Extrait long de "L'Âge d'or de la BD belge"

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L’ÂGE D’OR DE LA BANDE DESSINÉE BELGE

La collection du Musée des Beaux-Arts de Liège

LES I M P R E S S I O N S N O U V E L L E S



L’ÂGE D’OR DE LA BANDE DESSINÉE BELGE La collection du Musée des Beaux-Arts de Liège Ouvrage réalisé sous la direction de Thierry Bellefroid

LES I M P R E S S I O N S N O U V E L L E S



extrait


Didier Casten, Tchantchès – Gamin des rues Scénario : Michel Dusart Mise en scène et conception graphique : François Walthéry Couleurs : Georges Van Linthout Documentation : Michel Elsdorf Planche n° 40 © Noir Dessin Production


La bande dessinée belgo-française Un aperçu historique

José-Louis Bocquet L’encrier d’Hergé La bande dessinée moderne belge prend sa source dans l’encrier d’Hergé. En 1929, Tintin fait son apparition dans le supplément hebdomadaire pour enfants d’un très sérieux quotidien catholique, Le XXe siècle. Avatar graphique du feuilleton populaire, l’histoire en images est alors une affaire de presse, une récréation enfantine, une animation dominicale pour un public jugé peu exigeant – la plupart du temps sous la forme de textes illustrés. Ce sont Alain Saint-Ogan en France et Hergé en Belgique qui président à ce basculement moderniste qu’est l’emploi systématique de la bulle. En s’affranchissant du texte récitatif, mais en intégrant les dialogues des protagonistes dans la dynamique graphique, les créateurs de Zig & Puce et de Tintin inventent pour l’Europe une nouvelle grammaire narrative. Si Saint-Ogan ouvre les premières voies de manière empirique – en dépit du succès de ses personnages, la bande dessinée ne représente qu’une partie de ses nombreuses activités graphiques et littéraires –, c’est Hergé – plus impliqué, plus concentré – qui, le premier, explorera les possibilités du médium et les codifiera. Au sens strict du terme : il invente la bande dessinée européenne. Un inventeur, c’est un chercheur. Hergé cherche à toujours mieux raconter ses histoires. Structure, scénario, documentation, mise en scène, dialogue, dessin, design : rien n’échappe à son interrogation, à son intelligence du récit. Hergé est le premier à conceptualiser un style, au risque d’aboutir à un système graphique fermé dont l’auteur lui-même finira par se sentir prisonnier. Les Aventures de Tintin témoignent de cette recherche obsessionnelle de la perfection et formeront comme autant de leçons de bandes dessinées pour toutes les générations d’auteurs de bande dessinée à venir. L’histoire de l’édition de bandes dessinées en Belgique débute aussi avec Hergé. Dès 1930, Le Petit Vingtième publie en noir et blanc l’album Tintin chez les Soviets. Et à partir de 1934, l’éditeur-imprimeur tournaisien Casterman prend le relais, en démarrant par la publication des Cigares du Pharaon. Hergé l’a tout de suite compris : la presse est éphémère, le livre est facteur de pérennité. Si la presse sera toujours le


premier support de diffusion et de communication du travail en cours, le résultat final est pensé comme une entité : cet album que le lecteur rangera un jour dans sa bibliothèque, à côté des romans. C’est en cela qu’Hergé se révèle le premier auteur majeur de la bande dessinée européenne. Consciemment, livre après livre, il bâtit une œuvre.

Le temps de l’innocence : les pionniers La troisième date marquante dans l’histoire de la bande dessinée belge est celle de la publication du Journal de Spirou en 1938. L’idée de cet hebdomadaire de bandes dessinées pour la jeunesse est celle d’une famille d’imprimeurs de la banlieue de Charleroi-Marcinelle, les Dupuis. Ils ont aussi songé à doter leur journal d’un personnage titre, le groom Spirou, et d’en commander la création graphique à un Français, RobVel, ancien assistant du new-yorkais Martin Branner, l’auteur de Bicot et Suzy, série traduite en France dès 1926. Leur autre bonne idée est d’en rester les propriétaires. C’est ainsi qu’à la suite de Rob-Vel, les éditeurs-imprimeurs ont le pouvoir de confier leur groom fétiche à Joseph Gillain dit Jijé. Graveur, sculpteur, fresquiste, peintre, Jijé réalise des bandes dessinées parmi d’autres activités artistiques sans imaginer en faire une carrière. En ces chaotiques années 1940, c’est parce que les éditions Dupuis ont besoin de s’affranchir d’un matériel de publication importé d’outreAtlantique ou d’outre-Quiévrain qu’il est décidé de promouvoir une production domestique. Elle échoit à Joseph Gillain, quasi unique fournisseur. À la Libération, celui-ci assure la poursuite des aventures des deux héros principaux du journal Spirou : le personnage titre lui-même, ainsi que Jean Valhardi, créé avec le communiste Jean Doisy, fondateur et rédacteur en chef de l’hebdomadaire illustré. Cas rare dans l’histoire du 9e art, Jijé se révèle aussi virtuose dans le trait humoristique avec Spirou – puis plus tard Blondin et Cirage – que dans le réalisme avec Valhardi – que suivront Jerry Spring et Les Chevaliers du ciel. C’est d’ailleurs dans sa veine réaliste que Jijé donne en 1944 aux éditions Dupuis son premier best-seller en bande dessinée : Don Bosco. Avec cette vie édifiante et religieuse d’un saint catholique, Jijé invente la biographie en bande dessinée et ouvre la voie à une bande dessinée inspirée du réel. Si Jijé s’est d’abord aventuré dans le sillage d’une certaine ligne claire – Hergé était à ses débuts la seule référence pour un débutant –, en arrivant chez Dupuis, il s’en affranchira très vite pour exprimer son goût du geste, moins intellectuel, plus instinctif. Jijé est un raconteur d’histoires, mais pas un concepteur d’histoires ; c’est son empreinte graphique qui marquera plusieurs générations de dessinateurs. À cet égard, à l’instar d’Hergé, Jijé est l’autre génie séminal belge de la bande dessinée francophone. Si l’un prône le contrôle, le second revendique le lâcher prise. Deux écoles qui s’affronteront artistiquement et commercialement dans les décennies à venir, mais qui se complèteront pour ouvrir tous les champs des possibles graphiques aux générations suivantes. Après Hergé, Jijé s’avère donc le deuxième dessinateur de bandes dessinées professionnel en Belgique. Deux, c’est suffisant pour créer une profession. En moins d’une décennie, celle-ci va s’épanouir de manière exponentielle.


