Exposition "Demain, la ville?"

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Demain, la ville?

Exposition réalisée par les services de coopération technique, culturelle, audiovisuelle et scientifique de l’Ambassade de France au Mexique dans le cadre du festival Demain, la ville? Utopies urbaines en mai 2017.


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Hier, la ville. Un groupe d’hommes et de femmes cessent un jour d’être nomades et se sédentarisent. Ils ont développé l’agriculture. Ce premier groupement d’habitations précaires s’étend, des routes sont construites, et bientôt des lieux de culte et des lieux de pouvoir apparaissent. La ville est née. La ville est dès l’origine un lieu de contradictions. Construction humaine par excellence, elle se construit contre la nature qui l’environne et la nourrit. Lieu de concentration humaine de plus en plus dense, elle organise la ségrégation sociale et spatiale de ses habitants. Elle donne naissance aux premières utopies, ou l’imaginaire d’un autre type d’organisation de la vie dans la cité. La ville concentrait jusque-là le pouvoir et les échanges. Avec l’ère industrielle, s’ajoute désormais la production. La ville prend une nouvelle dimension. Elle s’étend, démesurément, chaotiquement, exacerbant les différences entre ses habitants. La ville-machine, déshumanisée, est née. Elle inspire de nombreuses utopies sociales et urbaines. Aujourd’hui, la ville. La ville n’a cessé de s’étendre depuis lors. Des mégalopoles, où vivent des dizaines de millions d’habitants, inimaginables il y a encore quelques décennies, sont nées. Désormais, la moitié de l’humanité est urbaine. Les contradictions se sont exacerbées avec cette extension continue de la ville, entre des centres concentrant pouvoir et richesse, des périphéries de plus en plus éloignées où une partie de l’humanité est réduite à la survie, et une multitude d’espaces intermédiaires entre ces deux extrêmes. Imaginer la ville de demain semble donc aussi nécessaire aujourd’hui que cela l’était à l’époque de Dickens. Demain, la ville ? L’exposition propose un voyage dans le temps, dans l’espace et dans l’imaginaire. Un fil thématique, le rêve souvent, le cauchemar parfois, relie les villes pensées, réalisées et dessinées par des visionnaires ou des marginaux. Du Paris d’Albert Robida au New-York-sur-Loire de Nicolas de Crécy, de la galaxie spirituelle d’Auroville à l’archipel de Mexico, de l’idéal inspiré par Fourier du Familistère de Guise à la démesure de Brasilia, du rêve de villes obliques à celui de villes verticales vertigineuses, le parcours de l’exposition invite à plonger dans les projets de Le Corbusier, Claude Parent, Schuiten, Moebius, Niemeyer, etc. Trois œuvres réalisées spécialement pour l’exposition viennent compléter ce panorama. La capitale lacustre de Tenochtitlan se superpose à l’actuelle ville de Mexico dans un jeu de miroir d’eau, une installation de sons d’une ville rêvée se combinant à l’infini, et un habitat de bois et de couleurs à tisser, témoignent qu’artistes et architectes d’aujourd’hui ne cessent d’interroger et d’imaginer la ville.


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L’utopie scientifique prémonitoire:

Le Paris électrique du Vingtième siècle de Albert Robida

« Un tintement perpétuel a remplacé le vacarme assourdissant des véhicules terriens d’autrefois. Partout l’électricité circule, mêlée à toutes les manifestations de la vie sociale, apportant partout son aide puissante, sa force ou sa lumière; des milliers de timbres et de sonneries venant du ciel, des maisons, du sol même, se confondent en une musique vibrante et tintinnabulante que Beethoven, s’il l’avait pu connaître, eût appelée la grande symphonie de l’électricité. […] « Super, la grande symphonie de l’électricité est intéressante à détailler! » C’est ce que se disaient Hélène et ses compagnes, peu habituées à cette musique parisienne. « Ce crescendo de tintements éclatant devant cette grande maison, disait Hélène, c’est un chef de maison pressant l’activité de ses employés, gourmandant des correspondants éloignés ; ce sont des commis affairés répondant à mille demandes venant des quatre coins du monde… - Ce trémolo de sonneries, fit Barnabette, c’est une dame qui appelle sa femme de chambre ou qui réclame à sa modiste un chapeau en retard… - Ces vibrations qui passent et s’éteignent comme un chant d’oiseau égrené dans l’espace, c’est tout simplement l’omnibus qui vole à deux cents mètres au-dessus des cheminées… ce petit timbre, c’est une demande de secours au poste des pompiers, ou c’est un locataire qui commande un aérofiacre à la station pour aller au bois de Fontainebleau…» Albert Robida, Le Vingtième siècle, Bibliothèque nationale de France, 1883, p. 53. 6


Albert Robida, Station centrale des aéronefs a Notre-Dame, Le Vingtième Siècle, 1883. 7


La fin du 19ème siècle marque l’avènement de l’ère de l’électricité, l’expansion des moyens de transport et la profusion des innovations scientifiques. Les métropoles deviennent les incubatrices d’un monde utopique rendu meilleur par la technique. L'abondance électrique se fait ostentatoire et signe du plaisir. Jeux électriques, devantures des grands magasins, palaces d'une consommation de masse naissante, d'où débordent les flots de lumière projetés dans les rues qui s’illuminent à toute heure du jour et de la nuit. L’électricité élargit le champ des possibles, bouleverse les espaces urbains et les pratiques des citadins qui s’ouvrent à la promesse d’une vie nouvelle. La civilisation apportée par la « fée électricité » cache pourtant difficilement les écarts de la course vers le progrès et les nouveaux visages des villes, devenues gigantesques, industrielles et polluées. Lorsque Albert Robida anticipe la guerre moderne, à base de missiles robotisés et de gaz asphyxiants, dans la bande dessinée La Guerre au vingtième siècle, campagne de Jujubie, toute dimension utopique du progrès technique a résolument disparu. Surgit alors le besoin de recréer une route vers un monde meilleur, un lieu de vie préservé. Ce sera la « réserve », située en Bretagne, dans laquelle toute technique sera bannie, les parisiens pourront s’accorder de temps en temps un moment pour y vivre, y revivre.

Albert Robida, Les tubes– Gare du tube du Sud à Paris, Le Vingtième siècle, 1883.

