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LA TRAITE DES PERSONNES AU COSTA RICA ET AU HONDURAS - Contexte
from Bilan de sept ans d'appui contre la traite des personnes au Costa Rica et au Honduras (2015-2022)
UN CONTEXTE ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET POLITIQUE DÉGRADÉ
Depuis plusieurs années, le Costa Rica fait face à l’érosion de ses acquis économiques, politiques et sociaux. La dégradation de la stabilité économique et sociale du pays et les difficultés politiques exacerbées ont un effet négatif sur le développement humain et les conditions de vie d’une grande partie de la population. En plus de la pauvreté et des inégalités grandissantes, on observe une hausse de l’insécurité et une intensification du trafic de stupéfiants. Par ailleurs, les femmes et les filles continuent d’être la cible de crimes sexistes dans toutes les sphères de la vie sociale, économique et politique du pays13. Si des mesures ont été prises pour garantir le bien-être des enfants et leur accès à l’éducation, certains d’entre eux – en particulier issus des zones rurales, des communautés LGBTQI+, autochtones ou encore d’ascendance africaine – rencontrent des difficultés socio-économiques plus importantes et sont confrontés à une discrimination et à des stéréotypes qui compliquent leur accès à l’éducation, et les rendent plus vulnérables à diverses formes d’exploitation14
Malgré tout, la réputation de démocratie à l’économie stable du Costa Rica en fait une destination particulièrement attrayante pour les personnes ressortissantes des autres pays de la région, créant un flux migratoire qui augmente la vulnérabilité de certaines populations face à la traite des personnes. De nombreuses personnes originaires d’autres pays d’Amérique centrale et des Caraïbes, mais aussi d’Amérique du Sud ou encore de Chine, migrant à la recherche d’opportunités économiques au Costa Rica ou aux États-Unis, se retrouvent ainsi victimes de différentes formes d’exploitation15
Des Victimes Aux Profils Divers
Les victimes de traite des personnes au Costa Rica sont majoritairement des femmes et des enfants, et sont principalement soumises à l’exploitation sexuelle. Sur les 50 victimes identifiées par le gouvernement en 2021, on dénombrait 20 femmes, 24 filles et 6 garçons. Près de la moitié étaient victimes de traite à des fins d’exploitation sexuelle, et un quart à des fins de travail forcé. Au moins 32 étaient ressortissantes du Costa Rica, 17 du Nicaragua et une du Panama. La même année, le Bureau du procureur a, quant à lui, déclaré enquêter sur plus de 100 cas de traite des personnes, identifiant 15 enfants victimes, à des fins d’exploitation sexuelle commerciale, de mendicité, de travail forcé ou encore d’adoption illégale. Parallèlement à cela, le Conseil national de l’enfance (PANI)16 a déclaré enquêter sur 385 cas d’exploitation sexuelle commerciale d’enfants, dont des cas de pédopornographie et de traite.
Les zones côtières du Pacifique ainsi que les frontières Nord et Sud, et plus généralement les sites touristiques, sont des lieux de forte activité pour le crime organisé, en particulier liée à la traite de personnes (majoritairement des femmes et des enfants) à des fins d’exploitation sexuelle, principalement au profit de touristes originaires des États-Unis et d’Europe. Dans le cadre de la lutte contre la traite des personnes, l’ambassade américaine au Costa Rica a refusé l’entrée sur le sol costaricain de 75 citoyens étatsuniens enregistrés comme agresseurs sexuels en 202117.
Des adultes et des enfants, majoritairement originaires du Nicaragua, sont également victimes de traite à des fins de travail forcé18 dans les secteurs de l’agriculture19 et du travail domestique.
13. IBCR. (2016). Informe de mapeo sobre el combate a la trata de personas en Costa Rica. http://www.ibcr.org/wp-content/uploads/2016/08/ Cartographie-Costa-Rica-ESP_int_WEB.pdf
14. Bureau of International Labor Affairs (2021). Findings on the Worst Forms of Child Labor – Costa Rica. https://www.dol.gov/agencies/ilab/ resources/reports/child-labor/costa-rica
15. U.S. Department of State. (2021). Trafficking in persons report 2021. https://www.state.gov/reports/2021-trafficking-in-persons-report/
16. Patronato Nacional de la Infancia (PANI)
17. U.S. Department of State. (2021). Trafficking in persons report 2021. https://www.state.gov/reports/2021-trafficking-in-persons-report/
18. Bureau of International Labor Affairs (2021). Findings on the Worst Forms of Child Labor – Costa Rica. https://www.dol.gov/agencies/ilab/ resources/reports/child-labor/costa-rica
19. U.S. Department of State. (2021). Trafficking in persons report 2021. https://www.state.gov/reports/2021-trafficking-in-persons-report/
Une Intervention Gouvernementale Limit E
Dans ce contexte particulier, la traite des personnes a été identifiée depuis plusieurs années par le gouvernement costaricain comme un enjeu national majeur nécessitant des actions coordonnées d’ampleur. Ainsi, en 2005, un décret a été émis créant la Coalición nacional contra el trafico ilícito de migrantes y la trata de personas (CONATT)20, laquelle a ensuite été pérennisée par la Loi 9095 contre la traite des personnes adoptée en 2012. Réunissant plusieurs institutions gouvernementales, la CONATT est chargée de promouvoir la formulation, la mise en œuvre, le suivi et l’évaluation des politiques publiques nationales, régionales et locales pour la prévention de la traite des personnes. Elle a aussi pour mission de promouvoir l’accompagnement et la protection des victimes afin de faciliter leur processus de guérison et leur réintégration dans la société, ainsi que la poursuite et la sanction des responsables de ces crimes. La révision des réglementations nationales et leur adaptation aux engagements internationaux pris par l’État costaricain, ainsi que la formation et la spécialisation des ressources humaines institutionnelles font également partie de son mandat.