Un certain âge d’or 1946 est une date majeure dans l’histoire de la bande dessinée. Elle marque la reprise en janvier du journal Spirou – stoppé sous l’Occupation – et surtout la création en septembre du journal Tintin. Basé à Bruxelles, porté par l’entreprenant Raymond Leblanc et ses éditions du Lombard, ce nouvel hebdomadaire fixe les règles du jeu d’un aprèsguerre en reconstruction. La presse de bandes dessinées est désormais un marché autonome, concurrentiel et générateur de profits. Mais si les lois de l’offre et de la demande régissent ce secteur économique en pleine expansion, il reste que le succès des éditeurs passe avant tout par la qualité du produit proposé. La bande dessinée n’est pas une denrée comme les autres. Si elle n’est encore ni produit culturel ni expression artistique, elle relève d’une activité humaine bien mystérieuse : la création. Durant la décennie suivante, sous les auspices d’un essor économique historique, s’inventera en Belgique toute la bande dessinée européenne moderne. Car deux hebdomadaires en concurrence frontale, c’est plus de 150 planches de bandes dessinées à produire tous les mois. Toute la problématique des éditeurs est dans ce chiffre : comment remplir ces pages ? Chez Spirou comme chez Tintin, c’est une figure tutélaire qui procède au recrutement d’une génération à inventer. Jijé pour l’un et Hergé pour l’autre. À la différence près que le premier joue le rôle d’un conseiller amical et informel et que le second assume un réel pouvoir artistique. C’est que l’enjeu est colossal pour Hergé. Tintin n’est pas simplement une marque prêtée par contrat à un homme d’affaires avisé. C’est toute sa vie, toute son œuvre. Il ne peut pas être galvaudé. Dès lors, Hergé a un regard sur tout. Choix du directeur artistique et du rédacteur en chef du journal, mais surtout choix des auteurs. Hergé compose l’équipe originelle dans l’optique d’harmoniser les couleurs du journal. Pas de style débraillé, il veut de la tenue, un certain regard studieux ; le talent est de rigueur. Edgar Pierre Jacobs (Blake et Mortimer), Paul Cuvelier (Corentin), Jacques Laudy (Hassan et Kaddour) forment la première garde rapprochée, bientôt rejointe par Jacques Martin (Alix, Lefranc). Il n’est pas étonnant que parmi ces futurs maîtres de l’école de Bruxelles se comptent deux très proches collaborateurs d’Hergé : Jacobs et Martin. Si la constitution d’une équipe de dessinateurs s’opère de manière ordonnée chez Leblanc, elle est tout à fait empirique du côté des frères Dupuis. Avec Spirou, le benjamin Charles est en charge du plus jeune des journaux du groupe familial. Il envoie les postulants chez le premier de ses dessinateurs : Joseph Gillain. Quand les jeunes Morris, Franquin et Paape débarquent chez Jijé en 1946, ils rêvent de dessins animés, pas de bandes dessinées. À 20 ans, dans l’après-guerre, quand on dessine, on se réfère à Walt Disney. Comme Uderzo et Goscinny. Comme le très jeune Peyo, aussi, croisé dans le studio d’animation où Morris et Franquin ont débuté à la fin de la guerre. Tous vont devenir auteurs de bandes dessinées par défaut, parce qu’il s’agit de l’activité graphique la plus proche de leur désir initial. Avec le jeune Will, Franquin et Morris apprennent le plaisir de dessiner en compagnie de Jijé. Surchargé de travail, celui-ci confie très vite à ses disciples une partie de ses commandes pour


Jacques Laudy, David Balfour (1952-1953) Scénario : Yves Duval, d’après Robert Louis Stevenson © succession Jacques Laudy


Spirou. À Franquin, les personnages de Spirou et Fantasio, et à Paape, celui de Valhardi. En solo, Morris créé Lucky Luke dès 1946. Will anime Tif et Tondu à partir de 1949. Le noyau dur de l’école dite de Marcinelle est ainsi formé. Aux yeux de Charles Dupuis, il restera le modèle de l’équipe parfaite pour son journal et beaucoup des dessinateurs des deux générations suivantes auront à souffrir de cette ligne à suivre. Pour remplir son journal en toute quiétude, Charles Dupuis fait aussi appel à une jeune agence de presse bruxelloise, la World Presse, fondée par un trio de Liégeois, Georges Troisfontaines, Jean-Michel Charlier et Victor Hubinon. Le premier est l’homme d’affaires, les deux autres sont les créatifs. Pour Spirou, ils imaginent la série Buck Danny et Les Belles Histoires de l’oncle Paul. C’est aussi dans le sillage de la World Presse que se forment trois jeunes Français : Jean Graton – futur créateur du pilote Michel Vaillant dans Tintin en 1957 –, ainsi qu’Albert Uderzo et René Goscinny – dont la première collaboration importante, Oumpah-Pah, est publiée dans le même Tintin en 1958. Une seconde vague de dessinateurs à peine plus jeunes déferle bientôt sous les yeux d’un lectorat de plus en plus captif et volumineux. Dans Spirou, il y a Maurice Tillieux qui, avec Gil Jourdan, invente la comédie policière quelques années avant que Michel Audiard ne fasse de même au cinéma. Il y a aussi Peyo qui imagine avec Johan et Pirlouit un certain merveilleux moyenâgeux préfigurant les mondes de trolls à venir. Il est aussi celui qui crée, incidemment, l’une des icônes de la bande dessinée populaire : le schtroumpf. Avec Boule et Bill, Roba fait de même. Pendant que Franquin, lassé de Spirou et Fantasio, se régénère avec le prototype de l’anti-héros auquel on veut ressembler : Gaston Lagaffe. Dans Tintin, Raymond Macherot prouve avec Chlorophylle que la bande dessinée animalière peut ne pas être bêtifiante.

[…]


Willy Lambil, Les Tuniques bleues – Des Bleus en noir et blanc (1975) Scénario : Raoul Cauvin ;; planche n° 1 © Willy Lambil


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,4567#89:;<947#=7#>?<49@9AB>#7;#=7#:B#6B>7C4#=BA:# >?7:DBE7#F4BAE<D8<A7 DIDIER PASAMONIK L’art, « cet ardent sanglot qui roule d’âge en âge » dont parle Baudelaire, a bien changé de statut au cours des siècles. La bande dessinée n’a tenté d’y atteindre que récemment. Avant cela, elle est l’avatar d’un monde, comme l’a si bien dit Malraux, « créé par des artistes pour qui l’idée d’art n’existait pas 1 ». Cette situation de la bande dessinée en marge de l’art est sa chance. Car en matière artistique, un mouvement chasse l’autre et il ne fait pas bon, quand on est artiste, d’être impressionniste ou symboliste, voire cubiste, au XXIe siècle. Si bien que la bande dessinée est devenue un de ces arts graphiques exutoires où se réfugient bon nombre de créateurs restés attachés à des références désuètes : comment expliquer sinon l’ingrisme d’un Paul Cuvelier, les références à Böcklin ou à Gustave Moreau d’un Druillet, à Alfred Kubin ou à Gus Bofa de Tardi ou la citation de La Grande Vague de Kanagawa d’Hokusaï dans le Alpha de Jens Harder ? La première biographie consacrée à un auteur d’histoires en images a été consacrée à François Georgin (1801-1863), ce dessinateur d’images d’Épinal qui célébra l’épopée napoléonienne. Publié sous Vichy, cet opuscule figure dans une collection d’« artisans célèbres » se référant au vieux maréchal soucieux de « restaurer la tradition de l’artisanat français ». Georgin dont l’oncle combattit à Austerlitz signa ses bois très tôt, fait rare dans ce métier où les graphistes sont souvent anonymes. On remarqua son style : « Georgin savait trouver le trait juste pour exprimer les sentiments des masses et c’est pour cela qu’il les conquit » écrit son biographe 2. On le collectionna, comme on collectionnait Granville ou Gustave Doré.

!"#$"%&'()"#*"+#,"-%./-01+ Parle-t-on déjà d’art ? Le caractère multimédia de la bande dessinée, associant texte, image et narration, créa longtemps une confusion quant à son rattachement. On s’accrocha à ses artifices les plus évidents, les dialogues dans les phylactères et les onomatopées, ou à son usage, le plus souvent distractif, pour la définir par des vocables évoquant le monde de l’enfance : Fumetti (en italien : « petite fumée », en référence à 1. André Malraux, La Métamorphose des dieux, Gallimard, Paris, 1957. 2. René Cercler, François Georgin et l’imagerie, Les Publications techniques, Paris, s.d. (1940).


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la bulle) ou Comics (en anglais, mais aussi en allemand, en référence aux récits humoristiques qui la caractérisaient à ses débuts). Ses premiers défenseurs restaient attachés à sa dimension livresque : le premier Club des Bandes Dessinées, fondé le 29 mars 1962, ne publiait-il pas une revue intitulée Giff-Wiff (juillet 1962), « la revue bimestrielle du Centre d’étude des littératures d’expression graphique » (CELEG) ? On parlera longtemps encore de « littérature de bande dessinée 3 » et de son succédané, le « roman graphique 4 »… L’historien Pascal Ory compare cette recherche éperdue d’honorabilité à celle, née dans les années 1920, du cinéma, appuyée elle aussi sur les clubs. Il considère que la réussite de l’entreprise de respectabilisation de la bande dessinée est « exemplaire » et doit autant à un discours structuré destiné à asseoir la réputation de l’objet aimé (la première thèse sur Hergé date de 1970), « confectionné par des adultes se retournant avec nostalgie sur les lectures de leur enfance », qu’à « l’explosion esthétique et éthique consécutive à Mai 68 ». Dans ce processus, il remarque la parution en 1979 du premier guide-argus français qui donne une cote à la bande dessinée, attestant d’une valeur directement monétisable 5.

