Mode de recherche 2

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Luxe et patrimoines

CENTRE DE RECHERCHE INSTITUT FRANÇAIS DE LA MODE

Dossier/ Luxe et patrimoines

3

Entretien/ Geneviève Teil Le luxe comme objet des sciences sociales

4

Luxe : patrimoine ou capital de marque ?

12

Marie-Claude Sicard

Le patrimoine des industries du luxe : Bernardaud et Baccarat à l’heure de la valorisation

16

Eugénie Briot

De la vitrine au musée : la relation entre la marque et son patrimoine

20

Bruno Remaury

Le luxe dans le prisme des systèmes d’informations

Mode de recherche, n°2.

Publication semestrielle - juin 2004

23

Laurent Raoul

Note de lecture

33

Olivier Assouly

Editorial

Etats de la recherche

39

Publications

41

Abonnement gratuit

47

Si de nos jours le luxe se décline avec la commercialisation de biens et de services sous l’égide de marques prestigieuses, françaises ou étrangères, il n’en a pas toujours été ainsi. Il suffit de rappeler que le luxe fut d’abord associé durant le Moyen-Âge aux impératifs d’honneur de la chevalerie ; ensuite, à l’obligation de représentation dans la société de cour ; enfin, avec l’essor du capitalisme, aux signes ostentatoires de la bourgeoisie industrielle. Ce détour historique dépasse la simple curiosité. En effet, aujourd’hui, l’argumentaire des marques de luxe mobilise le passé et renvoie à des valeurs culturelles et historiques destinées

à asseoir leur légitimité. Pour la simple raison qu’il n’existe pas un luxe immuable, il importe ici, entre autres avec la question des patrimoines, d’en saisir les contours, les limites et les mutations. Ce numéro dessine les prémisses d’une réflexion plus nourrie sur le luxe, à l’occasion de l’ouvrage collectif que publiera l’IFM en novembre 2004, où seront réunies les contributions de chercheurs internationaux et pluridisciplinaires.


Luxe et patrimoines

Dossier/ Luxe et patrimoines

3

Entretien/ Geneviève Teil Le luxe comme objet des sciences sociales

4

Luxe : patrimoine ou capital de marque ?

12

Marie-Claude Sicard

Le patrimoine des industries du luxe : Bernardaud et Baccarat à l’heure de la valorisation

16

Eugénie Briot

De la vitrine au musée : la relation entre la marque et son patrimoine

20

Bruno Remaury

Le luxe dans le prisme des systèmes d’informations

23

Laurent Raoul

Note de lecture

33

Olivier Assouly

Etats de la recherche

39

Publications

41

Abonnement gratuit

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Le Centre de Recherche de l’IFM bénéficie du soutien du Cercle Jean Goujon qui regroupe les entreprises mécènes de l’Institut Français de la Mode : CHANEL DISNEYLAND PARIS FRANCE PRINTEMPS GROUPE ETAM KENZO L’ORÉAL PRODUITS DE LUXE VIVARTE YVES SAINT LAURENT


Dossier/ Luxe et patrimoines

L’argumentaire des maisons de luxe puise dans le passé des valeurs culturelles et historiques fondatrices. L’objectif est ici d’identifier les enjeux autour des patrimoines, d’en saisir les contours, les limites et les mutations. Précédé d’un entretien sur la place du luxe au sein des sciences sociales, ce dossier s’achève avec une bibliographie sélective sur le luxe.

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Entretien/ Geneviève Teil INRA Le luxe comme objet des sciences sociales

Geneviève Teil, chercheur en sociologie à l’INRA, s’intéresse aux questions de la circulation marchande des produits de qualité, du goût des consommateurs, et des prescriptions relatives à la consommation. Elle a notamment rassemblé son attention, au fil de colloques et de publications, sur la problématique des produits de luxe. Auteur de l’ouvrage De la coupe aux lèvres – Pratiques de la perception et mise en marché des vins de qualité (Editions Octarès, Collection Applications de l’anthropologie, Toulouse, 2004), elle anime le groupe de travail Mise en Marché qui s’est donné comme but de réunir les efforts des participants pour produire une analyse pragmatique du fonctionnement des marchés. Olivier Assouly : De quelle manière les sciences sociales ont-elles jusqu’à présent considéré la question du luxe ? Geneviève Teil : En sociologie, la question du luxe telle qu’on la trouve chez Veblen, Bourdieu, par exemple, est reliée à celle du goût car le luxe est souvent entendu comme un goût particulier, un goût d’élites sociales. O.A : Quelles sont les difficultés que pose cette définition sociale du luxe comme goût des élites ? G.T : Le luxe y est étroitement lié au goût et aux pratiques de consommation des élites. Les produits de luxe sont des produits de consommation des élites qui marquent leur spécificité en matière de goût ; ce sont

donc des moteurs de la structuration sociale des goûts. Ils sont spécifiques de ces classes parce qu’ils sont chers et sont donc de ce fait réservés aux personnes qui ont la possibilité économique de se les acheter. Les élites sociales ne consomment pas que des produits chers et les produits chers ne sont pas seulement consommés par les élites sociales. La définition des produits de luxe rassemble donc tous les produits chers que ne consomment que les élites sociales. Une telle définition présente deux inconvénients. Si elle épouse assez bien les définitions de ces produits par des acteurs qui ne les consomment pas, elle s’oppose aux définitions d’acteurs aussi centraux que les clients du luxe qui disent apprécier ces produits, ou les producteurs pour lesquels ce sont des produits de très haute qualité. Son premier inconvénient est donc de donner a priori raison aux acteurs qui sont les moins engagés dans une connaissance intime de ces produits. Le second inconvénient consiste à vider le produit de luxe de toute qualité substantielle pour n’en faire qu’un signe. Tout le considérable travail de fabrication est réduit à la production de la cherté et de la rareté, deux caractéristiques pour lesquelles les fabricants apparaissent gaspiller une énergie considérable. Et toutes les incertitudes des consommateurs de produits de luxe sur les qualités de ces produits sont elles aussi a priori écartées de la problématique. Cette définition fait alors émerger un soupçon. En épousant le point de vue des opposants qui dénoncent l’existence des produits de luxe et en vidant de tout contenu les arguments de leurs partisans, elle donne raison aux premiers et se rend invérifiable. C’est pour éviter les difficultés que posent ces définitions a priori des produits de luxe que nous avons tenté d’aborder différemment cette question en évitant de présupposer une nature intrinsèque aux produits de luxe, leur qualité ou leur capacité à alimenter la différenciation sociale


des goûts, et en cherchant au contraire à savoir comment les acteurs cherchaient à en faire une catégorie particulière de produits. O.A : Comment faut-il alors reposer la question du luxe ? G.T : Pour aller plus loin, il faut creuser la question du goût depuis laquelle la sociologie envisage celle du luxe et donc les théories du goût. Le mot goût est très polysémique. Il faut donc bien préciser ce qu’il recouvre à chaque fois. En sciences humaines, le goût d’une personne ou d’un ensemble de personnes désigne leurs préférences pour certaines choses, autrement la manière dont ils hiérarchisent certains objets. Cette capacité à classer selon un ordre hiérarchique est tenue pour propre aux acteurs : ils font des « jugements de valeur ». Etant propre aux acteurs, cette capacité est traitée par des disciplines qui s’occupent des phénomènes propres aux acteurs, les sciences humaines en général, la psychologie et la sociologie en particulier. La sociologie a rapproché ces hiérarchies d’objets des hiérarchies sociales et produit des interprétations qui tentent d’expliquer comment les objets participent à la hiérarchisation sociale. L’imitation et la distinction sont les deux grands mécanismes sociaux qui permettent d’expliquer d’une part la constitution de classes de préférences propres à des classes de personnes et d’autre part la hiérarchisation de ces classes. Mais le goût n’est pas seulement un phénomène social d’imitation ou de distinction où les personnes auraient des goûts entièrement déterminés par les autres. Ce qui suppose qu’elles ne feraient que répéter ce que certains acteurs socialement hiérarchiquement supérieurs, toujours vus comme de bons prescripteurs d’opinion, leur diraient de préférer. Les préférences des personnes s’appuient aussi sur leur perception sensorielle individuelle, indépendamment de toute écoute des prescriptions sociales.

La sociologie a donc proposé des mécanismes d’incorporation, l’habituation ou la familiarisation notamment – on aime ce que l’on connaît déjà. La psychologie sociale de son côté a plutôt opté pour des mécanismes de conditionnement – on se met à aimer ce qui est valorisé par d’autres. Dans les deux cas, ces mécanismes ont pour but d’expliquer comment des préférences socialement construites – car liées aux hiérarchies sociales – sont redoublées par des mécanismes d’incorporation qui transforment les préférences sociales en préférences sensorielles. C’est pourquoi pour la sociologie, les préférences sensorielles des acteurs ne sont qu’une illusion des acteurs qu’il ne faut jamais croire car elles ne sont que le résultat de l’incorporation de préférences socialement construites. Même si les acteurs disent qu’ils aiment les produits de luxe, cet amour des produits de luxe n’est qu’une illusion, car l’objet de luxe n’est qu’un objet prétexte qui ne fait que permettre le fonctionnement des mécaniques sociales d’imitation et de distinction. Pour reprendre les mots de Bourdieu, les objets objectivent les relations sociales, ils sont notamment des illusions sensorielles objectives. Il reste que cette objectivation suppose un mécanisme très fort, l’incorporation qui assure la transformation de déterminations sociales en déterminations sensorielles. La sociologie suppose les mécanismes d’incorporation ; mais elle ne s’est pas vraiment préoccupée de comprendre comment ils fonctionnent ou s’ils sont les seuls. C’est plutôt vers la psychologie ou la physiologie du goût qu’il faut alors se tourner. O.A : La psychologie et la physiologie sontelles parvenues à proposer une explication du ou des fonctionnements de l’incorporation? G.T : Dans ces deux disciplines, ces mécanismes d’incorporation, conditionnement ou habituation, reposent tous sur une même hypothèse selon laquelle il y aurait deux registres sensoriels distincts de saisie


de la réalité : d’une part, un registre de perception de la variété des caractéristiques sensorielles distinctes non hiérarchisées, le sucré le salé, le rouge le jaune, le piquant, le rugueux etc. ; de l’autre, l’hédonisme ou la perception du plaisir, qui serait un support sensoriel permettant de hiérarchiser. Le premier est un registre de description du monde, grâce auquel on peut avoir une connaissance de ce qui le constitue. Le second est un registre d’évaluation grâce auquel les personnes font leurs jugements de valeur sur le monde et sur lequel s’exercent le conditionnement et l’habituation. Ces deux registres sont considérés comme superposés : le registre de description non hiérarchique informe le registre hédoniste d’évaluation qui lui associe une valeur. Mais, comme le registre hédoniste est sensible aux influences inconscientes, en particulier aux influences sociales, la valeur attribuée aux choses est donc sociale. C’est ainsi, selon ces chercheurs, que bien qu’ils ne le sachent pas, les évaluations des acteurs n’échappent jamais aux influences sociales et donc à l’imitation et la distinction. Dans la mesure où le goût ne saurait échapper au social, toute consommation comprise comme le signalement d’un goût est donc socialement produite et reconduite indépendamment de ses caractéristiques propres. En particulier les goûts de luxe, et donc la consommation des produits de luxe, sont interprétés comme le résultat de mécanismes de différenciation sociale. Et en aucun cas, on ne peut se fier aux acteurs pour comprendre l’amour des objets de luxe ni leur économie, puisque les préférences sont irrémédiablement des illusions. O.A : Cette hypothèse est très largement répandue. A-t-elle été empiriquement vérifiée ? G.T : La physiologie et la psychologie utilisent pour justifier cette différence de nature, le fait que ces perceptions s’opèrent dans des lieux différents du cerveau, mais coordonnés.

Personnellement, dans les différentes expériences de dégustation que j’ai menées, je n’ai jamais observé de lien systématique entre des registres permettant de classer et des registres permettant de décrire dans les commentaires que les personnes pouvaient faire des produits qui leur étaient soumis. Quand on fait commenter des produits, les personnes peuvent les classer les uns par rapport aux autres, les évaluer dans l’absolu ou encore les décrire, ce qui revient souvent à faire l’inventaire de leurs différences. Le lien caché supposé par la physiologie est finalement assez rare à observer (ce qui ne veut pas dire qu’il n’existe pas). Mais de plus, quand ce lien existe, il est problématique : les personnes se demandent souvent de quel point de vue elles doivent juger. Doiventelles se fonder sur elles-mêmes, sur ce que tout le monde en pense, sur ce que prétend l’objet ? Elles se demandent aussi si elles ont bien tout perçu, s’il ne faudrait pas en savoir plus, etc. Par ailleurs, Rozin, un psychologue social, s’est attaché à mieux cerner les mécanismes d’incorporation, à savoir si la familiarisation et le conditionnement sont les seuls, quelles sont leur efficacité, etc. Il a abouti à un résultat persistant : la familiarisation ne fonctionne pas bien. Les enfants n’ont pas les goûts de leurs parents, l’habituation ne reproduit pas les goûts, la valorisation par les parents ne permet pas de rendre les produits désirables. Mais alors c’est l’ensemble de la mécanique qui se fissure. Et si les mécanismes sociaux sont peu performants, on peut à nouveau penser que la perception sensorielle n’est pas qu’une illusion sociale et que les acteurs participent à leurs préférences ou du moins qu’ils peuvent être une source d’information. De plus, si l’on demande aux acteurs de donner leurs préférences, de les relier aux caractéristiques des produits, on constate que les hypothèses centrales de la physiologie du goût à propos de la présence et de l’articulation des signes sensoriels hédonistes ou non hédonistes sont rarement observées. Les acteurs n’ont pas


toujours de préférences, ne savent pas toujours ce qu’ils aiment et ces préférences n’ont que rarement la stabilité qu’on leur prétend. En particulier, l’hypothèse du lien entre perception descriptive et évaluative semble nécessiter, là où elle est observable, par exemple chez les sommeliers dans certains jurys d’expertise sensorielle, un appareillage considérable de la perception. Dans l’immense majorité des cas, ce lien n’est pas fait, ou pas de manière stable et reste parfois très problématique pour les acteurs quand ce n’est pas un enjeu de leur activité, comme dans le cas du marketing. O.A : Que faire alors du registre de description et du registre de l’évaluation ou du jugement ? G.T : Il semble plutôt que ce soit deux modalités différentes de saisie des phénomènes sensoriels. La description est une technique analytique de différenciation non hiérarchique d’objets. Elle multiplie et ordonne les qualités dans des classifications horizontales pour reprendre l’imagerie économique. L’évaluation est une technique de hiérarchisation qui nécessite un point de référence externe pour produire une mesure, une distance ou un ordre entre ces points. Un exemple, pour hiérarchiser trois odeurs, il faut – au moins – un point externe à ces trois odeurs, comme une odeur différente des trois que l’on va prendre pour référence pour évaluer la plus ou moins grande ressemblance entre elle et les trois autres. Plus une description est fine plus elle produit de la différence au sein d’objets similaires. Plus une évaluation est puissante, plus elle permet d’ordonner d’objets hétérogènes. On observe ces deux opérations de qualification des choses dans les commentaires que produisent les personnes sur les choses. Mais elles ne sont pas toujours toutes les deux présentes. Elles peuvent cependant parfois être finement entremêlées et s’appuyer mutuellement. En s’intéressant donc aux techniques de description, de jugement, bref aux modalités d’énonciation des personnes sur les