Plusieurs plans d’action nationaux destinés à combattre la traite des personnes et le travail des enfants ont également été mis en œuvre, tels que le Plan national d’action contre l’exploitation sexuelle commerciale lancé pour la première fois en 2001 et renouvelé pour les années 2003-2006, 2008-2010 et 20172018. En 2021, le gouvernement a également rédigé une loi visant à combattre le trafic de personnes migrantes et la traite des personnes et proposé plusieurs modifications aux lois existantes sur le sujet pour les renforcer. Enfin, une modification du Code pénal proposée par la CONATT, qui supprime la nécessité de prouver l’utilisation de force, de fraude ou de coercition pour les cas de traite impliquant un abus de vulnérabilité de la victime, a été approuvée par l’Assemblée législative en 202221
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De manière générale, les institutions du Costa Rica consacrées totalement ou en partie à la lutte contre la traite des personnes manquent de ressources, d’un budget suffisant et de coordination avec les autres acteurs impliqués dans cette lutte. La prévention, la détection et la poursuite des crimes liés à ce phénomène ainsi que la protection et l’accompagnement des victimes restent insuffisants.
21. Nations Unies, Rapporteur spécial sur les formes contemporaines d’esclavage (2022). https://costarica.un.org/es/208822-declaracion-de-fin-de-mision-costa-rica-tomoya-obokata-relator-especial-sobre-formas
La Traite Des Personnes Au Honduras
Une Instabilit Grandissante
Depuis quelques années, le Honduras fait face à une accentuation notable de l’insécurité. La violence chronique - notamment provoquée par l’omniprésence des gangs -, la crise climatique et la pauvreté, ont aggravé les difficultés auxquelles le pays est confronté. Ainsi, depuis 2020, la part de la population hondurienne nécessitant une aide humanitaire a plus que doublé, pour atteindre plus d’un quart de la population. À cela s’ajoutent des difficultés liées à la gouvernance, qui entravent le plein respect des droits humains22. Par ailleurs, en conséquence des divers enjeux mentionnés, le Honduras est le théâtre de nombreux déplacements internes de populations. À l’instar du Costa Rica, c’est également un pays de transit où convergent les flux migratoires en provenance d’Amérique latine, et dont les zones touristiques ont été identifiées comme étant à haut risque d’exploitation sexuelle des enfants23 - divers facteurs qui se conjuguent pour créer un terreau fertile pour la traite des personnes.
Un Crime Aux Modalit S Multiples
Au Honduras, les enfants sont astreints, parfois par des membres de leur propre famille, aux pires formes de travail, dont l’exploitation sexuelle à des fins commerciales, le trafic de stupéfiants et le travail forcé dans différents secteurs de l’économie formelle et informelle. Les enfants n’ayant pas accès à l’éducation et étant en situation de pauvreté sont les plus vulnérables face à la traite des personnes, notamment à des fins d’exploitation économique et durant leur parcours migratoire. Les enfants issus des communautés autochtones ou d’ascendance africaine sont également particulière - ment vulnérables à l’exploitation sexuelle, mais aussi à d’autres formes d’exploitation, telles que le travail forcé dans les secteurs agricole, manufacturier, minier et hôtelier ou encore dans la construction24.
Le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies s’est dit particulièrement préoccupé par la prévalence de l’exploitation sexuelle des enfants et de la pédopornographie au Honduras, qu’il attribue en partie à la persistance de stéréotypes socioculturels tolérant l’exploitation sexuelle des enfants25. En outre, la violence et les discriminations à l’égard des femmes et des groupes marginalisés (membres des communautés LGBTQI+, peuples autochtones, etc.) restent culturellement acceptées et sont très répandues. Ainsi, selon l’Observatoire de l’égalité des sexes pour l’Amérique latine et les Caraïbes de la CEPALC, le Honduras a le deuxième taux de féminicide le plus élevé d’Amérique latine. Le sexisme systémique, combiné au manque d’opportunités économiques et à la forte présence du crime organisé, fait des femmes et des filles honduriennes les premières victimes des réseaux d’exploitation et de traite des personnes.
