassien35. Pour Dupret et Ferrié36, cet espace public serait dominé par la représentation : les mots d’ordres des régimes et des slogans islamistes, sans aucune place pour la délibération et où l’opposition s’exprimerait par l’émeute. Mais si la conception habermassienne demeure « un outil sociologique non pertinent pour décrire ce qui se passe exactement, quand des acteurs précis s’orientent contextuellement vers des publics précis »37, l’existence d’un public « arabe » ou de « rue arabe » est à relativiser comme le montrent les travaux de Dupret et Ferrié. Il existe néanmoins des publics différenciés vers lesquels des acteurs différenciés s’orientent en fonction des circonstances et du contexte. Des discours orientés vers des audiences et non vers une audience. Discours, informations, cyberjournalisme et élections seront donc au cœur de la première partie de ce travail, tandis que le terrain de recherche, iloubnan.info, sera analysé dans un second temps. Les questions de l’espace public libanais et de la manière dont un nouveau média est en mesure de l’interroger seront traitées dans la troisième partie et quatrième partie où nous tacherons de savoir si les NTIC sont en mesure de configurer une « rue arabe » (libanaise) numérique.
35
HABERMAS, Jürgen, L’Espace public, Payot, Paris, 1978.
36
DUPRET, Baudouin & FERRIÉ, Jean-Noël, Médias, guerres et identités Les pratiques communicationnelles de l’appartenance politique, ethnique et religieuse, op.cit. p.7, 8.
37
Ibid.
9
1 Nouveaux médias, nouveau monde arabe ? 1.1
Se débarrasser des idées reçues
En 1994, un groupe de réflexion mené par Alvin Toffler38 publiait un manifeste, modestement sous-titré « une Magna Carta pour l’ère du savoir »39, qui promettait l'essor de « “quartiers électroniques” reliés entre eux non pas géographiquement, mais par des intérêts communs». Nicholas Negroponte, alors à la tête du MediaLab du Massachussetts Institute of Technology (MIT), prédisait en 1997 « qu’Internet allait faire tomber les frontières et inaugurer une nouvelle ère de paix dans le monde40 ». Notre époque a effectivement acquis la certitude que quelque chose d’essentiel se déplace dans les moyens matériels de diffusion de connaissance mais elle ne sait pas du tout quoi. Plus exactement et sur un mode plus polémique, comme le remarque Yves Jeanneret41, « on peut affirmer dans les médias et dans l’édition à peu près n’importe quoi sur les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), dès lors que l’on théâtralise suffisamment l’événement pour pouvoir l’associer à n’importe quel épisode spectaculaire, faisant stéréotype dans l’histoire des techniques d’enregistrement et de diffusion ». Le « méta-média »42 Internet tel qu'on le connaît en 2010 et tel qu'il existe depuis une vingtaine d'années, a indubitablement été le moteur de nombreux changements. Pour Evgueny Morozov43, le nombre de produits et de services qu'on peut trouver en ligne aujourd'hui est incroyable. Cependant, tout comme les générations précédentes ont été déçues de constater que ni le télégraphe ni la radio ne tenaient les promesses du changement annoncé par leurs supporters les plus enthousiastes, on pourrait mettre en doute la capacité du « réseau des réseaux » à façonner un monde de paix et de liberté. En favorisant les transactions de nombreux réseaux transnationaux, Internet a tendance à avoir aggravé les choses plutôt que les améliorer. Aujourd'hui, le Net est par exemple un endroit où les militants homophobes
38
Qui fût notamment enseignant en sociologie à l’université Cornell, Ithaca, état de New York, États-Unis.
39
Cf. The Progress & Freedom foundation - http://www.pff.org/issues-pubs/futureinsights/fi1.2magnacarta.html
40
Cf. http://edition.cnn.com/TECH/9711/25/internet.peace.reut
41
JEANNERET, Yves, Y-a-t-il (vraiment) des technologies de l’information ? op.cit. p.12
42
MC LUHAN, Marshall, Pour comprendre les médias, Points, Seuil, Paris, 1977.
43
Éditorialiste au magazine américain Foreign Policy (http://www.foreignpolicy.com).
10
utilisent Facebook pour s'organiser pour lutter contre les droits des homosexuels, et où les socio-conservateurs d'Arabie Saoudite mettent en place des équivalents en ligne de la commission pour la promotion de la vertu et la prévention du vice. L’utopie d’un monde connecté ne rime pas forcément avec un monde plus juste. Les outils du web social n’ont d’ailleurs jamais renversé un gouvernement44, ils peuvent même s’avérer parfois nuisibles aux « activistes – militants » opérants à l'intérieur de régimes totalitaires. Néanmoins, ceux qui se sont enthousiasmés pour la multiplication de toutes ces manifestations virtuelles assurent que les services en ligne comme Twitter, Flickr, Facebook et YouTube ont tout de même facilité la circulation de l'information, autrefois strictement contrôlée par l'État, notamment lorsqu'il s'agit de photos et de vidéos accablantes prouvant certains abus commis par la police ou la justice45. Toutefois, un meilleur accès à l'information signifie-t-il nécessairement pouvoir redresser les torts plus facilement? Pas forcément. Ni le régime iranien, ni celui d’Israël46 ni celui de la Birmanie ne se sont effondrés à la suite de la publication sur certains réseaux sociaux de photos pixellisées prouvant le non-respect des Droits de l'Homme sur leurs territoires (ou sur un territoire international Cf. article Les gouvernements et l’arme de communication massive nommée web 2.0, iloubnan.info, juin 2010). Mais à l'instar de leurs opposants, les autorités iraniennes ont elles aussi décidé de profiter du Net: après les manifestations qui ont eu lieu à Téhéran en 2009, un site Internet a été créé où figurent les photos des opposants, invitant les internautes à contacter la police pour les identifier. Grâce à de nombreuses photos et vidéos mises en ligne sur Flickr et YouTube par les manifestants et leurs sympathisants étrangers, les services secrets iraniens ont pu réunir des preuves
44
Nous pourrions ici évoquer, plus d’un an après la réélection contestée de Mahmoud Ahmadinejad en juin 2009, le Mouvement Vert iranien, sorte de prototype de la cyber-révolution avortée et rassemblement plutôt controversé cherchant aujourd’hui un second souffle. L’analyse d’Omid Saedi, doctorant iranien dans le Monde.fr du 25 février 2010 (http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/02/25/iran-de-larevolution-inachevee-de-1979-a-la-dynamique-revolutionnaire-en-cours_1311165_3232.html) relève ceci : « ce qui est en cours n'est pas "une autre révolution", mais juste une "demi-révolution" […] une mutation qui cristallise sous une couleur verte les évolutions dynamiques et profondes de la société iranienne depuis des décennies. Elle constitue la moitié inachevée de la révolution de 1979. Sans plus. Ce mouvement "vert" est un événement imprévisible, irrésistible et extérieur à la volonté des personnes qui le composent. Elles ne sont en rien responsables des conséquences que cette véritable "force majeure" peut entraîner dans la société iranienne ».
45
Cf. le cas Wael Abbas, in HUGUET, François, Mémoire Master 1, Master SDC PCC UAPV 2009, op.cit. p.20.
46
Concernant ce dernier, on pourrait prendre comme exemple de « mécanisme de contrôle » ce que l’on nomme Hasbara, mot hébreu signifiant littéralement « explication » ou « éclaircissement ». Terme utilisé par Israël et différents groupes pro-israéliens pour désigner des opérations de communication cherchant à défendre le point de vue et la politique de l’État d’Israël auprès de l’opinion publique internationale sur toutes les plateformes web : médias, forums, réseaux sociaux, blogs, chaine de partage vidéo, sites collaboratifs (voir des sites web tels que hasbara.com, memri.org, camera.org et thejidf.org).
11
incriminant des dizaines d'opposants au régime47. Ni Facebook ni Twitter n'offrent la sécurité nécessaire pour une révolution réussie et ces sites pourraient même devenir un moyen pour certains dirigeants de prévoir et d'étouffer une insurrection. Morozov pose d’autre part la question suivante : « Si les Allemands de l'Est avaient tweeté ce qu'ils ressentaient en 1989, qui sait jusqu'où aurait été la Stasi pour faire taire les opposants? » (voir partie 3-3 vers une zone grise entre parole publique et privée p. 39-41). Internet a également pris son essor dans un contexte d’inégalité de l’accès ce qui implique des conséquences durables sur sa structure et son contenu. La fracture numérique que nous abordions dans l’avant propos de ce travail paraît être une caractéristique durable de l’Internet « arabe » et mondial; le profil des « élites numériques » se superposant au profil des « élites tout court », le réseau des réseaux devient facteur de disparités ; encore plus avec l’arrivée du terme de « Web 2.0 », concept qui englobe des notions théoriques et techniques sujettes à débat. C’est d’ailleurs cette constatation qui introduit le texte d’Olivier le Deuff intitulée Le succès du Web 2.0 : histoire, techniques et controverse48. Ce dernier démontre la mythification qui a accompagné la naissance de cette formule rappelant que le choix du mot « Web » et non d’ « Internet » est révélateur d’une volonté de privilégier la partie informationnelle du réseau plutôt que sa structure physique. Internet est un réseau alors que le Web est un « service » d’Internet. L’annonce de ce « Web 2.0 » montre que les rhétoriques du bouleversement n’ont pas perdu de leur charme chez les gourous de l’innovation. Difficile alors dans ce contexte de dégager les indices d’émergence d’un espace public, qui, rappelons le, correspond à un ensemble d’espaces de passage et de rassemblement dans les sociétés humaines, en particulier urbaines, à l’usage de tous.
47
Cf. rapport de L’Observatoire pour la Protection des Défenseurs des Droits de l’Homme, programme conjoint de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) : http://www.fidh.org/Nouvelle-vague-de-repression-contre-les
48
LE DEUFF, Olivier, Le succès du Web 2.0 : histoire, techniques et controverse, Cersic-Erellif EA 3207, Université Rennes 2, http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/docs/00/13/35/71/PDF/web2.0.pdf, 2007.
12
1.2
Une information qui évolue ? Internet et le journalisme
Parallèlement à ces constats peu optimistes, une soit disant « révolution de l’information » est en cours à l’échelle mondiale. La reconfiguration principale est somme toute assez simple : la possibilité d’être en contact avec des journalistes professionnels qui acceptent de regarder un document produit sans s’arrêter au statut de la personne qui les contacte, la naissance de portails d’information censés crédibiliser l’offre journalistique sur Internet par un certain professionnalisme et, dans le même temps, par une ouverture sur la création de contenus à des « profanes » (personnes non journalistes). À la fin des années 90, lorsque le journalisme s’est dirigé pour la première fois vers Internet, on pouvait encore entendre que le Web serait l’ultime média, celui qui annoncerait la fin de tous les autres. On lui attribuait le déclin de la presse papier, la fin du cloisonnement de l’information et l’ubiquité totale. Plus de dix ans après l’émergence des premiers sites Web d’information générale, nombre de mythes fondateurs avaient disparu avec quelques études approfondies sur les profils et les comportements des utilisateurs49. La prise de conscience d’une fracture numérique, non seulement originelle mais également durable et la constatation de la reproduction de logiques de dominations extérieures se prolongeant sur le réseau (Cf. précédent) portaient un sérieux coup aux mythes qu’avait engendré la naissance d’Internet50. Avec l’émergence du concept de « Web 2.0 », formulé par Tim O’Reilly51, on a assisté à une sorte de résurgence des mythes fondateurs du réseau. De nouveau, reparler de « révolution » était au goût du jour. L’arrivée de certaines nouveautés technologiques semble toujours propice à une démesure analytique52. Pourtant le Web 2.0 ne serait pas la nouvelle version du Web qui aurait révolutionné conceptions et techniques plus anciennes. Il s’inscrirait davantage dans une évolution commencée dès la naissance d’Internet. Une
49
Cf. mémoire de fin d’études 2008-2009 de Geoffrey Le Guilcher, Cyberjournalisme et Bioéconomie, les pure players d’information générale : support technologique, idéal journalistique, discours et structures économiques (dir. Guy Drouot et Althissingh Ramrajhsingh), Université Paul Cézanne – Aix Marseille III, Institut d’Études Politiques.
50
Voir notamment les travaux de Jean Baudrillard liés à la formule de McLuhan « Le médium est le message ». Pour Baudrillard, la forme des médias compte plus que leur contenu, et le réel a tendance à disparaître.
51
L'expression web 2.0 a été proposée par O’Reilly en 2004 pour désigner ce qui est perçu comme un renouveau du World Wide Web (ou Internet 1.0). L'évolution ainsi qualifiée concerne aussi bien les technologies employées que les usages. On qualifie de « Web 2.0 » les interfaces permettant aux internautes d'interagir à la fois avec le contenu des pages mais aussi entre eux, faisant du « Web 2.0 » un Web communautaire et interactif. Le terme en lui-même s’est répandu dès 2007 via Dale Dougherty de la société américaine O'Reilly Media lors d'une réflexion avec Craig Cline de MediaLive pour développer des idées pour une conférence conjointe. Il a suggéré que le Web était dans une période de renaissance, avec un changement de règles et une évolution des modèles d'entreprise.
52
Cf. JEANNERET, Yves, Y-a-t-il (vraiment) des technologies de l’information ? op.cit.
13
évolution qui nécessite une analyse technologique et discursive plus approfondie et plus rigoureuse que l’emploi d’une formule déjà galvaudée en dépit de sa jeunesse53. Au niveau technologique, Le Deuff considère qu’il n’y a pas révolution mais adaptation et amélioration de technologies existant depuis un certain temps. « Si nous voulions ne retenir que l’aspect positif, il ne serait guère difficile de donner une tentative de définition du Web 2.0 en lui assignant un objectif simple : mettre l’usager au centre de l’information »54. L’usager placé au centre en tant que producteur et consommateur de l’information. Dans sa conclusion55, Le Deuff synthétise ainsi son argumentation : « même si nous avons montré qu’il n’y a pas de révolution mais au contraire une évolution lente au regard des techniques utilisées, les applications du Web 2.0 […] participent d’un mouvement qui opère dans le sens d’une redocumentarisation et de bouleversements des médiations institutionnelles et des autorités traditionnelles et légitimes ». La relation au public pour le « cyberjournaliste » n’est pas fondamentalement différente d’un journaliste classique. Tout du moins, il n’y a pas création d’un lien « plus fort » entre le producteur et le consommateur d’information du fait que la technique permette un certain retour. Mais s’il n’y a pas co-construction il y a un apport non négligeable dans chaque domaine de la part d’un public « spécialisé » ou attentif au sujet traité56. La naissance de nouveaux médias d’information générale, existant uniquement sur Internet, sans lien d’aucune sorte avec un média préexistant, c'est-à-dire des pure player57 ou « journaux 100% Web », n’échappe donc pas à cette précipitation et à ces constats. Le « cyberjournalisme », qui ne signifie pas nécessairement l’existence d’une pratique fondamentalement différente du journalisme « traditionnel », constitue avant tout, un terme rappelant la spécificité du support technologique de diffusion (qui est bien souvent, au Moyen Orient, anglo ou francophone, bien que des translitérations et des outils en arabe se
53
Ibid.
54
LE DEUFF, Olivier, op.cit. p. 5-6.
55
Ibid. p.11.
56
Le rôle de « magistère » du journaliste ne décline donc pas avec l’arrivée d’un citoyen participant à la production de contenus et qui serait devenu avec Internet « l’égal du journaliste » devant l’information. Mais il semble décliner par une sorte de « contrôle » exercé sur chaque journaliste par quelques uns de ses lecteurs spécialistes ou intéressés sur un sujet précis. En France, et dans le milieu du spectacle vivant, l’exemple du blog Le Tadorne (www.festivalier.net) est assez probant. On peut désormais considérer Pascal Bély comme un véritable prescripteur d’information sur la création contemporaine (théâtre et danse) en France, spectateur réflexif sur sa pratique spectatorielle justement (Cf. http://www.festivalier.net/pages/_Le_projet_du_Tadorne-1087117.html).
57
Désigne un site Internet d’information sans édition papier qui exerce uniquement ses activités sur le web. Un statut d’éditeur de presse en ligne a été défini en France lors de l’adoption de la loi Création et Internet (ou plus formellement, « Loi n°2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet ») pour ces pure player. Leur modèle de financement est la publicité et l’abonnement.
14
développent de plus en plus58). Effectivement, la création et surtout « le succès » des premiers pure
player
d’information
générale
libanais
(Nowlebanon.com,
iloubnan.info
et
libnanews.com) ne sont pas sans lien avec l’arrivée de ce Web 2.0, surtout en ce qui concerne le nouveau modèle économique basé sur la gratuité. Si le journalisme est l’objet privilégié de critiques ces dernières années, certaines études ont dynamisé leur approche du problème en le complexifiant. Le journalisme n’est plus envisagé comme une entité homogène, mais davantage comme un terme désignant un ensemble de métiers très différents. Ce type de journalisme pourrait même être considéré comme une économie qui servirait à constituer « un tribunal permanent face au politique », c'est-à-dire à poser des critères d’évaluation pour l’efficience de telle ou telle politique et ainsi valider ou non sa légitimité, mais aussi comme une économie gagnant du terrain au sein même du politique avec un gouvernement qui orienterait l’interface de son pouvoir sur l’individu ou la surface de contact entre le pouvoir et les individus gouvernés vers une interface purement économique. Michel Foucault parle de l’émergence d’un homo œconomicus pour qualifier l’évolution de cette interface du pouvoir gouvernemental sur des individus aux comportements économiques standardisés59. Cette approche permet d’actualiser « l’environnement » dans lequel évoluent les pure player tout en s’intéressant aux échos de ces changements au sein du discours journalistique. Dans la Critique de la raison journalistique, Julien Duval60 concentre son objet d’analyse sur le monde du journalisme et les évolutions qui l’ont affecté ces vingt dernières années. Ce dernier perçoit un changement de discours des journalistes qu’il nomme « économisation » de la vision journalistique. Il rejoint Foucault sur l’arrivée de critères économiques au sein de la profession journalistique pour juger et évaluer la société dans son ensemble. Cette « économisation » de la vision journalistique touche pour le sociologue tous les domaines : politique, économique, culturel, environnemental, civique, etc. La structure financière constituait également pour le chercheur un facteur de cette « économisation » du journalisme, car le journaliste se penserait aussi comme un acteur économique dans une entreprise privée.
58
Ce qui est le cas pour nowlebanon.com, publié en anglais et en arabe, mais ce qui n’est pas le cas pour iloubnan.info, pure player anglaisfrançais.
59
FOUCAULT, Michel, Leçon du 7 mars 1979, in Naissance de la biopolitique, cours au Collège de France 1978-1979, Gallimard – Seuil, Paris, 2004.
60
DUVAL, Julien, Critique de la raison journalistique, Seuil, Paris, 2004.
15
Dans cette étude, l’enjeu n’est pas d’étudier les similarités entre cette « économisation journalistique » telle qu’elle se présente en France et la situation médiatique libanaise (avec un lieu d’étude comme iloubnan.info61) mais plutôt de savoir si un pure player libanais souhaite, peut et tâche de développer grosso modo un tel modèle face à un sujet, a priori, politique (élections municipales de Beyrouth) et l’impact que cela aurait sur son audience, sur sa façon d’informer et de se restructurer. L’apparente difficulté que rencontre notre époque pour comprendre ce qui manifestement l’affecte est aussi l’occasion d’apprendre quelque chose sur la culture. Jeanneret remarque qu’effectivement, « cette situation est […] significative de l’incursion brutale, dans l’espace public et dans le discours médiatique, d’une question qui jusque-là était censée ne concerner que les disciplines de l’érudition : celle de la construction documentaire et de ses supports matériels. […] Voici que connaît une nouvelle publicité la question du lien qui peut s’établir entre la création d’objets techniques, matériels, supports des messages et d’échanges, d’une part, et d’autre part les pratiques de la culture, individuelles et collectives, savantes et ordinaires »62. En reprenant ces remarques à notre compte, on pourrait se demander comment un sujet (une information) traité par un média d’un nouveau genre (iloubnan.info portail d’information sur le Web) est en mesure d’établir un lien d’un nouveau type avec son lectorat ? Le cas étudié dans ce développement est, pour mémoire, celui du traitement médiatique par un pure player libanais du scrutin municipal 2010 de Beyrouth. Mais de quoi s’agit il exactement ? Quels sont grossièrement les enjeux d’un tel scrutin dans un pays comme le Liban et pourquoi avoir choisi ce terrain d’enquête?
