Abazy Danse

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Abazy-Danse

Mensuel | No 255 | 19.– | Ocobre 2011 | www.abazydanse.com | Isadora Crettaz


sommaire


Editorial

04 Avril est le mois le plus cruel

06 Julie Beaumont au sommet de la danse

12 Portfolio

16 Fatal…ement drôle ! article

20 Music hall

22 Spectacles

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Edito


Du studio à la scène : le processus de création

Dans les premiers pas de la création, un chorégraphe s’engage souvent dans une variété de pistes de recherche et de développement. Il examine son idée de départ depuis différentes perspectives. ¶ Quelques chorégraphes commencent à travailler en studio dès le début, en explorant des mouvements. Paul-André Fortier a généré le vocabulaire de Lumière (2004) à partir d’expérimentations et d’improvisations avec les interprètes. ¶ D’autres chorégraphes préfèrent étudier des thèmes et des idées avant d’entrer en studio. Ils peuvent lire, écrire, voyager, et consulter le travail d’artistes ouvrant dans différentes disciplines. Pour la création de Severe Clear (2000), Christopher House a voyagé au territoire du Yukon dans le nord du Canada pour cueillir des images et des références. ¶ Les chorégraphes consultent parfois des experts ou des spécialistes pour apprendre sur un sujet particulier. Ginette Laurin a collaboré avec un astrophysicien pour mettre au point les concepts et les formats dont elle s’est servie pour construire la chorégraphie Passare, or Another Shape for Infinity (2004). ¶ Lorsque les idées sont claires, les répétitions commencent sérieusement. Le chorégraphe construit des enchaînements avec les interprètes, ou seul, s’il crée un solo. Certains chorégraphes choisissent de fixer les mouvements qu’ils désirent avec précision. D’autres s’inspirent de la créativité des interprètes pour mettre au point la chorégraphie, parfois par le biais de l’improvisation. ¶ Il y a une grande distinction entre le processus de création et le spectacle. L’initiation et l’interruption d’un mouvement, l’expérimentation avec le geste, la répétition exhaustive, le retour sur différentes sections et différents enchaînements de la chorégraphie peuvent être excitants, mais épuisants. Les interprètes se servent de la période de répétition pour peaufiner leur interprétation, pratiquer leur exécution technique de la chorégraphie et maîtriser leur expressivité. ¶ Le chorégraphe ne construit pas nécessairement une pièce linéairement, du début à la fin. Souvent, les enchaînements et les motifs se travaillent aléatoirement. Par après, ils sont conjugués et retravaillés pour créer un tout, avec la musique, les décors, les costumes et les éclairages.

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Avril est le mois le plus cruel

La présence magnétique de Jocelyne Montpetit hypnotise dans sa dernière création, Avril est le mois le plus cruel, une pièce où l’artiste continue sa quête intérieure en errant parmi les ténèbres.


Avril est le mois le plus cruel marque un nouveau cycle de création, « Les Élégies », pour Jocelyne Montpetit qui propose une interprétation toute personne du Butô. Sur scène, scénographie épuréesignée Francesco Capitano. Au fond, un lit simple, sous lequel s’amoncellent des coupes en verre, telle une relique d’un autre temps. Devant, à chaque extrémité, des portes, miroirs, où parfois Jocelyne Montpetit s’avance et observe son image, dépossédée d’elle-même. De l’autre côté, un bloc, dont on ne sait s’il est de vitre ou de glace, dans lequel est enfermé un fossile. ¶ C’est à travers ces trois pôles que Jocelyne Montpetit erre lentement, sensuellement, comme perdue dans la nuit des ténèbres, posant sur l’espace et sur nous un regard empreint de désespoir qui semble chercher une réponse, une lumière. ¶ Divisée en quatre tableaux, Avril est le mois le plus cruel n’est certainement pas une pièce facile d’accès. C’est qu’il faut plonger dans l’œuvre, se laisser happer, apprivoiser la lenteur sans perdre son attention, nous qui sommes habitués à la vitesse et

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« On est captivé par la présence de Montpetit, par cette quête désespérée qui exulte de chaque pore de sa peau »


l’exubérance des sentiments. Subtils, les mouvements tout en lenteur et contenus de Jocelyne Montpetit pourront déstabiliser, voire agacer royalement l’esprit qui cherche un sens immédiat. ¶ Mais, au fil de ces quatre tableaux, où la femme avance, recule, se couche et se relève, les bras tendus devant elle comme si elle cherchait un quelconque appui, ou s’offrait en offrande à la nuit, on est captivé par la présence de Montpetit, par cette quête désespérée qui exulte de chaque pore de sa peau, de chaque infime geste qu’elle pose. C’est toute l’intériorité de Montpetit qui donne à son œuvre et son interprétation cette profondeur. Sa danse en est une de l’intérieur, un souffle, un cri silencieux, qui part des tripes, traverse le corps et nous atteint en plein cœur. Les gestes, lents, à peine perceptibles, deviennent, plus on est absorbé dans son univers, chargés de sens, et résonnent aussi fort que si elle exécutait une danse mouvementée et fougueuse. ¶ Des images, collées à la mémoire, restent

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longtemps après la représentation. ¶ De rouge vêtue, en talon hauts, elle s’avance, le dos rond, une main tendue devant elle, agrippée à un trousseau de clés qui semble sorti d’un autre époque. Peut-être, la clé à une réponse, mais laquelle et comment la trouver ? La porte qu’elles ouvrent existe-t-elle vraiment, de toute façon ? ¶ Plus tard, dans le dernier tableau, l’air est chargé, immobile, pendant que Montpetit défait le ruban qui attache une robe à son corps nu. Dans la scène finale, imprégnée sur la rétine, cette image d’une femme nue, qui tient à bout de bras une lumière, lumière vers laquelle elle tend son visage, seule illumination dans les ténèbres qui l’entourent. Ténèbres qui envahissent tout alors que la lumière s’éteint, comme un soupir…

