Vals avec Z
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Impressum
Sommaire
Auteur Isadora Crettaz Eracom Typographiste Lausanne Printemps 2011
06 Historique
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Matériaux et présence
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Nobel d’architecture
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Peter Zumthor: « Je suis un architecte-auteur »
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Constructions, expositions, distinctions
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Historique En 1983, la commune de Vals a racheté les thermes avec les bâtiments hôteliers. Aujourd’hui, elle est propriétaire à 100 % de la société Hotel und Thermalbad Vals AG (Hoteba). En 1986, l’architecte Peter Zumthor fut chargé de construire une nouvelle station thermale qui fut inaugurée en 1996. Deux années plus tard, les thermes furent classées patrimoine protégé. Les images des thermes de Vals ont fait le tour du monde : « une leçon de courage et d’esthétique », « un paysage unique de balnéothérapie antique où tout est calme et volupté », « un bain unique au monde ». De forme rectangulaire, le corps de l’édifice des thermes est constitué de dalles superposées en quartzite de Vals, extrait à deux kilomètres des thermes. En tout, 60 000 dalles ont été utilisées. Aujourd’hui, l’hôtel est en cours de rénovation, dans le même esprit que les thermes.
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et prĂŠsence MatĂŠriaux
« Montagne, Pierre, Eau : construire dans la pierre, construire en pierre, construire à l’intérieur de la montagne, construire au flanc de la montagne, être au cœur de la montagne. Comment traduire toutes les acceptions et toute la volupté de ces expressions en langage architectural ? C’est en essayant de répondre à ces questions que nous avons conçu cet édifice lequel, petit à petit, a pris forme sous nos yeux. » Semblable à une caverne, un espace continu forme des méandres au sein de la structure principale de la piscine composée d’énormes blocs de pierre isolés. Côté montagne, les passages intimes et obscurs de ce continuum menant à la piscine se transforment en cavités de plus en plus spacieuses laissant filtrer la lumière du jour au fur et à mesure que se dévoile le paysage environnant. Ici, l’extérieur pénètre à l’intérieur du bâtiment. Par un procédé architectonique, le paysage grandiose du versant opposé se révèle au travers de tableaux somptueux et se répand à l’intérieur. Et ce « rocher » est formé de pierres. Une superposition continue de pierres naturelles. Extraites de la carrière sise au sein de la vallée, les pierres plates de Vals, superposées en plusieurs couches, déterminent la forme et l’esquisse du bâtiment tout entier. Liés et scellés, les dalles et le béton des murs forment une construction de soutènement massive et statique, un ouvrage composite. Inspirée des vieux murs de soutènement des routes de montagne, cette construction murale a été mise au point spécialement pour ce bâtiment. Ici, pas de panneaux d’habillage en pierre. La superposition homogène des pierres, les couches de pierre ininterrompues, confèrent à l’édifice un aspect monolithique. L’élévation des sols, du sol de la piscine, des plafonds, des escaliers, des bancs en pierre et des embrasures de porte obéit au même principe de superposition continue. Il suffit de promener son regard du sol au mur ou du mur au plafond : tout n’est que superposition. Les conduits et les joints d’étanchéité du bassin et des sols, les bassins de débordement, les systèmes d’épuration, les systèmes d’aération, l’isolation thermique, le réseau des joints de dilatation, tous ces éléments sont disposés de telle façon qu’ils se fondent comme par magie dans la masse de la pierre (systèmes d’écoulement de l’eau, joints de dilatation verticaux, etc. ) ou qu’ils s’intègrent dans les murs et plafonds (systèmes d’étanchéité, isolation thermique, joints de dilatation horizontaux, etc. ). Ainsi dès la fin du gros œuvre, le bâtiment était déjà presque prêt, et la piscine une fois terminée, laisse apparaître peu de détails sensés nous éclairer sur sa fonction initiale : ainsi les rigoles conçues dans la masse du sol en pierre, ou les ferrures parant – tels des bijoux – les mains courantes en bronze, ou encore les tuyaux en laiton enfoncés dans le mur et par lesquels l’eau thermale naturelle ou préparée s’écoule dans les différents bassins et canaux. Le béton, matériau minéral, a été coulé tel des plaques de contreplaqué lisses pour donner un aspect velouté aux surfaces, et provient d’Ilanz. Le gneiss de Vals (env. 3000 mètres cubes), utilisé pour la première fois pour une construction de cette ampleur, a été façonné différemment en fonction des parties du bâtiment afin d’obtenir diverses qualités de surface : cassé, fendu, scié, dépoli au sable, poncé ou poli. Nous appelons « verre de Murano » le verre bleu. Il est fabriqué en Espagne.
