Les Ambulances de la Paix | Le Monde 11.02.2012

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Dimanche 12 - Lundi 13 février 2012

Les ambulances de la paix Lettre du Proche-Orient Laurent Zecchini

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ceptiques et cyniques s’abstenir: cette histoire israélo-palestinienne est faite de bons sentiments, de bonnes actions et de bonnes gens. Autant dire que, dans le contexte local, elle est presque iconoclaste. Des Juifs et des Palestiniens unis pour sauver des vies, qui travaillent côte à côte, se font confiance, s’entraident, dans un esprit de fraternité, parce qu’ils ont le même idéal ? Naïveté ! Propagande ! Pas sûr… Il était une fois un jeune Israélien du nom d’Eli Beer, né il y a trente-huit ans, à Jérusalem, de parents juifs américains. Son plus ancien souvenir se situe en 1977, sur le chemin de l’école : un accident de la circulation, des blessés et une ambulance israélienne qui tarde énormément. Le petit garçon réalise que des gens peuvent souffrir longtemps avant d’être secourus. A 16 ans, il se porte volontaire dans une

société d’ambulances. Une révélation : «N’y a-t-il personne dans le quartier pour porter les premiers secours ? Il fallait faire quelque chose, organiser une réponse locale, communautaire. » Né de la volonté d’une dizaine de copains juifs orthodoxes, ce projet, qui prendra en 2006 le nom d’Ihoud Hatzala (United Hatzalah en Israël, ce qui peut se traduire par « unis pour sauver »), compte aujourd’hui 1 700 volontaires, dont 100 sont de naissance palestinienne. Dans les rues de Jérusalem, Tel-Aviv, Haïfa, Tibériade, Sderot ou Kiryat Shmona, il n’est pas rare d’être dépassé à vive allure par un scooter rouge et blanc, sirène hurlante et gyrophare tournoyant, dont le pilote porte un gilet orange. Etre les premiers sur les lieux, apporter – gratuitement – les premiers soins avant l’arrivée d’une ambulance (qui, elle, est payan-

te), parce que, pour sauver des vies, «les premières minutes sont cruciales », telle est l’obsession d’Ihoud Hatzala. Et cela marche : l’organisation reçoit plus de 500 appels d’urgence par jour, soit plus de 112 500 par an. Les Israéliens connaissent le numéro d’urgence d’Hatzala (1221), dont l’efficacité – qui fait grincer des dents Magen David Adom, principale compagnie israélienne d’ambulances – est reconnue. Le siège d’Hatzala, qui est en liaison avec l’armée et la police, se situe sur Yirmiyahu Street, à la sortie de Jérusalem. Son centre nerveux est une salle de contrôle dotée de cinq écrans géants de télévision, qui sont connectés aux caméras de sécurité du trafic routier. Tous les volontaires sont équipés d’une trousse de premiers secours et reliés au QG par un téléphone portable ou un smartphone, couplé à un GPS. Ihoud Hatzala sait donc en permanence, 24 heures sur 24, où sont localisés ses bénévoles. En cas d’urgence, le central appelle celui qui est le plus proche du lieu de l’accident. Hatzala dispose d’une flotte de 200 scooters (les « ambucycles») et de six ambulances. «En réalité, précise Eli Beer, ceux qui ne sont pas dotés d’un ambucycle gardent leur kit d’urgence (de même qu’un gilet pare-balles) dans leur voiture personnelle. Où qu’ils soient, ils répondent à nos appels.» C’est peut-être là (avec la gratuité des soins) la spécificité d’Hatzala : avant de rejoindre cette ONG humanitaire, les volontaires, qui suivent une formation médicale de 200 heures, signent un enga-

gement de disponibilité permanente, y compris durant shabbat. Les juifs orthodoxes sont majoritaires, mais Hatzala se targue d’avoir dans ses rangs, outre une centaine de musulmans, des chrétiens et une quarantaine de femmes. Suivant l’exemple d’Eli Beer, les volontaires répètent un mantra : « Tout le monde a le même sang, juifs, Arabes et chrétiens ; une vie est une vie. » Et Eli Beer d’ajouter: « Ceux qui ont de la haine en eux n’ont rien à faire à Hatzala. » Les volontaires arabes israéliens sont pour l’essentiel originaires de Jérusalem-Est, où la situation médicale est désastreuse.