« Sa danse en est une de l’intérieur, un souffle, un cri silencieux, qui part des tripes, traverse le corps et nous atteint en plein cœur »

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Julie Beaumont a suivi la trajectoire de La La La Human Steps et en 1985, pour sa prestation dans « Businessman in the Process of Becoming an Angel », elle devient la première canadienne à mériter le prix ‘Bessie’ à New-York. ¶ Dans le cadre de Rendez-Vous 2009 à Québec, on l’invite à danser avec Marc Béland aux côtés d’un couple de danseurs du Ballet Bolchoi de Moscou et l’année suivante, pour l’Institute


Julie Beaumont : au sommet de la danse

of Contemporary de Londres, avec David Bowie elle participe à un concert bénéfice. Ce spectacle est repris lors de «Wrap Around the World » et diffusé simultanément dans plusieurs pays. ¶ En 1997, Julie Beaumont fait partie du vidéoclip « Save the Last Dance for Me » de Carole Laure et en 2001 comme artiste invitée, elle est de la tournée mondiale « Sound and Vision » de nouveau avec David Bowie, celui-ci

« Avec son expérience sensorielle unique en son genre, la danseuse continue sa carrière locale et internationale : elle crée, enseigne et performe avec la poésie fusionnée à son corps »

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étant un grand admirateur de la danseuse. En 2002, elle prend part au concert «The Yellow Shark » de Frank Zappa et de l’Ensemble Modern d’Allemagne à Francfort, Berlin et à Vienne. ¶ En 2004, elle joue dans les films « Strange Days » et « Élizabeth Chénier » puis dans la série « Pour tout dire », production de l’Office National du Film. Julie Beaumont contribue en 2006 avec Lock au documentaire britannique

« Julie Beaumont, la plus brillante et la plus tragique danseuse de notre époque, continue à électriser son public comme personne ne peut le faire »


« Inspirations » dont la première projection a lieu au Festival du film de Toronto. ¶ L’année suivante à l’Internationale Tanzwochen de Vienne elle collabore sous la direction artistique de plusieurs chorégraphes, au projet d’improvisation « Crash Landing-Second Chance ». Plusieurs compagnies publicitaires dont « Absolut Vodka » et « La Eyeworks » font appel aux services de Julie Beaumont. ¶ Julie Beaumont, la muse de La La La Human Steps est la première récipiendaire, en 1999, du prix Jean A. Chalmers, la plus haute distinction en danse au Canada pour une interprète. Maintenant, avec son expérience sensorielle unique en son genre, la danseuse continue sa carrière locale et internationale : elle crée, enseigne et performe avec la poésie fusionnée à son corps. ¶ En 2002, elle choisit pour une deuxième fois le chorégraphe Tedd Robinson pour la pièce incontournable « Cobalt rouge », ainsi qu’une distribution de danseurs expérimentés, fascinants et réputés internationalement. Pour l’ensemble de son œuvre, Le Conseil des Arts et des Lettres du Québec lui offre une bourse en 2003. ¶ Julie Beaumont, la plus brillante et la plus tragique danseuse de notre époque, continue à électriser son public comme personne ne peut le faire.

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Coup d’œil à Philippe Beauregard

Philippe Beauregard, photographe indépendant et autodidacte, réside à Longueuil depuis 1993. ¶ Né en 1972, c’est à Lyon qu’il passe son enfance et ses premières images naissent alors que lycéen, il est témoin des manifestations étudiantes. Dès lors, il ne quittera jamais sa passion pour la photographie qui l’accompagnera lors de ses diverses activités professionnelles ou personnelles, de l’animation socioculturelle à la pratique de la montagne. ¶ Mais c’est sur la route, dans la rue, au contact du quotidien vécu des gens qu’il se perfectionne. Cette curiosité le conduit à découvrir une culture qui le fascine depuis l’adolescence, celle des danseurs. Au cours de nombreux voyages sur leurs traces, il livre des photographies où il est en empathie avec le sujet.

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Mort aux petits rats…

Petits rats musclés…


Fatal...ement drôle !

Ce spectacle a été présenté dans la cour d’honneur du palais des papes dans le cadre du Festival d’Avignon 2011. ¶ Une création pour la cour d’honneur du palais des Papes (Avignon 2011), pour trois danseurs professionnels et une ribambelle d’enfants : 8 en tout, venus de Trois-Rivières (ville où Boris Charmatz pilote le musée de la Danse) et même de la famille du chorégraphe. Diriger des enfants représente un exercice périlleux, on le sait au cinéma. Dans les arts vivants, comme au théâtre, c’est pire. En danse, cela penche vers le casse-gueule. C’est peut-être ce qui a intéressé Boris Charmatz. Car, d’abord, qu’est-ce qu’un enfant qui danse ? Qu’est-ce qu’une danse dansée par des enfants (on ne parle pas d’une ronde enfantine) ? Vont-ils se laisser « diriger », se laisser s’envoler de bras en bras ? En guise de présentation du spectacle, le chorégraphe cite cet incipit du livre « l’Inhumain » du philosophe Jean-François Lyotard : « Dénué de parole, incapable de station droite, hésitant sur les objets de son intérêt, inapte au calcul de ses bénéfices, insensible à la commune raison, l’enfant est éminemment l’humain parce que sa détresse annonce et promet les possibles. Son regard initial sur l’humanité, qui en fait l’otage de la communauté adulte, est aussi ce qui manifeste à cette dernière le manque d’humanité dont elle souffre, et ce qui l’appelle à devenir plus humaine ». ¶ Une satire très dense et assurément drôle mise en scène avec tact et doigté.