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La superposition homogène des pierres, les couches de pierre ininterrompues,
confèrent à l’édifice un aspect monolithique. L’élévation des sols, du sol de la
piscine, des plafonds, des escaliers, des bancs en pierre et des embrasures de
porte obéit au même principe de superposition continue.
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Nobel d’architecture
La plus haute récompense du monde architectural a été remise à Peter Zumthor en 2009. La démarche phénoménologique de cet architecte attentif aux paysages naturels et aux traditions constructives locales s’inscrit à rebours de la création architecturale contemporaine dominante. Son mérite est de poser de façon aiguë la question du sens de l’architecture à l’époque de l’urbain généralisé et de la crise du lieu. Le prix Pritzker – véritable « Nobel de l’architecture » – vient d’être remis à l’architecte suisse Peter Zumthor. La décision du jury est non seulement inattendue, mais audacieuse. Elle vient récompenser un architecte atypique, voire marginal. Comme l’expliquent les membres du jury eux-mêmes, « depuis trente ans, installé dans le petit village reculé d’Haldenstein, dans les Grisons, [Peter Zumthor] est resté à l’écart de la folle activité de la scène architecturale internationale. Là, avec une petite équipe, il imagine des bâtiments d’une remarquable sincérité, vierge de l’influence de la mode et des courants éphémères. » La « modestie », l’« humilité », le « courage, voire la témérité », caractérisent son œuvre, jugée « sans compromis. »
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Un architecte retiré du siècle Atypique, Peter Zumthor ? Depuis la création de son agence en 1979, l’architecte suisse n’a en effet réalisé qu’une trentaine de bâtiments, la plupart assez modestes eu égard aux standards des grandes agences d’architecture. Ses projets les plus importants – les thermes de Vals dans le canton des Grisons, le musée d’art de Bregenz sur le lac de Constance, le musée d’art Kolumba à Cologne – n’ont ni l’échelle, ni la force symbolique des grands équipements métropolitains. En outre, sa production ne dépasse guère les frontières de la Suisse. Elle se répartit entre le canton des Grisons, où Zumthor vit et travaille et où se concentre l’essentiel de son œuvre bâtie, et l’Autriche et l’Allemagne, où cet architecte germanophone a accepté et réalisé un petit nombre de projets – comme le pavillon suisse pour l’Exposition universelle de Hanovre (2000), ou, plus récemment, la chapelle Saint-Nicolas-deFlue à Wachendorf (2007). À l’exception de Berlin, où il a remporté le concours pour le centre de documentation Topographie de la terreur – Zumthor n’a jamais été en situation de construire dans une métropole de rang international. On ne trouve rien, dans son œuvre, qui puisse se comparer à la production des très grandes agences de ceux que l’on nomme, par un néologisme très en vogue, les « starchitectes », régulièrement sélectionnés sur les shortlists des concours internationaux. À la tête d’une petite agence, très sélectif dans le choix de ses projets, apportant un soin minutieux aux détails, refusant de sous-traiter ses chantiers – une pratique pourtant courante dans l’univers des grandes agences – Zumthor recherche et assume les conditions d’une certaine lenteur dans la mise en œuvre des projets, d’une slow architecture qui n’est à l’évidence plus la norme du métier. Il ne recherche ni le succès, ni la notoriété. Il jette d’ailleurs un regard souvent plein d’ironie sur la production architecturale contemporaine et ses formes débridées, et n’hésite pas à affirmer que « la qualité architecturale, ce n’est pas avoir sa place dans un guide d’architecture ou dans l’histoire de l’architecture ou encore être cité ici ou là. »
