Qu’il est délicieux de rompre le jeûne nocturne avec un jus d’oranges bien frais. Il m’a suffi d’ouvrir le frigo, saisir la bouteille de carton, verser le liquide doré dans un verre de cristal avant de le porter à mes lèvres purpurines. Et tout soudain, des mondes exotiques apparaissent. Le Brésil, les pyramides du Yucatan, les vergers de Floride… Et là, courbés sous le soleil, pour un salaire de quelques misérables piastres, de magnifiques paysans ne cultivent plus ce qui les nourrissait autrefois.
J’en imaginais ainsi, s’abîmant les mains en pulvérisant les pesticides qui nécessiteraient le port d’un masque à gaz, enfouissant les engrais chimiques qui stérilisent les nappes phréatiques et inscrivent sur la peau des oranges les noms des additifs interdits. Je voyais les usines qui fabriquent ces produits nécessaires à la culture d’oranges sans défauts, leurs fumées noires et leur odeur pestilentielle, ratures sur le monde.
J’entendais encore les chants traditionnels pendant la cueillette et le vrombissement des camions qui mènent les fruits vers les usines de fabrication du jus et les alambics fous qui produisent le concentré ; moins volumineux par définition, moins lourd par raison physique, moins cher à transporter par économie.
Je suivais dans les ports le chargement des énormes bonbonnes de jus hyper concentré sur de ventrus tankers réfrigérés. Je nageais à la suite des dauphins poursuivant le sillage gigantesque, tordu, déchiqueté par les hélices démentielles de ce que plus personne n’ose nommer un navire, sillage de bulles vides menant jusqu’à l’usine européenne qui dilue le concentré d’une eau purifiée et exempte de germes. Je vivais mille aventures et n’étais pas arrivé.
je vis soudainement une autre chaîne de misenpack, une autre encore de fabrication des contenants , une autre encore de préparation du carton nécessaire, une autre encore pour la mince feuille d’aluminium insérée prodigieusement dans l’épaisseur cartonnée, … et toutes ces chaînes me conduisaient à celles des tronçonneuses et des excavatrices qui abattaient les arbres papetiers et creusaient le sol à la recherche de l’orange bauxite.
Je vis également la noria des camions transportant les matériaux et les oranges vers leur destination industrielle. J’entendis longtemps le cri des accidentés sur les autoroutes encombrées. Je vis les autres usines utilisées pour fabriquer lesdits camions et les hôpitaux ultra perfectionnés qui recueillaient la chair à greffe. Je vis, en même temps et comme dans un songe, les enfants lointains des cueilleurs d’oranges se mourant d’infection faute de soins élémentaires de base et de quelques désinfectants bon marché. Je vis les dents carnassières et triomphantes des mandarins annonçant la grande première médicale.
Je vis encore les publicités dans les journaux et les télévisions et sur les affiches vantant les bienfaits vitaminés du nectar ainsi misenpack. Et de nouveau les arbres arrachés et le papier perdu. Je vis les usines de recyclage des packs et la diarrhée des enfants qui s’étaient gavés de ce jus. Je sentis l’odeur des gaz d’échappement et la fumée des cigares du patron de l’usine à visser les bouchons. Je brassai les mêmes bouchons récoltés par la bonne conscience pour soigner les lépreux orphelins.
Je vis encore les publicités dans les journaux et les télévisions et sur les affiches vantant les bienfaits vitaminés du nectar ainsi misenpack. Et de nouveau les arbres arrachés et le papier perdu. Je vis les usines de recyclage des packs et la diarrhée des enfants qui s’étaient gavés de ce jus. Je sentis l’odeur des gaz d’échappement et la fumée des cigares du patron de l’usine à visser les bouchons. Je brassai les mêmes bouchons récoltés par la bonne conscience pour soigner les lépreux orphelins.
Je lève mon verre de jus d’oranges et découvre dans mon verre de cristal toute la sueur et la douleur du monde. Dans mon verre de cristal.
Oeuvre publié sous license Licence Art Libre (LAL 1.3) Disponible en lecture libre sur: http://www. atramenta.net/ lire/voyagesautour-demon-verrede-jus-doranges/23839 mise en page par: Hervé-Léonard MARIE Travail réalisé dans le cours INFOGRAPHIE ET MISE EN PAGE du profil multimédia| Collège Jeande-Brébeuf