Plouf

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plouf U N

P A V É

D A N S

L E

C A N A L

Godin : l’utopie ouvrière à la casse ? p. 3

O c t o b r e - n o v e m b r e - d é c e m b r e 2 0 11 – G r a t ui t

BRUXELLES A MAL à son ventre

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LE CANAL une vision à contre courant

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UN EXERCICE : le pic du pétrole

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Une marina à Anderlecht ? Bientôt, Bruxelles n’aura plus à rougir des grands salons internationaux de l’immo-

bilier comme celui qui réunit chaque année à Cannes la fine fleur des promoteurs

venus de Chine, de Dubaï ou de Russie, en affaires sur le Vieux Continent. Depuis

peu, le salon Realty permet à notre personnel politique bruxellois de rencontrer

investisseurs et architectes dans un cadre décontracté et loin des oreilles malintentionnées. Malgré son aspect encore un peu provincial, ce salon semble avoir de beaux jours devant lui. Pour preuve, c’est à Realty que s’est déroulée la présentation exclusive d’un projet de marina (port de plaisance bordé de logements de luxe) en plein cœur d’Anderlecht. Notre MinistrePrésident, grand amateur de maquettes devant l’éternel, et le Bourgmestre d’Anderlecht sont venus contempler ce modèle réduit de la démesure architecturale. Une marina le long du canal Bruxelles-Charleroi ? Il fallait oser... Pour en savoir plus, rendez-vous en page 5. Plongez dans ce numéro pour connaître l’ampleur des projets actuellement à l’étude pour transformer radicalement le visage du canal et des quartiers qui l’entourent. ■ p. 5

Realty

Dépliez votre Plouf et comparez cette photo avec celle de la dernière page. Bon amusement !

À moins d’une demi-heure de trajet : 5 ans d’espérance de vie en moins RÉGION BRUXELLOISE Le saviez-vous ? Un enfant qui naît dans un quartier proche du canal vivra, en moyenne, 5 ans de moins qu’un enfant né à Boitsfort, Auderghem ou Woluwe.

Entre les quartiers populaires et les quartiers riches au sudest de la région, l’espérance de vie passe en effet de 76 à 81 ans. Une telle différence, 5 ans, est équivalente à l’écart

d’espérance de vie entre la Belgique et le Mexique ou le Venezuela, par exemple. Ici, le fossé se creuse entre des quartiers situés à quelques kilomètres seulement l’un de l’autre, dans la même ville, le même pays, avec le même régime de sécurité sociale. Quand on compare d’autres quartiers entre eux, la différence est plus faible. Comme entre Evere et Ganshoren, par exemple : un peu plus qu’un an d’écart. À l’inverse, quand on com-

pare les personnes de 30 ans, diplôme universitaire en main et habitant un des quartiers riches de Bruxelles, avec des personnes du même âge mais n’ayant qu’un diplôme du primaire et habitant au centreville, l’écart d’espérance de vie est encore plus grand qu’en moyenne : 6 ans et demi pour les femmes, et près de 8 ans et demi pour les hommes ! Voilà qui écourte singulièrement la retraite de certains... Suite en p. 2

À moins d’une demi-heure de trajet : 5 ans d’espérance de vie en moins... Ça fait cher le kilomètre...


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TENDANCES

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Suite de la p. 1

PRDéDé

1 500 morts en plus Avec de telles inégalités entre quartiers, les différences deviennent impressionnantes si on les exprime en nombre de décès.

Le canal a un nouvel ami

Face à ces chiffres, on n’a bien du mal à comprendre pourquoi les pouvoirs publics s’évertuent à vouloir vendre la zone canal à des promoteurs pour y attirer des populations aisées. Car ce n’est bien sûr pas comme cela que l’on rendra la scolarité et l’accès à la formation plus démocratiques, ni que les conditions de vie deviendront plus égalitaires. À moins que le calcul soit beaucoup plus cynique : attirer des riches et bien portants dans les quartiers populaires pour diluer les statistiques, et pousser tous ceux incapables d’y trouver un logement abordable d’aller mourir ailleurs... ■

RÉGION BRUXELLOISE « La partie centrale de la ville et la zone du canal constituent de nouveaux territoires attractifs qu’il faut promouvoir. » Voilà le nouveau credo des autorités régionales. C’est le plan censé organiser l’aménagement futur du territoire bruxellois – le « Plan Régional de Développement Durable » (PRDéDé) – qui l’affirme. Dès à présent, les messagers du gouvernement sont chargés d’aller partout où un tel signal politique résonne comme une prometteuse opportunité de business. Au Parlement régional, on pouvait aussi entendre récemment un Ministre-Président ravi de voir enfin se réaliser, après 20 ans d’attente, son « rêve », « celui d’optimaliser la zone du canal en l’articulant sur une mixité de fonctions » et de « briser cette frontière socio-économique qui balafre la Région ». Mais quel est ce « rêve », au juste ? Il est ici essentiel de ne pas se satisfaire de l’habituel concert de bons sentiments “durables”, “mixtes”, “densificateurs” ou “revitali-

Il l’a dit « N’importe quoi ! Vous parlez de la gentrification ? Dites-moi où elle se produit ? Il n’y a pas eu de mutation sociale grave à Bruxelles ! La rénovation a des effets bénéfiques ! La classe moyenne a des exigences supérieures. » (Charles Picqué, Ministre-Président de la Région bruxelloise, dans “Le Soir”, 20 octobre 2009)

J. Boone

En effet, si on imagine que l’ensemble de la population bruxelloise connaissait les mêmes conditions d’espérance de vie que les habitants des quartiers aisés, cela ferait près de 1 500 morts en moins chaque année dans la capitale ! À titre de comparaison, on compte une centaine de morts par homicide à Bruxelles. Donc beaucoup, beaucoup moins que la différence d’espérance de vie. Pour se faire une idée, disons que cela fait l’équivalent, tous les 20 ans, d’un tsunami comme celui du 11 mars au Japon. Mais un tsunami silencieux, sans responsables apparents, comme s’il s’agissait d’un phénomène naturel. Pourtant, les inégalités sociales n’ont rien de naturel, et profitent à certains groupes, pas du tout prêts à les voir remises en cause.

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sants”. Mieux vaut partir du fait que, à Bruxelles, les quartiers populaires sont installés depuis bien longtemps dans le bas de la ville, près des usines, de la rivière puis du canal industriel, alors que les classes dominantes ont toujours privilégié le haut de la ville, les avenues de prestige, les banlieues verdoyantes. Mais voilà qu’aujourd’hui la tactique change : voilà la “zone” du canal, c’est-à-dire, précisément, ces quartiers populaires centraux, devenus « potentiel à optimaliser », « territoires à promouvoir », « quartiers à densifier et à mixifier ». Les plus branchés parlent de prolonger “l’effet Dansaert” vers Molenbeek, Anderlecht, Laeken... c’est-àdire de faire basculer d’autres quartiers dans un environnement de commerces réservés à une élite, de lofts repliés sur eux-mêmes ou de projets utilisant les artistes à des fins spéculatives. L’expérience du quartier Dansaert est là pour témoigner des effets de cette manœuvre : loyers qui grimpent et habitants obligés de partir ou de payer plus cher pour rester, activités jugées pas assez “classes” poussées à déménager, comme des petites industries, des commerces de gros de fruits ou de carrelages, des ateliers de recyclage,...

Le PRDéDé construit ainsi un nouveau mythe : celui du canal comme solution ultime à tous les problèmes de Bruxelles. « Densifier la ville » ? C’est dans la “zone” du canal qu’il veut concentrer les efforts, alors même que ces quartiers sont déjà les plus densément habités de toute la ville. Et ce sont de nouveaux logements moyens ou haut de gamme dont il rêve, avec quais-promenades, terrasses vedettes, restos chics, “éco- ”quartiers Tour & Taxis... Pourtant, ce sont des logements abordables que la majorité des habitants en

place attendent. Le PRDéDé rêve aussi d’y installer des ménages stables, tous propriétaires, au risque d’anéantir le rôle de “porte d’entrée” dans la ville qu’offrent les quartiers populaires. Où s’installer, en effet, quand on est étudiant ou artiste fauché, immigré sans grandes ressources financières... ? La gentrification des quartiers populaires autour du canal n’est donc pas un phénomène “naturel”, hors de portée. Il n’y a pas de fatalité à son avancée, pas plus qu’à son recul – tout est question de choix politiques. ■

DÉFINITION La gentrification La gentrification désigne une façon particulière de rénover un quartier : d’un côté, embellir des rues, installer des commerces branchés, construire des nouveaux logements privés ou des bureaux,... et de l’autre, laisser grimper les loyers, ne plus construire de logements sociaux, pousser les petites entreprises ou les commerçants en place à partir. Au final, les quartiers sont rénovés, mais ce ne sont plus les mêmes populations qui peuvent y vivre. L’origine du mot vient de l’anglais gentry, qui désigne la “bonne société”, ceux qui ont les moyens et connaissent le “bon goût”. Parler de “gentry”-fication, c’est donc porter un regard critique et lucide sur les transformations en cours dans de nombreux quartiers, tout le contraire de termes enjoliveurs ou naïfs comme “renaissance”, “revitalisation”, “régénération”... ■