-&"2#%$#\0-$*#] Depuis quand la bande dessinée est-elle considérée comme l’un des beaux-arts ? Hergé n’y prétend pas. Face à Numa Sadoul, il parle d’art « avec un grand H 6 », ironisant à propos d’un statut qui lui semble incongru. Lui qui était entouré de peintres au moment où il forma son équipe du Journal Tintin (Cuvelier, Jacobs, Laudy et Van Melkebeke avaient tous fait les beaux-arts, comme Jijé chez Spirou) apprécie l’art, mais celui qu’il collectionne (tardivement) lorgne vers les modernes : Pierre Alechinsky, Karel Appel, Louis Van Lint, Jean Dubuffet, Bram Bogart, Lucio Fontana, Victor Vasarely, Alexander Calder, Nicolas Schöffer, Sol LeWitt, Andy Warhol, Roy Lichtenstein 7… Des peintres bien éloignés de ceux qu’appréciaient ses proches, plutôt versés dans les symbolistes tardifs (Constant Montald, Jean Delville, Anto Carte…), ou comme c’est le cas pour Paul Cuvelier, dans le néo-classicisme à la Louis Buisseret. Ce « complexe du peintre » (Hergé tâta lui aussi de la palette) se prolongea jusque dans son Tintin ultime et inachevé, Tintin et l’Alph-art, inspiré du scandale suscité par un célèbre marchand de tableaux passablement escroc, Fernand Legros. Dans le numéro du 17 décembre 1964 de Spirou (n° 1392), Yvan Delporte inaugurait une rubrique consacrée à la bande dessinée et intitulée « 9e Art ». Elle était signée par Morris, le fameux créateur de Lucky Luke, qui allait fonder quelques temps plus tard, avec André Leborgne, un Club belge des Amis de la Bande Dessinée (CABD), dont l’organe de liaison était le fanzine Ran Tan Plan (février 1966). Dans cette rubrique, Morris a un co-auteur : Pierre Van Keer, alors directeur aux chemins de fer

3. Collectif, La Littérature de la bande dessinée, Robert Laffont - Grammont, Paris-Lausanne, 1975. 4. Selon Jean-Paul Gabilliet, les termes Graphic Novel auraient été utilisés pour la première fois par un fan de comics, Richard Kyle, dans le n° 2 du fanzine Capa-Alpha (novembre 1964), dans sa rubrique « Wonderworld ». Cf. Jean-Paul Gabilliet, Des Comics et des hommes : Histoire culturelle des comic books aux ÉtatsUnis, Éditions du Temps, 2005. 5. Pascal Ory, L’Aventure culturelle française, 1945-1989, Flammarion, 1989. 6. Numa Sadoul, Tintin et moi. Entretiens avec Hergé, Casterman, 1975. 7. R. Pieters, « L’Ultime Ligne claire », in Le Vif / L’Express Hors Série, 10 septembre 2009.


et collectionneur érudit de bandes dessinées. Le sous-titre n’est pas anodin : « Musée de la bande dessinée »… Le vocable « 9e Art » pour désigner la bande dessinée n’est pas une nouveauté. Une étude du Collectionneur de bande dessinée a montré qu’il avait été forgé par le critique de cinéma Claude Beylie qui aurait utilisé ce concept dans Lettres et Médecins, supplément littéraire de La Vie médicale, de janvier à septembre 1964, soit trois mois avant Morris et Van Keer. L’ont-ils lu ? C’est possible. Mais il est clair en revanche que la rubrique de Spirou scelle définitivement l’usage des mots « 9e Art » pour désigner la bande dessinée. Pourquoi le 9e Art ? Le rédacteur en chef de Spirou, Yvan Delporte, l’explique en introduction de cette « histoire des histoires en images » reprenant les grands noms de la bande dessinée, surtout américaine (Morris ne signe que cinq articles dans cette rubrique qui en comporte près de deux cents) : le cinéma ayant recueilli la septième place, après l’architecture, la peinture, la sculpture, la musique, la poésie et les arts dramatiques, la télévision s’arrogea la huitième. La bande dessinée se saisit dès lors de la neuvième bien que, précise Delporte, elle précède objectivement le cinéma et la télévision sans même qu’on aille chercher en référence la Colonne Trajane et les peintures égyptiennes qui sont déjà, selon Delporte, des « histoires en images ». La formule fait florès, en dépit du scepticisme de ses usagers : « Que les autres expliquent la “BD” comme ils l’entendent, que l’on en fasse un 9e, 10e ou 11e art, un phénomène social de l’époque, une mode passagère, un snobisme, voire même l’expression d’une philosophie. Nous, nous n’avons jamais cessé de rêver, et de nous amuser avec nos images qui sentent le petit pain au chocolat de la sortie de l’école » déclare ainsi René Goscinny en 1968 8. Dès décembre 1966, Francis Lacassin pouvait écrire dans l’éditorial de Giff-Wiff : « 9 Art, An II », et s’enorgueillir de ce qu’un « cadre de texture amicale » ait pu susciter « cinq organismes nationaux et deux organismes internationaux » répandus dans huit pays : Belgique, Suisse, Italie, Espagne, Mexique, Brésil, Suède et Allemagne. Il écrit : « Il est temps d’annoncer le clivage entre la bande dessinée culturelle et la bande dessinée commerciale, entre la bande dessinée traditionnelle et celle d’avant-garde, entre la bande dessinée documentaire et celle de fiction, entre celle conçue pour les adultes et celle réservée aux enfants 9. » Quelle prescience de ce que la bande dessinée allait devenir dans les années suivantes ! e

En 1971, Lacassin publie son célèbre manifeste Pour un 9e art, la bande dessinée. En préface, il signale que, depuis 1962, la croisade pour la bande dessinée a accru ses objectifs : « D’abord organiser le sauvetage des documents et des archives dont les intéressés ne percevaient jusque là pas l’importance. Ensuite proclamer que la bande dessinée […] est un art. Qui oserait en douter désormais ? Les musées ont ouvert leurs portes à la bande dessinée ; les congrès, colloques, expositions, manifestations et associations en sa faveur se multiplient dans le monde 10… »

8. Préface de René Goscinny in Jacques Marny, Le Monde étonnant des bandes dessinées, éditions Le Centurion – Sciences Humaines, 1968. 9. Giff-Wiff n° 22, décembre 1966. 10. Francis Lacassin, Pour un 9e art, la bande dessinée, Coll. 10/18, 1971.


