Synthèses et interventions

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"Former aux questions de défense et de politique étrangère"

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Synthèses

INSTITUT DES HAUTES ÉTUDES DE DÉFENSE NATIONALE INSTITUT DES HAUTES ÉTUDES DE DÉFENSE NATIONALE Service communication – contact : 01 44 42 54 15 Service communication - contact : 01 44 42 54 15 1 place Joffre – Paris VIIee 1 place Joffre – Paris VII www.ihedn.fr www.ihedn.fr

28 juin 2011 Interventions

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1936 - 2011


De gauche à droite et de haut en bas : Vice-amiral d'escadre Richard Laborde Jacques Audibert Général d’armée aérienne Stéphane Abrial Ingénieur général de l'armement Patrick Auroy Vice-amiral d’escadre Xavier Païtard Michel Foucher, animateur

De gauche à droite et de haut en bas : Arnaud Danjean Pierre Vimont Philippe Camus Claude-France Arnould Francis Delon José-Manuel Lamarque, animateur


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Synthèses

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Vice-amiral d’escadre Richard Laborde Directeur de l’IHEDN et de l’EMS

9Ouverture

Jacques Audibert Directeur général des affaires politiques et de sécurité, ministère des Affaires étrangères et européennes

19 Général d’armée aérienne Stéphane Abrial Supreme Allied Commander Transformation (ACT), Otan

27 IGA Patrick Auroy Secrétaire général adjoint de l’Otan pour les investissements de défense

Interventions

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Vice-amiral d’escadre Xavier Païtard Chef de la mission militaire de la Représentation permanente de la France auprès de l’UE et chef de la mission militaire de la Représentation permanente de la France auprès de l’Otan

Philippe Camus Président du conseil d’administration d’AlcatelLucent

41 Arnaud Danjean Président de la souscommission "Sécurité et défense" du Parlement européen

49 Pierre Vimont Secrétaire général exécutif du Service européen pour l’action extérieure (SEAE)

61 Claude-France Arnould Directrice exécutive de l’Agence européenne de défense

67Conclusion Francis Delon Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale



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Synthèses Interventions

Vice-amiral d’escadre Richard Laborde

Directeur de l’Institut des hautes études de défense nationale et de l’Enseignement militaire supérieur L’avenir aujourd’hui, c’est le centenaire de l’Institut, en 2036. L’IHEDN se doit de redevenir un institut de niveau gouvernemental, un lieu où l’on forme, ensemble, des responsables de haut niveau, civils et militaires, aux questions de défense, y compris dans leur dimension économique, et d’affaires internationales, un lieu où l’on sensibilise un public, large et diversifié, à ces mêmes questions et qui participe à la construction de la résilience, un lieu de hautes études au cœur de la réflexion et du débat stratégique, un lieu porteur d’une ambition internationale et profondément ancré dans l’espace européen. J’ai réuni ce matin une table ronde de onze instituts, académies et collèges de défense partenaires. J’en retiens que pour les uns « la connaissance et le savoir sont une puissance », que pour les autres, plus orientaux, « la sagesse est une force », propos qui ne sont pas sans évoquer celui du fondateur de notre Institut, l’amiral Castex, en 1936, pour qui « elle exprime cette vérité qu’on s’instruit à tout âge, que l’effort que l’on s’impose dans ce but est toujours méritoire, et qu’il élève plus qu’il n’abaisse ». Au-delà de la gestion des crises en cours, il importe de nous attacher aux tendances de fond du monde en devenir, les mouvements tectoniques qui modifieront la distribution des intérêts et de la puissance. La France et ses alliés européens doivent-ils se penser d’abord et durablement comme une puissance régionale, en continuité avec la réorganisation du continent depuis 1989, qui fut largement pacifique, mais non dénué de crises où nos forces durent intervenir ? Doivent-ils également se concevoir comme un ensemble d’États ayant des intérêts globaux, d’échelle planétaire ? La réponse en termes d’ambition globale, combinant l’action régionale et l’influence mondiale paraît évidente au regard de nos capacités diplomatiques et de nos intérêts économiques. Mais cette réponse est-elle compatible avec ce contexte européen de tentation de désarmement structurel ? Aujourd’hui, la moitié de nos orateurs vient de Bruxelles. Est-ce déjà une réponse à la question posée : avec qui faire face aux défis communs ? Un bref regard sur la composition des futures sessions : des hommes et des femmes, des jeunes et des moins jeunes, des Français et des étrangers – sans doute pas assez nombreux – de différents continents, des Parisiens et des provinciaux, des responsables des secteurs public et privé, des diplomates et des militaires issus des trois dimensions, des policiers et des gendarmes, des médecins des âmes et du corps, des spécialistes des sciences molles et des sciences dures. Tous semblent avoir la conviction qu’esprit de défense et résilience, dynamisme économique et rayonnement diplomatique, développement social et pacte républicain, sont intimement liés. Ils ont sans aucun doute, le sens du service de l’État. La conviction profonde que l’adhésion de la Nation est la condition de l’efficacité de l’appareil de défense ainsi que de la légitimité des efforts qui lui sont consentis. À l’évidence, la ferme volonté d’agir plutôt que de subir. Simplement, le souci de mieux comprendre le monde de demain afin de préparer celui de leurs enfants. Bref, ils vous ressemblent terriblement.

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Synthèses Interventions

Vice-amiral d’escadre Richard Laborde Directeur de l’IHEDN et de l’EMS

Monsieur le Président de la Commission de la défense, Monsieur le Député, Monsieur le Secrétaire général, Monsieur le Président du conseil d’administration, Messieurs les Ambassadeurs, Messieurs les Officiers généraux, Mesdames et Messieurs les Directeurs, Mesdames et Messieurs les Auditeurs, Ce n’est pas sans une certaine émotion que le directeur de l’institut des hautes études de défense nationale et de l’enseignement militaire supérieur ouvre ce colloque, cet après-midi. Un colloque qui vise tout autant à célébrer deux anniversaires, celui de l’IHEDN et du Chem, qu’à réfléchir ensemble à l’avenir, en gardant à l’esprit le chemin parcouru par ces deux organismes centraux de l’enseignement de défense. En effet, pour un institut ayant vocation à être un lieu de débat et de réflexion sur les grands enjeux de défense et d’affaires internationales, marquer son 75e anniversaire et, qui plus est, avec le 100e anniversaire du Centre des hautes études militaires, ne peut être qu’une occasion exceptionnelle de se projeter vers l’avenir. Et l’avenir aujourd’hui, c’est celui du centenaire de l’Institut, en 2036, celui du prochain quart de siècle. Un quart de siècle, c’est loin me direz vous, mais une telle échéance doit nous permettre de nous évader des contingences de l’instant.

Un quart de siècle, c’est loin, mais pas tant que cela pour les planificateurs de défense qui se re mettront à l’ouvrage dans les mois qui viennent, et dont les erreurs dans « leur appréciation du futur pourraient avoir d’affreuses conséquences pratiques », pour reprendre les propos de Colin Gray. Alors, résolument, cap au 2036 En ce jour très particulier, l’avenir, c’est d’abord pour moi l’avenir de l’IHEDN. Fort de sa tradition, raffermi dans sa vocation propre par la réforme des instituts intéressant la défense et la sécurité décidée en 2008, l’IHEDN a entrepris un vaste programme de rénovation afin de poursuivre sa mission dans un environnement totalement modifié. Le cadre de cet environnement revisité est celui du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, de la dernière loi de programmation militaire et, bien sûr, du décret publié en juin 2009 relatif à l’IHEDN. J’ai beaucoup lu et relu les textes fondateurs et les résultats des recherches consacrées à l’IHEDN. Ces lectures ont conforté ma démarche. Elle est celle d’une fidélité à l’inspiration fondatrice, celle de l’amiral Castex en 1936, inspiration confortée par la renaissance de l’Institut en 1948, puis enrichie des évolutions introduites depuis lors à l’aune dont la défense de la France est pensée, défense globale depuis l’origine, sécurité nationale aujourd’hui.

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Au cours de ces soixante-quinze ans, le sens de cette mission n’a pas varié ; seul le contexte géopolitique et stratégique a modifié l’objet des hautes études de défense nationale à plusieurs reprises. L’IHEDN a dû et su s’y adapter. Aujourd’hui, notre feuille de route est simple, mais ambitieuse

Avec le passé en mémoire et le présent à l’esprit, nous avons regardé, ensemble, vers l’avenir. Chacun s’est accordé sur la nécessité de former les hauts responsables aux questions stratégiques, de sensibiliser un large public aux enjeux de défense, en ajoutant la dimension internationale et le dialogue permanent entre civils et militaires.

L’IHEDN se doit de redevenir un institut de niveau gouvernemental, un lieu où l’on forme, ensemble, des responsables de haut niveau, civils et militaires, aux questions de défense, y compris dans leur dimension économique, et d’affaires internationales, un lieu où l’on sensibilise un public, large et diversifié, aux questions de défense, de politique étrangère et qui participe à la construction de la résilience, un lieu de hautes études au cœur de la réflexion et du débat stratégique, un lieu porteur d’une ambition internationale et profondément ancré dans l’espace européen.

Enfin, je retiens de cette table ronde que pour les uns « la connaissance et le savoir sont une puissance », que pour les autres, plus orientaux, « la sagesse est une force », propos qui ne sont pas sans évoquer ceux-ci « elle exprime cette vérité qu’on s’instruit à tout âge, que l’effort que l’on s’impose dans ce but est toujours méritoire, et qu’il élève plus qu’il n’abaisse », phrase formulée en 1936 par l'amiral Castex pour illustrer l’appellation de Collège des hautes études de défense nationale.

J’ai souhaité confronter cette vision avec celle des académies et centres qui partagent la même mission de formation et de réflexion aux questions stratégiques, la même mission d’explication et de sensibilisation.

Mais quittons le passé. Regarder vers l’avenir, c’est la raison d’être de colloque. C’est aussi l’une des raisons d’être de l’Institut.

Ainsi, j’ai réuni ce matin une table ronde de onze Instituts, académies et collèges de défense qui sont nos partenaires. Nous avons réfléchi ensemble sur les publics et les contenus, les méthodes et les coopérations à bâtir et à faire prospérer. Je voudrais remercier à nouveau très chaleureusement tous ceux qui ont fait le voyage depuis Washington et New Delhi, Berlin, Mannheim et Londres, Rome et Madrid, Abu Dhabi et Bruxelles.

L’histoire a le mérite d’identifier des éléments qui méritent qu’on y réfléchisse.

Quels sont les défis de long terme que devront affronter la France et ses alliés ? Au-delà de la gestion des crises en cours, il importe de nous attacher aux tendances de fond du monde en devenir, les mouvements tectoniques qui modifieront la distribution des intérêts et de la puissance. La France et ses alliés européens doivent-ils se penser d’abord et durablement comme une puissance régionale, en continuité avec la réorganisation du continent depuis 1989, qui fut lar5 &


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gement pacifique, mais non dénué de crises où nos forces durent intervenir ? Doivent-ils également se concevoir comme un ensemble d’États ayant des intérêts globaux, d’échelle planétaire ? La réponse en termes d’ambition globale, combinant l’action régionale et l’influence mondiale paraît évidente au regard de nos capacités diplomatiques et de nos intérêts économiques. Mais cette réponse est-elle compatible avec ce contexte européen de tentation de désarmement structurel ? Voilà autant de points d’interrogation auxquels les intervenants de ce jour vont tenter de répondre, en croisant leurs regards ✓ u n regard national, mais aussi celui de l’Union européenne et celui de l’Alliance, ✓ u n regard portant sur les trois champs pédagogiques de l’Institut, les questions de défense, de politique étrangère, d’armement et d’économie de défense. Je voudrais exprimer ici ma profonde reconnaissance aux orateurs qui ont accepté de participer à ce colloque. Permettez-moi de saluer d’abord d’anciens auditeurs illustres, comme le général Stéphane Abrial, Sact, (52e SN) et le secrétaire général adjoint de l’Otan Patrick Auroy (qui a suivi la 51e SN et la 32e SN de l’ancien Chear) ; ils ont fait spécialement le déplacement, l’un de Norfolk et l’autre de Bruxelles. Je voudrais également remercier vivement le député européen Arnaud Danjean, l’amiral

Xavier Païtard, le secrétaire général du Service européen d’action extérieure, l’ambassadeur Pierre Vimont qui est dans le Thalys, la directrice de l’agence européenne d’armement, Madame Claude-France Arnould qui, avec Monsieur Philippe Camus nous donneront leur vision du volet "programmatique, capacitaire et industriel", avant que nous écoutions le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale qui s’exprimera à double titre, bien sûr celui du SGDSN, mais aussi celui de notre tutelle. Comme vous pouvez le constater, la moitié de nos orateurs vient de Bruxelles. Est-ce déjà une réponse à la question posée : avec qui faire face aux défis communs ? Mesdames et Messieurs les auditeurs, ce colloque veut s’inscrire dans le temps long. Mais l’avenir, pour l’Institut qui vient de terminer une session ultramarine de trois semaines en "Martinique-Antilles-Guyane", c’est aussi la construction des deux futures sessions nationales, la 48e et la 64e. Nous venons de terminer le processus de sélection et nous présenterons très prochainement à notre conseil d’administration le fruit de nos réflexions. Mais en avant-première, un bref regard sur la composition de ces futures sessions. Des hommes et des femmes ; des jeunes et des moins jeunes ; des Français et des étrangers, sans doute pas assez nombreux, de différents continents ; des Parisiens et des provinciaux ; des responsables des secteurs public et privé ; 6 &


des diplomates et des militaires issus des 3 dimensions ; des policiers et des gendarmes ; des médecins des âmes et du corps ; des spécialistes des sciences molles et des sciences dures. Tous semblent avoir la conviction qu’esprit de défense et résilience ; dynamisme économique et rayonnement diplomatique ; développement social et pacte républicain sont intimement liés. Ils ont sans aucun doute le sens du service de l’État. La conviction profonde que l’adhésion de la Nation est la condition de l’efficacité de l’appareil de défense ainsi que de la légitimité des efforts qui lui sont consentis. À l’évidence la ferme volonté d’agir plutôt que de subir. Simplement, le souci de mieux comprendre le

monde de demain afin de préparer celui de leurs enfants. Bref, ils vous ressemblent terriblement.

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ais il est grand temps d’ouvrir la réflexion, une réflexion qui signifie pour vous la fin d’un cycle, porteur de cet esprit qui est la marque de fabrique de cet Institut dont nous fêtons le soixante-quinzième anniversaire, et pour moi, autant de nouvelles perspectives de débat que nous mettrons en œuvre dès le mois de septembre prochain. Je voudrais maintenant inviter, Monsieur Jacques Audibert, un ami de l’IHEDN, comme bien d’autres, à prendre la parole en tant que directeur général des affaires politiques et de sécurité.

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Jacques Audibert

Directeur général des affaires politiques et de sécurité, ministère des Affaires étrangères et européennes La Libye nous a amenés à utiliser l’ensemble de nos capacités et l’ensemble de nos outils, au service de nos alliances, au service de nos valeurs et au service aussi de nos intérêts. Nous avons su utiliser des structures imposées par les événements au Conseil de sécurité des Nations unies comme au sein de l’Otan. Nous avons créé des structures ad hoc en mettant sur pied une coalition et un groupe de contact inclusif, pour en assurer la cohésion et la direction politique. Nous avons utilisé ces outils de façon pragmatique, en combinant nos capacités politiques, militaires et économiques à faire pression sur le colonel Kadhafi et surtout nos capacités à réunir autour de ces objectifs le plus d’alliés possible. L’adoption le 17 mars à New York de la résolution 1973 a été rendue possible grâce à la conjonction de quatre facteurs. D’abord, la détermination du président de la République au premier chef, du Premier ministre britannique, puis du président Obama, à appliquer pour la première fois la responsabilité de protéger. Ensuite, un contexte politique favorable, avec le 26 février, la résolution 1970 adoptée à la demande du représentant permanent libyen lui-même, tandis qu’elle recevait l’appui de la Ligue arabe. En outre, la dramatisation sur le terrain avec la menace du colonel Kadhafi contre sa population a participé de l’élan politique. Enfin, il s’agissait d’un théâtre que nous pouvions maîtriser. Fondée sur une résolution de l’ONU, l’opération de l’Otan a été lancée essentiellement par deux membres européens de l’Otan, la France et le Royaume-Uni, avec une participation américaine dans le domaine du soutien, car les États-Unis n’ont pas souhaité s’afficher en tête de l’opération. Malgré nos craintes initiales, l’utilisation de l’Otan n’a pas posé de problèmes aux partenaires de la coalition, ni aux instances régionales. Elle a été la clé de la participation d’un certain nombre d’alliés. Une situation donc largement inédite, avec un pilotage politique assuré par un groupe de contact inclusif. La structure de commandement de l’Otan s’est adaptée aux spécificités de l’opération. Le débat sur le ciblage et la réactivité de l’Alliance a plus été lié à des difficultés propres à toute action en coalition, que spécifiques à l’Otan. La Libye a montré trois limites dans la cohésion de l’Alliance : celle du fossé entre les capacités des États-Unis et celles des Européens ; entre ceux qui voulaient y aller et ceux qui ne voulaient pas (notamment avec l’Allemagne, un débat réglé et dépassé) ; débat plus crucial, entre ceux qui étaient capables d’y aller et ceux qui ne l’étaient pas. Si la cohésion entre les outils Otan et ONU a été entière, en revanche les réponses de l’Union européenne et de la défense européenne ont été insuffisantes. C’est pourquoi le leadership franco-britannique a dû paradoxalement s’exercer dans le cadre de l’Otan. Les efforts européens demeurent insuffisants parce qu’aujourd’hui ses gouvernements sont soumis à une forte pression financière, qu’il y a une absence de perception de menace et que les priorités sont ailleurs. La réponse à ce défaut de moyens est notamment la mutualisation. Si l’Europe ne dispose pas de moyens propres, elle se trouvera, à l’avenir, en situation de ne pas pouvoir mettre en œuvre ce que nous considérerons politiquement comme nos intérêts ou au service de nos valeurs. C’est une situation que nous ne pouvons pas accepter.

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Jacques Audibert

Directeur général des affaires politiques et de sécurité, ministère des Affaires étrangères et européennes

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miral, monsieur le Président, monsieur le Secrétaire général, Messieurs les Officiers généraux, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, c’est un grand plaisir pour moi de partager aujourd’hui cette journée de réflexion. Votre session se propose de traiter, "La France et ses alliés face aux défis de long terme". J’ai choisi pour contribuer à notre réflexion aujourd'hui de partager avec vous, avec le plus de spontanéité possible, mon expérience de praticien. Le directeur politique étant, au Quai d’Orsay, en charge de contribuer à la mise en œuvre des opérations et des positions prises par nos politiques, j’ai choisi de traiter des questions qui nous réunissent, à travers le sujet de la Libye, qui occupe aujourd’hui toutes nos énergies. La Libye qui, à de très nombreux titres, est une situation sans précédent. Elle nous amène à utiliser l’ensemble de nos capacités et l’ensemble de nos outils, au service de nos alliances, au service de nos valeurs et au service aussi de nos intérêts. Pour traiter le cas libyen, nous avons utilisé la plupart des outils diplomatiques à notre disposition : l’ONU, l’Otan, l’Union européenne (UE), nos capacités militaires, notre capacité d’adaptation. Je voudrais voir avec vous aujourd’hui, en quoi l’utilisation de tous ces outils peut contribuer à répondre aux défis qui nous occupent, aux défis à long terme. Le 17 mars à New York a été adoptée la résolution 1973 qui est le fondement juridique des opérations menées en Libye. C’était un moment important. Un moment difficile aussi, parce que le résultat n’était pas acquis d’avance. Mais

c’était un moment clé pour la politique étrangère de la France, pour la manière de traiter avec ses alliés, de faire vivre et de mettre en œuvre des valeurs, pour ce qu’elle souhaite représenter dans le monde. Conjonction importante et "miraculeuse" de quatre facteurs Que s’est-il passé exactement ce soir-là ? Pourquoi avons-nous été, le 17 mars, en mesure de lancer l’opération qui nous occupe aujourd’hui, au bout de son 100e jour. Il y a eu la conjonction très importante de quatre facteurs. Une conjonction miraculeuse qui, comme souvent en politique étrangère, explique et justifie pleinement les événements en cours. La détermination des leaders occidentaux Le premier de ces facteurs a été évidemment la détermination de ses leaders. Le président de la République au premier chef, le Premier ministre du Royaume-Uni, le président Obama qui les a rejoints, ont décidé ensemble d’agir. Dans le contexte de ce "Printemps arabe", ils ont décidé ensemble de refuser que l’élan lancé en Égypte et en Tunisie soit brisé par l’utilisation massive des forces armées contre des populations civiles, ce qui est inacceptable. Le choix a donc été fait de prendre l’option de l’opération. Une option probablement risquée. Une option à l’issue évidemment incertaine, mais une option qui était celle de nos intérêts et surtout de nos valeurs. La responsabilité de protéger est née à l’ONU, lors de l’assemblée générale des chefs d’État 10 &


en 2005. Cette année, c’est la première fois dans l’histoire des Nations unies que cette responsabilité de protéger a été mentionnée dans deux résolutions, puisqu’elle l’avait été quelques jours auparavant dans la résolution 1970, le 26 février 2011. Cette responsabilité de protéger, cette volonté de refuser l’utilisation massive de la force contre des populations civiles, nous n’avons pas toujours su la mettre en œuvre en Europe. Et nous le regrettons. Cette volonté a été décidée au niveau politique le plus haut. C’est cette détermination, d’abord, qui a été l’élément fondamental.

sible avec l’ensemble des acteurs régionaux qui ont pris leurs responsabilités à ce moment-là. Une dramatisation extraordinaire sur le terrain Le troisième facteur a été évidemment une dramatisation extraordinaire sur le terrain. Nous étions soumis à une très forte pression du temps. Il s’agissait d’une question de jours, voire d’heures, pour empêcher le colonel Kadhafi de mettre à exécution une menace qu’il avait très clairement formulée contre la population de Benghazi. Donc cette dramatisation a évidemment participé de l’élan politique.