LES CONSÉQUENCES DE LA GENTRIFICATION

Je revitalise, nous revitalisons, ils s’en vont RÉGION BRUXELLOISE Louer un appartement ou une maison à Bruxelles quand on n’a pas de gros revenus devient de plus en plus compliqué. Selon la dernière enquête sur le montant des loyers payés par les Bruxellois, le constat est alarmant. Si l’on considère qu’il ne devrait pas représenter pour une personne seule ou une famille plus d’un quart du budget disponible pour le ménage, on constate qu’il faut être parmi les 20% les plus riches pour

pouvoir simplement louer plus d’un logement sur deux mis en location à Bruxelles ! Pour tous ceux dont les revenus sont moins élevés, trouver un logement dont le loyer est adapté à son budget tient du petit miracle... Depuis longtemps, c’est dans les quartiers qui bordent le canal que l’on trouve les logements les moins chers à Bruxelles, les loyers les moins élevés. Mais la pression immobilière s’accentue,

et les autorités publiques semblent bien plus pressées de « revitaliser » la zone pour y attirer de nouveaux habitants à revenus confortables qu’à aider les nombreux locataires aux revenus limités. La conséquence de ces choix, c’est que, pour un très grand nombre de locataires bruxellois, payer le loyer mange en réalité bien plus qu’un quart du budget chaque mois, laissant donc d’autant moins pour les courses, les loisirs, les vacances, le médecin,...

Ou alors il faut se résoudre à quitter le quartier... mais pour aller où ? Les communes de la zone du canal en dehors de Bruxelles, voire les villes du Hainaut semblent être les destinations obligées pour tous ceux à qui la “revitalisation” de Bruxelles enlève la possibilité d’y vivre. Les données et les études actuelles sur ces flux migratoires manquent. Et pour cause, qui s’intéresse à ceux qui s’en vont et vers où ils vont ? Pas nos institutions en tout cas qui ne s’empres-

sent pas plus d’être solidaires des régions d’accueil voisines. Ce manque d’intérêt pour la destinée de ceux qui sont obligés de partir, c’est un peu comme si on leur disait “bon vent !”, ou plutôt “bon débarras” ! ■ Observatoire des loyers 2010 /// www.slrb.irisnet.be /// www.ieb.be/plouf/lien1 Étude BrusselsStudies /// www.brusselsstudies.be /// www.ieb.be/plouf/lien2


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ALIMENTATION

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LES ABATTOIRS D’ANDERLECHT CHANGENT DE STANDING ?

Bruxelles a mal à son ventre ANDERLECHT Au cœur de Cureghem, chaque vendredi, samedi et dimanche, se déroule le plus grand marché de Bruxelles. On y trouve de tout et pour pas cher.

Derrière cette facette plus connue et visible, le site des Abattoirs d’Anderlecht continue aussi de fonctionner autour de ce qui constitue sa principale raison d’être depuis sa création en 1890 : les activités d’abattage et différents métiers de la viande.

Bernard Boccara

Plus de 100 000 Bruxellois ne s’y trompent pas et viennent chaque semaine s’y approvisionner en marchandises de toutes sortes, et plus spécialement en denrées alimentaires les plus variées. À mille lieues des quartiers d’affaires qui poussent comme des champignons dans notre ville, la foule qui sillonne les allées de ce marché populaire est une belle image de la fameuse multiculturalité déclinée à toutes les sauces dans les discours sur Bruxelles.

A priori, on ne voit aucune raison de mettre en péril l’avenir d’un tel site, fonctionnant en lien avec son environnement social et permettant de maintenir des activités économiques pourvoyeuses d’emplois “peu qualifiés” qui se font si rares de nos jours. Aucune ? Certains pouvoirs publics et capitaux financiers ne l’entendent pas de cette oreille et ont décrété que les Abattoirs allaient devenir leur nouvelle vache à lait. Pour eux, « les potentialités » de ce terrain de

10 hectares méritent mieux que les activités actuelles. Ils le verraient bien changer de standing pour devenir « une adresse internationale » susceptible de provoquer un basculement sociologique du quartier. Salivant à l’idée de profiter de la proximité du terminal Thalys et de l’Eurostar au Midi, ils rêvent d’attirer un public plus argenté. Pour eux, un abattoir et un marché populaire, ça ne fait pas très classe au cœur de la capitale de l’Europe...

La société privée qui exploite le site (et qui a été constituée dans les années 1980 par les bouchers qui voulaient sauver les Abattoirs d’une possible fermeture) pourrait bien céder à la tentation. Désormais dotée de subsides européens, elle s’est entourée d’urbanistes et de conseillers marketing qui semblent bien ancrés dans le moule de la pensée unique. Ils ont accouché d’un plan prévoyant d’y ériger d’ici l’an 2030 « un nouveau quartier » accueillant de nouvelles fonctions (commerces, bureaux, logements...) et dont le leitmotiv serait « Le ventre de Bruxelles ». Les premiers coups de pelleteuse sont prévus dans les prochains mois. À terme, les marchands ambulants seraient remplacés par des échoppes fixes et le marché populaire s’adresserait désormais « à l’élite ». Les abattoirs seraient déplacés d’abord dans un lieu moins central du site, voire hors de Bruxelles dans un second temps. Pour donner une coloration à leur projet, ses concepteurs ont importé le concept d’un bar à huîtres et à champagne

ouvert dans une halle industrielle récemment reconvertie à Lyon. Un symbole qui n’est pas pour déplaire à la Région bruxelloise, laquelle entend « redynamiser le commerce » dans cette partie de Cureghem en y « cassant l’image du quartier des bonnes affaires ». Alors, place aux mauvaises affaires ? Pas si sûr. En concoctant un plan basé davantage sur des fantasmes et une idéologie dominante que sur les réalités socio-économiques du site et de son environnement, les promoteurs du projet pourraient se rendre compte qu’ils ont eu les yeux plus grands que le ventre et faire un beau bide. D’autant que les habitants du quartier, les sociétés d’abattage, grossistes et autres marchands travaillant quotidiennement sur le site et qui n’ont pas été concertés sur son devenir, risquent de se rendre compte du tour de cochon qu’on est en train de leur jouer. Pour le « nouveau quartier » censé pousser aux Abattoirs, cela pourrait constituer un coup... vache. ■

SITE DES ANCIENNES POÊLERIES GODIN

Un centre commercial va-t-il envoyer l’utopie ouvrière à la casse ?

Godin fabrique des poêles en fonte qu’on lui copiera mille fois. Il établit une première poêlerie en France à Guise et cela réussit. Frappé par la dureté de la condition ouvrière, l’impossibilité d’avoir un logement décent et l’absence d’hygiène, il développe le principe de la coopérative de production. Chaque travailleur est membre de la “Société du Familistère” : les ateliers sont complétés par du logement, une école,

Le site Godin en 1930... un lavoir, un potager... Un homme égale une voix, et on partage les plus-values... Après Guise, il souhaite s’implanter à Bruxelles. Il fait acheter un terrain au bord de la Senne et du canal de Willebroeck. Bruxelles, à l’époque, est un bouillon de culture et d’échange d’idées. Les ouvriers sont très bons et la clientèle n’est pas loin. Il récupère ainsi une ancienne teinturerie de 1829. Le canal achemine charbon et métaux, la Senne, de l’eau. Le train

Equilis/Mestdagh

On est en 1888, en plein roman de Zola pour ce qui est des conditions de travail et de vie de la classe ouvrière de l’époque.

Familistère de Guise

LAEKEN C’est dans le nord de Bruxelles, le long du canal et face au Palais Royal que Jean-Baptiste Godin a bâti un Palais appelé Familistère pour le logement de ses travailleurs.

Et le projet actuel “Just Under the Sky”. entre dans l’usine. Le familistère est construit trente ans après l’usine. Il ne s’explique que par l’usine ! Cent trente ans plus tard, ces ateliers dessinés par lui existent toujours, pas si dégradés que certains le laissent entendre. Ils sont d’une valeur patrimoniale exceptionnelle aux portes de la capitale, reconnus par tous les experts internationaux. Ils sont utilisés pour le recyclage des pneus et le désossage des voitures accidentées. Les pièces

alimentent le marché bruxellois mais surtout les pays de l’est et l’Afrique. Activité plus durable et solidaire que cela, tu ne peux pas ! Alors voilà que la Région et la ville disent n’avoir rien à faire avec ces vieux machins qui rappellent de vieilles idées : la solidarité, la coopérative même si de par le monde on y revient à pas forcés. Un joli centre commercial de 50 000 m 2 donnera bien meilleure figure au canal. Exit l’utopie et le bouillon-

nement d’idées. Bruxelles veut des temples du commerce et de loisirs, comme partout ailleurs. Et tant qu’à faire, créons de toute pièce une clientèle de choix en plantant juste à côté des logements de luxes. Et tant pis s’il faut pour cela chasser le marché matinal qui alimente l’horeca et les épiceries de Bruxelles. L’industrie à la casse, le fun-shopping c’est la classe ! ■ /// http://godinlaeken.blogspot.com /// www.bruxellesfabriques.be


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STANDING

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UN PROMOTEUR AU BRAS LONG

Atenor ne perd pas le Nord ! RÉGION BRUXELLOISE Oyez, oyez, bonnes gens, réjouissez-vous : l’immobilier a bon vent... N’estce pas là un stimulant économique, une cure de vitamines pour la ville ? Mais pour quelle ville ? Le groupe de promotion immobilière Atenor l’a bien compris. Côté en bourse et principalement actif à Bruxelles, il y construit des hectares de bureaux et de logements haut de gamme dans différents quartiers, et déborde d’attention pour les rives du canal. Le projet “Up-Site” va sortir de terre en face de Tour & Taxis, pas moyen de le rater : ce sera la plus haute tour de logements de Bruxelles... Mais

qui pourra se payer un de ses superbes appartements ?

