«Hyper-local Internet»: la nouvelle dimension desespaces publics des nos villes?

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«Hyper-local Internet»: la nouvelle dimension des espaces publics des nos villes?

Francesco Cingolani (1) imaginario.cc@gmail.com

Domenico Di Siena (2) urbanohumano@gmail.com

Affiliation auteur(1) Chercheur Independent (groupe IMAGINARIO) Affiliation auteur(2) Chercheur Independent (groupe IMAGINARIO), chercheur Universidad Politécnica de Madrid Mots-clés : Wikimap, Meipi, géolocalisation, espace public, hyper-local Internet, Local Social Network, hybride Keywords: Wikimap, Meipi, geolocation, public space, hyper-local Internet, Local Social Network, hybrid Résumé : Les technologies contemporaines font que les villes cessent d’être un espace à perception continue pour muter vers une structure de nœuds reliés par des connexions -network cities. Dans ce contexte, tout espace qui n’ait pas une fonction unique et claire (tout ce qui n’est pas un nœud) perd de son importance, notamment les espaces publics. Comme il a été expérimenté dans les projets Wikimap et Meipi, l’application à l’échelle locale des technologies d’Internet (Hyper-local Internet) permet la constitution de nouveaux espaces publics hybrides (physique et virtuel) qui peuvent favoriser des processus de création collective en s’appuyant sur la géolocalisation et les Local Social Networks. Abstract: Contemporary technologies cause cities to evolve from a space traditionally perceived as continuous into a structure of interconnected nodes and links –network cities. In this context, every space without a unique and clear function (everything that is not a node) loses importance, especially public spaces. As it has been tested in projects such as Wikimap and Meipi, by applying some Internet technologies in a local scale (Hyper-local Internet) it is possible to create new hybrid (physical and virtual) public spaces based on geolocation and Local Social Networks to promote collaborative creation processes.

Introduction de l’article Imaginario est un groupe de recherche indépendant qui travaille sur les sujets de créativité urbaine et l’application des nouvelles technologies de communication pour la gestion du territoire et de l’espace sociourbain. Cette contribution traite la question des espaces publics dans la ville du futur et propose une nouvelle définition de ces espaces en accord avec les technologies contemporaines. En premier lieu, nous traiterons la notion de l’espace public dans son évolution historique afin de définir un terrain de base. Ensuite, dans le deuxième chapitre, nous laisserons la place à nos réflexions sur la ville contemporaine et les concepts de citoyenneté et de sentiment d’appartenance locale. Le troisième chapitre décrira le nouveau modèle d’espaces publics hybrides que nous proposons, basé sur l’utilisation d’un HyperLocal Internet. Les réflexions théoriques seront enfin suivies par une description des projets de cartographie participative réalisés par Imaginario (quatrième chapitre) ainsi que d’autres projets qui touchent les mêmes problématiques (cinquième chapitre).


1 Qu’est ce que l’espace public ? 1.1 Définition de l’espace public dans les Wikipédias Dans la Wikipédia française l’espace public est défini comme suit : « L'espace public représente dans les sociétés humaines, en particulier urbaines, l'ensemble des espaces de passage et de rassemblement qui est à l'usage de tous, soit qui n'appartient à personne (en droit par ex.), soit qui relève du domaine public ou, exceptionnellement, du domaine privé. »1 Cette définition se situe donc dans le domaine des libertés des citoyens, notamment la liberté de circulation. Dans la Wikipédia espagnole cet aspect est souligné de façon forte : « L’espace public est ce lieu où tout le monde a le droit de circuler. »2, comme aussi dans la version italienne où, en plus, l’existence des espaces publics hybrides (physiques et virtuels) est suggérée : « L’espace public est un espace physique (ou virtuel) ou tout le monde a le droit de circuler »3. Le passage suivant, extrait aussi de la version italienne de l’encyclopédie, nous apparait également significatif pour notre recherche : « Au-delà de la dimension urbaine et physique, l’espace public signifie généralement le lieu symbolique des libertés civiles : liberté de manifestation, de parole, d’expression. Cet espace symbolique est réglé par des lois et constitue le terrain des libertés démocratiques qui permettent de résoudre les conflits sociaux et politiques, ainsi que de se confronter aux pouvoirs constitués. »