61
Au Liban, iloubnan.info est le seul pure player en anglais et en français. Cf. note 58.
62
JEANNERET, Yves, Y-a-t-il (vraiment) des technologies de l’information ? op.cit. p.14
16
1.3
Étude de cas : Beyrouth 2010, élections et solidarité 2.0 ?
Moins politisées que les législatives de 2009, les élections municipales de 2010 au Liban apparaissent pour Karam Karam et Myriam Catusse63 comme un « poste d’observation privilégié des recompositions de la société libanaise, dans le contexte de l’après accord de Doha (21 mai 2008), trêve provisoire sous parrainage international entre les protagonistes d’une scène politique polarisée et prompte à passer aux armes. Moment de vérité pour certains observateurs et acteurs politiques, il est au contraire un cycle d’élections désamorcé de tout nouvel enjeu pour d’autres ou encore un moment piégé pour les troisièmes qui y voient une nouvelle source de déstabilisation politique »64. Plus d’un an après les législatives de 2009, et selon Karam et Catusse, on peut affirmer que ces dernières ont structuré un débat autour de trois questions amplement détaillées au cours de la campagne par les médias et les forces politiques en lice : - La première renvoie au système partisan. Dans un contexte de polarisation politique les résultats du scrutin ne devenaient qu’un indicateur pour trancher sur la victoire des uns et la défaite des autres, sur une « majorité » face à une « minorité » (respectivement les groupes du « 8 mars » et du « 14 mars », représentants du système politique actuel au Liban, où le partage du pouvoir s’opère entre des élites hors de toute logique majoritaire et en dépit des clivages religieux, linguistiques ou ethniques qui existent entre les groupes socioculturels dont ces élites assurent la représentation au gouvernement (système politique dit consociatif)). - La seconde renvoie au système électoral et au nouveau découpage de la carte politique libanaise (loi de septembre 2008 qui a, soit disant, transformé les territoires du vote au profit d’une plus forte personnalisation de la relation entre l’élu et ses administrés). - La troisième renvoie quant à elle au système politique et à son éventuelle réorganisation à l’occasion de ce cycle d’élections (législatives de 2009 et municipales de 2010). Les scrutins sont effectivement dans les deux cas un jeu d’alliances entre personnalités et groupes politiques (histoire électorale plutôt ordinaire, mais chargée d’une grande dramatisation locale nationale et internationale).
63
Cf. CATUSSE, Myriam & KARAM, Karam, Returning to political parties ? Partisan logic and political transformations in the arab world, The Lebanese Center for Policy Studies, Beyrouth, 2010, p.14.
64
Cf. note 29, p.6 à propos de la polarisation du jeu politique libanais autour des 8 et 14 mars.
17
Ces enjeux furent extrêmement suivis et commentés. Présentés comme les problématiques primordiales de ces scrutins, ils mettent sous silence, selon Karam et Catusse65, d’autres processus à l’œuvre, moins conjoncturels et peut être plus en prise avec ce qui se passe sur le terrain et avec ce qui nous intéresse. Analyser le scrutin beyrouthin à travers le prisme de son impact sur les outils du Web social donne notamment à voir sur comment de nouveaux organes de presse considèrent la société de l’information, son « public » et comment ils pensent leurs actions en fonction de cette dernière. Comment, finalement, la relation au public s’est peut être modifiée, non par l’apparition d’une nouvelle technologie mais par l’usage qu’il en a été fait. Totem de la société d’information66, le site internet s’impose dès lors qu’on évoque l’élaboration de cette société. C’est d’ailleurs ce que rappellent Varin et Gonzalez-Quijano dans l’introduction de La société de l’information au Proche-Orient, en affirmant que dans la perception courante, cette dernière est « quasi spontanément identifiée à son produit « emblématique », Internet, à travers son actualisation la plus manifeste, le site informatique, comme un espèce de « totem », à l’image du masque africain évoquant l’anthropologie ou l’ethnographie classique »67. Il devient en reprenant les remarques de Mauss68 à notre compte, cet objet artisanal qui, sans qu’il soit besoin d’y greffer des commentaires, incarne de façon évidente et immédiate ladite société. Totem et débat autour des élections municipales donc, ou plutôt élections, émergence de nouveaux outils d’information, de mobilisation et d’expressions politiques et de nouvelles façons d’envisager le fait d’en parler, de livrer une information à l’espace public (à propos des élections municipales). L’apparition des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication) entraine une modification de ces flux d’informations ; modification qui n’est pas seulement quantitative mais qualitative. Par leur seule mise en ligne, les données deviennent des informations, lesquelles ne se réduisent plus au domaine couramment désigné sous ce terme. Yves Gonzalez-Quijano ajoute à ce sujet qu’ « au phénomène déjà observé d’une évolution du secteur traditionnel de l’information, celui des professionnels de la presse écrite et
65
CATUSSE, Myriam & KARAM, Karam, Returning to political parties ? op.cit.
66
À propos de « l’entrée dans la société de l’information » voir les remarques d’Yves Jeanneret in JEANNERET, Yves, Y-a-t-il (vraiment) des technologies de l’information ? op.cit. p.15..
67
GONZALEZ-QUIJANO, Yves, VARIN, Christophe, La société de l’information au Proche Orient, Internet au Liban et en Syrie, op.cit. p.8
68
MAUSS, Marcel, Manuel d’ethnographie, Petite Bibliothèque Payot, Paris, 1967.
18
audiovisuelle qui, grâce à la convergence entre les différents supports, « passent » au numérique, avec les conséquences que l’on sait (ou plutôt que l’on devine), il faut ajouter, et de plus en plus, celui des acteurs apparus avec le Net : portails d’information et webzines69 en particulier (domaine des cyberjournalistes). Mais sans doute faut-il prêter plus d’attention encore à d’autres évolutions plus récentes telles que les salons de discussion, les forums ou encore les blogs »70. Sur le terrain des attitudes et des pratiques politiques, l’univers de la presse, ou plus exactement, le monde de l’information, conserve toute son importance sur la Toile, y compris en termes de trafic, car c’est là que se jouent, dans la phase actuelle de leur très brève histoire, les principaux enjeux politiques et sociétaux des TIC. Sur ce point, et comme précédemment avec l’analyse de Karam et Catusse, les interrogations des politologues rejoignent celles des sociologues : les nouveaux médias sont-ils en passe (ou même seulement en mesure, un jour ou l’autre) de créer de nouvelles formes de solidarité ? Seront-elles verticales et hiérarchisées comme dans les mouvements sociaux « traditionnels » (ce qui est également le mode de circulation des médias de masse), ou se développeront-elles sous la forme de « nappes » horizontales, regroupant des utilisateurs se fédérant en « foules intelligentes (smart mobs)71», susceptibles de se mobiliser pour peu que le contexte le permette ? En l’absence, aujourd’hui, de véritables réponses à ces questions, le site d’information en ligne iloubnan.info, « totem » de cette étude, autorise différente observations permettant de mieux comprendre certaines particularités de l’information en ligne au Liban et ses enjeux. Nous tacherons, bien entendu et tout au long de ce développement, de trouver des éléments de réponse à ces interrogations. La partie suivante présente la structure dans laquelle cette étude s’est déroulée.
69
Webzine : transposition sur Internet d'un magazine (mot-valise formé de la contraction de web et magazine).
70
GONZALEZ-QUIJANO, Yves, Sammi’ sawtak ! : les sites d’information en ligne dans l’espace public syrien p.71 in VARIN, Christophe, La société de l’information au Proche Orient, Internet au Liban et en Syrie, op.cit.
71
Cf. le site www.smartmobs.com créé par Howard Rheingold (universitaire américain, professeur au Massachussetts Institute of Technology), à qui l’on doit peut-être l’expression de “communautés virtuelles”, et qui évoque une “révolution sociale” que pourrait représenter la possibilité pour des groupes importants, dispersés géographiquement et connectés par des technologies simples (comme le Web), de se réunir rapidement et d’agir collectivement.
19
2 iloubnan.info, pure player libanais franco anglophone 2.1
Présentation
Capture d’écran des pages d’accueil français / anglais d’iloubnan.info, août 2010.
Lieu de stage du 5 avril au 30 juin 2010, iloubnan.info, portail d’information géré par l’agence de communication libanaise NEL interactif72 (fondée en 2007, par Nehme Lebbos et Élodie Morel) se définit lui-même73 comme :
72
www.nelinteractif.com
73
Extraits du site web iloubnan.info, rubrique « qui sommes-nous ? »
20
« Le premier portail d’information libanais neutre, sans parti pris religieux ni politique. Unique et pionnier sur ce créneau au Liban, iloubnan.info, avec sa liberté de ton et son audace quant aux sujets abordés, se positionne comme un défricheur de tendances. Destiné à la communauté libanaise du Liban et de l’étranger, aux expatriés ainsi qu’à tous les internautes qui s’intéressent au Liban, ce site interactif de référence propose : •
une multitude d’informations et de reportages exclusifs,
•
l’actualité en temps réel,
•
des dossiers spéciaux,
•
des portraits,
•
évènements / agenda culturel,
•
base documentaire,
•
guides,
•
espace diaspora,
•
multimédia,
•
people,
•
etc… iloubnan.info constitue ainsi un média d’un genre nouveau, actualisé à une fréquence
pluriquotidienne. Ce portail se structure autour de 11 mini-sites : politique, économie, art et culture, social, environnement, sci-tech, sport, tourisme, divertissement. iloubnan.info est un portail de référence, généraliste mais aussi spécialisé grâce aux mini-sites qui eux-mêmes représentent une référence dans leurs thématiques respectives. iloubnan.info couvre ainsi les centres d’intérêts de tout un chacun et devient une référence incontournable sur le Liban. Ses missions sont définis comme telles : •
Informer de manière objective et neutre,
•
Divertir à travers des outils interactifs,
•
Conseiller en proposant des dossiers et en faisant intervenir des spécialistes,
•
Mettre en valeur le Liban en véhiculant une image positive,
•
Titiller en créant la polémique à travers des sujets choc, osés, sans tabou,
•
Faire interagir en proposant un portail collaboratif,
•
Se distinguer en étant moderne, créatif, avant-gardiste.
21
Ses valeurs sont : •
Ouverture d’esprit, curiosité et imagination. L’équipe rédactionnelle propose un contenu riche, vivant et interactif. Les informations proposées revêtent une forme innovante, adaptée au web et un ton original.
•
Expertise, innovation. Grâce à une équipe pluridisciplinaire de créatifs, photographes et rédacteurs passionnés qui mettent à profit l’interactivité de l’Internet.
•
Citoyenneté, démocratie et neutralité. À travers des sujets traités sans tabous ni préjugés, des sujets relatifs aux Droits de l’Homme, des sujets politiques sans parti pris.
•
Culture modernité et style de vie. Détecteur et révélateur de tendances grâce à des dossiers conçus par notre équipe ». Le portail d’information iloubnan.info possède plusieurs caractéristiques qui lui sont
propres. Il s’est créé et imposé sur un marché où le ticket d’entrée est relativement élevé pour un média sans lien avec un titre papier, radio ou même télévisé. Il se différencie des blogs car il est tenu, non par une ou deux personnes mais par une équipe74 de professionnels du journalisme dont la rédaction d’articles et la tenue du site constituent l’unique activité (le format de publication se différencie également du blog). Remarquons néanmoins qu’iloubnan.info pourrait être considéré comme étant à la frontière d’un autre type de cyberjournalisme, créé, pour sa part, par des marques ou des entreprises. De par ses liens avec NEL interactif et son absence de statut propre vis à vis de cette agence de Web communication, iloubnan.info pourrait parfois apparaître comme un outil marketing et communication corporate75 émanant de NEL interactif. Néanmoins, le projet journalistique et rédactionnel qu’il a su développer en diffusant de manière continue des dépêches issues de différentes agences de presse (AFP, CG News, NNA) et en travaillant sur un exercice d’enquête solide loin de tout enjeu commercial pour des sujets socio-politiques, a fait de lui un des nouveaux acteurs du journalisme libanais à part entière capable d’apporter une valeur ajouté à l’information.
74
Environ 7 personnes permanentes, chacune chargées de domaine spécifique (mode, tourisme, politique, art et culture, économie, social, etc.). Le Webmastering du site web est en revanche assuré par l’équipe technique de NEL interactif (3-4 personnes). Le serveur du site web est domicilié en Suisse.
75
Ensemble des actions de communication qui visent à promouvoir l’image de l’entreprise ou d’une organisation vis à vis de ses clients et différents partenaires. La communication d’entreprise se distingue classiquement de la communication de marque dans la mesure ou c’est l’organisation qui est promue et non directement ses produits ou services.
22
2.2
« Présentation de soi »
iloubnan.info se présente comme « le premier portail d’information libanais neutre, sans parti pris religieux ni politique. Unique et pionnier sur ce créneau au Liban […] ». L’idée de cette neutralité est intéressante à analyser ; elle renseigne en quelques sortes sur le public que le site Web se prête, sur la « mise en scène » de lui même. Nous voudrions ici étudier cette mise en scène, à partir d’un spot publicitaire en anglais présent sur You Tube et de la méthodologie adoptée par Baudouin Dupret et Jean Noël Ferrié dans leur article76 Le public que l’on se prête (effectivement, comme ces auteurs le remarquent, notre attitude est évidemment plus analytique que l’attitude naturelle des lecteurs d’iloubnan.info mais elle souhaite être une « mise à plat du travail inductif entrepris par le site Web).
Vidéo de présentation d’iloubnan.info sur la chaine You Tube myiloubnan77
Le spot d’iloubnan.info consiste en une série d’images animées apparaissant comme les (prétendues) sources de « références » du public d’iloubnan.info : la mère, le père, le meilleur ami, la voisine, Oprah Winfrey et le professeur de philosophie qui se retrouve tous, dans un second temps, démultipliés et présents au sein d’une constellation embrouillée des réseaux sociaux et de leurs avatars que le narrateur du spot, public, lui aussi supposé, est
76
in, DUPRET, Baudouin & FERRIÉ, Jean-Noël, Médias, guerres et identités, Le public que l’on se prête Trois chaines arabes et leur « présentation de soi » (Al-Jazeera, Al-Manar, Al-Hurra), op.cit. p.62-87.
77
http://www.youtube.com/watch?v=WBj2-Iqat04
23
censé utilisé. Le premier temps du spot expose le fait que « nous » recherchons tout au long de notre existence, « toutes sortes de références » (énoncées précédemment avec des formes possessives familières, « maman, papa », et des pronoms possessifs : « mon meilleur ami, ma voisine, mon professeur de philosophie »). Chacun de ces personnages est animé d’une façon résolument moderne sur fond blanc (une feuille de papier blanc sur laquelle l’animation se déroule), il correspond à un profil plutôt « occidental – neutre » (peaux blanches, mère non voilée et en minijupe, adolescent avec un casque audio sur les oreilles jouant à une console de jeu, père ne portant pas de barbe, voisine buvant une boisson avec des sacs de shopping à la main) et fait notamment référence à Oprah Winfrey, présentatrice (noire) de télévision américaine. La deuxième partie du spot renvoie tous ces personnages vers un constat : « Nous avons énoncé nos références habituelles… et bien oui… De plus nous les ajoutons au sein de tous nos outils de mise en réseaux, cela peut paraître assez confus du fait de la globalisation… Mais NOUS avons la solution : (entrée d’une sorte de personnage neutre tout blanc et souriant qui chasse la confusion créée par l’abondance des outils de mise en réseaux en faisant apparaître le nom du site web : « ILOUBNAN.INFO, Ma référence », avec au dessus de lui les titres des mini-sites développés par le portail d’information (Cf. capture d’écran suivante). L’ensemble du spot est accompagné d’une musique, il n’y a pas de voix et le caractère de cette musique est plutôt joyeux. Après la pluralité de ces références, le site fait la promotion de son objectivité en s’affirmant comme « MA » référence. Le lecteur n’aura guère de problème à identifier le genre de spot dont relève celui d’iloubnan. Il est par exemple bien loin de ce que l’on peut observer à propos du site web d’Al-Manar qui ne cache pas son engagement religieux, fait souvent référence à l’imagerie de guerre, de martyrs et de la résistance envers Israël et pour la Palestine (Cf. Dupret, Ferrié p.67-69) et ne correspond pas à de l’information. « La distinction qu’effectue le lecteur résulte de la texture « attitudinale » (la texture de Gestalt) de travail de lecture. Chaque texte fournit non seulement des éléments sémantiques de compréhension, mais aussi des indices contextuels de son genre et donc de la lecture qu’il faut en avoir »78. Le spot « publicitaire » dont il est ici question a tendance à surdéterminer la lecture qui peut en être faite. Il n’hésite pas à la répétition, multiplie les indices contextuels (VOUS êtes plutôt jeunes [VOS parents
78
DUPRET, Baudouin & FERRIÉ, Jean-Noël, op.cit. p.77.
24
ne semblent pas agés sur le spot], et tournés vers l’occident puisque VOUS connaissez Oprah Winfrey et utilisez les outils du Web 2.0) et propose une forme d’argumentaire qui, par l’abondance des éléments pointant dans une direction, conduit à une conclusion surdéterminé (« iloubnan.info, MA référence » emploi du possessif et de l’affirmatif). Ajoutons que le choix de la langue de présentation sur le Web n’est pas neutre. En effet, le fait que l’anglais fasse l’objet d’un spot spécifique signifie que pour les concepteurs du site, les personnes susceptibles de naviguer sur la toile et de venir consulter le site correspondent à des publics différents et peuvent éprouver un besoin différent de se voir expliquer ce à quoi correspond le site web. Ce spot pourrait viser à répondre aux questions « qui suis-je ? » et « qui êtesvous ? », mais il affirme bien son identité : je veux être une référence pour un public jeune (MON public) qui s’intéresse aux sujets tels que ceux énoncés dans les titres présent au bas de la fenêtre à la fin du spot (Politics, health, tourism, environment, business, fashion, sports, love & sex, social, arts & cultire, Sci-tech, entertainment) ; et je veux aussi être ce qu’il est écrit en haut de la fenêtre (media online, web magazine, real time news, neutral, independent, interactiv).
Cette « présentation de soi » à laquelle procède iloubnan.info au travers de ce spot est une projection identitaire aussi bien de lui même que de ceux et celles auxquels il prétend s’adresser au travers d’un discours qui, comme nous le rappelions dans l’introduction de ce mémoire, doit être considéré comme un discours circonstancié destiné à des audiences précises (qu’il se donne, sorte de « communauté virtuelle ») dans des contextes spécifiques.
25
Neutralité difficile puisque se dire neutre de l’aspect commercial paraît bien complexe dans un spot à tendance justement commerciale.
2.3
Particularités
sémiologiques
et
technologiques
du
cyberjournalisme « Écrire pour l’écran, c’est adapter le savoir faire professionnel aux capacités et aux particularités du média ». C’est ainsi qu’ Yves Agnès introduit le dernier chapitre de son manuel du journalisme consacré au Web journalisme79. Si cette phrase semblait empreinte de réserve quant aux évolutions amenées par Internet pour la profession, le journaliste tombe dans une sorte d’excès inverse. Il ne prétend pas qu’Internet décuple les possibilités du journalisme mais au contraire que ce dernier doit entrainer une sorte de définition minimale du journalisme : « une lecture rapide », « un lien avec le lecteur moins fort que celui tissé avec le journal papier », « une illustration réduite », « apprendre à écrire court » (p. 401). « Le rédacteur d’un site électronique tient à la fois du secrétaire de rédaction et de l’agencier. Sources, le rédacteur sur Internet se sert essentiellement des dépêches AFP ou Reuters. Une grande partie de son travail concerne la mise en forme de l’information » (p. 403). En somme, un journalisme au rabais contraint par son nouveau support d’information et de diffusion, de travailler plus vite et moins bien. Reste qu’Agnès écrivait ceci en 2002, et que l’étude d’un site d’information générale tel qu’iloubnan.info nous révèle un renversement de ces conceptions au sein même de ce nouveau métier tout comme au sein de toute la profession. Écrire pour Internet ou pour l’écran, c’est effectivement « adapter le savoir professionnel aux capacités et aux particularités du média » mais c’est aussi développer sa propre conception du Web journalisme (que l’on retrouve dans les valeurs d’iloubnan.info mentionnées précédemment) et son propre projet journalistique. C’est bien la volonté de produire tel contenu et telle sorte d’information qui influence l’approche de l’outil Web. Au centre de cette information, trois principes : hypertexte, navigation et interaction. « Selon les théoriciens du cyberespace, ces trois principes (mentionnées précédemment) constituent l’édifice conceptuel le mieux à même de garantir une utilisation optimale des réseaux numériques. Pour certains d’entre eux […] le journalisme gagnerait, dans ses conceptions
79
AGNES, Yves, Manuel du journalisme, La Découverte, Paris, 2002, p.398.