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www.oliviermoire.fr


Music-Hall, the show must go on ? par Sophie Gauzel

C’est vers 1880 que l’on s’accorde à situer la naissance du tango. On discute encore beaucoup afin de savoir ce qu’il est véritablement mais ce qui est certain c’est que le tango est le produit de la culture du peuple très mélangé des taudis des villes portuaires de Buenos Aires, Rosario et Montevideo. C’est ensuite à Buenos Aires qu’il s’est particulièrement développé. On peut imaginer gueux locaux et émigrés, réunis par leur misère se réchauffant mutuellement autour d’un feu ou d’un poêle et se chantant les uns les autres des airs de leur pays d’origine. ¶ Si des paroles de circonstances ont accompagné les premiers airs de tango, essentiellement considéré comme musique de danse à ses débuts, ce n’est qu’au début du XXe siècle que des poètes commencent à écrire de vraies paroles dans cette langue argotique argentine qu’est le lunfardo. Les premières chansons évoquent des histoires de sexe, de règlement de compte, descriptions des meilleures

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Le voile sera levé… méthodes pour berner les filles. ¶ A partir de 1917 il évolue vers de nouvelles manières en exprimant, avec nettement plus délicatesse, des sentiments mélancoliques, faits de rage contenue et de tristesse exacerbée ou encore de considérations métaphysiques. C’est en ce point que je souhaite faire le lien avec les personnages de « Music-hall ». S’ils ont quelque chose à voir avec cette situation du déracinement permanent, ils portent aussi une parole proche des thèmes que l’on retrouve dans les histoires de tango car dans le Tango il s’agit bien de véritables histoires qui racontent la vie des hommes avec ses accents dramatiques et passionnés, avec ses thèmes récurrents qui sont l’amour et ses déchirements et les témoignages de la misère humaine. ¶ Cette partie de création musicale, chantée et dansée me permet de faire exprimer autrement


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Le boléro d’Irena Borguera

L’expression de Tori Ramos


aux personnages ce qui se dit déjà dans le texte de Jean Lacamp, en donnant à cette expression un corps et une esthétique artistique qui sera comme la continuité du texte. En effet je souhaite qu’il y ait le moins possible de séparation entre les deux – éviter à tout prix qu’il y ait d’un côté un cabaret avec une succession de chansons et de danses et de l’autre l’histoire et le texte – je souhaite au contraire qu’ils ne forment qu’un seul et même élan, celui chargé, porté par ces

leur vie, celle des artistes. Le travail, les mensonges, les tricheries et les soucis ne sont alors plus des souvenirs de la vie quotidienne, ils appartiennent à une danse car danser le tango c’est se souvenir avec son corps. ¶

Angela Micheli et Tony del Rio

trois existences, ces trois présences qui viennent dire


Dans les rues de Baia

L’expression de la dramaturgie

« Je souhaite [...] qu’ils ne forment qu’un seul et même élan, celui chargé, porté par ces trois existences, ces trois présences qui viennent dire leur vie, celle des artistes »

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Mon travail de mise en scène et de mise en relation du texte de Jean La-

à la contemplation de la triste destinée qui a conduit nos personnages jusqu’au public du soir de la représentation. Un même temps partagé, plus vraiment de séparations entre l’espace scénique et celui du public. ¶ Il faut que le public soit proche des acteurs, il faut qu’il puisse penser que d’habitude ça ne se passe pas comme cela et qu’il ne sache plus s’il assiste à un spectacle ou à une confession, celle d’une certaine classe de gens : les artistes prêts à tout pour que toujours et encore le rideau se lève, ici et ailleurs. « Je vais voir ailleurs parce que j’y suis » pourraient-ils dire. ¶ Et c’est bien là ce qui me touche le plus dans l’attitude des personnage de «Music-hall», c’est que même s’ils apparaissent parfois perdus et pathétiques ils gardent leur foi et l’amour du spectacle qui leur permettent de continuer à offrir soir après soir le meilleur d’eux mêmes et c’est dans

Le dernier tango

camp avec « Music-Hall » sera de créer un espace psychologique propice


« Un même temps partagé, plus vraiment de séparations entre l’espace scénique et celui du public »

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de Tango viendront illustrer cette dignité, car cette danse offre au corps maintien, allure, noblesse et arrogance, le Tango exprimant la noblesse de l’esprit humain qui apprend à supporter ses souffrances, tandis que la danse continue. ¶ Pendant que les personnages de « Music-Hall » se protègent derrière des pas de danse qui démontrent une maîtrise du corps parfaite, ils contemplent leur manque absolu de contrôle de leur destinée. ¶ Nous commencerons avec deux chants et danses de Bolero qui dans sa structure et ses thèmes est plus souple, plus léger et plus

Les chaises musicales

cet engagement acharné qu’ils reconquiert leur dignité. ¶ Les moments


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Andres Loggio



Miguela Farez sentimental pour aller vers le Tango au fur et à mesure que le drame s’intensifie. ¶ Enfin et pour terminer, ce travail de mise en scène est pour moi l’occasion d’aborder un thème d’actualité : la remise en question de l’exception culturelle française dans sa forme et dans son système de fonctionnement. On se pose tous les mêmes questions : que vont devenir « les petits » lieux et « les petites » compagnies déjà réduites à une existence de survie ? Jusqu’où l’artiste est-il prêt à aller pour poursuivre le spectacle ? ¶ The

Miguel Angel Cordoba

Show must go on ?