Une conception singulière de l’art de bâtir Pourtant, ni la posture de l’architecte suisse, ni l’ampleur limitée de sa production, ni ses méthodes de travail ne sont absolument originales dans le panorama de l’architecture actuelle. L’on pourrait dire d’un très grand nombre de professionnels aujourd’hui qu’ils pratiquent une architecture à la fois « sans compromis », « sincère » et « modeste », si ces termes ne figeaient pas, par leur proclamation de foi vertueuse, un débat que l’on souhaiterait avant tout critique. L’admiration que lui portent ses pairs n’a ellemême rien de bien surprenant : le prix Pritzker a régulièrement été décerné à des architectes « hors-normes », comme ce fut le cas récemment avec Glenn Murcutt (Pritzker 2002) ou Jørn Utzon (Pritzker 2003). En vérité, si la consécration de Peter Zumthor doit susciter notre étonnement, c’est moins en raison des vertus supposées de l’architecte, que parce que sa conception de l’art de bâtir – et avec elle son œuvre toute entière – pose une question radicale à l’architecture d’aujourd’hui. En effet, si l’architecte d’Haldenstein peut légitimement être perçu comme un outsider de la scène architecturale, c’est parce qu’il est, en un sens, horsnorme. Ecartons d’emblée toute équivoque : Zumthor est sans ambiguïté possible, un moderne. Comme tous les architectes de sa génération, il a reçu en héritage les leçons du Mouvement moderne tout comme les critiques qui les ont accompagnées. Mais il assume en même temps une conception de l’art de bâtir tout à fait singulière dans le panorama de l’architecture contemporaine, une conception que l’on peut qualifier de phénoménologique. Dans une conférence donnée le 1er juin 2003, l’architecte suisse a tenté d’expliciter sa position. Évoquant le souvenir d’un après-midi ensoleillé passé sous les arcades d’une ville que l’on imagine italienne, il dit : « Qu’est-ce qui m’a touché alors ? Tout. Tout, les choses, les gens, l’air, les bruits, le son, les couleurs, les présences matérielles, les textures, les formes aussi. (…) Et quoi encore ? Mon état
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d’âme, mes sentiments, mon attente d’alors, lorsque j’étais assis là. Et je pense à cette célèbre phrase en anglais renvoyant à Platon : « Beauty is in the eye of the beholder. » Cela signifie que tout est seulement en moi. Mais je fais alors l’expérience suivante : j’élimine la place – et mes impressions disparaissent. Je ne les aurai jamais eues sans son atmosphère. C’est logique. Il existe une interaction entre les êtres humains et les choses. C’est ce à quoi je suis confronté comme architecte. » D’après Zumthor, il n’est en effet de qualité architecturale qu’à travers l’atmosphère que crée un bâtiment, qu’à travers la capacité d’un édifice à faire lieu. Par « atmosphère » (Stimmung), Zumthor entend un rapport immédiat à notre environnement ; un rapport émotionnel – et non intellectuel – à l’espace comme à la matière, à la chaleur comme à la lumière, aux sons comme aux odeurs ; un rapport qui engage notre être tout entier et met à l’unisson notre état intérieur et ce qui nous entoure. Zumthor, à l’évidence, croit en notre présence au monde concret, à ce qu’Edmund Husserl nommait le « monde de la vie » (Lebenswelt), ce « monde spatio-temporel des choses, telles que nous les éprouvons dans notre vie pré et extrascientifique », ou encore à ce que Martin Heidegger nommait « l’être au monde », le Dasein. En tant qu’architecte, Zumthor ne souhaite fabriquer ni des images, ni des symboles : ignorant délibérément toute différentiation entre corps et conscience, il ne souhaite fabriquer que des espaces vécus.