26
comme dans son mode de fonctionnement à s’en inspirer au mieux ». Cet extrait de l’article de Nicolas Pélissier80 fait un bilan exhaustif de la technologie propre au cyberjournalisme. Ce dernier est avant tout présenté comme un ensemble de procédures de travail et de supports de diffusion. L’édifice conceptuel qui a pour but la garantie d’une utilisation optimale des réseaux numériques repose sur ce triptyque hypertexte, navigation, interaction. L’hypertexte ou plutôt ce que Nicolas Pélissier nomme « la maîtrise de l’écriture hypertextuelle » comprend deux conditions bien précises. La première serait celle qui consiste à créer des artefacts technologiques qui, une fois activés par un clic de souris, permettent d’évoluer d’un article journalistique vers d’autres textes. La seconde serait le doublement de cette « interface technique » en « interface sémantique » avec des liens « internes » permettant des renvois vers d’autres textes ou articles du même site et des liens « externes » qui eux font évoluer le lecteur vers d’autres sites permettant ainsi de retourner aux sources de l’article ou au contraire de prolonger la thématique abordée. Pélissier parle d’une « double compétence de techno-encyclopédie » qui permettrait au journaliste de « proposer un traitement contextuel, référentiel et récursif des informations reposant sur une « mise en boucle » rétroactive et généralisés de celles-ci » (p.100). L’hypertexte ne se réduit donc pas aux hyperliens pour le cyberjournaliste mais s’étend également à la dimension conceptuelle du rôle et de l’utilisation de cet outil. C’est pour cette raison que la sémiotique des écrits d’écran81 parle de « signes passeurs », le terme permet de dépasser la seule acception technique du lien sur le web et Internet. Yves Agnès ajoutait dans son vingtième chapitre du Manuel de journalisme82 des subdivisions dans l’hypertexte (que nous retrouvons au sein du portail d’information iloubnan.info): hypertexte vertical, transversal, latéral, horizontal et enfin audiovisuel. Cette typologie classe l’hypertexte en fonction de l’information délivrée : utilitaire (latéral), d’approfondissements en approfondissements (vertical), information résumée (horizontal), et hypertexte transversal qui correspond à l’hypertexte externe. L’originalité de ce classement tient davantage à une appropriation sémantique du journaliste de l’hypertexte mais aussi au
80
PELISSIER, Nicolas, Nouveaux Média, Nouveau journalisme / Un cyberjournalisme qui se cherche, revue Hermès, Les journalistes ontils encore du pouvoir ? n°35, 2003.
81
Les écritures d’écran (écrits élaborés dans l’espace de l’écran) constituent à la fois une nouvelle matérialisation de la matière signifiante, une nouvelle économie des signes, et renvoient également à de nouvelles pratiques de production, de circulation, d’organisation et d’interprétation de ces signes. Cf. JEANNERET, Yves, op.cit, chapitre 4, L’écrit d’écran : Lire, écrire et un peu davantage, p.151, 184.
82
AGNES, Yves, op.cit.
27
dépassement du simple interne/externe. De plus, le contenu délivré par l’hypertexte influe également sur sa typologie. Le deuxième principe est donc la navigation qui consisterait à s’affranchir des limites posées par le modèle classique du texte littéraire, pour évoluer vers la réalisation de cartes sans territoires ou d’ « hypercartes ». Chez Pélissier, ce concept englobe trois dimensions : •
une dimension technologique,
•
une dimension de guidage,
•
une dimension de déterritorialisation. La première fait référence à l’outil multimédia qui permet de diffuser l’information sur
des supports différents mais non dissociés (sons, images, vidéos, textes), ils forment un tout cohérent. La deuxième dimension, celle de guidage, consiste à « faciliter le parcours de l’internaute » en programmant le cheminement de ce dernier avec des balises de navigation tout en lui donnant « paradoxalement un sentiment d’autonomie renforcée ». Ce qu’il faut retenir de nouveau dans cet aspect de la navigation c’est que la liberté de l’audience se voit calculée et intégrée dans la structure même du produit journalistique. La troisième et dernière caractéristique concerne donc « l’émancipation du journaliste vis-à-vis de la territorialité lié aux médias de masse ». Le public qui reçoit l’information n’a plus de cohérence géographique spécifique. Ce que nous confirma effectivement Nehme Lebbos, Directeur Général de NEL Interactif et d’iloubnan.info en rappelant (mai 2010) qu’une grande partie des lecteurs d’iloubnan.info se trouve éparpillée dans la diaspora libanaise (États Unis, France, Amérique Latine, Afrique, Pays du Golfe, etc.) et que la rédaction du portail d’information se devait de satisfaire des besoins déterritorialisés (en dehors d’un temporalité de l’information, du fait des différentes plages horaires de la diaspora libanaise, public principal d’iloubnan.info. Effectivement, les « effets » d’actualités « chaudes » se succèdent à toutes les heures de la journée pour correspondre au mieux aux différentes heures de libanais émigrés, par exemple, à Abu Dhabi, Paris, Johannesburg, New York, Sao Paulo, ou Mexico). L’interaction se voit elle aussi définie par trois critères bien précis. Le premier point est relatif à la personnalisation : « dans une perspective de démassification du public et de revalorisation des relations interpersonnelles (one-to-one) offertes par Internet, le journaliste
28
fournira au lecteur une information à la carte (on demand) »83. Et quand Pélissier parle de démassification du public, il le relie à deux nouveautés induites par le support Internet et qui touchent aux bases mêmes du journalisme : une instantanéité plus grande (du quasi temps réel) et une véritable interaction où le public peut communiquer son avis au journaliste voir même devenir « co-auteur des textes journalistiques ». Sur ce point précis, il faut nuancer le rôle de l’interaction car cette conception de « co-construction » des cyber articles n’est pas vraiment une réalité au sein d’iloubnan.info (et même au sein de celui qui pourrait apparaître comme un modèle sur ce domaine, partenaire d’iloubnan.info, le pure player français Rue89). Pour ce qui est du public démassifié, c’est avant tout la conception des journalistes pure player qui semble avoir changé davantage que le public lui-même. L’interaction peut être quantitative et qualitative. En effet, un avis donné sur un sujet ou sur un article, ne constitue pas la seule forme d’interaction. La nouveauté c’est qu’un commentaire peut être envoyé à la rédaction du journal (ou suite à une inscription gratuite sur le site iloubnan.info, le commentaire suivra l’article. Service ouvert en août 2010 d’où certaines difficultés d’observation dans cette étude) et n’importe quel internaute pourra y avoir accès tout en l’échangeant sur d’autres supports (plus de 400 selon l’outil développé par l’équipe technique d’iloubnan.info). Finalement, l’intérêt principal de l’article de Nicolas Pélissier réside probablement dans sa capacité à sortir de la dualité contenant/contenu. Il démontre que la navigation et l’hypertexte ne sont pas simplement des outils techniques mais qu’ils rentrent bien en compte dans la construction des articles, tout comme l’interaction n’est pas qu’une affaire de contenu. Interactivité et hypertextualité sont complémentaires et ils nécessitent souvent la mise en place (ou manipulation) de certains éléments techniques (comme par exemple des scripts Java84) ; manipulations qui suggèrent alors une collaboration entre techniciens et journalistes (similaire à celle entre journalistes et maquettistes – imprimeurs dans la production papier). Nous retrouvons l’ensemble de ces principes au sein du portail d’information sur le Liban iloubnan.info, mais l’approche de ce pure player libanais est originale. La partie suivante présente ses différentes singularités.
83
PELISSIER, Nicolas, Un cyberjournalisme qui se cherche, op.cit, p.100.
84
Plateforme qui garantit la portabilité (sa capacité à fonctionner plus ou moins facilement dans différents domaines d’exécution) des applications (scripts) développés en Java. Ce langage Java a la particularité principales que les logiciels écrits avec ce dernier sont très facilement portables sur plusieurs systèmes d’exploitation tels que UNIX, Windows, Mac OS ou GNU/Linux avec peu ou pas de modifications.
29
2.4
Utilisation et approche d’iloubnan.info
Comme constaté précédemment, les pratiques cyberjournalistiques des pure player ne peuvent être homogènes, elles dépendent du projet journalistique de chaque média. L’unique point commun étant que chacun affiche une volonté de se servir des potentialités du support Internet. Pour iloubnan.info, et ce sur n’importe quel sujet (bien que nous nous intéressons plus particulièrement à celui des municipales 2010 à Beyrouth), si l’hypertexte permet de renvoyer naturellement vers un document, une vidéo ou tout type de fichier, son utilisation doit rester maitrisée pour ne pas perdre le fil. Le cas s’est présenté lors de la période de stage à iloubnan.info où la directrice de rédaction, Élodie Morel, nous confiait le 20 mai 2010 que « le lien ne doit pas remplacer l’explication, le papier doit être lu seul et dans son intégralité. Le lien doit seulement apporter une plus-value au reportage ou à l’article ». Les propos de Morel nous rappelle encore une fois que la volonté de faire du journalisme contraint à l’effort explicatif qu’un lien ne peut et ne doit remplacer. Qui plus est, la plupart des articles d’iloubnan.info utilisent des liens internes afin de ne pas éparpiller le lecteur et ainsi lui montrer qu’il peut trouver sur « son site » une information suffisante. Ce qui est en jeu c’est donc la maitrise de l’outil au service du projet journalistique propre au Web journal, mais c’est aussi une meilleure et plus rapide prise en compte des remarques et suggestions du public qui sera facilitée par un investissement du journaliste dans le domaine de la communautique (messageries, réseaux sociaux, forums d’échanges et de discussions). On retrouve chez iloubnan.info, une réelle stratégie de préservation du lecteur, d’ « accrochage de l’internaute » en lui offrant des outils de navigation mais de navigation prioritairement internes. La notion de « temps passé » sur un site Web est devenue un enjeu important. Parallèlement à cela, l’idée de « pédagogie » apparaît aussi dans les nouveaux enjeux du portail d’information sur le Liban. La note de bas de page n’étant pas efficiente dans un écrit d’écran, l’hypertexte est mis au service d’une amélioration de l’article en prenant en compte les critiques de son lectorat (Élodie Morel, directrice de la rédaction, nous rappelait par exemple la nécessité de s’expliquer sur certains termes et de donner des clés de lecture au public. Dans le cadre de la rédaction de reportages sur les élections municipales 2010 de Beyrouth, nous devions par exemple définir les termes employés en hypertexte et
30
tacher de ne pas employer un jargon trop universitaire85 propre à l’analyse de l’espace public durant une période électorale). Une des premières faces de ce « miroir », métaphore de cette nouvelle configuration médiatique que nous évoquions au début de cette étude, se dévoile donc dans les analyses précédentes. Il faut « voir », « regarder » et « écouter » ces « nouvelles » audiences. Écoute et observation qui impliquent un travail réflexif sur la manière dont un cybermédia conçoit l’information (intégrer des dimensions nouvelles : technologique, de guidage et de déterritorialisation) et de nouveaux outils comme l’hypertexte, les principes de navigation et d’interaction. « Reflet » d’un miroir imaginaire dans lequel un émetteur d’information (en l’occurrence, iloubnan.info) se voit et ajuste sa façon de donner une information à son public (portail en deux langues : français et anglais, justifications des sources et explications complémentaires dans les articles, parcours supposé de navigation sur le site web, « classement » des pages iloubnan.info sur les moteurs de recherche, etc.) Reste désormais à analyser une partie de l’autre côté de ce miroir, la façon dont le public regarde un émetteur d’information lors d’élections municipales et le moment où ces deux sujets se retrouvent confrontés en « face à face ».
85
Voir notamment un article (30 avril 2010) http://www.iloubnan.info/politique/actualite/id/45347
concernant
l’espace
public
libanais
lors
des
périodes
électorales :
31
3 Nouveaux publics, nouvelles élections ? 3.1
Espace public et société civile
Appliquée aux pays arabes, l’emploi du concept de société civile (« al-mujtama’ al madani » ; racine = « al-mujtama’ » la société, et « al madani » terme qui renvoie à tout ce qui
est
du
domaine
civil)
est
loin
de
faire
l’unanimité,
pour
des
raisons
« singulièrement composites qui puisent leur argumentation parfois dans la nature des sociétés arabes jugées ontologiquement singulières parfois dans la nature même du concept de société civile (qui fait préférer l’emploi de « sphère sociale » par exemple86)»87. Pour Tourya Guaaybess88, la société civile est « constituée par des acteurs ou des groupes d’acteurs aux identités religieuses, culturelles, professionnelles, sociales, politiques et communautaires plurielles qui se définissent par leur rapport au pouvoir central. Ils sont susceptibles de constituer une concurrence face aux rôles de l’État dans la mesure où, représentatifs d’un segment de l’espace social, ils véhiculent un discours, proposent des alternatives socio-politiques et culturelles, et dispensent parfois des services sociaux qui ne sont pas pris en charge par l’État ». Travaillant sur la télévision satellitaire dans le monde arabe, elle est pour Guaaybess un élément central de cet espace. De fait, la télévision est un « espace public abstrait » pour reprendre Habermas, « abstrait » dans le sens où les messages pour être relayés à grande échelle n’en sont pas moins impalpables que les ondes à travers lesquelles ils sont véhiculés et un « espace public » car « l’espace public se décrit le mieux comme un réseau permettant de communiquer des prises de position, et donc des opinions ; les flux de la communication sont filtrés et synthétisés de façon à condenser en opinions publiques regroupés en fonction d’un thème spécifique. Tout comme le monde vécu dans son ensemble,
l’espace
public
se
reproduit
lui
aussi
par
le
moyen
de
l’activité
86
ROUSSILLON, Alain, L’Égypte et l’Algérie au péril de la libéralisation, Les dossiers du CEDEJ, Le Caire, 1996, p.29. À ce propos, il est intéressant de relever ce que dit Yves Jeanneret à propos de la proximité avec les objets que nous essayons d’examiner, lorsque nous parlons de technologie de l’information. « Il n’est même pas rare qu’ils nous englobent sur un plan imaginaire : notre vocabulaire le trahit en parlant de « sphère » et d’ « espace » voir d’« immersion ». JEANNERET, Yves, Y-a-t-il (vraiment) des technologies de l’information ? op.cit. p.23.
87
SALAMÉ, Ghassan, in Démocratie et Démocratisations dans le monde arabe, « Sur la causalité d’un manque : pourquoi le monde arabe n’est-il donc pas démocratique ? », Dossiers du CEDEJ, Le Caire, 1990, p. 182.
88
GUAAYBESS, Tourya, Télévisions arabes sur orbite, un système médiatique en mutation, op.cit, p.188.
32
communicationnelle, la connaissance d’une langue naturelle étant suffisante pour y participer ; il lui importe que la pratique quotidienne soit à la portée de tous »89. Toujours selon la définition habermassienne, l’espace public politique est un « espace d’intermédiation, de discussion, de confrontation entre l’État et la société civile et par conséquent un espace d’expression civile au sein duquel l’État peut être confronté à la critique et accepte d’y répondre, dans lequel les actions politiques qui engagent la société peuvent être discutés, avalisées ou remises en question par les acteurs de la société civile, dans lequel en définitive la distribution des normes et des ressources échappe à l’exclusivisme de l’État »90. Dans Le défi des bloggeurs égyptiens, entre contestation numérique, combat pour la démocratisation et construction d’une société civile91, nous constations que certains Webacteurs du monde « contestataire moyen-oriental » semblaient se distinguer par leur opposition au pouvoir et par le fait qu’ils ont, en raison de l’organisation de leurs « infrastructures d’expression » (principalement les outils du Web social) une certaine autonomie vis-à-vis du pouvoir, une visibilité certes limitée dans l’espace public politique (le taux de pénétration d’Internet en Égypte par exemple était de seulement 6,75% en 2005) mais une visibilité tout de même gênante pour le régime autoritaire. En accord avec la définition de société civile donnée par Guayybess précédemment, les nouvelles audiences libanaises que nous souhaitons observer, ne rentrent pas vraiment en concurrence avec le rôle de l’État même si, représentatifs d’un segment de l’espace social et politique plutôt actif, ils véhiculent un discours, proposent des alternatives socio-politiques et culturelles. Ils réinvestissent en revanche l’espace public par leur activité de mise en ligne de contenus (textes, vidéos, images, sons, liens vers d’autres sites, etc.), et, en combinaison avec la mobilisation sur le terrain dont il font preuve, ils donnent peut être un nouveau sens à cette notion de société civile (ou d’espace public politique). Un exemple frappant de cette nouvelle forme de mobilisation est la Lebanese Laïque Pride qui s’est déroulée le dimanche 25 avril 2010 et qui fût très suivie par les cyber médias libanais (plus de 5 articles sur iloubnan.info). Partie d’une initiative privée et selon Karam Karam, « tout à fait dans la continuité de ce qui a été impulsé dans les années 90 et plus précisément dans la deuxième moitié des années
89
HABERMAS, Jürgen, Droit et Démocratie, Gallimard, Paris, 1997, p.393. Remarquons néanmoins qu’au Liban, on pourrait parfois parler de trois « langues maternelles » : arabe, anglais, français.
90
HABERMAS, Jurgen, L’Espace public, Payot, Paris, 1978.
91
Op.cit.
33
90 »92 ; cette marche pour la laïcité au Liban apparaît pour Karam « dans la continuité du mouvement [même si les acteurs ne sont plus les mêmes] qui a été beaucoup plus dense et beaucoup plus important [sans donner de jugement de valeur ou d’évaluation], plus riche au niveau des interaction et qui a eu lieu en 1998 pour le mariage civil de façon général et pour l’adoption des statuts civil au Liban. La mobilisation s’est faite presque uniquement via le web alors qu’auparavant, nous assistions à des réunions, rencontres d’étudiants dans les campus, les syndicats, les ordres professionnels, etc. Il fallait se mobiliser pour mobiliser. La différence cette fois ci est donc là : le moyen de l’invitation, la mobilisation via le web et ses conséquences sur les moyens de mobilisation traditionnels. Ce moyen est plus anonyme, on se demande aujourd’hui qui est derrière. Auparavant, on avait une visibilité sur celui qui mobilisait, c’était lui qui venait voir les personnes, en les invitant. Il y avait une identification. Pas vraiment personnalisée mais au moins on pouvait situer les acteurs, les idées dans un contexte. Ici, pas mal de questions sont restées sans réponses même si le moyen est beaucoup plus efficace et beaucoup plus rapide. L’investissement est beaucoup moins couteux. Mais on est dans la même continuité, l’autre mobilisation impulsée dans les années 1990 était inscrite dans un projet. Là, et peut être je me trompe, on a du mal à situer cette mobilisation socialement et politiquement. Et c’est une caractéristique généralisable des mobilisations que l’on observe aujourd’hui : peu de temps pour expliquer, réfléchir et penser en profondeur la mobilisation ; élaborer un projet complet où l’on revisite totalement le projet socio-politique et économique libanais ; où est ce que l’on se situe par rapport au système actuel, comment on veut le changer ? Aujourd’hui, on va directement dans la rue, sans réflexion »93. Une réforme libanaise en panne94, avec pourtant un contexte de sortie de guerre qui pouvait présenter d’incontestables fenêtres d’opportunités pour la réforme (Les accords de Taëf créèrent effectivement de nombreux discours et débats sur les transformations à entreprendre dans la société libanaise, pour moderniser celle-ci, mais aussi pour éviter le spectre d’un nouveau conflit civil. A contrario, et comme le remarquent Karam et Catusse95,
92
Propos extraits d’un entretien avec Karam Karam, chercheur en Sciences politiques associé à l’IFPO Beyrouth. Directeur de programme au Lebanese Center for Policies Studies, Beyrouth, 18 mai 2010, Cf. annexes.