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L’artiste et son œuvre Albert Robida (1848-1926) est illustrateur, caricaturiste, graveur, journaliste et romancier français. Il travaille dans tous les journaux voués à la satire des mœurs et devient en 1880 rédacteur en chef de "La caricature". Il réalise deux grands ouvrages d'anticipation, Le Vingtième Siècle (1883) et sa suite, La Vie électrique (1892) dans lesquels il dresse une fresque prophétique de la société tout en brodant une grande satire de la France et de l’Europe de la fin du XIXe siècle. Il imagine de grandes innovations techniques telles que le « téléphonoscope », un écran plat mural qui diffuse les dernières informations à flux continus, les tubes terrestres à grande vitesse et les aéronefs, l'industrie alimentaire, les chaînes de pizzas de la "compagnie d'alimentation" qui distribue les repas à domicile. Chroniqueur de l'avenir, Albert Robida ancre pourtant ses machines et inventions dans l’observation des mutations sociales et l'évolution générale des mœurs. Sous ses traits de crayon les premiers pas de la libération des femmes sont ainsi esquissés.

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« On pouvait donc être, ô merveille! Témoin oculaire, à Paris, d’un événement se produisant à mille lieues de l’Europe. […] Une catastrophe, inondation, tremblement de terre ou incendie, se produisait-elle dans n’importe quelle partie du monde, le téléphonoscope de l’Epoque, en communication avec le correspondant du journal placé sur le théâtre de l’événement, tenait les Parisiens au courant des péripéties du drame.» Albert Robida, Le Vingtième siècle, Bibliothèque nationale de France, 1883, p. 200.

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L’automobile a tué la grande ville. L’automobile doit sauver la grande ville: Le “Plan Voisin” de Paris

“La cité d’affaires du “Plan voisin” constitue une proposition formelle, conforme, exacte et réalisable, offrant au pays un siège de commandement. Par un cheminement logique des conséquences, Paris, capitale de France, doit, en ce siècle XXe, construire son poste de commandement. Il semble bien que l’analyse nous ait conduit ici une proposition raisonnable. Chaque gratte-ciel peut contenir 20.000 à 40.000 employés. Les 18 gratte-ciel prévus peuvent donc abriter 500.000 à 700.00 personnes, l’armée du commandement du pays. Les metros en réseaux quadrillés sont sous les gratte-ciel; les rues et les autodromes feront le mécessaire pour permettre à cette masse de se mouvoir facilement. Les voies ferrées de la garre de l’Est sont dominées par une chaussée de béton avec autodrome surélevé. Cette nouvelle artère capitale, dirigée sur le nord, est récupérée sur des terrains incomplètement utilisés. Une traversée vers le sud pourrait prendre son départ a la nouvelle gare centrale, entre la cité d’affaires et celle de résidence. La grande traversée est-ouest qui manque totalement aujourd’hui serait un chenal où viendraient se trier, se canaliser la circulation écrasée dans le réseau poligonal actuel. Cette grande traversée nous arrache à un systeme se refermant sur lui-même et ouvre les deux portes extrêmes vers le dehors.” Le Corbusier. 12


Quand Le Corbusier entreprend en 1925 le Plan « Voisin » de Paris, cela fait déjà quelques années qu’il travaille sur la réinvention de ce qu’il décrivait comme « l’éternel vieux centre ville ». Au XIXe siècle, la Ville s’est métamorphosée. Poussées par la révolution industrielle et technique les grandes villes apparaissent: Paris, Berlin, Londres, New-York. Passé de 647 000 habitants en 1800 à 3 millions en 1910, Paris a connu une croissance vertigineuse. Bâties en plein cœur de la cité moderne, les gares ferroviaires ont bouleversé son fonctionnement: on n’entre plus par les éternelles portes de la ville devenues symbole de sa planification primitive, mais directement par son centre. Le train jetant les foules dans l’espace le plus restreint et les rues les plus étroites. Puis au tournant du XXe siècle, l’automobile a remplacé le fiacre. En 1925, déjà, la vitesse n’est plus un rêve. Le parc automobile français compte plus de 600 000 véhicules contre moins de 3000 en 1900. La congestion: « l’éternel vieux centre ville », fait de rues courbes et exiguës semble dépassé par les aspirations modernes du début de siècle. « La grande ville se tue elle-même ». Fort de ces constats, Le Corbusier imagine un vaste plan de reconstruction du centre parisien - qu’il décrit comme vétuste, malsain et sursaturé - avec le soutien de la Société des Automobiles Avions Voisin. Son projet sera présenté dans le Pavillon de l’Esprit Nouveau à l’Exposition Internationale des Arts Décoratifs.

Trois esquisses superposées illustrant trois aspects de Paris autour de Notre-Dame. De haut en bas: au Moyen-Age, en 1925 et après l’application du Plan Voisin.

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“Si l’on regarde le “Plan Voisin” de Paris, on y voit à l’ouest et au sud-ouest les grands tracés de Louis XIV, Louis XV, Napoléon: les Invalides, les Tuileries, la Concorde, le Champ-de-Mars, l’Etoile. On y mesure la création, l’esprit qui a dominé, qui a maté la cohue.” Le Corbusier.

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Pour Le Corbusier, aucun doute, l’automobile est l’avenir de l’Homme. Il faut lui donner l’espace dont elle a besoin: élargir les rues, construire des grands et moyens axes, favoriser les angles droits et espacer davantage les rues pour ainsi réduire le nombre de croisement. Contre la congestion du centre, Le Corbusier préconise l’augmentation de la densité et la construction d’espaces verts. Il faut construire en hauteur, des gratte-ciel qui libèreront de la superficie pour la construction des grands axes, des parkings et des jardins. Le Plan « Voisin » de Paris comprend une cité d’affaires et une cité de résidence, une gare centrale capable de déverser des milliers de travailleurs en quelques minutes ainsi qu’un centre matérialisé par le croisement des deux grands axes de la nouvelle ville: est-ouest et nord-sud permettant de relier le centre de la capitale française, pensé comme le cœur du pays, aux régions françaises.

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« Le “Plan Voisin de Paris” reprend possession de l’éternel centre de la ville. J’ai montré dans un chapitre antérieur qu’on ne peut en réalité déplacer le centre conditionné des grandes villes et créer de toutes pièces des villes neuves à coté des anciennes (1). Ce plan s’attaque aux quartiers les plus infects, aux rues les plus étriquées ; il ne cherche pas à “opportuniser”, à céder ici et là un pouce de terrain sous la poussée violente des artères congestionnées. Non. Il ouvre au point stratégique de Paris un étincelant réseau de communication. Là où des rues de 7, 9 ou 11 mètres se recoupent tous les 20, 30 ou 50 mètres, il établit un quadrillage de grandes artères de 50, 80 et 120 mètres de large se recoupant tous les 350 ou 400 mètres et élevant des gratte-ciel de plan cruciforme au centre de vastes îlots ainsi crées, il crée une ville en hauteur, une ville qui a ramassé ses cellules écrasées sur le sol et les a disposées loin du sol, en l’air et dans la lumière. Désormais, en lieu et place d’une ville aplatie et tassée et telle que si l’avion la révèle pour la première fois à nos yeux, nous en demeurons effarés, se dresse une ville en hauteur offerte à l’air et à la lumiere, étincelante de clareté, radieuse. Le sol recouvert jusqu’ici de maisons serrées sur 70 à 80 p. 100 de sa surface n’est plus bati que sur 5 p. 100. Le reste, 95 p. 100, est consacré aux grandes artères, aux garages de stationemment et aux parcs. Les allées d’ombrages sont doubles ou quadruples ; des parcs au pied des gratte-ciel font en réalité, du sol de cette nouvelle ville, un immense jardin. La densité trop forte des anciens quartiers sacrifiés par le Plan Voisin n’est pas diminuée. Elle est quadruplée. » (1) Au temps de la Renaissance, des villes neuves ont été construites à côté des anciennes. La raison était toute militaire : la ville ancienne était petite, on n’eût pas augmenté la capacité de la ville par remplacement du centre vieux. Le Corbusier.