1.2 La notion d’espace public dans l’histoire Kant a été le premier à avoir utilisé le concept d’espace public dans les termes où nous l’entendons aujourd’hui. Après lui, beaucoup de sociologues et de philosophes se sont interrogés sur le signifié et l’importance de ce concept, en se centrant sur les importantes transformations du dernier siècle dans le rapport entre sphère publique est sphère privée. Par conséquent, il convient de rappeler certaines de ces références du monde scientifique afin de cadrer notre discours. Dans les années cinquante et soixante, Hannah Arendt, fascinée par l’idéal grecque de l’agora, soutenait que l’espace public avait été détruit par l’irruption dans la scène politique des problèmes sociaux du travail et des besoins matériels. Elle pensait que les hommes auraient été réduits à de simples automatismes des chaines de production et consommation qui n’auraient plus eu moyen de débattre et agir politiquement. Selon Arendt, l’expression fondamentale de la liberté des individus est l’action dans l’espace public, par laquelle se produit l’action collective. Le sociologue Zygmunt Bauman a axé sa réflexion sur l’observation d’un écart grandissant entre la condition « de jure» et la condition « de facto » des individus dans la société moderne. Dans son ouvrage « Liquid Modernity »[1], il explique que « cet écart est une conséquence inévitable de l’appauvrissement et de l’inactivité de l’espace public et en particulier de l’agora, un espace intermédiaire, public/privé, où la politique de la vie rencontre la Politique avec le P majuscule, où les problèmes privés sont traduits dans le langage des questions publiques pour après négocier des solutions publiques à des difficultés privées. » Jürgen Habermas a donné une contribution fondamentale au discours avec « L'espace public : archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise » [2]. Dans cet ouvrage l’auteur définit l’espace public comme le « processus au cours duquel le public constitué d’individus faisant usage de leur raison s’approprie la sphère publique contrôlée par l’autorité et la transforme en une sphère où la critique s’exerce contre le pouvoir d’Etat.»[2] Dans le but « d’adapter la thèse d’Habermas aux conditions nouvelles, et particulièrement à la diversification de l’offre télévisuelle, à l’émergence des Tic », Bernard Miège propose une réflexion basée sur « quatre modèles de communication à partir desquels se développent les actions communicationnelles les plus marquantes »[3] : − La presse d’opinion (XVIIIè siècle) − La presse commerciale et de masse (XIXè siècle) − Les médias audiovisuels de masse (XXè siècle) − Les relations publiques généralisées (à partir des années 1970)

1

<http://fr.wikipedia.org/wiki/Espace_public>

2

<http://es.wikipedia.org/wiki/Espacio_publico>

3

<http://it.wikipedia.org/wiki/Spazio_pubblico>


Selon Miège, les medias de masse n’ont étendu le champ des espaces publics qu’en apparence. En réalité, les espaces publics ont été dérobés de leur fonction de débat public pour devenir des occasions de publicité du privé. Des nos jours, la diffusion massive des technologies liées à l’Internet demande une importante révision de ces notions : c’est ce que nous allons proposer par la suite.

2 Espace public IMAGINARIO 2.1 La modernité liquide et « les barbares » La notion de « modernité liquide » a été utilisée par Bauman pour décrire l’époque contemporaine au sens de liquéfaction et déstructuration de la société. Ce concept est particulièrement adapté pour décrire la vision de la transformation d’une modernité « solide », stable et répétitive vers une modernité « liquide », flexible et inconstante. Dans ce mode liquide les structures sociales ne durent pas assez longtemps pour se solidifier et elles ne fonctionnent plus comme référence pour les comportements humains. Cette nouvelle modernité est caractérisée par la fragmentation des vies et elle exige aux individus d’être flexibles et capables de changer d’endroit, d’emploi, de valeurs. Dans ce sens, les pensées de Bauman soulignent tous ces aspects de notre société qui la rendent inquiète et tendue, comme la perte des repères sécurisant et la globalisation de l’industrie et de la culture de la peur. D’autre part, Alessandro Baricco décrit dans « Les Barbares » une véritable « mutation génétique » de la dernière génération. Celle qu’on peut appeler la génération d’Internet semble avoir reconstruit un nouveau vocabulaire culturel et éthique. Ces barbares n’ont pas d’âme et changent (d’endroit) sans arrêt, leur vie ne trouvant un sens que dans le « passage » d’un point à l’autre. Ils respirent avec « les branchies de Google » et ils vivent dans le monde physique avec une approche intelligemment déduite à partir de la virtualité d’internet, c'est-à-dire par une multiplication de « systèmes passants » [5].