Un contexte politique favorable Mais cette détermination a rejoint un terreau favorable. Ce sont d’abord des circonstances exceptionnelles au sein du Conseil de sécurité qui était le passage obligé puisque le choix avait été fait, incontestable et normal, d’agir dans le cadre d’une résolution de cet organe. Le 26 février, la résolution 1970 a été adoptée dans des circonstances dramatiques, puisque c’est le représentant permanent libyen lui-même qui a demandé l’unanimité pour cette résolution. Celle-ci prévoyait déjà la saisine de la Cour pénale internationale (CPI), organisait un embargo, un gel des voyages. C’était un premier avertissement au colonel Kadhafi. C’est dans cet élan, dans cette dramatisation au sein du Conseil de sécurité, que nous avons été en mesure d’obtenir les 9 voix nécessaires, une de plus même, de façon à faire voter cette résolution. Ce contexte politique était également marqué par un point extrêmement important qui était l’appui exprimé par la Ligue arabe. Dès le départ, nous avons veillé à ce que cette opération s’inscrive dans une démarche inclusive, évidemment au Conseil de sécurité, mais également le plus pos-

Un théâtre que nous pouvions maîtriser, à notre mesure Le quatrième facteur, enfin : il faut bien le reconnaître, il s’agissait d’un théâtre que nous pouvions maîtriser. Un théâtre à notre mesure. Encore une fois, les opérations de frappes aériennes étaient destinées à empêcher l’utilisation des moyens lourds contre la population civile. C’était quelque chose qui se situait tout à fait dans nos possibilités opérationnelles. Donc ces quatre facteurs fondamentaux nous ont conduits à une situation qui est aujourd’hui et à plusieurs titres, largement inédite. Elle est fondée sur une résolution de l’ONU. Ce n’est pas sans précédent, heureusement, mais ce n’est pas automatique non plus. Donc une situation fondée clairement sur une résolution de l’ONU. Nous avons aujourd’hui en cours une opération de l’Otan. L’Alliance gère une coalition qu’elle a rattrapée après une dizaine de jours. C’est donc déjà un système hybride. Une opération lancée essentiellement par deux membres européens de l’Otan qui ont pris leurs responsabilités politiques, opérationnelles, que ce soit au Conseil de 11 &


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sécurité comme membre permanent ou sur le terrain comme disposant d’une capacité opérationnelle significative. Une coalition qui comprend également des États arabes, je vous le rappelle. Une coalition gérée par la machinerie de l’Otan. Vous vous rappelez la terminologie que l’on avait utilisée à ce moment-là : avec une participation américaine "de second rang". Une participation importante, évidemment. Une participation de soutien, mais où les États-Unis n’ont jamais souhaité s’afficher en tête de l’opération. Là encore, c’est sans précédent. Une opération, enfin, pilotée par un "groupe de contact" plus large encore, qui est destinée à incarner le pilotage politique de l’ensemble de l’opération. L’utilisation de l’Otan, clé de la participation d’un certain nombre d’alliés Nous avons, vous le savez, réfléchi aux alternatives à l’utilisation de l’Otan qui existaient pour cette opération. Nous avons constaté que malgré nos craintes initiales, l’utilisation de l’Otan ne posait pas de problèmes aux partenaires de la coalition, ni aux instances régionales qui s’étaient exprimées. Il n’y avait donc pas de raison de ne pas aller de l’avant au sein de l’Otan, constatant en plus, bien entendu, que le fait que l’Otan soit utilisée pour la mise en œuvre de l’opération était la clé de la participation d’un certain nombre d’alliés. Et, c’était le souhait très profondément exprimé par le ministre d’État, nous avons décidé de la création d’un groupe de contact. Pour quoi faire ? La création d’un groupe de contact inclusif pour le pilotage politique de l’opération L’idée était de montrer que nous avions une résolution qui offre un cadre, une exigence, en se fondant encore une fois sur des valeurs aux-

quelles nous tenons : la responsabilité de protéger. Nous avions des capacités nationales, une mécanique Otan qui fonctionne et qui met en œuvre des décisions. Mais il était très important pour nous, que nous montrions à travers l’existence et la pérennisation de ce groupe de contact que le pilotage politique de l’opération demeurait dans un autre cercle. C’est pour cela que nous avons décidé très rapidement, tout de suite après le commencement des opérations le 19 mars, de lancer ce groupe de contact le 29 mars à Londres. Depuis, il s’est réuni à Doha, à Rome, à Abou Dhabi et il se réunira une nouvelle fois le 16 juillet à Istanbul. Ce groupe a été extrêmement important parce qu’il est l’expression de la cohésion internationale autour de l’objectif de mise en œuvre de la résolution 1973. Il a joué un rôle fondamental dans l’intégration du CNT, dans l’exigence envers le CNT d’avoir une démarche inclusive. C’est en son sein que le comité national de transition libyen a présenté sa road map destinée à montrer son objectif politique, encore une fois inclusif, pour aller vers une Libye démocratique et plurielle. C’est aussi au sein de ce groupe que le mandat confié par le secrétaire général des Nations unies à son représentant, M. Al Khatib, pour essayer de trouver des solutions politiques, a été chaque fois renforcé et soutenu. C’est ce groupe qui a également repris et exprimé clairement les conditions d’un cessez-le-feu. L’expression cessez-le-feu qui était ambigüe pouvait s’entendre en la consécration d’une ligne de séparation. Ce que personne ne souhaitait. Nous avons exprimé clairement, en nous fondant sur les termes de la résolution 1973, l’ensemble des exigences d’un cessez-le-feu, c’est-à-dire le retour des armées dans leurs casernes, et la fin du siège des villes assiégées. C’est enfin ce groupe, qui a mis en place le mécanisme de financement opération12 &


nel actuellement. C’est ce groupe qui a intégré toujours plus de membres et a rappelé régulièrement la détermination des Nations participant à la coalition de poursuivre leur œuvre et de la poursuivre dans une démarche inclusive. Où en sommes-nous à ce jour en Libye ? Nous en sommes au constat que M. Kadhafi est tout à fait isolé et que sa situation est évidemment sans issue. Il a fait l’objet hier, comme vous le savez, d’un mandat d’arrêt, comme son fils Saïf al-Islam et comme M. al-Senoussi, le chef du service des renseignements. Il a perdu sur le terrain l’initiative. L’AFP expliquait encore ce matin que les insurgés s’étaient emparés d’un dépôt de munitions au sud de Zenten. Misrata, qui était une ville assiégée, a vu aujourd’hui l’étreinte autour d’elle se desserrer. Elle n’est plus en danger. À l’Ouest, dans le djebel Nefoussa, le CNT est en initiative. Les forces de Kadhafi sont désorganisées par les frappes sur l’ensemble du territoire, y compris sur Tripoli. Au plan politique, le CNT a été crédibilisé comme un interlocuteur. Chaque jour, vous le constatez, un nouveau pays le considère comme un interlocuteur, l’interlocuteur majeur. Il a surtout été crédibilisé et encouragé dans une démarche encore une fois inclusive, destinée à recueillir l’ensemble du peuple libyen. Autrement dit, le moment est venu aujourd’hui du sang froid. Lorsque l’on entend parler d’enlisement, de manque de cohésion de la coalition, ce sont évidemment des analyses qui valent ce qu’elles valent. Mais la réalité sur le terrain est toute autre. Et c’est précisément au moment où ce type de bruits se font entendre qu’il faut faire preuve de sang froid, continuer l’action et la renforcer. Alors que déduire pour les sujets qui nous intéressent sur l’Otan, sur les Nations unies, sur l’Union européenne ? Que déduire de cette opération libyenne ?

L’Otan a fait preuve de son efficacité S’agissant de l’Otan, d’abord, nous avons constaté que ses capacités de commandement et d’entraînement sont aujourd’hui nécessaires, parce qu’elles sont pour de nombreux alliés un préalable indispensable et parce que la mécanique de l’Otan qui a su s’adapter, qui a su fonctionner et se mettre au service de cette opération, encore une fois, sans précédent, fait preuve de son efficacité. Nous constatons également que l’Otan n’a pas de limites géographiques. Elle est en fait acceptable dans le monde arabe. Cela a été un constat pour nous et cela a été un élément déterminant dans notre décision de retourner vers l’Otan, parce que les pays de la région y voient en particulier, une garantie de sécurité face à des menaces plus massives comme celles de l’Iran. Il sera intéressant d’ailleurs de voir et de discuter avec eux. De voir si les Américains considèrent que ceci est un précédent. Autre leçon pour l’Otan : d’autres pays que les ÉtatsUnis peuvent y prendre l’initiative. Cela a été le leadership franco-britannique qui a déclenché la mécanique. C’est une mécanique qui fonctionne aujourd’hui. Mais j’y insiste, et c’est le point suivant, bien entendu le processus de décision au sein de l’Otan demeure à 28. Il ne s’est agi à aucun moment de sortir de ce cadre. C’était une condition du consensus et une condition du fonctionnement normal de l’Otan, même si nous avons eu à faire face à des problèmes de réglage, à des problèmes d’adaptation. Lorsqu’il s’est agi de définir des règles d’engagement, il y a eu, bien entendu, des difficultés au début. Cela n’est pas un mystère. Pour s’assurer, notamment face à la méfiance voire à la réticence de certains alliés, de l’ensemble des missions de la 1973, mais seulement les missions de la 1973, dans son fameux OP4, c’est-à-dire les frappes aériennes pour empêcher l’utilisation massive 13 &


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de l’armée contre la population. Donc, il y a eu tout un débat pour s’assurer que les règles d’engagement, qui sont les règles d’or de l’Otan, prenaient en compte cette nécessité. Et nous y sommes parvenus. Je rends hommage à la structure de commandement qui s’est adaptée en fonction de la spécificité de l’opération. Évidemment, cette adaptation est coûteuse en emplois, en argent. Parce qu’il faut adapter la chaîne de commandement à une réalité. Cela a été fait avec efficacité. Nous avons pu constater certaines limites. Il y a eu ce débat sur le ciblage, sur la réactivité de l’Otan. Très honnêtement, très sincèrement, il me semble que ce type de difficultés que nous avons pu rencontrer sont plus liées à toute action en coalition que spécifiquement à l’Otan. Trois limites à la cohésion de l’Alliance La Libye a montré, il faut bien le reconnaître, trois limites dans la cohésion de l’Alliance. D’abord entre les États-Unis et les Européens. Cela a été suffisamment exprimé par M. Gates. Nos autorités politiques lui ont répondu sur le même ton. On peut considérer que ses propos étaient plus destinés à ceux qui ne participent pas à l’opération, en l’espèce ceux qui ne se dotent pas suffisamment de capacités pour faire face, à l’avenir, à ce type d’opérations. Mais, il y a quand même eu un fossé que l’on peut constater entre les États-Unis et les Européens, de ce point de vue, à l’intérieur de l’Otan. Autre limite à la cohésion entre ceux qui voulaient y aller et ceux qui ne voulaient pas. Cela a été un débat avec l’Allemagne qui a été réglé et qui a été dépassé. Mais c’était un véritable débat avec l’Allemagne, et aussi avec tous les pays qui ne participent pas.

Enfin, débat plus crucial, entre ceux qui étaient capables d’y aller et ceux qui n’étaient pas capables. En termes de capacités à long terme, c’est évidemment un sujet qui devra occuper vos débats de la journée et des jours et des années suivantes. Cohésion entre les outils Otan et ONU Du point de vue de l’ONU, soulignons d’abord, pour ce qui nous concerne, la capacité que nous avons eu à utiliser simultanément les deux outils, et à maintenir la cohésion entre les deux. Tout ceci s’est déroulé dans un délai très rapproché. Je vous rappelle la chronologie : 17 mars, la résolution 1973 ; 19 mars, les premières frappes et 31 mars, la prise en compte par l’Otan. Tout cela s’est fait extrêmement rapidement et de manière efficace. Du point de vue de la légitimité des Nations unies, la Libye c’est l’anti-Irak. La communauté internationale est intervenue en l’espèce sur un mandat clair des Nations unies, et j’y insiste, l’ensemble de nos opérations s’inscrivent d’une manière très rigide et très vigilante dans la mise en œuvre de la 1973 et uniquement dans la mise en œuvre de la 1973. La Libye est également, du point de vue de l’Otan, la première mise en œuvre de la responsabilité de protéger. C’est une victoire de ce concept qui, entre 2005 et cette résolution, avait petit à petit été déshabillé, désincarné. Il a été pour la première fois mentionné en tant que tel dans deux résolutions. C’est évidemment une satisfaction pour la France qui a toujours défendu cette valeur de responsabilité de protéger. Ne soyons pas naïfs, cela ne signifie pas qu’à l’avenir nous pourrons utiliser ce concept chaque fois que l’occasion s’en présentera. J’en veux pour preuve les difficultés que nous rencontrons aujourd’hui sur la Syrie, puisque nous sommes face au même type de comportement. Mais cette fois, nous payons 14 &


en quelque sorte au sein du Conseil de sécurité nos succès obtenus dans la 1973. Nous ne pouvons pas parvenir à débloquer la situation au Conseil de sécurité, à obtenir suffisamment de voix pour être sûrs d’aller plus loin, ou de contraindre ceux qui voudraient en prendre la responsabilité d’aller au veto. La saisine de la Cour pénale internationale par le Conseil de sécurité a été également une victoire de la justice internationale que nous soutenons. Mais là aussi, ne soyons pas naïfs. Il est clair que cette saisine de la CPI, qui a été un choix délibéré de la résolution 1970, va dans le sens des valeurs que nous défendons. Cela va sans doute compliquer l’issue politique que l’on peut essayer de rechercher actuellement en Libye, puisque désormais M. Kadhafi, son fils et le chef des services de sécurité, sont officiellement inculpés. Enfin, au sein de l’ONU, je voudrais encore une fois insister sur l’importance qu’il y a eu de trouver un soutien régional comme la Ligue arabe. Avec l’Union africaine, la relation est un peu plus complexe. Mais en tout cas, cela a été un élément déterminant et une leçon à retenir pour l’avenir, pour notre capacité d’action au sein des Nations unies. Les Nations unies vont avoir à traiter de l’après-Kadhafi. Nous y réfléchissons. Et c’est dans ce contexte là que nous allons essayer de progresser. Les réponses insuffisantes de l’UE et de la défense européenne S’agissant de l’Union européenne et de la défense européenne, je vous rappelle d’abord que cette opération a été engagée par un Conseil européen extraordinaire convoqué à la demande de la France. Il s’est tenu le 11 mars, c’est-à-dire

juste avant la résolution. Notre souhait d’entraîner l’Union européenne pour qu’elle prenne ses responsabilités dans l’ensemble des opérations a été constant. C’est en coopération avec l’Union européenne que nous avons souhaité avancer, en obtenant des réponses qui sont à la mesure de ce qu’elle est en mesure de faire aujourd’hui, c’est-à-dire insuffisantes. Au sein de l’UE, la division à laquelle nous avons assisté est d’abord une division politique. Face à ceux qui, à l’image de l’Allemagne, ne souhaitaient pas lancer ni participer à l’opération, nous n’avons pas obtenu la réponse que nous souhaitions. Nous devons aussi constater que pour les États membres de l’UE qui sont également membres de l’Alliance, le cadre naturel d’une opération militaire n’est pas spontanément celui de l’UE. Ils se tournent vers l’Otan. C’est une réalité à laquelle nous avons eu à faire face. Mais c’est un réflexe qui aujourd’hui me paraît tout à fait naturel. Le leadership que nous avons essayé d’exercer pour pousser l’UE à aller plus loin a été très coûteux en termes politiques, parce que c’est difficile de toujours exercer de la pression pour aller plus loin. Nous avons eu là aussi une réponse décevante puisque, forte à la fois de cette situation politique et de ses capacités de planification limitées, l’UE n’a pas souhaité aller au-delà d’un engagement sur le soutien à la livraison de l’assistance humanitaire, autrement dit, une mission humanitaire. Je vous rappelle que nous n’avons pas obtenu que l’UE, par exemple, planifie et décide à temps de participer aux opérations de surveillance de l’embargo, alors que l’Otan l’a fait, dès le 22 mars. Donc, l’UE se trouve aujourd’hui dans la situation paradoxale où un leadership européen franco-britannique valide – soit dit en passant a posteriori – le choix de l’action. Le 15 &


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choix des traités franco-britanniques de coopération bilatéraux a été validé par cette situation. Le paradoxe d’un leadership franco-britannique dans le cadre de l’Otan Mais ce leadership s’exerce dans le cadre de l’Otan et non pas de l’UE, ce qui est évidemment un paradoxe. La grande leçon pour l’UE nous vient des États-Unis qui nous disent : « Nous avons participé au début de l’opération, à la mobilisation politique ». Mme Clinton est toujours présente aux réunions du groupe de contact, elle en est le membre le plus régulier, avec le ministre d’État et le Premier ministre britannique. Donc il y a là des Américains qui se sont engagés politiquement, qui se sont engagés sur le terrain en soutien, mais qui nous disent à nous Européens : « Lorsque vous faites des choix, que vous considérez qu’une opération se situe dans votre zone d’intérêt, dans votre zone d’influence, c’est à vous d’agir, avec notre soutien ». Pour la première fois, les États-Unis se tournent vers nous pour nous poser cette question. Pour ceux qui se souviennent de Saint-Malo, c’est à peu près ce type d’élan qui avait provoqué cette avancée bilatérale, qui est très rapidement devenue, nous y avons veillé à l’époque, multilatérale au sein de l’UE. C’est dans le cadre d’une impulsion de ce type que nous avions, il y a maintenant plus de dix ans, réussi à provoquer une prise de conscience budgétaire, politique, qui a eu sa traduction institutionnelle, qui fait qu’aujourd’hui l’UE devrait disposer de ses moyens. Elle n’en dispose pas parce que même si les structures sont là – nous en avons ici des représentants aujourd’hui – ces structures sont très importantes, l’effort de défense au sein de l’UE est insuffisant. Nous le savons très bien. On nous l’a dit de l’extérieur, mais entre Européens

on peut se le dire. Ses efforts demeurent insuffisants parce qu’aujourd’hui les gouvernements européens sont sous une forte pression financière, parce qu’il y a une absence de perception de menace et parce que les priorités sont ailleurs. Manque de volonté politique de l’UE La réponse à ce défaut de moyens est évidemment une réponse allant vers la mutualisation. C’est la réponse pragmatique qui doit nous conduire à travers des efforts, des conceptions et des accords politiques entre nos dirigeants, vers une conception de l’Union européenne qui dispose de ses moyens propres. Si nous ne prenons pas ces responsabilités, nous nous trouverons en situation – à l’avenir – de ne pas être en mesure de mettre en œuvre ce que nous considérerons politiquement comme nos intérêts ou au service de nos valeurs. Et c’est une situation que nous ne pouvons pas accepter. Je n’accepterai pas non plus que la conclusion de la Libye soit la fin de l’Europe de la défense. Nous avons le niveau, la réflexion politique. Nous avons les moyens d’agir. Cela doit être au contraire considéré comme une incitation à progresser dans les directions que nous connaissons tous : la direction capacitaire, la direction de meilleures relations entre l’UE et l’Otan, malgré les blocages politiques et la direction institutionnelle. Parce que si nous avions eu il y a quelques mois, au moment du lancement de l’opération, le choix entre utiliser les structures militaires de commandement et de contrôle de l’Alliance et celles de l’UE, les choix auraient peut-être été un peu différents. C’est un débat long, qui n’est qu’une partie du problème à résoudre, car encore une fois, ce qui nous fait défaut aujourd’hui, c’est la volonté politique. Nous l’avons constaté au sein de l’UE.

