Doc. F. Cingolani
TRIBUNE
FRANCESCO CINGOLANI, architecte et directeur du mastère spécialisé en architecture paramétrique Design by data (École nationale des ponts et chaussées), cofondateur de Volumes coworking
« La technologie pour augmenter notre liberté de création » On peut constater – et c’est d’autant plus flagrant ces derniers mois – que le mot BIM, comme
demment affirmative, et les artistes plasticiens ainsi que certains ingénieurs ont d’ores et déjà intégré le numérique les discours qui l’accompagnent, sont générateurs d’un à leur pratique. Pour ce qui concerne les architectes, nous certain stress chez les concepteurs. Un stress en partie devons veiller à ce que l’urgence de la transition du BIM ne justifié par la nécessité de mettre à jour ses compétences nous détourne pas du principal intérêt des technologies : et ses équipes, ce qui implique des investissements financelui d’augmenter notre liberté de création et de favoriser ciers et humains importants. C’est une nécessité, dans la la conception d’architectures de meilleure qualité. mesure où la maîtrise d’ouvrage devrait intéLes algorithmes sont des instruments à notre grer progressivement la maquette numérique « Disons-le tout net : service, plus facile d’accès et plus puissants dans ses appels d’offres. Mais d’autres préque jamais : à nous de les maîtriser pour les nous avons peur occupations plus profondes se cachent aussi orienter et les développer en fonction de notre que le BIM nous derrière le fantasme du BIM, et ceci est partipensée architecturale. dépossède de culièrement vrai pour les architectes. Disons-le Le mouvement international autour de l’archinotre créativité, de tout net : nous avons peur que le BIM nous tecture paramétrique développe une approche notre imagination, dépossède de notre créativité, de notre imacapable de générer des formes complexes et de ce qui fait la gination, de ce qui fait la spécificité de notre non-standard avec des possibilités pratiquemétier. Nous redoutons que l’architecture laisse spécificité du métier ment illimitées. Par exemple, il est extrêmement la place au profit, à la standardisation, à la profacile aujourd’hui d’introduire dans ses formes d’architecte » duction brute. des data structurelles, environnementales et Cette crainte d’une architecture moins libre en programmatiques. De paramétrer nos propres raison du développement technologique n’est pas sans préoutils, nos codes, nos logiciels, nos machines et nos cédent dans l’histoire et il convient d’en faire une analyse robots afin de pouvoir explorer des nouveaux domaines objective pour la démystifier et ensuite avoir une approche du possible. constructive (et créative !). Plus important encore, nous pouvons aujourd’hui Car si le numérique est bel et bien une révolution technoconstruire ce qu’il était extrêmement cher, voire imposlogique et culturelle de notre société, le BIM ne concerne sible de construire, il y a dix ans. La fabrication numérique, qu’un aspect précis des métiers du bâtiment : celui de la gesla robotique, l’impression 3D à grande échelle, les fablabs tion du projet. Il propose d’optimiser le processus managérial etc. ne sont que des instruments que nous devons nous par une gestion plus collaborative des différentes compéapproprier et des exemples qui témoignent des capacitences impliquées et par le partage d’une seule maquette tés de création inédites dont les nouvelles technologies numérique capable de centraliser les informations. En cela, sont porteuses. il doit aider à transformer un projet en bâtiment, à en gérer Ces nouvelles formes de créativité ne se centreront plus le chantier et l’ensemble du cycle de vie. tant sur l’objet que sur le processus génératif qui le préQu’en est-t-il néanmoins de la création, de la composante cède. Or à qui revient-il d’orienter et de programmer artistique de l’architecture ? Le numérique peut-il ouvrir l’évolution des technologies de création architecturale, de nouveaux horizons dans la phase de conception et de avec un regard critique et une sensibilité à la fois artistique génération de formes et de projets ? La réponse est éviet technique, si ce n’est à l’architecte lui-même ?
N° 352 JUIN - JUILLET 2016 • LES CAHIERS TECHNIQUES DU BÂTIMENT
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