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Les différents usages des compétences-clés
L’approche par compétences peut être intégrée de multiples façons dans les métiers et les services impliquant un contact avec les enfants.
Elle permet, entre autres : • De mieux définir les termes de référence et les spécifications qui encadrent le travail quotidien de chaque catégorie professionnelle • D’élaborer des descriptions de poste • De mieux cibler les stratégies de recrutement • D’évaluer les compétences lors du processus d’embauche • De concevoir des plans de renforcement des capacités du personnel • De développer des plans, des stratégies et des outils de formation initiale, continue et spécialisée adaptés • De mesurer les résultats de chaque formation • De mesurer la qualité et les effets des interventions auprès des enfants • De développer des procédures • D’établir des normes de services • De mettre en place des mécanismes de surveillance et de plainte • Etc.
Cette section propose une description de quatre utilisations concrètes de l’approche par compétences et des référentiels associés, ainsi qu’une réflexion sur les facteurs de changements à prendre en compte pour perfectionner des plans d’action existants.
Elle présente donc une feuille de route complète, pensée pour permettre aux structures de protection de l’enfant de repenser leurs pratiques et leurs cultures de travail afin d’intégrer la redevabilité envers les enfants dans leurs missions fondamentales et d’aller plus loin dans la professionnalisation des services directement en contact avec les enfants.
LES DIFFÉRENTS USAGES DES COMPÉTENCES-CLÉS
© 123RF / dotshock L’usage des référentiels de compétences-clés dans les domaines de la justice, des forces de sécurité, du travail social et de la privation de liberté des enfants, doit permettre d’améliorer les pratiques des professions et des services liés, en faveur des enfants. Plusieurs leviers d’actions ont ainsi été identifiés, qui peuvent être actionnés de façon complémentaire ou isolée, dans l’objectif de rendre le système de protection de l’enfant :
• Plus disponible, notamment en développant des modes de saisine connus et adaptés aux différents services • Plus accessible pour tous les enfants, sans discrimination et indépendamment de leur situation physique, de leurs ressources économiques, de leur langue ou de toute autre considération personnelle ou sociale • Mieux adapté aux droits et aux réalités spécifiques des enfants, notamment ceux en situation de vulnérabilité • Plus respectueux des enfants, et leur permettant de se sentir en sécurité, d’être traités avec dignité et de faire entendre leur voix auprès de professionnelles et de professionnels formés • Plus responsable, notamment en offrant des recours aux enfants en cas de violations ou de non-respect de leurs droits
Pour arriver à cet ensemble, quatre usages des compétences-clés ont été identifiés (liste non exhaustive) : les descriptions et l’organisation des services, la formation du personnel, son évaluation et l’établissement de normes de services.
Le bon fonctionnement d’un service de protection de l’enfant passe tout d’abord par sa conception, aussi bien dans son organisation interne, dans la création des profils de poste, que dans le recrutement du personnel. Les référentiels de compétences peuvent permettre de guider les décideuses et les décideurs sur ces trois aspects.
Un service de protection doit en premier lieu être pensé en fonction des services réels qu’il doit délivrer et du public qui les recevra. Dans le cas présent, il doit donc être structuré selon les attentes des enfants et dimensionné en fonction, tant au regard des profils sélectionnés, que du nombre de personnes mobilisées. Il est également important de veiller à ce que les rôles et responsabilités de chaque personne soient clairement et précisément définis à l’interne, ce qui fait souvent défaut. Par ailleurs, une action concertée entre tous les acteurs impliqués est nécessaire, tant pour l’implantation d’un nouveau service que pour la révision d’un service existant.
Il est nécessaire de définir qui fait quoi, ainsi que les standards à établir au sein du système et de ses différentes unités. Dans l’organisation des services, la disponibilité d’un service ou d’un département spécifique doit être connue pour y référer les enfants concernés. Un enjeu d’apparence simpliste, pourtant primordial. Enfin, s’appuyer sur les procédures et les façons de faire existantes plutôt que créer quelque chose de toutes pièces est à privilégier, afin de faire des économies d’énergie et de ressources, mais aussi de limiter la résistance au changement.