Neuf points pour une architecture des lieux Pour l’architecte d’Haldenstein, il existe en effet « un savoir-faire dans cette tâche qui consiste à créer des atmosphères architecturales. » S’il admet que le poids des souvenirs d’enfance ou des impressions subjectives y est souvent très fort – au risque de produire des formes idiosyncratiques – il estime que l’on peut plus ou moins objectiver ce savoir-faire. L’architecture, telle une langue, peut s’enseigner, se transmettre. Son langage peut se décliner, comme Zumthor le suggère lui-même, en neuf points. 1 Le langage de l’architecture est anatomique : l’architecture est semblable à un corps « qui peut me toucher » avec ses masses (comme ces lourds blocs de béton et de gneiss qui délimitent les bains thermaux de Vals), ses membranes (comme ces bardeaux de bois qui enveloppent la chapelle Saint Benoît de Sumvigt) et sa matière (comme cet alliage de plomb et d’étain recyclé qui couvre le sol de la chapelle Saint-Nicolas-de-Flue). 2 Le langage de l’architecture est physique : il met en jeu des accords de matières, comme dans la chapelle Saint-Nicolas-de-Flue, où l’empreinte laissée par les troncs d’épicéas calcinés sur les parois de béton crée une atmosphère de caverne. Ces accords, leur vibration, leur présence, ne peuvent pas entièrement être pensés a priori : ils doivent se ressentir in situ. D’où l’importance du chantier comme lieu même du tâtonnement et du choix dans l’harmonie parfois subtile d’une teinte de bois en résonance avec le béton brut, comme dans la résidence Spittelhof de Biel-Benken. 3 Corporel et matériel, le langage de l’architecture est également acoustique. L’espace selon Zumthor est pareil à un instrument de musique : il rassemble, amplifie et fait vibrer les sons d’une manière particulière, comme dans multiples bassins des thermes de Vals. 4 Le langage de l’architecture est également thermique : la forme et la surface des matériaux dans un espace donné ainsi que la manière dont ils sont assemblés et agencés, produisent une ambiance thermique spécifique, comme dans le pavillon de bois de l’exposition de Hanovre où l’empilement des poutres de bois permet de neutraliser les amplitudes de température. 5 Réceptacle d’ambiances sensorielles, l’espace architectural selon Zumthor doit ménager de véritables seuils, comme dans la plupart des maisons dessinées par l’architecte, où de larges et profondes baies – encadrant savamment les paysages environnants – font intensément ressentir la tension entre l’intérieur et l’extérieur.
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6 L’espace architectural doit également créer des « paliers d’intimité », moduler – par le jeu des échelles – proximités et distances, ouvertures et fermetures, partages et retraites. 7 Ainsi introverti et mis en tension, l’espace architectural doit accueillir un monde de corps laissés libres de déambuler, de « flâner ». 8 L’espace architectural doit également accueillir un monde d’objets choisis et placés pour renforcer la présence tranquille de la matière – tels ces « deux clous qui sont là dans le sol pour fixer des plaques d’acier à côté d’un seuil usé. » Ainsi « les choses sont à leur place. Parce qu’elles sont ce qu’elles veulent être. » L’architecte suisse, sans le dire explicitement, parle un langage de Louis Kahn dont on aurait en quelque sorte extrait la monumentalité. 9 Last but not least, l’espace architectural et ses accords de matière doivent révéler la lumière.
Une architecture-présence dans un monde de non-lieux
Si un tel appel à une architecture-présence est a-contemporain, c’est parce que le développement urbain de la planète et les formes empruntées par la métropolisation depuis les années 1960 sont semble-til sur le point de rendre caduque une telle poétique des lieux. L’étalement et l’hétérogénéité des espaces urbains contemporains, l’effacement des arrière-plans paysagers, l’emprise toujours croissante d’infrastructures hors d’échelle au regard des caractéristiques anthropomorphiques, ou encore la crise écologique, témoignent en effet d’une crise ou d’une perte du lieu que d’aucuns jugent irréversible, y compris parmi ses avocats. À l’heure où les espaces paradigmatiques de la métropole moderne sont eux-mêmes volontiers qualifiés de « non-lieux », les « systèmes de communication et d’information perfectionnés (…), comme l’écrit Alberto Perez-Gomez, non seulement effacent les frontières existantes mais font disparaître la spécificité des lieux. » Aussi, à mesure que l’horizon métropolitain se rapproche, la possibilité de concevoir et d’aménager des atmosphères et des lieux semble de plus en plus difficile ou aléatoire. L’expérience zumthorienne serait-elle dès lors condamnée à n’investir que ces franges déconcentrées de l’urbain généralisé que sont les périphéries alpines, là où peut encore s’inventer un modèle de développement éco-responsable fondé sur l’alliance entre un environnement naturel de qualité, un investissement de tous les acteurs de la construction, une utilisation optimale des savoir-faire locaux, et une architecture innovante, comme c’est par exemple aujourd’hui le cas dans le Vorlarlberg autrichien ? Ou bien peut-on tirer, de la conception phénoménologique de l’architecte d’Haldenstein, une ou plusieurs leçons pour habiter nos métropoles ? L’appel à redécouvrir l’essence de l’architecture, à renouer avec ses valeurs originelles, à créer des atmosphères et des lieux, n’a-t-il plus aucun sens ? Ou bien reste-t-il impossible d’habiter là où il n’est pas donné de lieu ? Tel est bien le paradoxe central de l’architecture à l’époque de la métropolisation généralisée, et le véritable défi posé par la contemporanéité de Peter Zumthor.