Il l’a dit

Pour assouvir ses appétits démesurés, Atenor a pu compter sur le soutien de la Ville de Bruxelles qui lui a confectionné sur mesure un plan d’aménagement du sol. Avenue Fonsny, près de la gare du Midi, Atenor a revendu les bureaux qu’il a récemment construits... avec de plantureux bénéfices, même si le quartier a été saccagé depuis le début des années 90 et ses habitants malmenés par les pouvoirs publics et souvent expropriés à bas prix. De l’autre côté de la gare, les groupes Atenor et CFE caressent de grandes ambitions

« Alors, projet de luxe ? Non, il est clair que l’on s’adresse à un public aisé, mais je dirais plus haut de gamme et surtout destiné à encourager la mixité dans le quartier. » (Stéphan Sonneville, Administrateur-délégué du groupe Atenor, à propos de la tour “Up-Site”, dans “L’Echo”, 28 mai 2008) immobilières sous le nom de code “Victor”. Ce nouveau projet, avec ses trois tours de bureaux et sa mini-tour de

40 millions d’euros pour éviter un procès Selon “De Tijd”, le groupe de promotion immobilière Atenor est impliqué dans un dossier de fraude de plusieurs millions d’euros dans lequel sont aussi impliquées une vingtaine d’autres entreprises belges. Pour échapper aux poursuites pénales, la

Société générale de banque, au cœur de cette fraude, a versé 40 millions d’euros au ministère public (fisc et parquet). Une nouvelle loi permet en effet aux criminels en col blanc de racheter leur

procès. Ils ne doivent même plus comparaître en justice ! C’est comme au Monopoly, les gros portefeuilles évitent la case prison. Avec un tel montant, les pouvoirs publics pourraient construire... 350 logements sociaux. ■

logements, est une fois de plus complètement déconnecté des besoins de Bruxelles. Ici encore, une modification préalable des plans et réglementations d’urbanisme censés garantir l’équilibre entre les différentes fonctions (logement, bureau, commerce, hôtel...) a été nécessaire. Les communes d’Anderlecht et de Saint-Gilles se sont acquitté de cette petite gymnastique administrative sans rechigner. Manifestement, il ne se trouve personne au sein des pouvoirs publics pour couler les ambitions spéculatives d’Atenor.

Il n’y a donc pas de raison que ça cesse. Au quartier de la Petite Île à Anderlecht, Atenor vient d’acheter un terrain industriel de plus de 5 hectares qui nécessite lui aussi un coup de baguette magique (ou politique) pour se transformer en zone d’habitat... Les lois, on les utilise à l’endroit ou à l’envers selon les occasions, on se demande parfois à quoi ou à qui elles servent. C’est sûr, Atenor ne perd pas le Nord... Mais, c’est à Bruxelles qu’il fait du tort ! ■

LA SNCB SPÉCULE ?

CHIFFRES

Quartier Midi: plus dure sera la chute

du jour

83 millions

C’est le bénéfice en euros estimé du groupe Atenor lorsqu’il aura vendu les logements de luxe et les bureaux de sa tour “Up-Site”.

50 000 m2

C’est la surface connue de bureaux ou de logement de luxe en projet du groupe Atenor en région bruxelloise.

55 m2

C’est le nombre moyen de mètres carrés occupé par un ménage habitant dans la zone du canal.

A l’achat d’un appartement, ATEMUR vous offre un magnifique set de rouleaux de papier peint * * Offre valable jusqu’à épuisement du stock

SAINT-GILLES / ANDERLECHT Verra-t-on bientôt pousser un gigantesque immeuble en “V” d’une hauteur de 120 mètres par-dessus les quais de la gare du Midi ? La SNCB caresseraitelle le doux espoir de créer la première piste d’atterrissage pour les objets volants non identifiés qui rêvent de venir visiter la capitale de l’Europe ? Quelle autre explication pourrait justifier une proposition aussi mégalo et déplacée pour un quartier qui a déjà tellement souffert des ambitions de nos pouvoirs publics et de la spéculation immobilière qui en a découlé ? Au-delà d’un “geste architectural”, c’est avant tout une affaire de gros sous qui motive la SNCB, décidément plus encline à s’occuper d’immobilier qu’à offrir un service de qualité aux usagers des chemins de fer. Alors que 300 000 m2 de bureaux ont été construits ces 20 dernières années dans le quartier Midi, la SNCB projette d’y ajouter... 250 000 m2 de bureaux neufs. Auxquels s’ajoutent les

100 000 m2 de... bureaux, du projet “Victor” d’Atenor. À titre de comparaison, seulement 2 000 m2 de logements neufs sont prévus dans le quartier (également dans le projet “Victor”). À l’heure où l’on dénombre 1,6 million de m2 de bureaux vides à Bruxelles, et où la construction de près d’un million de m2 de nouveaux bureaux est déjà prévue

dans d’autres parties de la ville (quartier européen, Nord, Tour & Taxis, Meiser, Delta...), c’est à se demander si nos planificateurs régionaux savent calculer. S’il y a encore un pilote dans l’avion, il a intérêt à bien manœuvrer pour éviter le crash. ■ /// www.quartier-midi.be Comité de défense de Saint-Gilles /// www.ieb.be/plouf/lien3


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LIFE STYLE

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UN GHETTO DE RICHES À BIESTEBROECK ?

Du rêve au piège en eaux troubles ANDERLECHT Lorsque Philippe De Bloos, architecte bruxellois et promoteur en herbe, a présenté son projet “Les Rives”, on a d’abord cru à une blague. Imaginez un peu : transformer une partie du canal à hauteur de Cureghem en ghetto de riches, avec logements de luxe emballés dans des grands gestes architecturaux, un amas de yachts à leurs pieds, des canaux, du soleil et de l’air pur... et aucune péniche à l’horizon ! On nous disait qu’il ne fallait pas prendre tout ça au sérieux. Un vrai rêve pour bourgeois branchés, qui transformerait Bruxelles en croisette digne de Cannes, où l’on porterait son petit polo décontracté au soleil le dimanche. C’est tellement gros qu’on a envie de rire, on s’imagine les riches investisseurs sur des terrains pollués par le pétrole regardant passer des yachts, les pieds dans l’eau trouble du canal, sous une belle petite drache nationale. Verra-t-on un jour ce projet mégalomane se réaliser ? Sans doute pas sous la forme qui a été rendue publique pour l’instant. Mais le pari de l’architecte-promoteur risque néanmoins d’atteindre son but, qui est de déclencher les imaginations et l’intérêt des promoteurs immobiliers pour le quai de Biestebroeck. La

Au conseil communal, certains s’inquiètent de voir ce plan directement téléguidé par une société privée... On devinera vite laquelle. Ce ne serait d’ailleurs pas la première fois qu’un plan lui serait offert “sur mesure” (voir article “Atenor ne perd pas le Nord” en p. 4) pour ses rêves de grandeurs, de grands gestes, et autres logements d’hyper luxe durable (hé bien oui, c’est “durable”... quand on est riche, en général, c’est pour longtemps). Le bourgmestre assure que rien n’est encore décidé et que la maîtrise de la destination du site est dans les mains de la commune. À la Région, on nous dit qu’il ne faut pas diaboliser le privé dont l’action est utile tant le métabolisme du secteur public est long à se concrétiser. De quoi nous rassurer ! marina est un produit d’appel, un ballon d’essai qui vise à “faire rêver”, à délier les imaginaires et les bourses, bref, à préparer le terrain. Et de fait, le groupe Atenor s’est déjà porté acquéreur d’une partie de la zone pour y développer un projet appelé “City Docks”, d’autres transactions seraient en train d’être menées sur des terrains voisins, tandis que la commune d’Anderlecht s’est lancée

dans l’élaboration d’un plan afin de requalifier le périmètre et probablement d’en ôter les industries urbaines qui s’y trouvent... Les projets architecturaux à peine sortis des cartons, voilà que tous les regards se tournent vers ce quartier. Sans doute l’appétit ouvert par de si jolies petites maquettes. La commune rêvet-elle de “revitaliser” le quai de Biestebroeck en y créant un ghetto de riches ?