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« L’approche par compétences permet de recruter du personnel de qualité adapté au poste et aux besoins du service lié à l’enfant. Notre rôle, en tant que décideuses ou décideurs, est de favoriser une bonne appropriation du poste par le personnel recruté, pour une mise en application de l’intérêt supérieur de l’enfant, qui doit être placé au cœur de toutes les interventions de nos agentes et de nos agents ».
- Agnibi Hortence Kpidi, Coordinatrice genre de la Police nationale - Direction générale de la Police nationale de Côte d’Ivoire (2021).
© AdobeStock / Gajus
Au-delà de l’organisation globale, chaque service de protection de l’enfant devrait disposer de profils de poste, selon son organigramme. De nombreuses expériences de pays associés à ce processus témoignent de l’inexistence de tels profils dans les métiers et les services dédiés aux enfants. Pourtant, il est essentiel pour chaque personne d’avoir un guide indiquant précisément ses tâches et les procédures à suivre pour se sentir responsabilisée, pour prévoir un plan de travail et agir efficacement au quotidien dans sa mission de protection de l’enfant. Disposer d’un profil de poste permet également d’être valorisé dans sa fonction et dans sa mission. C’est d’autant plus important que les unités et les services travaillant avec les enfants sont souvent perçus de façon négative, par méconnaissance de leur mission. Les profils de poste participent ainsi à la reconnaissance et la revalorisation des fonctions en lien avec la protection de l’enfant.
La concertation est clé dans le développement des profils de poste : échanger avec d’autres services et corps de métiers, ou encore avec la société civile, permet de concevoir un poste avec une vision globale et d’inclure toutes les compétences nécessaires à la réalisation des tâches définies. Ce dialogue permet d’établir des profils orientés vers la mise en œuvre et le respect des droits de l’enfant, et de favoriser des actions de protection structurées et formelles, permettant aux enfants de bénéficier d’un service identique, quelle que soit la personne en fonction à ce moment précis.
En matière de recrutement du personnel, il est nécessaire d’avoir des pratiques claires, standardisées et connues par tous les membres d’un service, pour un processus efficace. La rédaction de l’offre, l’expression des compétences en fonction du profil de poste établi, l’affichage ou encore la diffusion sont des éléments clés pour le recrutement de profils adaptés aux missions de protection de l’enfant.
Des outils (tests écrits et grille d’entretiens), basés sur les référentiels de compétences, doivent également être mobilisés afin de favoriser la sélection des bonnes personnes pour travailler avec des enfants. Au-delà de l’expérience et des connaissances techniques, les notions de savoir-être et de savoir-faire doivent être intégrées aux grilles d’analyse des capacités du personnel en cours de recrutement. Il est indispensable d’évaluer les candidates et les candidats en fonction des compétences concrètes dont elles doivent être dotées pour l’exercice efficace du poste concerné.
Le recrutement doit aussi être l’occasion de prévoir des formations à l’entrée et/ou des formations continues pour la spécialisation des professionnelles et des professionnels qui travaillent avec les enfants, afin d’améliorer leurs capacités à interagir avec eux et à les accompagner.
Enfin, le recrutement repose aussi sur l’intérêt de la personne candidate à travailler directement avec les enfants. Bien que souvent occulté, c’est pourtant un prérequis indispensable. Détecter la capacité et la motivation d’une personne à s’engager dans une carrière liée aux droits de l’enfant, ainsi que son ouverture d’esprit et sa capacité d’adaptation en fonction des nouveaux enjeux et des thématiques émergentes, revêt une grande importance pour s’assurer de son engagement sur le long terme. Ces pratiques devraient contribuer à réduire le roulement du personnel, un défi majeur qui fragilise le processus de protection de l’enfant.
« Dans de nombreux pays, la mobilité et le roulement des personnes travaillant avec les enfants sont élevés. Cela peut parfois être décourageant. Mais utiliser l’approche par compétences pour développer des formations pour les professionnelles et les professionnels travaillant avec les enfants permet d’aller au-delà du partage de certaines connaissances et de contribuer à changer les esprits et les comportements de ces personnes lorsqu’elles travaillent avec les enfants. Intégrer ce type de formation dans les cursus permet alors de générer des changements concrets dans les pratiques, qui perdurent même si les personnes formées changent d’emploi ».