2.2 La ville contemporaine comme réseau de nœuds En effet, les technologies contemporaines ont complètement changé les usages et la perception des villes. De plus en plus, les dimensions spatiale et temporelle, historiquement strictement liées - espace à perception continue -, sont en train de se séparer et de devenir indépendantes - espace à perception fragmentée. Au quotidien, un grand nombre de personnes se déplace d’un bout à l’autre de la ville pour aller de chez eux à leurs lieux de travail. La distance de ces deux points - dimension spatiale -, comme aussi tout ce qui se passe dans la ville entre ces deux points, n’est plus important : ce qui intéresse est le temps de déplacement - dimension temporelle -, de plus en plus réduit par les avancées de la technologie. La ville cesse donc d’être un espace continu pour muter vers une structure de nœuds - points - reliés par des connexions - network city. Ces nœuds ont tendance à devenir de plus en plus clairement définis, organisés, efficaces, et les déplacements entre les nœuds sont alors de plus en plus rapides. Tout espace qui n’ait pas une fonction unique et claire (tout ce qui n’est pas un nœud) perd de son importance, notamment les espaces publics. Ces lieux, qui ont historiquement été le scenario des relations sociales dans une ville, sont aujourd’hui privés de toute fonction compatible avec le modèle urbain contemporain. En fait, la structure par nœuds ne nécessite plus un espace continu pour le développement des relations sociales : des moyens technologiques à bon marché (internet, téléphone, transport) permettent de choisir ses points - nœuds - de rencontre avec ses amis ou sa famille sans nécessité de partager le même espace urbain (quartier ou ville).4

2.3 Espace public et citoyenneté Pour comprendre à quel point les nouvelles technologies vont pouvoir changer notre perception et notre usage de la ville, il est important de parler de comment les citoyens conçoivent leur rapport à la ville et de comment ce rapport est en train d’évoluer. La ville est perçue en général comme une entité en évolution perpétuelle. Depuis toujours, et encore plus actuellement, les changements démographiques, les chantiers et le mouvement nous font apparaitre les villes comme des organismes complexes qui échappent à une définition et une délimitation stables (état liquide ?). Cependant, en tant que citoyens, généralement nous n’avons pas la sensation d’être acteurs de ces changements. Nous avons au contraire assumé, quelque part dans notre histoire, que la ville est plutôt un « objet » très compliqué qui nous est donné en héritage et qui demande à la limite un travail de gestion, que nous déléguons 4

Il est intéressant de rappeler ici certains services web qui permettent d’organiser des rendez-vous, des réunions ou des repas entre amis ou collègues par Internet, c'est-à-dire des outils pour organiser des rencontres sans utiliser un espace public physique : < http://fr.atomeet.com/>, < http://whenisgood.net/> et <http://tusiyu.com/>


aux hommes politiques. N’ayant pas la perception d’un pouvoir actif sur la ville, nous la considérons comme quelque chose qui est déjà existant et qui doit être géré au mieux. Si par contre nous imaginions une communauté de citoyens avec une volonté de contrôle sur l’évolution de leur ville, il deviendrait alors fondamental de s’interroger sur ce que veut dire « construire la ville », le mot construction étant employé au sens d’une évolution dans le temps contrôlée et consciente. Au-delà de l’aspect physique de construction de la ville, ce qui nous intéresse le plus est la construction du sentiment de citoyenneté, entendue comme la sève même d’une ville. Nous croyons qu’une ville sans citoyenneté ne serait qu’un espace à forte densité d’activité, de richesse et de travail. Dans une telle ville, les espaces publics seraient inutiles et pourraient donc être supprimés afin d’augmenter l’efficacité, en profitant des places publiques pour augmenter la densité. Aujourd’hui, la population urbaine a dépassé la population rurale. Au même temps, il y a toujours plus de confusion entre ce qui est urbain et ce que l’on peut, par contre, considérer comme une ville, avec ses qualités et ses caractéristiques, notamment la présence d’un espace public actif. Cette confusion amène à penser que tout espace non rural à forte concentration est une ville. Nous voulons donc souligner l’idée selon laquelle la ville ne peut pas être considérée comme un objet à gérer, mais comme une entité que les citoyens construisent tous les jours. C’est pourquoi les dynamiques de construction participative représentent aujourd’hui des pistes d’actions très efficaces pour la sauvegarde de la vitalité de nos villes. D’ici l’importance des espaces publics, à considérer comme les points de départ pour que des véritables processus de construction collective peuvent se développer. De nos jours, il parait fondamental de considérer les nouvelles technologies d’information et de communication comme un puissant moyen d’action pour la revitalisation des dynamiques de construction collective de la ville et de la citoyenneté. Nous verrons par la suite comment ceci se traduit dans la notion d’espace public hybride, où la technologie fonctionne comme canalisateur de différentes activités qui se produisent dans des espaces privés divers et qui seraient, dans le cas contraire, isolés.