La mollesse des politiques et leur incapacité à construire pour leurs habitants d’autres rêves que ceux des promoteurs laissent pantois. Ils rêvent de l’Eldorado, un pays imaginaire remplit de trésors, et pendant ce temps, ils dilapident les richesses de la ville, gaspillent les réserves foncières autour du canal, sacrifient sa fonction de bras fluvial et chassent ceux qui y avaient trouvé refuge. ■

LES FINANCES DE BRUXELLES

Les promoteurs spéculent, la Région encourage... et les habitants trinquent ! RÉGION BRUXELLOISE Ce n’est qu’en 1989 que la Région bruxelloise est enfin créée, une Région-Capitale aux pouvoirs limités par rapport aux Régions flamande et wallonne créées 10 ans plus tôt. Bruxelles est la seule Région à être financée majoritairement avec des recettes propres.

Ce sont ces mécanismes de financement imaginés à l’époque qui font depuis la joie des promoteurs immobiliers actifs sur le territoire bruxellois. Selon l’accord de 1989, l’Etat fédéral finance majoritairement la Wallonie et la Flandre mais Bruxelles n’a qu’à se débrouiller en taxant les transactions immobilières !

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Résultat : pour survivre et prélever le plus de taxes possibles sur les transactions, Bruxelles a tout intérêt à voir se construire sans arrêt de nouveaux bureaux. En cela, la Région reproduit au quartier européen et au quartier Midi ce qui se faisait en son temps au quartier Nord. Dans cette affaire, tout le monde y gagne... sauf

les habitants. Une autre façon de faire rentrer les sous dans les caisses, c’est d’attirer en ville des habitants qui gagnent bien leur vie, avec une marina ou une tour de luxe au bord du canal. Dans ce cas-là, la majorité des habitants trinque : ils sont forcés d’aller s’installer ailleurs, souvent bien au-delà des limites de la Région. ■

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STYLY LIFE THE ONLY ADDRESS IN BRUSSELS FOR REALLY STYLY LOFTS

Il l’a dit « En direction d’Anderlecht, plus de quartiers glauques où les enfants jouent dans des cages mais des quartiers où des familles à revenus moyens auront envie d’habiter. C’est la raison pour laquelle l’industrie et le port doivent se retirer quelque peu en direction de Vilvorde. » (Pascal Smet, ancien ministre du gouvernement bruxellois, dans “Een stad, een visie – Une ville, une ambition – One city, one future”, 2009)

Il l’a dit « Jusqu’à une époque pas si lointaine, le canal n’était rien d’autre qu’une blessure qui s’affichait sur les cartes d’Anderlecht, telle une immense balafre. (...) Une zone stratégique comme celle du bassin de Biesterbroeck devrait absolument pouvoir se développer au travers de l’exécution de projets urbains ambitieux. (...) Le quartier du Bassin de Biestebroeck a lui aussi besoin d’être totalement repensé, revu et corrigé pour mieux pouvoir le rentabiliser et le rationaliser. Cet endroit n’est pas aménagé en fonction de ce qu’est une ville moderne. » (Gaëtan Van Goidsenhoven, Bourgmestre d’Anderlecht, “Journal Kanal“, avril 2009)

CHIFFRES du jour

37 000

C’est le nombre de familles inscrites sur les listes d’attente du logement social à Bruxelles.

386

C’est le nombre de logements sociaux régionaux produits à Bruxelles entre 2000 et 2010.

95%

C’est la proportion des logements moyens ou haut de gamme dans le total des logements neufs construits à Bruxelles depuis 2000.


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CARTE BLANCHE

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Le canal, une vision à contre-courant On nous dit que le canal est en pleine transformation, que ses riverains n’ont pas le choix et doivent se préparer à devenir un nouveau centre ouvert sur le monde, que les quartiers vont être transformés, revitalisés et vont attirer de nouveaux habitants.

Cette transformation n’est pas une fatalité Pour transformer, il faut des financements, des règlements, des lois, des plans de développement, etc, qui sont le fruit de politiques publiques. Derrière la volonté de « rénover » la ville, il y a aussi la volonté de transformer le profil des personnes qui y vivent, de donner la place aux jeunes consommateurs, aux touristes, aux fonctionnaires internationaux et à la cohorte des lobbyistes. Alors, on recycle les friches industrielles en logements de luxe pour riches emmurés, déconnectés du tissu urbain et social existant. C’est plus rentable pour le promoteur et c’est plus profitable aussi pour refinancer une Région trop petite. De cet argent, bien peu retourne au catégories sociales les plus défavorisées. Sous prétexte de “mixité sociale”, on installe des ghettos de riches dans les quartiers populaires. Plutôt que d’augmenter les revenus des Bruxellois les plus pauvres, on tend à les remplacer par des plus riches, ce qui, en tout cas sur le papier, paraît plus simple...

triel et productif qui est aussi un réservoir pour des emplois peu qualifiés. Le canal avec ses quais et son foncier a été créé dans un cadre industriel, il reste donc particulièrement adapté au redéploiement de nouvelles activités économiques (recyclage, réparation, transformation) dans un processus de réindustrialisation ouvert sur la ville et ses habitants. Si les pouvoirs publics continuent à le sacrifier au profit d’une poignée de nantis, face au pic du pétrole qui se profile, nous n’aurons alors plus d’alternatives à l’esclavage de l’autoroute béton et au trafic incessant.

Défendre le logement pour tous Il ne s’agit plus, aujourd’hui, de défendre seulement le logement contre le bureau ou l’environnement de la ville contre l’envahissement de la circulation automobile. Il est maintenant nécessaire de défendre un logement accessible à tous dans un environnement sain contre un logement de luxe dans un paysage urbain conçu comme un décor. Les grandes visions fantasmatiques pour un avenir radieux font monter les prix de l’immobilier et en conséquence le prix de la location. Ces grands projets ambitieux dénaturent l’espace urbain en organisant le départ d’habitants mis dans la situation de ne plus pouvoir payer les nouveaux loyers. Les propriétaires deviennent toujours plus exigeants, ils réclament

des fiches de salaires et vérifient les contrats de travail des candidats. Face à cette forme douce d’exclusion sociale, il faut pouvoir défendre le droit à la ville pour tous dans un environnement sain.

péennes, le Bruxelles industriel et productif s’est progressivement transformé en une ville d’affaires et de bureaux.

chers. Et comme les marchés mondiaux se transforment, de nombreuses industries partent à la recherche d’une main-d’œuvre meilleur marché. Les anciennes usines deviennent des friches, dont personne ne s’est occupé pendant longtemps. Au fur et à mesure que les entreprises de bureaux s’installent à Bruxelles, l’emploi ouvrier se fait de plus en plus rare et n’est que partiellement compensé par de nouveaux emplois de service aux entreprises, comme le nettoyage ou la livraison de colis.

Défendre les quartiers populaires Les quartiers populaires autour du canal le sont précisément car ils restent accessibles aux plus pauvres, ils permettent à chacun de préserver un droit au logement au cœur de la ville et ils donnent accès aux services que seule elle peut offrir au moindre coût. Cela nécessite des politiques qui permettent de contrôler les loyers et la qualité des logements, des politiques qui permettent à chacun de se loger dans un environnement urbain adapté aux besoins de

tous avec des crèches, des écoles, des espaces verts, des lignes de transport en commun, des espaces culturels et de détente, des commerces de proximité, des politiques qui donnent accès au travail pour tout le monde, des politiques qui organisent et considèrent le droit à la parole des populations urbaines les plus démunies face aux enjeux incertains de la métropolisation des territoires. Défendre une économie urbaine redistributive Depuis les années 70, Bruxelles a développé une économie de services et de finances qui couvre le territoire de bureaux en attirant l’investisseur et l’homme d’affaires. En favorisant presque exclusivement cette tendance, Bruxelles tourne le dos au secteur indus-

Bruxelles vaut mieux qu’un canal aux alouettes Bruxelles a la chance d’avoir un canal pour transporter des péniches au moindre coût, pour rédévelopper un nouveau secteur industriel et pour loger une population ouvrière à proximité du travail. Elle est une des rares grandes villes européennes où les quartiers populaires ne sont pas relégués dans de vagues périphéries, mais situés au cœur du tissu urbain. À la lumière des crises financières à répétitions, au moment où le thème de la réindustrialisation de l’économie reprend une nouvelle vigueur, nous transformerions notre ville en maquette pour promoteurs extasiés, en métropole miraculeuse pour homme d’affaire désorienté ! Nous rejetons avec force ce destin qui n’a pas d’avenir. ■ ● Inter-Environnement Bruxelles /// www.ieb.be

HISTOIRE La zone du canal est en pleine transformation. Ces mots sont censés tinter joyeusement à nos oreilles comme l’annonce d’un avenir radieux pour un territoire jusque-là oublié. Pour Inter-Environnement Bruxelles, ces mots sonnent au contraire comme un message de mauvaise augure. Sous les projets dorés de lofts et de marinas qui se reflètent dans l’eau du canal, se cache un projet de destruction lente des quartiers populaires et de leurs habitants, un projet de dualisation massive au nom de la mixité sociale, une perte de maîtrise de la ville sur le canal comme mode de transport de marchandises. Depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, et comme dans bien d’autres villes euro-

Les années 70, la fuite des classes moyennes Les classes moyennes ont fuit le centre de la ville, pour aller vivre dans des villas en périphérie. Dans de nombreux quartiers, le logement a disparu au profit des bureaux et des autoroutes urbaines et les habitants, en tout cas ceux qui en ont les moyens, ont plié bagages. C’est ce qu’on appelle l’exode urbain. Ceux qui restent luttent pour pouvoir continuer à vivre en ville et défendent le logement contre l’invasion des bureaux. Les années 80, moins d’emploi ouvrier L’industrie, également, quitte la ville, à la recherche de plus d’espaces, moins