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!?c\"#*"+#".G3+'1'3$+ Si dès 1964 la notion de musée est dans toutes les têtes, nous n’en sommes pas encore à envisager des collections permanentes. Mais nous en prenons le chemin assez rapidement. En avril 1967, le Musée des Arts décoratifs ouvre les cimaises du Pavillon de Marsan à une exposition qui fait date : Bande dessinée et figuration narrative, sous-titrée histoire/esthétique/production et sociologie de la bande dessinée mondiale – Procédés narratifs et structure de l’image dans la peinture contemporaine 11. Organisée par l’équipe du prozine Phénix 12 cornaquée par Pierre Couperie à laquelle s’adjoint le critique d’art Gérald Gassiot-Talabot 13, l’inventeur du concept de « figuration narrative » créé en France dans les années 1960 en réaction aux mouvements contemporains que sont l’abstraction lyrique, l’action painting, le nouveau réalisme et le pop art, elle est la première grande exposition de bande dessinée organisée dans un musée officiel français. Gassiot-Talabot, bien que soulignant les limites de la présence de peintures dans une exposition entièrement consacrée à la bande dessinée, remarque que les préoccupations picturales du moment tournent autour d’une « représentation figurée dans la durée, par son écriture et sa composition, sans qu’il y ait toujours à proprement parler de “récit” ». Les citations de dessins ou de textes font partie de la démarche, comme dans For Kate de Schwitters (1947) ou dans les travaux du lettriste Maurice Lemaître peu de temps après. Ce dernier est d’ailleurs le premier peintre à se revendiquer de la bande dessinée. L’intérêt du monde de l’art pour la bande dessinée lui donne de facto une légitimité inédite : « … en débusquant l’image “vulgaire” de notre environnement et en redonnant un sens à l’art commercial », écrit Gassiot-Talabot en parlant du travail de Lichtenstein, « elle nous propose quelque chose de subtilement “autre” »… qui revient à rehausser une production que Lichtenstein regarde avec condescendance, comme « une forme d’art », mais dont il déclare, devant le journaliste Alan Solomon : « Je crois d’ailleurs que les gens qui y travaillent [à la bande dessinée] ne la considèrent pas ainsi » avant de se montrer plus radical encore face au président de la Cartoonist Association Society, David Pascal : « Je ne considère pas la bande dessinée comme un art 14. » La croisade de Francis Lacassin et de ses amis lui prouva le contraire. En Belgique, l’exposition La Bande dessinée en Belgique à la Bibliothèque royale Albert 1er à Bruxelles (juin 1968) est un autre marqueur de première importance 15. Tandis que William Ugeux, le propre fils du fondateur du XXe Siècle qui vit naître Tintin, avance l’expression « neuvième art » avec un point d’interrogation prudent dans son introduction au catalogue de l’exposition, Michel Greg, également préfacier, lui appose des guillemets. C’est que les préventions sont encore fortes : l’exposition est là, selon Greg, pour « ouvrir les yeux sur un des phénomènes sociaux le plus mal 11. Pierre Couperie, Proto Destafanis, Édouard François, Maurice Horn, Claude Moliterni, Gérald Gassiot-Talabot, Bande dessinée et figuration narrative, Union centrale des Arts décoratifs, avril 1967. L’expo a lieu du 7 avril au 12 juin 1967. 12. Pierre Couperie, Proto Destafanis, Édouard François, Maurice Horn, Claude Moliterni, mais aussi Henri Filippini et Jean-Pierre Dionnet. 13. Éditeur, directeur des éditions du Chêne chez Hachette, on lui doit aussi le célèbre Guide du Routard. 14. Bande dessinée et figuration narrative, idem. 15. Du 29 juin au 25 août 1968 organisée par Fernand Baudin, Salomon Grunhard, Michel Claes et Marc Lefèvre, aidés par les auteurs Michel Greg, Jean Van Hamme, Yvan Delporte et par l’éditeur Thierry Martens, auteur du premier mémoire sur la bande dessinée en Belgique : Réalisme et schématismes dans les bandes dessinées hebdomadaires belges contemporaines, Université Catholique de Louvain, 1966.


connu de notre temps » mais aussi pour « se rassurer » sur le fait que la bande dessinée est un genre honorable 16. Edgar P. Jacobs y expose pour la première fois ses planches originales. Dès lors, les expositions vont se succéder à un rythme effréné, notamment dans le cadre des festivals qui se multiplient à l’imitation du Festival International de la Bande Dessinée créé à Angoulême en janvier 1974. Du côté de la Flandre, la première exposition patrimoniale marquante est 9th Art – Art et innovation dans la bande dessinée européenne 17, organisée par le Musée d’Art Contemporain de Gand (actuellement Stedelijk Museum voor Actuele Kunst - Musée municipal d’art actuel), alors dirigé par Jan Hoet. Aux côtés du galeriste Danny De Wilde, co-auteur des textes du catalogue 18, Jean-Marie Derscheid est confronté à la récolte des originaux, lesquels viennent de tous les horizons puisqu’aux côtés de Hergé, d’Edgar P. Jacobs, d’André Franquin, de Willy Vandersteen, de Marc Sleen, de Kamagurka… figurent Hugo Pratt, Moebius, Philippe Druillet, Jean-Marc Reiser, François Bourgeon, Georges Pichard… Nous sommes dans un musée : ces planches doivent être assurées. On les valorise, donc. L’original de couverture de Tintin au Pays des Soviets de Hergé est assuré 200 000 francs belges [5 000 €], Franquin, Jacobs, Pratt… 100 000 francs belges [2 500 €] !

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*"+#!',0-'0"+/,032-$1"%0+ De mémoire de collectionneur, le premier à afficher des prix « prohibitifs » sur des albums de bande dessinée fut le libraire, dessinateur et critique de cinéma Jean Boullet dans sa boutique Le Kiosque, ouverte à Paris au milieu des années 1960. La rue du Château était le rendez-vous du Club des amis de la bande dessinée de Lacassin. On y trouvait toutes sortes de littératures de « mauvais genre » : des romans policiers, des livres d’horreur, des romans fantastiques, de la science-fiction… et des bandes dessinées. Philippe Druillet y fait sa première exposition en 1965 et y vend des planches. Elles sont posées sur les rayonnages, pas même encadrées… À sa suite, on trouvera d’autres galeristes-brocanteurs à Paris, notamment la librairie Futuropolis, passage des Écoliers (Paris 15e), tenue par Robert Roquemartine également présent aux puces de Saint-Ouen, le germanopratin Pierre Scias et sa librairie Actualités, rue Dauphine, féru de comics américains, ou encore Jean-Claude de Repper et sa librairie Azathoth, rue Grégoire-de-Tours, haut lieu de la science-fiction parisienne, où l’on trouve quelquefois des originaux de Moebius à des prix qui font rêver aujourd’hui, Denis Ozanne dans le 15e arrondissement de Paris. En Belgique, les pionniers furent Georges Coune et sa librairie The Skull, au Pont du Germoir à Ixelles, et surtout Michel Deligne, chaussée de Louvain à Saint-Josse (Bruxelles), qui tenait un stand sur le marché de la Place du Jeu de Balle dans les Marolles.

16. Jean Van Hamme, Introduction à la bande dessinée belge, Bibliothèque Royale de Belgique, juin 1968. 17. Du 4 juillet au 6 septembre 1987, Musée d’Art Contemporain de Gand. 18. Danny De Wilde [Dir.] , 9th Art – Art et innovation dans la bande dessinée européenne, Éditions De Buck, juillet 1987.