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« L’espace architectural doit également accueillir un monde d’objets choisis et
placés pour renforcer la présence tranquille de la matière – tels ces « deux clous
qui sont là dans le sol pour fixer des plaques d’acier à côté d’un seuil usé. » Ainsi
« les choses sont à leur place. Parce qu’elles sont ce qu’elles veulent être. »
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« Le langage de l’architecture est également thermique : la forme et la surface des matériaux dans
un espace donné ainsi que la manière dont ils sont assemblés et agencés, produisent une ambiance
thermique spécifique, comme dans le pavillon de bois de l’exposition de Hanovre où l’empilement des
poutres de bois permet de neutraliser les amplitudes de température. »
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Zumthor Peter «Je suis un architecte-auteur»
Monsieur Zumthor, vous vous donnez du temps pour mener vos projets à bien. Est-ce l’une de vos qualités ? Faire les choses avec soin, prendre son temps, cela me convient. Je suis un inventeur passionné et un constructeur de maisons de qualité. Pouvoir construire des bâtiments harmonieux dans lesquels tout est en adéquation, et pas uniquement la façade, est plus important pour moi que devenir riche. Je ne cède rien avant d’avoir le sentiment que c’est au point. C’est davantage la façon de travailler et de penser d’une personne qui compose un quatuor à cordes ou qui écrit un livre. C’est l’auteur qui décide quand l’ouvrage est terminé, pas la maison d’édition. On peut assurément dire que je suis un architecte-auteur qui s’affirme et que dès lors, je ne conviens pas aux personnes qui pensent que l’architecture est un service. A l’heure actuelle, on a malheureusement fortement tendance à traiter l’architecture comme un service. A cet égard, je ne suis toutefois pas disposé à faire des compromis. L’harmonie porte-t-elle également sur les rapports avec le maître d’ouvrage ? Absolument. Le plus difficile est de travailler pour un maître d’ouvrage anonyme, avec beaucoup de commissions et des compétences partagées. En tant qu’auteur, j’ai besoin d’un vis-à-vis. Lorsque cette condition fait défaut, le risque que cela ne fonctionne pas est grand. Lorsque vous construisez en fonction de l’affectation – en tant qu’architecte, je ne suis pas un artiste libre -, il y a toujours un utilisateur qui sait ce qu’il veut, p. ex. quelles dimensions un bâtiment doit avoir, quels doivent être les rapports fonctionnels, etc. Il ne souhaite cependant pas un service proposé par un gestionnaire de projet et ses collaborateurs, mais un auteur, parce que ce qui en résultera lui fera plaisir. Ce type de collaboration se base sur un respect mutuel. Toutefois, le donneur d’ordre doit avoir une certaine sensibilité, surtout dans la phase initiale délicate.