Les années 90, les caisses se vident Le chômage augmente fortement. Et à peine créée, la jeune Région voit ses recettes fiscales diminuer. Les dirigeants de la Région cherchent à compenser ces pertes : en favorisant des

opérations immobilières rapportant des taxes mais aussi en essayant de maintenir à Bruxelles des habitants issus des classes moyennes ou en essayant d’attirer les plus riches. Gentrification Dès les années 90, le phénomène qu’on appelle “gentrification” se met en place : sous les efforts combinés des pouvoirs publics et des promoteurs immobiliers, les espaces publics des quartiers centraux où habitent une population désargentée se rénovent, de nouveaux habitants s’installent. Peu à peu, quartier par quartier, cette rénovation provoque une augmentation des loyers au détriment des plus faibles, en premier lieu des locataires. On assiste à une crise du logement et les files pour accéder au logement social

s’allongent. Le phénomène commence à Ixelles, puis part vers Saint-Gilles pour se propager suivant un “front” qui atteint aujourd’hui la zone du canal. Une ville qui exclut Aujourd’hui, les quartiers qui bordent le canal aiguisent l’appétit des promoteurs. De nombreux terrains industriels sont libres, en attente d’une nouvelle affectation et les promoteurs dessinent leurs projets avec la bénédiction des pouvoirs publics. Marina, hôtels de luxe, lofts par-ci et par-là, tours de logements chics, projets de centres commerciaux... ces projets, qu’ils se réalisent ou pas, participent à fabriquer une nouvelle image de Bruxelles, un Bruxelles de moins en moins accueillant pour ce qui constitue l’essentiel de ses habitants. ■


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DÉBAT

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LE CANAL, UNE VOIE D’AVENIR POUR BRUXELLES

Et maintenant un exercice : le pic du pétrole chaque jour. Forcément ça ne peut pas durer.

Quand vous discutez de Bruxelles avec votre voisin, de quoi parlezvous ? Du marché du coin peut-être, de la voisine, des platanes, de ces “biesses” de politiques, de l’urbanisme, des embouteillages, enfin bref de tout ce qui peut faire la vie de la ville sans doute. Alors maintenant, un petit exercice pour se dégourdir les neurones. Bruxelles sauce pétrole Penchez-vous sur votre ville, Bruxelles, et identifiez toutes les situations où le pétrole y est nécessaire. Exemples : à Bruxelles il faut du pétrole pour... construire des maisons, des écoles, des bureaux, des commerces (le ciment, le béton, les camions), pour chauffer ces bâtiments (le fioul), pour se déplacer (voiture, bus, pétrolette). Il faut aussi du pétrole pour s’habiller puisqu’on ne produit pas de textile et qu’il faut bien l’amener jusqu’ici (par camion) et que d’ailleurs la plupart des textiles contiennent de nos jours des dérivés de pétrole comme le nylon. Il faut aussi du pétrole pour manger parce que la capitale importe pour ainsi dire toute sa nourriture et que l’agriculture européenne consomme 10 calories d’énergie fossile pour produire une calorie alimentaire (fertilisants, pesticides, machines, transport, etc). Pour travailler, il faut toujours du pétrole : pour faire tourner les usines ou construire les ordinateurs, par exemple. Penchez-vous bien sur votre ville, vous verrez que, bien que l’on ne le voit pas et que l’on en parle peu, le pétrole y est partout. Pourtant il y a un hic, pardon, un pic.

Comme le monde entier continue de vouloir toujours plus d’or noir, forcément les prix vont monter, beaucoup. Forcément ensuite, il n’y en aura plus assez pour tout le monde, et des pénuries apparaîtront donc. La nature ne fait pas de sentiments, c’est bien connu ? Comment va-t-on faire à Bruxelles, où le pétrole est partout ? Il est plus que temps de se préparer, en commençant par croire à ce que l’on sait, c’est-à-dire à ne plus nier l’évidence de l’absence d’avenir d’une ville qui repose sur le pétrole. Concrètement, quelles solutions ? Impossible de construire une ville nouvelle sur l’ancienne ni de changer toutes les voitures, encore moins d’espérer remplacer le pétrole par une solution miracle parce qu’il n’y en a pas.

Les productions cumulées de tous les gisements de pétrole prennent la forme d’une courbe en cloche dont le sommet représente le pic du pétrole. Pour les pétroles conventionnels, ce pic a été franchi en 2006. (Source : article Pic pétrolier de Wikipédia en français)

Croissance, pic, décroissance Que ferait-on si le pétrole devenait hors de prix ou s’il venait à manquer ? Pour se faire une idée, il suffit de relire la rapide énumération ci-dessus et considérer que ces actions deviennent trop chères, voire impossibles, par manque de carburant. Eh bien si ça n’est pas encore le cas, sachez que ce scénario qui n’est pas de tout repos va devenir réalité bientôt. On n’en parle pas trop à la radio à la télé et dans les journaux remplis de pub pour les voitures, mais c’est un fait : nous arrivons au moment où le

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pétrole pas cher et abondant, c’est fini. Ce sont les géologues qui nous l’expliquent, le pic du pétrole n’est pas devant nous, nous l’avons déjà franchi, et ce, depuis 2006 (voir schéma). Késako ce pic ? C’est le moment où la production de pétrole au niveau mondial a atteint son maximum et commence à décroître inexorablement parce que les gisements s’épuisent et ne sont pas renouvelables à l’échelle du temps humain. L’exploitation industrielle de l’or noir a commencée il y a environ deux siècle, aujourd’hui l’humanité brule 87 millions de barils de 159 litres de brut

Ce que l’on peut faire, par contre, c’est nous organiser pour augmenter notre aptitude collective à résister à un choc puis à rebondir. Les solutions sont aussi nombreuses que les problèmes à venir, elles passent à coup sûr par la solidarité et la construction de la ville avec l’ensemble de ses composantes. Exemples: faire pousser des légumes et des arbres fruitiers partout en ville, cultiver à nouveau la tradition du jardin ouvrier et réserver une ceinture verte autour de Bruxelles pour remplir trois fois par jour plus d’un million d’estomacs. Lutter pied à pied contre la bagnole qui est non seulement un désastre social et écologique mais en plus un obstacle aux solutions que sont les potagers et les trams notamment. Et la question des transports est de tout évidence cruciale, ne fût-ce

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que parce qu’une ville autosuffisante est une absurdité théorique et qu’il faut donc assurer des échanges avec l’extérieur. Canallons ! De ce point de vue, le canal et le port de Bruxelles, c’est l’avenir: une liaison par voie d’eau qui permet d’acheminer personnes et biens à des coûts énergétiques nettement moindres que par voiture et camion, c’est précieux. Une grande péniche comme celles qui naviguent sur le canal permet de retirer de la route jusqu’à 200 camions à charge pleine et d’éviter ainsi des tonnes de rejets de CO2 dans l’atmosphère. En tenant compte que bon nombre de camions roulent à vide pour une partie de leur trajet, ce sont près de 540 camions qui sont évités grâce à un seul bateau. Imaginez les centaines de milliers de poids lourds que l’usage du canal permet d’éviter sur les routes de Bruxelles... Reconnecter le port au réseau ferré local permettrait d’assurer un nœud de communication et d’échanges résistant à la nouvelle donne énergétique. Le pic du pétrole, c’est le retour du canal vers le futur. Et c’est maintenant que ça se passe comme vous l’avez lu dans votre “Plouf” : pas question de laisser le canal et ses berges être confisqués par une alliance entre les pouvoirs publics et une clique de promoteurs-bétonneurs qui ne visent que la rentabilité immédiate. Leur représentation fossilisée d’un monde qui se termine sans qu’ils ne le sachent encore ne peut pas rester le moteur de la politique bruxelloise. Tous au canal ! On veut des bateaux, des trains, des potagers, de nombreux accès publics. Voilà donc le dernier exercice, pratique, de ce court article : à l’abordage ! ■


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RIVE GAUCHE

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AVENUE DU PORT

Sous les pavés, il n’y a pas que les platanes...

Le projet de la Région bruxelloise auquel s’opposent les habitants n’est pas sans rappeler l’urbanisme des années 1960 qui a défiguré de larges parties de Bruxelles : une conception fonctionnaliste de la ville, pensée par des ingénieurs et privilégiant avant tout la voiture, le camion et le transit des navetteurs. La manière autoritaire dont la Région a voulu imposer son projet, sans tenir compte de l’avis des habitants et de leurs contre-propositions, est aussi une réminiscence de cette époque qu’on pouvait penser révolue.