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n conclusion, dans cette opération libyenne, nous avons pris des responsabilités. Nous la France, nous Français et Britanniques, nous l’Alliance, nous c’est-à-dire tous ceux qui participent à la coalition. L’UE, nous aurions souhaité qu’elle se situe à un niveau plus élevé. Elle l’a fait en partie, mais il s’agit d’une prise de responsabilité. Nous avons su utiliser des structures imposées par les événements au Conseil de sécurité des Nations unies comme au sein de l’Otan. Nous avons créé des structures ad hoc en mettant sur pied une coalition et un groupe de contact, pour en assurer la cohésion et la direction politique. Nous assumons aujourd’hui dans la durée, la poursuite de l’opération, en veillant toujours à élargir le consensus. Nous avons joué un rôle, pour ce qui nous concerne, de puissance politique, de puissance militaire qui agit dans un cadre légal et légitime. Nous affrontons un adversaire qui a perdu d’entrée de jeu toute légitimité et dont le comportement est tout sauf rationnel, puisqu’encore une fois, il n’y a pas d’issue. Nous affrontons aussi dans un contexte très classiquement asymétrique, la gestion d’une coalition, la gestion d’avis divergents, la gestion d’opinions publiques, bref les contraintes d’une démocratie, comme le

montrera sans aucun doute le débat qui aura lieu le 12 juillet à l’Assemblée nationale sur cette opération(1). L’utilisation que nous avons faite de ces outils est pragmatique. Elle combine les différentes possibilités, jouant sur nos capacités politiques, militaires et économiques à faire pression sur Kadhafi et surtout sur nos capacités à réunir autour de ces objectifs le plus d’alliés possible. Je suis conscient que cette utilisation que nous avons faite n’est qu’une réponse partielle à nos grandes questions. C’est une réponse qui combine valeurs morales, responsabilité, courage – car il faut du courage pour assumer politiquement ce type d’opération – moyens politique et militaire, et puis capacité de création, d’imagination, pour bâtir ce consensus. Ce sont des réponses partielles. Mais je suis convaincu que dans la réponse à vos interrogations plus vastes, ce sont là des ingrédients dont je serais surpris qu’ils n’interviennent pas dans un mélange pragmatique de ces facteurs clés pour parvenir à des solutions. C’est ma contribution à votre réflexion, très pragmatique et de praticien. L’Assemblée nationale a approuvé la poursuite de l’opération, avec une clause de rendez-vous en septembre [NDLR]. (1)

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Général d’armée aérienne Stéphane Abrial Supreme Allied Commander Transformation (ACT), Otan

La réflexion sur les capacités futures est étroitement liée d’une part à la connaissance de la réalité actuelle de nos forces, et d’autre part à une réflexion stratégique à moyen et long terme. Ces trois piliers – réflexion stratégique, capacités futures, appui sur le présent – sont précisément ceux qui confèrent une cohérence unique au Commandement allié pour la transformation. La problématique des besoins futurs est illustrée par trois grands thèmes : La prolifération technologique : face à cette menace, la dissuasion nucléaire demeure d’actualité. Comme l’a réaffirmé le Concept stratégique, les forces nucléaires de l’Alliance restent la "garantie suprême de sécurité des Alliés" et la force nucléaire indépendante de la France contribue, naturellement, à cette sécurité. Je n’envisage pas que cette équation soit amenée à se modifier dans un avenir proche. De plus, il est important que l’Alliance dispose également de la capacité de réagir à une menace balistique. En outre, dès aujourd’hui, un nombre croissant d’États dispose de capacités de premier rang. Il ne s’agit d’ailleurs pas seulement d’États, mais de mouvements armés (au Proche-Orient, en Asie du Sud) ou de gangs criminels (sur le continent américain) mettent en œuvre des capacités que l’on pensait inaccessibles pour eux (drones, véhicules blindés ou sous-marins). Il est donc indispensable que nous maintenions nos capacités sur l’ensemble du spectre quel que soit le scénario qui se réalisera, mais aussi que nous conservions un différentiel technologique suffisant pour contrer les menaces plausibles. Le défi du développement capacitaire : l’austérité budgétaire dans laquelle nous entrons n’est pas passagère. Elle sera un déterminant stratégique pour de nombreuses années à venir. Comment concilier alors ces contraintes avec la nécessité de faire face aux menaces potentielles sur l’ensemble du spectre ? Pour aider les Nations à y parvenir, l’Otan et l'ACT en particulier sont activement engagés sur plusieurs pistes : d’une part, il s’agit d’encourager le développement de solutions multinationales ; d’autre part, il convient de mener un meilleur dialogue avec les industriels des deux côtés de l’Atlantique. Une Otan intégrée dans un concert d’acteurs : l’avènement d’un degré de multipolarité et la globalisation de nos intérêts vitaux amènent notre Alliance à penser en termes de cercles concentriques représentant des degrés de coopération croissants. Parallèlement, les menaces évoluent souvent dans un sens "hybride" mêlant divers modes d’action : des campagnes militaires conventionnelles, des cyberattaques, du terrorisme, des activités relevant du crime organisé, etc. De tels adversaires jouent de la frontière entre les actions militaires et civiles. L’Otan sera donc amenée à travailler en coordination plus étroite qu’aujourd’hui avec un grand nombre de partenaires civils, gouvernementaux, internationaux ou non gouvernementaux, dans le cadre d’une approche globale. En conclusion, les deux grands équilibres sur lesquels se jouera notre adaptation aux défis du quart de siècle à venir, sont d’abord, le maintien d’un équilibre entre les opérations en cours et la préparation de l’avenir, et donc des opérations futures ; et ensuite l’indispensable équilibre à trouver entre les nécessités de la coopération, d’une part, et celles de la souveraineté, de l’autre. Près de la moitié des soldats, aviateurs et marins des Nations de l’Alliance en 2036 ne sont pas encore nés. Alors que nous parlons de nos capacités futures, je n’oublie pas que notre première capacité, ce sera eux, et que les aspects humains de la transformation détermineront tout autant la physionomie de nos forces que nos matériels et nos doctrines.

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Général d’armée aérienne Stéphane Abrial Supreme Allied Commander Transformation (ACT), Otan

Messieurs les Parlementaires, Monsieur le Secrétaire général, Ambassadeurs, Amiral, Mesdames et Messieurs,

✓ E nsuite, ces exemples indiquent que les nouveaux équipements cohabitent longtemps avec les anciens. L’innovation capacitaire ne se fait donc pas par table rase, mais par enrichissements successifs de l’existant.

Je vous remercie de l’occasion qui m’est donnée de contribuer à cette réflexion en tant que commandant stratégique de l’Otan depuis presque deux ans, bien entendu, mais aussi en tant qu’Européen, en tant que Français, et – on ne se refait pas – en tant qu’ancien auditeur de cette maison.

La réflexion sur les capacités futures est en conséquence étroitement liée d’une part à la connaissance de la réalité actuelle de nos forces, et d’autre part à une réflexion stratégique à moyen et long terme.

Je voudrais en tout cas saluer l’audace de l’IHEDN dans le choix du thème de ce colloque. "2036", c’est une échéance qu’on peut être tenté de traiter avec un certain scepticisme, mais je suis pour ma part persuadé que l’horizon à 25 ans – une génération – est une perspective pertinente. Si, par exemple, vous considérez certains de nos matériels majeurs actuels : Il y a 25 ans, en 1986, le Véhicule de l’Avant blindé était en service depuis 10 ans, le M1 Abrams depuis 6 ans, et le Mirage 2000C depuis 2 ans. Et sur les 11 porte-avions en service actif dans la marine des États-Unis, 5 étaient déjà en activité. Mon propos à travers ces exemples est de mettre en relief deux réalités fondamentales : ✓ D ’abord, ils montrent qu’un programme dont le développement commence aujourd’hui doit pouvoir contribuer à satisfaire nos besoins bien au-delà de 2036. Le développement capacitaire est ainsi indissociable de la réflexion stratégique à long terme.

Ces trois piliers – réflexion stratégique, capacités futures, appui sur le présent – sont précisément ceux qui confèrent une cohérence unique au Commandement allié pour la transformation. Nous jouons d’abord un rôle clef dans le processus capacitaire de l’Alliance, aux côtés bien sûr d’autres acteurs tels que la division des investissements de défense de l’ingénieur général Auroy. Nous entretenons également une connaissance profonde des capacités actuelles et des besoins de nos forces, en tant que premier responsable dans l’Otan aussi bien de l’entraînement que du retour d’expérience, et par notre soutien direct aux opérations, par exemple dans la lutte contre les engins explosifs improvisés Enfin nous assumons un rôle de laboratoire de pensée militaire dans l’Alliance, produisant des travaux sur des sujets tels que, récemment, "les espaces stratégiques communs". De surcroît, nous développons des relations au jour le jour avec un large réseau de think tanks et de dépar20 &


tements universitaires engagés dans la réflexion stratégique, en Europe et en Amérique.

notre sécurité quelle que soit l’hypothèse qui se révèlera la moins éloignée de la réalité.

Il reste néanmoins qu’une échéance à 25 ans est délicate à appréhender. Un document comme le récent Concept stratégique, adopté au mois de novembre dernier à Lisbonne par les 28 chefs d’État et de gouvernement, s’est fixé, quant à lui, un horizon décennal.

Je n’oublie pas néanmoins que ces scénarios ne peuvent par définition pas prendre en compte les surprises stratégiques et technologiques à venir, sur lesquelles je sais que l’amiral Guillaud a insisté dans son intervention ici même le mois dernier. Les cartes peuvent être rebattues en quelques années, et nos choix capacitaires doivent nous permettre d’encaisser ces surprises, d’y faire face et de nous rétablir.

Ayant été associé au travail mené, notamment en soutien du groupe d’experts qui, sous l’égide de Mme Madeleine Albright, a œuvré en amont de ce document je puis témoigner qu’il s’est toutefois en partie nourri d’une étude prospective réalisée par ACT il y a deux ans. Intitulée Futurs multiples, elle offrait quatre scénarios stratégiques plausibles – d’où son nom – à l’échéance de 2030. Construire plusieurs scénarios évite en effet l’écueil d’un fatalisme facile, selon lequel on ne pourrait rien dire de l’avenir, mais aussi l’illusion de prétendre le prédire, puisque « l’avenir n’est écrit nulle part », comme l’a dit le tout nouvel académicien Amin Maalouf. Un des scénarios fixe par exemple le retour d’une rivalité entre grandes puissances comme le déterminant stratégique majeur en 2030, avec des États-Unis qui pourraient voir leur place de première économie mondiale remise en cause. Un autre développe à l’inverse l’hypothèse d’une bonne coopération entre les pays anciennement et nouvellement développés, mais au prix d’une césure croissante avec des zones d’instabilité à leur périphérie. Bien entendu, les capacités requises par l’un ou l’autre scénario ne sont pas les mêmes. Mais chacune de ces évolutions étant plausible, notre planification de défense doit viser à garantir

Permettez-moi d’illustrer la problématique des besoins futurs en évoquant rapidement trois grands thèmes : la prolifération technologique ; le développement capacitaire dans une ère d’austérité budgétaire ; et la nécessité pour les forces de l’Alliance de concevoir leur action en conjonction avec celles de nombreux autres acteurs. La prolifération technologique En ce qui concerne la prolifération technologique et ses conséquences, les surprises stratégiques sont une chose, mais il existe tout de même des lois dans l’histoire : l’une d’elles est que le progrès technique est cumulatif, et pour une large part irréversible. Mis à part lors de cataclysmes ponctuels, une technologie, une fois apprise, ne peut pas être désapprise – par exemple, aujourd’hui, dans le domaine des armes de destruction massive. La planification pour les années qui viennent doit postuler que l’accès à de telles armes et à leurs vecteurs – notamment balistiques – continuera à se répandre. Face à cette menace, la dissuasion nucléaire demeure d’actualité, car comme l’a réaffirmé 21 &


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le Concept stratégique, les forces nucléaires de l’Alliance restent la « garantie suprême de sécurité des Alliés » et la force nucléaire indépendante de la France contribue, naturellement, à cette sécurité. Je n’envisage pas que cette équation soit amenée à se modifier dans un avenir proche. Néanmoins, en complément de cette dissuasion, il est important que l’Alliance dispose de la capacité de réagir à une menace balistique. C’est la raison de la décision prise par les chefs d’État et de gouvernement au sommet de Lisbonne de la doter d’une défense appropriée. Ce projet est conduit en réaction à une menace crédible, et en prenant en compte le calendrier estimé d’arriver à maturité des technologies nécessaires. Mais c’est aussi un projet structurant, qui aura lui-même un impact fort sur le contexte stratégique de 2036. En effet, au-delà des inquiétudes exprimées récemment sur un risque de découplage entre les pôles européen et américain de l’Alliance, cette initiative donne une nouvelle dimension à son cœur de mission: la protection du territoire et des populations de ses États membres. La question "Pourquoi l’Otan ?" trouve ici une réponse forte et aisément compréhensible. C’est aussi un projet ouvert à un environnement plus large – avec notamment une main tendue vers la Fédération de Russie. Du succès de cette coopération dépendra sans doute pour une grande part le climat stratégique de 2036. La démocratisation technologique ne se limite cependant pas aux armes de destruction massive et à leurs vecteurs : dès aujourd’hui, un nombre croissant d’États dispose de capacités de premier rang, telles que des sous-marins silencieux

ou des missiles de croisière. Ces moyens posent de vraies questions quant au maintien de notre capacité de projection future, et notre utilisation des espaces stratégiques communs : air; mer, espace et cyberespace – quatre domaines indispensables à la conduite de nos opérations, et au fonctionnement même de nos sociétés modernes. Il ne s’agit d’ailleurs pas que d’États : on observe actuellement que des mouvements armés (au Proche-Orient, en Asie du Sud) ou des gangs criminels (sur le continent américain) mettent en œuvre des capacités que l’on pensait inaccessibles pour eux, tels que des drones, des véhicules blindés ou des sous-marins – certes rudimentaires pour l’instant, mais en progrès rapide. Il est donc indispensable que nous maintenions nos capacités sur l’ensemble du spectre quel que soit le scénario qui se réalisera, mais aussi que nous conservions un différentiel technologique suffisant pour contrer les menaces plausibles. Le défi du développement capacitaire Cette nécessité, qui est l’un des défis majeurs de la transformation, est la deuxième des problématiques que je voulais évoquer. Ce qui en fait un vrai défi, c’est le contexte économique et budgétaire qui frappe l’ensemble des Nations de l’Alliance, mais aussi l’organisation elle-même. Je pense que personne ne se fait d’illusion : l’austérité budgétaire dans laquelle nous entrons n’est pas passagère ; elle sera un déterminant stratégique pour de nombreuses années à venir. Comment concilier alors ces contraintes avec la nécessité de faire face aux menaces potentielles sur l’ensemble du spectre ? Pour aider les Nations à y parvenir, l’Otan et ACT en particulier sont activement engagés sur plusieurs pistes : 22 &


✓ D ’abord, mon commandement est à l’œuvre pour encourager le développement de solutions multinationales qui permettent d’augmenter le ratio coût/efficacité dans le développement de nos capacités. Beaucoup de nos Nations mettent déjà en œuvre de telles coopérations – et le Traité de Lancaster House de l’an dernier en est un excellent exemple –, mais du fait de sa position unique, la plus-value d’ACT est d’avoir une vue d’ensemble des capacités et des besoins dans l’Alliance, et d’identifier ainsi des synergies prometteuses. À la demande du secrétaire général Rasmussen, nous avons récemment soumis aux Nations – auxquelles appartiendra toujours, en fin de compte, la décision – une première liste de 46 projets de coopération que nous estimons viables. Ces projets touchent tant à l’acquisition de matériels ou à leur soutien qu’aux domaines des exercices et de l’entraînement. De telles entreprises sont bien évidemment difficilement dissociables de réflexions menées au sein de l’Union européenne, dans le même esprit et avec la même finalité. C’est pour cela que nous coordonnons nos actions avec l’Agence européenne de défense et l’État-major de l’Union européenne, dans toute la mesure permise par le cadre politique agréé. ✓ U ne deuxième piste pour permettre de développer plus intelligemment les capacités nécessaires dans les années à venir est celle d’un meilleur dialogue avec les industriels des deux côtés de l’Atlantique. Que peut-on espérer d’un tel dialogue ? D’abord que nous échangions nos visions du futur, afin qu’ils perçoivent mieux ce que pourraient être

nos besoins à venir et orientent leurs efforts en conséquence, et que, en retour, nous appréhendions mieux quel est le champ du possible en matière capacitaire – les perspectives offertes par la technologie, les échéances de développements futurs et leur coût estimé. Depuis un an, ACT a développé un cadre formalisant notre collaboration avec l’industrie, et des coopérations concrètes sont déjà lancées avec plus de 25 entreprises, européennes et américaines, qui se situent, conformément à notre mandat, bien en amont de toute phase d’acquisition. J’ai récemment donné pour consigne d’étendre le champ de nos contacts vers les petites et moyennes entreprises, qui sont des acteurs essentiels de notre base industrielle et technologique de défense et souvent des moteurs en matière d’innovation. Une Otan intégrée dans un concert d’acteurs ✓ E nfin, le troisième axe que je voulais évoquer, déterminant pour l’Otan comme pour les forces de chacune de nos Nations dans le quart de siècle à venir, est la coordination de leurs actions au sein d’un large concert d’intervenants. D’abord, l’avènement d’un degré de multipolarité et la globalisation de nos intérêts vitaux amènent notre Alliance à récuser une vision géostratégique dialectique (où il y aurait ceux qui sont dans l’Otan, et ceux qui sont à l’extérieur), mais à penser plutôt en termes de cercles concentriques représentant des degrés de coopération croissants. ACT a ainsi organisé il y a deux semaines sa conférence annuelle sur les partenariats à Belgrade – tout un symbole. 56 pays étaient représentés autour de la table, dont des membres de tous nos partenariats, tels que la Finlande, la Russie, l’Algérie, 23 &


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le Qatar et bien d’autres ; mais aussi des Nations comme l’Australie, le Pakistan, le Japon et, pour la première fois cette année, le Brésil. Notre engagement actuel en Libye implique, quant à lui, non seulement l’Alliance, mais aussi des membres de chacune des trois structures de partenariat de l’Otan – le "Partenariat pour la paix", "le Dialogue méditerranéen" et "l’Initiative de Coopération d’Istanbul". C’est une illustration de l’importance qu’il y a à promouvoir l’interopérabilité – qui est le cœur du travail d’ACT – avec nos partenaires aussi bien qu’entre les membres de l’Alliance. Parallèlement, les menaces évoluent souvent dans un sens "hybride" - c’est-à-dire mêlant divers modes d’action : des campagnes militaires conventionnelles, des cyberattaques, du terrorisme, des activités relevant du crime organisé, etc. De tels adversaires jouent de la frontière entre les actions militaires et civiles.

Dimension humaine de la transformation Prolifération technologique, solutions capacitaires dans un contexte d’austérité et nécessité d’intégrer notre action avec celle d’autres intervenants : voilà trois préoccupations qui seront, je crois, au premier plan dans les 25 ans à venir. En tout cas, elles guident mon action à ACT et inspirent le soutien que nous nous efforçons de fournir aux Nations. Si, fort de mes deux années à la tête d’ACT et de la vision d’ensemble de l’Alliance que me donne cette fonction, je me permettais de suggérer deux grands équilibres sur lesquels se jouera notre adaptation aux défis du quart de siècle à venir, je citerais : ✓ P remièrement, le maintien d’un équilibre entre les opérations en cours et la préparation de l’avenir, et donc des opérations futures. Négliger les premières serait intolérable. Mais les laisser vampiriser les secondes ne serait pas responsable, car rien n’indique que les défis à venir seront moindres que ceux d’aujourd’hui. La recherche de cet équilibre a été mon quotidien quand j’étais chef d’État-major de l’armée de l’Air. Il l’est dans ma fonction actuelle, et je sais qu’il est au centre des problématiques de défense de chacun des pays membres de l’Otan.

L’Otan et les forces militaires de ses membres seront donc amenées à travailler en coordination plus étroite qu’aujourd’hui avec un grand nombre de partenaires civils, gouvernementaux, internationaux ou non gouvernementaux, dans le cadre d’une approche globale. Cette dernière requiert une évolution de notre organisation – par exemple par la création, mandatée par le nouveau Concept stratégique, d’une capacité civile de gestion de crise, "appropriée, mais modeste", pouvant jouer un rôle de facilitation et d’interface. Mais elle requiert aussi une adaptation de nos forces militaires et des esprits. C’est dans cette optique qu’ACT, tirant bénéfice de sa situation géographique, a engagé dès l’an dernier des contacts avec les interlocuteurs les plus pertinents au siège des Nations-unies à New York.

✓ Et deuxièmement, l’indispensable équilibre à trouver entre les nécessités de la coopération, d’une part, et celles de la souveraineté, de l’autre. La coopération, parce que, comme je l’ai montré, nos Nations ne pourront assurer leur sécurité en ordre dispersé – et ce principe se décline dans l’acquisition de capacités, dans la conduite des opérations tout 24 &


comme dans le partage du renseignement. La souveraineté, parce que cette coopération doit garantir à chacune de nos Nations que les capacités dont elle a besoin – y compris celles qu’elle aura mises en commun – seront disponibles si ses intérêts l’exigent. C’est cet équilibre que doivent chercher à garantir tant l’Otan que l’Union européenne, et elles n’y parviendront que si elles continuent ellesmêmes à progresser vers une meilleure synchronisation de leurs efforts. Permettez-moi de terminer en ouvrant sur une autre dimension de la transformation – sa dimension humaine – dans laquelle l’horizon à 25 ans

prend un relief différent. Le général McChrystal, en inspection sur le terrain en Afghanistan, demanda un jour à un soldat où il se trouvait le 11 septembre 2001, événement à l’origine de l’opération – « Mon Général, en 2001 j’étais en CM2 ».

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rès de la moitié des soldats, aviateurs et marins des Nations de l’Alliance en 2036 ne sont pas encore nés. Alors que nous parlons de nos capacités futures, je n’oublie pas que notre première capacité, ce sera eux, et que les aspects humains de la transformation détermineront tout autant la physionomie de nos forces que nos matériels et nos doctrines.