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Vos bâtiments s’intègrent parfaitement dans le paysage. C’est presque comme s’ils en faisaient partie. Il faut tout simplement aimer les lieux. Cela présuppose qu’après la construction, les lieux auront certes une autre apparence, mais qu’ils ne seront certainement pas moins beaux qu’avant. C’est une question d’intuition, mais on peut aussi repenser cette intuition. La sensualité est-elle un objectif pour vous ? Extérieurement, par exemple, les thermes de Vals dégagent une grande sobriété. Il s’agit malgré tout d’un bâtiment très sensuel... Quand une maison ou une pièce plaît à quelqu’un, que ce soit un living-room ou une église, il le ressent, il n’y pense pas. L’architecture est un art sensuel, on l’appréhende avec les sens. Le mental entre bien sûr aussi en jeu, mais en définitive, nous avons tous vécu des expériences avec des constructions et donc, nous avons certaines notions préalables. Pour moi, le plus important est cependant le savoir émotionnel, que l’on ne peut pas toujours rationaliser ni solliciter, mais qui est tout simplement présent. Quelles images aviez-vous devant les yeux quand vous avez construit Vals ? Je recherche toujours les images dans la concordance entre le lieu et l’affectation. A Vals, c’était relativement simple : une source chaude jaillit d’une montagne, de la pierre – montagne, pierre, eau, cavité, creuser la montagne. L’eau chaude qui jaillit de la montagne est en fait quelque chose de complètement insensé. Partant de là, j’ai voulu pour Vals quelque chose d’autre qu’un bassin de sport, dans lequel on fait des longueurs. J’ai réfléchi à ce que ce quelque chose d’autre pouvait être. Je pense que nous aurions tous plus ou moins eu les mêmes idées. Il faut essayer de se détendre, d’apprécier l’eau chaude. A Vals, ce thème – l’eau chaude de la montagne – était tellement présent, que la tâche a été relativement facile. Ensuite, on parle bien entendu de ces images et on développe des idées sur cette base. Vous faites cela seul ou en équipe ? En règle générale en équipe : je formule les images et j’interroge les gens. Nous travaillons énormément avec des mots, mais toujours avec des images. Les règles abstraites selon lesquells on érige un bâtiment, sont l’étape suivante. Un mot sur la genèse du bâtiment ? Il est intéressant de savoir que la commune de Vals, représentée par quelques jeunes habitants, a dû reprendre le complexe hôtelier de l’actif d’une faillite. Ils voulaient absolument que la source thermale continue d’exister. Ils voulaient quelque chose de particulier qui se dégage de la masse. Nous avons fait un bout de chemin ensemble, ils m’ont accordé leur confiance, nous avons beaucoup discuté. Nous avons réalisé beaucoup de choses que j’avais proposées et que personne n’avait jamais faites. Au début, nous avons été confrontés à beaucoup d’incompréhension. Ainsi par exemple, deux spécialistes du marketing se sont retirés. Ils étaient d’avis que notre projet s’adressait tout au plus à quelques rares lecteurs de la NZZ, qu’il s’agissait d’un lieu totalement élitaire que personne ne visiterait. Selon eux, c’était de toute façon contraire à toute règle de construire un tel bâtiment avec un architecte comme auteur. Les maîtres d’ouvrage se sont rangés de mon côté. Il est réjouissant de constater que dans une petite vallée de montagne, il y a des gens qui sont prêts à défendre un projet auquel ils croient. Quels rapports avez-vous en fait avec les matériaux ? L’architecture est quelque chose de tactile, quelque chose qu’il faut toucher. En architecture, les matériaux sont comme les notes pour les compositeurs. Je travaille avec les matériaux, je les apprécie tous. Ce qui est intéressant, c’est de faire sans cesse de nouvelles associations de notes et de parvenir à une sonorité spécifique. Et où puisez-vous vos inspirations ? Lire, parler, écouter de la musique. Dans les conversations aussi, car il faut repenser certaines choses quand une bonne question vous est adressée. Cela peut également être une source d’inspiration ou vous aider à y voir plus clair. J’apprécie aussi énormément mon mandat de professeur à Mendrisio. Au départ, je l’ai accepté pour des raisons financières, pour avoir un « moyen de subsistance », pour ne pas toujours vivre sans savoir de quoi demain sera fait. Je me suis toutefois rapidement rendu compte que c’est toujours une source d’inspiration, un défi. Les étudiants me donnent parfois des réponses très intéressantes aux problèmes que je leur pose. En fait, la vie toute entière est une source d’inspiration. J’apprécie la vie. Je suis capable de passer très rapidement d’un travail très concentré à un moment de loisir plein de gaieté.