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Michel Deligne en particulier marqua les imaginations. Sa boutique, une incroyable caverne d’Ali Baba où l’on trouvait aussi bien des armes (sabres d’Empire, revolvers de la Seconde Guerre mondiale…) que des éditions anciennes de Jules Verne, des fascicules originaux de Harry Dickson ou des affiches de cinéma, était le rendez-vous des stars de la bande dessinée de l’époque. On y croisait André Franquin, Jijé, Will, Maurice Tillieux, Sirius, Liliane et Fred Funcken, Victor Hubinon et Jean-Michel Charlier, Michel Greg, William Vance, Jacques Martin, Bob De Moor, André-Paul Duchâteau et Tibet, Henri Vernes, l’auteur de Bob Morane… Hergé et Jacobs plus rarement. Quand ils voyaient les prix que le libraire au chapeau de cow-boy était prêt à mettre sur leurs éditions anciennes, ils n’en revenaient pas et regrettaient de ne pas en avoir conservé davantage. Dans la foulée, on se mit à vendre des originaux. Un auteur réputé comme Maurice Tillieux échangeait volontiers quelques planches contre une arme ancienne ou une collection de fascicules d’avant-guerre. Ses travaux côtoyaient des pages vénérables de Giffey, de Le Rallic, de Calvo ou de Pellos, vendues à l’époque à un prix considéré aujourd’hui comme dérisoire. Jijé confia à Michel Deligne ses premiers originaux pour les vendre, il en demandait 2000 francs belges [50 €] la planche 19. La bande dessinée commençait à être célébrée dans les médias et l’on voyait défiler dans la boutique de la chaussée de Louvain des figures connues de la télévision ou de la chanson : le fantaisiste Stéphane Steeman, fils du célèbre Stanislas-André Steeman, l’auteur de L’Assassin habite au 21, Jean Richard, Renaud, Pierre Arditi, Dick Rivers… ou de la politique, comme le Ministre socialiste de la culture Jean-Maurice Dehousse qui profitait de l’aubaine pour rendre hommage à Jijé par une grande exposition aux Chiroux 20 et faire quelques emplettes pour les musées wallons. Haut lieu de culture populaire, la boutique de Michel Deligne servit d’université à une noria de jeunes collectionneurs que l’on retrouve plus tard dessinateurs ou éditeurs. Ce n’étaient pas des spéculateurs, mais bien les premiers conservateurs d’un patrimoine dont ils pressentaient la valeur. Deligne fut également éditeur. Dans ses publications, un bric-à-brac de titres édités sur des coups de cœur où figuraient les premières rééditions de classiques belges introuvables, on découvre aussi bien les premiers pas de l’élégant orfèvre de la ligne claire Ever Meulen que ceux du fondateur de la nouvelle bande dessinée israélienne Michel Kichka. Sur les traces de ce libraire-éditeur, les librairies-galeries se multiplièrent dans les années 1980 : Chlorophylle de Boris Nowak, Bédéscope de Patrick Schelkens, ChicBull des frères Pasamonik, berceau des éditions Magic-Strip, La Bande des 6 nez de Jean-Louis Carette, Le Fantôme Espagnol de Frédéric Flament, Petits Papiers de Marc Breyne et Alain Huberty, Forbidden Zone d’Éliane Bar et Cédric Wrzesinski, Espace-BD de Thierry Goossens puis Brüsel de Reynold Leclercq et Frédéric Ronsse à Bruxelles, la librairie Jean Gavilan à Woluwe-Saint-Pierre, La Marque jaune de Michel Vandam à Liège, Tropica BD de Christian Renard à Charleroi, les librairies Album à Paris fondées par la famille belge Rasquin, les librairies La Marge de Rolf Kesselring à Lausanne, Papiers Gras de Roland Margueron à Genève, La Parenthèse de Stéphane Godefroy à Nancy et bien d’autres… Ces ventes d’originaux, opérées jusqu’ici quasi en contrebande, vont commencer à se professionnaliser au début des années 1980. 19. Entretien de Michel Deligne avec Didier Pasamonik, ActuaBD.com, 10 juillet 2005. 20. Jacques Stiennon ; Jacques Hansenne, Jijé : 40 ans de bandes dessinées, Les Chiroux, 1975.


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!"+#G0")'"0+#\-!"0'+1"+ L’un des premiers acteurs de cette évolution est le Belge Jean-Marie Derscheid qui, au départ de sa galerie d’art contemporain, la Galerie 2016, va organiser la première exposition d’Hugo Pratt en 1981. Une planche originale du maître vénitien se négocie alors entre 80 000 et 100 000 francs belges (environ 2000 et 2500 €). Vingt ans plus tard, ce chiffre est multiplié par trente… Suivent Tardi, Gillon, Forest, Loisel… « Si Pratt et Moebius ont bien fonctionné, à l’expo de Tardi par exemple, j’ai vendu deux planches, point barre » se rappelle Jean-Marie Derscheid 21. Derscheid est suivi à Bruxelles par la galerie Michel Wittamer qui accroche à ses cimaises Schuiten, Renard, Peyo, Liberatore, Manara, Moebius, Milton Caniff… En 1984, Wittamer expose Jean Giraud, tandis que Derscheid expose Moebius… Derscheid, toujours, joue plus tard, avec sa librairie-galerie Ziggourat, un rôle déterminant dans la promotion de la nouvelle génération des auteurs belges du groupe Fréon, de Thierry Van Hasselt à Dominique Goblet. Mais le moment déterminant a été la création de la Galerie Escale de Christian Desbois à Paris en 1981. Desbois devient le marchand privilégié de Enki Bilal et de Jacques Tardi, mais aussi d’une pléiade d’auteurs de la même génération : Claire Bretécher, Philippe Bertrand, Jacques de Loustal, André Juillard, François Schuiten, Lorenzo Mattotti, Nicolas de Crécy, Manu Larcenet, etc. Son activisme et son inventivité font merveille et créent véritablement un marché haut de gamme : ainsi, après avoir édité des sérigraphies d’Edgar P. Jacobs à ses débuts, il invente les « rehauts » qui permettent à Bilal de produire des séries. Le travail de ces précurseurs provoque des répliques, notamment chez Papiers Gras de Roland Margueron à Genève, déjà cité, une librairie créée en 1981, dont la galerie se professionnalise, elle aussi, à partir de 1983. Petit à petit, un réseau international de galeries se met en place, des auteurs exposant aussi bien à Paris qu’à Bruxelles, Genève, Milan ou New York. 21. Camille Escoubet, Le Cas de l’exposition « Regards croisés de la bande dessinée belge » aux Musées Royaux d’art et d’histoire (27 mars-28 juin 2009), mémoire de Master 2 d’histoire de l’art contemporain, Université Libre de Bruxelles, 2010.


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Jean Graton, Michel Vaillant – L’Honneur du Samouraï (1964) Planche n° 39 © Jean Graton / Graton Éditeur / Dupuis


COMMENT MONTRER LA BANDE DESSINÉE ? THIERRY BELLEFROID

La collection du BAL pose une question qui renvoie plus généralement à l’ensemble des fonds de bande dessinée : comment montrer la planche, l’extraire du récit ? Cette question qui ne connaît jusqu’ici aucune réponse « scientifique » semble peu agiter le monde muséal ; au reste, il ne possède somme toute qu’une infime part des originaux en circulation. Pour autant, la bande dessinée s’expose de manière croissante. Dans les galeries d’art, de plus en plus nombreuses et généralement marchandes. Dans les expositions temporaires, tantôt thématiques, tantôt liées à l’un ou l’autre mouvement ou à une génération d’auteurs, quand elles ne sont pas monographiques. Dans les centres culturels, les bibliothèques, les festivals de bande dessinée. Tout se passe comme si l’original, ou à défaut sa copie – fac-similé voire reproduction sur les supports les plus divers –, devenait une œuvre en soi. Or, à bien regarder la fonction narrative du dessin dans le récit, ce postulat est tout sauf évident. Les premières grandes expositions de bande dessinée démarrent dans la seconde moitié des années soixante, comme on l’a lu dans le chapitre « La BD comme Art » du présent ouvrage. Elles se multiplient dans les décennies suivantes de manière quasi exponentielle. C’est même à l’occasion de l’une d’entre elles, en 1977 à Rotterdam, aux Pays-Bas, que le terme de Ligne Claire est inventé par Joost Swarte. Mais c’est durant les années 90 qu’elles acquièrent une popularité grandissante. En témoigne par exemple Le Musée des Ombres de Schuiten et Peeters, créé pour le Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême en 1990 et plus précisément dans le cadre de l’ouverture du Centre National de la Bande Dessinée et de l’Image. Un Musée des Ombres qui connaîtra de multiples prolongements en France, en Suisse, en Belgique et jusqu’en Allemagne. Une dizaine d’années plus tard, la bande dessinée est prête pour envahir les lieux les plus prestigieux. Qu’on pense aux Maîtres de la bande dessinée européenne de Thierry Groensteen à la BnF à Paris en 2002. Ou, plus récemment, à Regards croisés sur la bande dessinée belge, une exposition installée aux très prestigieux Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, à Bruxelles, en 2009, sous le double commissariat de Didier Pasamonik et Jean-Marie Derscheid. Ou encore Archi & BD, La Ville dessinée, de Jean-Marc Thévenet, qui prendra ses quartiers dans la Cité de l’Architecture, au Palais de Chaillot à Paris, un an plus tard. Chacune de ces grandes expositions a ses spécificités. Et tente de donner une fonction précise à la planche ou à la case. Car pour le commissaire d’exposition ou le scénographe, l’équation à résoudre


est toujours la même : comment poser au mur – ou aux cimaises – des originaux, des fac-similés, des agrandissements hors du contexte du récit pour lequel ils ont été produits ?