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Ingénieur général de l'armement Patrick Auroy Secrétaire général adjoint de l’Otan pour les investissements de défense

Afin de faire face aux défis de l’avenir comme la cyberdéfense, le terrorisme ou la sécurité énergétique, l’Otan s’est dotée de moyens de réflexion avec le Commandement stratégique pour la transformation. Le cas libyen montre que l’Alliance – pourvu qu’elle soit sollicitée par la communauté internationale – doit être prête à répondre à toute la gamme des défis de sécurité, avec la défense collective ou la gestion de crise, et avec tout l'éventail des capacités. Si la préparation des opérations reste une priorité fondamentale de l'Otan, elle est compliquée par la crise financière qui va probablement perdurer. D’où l’idée de la "défense intelligente" du secrétaire général Anders Fogh Rasmussen qui consiste à garantir plus de sécurité non pas avec plus de ressources, mais plus de coordination, et grâce à une approche cohérente. Le but est d'encourager les pays à passer d'une approche de développement capacitaire purement nationale à une approche multinationale, régionale ou autre. Pour aider les pays à développer des capacités avec un maximum d'efficacité, l’Otan pourrait jouer trois rôles : définir l'orientation stratégique, identifier les domaines de coopération, et servir de centre d’échange et de partage des meilleures pratiques ; servir d'intermédiaire en mettant en relation les pays qui ont des besoins similaires, mais pas nécessairement assez de ressources pour atteindre seuls la capacité voulue ; contribuer à susciter la volonté politique, sans laquelle il ne saurait y avoir de coopération multinationale. Les chefs d’État et de gouvernement ont demandé avec force à Lisbonne que l’Alliance tende la main à ses partenaires dans le monde entier. Des partenaires qui participent déjà à nos projets multinationaux et fournissent des troupes, assurent le transit, apportent un soutien financier ainsi qu’un appui politique. Des liens plus étroits doivent également être tissés avec le secteur privé. Sur tous ces points, l'Otan doit donner la priorité à la consultation avec l'Union européenne qui reste un partenaire unique et essentiel. Lors de son prochain sommet en 2012, l’Alliance devrait évoluer vers une approche de la sécurité à la fois coopérative et connectée. D’un point de vue capacitaire, il ne s'agit pas seulement d'acheter du matériel nouveau, mais de réfléchir aussi aux moyens de mieux utiliser et maintenir en commun des capacités qui existent déjà ; aux moyens de former nos troupes ensemble et de partager les centres de formation. Les pays seront incités à consacrer une plus grande part de leurs dépenses de recherche et développement à des projets multinationaux qui feront la différence. Dans le même temps, l'Otan doit évoluer vers une organisation plus légère, plus souple et mieux à même de traiter des projets multinationaux. Elle doit se réformer, optimiser l'utilisation des fonds investis par les pays de l'Alliance, pour devenir financièrement plus abordable. En privilégiant les capacités et les systèmes de commandement, l'Otan sera plus efficace. Surtout, elle sera ainsi prête à affronter l'avenir et capable de nous défendre contre les menaces d'aujourd'hui et de demain. Dans une période d’austérité, sans solutions collectives, l’option est souvent l’absence totale de capacité. Pour l’éviter, les Alliés doivent se mobiliser et investir dans les capacités requises – seuls, sur une base bilatérale, ou dans le cadre de coopérations multilatérales. La France a un rôle clé à jouer dans ce domaine.

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IGA Patrick Auroy

Secrétaire général adjoint de l’Otan pour les investissements de défense

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l y a quelques semaines j’ai passé une paire d’heures dans une salle de comité de l’IHEDN, pour évoquer avec un auditeur de la session nationale "Armement et économie de défense" les questions relatives à la coopération entre l’Otan et l’Union européenne. Un rapport d’ailleurs que je vous recommande chaudement, sur un sujet qui est devenu un peu une tarte à la crème des colloques sur la défense, au moins pour nous français après notre retour plein et entier dans les structures de l’Alliance. Ayant été sur ces fauteuils il y a maintenant un peu plus de douze ans, je mesure le chemin psychologique parcouru puisque, à l’époque, au Chem ou à l’IHEDN, envisager autre chose que la défense de la France dans une Europe "puissance" était de la défense-fiction. Intellectuellement, c’était une époque où beaucoup avaient du mal à comprendre les positions franchement enthousiastes de certains de nos partenaires européens les plus récents vis-à-vis de l’Alliance comme assurance de leur sécurité et les critiquaient ouvertement. Quelques années plus tard, avec un zeste de pragmatisme politique en plus, une crise des ressources installée dans la durée, et la compréhension que nous serions plus efficaces pour faire évoluer l’Alliance selon nos vœux en y participant pleinement qu’en usant systématiquement de notre droit de veto depuis la ligne de touche, nous y avons toute notre place. Quelques semaines après ma prise de fonctions

à l’Otan, le sommet de Lisbonne entérinait une évolution stratégique et organisationnelle de l’Alliance difficile à imaginer peu de temps auparavant et à laquelle la France avait participé avec force et souci d’entraîner les plus réticents. Le plus intéressant peut-être dans cette réforme qui est en cours et qui n’est pas sans difficulté n’est pas seulement la réforme de la structure de commandement militaire ; elle devrait être globalement plus efficace, mais au-delà de l’affichage ambitieux, les économies réalisables (pour l’Otan et les Nations réunies) entre une structure ancienne, peuplée à 80 % des effectifs autorisés, et la nouvelle que l’on déclare politiquement et opérationnellement indispensable de peupler à 100% et une fois des coûts de transition évalués et dépensés, ne devraient pas être sensibles. Ce n’est probablement pas seulement non plus la réforme des agences qui est plus une révolution dans la gouvernance – puisqu’on verra progressivement les agences passer de quatorze à trois – qu’une véritable rationalisation puisque les Nations se sont opposées à toute démarche volontariste qui aurait risqué d’avoir un impact sur les programmes multinationaux qui constituent la grande masse des investissements de ces agences. L’optimisation viendra plus tard. La nouveauté vient, au-delà du spectre élargi des interventions possibles de l’Alliance, des moyens de réflexion dont elle se dote pour faire face aux défis de l’avenir. Je veux parler du Commandement stratégique pour la transformation, même 28 &


si ce n’est pas à proprement parler une nouveauté du Sommet de Lisbonne, de la division pour les défis de sécurité émergents au sein du secrétariat international et de l’initiative dite de smart defence promue par le secrétaire général de l’Otan. Autant de sujets ou d’initiatives d’ailleurs où, pour le coup, la coopération avec l’Union européenne, le partenariat, comme on l’appelle dans le jargon de l’Otan, devient encore plus impératif et encore plus incontournable. Avec une étrangeté qui fait que, si un des principaux obstacles politiques qui ralentit voire empêche aujourd’hui une coopération pratique, par exemple entre l’Otan et l’Agence européenne de défense, disparaissait, il deviendrait difficile sur le long terme de voir perdurer des outils complètement distincts dans le domaine de la préparation puis de la réalisation des capacités de défense. Mais ceci est une autre histoire. Puisque nous en sommes au cap 2036 nous pouvons bien nous parler franchement. Nous voilà donc installés avec l’Alliance dans un avenir qui n’est pas sans défis, dans l’environnement de sécurité au sein duquel nous sommes plongés. Des défis dont la cyberdéfense, le terrorisme et la sécurité énergétique ne sont que quelques exemples de ceux dont l’Otan se saisit dorénavant, dans des limites assez strictes, mais dont elle se saisit quand même et je ne vous ferai pas l’injure de vous citer le Concept stratégique ou la déclaration du Sommet de Lisbonne. Les événements en Libye ont une fois de plus montré que l’on ne peut pas toujours prévoir ce qui nous attend au bout de l’horizon. À l’avenir, qui peut prévoir les conséquences pour l’Alliance, ses capacités et ses missions des dan-

gereux effets conjugués du changement climatique, de la croissance démographique, comme de l’augmentation des besoins en nourriture et du manque d’eau. Le cas de la Libye montre bien que l’Alliance – pourvu qu’elle soit sollicitée par la communauté internationale – doit être prête à répondre à toute la gamme des défis de sécurité, avec la défense collective ou la gestion de crise, et avec tout l’éventail des capacités. Mais si la préparation des opérations actuelles et futures reste une priorité fondamentale de l’Otan, elle est singulièrement compliquée par la crise financière qui sévit toujours et qui va probablement encore se faire sentir pendant un certain temps dans la plupart de nos pays. Idée de "défense intelligente" D’où l’idée de la "défense intelligente" d’Anders Fogh Rasmussen développée à Munich il y a quelques mois et unanimement approuvée par les ministres de la Défense et des Affaires étrangères de l’Otan au cours des deux dernières réunions ministérielles. La "défense intelligente" consiste à garantir une plus grande sécurité, non pas avec plus de ressources, mais avec plus de coordination, et grâce à une approche cohérente. Il ne s’agit pas d’une camisole de force imposée aux pays. Il ne s’agit pas d’un processus bureaucratique. Il s’agit de faire en sorte que les pays puissent développer ou acquérir plus facilement des capacités, seuls, ensemble en tant qu’Alliés, ou même en s’associant avec des pays non Otan, comme c’est le cas pour l’initiative C-17 qui se révèle finalement un outil souple et adapté 29 &


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aux besoins de pays de taille moyenne ; cela doit nous faire réfléchir pour l’avenir.

besoins similaires, mais pas nécessairement assez de ressources pour atteindre seuls la capacité voulue. Et je parle également, par expérience concrète, de pays encore à la frontière de l’Alliance et qui se tournent vers elle pour les aider à relever ces défis. L’Alliance les aide à analyser leurs besoins, à les mettre en rapport avec les qualités et les imperfections de leurs systèmes actuels et à leur proposer des évolutions ; c’est particulièrement le cas aujourd’hui dans le domaine de la défense aérienne et de la gestion de l’espace aérien.

Le but est d’encourager les pays à modifier leur approche du développement capacitaire, et à passer d’une approche purement nationale à une approche qui favorise les solutions multinationales, régionales ou autres. L’accord entre la France et le Royaume-Uni qui se sont engagés par traité sur la voie d’une coopération plus étroite en vue de développer ensemble des capacités de défense essentielles a servi de révélateur. Il suscite à la fois des critiques, peut-être sur le mode de la jalousie plus que sur le fond d’ailleurs, mais aussi des envies. Trois rôles possibles pour l’Otan à l’avenir Mais que peut faire l’Otan pour aider les pays à développer des capacités avec un maximum d’efficacité et d’efficience ? J’aimerais mentionner trois rôles possibles. ✓ P remièrement, ce pourrait être de définir l’orientation stratégique, d’identifier les domaines de coopération, et de servir de centre d’échange et de partage des meilleures pratiques. Le nouveau processus de planification, piloté par ACT y aidera puissamment même si nous devons être à l’écoute de besoins particuliers, parfois régionaux, émis par les Alliés. Le concept souple et efficace de centres d’excellence comme celui initié en Espagne autour de la lutte contre les IED (improvised explosive devices/ engins explosifs improvisés), y contribue aussi puissamment. ✓C ar, deuxièmement, l’Otan est bien placée pour servir d’intermédiaire en repérant et en mettant en relation les pays qui ont des

✓ T roisièmement, l’Otan peut contribuer à susciter la volonté politique, sans laquelle il ne saurait y avoir de coopération multinationale. L’initiative que le secrétaire général compte prendre d’ici la fin de l’année avec un envoyé spécial vers les hautes autorités politiques pour préparer le sommet de 2012 sur cette question du développement des approches multinationales en témoigne. Là encore l’exemple franco-britannique qui a montré l’effet de la volonté politique pour obtenir des résultats a frappé. Et tout ceci, rappelons-le s’il en était besoin, n’est que la conséquence du nouveau concept stratégique. Sur un plan pratique, une équipe spéciale du Commandement de l’alliance pour la transformation s’attache actuellement à identifier les domaines prometteurs dans lesquels les Alliés pourraient développer ensemble, sur une base bilatérale ou multilatérale, les capacités requises. La Conférence des directeurs nationaux des armements continue de mettre au point des outils pour faciliter les approches multinatio30 &


nales. Un recueil des meilleures pratiques et des enseignements tirés en matière de coopération multinationale a été établi, ainsi que des directives et des principes généraux pour les programmes multinationaux. Je réunirai la semaine prochaine les directeurs nationaux d’armement des 28 pays de l’Alliance pour faire le point avec eux sur ces questions, obtenir leurs directives, mais aussi leur soutien sur la participation à de nombreuses initiatives déjà identifiées. Ils ont été également chargés par les ministres de la Défense d’accompagner la montée en puissance de l’Agence d’acquisition qui devrait être un réceptacle privilégié pour les projets issus de ces nouvelles approches. Mais l’Otan ne fonctionne pas en vase clos. Les chefs d’État et de gouvernement l’ont demandé et affirmé avec force à Lisbonne, nous allons tendre la main à nos partenaires. Tendre la main à nos partenaires dans le monde entier Nous allons tendre la main à nos partenaires dans le monde entier. Le réseau de partenariat est peut-être la plus importante des innovations politiques de l’Otan. Lorsque son précédent Concept stratégique a été publié, en 1999, l’Otan pouvait encore – tout juste – atteindre ses objectifs avec ses seuls pays membres. Ce n’est plus le cas. Aujourd’hui, nos partenaires fournissent des troupes, assurent le transit et apportent un soutien financier et un appui politique. Et ils participent à nos projets multinationaux. Revenons sur l’exemple de la capacité de transport aérien stratégique. La Suède et la Finlande, deux pays partenaires importants, partagent trois avions de transport C-17 avec dix Alliés.

Une seule autorité chargée de la maintenance et de la navigabilité, une seule chargée d’approvisionner les rechanges ; une liberté complète des pays participants au sein d’une unité complètement multinationale et non Otan mais soutenue par une agence Otan. Une capacité à laquelle nombre de ces pays n’auraient pas eu accès sans cette formule souple. Nous devons également tisser des liens plus étroits avec le secteur privé. À l’Otan, nous mesurons toute l’importance du partenariat public-privé. L’industrie de défense est et restera pour l’Otan un partenaire indispensable pour le développement, la production et le maintien des capacités. L’associer très tôt au processus est essentiel, surtout dans les domaines d’excellence de l’Otan comme la défense aérienne ou les C3, mais pas exclusivement. Sur tous ces points, l’Otan doit donner la priorité à la consultation avec l’Union européenne, car l’UE reste un partenaire unique et essentiel pour l’Otan. Sachant que nous avons 21 pays membres communs – et bientôt 22 –, et que chacun d’eux n’a qu’un seul ensemble de forces et de ressources, c’est le sens commun que de garantir une approche complémentaire et d’éviter les doubles emplois. À notre Sommet de 2012, nous commencerons à écrire le prochain chapitre de l’évolution de l’Otan, de sa transformation. Ce nouveau chapitre devrait être axé sur une nouvelle approche de la sécurité. Une approche coopérative. Une approche connectée. Notre objectif sera de présenter aux chefs d’État et de gouvernement des propositions concrètes pour des approches multinationales, avec un engagement ferme de la part des pays. 31 &


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Nous utiliserons le temps dont nous disposons d’ici à 2012 pour mettre au point les détails de différents projets. Ces projets porteront essentiellement sur les domaines dans lesquels l’Otan a des insuffisances majeures, comme la lutte contre les engins explosifs improvisés, tellement fondamentale pour les opérations aujourd'hui, mais aussi le soutien médical aux forces sur les théâtres, etc. Il ne s’agit pas seulement d’acheter du matériel nouveau. Nous réfléchirons aussi aux moyens de mieux utiliser et maintenir en commun des capacités qui existent déjà. Nous réfléchirons aux moyens de former nos troupes ensemble et de partager les centres de formation. Et nous inciterons les pays à consacrer une plus grande part de leurs dépenses de recherche et développement à des projets multinationaux qui feront la différence. Dans le même temps en poursuivant les réformes, nous continuerons à faire de l’Otan une organisation plus légère, plus souple, et mieux à même de traiter des projets multinationaux et de répondre à d’autres défis futurs. Ces différentes réformes, qui permettront d’optimiser l’utilisation des fonds investis par les pays de l’Alliance, rendront l’Otan financièrement plus abordable. En privilégiant les capacités et les systèmes de commandement dont nous avons

besoin, elles feront de l’Otan une organisation plus efficace. Enfin, et surtout, elles forgeront une Alliance prête à affronter l’avenir et capable de nous défendre contre les menaces d’aujourd’hui et de demain. Mesdames et messieurs, J’ai indiqué un certain nombre de moyens par lesquels l’Otan peut aider les pays à renforcer la sécurité dans une période d’austérité. Sans solutions collectives, la seule autre option est souvent l’absence totale de capacité. Nous pouvons tous imaginer un scénario aussi sombre. Pour que cela n’arrive pas, les Alliés doivent se mobiliser et investir dans les capacités requises – seuls, sur une base bilatérale, ou dans le cadre de coopérations multilatérales.

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t la France a évidemment un rôle clé à jouer. La France a toujours été un Allié important au sein de l’Otan. Sa contribution actuelle aux opérations et aux missions est cruciale. Sa pleine participation à toutes les structures décisionnelles civiles et militaires a renforcé l’Alliance. S’agissant d’inciter les Alliés à s’unir pour obtenir les capacités requises, le leadership de la France a réellement une grande importance. Je souhaite que nos travaux d’aujourd’hui et ceux des auditeurs fraîchement diplômés continuent à y contribuer.

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Vice-amiral d’escadre Xavier Païtard

Chef de la mission militaire de la Représentation permanente de la France auprès de l’UE, et chef de la mission militaire de la Représentation permanente de la France auprès de l’Otan L’Otan et l’UE, bien que de nature très différente, sont deux organisations aux destins liés en matière de défense, dépendantes l’une de l’autre et même imbriquées. Le plus grand service à rendre à notre Alliance est d’y apporter une contribution capacitaire plus cohérente, plus opérationnelle et plus efficace. C’est entre Européens, au sein de notre Union, avec les instruments de Lisbonne qu’il nous faut bâtir cette défense plus responsable, notamment dans la réponse aux crises, au profit tant de l’Europe que de l’Alliance. L’Otan a besoin, pour demeurer crédible et répondre aux crises de demain, d’Européens plus responsables en matière de défense et moins dépendants des Américains. L’Otan a besoin d’Europe. Cette défense des Européens reste à bâtir. Elle ne peut l’être qu’au sein de l’UE avec une politique industrielle ambitieuse et entretenue. L’approche globale de l’UE suppose un volet militaire robuste et pleinement intégré dès le début des réflexions quand la crise survient. Six recommandations : • Fondée sur une réflexion stratégique de long terme post 2015 (Où en sera l’Europe économique et politique ? Où en seront les USA ? Quelle sera l’ambition de l’Otan après l’Afghanistan ? Que sera devenue notre industrie de défense ?), susciter un débat de fond en Europe sur la PSDC. Clarifier auparavant notre vision, affirmer notre conviction ; garder le cap. Ne pas manquer à ce titre l’occasion de débat national que constitue la campagne présidentielle. • Assumer notre leadership en Europe. • Militer pour une structure permanente de planification et de conduite des opérations militaires au sein du Service européen pour l’action extérieure. • Développer des capacités stratégiques en Europe pour réduire la dépendance avec les États-Unis et rééquilibrer l’Alliance. • Adapter les procédures, les règles de conduite/décisions de l’Alliance et l’UE aux opérations de réponse aux crises. • Naturellement, rien ne sera possible, sans revivifier l’esprit de défense en Europe et donc sans le maintien de notre effort de défense en France.

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Vice-amiral d’escadre Xavier Païtard

Chef de la mission militaire de la Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne Chef de la mission militaire de la Représentation permanente de la France auprès de l’Otan

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ace aux défis globaux de demain, la France se tient auprès de ses alliés au sein de l’Union européenne et de son Alliance atlantique.

de l’Otan. Il a reçu un très large soutien politique, ce qui s’est traduit par des contributions essentielles, y compris, en première ligne, de nos partenaires arabes.

L’Otan et l’UE, bien que de natures très différentes, sont deux organisations aux destins liés en matière de défense, dépendantes l’une de l’autre et même imbriquées.

La "machinerie de l’Otan", sa chaîne de commandement, ses procédures et savoir-faire, ont fait une éclatante démonstration de leur efficacité opérationnelle et de leur capacité d’adaptation.

Le plus grand service à rendre à notre Alliance est d’y apporter une contribution capacitaire plus cohérente, plus opérationnelle et plus efficace. C’est entre Européens, au sein de notre Union, avec les instruments de Lisbonne, qu’il nous faut bâtir cette défense plus responsable, notamment pour la réponse aux crises, au profit tant l’Europe que de l’Alliance. (Mr Gates ne dit d’ailleurs pas autre chose). L’opération en Libye renforce cette profession de foi. Pour autant, de très nombreux enseignements sont à tirer de ce printemps arabe et, bien entendu en premier lieu, de l’opération en Libye. Côté Otan En premier lieu, il convient de louer le formidable succès, collectif que représente déjà cette opération : 89 jours, 12600 sorties aériennes, environ 245 avions et 20 bâtiments de combat engagés (chiffres du 28.06.2011). Le leadership franco-britannique a pu s’exercer au travers du groupe de contact et des structures

L’Alliance et sa crédibilité s’en trouvent globalement renforcées. Néanmoins, de cette campagne qui marquera évidemment beaucoup l’histoire de notre Alliance, nous avons devoir, chacun à notre poste, d’en tirer toutes les leçons et d’en identifier les forces et les faiblesses pour mieux répondre aux crises du futur. La cohésion et l’unité sont la première force de l’Alliance. Elles résultent du principe de solidarité, un de ses fondements. Il est crucial pour sa crédibilité et son succès de s’assurer de contributions suffisantes et non assorties de restrictions d’emploi caveats pour mener à bien l’opération. En Libye, seulement 1/5e de ses membres ont participé aux frappes. Par ailleurs, l’essentiel des capacités facilitatrices stratégiques (ravitaillement en vol, moyens ISR, de guerre électronique ou de suppression des défenses aériennes) a été fourni par les USA et il importe de corriger ce déséquilibre. 36 &


La chaîne de commandement et la structure militaire intégrée demeurent également un des principaux atouts de l’Otan. Cette machinerie a su répondre et s’adapter, notamment en intégrant nos partenaires arabes. Pour autant l’opération a révélé des points "à améliorer" qui justifient pleinement la grande réforme entreprise. Il s’agit de rendre cette "machinerie" plus opérationnelle, déployable, endurante et flexible. C’est d’autant plus nécessaire que cette réforme intervient dans un contexte de désintérêt relatif des Américains, voire de distanciation. À cet égard l’opération en Libye constitue un test pour les Européens laissés en première ligne. Pour ma part, j’attribue les limites identifiées, dans la cohésion de l’Alliance, à un certain "désarmement moral" de certains alliés européens et une tentation permanente à la dilution de leurs responsabilités, au fonctionnement interne d’une machinerie lourde et coûteuse, et à l’impatience américaine d’en faire trop par rapport à leurs alliés, tandis que leur attention stratégique se détourne progressivement de l’Europe. La réponse est naturellement un appel à des Européens plus unis, plus cohérents dans leurs capacités et contributions et surtout plus responsables dans l’Alliance. Côté UE Le potentiel, largement "inentamé", demeure entier. Malgré des progrès importants réalisés en moins de 8 ans, depuis la première opération en Macédoine, le niveau d'ambition, 60 000 hommes en 60 jours, rappelé dans le Traité de Lisbonne, est loin d'être atteint. Le principal enseignement de la Libye, côté UE, qui saute aux yeux est celui d’une occasion manquée.