choses, on peut donc espérer arriver à une nouvelle interprétation des phénomènes liés au goût et donc au luxe. Mais il faut alors reconsidérer en particulier l’activité de tous les professionnels de l’expertise des choses comme les critiques, les producteurs ou artistes, ou même les chercheurs. Tous les acteurs, y compris ceux en charge d’une définition non sociologique de la valeur des perceptions, les chercheurs, les musicologues, les œnologues, les sémiologues, etc., qui étaient réduits à n’être que les éléments de la cheville ouvrière de la sociologisation des goûts. Pour ce qui concerne le luxe notamment, les producteurs peuvent maintenant être vus comme des personnes cherchant à produire des choses de qualité, qu’il s’agisse de voitures ou d’art. Cette intention qu’ils affichent n’a plus à être jugée a priori par le chercheur comme vraie ou fausse, mais comme un désir à la réalisation incertaine et nécessitant la mise en œuvre d’une activité dont on peut toujours parfaire l’efficacité. De la même manière les choix opérés par les acheteurs ne sont plus à disqualifier d’entrée comme illusion, mais doivent être interrogés. O.A : Quelle autre définition générique peut-on proposer du luxe ? G.T : Le point de vue de recherche que nous proposons aboutit donc à suspendre les hypothèses sur le goût et les préférences pour revenir en arrière et étudier la manière dont les acteurs savent ou non ce qu’ils aiment, ce qui est beau, mais aussi la manière dont ils s’interrogent et produisent leurs préférences, les nuances très fines sur la référence (style, mon goût, celui des autres) qu’ils peuvent faire lorsqu’ils portent des jugements sur les produits. Mais si le goût apparaît plus problématique, le goût du luxe et donc des élites sociales devient tout aussi incertain. Ainsi, du point de vue adopté, le luxe n’est donc pas un donné qu’il appartient au chercheur de cerner finement, mais un


résultat dont la délimitation dépend de l’efficacité de l’action des acteurs. Le luxe sur lequel j’ai centré mon analyse concerne exclusivement des marchandises de luxe qui sont vendues. Ces observations font apparaître une activité extrêmement ciblée qui conduit à une délimitation pragmatique, fondée sur l’activité des personnes concernées par le luxe et qui a pour résultat d’en faire un domaine différent des autres produits commerciaux. La mise en marché du luxe regroupe un grand nombre d’actions et de procédures de commercialisation qui a en commun de tenter de produire l’accord entre les produits et les consommateurs en le fondant sur la reconnaissance de l’excellence de ces produits. Les acheteurs du luxe sont donc notamment ceux qui reconnaissent cette excellence et en font un critère d’achat, mais aussi des acheteurs « décalés, qui bricolent ou détournent » et achètent ces produits indépendamment de l’intention d’excellence dont ils sont chargés par leurs auteurs. Ce déplacement de point de vue conduit à un déplacement de définition des produits de luxe : ce sont ceux que leurs producteurs cherchent à vendre en tentant de faire reconnaître leur excellence. Cette délimitation par l’activité qui les différencie évite les inconvénients tant des définitions à partir des objets – produits excellents en eux-mêmes, produits juxtaposant des composants excellents de première qualité etc. – que des définitions par les usagers – produits achetés par les acteurs en quête de distinction sociale ou mus par des stratégies imitatives, etc. Mais cette nouvelle délimitation n’est pas sans lien avec ces autres définitions. L’action menée pour faire exister ce secteur s’appuie sur une démonstration d’excellence des produits (jamais acquise au départ, c’est toute la différence avec les définitions à partir des objets ci-dessus), et aboutit à ne pas chercher à configurer une demande particulière. Ce qui fait qu’il est impossible de saisir les acheteurs de produits de luxe par des goûts spécifiques, des

besoins, des désirs des qualités particulières à ces produits. Ils sont alors très souvent décrits comme étant des acheteurs dont les comportements d’achat ne sont pas fondés dans le produit. Mais le point de vue adopté montre que ce comportement d’achat n’est pas le résultat de caractéristiques propres aux acteurs ! Il est le résultat de l’absence de prises sur la demande que comporte la mise en marché du luxe. O.A : Comment doit-on comprendre la référence constante des acteurs du luxe et notamment des producteurs à la notion de qualité (matériaux, rareté, traditions, authenticité, savoir-faire) ? G.T : Pour la sociologie, le produit de luxe est un produit dont la consommation permet d’asseoir une distinction sociale. La définition du produit de luxe ne repose donc en rien sur les qualités propres à ces produits. Or, il peut paraître curieux d’écarter la question de leur qualité ou de la réduire à une illusion, surtout, comme c’est le cas dans le luxe, lorsqu’elle motive à ce point l’activité des producteurs. Nous préférons considérer la qualité des produits de luxe non pas comme une illusion, même objectivée, mais comme une prétention. Et une partie du succès des produits de luxe dépend de la capacité des producteurs à faire reconnaître cette prétention, ce qu’ils font avec une étonnante ingéniosité dans l’usage des médias et des outils de commercialisation. O.A : Suffit-il de produire un objet de qualité pour aussitôt parler de luxe ? G.T : Il existe de nombreux produits ayant une prétention de qualité, comme le vin, le fromage, le sur mesure… les voitures. Tous ne sont pas des produits de luxe. Dans tous les cas, les produits ont une prétention de qualité, mais la manière dont leurs producteurs tentent de la faire reconnaître n’est pas la même. Dans le cas du vin de qualité que nous avons étudié, les producteurs tentent de


faire valider leur prétention de qualité par un ou plusieurs critiques. Mais les critiques ne s’accordent pas sur l’évaluation des vins, ni du point de vue du jugement sensoriel, ni de celui des critères constitutifs de la qualité. Ensuite, le travail des critiques repose sur une activité intense de comparaison et de jugement des vins dans laquelle ils multiplient les principes de référence du jugement : leur goût, la qualité intrinsèque du produit, le style du producteur, de l’appellation, etc. Nous n’avons pas trouvé trace de telles comparaisons pour les produits de luxe, comparaisons qui paraissent même saugrenues ; de plus, tous les journalistes apparaissent toujours comme des informateurs qui décrivent la qualité des produits et non des juges. La différence entre les produits de qualité et les produits de luxe peut donc être circonscrite par la notion d’excellence qui suppose une qualité incomparable et qui ne doit donc pas être comparée. Les produits de luxe semblent parvenir à fournir aux médias chargés de leur diffusion à la fois les produits et le style à l’aune duquel le produit convient d’être jugé alors que dans le cas des vins, le travail de jugement de la qualité dépasse très largement celui de la reconnaissance d’un style au sein d’un comité de dégustation d’appellation. En revanche, à l’intérieur de chacune des catégories de produits sus-nommées, on peut remarquer qu’il existe toujours un petit ensemble de produits particuliers (les premiers grands crus classés de Bordeaux, le Romanée Conti, le Grange australien, le Vega Sicilia, etc. pour les vins par exemple, les Rolls Royce, Ferrari, Bentley, etc. pour les voitures), qui jouissent de réputations quasi universelles de qualité supérieure et ne font pas un grand usage de la critique pour faire reconnaître leur qualité de produits. O.A : Vous vous situez donc à égale distance de ces deux définitions, mais sans les rejeter définitivement ?

G.T : Le déplacement de point de vue de recherche que l’on effectue ici permet de montrer un point important. La définition sociologique du luxe par la consommation ostentatoire ou socialement classante apparaît n’être que la reprise de la dénonciation de cette consommation par les non consommateurs du luxe. La définition du luxe par la qualité et l’excellence n’est autre que la reprise de l’intention des producteurs ou de l’interprétation de la plupart des consommateurs. Que l’on reprenne l’une ou l’autre de ces définitions revient à considérer les efforts de qualification des dénonciateurs ou des partisans comme absolument efficaces, ce que la persistance des deux nie, ou bien à considérer a priori que l’une est vraie et l’autre fausse. Mais alors quel est le principe de hiérarchisation des différentes activités des acteurs qui permet d’en décider ? O.A : Que reste-t-il des courants sociologiques, depuis Veblen jusqu’à Bourdieu, qui faisaient du luxe un des pivots d’une théorie de la distinction ? G.T : Comme je le disais à l’instant, on retrouve ces définitions du luxe chez de nombreux acteurs qui dénoncent le luxe. Mais aussi curieusement chez certains acteurs qui participent à sa mise en marché. Comme c’est souvent le cas, les théories sociologiques sont rapidement reprises par les acteurs et utilisées par eux pour comprendre, expliquer, motiver leurs actions. C’est encore le cas ici. En effet, au contraire des sociologues, les producteurs du luxe prennent leur intention de qualité très au sérieux et y ajustent leur action. Néanmoins, de nombreux clients n’achètent pas - ou semblent ne pas acheter - les produits de luxe pour leur excellente qualité. Pour comprendre cet écart, ces acteurs ont recours aux théories sociologiques ou psychologiques qui fournissent des motivations des acheteurs non liées à la qualité des produits.


O.A : La thématique du luxe est-elle du ressort plutôt de la sociologie, de l’anthropologie ou de la philosophie ? Existe-t-il une science plus à même que les autres pour traiter de luxe en sachant que les objets de luxe sont eux-mêmes très divers ? G.T : Poser la question comme une question de discipline revient à faire des hypothèses sur la nature du phénomène que l’on observe. Si l’on évite, comme nous tentons de le faire, de supposer a priori la nature des phénomènes que l’on observe pour permettre une meilleure observation de l’activité des acteurs qui vise à leur conférer des propriétés particulières, la question du luxe, mais plus généralement celle du goût ou des activités humaines contourne ce fractionnement disciplinaire pour privilégier l’observation des actions collectives qui aboutissent à donner naissance à une catégorie particulière de produits, les produits de luxe. O.A : La question du luxe se laisse-t-elle réduire à celle du goût ? L’objet de luxe n’existe-t-il qu’à travers les médiations du goût ? G.T : Le luxe est souvent défini par un goût spécifique pour les produits dits de luxe qui sont à leur tour définis comme étant ceux des élites, si l’on est plutôt sociologue ; les produits très chers, si l’on est plutôt économiste ; les produits de qualité, si l’on est technologue. Ces définitions opposent trois explications de la satisfaction produite par les produits de luxe. Pour la première, ce sont les caractéristiques propres aux produits qui font leur qualité et donc la satisfaction de l’usager ; pour la seconde et la troisième c’est la capacité classante de ces produits par leur prix ou leur image. Nous ne disons pas que ces deux définitions soient vraies ou fausses, mais elles ne sont que des cas particuliers de motivations ou d’interprétation des acteurs que leur expérience de ces produits ou les théories existantes leur permettent ou non de confirmer.

Dans la perspective que nous adoptons, celle de la mise en marché, la question du luxe dépasse celle du goût ou plutôt la déplace vers la question de la production de la satisfaction. Si l’on analyse la manière dont les producteurs de luxe tentent d’induire la satisfaction envers leur produit, on s’aperçoit que leur commune prétention à une excellente qualité les amène à faire un emploi similaire de certaines techniques commerciales et instruments de communication. O.A : N’y a t-il pas dès lors un risque à lier qualité et subjectivité du goût pour des objets qui visent un degré de qualification plus universelle ? G.T : Le goût n’est pas intrinsèquement subjectif. C’est une hypothèse très forte que fait là la sociologie. De notre point de vue, le caractère objectif ou subjectif dépend du format objectif ou subjectif que veulent lui conférer les acteurs. Certains veulent avoir un goût indépendant de leurs propres caractéristiques de goûteur, d’autres pensent que c’est impossible… cela dépend ! La pratique peut chercher à rendre le goût le plus dépendant ou le plus indépendant possible du goûteur. Dans ce cas, il dira souvent que ce goût est subjectif ou objectif. Mais c’est un résultat de leur action, pas une propriété de nature du goût. O.A : La qualité des produits de luxe est-elle une propriété objective, une donnée identitaire? Comment cette qualification des producteurs peut-elle ensuite être partagée par les acheteurs ? G.T : Ni propriété de l’objet, ni donnée identitaire du sujet du point de vue théorique que nous avons adopté, bien sûr. En revanche, l’ensemble des moyens retenus pour assurer la mise en marché d’un vaste ensemble de produits de luxe cherche à conférer aux produits de luxe une qualité indépendante de leurs usagers, et qu’eux-mêmes appellent objective. Mais elle n’est pas objective en soi, elle est


rendue objective par leur travail spécifique de diffusion des jugements sur leur qualité. O.A : Quelles sont les procédures ou activités par lesquelles les producteurs tentent de faire reconnaître la qualité de leurs produits dits de luxe ? Quel rôle les médias jouent-ils au sein de ce processus ? G.T : Ces procédures sont à la fois fines et complexes. Elles visent à faciliter l’agrégation des reconnaissances de la qualité intrinsèque des produits et donc indépendantes des « goûts » particuliers, tout en cherchant à disperser les contestations en les renvoyant à la multitude des goûts particuliers. Les médias sont très utilisés car ils sont équipés pour produire de « l’information » sur les objets à une multitude de lecteurs peu différenciés. Le format de ces outils est donc particulièrement bien adapté à la procédure de mise en marché du luxe. O.A : Quelle est la spécificité de ce luxe à strictement parler français ? G.T : Concernant le lien entre France et luxe, il semble que cette mise en marché soit un savoir-faire français de commercialisation que l’on ne retrouve pas aux USA par exemple, et qui est sans doute assez rare ailleurs qu’en France. Mais une telle affirmation demande à être vérifiée.