2.4 L’appartenance locale dans l’ère liquide Une communauté peut être modélisée comme un réseau d’individus interconnectés et partageant des intérêts communs. Dans une communauté urbaine un de ces intérêts partagés est l’espace physique même ou les habitants vivent. Cette typologie de communautés, constituées de personnes qui habitent le même territoire, a tendance à devenir de plus en plus sporadique, alors que les nouvelles technologies semblent privilégier des communautés délocalisées et reliées. Il convient de rappeler, à ce propos, qu’Internet a été introduit justement avec l’idée de pouvoir rapprocher ce qui est physiquement loin et injoignable. De plus en plus, nos activité sociales ne dépendent plus d’une dimension spatiale, vu que les technologies actuelles nous permettent de cultiver des relations d’amitié et de famille même en habitant à des endroits différents. Il est clair que cette systématisation des relations virtuelles entre personnes physiques nécessite de moins en moins d’espace public comme support. Un tel scenario amène à introduire la notion de « sentiment d’appartenance », strictement lié à celui de citoyenneté. En effet, il ne peut y avoir de citoyenneté ni d’espace public actif là ou il n’y a pas de sentiment d’appartenance à une communauté locale. Par contre, quand ce sentiment est présent, l’espace public offre la possibilité de manifester librement sa propre identité. Et l’expression de l’identité dans un espace public auquel on se sent appartenir produit un grand confort et une forte sensation de sécurité. Généralement, un espace public qui fonctionne bien favorise la rencontre et le dialogue entre les différences et les inconnus. A ce sujet, le sociologue Sharon Zukin soutien qu’actuellement nous sommes dans une situation de paradoxe ou nous ne savons plus parler à ceux que nous ne connaissons pas. Nous sommes donc toujours à la recherche d’un moyen pour éviter toute sorte de rencontre et de relation avec des inconnus. Ceci nous amène à nous renfermer dans des espaces sociaux sécurisés et sécurisants et qui annulent les occasions de confrontation à l’inconnu, ainsi que la probabilité d’accident et donc de surprise.


3 Vers un nouveau modèle d’espace public : les espaces hybrides 3.1 Contre une solution nostalgique Nous pouvons affirmer que la grande majorité des experts considèrent que les espaces publics vivent une forte crise. En effet, ces espaces se voient aujourd’hui privés de leur rôle primordial de canalisateur de vitalité urbaine. Ils sont souvent réduits à des zones de passage ou bien ils se transforment en espaces globalisés dont la diversité et les spécificités se perdent pour laisser la place à des caractéristiques typiques d’un parc thématique à touristes. Il existe une ligne de pensée dominante qui attribue les causes fondamentales de ce phénomène à l’effritement du réseau des commerces de proximité avec une migration conséquente vers les centres commerciaux de la périphérie. Suite à cette mutation, les espaces publics sont de plus en plus victimes des phénomènes de privatisation et de commodification. Cette interprétation amène trop facilement à la conclusion que la seule solution réside dans la création de règlements d’urbanisme plus stricts, afin de garder un contrôle plus sévère sur les usages et la distribution des fonctions et des activités dans la ville. Celle-ci est aujourd’hui un des discours dominant en urbanisme. En tant que groupe de recherche indépendant, Imaginario tient à souligner son désaccord avec ces propos nostalgiques. Certes, nous sommes conscients des bénéfices apportés par le réseau des commerces de proximités en termes de vitalité urbaine, le propos n’étant pas là. Par contre, nous considérons qu’il s’agit d’un modèle qui a fonctionné dans un contexte historique désormais dépassé et que l’on ne peut pas penser résoudre les problèmes d’aujourd’hui avec des solutions récupérées du passé. Il est cependant important de comprendre le processus intellectuel qui est à l’origine de ce mécanisme nostalgique ; c'est-à-dire, il est fondamental de connaitre précisément pourquoi un commerçant de proximité est préférable, en terme de vitalité urbaine, à un centre commercial de périphérie. Encore une fois, la différence principale entre ces deux éléments est leur rapport avec le contexte urbain : un commerce de proximité est localisé (localisé, justement, dans la proximité, dans « cette rue », « ce quartier »), alors que le centre commercial est délocalisé (ou son degré de localisation est inférieur à celui du commerce de la rue) ; traduit en terme de relations, nous rencontrons des voisins dans les commerces de proximité et nous croisons des inconnus au centre commercial.