Ainsi, sur les 101 victimes de traite des personnes identifiées par la CICESCT en 2021, toutes honduriennes, 48 l’étaient à des fins d’exploitation sexuelle et 53 à des fins de travail forcé. Près des trois quarts étaient des femmes et des filles, et les filles étaient les premières victimes d’exploitation sexuelle. Parmi les 10 garçons identifiés, deux étaient victimes de pédopornographie et les autres de mendicité forcée ou d’autres formes de travail forcé26. Au sein des populations migrantes, les femmes et les filles représentaient 68 % des victimes de la traite des personnes à des fins d’exploitation sexuelle non originaires du Honduras identifiées par la
22. Rescue.org (2022). Crisis in Honduras: Ongoing violence and climate shocks. https://www.rescue.org/article/crisis-honduras-ongoing-violence-and-climate-shocks
23. Canal 8. (2022). CICEST: La trata de personas se ha focalizado en sitios turísticos de Honduras. https://tnh.gob.hn/nacional/cicest-la-trata-de-personas-se-ha-focalizado-en-sitios-turisticos-de-honduras/
24. U.S. Department of State. (2021). Trafficking in persons report 2021. https://www.state.gov/reports/2021-trafficking-in-persons-report/
25. Comité des droits de l’enfant. (2015). Observations finales concernant le rapport soumis par le Honduras en application du paragraphe 1 de l’article 12 du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants. https://digitallibrary.un.org/record/856062?ln=fr
26. CICEST. (2021). Informe nacional en materia de prevención, atención a víctimas y persecución de los delitos de explotación sexual y trata de personas en Honduras. https://cicesct.gob.hn/informes-anuales/
CICESCT en 201727. Elles sont souvent contraintes de se prostituer ou de travailler en tant que domestiques, sans rémunération et pendant de longues heures.
Un Cadre Juridique National Renforc
Afin de contrer ce phénomène, le gouvernement hondurien a mis en place plusieurs actions, en commençant par la création, en 2002, d’un organe interinstitutionnel destiné à promouvoir l’éradication de l’exploitation sexuelle des enfants. La Comisión Interinstitucional contra la Explotación Sexual Comercial de Niños, Niñas y Adolescentes en Honduras (CICESCNNA)28 a d’abord concentré ses efforts sur la lutte contre les crimes d’exploitation sexuelle à l’encontre des enfants. À partir de 2005, la CICESCNNA est devenue la Comisión Interinstitucional contra la Explotación Sexual Comercial y Trata de Personas de Honduras (CICESCT)29, élargissant son mandat à la traite des personnes. À l’instar de la CONATT au Costa Rica, la CICESCT a été pérennisée par une loi contre la traite des personnes adoptée en 2012. Elle est désormais chargée de la promotion, de l’articulation, du suivi et de l’évaluation des actions visant à prévenir et à éradiquer ce crime, par la gestion et la mise en œuvre de politiques publiques spécialisées et la sensibilisation des secteurs professionnels impliqués dans la lutte contre la traite des personnes.
Le gouvernement a également mis en œuvre plusieurs plans d’action nationaux afin de lutter contre la traite des personnes et l’exploitation sexuelle commerciale des enfants pour la période 2006-2011, et plus récemment contre la traite de façon générale pour la période 2016-2022. Ce dernier plan vise à mettre en œuvre des actions préventives auprès des populations vulnérables, à poursuivre les personnes trafiquantes et à mieux accompagner les victimes.
Les efforts mis en œuvre par le gouvernement hondurien restent tout de même insuffisants. Bien qu’elle ait été renforcée au fil des ans, et malgré l’augmentation de son budget entre 2019 et 2021, la CICESCT manque de ressources financières et humaines pour accompagner les victimes de façon adaptée et pour collecter et analyser les données relatives à ces dernières. Ce manque de financement affecte également le Plan d’action national de lutte contre la traite des personnes, d’après le Département d’État étatsunien.
L’entrée en vigueur d’un nouveau Code pénal en 2020 et les ajustements réalisés en 2021 ont eu pour effet de générer d’importantes réformes et de mettre à jour le cadre normatif datant de 1983. Si ces changements ont permis de définir de nouvelles modalités de traite des personnes et d’harmoniser certaines infractions pénales avec les normes internationales, des lacunes persistent. En effet, en réduisant les sanctions pour les crimes liés à la traite, les modifications apportées à la législation nationale diminuent la protection face à des crimes tels que les abus sexuels faits aux enfants, l’exploitation sexuelle ou encore les adoptions irrégulières. De nombreux efforts restent à fournir pour assurer une protection renforcée et un accompagnement plus adapté pour les victimes de traite des personnes.
27. CICEST. (2017). Informe nacional. Acciones contra la Explotación Sexual Comercial y Trata de Personas en Honduras. https://cicesct.gob.hn/ informes-anuales/
28. Commission interinstitutionnelle contre l’exploitation sexuelle commerciale des enfants et des adolescents au Honduras
29. Commission interinstitutionnelle contre l’exploitation sexuelle commerciale et la traite des personnes au Honduras
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