D’abord on peut déplorer que les États membres ne partagent pas la même vision de la PSDC. En désaccord sur le fond, ils laissent croître une contradiction entre le niveau d’ambition et la stratégie européenne de sécurité, les initiatives et déclarations successives (déclaration sur le renforcement des capacités (2008), plan de développement des capacités (2008), initiatives de Gand pooling and sharing (2010) et Weimar (2011)) et la réalité décevante d’une absence de volonté d’agir. Les instruments du traité de Lisbonne devaient porter et mettre en œuvre ces projets, le SEAE, la CSP. En réalité le SEAE apparaît converti à la soft security au service des instruments de la Commission. Quand, sous la pression de la France, une réflexion sur les options militaires possibles a été lancée, les structures du SEAE (CMPD, emue) se sont interdit d’étudier les options que l’Otan préparait. La réflexion a été délibérément "bridée". Tout s’est passé comme s’il y avait blocage de principe sur l’idée d’un instrument de puissance et l’usage possible de la force. Les explications sont nombreuses, mais certainement pas simples. L'Europe continue à subir la crise économique, très forte. Nos budgets de défense souffrent. L'effort demandé aux pays engagés en Afghanistan et en Libye maintenant est difficilement soutenable. La priorité est de sauver l’Euro. Le SEAE, établi cette année, s’installe. Engagé dans une rationalisation de ses structures et de ses procédures, aujourd’hui "autobloquantes", il cherche son unité d’action. C’est le grand potentiel d’une véritable approche globale qui annonce l’UE comme un acteur premier de réponse aux crises, mais aujourd’hui, la complexité et la lenteur des procédures excluent le volet militaire de 37 &


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la PSDC de cette approche qui ne peut donc être globale. Et l’absence d’un organisme permanent de planification et de conduite, à Bruxelles, à même d’anticiper "l’entrée dans les crises" et de donc de stimuler une volonté politique d’agir et préparer les décisions, paralyse. Beaucoup attendent une France manifestant à nouveau sa volonté de prendre un leadership. Peut-on obtenir au moins un effet d’entraînement de la dynamique FR/UK ?

La France a une responsabilité singulière en Europe, elle doit assumer son leadership démontré en Libye.

En fin de compte, cette perte apparente de l’envie d’Europe, au moins dans le domaine de la défense, ne procède-t-elle pas du déclin de l’esprit de défense dans nos pays et de la volonté de réduire les budgets de défense ?

Il n’y a pas d’alternative.

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’Otan a besoin, pour demeurer crédible et répondre aux crises de demain, d’Européens plus responsables en matière de défense et moins dépendants des Américains. L’Otan a besoin d’Europe. Cette défense des Européens reste à bâtir. Elle ne peut l’être qu’au sein de l’UE où, et seulement où, nous pouvons définir en commun notre effort de défense, décider et faire voter par nos Parlements les budgets afférents. Et il n'y aura pas de défense de l’Europe plausible sans une politique industrielle ambitieuse et entretenue.

La voix de l’Europe dans le monde ne sera pas audible sans un instrument de puissance capable de défendre ses intérêts, de répondre aux crises et/ou d’y contribuer de façon efficace dans une coalition multinationale, surtout dans son voisinage immédiat.

Enfin il n’y aura pas d’approche globale de l’Union européenne, ce qu’elle affiche comme son grand atout, sans un volet militaire robuste et pleinement intégré dès le début des réflexions quand une crise survient. L’Union européenne a laissé le train partir en Libye. Il y a un autre train sur le quai, celui de la Libye post-Kadhafi. Le SEAE, sous l’impulsion personnelle de M. Pierre Vimont, réfléchit à un spectre très large d’actions possibles. Nous participons bien entendu à ces travaux. C’est sans aucun doute une nouvelle occasion pour notre Union d’entamer cet énorme potentiel théorique qu’elle possède pour la réponse aux crises.

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Je voudrais enfin terminer en formulant brièvement six recommandations :

✓ Militer pour une structure permanente de planification et de conduite des opérations militaires au sein du SEAE.

✓ Fondée sur une réflexion stratégique de moyen terme post 2015 (où en sera l'Europe, économique et politique? Où en seront les USA? Quelle sera l'ambition de l'Otan après l'Afghanistan? Que sera devenue notre industrie de défense?), susciter un débat de fond en Europe sur la PSDC. Clarifier auparavant notre vision, affirmer notre conviction, garder le cap. Ne pas manquer à ce titre l’occasion de débat national que constitue la campagne présidentielle. ✓ Assumer notre leadership en Europe.

✓ Développer des capacités stratégiques en Europe pour réduire la dépendance aux ÉtatsUnis et rééquilibrer l’Alliance. ✓ Adapter les procédures et règles de conduite/ décision de l’Alliance et de l’UE aux opérations de réponse aux crises. ✓N aturellement rien ne sera possible sans revivifier l’esprit de défense en Europe et donc sans le maintien de notre effort de défense en France.

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Arnaud Danjean

Président de la sous-commission "Sécurité et défense" du Parlement européen Il y a 20 ans, le continent européen renouait avec la guerre dans les Balkans, nous rappelant que la paix sur le continent européen n'était pas un acquis éternel. Cette expérience traumatique a amené l'Europe, sous impulsion franco-britannique, a développer la fameuse Politique européenne de sécurité et de défense (PESD), devenue Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) avec le Traité de Lisbonne. En dépit de toutes ses insuffisances, cette PESD embryonnaire a enregistré de nombreux succès et a doté l'UE d'un véritable acquis, tant en termes de structures que d'opérations avec 24 opérations civiles ou militaires. Les dernières réalisations les plus importantes étant d'ailleurs à mettre au crédit de la présidence française de l'Union européenne (Géorgie, Atalante). En 2011, le conflit imprévu ne s'est pas déclenché dans les Balkans, mais en Libye. La grande constante entre 1991 et 2011 tient à l'absence totale de l'UE en tant que telle, en dépit des efforts de Paris pour tenter de donner une coloration plus européenne à l'action en Libye. Une autre constante tient à la division franco-allemande initiale, flagrante en ex-Yougoslavie en 1991 et également troublante en Libye. Depuis 20 ans, l’UE n’existe toujours pas en tant que telle sur la scène internationale. Seuls quelques États membres ont les capacités d’exister militairement, mais pas de façon totalement autonome pour autant. Le relatif éloignement américain ne convainc toujours pas les 27 membres de l’Union européenne de l’impérieuse nécessité de construire, au-delà de l’Otan, un cadre commun pour faire face aux enjeux de sécurité. Un constat cruel, d'autant qu'à ces facteurs politiques s'ajoutent des facteurs financiers et budgétaires aggravants, qui pèsent désormais structurellement sur les capacités européennes. En juin 2011 en Europe, nous comptons quelques États qui veulent et qui peuvent soutenir une authentique ambition européenne en matière de défense (principalement la France) ; quelques États, plus nombreux, qui voudraient, mais ne peuvent pas ou ne peuvent plus, en raison de leur faiblesse budgétaire ou capacitaire ; quelques États qui pourraient, mais ne veulent pas, essentiellement pour des raisons doctrinales comme le Royaume-Uni ou le Danemark, ou, conjoncturellement pour des raisons politiques comme l'Allemagne ; et malheureusement beaucoup trop qui ne peuvent pas et ne veulent pas vraiment (Baltes, Tchéquie) C’est pourquoi l'Europe ne risque pas seulement un déclassement stratégique en n'investissant plus assez dans sa défense, elle peut elle-même choisir de se mettre hors-jeu, en privilégiant une forme paradoxale d'isolationnisme à la fois frileux et généreux d’Europe "portefeuille" et super-ONG, mais ayant abdiqué toute capacité matérielle, industrielle, technologique et opérationnelle ainsi que toute ambition politique en matière de défense. Le renoncement à toute ambition collective des Européens n’épargnera pas, in fine, les projets individuels des États européens. Enfin, et c'est là le principal facteur stratégique qui devrait guider les Européens, renoncer à des capacités autonomes de défense ne sert ni à faire face aux défis à venir, ni à conserver un lien transatlantique sain.

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Arnaud Danjean

Président de la sous-commission "Sécurité et défense" du Parlement européen

Amiral, Monsieur le Directeur, Messieurs les Officiers généraux, Mesdames, Messieurs Je tenais en premier lieu à remercier l'amiral Laborde et Michel Foucher de m'avoir convié à intervenir dans ce colloque prestigieux, aux côtés et face à des invités à l'expertise reconnue, dont j'ai pu, pour beaucoup d'entre eux, apprécier, in situ, les compétences et la hauteur de vue sur les sujets prospectifs qui nous importent aujourd'hui. Je dois également souligner que si les organisateurs ont invité Pierre Vimont, secrétaire général du Service européen d'action extérieure, Claude-France Arnould, directrice exécutive de l'Agence européenne de défense, et moi-même pour le Parlement européen, c'est parce qu'ils ont considéré que l'Europe sera bien encore présente sur la carte géopolitique mondiale dans 25-30 ans. Ce qui, malheureusement, n'est pas une évidence. Que l'on estime, en effet, que seuls quelques pays européens pourraient encore individuellement tirer leur épingle du jeu dans un monde multipolaire recomposé, ou que l'on estime que notre continent entier se soit replié, autant par contrainte que par choix, dans une forme d'isolationnisme frileux, nous pourrions décrire ici plusieurs options répertoriant les risques objectifs de déclassement stratégique de l'Europe. Au titre de mes fonctions au Parlement européen,

je me contenterai donc de souligner quelles évolutions m'apparaissent les plus problématiques quant à la consolidation souhaitable d'une Europe "acteur global" dans le monde de 2036, pour reprendre la terminologie en cours (on peut d'ailleurs noter l'évolution sémantique "à la baisse", puisque cette notion d'acteur global a remplacé l'expression, qui avait encore cours il y a quelques années, "d'Europe puissance", ce qui atteste incontestablement de l'abaissement des ambitions...). Avant de détailler les points relatifs aux forces et faiblesses européennes dans le domaine de la défense, je souhaite rappeler que je souscris sans complexe à la thèse selon laquelle les capacités militaires resteront dans les prochaines décennies un outil majeur de la puissance et un paramètre essentiel de la mesure de cette puissance dans les relations internationales. Bien sûr l'économie continuera de primer (avec une priorité donnée à l'innovation, à la recherche, à la maîtrise des ressources énergétiques), bien sûr la capacité d'exercer un soft power plus ou moins universaliste sera déterminante, mais je pense qu'il serait dangereux et illusoire de reléguer en seconde zone les "bons vieux indicateurs" de puissance et d'influence que sont la démographie d'une part, et les capacités militaires d'autre part. Cela étant posé, le tableau d'aujourd'hui n'incite pas à l'optimisme pour demain ou après-demain. Permettez-moi à cet égard, avant de nous projeter vers l'avenir, de regarder rapidement d'où nous venons en matière de politique européenne de défense. 42 &


La paix sur le continent européen n'était pas un acquis éternel : le précédent des Balkans Il y a précisément 20 ans, quasiment jour pour jour, le continent européen renouait avec la guerre. C'était en Slovénie, ce fut une "petite guerre" de quelques jours, mais le prélude de près de dix ans de conflits balkaniques. Ces guerres sont venues nous rappeler que la paix sur le continent européen n'était pas un acquis éternel, et que l'euphorie qui avait suivi la chute du Mur de Berlin en 1989 et la fin de la guerre froide ne devait pas nous rendre naïfs quant à la stabilité des relations internationales, y compris en Europe. Si je me permets cette référence, ce n'est pas seulement parce que j'ai été familier – à l'instar de Michel Foucher – de cette poudrière balkanique, mais parce que cet épisode tragique de l'histoire européenne contemporaine offre d'intéressants éléments de comparaison avec la situation actuelle : ✓ en 1991, au moment où se déclenchent ces guerres inattendues (ce qui ne veut pas dire pour autant qu'elles étaient totalement imprévisibles), l'Europe croit qu'elle pourra s'affirmer et faire face à ce défi de sécurité majeur sur son propre sol. Elle le croit d'autant plus que les Américains affichent d'emblée une grande réserve et ne manifestent aucune volonté de s'impliquer en première ligne dans le règlement de ces crises. ✓ mais l'Europe, si ambitieuse, ne sera en fait jamais en mesure de jouer un rôle moteur, tant sur le plan militaire (ce sont pourtant bien des pays européens qui fourniront des dizaines de milliers de soldats à la force de l'ONU, mais avec un mandat humanitaire si contraignant

et restrictif qu'elles ne seront pas en mesure de mettre fin au conflit) que diplomatique (quelques États européens auront voix au chapitre à travers des mécanismes strictement multilatéraux - ONU, groupe de contact, mais pas de façon décisive). Et il faudra finalement une intervention américaine militaire et diplomatique massive pour régler ces conflits. Cette expérience traumatique a amené l'Europe, sous impulsion franco-britannique, à développer la fameuse Politique européenne de sécurité et de défense (PESD), devenue Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) avec le traité de Lisbonne. En dépit de toutes ses insuffisances, cette PESD embryonnaire a enregistré de nombreux succès et a doté l'UE d'un véritable acquis, tant en termes de structures (des cellules de planification et de gestion de crises) que d'opérations (24 opérations civiles ou militaires). Les dernières réalisations les plus importantes étant d'ailleurs à mettre au crédit de la présidence française de l'Union européenne (Géorgie, Atalanta). Je reviendrai sur les perspectives de cette PSDC, mais en faisant le rappel sur la situation qui prévalait il y a 20 ans, je souhaitais amener un élément de comparaison avec la situation d'aujourd'hui. En 2011, le conflit imprévu ne s'est pas déclenché dans les Balkans, mais en Libye. D'un point de vue géostratégique, cela reste quasiment le continent européen, compris comme un espace de sécurité incluant les frontières immédiates et "l'étranger proche" qui affecte directement l'UE. Comme en 1991, nous constatons une réticence forte des États-Unis à intervenir. Tout juste sontils prêts à soutenir les efforts diplomatiques et militaires européens. Comme en 1991, ce sont la 43 &


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Synthèses Interventions

France et l'Angleterre qui fournissent les contributions militaires opérationnelles majoritaires et sont en pointe sur le plan politique. La seule différence – majeure je le concède – tient au fait que l'engagement militaire, passif et humanitaire dans les Balkans, est devenu plus offensif en Libye, la mise en œuvre du devoir de protection sous mandat onusien se faisant à travers des Nations essentiellement européennes au sein de l'Otan. En fait, la grande constante entre 1991 et 2011 tient à l'absence totale de l'UE en tant que telle, en dépit des efforts de Paris pour tenter de donner une coloration plus européenne à l'action en Libye. On pourrait même ajouter qu'une autre constante tient à la division franco-allemande initiale, flagrante en ex-Yougoslavie en 1991 et également troublante en Libye il y a quelques mois. Bref, un observateur extérieur que nous aurions fait hiberner pendant 20 ans pourrait conclure – sans doute trop rapidement je vous l'accorde – que l'Union européenne n'existe toujours pas en tant que telle sur la scène internationale, que seuls quelques-uns de ses États membres ont les capacités d'exister militairement, mais pas de façon totalement autonome pour autant, et que le relatif éloignement américain ne convainc toujours pas les 27 membres de l'UE de l'impérieuse nécessité de construire, au-delà de l'Otan, un cadre commun pour faire face aux enjeux de sécurité. Le constat est donc cruel, d'autant qu'à ces facteurs politiques s'ajoutent des facteurs financiers et budgétaires aggravants, qui pèsent désormais structurellement sur les capacités européennes.

Pour résumer, en juin 2011 en Europe, nous comptons : ✓ quelques États qui veulent et qui peuvent soutenir une authentique ambition européenne en matière de défense (principalement la France) ; ✓ quelques États, plus nombreux, qui voudraient, mais ne peuvent pas ou ne peuvent plus, en raison de leur faiblesse budgétaire ou capacitaire ; ✓ quelques États qui pourraient, mais ne veulent pas, essentiellement pour des raisons doctrinales comme le Royaume-Uni ou le Danemark, ou, conjoncturellement pour des raisons politiques comme l'Allemagne ; ✓ et malheureusement beaucoup trop qui ne peuvent pas et ne veulent pas vraiment (Baltes, Tchéquie) Nous voyons d'ailleurs à la lumière de cette typologie sommaire – et au trait un peu forcé – que le positionnement de l'Allemagne, au-delà du cas libyen, sera déterminant pour savoir si, dans la décennie à venir, il existe une vraie chance de voir se développer un projet européen en matière de défense. Le risque pour l’UE de se retrouver hors jeu Car la question n'est malheureusement pas incongrue, et la perspective pas totalement irréelle. L'Europe ne risque pas seulement un déclassement stratégique en n'investissant plus assez dans sa défense, elle peut elle-même choisir de se mettre hors-jeu, en privilégiant une forme paradoxale d'isolationnisme à la fois frileux et généreux : 44 &


✓ frileux, car réticent à toute capacité de projection militaire dans des opérations extérieures, et plus globalement considérant toute forme d'action militaire comme moralement suspecte ; ✓ mais généreux car focalisant son action extérieure exclusivement sur le financement des opérations menées par d'autres ou venant en complément strictement humanitaire ou d'assistance au développement. Une Europe à la fois "portefeuille" et super-ONG en somme, mais ayant abdiqué toute capacité matérielle, industrielle, technologique et opérationnelle ainsi que toute ambition politique en matière de défense. Certaines idéologies poussent délibérément à cette évolution. Plus insidieusement, d'autres nous expliquent que les États européens, individuellement, resteront "au niveau" mais uniquement dans le cadre de l'Otan, et que l'UE en tant que telle devra se concentrer sur des tâches annexes et complémentaires. Il convient certes de faire la part des choses entre les États membres – dont certains n'abandonneront heureusement pas du jour au lendemain et même au surlendemain leurs capacités militaires, et la France est heureusement l'un d'eux –, et l'Union elle-même sur un plan collectif. Mais je suis sincèrement convaincu que le renoncement à toute ambition collective des Européens n'épargnera pas, in fine, les projets individuels des États européens. L'Otan ne pourra pas longtemps masquer les insuffisances, car n'oublions jamais que sur le plan capacitaire, les États européens n'ont pas chez eux une armée Otan robuste et une armée UE parent pauvre. Ils n'ont qu'une armée, qu'ils choisissent politiquement de mettre à disposition d'un projet collectif, sous drapeau Otanien ou

sous drapeau européen. Diplomatiquement, nous voyons bien avec le récent exemple allemand que l'Otan ne peut constituer un incitatif à plus d'engagement. Et pour certains États, l'Otan, qui a pris collectivement en charge des pans entiers de la défense aérienne par exemple, est un véritable incitatif au désengagement individuel. Enfin, et c'est là le principal facteur stratégique qui devrait guider les Européens, renoncer à des capacités autonomes de défense ne sert ni à faire face aux défis à venir, ni à conserver un lien transatlantique sain. Car dans le monde à venir, si je ne crois pas au déclin américain prophétisé depuis si longtemps, il me semble en revanche évident que les États-Unis n'auront plus la possibilité et sans doute de moins en moins la volonté d'assumer la défense collective européenne, mais plus encore la protection des Européens contre des menaces régionales ou des enjeux de sécurité non globaux se concentrant, en Afrique du Nord ou à l'Est, aux portes de l'Europe. Dans ce contexte-là – et nous en avons eu l'illustration en Géorgie comme nous l'avons d'une certaine façon en Libye – les Européens doivent être capables de réagir et d'agir sans les Américains. Non par hostilité évidemment ou par absence de solidarité, mais au contraire par sens des responsabilités bien compris. Voilà pourquoi, si nous ne voulons pas d'un "monde sans Europe" en 2036 ou d'un monde dans lequel l'Europe ne serait condamnée qu'à monnayer sa stabilité et son influence contre un rôle de supplétif humanitaire, les efforts consentis par certains États membres doivent non seulement se consolider, se pérenniser, mais également être inscrits dans une véritable démarche européenne, une démarche qui valorise ceux qui investissent pour maintenir à niveau tout le continent. 45 &


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Synthèses Interventions

Aucun fatalisme à ce que l'Europe de la défense ne se ressaisisse pas d'ici 2036 Les États membres qui veulent et peuvent avancer doivent pouvoir le faire. Et au-delà, il ne faut pas s'empêcher de travailler à un mécanisme de solidarité qui articule, sans perdants, ceux qui investissent dans la défense et qui assument les efforts de défense au nom de tous, et ceux qui bénéficient de cette protection et s'en remettent, par choix ou contrainte, aux capacités des autres. Le projet européen, depuis son origine, repose

sur des valeurs fondamentales, sur un principe de solidarité au service de ces valeurs, et sur un fonctionnement pragmatique. Autant d'éléments qui correspondent parfaitement au domaine de la défense, où agissent des communautés soudées par des valeurs, éprouvant sans doute la solidarité dans ce qu'elle a de plus intense (la fraternité d'armes) et faisant toujours preuve de pragmatisme pour s'adapter aux circonstances les plus difficiles. Il n'y a donc aucun fatalisme à ce que l'Europe de la défense ne se ressaisisse pas d'ici 2036 !