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Luxe : patrimoine ou capital de marque ? Marie-Claude Sicard

On mise beaucoup, dans l’univers du luxe en particulier, sur la notion de « patrimoine de marque ». L’expression s’est répandue en marketing en même temps que celle de « capital de marque », au début des années 901, peu après que les financiers aient commencé à prendre conscience des profits énormes qu’ils pouvaient retirer des marques, et que la Bourse commence à s’en mêler. Toutes les marques, aujourd’hui, utilisent à peu près indifféremment l’une ou l’autre formule. Mais les marques de luxe ont une nette préférence pour « patrimoine » : le mot est plus noble, et convient mieux à l’idéologie aristocratique que ces marques continuent à entretenir avec soin – alors même que beaucoup d’entre elles sont nées au XIXe, et d’origine bourgeoise2. Pour la même raison, elles préfèrent parler de leurs « clients » que de leurs « consommateurs ». Ces dédoublements de langage sont très révélateurs de l’ambiguïté fondamentale des marques de luxe européennes, et spécialement françaises, qui regardent d’un côté sur le modèle de la société de cour3, de l’autre sur celui de l’entreprise moderne telle qu’elle s’est développée à partir du XIXe4. « Patrimoine » et « capital » sont-ils vraiment interchangeables ? Ou bien les nuances qui les séparent entraînent-elles des différences dans la gestion des marques de luxe ? Une préférence significative Si les marques de luxe préfèrent parler de « patrimoine » de marque, c’est que le mot se rattache à l’idée de lignée ( il désigne les

biens du pater familias), donc de famille, et d’héritage. « Patrimoine » apparaît d’ailleurs plus tôt, en français, que « capital », utilisé tel que nous le connaissons à partir du XVIe siècle. Cependant, la chose existait avant le mot : l’histoire, ou en tout cas l’esprit du capitalisme sont plus anciens qu’on ne le croit habituellement, puisque les spécialistes les font remonter au XIe siècle5. La principale différence entre les deux mots n’est donc pas historique, mais vient essentiellement du fait que « patrimoine » suppose une filiation, donc un lignage, tandis que « capital » relève plus clairement du vocabulaire commercial et financier. L’un se reçoit, l’autre peut se créer de toutes pièces. Le premier est davantage du côté de la transmission, si possible à l’identique et sur le long terme ; le second, du côté de l’accumulation, mais aussi bien de la dissipation, l’une comme l’autre pouvant être très rapides. Prenons le premier. Dire qu’on dispose d’un « patrimoine de marque » dans le luxe, cela revient à revendiquer d’anciens et authentiques quartiers de noblesse. C’est aussi pouvoir transmettre ce patrimoine de génération en génération, comme c’est le cas pour le joaillier Mellerio dit Meller, dont la discrétion n’empêche pas le prestige, et qui appartient à la même famille depuis le XVIe siècle. Cependant, Mellerio est une exception. La règle est tout autre. Il y a des patrimoines qu’on peut à peine appeler ainsi, car ils s’éteignent avec leur créateur. D’autres qu’on oublie, ou qu’on fabrique de toutes pièces ; ou qui revivent, trois petits tours, et puis s’en vont. Autrement dit, détenir un « patrimoine », même dans le luxe, ne suffit pas à assurer la pérennité d’une marque, encore moins son succès. Car la question est de savoir ce qui, dans un patrimoine, peut ou non se transmettre. De quel héritage parle-t-on ? La noblesse a longtemps été héréditaire, avant de pouvoir s’acheter. Elle était l’apanage de ceux qui faisaient preuve de


courage, d’honneur, de loyauté. On pensait que ces valeurs morales se transmettaient par le sang. Malheureusement, même au moment le plus glorieux du système aristocratique – en France, sous le règne de Louis XIV – cette transmission pouvait se tarir, comme le montre, dans le Don Juan de Molière, le rappel courroucé de Don Luis à son fils (« Apprenez que la vertu est le premier titre de noblesse »). Au cœur de la notion de « patrimoine », dans l’idéologie aristocratique, il y a donc d’abord des valeurs immatérielles. Existentelles dans les marques de luxe ? A-t-on des exemples de « Maisons » qui auraient maintenu, au fil des ans, l’équivalent de cette « vertu » dont parlait Don Luis ? Oui, bien sûr : ce sont les marques qui peuvent se prévaloir, encore aujourd’hui, de chercher l’excellence et de viser la perfection dans leur métier, en tout cas dans leur cœur de métier : la haute joaillerie pour Harry Winston, la maroquinerie pour Hermès, la couture chez Valentino. Derrière cette ambition transcendante, il y a aussi un savoir-faire très spécifique et patiemment enseigné à des générations d’artisans triés sur le volet : la broderie pour Jesurum à Venise ou Lesage à Paris, le travail de la vigne et l’art des assemblages dans le champagne, la gravure sur cristal chez Waterford ou Lalique. Il faut des années pour apprendre à choisir une belle peausserie, ou à travailler un tissu dans le biais. Il faut aussi des dispositions naturelles, du goût, un œil sûr, une bonne « main », comme on dit. Des qualités qui ne s’achètent pas, des apprentissages longs et coûteux. Enfin, il y a l’histoire de la marque, la richesse de ses archives, l’étendue de son influence, ses capacités d’innovation technique, les brevets qu’elle détient, les exclusivités qu’elle propose. Cependant, le problème se pose de l’utilisation de ce patrimoine immatériel. Une marque de luxe d’inspiration aristocratique ne s’en vantera pas. Son seul nom suffit, pense-t-elle : il contient tout son passé, toutes ses qualités, et il serait vulgaire de les étaler. Voilà pourquoi tant de publicités

du luxe sont paradoxalement pauvres : on n’y voit qu’un sac, une montre, parfois juste un visage ou une silhouette, et un nom. Mais ce « code » peut être imité avec la plus grande facilité par des marques de très grande diffusion, qui ne s’en privent d’ailleurs pas, surtout dans la mode. Dès lors, la logique de marque, qui repose sur la différenciation, ne s’étend pas jusqu’à la communication publicitaire, et l’image s’en trouve brouillée ou affaiblie, surtout aux yeux des clients potentiels, jeunes, ou peu familiers avec l’univers du luxe. Du patrimoine au capital Raisonner en termes de « capital de marque » conduit à de tout autres conséquences : un capital doit fructifier, rapporter, dégager des bénéfices, des profits. Ce qu’il a d’immatériel, il faut le rendre visible, et monnayable. Sinon, il ne sert à rien : péché majeur aux yeux de la bourgeoisie d’affaires, fondatrice de la plupart des marques de luxe européennes. L’histoire, par exemple, n’est un capital que si l’on s’en sert – pour créer un musée de la marque (Christofle, Saint Laurent), ou un lieu représentatif à la fois de son passé et de son inscription dans le présent, comme chez Baccarat. Elle peut servir aussi de réservoir à idées – ou mieux encore, à motifs déclinables, comme le mors chez Gucci, passé des chaussures aux sacs. Elle sert enfin de justification : dans le luxe, même les Modernes doivent parfois jouer les Anciens. Ralph Lauren a construit sa marque sur « l’aristocratie » de la NouvelleAngleterre, telle qu’elle est décrite par la littérature américaine depuis les romans d’Henry James jusqu’au Great Gatsby de Scott Fitzgerald. À peine plus vieille de vingt ans, la marque Dior a eu bien du mal à justifier une parenté quelconque entre Galliano et Christian Dior, mais s’est tout de même livrée à cet exercice obligé. Elle y est parvenue en déterrant une improbable influence surréaliste qu’aurait connue le couturier dans les années 20-306 ; alors même qu’il ouvrit ses salons en empruntant


très littéralement au style Louis XVI, et que ses premières créations faisaient penser à une résurgence épurée du XVIIIe7. La couture surréaliste, on la trouve chez Elsa Schiapparelli, non chez Christian Dior. Mais la gestion d’un capital de marque conduit parfois à retoucher l’histoire pour qu’elle puisse apparaître comme le fil conducteur d’une stratégie toujours renouvelée à partir de ses « racines », opération indispensable dans un univers où même les ruptures doivent se justifier par la continuité, c’est-à-dire la transmission des valeurs, au premier rang desquelles figure la créativité. Or le talent créatif ne se transmet pas. Heureusement, on peut l’acheter, et le présenter sous le bon angle : celui de l’artiste, par exemple, figure favorite des marques de luxe, surtout quand elle reprend le mythe romantique de l’art fauteur de trouble. Le public reste perplexe devant les créations du nouveau styliste maison ? Rien de plus facile que de lui répondre : il suffit d’un syllogisme. Les artistes sont des incompris, or Untel est incompris, donc Untel est un artiste. Reste simplement à le faire savoir, à grand renfort de défilés, de relations presse et de relations publiques. De même, le savoir-faire artisanal ou l’ambition d’exceller ne sautent pas immédiatement aux yeux : le « patrimoine », ici, n’est pas convertible en profit. Hermès peut faire visiter – au compte-goutte – ses ateliers, d’autres ne le peuvent pas. Le patrimoine se cache, le capital se montre. C’est à l’intérieur du produit qu’on voit si un sac ou une veste ont été très bien faits. C’est à l’extérieur que s’affichent les logos, les initiales, les signes distinctifs. On sacrifiera donc, dans la mesure du raisonnable, ce qui ne se voit pas à ce qui se voit, et qui seul peut se vendre à grande échelle, et au prix fort. Mais alors, on sort du luxe ? Oui et non. On est, comme le dit B. Arnault8, dans l’industrie du luxe. S’il y a suffisamment de gens de par le monde pour estimer que le sac Saddle, chez Dior, est un objet de luxe, il n’y a rien à leur opposer. Dior y

perd peut-être une clientèle de connaisseurs, mais il en gagne une autre, plus nombreuse et plus jeune. Il n’est pas sûr que le patrimoine de marque y acquière grand chose, mais le capital de la marque, lui, s’en trouve nettement mieux, à tous les sens du terme. Dernière qualité qui ne s’hérite pas : le sens des affaires. Mais celle-là aussi, on peut l’acheter, donc la faire entrer dans le capital. Le fondateur de Gucci possédait ce sens des affaires. Ses héritiers ne l’avaient pas. Leurs successeurs – De Sole, Tom Ford – l’ont eu au centuple. Il existait, avant eux, un certain « patrimoine de marque », qui somnolait sur ses lauriers. Ils y ont puisé quelques pépites (le bambou), mais ont surtout reconstitué un authentique « capital de marque ». Pour combien de temps ? L’avenir le dira. Mais l’arrivée à la tête du groupe d’un nouveau patron venu d’Unilever est le pendant du recrutement d’anciens proctériens chez LVMH : dans les deux cas, on a bel et bien affaire à des stratégies industrielles appliquées à des marques de luxe, ce qui veut dire exploitation intensive et extensive du « capital » de chaque marque, et derrière elles, du capital – tout court - du groupe tout entier. Deux mots, un seul esprit Un capital s’accumule, se dilapide, se reconstitue beaucoup plus vite qu’un patrimoine, précisément parce qu’il n’est fait que d’actifs financiers, comptables, comptabilisables. C’est pourquoi il convient si bien au marketing, discipline issue de la gestion comptable9, et plus à l’aise dans le court terme que dans le long terme. La notion de « capital de marque », mobile à souhait, lui va donc comme un gant. Mais le marketing est-il toujours à même de bien gérer un « patrimoine de marque » ? C’est moins sûr. Evidemment, il n’existait pas du temps de Worth ou de Poiret, ce qui explique peut-être pourquoi le patrimoine créé ex nihilo par le génie de ces deux couturiers ne leur a pas survécu. Cependant, bien d’autres marques nées à la même


époque existent encore aujourd’hui (pensons, au hasard, à Chaumet, Tiffany ou Shiseido) ; et d’autre part, quand le marketing existe, comme c’est le cas de nos jours, il pourrait s’appliquer à des marques pourvues d’un beau patrimoine, comme Lanvin, Caron, Daum, Nina Ricci, Patou, Rochas, pour ne citer que quelques exemples français. Or qu’en fait-il ? Pas grand-chose. Ces marques, autrefois glorieuses, ont aujourd’hui « la crête fort rabattue », comme aurait dit Robert Merle. Dès lors, de trois choses l’une : ou bien la possession d’un « patrimoine de marque » n’est une condition ni nécessaire ni suffisante en soi pour s’imposer sur le marché du luxe ; ou bien le marketing du luxe ne sait pas ou ne peut pas le gérer ; ou encore il ne se sert de cette expression que parce qu’elle est actuellement à la mode, et d’autant plus abondamment qu’elle flatte le fantasme nobiliaire des dirigeants des maisons de luxe, dont la pratique professionnelle est en réalité tout entière tournée vers le profit, dans la plus pure tradition de la bourgeoisie d’affaires. Fantasme nobiliaire d’un côté, pratiques capitalistiques de l’autre. Va-t-on en conclure que le luxe européen est schizophrène ? Pas du tout, mais il est profondément bourgeois, c’est-àdire – entre autres – doté d’une puissance d’assimilation inépuisable10, qui lui permet de combiner valeurs d’hier et contraintes d’aujourd’hui, respect du passé et recours au modernisme, imaginaire du « patrimoine » et rendement du « capital » – et ce, pour les marques de luxe comme pour les autres. Marie-Claude Sicard, Professeur au CELSA 1. D. Aaker, Managing Brand Equity, Free Press, 1991 ; voir aussi le séminaire IREP : Le Capital de marque, 1992. 2. Voir Luxe, mensonge et marketing, M.-C. Sicard, Village Mondial, 2003. 3. N. Elias, La société de cour, Calmann-Lévy, 1974. 4. Actes du Colloque « Le luxe en France du siècle des Lumières à nos jours », 1999. 5. R. Volpi, Mille ans de révolutions économiques, L’Harmattan, 2002.

6. S. Marchand, Les guerres du luxe, Fayard, 2001. 7. M.-F. Pochna, Dior, Editions Assouline, 1996. 8. La passion créative, Plon, 2000. 9. F. Cochoy, Une histoire du marketing, La Découverte, 1999. 10. J. Ellul, Métamorphoses du bourgeois, Calmann-Lévy, 1967.


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Le patrimoine des industries du luxe : Bernardaud et Baccarat à l’heure de la valorisation Eugénie Briot

Le développement des industries du luxe s’effectue principalement dans les premières décennies du XIXe siècle, à mesure que s’accélère le mouvement vers le confort et la qualité de couches de plus en plus larges de la société1. Une partie des maisons qui constituent aujourd’hui encore le fleuron du luxe français sont précisément nées à cette époque, de cet essor généralisé. Elles constituent en ce début de XXIe siècle un patrimoine souvent plus que cent cinquantenaire, comprenant aussi bien les bâtiments industriels qu’un riche patrimoine d’objets qui, à mi-chemin entre le fonctionnel et l’œuvre d’art, ont souvent été entourés de soins attentifs, ou du moins conservés, pour nous parvenir en nombre et relativement préservés. Comme dans les autres types d’industries, les outils de production les plus anciens ont souvent été remplacés au fil des différentes innovations technologiques. Au cœur vivant du patrimoine des industries du luxe demeurent pourtant le savoir-faire et le geste techniques qui, s’ils ne sont plus sollicités de la même façon qu’au XIXe siècle, font souvent l’objet de démarches spécifiques pour être transmis et conservés. Dans un secteur où l’image de la marque, qui reste l’actif le plus précieux au bilan d’une entreprise de luxe, repose sur des valeurs d’authenticité et de savoir-faire, la question de la valorisation de ce patrimoine se pose en des termes a priori particulièrement favorables. Servi par une muséologie pertinente, il devient en effet un outil de communication privilégié au service des créations contemporaines d’une maison.