- Jean-Claude Legrand, Spécialiste en protection des enfants et membre du conseil d’administration du Bureau international des droits des enfants (2021)
Un exemple concret au Nigeria
Ces dernières années, avec un plan sur trois ans, le gouvernement nigérian a massivement investi dans une stratégie de recrutement du personnel : les candidates et les candidats devaient postuler de la même façon pour être sélectionnés, et devaient s’engager à rester en fonction un minimum de deux ans. Cela a permis de valoriser les unités de protection de l’enfant et s’est directement reflété dans la qualité des services reçus par les enfants.
DES EXEMPLES D’ACTIONS CONCRÈTES
• Créer des profils et des fiches de poste en lien avec les référentiels de compétences
• Fidéliser les carrières en protection de l’enfant, afin de lutter contre la déperdition des compétences
• Créer davantage de services spécialisés dans la protection de l’enfant : brigades policières de protection de l’enfant, juges des enfants, centres d’accueil et de réinsertion pour enfants, unités spéciales pour l’accès des enfants à la justice, etc.
• Rendre plus attractifs les métiers et les services de protection de l’enfant
© Pexels / christina-morillo
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// La formation du personnel //
De façon évidente, les référentiels de compétences doivent servir à la formation du personnel. En effet, en fonction du public visé par la formation, il est recommandé d’en développer le contenu dans le but de doter les personnes apprenantes de l’ensemble des compétences identifiées comme nécessaires pour des interventions efficaces et respectueuses des droits de l’enfant. Utiliser les référentiels de compétences permet de penser des modules qui couvrent l’ensemble des champs d’action des personnels visés.
La formation doit être adaptée, qu’elle soit initiale, spécialisée ou continue, c’est-à-dire qu’elle doit permettre aux personnels formés de reconnaître les droits de l’enfant, d’en faire la promotion, de les protéger de façon concrète et d’avoir la capacité de prendre en compte les spécificités de chaque enfant. Elle doit être axée sur la reconnaissance des enfants en tant que sujets de droit et en tant qu’acteurs de leur développement et de leur protection, en adaptant les services à leurs droits, à leurs besoins et à leurs intérêts et en rendant leur participation effective dans les procédures les concernant. De plus, la formation doit être la plus exhaustive possible et donner les outils les plus complets au personnel qui sera sur le terrain. Dans le cas du secteur de la justice, la formation doit aborder aussi bien les droits liés à la procédure régulière au civil ou au pénal, mais aussi ceux existants dans tout autre mécanisme de justice, y compris ceux de justice coutumière et religieuse, les juridictions internationales, ainsi que les résolutions alternatives et réparatrices des conflits. « La démarche menant à la détermination des compétences clés du personnel de justice en matière de droits de l’enfant m’a permis de mieux comprendre mon travail de juge et surtout d‘avoir une méthodologie pour accomplir les tâches requises ».
- Chrystelle Adonon, Juge, tribunal de Cotonou, Bénin (2018)
Une formation axée sur les compétences devrait nécessairement répondre à un certain nombre de critères, dont voici quelques exemples : • Formuler des objectifs de formation clairs, faisant spécifiquement référence à l’acquisition des connaissances, des compétences et des attitudes requises • Articuler les activités durant l’exercice de formation sur l’intégration mesurable de ces savoirs, savoir-faire et savoir-être • Rappeler dans les messages-clés l’importance de la cohérence dans la combinaison des différents savoirs, savoir-faire et savoir-être spécifiquement visés par cette activité ou ce module • Équilibrer l’énergie et le temps consacrés à la transmission de chaque compétence-clé dans le but de renforcer l’adaptation des pratiques du personnel travaillant auprès des enfants privés de liberté • Orienter les diverses dimensions de l’évaluation autour de la mesure du changement afin de constater l’acquisition non seulement des connaissances, mais également des capacités et des attitudes requises
Les personnes participantes aux formations peuvent aussi devenir des acteurs de changement au sein de leur communauté. En prenant conscience de leur rôle dans la promotion et la protection des droits de l’enfant en milieu communautaire, familial ou professionnel, elles adoptent de nouvelles attitudes à cet égard et mettent en œuvre leurs nouvelles compétences au-delà de leur secteur d’activité.