Les volontaires arabes-israéliens sont pour l’essentiel originaires de Jérusalem-Est, où la situation médicale est désastreuse Khaled Rishek, Murad Alyan et Mohammed Affsale, qui habitent Silwan et Sheikh Jarrah, dans la partie orientale de la Ville sainte, ont une histoire semblable à raconter : « En novembre 2005, se souvient le troisième, mon père a perdu conscience. J’ai appelé les secours, mais aucune ambulance israélienne ne se risque à Jérusalem-Est sans une escorte militaire ou policière. Mon père a attendu une heure et quart avant d’être secouru. Alors

j’ai décidé de rejoindre Hatzala. » Aaron Guetz, un jeune juif orthodoxe, résume ainsi la motivation des volontaires : « C’est une grande satisfaction de sauver une vie ; après, on ne peut pas abandonner, c’est comme une drogue. » Eli Beer revient de Davos (Suisse), où il a rencontré Salam Fayyad, le premier ministre palestinien. Qui a paru intéressé lorsque le fondateur d’Hatzala lui a tenu ce discours: «Nous devons nous aider les uns les autres; la paix viendra si les gens suivent notre exemple. » Avec un budget annuel de 5 millions de dollars (3,7 millions d’euros), Hatzala vit de donations. Les juifs américains en fournissent 50 %, alors que les Israéliens versent 40 % des fonds, 10 % provenant de dons britanniques et français. Ses séjours aux Etats-Unis ont formé Eli Beer aux techniques du fundraising (« collecte de fonds») à l’américaine, ce qui agace Magen David Adom, où l’on critique « le manque de formation » de ces volontaires francs-tireurs. Eli Beer est sûr de la popularité de Hatzala. Il se fixe pour objectif un budget de 7 millions de dollars, de quoi équiper 3 000 volontaires, « dont la moitié de nonjuifs ». Et compte bien exporter le « modèle Ihoud Hatzala ». Quand on l’interroge sur sa recette, il répond simplement : l’envie de faire des mitsvot (« bonnes actions »). Cela fait un peu boy-scout, mais après tout… p zecchini@lemonde.fr

Juste un mot | Chronique

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par Didier Pourquery

Sur

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raiment je ne pensais pas un jour écrire à nouveau un billet sur… sur. Je pensais en avoir fini avec l’agacement devant cette pénible habitude qu’ont nombre de nos contemporains « d’être sur Blois » ou « sur le 94 ». Je m’étais fait une raison. L’âge venant, j’avais rendu les armes. Nos compatriotes n’habitent plus à Neuilly, ils « sont sur Neuilly » (c’est un exemple). Oui, j’avais compris une fois pour toutes que le jargon professionnel des VRP avait migré pour de bon dans notre langage quotidien. Depuis toujours, on le sait, les commerciaux sont « sur le 80, le 62 et le 59» quand leur secteur couvre la Somme, le Pas-de-Calais et le Nord. Ils rayonnent « sur» et pour ce faire, dans le cas susmentionné, ils sont « basés sur Lille ». Jusque-là, tout va bien. Mais la généralisation de Google Map et autres GPS semble nous avoir tous transformés en super-héros volant au-dessus de villes entières sans presque jamais se poser ; ou qui « mettent le cap sur » sans jamais y arriver tout à fait; sauf quand enfin ils sont « sur zone » ! «Je suis sur Poitiers en ce moment.» Bon vol, mon gars… J’ai compris que c’était fichu avec cette petite annonce, lue sur Internet : un professeur de français y propose « des cours particuliers sur Bagneux ». Là, j’ai décidé de laisser tomber. Tant pis, je ne ressasserai plus qu’on « marche sur» Rome mais qu’on n’« est » pas « sur » Rome. Et puis, l’autre jour, en écoutant la séquence conseils boursiers d’une radio de service public, j’ai entendu un financier déclarer que, si on cherche la sécurité, il faut «aller sur les obligations ». Une tournure qui mélange « miser sur », « spéculer sur », « se tourner

vers» et « investir dans». Soudain mon esprit s’est raidi. Où avais-je entendu cette expression, déjà ? Mais bon sang, chez mon caviste, évidemment! Comme ses collègues, profitant de la vogue de l’œnologie pour les nuls, il me demande, l’air pénétré, si je veux «aller sur le fruit » ou « sur des notes plus minérales ». Le caviste parisien est devenu une sorte de gardien du temple des mystères des terroirs, un expert bac + 20 des arômes; il vous impressionne avec un jargon imbuvable qui donne – presque – envie de déboucher un quart d’eau pétillante. Aller sur le fruit ? Rester sur l’argilo-calcaire? En général, je viens

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Tantpis,jene ressasseraiplusqu’on «marchesur»Rome maisqu’onn’«est» pas«sur»Rome surtout acheter du vin, je vais sur mes 58 ans et ça se finit toujours de la même façon : je prends du bordeaux. Mais pourquoi cette intrusion du sur dans mon verre ? Parce que les arômes de certains breuvages « tirent sur » le fruit rouge ou le pain grillé ? Ou parce que, face aux impressionnants rayonnages de bouteilles classées par région, l’expert en crus veut nous guider ou nous perdre comme sur une carte? En orientant notre cap sur « un châteauneuf-du-pape de chez Paul Avril, vous connaissez? » (dernière cuistrerie à la mode : faire comme si l’on devait connaître personnellement chaque producteur)… Bref, tout cela me tape sur le système et je reste sur une mauvaise impression. p

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