APPRENDRE À REGARDER CE QU’ON A LU Dans un premier temps, la mise en scène des expositions de bande dessinée est assez minimaliste. Comme le dit Benoît Peeters, co-auteur des Cités obscures mais aussi lui-même commissaire de plusieurs expositions de bande dessinée : « Il était très important de montrer les qualités techniques et plastiques des dessinateurs de la bande dessinée classique qu’on avait jusqu’alors lus plutôt que vus 1. » Les premières expositions ont donc pour but de légitimer le 9e art en tant qu’art à part entière. Et non plus comme vecteur de récit aux qualités graphiques mineures. Thierry Groensteen l’explique très bien : « On ne peut exposer que des œuvres singulières. Toutefois certaines expositions peuvent avoir une dimension pédagogique, chercher à sensibiliser le public à la richesse du médium, voire à convertir des néophytes. C’est ce qu’avaient cherché à faire les concepteurs de l’exposition Bande dessinée et figuration narrative de 1967, en agrandissant démesurément certaines cases pour en magnifier les qualités plastiques. C’était efficace mais c’était aussi une dénaturation de l’essence même de la bande dessinée, qui est d’aligner les cases, de les organiser en séquences, non de les montrer comme des tableaux. » Benoît Peeters en arrive à peu près à la même conclusion. En compagnie de Pierre Sterckx, critique d’art et proche de l’auteur de Tintin, il monte de décembre 1988 à janvier 1989 l’exposition Hergé dessinateur au Musée d’Ixelles, en Belgique. « Il s’agissait de montrer la beauté du dessin en l’isolant par un éclairage très cadré, une atmosphère très intimiste : nous voulions révéler une dimension graphique qui restait méconnue. L’original a d’abord une signification plastique propre. Il porte parfois des signes de toutes les étapes du travail. Les traces de crayon sur les pages d’Hergé, les retouches de noir ou de gouache blanche sur les originaux de Pratt, ce sont des témoignages importants. L’original est une dimension du travail, mais il ne faut pas le “fétichiser” pour autant. En un sens, il n’est malgré tout qu’une étape, car la véritable finalité reste quand même le résultat imprimé. » Certes, la démarche consistant à exposer sur un mur des originaux ou des reproductions de planches de bande dessinée éloigne du livre. Ce qui fait dire à Thierry Groensteen : « Il est évident que le fait de l’exposer met la composante graphique en avant, davantage que la composante narrative. Ce n’est pas un problème : si on veut lire une bande dessinée, on ne va pas dans une exposition, on ouvre un album. » Marc-Antoine Mathieu, à la fois auteur et scénographe, avance quant à lui : « Épingler une œuvre extraite de sa narration lui fait forcément perdre la moitié de son sens au moins. La page s’en trouve transformée et cela sacralise le dessin. On en a un aperçu, certes, mais cet aperçu est tronqué par rapport au récit lui-même. Ce serait comme faire une rétrospective sur un cinéaste sans projeter ses films. » Mais il serait vain d’opposer le livre à l’exposition et de ne considérer la planche exposée que comme une portion incomplète du récit. Ainsi, François Schuiten, lui aussi auteur et scénographe, pense que certains originaux peuvent subir sans trop de dommages ce 1. Les citations de cet article proviennent d’entretiens ou d’échanges de courriers réalisés spécifiquement dans le cadre de ce chapitre, en 2013 et 2014.


« déracinement ». « Il y a des planches qui “s’autonomisent”, qui ont une puissance leur permettant de prendre de la distance. Parfois, ce peut être une séquence muette ou très graphique où l’on est dans le paroxysme de quelque chose. Les regarder suffit. »

LE DANGER DES TROIS DIMENSIONS Cette tendance qui consiste dans un premier temps à mettre la planche en avant sans grands artifices scénographiques va peu à peu, à la fin des années 80, céder le pas à une démarche tournée vers des expositions dont le cœur n’est plus la planche ellemême. Le meilleur exemple en est Le Musée des Ombres. À mi-chemin entre exposition et installation, il s’agit cette fois de développer en trois dimensions un univers contenu dans une série de bande dessinée en lui donnant de nouveaux prolongements dont la planche n’est qu’un élément parmi d’autres. Elle est même totalement désacralisée puisque pour passer d’un monde à l’autre – Les Cités obscures étant conçues sur la base de l’existence de mondes parallèles aux nôtres –, François Schuiten et Benoît Peeters imaginent une lézarde dans un mur, déchirant en deux une planche des Cités et ouvrant sur un labyrinthe de décors et de projections. François Schuiten, en regardant dans le rétroviseur, admet toutefois que tout n’était pas totalement idéal : « Dans Le Musée des Ombres, il y avait des moments réussis et d’autres qui pouvaient nous rapprocher du parc d’attraction. Une démarche de ce type est toujours à double tranchant. Un univers graphique n’est pas forcément fait pour la troisième dimension. » Jean-Marie Derscheid, ancien galeriste aujourd’hui commissaire de nombreuses expositions, pointe les dérives de cette approche souvent bien moins riche et porteuse de sens que dans Le Musée des Ombres. « Dans les années 80, tout le monde pensait qu’il fallait produire une scénographie en accord avec la planche ou l’univers graphique de la bande dessinée. Je me rappelle avoir vu des cases entières reproduites en 3D, notamment dans une exposition de Bilal. Ou à Angoulême, à l’occasion d’une expo sur Ici Même 2, de Tardi et Forest, dans laquelle on avait reproduit le mur grandeur nature sur lequel trônait la silhouette d’Arthur Même. Je ne pense pas que la bande dessinée ait besoin d’une dimension tridimensionnelle pour exister. » De telles expériences vont se multiplier, bénéficiant d’une part des grandes manifestations liées à la bande dessinée comme le Festival International d’Angoulême, et de l’autre, de mécènes plutôt généreux– au rang desquels on retrouve en premier lieu les pouvoirs publics. Les éditeurs ne seront pas en reste, sollicités par exemple pour financer les expositions consacrées à leurs héros populaires auprès du jeune public. On se souvient des espaces consacrés à Kid Paddle, à Léonard ou aux mondes de Lanfeust à Angoulême. Mais ce modèle économique a tendance à se raréfier aujourd’hui : le monde éditorial est en crise, les pouvoirs publics aussi. À l’inverse, la multiplication des galeries marchandes ces cinq dernières années amène le public à voir de plus en plus souvent les planches de bande dessinée sans aucune scénographie, dans une approche muséale. Éclaboussés de lumière, ces originaux n’ont pour but que d’être mis à nu par l’œil expert de l’acheteur, ramenant le travail de l’auteur à une pure performance graphique.