Mais si l’on examine le projet régional de bétonner l’avenue du Port dans un contexte plus large de “requalification” des abords du canal, la motivation des pouvoirs publics apparaît sous un autre jour. Depuis quelques années, ceux-ci multiplient les projets de rénovation d’espaces publics le long du canal, dans une optique qui vise plus à faciliter les projets immobiliers spéculatifs que l’amélioration de la vie des habitants actuels. L’avenue du Port, initialement conçue pour fonctionner en lien avec le Port de Bruxelles, a été laissée à l’abandon pendant de longues années. Plutôt que de la rénover, la Région souhaite rendre cette artère plus “propre” en y coulant du béton. Une façon de ménager les amortisseurs des berlines pour favoriser l’accès vers le futur “nouveau quartier” de Tour & Taxis et les méga-centres commerciaux prévus au Heysel et sur le site des anciennes poêleries Godin, et de concrétiser le concept d’un “nouveau centre-ville” élargi à la zone

Laurent Bajart

LAEKEN Le projet de bétonnage de l’avenue du Port a réussi à susciter contre lui une impressionnante mobilisation, souvent présentée comme un combat de défenseurs des pavés et des arbres. Mais peut-on vraiment réduire l’affaire dite “des platanes” à cela ?

centrale du canal... Autant de raisons qui justifient aussi de prendre les pavés contre ce projet colonisateur. Prolonger la réflexion, et l’action ! Depuis 2008, habitants et associations n’ont pas ménagé leurs efforts pour montrer de quel bois ils se chauffent. Ils ont opposé à ce projet une autre vision de la ville, issue de leurs expertises cumulées et fruit d’une intelligence collective. À l’arrivée, ils ont proposé un projet moins cher,

respectueux du patrimoine et de l’environnement, et qui permet l’aménagement d’une piste cyclable. Cette proposition a rencontré un grand succès auprès de nombreux Bruxellois. Dans la foulée, on a également vu naître la proposition de créer une coopérative d’économie sociale qui permettrait la formation à la pose traditionnelle des pavés et la création de 40 emplois locaux. Un premier pas intéressant que les 8 500 signataires de la pétition n’auraient sans doute pas renié.

Cette mobilisation ne s’explique donc pas uniquement par la volonté de préserver des arbres et du patrimoine, mais se ramifie plus largement à des enjeux sociaux, environnementaux, de mobilité... Reste que la réflexion mérite certainement d’être prolongée et davantage élargie notamment aux problématiques sociales (logement, gentrification, emploi...) sur l’ensemble du quartier Maritime et des quartiers proches du canal. Ainsi, la question du maintien des activités productives et industrielles sur les quais du canal se pose avec urgence : si on ne s’en préoccupe pas aujourd’hui elles auront purement et simplement disparu dans quelques années à peine, pour faire place à des nouveaux quartiers lisses et aseptisés, réservés à une catégorie aisée de la population. Espérons donc que “l’affaire des platanes” permette de semer les germes d’un mouvement à la base sociale et aux préoccupations plus larges. ■

PORTE DE NINOVE

Adieu Molenbeekois, bonjour bourgeois ! Le leader incontesté sur le marché des projets lofts à Bruxelles... De nombreux lofteurs en a�estent !

Ce�e semaine, Mercurator vous propose un splendide loft de 1200 m² à l’intérieur d’une ancienne brasserie avec vue sur le canal, dans un quartier aujourd’hui encore populaire mais qui subira bientôt une transformation complète. Soyez un pionnier ! Situé à quelques centaines de mètres de la gare internationale du Midi. En un rien de temps, vous vous télétransporterez au centre de Bruxelles, de Paris ou de Londres. Un garage privatif et verdoyant accessible par télécommande d’ouverture à distance vous évitera tout contact inutile avec le quartier. Chauffage gaz au sol. 1 chambre. 3 salles de bains. 4 façades. Très lumineux. Grande terrasse privative sans vis-à-vis. Vue panoramique sur le sud de Bruxelles. Idéal pour couple de jeunes créatifs. Familles nombreuses s’abstenir. Alors, travailler à Paris ou à Londres tout en vivant dans ce qui deviendra l’un des coins les plus en vue de la capitale de l’Europe ? C’est possible, pour seulement 1.300.000 euros. De plus, il s’agit d’un bon investissement : dans quelques années lorsque le quartier aura changé de standing, revendez votre loft avec une belle plus-value assurée !

MOLENBEEK-SAINT-JEAN La porte de Ninove, c’est un grand carrefour à l’intersection de trois communes (Molenbeek, Anderlecht et BruxellesVille), où se rencontrent plusieurs quartiers populaires. Un quartier qui s’est développé économiquement autour de l’eau. Jadis, c’est là que la Senne rejoignait un affluent, avant d’être transformée en égout et voûtée. Au 16e siècle, le canal y pénétrait la ville face à deux pavillons d’octroi où était prélevée une taxe sur les marchandises d’import. Depuis, son parcours a été détourné et le bassin de la Porte de Ninove comblé. Ces transformations ont laissé leurs stigmates : entre une écluse toujours en fonction et les pavillons d’octroi servant à présent au contrôle des égouts et de la Senne, subsistent des îlots biscornus percés de toutes parts de voies de tram et de chaussées destinées à la pénétration d’une ville en pleine effervescence. Aujourd’hui, les projets publics destinés à rendre la zone plus attractive se multiplient : réaménagement des quais, fluidification du trafic automobile, aménagement d’un parc, nouveaux logements pour la classe moyenne... En attendant l’implantation de deux tours de logements sur un mouchoir de poche, un vestige de l’époque industrielle va également

connaître une nouvelle affectation : la brasserie Belle-Vue, temporairement occupée par un collectif désirant attirer la « classe créative urbaine », va être transformée en partie en hôtel de 150 chambres destiné à la “jeunesse européenne branchée”. Un projet qui va s’effectuer au prix d’une création minimale d’emplois (5 fois moins que dans un hôtel classique), sous-payés et destinés à une main d’œuvre bon marché. À la Porte de Ninove, un type d’économie chasse l’autre... ■

Il l’a dit « Cette zone délabrée doit devenir une partie attractive de la ville. (...) Les forces du développement urbain doivent être rassemblées avec les talents hyperactifs qui se sont appropriés des bâtiments usés mais aussi avec tous ces talents inactifs qui dépérissent dans la pauvreté. (...) Nous avons besoin de villes puissantes, créatives et attractives, de place to be, qui développent et canalisent leurs propres talents mais qui attirent aussi des talents extérieurs. » (Tom Smeets, conseiller chez BECI, Chambre de Commerce & Union des Entreprises de Bruxelles, “Journal Kanal”, avril 2009)


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ÉVASION

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Bonjour croisières, adieu dockers business de croisières. Que voilà un beau programme de recyclage pour cette ville portuaire historique.

Benoît Eugène

MARSEILLE Marseille est la ville de tous les dangers. Non pas à cause de ses mafieux mais bien parce qu’elle cumule tous les critères d’attractivité pour basculer dans le monde fantastique de la promotion immobilière. Dotée à la fois d’un port tourné vers la méditerranée

et d’une gare internationale TGV, Marseille, avec son exotisme et son soleil radieux, a tout pour plaire aux millionnaires. Pour M. Jean-Claude Gaudin, maire de Marseille, l’objectif est limpide : « On a besoin de gens qui créent de la richesse. Il faut nous débarrasser de la moitié des habitants de la

ville. Le cœur de la ville mérite autre chose. » Permettre aux parisiens de faire de Marseille leur banlieue résidentielle quand il pleut sur Paris, assaisonner les quartiers centraux de culture avec un grand C (Marseille sera la capitale européenne de la culture en 2013) et développer un

Le tourisme est le nouvel or noir et les pelleteuses s’activent sans répit sur les 400 hectares qui s’étalent entre l’Estaque et le Vieux Port : Musée des civilisations de la Méditerranée, terrasses commerciales, salles de spectacles et espaces de bureaux remplacent peu à peu les quais et grues de déchargement et les portes-conteneurs. Personne ne parle presque plus des centaines d’expulsés de la rue de la République ni de l’avenir des 13 000 emplois liés à l’activité du Port maritime. Ces nouveaux chômeurs n’auront plus qu’à tenter de se recycler pour se mettre au service des Parisiens en goguettes, des mangeurs de sushis en cravates et des croisiéristes sur le départ. Il y a bien eu quelques coups de colères mais le rouleau compresseur est puissant. Pari réussi pour le maire : Marseille est la ville de France qui perd le plus grand nombre d’habitants. ■ /// www.centrevillepourtous.asso.fr

La gentrification n’est pas une fiction HAMBOURG Deuxième plus grande ville d’Allemagne après Berlin avec ses 1,8 million d’habitants, Hambourg doit en partie sa prospérité aux activités de son port maritime. Pour rivaliser avec les plus grandes métropoles d’Europe, le Land d’Hambourg n’a pas froid aux yeux. Depuis quelques années, ses élus ont soutenu un processus de transformation radicale d’une ancienne partie du port en “nouveau centreville”. Chiffré à plusieurs milliards d’euros, ce projet d’urbanisme appelé “Hafencity” est l’un des plus grands du genre en Europe. Il vise à transformer pas moins de 155 hectares de hangars et d’entrepôts en nouveaux immeubles pharaoniques, dessinés par les plus “grands noms” de l’architecture internationale. Accessoirement, les retombées sociales sont catastrophiques pour les habitants des quartiers populaires qui bordent cette zone, incapables de faire face à la hausse des loyers, à l’apparition de nombreux lofts et à la transformation de leurs quartiers en lieux de vie nocturne destinés à la “classe créative” que les promoteurs et les pouvoirs publics tentent d’attirer.