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La richesse au service du peuple:

Le Familistère de Guise

« Il est temps de se demander si ceux qui créent la richesse n’ont aucun droit aux bienfaits et aux splendeurs qu’elle procure, et si ce droit reconnu, il n’en résulte pas pour tous le devoir d’employer davantage la richesse au profit des populations qui la produisent. » Godin, Solutions sociales, 1871 (réédition aux Éditions du Familistère, 2010, p. 39)

Au XIXe siècle la ville est en pleine mutation. L’intensification de l’Industrialisation, rendue possible par le progrès technique et la libération de la main d’œuvre rurale, provoque la naissance d’une nouvelle classe sociale: le prolétariat, la classe des travailleurs. Ces hommes, jetés à la rue et contraints au travail salarié, n’ont d’autre choix que de quitter leur campagne pour se rapprocher des nouveaux lieux de production, les usines. Installés dans des conditions de grande insalubrité, ils se concentrent dans les faubourgs des villes ou dans ces nouvelles agglomérations, fruits de la Révolution Industrielle. La question du logement ouvrier fait son apparition.

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En 1859, Jean-Baptiste André Godin, ancien artisan serrurier devenu industriel à la tête d’importantes fonderies et manufactures, est en quête d’un idéal de justice sociale satisfaisant pour ses ouvriers. Inspiré par le socialisme utopique de Charles Fourier et désireux de mieux partager les richesses créées par l’association du travail et du capital, il entreprend la création d’une cité ouvrière novatrice : le Familistère ou Palais Social. Bâtit à proximité de son usine à Guise, dans le nord de la France, le Familistère est une cité de 2000 habitants offrant aux ouvriers ce que Godin appelait « les équivalents de la richesse ». C’est à dire le confort que pouvait s’offrir la bourgeoisie par l’argent.

« Frappés des misères que renferme encore l’habitation humaine, quelques hommes aux bonnes intentions se sont occupés de la maison qu’on pouvait édifier au meilleur marché possible, et ils ont préconisé la petite maison et le petit jardin. Ils ont certainement raison aux yeux du grand nombre, car une petite maison, un petit jardin, peuvent être l’objet des rêves de celui qui n’a rien. Mais s’agit-il ici de flatter les désirs irréfléchis de l’ignorance? Non, la question sociale nous impose la recherche de la vérité. » Godin, Solutions sociales, 1871 (réédition aux Éditions du Familistère, 2010, p. 403) 19


Régi par un ensemble de règles relatives à la morale, à l’hygiène, à la vie en communauté et au travail, le Familistère fut qualifié par Emile Zola de « Palais caserne social », par Jules Verne de « Cité hygiéniste » et par Friedrich Engels d’ « expérience socialiste ». Le Familistère de Godin n’en est pas moins révolutionnaire et avant-gardiste. L’architecture même des bâtiments garantit la salubrité dans les quelque 500 logements : luminosité, circulation de l’air et accès à l’eau potable. La cité comprend également tout un ensemble d’équipements remarquables pour l’époque : une buanderie, des bains, une piscine, une école, un théâtre, une bibliothèque, des magasins... favorisant la bonne santé, l’éducation (mixte et obligatoire jusqu’à l’âge de 14 ans) et le divertissement des ouvriers. Depuis le village de Guise, le Familistère est une secte à laquelle on voudrait s’intégrer. Deux moyens pour cela : se faire embaucher à l’usine Godin ou épouser un familistérien. Grâce à l’organisation communautaire de son Palais social, Godin améliora sensiblement la qualité de vie de ses ouvriers ainsi que la productivité de leur travail à l’usine. La cité est aujourd’hui habitée par une quinzaine de personnes, désormais locataires ou propriétaires de leur logement, et accueille le musée du Familistère depuis 2010.

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La vie au Familistère : Palais (caserne) social. Un pavillon central et deux ailes. Trois immenses cours couvertes par des verrières. 702 pièces. Prix du loyer par mètre carré. Même prix par étage. Obligatoire de loger là, mais pas assez de place. Grand balcon à chaque étage sur la cour. Maison de verre, on voit tout, bruits épiés. Défiance du voisin. Pas de solitude. Pas de liberté. Mais grandes commodités et aisance. Surtout pour l’enfance... Mortalité plus faible là que dans la ville voisine. Un puits artésien. De l’eau pure et bonne. Grand bienfait. Le théâtre et les écoles. L’Harmonie du Familistère, 60 exécutants. Les écoles, 16 classes, 600 écoliers. Une fête de l’enfance célébrée le premier dimanche et lundi de septembre. Une cour décorée de feuilles. Des maximes. La fête du travail, cortège, les autorités, discours de l’administrateur et récompense aux enfants les plus méritants. Ordre, règlement, mécanisme. Confort, mais le souhait de l’aventure, des risques de la vie libre et aventureuse. Ne pas couler toutes les vies humaines dans le même moule. [...] Magasins de consommation. Épicerie. Charcuterie. Boucherie. Étoffes. Débit de boissons. L’idée du restaurant échoua. Succès considérable, des étrangers des villes voisines se sont fait donner des carnets de consommateurs. Gros avantages. Les objets sont vendus au prix courant de la ville voisine. Seulement les bénéfices faits sont distribués en nature aux acheteurs, au commencement de septembre. 12 à 13 % de la somme dépensée. Tous se précipitent et emportent l’objet convoité. La vraie fête. [...] L’ouvrier est-il devenu meilleur et est-il parfaitement heureux ? Question à résoudre. Notes d'Émile Zola sur le Familistère dans le dossier préparatoire de Travail, "Les quatre évangiles", en 1901. 21