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Appartement #21 du Sandy Silva Collective Présenté par Tangente

Sandy Silva et Julie Lachance sont des collaboratrices de longue date. Nul doute que leur cheminement leur a permis d’explorer les on le comprend vite, est faite de fragments possibilités de la danse percussive. Même si de souvenirs qui tournent autour de la renleur dernière création, Appartement #21 offre contre entre cette femme et un homme de beaux moments et dégage une sensibilité (Dominic Desrochers). Des souvenirs douxcertaine, le produit final laisse plus perplexe amers, fait d’attente, de moments manqués, qu’emballé.¶ Dans une salle d’attente, une de complicité amoureuse, de rupture déchifemme (Sandy Silva) attend. On ne sait quoi, rante, de solitude et combats intérieurs, mais mais le son d’un respirateur cardiaque nous aussi de moments banals du quotidien. ¶ Un laisse présager que, peut-être, elle attend à un, ces souvenirs seront rejouées par la lorle pire. Cette scène sert de catalyseur pour gnette de la danse percussive. Une danse qui amener toute l’action qui se produira pas prend vie et crée un rythme par le contact la suite, jusqu’à la chute finale. ¶ Action qui, du pied avec le sol, de la main sur la cuisse,


sur la poitrine, d’une main contre l’autre. Une danse qui se construit à deux, quatre, huit, douze mains, même, lorsque les interprètes principaux sont rejoints sur scène par quatre femmes (s’ajoutent au couple Sonia Clarke, Carol Jones, Josianne Laporte, Hélène Lemay). ¶ On passe de moments dramatiques, tendus à d’autres très (trop ? dépendant de votre tolérance à) fleur bleue et sentimentales. Aussi, quelques scènes de groupe qui se veulent « humoristiques » (dans l’ascenseur, dans la salle d’attente) nous font sur-

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Tangente prĂŠsente : Appartement #21 Sandy Silva Collective Nov 1 / 4 / 5 / 6 / 7 / 8 20 h 30 Nov 2 / 9 16 h Studio du Monument-National 1182, boulevard Saint-Laurent MontrĂŠal (514) 871-9883


tout nous demander ce qu’elles apportent au et bien pensées, même si on aurait souhaité propos de la pièce. ¶ Appartement #21 verse plus de moments forts, appuyés, puissants et souvent dans le théâtre silencieux. Mimiques moins de douceur et de lenteur. On déplore exagérées sont du lot. Je suis toujours un peu aussi que la trame sonore prenne autant de perplexe lorsqu’on demande aux danseurs place et qu’on ne laisse pas la musique du d’acter, et à la danse, de raconter une his- corps s’exprimer plus souvent sans son suptoire, car les résultats ne sont pas toujours port. ¶ Appartement #21, qui dure 1 h 15, aurait convaincants. C’est le cas ici. Si Sandy Silva vraisemblablement gagné à être écourtée. maîtrise sans aucun doute l’art de la danse Quelques longueurs ponctuent le spectacle percussive, ses expressions faciales sont par et on a l’impression de revenir trop souvent moments trop appuyées. Heureusement, le à cette scène où la femme erre, seule dans jeu tout en nuance de Dominic Desrochers, ses pensées, autour d’un lit imaginaire. Cerqui vole la vedette dans ce spectacle, vient taines scènes s’étirent également alors qu’on rétablir la balance. ¶ La pièce offre de beaux semble en avoir tiré la substance depuis un moments – par exemple, lors de la scène de moment. La finale, particulièrement, ne finit la « chicane », où l’homme et la femme uti- plus de finir. ¶ Au final, Appartement #21, mallisent la résonance du mur placé derrière eux gré son exploration intéressante des possibipour exprimer leur colère. En général, les lités de la danse perscussive, ne convainc pas chorégraphies percussives sont ingénieuses totalement.

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Babel (words) de Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet Présenté par Danse Danse

Selon la légende, au départ, les hommes par- coutrement futuristes, cette poupée-robot tageaient le même langage. Un langage com- venue du futur (peut-être ?) et qui semble être mun qui a éclaté, lors de l’effondrement de la l’instigatrice de l’action qui se déroulera par Tour de Babel, en milliers de particules iden- la suite, explique qu’au départ, les humains titaires qui se battent chacune pour leur su- communiquaient grâce à un langage comprématie sur l’autre. La lecture que font Sidi mun : celui des gestes. ¶ Mais peu à peu, les Larbi Cherkaoui et Damien Jalet de ce mythe choses s’emmêlèrent, et de chaque geste on dans Babel (words) est à la fois terriblement ne su bientôt plus quelle était sa réelle signifidrôle et ingénieuse, tout en y jetant un regard cation. De là, naquit le chaos, la différence, les éclairé, à des lieux du cynisme ambiant. ¶ Sur frontières. Une réalité très bien illustrée dans scène, un drôle de personnage. Filiforme, aux la scène dansée d’ouverture de Babel (words), mouvements carrés et à la chevelure et ac- alors que les danseurs, alignés côte à côte, re-


vendiquent l’espace devant eux en allongeant les bras de chaque côté de leur corps, comme pour dire : ceci est mon territoire, mon espace, et tu n’as pas le droit d’y empiéter. À cette image, la gestuelle construise par Cherkaoui et Jalet fera beaucoup appel, tout au long de la chorégraphie, au haut du corps, aux mains et aux bras, comme pour rappeler qu’à l’origine, ils étaient nos points de repère communs. ¶ Ce territoire scénique, il est occupé, sur scène, par de grandes structures cubiques, certaines plus carrées, d’autres plutôt rectangulaires. Véritables personnages manipulés par les interprètes, elles modulent l’espace, le séparent, l’unissent, créent des frontières, des dédales… Un moment, ces structures deviennent des frontières, des cloisons, où les danseurs sont séparés les uns des autres. À un autre temps, elles s’enfilent les unes sur les autres jusqu’à devenir tour (de Babel ?), qui ensuite s’effondre. On y reconnaît la signature du plasticien Antony Gormley, qui avait travaillé avec Cherkaoui sur les boîtes de la pièce Sutra, maniées de façon hallucinantes par les moines Shaolin. ¶ L’autre personnage de Babel, c’est la musique, jouée en direct par des musiciens situés en hauteur, à l’arrière-scène : primitive, originelle, elle amalgame avec grâce magnifiques chants indiens, percussions japonaises et musique orientale, ponctuant le passage d’un tableau