Aux côtés de Louis Vuitton2, Hermès3, Christian Dior4, Christofle5, et de nombreuses sociétés du secteur des vins et spiritueux, Bernardaud depuis 1998 et Baccarat en 2003 ont ainsi fait ce choix d’ouvrir à la visite leur patrimoine d’entreprise. Dépositaires d’un patrimoine à bien des égards comparable, ces deux maisons se sont pourtant engagées à l’occasion de cette valorisation dans des réalisations radicalement différentes. Mis en regard, ces exemples ouvrent des voies de réflexion et apportent quelques éléments de réponse à deux problématiques aussi évidentes que fondamentales : « qu’est-ce que le luxe aujourd’hui ? », et « pourquoi valoriser le patrimoine ? ». Un riche patrimoine industriel et artistique Dans la mesure où elles ont toutes deux pleinement bénéficié de l’essor industriel du Second Empire, le patrimoine industriel et artistique dont héritent aujourd’hui les maisons Bernardaud et Baccarat présente de nombreuses similitudes. Fondée en 1863 à Limoges, la manufacture de porcelaine de la rue Albert Thomas devient propriété de la famille Bernardaud en 19006. Les bâtiments principaux de l’usine datent de sa fondation, mais quelques aménagements significatifs vers 1889 et en 1911 conduiront à la physionomie actuelle de la manufacture. Cette manufacture abrite des activités de production jusqu’en 1991, date à laquelle sa capacité devenue insuffisante pousse la société Bernardaud à implanter une seconde unité industrielle à Oradour-sur-Glanes et à abandonner toute production sur le site de la rue Albert Thomas. Les dirigeants de la société choisissent alors de créer sur le site même de l’ancienne manufacture un parcours de visite dédié aux techniques de fabrication de la porcelaine et à l’histoire de la maison Bernardaud. Le musée national Adrien Dubouché, dont l’origine remonte à 1845, fait déjà figure de conservatoire de la création artistique à Limoges.


De fondation plus ancienne (1764), la verrerie Sainte-Anne de Baccarat, sur les rives de la Meurthe, transformée en cristallerie en 1817, ne connaîtra son véritable essor que sous le règne de Louis-Philippe7, avant d’affirmer dans la seconde moitié du XIXe siècle une incontestable suprématie en fournissant les cours les plus prestigieuses d’Europe8. Les actuels bâtiments de la cristallerie, au centre d’un ensemble architectural progressivement élaboré aux XVIIIe et XIXe siècles et révélateur des aspirations sociales des administrateurs successifs (logements ouvriers, chapelle, école, etc.), constituent un patrimoine industriel de tout premier ordre, et sont toujours en activité. La volonté de créer une vitrine pour ses productions s’affirme tôt chez Baccarat : dès 1831, la maison installe au 30 bis rue de Paradis ses dépôts et magasins de vente parisiens, et en 1908, les « petits salons » y sont aménagés pour présenter les pièces de Baccarat dans le décor d’un véritable appartement. Le 30 bis rue de Paradis deviendra peu à peu un musée regroupant une collection d’environ cinq mille objets. En 1966, l’ancienne demeure de l’administrateur de la verrerie Sainte-Anne est choisie pour abriter le musée de la Manufacture. Jusqu’en 2003, musée de la Manufacture et musée Baccarat du 30 bis rue de Paradis fonctionnent donc comme deux vitrines parallèles des créations historiques de la maison. Des choix de valorisation différents Malgré ce riche patrimoine industriel et commercial, ce n’est ni l’un ni l’autre de ses deux sites historiques que la société Baccarat choisit pour créer fin 2003 sa Maison Baccarat, mais l’hôtel particulier de Marie-Laure et Charles de Noailles, place des Etats-Unis. Construit en 1895 par l’architecte Ernest Sanson, il a été dans la première moitié du XXe siècle le cadre de fêtes somptueuses et le théâtre de rencontres pour les plus grands artistes. Dans ce lieu d’élection du Surréalisme, Philippe Starck a reçu toute liberté pour aménager

un cadre de présentation hors du commun aux pièces les plus exceptionnelles de la maison. Masques parlants, cheminées de cristal, lustre tournant, siège monumental, c’est un univers onirique qui accueille le visiteur dans la nouvelle Maison Baccarat et le guide jusqu’au musée à proprement parler. Trois espaces y ont été strictement réservés à l’exposition des pièces de cristallerie, intitulés « Folie des Grandeurs », « Alchimie » (orné d’un dais qui est l’œuvre de Gérard Garouste) et « Au-delà de la transparence ». Cette dernière salle abrite quatre vitrines ordonnées elles aussi selon un mode thématique : la vitrine « Légéreté, raffinement, féminité » met l’accent sur le tour de force technique et l’audace esthétique, « Grands créateurs » inscrit Baccarat à l’avant-garde de la modernité, « Commandes prestigieuses » souligne le caractère d’exclusivité de la maison, et “Contes d’ailleurs” évoque les thèmes exotiques qui ont fait évoluer le répertoire des formes et des décors de Baccarat. Aux antipodes de ce modèle se situe la réalisation du circuit de visite de la manufacture Bernardaud. L’aménagement imaginé par Yves Taralon9 a commencé par un dégagement nécessaire des bâtiments anciens de la manufacture de la gangue d’édifices annexes qui les avait petit à petit envahis et parasités, afin de reconstituer les volumes historiques de l’ensemble. Le choix effectué pour l’organisation de ce circuit de visite a ensuite été de privilégier la mise en valeur du processus de fabrication des pièces de porcelaine : modelage, coulage, garnissage, finissage, calibrage, émaillage, etc. Une attention particulière a été portée à la démonstration du geste technique, avec la préoccupation constante de faire approcher les outils, et éventuellement mettre la main à la pâte : il est ainsi possible de s’essayer au coulage ou à l’émaillage d’une pièce, et à toutes les étapes du processus de fabrication, de toucher les matériaux, de sentir leur fragilité, de prendre conscience de leur évolution. La pièce maîtresse de cette réalisation reste la salle des ateliers, ancienne salle de


coulage, et son vaste séchoir de planches, conservés strictement dans leur état de 1991. Sur l’immense séchoir qui occupe toute la surface centrale de la salle reposent les pièces coulées dans les semaines qui ont précédé l’arrêt d’activité du site, figeant les ateliers dans l’état où les ouvriers les ont quittés. Quatre expositions thématiques puisant dans le patrimoine artistique de Bernardaud retracent ensuite l’histoire de la maison et sa démarche de création contemporaine. Cette partie du parcours conserve elle aussi un esprit industriel : dans l’ancienne salle des fours à dégourdi, c’est sur les wagonnets qui transportaient les pièces destinées à la cuisson que sont aujourd’hui exposées les créations de designers contemporains. Les enjeux de la valorisation du patrimoine A une démarche de valorisation d’un patrimoine industriel s’oppose donc celle d’une valorisation d’un patrimoine artistique, à la démonstration d’un savoir-faire technique, celle d’une créativité esthétique, et à une approche à la fois intellectuelle et sensorielle, un appel à l’émotionnel. La communication récente des deux maisons, diffusée par la presse et par affichage, s’inscrit dans la continuité évidente de ces choix. Chez Bernardaud, la focalisation porte sur l’objet lui-même, photographié en très gros plan et maintenu à proximité d’un visage féminin qu’il effleure, le grain velouté de la peau répondant à la glaçure émaillée de la porcelaine. Chez Baccarat, dans un plan beaucoup plus large, le rapport à l’objet est dramatisé dans un climat d’étrangeté où « La beauté n’est pas raisonnable ». En somme, là où Bernardaud met l’accent sur l’objet, la matière et la sensorialité, Baccarat élargit le champ pour évoquer un univers de démesure qui ne se donne pour limites que la fragilité du cristal. Jouant davantage sur sa production d’objets d’art que sur sa production de verrerie, Baccarat se démarque du secteur des arts

de la table pour évoquer l’atmosphère festive et fastueuse propre à son univers, tandis que Bernardaud se recentre sur le matériau porcelaine et le magnifie. Du circuit de visite de la manufacture Bernardaud pourtant l’émerveillement n’est pas absent, et que ce soit devant le spectacle féerique des ateliers que le temps a figés dans la blancheur du kaolin, ou la beauté du geste de l’émailleur indéfiniment répété, le visiteur se laisse profondément toucher par l’incontestable poésie du lieu. De même, par delà la muséologie du spectaculaire adoptée par Baccarat, un discours se formule, replaçant la production de la manufacture dans l’histoire de l’art et l’histoire politique de son temps. Les vases Simon de 1867 font revivre les prouesses techniques de l’Exposition universelle ; les candélabres du tsar, dont deux exemplaires ne furent jamais livrés, portent l’écho de la révolution russe. En somme, pour Bernardaud comme pour Baccarat, il s’agit de susciter l’émerveillement, par la beauté de la pièce ou la beauté du geste, mais aussi et surtout d’évoquer autour de la production passée ou actuelle de la maison l’épaisseur d’une histoire, qu’elle soit technique, artistique, politique ou sociale, qui seule distingue un objet de luxe de son pendant strictement utilitaire. Avec une structure de coûts où les frais de personnel dominent, comptant pour près de 40 % du chiffre d’affaires des sociétés, les secteurs de la porcelaine et du cristal, malgré l’automatisation de certaines tâches, reposent encore sur des savoir-faire artisanaux, et connaissent pour leurs pièces un coût unitaire élevé et un taux de rebut important. En démontrant leur savoir-faire, en mettant l’accent sur leur dynamisme artistique, Bernardaud et Baccarat se distinguent de la concurrence des produits bas de gamme ou d’importation, aux marques sans histoire et sans passé. Mais la qualité, résultat de ce savoir-faire et de cette créativité, comme le souligne Denis Woronoff, n’est pas le seul apanage des produits de luxe : « Les historiens ont appris à se défaire d’une acception restrictive, venue du sens


commun. La qualité ne s’identifie pas aux produits de luxe […] ; elle est l’union de certaines caractéristiques propres et des usages adéquats d’une marchandise10. » Définie comme telle, la qualité existe hors du champ réservé du produit de luxe, auquel on l’a trop souvent exclusivement associée, de même qu’elle ne suffit pas, en retour, à le caractériser. Il reste pour le définir et le singulariser la part de l’histoire, comprise au sens proprement historique ou plus largement diégétique, avec laquelle l’amateur d’objets de luxe, comme l’amateur d’art, se sera familiarisé, et qu’il pourra lire et relire à travers cet objet, comme une communauté d’initiés sensibles au même langage. On a souvent parlé, pour opposer le luxe tel qu’il est vécu aujourd’hui au luxe d’hier, d’un luxe plus personnel, plus intime, d’un luxe « pour soi ». Cela ne signifie sans doute pas que le désir de distinction qui gouverne la consommation de luxe se soit amenuisé, mais qu’il s’est déplacé vers la satisfaction d’une distinction intellectuelle autant que strictement matérielle. Dans une telle perspective, ouvrir le patrimoine d’une maison de luxe au visiteur, c’est toucher un public nouveau et offrir une voie d’accès différente à son univers, non par une descente en gamme, mais par une initiation à la beauté. Eugénie Briot, Doctorante, Centre d’histoire des techniques, CNAM 1. Voir L. Bergeron, Les industries du luxe en France, Paris, Odile Jacob, 1998, pp. 63-64. 2. La Maison de famille Louis Vuitton, sur le site de production implanté par Louis Vuitton à Asnières en 1860, abrite depuis 1989 un musée d’entreprise non accessible au public (scénographie de Bernard Fric). 3. La boutique Hermès du 24, faubourg Saint-Honoré abrite la collection d’Emile Hermès. 4. Depuis 1995, la villa « Les Rhumbs » à Granville, où Christian Dior a grandi, accueille un musée dédié au couturier. 5. Les collections de la maison Christofle sont ouvertes à un public d’individuels depuis l’agrandissement du musée de Saint-Denis en 2002 (scénographie de Richard Peduzzi).

6. Sur l’histoire de Bernardaud, voir E. Blanc, Au Royaume de la porcelaine : Visite d’une fabrique de porcelaine, la fabrique Bernardaud, Paris, Imprimerie Charles Lavauselle, 1944, 111 p. 7. Sur l’histoire du secteur des arts de la table, voir M. de Ferrière Le Vayer, « Les arts de la table en France, 18301995 : du développement au déclin ou une industrie victime des consommateurs », Les entreprises et leurs réseaux : hommes, capitaux, techniques et pouvoirs : mélanges en l’honneur de François Caron, sous la dir. de D. Barjot et M. Merger, Presses de l’université de Paris-Sorbonne, 1998, pp. 251-261. 8. Sur l’histoire de Baccarat, voir D. Sautot, Baccarat : une manufacture française, Paris, Massin, 2003, 277 p. 9. Yves Taralon a également aménagé pour la visite le site de la maison de cognac Rémy Martin, de même qu’il a réalisé en 2000 la scénographie de l’exposition consacrée aux Métiers d’Art qui s’est tenue au Palais des Congrès de Paris. 10. D. Woronoff, Postface, La qualité des produits en France, XVIIIe-XXe siècles, sous la dir. de A. Stanziani, Paris, Belin, 2003, p. 298.


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De la vitrine au musée : la relation entre la marque et son patrimoine Bruno Remaury

Si l’on considère les dates de création des marques de luxe française dans les secteurs de la mode, de l’accessoire et du parfum, on se rend compte que près de la moitié (et non des moindres) sont antérieures aux années 50. Un constat que tout un chacun peut faire : les marques qui opèrent dans le secteur du luxe sont parmi les plus anciennes, la position de prééminence qu’elles occupent dans leur secteur d’activité leur ayant à l’évidence permis une longévité accrue. Ainsi, ce sont des marques relativement entremêlées de patrimoine et d’ancienneté, patrimoine qui est tout à la fois – et c’est sans doute une de leur spécificité – la source de leur légitimité et une partie constitutive de leur offre. Pour le dire autrement, l’histoire d’une marque de luxe est certes tout d’abord un réservoir stratégique autant que stylistique (plus ou moins bien exploité hélas par les différentes marques, mais là n’est pas le propos) tout en étant simultanément une partie de ce qu’elle donne à voir (et à consommer). C’est ce deuxième point qu’évoque la courte description qui suit : quels sont aujourd’hui les modes d’apparition et d’inscription du patrimoine de la marque dans la stratégie globale de l’offre de la marque – du produit à la communication et au point de vente ? On en retiendra cinq, qui sont autant de formes d’irruption du passé dans le présent de la marque.