Sur l'édification d'une cité hygiéniste « S'il m'est permis, toutefois, reprit l'orateur, quand il eut obtenu un peu de silence, s'il m'est permis de suggérer un plan qu'il serait aisé de développer et de perfectionner, je propose le suivant. » Ici le Congrès, revenu enfin au sang-froid, écoute avec une attention religieuse. « Messieurs, parmi les causes de maladie, de misère et de mort qui nous entourent, il faut en compter une à laquelle je crois rationnel d'attacher une grande importance : ce sont les conditions hygiéniques déplorables dans lesquelles la plupart des hommes sont placés. Ils s'entassent dans des villes, dans des demeures souvent privées d'air et de lumière, ces deux agents indispensables de la vie. Ces agglomérations humaines deviennent parfois de véritables foyers d'infection. Ceux qui n'y trouvent pas la mort sont au moins atteints dans leur santé ; leur force productive diminue, et la société perd ainsi de grandes sommes de travail qui pourraient être appliquées aux plus précieux usages. Pourquoi, messieurs, n'essayerions-nous pas du plus puissant des moyens de persuasion, de l'exemple? Pourquoi ne réunirions-nous pas toutes les forces de notre imagination pour tracer le plan d'une cité modèle sur des données rigoureusement scientifiques?... (Oui! oui! c'est vrai!) Pourquoi ne consacrerions-nous pas ensuite le capital dont nous disposons à édifier cette ville et à la présenter au monde comme un enseignement pratique... » (Oui! oui! — Tonnerre d'applaudissements.) Les membres du Congrès, pris d'un transport de folie contagieuse, se serrent mutuellement les mains, ils se jettent sur le docteur Sarrasin, l'enlèvent, le portent en triomphe autour de la salle. « Messieurs, reprit le docteur, lorsqu'il eut pu réintégrer sa place, cette cité que chacun de nous voit déjà par les yeux de l'imagination, qui peut être dans quelques mois une réalité, cette ville de la santé et du bien-être, nous inviterions tous les peuples à venir la visiter, nous en répandrions dans toutes les langues le plan et la description, nous y appellerions les familles honnêtes que la pauvreté et le manque de travail auraient chassées des pays encombrés. Celles aussi,—vous ne vous étonnerez pas que j'y songe, — à qui la conquête étrangère a fait une cruelle nécessité de l'exil, trouveraient chez nous l'emploi de leur activité, l'application de leur intelligence, et nous apporteraient ces richesses morales, plus précieuses mille fois que les mines d'or et de diamant. Nous aurions là de vastes collèges où la jeunesse, élevée d'après des principes sages, propres à développer et à équilibrer toutes les facultés morales, physiques .et intellectuelles, nous préparerait des générations fortes pour l'avenir!» ..il.faut renoncer à décrire le tumulte enthousiaste qui suivit cette communication. Les applaudissements, les hurrahs, les « hip ! hip ! » se succédèrent pendant plus d'un quart d'heure. Les 500 millions de la Begum par Jules Verne, Paris, Collection Hetzel, 1906.

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L’Homme libéré et conscient:

Auroville

En 1954 Mirra Alfassa, alias La Mère, formulait depuis son âshram de Pondichéry en Inde, son souhait de concrétiser la volonté de son compagnon spirituel, Sri Aurobindo guru et philosophe indien : la création sur Terre d’ « un endroit inaliénable, qui n'appartiendrait à aucune nation, où tous les êtres de bonne volonté, sincères dans leurs aspirations, pourraient vivre librement comme citoyens du monde et n’obéir qu’à une seule autorité : la Vérité suprême. ». 24


En 1968, l’utopie Auroville, « ville de Sri Aurobindo » ou « ville de l’Aurore », ville internationale et universelle, dédiée à la recherche de l’unité humaine et l’élévation de la conscience, se concrétise. Des centaines de citoyens du Monde se joignent aux travailleurs indiens sur le terrain choisi pour la construction de la ville : un plateau gravement érodé et quasiment désertique situé à une dizaine de kilomètres de Pondichéry. Planifiée pour 50 000 habitants, la ville est organisée autour d’un plan en forme de galaxie divisé en quatre secteurs : International, Culturel, Industriel, Résidentiel. Ces quatre secteurs sont tournés vers le centre de la spirale où se situe le Matrimandir, l’âme d’Auroville, le lieu de la méditation et du silence, entouré par un lac et des jardins.

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Auroville veut être un lieu d’expérimentation pour l’humanité, basé sur le développement de pratiques durables et la création d’une société égalitaire qui pourrait être reproduite à l’infini : un système d’éduction libre, un travail volontaire pour la communauté, pas de police ni de religion... Les Aurovilliens sont égaux, les barrières culturelles, économiques ou générationnelles qu’il pouvait y avoir entre les Hommes ont disparues. Auparavant désertique, Auroville est maintenant entourée de plusieurs hectares de forêt où la faune et la flore indigènes ont été réintroduites. Loin des 50 000 citoyens attendus, la ville compte aujourd’hui un peu plus de 2000 habitants d’une cinquantaine de nationalités différentes. Depuis la disparition de La Mère, l’incompréhension entre les habitants de la première heure enclins à défendre son idéal et la nouvelle génération ouverte à l’essor économique d’Auroville, est réelle. Un centre des visiteurs a été construit pour accueillir les nombreux touristes : adeptes de la méditation venus en pèlerinage jusqu’à la cité de l’Homme libéré ou simples curieux.

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La Charte constitutive d'Auroville

1. Auroville n'appartient à personne en particulier. Auroville appartient à toute l'humanité dans son ensemble. Mais pour séjourner à Auroville, il faut être le serviteur volontaire de la Conscience Divine. 2. Auroville sera le lieu de l'éducation perpétuelle, du progrès constant, et d'une jeunesse qui ne vieillit point. 3. Auroville veut être le pont entre le passé et l'avenir. Profitant de toutes les découvertes extérieures et intérieures, elle veut hardiment s'élancer vers les réalisations futures. 4. Auroville sera le lieu des recherches matérielles et spirituelles pour donner un corps vivant à une unité humaine concrète.