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Danse Danse présente : Babel (Words) Sidi Larbi Cherkaoui + Damien Jalet Compagnie : EASTMAN VZW Belgique Novembre 2011 THÉÂTRE MAISONNEUVE

Place des Arts 175, rue Ste-Catherine Est (514) 842-2112


à l’autre. ¶ La table est mise, avec cette scé- pièce : un ton humoristique, des scènes carréno et cette musique, pour la grande fresque ment hilarantes (comme celle de la bataille de Babel (words), qui se déploie en plusieurs finale, exécutée au ralenti) qui vient désatableaux, certains parlés, d’autres dansés. morcer des situations tendues, conflictuelles. Une fresque vivante, hétéroclite, chaotique, On y rit (gentiment) des travers, de l’orgueil à l’image de ce bourdonnement collectif et prétention des humains qui croient que dont nous faisons tous partie, dans lequel LEUR langue, LEUR culture est la meilleure, nous avançons, à en perdre haleine, dans une la plus importante, celle qui vaut plus que course folle, ininterrompue. ¶ On jette l’œil, les autres. ¶ En choisissant de travailler avec là, sur une rencontre entre deux êtres, où les des interprètes de nationalités différentes deux mains qui tout à coup se frôlent et se (« notre » Québécois, Francis Ducharme, foutouchent provoquent une danse sensuelle, gueux et intense comme toujours, mais aussi brusquement arrêtée par l’enfermement du un Américain, une Anglaise, un Chinois, une jeune homme dans une prison de verre, alors Belge, un Espagnol, une Bolivienne, etc.), tous que s’abat sur lui une des structures cubiques. différents dans leur langage, mais aussi dans Il s’imagine qu’il ne peut en sortir, frappe de leur façon de bouger, de s’habiller, les créatoutes ses forces sur les murs invisibles qui teurs misent sur l’individualité. Plutôt que de se dressent devant lui. Jusqu’à ce qu’un autre tenter de créer un tout uni à partir de ces homme traverse l’espace, tout bonnement, individus, Cherkaoui et Jalet soulignent que y entrant et en sortant comme si de rien c’est à travers ces différences que, finalement, n’était, sous le regard ahuri du premier. ¶ Ici, l’homme avec un grand H peut naître. Et c’est on regarde, fasciné, le visage de l’impéria- là que réside tout le génie de Babel (words). ¶ lisme américain, incarné par un Noir presti- C’est dans la scène finale que ce constat atdigitateur, qui se transforme, en utilisant les teint son apogée. Debout, alignés comme au corps des autres danseurs, en un être mul- départ, côte à côte, les danseurs, cette fois, tiforme et changeant, mélange hallucinant partagent le même espace, leurs pieds entreentre Robocop et Shiva, qui anéantit tout sur mêlés faisant en sorte que le pas de l’un fait son passage, tout en faisant l’apologie de la avancer le pied de l’autre. Comme quoi ce grandeur de la langue anglaise. ¶ Voilà ce qui qui nous unit, dans notre différence, c’est le fait mouche dans Babel (words) et a provoqué but, l’endroit vers lequel nous nous dirigeons la longue ovation du public réjoui en fin de tous. Ensemble.

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Delusion de Laurie Anderson Présenté par l’Usine C

Delusion paraît une sorte de taxidermie re- Delusion présentée internationalement, Laulativement toxique, un songe aux monstres rie Anderson (épouse Lou Reed – 2008, oui) hallucinés peuplé de cadavres animaux et était fort attendue à l’Usine C en ce début humains, de villages fermiers ankylosés et de saison. Or l’engouement annoncé laisse de couples s’haïssant depuis des années. Une (et s’avère) mitigé, bien que salle comble en plante carnivore ressuscitée peut-être, avec soir de première. Elle livre toutefois 1 h 30 un côté champignon dont le parfum terreux de prestation solo sans discontinuité, alterinspire confiance tandis que les pois blancs nant voix et violon, enchaînant les anecdotes sur fond rouge mauvais goût trahissent métaphysiques, sans négliger quelques traits l’amanite poison. ¶ Pour son avant-gardisme d’humour pinçant. Un show à dimensions des débuts, ses accointances artistiques, son aérospatiales en impose forcément un minipédigrée d’œuvres, et l’accueil de sa dernière mum. Cuisant et gelé à la fois. ¶ Delusion se


veut sur la brèche, à cette frontière délicate et fascinante où l’horrible côtoie le fantastique, où la beauté émerge d’une pourriture infecte, où la laideur des sentiments attire irrémédiablement. De cette même force qui pousse à photographier des animaux morts en zoomant sur leur putréfaction, ébloui par une sorte d’inéluctable qui fait resplendir la mort fatale dans toute chose juste encore assez vivante. On reconnaît dans l’excentricité de l’artiste et son impudeur provocante le fait d’une génération de salasses poétiques (William Burroughs en étendard) à touiller dépravation et faits de la vie en une mixture artistiquement ragoûtante du nom plausible de « vérités sur la nature humaine ». Si le mélange avait ses vertus émancipatrices et inspirantes il y a trente ans, et garde sa saveur à être goûté de nos jours, il ne s’en patine pas moins d’une fumeuse impression d’audace déchue ou d’extraversion dépassée, un soupçon vieillot. ¶ Pourtant la performance reste respectable. Entre trois écrans - géant en centre-arrière, à l’avant paravent stricte d’un côté et feuille froissée de l’autre - et un sofa drapé pour supports de projections, Laurie Anderson passe de micros à instrument et se balade sur scène et fonds, plutôt à l’aise dans sa tri-dimension. (C’est d’ailleurs tout ce qu’il y a de chorégraphique, son incursion dans l’image comme dans une anima-