1. La marque reprend et cite le contexte de son époque, c’est-à-dire qu’elle met explicitement en scène des éléments non directement patrimoniaux mais qui la ramène vers un univers passé censé évoquer (sinon décrire) son origine. Cette stratégie a été assez présente dans les années 70 et 80 à la faveur des revivals nostalgiques, nombreux à cette époque – on se rappellera pour ceux qui l’ont connue, la persistante mode rétro des années 73-78. Une forme d’évocation qui concerne plutôt des marques anciennes au patrimoine un peu malmené dont certaines expressions de Lanvin ou de Courrèges ont pu être des exemples. Derrière cette forme de citation se place une logique de reconstitution, dans laquelle l’idée est de recréer une époque (par le décor, le cadre, certains traits stylistiques, etc.) afin de favoriser l’attribution de la marque à l’époque reconstituée. Elle s’est retrouvée plus récemment chez Burberry qui, dans les publicités qui ont immédiatement suivi son redéveloppement, a projeté de manière évocatrice dans ses visuels une Angleterre aristocratique edwardienne (le « berceau de la marque ») empreinte de références à l’univers de Shakespeare ou de Lewis Carroll. Mais cette logique, si elle a été employée par quelques marques anciennes dont le patrimoine était un peu dilué, a également été utilisée par des marques sans passé qui pouvaient ainsi, par le biais de la reconstitution, se créer une aura de légitimité et dont Ralph Lauren restera l’exemple même, ainsi que, plus discrètement, Giorgio Armani et ses références, légères mais régulières, aux années 30. 2. La marque possède un certain répertoire stylistique qui lui appartient en propre – patrimoine généralement issu du produit – et qu’elle cite en le faisant évoluer. Un patrimoine dont la plus ou moins grande amplitude selon les marques est évidemment favorisée par le mode de recherche du créateur lui-même, lorsqu’il fait partie de ceux qui travaillent à agrandir et à faire évoluer un même répertoire de formes.


Plus la période « dynamique » de la marque, celle où elle innove continûment, est longue (comme le montrent bien entre autres Yves Saint Laurent ou Jean-Paul Gaultier), plus elle sera riche et son patrimoine large. Cette patrimonialité « naturelle » peut ensuite faire l’objet de futures altérations et interprétations, particulièrement lorsque la marque change de direction artistique, le nouveau styliste ayant souvent à cœur de réancrer son travail dans le patrimoine de la marque à l’instar de Tom Ford faisant des smokings chez Saint Laurent ou de Karl Lagerfeld des tailleurs en tweed chez Chanel. Mais que ce soit un patrimoine en « invention » ou en « ré-invention », la logique reste la même : il s’agit à chaque fois de re-travailler ses classiques tout en les faisant évoluer, opérant par là même une logique de mutation. Cette logique prévaut aujourd’hui dans toutes les marques, du moins chez celles qui ont un minimum de patrimoine constitué. 3. La marque utilise un patrimoine composé d’emblèmes atemporels qui lui appartiennent en propre et qu’elle gère comme une sorte de « refrain » venant rappeler – sur des créations qui peuvent par ailleurs être tout à fait en rupture avec le patrimoine stylistique évoqué au point 2 – l’appartenance. Ce répertoire de motifs emblématiques (quel que soit le nom qu’on leur donne : identifiant, logotype, symbole de marque) est généralement relativement stable, encore que la course à l’innovation dans laquelle les grandes marques se sont engagées ces dernières années n’ait favorisé une évolution plus rapide. Pour autant, elle est généralement graduelle afin que l’emblème ne se perde pas dans le paysage et qu’il garde sa valeur de reconnaissance. La liste en est innombrable – chaque grande marque en possède au moins un, parfois davantage, et ils peuvent prendre différentes formes (objet, motif, sigle, logotype) du camélia Chanel au Nova check de Burberry, du monogramme Vuitton au H d’Hermès. Progressivement devenus le mode majeur de mise en conti-

nuité du patrimoine de la marque, ils se situent dans une logique de perpétuation, l’emblème de marque venant rappeler (même déformé, retravaillé, recoloré) l’appartenance du produit en même temps qu’il sert de symbole identitaire. Au passage, il faut signaler que la manipulation de l’évolution de ce type de patrimoine est délicate, et autant l’évolution d’un patrimoine stylistique est nécessaire et peut être « iconoclaste », autant celle d’un patrimoine emblématique doit être prudente : il faut « changer pour ne pas changer » tout en évitant les ruptures trop brusques qui nuiraient à la clarté de la marque. Il est ainsi notable de constater que, lors de la reprise de Gucci par Tom Ford, et alors même que le patrimoine stylistique était par lui assez radicalement bousculé, les quelques codes présents dans la marque (le logo, le bambou, la sangle rouge et verte) sont restés inchangés. 4. La marque cite explicitement son passé et le juxtapose au présent, le plus souvent au point de vente, que ce soit par l’évocation du passé de la marque par des détails d’architecture, par des visuels ou encore plus directement encore par la présence de produits anciens. Il s’agit par ce moyen – apparu plus récemment – de redire au consommateur l’origine de la marque, le savoir-faire et l’ancienneté dont elle peut se targuer et le ou les récits qui constituent son passé, qu’ils soient centrés sur le seul savoir-faire (exposition de malles anciennes chez Vuitton, photos des ateliers chez Loewe) ou sur le récit (photos de clientes célèbres chez Ferragamo, vidéos de défilés historiques chez Dior, répertoire architectural de la boutique-mère chez Hermès). On peut également inclure dans ce mode stratégique la réédition de produits vintage, du moins lorsque celle-ci est explicite comme Dior rééditant un des sacs réalisés pour la duchesse de Windsor et consacrant une vitrine à la photo de celle-ci portant le sac en question. Cette démarche, relativement proche du muséographique, s’inscrit dans une logique de confrontation permet-


tant à la marque de produire simultanément sur le même lieu les traces de son passé et les expressions de sa contemporanéité. Elle reproduit au fond ce que le consommateurconnaisseur a en tête lorsqu’il s’approche de telles marques : à la fois une image de son passé et une envie, sinon de modernité radicale, au moins d’actualité pour le produit qu’il serait à même d’y acquérir. Il est à noter que, chez certaines marques, cette stratégie de confrontation peut ne pas être systématique et être mise en place de manière temporelle, autour d’une vitrine ou d’une animation point de vente comme Dior semble jusqu’ici le gérer. En dehors du point de vente – aujourd’hui sans conteste le premier vecteur de cette manière d’exprimer son patrimoine – quelques exemples peuvent exister en communication presse, ainsi d’un catalogue Chanel destiné aux clientes qui montrait des photos anciennes de Coco Chanel et leur « pendant » moderne – confrontation là directe de deux expressions d’un même style. 5. La marque s’engage dans une politique patrimoniale directe, et crée des espaces sur mesure destinés à montrer son patrimoine. Une politique récente dont un des précurseurs aura sans doute été la maison Yves Saint Laurent, une des premières à avoir créé un musée même s’il n’était pas ouvert au public, aujourd’hui complété de l’ouverture de la fondation dans les anciens locaux de la maison de couture. Mais une politique également entamée de longue date par d’autres maisons, telle Hermès qui possède depuis longtemps son musée, et aujourd’hui suivie par un nombre croissant de marque. Des formes muséographiques également diverses, qui vont du purement historique (tel le musée Vuitton à Asnières) à une logique proche de la stratégie de confrontation évoquée au point 4 et dont un des très bons exemples récents est le musée Baccarat. Il s’agit au fond d’une logique directe de monstration du patrimoine par le biais d’un dispositif muséographique, qui peut d’ailleurs être

doublé (ou remplacé) par une politique d’exposition (Giorgio Armani au Guggenheim Museum de New York), stratégie également récente dont l’initiateur aura été, à nouveau, Yves Saint Laurent et son invitation à exposer au Metropolitan Museum de New York en 1983. Comme on voit, des stratégies diverses qui correspondent également à une évolution plus générale : les cinq modes esquissés ci-dessus sont en effet plus ou moins chronologiques, et il semble évident que le mode « muséographique » (les points 4 et 5), d’apparition récente, est appelé à se développer pendant que le travail sur le répertoire des points 2 et 3 (qu’il soit stylistique ou emblématique) reste un passage obligé, moins peut-être pour signifier son patrimoine que pour le faire vivre. Si l’on considère les points qui précèdent comme autant de forme d’intertextualité, c’est-àdire de mode d’entrelacement d’un récit dans un autre, les points 2 et 3 sont sans doute moins directement des formes d’intertextualité du patrimoine que de simples prolongements de l’évolution naturelle de celui-ci, là où les deux dernières au contraire, sont plus directement des modes d’entrelacement explicites du passé et du présent de la marque – un constat qui laisse à penser que le récit de marque doit être, et sera toujours plus dans le futur, un récit articulé, articulé entre passé et actualité, entre patrimoine et avenir. Bruno Remaury, Professeur à l’IFM


Le luxe dans le prisme des systèmes d’informations Laurent Raoul

Existe-t-il une relation entre la performance des entreprises et leur niveau d’informatisation ? Cette question fait actuellement l’objet de nombreuses études des analystes économiques mondiaux qui réalisent depuis quelques mois que la performance très avantageuse des entreprises américaines au sortir de la période de crise récente est principalement expliquée par une utilisation intensive et pragmatique des technologies de l’information. Ce phénomène peut-il constituer à terme une règle générale de l’économie moderne, et par voie de conséquence s’appliquer un jour aux entreprises du luxe ? En réalité, compte tenu de la nature protéiforme des technologies contemporaines de l’information, s’interroger sur cette question revient à tenter de discerner quelles sont les informations elles-mêmes qui apportent une valeur spécifique à ces entreprises. Est-ce que ce sont les données liées à la gestion, celles portant sur la clientèle, les données graphiques et photographiques ou d’autres encore ? A ce stade de l’analyse, il y a peu de risque à prétendre que les données liées au patrimoine et aux savoir-faire sont spécifiquement génératrices de valeur pour le secteur du luxe, et qu’il y a lieu d’y porter une attention particulière. Les quinze dernières années ont constitué une période privilégiée pendant laquelle s’est déroulé un changement important, mais imperceptible, au sein des entreprises du luxe. Alors que les discours officiels des

dirigeants des entreprises concentraient leurs énergies sur les questions traditionnellement liées à la maîtrise de l’identité des marques ou de la création, voire aux enjeux de la distribution et de la préservation des savoir-faire artisanaux, des pans entiers de leur « back-office » subissaient des transformations profondes, mais silencieuses. D’une certaine manière, l’informatisation des activités, puisque c’est de cela qu’il s’agit, s’est déroulée sans objectif stratégique précis, avec souvent la simple volonté de régler des questions ordinaires d’exploitation et d’efficacité du travail, parfois dans une vision inconsciemment taylorienne. Rétrospectivement, on peut rappeler les domaines pour lesquels l’apparition des systèmes d’information dans les industries du luxe s’est concrétisée entre la fin des années 70 et ce début du XXIe siècle. Les premières fonctions concernées ont été celles proches de la gestion financière, des ressources humaines, de l’administration commerciale. On peut dire que c’est la nécessité de court terme qui a justifié cette apparition. Il fallait remplacer les calculatrices et les machines à écrire. Un long palier stationnaire a alors été marqué pour la plupart des entreprises jusqu’à la fin des années 80, décennie qui a vu émerger la nouvelle génération des micro-ordinateurs et de l’infographie (informatique dédiée à la manipulation d’images). Parallèlement, le phénomène d’intégration de la distribution conditionnait l’apparition des applications informatiques de RMS (Retail Management Systems) pour donner aux maisons mères la capacité d’administrer de manière plus ou moins centralisée les boutiques et les corners des grands magasins. Simultanément, les applications traditionnelles d’administration commerciale se sont adossées à des programmes de gestion de production ou de maîtrise de la chaîne logistique. Plus récemment encore, les progiciels de PDM (Product Data Management) sont apparus pour gérer l’organisation des collections et des données liées au développement des produits avant

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leur production en série, avec en filigrane la volonté de maîtriser les délais dans le cycle de production des collections. Egalement, la photographie numérique a envahie organiquement les studios des photographes de mode et la presse de mode. La fin des années 90 aura été le théâtre des pérégrinations de l’Internet, dont il reste malgré tout quelques traces probantes au travers de sites esthétisants de marques fortes mélangeant informations institutionnelles et données produits, allant même parfois jusqu’à la vente, comme dans le cas d’eluxury.com du groupe LVMH. Enfin, une tendance de fond émerge depuis deux ans portant sur la gestion et l’utilisation du patrimoine au travers des systèmes de « Knowledge management » ou de gestion électronique de documents, afin de rendre leurs archives vivantes et de les valoriser au quotidien. Il est prévisible que cette génération d’outils d’information constituera un levier spécifique aux entreprises du luxe, elles qui toujours puisent dans leurs racines pour mieux se confronter à la contemporanéité. Au final, nombre de maisons prestigieuses ont aujourd’hui constitué des systèmes d’information étendus, onéreux et complexes, mais sans jamais vraiment prétendre le faire. Il est sur ce point singulier d’observer que, concernant les problématiques de systèmes d’information dans le luxe, un nombre significatif d’entreprises décline les invitations à intervenir lors de séminaires arguant qu’il s’agit de sujets sur lesquels elles ne souhaitent pas communiquer, sousentendant peut-être que leur image pourrait s’en trouver affectée. En 1984, le dirigeant d’une prestigieuse entreprise de couture et de prêt-à-porter avait à l’époque indiqué que l’avènement de l’informatique dans les maisons de luxe ne se ferait pas avant longtemps, voire jamais. Ce fut pourtant chose faite, pour cette même entreprise, comme pour beaucoup d’autres, dans les années 90 avec l’apparition des systèmes de dessin, de publication par ordinateur et, plus tardivement, de scanning et de reproduction numérique. Aujourd’hui,

elle s’avère être l’une des plus avancées dans la gestion de son patrimoine au travers entre autres de systèmes numériques. Une spécificité des systèmes d’information dans le luxe ? On peut considérer qu’il existe aujourd’hui un point d’intersection à fort potentiel entre les possibilités offertes par les systèmes d’information et certains enjeux spécifiques aux entreprises de luxe. Il est loisible d’en rappeler ici quelques-uns. S’il est dit, selon Pascal Morand dans son article du précédent Mode de recherche1, que nos économies sont appelées à « embrasser l’immatériel » dans les décennies qui viennent, l’information, support immatériel par définition, trouve une place de choix dans la panoplie des outils d’avenir, et sa forme numérique une place particulière. Par leur fluidité, leur capacité à se prêter au jeu du copier/coller, et leur aptitude à la diffusion mondiale en temps réel au travers des réseaux comme Internet, les informations numériques participent à ce que l’on peut désigner avec excès comme un prosélytisme2 à caractère économique. Le contrôle des informations est en effet très prisé par les maisons désireuses de maîtriser leur image, et de la faire évoluer progressivement autour d’un message homogène, et dans un environnement de nouveautés permanentes. L’informatique donne accès à ce type de faculté. La compatibilité de principe entre le luxe et les systèmes d’information numérique est également renforcée par les capacités techniques offertes à présent pour manipuler tous types d’informations, textes, images, sons et programmes, avec des niveaux de qualité élevés – pourvu qu’on sache les manipuler – et souvent conformes aux attentes qualitatives, elles aussi élevées, des acteurs de ce secteur d’activité. Par ailleurs, plus que toute autre, et considérant les prix élevés auxquels les produits sont commercialisés, le luxe se doit de fournir à sa clientèle, qu’elle soit directe ou indirecte (wholesale ou retail),