2. Ici Même, de Tardi & Forest, Casterman, Les Romans (À Suivre), 1979


Maurice Maréchal, Prudence Petitpas – Stanislas a disparu (1967) Scénario : Mittéï ;; planche n° 19 © Le Lombard (Dargaud-­Lombard s.a.) 2015


PLANCHE OU SÉQUENCE ? Qu’elle soit ou non mise en scène, la planche de bande dessinée est sortie du contexte du livre. Cela ne signifie pas seulement qu’elle est extraite du récit lui-même et qu’elle en est déconnectée. Cela veut dire aussi qu’elle doit trouver une nouvelle matérialité. Très souvent – trop, sans doute –, elle est exposée verticalement. Dans les galeries, les salles d’exposition et la plupart des musées, on propose en effet des cimaises qui ne permettent pas d’autre solution. « On se trouve conduit à montrer verticalement quelque chose qui a été créé horizontalement et lu le plus souvent dans une position intermédiaire. C’est pour moi le plan incliné qui est idéal dans une exposition », pense Jean-Marie Derscheid. François Schuiten nuance : « Parfois, la planche inclinée nous fait retrouver le rapport au livre. Il y a cependant des auteurs qui font de grands formats et à qui la verticalité va bien : Druillet, Gillon, etc. » La rétrospective consacrée à Didier Comès dans les caves du théâtre d’Angoulême, en 2013, proposait une alternative à cette question de la verticalité. Mais aussi à celle de la lumière, sur laquelle nous reviendrons plus loin. Les scénographes Xavier Dumont et Monique Calande avaient construit des coffrets métalliques accueillant chaque planche originale ; ils étaient suspendus aux cimaises, légèrement en biais. Une fois ce débat tranché – verticalité, horizontalité ou voie médiane –, reste la question de la signification de la planche en elle-même. Pour Jean-Marie Derscheid, le choix de ce qu’on expose est primordial, et pas seulement pour des questions esthétiques. « Si on a la possibilité de la choisir, la planche se doit d’être représentative de l’album ou de la série qu’on veut exposer. Cela veut dire qu’on y retrouve les principaux personnages, ou que cette planche est en elle-même suffisamment importante dans le récit pour en être représentative. Elle parlera de l’époque, du propos, de la technique. » Tous les scénographes et commissaires d’exposition s’accordent en revanche pour dire qu’une séquence formée de plusieurs planches est toujours préférable à un accrochage isolé. Ainsi, le visiteur néophyte entre-t-il au mieux dans le récit. Et partant, dans l’univers de l’auteur.

ORIGINAL OU COPIE ? De nombreuses expositions font aujourd’hui la part belle aux fac-similés, mais aussi aux reproductions sur toutes sortes de supports, souvent de grande taille. Si les impressions sur bâche ou sur toile de peintre se distinguent d’emblée, brisant la monotonie des encadrements alignés, il n’en va pas de même pour les fac-similés. « Ce qui me rend fou », commente Schuiten, « c’est le mélange de reproductions et d’originaux dans les expositions. Il faut une échelle, une écriture, une lumière différentes pour que le spectateur identifie très vite ce qu’il a devant lui. Dans cette mesure, il peut “jouer” avec les éléments qu’on lui présente. Il acceptera volontiers les copies, s’il sait qu’on lui montre par ailleurs des originaux, mais surtout, s’il n’a pas l’impression qu’on veut lui faire prendre les premières pour les seconds. » Encore faut-il pour cela que les planches exposées soient lisibles. Or, elles sont fréquemment privées de leurs dialogues. « On expose de plus en plus souvent des planches où les textes ne figurent pas, voire des cases isolées », regrette Benoît Peeters. « Il y a donc une perte narrative indéniable dans la manière dont l’original est proposé au regard. Il faut dès lors espérer qu’on révèle autre chose, que le gain plastique com-


Noël Bissot, Le Baron, oncle Bébel et le Sire Jean Foultre de Montgibet – Une histoire de pilules (1966) Planche n° 17 © Jean-­Marie Bissot

pense cette perte de sens et de spécificité par rapport au médium. Car la force de la bande dessinée, c’est d’abord celle de son médium : la coexistence de plusieurs images dans une page, l’union indissociable du dessin et du texte, du “tableau” et du “récit” comme j’avais tenté de le montrer dans Lire la bande dessinée 3. » L’original est-il pour autant le Graal du visiteur d’une exposition de bande dessinée ? Pour les connaisseurs, on serait tenté de dire que oui. « En visitant récemment l’exposition Astérix à la BnF, j’ai véritablement été ébloui par le talent d’Uderzo qui éclate dans le face à face avec les originaux : on redécouvre des pages que l’on croyait familières », souligne Thierry Groensteen. S’il a connu le même type d’expériences, Benoît Peeters se refuse toutefois à généraliser : « Dans un cas comme celui de Little Nemo, les couleurs n’existent pas sur l’original ; elles étaient réalisées à l’imprimerie, d’après les indications de Winsor McCay. Pourtant, ces couleurs sont presque indissociables du plaisir que l’on ressent à la lecture. L’original peut donc à la fois avoir un intérêt propre mais aussi être en quelque sorte moins intéressant que le résultat imprimé. Il faut par ailleurs remarquer que de très bons albums entièrement réalisés 3. Benoît Peeters, Lire la bande dessinée, Flammarion, collection « Champs », 2003.


à la palette graphique paraissent aujourd’hui, “dématérialisant” ce qu’on appelle la planche. Il y en aura de plus en plus. Ce qui prouve que la relation entre l’original et l’imprimé est bien moins univoque qu’il y paraît. Il n’est qu’une des modalités de la bande dessinée, et nullement son essence. » À s’interroger sur l’original dans l’exposition, on en oublierait de s’interroger sur l’exposition elle-même. Les salles de musées ou de festivals sont-elles le meilleur endroit pour montrer les travaux de bande dessinée ? Marc-Antoine Mathieu propose des alternatives : « Il y a un espace peu occupé pour la présentation d’œuvres de bande dessinée : l’extérieur. Pourquoi ne sort-on pas la BD dans la rue pour la montrer à des gens qui n’en ont jamais lu et qui n’iront donc pas voir une exposition dans un musée ? Chaque fois que nous l’avons fait, on a eu des retours très forts. De grands tirages numériques de planches qui fonctionnent par elles-mêmes sur des panneaux Decaux posés dans la rue, aux arrêts de bus, ça permet de faire entrer de nouveaux lecteurs dans le champ de la BD. Et si on tire cette idée jusqu’au bout, on pourrait dire que présenter un auteur ou un thème pourrait être pris en charge par l’auteur luimême. C’est très important qu’un auteur puisse choisir comment il veut montrer son travail. Qu’on se réfère à des expériences comme le Supermarché Ferraille monté par Les Requins Marteaux à Angoulême en 2001 et devenu itinérant depuis. » On pourrait tout aussi bien se référer à différentes installations du Frémok et d’Atrabile qui ont su mettre leur imaginaire en scène de manière remarquablement cohérente, que ce soit à Bruxelles, à Genève, à Lausanne ou à Angoulême.

UNE APPROCHE SCÉNOGRAPHIQUE Pour aborder la question de la scénographie en bande dessinée, il importe de distinguer d’emblée deux types d’expositions. D’une part, celles qui ont une approche monographique : ce sont les plus complexes à monter, car on tombe facilement dans les pièges d’une scénographie redondante. De l’autre, celles qui présentent un collectif d’auteurs, le plus souvent sur un thème précis. En janvier 2014, Marc-Antoine Mathieu réalisait avec son atelier Lucie Lom la mise en scène d’une exposition du CIBDI. Intitulée Nocturnes, elle déclinait à travers 150 planches le monde des cauchemars et des rêves. Certains créateurs, comme Winsor McCay, sont une bénédiction pour le scénographe : leur univers tient en une planche. Little Nemo, chef-d’œuvre de l’onirisme en bande dessinée, commence et se termine en effet toujours de la même manière. Accrochée au mur, une planche de McCay est donc une page de livre posée face au visiteur : elle a un début et une fin. Le spectateur et le lecteur se confondent. Mais il n’en va pas de même pour tous les travaux choisis dans le cadre de cette exposition. Quand bien même ce le serait, la question qui se poserait au scénographe serait de toute façon celle de l’environnement. Comment présenter une rétrospective thématique liée au sommeil et à ce qu’il produit de plus beau – le rêve – et de plus terrifiant – les cauchemars, les terreurs nocturnes ? « On met des thèmes en scène, pas nécessairement une œuvre », explique Marc-Antoine Mathieu. « Le rêve est un thème très riche. Et en bande dessinée, il a donné lieu à des décors spectaculaires ou inoubliables. Si forts, qu’on ne peut pas en rajouter. » Pour cette exposition, Thierry Groensteen fait le choix d’un commissariat thématique : il ne va pas regrouper les auteurs par période, genre, école. Mais bien par affinités de thèmes traités : les premières expériences, le rêve, le journal des rêves, les cauchemars… L’approche du scénographe Marc-Antoine Mathieu est dès lors celle d’un chef