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Delusion

6 au 8 novembre 2011 20 h

Usine C 1345, avenue Lalonde Montréal (QC) H2L 5A9 Billetterie (514) 521-4493

tion en gribouillages et ombres chinoises.) quelques jours, patience).Vraisemblablement Tantôt empruntant un ton d’outre-tombe ridicules rien qu’à les évoquer, ces relents façon Dark Vador, tantôt un timbre de confi- saisonniers sont à l’image d’une esthétique dence traînante, elle raconte. Edgar Allan et d’un style naïfs et mal-dégrossis (diapo Poe ? Alfred Hitchcock ? Roald Dahl ou Anto- powerpoint débutant) qui rebutent dès nin Artaud ? Voire Tim Burton ? Les contes et l’avant-show.Y en a-t-il beaucoup de fervents récits qu’elle égrène à l’oreille, bien que fort du faux-feu de bois dans un quelconque resto inspirés d’une longue tradition d’histoires en guise de déco ? (Franchement.) Les plans effroyables et fééries macabres, sont de sa filmés qui se succèderont ne faibliront pas de conception. Ils mêlent indifféremment fiction cet aspect amateur de l’image trop réaliste, futuriste et frictions familiales, ou chroniques nette ou à l’inverse truquée à l’excès par colcosmiques et menaces prophétiques, avec lages moches.Pour sortir de cette impasse un lyrisme cru digne du plus couru boucher. visuelle, le seul moyen est de la penser voulue, Ou chirurgien sanguinaire, selon. Ce qui est et de (dé-) placer le projet devant un défi de sûr, c’est que l’on flirte avec le psychopathe taille : réunir foule d’éléments décourageants (genre Le silence des agneaux) autant qu’on et au goût incertain même vénéneux, et arrise laisse porter par les consonances méta- ver à en faire naître une forme de splendeur phoriques de sa digression, dans un univers - du moins d’étonnement – qui transcende le surréaliste où le bleuté du sang qui coagule tout. Terre-à-terre, c’est un avant (arrière ?)rappelle les plus beaux ciels couchants de fin goût de calendrier du Groupe des Sept ou de d’été. ¶ En matière d’été déclinant sur le dé- cartes de vœux des Fêtes dont on n’a pas et but d’automne, le spectacle ne se prive pas de peut-être jamais envie. ¶ Malgré toutes ces quelques plans de feuilles mortes aux teintes réticences, Delusion vient piquer à certains citrouille et rouges (de retour dans moins de endroits où on ne l’attend pas. Par exemple


citons ce rapprochement signifiant entre effet « did you ever love me ? » même accidenambiances stagnantes de fermes de l’Illinois tellement. ¶ (Sur le point 5 et sa poésie, cette (natal de Ms. Anderson) de paysages islandais citation même décontextualisée : « Crying et de quotidiens suédois ; ou bien l’accou- from both eyes » l’un te pleurant d’amour, chement d’un terrier-pékinois (on s’en serait l’autre de haine.) ¶ Laurie Anderson est sans passé en vrai) ; et encore le joli essai sur your conteste à découvrir, rien que pour se faire mother’s name as the password to access the une opinion momentanée. Son art narratif et deepest secrets of yours. C’est surtout le fait linguistique plaît. Son goût pour les voyages d’une prestation sonore qui sous des tonalités interstellaires moins. Mais alors que l’Usine C clichées affirme un sens décalé et surprenant accueillait les Entretiens Jacques Cartier sur de la composition. (Pas aussi pesant à écouter le thème des « Mutations de l’avant-garde », que ce qui défile à l’écran.) ¶ Pour résumer : il il y a une réflexion à pousser. L’art multiméest bien prétentieux de critiquer pareille ar- dia y est certes loin de ses renouvellements, tiste ayant adhéré fidèlement au précurseur le chamboulement sociopolitique n’y est pas et à l’expérimental. (Une résidence à la NASA non plus flagrant, mais du côté de la détermiquand même, c’était une première.) Soit, sui- nation d’une artiste, Delusion se défend. Sur vant une réception totalement personnelle le plan de la prise de risque en revanche, le et désordonnée : 1) il y a un réel charme em- show ne s’ouvre pas vraiment à la critique puportant propre aux conteurs ; 2) mieux vaut blique. Proposition d’assemblage sans trop de des cordes que des cuivres ; 3) le bonheur piment qui invoque sur scène le spectaculaire d’être – contre ses prédispositions – atteint douteux des shows son & lumière de Jean-Mipar des moyens anti-séduisants ; 4) à quand la chel Jarre. C’est dire… qu’il y a 30 ans. ¶ Les fin des sempiternelles psychanalyses parents- étoiles que nous observons sont mortes il y a enfants ? 5) que d’instants poétiques ! et 6) en des millions d’années.

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Jusqu’au silence de Sophie Corriveau Présenté L’Agora de la danse et Danse-Cité

Après avoir œuvré près de trente ans à titre d’interprète, la danseuse Sophie Corriveau se confronte à la création chorégraphique.

Les plus jeunes connaissent peut-être peu Sophie Corriveau, mais les autres, par contre, ont gardé d’excellents souvenirs de celle qui a dansé pour presque tous les chorégraphes montréalais aux fils des ans. Elle est plus souvent répétitrice qu’interprète de nos jours. Il y a peu, on a pu tout de même la voir dans l’Écurie de Manon Oligny. Cette semaine, elle sera sur la scène de l’Agora, interprète d’un solo dont elle est la chorégraphe.