93
Ibid.
94
Cf. KARAM, Karam, CATUSSE, Myriam, Le Liban de Taëf en panne de réforme, Arab Initiative Reform, Lebanese Center for Policies Studies, Beyrouth, Décembre 2009.
95
Ibid.
34
au cours des deux dernières décennies, on constate une totale absence sur le terrain de dispositifs et de politiques réformistes tangibles). Contexte pour une réforme qui n’aboutit pas pour l’instant et dispositifs soit disant « prometteurs » mais qui se révèlent décevants même si des outils sociaux comme Facebook et Twitter ne sont pas vraiment à blâmer face aux difficultés inhérentes à la création d’un « vrai » mouvement socio-politique et de nouvelles formes de solidarités (qu’elles soient verticales ou horizontales cf. partie précédente 1-3 Beyrouth 2010 : élections et solidarités 2.0 ?). Effectivement on pourrait estimer que le Web 2.0 a facilité les choses en termes d'organisation sociopolitique, mais en partie seulement, car si l'on veut profiter des avantages réels qu'offre Internet, cela requiert de la discipline, des objectifs clairement définis, une hiérarchie, et des procédures opérationnelles (la campagne électorale d’Obama en 2009 pour l’investiture présidentielle américaine en est un bon exemple). Pour un mouvement politique désorganisé et sans véritable programme, Internet ne fait qu'enfoncer le clou en révélant ses points faibles et augmenter le risque de voir éclater des luttes intestines (cf. note 44 à propos du mouvement vert iranien, p.11). Mouvements, mobilisations, descendre dans la rue, expressions désormais consacrées. Mais de quoi s’agit il exactement? Politiques du dire ou du faire? Et à quoi renvoie cette « rue arabe » ?
35
3.2
La rue arabe
Selon Yves Gonzalez-Quijano96, le phénomène des télévisions satellitaires a fait entrer dans le vocabulaire politique arabe courant cette nouvelle expression de “ rue arabe” : « Une expression qui ne veut rien dire en voulant tout dire. Il est arrivé que l’on compare le rôle que jouent les télévisions satellitaires, et en particulier la chaîne Al-Jazeera, avec celui que joua autrefois “La Voix des Arabes” [la radio] au temps de la montée en puissance du projet nassérien. […] Pareille fin ne doit pas nous faire oublier ce que furent les promesses des débuts quand la Voix des Arabes incarnait vraiment un projet politique grâce à un développement technique, celui de la naissance du transistor, qui allait provoquer un total renversement des données politico-médiatiques en permettant que la voix de Gamal Abdel Nasser, émise depuis Le Caire, puisse être entendue jusque dans les Aurès en Algérie ». À la fois projet politique, culturel et médiatique, La Voix des Arabes associa artistes, journalistes et intellectuels communistes tout justes sortis des prisons où le régime d’Abdel Nasser les avait jetés. Forme médiatique d’un vaste projet politique, cette radio était l’écho populaire de ce qui s’écrivait dans le quotidien Al-Ahram97 qui, sous la direction de Mohamed Hassanein Heikal (journaliste et membre du comité central de l’Union Socialiste Arabe), rassemblait alors la totalité des intellectuels égyptiens. À cette époque, on parlait plutôt des “masses arabes”, « ces masses qui, sous la conduite d’officiers issus d’une petite bourgeoisie d’origine rurale, occupaient les rues de Bagdad, de Mossoul, de Beyrouth, de Damas… Mélange de coups d’Etat militaires et de révolutions populaires, les renversements de régime se succédaient les uns aux autres à un rythme toujours plus rapide, jusqu’à cette guerre de juin 196798, début du reflux. Par cette expression de “masses arabes”, qui devait devenir par la suite la cible de toutes les plaisanteries, on désignait alors des forces réelles, capables de mobilisation, même si elles étaient la traduction d’une rencontre problématique entre un vague projet national de type prussien et une lutte de classe où finit par l’emporter un
96
Yves Gonzalez-Quijano (MCF Lyon 2 / GREMMO) sur son blog Culture et Politique Arabes : http://cpa.hypotheses.org/353
97
En arabe, al-ahram signifie « les pyramides ». Premier quotidien égyptien publié en langue arabe (existe une version hebdomadaire francophone) : http://www.ahram.org.eg/
98
Guerre des 6 jours, défaite arabe (Égypte, Jordanie, Syrie, Irak) face à Israël.
36
capitalisme d’Etat naissant, prélude en réalité à la phase de libéralisme économique et de privatisation “à la Sadate” »99. Aujourd’hui, téléphones portables, ordinateurs et télévisions satellitaires ont remplacé les transistors et une nouvelle formulation est venue chasser l’ancienne. On parle désormais de “rue arabe”, une expression qui pour Gonzalez-Quijano « n’a guère de sens et qui n’aurait pas dû survivre à la première mise à l’épreuve qu’elle a connue, lors de la seconde intifada (septembre 2000). Durant les six premiers mois de ce soulèvement, tous les foyers arabes ont reçu ces images que les correspondants et les correspondantes des chaînes arabes commentaient avec des trémolos dans la voix. Sur les plateaux des studios de télévision, des cris s’élevaient, promettant la réaction de “la rue arabe”, une “rue arabe” qui est pourtant restée silencieuse, comme au spectacle ». Faut il croire que ceux qui forgèrent cette nouvelle expression étaient à la recherche d’une formule aussi neutre que possible ? Gonzalez-Quijano considère en effet que certains médias actuels sont financés par des puissances pétrolières aussi peu soucieuses de solution à la cause palestinienne que de nationalisme arabe. « Le Qatar [siège d'Al-Jazeera] accepte sur son sol une présence militaire américaine et ne peut, compte tenu de sa taille, que s’en tenir à un rapport de forces des plus subtils. Quant à l’Arabie Saoudite, son fondamentalisme bien embarrassant après les événements du 11 septembre 2001 l’a paralysée pour un moment et sa seule proposition fut une initiative de paix dont l’existence était totalement conditionnée à son adoption par les États-Unis. Dès lors que ces derniers restaient alignés sur Israël, cette initiative était vouée à rester figée dans le vide, dans l’attente d’une évolution quelconque ». En s’appuyant sur toutes les formes de courants salafistes (traditionnalistes), les chaines satellitaires crurent trouver une solution à cette impasse100. Mais au lieu d’être un facteur susceptible de mobiliser la « rue arabe », cette orientation portait en elle toutes les contradictions propres à ces courants (et c’est au final, une chaîne satellitaire possédant un projet politique clair comme Al-Manar (proche du Hezbollah et interdite en France depuis le 13 décembre 2004 suite à une ordonnance de référé du Conseil d’État) au Liban qui tache de faire agir “la rue arabe” pour qu’elle ne soit plus spectatrice mais actrice).
99
Yves Gonzalez-Quijano, http://cpa.hypotheses.org/353, op.cit.
100
GUAAYBESS, Tourya, Télévisions arabes sur orbite, op.cit. p.154.
37
À travers le prisme de la télévision satellitaire, l’idée d’une “rue arabe” signifierait donc, implicitement, repli sur soi, absence de constitution d’une opinion publique agissante et capable de produire des changements. Pourtant, la logique intrinsèque du divertissement, qui ne cesse de grandir et de prendre une place démesurée, offre une échappatoire aux pressions que subissent des sociétés totalement voilées. Gonzalez-Quijano conclue sur le fait qu’« on comprend mieux ce qu’est “la rue arabe” dès lors qu’on la saisit dans cette dualité qui paralyse toute action et qui impose une paralysie totale. Incroyable dualité associant une politique sans horizon à une culture sociale construite sur un mélange d’hypocrisie et de fuite ! La politique n’est plus rien d’autre que la recherche d’images suggestives, même si cela doit ouvrir les portes à Al-Qaïda et à ses pareils. Quant à ce qui relève du social, tout s’y réduit à une simple excitation, à une compensation psychologique, sans traductions concrètes et sans autre existence que sur les écrans. La “rue arabe” est faite de toutes ces rues pleines de pauvres et de malheureux qui ne voient rien d’autre qu’une solution individuelle à leurs problèmes et qui cherchent sur les écrans une illusoire compensation ». Mais peut-on en dire autant d’une « rue arabe » numérique qui se construirait non pas via la télévision satellitaire mais via Internet et ses outils de mise en réseau ? Une « rue arabe » sur la toile, visible grâce à de nouveaux médias, changerait t-elle de visage, serait elle en mesure de prendre la parole, de débattre, de construire des alternatives citoyennes et sociopolitiques ?
38
3.3
Vers une zone grise entre parole publique et privée
Face à cette vision pessimiste d’un spécialiste du Moyen Orient tel qu’Yves GonzalezQuijano ; Twitter, premier réseau social aux États Unis (et que l’on pourrait considérer comme un exemple d’espace public numérique), ne pense pas seulement avoir changé le monde, il pense l’avoir amélioré101. À l’appui de sa démonstration, il cite l’éternel exemple des émeutes en Iran en 2009 où la « résistance se serait organisée sur le site de micro blogging ». « Twitter est un réseau d’informations en temps réel propulsé par des gens du monde entier qui racontent ce qu’il se passe et partage des infos ». Cette vision de Twitter, symbole international du web social n’est pas fausse, elle est juste idéalisée et complètement tronquée, comme ce que rappelait Evgeny Morozov à propos de la « révolution web » (cf. précédent p.10). Mais elle est aussi édifiante sur les considérations générales que l’on pourrait avoir sur une « rue arabe numérique » et sur le « tribunal permanent face au politique » qu’offriraient les nouveaux outils du Web social (qui furent largement utilisés lors des scrutins municipaux libanais, Cf. suite). La part de « journalisme citoyen » est en fait infime et se résume à la couverture de quelques grands évènements tels que les émeutes de 2009 en Iran. Quand l’actualité « chaude » est absente, Twitter s’ennuie et c’est peut être dans ces grands moments de vide que se joue la vraie révolution de la communication. Dans un article102 publié sur Slate.fr, qui rappelle que le réseau social créé une zone grise entre parole publique et parole privée, Vincent Glad rappelle que pour occuper le vide, la « twittosphère »103 s’est structurée selon le schéma d’organisation humaine le plus propre à gérer l'ennui, celui d'une « salle de cours de collège ». « Quand l'actualité fait défaut, un puissant bruit de fond se met en place, les blagues fusent (illustrées par le « LOL » littéralement « Laugh out loud » - mot à mot : rire à voix haute, ce qui peut se traduire par « rire à gorge déployée. En français, la tendance est d'utiliser cet acronyme équivalent de « mdr » pour « mort de rire »), les boulettes de papier volent (affrontements verbaux via compte Twitter interposés (« Twitter clash » sous les applaudissements des autres internautes traduits par des « LOL »)) et Twitter est plongé dans un grand chaos (ré)créatif.
101
Déclaration de Biz Stone, co-fondateur de Twitter avec Evan Williams. « Our work is not about the triumph of technology, it is about the triumph of humanity », The Sunday Times, 27 décembre 2009. http://business.timesonline.co.uk/tol/business/industry_sectors/technology/article6968440.ece
102
Cf. http://www.slate.fr/story/22537/twitter-vie-publique-vie-privee
103
« Sphère » ou ensemble des utilisateurs de Twitter.
39
Pour Glad, on retrouverait sur le réseau la séparation fondamentale du collège entre le fond et le devant de la salle. « Bien calés du côté du radiateur, on retrouve les partisans d'une twittosphère régressive, adeptes du «LOL» ou de l'exhibitionnisme sentimental. Près du professeur, on trouve la twittosphère sérieuse qui utilise le réseau social comme un outil de partage de veille ou de « personal branding »104 pour mettre en valeur ses activités professionnelles. Les seconds sont en général troublés par les gamineries des premiers qui leur envoient, en représailles, des boulettes de LOL. Au final, tout le monde rigole ou se chamaille. Et l'Iran, n'en déplaise à Biz Stone, passe au second plan ». En mettant en parallèle la « rue arabe » précédente et la twittosphère, on remarque plusieurs éléments intéressants. Tout d’abord, l’icône du web social Twitter est capable de générer son propre récit, sa propre sous-culture. Un nouvel inscrit sur le réseau de microblogging —même s'il ne souhaite que discuter avec ses amis– finit en général par parler le langage propre du réseau (composé d’acronymes, termes peu compréhensibles pour le profane non utilisateur de Twitter). Mais y a t-il ici nouveauté ? Cela ressemble finalement aux forums web créé lors de l’ère « Web 1.0 », où la promiscuité crée son propre récit, ses gloires, ses drames voire ses amours. Sauf que Twitter est un forum à ciel ouvert à la capacité d'expansion infinie. Comme s'il n'y avait plus qu'un seul forum et qu'il était si puissant que chaque tweet105 à sensation pouvait légitimement faire l'actualité. Du côté des médias, on constate que les journalistes des sites d'information reprennent de plus en plus les tweets, utilisant le réseau comme un micro-trottoir du web (du côté du public,
et
concernant
les
élections
municipales
de
Beyrouth,
le
portail
www.engagelebanon.org proposait un suivi en direct des scrutins via différents « observateurs » qui « twittaient » tout ce qui se passait près des bureaux de vote, la rédaction d’iloubnan.info pouvait donc suivre les évènements de toutes les circonscriptions sans se rendre nécessairement sur place). Les médias n'avaient pas l'habitude de reprendre des extraits de forums comme un témoignage de ce qui se dit sur Internet. Pourquoi alors reprendre sans cesse Twitter ? Il y a d'abord un miroir déformant: la plupart des journalistes web ont un compte Twitter et fréquentent peu les forums, donc ils reprennent tout simplement ce qu'ils
104
Processus par lequel des personnes agissent comme si leurs carrières et leurs noms étaient des marques et où donc les principes du marketing et de « l’image de marque » s’appliquent de la même manière que sur des objets ou des enseignes commerciales.
105
Site de « micro blogging » et réseau social à la fois, Twitter propose 140 signes pour donner son point de vue, un lien, etc. On appelle communément ces 140 signes un « tweet ».
40
voient. Il y a ensuite le cliché qui veut que Twitter soit LE réseau social d'information (et il est effectivement assez important au Liban), donc les journalistes estiment qu'ils peuvent s'approprier les tweets (on cite un tweet comme on cite un autre journaliste. Néanmoins, les internautes demandent parfois à ce que leur tweets ne soient pas cités dans un article, chose qu'un bloggeur n'oserait jamais demander. Signe aussi que le statut de publication n'est pas le même, alors que les deux sont pourtant publics). Pourtant, chaque « Tweet » repris dans les médias est forcément sorti de son contexte, alors que ce dernier ne se comprend que dans son contexte, « au milieu d'une production de culture qui s'est perdue depuis dans les méandres de l'Internet, comme se perdent instantanément toutes les blagues d'une classe dissipée »106. À la différence de Twitter dans cette supposée rue arabe, l’autre emblème du web social Facebook parle uniquement urbi (pour reprendre une métaphore papale107). Sur Twitter, on a l'impression de parler urbi dans l'effervescence propre au réseau mais en fait, on parle urbi et orbi (à la ville et au monde). Dans l'idéal, chaque tweet devrait être universel et pouvoir être assumé en toutes circonstances pendant les longues années de son archivage sur la toile. Mais comment demander l'universalité dans un réseau social limité à 140 signes, où les statuts sont souvent pensés et postés en quelques secondes et où la majorité de la production est une réponse à d'autres utilisateurs? Comment définir les contours de ce nouvel espace public presque non régularisé, zone grise située à l’exacte intersection entre la parole publique et la parole privée ? Et surtout, que dire d’un pure player comme iloubnan.info qui peut générer son propre récit à partir d’un article108, reportage polémique et qui en même temps, possède tous les outils de « dissémination virale » dans la « rue arabe » (connectée à différents réseaux sociaux) ?
106
Cf. article de Vincent Glad sur slate.fr : http://www.slate.fr/story/22537/twitter-vie-publique-vie-privee
107
Une bénédiction urbi et orbi, dans la liturgie catholique, correspond à une bénédiction solennelle prononcée par le pape du haut du balcon de la basilique Saint-Pierre, dans la ville de Rome, les jours de Pâques, de Noël et à de rares autres occasions exceptionnelles. Elle tire son nom d'une expression latine au datif qui signifie « à la ville et à l'univers », symbolisant le fait que le pape s'exprime à la fois en tant qu'évêque de Rome, s'adressant aux fidèles présents physiquement sur la place Saint-Pierre (urbi de « urbs, urbis », la ville, en l'occurrence Rome), et à la fois en tant que pasteur universel de l'Église, s'adressant aux catholiques du reste du monde, qui l'écoutent notamment par le biais de la télévision ou de la radio (orbi de « orbs, orbis » qui désigne une zone circulaire, c'est-à-dire la terre, l'univers ou au sens figuré ce qui entoure, tel une orbite).
108
Voir notamment l’article de Pierre Haski sur Rue89 (15 août 2010) à propos du témoignage du débat sur le « témoignage de Mohamed qui rentre chez lui » http://www.rue89.com/2010/08/15/vif-debat-sur-le-temoignage-de-mohamed-qui-rentre-chez-lui-162462
41
3.4
Des « révolutions » reconstruites
Ces reconstructions de la parole publique sont d’autre part, fondées sur des applications technologiques, toutes basées sur le software et non sur le hardware (difficile alors de parler de révolution « technologique » ; bien entendu, les « machines » évoluent mais la révolution porte surtout sur la façon d’utiliser, de concevoir les possibilités communicatives du software. En même temps, ce software n’est conçu que par des entreprises privées, il est alors complexe d’évoquer un aspect détaché d’une idée de profit109). Mais revenons à la question de la sphère publique. Si, et pour reprendre la définition d’Habermas, « l’espace public correspond à un espace de discussion, d’intermédiation, de confrontation entre l’État et la société civile c’est à dire un espace d’expression civile au sein duquel l’État peut être confronté à la critique et accepte d’y répondre, dans lequel les actions politiques qui engagent la société peuvent être discutés, avalisées ou remises en question par les acteurs de la société civile, dans lequel en définitive la distribution des normes et des ressources échappe à l’exclusivisme de l’État », étudier les élections municipales 2010 de Beyrouth via leurs impact sur les outils du web social peut être un moment test de l’espace public libanais. Le site web engagelebanon.org a été crée début 2010 dans ce but : rassembler et peut être aussi interroger l’ensemble des représentants de la société civile libanaise au sein d’une plateforme commune qui se définissait comme un « espace public numérique » (conférence de presse d’Engage Lebanon, Beyrouth, 27 avril 2010). Cet outil commun d’information, d’échange et d’aide à l’évolution des processus civils vit le jour au mois d’avril 2010 (notons qu’engagelebanon.org a été développé en partie par Lebanon support110, centre d’information et de développement créé durant la guerre de juillet 2006 (opposant Israël aux forces armées libanaises dans un premier temps puis aux milices du Hezbollah dans un second temps), au travers d’un partenariat entre Handicap international, Mada111 et le ministère libanais des
109
On pourrait évoquer à ce sujet la controverse à propos du cloud computing, concept de déportation sur des serveurs distant des traitements informatiques traditionnellement localisés sur le poste utilisateur. Vu par certains analystes comme une évolution majeure de l’informatique, il est considéré par d’autres, notamment Richard Matthew Stallman (fondateur de la Free Software Fundation) comme un piège. Au sein du cloud computing, nouvelle utilisation et conception de l’outil informatique, les utilisateurs ou les entreprises ne sont plus gérant de leurs serveurs informatiques et peuvent ainsi accéder à de nombreux services en ligne sans avoir à gérer l'infrastructure sous-jacente, souvent complexe. Les applications et les données ne se trouvent plus sur l'ordinateur local, mais – métaphoriquement parlant – dans un nuage (cloud) composé d'un certain nombre de serveurs distants interconnectés au moyen d'une excellente bande passante indispensable à la fluidité du système. L'accès au service, payant, se fait par une application standard facilement disponible, la plupart du temps un navigateur Web. Le « nuage », où figurent applications et données, est géré et hébergé par une structure privée qui dispose donc de l’ensemble des informations que le nuage contient.