un niveau de service hors pair, fortement tourné vers l’exceptionnel, l’unique. A titre d’exemple, il est intéressant d’observer les nombreux projets informatiques qui s’amorcent dans le secteur de l’horlogerie de haut de gamme ou la maroquinerie de luxe pour parvenir à identifier les clients et les marchandises qu’ils détiennent afin de leur fournir un service d’après-vente irréprochable et personnalisé lors des nécessaires phases de réparation ou entretien périodique. Si les consultants en organisation résument ces pratiques sous l’acronyme de « CRM » (Consumer Relationship Management), il est plus parlant d’évoquer ici les services personnalisés à la clientèle pour décrire cette pratique essentielle. On peut prédire que durant la décennie à venir, un axe stratégique des marques de luxe dans le domaine de l’information consistera à savoir mettre en œuvre des architectures informatiques basées sur des terminaux point de vente, et aptes à identifier en temps réel ou semi-réel un client afin de lui fournir un niveau de service parfaitement adapté à ses attentes comme à ses habitudes. Dans ce domaine, certaines entreprises ont déjà inversé leur position par rapport aux technologies de l’information en commençant à imaginer des formules de commerce en boutique utilisant des technologies portables, et miniaturisées comme les terminaux sans fil (type WIFI) pour accompagner les clients dans les espaces de vente en leur fournissant des éléments d’information et en facilitant les opérations techniques non valorisantes liées à la vente (comme l’encaissement par exemple). Les technologies dites de RFID (Radio Frequency Identification) basées sur des circuits miniaturisés insérés dans les marchandises devrait également constituer une innovation significative en permettant de bénéficier de la sécurité de ces composants, analogues à ceux contenus dans les cartes bancaires à puce, avec une discrétion totale vis-à-vis du client – il faut se souvenir du rejet massif par des marques de luxe des codes barre dans les années 80/90,

code barre dont il a été dit qu’il confère à l’article une image de produit de grande consommation. Il convient de noter que certaines enseignes de prêt-à-porter de grande diffusion commencent également à concevoir des formules de commerce très interactives dans leurs espaces de vente, et ce, malgré un positionnement prix relativement bas. Il n’est pas exclu qu’à long terme, les clients du luxe admettent de moins en moins que la relation qu’ils ont à leurs marques favorites soit moins qualitative que celle qu’ils entretiennent avec des marques plus portées à la grande diffusion, marques auprès desquelles nous savons à présent qu’ils sont susceptibles de faire leur shopping. Ce type de débat portant sur la tension existant entre modernité et tradition a déjà fait l’objet de repositionnements importants dans le secteur des automobiles de luxe dans les années 80, secteur au sein duquel il a été longtemps considéré que les équipements électroniques de hautes performances n’étaient pas susceptibles d’être valorisants par les dirigeants des marques traditionnelles du haut de gamme, souvent anglaises ou italiennes, et qui ont revu, en général avec succès, leur position dans les années 90 sous la pression de leurs nouveaux propriétaires, issus de la grande industrie. Il est probable que ce phénomène se produira plus généralement dans toutes les différentes branches du luxe sous la pression des nouveaux «capitalistes du luxe» que sont les grands groupes récemment formés autour de marques phare. Conservation et valorisation du patrimoine Comme il est dit plus haut, maîtriser totalement l’image et l’identité de la marque, les faire évoluer sans renier les valeurs originelles, constitue une obligation stratégique des acteurs du luxe. Cette obligation est particulièrement mise à rude épreuve du fait de la pression du marché et des actionnaires à augmenter la capacité de création et de commercialisation de nouveaux produits, voire de nouvelles lignes, hors des


métiers historiques de la marque. Cette épreuve est renforcée par les phénomènes de changement périodique des designers vedettes qui bouscule les habitudes et les schémas de valeur originels. La résurgence actuelle des problématiques de valorisation du patrimoine des marques est sans nul doute en partie liée à ces préoccupations nouvelles, et elle s’accompagne de tout un cortège d’outils parmi lesquels les systèmes de gestion électronique de contenu (ou outils de Knowledge Management) commencent à trouver une place spécifique. En donnant un accès potentiellement mondial mais réservé et protégé, en permettant de travailler des archives sans les manipuler physiquement, en rapprochant instantanément différents types de contenus, textuels, photographiques, vidéographiques, les outils de gestion électronique de contenus offrent des possibilités adaptées aux besoins de valorisation – plus que de conservation – du patrimoine. Les expériences présentées lors des rencontres internationales d’Hyères 2004 lors de la table ronde concernant le patrimoine ont permis de témoigner d’une très forte attente des entreprises et de leurs réseaux de communication à l’endroit du patrimoine. Les causes avancées pour justifier un regain d’intérêt pour les archives électroniques sont diverses et nombreuses : pour certains, la nécessité de préparer des expositions des rétrospectives ou des ouvrages, voire de répondre à des demandes externes pour des articles ou des travaux d’étude n’est pas envisageable sans l’apport d’un outil numérique lorsque les archives sont volumineuses. Pour d’autres, c’est le manque de temps, voire de moyens financiers, qui peut justifier de manipuler de l’information immatérielle plutôt que de travailler avec des archives physiques. D’autres encore, ayant multiplié les sites liés à la création et à la communication dans le monde sur leurs principales zones d’activité commerciale, y voient la possibilité de structurer les informations mises à disposition d’une collectivité parsemée. Dans leurs tentatives de numérisation du

patrimoine et des archives, les maisons de luxe évoquent fréquemment le problème de ce que l’on peut décrire comme un « effet de seuil » dissuasif, généralement ressenti à l’origine des projets lors de la numérisation des archives existantes. Par effet de seuil, il faut entendre le déploiement d’un effort considérable de ressources financières et humaines pour indexer, c’est à dire numériser et décrire par des mots experts, les entités constitutives du patrimoine. Il n’est pas rare que la reprise des archives du passé corresponde à plusieurs dizaines voire centaines de milliers de références. Cet effort de rattrapage du passé s’avère généralement proportionnel à la notoriété de la marque, à l’étendue en termes de variété des lignes de produits, et à l’ancienneté des marques concernées. L’enseignement qui doit en être tiré est que si la gestion et la valorisation du patrimoine ne deviennent pas des préoccupations permanentes et quotidiennes, les entreprises seront éternellement condamnées à subir périodiquement cet effet de seuil, à gérer leur patrimoine de manière compulsive et intermittente. La mise en continuité des départements de gestion des archives avec les systèmes d’information à vocation de gestion pure deviendra à moyen terme un enjeu d’organisation des systèmes d’information du secteur du luxe. Risque, opportunité : inverser la relation aux technologies de l’information De ce qui est évoqué dans cette analyse, il pourrait être tiré la conclusion abusive que les outils d’information des entreprises du luxe vont suivre aveuglement les tendances des secteurs plus « proctériens ». Ce risque existe bel et bien, et la capacité des entreprises à ne pas prendre les technologies pour argent comptant sera certainement un enjeu majeur de leur capacité à poursuivre leurs initiatives avant tout axées sur la relation très particulière qu’elles tentent d’établir avec leur clientèle et la valorisation de leur patrimoine et savoir-faire distinctifs. A ce titre, il est essentiel qu’elles puissent


inverser leur relation aux technologies de l’information pour en diriger à moyen et long terme les orientations plutôt que d’adopter aveuglement des choix poussés par les éditeurs ou les consultants, ou plus simplement que de s’inspirer des méthodes de concurrents directs. Dans ce domaine, les maisons ayant intégré tout ou partie de leur réseau de distribution auront à imposer aux éditeurs une vision du commerce différente de celle qui a inspiré la création des logiciels de RMS (Retail Management Systems) dédiés à l’administration du point de vente, et historiquement issus du monde de la distribution organisée alimentaire ou généraliste. Celles réalisant la valeur de leurs archives devront imaginer une manière spécifique de gestion numérisée, autre que muséale ou simplement imagée. Qui plus est, certaines technologies ne trouveront pas leur place dans ce secteur, alors que d’autres participeront de manière déterminante à l’existence des marques de luxe. Une vision simpliste pourrait laisser croire que seules les plus grandes entreprises du luxe, fortes de leur puissance d’investissement et de leurs ressources humaines qualifiées, seront les plus susceptibles d’accroître leur réussite par une utilisation adéquate des technologies de l’information. Il n’est pourtant pas exclu que certains nouveaux entrants, de taille plus modeste mais au discernement plus aiguisé, imaginent le meilleur usage à faire de ces outils numériques dans une vision « fraîche », cohérente et contemporaine. Car depuis quelques années, les technologies informatiques venues du grand public ont apporté une forte contribution au progrès technique, en replaçant notamment l’utilisateur au centre de la problématique de l’information. Laurent Raoul, Professeur associé à l’IFM 1. In : Mode de recherche n° 1, « Comment embrasser l’immatériel », Pascal Morand, Janvier 2004. 2. Prosélytisme au sens du Petit Robert : « Zèle déployé pour répandre la foi, recruter des adeptes ».


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Contribution à l’éclatement des goûts individuels Olivier Assouly

Professeur de sociologie à l’Ecole normale supérieure de Lyon et directeur du Groupe de recherche sur la socialisation, Bernard Lahire, à la fois critique et héritier de Bourdieu, est l’auteur de La culture des individus, Dissonances culturelles et distinction de soi (La Découverte, 2004). On prête au philosophe Ludwig Wittgenstein un goût quasi enfantin pour les histoires policières et les baraques foraines et l’on sait que Jean-Paul Sartre aimait regarder des westerns à la télévision et préférait les romans de la « Série noire » aux ouvrages de Wittgenstein. Ce qui surprend dans ces histoires, c’est le décalage entre les portraits que l’on dresse d’eux en philosophes et ce que l’on apprend par ailleurs de leurs pratiques et de leurs goûts culturels. Mais on se tromperait en considérant qu’il s’agit d’exceptions statistiques qui confirment la règle générale de « cohérence culturelle ». De caricatures en vulgarisations schématiques des travaux sociologiques, on a fini par penser que nos sociétés, marquées par le maintien de grandes inégalités sociales d’accès à la culture, étaient réductibles à un tableau assez simple : des classes dominantes cultivées, des classes moyennes caractérisées par une « bonne volonté culturelle » et des classes dominées tenues à distance de la culture. Dans ce livre qui combine argumentation, modèle théorique et ampleur du matériau empirique (données statistiques, plus de cent entretiens, etc.), Bernard Lahire propose de transformer la vision ordinaire des rapports à la

culture. Il met ainsi en lumière un fait fondamental : la frontière entre la « haute culture » et la « sous-culture » ou le « simple divertissement » ne sépare pas seulement les classes sociales, mais partage les différentes pratiques et préférences culturelles des mêmes individus, dans toutes les classes de la société. L’auteur montre qu’une majorité d’individus présentent des profils dissonants qui associent des pratiques culturelles allant des plus légitimes aux moins légitimes. Si le monde social est un champ de luttes, les individus sont souvent eux-mêmes les arènes d’une lutte des classements, d’une lutte de soi contre soi. Les goûts marginaux En publiant, en 1979, La Distinction, Bourdieu soutenait, contre le sens commun, que les préférences culturelles des individus n’avaient rien de spontanées et qu’elles dépendaient de facteurs socioéconomiques. C’est parce que les goûts des individus sont relatifs à leur classe sociale que ceux-là sont sociologiquement évaluables et par conséquent déterminables. A sa manière Bourdieu réitérait ce que

Note de lecture

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Durkheim avait auparavant engagé avec Le Suicide : faire la preuve que la sociologie peut traiter, au titre de phénomènes sociaux, de ce qui relève apparemment de l’ordre individuel. En même temps, toute entreprise d’explication sociologique du goût passe par une généralisation préjudiciable à l’individualité des goûts. Afin de s’arrimer au degré d’exactitude des sciences de la nature, la sociologie explicative a sacrifié les exceptions à la règle, les individualités à l’ordre des lois. Parce qu’il n’y a de science que du général, il ne pouvait être question de traiter scientifiquement du particulier. En ce sens, dans le champ de la sociologie, la singularité des goûts était condamnée à demeurer accidentelle. Evidemment, les lois sociologiques ne peuvent être déterministes : les mêmes causes n’engendrant pas ici les mêmes effets. On peut bien appartenir à des catégories sociales défavorisées sans pour autant en adopter systématiquement les préférences. Le sociologue doit limiter ses prétentions en matière de prédiction, et préférer le probable au certain, le vraisemblable au vrai, la majorité à la totalité. S’il n’a pas fallu attendre les travaux de Bernard Lahire pour relever que de nombreux individus échappaient aux lois sociologiques, on lui doit d’avoir tenté de formaliser des comportements bigarrés, à l’instar par exemple de ces ouvriers appréciant Bach, le Titien, Rachmaninov, le thé fumé de chez Mariage frères, même si la majorité d’entre eux préfère la musique populaire et la bière. Une partie de l’entreprise de La culture des individus se résume à répondre aux objections qui ont accompagné la sociologie. Quelles sont les réserves et les critiques des détracteurs ? La sociologie ne rendrait compte que partiellement de comportements d’individus pouvant agir aux dépens de normes préétablies. De plus, à l’intérieur d’un groupe social, chaque individu peut avoir des préférences dissonantes, oscillant entre musique baroque et genres musicaux plus populaires. La réponse de Bourdieu ne tarderait pas à poindre : la sociologie projette ce qui se produit le plus couramment,