3.2 « Quotidien » et identité locale Le commerçant de quartier est un des anneaux de conjonction qui fait qu’un certain nombre de voisins échange quelques mots ; il représente le nœud qui rend possible les liens entre les voisins, qui favorise l’échange et la communication. Ensuite, cette amorce de communication fait en sorte que les citoyens perçoivent les humeurs, les pensées et les préoccupations des voisins qui vivent à coté. Ces échanges restent souvent à un niveau plutôt basique, mais nous croyons que ces informations petites, simple et fragmentées sont une clé importante du processus de construction de l’identité d’un quartier (ou d’une ville) et donc de l’appartenance – on ne peut pas se sentir appartenir à quelque chose qui n’a pas d’identité. Nous avons alors nommé « information du quotidien » cet ensemble fragmenté de connaissances infimes constituées par les micro-communications du voisinage, le mot « quotidien » étant employé au sens d’habituel, simple, ordinaire. Dans l’exemple des commerces de proximité, le négociant recueille les humeurs des voisins et il symbolise, quelque part, un morceau de l’identité du quartier, ainsi que l’existence d’un lien physique entre un espace urbain et ses habitants. Il serait intéressant alors que les administrations publiques offrent de nouvelles figures (contemporaines) ou de nouveaux espaces, alternatifs aux commerçants et aux magasins, mais que ces derniers revêtent la même fonction de catalyseur de vitalité, comme par exemple des espaces pour l’auto-organisation, pour la création collective d’activités urbaines, c'est-à-dire des outils de construction collective de la citoyenneté.

3.3 Hyper-Local Internet et Local Social Network Le style de vie contemporain est de moins en moins compatible avec le modèle du commerce de proximité et, en général, il propose un fonctionnement dont la rapidité a provoqué, en partie, la crise actuelle des espaces publics. Il est évident que pour réactiver les espaces publics une action sur le plan culturel est primordiale, afin de communiquer l’importance d’une citoyenneté vivante et dynamique. Ensuite les habitants nécessitent des instruments d’action capables d’encourager la citoyenneté. Aujourd’hui, les nouvelles technologies de la communication nous suggèrent des instruments de participation incroyablement puissants. Dans certain cas, leur utilisation à une échelle hyper-locale permet d’obtenir des résultats surprenants.


Internet, à la base, est l’instrument discontinu par excellence : non seulement il déforme toutes nos idées sur la continuité spatio-temporelle de nos espaces, mais il arrive à annuler complètement la composante spatiale en permettant à chaque nœud d’accéder à la totalité des informations disponibles. Pour le transformer en un instrument d’action urbaine, il est fondamental de le considérer non seulement comme un moyen pour rapprocher ce qui est loin, mais plutôt pour ré-approcher ce qui est déjà spatialement proche. C’est ce que nous appelons l’Internet hyper-local, un espace – public - virtuel se référant à une composante spatiale continue (une rue, un quartier, une ville) dont les usagers sont les citoyens partageant ce même espace physique. Cette caractéristique commune de proximité spatiale transforme Internet et ses contenus en un outil fortement localisé - internet de proximité -, provoquant une multiplication des liens entre l’espace virtuel et l’espace physique de la ville. Pour que ces phénomènes deviennent efficaces il est donc important de favoriser les dynamiques de formation et de développement des réseaux sociaux locaux - Local Social Network -, et de leur fournir par la suite des espaces publics nouveaux et adaptés aux besoins actuels. Les Local Social Network créent des relations et, si ces relations sont relatives à un espace physique commun, le résultat est une réactivation des espaces publics physiques, qui deviennent nécessaires pour développer ces relations. Nous pouvons affirmer que cela amène à définir l’espace public non plus comme l’espace de libre circulation au sens de mobilité, mais plutôt comme l’espace où les informations s’échangent et circulent librement parmi les habitants, c'est-à-dire un espace de relation des citoyens. Si l’importance de l’espace public réside alors dans les relations - connexions - qu’il est capable de générer, il est évident qu’au moment de programmer ou de projeter ces espaces, les architectes et les urbanistes devront prendre en compte ce nouveau « matériau » de construction dont internet abonde : les relations sociales. Ce matériau incorporel que nous ne sommes pas habitués à considérer comme une architecture de nos villes, est la clé de voûte de ces nouveaux espaces publics que nous appelons hybrides, puisque ils comprennent l’ensemble des relations sociales locales physiques et virtuelles. A ce propos Manuel Castells a déclaré dans un entretien : « En effet, je pense qu’il faudrait mettre en cause la notion de société virtuelle et société réelle. Je crois que la virtualité que nous vivons est une des dimensions fondamentales de notre réalité. […] Je dirais que c’est nous qui établissons la connexion entre le virtuel et le «présentiel» (je ne l’appellerais pas réel, puisque la réalité est en même temps virtuelle et «présentielle»). Il n’y a pas deux sociétés, il y a seulement en nous deux manières d’avoir des relations et une activité sociale. Il est à nous de chercher la meilleure façon de les ajuster et de les accommoder. »5