Enfin, deux aspects importants sont liés à la formation : elle doit toujours être évaluée et les directions de services doivent se donner les moyens pour mesurer l’impact de la formation dispensée sur les prestations offertes aux enfants. « Le secteur de la protection de l’enfant repose essentiellement sur les ressources humaines. Des ressources humaines qualifiées, disposant des compétences et des outils adéquats, sont mieux à même de répondre aux besoins des filles et des garçons de manière efficace. Les bons comportements ainsi que les compétences et les attitudes à adopter face aux questions de violence contre les enfants sont primordiaux dans l’accompagnement de l’enfant. Tout cela a un impact sur la confiance des enfants, des familles et des communautés envers les prestataires de services ».
- Francesco Cecon, Child Protection Advisor, International Programmes, Save the Children Espagne (2021)
DES EXEMPLES D’ACTIONS CONCRÈTES
• Créer des formations à partir des référentiels internationaux de compétences-clés
• Articuler la formation autour de l’approche multisectorielle, pour favoriser dès le début un esprit de coopération entre les différents services et secteurs et un accompagnement harmonisé
• Prévoir différents cadres de formation : la formation initiale (ciblant les nouvelles recrues), spécialisée (ciblant les unités spécialisées ou les fonctions de rang supérieur) et continue (ciblant le personnel actuellement en service)
• Placer l’andragogie au cœur de la formation en mettant en avant la participation de la personne apprenante, en se basant sur l’expérience ou les compétences des élèves, pour développer et renforcer leurs connaissances, leurs aptitudes et leurs attitudes
• Certifier des formatrices et des formateurs nationaux qui seront alors en mesure de former à leur tour les intervenantes et les intervenants de leurs secteurs respectifs
• Associer les enfants au développement du contenu des formations, comme du matériel audiovisuel conçu avec des enfants, ou des ateliers pratiques, afin de créer un environnement d’enseignement riche et interactif, allant au-delà de la simple acquisition de connaissances, pour faciliter l’intégration et le développement de compétences complètes et concrètes
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© IBCR
ÉTUDE DE CAS République démocratique du Congo (RDC)
En République démocratique du Congo, entre 2015 et 2020, un travail a été mené à partir de l’approche par compétences pour mieux adapter les pratiques de la police, de la justice et du travail social aux réalités des enfants et à leurs droits. Des résultats probants ont été observés :
• L’opinion des enfants est désormais davantage prise en considération, en tenant compte de leur âge et de leur degré de maturité.
• Les trois secteurs rapportent une plus grande valorisation de la participation des enfants.
• La discrétion et la confidentialité ont été améliorées dans les cas impliquant des enfants :
› Les professionnelles et les professionnels prennent soin de protéger l’enfant du regard des autres et de ne pas l’exposer durant les différentes étapes de son parcours au sein du système de justice
› Des salles d’écoute et d’entretien sont aménagées dans les escadrons de police afin de garantir le respect de la confidentialité des échanges lors du traitement d’un dossier impliquant une fille ou un garçon
› Les tribunaux isolent davantage l’enfant lors des audiences ayant lieu au sein des prisons, tandis que dans le secteur du travail social, des mesures de protection sont mises en place pour garantir la confidentialité et le respect de la vie privée des enfants
• L’implémentation de nouvelles formations professionnelles a permis de déconstruire certains préjugés qui pouvaient biaiser les interventions des métiers visés, notamment sur les questions de classe économique ou de genre.
• Les interventions sont maintenant harmonisées et standardisées pour tous les profils d’enfants, sans distinction, tout en tenant compte de leurs sexospécificités et du principe de non-discrimination.
Ces nouvelles pratiques sont aujourd’hui portées et diffusées par des agentes et des agents-relais formés par le projet, des « champions » qui ont été certifiés en droits de l’enfant. C’est aussi une façon d’assurer la pérennité des actions de renforcement des capacités.