dans la grande majorité des cas. Ainsi les individus dont les goûts sont disparates, hétérogènes, font certes exception, mais sans changer fondamentalement le sens de la règle. Pourtant, selon Bernard Lahire, les dissonances culturelles sont des phénomènes non pas minoritaires et purement accidentels, mais largement répandus. D’où la nécessité, voire l’urgence, pour la sociologie, d’assumer des cas « marginaux » que Bourdieu considérait à tort comme trop singuliers pour devoir être véritablement pris en compte. La critique de l’individualisme Une sociologie des goûts peut-elle être autre chose qu’une exploration systématique de l’individualisme ? Critiquant une sociologie – explicative et caricaturale – accusée de plaquer des modèles sur des individus, au reste tous différents, l’individualisme reprend à son compte, en la poussant à son comble, l’idée que chacun est unique et irréductible aux autres individus. Selon Gilles Lipovetsky, dès lors que l’individu est souverain, le projet social se subordonne au bien-être individuel où chacun devient maître de ses goûts. Ses choix sont l’expression d’une liberté dont le consumérisme, mais pas seulement, peut être un moyen privilégié d’expression. Levant les objections morales et justifiant l’essor de l’économie de marché, cette thèse permet a posteriori de justifier la « demande » marchande. Au sein de ce schéma, l’individu est moins sujet de la consommation que libre et responsable de ses actes. Cependant, cette perspective s’appuie sur le déni de tous les facteurs – sociaux, économiques, psychiques, publicitaires, marketing – qui influent sur les choix des individus, sans compter qu’elle fait l’impasse sur les travaux de philosophes, psychanalystes, sociologues et d’économistes qui ont contribués à ce débat, faisant la preuve d’une controverse irréductible à des équations aussi simplifiées. Le parti pris de l’individualisme place le plaisir au centre des préoccupations de l’individu, oubliant


qu’on peut être esclave de ses passions, soumis à désirs, et plus largement, sous l’influence d’un marketing suscitant des désirs autant qu’il les commande. Il est contradictoire d’affirmer la liberté de l’individu tout en admettant l’efficacité de stratégies marketing qui, pour se révéler opérantes, doivent empiéter sur le libre-arbitre. La critique de l’individualisme dénonce à sa manière l’illusion de liberté. Il ne faut pas confondre l’idéal de l’individualisme avec une réalité où les comportements – notamment en matière de goût – sont globalement homogènes et prévisibles. En témoignent la sociologie des goûts et les études de marché. En outre, sans le secours d’enquêtes rigoureuses ou de données statistiques, Lipovetsky peut parler d’éclectisme des goûts individuels, d’individu multiculturel et métissé, sans jamais être en mesure d’expliciter ces phénomènes. Une hypothèse en redouble au mieux une autre. La Culture des individus vise moins à faire le constat de l’individualisme, qui fait figure de lieu commun, qu’à en produire les explications correspondantes. Le défi du sociologue consiste à se pencher sur l’individualisation des goûts sans céder aux sirènes idéologiques de l’individualisme et à ses avatars hédonistes. L’auteur se détache des conceptions individualistes pour déployer puis expliciter une « sociologie des socialisations individuelles ». En effet, rien n’empêche d’affirmer que les goûts prétendument individuels des uns soient à l’unisson avec les goûts des autres. La mesure des préférences Un des mérites de l’ouvrage est de poser la question des outils d’évaluation des goûts. Il s’agit, contrairement aux méthodes classiques des entretiens, de s’abstenir de présupposer un système de dispositions, c’est-à-dire un « passé incorporé » (éducation, école, famille) qui constituerait la cause de toutes les préférences passées et futures. De surcroît, les variables d’une enquête quantitative ne disent pas grandchose sur les modalités de l’engagement

des personnes enquêtées. Elles ne précisent pas si le goût de l’individu correspond à une pratique plus ou moins contrainte, routinière, associée à de l’intérêt ou du plaisir, ou encore vécue sur le mode de la passion. Il faudrait plutôt retenir la pluralité des domaines culturels, des compétences, des dispositions, des contextes et des circonstances de leur actualisation, de même que les fréquents décalages entre goûts et pratiques effectives. Nombreuses sont les variables à intégrer : la pratique par obligation scolaire, par contrainte situationnelle exceptionnelle, l’activité habituelle et sans goût particulier, l’accompagnement plus ou moins heureux d’autrui (enfants, amis, conjoint), la pratique par courtoisie ou politesse, le désir de délassement ou de défoulement par des pratiques qu’on n’apprécie pas habituellement, la délimitation temporelle d’une licence qu’on s’accorde, la consommation ironique, la curiosité sans engouement, la gratuité de l’accès à l’offre qui engage alors moins personnellement. Les variables individuelles dépendent en grande partie du modèle d’investigation retenu par le sociologue. S’il croise des catégories socioprofessionnelles, sexuelles, d’âge, avec des pratiques et des goûts, il privilégie une variation de goûts entre catégories. S’il concentre son attention sur un individu, il laisse apparaître des variations individuelles qui, auparavant, ne se voyaient qu’entre catégories. La critique de l’enquête par questionnaires tient à cela qu’elle ne bénéficie pas de la confiance établie dans le cadre d’entretiens (modèle du confessionnal). En même temps, n’en déplaise à Bernard Lahire, la confiance ne suffit pas à valider des désirs personnels qui peuvent être aléatoires, éphémères, illusoires ou faussement transparents. Comment se fondent les différents degrés de légitimité culturelle, depuis des produits à forte légitimité culturelle (musique baroque ou nouveau roman) aux autres à faible légitimité (chanson populaire ou karaoké) ? Tout d’abord, la légitimité culturelle ne se définit pas extérieurement aux acteurs, elle découle de leur propre sys-


tème de représentations. La légitimité culturelle s’impose même à ceux qui s’y dérobent : on peut affirmer aimer Richard Strauss, reconnaître là une forme supérieure de culture, tout en continuant d’écouter des musiques populaires. C’est la preuve d’un ordre culturel – légitime et dominant – auquel tous les individus se réfèrent, indépendamment de leurs pratiques effectives. C’est parce qu’il peut y avoir des consommations non légitimantes de certains produits qu’il est difficile d’associer invariablement consommation et désir. Par ailleurs, la démocratisation de biens de consommation à forte légitimité culturelle tend à réduire leur degré de distinction et de légitimité. Reste à mettre en lumière les ressorts qui conduisent l’individu à la variation de ses goûts dans un sens ou dans l’autre, en justifiant la direction dans laquelle les dissonances opèrent chez un même individu. Les facteurs de dissonances Bernard Lahire ne pose pas l’existence d’une libre circulation des préférences : chacun conserve un noyau dur de préférences conformément à son rang social. Globalement, il existe des profils culturels consonants très légitimes pour les CSP élevées (élitisme, ascétisme culturel) et, inversement, des profils consonants peu légitimes pour les catégories sociales inférieures. Plusieurs raisons expliquent la situation des dernières : le faible capital scolaire parental et personnel, l’isolement géographique, le défaut de relations professionnelles ou amicales, et donc de rares contacts avec des profils culturels dissemblables. Les comportements dissonants des classes supérieures sont justifiés par leur capital culturel et économique qui évite de confondre dissonances et rattachement à des classes inférieures. C’est en outre une manière de se démarquer de la bourgeoisie conservatrice. Pour les classes moyennes, la possibilité reste très ouverte d’aller soit vers des formes de culture supérieure ou au contraire inférieure.

Les facteurs à l’origine de profils culturels dissonants sont les suivants : individu n’ayant pas la même position sociale que ses parents ; augmentation du capital scolaire à la suite d’études ; changement de position sociale dans la hiérarchie ; confrontation régulière avec des personnes aux propriétés culturelles différentes. Ce dernier point est essentiel pour comprendre l’importance des influences « sociales » sur les patrimoines individuels, lesquelles sont autant de relais possible aux socialisations culturelles d’origine familiale. Sans doute les analyses n’insistent-elles pas suffisamment sur les rapports de concurrence entre différents modèles de culture – littéraire, scientifique et commercial – à l’intérieur de l’école ou à l’extérieur, avec les modèles de socialisations marchandes des industries culturelles. A juste titre, la jeunesse n’est une classe substantiellement repliée sur elle-même, contrairement à des idées reçues, mais soumise à des contraintes qui impliquent des modes de socialisation, parfois antagonistes, au nombre de trois : les parents, l’école et les pairs (amis et médias). La dissonance culturelle forte qui anime la jeunesse est à la mesure de l’importance des relations extérieures à la sphère domestique. On remarque notamment chez les jeunes, une correspondance significative entre le reflux de la culture littéraire et artistique et des comportements dissonants, libérant la place à des pratiques naguère hérétiques ou impures. Lignes de fuite On peut regretter que La culture des individus ignore délibérément la dimension consumériste et économique des biens culturels, proposant une explication partielle, voire par moment naïve de la socialisation des préférences. Cette dernière gagnerait à se combiner à l’analyse des stratégies déployées par les entreprises, à l’examen des techniques de commercialisation des produits et aux modalités de jugement et de consommation. L’économie de marché et les motivations attenantes des individus


dans la sphère de la consommation ont contribué à l’émergence de ces goûts discordants. Car l’idée d’un consommateur résolument labile, dont les goûts ne répondent plus à une ligne directrice, peut s’expliquer par une offre commerciale dont le constant renouvellement a accru la versatilité des individus. Au terme de La culture des individus, l’équation que proposait Bourdieu 30 ans plus tôt ne se trouve pas être fondamentalement transformée, si ce n’est amendée ou nuancée. Que les individus aient des goûts dissonants ne remet guère en question l’existence d’un noyau culturel dominant, indispensable à la prolifération épisodique de formes dissidentes de culture. Bourdieu le reconnaissait, Bernard Lahire ne fait que le confirmer. Le principal intérêt de l’entreprise du disciple aura été de conduire la sociologie du maître dans ses derniers retranchements, a étendre le champ de la rationalité, à rendre raison des accidents, à s’attacher à prédire davantage les comportements des individus. Intégrer les exceptions, montrer qu’elles sont au fond soumises à une logique explicative, c’est justifier la pratique de la sociologie sur la base des sciences exactes, geste classique et récurrent de fondation qu’aucune discipline aux ambitions scientifiques ne doit mésestimer. Olivier Assouly Professeur à l’IFM


Cultures de consommation 2003-2007 – Grande-Bretagne L’objectif de ce programme de recherche pluridisciplinaire, essentiellement en sciences sociales, est d’analyser le changement de sens et de dynamique de la consommation, ainsi que ses conséquences dans les sociétés modernes. Sous la direction de Frank Trentmann, (School of History, Classics and Archaeology, Birkbeck College, University of London), ce projet, composé de 20 à 25 propositions de recherche, associera également des usagers publics, parmi lesquels des groupes sociaux, des gouvernements, des organisations internationales et des entreprises. La recherche traitera de l’importance croissante de la consommation et des consommateurs dans les sociétés modernes, depuis les questions d’identité collective et d’opinions du consommateur jusqu’à ses coûts et bénéfices socioéconomiques. Les principales sphères d’investigation incluront plusieurs thématiques : information et consommateurs ; consommation et citoyenneté ; nouvelles technologies et consommation virtuelle ; cultures de consommation locales, urbaines et mondialisées ; consommation nationale et media ; intégration et exclusion sociale ; consommation alternative et durable. Les projets de recherche ont débuté en 2003 et prendront fin en juin 2007. Pour d’autres informations : www.regards.ac.uk


Les cartes et images de la route de la soie 15-14 mai 2004 – Zürich Ce colloque qui s’est tenu à l’université de Zurich avait pour but d’examiner la transmission de connaissances iconographiques par la route de la soie qui fut, pendant 2000 ans la liaison principale entre l’Extrême-Orient, le Moyen-Orient et l’Europe. Son réseau de routes commerciales et d’états prospères ont permis la diffusion de représentations complexes, par le truchement de cartes géographiques, de peintures et de dessins paysagers, de textes et d’images religieux, astronomiques et mathématiques, qui ont profondément influencé notre compréhension du cosmos et notre conception de l’espace et du temps. L’analyse de ce savoir visuel a permis de comparer les approches méthodologiques de disciplines telles que l’histoire de l’art, les études asiatiques, les études islamiques, l’astronomie, la cartographie, les études culturelles, la géographie, l’histoire des sciences et des religions et les études médiévales. Les communications des conférenciers feront l’objet d’une publication. Contact : pforet@bluewin.ch

inédits et une réorganisation des professions attenantes ? Comment concevoir des nouveaux rapports entre prospective, conception et recherche ? Voici brièvement résumées quelques unes des questions mises en relief dans ce colloque qui s’inscrit dans la série des rencontres « Prospectives du Présent ». Contact : info.cerisy@ccic-cerisy.asso.fr

Les enjeux du management responsable 18-19 juin 2004 – Lyon Ce colloque, organisé par l’Ecole de management de l’université catholique de Lyon a fait le point sur le concept de management responsable, lequel alimente la théorie et l’exercice des dirigeants en questionnant les organisations de salariés, les chercheurs, et la société civile. Contact : aliu@univ-catholyon.fr

Les nouveaux régimes de la conception 13-20 juin 2004 – Cerisy-la-Salle A partir des récentes avancées théoriques, ce colloque, organisé avec le soutien de l’Ecole nationale des mines, s’est penché sur la place prépondérante des activités de conception dans la société contemporaine et à l’avenir. Les thèmes abordés allaient de la recherche sur le fondement, la tradition, le mode de raisonnement spécifique des activités de la conception à l’avenir de ses métiers. Pour construire un futur sur lequel pèsent des exigences multiples, les designers, les architectes, les ingénieurs exerceront-ils une activité collective ou divergente ? Verrat-on apparaître des modes de conception

Etats de la recherche

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Le luxe éternel : de l’âge du sacré au temps des marques Gilles Lipovetsky/Elyette Roux, Gallimard, 2003 Dans le sillage de la synthèse historique et philosophique que propose Gilles Lipovetsky du luxe depuis les premières formes sociales jusqu’aux sociétés contemporaines, Elyette Roux traite la question sous un angle plus directement économique. Il s’agit d’abord de dresser un constat en soulignant le passage, opéré au cours de la dernière décennie, d’une logique artisanale et familiale à une logique industrielle et financière. Dans une configuration fortement concurrentielle, les marchés de luxe semblent être passés d’un ordre communément fondé sur l’offre, avec la création et le créateur, à un système soucieux, sinon contraint, d’intégrer de plus en plus la demande des consommateurs. C’est la raison pour laquelle le marketing a pu s’imposer à son tour dans les secteurs du luxe. En témoigne la manière dont les cognacs Hennessy, aux USA, ont sacrifié, à grand renfort de communication, une perception de digestif traditionnel à une image moins classique, en promouvant des cocktails auxquels des « cibles » jeunes étaient sensibles. D’autres éléments ont contribué à refondre les enjeux du luxe : une sensibilité accrue des consommateurs aux prix, un renouvellement croissant de l’offre, le contrôle de la distribution, des recours à des offres promotionnelles, la qualité du service. Rassemblant son attention sur la signification du luxe, Elyette Roux pose que le luxe a évolué, passant d’une forme ostentatoire, socialement discriminante,

caractéristique des années 80, à une « recherche d’authenticité et de sens », notamment avec les impératifs de qualité et de respect des traditions. Ce mouvement correspondrait à l’affirmation d’un souci de soi, pièce maîtresse de la construction de l’individualité et de sa personnalité. Loin de se réduire au culte des apparences, cette manière d’être montre que le luxe se tient à l’intersection d’une éthique et d’une esthétique. Autant de facteurs que les marques de luxe, à l’instar de Chanel, ont raison d’intégrer à la gestion tant du patrimoine, du présent que de l’avenir.