4 Wikimaps : plans interactifs collaboratifs Un wikimap est un plan virtuel localisé sur le web caractérisé par le fait que tous les utilisateurs peuvent introduire des textes, des images et des sons en créant des liens à des endroits spécifiques sur le plan. Cela produit une sorte d’hypertexte géographique, qui se construit par un processus continu de création publique participative. Ce plan se présente comme un espace virtuel, flexible et expansible, dont le but est la représentation évolutive de la mémoire collective d’une communauté et la participation des citoyens dans la vie sociale et culturelle de leur quartier et de leur ville. Il se propose comme un possible canalisateur des processus de démocratie locale participative, capable de renforcer le sentiment d’appartenance aux communautés locales ; wikimap est en fait un outil pour la création et le développement de réseaux de communication entre des personnes qui partagent un même espace physique, celui d’une ville ou d’un quartier. Nous pouvons affirmer qu’un wikimap est une nouvelle typologie d’espace public situé sur Internet, construit par les utilisateurs mêmes, qui se caractérise par un contenu public et partagé : cette particularité fait en sorte que les visiteurs de l’espace sont à la fois ceux qui le créent et ceux qui le gèrent. Les citoyens s’approprient ainsi des processus de création et de gestion des informations, ce qui favorise une forte interaction entre le wikimap et l’espace physique auquel il se réfère.

5

< http://andreanaranjo.wordpress.com/2008/12/22/entrevista-a-manuel-castells-en-revista-citilab/>


4.1 Web géographique 2.0 L’idée visionnaire qui est à la base du projet est celle d’une ville aux murs transparents, dans laquelle les gens savent où chercher les informations, où acheter les produits, où rencontrer les communautés qui peuvent partager leurs idées et leurs projets. En outre, Wikimap n’est pas simplement un plan interactif : il va permettre de construire, au fur et à mesure, une base de données partagée qui contient des ressources, des idées, des contenus, des opinions, des projets artistiques, sociaux, culturels. La vraie innovation proposée par le projet consiste dans le fait que cette base de données sera ponctuellement connectée au territoire. Un wikimap peut être interprété comme une fenêtre ouverte sur la ville qui permet à l’utilisateur/citoyen d’avoir un aperçu de la vie urbaine tout en ayant la possibilité d’y intervenir pour la modifier par une représentation digitale. Ce plan hypertextuel permet d’avoir une vision d’ensemble des phénomènes et des activités de la ville, mais aussi de visualiser facilement les caractéristiques particulières à chaque quartier (problématiques, aspirations, activité culturelle, relations entre voisins), grâce à une représentation dynamique et construite par les habitants eux-mêmes (Figure 1). Le caractère quotidien et horizontal de cet ensemble de contenus fait en sorte que les citoyens perçoivent leur entourage avec moins de méfiance et ceci produit un sentiment de sécurité lié à l’espace physique où ils vivent.

Figure 1. Diagramme de représentation collective

Si jusqu’à aujourd’hui Internet nous a permis de rejoindre les coins lointains du monde, le Wikimap propose, pour la première fois, d’appliquer cette même technologie à la petite échelle, celle de la ville, du quartier, du voisinage. Wikimap est capable de créer de fortes relations entre les habitants de la ville puisque il leur donne la possibilité de se connaître, de se rencontrer, de penser et de travailler ensemble. Cette nouvelle utilisation d’Internet nous a amené à définir le wikimap comme un nouvel outil de web géographique 2.0.

4.2 De Wikimap(s) à Meipi, générateur de Wikimaps

Figure 2. Meipi de « Tout sur mon quartier », visualisation du plan interactif

Au sein du groupe IMAGINARIO nous cherchons à associer nos hypothèses théoriques pour la réalisation de projets d’expérimentation directe sur la ville. Notre première expérience avec un wikimap (Todo sobre mi barrio, « Tout sur mon quartier ») à été réalisé en 2007 grâce au financement de la mairie de Madrid (Figure 2). L’objectif spécifique de ce projet était de réaliser une représentation participative de l’image collective du