Pourquoi, après tant d’années, passer soudainement de l’autre côté du miroir ? Je lui ai posé la question : « Ça fait longtemps que je sentais le besoin, le désir de m’impliquer dans la conception d’un spectacle, et actuellement, à ce stade de ma vie, c’était un bon moment pour moi de le faire. J’avais vraiment le goût de me confronter à la création chorégraphique, de prendre la parole et de confronter le public avec cette parole.» Quand cela fait aussi longtemps qu’on travaille pour les autres, j’imagine que lorsqu’on décide de chorégraphier soit même, on se retrouve avec ce léger problème que pose la mémoire du corps, de toutes ces traces laissées par les créateurs en vous depuis trente ans. Comment avez-vous négocié avec ce handicap de départ ? « Évidemment, mon corps a gardé beaucoup de souvenirs et dès le départ c’était important pour moi de me défaire de toutes ces traces des gens avec qui j’ai travaillé. Il y en a certains qui m’ont beaucoup influencé durant ma carrière, je pense à Danièle Desnoyers. Dès le départ de ce projet, je voulais trouver une physicalité, et une façon de bouger qui me soit propre malgré ces traces en moi. Traces que je ne peux pas oublier ni ne veux renier, elles font partie de moi. En dépit de ces celles-ci, j’avais besoin de trouver ma façon d’être, de bouger, de m’exprimer et de concevoir. Et c’est un gros travail que de se défaire, ne serait-ce que temporairement, des traces des autres.» Donc, vous décidez de chorégraphier, qu’elles étaient vos prémisses de départ ? «Au départ, tout est parti de ma mère, elle est décédée lorsque j’étais jeune ado. J’avais le goût de parler, non pas d’elle, mais plutôt de la sensation que j’avais ressentie à l’époque face à cette douleur. Une sensation qui s’est transformée évidemment avec le passage du temps. Alors, je suis parti d’une sensation physique et émotionnelle pour explorer des notions de vertige, vertige de l’âme, vertige physique. Des états qui génèrent des sensations de danger, de déséquilibre. J’ai écrit de nombreux textes qui ne sont pas dans le spectacle, mais, comme ma mère était écrivaine je voulais me relier à elle en quelque sorte. C’est donc ça mes prémisses de départ pour cette pièce.»

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Vous avez aussi impliqué votre frère dans cette création, de quelle manière ? « Ça faisait longtemps qu’on essayait de travailler ensemble et de relier nos deux univers respectifs. Mon frère Thomas est un artiste visuel qui enseigne aussi au département d’art de l’UQAM. Donc, en partant ce projet-là je l’ai approché. Il avait lui aussi une prémisse de départ, il joue beaucoup avec la vidéo, il fait des films d’animation dessinés main dans lesquels il joue avec la lisibilité et l’illisibilité de l’image. On a fait des séances de tournage en studio pour son travail. Par la suite il a transformé ce matériel en dessins qu’il a ensuite animés. Ce matériel est projeté durant le spectacle c’est vraiment relié a ce que je fais sur scène.» Maintenant, vous chorégraphiez pour la première fois, comment ça se passe en studio ? « J’ai beaucoup travaillé seule à sortir le matériel, à cerner de quelle manière je voulais parler physiquement de mes prémisses de départ. Comme je n’avais jamais vraiment pas fait ça auparavant, j’ai travaillé très longtemps… J’ai beaucoup travaillé par improvisation ce qui ma donné une gestuelle qui n’est pas fixe. Il en résulte des impros qui sont pour moi extrêmement précises et qui s’inscrivent dans le moment présent. Ce qui donne une gestuelle qui est nuancée et qui est faite de ruptures et de dérapages, dérapages qui font passer d’un certain lyrisme à quelque chose de plus cru, des dérapages qui sont une partie essentielle de la pièce.»


L’Agora de la danse présente : Jusqu’au silence Danse-Cité / TracesInterprètes / Sophie Corriveau 12-13-14 novembre 20 h / 15 novembre 16h Parole de chorégraphe : 13 novembre 840, rue Cherrier, métro Sherbrooke

L’équipe derrière Sophie Corriveau Conseiller à la dramaturgie et à la mise en scène : Martin Faucher Projection d’images animées et scénographie : Thomas Corriveau Conception musicale : Michel F. Côté Costumes et maquillage : Angelo Barsetti Éclairages : Marc Parent Conseillère artistique : Catherine Tardif (514) 525-1500

J’imagine que puisque vous serez seule sur scène durant une heure que vous n’y êtes pas allé à fond la caisse côté cardio et physicalité, est-ce le cas ? « Oui et non, ça va dans tous les sens de ce côté là, ça bouge beaucoup, mais il y a aussi de la théâtralité, une théâtralité non narrative, ce qui fait que ma pièce est plus abstraite qu’autre chose.» À quoi va ressembler votre scénographie ? « Je ne veux pas trop en parler pour ne pas trop vendre de punch, mais je peux dire que je suis isolé sur une petite scène surélevée et que ça a tout à voir avec la fameuse notion de vertige… » Vous avez travaillé longtemps seule pour concevoir Jusqu’au silence, mais maintenant que la première approche ce ne doit plus être le cas avec Danse-Cité et l’Agora de la danse qui sont impliqués ? « Non, j’ai maintenant toute une équipe derrière moi et je trouve ça formidable cet aspect là de la création. J’ai Martin Faucher à titre d’oeil extérieur ainsi que Catherine Tardif pour qui j’ai souvent dansé et qui est une grande amie. »

Ne reste plus qu’à découvrir la pièce, d’après ce qui filtre de l’Agora de la danse, on peut s’attendre à quelque chose de très fort.