Le besoin de formation sur mesure pour les professionnel[le]s en contact avec les enfants est très bien identifié [...] d’autant plus qu’eux-mêmes le demandent continuellement. Mais ils demandent des programmes bien conçus qui apportent une réelle valeur ajoutée à leur travail quotidien. Si nous n’investissons pas dans la professionnalisation réelle des services et du personnel qui s’occupe des enfants [...], nous manquerons, en tant que praticien[ne]s, à notre obligation envers les enfants eux-mêmes»
- Marta Gil, Coordinatrice de programme MENA – Accès à la justice, Terre des Hommes (2020)
« Nous nous sommes tous entendus sur le fait que la formation spécialisée du personnel, la collaboration et les plans de réintégration sont essentiels pour fournir les meilleurs soins et la meilleure assistance à tous les enfants. Nous croyons fermement que cet effort de collaboration apportera un changement positif […] au niveau international ». - Capitaine Marwa Alabbassi, Officier de police au centre de soins pour mineurs, ministère de l’Intérieur du Royaume de Bahreïn (2020)
// L’évaluation du personnel //
L’évaluation du personnel est un enjeu majeur pour garantir le succès des actions de protection de l’enfant et s’assurer que les pratiques ont été réellement améliorées grâce à l’utilisation des référentiels de compétences. Il est important de replacer la mission de protection de l’enfant au cœur de l’évaluation et de ne pas en faire un moment de « surveillance » ou un simple mécanisme de progression de carrière.
Pensée ainsi, l’évaluation permet de mettre en avant la notion de reconnaissance : reconnaître les bons comportements et les bonnes attitudes, l’effort fourni par une ou un professionnel pour adapter ses pratiques à l’enfant, souligner un savoir-faire ou un savoir-être… Autant de techniques d’évaluation qui permettent de valoriser le travail de protection de l’enfant et surtout d’encourager à l’amélioration des pratiques en faveur des enfants.
Cette culture de l’évaluation tournée vers le service à délivrer aux enfants est encore trop peu répandue. Les référentiels de compétences invitent donc à créer une grille objective, centrée sur les pratiques du terrain et avec des modalités d’évaluation clairement définies et connues. Cela permet également de créer des outils d’évaluation liés à la mise en œuvre des compétences, et d’avoir des procédures définies, pour créer des plans de renforcement des capacités à partir des évaluations.
© IBCR Pour savoir si une personne possède ou non une compétence, il est important de fixer des objectifs et des cibles par l’entremise d’une grille d’évaluation. On se réfère ainsi à son rendement professionnel, mais aussi à son comportement. Pour ce faire, il est possible de recourir à différentes méthodes : • Indiquer les comportements attendus de la part du personnel (en se basant sur les référentiels de compétences) • Préciser les différents comportements correspondant au niveau de responsabilité de la fonction – avec trois niveaux : élémentaire, intermédiaire et avancé (c’est l’approche adoptée par le Child Protection in
Emergencies Competency Framework produit par l’Alliance pour la protection des enfants dans l’action humanitaire5) • Indiquer les comportements satisfaisants, répondant à la compétence énoncée et ceux qui ne le sont pas (approche adoptée dans les documents Humanitarian Coordination Competencies ou Alaskan Core
Competencies for Direct Care Workers in Health and
Human Services6) • Décomposer chaque compétence en savoir, savoirfaire et savoir-être (comme cela se fait dans le cours du programme « techniques policières » selon l’approche par compétences au Collège Maisonneuve7)
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5. Voir : https://alliancecpha.org/fr/child-protection-online-library/cadre-de-competences-pour-la-protection-des-enfants-dans-laction 6. Pour connaître le texte intégral, voir : http://annapoliscoalition.org/?portfolio=471 7. Voir : http://www.enpq.qc.ca/futur-policier/programme-de-formation-initiale/approche-par-competences.html
Exemple d’éléments à évaluer en matière de considération et de respect de l’intérêt supérieur de l’enfant par le personnel face à un cas de violence domestique8 :
• L’intérêt supérieur de l’enfant a-t-il été la préoccupation centrale de l’agente ou de l’agent ? • Lors de l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant, l’agente ou l’agent a-t-il tenu compte de l’existence de ce contexte de violence domestique ? • L’agente ou l’agent a-t-il supervisé efficacement les contacts entre le parent violent et l’enfant ? • Le droit de l’enfant d’être entendu a-t-il été respecté ?