110
http://lebanon-support.org/index.php?page=about
111
http://www.mada.org.lb/
42
Affaires Sociales). Soutenu par Social Media Exchange112, organisation non gouvernementale créée en 2008 et qui forme d’autres associations ou structures à l’usage des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication pour encourager l’usage d’Internet et faire profiter à chacun des possibilités qu’il offre (pédagogiques, communicatives, etc.), Engage Lebanon affirmait que le suivi de leur site était très important lors des deux premiers week end de vote municipaux au Liban et que les réactions, tweets et visites, furent nombreuses sur leur site web (entretien avec engagelebanon.org et smex.org, 4 mai 2010). Il s’agissait pour eux de créer une sorte de média citoyen, de « montrer de la manière la plus ouverte possible le déroulement des élections, leurs environnement intérieur et extérieur » ; « faire une couverture médiatique « live » des différents scrutins pour une visibilité maximale et pour essayer de coordonner au mieux les activités des organisations qui s’intéressent de près aux élections ». Le site, encore actif aujourd’hui, regroupe aussi un forum pour les jeunes électeurs, de nombreuses ressources sur l’engagement des jeunes, sur la réforme électorale souhaitée et sur toutes les procédures en lien avec l’engagement civil et politique au Liban. Leur caution est plutôt élevée puisqu’ils sont directement soutenus par la Fondation Internationale pour des Systèmes Électoraux113. Mais qu’en est-il des objectifs à long terme de ces différentes structures engagées dans un combat pour le réformisme au Liban (soutenues par des organes officiels qui ne semblent pas, selon Myriam Catusse, prêts à la réforme114)? Il s’agit de la question que se posent lebloggers.org et trella.org, regroupements de plusieurs bloggeurs et militants réformistes libanais qui ont souhaité se regrouper afin d’unir leurs forces pour avoir une voix qui porte plus loin. Leur leitmotiv ? Que des gens se mettent à blogger, que de nouvelles voix émergent justement, en essayant de briser la dominance par les grandes figures politiques du jeu médiatique habituel. Rita Chemaly, chercheuse associée au CEMAM115 et bloggeuse libanaise considère que « le premier objectif du portail lebloggers.org que nous avons mis en place est de pousser les gens à blogger, à utiliser le web et ses possibilités ». « Il s’agit aussi de se connaître entre nous, militants et « net-citoyens » de comprendre et de savoir qui écrit, pourquoi ». Elle ajoute que dans un second temps, il s’agit avec cette initiative de créer un réseau d’entraides,
112
http://www.smex.org/
113
http://www.ifes.org/
114 Cf. KARAM, Karam, CATUSSE, Myriam, Le Liban de Taëf en panne de réforme, op.cit. et entretien avec Myriam Catusse, 19 mai 2010 – IFPO Beyrouth. 115
Centre d’Étude sur le Monde Arabe Moderne – Université Saint Joseph Beyrouth - http://www.cemam.usj.edu.lb/
43
d’offrir des formations à l’ensemble des citoyens libanais et de pointer du doigt des problèmes récurrents: un taux de pénétration d’Internet plutôt faible, des coupures d’électricité permanentes et très importantes dans les villages en dehors des grandes agglomérations et enfin, un flux réduit, c’est à dire une vitesse de connexion très lente. Quant à ce qui concerne le changement politique, elle est plus circonspecte : « Le changement politique ? Je ne sais pas si j’y crois vraiment, il ne faut pas fantasmer sur un tournant radical que représenterait le Web 2.0, on verra. La mobilisation politique est très particulière au Liban. Néanmoins, et Facebook en est une très bonne illustration, le Web 2.0 peut s’ériger en tant que catalyseur, mobilisateur de la société civile. Regardez la récente Laïque Pride à Beyrouth par exemple, puis le mouvement du 6 avril en Égypte, lancés à la base sur Facebook ». L’hypothèse d’un jeu de miroir entre médias (émetteurs d’informations qui poussent à la prise de conscience) et net-citoyens (récepteurs d’informations) se présente à nouveau ici. Schéma dans lequel émetteurs et récepteurs d’informations se regardent, s’interrogent, peuvent devenir complémentaires et inventent une sorte de mode de médiation de l’information plus ouvert et plus enclin au partage qui permettrait une mobilisation. Rita Chemaly soulignait d’ailleurs cette évolution par le simple fait que les activistes de lebloggers.org interviewaient lors des municipales un journaliste d’Al Manar (en l’occurrence, Talal Nasrallah) qui couvrait les élections municipales au Mont Liban116. Questionnement à un questionneur, mais surtout travail d’enquête sur la façon dont les candidats, les journalistes, idéalisent leurs audiences, leurs électeurs, l’espace public auquel ils s’adressent et poste d’observation privilégié de l’échange politique. Effectivement, comme le rappellent Catusse et Karam, « Les mobilisations, l’engagement et l’agir politique ne peuvent se limiter aux archétypes du lien politique que sont clientélisme, néo-patrimonialisme et communautarisme, dans une société fortement politisée. La compétition électorale reste ouverte et les structures et formes de mobilisations modernes variées : des familles politiques aux partis avant-gardiste ou mouvements estudiantins, en passant par les milices au cours de la guerre civile ou encore les nouveaux partis de l’après-guerre, les réseaux de la diaspora, l’offre politique et les formes de l’engagement sont diversifiés. Les espaces de mobilisations s’avèrent multiples. Les clivages
116
Cf. http://lebloggers.org/?p=134
44
sociaux évoluent. Et les liens politiques se construisent sur des modes plastiques et dynamiques »117. La rue arabe se dessine, mais de quelle manière fût elle consultée par iloubnan.info lors des élections municipales de Beyrouth ? Le portail correspond t-il vraiment aux besoins d’une population déterritorialisée et franco-anglophone (remarquons ici qu’ouvrir une version du site web en arabe est un des projets principaux d’iloubnan.info) ? Qu’est ce qu’iloubnan.info nous apprenait sur les municipales 2010 de Beyrouth ?
117
CATUSSE, Myriam & KARAM, Karam, Returning to political parties ? op.cit.
45
4 Les élections municipales 2010 de Beyrouth sur iloubnan.info 4.1
Emergence d’un espace public numérique ?
La période de réflexion autour des élections municipales débuta dès le début de l’année 2010. La rédaction d’iloubnan.info proposa entre janvier et juillet 2010 plus de 34 articles en rapport avec le scrutin. Des bilans hebdomadaires après chaque tours d’élections (le Liban se découpe effectivement en différents secteurs d’élections, circonscriptions qui votent chacun leurs tours sur 4 dimanche d’élections), des brèves concernant le déroulement, des commentaires et analyses de spécialistes, des déclarations d’hommes politiques libanais, des interviews d’électeurs et d’analystes politiques. Effectuer un suivi sur l’audience de ce sujet n’était pas chose facile étant donné que l’outil de commentaires d’articles n’était pas encore mis en place sur iloubnan.info (il fut effectif en août 2010). Qui plus est, avoir une analyse réflexive sur son travail lors d’une période de stage est une entreprise complexe. La rédaction d’articles, de reportages sur différents sujets, la traduction d’autres laissait peu de temps pour développer une analyse approfondie et mener un travail d’enquête sur les « pratiques de réception » des lecteurs d’iloubnan.info. Néanmoins, nous nous sommes appuyés sur plusieurs éléments pour étudier ces pratiques de réception et les premiers furent des entretiens avec Myriam Catusse, Karam Karam (Cf. précédent) et Rita Chémaly, chercheuse en sciences sociales et politiques118 auteur de l’ouvrage Le Printemps 2005 au Liban, entre Mythes et Réalités119 et membre de la mission de l’organisation des bloggeurs libanais (lebloggers.org) qui, comme le stipule sa charte, « souhaite contribuer à créer des communautés qui susciteront des changements positifs dans la société libanaise ». Possibles publics d’iloubnan.info et audiences du web social libanais par définition, les bloggeurs de cette organisation ont décidé comme nous l’avons vu précédemment de se servir des élections municipales de 2010 comme plateforme – en couvrant les élections et en ouvrant un portail d’informations sur lequel ils ont posté des messages, des photos, et des
118
Centre d’Étude sur le Monde Arabe Moderne – Université Saint Joseph Beyrouth - http://www.cemam.usj.edu.lb/
119
CHEMALY, Rita, Le Printemps 2005 au Liban, entre Mythes et Réalités, L’Harmattan, Paris, 2009. Rita Chémaly a obtenu le prix Samir Kassir pour la Liberté de la Presse en 2007 et blogue régulièrement sur ritachemaly.wordpress.com.
46
vidéos de la campagne électorale. Selon Chémaly120, « ces bloggeurs ont fournit une information non censurée à leur lecteurs sur internet, et montré les coulisses des élections municipales 2010, et même les abus commis par les politiciens et leurs agents de sécurité. Ils ont montré notamment un agent de la sécurité en train d’aider des citoyens à voter dans l’isoloir – ce qui est interdit par la loi. Leur objectif est d’offrir une information complète non biaisée – qui n’est pas présentée par les médias traditionnels ni les partis politiques du pays ». Toujours selon Chémaly, et à travers les blogs, « une révolution est en train de se produire. Au Liban, comme dans le monde arabe, ces plateformes fournissent une tribune aux jeunes qui ne font pas partie de la classe politique, pour qu’ils puissent s’exprimer sur des enjeux qui les concernent : de la liberté d’expression, à l’environnement en passant par des domaines et des sujets très divers. Les blogs transforment le citoyen passif mais soucieux, en citoyen actif qui s’exprime et qui va éventuellement changer la société dans laquelle il vit. À travers leurs blogs et billets ou encore les commentaires qu’ils y postent ces « internautes militants » espèrent être les instigateurs d’un changement au Liban, d’un changement vers une réelle démocratie, fondée sur le renforcement de la participation des citoyens aux décisions politiques. En utilisant une plateforme en ligne accessible à tous, les blogs donnent aux responsables politiques la possibilité de lire les réactions des citoyens à propos de certaines décisions. Ainsi, de simple récepteur passif de décisions politiques, le citoyen est devenu aujourd’hui un usager actif des nouvelles technologies, qui influence la politique. C’est d’ailleurs ce que rappelle l’auteur français, Francis Pisani, spécialiste de la technologie et de la communication qui dit que les «internautes » sont désormais des « acteurs du web » ». C’est en janvier 2010 que différents internautes libanais (dont des étudiants) « ont voulu montrer qu’ils pouvaient changer la société par leur militantisme » en créant lebloggers.org. Pour Chémaly, « ces bloggeurs ne représentent qu’une partie de la nouvelle tendance vers une culture de participation du citoyen [ …] dans le but de générer des changements sociaux, au moyen d’une révolution électronique ». Il est tout de même nécessaire de relativiser leurs impacts (l’emploi des termes « accessible à tous » semble d’ailleurs risqué étant donné le taux de pénétration d’Internet au
120
Cf. article http://www.aswat.com/fr/node/4188. Selon ses propres termes, aswat.com, réseau social (« les voix » en arabe), « s’efforce d’être une espace non censurée en ligne pour les militants et les réformateurs du Moyen-Orient, de l’Afrique du nord et de l’Iran pour rendre les gouvernements plus responsifs aux demandes des citoyens, plus transparents au niveau des opérations et plus efficaces en répondant aux besoins du peuple. Aswat est un portail multilingue sur Internet qui est disponible en arabe, anglais, français et persan, où les membres accèdent les ressources de qualité, s’engagent dans le dialogue et s’endentent par la sensibilisation ».
47
Liban de 23,68% en 2009121) et de remarquer que, parallèlement à ce phénomène politico socio - culturel récent (le blogging d’opinion, « implicant », militant ) et au cours des années quatre vingt - quatre vingt dix – deux mille, la répression a pris un peu partout dans le monde arabe la place de l’ouverture politique, ce qui explique une large part de l’irrésistible radicalisation des mouvements islamistes et un certain « retour en arrière »122. La question que nous pourrions nous poser plus largement face aux propos de Chémaly concernant une nouvelle tendance citoyenne serait de savoir si la jeunesse arabe peut être considérée comme une menace ou comme une promesse ? Comme un fardeau ou comme porteuse du « flambeau » ? Un ensemble d’êtres fragiles à moraliser, de victimes à indemniser, une masse grondante à maîtriser, un « capital social » ou une richesse de la nation ? C’est d’ailleurs ce que nous essayions d’étudier dans une étude précédente concernant les bloggeurs égyptiens, travail qui tachait de se détacher de toute sorte de dénonciation, de compassion et de pronostics pour mieux comprendre les évolutions de la société égyptienne à travers les espoirs de sa jeunesse, les possibles et complexes pratiques démocratiques et civiques exprimés au travers des blogs. iloubnan.info n’interrogea pas de manière directe123 ses lecteurs à propos des municipales de Beyrouth, sur ce qu’ils en pensaient (la polarisation politique libanaise est peut être la raison de cette non interrogation, tout comme le fait que le scrutin fut finalement peu politisé en comparaison avec les élections législatives de 2009) mais la rédaction mit en revanche le doigt sur ce que le scrutin impliquait à d’autres niveaux. Dans un article intitulé « Municipales de Beyrouth ou mutation de l’espace public le temps d’un vote » publié le 30 avril 2010124, iloubnan.info interrogeait ce que l’affichage lié à ce scrutin révélait au niveau de l’investissement de l’espace public de la ville de Beyrouth. Tout au long des mois d’avril mai 2010, « la guerre des affiches fût déclarée sur les murs » de la capitale libanaise. Sauvage et omniprésent, cet affichage, cette « publicité » pour le scrutin municipal ou plus précisément
121
Selon l'enquête de l'Union Internationale des Télécommunications (UIT), le nombre d'abonnés à Internet et au réseau de téléphonie mobile au Liban s'est élevé à 23,7 et 36,1 par 100 habitants en 2009, classant le pays au 121e et au 170e rang mondial respectivement. L'UIT, organisme dépendant des Nations unies, a récemment publié ses statistiques couvrant le secteur des télécoms dans 233 pays. Ce rapport a classé le Liban à la 121e place mondiale en termes de pénétration de l'Internet pour l'année 2009 (calculée sur base du nombre d'internautes par 100 habitants) et à la 10e place parmi 18 pays de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA). L'UIT a également indiqué que le taux de pénétration Internet au Liban a atteint 23,68 % en 2009, contre 22,53 % l'année précédente. Ce taux est inférieur à la moyenne de pénétration de la région MENA (28,14 %) et à la moyenne mondiale (26,76 %).
122
Voir notamment BURGAT, François, L’islamisme en face, La Découverte - Textes à l’appui, série islam et société, Paris, 1995.
123
Des sondages sur la page d’accueil du site web sont effectivement fréquents.
124
http://www.iloubnan.info/politique/actualite/id/45347
48
le fait de les « offrir » aux murs et façades beyrouthines posa effectivement la question de la modification de l’espace public en lui-même. Réfléchir à l’affichage de ces élections, nous ramène à l'analyse sociologique réalisée par Chantal de Gournay dans son ouvrage: Éloge de l’inauthenticité et de la banalité : la ville contre la distinction125. La sociologue française évoque dans ce dernier la modification de la théorie de l’espace public et une transformation de la notion de publicité propre à notre époque. Pour de Gournay, les lieux de l’espace public moderne doivent aujourd’hui passer « inaperçus », comme les gens qui les fréquentent. La ville se déshumanise, dans notre cas, le « village » Beyrouth s’efface face à la « dubaïsation » de la capitale126. Selon les termes de la sociologue, on assisterait à la naissance d’une « inauthenticité» où les individus et les lieux doivent être effacés pour créer du lien. Dans cet espace est aujourd’hui inséré très fortement la notion de style, transformant ainsi la notion de publicité en « acte de voyeurisme » : il faut voir et être vu. Les candidats aux municipales durant les mois d’avril et mai 2010 étaient visibles partout, affichés sur les murs, les panneaux publicitaires, les boutiques, « forçant » leur visibilité aux beyrouthins, « s’offrant » totalement à eux (déambuler dans n’importe quel quartier de Beyrouth revenait à croiser des tonnes de visages. Recouverts par d’autres candidats, posters identiques alignés le long des murs ; ils épiaient, voulaient certainement faire opérer un choix, du moins, que l’on retienne leurs visages, dans un espace qui perd de plus en plus de son humanité). Le texte, le slogan était peu présent, c’était bien l’image, cette marchandise au service de l’urbanité qui prenait le dessus, ce moment où débute l’idée que l’opposé du public serait aujourd’hui non plus le privé mais la foule. À ce propos, Chantal de Gournay prend pour exemple le flâneur, qui cherche « une expérience de type fusionnel » et qui permet de reconsidérer le partage entre public et privé, dans la mesure où ce flâneur considèrerait la rue comme un intérieur. Mais le « public » électeur se résumaient-il à un ensemble de flâneurs exposé à l’affichage des élections municipales de Beyrouth de 2010? Pouvions nous le considérer comme électeur du privé, électeur de la foule, de cette « rue arabe » ? Accroc à cette image placardée dans tous les sens, omniprésente, en demande d’une telle affluence d’images, de visages ; ou plutôt en saturation ?
125
DE GOURNAY, Chantal, La Rectification de l'Espace Public ou les Avatars de la Communication Urbaine, in Cahiers du CCI, n°5, Urbanisme : la Ville entre Image et Projet, 1988.
126
Cf. reportage vidéo d’Anne Ilcinkas pour iloubnan.info : http://www.youtube.com/watch?v=-fMbBDkNv8c
49
Le développement récent des médias et la reconfiguration des médias classiques abordés précédemment amène justement une mutation des espaces publics classiques vers des espaces que l’on pourrait qualifier d’« hybrides »127 : L’apparition du téléphone portable par exemple, de la ballado-diffusion (podcast, ipod, balladeur MP3, radio, etc.), du Web 2.0 accessible à partir de solutions mobiles (iphone, blackberry, smartphone, mobiles androïdes, etc.) permet de se constituer une sphère privée au sein de l’espace public. On pourrait donc presque penser qu’à l’heure actuelle, la réussite d’une élection se jouerait peut être au niveau des codes sociaux des beyrouthins, publics de ces nouveaux médias, qui montrent de plus en plus leurs indisponibilités (casque audio, oreillettes bluetooth, etc.) et privatisent, de ce fait, l’espace public. Une transformation qui ne semble pas avoir été vraiment prise en compte par les candidats, mais à laquelle engagelebanon.org s’intéresse fortement. Au travers d’un entretien avec cette Organisation Non Gouvernementale et de leur conférence de presse pour le lancement de leur plateforme (28 avril 2010), on constata que cette ONG, comme le regroupement de bloggers libanais lebloggers.org (partenaires d’engagelebanon.org tout comme le ministère de l’Intérieur du Liban) vu auparavant, souhaitait unifier et organiser l’ensemble des acteurs de la société civile libanaise. Son but: créer une base de données, un site web où l’ensemble des citoyens libanais seraient en mesure de trouver des informations et de les partager ; d’encourager le travail en réseau des ONG et représentants de la société civile libanaises. Durant les élections, les équipes d’engagelebanon.org comme celles de lebloggers vu précédemment sillonnèrent le pays pour permettre aux internautes de suivre en direct les scrutins via Twitter, leur plateforme, et d’autres solutions digitales (voir aussi le site web de Social Media Exchange : http://www.smex.org). Ces tweets là devinrent des brèves pour iloubnan.info, au même titre qu’une dépêche AFP concernant une déclaration d’un homme politique. La source de l’information devenait moins légitime ou plutôt, une nouvelle forme de sources d’information était en voie de légitimation : la voie du public, de cette « rue numérique » ; bien que la rédaction du portail d’information vérifie toujours le communiqué en contactant des sources plus « légitimes » (ce fut notamment le cas pour des cas de fraude rapportés par lebloggers.org lors des élections à Byblos – Jbeil. iloubnan.info vérifia
127
DE GOURNAY, Chantal, La Rectification de l'Espace Public ou les Avatars de la Communication Urbaine, op.cit.
50
directement l’information auprès de la LADE, Lebanese Association for Democratic Elections128, association de surveillance du bon déroulement des élections). Mais que souhaite vérifier, exprimer, démontrer ce nouveau type d’espace public en dehors du « changement vers une réelle démocratie » évoqué par Chémaly dont les contours semblent finalement assez flous ?