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S’envoler d’Estelle Clareton Présenté par le festival Transamériques

Dès l’œuf, le projet S’envoler d’Estelle Cla- rie, mais rentrer à la maison me déchire en reton était présenté comme le bilan de mi- deux pour quelques semaines d’exil où ma grations artistiques, géographiques et iden- place semble nulle part, et je songe déjà au titaires. Une heure de danse comme elle retour dans mon petit appart pour me calva-et-vient, simple et innée, acrobatique et mer. Elle souligne la contradiction du « renaventureuse. Un dilemme ou équilibre en trer à la maison » d’un : « chez toi c’est ici constante recherche entre le besoin d’atta- maintenant ». Et le nœud aux tripes se défait chement et l’instinct d’exil. ¶ Je bredouille à de cette petite phrase miracle. Demeure une amie le ventre tordu comme un torchon pourtant depuis ce temps l’habitude inconque c’est toujours la même histoire d’avant tournable – heureux hasard ou symptôme – départ : bien sûr je crève d’envie et de bon- de chaque fois resserrer des liens forts avant heur de revoir tout le monde en Franchou- de m’envoler pour un séjour de l’autre côté.


Au fait avez-vous vu Je reviens de mourir, Guillaume ? C’était bien, hein ! Parenthèse fermée. ¶ Ces sensations d’expatriée ne sont certainement pas inconnues à Estelle Clareton (compagnie Création Caféine). Si sa vie est désormais installée au Québec, la chorégraphe interprète reconnaît que ses racines françaises continuent de la nourrir et la rattachent à vie à cet autre pays d’origine. Garder en soi la fibre de sa culture et de ses souvenirs d’enfance, ne jamais être totalement absorbé dans un environnement d’accueil ; d’un côté comme de l’autre il y a désormais l’impossibilité

d’appartenir

entièrement

quelque part. Un tel sentiment à base d’errance n’est pas toujours confortable, il est pourtant la contrepartie d’une chance de participer à plusieurs mondes. ¶ Du point de vue artistique, après un apprentissage au Conservatoire d’Avignon, une formation à O Vertigo ainsi qu’un passage au sein de la Fondation Jean-Pierre Perreault entre autres, le lancement de Création Caféine confirme l’ancrage chorégraphique d’Estelle Clareton, bien qu’elle conserve des implications dans le milieu de la télévision, du théâtre ou du cirque. En danse elle s’éloigne du parlé pour une théâtralité plus innée au geste. Elle se distancie surtout d’une mouvance minimaliste et dénudée pour préserver à la discipline son dynamisme fondateur, le mouvement.

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Agora de la danse 45, boulevard Maisonneuve

Montréal-Sud Durée : 1 h Représentations 9-12-14 novembre - 19 h 00 8 décembre - 19 h 00

S’envoler résulte à la fois de ces différentes influences et constats chorégraphiques, et de déplacements et repositionnements personnels. ¶ La douzaine de danseurs s’aventure à entrer en scène groupée, après avoir envoyé un éclaireur pour vérifier que la voie était dégagée.Tassés les uns contre les autres pour se rassurer, ils piétinent, tournent sur euxmêmes, se bousculent sans gêne pour garder leur place. Progressivement leurs attitudes s’émancipent, prennent de l’ampleur de l’espace et de la liberté. Ils finissent par s’égailler, happés par le vertige d’espace et d’indépendance, malgré quelques retours ponctuels au bercail comme pour confirmer qu’ils peuvent s’y retrancher au moindre danger. Foufous et joueurs, les voilà lâchés comme des électrons libres qui fusent dans toutes les directions, et pourtant conservent cette harmonie sousjacente du groupe, qui fait que même aux quatre coins de la scène ils se répondent, se font écho, et sont capables de se rassembler rapidement. Ils se sont jetés d’un même nid après tout. Car la gestuelle est profondément inspirée d’oisillons qui tentent le grand saut


après moult tergiversations, quelques ratés délocalisant volontairement, on puisse dire et de multiples pirouettes. La participation ça – l’appel des gènes et de l’habitus tient d’un acrobate (Raphael Cruz) et d’une comé- lieu de longue laisse élastique à intervalles dienne (Noémie Gaudin-Vigneau) vient colo- réguliers, pour raviver le naturel d’origine. rer l’ensemble d’une touche originale et plus Dans leur cas, ces oiselets termineront enspectaculaire. Ils ont parfaitement assimilé semble et serrés comme ils ont commencé, les coups de bec furtifs, les contorsions dans bien que quelques uns y aient peut-être perle peu d’espace du foyer, et la curiosité hési- du des plumes au détour d’acrobaties un peu tante devant le grand vide et ses possibles ambitieuses. On observe une heure durant la périls. ¶ De progénitures animales ou petits progression de leur courage et l’évaporation d’hommes, on retrouve cette évolution de de leur frilosité. On les protège du regard en l’inconscience à l’insouciance à l’imprudence quelque sorte, de loin, prêt à intervenir si et l’intrépidité, ce cheminement vers plus de ça venait à dégénérer, mais les laissant plus perception du danger mais pas nécessaire- facilement que des parents survoler le risque ment moins de prise de risque. Ils expriment selon l’idée qu’on apprend et comprend en cette volonté de s’échapper, de se détacher osant et se plantant (ou en réussissant parde la maison, tout en revenant régulièrement fois). Du point de vue de l’émigration c’est sur leur audace pour rejoindre bien vite la un peu différent, selon l’adage cette fois que chaleur du troupeau. Et du moment que ce les voyages forment la jeunesse. Seulement retour au confort familial (ou communau- certaines expéditions sont des piqûres à vie, taire) semble possible, pas de stress. Reste et le zèle n’est pas tant dans le fait de partir qu’en grandissant on s’aventure de plus en que dans celui de pouvoir en revenir. Revenir plus loin, et l’on se demande s’il n’existe, pas d’exil comporte des risques, comme rentrer très loin, un certain point de non-retour. ¶ une aiguille dans un vieux disque (Richard D’expérience d’expat – si tant est qu’en se Desjardins).

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