quartier -Comment la communauté des citoyens perçoit-elle son quartier ?- en utilisant des processus de participation virtuels et une série d’ateliers « présentiels » dédiés à des communautés de voisins différentes (les enfants, les personnes âgés, etc.). Par la suite, nos réflexions nous ont amené à comprendre que l’hypertexte géographique ne se serait pas limité à des projets ponctuels dans certaines villes (Madrid, Paris, Rome) mais qu‘il deviendrait une nouvelle façon de publication de contenu sur le web : la publication locale ou hyper-locale (Hyper-local Internet). C’est pourquoi nous avons développé une plateforme plus flexible et ouverte permettant à n’importe quelle personne dans le monde de créer et gérer son propre wikimap de la région de son choix sans la nécessité de connaissances techniques, exactement comme de nombreux services aujourd’hui nous permettent de créer des blogs. Il s’agit de www.meipi.org, actuellement disponible en cinq langues : anglais, français, italien, espagnol et portugais, une plateforme qui peut être simplement définie comme un générateur de wikimaps personnalisés. Avec Meipi les utilisateurs peuvent consulter ou publier des images, des textes, des vidéos et des fichiers audio avec quatre applications différentes qui correspondent à quatre façons de visualiser l’information : un plan interactif, une mosaïque, des catégories thématiques (chaines) et une liste d’éléments publiés. Sur le plan, les contenus sont visibles sous forme de tags - étiquettes - colorés situés à l’endroit de la ville où l’élément a été placé par l’utilisateur. Un nuage de tags - tags cloud – se superpose donc au plan (Figure 2). Ce nuage constitue une couche d’information virtuelle superposée à un plan qui représente l’espace physique urbain. La liste des éléments publiés contient tous les éléments publiés dans un Meipi et elle rappelle le format d’un blog, dont les particularités sont son caractère collaboratif, géolocalisé et par conséquence traitant des sujets strictement liés à un contexte physique local. La liste peut être ordonnée par auteur, par date de publication, par catégorie thématique. La mosaïque constitue une façon graphique de représenter et ordonner l’information en fonction de l’importance définie automatiquement par l’ensemble des évaluations des utilisateurs-citoyens de la communauté. Les chaines montrent les contenus rangés dans des catégories thématiques qui ont été choisies au préalable par le créateur du Meipi en question. Cette application par chaines est inspirée par le format des pages web des journaux, avec pour résultat un journal d’information crée par les habitants. Dans Meipi, les utilisateurs-citoyens se différencient des simples visiteurs (anonymes) du fait qu’ils sont inscrits sur le site et que cela leur donne le droit de participer en ajoutant des contenus. L’inscription de l’utilisateur est nécessaire pour garantir que l’information ne soit pas anonyme, un aspect important dans une plateforme libre comme celle-ci qui conduit les usagers à se responsabiliser. Une fois inscrit, tout le monde peut participer de différentes façons : − Ajouter de nouveaux contenus ; − Modifier ou effacer les contenus déjà publiés ; − Réagir aux contenus en publiant des commentaires ; − Voter un certain contenu par un système de cinq étoiles. Le vote des contenus est un moyen puissant pour la communauté d’ordonner les contenus et de faire en sorte que les informations démocratiquement considérées plus importantes apparaissent en premier plan. Egalement cette opinion de valeur peut être exprimée par le biais de la mosaïque, où les images peuvent être ordonnées et mise en relation. Pour les utilisateurs inscrits (citoyens/habitants) l’espace web est personnalisable. Chacun peut choisir de visualiser dans l’espace personnel les informations qui l’intéressent le plus par un système de tags, en créant ainsi un véritable aggrégateur de contenus locaux.


5 Autres projets qui explorent la notion d’espace hybride 5.1 WikiPlaza / Place des libertés Seville (2006) Le projet Wikiplaza (Figure 3) du collectif Hackitectura.net explore les traductions des processus et des outils utilisés par les communautés numériques en langage de construction d’un espace public hybride, un « territoire cyborg des citoyens ». La proposition urbaine consiste en un espace continu, fluide et non hiérarchisé. La contribution des architectes de hackitectura.net consiste en l’incorporation d’une architecture multicouche composée de réseaux, hardware, software et de données numériques qui permettent et encouragent une production participative d’un espace public. Cet espace est conçu comme un laboratoire citoyen pour l’étude des notions d’usage social de la technologie, d’architecture comme un système d’exploitation, de l’espace public comme un wiki. D’un point de vue historique, le projet propose l’exploitation et l’implémentation dans un espace public des expériences accumulées dans le domaine de la world wide web par les mouvements sociaux, incluant le développement des logiciels libres, l’Indymedia, les Medialab éphémères. Hackitectura.net explore le terrain de la création d’une nouvelle forme d’auto-organisation et de création autonome des espaces, en introduisant des nouvelles interrogations relatives à la relation entre ces prénommes collaboratif et l’administration publique.6

Figure 3. Projet Wikiplaza pour Seville, Hackitectura.net

Un projet WikiPlaza sera présenté à Paris par le collectif Hackitectura.net du 29 mai au 7 juin 2009 dans le cadre de l’événement Futur En Seine. Cette introduction7 au projet nous a paru spécialement significative : « Comme l’a suggéré Tim Berners Lee (l’inventeur du World Wide Web), le futur est au GGG (Giant Global Graph), un nouveau réseau mondial aussi grand que le WWW ou la cartographie collaborative et les réseaux sociaux en seront les éléments structurants. Ainsi fonctionnera la Wikiplaza, préfiguration symbolique du GGG, fonctionnant comme une interface générale, une machine relationnelle, un générateur de nouveaux territoires entre le physique et le numérique. »