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Le Rêve

« Il devrait y avoir quelque part sur la terre un lieu dont aucune nation n'aurait le droit de dire : "il est à moi"; où tout homme de bonne volonté ayant une aspiration sincère pourrait vivre librement comme un citoyen du monde et n'obéir qu'à une seule autorité, celle de la suprême vérité ; un lieu de paix, de concorde, d'harmonie, où tous les instincts guerriers de l'homme seraient utilisés exclusivement pour vaincre les causes de ses souffrances et de ses misères, pour surmonter ses faiblesses et ses ignorances, pour triompher de ses limitations et de ses incapacités ; un lieu où les besoins de l'esprit et le souci du progrès primeraient la satisfaction des désirs et des passions, la recherche des plaisirs et de la jouissance matérielle. Dans cet endroit, les enfants pourraient croître et se développer intégralement sans perdre le contact avec leur âme; l'instruction serait donnée, non en vue de passer des examens ou d'obtenir des certificats et des postes, mais pour enrichir les facultés existantes et en faire naître de nouvelles. Les titres et les situations seraient remplacés par des occasions de servir et d'organiser; il y serait pourvu aux besoins du corps également pour tous, et la supériorité intellectuelle, morale et spirituelle se traduirait dans l'organisation générale, non par une augmentation des plaisirs et des pouvoirs de la vie, mais par un accroissement des devoirs et des responsabilités. La beauté sous toutes ses formes artistiques, peinture, sculpture, musique, littérature, serait accessible à tous également - la faculté de participer aux joies qu'elle donne étant limitée uniquement par la capacité de chacun et non par la position sociale ou financière. Car dans ce lieu idéal, l'argent ne serait plus le souverain seigneur; la valeur individuelle aurait une importance très supérieure à celle des richesses matérielles et de la position sociale. Le travail n'y serait pas le moyen de gagner sa vie, mais le moyen de s'exprimer et de développer ses capacités et ses possibilités, tout en rendant service à l'ensemble du groupe qui, de son côté, pourvoirait aux besoins de l'existence et au cadre d'action de chacun. En résumé, ce serait un endroit où les relations entre êtres humains, qui sont d'ordinaire presque exclusivement basées sur la concurrence et la lutte, seraient remplacées par des relations d'émulation pour bien faire, de collaboration et de réelle fraternité. »

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L’idéal politique et social d’un nouveau futur brésilien:

Brasilia

« La nouvelle capitale est destinée à exprimer la grandeur d'une volonté nationale et devra être différente d'une ville quelconque de 500 000 habitants. De plus, la capitale fédérale, ville fonctionnelle, devra posséder une expression architectonique qui lui soit propre. Sa caractéristique principale est la fonction gouvernementale. Toutes les autres fonctions se groupent autour de celle-ci et tout converge vers elle. Dans toutes les villes, les unités d'habitation, les locaux de travail, les centres de commerce et de repos s'intègrent rationnellement entre eux. Dans une capitale ces éléments doivent s'orienter, en outre, dans le sens du propre destin de la ville: la fonction gouvernementale. » Jury de sélection du projet pour la réalisation de Brasilia, 1957, procès-verbaux des réunions du jury.

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Entre 1956 et 1960, sous l’impulsion du président Juscelino Kubitschek, des milliers d'ouvriers venant pour la majorité du Nordeste brésilien convergent jusqu'à un haut plateau aride du Cerrado situé à plus de 1 000 mètres d’altitude. Sous l’autorité de la société de construction Novacap, ces candangos travaillent jusqu’à dix-huit heures par jour pour ériger en moins de mille jours une nouvelle capitale loin des cités opulentes de la côte brésilienne. Inscrit dans la Constitution depuis 1891 et devenu le fer de lance du projet électoral de Kubitschek, le projet de construction de la capitale doit permettre au pays de réaliser « un bond de cinquante ans de progrès en cinq ans » et contribuer à une meilleure répartition des richesses et de la population. Inaugurée le 21 avril 1960, Brasilia est le résultat d’une utopie politique et socialiste fondatrice: accès au logement, création d’emplois, bonnes conditions de vie et intégration sociale. 31


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Dans le périmètre autosuffisant du Plano Piloto conçu et aménagé par l'urbaniste Lucio Costa, l'architecte Oscar Niemeyer et le paysagiste Roberto Burle Marx, toutes les classes sociales doivent se côtoyer en harmonie dans des quartiers fonctionnels qui imposent la voiture comme unique moyen de transport le long de deux grands axes. Ils excluent toute implantation industrielle polluante pour préserver la qualité de vie des habitants, conçoivent un lac artificiel de 48 kilomètres carrés pour alimenter la population et humidifier l'atmosphère desséchée, et protègent l'ensemble d'une ceinture verte.

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« On ne doit pas oublier que l'automobile n'est plus aujourd'hui l'ennemi inconciliable de l'homme, elle s'est apprivoisée et fait déjà, pour ainsi dire, partie de la famille. » Lúcio Costa, 1960. In Dominique Couret, Brasilia, ville fermée, environnement ouvert, IRD Editions, Collection Latitudes 23, 2013, p.72.

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Utopie sociale et politique, placée mathématiquement au centre du pays et rattachée aux épicentres importants par un réseau d’artères, Brasilia concentre les organes du pouvoir et reflète la foi inébranlable dans le progrès et la modernité. Le tracé architectural limpide du Plano Piloto sous forme d’avion, d’oiseau ou de croix, s’inspire des théories radicales du Bauhaus allemand et de Le Corbusier et tranche avec l’architecture coloniale de Rio de Janeiro.

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« La solution présentée est facile à comprendre car elle se caractérise par la simplicité et la clarté du tracé original ce qui n'exclut point, comme on l'a vu, la variété dans le traitement des parties, chacune conçue selon la nature particulière de sa fonction respective découlant de l'harmonie d'exigences en apparence contradictoires. La solution proposée est en même temps large et concise, bucolique et urbaine, lyrique et fonctionnelle. » Lúcio Costa, urbaniste ayant imaginé le Plano Piloto de Brasilia, 1957. In Dominique Couret, Brasilia, ville fermée, environnement ouvert, IRD Editions, Collection Latitudes 23, 2013, p.77. 36


Outre un prix de construction s’élevant à 83 milliards de dollars, soit l’équivalent de 10 % de la richesse du pays en 1950, ce cœur artificiel brésilien a attiré bien plus d'habitants que la ville peut en contenir. Initialement prévue pour accueillir 500 000 personnes, les projections envisagent 5,6 millions d’habitants à l'horizon 2030. Les premiers à s’installer furent les ouvriers du chantier, pourtant indésirables dans la conception de cette ville idéalisée. Aujourd'hui l'ensemble urbain est composé de 16 villes satellites essentiellement construites à partir de baraquements improvisés tandis que le centre planifié abrite moins de 15 % de la population totale. L'idéal d'intégration sociale s’est peu à peu transformé en ségrégation spatiale, reléguant les populations incapables d’acquérir des logements dans le centre, îlot de développement où le PIB par habitant est le plus élevé du Brésil, aux périphéries denses et pauvres.

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« Brasilia est une étrangeté urbaine, une ville contre nature où la planification idéaliste a finalement contribué à l'opposé de ses ambitions: sa morphologie urbaine découpée en quartiers et son organisation sociale hiérarchisée s'opposent aux rencontres occasionnelles et aux lieux de sociabilité hors du travail qui, pour nous, jouent un rôle important dans la dynamique d'une ville. » Dominique Couret, Brasilia, ville fermée, environnement ouvert, IRD Editions, Collection Latitudes 23, 2013, 216 p.