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Exemple d’éléments à évaluer en matière d’accessibilité des services de justice pour les enfants9 :
• Tous les enfants ont-ils pu y accéder, sans discrimination et indépendamment de leur situation physique, de leurs ressources économiques, de leur langue ou de toute autre condition personnelle ou sociale ? • Tous les obstacles qui empêchent les enfants d’accéder à la justice ont-ils été éliminés ?
© IBCR
• Des procédures et des recours physiques et/ou virtuels ont-ils été mis à la disposition des enfants qui n’étaient pas en mesure d’accéder aux mécanismes traditionnels de justice ?
DES EXEMPLES D’ACTIONS CONCRÈTES
• Intégrer officiellement la culture de l’évaluation au sein des métiers et des services de protection de l’enfant
• Développer des outils d’évaluation en lien avec les référentiels de compétences
• Fixer des plans de travail et des objectifs clairs aux professionnelles et aux professionnels de la protection de l’enfant
« Dans le cadre de la promotion et de la protection des droits de l’enfant, une approche basée sur les compétences est fondamentale pour que les praticiennes et les praticiens de la protection de l’enfant au niveau national puissent faire valoir leurs arguments à tous les stades de la programmation, de l’identification, de l’analyse, de la conception à la mise en œuvre, mais aussi et surtout pour le suivi et l’évaluation du personnel ».
- Jean-François Basse, représentant de l’UNICEF à Madagascar (2021)
8. Exemple tiré du Guide pratique sur l’accès à la justice, la prévention et la réponse à la violence contre les enfants, élaboré en 2021 par le Bureau de la
Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies chargée de la question de la violence contre les enfants 9. Exemple tiré du Guide pratique sur l’accès à la justice, la prévention et la réponse à la violence contre les enfants, élaboré en 2021 par le Bureau de la
Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies chargée de la question de la violence contre les enfants
L’approche par compétences offre la possibilité aux professionnelles et aux professionnels de discuter de leurs propres pratiques, des défis auxquels ils sont confrontés et de la manière dont ils les relèvent, dans le respect des droits de l’enfant. C’est un élément fondamental dans la démarche consistant à établir des normes de service connues, acceptées et appliquées par toutes et par tous. Cette approche permet de mettre en place, de diffuser et d’intégrer dans les pratiques des outils (tels que des modes opératoires) qui viennent énoncer et décrire les normes minimales à suivre au sein d’un service, d’un corps professionnel ou d’un système en matière de respect des droits et de la protection de l’enfant, en précisant comment mener des interventions efficaces et conformes aux normes internationales et aux droits de l’enfant. Il s’agit ainsi de définir le plus clairement possible qui fait quoi, avec qui, où, pour qui, pourquoi, à quel moment et comment. De tels outils s’élaborent dans un large processus participatif et consultatif, et sont ensuite diffusés à l’échelle nationale pour favoriser leur appropriation par le plus grand nombre.
UN EXEMPLE CONCRET : LES NORMES DE SERVICE PROPRES AUX RECOURS OFFERTS AUX ENFANTS
Le droit pour les enfants de disposer de recours clairs et efficaces en cas de violations présumées de leurs droits est essentiel. Dans ce cas, les normes de services doivent clarifier et faciliter la gestion de ces recours éventuels. D’un côté en favorisant une prise de conscience et une sensibilisation de tous les acteurs du système de protection et, de l’autre, en réduisant les conséquences de la violation commise sur la vie l’enfant. Cela demande des normes pour restituer, indemniser, réadapter, et accompagner l’enfant, le tout de façon rapide, holistique, et proportionnée à la gravité du préjudice subi, tout en tenant compte de l’avis de l’enfant, de sa sécurité, de sa dignité et de son intégrité.
« Les enfants vulnérables et les enfants qui ont été victimes de négligence, d’abus et de violence, y compris de violences sexuelles, ont besoin d’un accompagnement professionnel. Mais ils ont également besoin d’un environnement stimulant, où des adultes prennent soin d’eux et sont attentifs à leur situation et à leurs sentiments. C’est l’une des principales valeurs ajoutées de l’approche par compétences : permettre aux personnes travaillant avec des enfants de mieux comprendre leurs émotions, leurs besoins de développement ainsi que leur droit d’être respectés et d’être correctement accompagnés ».