Victimes de la mode ? Guillaume Erner, Editions La Découverte, Paris, 2004 Voici un nouvel ouvrage didactique qui dresse un état des lieux actuel du système de la mode et de ses arcanes. Après une brève approche historique, les différents acteurs et stratégies des industries du paraître y sont décrits et expliqués à grand renfort d’exemples concrets : les couturiers, les créateurs, les gestionnaires, ainsi que les heurs et malheurs de la marque et des licences. Bien que le système de la mode et des « tendanceurs » (bureaux de style, presse et autre media, concept store) soient expliqués dans le détail, ils ne suffisent pas, selon l’auteur, à éclaircir le mystère des tendances qui reste la zone d’ombre des industriels du secteur. L’auteur passe ensuite à l’analyse sociologique du phénomène de mode où il réfute l’actualité des thèses de Bourdieu et de Baudrillard sur la diffusion verticale de la mode. En effet, selon Bourdieu, une élite lance la mode qui est ensuite copiée par la masse, thèse largement reprise par les marketeurs dans les socio-styles. Pour Guillaume Erner qui convoque, à l’appui de son opinion, philosophes, sociologues, peintres et écrivains, sans vraiment en rapporter la preuve, le besoin de mode s’inscrit aujourd’hui entre une logique identitaire narcissique et la pathologie du lien social.


Imagining Consumers: Design and Innovation from Wedgwood to Corning (Studies in Industry and Society) Imaginer les consommateurs : Création et innovation de Wedgwood à Corning (Etudes sur l’industrie et la société) Regina Lee Blaszczyk, John Hopkins University Press, 2000 Ce livre, dont il n’existe pas pour le moment de traduction française, propose une approche historique de l’industrie de la vaisselle et de la verrerie, objets pour lesquels les individus développèrent, au cours du XXe siècle, un goût spécifique. C’est parce que la baisse des prix ne provoque pas nécessairement un surcroît de vente que la même question revient : comment rendre des produits désirables ? Un des enjeux pour les producteurs tient aux moyens déployés à la fois pour capter et susciter de nouveaux goûts. Cela peut passer par la réduction des intermédiaires pour cerner plus efficacement la volonté des clients ; l’accroissement de l’observation sur les points de vente ; l’invention d’un nouvel espace de validation du goût, audelà des connaisseurs et des critiques, à travers les jugements des individus ; la mise à disposition d’une variété dont la disponibilité ne détermine pas a priori le goût. Il faudrait encore ajouter le pastiche du cristal, la variété des formes, le renouvellement constant des gammes de produit. L’ouvrage souligne que la demande se crée à partir de la valorisation du choix des consommateurs. En ce sens, en contribuant à valoriser l’attachement à des objets non exclusivement artistiques mais aussi ordinaires, le marché contribuerait à libérer les préférences des individus. Si tout concourt en apparence à affranchir le goût des consommateurs des canons prescripteurs, apparaissent simultanément de nouvelles instances de prescription, que ce soit les grands magasins ou les journaux de mode. L’auteur met l’accent sur l’intégration de qualités esthétiques aux produits. Rendu possible avec le passage de la décoration à la main à la décalcomanie (monochrome),

ce mouvement traduit la naissance du métier de designer, designer qui dicte de modifier le dessin mais aussi la forme de la vaisselle. Par ailleurs, les difficultés croissantes à distinguer la copie de l’original justifient le recours à la marque comme signe distinctif des produits et des niveaux de qualité.

Le design et les immatérialités de l’entreprise Monique Vervaeke, L’Harmattan, 2003 La conception de produit est un enjeu privilégié du design industriel. Toutefois, la politique de design d’une firme ambitionne une vision plus globale. Elle cherche à promouvoir simultanément des projets incluant des dimensions technologique, formelle et sémiotique, ainsi que des valeurs et une cohérence de marque. Cet ouvrage examine la part que prend le design à la stratégie de conception de produit, particulièrement dans le secteur de la lunetterie. Il propose, entre autres, une définition du concept d’innovation formelle et discute de l’apport de celui-ci aux théories du développement local. En raison de leur politique de création, les sociétés sont amenées à gérer et à accumuler un capital immatériel. Les entreprises lunetières étudiées, confrontées aux transformations des rapports concurrentiels, sont ainsi contraintes d’adopter de nouvelles stratégies managériales relatives à la protection de la propriété intellectuelle.

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Le Dictionnaire des mots et des couleurs : Le Bleu Anne Mollard-Desfour, CNRS Editions, 2004 Cet ouvrage s’inscrit dans la série « Dictionnaires des mots et des couleurs » où l’auteur, linguiste au CNRS, a déjà publié Le Rouge, le Rose et le Bleu dans une première version en 1998. Cette nouvelle édition a été totalement révisée pour intégrer des données directement contemporaines. En mobilisant un large corpus de textes, Anne Mollard-Desfour répertorie toutes les dénominations chromatiques du bleu et de ses nuances, ainsi que l’aspect matériel de cette couleur et ses procédés de fabrication. Elle inventorie également les symboles, les locutions et les utilisations sociales auxquelles le bleu a donné lieu, en faisant une large part à l’étymologie. Etroitement liée aux phénomènes de mode, la terminologie des couleurs est un reflet privilégié des rapports sociaux. Les dénominations de la couleur sont, par leur diversité, indispensable à la connaissance de la sensibilité sociale d’une époque et d’une culture.

L’indémodable total look de Coco Chanel Jean-Marie Floch, Editions IFM, 2004 Ce texte est sans doute un des meilleurs exemples de lecture stylistique d’une marque de mode. Jean-Marie Floch y explore de manière brillante les caractéristiques du style de Chanel, traçant au passage la voie pour une discipline peu pratiquée à ce jour, celui de l’analyse esthétique appliquée à une marque de création. Une marque d’autant plus exemplaire que, depuis sa fondation en 1909, elle n’a cessé de se régénérer, réactivant sans cesse un territoire stylistique par ailleurs rigoureusement établi. C’est tout l’intérêt de ce texte, et ce qui a motivé sa publication en volume séparé, d’identifier et d’expliquer les composantes d’un patrimoine toujours aussi vivant aujourd’hui. Initialement écrit pour un ouvrage intitulé Identités visuelles sous le titre « La liberté et le maintien, esthétique

et éthique du “total look” de Chanel », ce texte est ici publié avec pour titre L’indémodable total look de Coco Chanel, titre d’une conférence que Jean-Marie Floch avait donnée lors du colloque de sémiotique d’Urbino en 1993.

Marques et récits La marque face à l’imaginaire culturel contemporain Bruno Remaury, Editions IFM, 2004 Une ancienne publicité de la marque Levi’s disait : « Entrez dans la légende », slogan exemplaire de la manière dont les marques fonctionnent aujourd’hui, non comme des légendes, mais comme autant de portes d’entrée vers des « grands récits » culturels dont elles ont agrégé plus ou moins volontairement tout ou partie et sur lesquels se fonde leur légitimité. Remarquable à bien des égards, cet ouvrage propose une réflexion sur la marque au travers d’une observation des relations qu’elle entretient avec la notion de récit, afin de poser la question des conditions de développement d’une « culture de la consommation », de ses limites, et au-delà, de ses conséquences sur l’imaginaire culturel contemporain. A une lecture des types de récits à partir de différents exemples de marques succède l’analyse de trois cas d’utilisation par la marque de récits culturels majeurs, en l’occurrence ceux du féminin, au travers de Chanel, Dior et Saint Laurent.

Textiles Le groupe anglais Berg, auquel on doit déjà la revue « Fashion Theory » dirigée par Valérie Steele, annonce le lancement d’une nouvelle publication trisannuelle intitulée « Textiles. The Journal of Cloth and Culture ». Ce périodique se propose de rassembler les recherches académiques, dans le domaine du textile, qui s’inscrivent dans le contexte plus large de la culture matérielle et visuelle.


Fashion Classics from Carlyle to Barthes Textes classiques sur la mode : de Carlyle à Barthes Michael Carver, Berg Publishers, 2003 Toute l’attention portée à la théorie contemporaine fait aisément oublier que les analyses sérieuses du vêtement et de la mode ont déjà une longue histoire qui remonte au XIXe siècle. Cet ouvrage offre un panorama explicatif des écrits révolutionnaires et souvent originaux de huit théoriciens dont le travail a profondément influencé les fondements théoriques et conceptuels de notre compréhension actuelle du système de la mode et du vêtement. Le commentaire de Michael Carver montre clairement que les points de vue sur la mode ont toujours été passionnés, plus particulièrement lors de la fameuse attaque du dandysme par Carlyle ou encore avec la suggestion de Veblen de faire des vêtements à partir de vieux journaux.

Fashion under Fascism: Beyond the Black Shirt La mode sous le fascisme : Au-delà des chemises noires Eugenia Paulicelli, Berg Publishers, 2004 Quand nous songeons à l’industrie de la mode italienne, les noms de Gucci, Max Mara et de Prada nous viennent immédiatement à l’esprit. Mais c’est oublier que cette industrie a une histoire sombre qui est ici étudiée pour la première fois. Dans les années 30, en Italie, le fascisme ne dominait pas seulement la politique, il a également influencé la mode. Sous Mussolini, celle-ci reflétait nettement la tyrannie sociale. L’allégeance au régime était orchestrée par la dictature avec l’intention de créer une nouvelle conscience nationale. Les femmes étaient manipulées au travers l’idéal de mode dans le but de créer une féminité italienne authentique. Eugenia Paulicelli montre aussi comment cette évolution a constitué la genèse de la puissance mondiale de la mode italienne actuelle.

Fashion Foundations Ecrits fondateurs sur la mode Kim K.P. Johnson, Susan J. Torntore, Joanne B. Eicher, Berg Publishers, 2003 Même s’il est difficile de penser la mode dans un contexte autre que contemporain, le concept de mode n’est précisément pas nouveau. Les historiens du costume le font remonter au XIIIe siècle et les écrits les plus anciens sur la mode datent du XVIe siècle, lorsque Montaigne méditait sur ses origines, suscitant ainsi des interrogations qui n’ont pas cessé de se poser au fil des siècles postérieurs. Cet ouvrage réédite les écrits classiques de Montaigne, William Hazlitt, Herbert Spencer, Thorstein B. Veblen, Adam Smith, Herbert Blumer ou Georges Simmel sur la mode, autant d’auteurs qui ont contribué à modeler l’approche et la compréhension du costume moderne.

Le Sari Mukulika Banerjee et Daniel Miller, Berg Publishers, 2003 Etayé par les déclarations de représentants de diverses classes sociales, ce livre explore la beauté, le bien-aller, et la singularité du vêtement le plus emblématique de l’Inde. Ses auteurs montrent pourquoi le sari a survécu et même prospéré comme vêtement traditionnel, alors que la plus grande partie du monde adoptait le costume occidental. L’ouvrage présente à la fois un portrait intime de la vie des femmes indiennes aujourd’hui et une façon alternative de penser notre relation aux vêtements. De nombreuses anecdotes soulignent la place que tient le sari au cœur des relations sociales entre mère et enfant, maîtresse et servante, créateurs et stars de « soap operas ». Le Sari montre comment le vêtement le plus simplement construit peut révéler toute la complexité des modes de vie de l’Inde.


Mode et Textiles Un panorama Colin Gale, Jasbir Kaur, Berg Publishers, Juin 2004 Ce livre aborde la question de la symbiose entre la mode et le textile. Ses auteurs, enseignants à l’University of Central England de Birmingham, explorent les relations culturelles, industrielles et sociales de la mode et des textiles, leur rivalité et leur influence réciproque. C. Gale et J. Kaur identifient et commentent les domaines clés de l’interaction commerciale et culturelle, incluant matières premières, distribution, consommateurs et futures technologies, en étayant leur propos d’exemples concrets de professionnels, designers, distributeurs et producteurs. L’ouvrage examine l’influence des tendances de mode nationales et mondiales sur les matières premières. Le résultat est un livre qui débute par l’offre et la demande et se poursuit sur des problèmes de design, de technologie, de globalisation et de tendances de mode.

Nazi « chic » ? Formation de la mode féminine sous le Troisième Reich Irène Guenther, Berg Publishers, 2004 Nazi « chic » est le premier livre à traiter exclusivement de l’industrie allemande de la mode depuis la première guerre mondiale jusqu’à la fin du Troisième Reich. Son auteur explore les tentatives avortées de l’Etat Nazi pour construire une image féminine reflétant la politique officielle des sexes ou inculquer des sentiments de fierté nationale. L’auteur examine également la politique infructueuse du Reich pour asseoir la suprématie allemande sur les défilés européens et soutenir une industrie européenne de la mode contrôlée par les nazis.


CENTRE DE RECHERCHE INSTITUT FRANÇAIS DE LA MODE

Programme 2004 Publication semestrielle en versions française et anglaise : Mode de recherche (IFM Research Report) Offrir un instrument d’information sur la recherche dans les domaines de la mode et des industries de la création. Conférer à cet instrument de veille une dimension internationale. Mode de recherche, n°1. Février 2004 (L’immatériel)

Mode de recherche, n°2. Juin 2004 (Luxe et patrimoines)

Mode de recherche, n°3. Janvier 2005 (Le commerce éthique)

Séminaire de recherche sur le thème de la construction du goût Décembre 2004, IFM Décrypter avec le concours de chercheurs internationaux en sciences sociales les modalités d’élaboration des goûts. Publication des actes.

Publication d’un ouvrage collectif sur le luxe (Éditions de l’IFM) Novembre 2004 Proposer une vision historique, culturelle et contemporaine à la fois des enjeux et des thématiques du luxe. L’ouvrage qui comporte quatre parties – Les fonctions historiques et sociales du luxe ; Luxe et identités nationales ; le luxe face au marché – rassemblera plus de 20 contributions de spécialistes, notamment universitaires, français ou étrangers (Italie, USA, GB, Inde).


Mode de recherche, Prochain numéro : janvier 2005

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Cette publication est disponible sous forme imprimée ou en version électronique. Nous vous proposons de recevoir gratuitement Mode de recherche en remplissant ce bulletin à renvoyer au Centre de Recherche de l’IFM ou en vous abonnant en ligne sous la rubrique Enseignement Supérieur/Recherche de notre site Internet : www.ifm-paris.org

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Directeur de la publication : Olivier Assouly oassouly@ifm-paris.org Ont collaboré à ce numéro : Eugénie Briot, Laurent Raoul, Bruno Remaury, Marie-Claude Sicard, Geneviève Teil, Marie Weigel Conception graphique : Pascal Gautrand Réalisation : Dominique Lotti

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