4.2
Un public anti « mystification » de l’image
(1)
(2)
(3)
Durant cette période au Liban, le travail de Ralph Nashawaty (« Dr. Omar»), photographe libanais, nous apprit certaines choses sur les problématiques qui traversent ce mémoire à savoir de quelle manière le public libanais « regarde » différents médias. Effectivement, dans une exposition photographique intitulée « No, They can’t »129, Nashawaty tachait de déconstruire les mécanismes de construction de l’image politique, que l’on appelle assez communément « propagande »130. Comment les politiciens libanais construisent leurs images ? Qu’est ce qui leur échappe dans cette construction ? Comment démystifier les grandes figures politiques sans aucun artifice (pour cette exposition,
128
http://www.lade.org.lb
129
Cf. http://prozakc.wordpress.com/no-they-cant/
130
Voir notamment CHOMSKY, Noam & HERMAN, Edward, Manufacturing consent The political economy of the Mass Media, New York, 1988 (traduction française : La fabrication du consentement De la propagande médiatique en démocratie, Agone, Marseille, 2008). Et CHOMSKY, Noam, Media Control the Spectacular Achievements of Propaganda, Seven Story Press, New York, 1997 (traduction Française : Propaganda, Danger Public - Le Félin, Montreuil, 2002).
51
Nashawaty n’a jamais utilisé de logiciel de retouche photographique, il se contentait simplement de prendre en photo son poste de télévision, pour « une image sans concession, directe, vraie »). Parti pris ? Inversion du caractère de toutes ces figures politiques ? Plutôt utilisation de la même arme qu’eux : l’image, braquée cette fois ci vers eux (les images précédentes sont extraites de son travail et présentent respectivement (1) Hassan Nasrallah, leader du Hezbollah, (2) Saad Hariri, Premier ministre et leader du Courant du Futur, et (3) Walid Joumblatt, chef de la communauté druze et Leader du Parti Socialiste Progressiste libanais). À la manière de la télévision, moyen de diffusion et organisation, Internet apparaît ici comme un prisme qui permet de comprendre la relation État/société. Il permet également de mesurer le degré de liberté d’une société donnée étant entendu qu’il existe une homologie131 entre l’espace social et le développement d’Internet au Liban, tous deux « présidés » par le pouvoir, plutôt autoritaire, et bien difficile à appréhender de manière simple. L’exemple de la polémique autour de l’article de Nathalie Bontems et la réaction qu’il suscita sur le blog Misères francophones132 illustre de son côté et de manière directe la relation qui peut s’établir entre nouveaux publics et nouveaux médias (cyberjournaux en l’occurrence). Paru sur Slate.fr, l’article de Bontems133 est néanmoins lié à iloubnan.info, puisque c’est à partir d’une image publiée en exclusivité sur ce portail que la correspondante de Ouest France et responsable du bureau de Beyrouth du groupe de presse régional Mediaquest basé à Dubaï construisit son article intitulé « Liban, foot et svastika ». Ce dernier prétend présenter « Les raccourcis historiques » en présence au Liban en les rapprochant de ce que l’on peut, selon elle observer au sein de l’espace public libanais (en l’occurrence à Hamra, zone ouest de Beyrouth): des sandwiches aux noms des grands dignitaires du troisième Reich et des drapeaux allemands ornés d’une croix gammée au sein de la bourgade chrétienne de Bteghrine à 30 km au nord de Beyrouth.
131
« L’homologie peut être décrite comme une ressemblance dans la différence. Parler d’homologie entre le champ politique et le champ littéraire, c’est affirmer l’existence de traits structurellement équivalents (ce qui ne veut pas dire identiques) dans des ensembles différents » BOURDIEU, Pierre, Choses dites, p.168, Éditions de Minuit, 1987.
132
133
http://miseresfrancophones.wordpress.com/2010/06/10/lecon-dhistoire/ http://www.slate.fr/story/21959/liban-football-nazisme-svastika-antisemitisme
52
Capture d’écran de l’article de Nathalie Bontems publié sur Slate.fr le jeudi 27 mai 2010.
Le contenu de cet article ne semble pas au premier abord concerner notre problématique si ce n’est qu’il tire son origine du portail d’information où nous étions en stage (et d’une info en image à propos les élections municipales). Néanmoins, son caractère polémique engendra une réaction d’un blog libanais (misères francophones), une « chaine » de réactions très intéressante qui illustre et répond en quelques sortes à notre postulat de départ à savoir s’il existe un espace public numérique libanais (illustré via l’exemple des élections municipales au Liban). Après avoir remarqué l’ « info en image » d’iloubnan.info où figurait une photo de cette maison de Bteghrine (les photos furent prises par Anna Ilcinkas, jounaliste à iloubnan.info en reportage pour les élections municipales dans le mont Liban),
53
Nathalie Bontems contacta la rédaction pour vérifier la véracité de ces clichés. Interloquée, elle se rendit sur place pour constater la présence de ce drapeau allemand orné d’un svastika134 (à ce moment là, mois de mai – juin – juillet 2010, le Liban, grand amateur de football, voyait fleurir partout des milliers de drapeaux des pays participants à la coupe du monde. Les libanais affichaient ainsi leur soutien à d’autres équipes, le pays du cèdre ne s’étant jamais qualifié pour une phase finale de la coupe du monde de football). Elle produit ensuite pour Slate un article contenant certains passages qui furent analysés par « Bech », bloggeur anonyme de Misères francophones. L’analyse de « Bech » est notamment extraite des propos suivants : « Si le phénomène peut surprendre, voire choquer, plusieurs explications - ne s'excluant pas toujours mutuellement dans la tête de nombreux Libanais - peuvent être avancées: dans une confusion des genres et des combats totale, l'amalgame est rapidement fait entre lutte contre le sionisme et l'anéantissement des juifs, comme on l'entend parfois dans les discussions de salons beyrouthins, toutes catégories sociales et appartenances religieuses confondues. Un Libanais m'expliquait le raisonnement avec un peu de recul: «Nous ne poussons pas très loin la réflexion à ce niveau. Beaucoup de gens ici se disent que si Hitler avait exterminé les juifs jusqu'au dernier, il n'y aurait pas eu besoin de créer l'Etat d'Israël en 1948. Ainsi, tous les problèmes régionaux actuels n'auraient jamais existé.» Il est pourtant facile de tordre le cou à cette géopolitique-fiction, comme le fit d'ailleurs cette même personne dans la foulée: «Le problème, c'est que les gens réfléchissant ainsi ne se disent pas qu'ils auraient peut-être été les prochains sur la liste, après les homosexuels, les tsiganes, les juifs... Et puis beaucoup d'Arabes pensent que ce que les Israéliens ont fait au cours des 60 dernières années est pire que ce que les juifs ont subi durant la Deuxième Guerre mondiale.» Ces raccourcis historiques s'appliquent également aux personnalités plus récentes. Ainsi, le président du Front National Jean-Marie Le Pen jouit d'une très bonne image auprès de nombreux Libanais - chrétiens comme musulmans - grâce à ses slogans-
134
Le svastika (parfois appelé par abus de langage la svastika au lieu de la croix en forme de svastika), est un symbole religieux que l'on peut décrire comme une croix composée de quatre potences prenant la forme d'un gamma grec en capitale, d'où son autre appellation de croix gammée. Ce symbole est notamment utilisé en Orient dans la symbolique jaïne, hindoue et bouddhique. En Occident, le svastika pointant vers la droite et généralement incliné de 45 degrés, a été adopté comme emblème par les nazis, et acquis dès lors une forte connotation négative qui en a fait quasiment disparaître l'usage, en Occident, après la Seconde Guerre Mondiale.
54
enclumes comme «La France aux Français». Il n'y a pas si longtemps, lorsque la Syrie occupait le pays du cèdre, cette petite phrase se décalquait facilement en «Le Liban aux Libanais». Elle est toujours perçue comme d'actualité pour les nombreux adversaires d'Israël, qui réclament la libération des fermes de chebaa. » […] Ecoles et universités publiques s'abstiennent de se frotter à l'histoire contemporaine, un manuel de cours unifié n'ayant jamais pu sortir des tiroirs de l'administration, faute de consensus: élaboré il y a déjà plusieurs années, il n'a pu faire l'unanimité parmi les différents groupes politiques, sociaux et confessionnels du pays. En effet, comment aborder - dans l'enseignement mais aussi dans les médias, la culture, et tout véhicule y touchant - la lutte armée palestinienne, les invasions israéliennes, l'occupation syrienne sans générer de tensions qui dégénèreraient rapidement? Comment retracer, trente ans plus tard, les causes d'un conflit civil qui mit le pays à feu et à sang pendant quinze ans pour se terminer sur un accord tacite: ni vainqueur, ni vaincu? » L’article de Bontems souhaitait probablement susciter une réaction, interroger le lecteur et, pour ceux qui s’intéressent au Liban, le faire réagir. Nous n’avons pas eu le temps de contacter la journaliste pour vérifier cette hypothèse. Mais la réaction de « Bech » (le 10 juin 2010), amène des éléments de réponses sur la réflexivité d’un cyber public face à un cyber média. Ce cyber public, qui s’exprime dans Misères Francophones se définit et se fixe comme objectif de : « Réintroduire dans le débat francophone au Liban des outils d’analyses trop longtemps mis à l’écart du champ de la réflexion par le quasi monopole qu’exerce sur cette communauté L’Orient Le Jour135 et consort. Porter un regard critique sur les pratiques et productions culturelles des institutions comme les universités, centres de recherches, et écoles françaises au Liban. Plus largement, 175 millions de personnes parlent aujourd’hui français dans le monde. Le dispositif d’Etat qui encadre ce phénomène – l’Organisation Internationale de la Francophonie – a développé depuis sa création une rhétorique de “la diversité” qui ne tient pas compte de l’histoire coloniale – point aveugle et condition de possibilité même de cette influence, dépassant très largement les frontières libanaises.
135
Premier quotidien francophone au Liban (fondé en 1971 – 18000 exemplaires en 2006) La ligne éditoriale de L’Orient Le Jour rejoint la ligne politique du 14 mars.
55
La langue française, qualifiée par l’auteur algérien et anticolonialiste Kateb Yacine de “butin de guerre”, peut précisément servir d’outil à la déconstruction d’un imaginaire imposé. Onésime Reclus, le géographe qui inventa le mot de francophonie, a écrit en 1899 que le français devait devenir “le verbe de centaines de millions d’hommes de toute origine, fils de Japhet, de Sem, de Cham, de Gog et Magog et autres ancêtres inconnus.” Sa réflexion sur le destin colonial français excluait une possible réappropriation de cette langue par ces personnes aux “ancêtres inconnus”. L’outil linguistique est bien à double tranchant. Mais encore trop de francophones ont dans la bouche une langue de bois avec laquelle ils se flagellent eux-mêmes, et souvent à leur insu. Cette contradiction participe des misères que le blog se propose de questionner. » L’article de « Bech » sur ce blog est sans concession et très critique envers l’écrit et la position de Bontems. Il réinterroge en profondeur la place de cette journaliste voir même la position générale d’un journaliste qui écrit à propos de l’Orient. Ce qui transparait dans l’introduction de son écrit : « C’est souvent à travers la manie qu’ont les humains de se percevoir mutuellement en termes de « cultures » distinctes que se manifestent les plus virulentes formes de stéréotypes et de discriminations. Comprendre « l’autre » c’est lui créer une « culture », c’est chercher les indicateurs qui permettent de le différencier par rapport à soi. En fait, chercher la culture de l’autre c’est souvent tout simplement la lui inventer. Le pouvoir réel d’une classe de gens sur une autre, d’un groupe, d’une clique, d’une élite, etc. se concrétise, se solidifie et acquiert une certaine légitimité en dessinant l’autre à gros traits, en mettant en relief quelque caractère auquel on voudrait le résumer ». « […] Une certaine Nathalie Bontems nous ramène une touche fraiche de ces stéréotypes qu’on rencontre souvent chez la gente étrangère résidant au Liban (avec mes respects pour tout le monde vu cette rapide généralisation que je fais pour l’argument qui va suivre) : si les Libanais (ou les Arabes) ont une admiration pour Hitler, ou pour tout autre homme démonisé par l’occident d’après 1945, ce n’est pas seulement qu’ils n’aiment pas les juifs, mais c’est qu’ils ont une méconnaissance profonde de l’Histoire, avec un grand H ».
56
« Bech », dans cet article prouve peut être que contrairement à ce sur quoi il conclut ; l’État ne finira pas par monopoliser le discours. Les outils du web social l’en empêchent bien qu’ils ne permettent pas une « révolution de la mobilisation » et sont à la fois des outils de mystification et de démystification de l’image. Néanmoins, dans L’ordre du discours, Michel Foucault remarque qu’il existe d’autres procédures de contrôle et de délimitation du discours (les trois grands systèmes d’exclusion qui le frappent étant la parole interdite, le partage de la folie et la volonté de vérité)136. Le commentaire de « Bech » devient-il alors un commentaire de celui de Bontems ? Pour Foucault, le commentaire permet de « construire (et indéfiniment) des discours nouveaux : le surplomb du texte premier, sa permanence, son statut de discours toujours réactualisable, le sens multiple ou caché dont il passe pour être détenteur, la réticence et la richesse essentielles qu’on lui prête, tout cela fonde un possibilité ouverte de parler. Mais d’autre part, le commentaire n’a pour rôle, qu’elle que soient les techniques mises en œuvre, que de dire enfin ce qui était articulé silencieusement là-bas. Il doit, selon un paradoxe qu’il déplace toujours mais auquel il n’échappe jamais, dire pour la première fois ce qui cependant avait été déjà dit et répéter inlassablement ce qui pourtant n’avait jamais été dit […]»137. Cet écrit posté sur le blog Misères Francophones bouleverse t-il celui de Bontems ? Bouleverse t-il le monde du discours, y a t-il ici « événement » ? Nous savons que les discours doivent être traités comme des pratiques discontinues, qui se croisent, se jouxtent parfois, mais aussi bien s’ignorent ou s’excluent. Qui plus est, et comme le remarque Foucault, il ne faut « pas résoudre le discours dans un jeu de significations préalables ; ne pas s’imaginer que le monde tourne vers nous un visage lisible que nous n’aurions plus qu’à déchiffrer ; il n’est pas complice de notre connaissance, il n’y a pas de providence prédiscursive qui le dispose en notre faveur »138. Comme le rappellent Ferrié et Dupret, « ce qui compose l’ordinaire des usagers du monde leur est connu, mais cela n’implique pas pour autant qu’ils aient une attitude réflexive à son égard »139. Autrement dit, les gens naviguent dans un univers partagé d’éléments vus mais non point remarqués. C’est entre autres à l’analyste qu’appartient cette attitude réflexive
136
FOUCAULT, Michel, L’ordre du discours, NRF, Gallimard, Paris, 1971, p.21.
137
Ibid. p.27.
138
Ibid. p.55.
139
DUPRET, Baudouin & FERRIÉ, Jean-Noël, (Direction), Médias, guerres et identités, op.cit. p. 248.
57
et à certains lecteurs éclairés capables de prendre du recul et de critiquer des points de vue médiatisés. Pour l’analyste, il s’agit de « décrire les mécanismes par lesquels le monde est, pour ses habitants, ordonné, reconnaissable et intelligible, de telle sorte qu’ils puissent s’y mouvoir, y agir et interagir les uns avec les autres sans être perpétuellement à la recherche des fondements communs de leurs actions »140. Et de tels analystes commence à voir le jour sur le Web 2.0, surtout face à des médias qui ont finalement peu de temps pour adopter une telle posture réflexive. Finalement, compte tenu de la nature dialogique et polyphonique des discours sur le Web social, plusieurs identités peuvent être mises en jeu dans la même séquence, le même débat ou controverse que l’on peut étudier. Ferrié et Dupret considèrent que ces « identités sont pertinentes contextuellement en fonction des performances discursives dans lesquelles elles s’insèrent. Il convient donc, tout d’abord, de ne considérer les références identitaires qu’à l’intérieur des discours qui s’orientent vers elle plutôt que de les considérer comme la source clairement identifiée des discours. Il faut, ensuite, ne pas considérer les identités comme exprimant une position globale, civilisationnelle en somme, vis à vis de questions elles-mêmes perçues globalement : l’attention portée à la dynamique discursive entièrement contextualisée des discours, à l’orientation vers des audiences différentes au cours de chacun d’eux et à leur caractère dialogique et polyphonique devrait ainsi manifester clairement le caractère illusoire de toute interprétation ». Peut on néanmoins évoquer une communauté naissante, du moins de nouvelles formes (numériques) de solidarités au Liban (intégrant, comme nous le disions en avant propos, multilinguisme, interculturalité et besoins d’ouvertures) issues de ces « chaines » de commentaires nées d’un sujet se rapprochant des municipales libanaises ? De quelle manière ceux qui utilisent les différents aspects du Web social peuvent créer ces nouvelles formes de solidarité ?
140
Ibid. p.248
58
4.3
Nouveaux (é)lecteurs, nouvelle communauté ?
Pour Maurice Blanchot, « la communauté, qu’elle soit ou non nombreuse (mais, théoriquement et historiquement, il n’y a de communauté que d’un petit nombre – communauté de moines, communauté hassidique (et kibboutzim), communauté de savants, communauté en vue de la « communauté », ou bien communauté des amants), semble s’offrir comme tendance à une communion, voire à une fusion, c’est-à-dire à une effervescence qui ne rassemblerait les évènements que pour donner lieu à une unité (une surindividualité) qui s’exposerait aux mêmes objections que la simple considération d’un seul individu, clos dans son immanence »141. La dimension dialogique du web 2.0 appliqué à de nouveaux médias tel qu’iloubnan.info ne nous permet pas de dire qu’une communauté globale de lecteurs est capable d’émerger grâce aux nouveaux outils des NTIC. Au Liban seulement, ces lecteurs sont épars, différents, ne parlent pas toujours les mêmes langues, et ont des manières différentes d’appréhender l’actualité ; il n’y a pas vraiment communion, même si ce portail se déclare « unique » notamment par sa « neutralité ». Cette dernière n’existe d’ailleurs pas, elle se « présente » seulement de cette manière mais en réalité la neutralité journalistique est un leurre, une illusion, puisque le choix de traiter un sujet met à mal le principe de neutralité. Être neutre ce serait parler de rien et de personne ; ce serait s’exprimer depuis nulle part. Ce serait finalement se taire pour ne pas émettre des représentations non libres de tout stéréotypes (un stéréotype correspond à une signification standardisée et il semble y en avoir beaucoup trop pour que la production médiatique puisse les abjurer). Cette recherche souhaitait en quelques sortes discuter les conditions dans lesquelles les configurations techniques et sémiotique d’un média peuvent soutenir les logiques sociales de la communication, en prenant en compte l’épaisseur propre d’un dispositif. Elle considère, en partant de la méthodologie de Jeanneret, l’écran informatique comme une surface d’écriturelecture où l’écrit organise la communication d’une façon particulière (non identique à la simple transcription de la parole). Le primat de l’image écrite dans les médias informatisés est un fait structurant des dispositifs contemporains, qui peut tout à fait s’évanouir, par exemple au bénéfice de la parole. Mais aujourd’hui, comme le rappelle Jeanneret142, un utilisateur qui consulte des documents sur Internet est avant tout un lecteur. « Certes il accède, s’il le
141
BLANCHOT, Maurice, La communauté inavouable, Éditions de Minuit, Paris, 1983, p.17.
142
JEANNERET, Yves, Y-a-t-il (vraiment) des technologies de l’information ? op.cit. p.153.