- Jean-Claude Legrand, Spécialiste en protection des enfants et membre du conseil d’administration du Bureau international des droits des enfants (2021)
L’approche par compétences permet aussi aux professionnelles et aux professionnels d’adapter leurs interventions aux situations particulières qui affectent les enfants. Les filles, les enfants autochtones ou les enfants atteints de déficiences mentales notamment, peuvent être particulièrement vulnérables et exposés à certaines formes de violence. Ces enfants doivent avoir accès à des services adaptés à leur situation, qui tiennent compte des facteurs de discrimination et de marginalisation dont ils sont victimes, ce qui nécessite des normes de services spécifiques.
De façon plus globale, l’approche axée sur les compétences, lorsqu’elle est ajustée au contexte, aux spécificités socioculturelles locales et centrée sur l’expérience des enfants, permet de s’adapter au caractère changeant des formes et des manifestations des inégalités et des violations spécifiques des droits de l’enfant. Cette approche permet aux prestataires de service, civils ou étatiques, d’acquérir les compétences et les attitudes nécessaires pour adapter adéquatement leurs pratiques et agir de façon professionnelle face à des situations diverses, mais faisant appel au même registre de compétences transversales. C’est un élément central d’une vision structurante à long terme, en particulier dans des contextes instables dans lesquels de nouvelles menaces et de nouvelles réalités en lien avec les enfants émergent.
Enfin, un service adapté aux droits de l’enfant doit être doté d’une politique de protection de l’enfant, contenant des mécanismes de surveillance et de plainte. Pourtant fondamental, c’est un aspect qui reste encore trop souvent négligé, même au sein des structures de protection de l’enfant. Ces politiques et outils ont pour objectif principal de préserver et de promouvoir les droits, la sécurité et la dignité des enfants concernés par les services de protection. Ensuite, l’élaboration et l’utilisation de mécanismes de signalement et de renvoi, comme la définition de responsabilités précises confiées à certains membres du personnel en cas de soupçons, de plaintes ou de non-respect de cette politique, sont essentielles pour assurer cette protection de l’enfant.
L’exemple du Burkina Faso
Au Burkina Faso, entre 2015 et 2021 l’IBCR a défini, en collaboration étroite avec les institutions burkinabè, une trajectoire commune pour accompagner les enfants en contact avec la justice, afin qu’ils bénéficient d’un accompagnement respectueux de leurs droits et de leurs besoins. Afin de permettre aux professionnelles et aux professionnels chargés de cet accompagnement de connaître leurs rôles et leurs responsabilités, quatre guides de procédures – aussi appelés modes opératoires – ont été produits et diffusés au cours des six années du projet, et sont respectivement destinés aux forces de défense et de sécurité, aux travailleuses et aux travailleurs sociaux, aux magistrates et aux magistrats ainsi qu’aux gardes de sécurité pénitentiaire. Ces outils novateurs définissent une trajectoire complète pour l’enfant en contact avec la justice, qui n’existait pas jusqu’à présent.
Ils garantissent ainsi un accompagnement harmonisé, clair et respectueux des droits de l’enfant à toutes les étapes de la procédure, depuis son entrée en contact avec le système de justice jusqu’à la décision finale le concernant, en passant par les phases d’enquête et, le cas échéant et en dernier recours, de retenue ou de garde à vue. De façon complémentaire, six formations complètes en matière de droits de l’enfant et de pratiques adaptées à l’enfant lors des interventions ont été conçues, dont les modules ont été intégrés, de façon permanente et évaluée, au sein des cursus des écoles de formation professionnelle des métiers visés par le projet. Les professionnelles et les professionnels actuels et en devenir des secteurs visés bénéficient désormais de formations complètes, adaptées et concrètes sur les droits de l’enfant et les meilleures façons d’interagir avec lui au quotidien.
Deux réussites majeures de ce projet sont à souligner :
1. Le recours aux travailleuses et aux travailleurs sociaux dans les commissariats et les maisons d’arrêt et de correction ainsi que leur collaboration avec la justice dans les cas impliquant des enfants sont de plus en plus courants. Cette collaboration accrue permet notamment la systématisation et l’amélioration des enquêtes sociales visant à connaître le contexte de vie des enfants, qui sont plus précises et rigoureuses, et la réduction des délais de traitement des dossiers. Cette avancée a notamment été permise en se basant sur le référentiel des compétences-clés du secteur social.