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« L’architecture est un art sensuel, on l’appréhende avec les sens. Le mental entre
bien sûr aussi en jeu, mais en définitive, nous avons tous vécu des expériences
avec des constructions et donc, nous avons certaines notions préalables. Pour
moi, le plus important est cependant le savoir émotionnel, que l’on ne peut
pas toujours rationaliser ni solliciter, mais qui est tout simplement présent »
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Je suis un inventeur passionné et un constructeur
de maisons de qualité. Pouvoir construire des bâti-
ments harmonieux dans lesquels tout est en adé-
quation, et pas uniquement la façade, est plus im-
portant pour moi que devenir riche. Je ne cède rien
avant d’avoir le sentiment que c’est au point. C’est
davantage la façon de travailler et de penser d’une
personne qui compose un quatuor à cordes ou qui
écrit un livre. C’est l’auteur qui décide quand l’ou-
vrage est terminé, pas la maison d’édition.
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Constructions 2007 Bruder-Klaus-Kapelle, Wachendorf (D)
2006
Kolumba - Kunstmuseum des Erzbistums Köln
2005
Wohn- und Atelierhaus, Haldenstein (CH)
2002
Haus Luzi, Jenaz (CH)
2000
Schweizer Pavillon Expo, Hannover (D)
1997
Kunsthaus, Bregenz (A)
1996
Therme, Vals (CH) Spittelhof Siedlung, Biel-Benken (CH)
1994
Haus Truog Gugalun, Versam (CH)
1993
Alterssiedlung Masans, Chur (CH)
1990
Kunstmuseum, Chur (CH)
1988
Kapelle Sogn Benedetg, Sumvitg (CH)
1986
Atelier Zumthor, Haldenstein (CH) Ueberbauung archäologische Ausgrabungsstätte, Chur (CH)
1983 Schulanlage Churwalden (CH) Doppelwohnhaus Räth, Haldenstein (CH)
Constructions Expositions Distinctions
Distinctions 2010 Daylight Award, Switzerland
2009
Pritzker Architecture Prize
2008
DAM Preis für Architektur in Deutschland (for Kolumba, Art Museum of the Cologne Archdiocese) Praemium Imperiale, Japan Art Association Arnold W. Brunner Memorial Prize in Architecture, American Academy of Arts and Letters
2006 Prix Meret Oppenheim, Federal Office of Culture, Switzerland
2006
Spirit of Nature, Wood Architecture Award, Wood in Culture Association, Finland Thomas Jefferson Foundation Medal in Architecture, University of Virginia
2003 Laurea in Architettura Ad Honorem, Universiti degli Studi di Ferrara
1999
Grosser Preis für Alpine Architektur, Sexten Kultur, Südtirol Mies van der Rohe Award for European Architecture (for the Kunsthaus Bregenz) Barcelona, Spain
1998 Bündner Kulturepreis Graubünden, Switzerland Carlsberg Architectural Prize Copenhagen, Denmark
1996
Expositions 2002 Venice, La Biennale, VIII International Architecture Exhibition, group exhibition, «Next»
2001 Peter Zumthor – studio exhibition at the Kolumba in Cologne
1999
Peter Zumthor - Bilder av Hélène Binet, Arkitekturmuseet, Stockholm
1998
Chur, Bündner Kunstmuseum, touring exhibition, « The Architecture of Peter Zumthor in Photographs by Hélène Binet »
1997 Lucerne, Architecture Gallery
1996
Zurich, Architekturforum Venice, La Biennale, VI International Architecture Exhibition, group exhibition, « Emerging Voices » Augsburg, Architekturmuseum Schwaben Ljubljana, Dessa Gallery London, Architectural Association, School of Architecture
1995 Berlin, Aedes West Gallery New York, Museum of Modern Art, group exhibition, « Light Construction »
1994 Budapest, Chamber and Association of Hungarian Architects Austin Texas, University of Austin, group exhibition, « Construction Intention Detail »
Erich Schelling Prize for Architecture Karlsruhe
1991
International Prize for Stone Architecture Fiera di Verona, Italy International Architecture Prize for Neues Bauen in den Alpen, Sexten Kultur, Südtirol
1990
1995
1992 International Architecture Prize for Neues Bauen in den Alpen, Sexten Kultur, Südtirol
Biel, group exhibition, « Tabula Rasa, 25 Künstler im Stadtraum von Biel »
Lausanne, Federal Institute of Technology
1989
Graz, Linz, Innsbruck, Bolzano
1988
Lucerne, Architecture Gallery
1989
Heinrich Tessenow Medal, TU Hannover
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