59
souhaite, à de la parole orale, à des séquences audiovisuelles, à des bruits, à des photographies. Mais il ne se fait spectateur que parce qu’il est un lecteur : il accède à ces ressources en lisant un espace visuel, et en le lisant comme un texte ». L’analyse de l’imaginaire de l’écran nous fait saisir le sentiment d’une présence infinie et inépuisable que nous attribuons à cet objet textuel, baigné de lumière comme le texte écrit ne l’avait jamais été jusqu’à présent. Pourtant, outre sa propre matérialité (réseau, mémoire, écran, clavier, etc.) l’écrit informatisé n’est qu’une reprise, une citation, une mise en abyme de toutes les matérialités de la culture documentaire. Et c’est cette reconstruction visuelle des matières de l’expression qui éclaire l’analyse des signes particuliers de l’écran. De son côté, la communauté, supposée par beaucoup suite à l’apparition de nouvelles configurations du réseau des réseaux, n’a donc pas à s’extasier, ni à dissoudre, comme le rappelle Blanchot143, les éléments qui la composent en une unité surélevée qui se supprimerait elle-même, en même temps qu’elle s’annulerait comme communauté. L’espace public numérique reste donc flou, et ce n’est qu’à partir du moment où ces (é)lecteurs-utilisateurs libanais adopteront une attitude praxéologique, qu’ils deviendront « hybrides », qu’un réel espace public numérique émergera. La facilité dans l’analyse, consistant à faire de la communauté la clé exclusive de la compréhension des évènements et des discordes libanais, n’est pas facile à déjouer et à combattre, surtout lorsque la nature et les caractéristiques de la communauté ne font l’objet d’aucune approche critique et différenciée, suivant ses origines historiques, ses institutions, la nature de ses particularités, objectives ou imaginaires et mystiques. « Les communautés libanaises ne sont en effet ni des tribus, ni des ethnies, ni ce que l’on nomme des minorités nationales, ce qu’oublient la majeure partie des observateurs, si avisés soient-ils, de la réalité libanaise, qu’ils soient ou non, libanais »144. Internet a certainement créé de nouvelles façons de communiquer et d'échanger des idées, mais nous ignorons encore si cela aura un véritable impact sur l'intérêt des citoyens pour la démocratie, et sa pratique. Là où certains voient un renouveau de l'engagement civique, d'autres parlent de «slacktivism», une façon péjorative de désigner cet activisme politique superficiel «pour se donner bonne conscience», et qui semble se développer de plus en plus sur le Net depuis quelques années (on parle aussi « d’activisme en pantoufles »).
143
BLANCHOT, Maurice, La communauté inavouable, op.cit. p. 19
144
CORM, Georges, Le Liban contemporain, op.cit. p.29.
60
Internet, c'est aussi la télévision satellitaire démultipliée, c’est certains aspects de cette « rue arabe » encore plus puissants où il n'a jamais été aussi facile de se brancher sur la vie politique, ou bien de la zapper complètement. La multitude de sources, de références font en sorte que l’information au sein de l’espace public devient de plus en plus subjective, elle réduit considérablement les différents points de vue auxquels nous sommes exposés encore aujourd'hui et auxquels nous prêtons attention.
61
Conclusion Dans le Liban contemporain145, Georges Corm désigne assez durement les libanais en affirmant qu’ils « ont toujours aimé exprimer leurs passions politiques sous forme de grandes causes à l’échelle régionale ou internationale. En même temps, ils ont reporté ces ambitions sur les communautés d’appartenance, comme instrument de réalisation de leurs rêves ». Essayer d’aborder l’émergence d’une nouvelle sorte de communauté, de nouvelles sortes de solidarités (à partir d’un exemple de mobilisation politique particulier) n’était donc pas une tache facile. Avec de nouveaux projets journalistiques (surtout quand ces derniers se greffent sur des nouvelles technologies qui dématérialisent en partie la diffusion et le support permettant l’affichage du « journal »), de nouvelles logiques médiatiques apparaissent. Le pure player d’information générale (entendu dans cette étude comme un nouveau champ journalistique) iloubnan.info n’échappe pas à ces logiques et il reproduit le double mouvement que l’on retrouve à l’œuvre dans la démocratie libérale : l’émancipation et l’aliénation, l’individualisation et l’homogénéisation du public toujours en phase de redevenir masse, ou simple foule. Toutefois, l’avantage d’un projet comme iloubnan.info est de donner une certaine visibilité à l’objectif recherché. D’une certaine manière, et comme le remarquent Ferrié et Dupret146, les médias d’information inspectent pour nous des parties du monde qui, sans cela, échapperaient à notre connaissance, mais ils le font en s’ancrant dans la partie du monde que nous connaissons, de sorte qu’ils nous constituent localement en audience d’évènements distants, dans le temps comme dans l’espace ». Ce faisant, ces médias ou plutôt ce système définissent un ensemble de personnes dotées de caractéristiques communes, une sorte d’ « unité » à laquelle on destine une « vérité » (ces nouveaux médias se prêtant un public orientent vers lui un vérité attractive). Nous nous retrouvons donc dans une situation où, quel que soit ce que l’on souhaite dire, on ne peut le dire indépendamment d’un certain état du réel. Si effectivement, l’ouverture d’Internet au pluralisme équivaudrait à l’avènement d’un espace de débat et de discussion accessible à tous, un lieu d’expression où la distribution de biens symboliques se dérobe au seul jugement de l’État, « voici que connaît une nouvelle publicité la question du lien qui peut s’établir entre la création d’objets techniques, matériels, supports des messages et d’échanges d’une part et d’autre part, les pratiques de la culture,
145
CORM, Georges, Le Liban contemporain, op.cit. p.25.
146
DUPRET, Baudouin & FERRIÉ, Jean-Noël, (Direction), Médias, guerres et identités, op.cit. p. 251.
62
individuelles et collectives, savantes et ordinaires »147. Nous avons appris ici trois choses sur l’espace public libanais. La première est que celui-ci n’est pas organisé par des propriétés en soi, mais qu’il est un phénomène de membre (dans cette étude, les militants de lebloggers.org ou d’engage lebanon par exemple). De ce point de vue, il n’est pas un espace mais un réseau interactionnellement structuré. La deuxième chose est qu’à l’intérieur de ce réseau, et comme l’affirment Ferrié et Dupret148, les « comptes-rendus portant sur les évènements ou les valeurs sont supportés, à la fois, par leur relation à des audiences et par leur organisation contrastive, l’une et l’autre étant liées, puisque toute version allomorphe suppose l’existence d’un public prêt à l’accepter et que toute supposition d’un « public » amène à le doter d’une identité catégorielle sensible à tel ou tel contenu propositionnel ». La troisième chose est que les cybermédias ne circonscrivent pas une « publicité » particulière, pas plus qu’ils n’impliquent une véridiction spécifique ; ils s’inscrivent alors dans les modes communs de production du public et de la vérité en leur donnant seulement une plus vaste ampleur. La « manière de faire »149 est peut être donc nouvelle mais parler de révolution ou de Nahda semble démesuré. Le jeu de miroir entre un public et de nouveaux organes d’information libanais existe certainement; reste que ces protagonistes sont bien souvent aveugles et qu’ils n’y font donc pas attention puisque qu’ils ne sont pas en mesure de voir leurs reflets.
147
JEANNERET, Yves, Y-a-t-il (vraiment) des technologies de l’information ? op.cit. p.13-14.
148
Op.cit. p. 255.
149
DE CERTEAU, Michel, L’invention du quotidien, op.cit.
63
Bibliographie
64
Ouvrages AGNES, Yves, Manuel du journalisme, La Découverte, Paris, 2002. BARAKAT, Halim, The Arab World : Society, Culture and State, University of California Press, Los Angeles, 1993. BARTHES, Roland, Le degré zéro de l’écriture, Points, Seuil, Paris, 1972. BARTHES, Roland, L’aventure sémiologique, Seuil, Paris, 1985. BARTHES, Roland, Mythologies, Seuil, Paris, 1957. BAUCHARD, Denis & LEVEAU, Rémy (Direction. CAHAN, Judith, coordination), La Démocratie est-elle soluble dans l’islam ? CNRS Éditions, Paris, 2007. BENNANI-CHRAÏBI, Mounia & FARAG, Iman (Direction), Jeunesses des sociétés arabes, par delà les menaces et les promesses, aux lieux d’être éditions, CEDEJ, Le Caire, 2007. BLANCHOT, Maurice, La communauté inavouable, Minuit, paris 1983. BOURDIEU, Pierre, Choses dites, Éditions de Minuit, Paris, 1987. BOURDIEU, Pierre, Esquisse d’une théorie de la pratique - précédé de trois études d’ethnologie kabyle, Seuil, Paris, 1979. BURGAT, François, L’islamisme en face, La Découverte - Textes à l’appui, série islam et société, Paris, 1995. CATUSSE, Myriam & KARAM, Karam, Returning to political parties ? Partisan logic and political transformations in the arab world, The Lebanese Center for Policy Studies, Beyrouth, 2010. CHOMSKY, Noam & HERMAN, Edward, Manufacturing consent The political economy of the Mass Media, New York, 1988 (traduction française : La fabrication du consentement De la propagande médiatique en démocratie, Agone, Marseille, 2008). CHOMSKY, Noam, Media Control the Spectacular Achievements of Propaganda, Seven Story Press, New York, 1997 (traduction Française : Propaganda, Danger Public - Le Félin, Montreuil, 2002). CORM, Georges, Le Liban Contemporain histoire et société, La Découverte, Paris, 2005. DE CERTEAU, Michel, L’écriture de l’histoire, Folio histoire, Gallimard, Paris, 1975. DE CERTEAU, Michel, L’invention du quotidien 1. arts de faire, Folio essais, Gallimard, Paris, 1990.
65
DELCAMBRE, Anne Marie, Mahomet La parole d’Allah, Gallimard, Paris, 1987. DUPRET, Baudouin & FERRIÉ, Jean-Noël (Direction), Médias, guerres et identités Les pratiques communicationnelles de l’appartenance politique, ethnique et religieuse, Éditions des Archives Contemporaines, Paris, 2008. DUVAL, Julien, Critique de la raison journalistique. Les transformations de la presse économique en France, Liber, Seuil, Paris, 2004. EBIARY, Rasha, Public opinion & Propaganda (hand out – COM 312), Faculty of Mass Communication - Misr International University, Le Caire, 2009. FOUCAULT, Michel, L’ordre du discours, NRF, Gallimard, Paris, 1971. FOUCAULT, Michel, Naissance de la biopolitique, cours au Collège de France 1978-1979, Gallimard – Seuil, Paris, 2004. GENETTE, Gérard, Palimpsestes, la littérature au second degré, Points, Seuil, Paris, 1982. GONZALES-QUIJANO, Yves & GUAAYBESS, Tourya (Direction), Les arabes parlent aux arabes, la révolution de l’information dans le monde arabe, Actes Sud – Sindbad, Arles, 2009. GONZALEZ-QUIJANO, Yves & VARIN Christophe (textes édités par), La société de l’information au Proche Orient, Internet au Liban et en Syrie, CEMAN-GREMMO, Beyrouth, Liban, 2004. GOODY, Jack, La raison graphique, La domestication de la pensée sauvage, Le sens commun, Éditions de Minuit, Paris, 1979. GUAAYBESS, Tourya, Télévisions arabes sur orbite, un système médiatique en mutation (19602004), CNRS Communication, CNRS Éditions, Paris, 2005. HABERMAS, Jürgen, L’Espace public, Payot, Paris, 1978. HABERMAS, Jürgen, Droit et Démocratie, Gallimard, Paris, 1997. IBRAHIM, Saad Eddin, Arab Societies - Introduction, The American University in Cairo Press, Ibrahim S. & Hopkins, N., Le Caire, 2002. JEANNERET, Yves, Y-a-t-il (vraiment) des technologies de l’information ? Presses Universitaires du Septentrion, coll. « Savoirs mieux », Villeneuve d’Ascq, 2007 (2e éd.). KARAM, Karam, Le mouvement
civil au Liban. Revendications, protestations et mobilisations
associative dans l’après guerre, Karthala, Paris, 2006.
66
KEPEL, Gilles et RICHARD Yann, Intellectuels et militants de l’Islam contemporain, Seuil, Paris, 1990. KÜNG, Lucy, G. PICARD, Robert, TOWSE Ruth, The Internet and the Mass Media, chap.5 : The impact of the Internet on the users, SAGE Publications, Londres, 2008. LAJOIE, Jacques & GUICHARD, Éric (Direction), Odyssée Internet Enjeux sociaux, Presses de l’Université du Québec, Québec, 2002. MAALOUF, Amin, Les identités meurtrières, Grasset, Paris, 1998. MARZOUKI, Moncef, Le mal arabe, entre dictatures et intégrismes : la démocratie interdite, L’Harmattan, Paris, 2004. MAUSS, Marcel, Manuel d’ethnographie, Petite Bibliothèque Payot, Paris, 1967. MC LUHAN, Marshall, Pour comprendre les média, Points, Seuil, Paris, 1977. MERMIER, Franck (dir.), Mondialisation et nouveaux médias dans l’espace arabe, Maison de l’Orient et de la Méditerranée, Maisonneuve & Larose, Paris, 2003. MERVIN, Sabrina (Direction), Le Hezbollah. État des lieux, Actes Sud – Sindbad, Arles, 2008. PRIDE, Vincent, Public Opinion (Communication Concepts I), Sage publications Inc., New York, 1992 ROUSSILLON, Alain, Réforme sociale et identité essai sur l’émergence de l’intellectuel et du champ politique modernes en Égypte, Le Fennec, Casablanca, 1996. SALMON, Christian, Storytelling, la machine à fabriquer des histoires et à formater des esprits, La Découverte, Paris, 2007. SHAYEGAN, Daryush, Le regard mutilé Pays traditionnels face à la modernité, Albin Michel, Paris, 1989. UNITED NATIONS DEVELOPMENT PROGRAMME, Egypt Human Development Report 2008, Egypt’s Social Contract : the role of Civil Society, Chap 11 : The role of information, communication and the Media, Institute of National Planning, Le Caire, 2008. ZINN, Howard, A people’s history of American Empire, Charta, New York, 1980.
67
Articles AGRE, Phil, The Internet and the public discourse, in First Monday, peer-reviewed journal on the Internet http://131.193.153.231/www/issues/issue3_3/agre/, 1998. BOTIVEAU, Bernard, Penser, Dire, Interdire - logiques et enjeux de la censure des écrits en Égypte, Revue Égypte/Monde Arabe n°14, CEDEJ (Centre d’Études et de Documentation Économique Juridique et Sociale) / IFRE (Institut Français de Recherche à l’Étranger), Le Caire, Égypte, 2ème trimestre 1993. CALLON, Michel, L’Égypte et les experts (Nous avons lu « Rule of Experts » de Timothy Mitchell), Gérer et Comprendre, Décembre 2006, N°86. CAMAU, Michel, Trois questions à propos de la démocratie dans le monde Arabe, Revue Égypte/Monde Arabe n°4, CEDEJ / IFRE, Le Caire, Égypte, 4ème trimestre 1990. CARDON, Dominique ; HEURTIN, Jean-Philippe, LEMIEUX, Cyril ; Parler en public in Politix. Vol.8, N°31. Troisième trimestre 1995. pp.5-10. CHALHOUB, Nada, Mesurer la société de l’information dans le monde arabe : de la difficulté d’une nécessité, in GONZALES-QUIJANO, Yves, VARIN, Christophe, La Société de l’information au Proche-Orient, Internet au Liban et en Syrie, op.cit. CHATELARD, Géraldine, Les dynamiques identitaires des chrétiens en Transjordanie (1850-1950). Peut on parler de minorité ? in Les Cahiers de l’Orient, Penser l’identité en Méditerranée, n°61, 1er trimestre 2001, p.111. DE GOURNAY, Chantal, La Rectification de l'Espace Public ou les Avatars de la Communication Urbaine, in Cahiers du CCI, n°5, Urbanisme : la Ville entre Image et Projet, 1988. EL SAYYED, Kamel, Third wave of Democratization in the Arab world in The Arab World Today, New York, Dan Tschirgi editions, 2000. HIEBERT, John, Problems of global journalism in Practising global journalism : Reporting Issues worldwide, Oxford, Focal Press, 2001. KARAM, Karam ; CATUSSE, Myriam, Reforms at a standstill for the Taef Government of Lebanon, The Lebanese Center for Policies Studies, Arab Reform Intiative, Country report, Beyrouth, 2009. KIRCHNER, Henner, Internet in the Arab World : A Step Towards « Information Society ? in: HAFEZ, Kai (Hg.), Mass Media, Politics & Society in the Middle East, Cresskill (Hampton Press), 2001.
68
LE DEUFF, Olivier, Le succès du Web 2.0 : histoire, techniques et controverse, Cersic-Erellif EA 3207, Université Rennes 2, http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/docs/00/13/35/71/PDF/web2.0.pdf, 2007. MANIG, Stefanie, Intercultural Communications Medias and the cartoon row, sub themes : Myths and realities of social, cultural, linguistic and physical diversity, Intensive programme 2007 in Strasbourg, Master of Euroculture, University of Goettingen / Uppsala Universitet, 2007. MESSARRA, Antoine, Constantes et mutations de la ville, témoignage vécu d’un Beyrouthin, récit de vie 1938-2009, colloque “Lectures multiples de la ville de Beyrouth” Université Libanaise, Faculté des Lettres Département de français, Beyrouth, avril 2009. PÉLISSIER, Nicolas, Nouveaux Média, Nouveau journalisme / Un cyberjournalisme qui se cherche, revue Hermès, Les journalistes ont-ils encore du pouvoir ? n°35, 2003. ROUSSILLON, Alain, Égyptianité, Arabité, Islamité : la recomposition des référents identitaires, Revue Egypte/Monde Arabe n°11, CEDEJ / IFRE, Le Caire, Égypte, 2ème trimestre 1992. ROUSSILLON, Alain, L’Égypte et l’Algérie au péril de la libéralisation, Les dossiers du CEDEJ, Le Caire, 1996. SALAMÉ, Ghassan, in Démocratie et Démocratisations dans le monde arabe, « Sur la causalité d’un manque : pourquoi le monde arabe n’est-il donc pas démocratique ? », Dossiers du CEDEJ, Le Caire, 1990. VATIN, Jean Claude, Les partis (pris) démocratiques. Perceptions occidentales de la démocratisation dans le monde arabe, Revue Égypte/Monde Arabe n°4, CEDEJ / IFRE, Le Caire, Égypte, 4ème trimestre 1990.
69
Articles de presse BENFODIL, Mustapha, Wael Abbas (Créateur du blog « La conscience égyptienne »), elwatan.com, 24 février 2009. CARR, Sarah, Amnesty urges authorities to disclose whereabouts of detained blogger, Daily News of Egypt - 10 page edition, Vendredi 20 Février 2009. WILLIAMS, Daniel, Egypt Bloggers Seek to Bridge Gap Between Islamists, Democrats, Bloomberg report, 13 avril 2009. MOSLEY, Matthew, Lebanon’s political top-dogs show their contorted faces, Daily Star staff Tuesday, September 15, 2009 GLAD, Vincent, Ah bon, Twitter c’est public ?, Slate.fr, 8 juin 2010. HASKI, Pierre, vif débat sur le témoignage de Mohammed qui rentre chez lui, Rue89.com, 15 août 2010.
70
Autres ressources • Podcast Et pourtant elle tourne, France Inter, lundi 15 juin 2009, Reportages par Claude GUIBAL, Marie HEUCLIN, Christian CHESNOT, Bruno DUVIC. http://sites.radiofrance.fr/franceinter/em/etpourtantelletourne/index.php?id=80605 • Sites web ONG http://www.rsf.org http://www.dohacenter.org http://www.hrw.org/fr http://www.fidh.org • Agences de presse http://fr.reuters.com http://www.bloomberg.com • Blogs Blog d‘Yves Gonzalez Quijano (MCF Lyon II – Gremmo), Culture et politique arabes: http://cpa.hypotheses.org/ Blog de Claude GUIBAL (correspondante au Caire de Libération et France Inter, Les soir): http://egypte.blogs.liberation.fr/ Blog de Ahmed HASSAN SAMI (Middle East News Agency) http://www.centoury.canalblog.com
71
•
Site web de la Banque Mondiale (www.worldbank.org). La Banque mondiale met en ligne des données sur les indicateurs relatifs aux TIC.
•
Madar Research (www.madarresearch.com). Société privée, basée à Dubaï, qui mène des recherches sur la société de l’information au Moyen-Orient particulièrement disponibles sur son site.
•
Programme des Nations Unies pour le Développement (www.undp.org). le PNUD offre la possibilité de téléchargement de certaines publications concernant les TIC dans le monde arabe.