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Pierre Vimont

Secrétaire général exécutif du Service européen pour l’action extérieure (SEAE) Le Service européen pour l’action extérieure (SEAE) est une première au sein de l’Union européenne. Mettre ensemble des représentants de la Commission, du Conseil et des États membres relève un peu de la gageure. Cela demandera beaucoup de temps, car les gens viennent d’horizons différents, et n’ont peut-être pas au départ les mêmes intérêts. Les auteurs du Traité de Lisbonne en lançant le SEAE ont voulu doter les institutions européennes de permanence et de pérennité pour donner plus de constance et de détermination à l’ensemble. Si les Européens de Bruxelles critiquent souvent le SEAE, en revanche, les représentants des États tiers se déclarent très contents de pouvoir disposer d’interlocuteurs permanents. Alors qu’à Saint-Malo le tandem franco-britannique a su entraîner sans grande difficulté tous ses partenaires, aujourd’hui le Traité de Lancaster House soulève une certaine émotion et pas mal de réserves voire d’oppositions, parce qu’à Saint-Malo, l’Europe comptait 15 membres, tandis qu’aujourd’hui elle en compte 27. Or, l’Europe à 27 est en train de traverser une période extrêmement difficile, car en dépit du Traité de Lisbonne, elle ne s’est pas encore dotée des institutions nécessaires. D’ici 2036, nous serons certainement bien au-delà de 30 membres. Cette Europe élargie nous impose de nouveaux devoirs et de nouvelles réflexions. Déjà, beaucoup de nos partenaires réfléchissent à leur positionnement par rapport à ce qu’ils perçoivent de plus en plus comme un groupe de pays qui avance, souvent en leur imposant son rythme et l’allure de cette aventure européenne. Généralement à chaque Conseil européen, des clivages importants sont en train de se creuser sur l’Europe de la défense. Or, la relance de l’Europe de la défense ne se fera sans doute pas tous ensemble, mais de manière flexible, avec un groupe de pays qui prendra le pilotage de l’opération. Par conséquent, l’Europe va devenir plus complexe à mettre en place. Sur la Libye et "le jour d’après", le SEAE réfléchit à une planification à la fois prudente et ambitieuse. Il est frappant de remarquer combien le manque d’appétit ne vient pas seulement de nos partenaires européens, mais aussi des Nations unies quand nous évoquons une force de maintien de la paix, un cessez-le-feu, une mission d’observateurs ou des corridors humanitaires. L’ONU estime que nous n’avons rien à faire en Libye et qu’une opération y semble impossible à mener. La prudence de la communauté internationale tient à ce que les opérations en cours suscitent des préoccupations, que la réalité politique de ce pays est encore mal connue et qu’en dépit des efforts tout à fait louables menés par le Conseil de transition de Benghazi, chacun s’interroge actuellement sur la capacité de ces représentants d’assurer l’autorité et la légitimité qui est nécessaire pour diriger ce pays. Le contexte libyen est actuellement très difficile à cerner et à rendre aussi constructif que possible.

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Pierre Vimont

Secrétaire général exécutif du Service européen pour l’action extérieure (SEAE)

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e Service européen pour l’action extérieure (SEAE) est une opération comme on n’en a jamais tenté au sein de l’Union européenne. Il faut être bien conscient de cela. Mettre ensemble des représentants de la Commission, du Conseil, des États membres, mélangez le tout, fouettez bien fort, pour essayer d’avoir, du jour au lendemain, un service unique capable d’avoir la culture administrative unique, cela relève un peu de la gageure. Bien évidemment, c’est une affaire que l’on peut parvenir à réussir, mais cela demandera beaucoup de temps, parce que les gens viennent d’horizons différents et d’origines différentes, ils n’ont peut-être même pas au départ les mêmes intérêts, ils vivent parfois même dans des planètes assez différentes les unes des autres. C’est en même temps une expérience formidable, parce que je reste convaincu que les auteurs du Traité de Lisbonne avaient compris quelque chose en lançant ce SEAE qui correspond d’ailleurs aussi à l’idée que l’on a eu de créer un président du Conseil européen : l’idée qu’il fallait désormais doter les institutions européennes d’un peu de permanence et de pérennité pour donner à cet ensemble plus de constance et de détermination. Doter les institutions européennes de permanence et de pérennité Chaque fois que je me trouve à Bruxelles dans des réunions un peu semblables à celle où je suis aujourd’hui, je me fais attaquer de tous côtés par l’ensemble des Européens présents, qui

me disent que le Service ne marche pas. Puis, à la fin de ces longues discussions un peu inutiles, arrive un représentant d’un État tiers qui se déclare très content de cette nouvelle situation. Avec des mots très simples, ces représentants des États tiers disent : "désormais, quand mon Premier ministre ou mon Président vient à une réunion, ou à un sommet de l’Union européenne, il a en face de lui des interlocuteurs qu’il connaît, qu’il retrouve à chaque fois, qui ne changent pas tous les six mois". Cela facilite beaucoup les choses et cela renforce le partenariat entre les uns et les autres. Nous devons être conscients de cela, mais c’est un travail de longue haleine, qui prendra du temps, mais qui sera à terme un instrument utile. Une question me fascine. Pourquoi le tandem franco-britannique à Saint-Malo a-t-il su entraîner sans grande difficulté tous ses partenaires ? Et pourquoi, aujourd’hui le Traité de Lancaster House a-t-il soulevé une certaine émotion et pas mal d’oppositions, en tout cas de réserves ? Audelà des erreurs tactiques qui ont pu être faites, je crois que la plus grande différence – et c’est important, car il faut toujours comprendre le monde dans lequel on vit – c’est que Saint‑Malo, c’était l’Europe à 15, et aujourd’hui c’est l’Europe à 27. Or, l’Europe à 27 est en train de traverser une période extrêmement difficile, car en réalité, en dépit du Traité de Lisbonne et de tous les efforts qui ont été faits, elle ne s’est pas encore dotée des institutions qui étaient nécessaires. N’oubliez pas que l’on est lentement en train de s’approcher de l’Europe à 28, et puis qu’avec l’Islande et quelques autres pays des Balkans, 50 &


nous serons sans doute, d’ici quelques années, et certainement d’ici 2036, bien au-delà de 30, et même peut-être plus près de 35 ou au-delà.

doute bien plus compliqué de faire l’Europe de cette manière-là. Inappétence des Nations unies pour la Libye

Il ne s’agit pas de contester l’élargissement, mais cette nouvelle réalité de l’Europe élargie nous impose de nouveaux devoirs et de nouvelles réflexions. Dans cette Europe à 27 et audelà, beaucoup de nos partenaires réfléchissent déjà à la manière dont ils vont se positionner par rapport à ce qu’ils perçoivent de plus en plus comme un groupe de pays qui avance, souvent en leur imposant son rythme et l’allure de cette aventure européenne. Parmi les réactions sur l’Europe de la défense – pas seulement aujourd’hui, mais généralement à chaque Conseil européen – des clivages importants sont en train de se creuser. C’est cela sur quoi il faut réfléchir et travailler, si nous voulons entraîner nos partenaires dans le bon sens. Parce que, et c’est toute la contradiction de l’Europe, si l’on veut relancer l’Europe de la défense, et arriver à quelque chose de sérieux, on ne le fera sans doute pas tous ensemble. Il faudra le faire de manière flexible, avec un groupe de pays qui prendra le pilotage de l’opération. Nous l’avons déjà fait dans le passé sur les opérations. Mais lorsqu’il s’agira d’établir une base industrielle pour nos industries de l’armement, pour notre recherche et notre innovation, cela va être de plus en plus clair que l’on n’avancera qu’en étant des petits groupes flexibles, parfois ouverts à d’autres, parfois pas. L’Europe va devenir par conséquent plus complexe à mettre en place, parce que ce ne sera pas cette fois-ci un traité qui la mettra en place. Je pense, pour ma part, que les grands traités du type Maastricht, ou Lisbonne, c’est sans doute fini. On mettra en tous cas très longtemps avant de recommencer un exercice de ce genre. C’est donc de manière beaucoup plus pragmatique que l’on va essayer d’avancer. Ce sera sans

Dernière réflexion, vous avez parlé de la Libye. Je suis très frappé d’une chose, alors que l’on essaye de commencer de réfléchir à ce que l’on appelle "le jour d’après", le jour où le colonel Kadhafi renoncera au pouvoir. Au sein notamment du Service européen pour l’action extérieure, des efforts sont menés pour une planification qui se veut aussi prudente que possible, mais qui essaye quand même d’être un peu ambitieuse. Ce qui me frappe à ce propos, c’est que le manque d’appétit ne vient pas seulement de nos partenaires européens, mais, à ma grande surprise, il vient aussi des Nations unies. À l’heure actuelle, quand on parle avec les équipes d’Alain Le Roy ou les équipes de Ian Martin, on a en face de nous des gens qui nous disent qu’il n’y a aucun appétit actuellement aux Nations unies pour réfléchir à la mise en place, si cela était nécessaire, d’une force de maintien de la paix, actuellement en Libye. Alors, ce n’est pas la peine de commencer à y réfléchir, c’est pratiquement un non starter. Lorsque nous disons que peut-être il sera nécessaire d’établir un cessez-le-feu et de mettre en place une mission d’observateurs, il nous est répondu qu’aucun observateur ne voudra aller dans ce pays extrêmement dangereux, s’il n’est pas largement protégé. Lorsque nous suggérons de créer peut-être – si nécessaire – des corridors humanitaires, les Nations unies ou ailleurs, nous contredisent et estiment que nous n’avons rien à faire en Libye et qu’une opération y semble impossible à mener. À quelques exceptions – que l’on préfère bien souvent oublier – comme l’Union africaine qui depuis quelques semaines fait des offres de service pratiquement tous les jours pour intervenir sans rencontrer aucun écho favorable, dans l’en51 &


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semble la communauté internationale à l’heure actuelle sur la Libye est frappée d’une très grande prudence pour ne pas dire plus, à l’égard de toute opération qui pourrait être menée làbas. Pourquoi ? Pour des tas de raisons. Parce que les opérations en cours suscitent peut-être ici ou là quelques préoccupations. Peut-être aussi parce que la réalité politique de ce pays est encore mal connue et qu’en dépit des efforts tout

à fait louables menés par le Conseil de transition de Benghazi, chacun s’interroge actuellement sur la capacité de ces représentants de Benghazi d’assurer l’autorité et la légitimité qui est nécessaire pour diriger ce pays. Bref, nous sommes à propos de la Libye dans un contexte actuellement très difficile à cerner et à rendre aussi constructif que possible.

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Synthèses Interventions

Philippe Camus

Président du conseil d’administration d’Alcatel-Lucent Aujourd’hui, la part de l’industrie dans le PIB européen a diminué, selon les chiffres de l’Insee : l’industrie représentait encore 22 % du PIB en Europe en 2000 contre 18,5 % en 2010, tandis qu’aux ÉtatsUnis cette part est restée stable autour de 20 % au cours de la même période. En France la diminution a été sensible passant de 17,8 % en 2000 à 12,5 % en 2010, soit une diminution de près de 25%. Pour enrayer ce déclin relatif, les réponses nationales sont insuffisantes face à de grands compétiteurs comme les États-Unis ou la Chine. Afin que l’ambition industrielle de l’Europe puisse se réaliser, un certain nombre de principes doivent être suivis : ✓ D’abord choisir des secteurs industriels pertinents grâce à une collaboration entre les utilisateurs, le monde politique et les entreprises ; ✓ Ensuite, agir de façon proactive et intégrée à l’échelle européenne, avec des institutions européennes clarifiées et en cessant d’opposer politique de concurrence et politique industrielle ; ✓ Enfin lutter contre le protectionnisme interne. Dans l’industrie de défense, après une impulsion politique forte née en 1997 avec l’accord entre les six gouvernements en matière de défense en Europe, un départ favorable a été donné. Cela a permis de lancer l’Agence européenne de défense (AED) et l’Organisation conjointe de coopération en matière de défense (Occar), sur le plan industriel de créer EADS et MBDA… Tout a culminé vers 2003, puis des difficultés sont apparues pour livrer des résultats et pour aller plus loin dans l’intégration. Au cours de ces années, deux modèles ont été utilisés : le modèle intégré, d’une part, consistant à créer une entreprise indépendamment des frontières nationales et dont on optimise le fonctionnement dans un périmètre donné, par exemple l’Europe ; et le modèle multidomestique d’autre part, qui tend à être plus national. Les vrais succès industriels sont fondés sur le modèle intégré. Pour aller plus loin, il est nécessaire de lancer des programmes afin de faciliter l’intégration. Cela suppose à la fois de la volonté politique et des moyens. Il faut aussi en amont coordonner la recherche et le développement (R&D) et encore plus en amont au niveau de la recherche et technologie (R&T). Selon les chiffres de l’AED, la part des équipements achetés en collaboration européenne était de 20,9 % en 2006 et de 22 % en 2009, sachant que le benchmark est à 35 %. L’effort global de R&T en matière de défense européenne était de 9,6 % en 2006, et de 12,8 % en 2009. Le progrès apparait plus sensible, mais l’effort global de R&T en défense en Europe a baissé pendant cette période. Le benchmark est à 20%. La collaboration européenne est la seule voie possible pour l’industrie de défense en Europe, compte tenu du contexte géopolitique et budgétaire. Elle nécessite beaucoup de volonté à la fois de la part des entreprises et du monde politique. Elle nécessite des institutions européennes qui existent avec l’AED et l’Occar. Il suffit de les faire marcher réellement.

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Philippe Camus

Président du Conseil d’administration d’Alcatel-Lucent

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e suis très honoré de pouvoir parler devant cette assemblée si experte. Je vais vous parler du regard d’un industriel sur nos relations avec nos partenaires, nos alliés, qui sont d’ailleurs parfois nos concurrents, en tout cas dans le domaine industriel. La relation à établir est un peu compliquée. Elle a évolué dans le temps avec parfois des crises et parfois des périodes de coopération. Avant de parler de l’industrie de défense proprement dite, je voudrais recadrer la question dans l’environnement de l’industrie en général. Parce qu’aujourd’hui nous sommes dans un monde global et dual. Aussi, isoler les problèmes industriels de défense, de l’aéronautique, sans parler de l’ensemble des questions industrielles me semble un peu artificiel. Vous savez que les pays européens, et la France en particulier, se posent beaucoup de questions sur le rôle de l’industrie et de l’évolution de l’industrie en général. Une diminution très sensible en France de la part de l’industrie dans le PIB La part de l’industrie dans le PIB européen a diminué. Cela dépend de la définition que l’on prend, mais selon les statistiques de l’Insee, l’industrie représentait encore environ 22% du PIB en Europe en 2000, tandis qu’en 2010 on l’estime à 18,5 %, donc une diminution assez sensible. Ce qui est intéressant de voir, c’est que d’abord les États-Unis sont à peu près stables, autour de 20 % sur la même période, tandis que l’Allemagne est bien au dessus avec 25 % du

PIB en 2000 et à 23,5 % en 2010. C’est-à-dire une diminution très faible comparée à l’évolution globale européenne. En ce qui concerne la France, il y a eu une diminution très sensible. La part de l’industrie dans le PIB de la France, selon la définition de l’Insee, était de 17,8 % en 2000, et de 12,5 % en 2010, soit une diminution de près de 25 %. Donc, sauf exception, une industrie qui globalement en ce qui concerne la France et l’Europe est en repli en termes relatifs. Ce n’est pas inéluctable, comme le montre le cas de l’Allemagne. Il y a certainement quelque chose à faire pour enrayer ce déclin relatif. Évidemment, il y a des réactions à éviter, notamment pour l’industrie de défense : des réactions qui consistent à se replier État sur État, Nation sur Nation. Si l’on veut aborder et traiter le problème de l’industrie dans son ensemble, les réponses nationales sont évidemment insuffisantes, surtout que l’on a en face de nous de grands compétiteurs que sont les États-Unis ou la Chine. Donc, pour que l’ambition industrielle de l’Europe puisse se réaliser – et l’industrie européenne de défense en fera partie – un certain nombre de principes doivent être suivis. D’abord, il faut choisir des secteurs industriels pertinents. Cela suppose de faire un gros effort de réflexion et de choix économico-politiques, qui impliquent une collaboration complète entre les utilisateurs, le monde politique et les entreprises. Deuxièmement, agir de façon proactive et intégrée à l’échelle européenne. Cela suppose 56 &


des institutions européennes clarifiées sur ce point. Notamment, que l’on cesse d’opposer une politique de concurrence et une politique industrielle. Ce qui est intéressant, c’est lorsque l’on regarde les chartes européennes et comment fonctionne l’Europe. Elle s’est fondée sur une ouverture des marchés et elle a toujours dans ses gènes fondamentalement l’ouverture des marchés. Parler de politique industrielle en Europe, c’est très compliqué, très difficile. Cela a été abordé pour la première fois par la France, il y a deux ans. Mais c’est encore loin d’être mis en œuvre, car la politique industrielle, c’est une notion qu’un certain nombre de pays européens ne comprend pas.

processus d’intégration industrielle a finalement abouti à l’Agence européenne de défense, à la mise en route de l’Occar(1), et sur le plan industriel, la création d’EADS, les développements du groupe Thales, les rapprochements au sein de l’Europe entre différents pays, différentes entreprises, la création de MBDA qui a rassemblé dans la même entreprise de missiles rien moins que les Anglais, les Allemands, les Français, les Italiens et les Espagnols ! Ce n’était pas simple à réaliser. Tout cela a culminé vers 2003 ou 2004. Depuis, on a beaucoup de difficultés à réellement délivrer des résultats, ou à aller plus loin dans l’intégration en matière d’industrie de défense en Europe.

Ensuite, lutter contre le protectionnisme interne qui existe toujours. Il faut accepter que l’argent public d’un pays A puisse éventuellement créer des emplois dans un pays C, sans que cela puisse poser de problèmes et aborder les difficultés éventuelles globalement, au niveau européen, sans que ce ne soit une comptabilité détournée. Comme vous le savez, il n’y a pas de préférence européenne, ou en tout cas elle est très faible. Il y a un certain nombre de gens qui commencent à y réfléchir sérieusement parce que le monde étant devenu plus complexe, l’idée d’avoir une préférence européenne, y compris dans le civil, est une idée qui commence à poindre. Voilà le contexte industriel.

Les vrais succès industriels sont fondés sur le modèle d’intégration

Dans l’industrie de défense – après un départ tout à fait favorable au tournant des années 2000, avec une impulsion politique forte qui était née en 1997 avec l’accord entre les six gouvernements en matière de défense en Europe, qui a donné lieu à un certain nombre d’actions, à des rapprochements industriels avec des modèles assez différents – nous avons pu constater, à partir de 2003-2004, que l’élan s’est brisé. Le

Deux modèles ont été utilisés. Le modèle intégré, d’une part, a consisté à créer une entreprise qui s’intègre indépendamment des frontières nationales, dont on optimise le fonctionnement. Peu importe où sont localisées ses activités, ce qui compte c’est d’être le plus efficace possible dans un périmètre donné, par exemple un périmètre extranational, le périmètre européen. Le modèle multidomestique, d’autre part, qui essaie d’être le plus possible français en France, anglais en Angleterre… Les vrais succès industriels sont fondés sur les modèles intégrés. Parfois, l’intégration était difficile, douloureuse, pénible à mettre en place, pas forcément cohérente avec les objectifs politiques, car ces derniers sont en fait très nationaux. Mais c’est quand même avec ce modèle qu’il y a les plus grandes réussites. Le modèle multidomestique a d’autres vertus, mais pas forcément la même vertu d’efficacité industrielle. (1)

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o rganisation conjointe de coopération en matière d’armement.


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Que faut-il pour aller un cran plus loin ? Il faut des programmes pour pouvoir faciliter l’intégration, car les grands succès se sont construits autour de programmes. C’est un problème à la fois de volonté politique au niveau européen et en même temps de moyens. C’est donc une grande question aujourd’hui. Il faut aussi, en amont, coordonner la recherche et le développement (R&D), et au-delà la recherche et technologie (R&T), c’est-à-dire ce qui vient en amont de la R&D. Si nous ne commençons pas sur les grands programmes de défense à coordonner les efforts de programmes de R&T, nous aboutissons à des divergences et à des gaspillages qui rendent ensuite le rapprochement au niveau des programmes très difficile. Pour préparer cet exposé, j’ai été aux meilleures sources, celles de l’Agence européenne de défense. Quand on regarde la convergence en matière de collaboration européenne : ✓ En matière d’achat d’équipement, la part des équipements achetés en collaboration européenne en 2006 était de 20,9 %. En 2009, nous sommes à 22 %. On ne peut pas dire que l’on a fait un très grand bond en avant, sachant que nous avons un benchmark de 35 %. ✓ En matière de R&T, en 2006 nous étions à 9,6% de l’effort global de R&T en matière

de défense en Europe, sous forme de collaboration intra-européenne. En 2009, nous en sommes à 12,8 %. Là il y a eu un progrès plus sensible, sauf que nous sommes passés de 9,6 % à 12,8 % parce que l’effort global de R&T en défense en Europe a baissé. Certes, la coopération a permis de préserver les programmes collaboratifs, mais elle n’a pas permis de les augmenter. Le benchmark est à 20 %. Quand on regarde ces chiffres, nous pouvons nous dire que nous sommes encore loin du compte, malheureusement. Je suis intimement persuadé que la collaboration européenne est la seule voie possible pour l’industrie de défense en Europe, compte tenu du contexte géopolitique et budgétaire. Ça marche. C’est compliqué à faire. Cela nécessite beaucoup de volonté à la fois dans les entreprises et dans le monde politique. Cela nécessite des institutions européennes. Nous les avons avec l’AED, l’Occar. Il suffit maintenant de les faire marcher réellement, pour aboutir aux objectifs que l’on espérait lorsque l’on a créé ces deux organismes, il y a quelques années.