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Vivre à l’oblique:

L’habitat utopique de l’architecte Claude Parent

« C'est Haussmann le criminel! Penser que le même appartement se répète sur dix étages, c'est désespérant! Résultat: on ne supporte plus de prendre l'ascenseur avec son voisin. Il faut trouver un moyen de bousculer les gens. Si on les met tous en pente, ils vont être déstabilisés, se toucher, penser autrement leur corps et leurs rapports... » Claude Parent.

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L’artiste et son oeuvre Claude Parent (1923-2007) est architecte, polémiste, animateur, publiciste et écrivain. Fortement influencé par sa rencontre avec Nicolas Schöffer, sculpteur français dont les œuvres sont imprégnées des idées du constructivisme russe, du néo-plasticisme du Stijl et des théories du Bauhaus;; Claude Parent découvre l’univers de l’utopie architecturale et imagine la "ville spatio-dynamique" construite par des volumes en constante modification engendrée par le mouvement de l'utilisateur. En rupture avec l’architecture corbuséenne, Claude Parent s’oppose aux théorèmes orthogonaux, à la verticalité et à l’angle droit. Il propose au contraire une ouverture de l’espace par ses basculements et ses transitions avec des enchaînements permanents, des plans obliques et horizontaux. A travers la “fonction oblique” il crée un univers utopique urbain caractérisé par l’absence d’obstacles et de frontières. L'idée de la « fonction oblique », empruntée à l'Américain Frank Lloyd Wright et à son musée Guggenheim de New York de forme hélicoïdale, est d'incliner les sols des bâtiments pour créer du mouvement.

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« Demain la ville… Habitant des banlieues On dit que tu habites les villes que tu mérites… Réponds NON ! On te dit que les architectes sont satisfaits De construire ces casernes dans des déserts… C’EST FAUX ! Brise ce quiproquo. Exige que la nature pénètre dans ta ville. Dans le pavé, le goudron, le ciment… …PLANTE ! Ta ville, c’est l’équilibre entre les arbres et le béton Entre la santé et la protection. Claude Parent. » Inscription sur un mur. 42


La ville oblique a un relief naturel, qui peut être gravi et habité. C’est aussi un espace de l’effort, effort du corps constamment confronté aux plans obliques. Sous le graphite du crayon à papier nait un art utopique de l’habitat dont l’objectif est de faciliter les déplacements, les migrations. Enchainement de mégastructures urbaines formant, dans un mouvement continu, un paysage d’amphithéâtres et de montagnes artificielles, villes sédentaires dont l’urbanisme fluide ne provoque pas de confrontation avec les flux migratoires.

« Cette théorie favorise l'action du corps, puisqu'il est obligé, sur la pente, de se retenir pour ne pas chuter ou de produire un effort pour la monter. Les rapports humains s'en trouvent modifiés. Le toit de ma maison devient le chemin de mon voisin. Comme on n'a pas d'obstacle, pas de mur pour empêcher de voir son voisin, la relation entre les individus est fluide. » Claude Parent.

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L’utopie comme terrain de création:

La bande dessinée

« Je n’ai pas la responsabilité des architectes. Je peux dessiner des villes épouvantables et effrayantes. D’ailleurs, plus elles le sont, plus je prends plaisir à les dessiner (…) Si je dessinais la ville rêvée d’un architecte, il ne se passerait pas grandchose, tout le monde serait heureux », 2011, François Schuiten au magazine Usbek & Rica. 46


Au début du XXe siècle, les métropoles américaines poussent vers le ciel, le tirage des quotidiens s'envole, offrant une audience de masse aux auteurs de comic strips. Décors post-apocalyptiques ou cadres utopiques à la gloire du progrès technologique, les villes deviennent le laboratoire des "bédéastes". Observateurs critiques des divers visages de la modernité des années 1960-1970, les dessinateurs et scénaristes représentent des villes aux proportions démesurées, miroirs de sociétés violentes et chaotiques. La « Cité-Puit » de Moëbius et Jodorowsky, métropole souterraine organisée en strates verticales, système de « couches » sociales ou chaque niveau correspond à une caste plus ou moins favorisée, est illuminée par une lumière acide venant des profondeurs. Un lac d’acide dans lequel sont jetés les détritus de la ville et qui engloutit régulièrement les citadins suicidaires. Balustrade à suicide qui se retrouve dans le New-York-sur-Loire de Nicolas De Crécy et propose une réflexion sur l’aliénation de l’homme dans ces cités labyrinthiques. Des ensembles infinis de routes reliant les gratte-ciel et les immeubles, des édifices évoquant les projets de Le Corbusier et de Niemeyer. Sous les traits précis du duo franco-belge Schuiten et Peeters ou encore de Bilal, les cités dont rêvèrent les grands architectes de la modernité semblent enfin réalisées. Pourtant, le crépuscule remplace bientôt la lumière chaude éclairant le sommet aérien des immeubles, le vacarme des embouteillages et l’odeur âcre de pollution envahissent alors l’atmosphère. La cohérence d’un système urbain utopique se distord et révèle un espace complexe et trompeur échappant à toute logique.

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«Il faut savoir que New-York-sur-Loire est actuellement, et malgré son mystère géographique, une des plus grandes économies mondiales, une des capitales les plus peuplées, et peuplées des plus riches, des plus extravagantes, des plus religieuses des plus amphibies, pinnipèdes et graisseuses espèce vivantes», Introduction de New York sur Loire, De Crécy.

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“« L’Utopie, outil d'exploration des possibilités à venir » :

Les cités végétales de Luc Schuiten

« Pour des gens qui veulent bâtir un modèle de société en croissance infinie sur une planète déjà surexploitée, le mot utopie signifie l’illusion d’un rêve impossible à réaliser qui ne s’applique pas à leurs projets. Pour nous qui cherchons à construire un nouveau modèle de société durable, dans une symbiose avec notre environnement naturel, le mot Utopie veut dire simplement, un possible qui n’a pas encore été expérimenté. » Luc Schuiten

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Luc Schuiten est architecte mais également scénariste de bande dessinée, en collaboration avec son frère, le dessinateur François Schuiten. Face à un modèle de développement et de croissance destructeur, il imagine des nouveaux lieux de vies, conçus à partir de l'observation de vastes écosystèmes tels que les massifs coralliens ou les forêts primaires. Il développe le concept d’archiborescence en s’appuyant sur le biomimétisme, processus d'innovation et ingénierie s'inspirant des formes, matières, propriétés, processus et fonctions du vivant pour mettre au point des systèmes productifs et technologiques performants. En s’appropriant le savoir-faire de la nature pour l’intégrer dans la conception des bâtiments et de la ville, il imagine différentes perspectives futuristes, des villes évoluant dans le temps, un monde cohérent et poétique, et la création d'une nouvelle relation entre l'homme et son environnement naturel.