2. La signature des préfaces des modes opératoires, de directives ou de notes techniques par les ministres ou les directions des secteurs concernés, portant adoption officielle des pratiques promues, et leur diffusion au niveau national placée sous la responsabilité de l’État burkinabè. Tout cela témoigne de la prise de conscience de l’État burkinabè de la nécessité de faire évoluer les pratiques de protection de l’enfant, et de sa volonté d’officialiser les nouvelles pratiques promues auprès de ses agentes et de ses agents. Cela garantit également l’utilisation réelle de ces outils et documents, et démontre l’importance de l’implication des décisionnaires pour générer des changements concrets en faveur des enfants.
DES EXEMPLES D’ACTIONS CONCRÈTES
• Énoncer et décrire les normes minimales à suivre au sein d’un service, d’un corps professionnel ou d’un système en matière de respect des droits et de la protection de l’enfant
• Assurer aux enfants des recours en cas de violations présumées de leurs droits
• Avoir des procédures et des pratiques qui permettent aux professionnelles et aux professionnels d’adapter leurs interventions aux droits spécifiques des enfants
• Intégrer des politiques de protection de l’enfant au sein de tout service offert aux enfants
PARTAGE D’EXPÉRIENCE La mise en œuvre du modèle québécois d’intervention en matière de jeunes contrevenants et l’approche par compétences
Au début de ma pratique à la Chambre de la Jeunesse de Montréal dans les années 1980, chacun[e] des intervenant[e]s, pour la plupart des professionnel[le]s (avocat[e]s de la défense, travailleurs[euses] sociaux, criminologues, juges, agent[e]s de probation, procureur[e]s etc.) fort compétents dans leurs disciplines respectives, avaient du mal à se comprendre les uns des autres. Ainsi, malgré le fait que toutes et tous avaient à cœur l’intérêt et les besoins des enfants et des adolescent[e]s, peu de situations se résolvaient de manière harmonieuse et efficace. Chaque discipline se heurtait à l’incompréhension de l’autre et, en fin de compte, cette situation desservait l’objectif primordial d’assurer à la fois la protection de la société et celle des besoins des adolescent[e]s.
Constatant la complexité des situations à résoudre et l’inefficacité du travail en silo, les différentes organisations ont mis sur pied plusieurs formations communes basées sur des situations de travail parfois très complexes. Chacune pouvait donc bénéficier, à coûts presque nuls, des connaissances disciplinaires, des savoirs et savoir-faire provenant de différentes organisations qui œuvraient au sein de la Chambre de la jeunesse.
Les procureur[e]s de mon équipe et moi-même étions très motivé[e]s par cette approche qui permettait de nous développer rapidement par des mises en situation très concrètes et dans l’action, ce qui augmentait de beaucoup notre efficacité. C’est aussi par cette approche que nous avons été initiés aux caractéristiques spécifiques du modèle québécois d’intervention.
Apprendre le langage et certaines connaissances disciplinaires d’autres métiers au moyen de ces formations pratiques et communes fut donc une immense valeur ajoutée. On a ainsi observé, au fil des ans, qu’un socle commun de connaissances et de compétences fondamentales avait un effet durable dans le traitement efficace des dossiers impliquant des adolescent[e]s.
Aujourd’hui, devant la complexité grandissante des situations auxquelles les professionnel[le]s sont confronté[e]s, force est d’admettre qu’il n’est pas possible pour les différentes professions et services dédiés aux enfants d’atteindre un niveau élevé de savoir-faire et de savoir-être sans intégrer l’approche par compétence qui s’avère être simple, efficace, concrète et peu coûteuse, et qui s’appuie sur la combinaison et la mobilisation efficace d’un nombre varié de ressources pertinentes au sein d’une organisation commune du travail. Il devient donc nécessaire et important pour les organisations d’intégrer cette approche pratique dans les différents programmes et aspects du développement en continu de leurs membres.
- Annick Murphy, ancienne directrice adjointe des poursuites criminelles et pénales du Québec et membre du conseil d’administration du Bureau international des droits des enfants