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Claude-France Arnould

Directrice exécutive de l’Agence européenne de défense Comment faire en sorte que l’Union européenne soit le lieu où les Européens démontrent leur pertinence en matière de défense, en particulier de capacité de défense ? Nous avons toujours soupçonné les Américains de vouloir conserver le leadership et se servir des Européens comme auxiliaires ou supplétifs. Toutefois, il y a des cas où ils considèrent que le leadership appartient aux Européens. C’était la leçon des Balkans et aujourd’hui c’est celle de la Libye. Les États-Unis rencontrent eux aussi des restrictions budgétaires et une lassitude, notamment de l’opinion publique, à toujours exercer le rôle de gendarme. Américains et Européens risquent de converger vers moins de volonté ou de capacités à se défendre ensemble, face à un monde où, en revanche, des acteurs vont être en pleine expansion. Depuis la fin de la guerre froide, l’Europe n’est heureusement plus perçue comme un risque. Nous considérons que c’est un acquis. Toutefois, d’ici 25 ans, il conviendra d’être prudent, car l’explosion des Balkans n’était pas complètement prévue. Depuis 10 ans, les États-Unis ont évolué quant au lieu et au cadre où les Européens s’expriment. Avant, c’était l’Otan et uniquement l’Otan. Aujourd’hui, ils prennent les efforts des Européens là où ils sont : au sein de l’Otan ou de l’UE. L’UE qui doit être un des lieux où se développent les capacités, mais qui ne le sera qu’à condition que cela lui soit demandé. En Libye, il y a eu une demande très forte de soutien américain. Or, il n’existe pas de précédent que les États-Unis soient placés sous une chaîne de commandement non américain. L’Agence européenne de défense (AED) a été créée il y a 6 ans pour travailler sur les capacités. Elle est le lieu où s’opère très en amont la coopération en matière de recherche et technologie (R&T). Elle dispose d’un petit budget, mais c’est anecdotique, par rapport aux crédits donnés par les États membres sur des projets concrets, en particulier en matière de R&T. L’Agence travaille avec la Commission pour développer des synergies sur des programmes comme les technologies duales (notamment l’espace, la surveillance maritime ou la cyberprotection). Les ministres de la Défense décident à 26(1), mais aussi à 2 ou à 4, selon les projets. C’est à la mutualisation, à la mise en commun de ces programmes de coopération qu’il faut œuvrer en bâtissant notamment sur ce que les industriels peuvent proposer. Sur la notion d’alliés, d’ici 25 ans, il faudra préserver l’Alliance telle qu’elle est, la conforter, la renforcer, car il n’y a pas d’alternative réelle européenne dans le domaine de la défense. Mais des alliés s’unissent face à un ennemi qui actuellement n’est pas précisément défini. Aussi, nous devons nous préparer à n’importe quel type d’ennemi. Parmi nos grands partenaires mondiaux, nous avons plutôt des concurrents que des ennemis : Chine, Russie, Inde seront certainement demain des partenaires concurrents, a fortiori du fait de la relation industrielle, car les exportations sont à base de transferts de technologie. Des pays qui auront donc les mêmes technologies que nous, avec lesquels il faudra rechercher des partenariats. Pour cela, l’Europe devra être effectivement significative, et apparaître comme une réponse, notamment en termes de technologie et de capacités d’action, au regard des menaces auxquelles nous ferons face. (1)

Le Danemark n’est pas membre de l’AED.

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Synthèses Interventions

Claude-France Arnould

Directrice exécutive de l’Agence européenne de défense

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e suis très heureuse et très honorée d’être avec vous, particulièrement aujourd’hui. J’aime beaucoup la férocité avec laquelle Xavier Païtard s’est exprimé, parce que je crois que c’est la férocité de quelqu’un qui le fait par conviction et pour aller de l’avant. Nous travaillons suffisamment ensemble pour que j’en sois sûre à 100%. Elle est complètement légitime. Même chose pour le brillant bilan qu’a fait Arnaud Danjean. Quelques remarques à l’horizon 2036. Je comprends qu’aujourd’hui l’Alliance c’est l’Otan. Comment faire en sorte, que l’Union européenne soit le lieu où les Européens démontrent leur pertinence en matière de défense, en particulier – et c’est le rôle de l’Agence – de capacité de défense ? Le constat inquiet, légitimement inquiet et insatisfait qui a été dressé, auquel je pourrais me ranger à bien des égards, est valable à la fois pour l’Otan et pour l’Union européenne. J’ai eu l’occasion récemment de rencontrer des cercles américains, notamment l’ambassadeur américain à l’Union européenne. Le discours de Gates, comme l’a dit Jacques Audibert tout à l’heure, est un moment clé. Après la crainte du désengagement américain lors de la crise des Balkans, qu’a illustrée Arnaud Danjean, le discours de Gates peut être aujourd’hui le choc pour prendre conscience de plusieurs choses. C’est sans doute le discours le plus amical que l’on pouvait avoir. Ce n’est pas une critique négative, mais celle de quelqu’un qui a accompagné les travaux des Européens depuis longtemps et qui a

donc confiance. Je pense que l’un des éléments les plus forts de ce discours, c’est qu’il disait qu’il était une des dernières générations de ceux qui ont connu la guerre froide. Derrière cela, plusieurs éléments sont à prendre en compte. Des situations où les Américains considèrent que le leadership appartient aux Européens D’abord, nous avons toujours soupçonné les Américains de vouloir avoir le leadership et de se servir des Européens comme auxiliaires ou supplétifs. Là, je crois que c’est le signe que le leadership a sans doute ses charmes, mais qu’il y a des cas où il n’y a pas du tout une volonté d’exercer ce leadership. Des cas où les Américains considèrent clairement que le leadership appartient aux Européens parce que c’est leur responsabilité et que les Américains ne sont pas prêts à faire le travail à leur place. C’est la leçon des Balkans. C’est la leçon très forte aujourd’hui de la Libye, plus spécifiquement sur ses capacités. Deuxièmement, il est souvent fait état de divergences et du fossé entre les États-Unis et l’Union européenne. C’est inquiétant. Et ce qui n’est pas beaucoup plus rassurant, c’est qu’il y aussi du côté des États-Unis, une certaine difficulté, une lassitude et des limites à toujours exercer le rôle de gendarme. Nous nous disons toujours qu’il y a un fossé, que les États-Unis sont très loin, qu’ils ont toujours cette capacité et cette volonté d’aller défendre partout des valeurs que nous possédons en commun. Je crois qu’il y a dans le 62 &


discours de Gates, le signe très clair qu’eux aussi ont des restrictions budgétaires, une fatigue de l’opinion publique et qu’ils n’en ont pas l’intention encore une fois, ni même peut-être la possibilité, a fortiori au vu de l’évolution démographique des États-Unis et de l’Union européenne à l’horizon 2036, qui d’une certaine manière, converge. Donc, il faut autant prendre en compte ce risque de converger vers moins de volonté ou de capacités à se défendre ensemble, face à un monde où, en revanche, des acteurs vont être en pleine expansion. L’Europe n’est plus perçue comme un risque L’autre élément essentiel, peut-être le seul que vous n’ayez pas amplement discuté : la raison de tout cela est que l’Europe n’est pas perçue comme un risque. S’il y avait une implication des États-Unis, c’est aussi que l’Europe était le lieu de la guerre froide et donc le lieu du risque. Aujourd’hui, c’est un élément positif, l’Europe n’est pas perçue comme un risque, ni un risque d’affrontement entre l’Union soviétique et les Européens, ni un risque interne à l’Union européenne. Nous considérons que c’est un acquis. Toutefois, nous parlons à l’horizon 25 ans. Continuons de considérer que c’est un acquis, mais peut-être avec prudence. Après tout, l’explosion dans les Balkans n’était pas complètement prévue. Le fait que des pays qui se sont déchirés pendant des générations, voire des siècles soient en paix, n’est pas toujours un acquis, notamment si nous revenons à une renationalisation accrue. Pour revenir aux États-Unis, leur position est une grande évolution depuis dix ans. Elle est très largement agnostique quant au lieu, quant au cadre où les Européens s’expriment. Il y a dix ans, quand j’ai commencé à travailler sur ces questions de défense européenne, c’était l’Otan

et uniquement l’Otan. L’Union européenne était tolérée, mais à condition de démontrer trois fois par jour que cela n’allait en rien porter préjudice à la pertinence de l’Otan, où devait se faire l’essentiel de la relation en matière de défense. Maintenant, ce qui me frappe, et cela a été probablement facilité par la rentrée de la France dans la structure militaire intégrée de l’Otan, est que les États-Unis prennent les efforts des Européens là où ils sont. Au fond, de plus en plus, ils voient un intérêt à ce que ces efforts s’expriment à l’intérieur de l’Otan, mais aussi dans le cadre de l’Union européenne. Ce cadre peut être très commode pour des raisons stratégiques, du fait de la continuité de ses différents instruments d’abord de prévention des crises, puis d’action face aux crises et enfin de rétablissement de la prospérité et de l’État de droit après les crises. Les Américains ont un réel intérêt à prendre les Européens là où ils peuvent agir, où ils peuvent coopérer, que ce soit à l’intérieur de l’Otan ou de l’Union européenne. Nous coopérons à l’intérieur de l’Otan, Patrick Auroy et Stéphane Abrial le font quotidiennement. Nous coopérons aussi directement au sein de l’Union européenne avec les États-Unis. Depuis mon arrivée à la tête de l’Agence, j’ai été frappée par le nombre de visites de différents interlocuteurs américains. Nous nous disons souvent que nous sommes insignifiants. Je dirige une agence de 120 personnes. Nous minorons souvent l’intérêt qui est dirigé vers nous. En Libye, il aurait été possible de concevoir un dispositif de type Suez positif Pour l’Union européenne, on s’attend que ce soit un des lieux où se développent les capacités. Il faut des raisons de développer des capacités. L’une des raisons est de se défendre. L’Union européenne doit mieux faire la démonstration 63 &


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Synthèses Interventions

qu’elle est prête à le faire et à agir en ce sens. Elle l’a fait dans le passé, elle le fera encore à l’avenir, mais à condition que cela lui soit demandé. Nous laissons les trains passer, quand les trains ne s’arrêtent pas. Quand il n’est même pas proposé qu’ils s’arrêtent. Il aurait été possible, par exemple, de concevoir un dispositif de type Suez positif, c’est-à-dire que les Français et les Britanniques règlent les problèmes directement entre Européens. Mais il y a eu une demande très forte d’un soutien des États-Unis. Il ne faut pas s’étonner que ce ne soit pas l’Union européenne quand il est demandé aux États-Unis d’être là. Et, c’est une chance qu’ils le soient. Mais, il n’y a pas de précédent, que les États-Unis soient placés sous une chaîne de commandement non américaine et donc européenne. Pour revenir à mon cœur de métier, l’Agence européenne de défense (AED) a été créée pour travailler sur les capacités. Elle ne sait peut-être pas très bien communiquer. Elle n’a que 6 ans d’existence. C’est le moment pour elle de montrer ce qu’elle apporte pour faire face à ce à quoi nous sommes confrontés. Premièrement, l’AED est le lieu où s’opère très en amont la coopération en matière de recherche et technologie. Vous avez évoqué des chiffres qui ne sont pas spectaculaires, mais qui sont quand même bons. Deuxièmement, j’espère que ces chiffres resteront bons, car l’Agence dispose d’un tout petit budget. Il a beaucoup été communiqué sur la petitesse de ce budget. Je pense que c’est anecdotique, par rapport aux crédits donnés par les États membres sur des projets concrets, en particulier en matière de recherche et technologie. Nous travaillons actuellement avec la Commission, pour faire en sorte que, dans le cadre des prochaines perspectives financières en cours de préparation, il y ait davantage de synergie

avec les programmes, sur l’important budget de l’UE, afin de pouvoir travailler sur tous les sujets, comme notamment les technologies duales. Dans le domaine de l’espace, par exemple, nous avons signé la semaine dernière au Bourget un accord entre l’AED et l’Agence spatiale européenne (ASE) avec Jean-Jacques Dordain, car l’ASE est une agence civile et l’AED peut identifier et porter les besoins militaires. Dans ce domaine, les drones sont une technologie d’avenir où existe à l’évidence une dualité d’utilisation. Ce sont également la surveillance maritime, la cyberprotection. Autant de thèmes pertinents pour l’avenir, sur lesquels existe véritablement une légitimité à travailler au niveau européen, car c’est là qu’il est possible de bâtir. De bâtir sur les synergies entre l’ensemble des politiques de l’Union européenne et ce que font les États membres au quotidien, au titre de la recherche et de la technologie. Un deuxième exemple de ces synergies a trait à la politique industrielle. Nous mettons en œuvre aujourd’hui, le paquet de défense, c’est-à-dire les textes communautaires qui vont régir un marché interne européen plus ouvert. Dans le même temps, et c’est le rôle de l’Agence de défense, en coopération avec la Commission, il est nécessaire de continuer de reconnaître les spécificités du secteur de la défense et en particulier l’article 346 qui permet de continuer à protéger la souveraineté opérationnelle des États et donc des missions spécifiques dans lesquelles nous devons opérer dans le domaine de la défense. Nous avons trouvé une manière de nous comprendre et de nous compléter avec la Commission. Ce sera au bénéfice des industriels et des états-majors qui bénéficieront de ces capacités. L’Agence européenne est le lieu où les ministres décident. Ce sont les ministres de la Défense 64 &


qui gèrent l’Agence de défense européenne. Ils le font à 26(1), là où cela a un sens. Tout ce qui est certification, tout ce qui est de nature légale ou juridique, se déroule à 26. Mais nous le faisons aussi à 2, à 3, ou à 4, selon les projets que nous voulons faire passer ensemble. L’AED est une illustration de ce que nous pouvons faire à 26 comme à 3. Car, il a des choses que l’on fait mieux à 26 et d’autres mieux à 3. L’AED doit être aussi l’instrument utilisé pour ce qui s’impose comme une nécessité. C’est à la mutualisation, à la mise en commun de ces programmes de coopération qu’il faut œuvrer en bâtissant, là encore, notamment sur ce que les industriels peuvent proposer. Nous avons plus des concurrents que des ennemis J’aurais enfin aimé dire un mot sur la notion d’alliés. Nous sommes sur un horizon de 25 ans. Il faut préserver l’Alliance telle qu’elle est, la conforter, la renforcer, car il n’y a pas d’alternative réelle européenne dans le domaine de la défense. Les alliés, c’est face à un ennemi. Je ne sais pas bien quel est l’ennemi. J’ai l’impression que nous ne le savons pas très bien. Donc, il faut se préparer à n’importe quel type d’ennemi. C’est l’intérêt de la technologie et de la puissance. Au sein de nos grands partenaires mondiaux, nous (1)

avons plutôt des concurrents que des ennemis. La Chine, la Russie, l’Inde, ce seront certainement demain des partenaires concurrents, a fortiori du fait de la relation industrielle, car tout ce qui est effectué dans le domaine de l’exportation est à base de transferts de technologie. Donc demain, nous aurons des pays qui auront les mêmes technologies que nous. Il faudra rechercher des partenariats avec tous ces pays. Pour cela, il faudra que l’Europe soit effectivement significative. Le temps est terminé où l’Europe était nécessairement significative parce qu’elle était la source de dangers. Demain, elle doit apparaître comme significative parce qu’elle est une réponse, notamment en termes de technologie et de capacités d’action sur ce qu’il est possible de faire en moyens civils et militaires, au regard des menaces auxquelles nous faisons face, qui, encore une fois, ne sont pas si simples à préciser. Alors qu’il y a quelques décennies nous avions un ennemi, désormais, nous avons affaire à des partenaires. Nous faisons face à des difficultés majeures de type démographique, changements climatiques, désastres en tous genres. Encore une fois, ce seront plus des partenaires qu’il nous faudra appréhender que des alliances militaires qu’il nous faudra ériger face à des ennemis définis.

Le Danemark n’est pas membre de l’AED.

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Francis Delon

Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale Les facteurs de recomposition du monde d’ici 25 ans sont d’ores et déjà en place. Au premier rang de ces facteurs se situent les enjeux économiques et de société. Avec d’abord le rééquilibrage de l’activité économique au profit des pays d’Asie, et notamment de la Chine. Certains de ces pays connaissent une croissance spectaculaire qui a permis à plusieurs centaines de millions d’êtres humains de sortir de l’extrême pauvreté. Mais cette croissance contient en elle-même des dangers : épuisement des ressources naturelles, destruction de l’environnement, changement climatique. À ces déséquilibres s’ajoute l’instabilité, parfois d’origine spéculative, des cours des matières premières, y compris alimentaires, avec l’éventualité de guerres de la faim. D’autres ressources font également l’objet de tensions croissantes, comme l’eau, les "terres rares", la gestion du spectre des fréquences radioélectriques. Face au risque d’un chacun-pour-soi généralisé pour l’appropriation des ressources les plus critiques, l’enjeu des décennies à venir sera d’organiser une concertation, voire une régulation susceptible d’apaiser les tensions. À ces enjeux économiques s’ajoutent des enjeux de société notamment les technologies de l’information qui ont pris une place considérable dans les pays du monde entier, déséquilibres démographiques pouvant également se conjuguer à des situations politiques conflictuelles, aggravant les tensions migratoires sud-sud et sud-nord. Les évolutions des équilibres stratégiques accompagnent ces changements. La montée en puissance de la Chine n’est pas seulement économique, mais également militaire. Les pays émergents dont l’Inde ou le Brésil dessinent une nouvelle donnée stratégique. Dans ce contexte, la prééminence occidentale qui a organisé le siècle passé va se réduire et la place de l’Europe pourrait singulièrement régresser. La tendance d’une réduction des budgets de défense de l’Union européenne alors que le reste du monde continue de s’armer est préoccupante. Un autre trait saillant de la mondialisation est la question du rôle de l’État, avec un amoindrissement du rôle des acteurs étatiques traditionnels au profit de forces transnationales et une contestation de la place trop forte de l’État dans les sociétés développées. Cependant, dans le même temps, la demande de plus d’État s’exprime lorsque le ciel se couvre comme avec la crise financière. Cette contradiction est certainement l’un des défis que nous devrons relever dans les années à venir. Enfin, si la lutte contre le terrorisme constitue toujours pour les démocraties occidentales un défi à relever en maintenant notre effort de renseignement, de prévention et de protection, nous pouvons nourrir l’espoir d’arriver à la fin prochaine d’un cycle. Au sujet de la cyberdéfense, les attaques contre les systèmes d’information de l’État et des entreprises se multiplient partout dans le monde. Elles portent atteinte à la souveraineté des États, au patrimoine des entreprises et aux données personnelles des citoyens. Elles visent, en particulier, les processus industriels et pourraient mettre en danger nos infrastructures vitales, la distribution d’énergie, les transports. Face à ces menaces, la France a adopté une stratégie de protection portée par l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, créée en 2009 en application de la nouvelle stratégie française de défense et de sécurité nationale. Il ne s’agit pas d’un phénomène ponctuel ou conjoncturel, mais de la face sombre de la montée en puissance de l’Internet. Comme l’attaque terroriste, l’attaque informatique est par essence asymétrique. Pour y faire face, nous devons nous protéger ce qui implique une sécurisation minimum d’Internet et nous organiser ce qui suppose l’accord des États sur un minimum de règles du jeu communes au niveau international