Le phénomène est à ce point avancé que la “classe créative” en question a fini par se diviser sur le sujet. Ainsi, une des particularités d’Hambourg est de compter aujourd’hui des mouvements sociaux très actifs dans la lutte contre la gentrification. Nombreux sont les artistes conscients d’être instrumentalisés dans le but de favoriser ce processus d’éviction des habitants à bas revenus. Dans plusieurs

quartiers, dont celui de Sankt Pauli (nouveau lieu branché proche de la zone portuaire) est un des plus symboliques, des initiatives anti-gentrification se sont mises en place : squattage de bâtiments vides dont l’effet a été d’effrayer les promoteurs et d’éviter la hausse des loyers dans certaines rues, organisation de manifestations et autres actions ludiques, création du “Park Fiction” (parc précaire

créé le long du port par et pour les habitants), création du réseau “Il pleut du caviar”, constitution d’une archive d’urbanisme indépendant, réalisation de films documentaires pour donner la parole à ceux que personne ne voudrait entendre, sites internet, publication d’un manifeste intitulé “Pas en notre nom”, etc. Ce mouvement a permis de créer des alliances entre une partie de la classe moyenne “créative” au nom de laquelle s’opère la gentrification, et la classe populaire qui en est la première victime. Il a aussi le mérite d’avoir mis la question de la gentrification au cœur du débat social. Ainsi, si nos décideurs politiques et promoteurs locaux salivent à l’idée d’un “Hafencity” sur le canal de Bruxelles, Hambourg et son mouvement de contestation sociale pourraient aussi être une source d’inspiration pour les Bruxellois qui ne souhaitent pas voir leur ville se transformer en grand parc d’attraction pour les touristes et les hommes d’affaires du monde entier. ■ /// www.parkfiction.org /// www.esregnetkaviar.de /// www.ieb.be/plouf/lien4

Vague de terrains à engloutir BERLIN Berlin n’a pas de canal mais bien une rivière, la Spree qui traverse le cœur de la ville. Coupée en deux pendant près d’un demi-siècle par le mur, ses rives sont restées longtemps en friche et ses quartiers environnants se sont remplis d’une population à bas revenus : primoarrivants, chômeurs, étudiants, artistes désargentés. Un cocktail idéal pour lancer une opération musclée de rénovation : racheter à bas prix les friches industrielles, planter des bureaux consacrés au règne des médias, des hôtels, des appartements de luxe et des salles de spectacle, faire monter les prix dans les quartiers adjacents et virer les anciens habitants. Le tout avec l’aide de la ville. Ainsi, la multinationale Universal a reçu de la mairie 10 millions d’euros pour son déménagement de Hambourg à Berlin et son installation sur les berges de la Spree. Heureusement, sous la bannière “Media Spree Versenken” (“Coulons Media Spree”), les habitants tiennent bon et sont sur le pont, ils refusent de lâcher le gouvernail. Mais pour combien de temps encore... ■ /// http://ms-versenken.org (en allemand) /// www.ieb.be/plouf/lien5 (en français)

Il l’a dit « Ce qui nous manque, c’est une Tamise ou une Seine. Le canal est le seul moyen de retrouver une certaine respiration urbaine d’envergure ». (Freddy Thielemans, Bourgmestre de Bruxelles-Ville, dans “Le Vif-L’Express”, 13 novembre 2009)


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KISS&RIDE

C’est magnifique l’argent. De quoi nos villes auraient-elles l’air sans ? Bruxelles est un marché immobilier en bonne santé, les investisseurs étrangers y sont très actifs, les loyers y grimpent chaque année dans le secteur du logement, les millions de mètres carrés de bureaux y sont toujours plus nombreux... Mais malgré ces signes très positifs, la capitale de l’Europe est encore à la traîne. Selon la dernière édition d’une étude réalisée par la banque suisse UBS, Bruxelles se classe à la 21e place sur les 73 villes les plus chères du monde. C’est 8 places de mieux que lors du classement de 2010, mais c’est encore beaucoup moins bien que des villes comme Moscou, Londres, Paris ou Genève. Et au niveau du commerce ce n’est guère mieux : la rue Neuve n’occupe que la 23e position au classement des artères commerçantes plus chères au monde, largement devancée par les Champs Elysées (Paris), la Causeway Bay (Hong Kong) ou la 5th Avenue (New York). Peut mieux faire ! Un effort s’impose...

L’immobilier est une valeur sûre, même en temps de crise. En investissant votre épargne dans les projets immobiliers les plus prestigieux, votre banque contribue à redresser la situation de Bruxelles. Toujours plus haut ! Grâce à votre argent, relevons le défi et atteignons les sommets ! Ensemble, faisons de Bruxelles une ville encore plus chère.

������������ investit pour vous

✦ Samedi 27 août,je passais sur le pont de Cureghem, tu étais en dessous sur ton yacht, tu portais une robe bleue, nous nous sommes souris. Je n’ai pas osé te parler. Quand je suis repassé ton yacht n’était plus là. Je suis à l’hôtel de la Marina encore un mois. Robin. (inconnu@yahoo.fr) ✦ Nous nous sommes croisés une première fois au bar à champagne et à huîtres des anciens abattoirs. Nous nous sommes recroisés sur le quai du Thalys, tu en descendais, j’y montais. Je voudrais te croiser à nouveau. Didier. (impatient@gmail.com) ✦ Vendredi passé,après une séance de jet ski sur le canal, j’ai oublié mon iPhone sur le quai Émeraude. L’avez-vous trouvé ? Merci de me contacter. (Manu.iphone @hotmail.com) ✦ Je croisais souvent ton sourire l’été à Bruxellesles-Bains. Maintenant que ton immeuble est devenu un loft passif, je bronze l’été sans joie. Qu’es-tu devenu ? Donne-moi de tes nouvelles. (caroline.triste @skynet.be) ✦ Mercredi 24 août vers midi, une bourrasque au pied de la tour “Upsite” a emporté ton chapeau. J’étais sur mon yacht en contre-bas et l’ai récupéré. Le temps d’accoster et tu avais disparu. Retrouvonsnous un jour prochain au resto panoramique ? (eole788@yahoo.com) ✦ Nous nous sommes vus au Walvis, sur ton iPad, tu rédigeais ton postdoc en littérature inuit. Tu étais si beau avec ton verre de Vedett. Tu m’as souris et ça m’a emballé. J’aimerais te revoir. Un autre garçon. (Calippo@xmail.com)

TU AS CROISÉ L’AMOUR LE LONG DU CANAL ? RETROUVE-LE VIA KISS&RIDE ET RENCONTRE D’AUTRES FANS DU CANAL !


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TEMPS LIBRE

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Mots croisés Horizontal 1. Moteur du promoteur – 2. Il crée des micro-climats aux pied des tours – Pâté pas fermé – 3. Destin de la bonne bouteille – Préalable aux parkings souterrains – 4. Moteur de l’agent immobilier – Langue officielle à Bruxelles – 5. Psychotrope confus – Musée de la big apple – 6. Destin du promoteur – Plaisirs et douleurs en abrégés – 7. Détail architectural – 8. Entre l’université et l’entreprise – Communs dans les villes portuaires Vertical 1. Certificat obligatoire – On en trouve au Mipim, avec ou sans maillots – 2. Combinard – 3. Ouvrage d’art – 4. Carabosse amputée – Psychotrope nécessaire au délire de l’architecte – 5. ... is money – 6. Centre proche de Tour et Taxis – Suivent le A – 7. Ecrins bobo – 8. Toute en verticale – Villégiature provençale

CINÉMA

Canaloscope

La bataille du canal Un court métrage est à la fois un vrai film historique et un faux reportage de propagande. Teinté d’humour noir, “La bataille du canal” présente une série de projets qui risquent de voir le jour sur les rives du canal et décortique le discours en vogue tenu par nombre de promoteurs immobiliers, urbanistes et responsables politiques à propos de ces quartiers. On peut en rire ou en pleurer, c’est selon... Coproduction entre l’association Plus Tôt Te Laat (PTTL) et le festival PleinOPENair, ce film de 20 minutes est à voir sur : http://pleinopenair.nova-cinema.org

Météo

Ganshoren

Jette Evere

BerchemSainteAgathe

BALANCE Certes vous avez une double personnalité, mais si vous vous voyez en double dans le miroir, changez de rive(s).

TAUREAU Evitez les Abattoirs, car quand un promoteur entre en scène, vous avez tendance à voir rouge.

SCORPION Vous avez sûrement quelque chose à vous reprocher. Mais évitez de faire la queue, vous risquez le picqué.

GÉMEAUX Ne dites plus « J’ai maux, mais j’ai mal ». Vous avez tendance à vous PRDD, vous avez tendance à vous PRDD.

SAGITTAIRE Après un détour par Cureghem, vous risquez de tourner en rond vers Tour et Taxis. Ne ratez pas votre cible cette fois.

CANCER Quelle est cette manie de marcher en crabe ? Evitez aussi d’ouvrir et de fermer la bouche constamment en réunion de concertation.