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«Aujourd’hui, construire c’est d’abord détruire: arbres abattus, terre cuite, pierres taillées, minerais fondus. La cité archiborescente, elle, est vivante. Elle se régénère à partir de ses propres déchets. Elle est conçue comme un massif corallien, où tous les systèmes se nourrissent les uns les autres. Elle est plus réaliste que les nouvelles villes comme Dubaï qui est construite sur le pillage des ressources de la planète.» Luc Schuiten.

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Archipels naturels de la Ville de Mexico Une oeuvre de Mariana Castillo Lรณpez

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Archipels naturels de la Ville de México est une intervention artistique créee a partir d’une réflexion sur le plan de la ville de Mexico, en constante évolution depuis l’avénement de Tenochtitlan jussqu’à aujourd´hui. L’oeuvre offre un questionnement sur les diverses facettes de la ville, du présent, du passé et du futur. Mariana Castillo López utilise le dessin comme outil pour proposer un nouveau regard sur une ville à redécouvrir. Une cartographie sensible émerge ainsi du miroir d’eau. Les axes de circulation principaux de la ville retrouvent leur fluidité, la ville donne vie aux îles d’un lac retrouvé. Références au passé mais aussi suggestion d’un futur végétal utopique, entre souvenirs et rêves, l’artiste insite sur le potentiel de création de la représentation et de la planéation urbaine définissant les conditions de vie d’un espace.

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Ville(s) Possible(s) Une oeuvre de Félix Blume

A quoi sonne ta ville? L’installation artistique de Félix Blume a été réalisée en collaboration avec des personnes aveugles, imaginant la ou les villes possibles à partir d’élèments sonores. Pour l’exposition, des sons de la vie quotidienne, des souvenirs ou des rêves ont été enregistrés et présentés sous forme de petites enceintes à allumer et à combiner. Le visiteur a ainsi la possibilité de composer sa ville, et, l’espace de quelques sons, de se laisser guider par les habitants vivant la ville par l’ouie et les bruits. Certains de ces sons ont pu etre écoutés aux feux piétons de la rue Medero en novembre 2016.

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Tisser la ville Oeuvre du collectif c.a.m.e.

Le projet a été construit en résidence dans le quartier d'Iztapalapa, au Sud-Est de la ville de Mexico, par les membres de c.a.m.e.collective en coréalisation avec le Faro de Oriente. L'ensemble de sa structure a été fabriqué au sein des ateliers de menuiserie et de ferronnerie qui existent sur place.

Un espace, un lieu commun: 70


Tejer la ciudad définit un espace. C'est un dôme qui rassemble, que l'on utilise comme outil d'expression et dont on pénètre l'univers. A l’intérieur de la structure, un sentiment de proximité se fait ressentir. Dans ce contexte, l’exiguïté prend un sens ludique. Les enfants pouvant se glisser au cœur de la structure s’approprient les recoins inaccessibles aux adultes, qui quant à eux replongent dans des souvenirs de cabanes d’enfance. A l’image de l'utopie, idéal dont nous tentons de nous rapprocher sans jamais vraiment l’atteindre, cette structure ne sera jamais vraiment achevée, elle pourra toujours tendre à se démultiplier, devenant infiniment petite ou infiniment grande. Par sa géométrie fractale, en se déployant, les arcs agrandissent de plus en plus la hauteur et le rayon de la structure. La fresque extérieure pourrait théoriquement se tisser à l'infini.

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Une action commune, construire ensemble Le dessein de Tejer la ciudad a, depuis le départ, été l’itinérance entre les districts d'Iztapalapa, de Miguel Hidalgo et de la Zona Rosa. Le projet participatif est guidé par l’idéal d'édifier ensemble. Il invite les visiteurs des différentes localisations à tisser graduellement une enveloppe. L’expression de chacun, une couleur, un matériau de ruban choisi, tisse, dessine, écrit sur la surface de l’habitacle, s’insérant dans le filet qui constitue une trame de fond. Tels des hypertextes, les tracés des participants contribuent à renvoyer aux environnements et acteurs variés. La structure n’est pas seulement un abri mais également un outil: c’est une machine à tisser, elle relie symboliquement les habitants des divers quartiers par l'art du tissage, technique qui fait échos à beaucoup. Sous les foudres d’Athéna, la tisserande Arachné se métamorphose en mère de toutes les araignées, tissant et réparant leurs toiles;; dans l’Iliade, Pénélope est sauvée par le tissage en attendant Ulysse… Art populaire antique au Mexique, le tissage est surtout ici création de lien, matérialisation d’une chaîne humaine. Les interventions individuelles suivront inspirations et envies, soit selon une technique traditionnelle, soit aidées par c.a.m.e.collective, ou encore réagissant aux palimpsestes des broderies préexistantes. Au fil des jours et des différents espaces d’exposition, les visiteurs poursuivront le tressage collectif, densifiant de plus en plus la surface formée par les arcs, la rendant ainsi de plus en plus parlante et bavarde.

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Tejer la ciudad, un outil nomade La structure primaire est formée de profils arqués en bois tous emboitables car issus de la même table de bois, qui se déplient autour d’un axe. Déployée, la structure crée un abri, elle s’enroule tel un coquillage. Repliée, la structure est une simple planche de bois facilement transportable. Ainsi, Tejer la ciudad peut être installé et désinstallé rapidement, dans les différents espaces d’exposition, ou dans d’autres contextes. Pour Thomas More, Utopia est une île, où est installée une société idéale. Nous déployons un lieu insulaire, répondant à sa propre logique et créant son propre environnement. Faisant écho à un abri primitif tel un igloo ou une hutte dont la simplicité formelle et constructive exprime universellement un espace habitable, cette forme pure, comme une gestalt, est unificatrice.

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Dans la galerie de la Casa de Francia

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Remerciements

L’exposition Demain, la ville? A été réalisée dans le cadre du festival franco-mexicain d’Utopies urbaines avec le soutien de l’Institut français. Les documents présentés dans cette exposition ont été collectés grâce au soutien de la fondation Le Corbusier, des Editions Casterman, des Editions Les Humanoides associés, de l’Institut Moreira Salles, du musée du Famisitère de Guise, de la cité Chaillot, de la ville de Auroville et de Luc Schuiten. La participation des équipes des services de coopération technique, audiovisuelle, culturelle et scientique de l’Ambassade de France à México a permis la diversité des propositions composant l’exposition. Un remerciement à l’équipe de l’Institut français d’Amérique latine et à la Casa de Francia pour le lieu et l’organisation de l’inauguration, ainsi que pour son aide au montage de l’exposition. Finalement, un remerciement à Antoine Godard et Aria Ribieras pour la co-production de l’exposition.