6

< http://www.banquete.org/banquete08/WikiPlaza-Plaza-de-las-Libertades>

7

< http://www.maisonpop.net/spip.php?article1061>


5.2 Peuplade (www.peuplade.fr) Le projet Peuplade crée à Paris en 2003 est un des premiers à témoigner de l’intuition qu‘Internet peut jouer un rôle fondamentale dans la construction de la citoyenneté dont nous avons parlé plus haut. Le projet du sociologue Nathan Stern s’est appuyé sur le fait que la proximité est une valeur et que des personnes qui partagent un espace physique (une rue ou un quartier) ont naturellement des choses à partager. Si ce partage n’advient pas, les causes doivent se chercher probablement dans leur style de vie et dans une défaillance structurelle des espaces urbains. Peuplade s’affirme ainsi comme un réseau social local, qui relie non seulement des gens qui partagent des intérêts (comme Internet a toujours fait) mais qui partagent aussi un espace physique : c’est alors un des premiers exemples d’Hyper-local Internet. Le fonctionnement du site est assez simple : une fois qu‘un utilisateur est inscrit et a indiqué son domicile, Peuplade lui signale automatiquement ses voisins déjà inscrits. Chaque personne est invitée à organiser des rencontres, à indiquer ses propres habilités, ou bien à proposer des projets. Le résultat est la création collective d’une nouvelle typologie d’espace public qui favorise la construction de l’identité locale (de quartier) et donc d’un sentiment d’appartenance. La vision de Peuplade est fortement dirigée aux identités personnelles des voisins : on peut affirmer qu’il s’agit d’un système basé sur le géoréférencement des individualités. Les autres projets cités (Wikimap et Meipi) ont une approche similaire, excepté le fait qu’ils sont construits sur une plateforme de géoréférencement de l’information locale et non des personnes. Le partage même de cette information est l’ingrédient principal pour la création de réseaux sociaux locaux. Nous pouvons finalement définir Peuplade comme un géo-social-network et Meipi comme un géo-social-media. L’intersection de ces deux modèles pourrait être une voie intéressante d’exploration future.

6 Conclusion A partir de ces réflexions nous avons souhaité fournir des pistes d’action pour l’utilisation des nouvelles technologies finalisées à la transformation et à l’amélioration de nos villes. Nous pouvons affirmer qu’il s’agit d’un véritable phénomène culturel qui prétend transformer l’espace physique par des expériences dans l’espace télématique, en traduisant les modèles virtuels en langage « présentiel » de la réalité. Ce mouvement encore multiforme et non organisé semblerait être alimenté par le rêve d’une ville capable de retrouver cette vitalité et ces libertés qui aujourd’hui semblent rester limitées au monde virtuel.


Bibliographie / Webliographie [1] Z. Bauman, Liquid Modernity, Wiley-Blackwell, 2000 [2] J. Habermas, L'espace public : archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise », Payot, 1997 [3] B. Miège, Médiations, Espace Public et Systèmes d'Information : positionnements scientifiques respectifs, Conférence inaugurale du Colloque International de Tunis, Tunis 2008 http://www.sfsic.org/content/view/1225/173/ [4] P..Zambon, Habermas et le concept d’espace public, http://membres.lycos.fr/tomate/pdf/habermas.pdf [5] A. Baricco, I Barbari, Mondadori, Roma 2006 [6] J. Freire, Cultura digital en la ciudad contemporánea: nuevas identidades, nuevos espacios públicos http://nomada.blogs.com/jfreire/2009/04/cultura-digital-en-la-ciudad-contempornea-nuevas-identidadesnuevos-espacios-pblicos-piensa-madrid.html [7] M. Castells, The Networked City: Réseaux, espace, société., EspacesTemps.net, Textuel 2009 http://espacestemps.net/document7443.html

[8] [ecosistema urbano], blog d’architecture durable et créativité urbaine http://www.ecosistemaurbano.org [9] [urbanohumano], blog personnel de Domenico Di Siena, http://www.urbanohumano.org [10] [immaginoteca], blog personnel de Francesco Cingolani, http://www.immaginoteca.com [11] [Hackitectura.net], équipe d'architectes et développeurs qui mènent une recherche sur l'architecture, les flux électroniques et les réseaux sociaux, http://www.hackitectura.net [12] Meipi, plateforme pour la création gratuite de wikimaps http://www.meipi.org [13] Peuplade, plateforme web hyper-local, http://www.peuplade.fr


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