CAPRICORNE Vos lofts ne sont pas très soft, alors faîtes des bains de siège, surtout celui de parlementeur. Bientôt, vous pourrez tremper vos pieds dans la Marina.

LION On commence à apprécier votre patte en matière de rénovation urbaine et votre poil est renommé jusqu’à Godin. Attention à ne pas tout casser tout de même, parce que ca sent le fauve !

VERSEAU Vous êtes noyés de boulot et pourtant c’est vous qui écopez de ce projet immobilier. Si vous en aviez été le ténor, vous n’en seriez pas là !

VIERGE Amour : vous gagnez du terrain, surtout du côté d’Anderlecht. En tout cas de ce côté-ci du canal, vous n’êtes pas encore mouillé(e).

POISSONS Santé : vous aurez la pêche mais faites attention à votre ligne. Près du port, un gros poisson pourrait bien la briser.

Koekelberg SaintJosse

Molenbeek

Schaerbeek Woluwe-Saint-Lambert

Bruxelles

Etterbeek Woluwe-Saint-Pierre

SaintGilles Anderlecht

BÉLIER Dock en stock ! Achetez et après avoir foncé, fermez les portes, surtout celle de Ninove.

Ixelles

Forest

Auderghem

Uccle Watermael-Boitsfort

Solutions

Schtroumpf financier, j’en ai marre de notre petit village de schtroumpfs. ils sont minables !

regardez leur symbole : un petit schtroumpf qui schtroumpfe...

ridicule !

ça me fout les schtroumpfs !

je vais les schtroumpfer !

T O U R

alors, grand schtroumpf, quelle mouche vous a schtroumpfé ?

M A S

Après-demain : du soleil sur toute la RBC.

O F I T L E I L E T R O ON I F D M E T U L E S C S B D O C K

Demain : du soleil dans les quartiers aisés et des orages sur la zone canal.

Solution du jeu des 11 erreurs (p. 1 et p. 12)

P R E O B U B L A R D

Aujourd’hui : du soleil dans les quartiers aisés et des nuages pluvieux à l’ouest.

Solution des mots croisés

S T A R

Un front de hautes pressions immobilières parcourt la Région d’est en ouest, repoussant les masses de pauvres hères instables. Accompagné de larges éclaircies de population, ce front permet une généralisation temporaire du bobo temps. Portée par la progression de climats trop picquaux, une pluie de liquidités spéculatives s’abattra ensuite sur le canal, et y provoquera des crues (de chantier) favorables aux mouvements ascensionnels de masses d’aires de logements de luxe. Il pourrait alors (bé)tonner fortement dans le ciel de la capitale. Ce temps devrait cependant ne pas durer, et céder la place à de fortes perturbations portées par des courants solidaires chauds.

à la place, je mettrai magnifique ! ... et il n’y a Bien sûr que si ! mais des schtroumpfs qui ont plus de pauvres petits ce ne sont que des de gros bonnets, schtroumpfs ici ? schtroumpfs de sécurité comme vous, et d’entretien, et ils venez schtroumpf schtroumpfent grand financier ! schtroumpf, à l’extérieur, hahaha !!! je vais vous schtroumpfer la solution...

mais qui va là ? cataschtroumpf, le schtroumpf masqué !!!

à suivre...


12

ÉDITORIAL

octobre-novembre-décembre 2011

plouf

Pourquoi ce plouf ? Active depuis 37 ans, InterEnvironnement Bruxelles est une fédération de comités de quartiers et d’associations d’habitants œuvrant pour une ville solidaire, respirable, qui soit le résultat d’un débat démocratique permanent plutôt qu’objet d‘un urbanisme réservé aux seuls experts trop souvent au service des intérêts d’une frange aisée de la population et de la rentabilité à court terme de capitaux de plus en plus insaisissables.

Ces dernières années, les berges du canal de Bruxelles et leurs quartiers avoisinants sont l’objet d’un vaste mouvement immobilier, visant à transformer radicalement cette partie de la ville sans chercher à réduire les inégalités sociales, tendant plutôt à les renforcer. À force d’entendre dans la bouche des représentants de la grande promotion immobilière, des pouvoirs publics et d’une partie de la “société

civile” que notre canal conçu pour le déploiement des activités industrielles bruxelloises doit devenir un lieu de résidence et de plaisance, que nos quartiers centraux sont trop pauvres et doivent être “redynamisés”, qu’ils doivent s’ouvrir à une plus grande “mixité sociale” et surtout aux plus nantis, alors l’envie nous a pris de jeter un pavé dans l’eau trop tranquille des certitudes affichées, d’aller à contre-courant de l’info qui s’étale au quotidien dans nos

PRÈS DE CHEZ VOUS Quelques adresses d’associations et de comités actifs dans les quartiers proches du canal...

Neder-Over-Heembeek • Comité Neder-OverHeembeek noh.comitedequartier@gmail.com

Anderlecht • Comité RenaissanceLemmens, chaussée de Mons, 211, 1070 Anderlecht. • Union des locataires d’Anderlecht-Cureghem / Centre de rénovation urbaine, chaussée de Mons, 211, 1070 Anderlecht. www.ulacru.magusine.net

Molenbeek-Saint-Jean • Maison de quartier Bonnevie, rue Bonnevie, 40, 1080 Molenbeek. • Comité de quartier Le Maritime, Christophe Madam, rue de l’Escaut, 34, 1080 Molenbeek. • Comité Ransfleur, C/O Lieven Soete, rue Ransfort, 63, 1080 Molenbeek. • La Rue, rue Ransfort, 61, 1080 Molenbeek. la-rue@skynet.be • L’Ouest en débat, rue d’Ostende, 54, 1080 Molenbeek.

Laeken • Comité Marie-Christine/ Reine/Stéphanie, rue MarieChristine, 10, 1020 Bruxelles.

Histoire ouvrière et patrimoine industriel de Bruxelles • BruxellesFabriques, rue de la Colonne, 30, 1080 Molenbeek. info@bruxellesfabriques.be www.bruxellesfabriques.be • La Fonderie, rue Ransfort, 27, 1080 Molenbeek. parcours.lafonderie@skynet.be www.lafonderie.be Droit au logement • RBDH (Rassemblement Bruxellois pour le droit à l’Habitat), quai du Hainaut, 29, 1080 Molenbeek. www.rbdh-bbrow.be

journaux et dans les discours enjôleurs des réunions mondaines. C’est ainsi qu’a pris forme le journal que vous tenez entre vos mains, entièrement consacré à cet enjeu et distribué au-delà de nos canaux de diffusion habituels. Nous avons rédigé collectivement un journal pour y couler nos coups de gueule, ramener à la surface les conséquences dommageables de choix politiques qui sont en train de s’opérer et qui engageront la population bruxelloise à long terme, un journal pour partager nos inquiétudes et penser notre ville autrement, un journal pour tenter de reprendre avec vous le gouvernail d’une embarcation qui dérive et jette par-dessus bord tout ce qui n’épouse pas l’image lisse et uniforme que certains veulent donner à Bruxelles, un journal pour éviter que le canal se transforme en un décor creux d’improbable marina, que ses quais de déchargement soient sacrifiés, que les loyers soient inéluctablement entrainés à la hausse et que les habitants et les activités économiques des

anciens quartiers portuaire n’en soient chassés sans alternatives régionales. Puisque les discours sont à ce point encadrés, nous n’avons pas hésité à forcer le trait, à être caustiques, à utiliser la parodie et la dérision pour ne pas nous résigner à la dépossession, pour nous aider à comprendre des phénomènes plus complexes que ce que l’on nous chante si doucement. Le ton ironique ne doit cependant pas occulter la froide réalité des informations que nous vous rapportons. Pour Inter-Environnement Bruxelles, les inquiétudes que nous exprimons, les questions que nous nous posons, les revendications que nous relayons (synthèse en p. 4), sont au cœur de ce qui se joue véritablement pour l’avenir de Bruxelles. Il n’y pas de réponse possible et satisfaisante aux questions économiques et environnementales si les dimensions sociales restent dans l’angle mort des projets, si l’avenir des Bruxellois les plus pauvres est systématiquement évacué d’un revers de la main. ■

L E J E U D E S 11 E R R E U R S

plouf PLOUF est édité par Inter-Environnement Bruxelles, rue d’Edimbourg, 26, 1050 Bruxelles. Tél. 02/893 09 09 www.ieb.be info@ieb.be N’hésitez pas à nous contacter. Ont participé à ce numéro : Mohamed Benzaouia, Gwenaël Breës, Axel Claes, Elise Debouny, Benoît Eugène, Sylvie Eyberg, Jean-Baptiste Godinot, François Hubert, Pierre Lauwers, Olivia Lemmens, Pierre Marissal, Meriem Mcharek, Philippe Meersseman, Pierre Meynaert, Geneviève Petit, Nicolas Prignot, Marco Schmitt, Claire Scohier, Mathieu Sonck, Manu Tête, Guido Vanderhulst, Mathieu Van Criekingen. Realty

Dépliez votre Plouf et comparez cette photo avec celle de la couverture. Bon amusement ! (solutions p. 11)

Éditeur responsable : Gwenaël Breës, IEB, rue d’Edimbourg, 26, 1050 Bruxelles.


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