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Synthèses Interventions

Francis Delon

Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale

Mesdames et Messieurs les Parlementaires, Messieurs les Officiers généraux, Messieurs les Directeurs, Mesdames et Messieurs les Auditeurs, Mesdames, Messieurs, Permettez-moi tout d’abord, à mon tour, de souhaiter un très heureux anniversaire à l’IHEDN pour ses 75 ans et au Centre des hautes études militaires pour ses 100 ans. C’est le 29 juillet 1936 qu’est prise la décision de créer sous la responsabilité de l’Amiral Castex le Collège des hautes études de défense nationale dans un contexte international déjà très fébrile. Mais ce n’est qu’au lendemain de la Seconde Guerre que le nouvel Institut des hautes études de la défense nationale est créé pour favoriser la diffusion de la culture de défense au profit du plus grand nombre de responsables de la société française. L’Institut ouvrait sa première session le 29 novembre 1948 et depuis jusqu’à nos jours, les sessions se sont succédé. En 2009, s’inscrivant dans la logique du concept de sécurité nationale du Livre blanc de juillet 2008, l’IHEDN fusionne avec le Chear (Centre des hautes études de l’armement) et se rapproche de l’INHESJ. Cette réforme conforte l’identité de l’IHEDN et sa mission de développer l’esprit de défense et de sensibiliser aux questions internationales. C’est donc un grand honneur pour moi de prendre la parole après un panel d’intervenants d’une telle qualité, et de clôturer cette journée à l’occasion des anniversaires de ces instituts. Permettez-moi à cet égard de remercier très sin-

cèrement l’amiral Laborde, directeur de l’IHEDN et de l’Enseignement militaire supérieur, pour m’y avoir convié. Je tiens également à féliciter l’ensemble des organisateurs de ce colloque sur le thème "la France et ses alliés face aux défis de long terme : regards croisés" dans la perspective des 25 prochaines années, l’IHEDN fêtera alors ses 100 ans ! Je salue également la participation de plusieurs instituts étrangers homologues de l’IHEDN. Définir un cap pour l’avenir est un exercice d’autant plus exigeant que ce cap est lointain C’est tout l’intérêt des discussions que nous avons eues cet après-midi. Les personnalités qui se sont succédé avant moi à cette tribune ont, par la combinaison de leurs visions respectives, parfaitement mis en lumière les principaux enjeux des 25 années à venir. Pour me prêter à cet exercice tourné vers l’avenir, je débuterai aussi par un court regard vers le passé. Il me semble en effet important de revenir en quelques mots sur l’adoption en 2008 du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, qui définit une stratégie nationale jusqu’en 2020. En préface de ce Livre blanc, le président de la République relevait que se mettait en place un monde plus mobile, plus incertain et imprévisible, exposé à des vulnérabilités nouvelles. Face à ce constat, il importait de prendre en compte 68 &


de façon globale nos intérêts de sécurité et de définir une stratégie de sécurité nationale qui repose sur la combinaison des fonctions de connaissance, d’anticipation, de prévention, de dissuasion, de protection et d’intervention. Parmi les principaux défis identifiés par le Livre blanc, se trouvaient notamment ceux relatifs à "l’arc de crise" s’étendant de l’Atlantique à l’Océan Indien. Je ne puis que saluer le choix d’en avoir fait une thématique centrale de la 63e session nationale "Politique de défense" et de la 47e session nationale "Armement et économie de défense" de l’IHEDN qui s’achèvent aujourd’hui. Les travaux que vous avez menés dans ce cadre, Mesdames et Messieurs les Auditeurs, ainsi que les récents développements internationaux, confirment toute la pertinence de ce choix. Pour autant, force est de constater que l’anticipation stratégique a ses limites comme le montre la surprise créée par l’ampleur de la crise financière de 2008, celle provoquée par le "Printemps arabe", et, en son temps, la chute du Mur de Berlin. Pourtant des signaux dits "faibles" existent toujours. Mais le recul nécessaire à l’analyse est souvent déprécié du fait de son décalage avec la demande de réactions à chaud qu’imposent la gestion de crise ou le tempo médiatique. La prise de décision politique et économique n’en devient que plus complexe, d’autant que les situations de rupture stratégique sont bien souvent ambivalentes et présentent autant de risques à maîtriser que d’opportunités à saisir. La pertinence de l’exercice d’anticipation n’en est que plus grande. L’objectif n’est pas de prédire l’avenir, mais, face aux incertitudes et aux défis de long terme, qui sont au cœur de ce col-

loque, de se doter des outils permettant d’affronter les yeux et l’esprit ouverts, les événements de tous ordres qui peuvent affecter notre sécurité. Si l’avenir est imprévisible, les facteurs de recomposition du monde d’ici 25 ans sont d’ores et déjà en place Au premier rang de ces facteurs se situent les enjeux économiques et de société Nous assistons d’ores et déjà à un rééquilibrage de l’activité économique au profit des pays d’Asie, et notamment de la Chine, qui pour certains continuent de connaître une croissance spectaculaire. De manière générale, la croissance économique soutenue de certains pays en développement, en Asie, en Amérique latine, mais également dans certaines régions d’Afrique, est indissociable des dynamiques de la mondialisation. Plusieurs centaines de millions d’êtres humains sont ainsi sortis au cours des dernières années de l’extrême pauvreté, ce qui constitue, c’est une évidence, un évènement particulièrement positif. Le développement économique est, rappelonsle, un facteur essentiel de stabilité des sociétés et des États. Mais cette croissance contient en elle-même des dangers qui jusqu’à présent n’ont pas reçu de réponses appropriées : épuisement des ressources naturelles, destruction de l’environnement, changement climatique. La catastrophe de Fukushima nous rappelle combien la question de l’énergie restera au cœur des défis de long terme auxquels nous devrons faire face. La décision de l’Allemagne de sortir du nucléaire a relancé le débat, essentiel, sur la dépendance énergétique. Il s’agit d’une question éminemment stratégique compte tenu des aléas, 69 &


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Synthèses Interventions

en particulier économiques, mais également climatiques, qui la caractérisent. Sur ce dernier point, des crises migratoires majeures seront également susceptibles de survenir sous l’effet de phénomènes naturels ou de dérèglements liés à l’activité humaine. Là encore, le besoin d’une démarche d’anticipation se fait sentir. Ceci illustre le caractère central, pas seulement pour les opinions publiques, de la question de la préservation de l’environnement et de celle de la prévention des risques technologiques. C’est un enjeu stratégique pour assurer la sécurité et la stabilité de l’économie et de la société de façon pérenne. Les initiatives que la France a prises en termes de sureté nucléaire sont une réponse indispensable pour faire face sur le long terme à ces enjeux. De fait, le développement économique spectaculaire des pays émergents qui sont aussi de véritables géants démographiques génère une augmentation sans précédent de la demande mondiale pour certaines ressources limitées, voire rares, ou non renouvelables. Aux déséquilibres entre l’offre et la demande mondiale sur certains marchés, s’ajoute l’instabilité, parfois d’origine spéculative, des cours des matières premières, y compris alimentaires. Celle-ci peut également être source de perturbations majeures, comme on l’a notamment vu dans les pays du Sahel lors des émeutes de la faim. Dans son allocution à la conférence de Bruxelles sur les matières premières le 14 juin dernier, le président de la République a évoqué, à propos de cette instabilité des cours des denrées alimentaires, l’éventualité de guerres de la faim. L’accès aux terres agricoles devient un enjeu majeur alors qu’aujourd’hui certaines puissances émergentes développent de véritables stratégies

pour acquérir, dans des pays parfois fragiles, les terres les plus fertiles. D’autres ressources, pour lesquelles les mécanismes de régulation de marché ne peuvent s’appliquer, ou alors de manière très imparfaite, font également l’objet de tensions croissantes. Je citerai en premier lieu l’accès à l’eau dans certaines régions, comme au Darfour ou au Proche-Orient, mais également les "terres rares", pour lesquelles la Chine se trouve aujourd’hui et pour encore quelque temps en situation quasi-monopolistique. J’ajouterai encore la question de la gestion du spectre des fréquences radioélectriques, qui présente des enjeux majeurs tant en termes économiques que de sécurité nationale. Face au risque d’un chacun-pour-soi généralisé pour l’appropriation des ressources les plus critiques, l’enjeu des décennies à venir sera d’organiser une concertation, voire une régulation susceptible d’apaiser les tensions. À cet égard, la notion de "biens publics mondiaux" tend à se développer, mais elle n’a pour l’heure pas connu de traduction concrète susceptible d’être mise en œuvre au niveau mondial. À ces enjeux économiques s’ajoutent des enjeux de société. Tout d’abord, les technologies de l’information ont pris une place considérable dans les pays du monde entier. Nous n’avons pas fini de mesurer les conséquences de l’avènement de cette société de l’information. Nos vies personnelles, les entreprises, les infrastructures essentielles de la Nation et les processus au cœur même de l’État reposent de plus en plus sur des systèmes interconnectés. Les réseaux sociaux deviennent des lieux d’échange où s’exposent, parfois à l’insu des intéressés, les vies privées. Ils peuvent être aussi tout à la fois stratégiques, 70 &


politiques et facteurs de déstabilisation. Tout le monde a en mémoire le rôle primordial qu’a joué le réseau social, Facebook, dans la mobilisation des peuples lors du printemps arabe. En France, la mise en ligne par des fraudeurs, sur Facebook, de certains sujets d’épreuve de 2011 du baccalauréat a déstabilisé cet examen et devra conduire l’État à revoir ses modalités d’organisation. Au fur et à mesure du processus de globalisation, les facteurs de déstructuration politique et sociale, voire de déstabilisation, tendent à se renforcer. Un phénomène cumulatif néfaste se crée ainsi lorsque la fuite des cerveaux et des capitaux obère les efforts de développement de pays pauvres. Les déséquilibres démographiques peuvent également se conjuguer à des situations politiques conflictuelles, aggravant les tensions migratoires sud-sud et sud-nord. L’émergence de générations nombreuses et éduquées, ayant accès aux technologies de l’information, dans des pays qui ne leur offrent que peu de perspectives économiques ou démocratiques est le substrat de profonds changements, comme le démontre l’exemple de la révolution tunisienne. Enfin, autre évolution majeure, nous assistons à une urbanisation sans précédent de la population mondiale, ce qui constitue une tendance lourde dans des sociétés qui étaient jusque-là majoritairement rurales. Les évolutions des équilibres stratégiques accompagnent ces changements La montée en puissance de la Chine ne se constate pas seulement sur le plan économique. C’est aussi par l’affirmation de sa puissance militaire. Même si les objectifs de

ce développement peuvent n’être qu’un rééquilibrage sans volonté expansionniste, comme elle le soutient, la Chine constitue une menace potentielle à la fois à l’égard de ses voisins comme le montrent les positions qu’elle adopte en mer de Chine du Sud, mais également sur le plan global, en développant, par exemple, ses moyens spatiaux. Les pays émergents, et parmi eux les nouvelles puissances telles que l’Inde ou le Brésil, présentent des situations très contrastées. Leur aspiration commune de s’affirmer sur la scène mondiale, notamment en comblant par des transferts de technologies leur retard scientifique et technique comme fondement de leurs progrès économiques devient, cependant, une nouvelle donnée stratégique. Dans ce contexte, la prééminence occidentale qui a organisé le siècle passé va se réduire ! La place de l’Europe pourrait singulièrement régresser. La tendance que nous constatons depuis plusieurs années d’une réduction des budgets de défense de l’Union européenne alors que le reste du monde continue de s’armer est, à cet égard, source de préoccupations. Il est dangereux pour un continent qui produit environ 30 % du revenu mondial de baisser la garde de sa défense. De même, face à l’acquisition rapide de la maîtrise technologique par de nouveaux acteurs, nous devons redoubler d’efforts pour conserver l’avantage de l’innovation. Il faut pour cela des politiques ambitieuses d’investissement dans l’éducation et la recherche, mais il faut aussi protéger notre patrimoine scientifique et technologique national face à l’entrisme de certains acteurs qui mettraient en œuvre des stratégies déloyales ou de prédation. 71 &


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Synthèses Interventions

La reconfiguration des équilibres stratégiques devra être reflétée en termes de gouvernance mondiale. À défaut, les points de friction se multiplieront sans trouver de réponse concertée. La France joue dès à présent tout son rôle en tant que force de proposition capable d’influer sur les choix du futur, qu’il s’agisse de la mise en place du G20 ou encore de la réforme du Conseil de sécurité des Nations unies pour laquelle nous soutenons les aspirations des grands pays émergents à exercer de nouvelles responsabilités dans la gestion des affaires mondiales.

Cette contradiction est certainement l’un des défis que nous devrons relever dans les années à venir. La crise financière de 2008 a bien mis en avant la nécessité d’un retour à un certain interventionnisme de l’État. Dans le même temps, les pays occidentaux sont soumis à de fortes contraintes budgétaires et au poids des déficits et de l’endettement. La recherche du bon équilibre est au cœur des enjeux de demain. Outre l’action résolue des organisations internationales, dont en premier lieu celle de l’Union européenne, les plans massifs de sauvetage du système financier mondial ont en effet conduit à un phénomène de transfert de la dette privée sur les États, aggravant une situation budgétaire par ailleurs mise à mal par le ralentissement économique général. Cette situation de fort endettement des États souverains conduit à l’affaiblissement de la puissance publique. La grave crise que traverse la Grèce, les difficultés rencontrées par d’autres États européens, ainsi que par les États-Unis, nous rappellent que cette situation est source de vulnérabilité pour la stabilité de nos pays, et source de tensions sociales.

Sur le plan régional, les pays de l’Asean s’interrogent sur ce que devrait ou pourrait être une véritable architecture de sécurité régionale. D’autres organisations pourraient évoluer, à l’instar de l’Union africaine, dont on peut constater la volonté d’être un acteur de premier plan, malgré sa difficulté à se faire entendre dans le cadre de la crise libyenne, ou encore de la Ligue arabe, du fait des conséquences du "Printemps arabe". Alors que l’Union européenne est bien souvent sous le feu de critiques acerbes, gardons à l’esprit que cette construction sans précédent dans l’histoire reste, pour bien des pays et bien des régions du monde, une source d’inspiration, voire un modèle. Enfin, l’un des traits saillants de la mondialisation a été de poser la question du rôle de l’État. On constate un amoindrissement du rôle des acteurs étatiques traditionnels au profit de forces transnationales, une contestation de la place trop forte de l’État dans les sociétés développées (le phénomène est assez général, mais il atteint la caricature avec le mouvement des Tea Party aux États-Unis). Cependant, dans le même temps, on observe la récurrence de demandes de plus d’État lorsque le ciel se couvre.

L’affaiblissement de l’État peut conduire à la prise de contrôle de territoires par des organisations criminelles transnationales. Le crime organisé, sous toutes ses formes y compris la cybercriminalité, est l’ennemi de nos sociétés, car il se montre capable d’agréger trafics d’êtres humains, de drogue, d’armes et de produits de contrefaçon. À l’extrême, le cas des États faillis, véritables "trous noirs" de la gouvernance, décrit le risque d’une "somalisation" insidieuse de larges parties du monde. La résurgence de la piraterie maritime dans l’océan Indien, et les enlèvements d’Occiden-

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taux dans les vastes régions du Sahel montrent que l’accroissement de cette insécurité, sans s’appliquer nécessairement à nos territoires, nous touche déjà directement. La lutte contre le terrorisme constitue pour les démocraties occidentales un défi à relever de chaque instant, notamment depuis les attentats du 11 septembre 2001 qui ont franchi un seuil historique et ont changé d’échelle. Le Livre blanc sur le terrorisme de 2006 évoquait une menace générationnelle. L’idéologie jihadiste s’est construite en réaction à la globalisation, vue comme la marque de l’Occident et l’expression de sa volonté de dominer le monde. À cette globalisation "occidentale", elle oppose le jihad global fondé sur le choc des civilisations. Les États-Unis, les grands pays occidentaux et au premier chef le nôtre, font partie des cibles. Et nous avons payé notre tribut à la folie meurtrière d’Al Qaïda et de ses semblables. La disparition de Ben Laden va-t-elle changer la donne ? C’est un évènement considérable, au moins sur le plan symbolique. La traque de Ben Laden, commencée avant le 11 septembre 2001, marquée ensuite par l’intervention en Afghanistan qui en fixait pour but l’élimination d’Al Qaïda s’est achevée le 2 mai 2011 dans une ville de garnison pakistanaise. C’est un coup porté au Jihad global qui perd son icône. C’est peut-être le début du déclin de cette idéologie qui n’a jamais trouvé de base sociale dans le monde musulman. Ce qui ne veut pas dire que nous devons baisser la garde : les attentats vont se poursuivre. Il faut maintenir notre effort de renseignement, de prévention et de protection. Nous pouvons cependant nourrir l’espoir d’arriver à la fin prochaine d’un cycle. Mesdames et Messieurs, tout au long de cet après-midi enrichissant et instructif pour nous

tous, les enjeux d’alliance et les problématiques stratégiques ont longuement et brillamment été développés devant vous. Ces débats sont fondamentaux. L’évolution de l’Union européenne, les problématiques de l’Europe de la défense, la place de l’Otan dans notre sécurité collective sont au cœur des préoccupations de ceux qui s’efforcent de penser l’avenir. Tout comme l’est la question de l’avenir de la dissuasion nucléaire dans un paysage stratégique qui se transforme avec l’apparition de nouveaux États proches du seuil nucléaire ou aspirant à celui-ci et la montée de la menace balistique. Une menace qui, elle-même, conduit à l’élaboration de politiques, de stratégies et de systèmes de défense antimissiles, aujourd’hui en discussion au sein de l’Alliance Atlantique notamment. Tous ces thèmes pourraient nourrir des journées de débat et l’IHEDN va y veiller. Beaucoup ont déjà été traités aujourd’hui. Je vais plutôt m’arrêter quelques instants sur un autre thème, celui de la cyberdéfense Les attaques contre les systèmes d’information de l’État et des entreprises se multiplient partout dans le monde. Elles portent atteinte à la souveraineté des États, au patrimoine des entreprises et aux données personnelles des citoyens. Une des menaces est bien sûr l’espionnage. Rien qu’en France, plusieurs attaques informatiques de grande ampleur à des fins d’espionnage ont été dénombrées ces derniers mois, aussi bien dans de grandes entreprises qu’au sein de l’État, notamment dans les ministères économiques et financiers. Chaque fois les attaquants sont restés dans la place un certain temps, pillant les dossiers en toute impunité. 73 &


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Synthèses Interventions

Mais de nouvelles menaces apparaissent, profitant de la tendance de nos sociétés modernes à interconnecter tous les systèmes d’information avec l’Internet. Ces menaces visent, en particulier, les processus industriels. Elles pourraient mettre en danger nos infrastructures vitales, la distribution d’énergie, les transports, etc., et donc avoir des conséquences directes sur la vie quotidienne des populations. Nous en avons eu la démonstration l’année dernière avec la subtile attaque informatique qui a visé le complexe nucléaire iranien. On n’a pas encore observé d’utilisation d’armes informatiques à des fins terroristes, mais il serait surprenant que dans les années à venir des mouvements extrémistes n’y aient pas recours. On a vu ces derniers mois des pirates informatiques s’en prendre à de grandes institutions publiques ou privées pour y voler des informations potentiellement gênantes et les rendre publiques. Les conséquences sur l’image de l’organisme visé et de ses dirigeants peuvent être catastrophiques. L’affaire Wikileaks est emblématique de ce nouveau style d’agression, bien qu’elle ne soit pas elle-même le fruit d’une attaque informatique. Face à ces menaces, il n’y a pas malheureusement de solution miracle. Il faut mettre en place un système de défense efficace, une défense en profondeur afin de renforcer la résistance aux attaques informatiques et la capacité à s’en relever. Pour ce qui concerne la France, une stratégie de protection contre les attaques informatiques a été élaborée par le gouvernement et portée par l’Anssi, créée en 2009 en application de la nouvelle stratégie française de défense et de sécurité nationale.

Nous ne sommes pas confrontés à un phénomène ponctuel ou conjoncturel Ce que nous observons, c’est la face sombre de la montée en puissance de l’Internet. En favorisant la mondialisation dont il est un des vecteurs, voire l’icône, Internet a aussi fragilisé nos sociétés en rendant vulnérable l’ensemble des secteurs institutionnels, économiques et sociaux. Un attaquant, bien organisé, peut, à lui seul, causer des dommages considérables. Comme l’attaque terroriste, l’attaque informatique est par essence asymétrique. L’avantage est toujours à l’attaquant. Et si l’attaque est un État, l’effet de levier est multiplié. On peut imaginer aujourd’hui des conflits de grande ampleur déclenchés de cette manière ou dans le cours desquels l’attaque informatique sera utilisée comme arme létale. Plusieurs défis se présentent à nous D’abord, le défi de la protection auquel nous ne pouvons pas échapper dans le monde réel, qui implique la nécessité d’une sécurisation minimum d’Internet. Ensuite, un défi d’organisation qui suppose l’accord des États sur un minimum de règles du jeu communes. Car concevoir la cyberdéfense au seul niveau national ne peut suffire. On ne peut pas faire de défense efficace sans une intense collaboration internationale. Nous développons, et nous poursuivrons en ce sens, les coopérations appropriées avec nos principaux partenaires et nous échangeons avec eux des informations techniques en cas d’attaque. L’avenir doit nous faire prendre conscience que la sécurité des systèmes d’information n’est pas qu’une affaire de spécialistes, elle doit être partie intégrante de la stratégie de chaque organisme national ou international. 74 &


Mesdames et Messieurs, La démarche prospective est plus que jamais un impératif. Elle ne saurait être le monopole exclusif de l’État. Elle a besoin d’esprits libres, parfois iconoclastes. C’est d’une certaine manière l’esprit de la démarche délibérément ouverte qui a présidé à la rédaction du Livre blanc de 2008, pour

laquelle de nombreuses personnalités, d’horizons intellectuels et professionnels divers, ont été associées. C’est aussi un rôle de l’IHEDN, institut qui a vocation à être un lieu de débat et de réflexion sur les grands enjeux de défense et d’affaires internationales. Nos réflexions d’aujourd’hui soulignent combien l’institution remplit avec succès cette mission.

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Ils nous ont accompagnĂŠs

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Impression Ministère de la Défense Secrétariat général pour l'administration Pôle graphique de Tulle 2, rue Louis Druillole – BP290 – 19007 Tulle cedex


De gauche à droite et de haut en bas : Vice-amiral d'escadre Richard Laborde Jacques Audibert Général d’armée aérienne Stéphane Abrial Ingénieur général de l'armement Patrick Auroy Vice-amiral d’escadre Xavier Païtard Michel Foucher, animateur

De gauche à droite et de haut en bas : Arnaud Danjean Pierre Vimont Philippe Camus Claude-France Arnould Francis Delon José-Manuel Lamarque, animateur


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Synthèses

INSTITUT DES HAUTES ÉTUDES DE DÉFENSE NATIONALE INSTITUT DES HAUTES ÉTUDES DE DÉFENSE NATIONALE Service communication – contact : 01 44 42 54 15 Service communication - contact : 01 44 42 54 15 1 place Joffre – Paris VIIee 1 place Joffre – Paris VII www.ihedn.fr www.ihedn.fr

28 juin 2011 Interventions

ans

1936 - 2011


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