•
Internet World Stats (www.internetworldstats.com). Site international qui donne une mise à jour des statistiques sur les populations et l’usage d’Internet pour plus de 233 pays.
•
Union Internationale des Communications (www.itu.int). L’UIT (ITU selon l’acronyme anglais) est une organisation internationale du système des Nations Unies au sein de laquelle les Etats et le secteur privé coordonnent les réseaux et services mondiaux de télécommunication. Dans la section dédiée au développement des télécommunications, l’UIT met en ligne des statistiques et des rapports gratuits sur les TIC dans le monde.
•
Maison de l’Orient et de la Méditerranée Jean Pouilloux, Université Lumière Lyon 2 – CNRS (www.mom.fr)
•
Smartmobs.com
72
Annexes •
Entretien avec Myriam Catusse, IFPO Beyrouth, 18 mai 2010
•
Entretien avec Karam Karam – Mardi 18 mai 17h30 – Commom space initiativedowntown Beirut
•
Liste des reportages à propos des municipales et des NTIC rédigés pour iloubnan.info
73
Entretien avec Myriam Catusse, IFPO Beyrouth, 18 mai 2010 CCF Beyrouth / piste c fichier 7 Le jeu politique s’est refermé aujourd’hui, depuis deux ans. Dans les années 90 il y avait ces acteurs qui n’étaient pas d’ailleurs nécessairement des acteurs nouveaux, sociologiquement, c’était souvent des intellectuels beyrouthins qui étaient porteurs d’un nouveau projet pour la société, qui voulaient faire de la politique autrement, qui voulaient reprendre le projet civil. Des mouvements syndicaux dans les années 90 ici, c’était encore un mouvement très puissant, ils ont mené quelques mouvements qui ont été réprimés et cassés de l’intérieur. Le mouvement syndical renvoi à d’autres problématiques. Autre acteur important : les mouvements dans les universités récupérés par les milices (FL notamment) pas de nouveaux acteurs mais porteurs de revendications, contre les grandes familles politiques libanaises. Dans les années 90 il y avait des indices d’émergence de nouveaux acteurs, de nouvelles manières de faire la politique. Dans les années 2000, ces acteurs n’ont pas disparu, leurs successeurs arrivent, mais on est plutôt dans une phase de fermeture du jeu politique, un espace où les mobilisations politiques, syndicales, estudiantines diminue. Un espace qui se restreint face à la grande polarisation du jeu politique autour du 8 et du 14 mars. Il est difficile de faire de la politique hors de cette alternative, de ces deux grandes traditions, blocs politiques qui sont liées. Aujourd’hui, si on regarde l’échiquier politique, je ne vois pas l’émergence de nouveaux acteurs. En revanche, on n’a pas d’un coté la politique des familles et la politique des partis, ou d’un côté la politique politicienne et la politique associative. Nouveaux acteurs : groupes qui utiliseraient plus volontiers des techniques modernes de mobilisation de communication, etc. je pense que c’est presque une fausse question, c’est une question à nuancer, à reformuler. C’est à dire, que l’on voit comment les anciens acteurs demeurent ceux qui ont le plus de ressources pour utiliser ces types, modes de mobilisation : avoir accès à la technologie, à l’éducation, formuler des projets politiques dans de nouveaux cadres (associatifs, partisans, alternatifs). Attention ! Agnès Favier sur les municipales de 1998, enquête exhaustive : photographie. Les anciennes élites locales continuent à jouer des formes de mobilisation de proximité : familiale, clientéliste, du nom. Mais en même temps ces élites sont totalement contemporaine,
74
voyagent, s’éduquent donc sont au fait de tas de techniques variées de mobilisation. Moi je pense toujours que par rapport au NTIC, cela représente toujours une opportunité pour des outsiders de devenir insiders, mais c’est aussi une possibilité pour les insiders d’être encore plus dominant. Peux t-on penser, imaginer le développement d’un nouvel espace public dans la dialectique grande famille-partis politiques dû à l’émergence du web 2.0, un nouvel acteur, comme par exemple de nouveaux médias ? Travailler avec Olfa Lamlum IFPO. Exemple de Baroud : grand communiquant. Hezbollah produit un énorme système de pensée. En Égypte il y a du débat, des controverses qui se font par le biais du blog. À la fois en terme de moralisation de la vie publique, de débat sur la religion, sur la contestation politique. Espace de controverse, de dialogue, de pensée réformatrice. À la fois du côté des mobilisations extrémistes, peut être un peu mois du côté des mobilisations de gauche, d’opposition laïque. Pas d’accord avec le fait qu’il n’y ai pas de pensée. Construction d’un grand corpus à différents niveaux : des questions réponses d’un Sheikh quelconque sur des questions pratiques à de l’information, des débats sur des grandes questions de société, de la propagande politique mais qui n’est pas seulement nationale. La question de l’espace du Machreq , de son unité est posée. En termes de construction d’un corpus de pensée, etc. et je pense à la sphère chiite, dans ce milieu il y une construction autour du rôle de référent. On va demander par exemple, qu’est ce que je dois faire dans ce cas là précis, des mots d’ordre très politiques voir très propagandistes à des questions très religieuses, au sens le plus domestique du terme. Concernant les municipales, il faut voir comment varient les mobilisations, pour les législatives de 2009, elle était beaucoup plus organisée, beaucoup plus médiatique. Dans le cadre des municipales, ont été beaucoup moins dans un discours idéologique, construction de l’ennemi. Mais le discours était là, il était près et n’a pas changé. Le grand discours politique pour ou contre le 8 et 14 mars est là, il est le même. Le débat était moins politisé, plus local. Mais on savait que les élections allaient se tenir, même si le scrutin a été annoncé au dernier moment. Là où il y aurait un piège, ce serait plus le fait que la date entre la fermeture des listes et la date des élections est très courte : 10 jours. Il reste donc une semaine pour parler d’autres choses que de la composition des listes. Ce fait là serait très facilement modifiable
75
comme le fait de mettre des bulletins pré imprimé, c’est des choses qui ne sont pas faites car elles arrangent tout le monde, tout le monde en tire profit. Il n’y a personne au parlement pour voter ce type de loi, c’est choses toutes simples qui font partie du système de mobilisation collective. Et Baroud ne porte pas du tout ce projet, c’est une illusion. Par son parcours, il est porteur de l’idée qu’il faut réformer, mais la loi qui a été par les parlementaires après Doha est en deça de tout cela. Baroud il a portait quoi ? Et où ? Il a été nommé Ministre de l’intérieur au moment où cette loi a été adopté, il aurait pu refuser, il aurait pu dire, et je dis ça de manière objective, je ne suis pas là pour le juger mais porter un projet de réforme véritablement, ce serait de na pas accepter de telles élections. Alors Baroud dit, il faut faire cela petit à petit, c’est une posture peut être vraie. Seulement deux députés ont vraiment eu cette posture de réforme : Ghassan Tueni et Ghassan Ghadi, c’est eux qui ont apporté le plus d’amendement pour la loi de réforme mais ça n’a pas porté. Mais là on parle de réforme pour des bulletins pré-imprimé… Pourquoi ça ne passe pas ça ? Ces petits détails qui sont aussi très importants pour montrer à quel point il y a une forte connivence, c’est à dire au delà des grands clivages politiques qui divisent le pays, il y a quand même une forte connivence politique sur la reproduction des règles du jeu et des outils politiques. Alors si l’on revient à la question de l’Internet et de la contestation c’est très intéressant de mettre ces éléments en perspective. On est dans un jeu assez fermé et dominé par les dominants, quel que soit leur division en interne donc c’est intéressant de voir si il y a des espaces, des outils , des acteurs dominés qui peuvent casser cette carapace sachant qu’il n’y a aucune raison pour laquelle les dominants n’utilisent pas non plus ces outils. Je caricature mais en gros c’est ça. Travail de Ralph Nashawaty (Dr. Omar): « No they can’t » - Est ce que de nouveaux médias peuvent devenir de nouveaux prescripteurs ? Comment utilise t-on Internet ? Comment cherche t-on l’information sur le web? Qu’est ce que l’on cherche ? Pour les législatives, Internet a été un espace d’analyse et de fabrication de l’information : qui va gagner (jeu de concurrence médiatique) ? Rumeurs, Internet est le lieu où se fabriquent les rumeurs. Moins de tension sur les municipales, donc moins ces constructions là. Sur les municipales, il y avait les ONG, les observateurs nationaux, internationaux, missions et les gens, militants, votants électeurs, tout le monde était en campagne. Baroud a son administration pour suivre les élections, pourquoi engagelebanon.org alors ? Pourquoi faire
76
autre chose, il y a les journalistes, les élections sont sur-observés. Qu’est ce qui veulent faire ? Faire l’événement ! Rappel sur le taux de pénétration d’Internet. Utilisation d’Internet par les militants en exil (diaspora). Moyen à travers le virtuel d’entretenir un rapport à son pays - patrie d’origine. L’espace virtuel de mobilisation, du contournement de l’autoritarisme (peu présent au Liban, mais exemple de l’Iran, de la Chine). Etre chez soi, devant son ordinateur, ce n’est pas vraiment du militantisme, de l’action collective, c’est du militantisme isolé, en pantoufle. Moins risqué, moins couteux. Tout cela participe d’une mobilisation générale. À l’extrème gauche il y a de bloggeurs. Mais cela peut devenir une mobilisation de masse quand l’espace de la mobilisation est complètement fermé, réprimé quand la parole n’est pas du tout ouverte, dans un contexte comme le contexte libanais, c’est particulier parce que la parole publique (malgré la censure, etc), est plus ouverte, elle n’est pas tue. Ce n’est pas Internet faute de mieux, c’est quelque chose en plus, une possibilité de plus de prendre la parole. Pour ceux qui sont à l’étranger en revanche, la diaspora, ça peut jouer comme un lieu de substitution, d’intervention dans le débat national, même si les libanais installés à l’étranger n’on pas le droit de vote. C’est l’autre enjeu de la réforme : l’abaissement de l’âge du vote à 18 ans (il est à 21 ans) et droit de vote des étrangers. Tu peux dire tout ce que tu veux sur Internet, si tu as 18 ans, tu ne votes pas. C’est intéressant d’ailleurs : internet rassemble aussi ces décalages entre les débats en présence. Qu’est que tu entends par public ? c’est important de le définir. Ça veut dire quoi espace public ? Internet c’est un espace public ? publicisé, publicisant ? Il faut surtout regarder ce qui se négocie entre privé et public, où il y a des tensions. Mon vote (souvent revendiqué au Liban où on affiche souvent sa couleur politique) est t-il public ? privé ?
77
Entretien avec Karam Karam – Mardi 18 mai 17h30 – Commom space initiativedowntown Beirut. Piste B fichier 23 Ma première question fait référence à votre livre le mouvement civil au Liban, où vous tachez de développer une réflexion sociologique qui permettrait de penser la paix au Liban, mais vous aborder aussi le fait que derrière la théorie politique traditionnelle, d’autres acteurs, d’autres institutions, d’autres modes de faire sont en train d’en renouveler le scénario. Que pensez vous donc de la mobilisation actuelle au Liban ? Notamment l’exemple récent de la Laïque Pride et des élections municipales qui sont en train de se dérouler? Est ce là un nouveau type de mobilisation ? Non, c’est tout à fait dans la continuité de ce qui a été impulsé dans les années 90 et plus précisément dans la deuxième moitié des années 90. Que ce soit la Laïque pride qui est dans la continuité du mouvement (même si les acteurs ne sont plus les mêmes) qui a été beaucoup plus dense et beaucoup plus important (sans donner de jugement de valeur ou d’évaluation), plus riche au niveau des interaction qui a eu lieu en 1998 pour le mariage civil de façon général et pour l’adoption des statuts civil au Liban. La mobilisation s’est faite presque uniquement via le web alors qu’auparavant, nous assistions à des réunions, rencontres d’étudiants dans les campus, les syndicats, les ordres professionnels, etc. Il fallait se mobiliser pour mobiliser. La différence cette fois ci est donc là : le moyen de l’invitation, la mobilisation via le web et ses conséquences sur les moyens de mobilisation traditionnels. Ce moyen est plus anonyme, on se demande aujourd’hui qui est derrière ? Auparavant, on avait une visibilité sur celui qui mobilisait, c’était lui qui venait voir les personnes, en les invitant. Il y avait une identification. Pas vraiment personnalisée mais au moins on pouvait situer les acteurs, les idées dans un contexte. Ici, pas mal de questions sont restées sans réponses même si le moyen est beaucoup plus efficace et beaucoup plus rapide. L’investissement est beaucoup moins couteux. Mais on est dans la même continuité, l’autre mobilisation impulsée dans les années 90 était inscrite dans un projet. Là, et peut être je me trompe, on a du mal à situer cette mobilisation socialement et politiquement (et au niveau proclamatique). Et ça c’est une caractéristique généralisable des mobilisations que l’on observe aujourd’hui : peu de temps pour expliquer, réfléchir et penser en profondeur la mobilisation ; élaborer un projet complet où l’on revisite totalement le projet socio-politique et économique libanais ; où est ce que l’on se situe par rapport au système actuel, comment on veut le changer.
78
Aujourd’hui, on va directement dans la rue, sans réflexion. Mais est ce une évolution des militants réformistes, est ce qu’on les retrouve aujourd’hui, les réformistes des années 1990, est ce que c’est eux qui ont évolué sur leurs modes de mobilisation ou est ce une nouvelle génération, de nouvelles personnes ? Je suis incapable de répondre à cette question là car je n’ai pas participé à cette deuxième vague de mobilisation contemporaine (j’ai par contre analyser la première). Mais je me suis posé la question. Il y a une nouvelle génération, même si l’on trouve des anciens acteurs, militants des années 90, mais au niveau des initiateurs et sans rentrer dans les détails (qui se mobilise, quand, comment, pourquoi ?), la génération qui se mobilise aujourd’hui est bien plus jeune, sans pour autant que l’ancienne génération se désengage, se démobilise. Moi j’aurais pu participer par exemple à la Laïque Pride si c’était dans la semaine. Mais je connais plein d’autres personnes qui n’ont pas pu se déplacer à cause de cette date. Et je l’aurais fait sur un mode plus symbolique que contestataire puisque je ne connais pas vraiment leurs revendications, j’ai du mal à m’avancer comme ça, juste derrière une idée. Il faut que ce soit situé dans un projet pour que l’on puisse se situer à l’intérieur, l’identifier. Mais le moyen de mobilisation via les NTIC est efficace, il est plus facile aujourd’hui de faire descendre des gens dans la rue, de rentrer en contact avec eux. Néanmoins, on laisse à part des pans de la société qui ne sont pas connectés de la même façon. Ces mouvements gagneraient en force s’ils arrivaient à connecter leur mobilisation aux mobilisations traditionnelles et classiques. J’en reviens toujours au même problème : Ya t-il de la pensée produite ? Oui, mais c’est révélateur d’une évolution de la société libanaise, arabe, orientale, occidentale. On a plus la force, et même parfois je me demande si on a les facultés intellectuelles pour produire plus que ça. Quand je compare les productions intellectuelles au niveau des textes, des rapports, ce que l’on publie aujourd’hui etc. avec ce qui se faisait il y a 10 ans et bien on se rend compte qu’on ne fait que réitérer ce qui a été déjà dit et d’une mauvaise manière. Cette génération a t’elle donc les mêmes caractéristiques intellectuelles de celle d’avant ? De quoi a t-elle hérité ? La mobilisation des années 90 avait su mobiliser des partis politiques, des syndicats, des associations. Fédérer sur un thème transversal : les statuts civiques au Liban, tout ce qui est en rapport avec le civisme, la laïcité. La force du
79
mobilisation est d’ailleurs la dedans : FÉDÉRER. Là en l’occurrence, on a affaire à quelque chose de spontané. Mais la Laïque Pride interroge tout de même énormément, on a vu une mobilisation en France, etc. à l’étranger. Moi j’ai entendu que le mouvement est né à paris en France. C’est donc des libanais de l’étranger qui s’intéresse à ce sujet là. Ça explique en partie donc le pourquoi de ce moyen de mobilisation, pourquoi cette méconnaissance des acteurs, des initiateurs et pourquoi ils restent mal identifié. Trois enjeux pour les scrutins municipaux ? L’enjeu qui porte sur la réforme de façon générale au Liban, un enjeu sur la base des partis politiques, comment ils se constituent. Comment le politique traite la question de la réforme bien avant Taef. Sujet qui est sur l’agenda public depuis l’indépendance pour ne pas dire depuis la création de l’État libanais. Sujet qui n’a jamais été traité, appréhendé en profondeur. Concernant la loi des élections municipales, c’est un scénario typique aux différents scénarios concernant d’autres sujets de réformes. Comment les élites gouvernantes lorsqu’elles font face de l’intérieur à une demande de réforme, lorsque la demande vient de l’intérieur, quelles sont les capacités qu’elles ont pour faire face à cette réforme. Comment elles contournent les demandes, étouffent le projet et le débat autour du projet. Problème structurel. Les élections locales présentent un défi aux partis politiques. Elles pourraient interroger le politique, le dépolitiser. Mais le clientélisme reste très fort, on voit la faiblesse et l’incapacité des partis d’imposer des listes, des candidats sur leurs bases, de faire de la véritable action politique locale. Il n’y a aucun discours des partis sur le développement local. La question de la décentralisation, sujet qui mérite un véritable débat n’est pas du tout abordée. La courte durée qui séparait la date où le ministère a décidé de faire les élections et la date de la première session. Du premier tour. Délai d’un mois a plusieurs échéance. La date de clôture du dépôt des candidatures et la date de dépôt du retrait de candidature. Tout est focalisé sur la question des alliances, qui se désiste pour le compte de qui pour arriver à la fin à la polarisation classique : 8 ou 14 mars. Cette période là, la débat devrait concerné des questions de l’intérieur, le contenu, on a formé les listes etc. de quoi va t’on parler ? Quel est notre projet ? je ne suis pas un théoricien de la conspiration mais il y a eu deux mots d’ordres au
80
niveau national : si on ne reporte pas les élections, allons vers des élections où il y aura le moins de dégâts possibles, ne surévaluons par leur portée politique. Le troisième grand enjeu est celui d’un grand débat sur la décentralisation. On sait très bien que les maires sont concernés. Quand on voit que les élus sont arrivés sans aucune réflexion sur leurs rôles, et les enjeux, etc. ça présage que le débat sera caduque et amputé. On a tué la réforme, le débat dans cette courte durée qui est un véritable problème. Baroud a attendu le 32eme jour pour appeler le corps électoral à aller voter. Il ne voulait pas enflammer les gens ? c’est ça le projet ? Est ce que les nouveaux modes de mobilisations pourraient jouer un rôle dans ce jeu politique ? Moi je suis un consommateur du numérique, pas un acteur. Je cherche de l’info seulement. Qui fréquente qui et quoi sur le web ? y a t’il d’autres partisans que ceux des partis sur le web. Baroud a compris l’importance du web, a compris qu’il lui fallait un communiquant.
81
Liste des reportages à propos des municipales et des NTIC rédigés pour iloubnan.info
•
Plans for the local elections in Beirut are on standby http://iloubnan.info/politics/reportage/id/745/titre/Plans-for-the-local-elections-in-Beirut-areon-standby
•
L’édition et le contenu pédagogique Moyen Oriental à l’heure du numérique http://www.iloubnan.info/technologies/reportage/id/822/titre/L-édition-et-le-contenupédagogique-Moyen-Oriental-à-l-heure-numérique
•
Municipales de Beyrouth ou mutation de l’espace public le temps d’un vote http://www.iloubnan.info/politique/actualite/id/45347
•
Nouvelles
technologies,
nouveaux
médias,
nouvelles
élections ?
http://www.iloubnan.info/politique/reportage/id/843
•
Les gouvernements et l’arme de communication massive nommée Web 2.0 http://www.iloubnan.info/Politique/reportage/id/883/titre/Les-gouvernements-et-l-arme-decommunication-massive-nommée-Web-2.0
•
Interdiction de la VOiP au Liban, de quoi parle t-on au juste ? http://www.iloubnan.info/divertissement/actualite/id/47997/theme/74/titre/Interdiction-de-la%22VoIP%22-au-Liban:-de-quoi-parle-t-on-au-juste
82