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Annexes Références des oeuvres reproduites Albert Robida, Le Vingtième Siècle, 1883 -Paris la nuit, héliogravure, p.5. -Station centrale des aéronefs a Notre-Dame, gravure sur bois, p.6. -Les tubes– Gare du tube du Sud à Paris, p.7. -La lune rapprochée. Départ de la première commission scientifique et colonisatrice, gravure sur bois, p.8. -Maison tournante aérienne, gravure sur bois, p.9. -Au sommet de l'arc de triomphe, p.9. Fondation Le Corbusier -Photographie FLC L2(14)43 , p.11. -Trois esquisses superposées illustrant trois aspects de Paris autour de Notre-Dame. De haut en bas: au MoyenAge, en 1925 et après l’application du Plan Voisin, Encre de Chine sur Calque cuir collé sur carton, 1925, p.12. -Croquis en plan de Paris et notes sur l'historique de la création de certains quartiers, Encre de Chine sur Calque d’étude, Plan Voisin, 1925, p.13. (haut) -Dessin en plan sur les 1er, 3ème, 4ème et 8ème arrondissements, Encre de Chine sur Calque cuir, 1925, p.13. (bas) -Dessin en perspective aérienne sur les bâtiments du quartier de la porte St-Martin et St-Denis, Encre de Chine sur Calque moyen, 1925, p.14. (gauche) -Dessin en perspective des parcs au pied des gratte-ciel, les redents, au fond en gradin les restaurants, cafés magasins et passage de l'autostrade, Encre noire et craie bleue sur Calque d’étude, 1925, p.14. (droite) -Croquis en perspective d'ensemble sur les bâtiments de la rive droite vue depuis l'Ile St Louis, Encre de Chine et crayon noir sur Calque d’étude, 1925, p.14. (bas) -Photographie FLC L2(14)51, p.15.

Musée du Familistère de Guise -La totalité des ouvriers dans la cour de l’entrée de l’entreprise Godin de Guise. Photographie anonyme, 1889, p.17. -Jean-Baptiste André Godin, Photographie anonyme, autour de 1860: collection des archives départamentales de l’Aisne, p.18. -La place centrale. Les écoles et le théâtre face au monument de Jean-Baptiste André Godin. Photographie anonyme, 1895, p.18. 84


-Dans la cour du Pavillon central, le bal de la Fête de l’enfance. Photographie anonyme, 1909, p.20. -Le théâtre, fête de l’enfance, photographie anonyme, septembre 1899, p.21. -Cour du Pavillon central. Photographie G.Fessy, p.21. Auroville OutreachMedia Photographes: Paulette Hadgany, Marco Saroldi, Dominique Darr -Galaxie, photographe, p.23. -Matrimandir, John Harper, p.24. -Premières constructions (en haut), l’école (en bas), p.25. -La mère, p.26. Instituto Moreira Salles A construção de Brasília, Gautherot Marcel: -El Plano piloto, Brasilia, vista aérea, p.29. -Trabalhadores no Congresso Nacional, 1959, p.30. -Congresso Nacional em construção, Esplanada dos Ministérios, 1959, p.31. -Parque infantil em superquadra da asa Sul, 1968, p.32. -Os quatro evangelistas, escultura de Alfredo Ceschiatti, Catedral Metropolitana Nossa Senhora Aparecida; Esplanada dos Ministérios; Asa Sul, 1970, p.33. -Congresso Nacional, 1960, p.33. -Congresso, 1960, p.34, 35, 36. -Ministérios em construção, Esplanada dos Ministérios, 1959, p.37. Cité Chaillot, cité de l’architecture et du patrimoine, Paris. Claude Parent -Les Spirales - Ponts III, 1971, encre noire sur papier calque, p.39. -Proyecto utópico de ciudad, Les Cônes, 1960, encre sur calque collé, p.40. -Inclisite (con Paul Virilio), 1966, encre noire sur papier fort, p.41. -La Colline de Sens, 1971, encre noire et marqueur sur ápier fort, p.42. -Turbosite III, un cratère, 1966, mine de plomb sur calque, p.43. -Paris 89, 1982, crayon sur papier, p.43. Les Ediciones Casterman -Extraits de " Les cités obscures, La route d’Armilia " de Schuiten et Peeters, p.45, p.49. -Extraits de " New York sur Loire " de De Crécy, p.47, p.47, p.48. 85


-Extrait de " Les cités obscures, L’ombre d’un homme " de Schuiten et Peeters, p.50. -Extrait de " Le sommeil du monstre " de Enki Bilal, p.51. Les éditions Les Humanoides associés -Extraits de “Avant l’Incal”, tome 6 et tome 1 de Moebius y Jodorowsky, p.52, 53, 54. -Extrait de “L’Incal”, tome 4, de Moebius et Jodorowsky, p.55. Luc Schuiten -La cité des tours verticales, p.57. -La cité lotus, p.58. -Lyon, vue aérienne, p.59. -Intérieur au fauteuil, p.59. -Shanghai, panorama, p.60. -Panorama cité végétale, p.60. -Strasbourg grand panorama, p.61. -La cité des tours, p.61. Installation sonore Ville(s) Possible(s), Felix Blume Avec: Abigail Maite Zavala Rosas, Alejandro Amado Romualdo, Esau Daniel Montes Cornelio, Ismael Vivero Monroy, Joel Oliva, Maricarmen Grau, Miguel Ángel Nava Jiménez, Monica Crisostomo Moctezuma, Octavio Baez Salgado, PedroWaldo López, Ruben Álvarez Trejo. En collaboration avec Adriana Santiago et Vania Rocha. Conception électronique: Cecilia Sánchez Nava Adaptation électronique Casa de Francia: Sara Lana.

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Avec le soutien de:

Fondation Le Corbusier: http://www.fondationlecorbusier.fr/corbuweb/morpheus.aspx?sysName=home&sysLanguage=fr-fr&sysInfos=1 Musée du Familistère de Guise: https://www.familistere.com/nous-contacter-2/ Instituto Moreira Salles: http://www.ims.com.br/ims/

Auroville Outreachmedia: http://www.auroville.org/ La cité Chaillot, cité de l’architecture et du patrimoine: https://www.citedelarchitecture.fr/ Les Humanoides associés: http://www.humano.com/ Les Editions Casterman: http://www.casterman.com/ Luc Schuiten: http://www.vegetalcity.net/ Institut français: http://www.institutfrancais.com/fr

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