opérateur sur un plateau de cinéma : où mettre la lumière ? Sa proposition : ajouter des lits qui viennent visiter les œuvres. Ils sont posés à côté des planches, comme un fil rouge un peu flou. Ils sont dans l’ombre. C’est une ponctuation, une unité donnée à l’ensemble. Quant à la lumière elle-même, elle permet d’installer une sorte d’intimité entre l’œuvre et le visiteur. « Lorsqu’on travaille sur un thème qui sonne aussi juste, notre boulot est évident, il s’agit d’accompagner le cheminement du public », conclut Marc-Antoine Mathieu. Thierry Groensteen ne dit pas autre chose : « Le décor n’est pas là pour “compenser” une distorsion. Son rôle est de créer une ambiance, un dépaysement, de participer à la scénarisation d’un parcours (entrer dans une exposition comme on entre dans une histoire… mais c’est une autre histoire que celle racontée dans les planches), de faire que la visite de l’exposition soit une expérience mobilisant le corps, les sens. » Un autre exemple, vécu par Marc-Antoine Mathieu : l’exposition La Fabrique Delcourt a dix ans. Une exposition montée au Musée du Papier, à Angoulême, dans le cadre du 23e FIBD, en 1996. Il s’agissait de montrer le travail d’une maison d’édition, on peut presque dire d’une écurie d’auteurs, sans thématique précise. Le scénographe va dès lors unifier les différents auteurs autour du thème de la création. « On a créé une quarantaine de tables à dessin. Chaque table montrait les outils des auteurs, leur documentation, etc. Dès lors, nous étions sur l’environnement, ce qui accompagne la création. Il devenait possible de dire quelque chose, qui ne soit pas redondant. Et qui permette au visiteur d’entrer dans une histoire. » Une démarche similaire sera utilisée par Didier Pasamonik et Jean-Marie Derscheid dans l’exposition Regards croisés sur la bande dessinée belge aux Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique en 2009. Pour chacun des vingt auteurs mis en avant dans cette exposition, une vitrine avec des objets personnels parlait à la fois de leur univers, de leurs influences, de leur rapport à la création. Au reste, une exposition est un parcours. La scénographie doit s’adapter à l’itinérance du visiteur, qui la parcourra à son propre rythme. Elle doit faire en sorte de lui éviter la lassitude, en jouant notamment sur les changements d’échelle. « L’idéal, c’est de donner des clés aux lecteurs et de ménager des silences, des temps de lecture et de l’espace. Sinon, c’est raté », confie Marc-Antoine Mathieu. Il s’agit donc d’instaurer un itinéraire guidant l’œil et l’esprit. De ramener sans cesse l’attention du spectateur sur le propos de l’exposition. Et non de vouloir dupliquer l’histoire en trois dimensions. « Il faut que je retrouve l’intimité qu’il y a avec le livre », confie François Schuiten. « Le rapport à la planche ne peut pas être perturbé par l’espace. J’ai trop souvent l’impression de voir des vignettes, des timbres. Il faut s’avancer dans l’image. Dans une exposition de bande dessinée, on montre autre chose. On monte l’échafaudage, on entre dans l’atelier, on tourne autour, peut-être pour mieux y revenir et l’aimer ensuite. Et si tout cela ne servait qu’à revenir au livre ? Il ne faut pas essayer de croire qu’une exposition montre ce qui se passe entre une bande dessinée et un lecteur. Il s’agit de prolonger cette relation, de créer des excroissances. Ou des dimensions futures, potentielles. »


Alexis, Emaat le Bossu (1977) Scénario : Yvan Delporte © Sabam Belgium 2014


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Regards sur la collection Des auteurs d’aujourd’hui lisent des auteurs d’hier


Comès, Silence, planche 49

vu par

Sergio Salma

Je dois avouer une chose incongrue, vu mon choix : je n’aimais pas Comès lorsqu’il publiait dans (À Suivre). L’étudiant que j’étais trouvait ça appliqué, un peu figé, jouant sur des images « faciles » : les sorcières, la guerre, la mort… Et puis, tous ces visages austères, inexpressifs. J’avais pourtant, un peu plus jeune, apprécié L’Ombre du corbeau ; j’avais aimé ce graphisme original, qui détonnait dans Tintin. Or donc, Comès qui faisait dans le sérieux, je ne l’ai pas accepté. Un jour, bien des années plus tard, j’ai eu le livre en mains. C’était un album broché, assez épais, le papier était sec, mat, un peu comme un papier dessin. À l’intérieur, un beau noir et blanc, franc, sans fioritures. J’ai mis mon rejet sur le compte de jugements arbitraires, je voulais dès lors me faire une véritable opinion et lire l’histoire d’une traite. Comès dessine les nuages, le sable, la neige d’une manière brute. Cette page, la page 70 de l’édition originale en album, est exemplaire. Regardez la première case, horizontale. Le saule à l’avant-plan, si on l’observe bien, est parcouru de courbes, de ronds. Ces formes, on les retrouve dans les nuages. Comès dessine la nature, les matières, l’organique est partout. Aucune hésitation quant aux masses, l’ombre noire souvent légère voire aérienne chez Pratt est ici compacte, toute en densité. Tachiste, graveur, affichiste… au niveau du graphisme, Comès fait des choix francs, il recherche l’efficacité maximale. Voilà pour le dessin, si tant est qu’on puisse le détacher de la narration, du récit, avec lesquels il fait totalement corps. Le découpage est fluide, rien ne vient jamais troubler le sens, la volonté, l’intention. Les images se suivent, insistant souvent par effet de zoom sur un personnage. Là aussi, Comès privilégie une efficacité maximale, une certaine frontalité. On découvre l’intrigue à mesure que se dévoilent les personnages de Silence. Il faut très peu de pages pour être pris dans les mailles du récit. Silence apparaît, change, s’enrichit. Je comprends après coup pourquoi et comment Comès en était arrivé à créer ce personnage, cette intrigue, cette façon de faire. À la lecture, je comprends, ému, que l’auteur a exprimé avec une force incroyable ce qu’il était fondamentalement. La campagne, la forêt, les clairières, les dunes, le ciel… on est dans un décor où les humains s’agitent, misérables ; ils ont construit des fermes, ils s’exploitent, se déchirent, vivent en animaux semi-civilisés. Silence, avec son handicap, n’est pas tout à fait comme les autres hommes, il est à la lisière. On a de l’empathie pour lui, on comprend son tourment. Prisonnier de cette histoire tragique, le lecteur fait défiler les cases, les séquences, les pages, il court vers la fin. Il voit les saisons, les feuilles mortes, les flocons. Toujours ce côté presque gras, épais, cette découpe de toutes les informations. Comès montre le drame dans son contexte naturel. Tous les éléments s’inscrivent dans une dramaturgie aussi claire que le dessin. Les ombres, les lumières se répondent ; la puissance du noir et blanc correspond aussi à l’exposition des sentiments ; il y a peu de nuances chez ces pauvres bons et chez ces sales méchants. On est dans une tragi-comédie aux traits précis, nets et clairs, une fable. Dans Silence, les personnages parlent la bouche fermée : la communication est malaisée, chacun est enfermé. J’étais tombé dans ce piège, je suis resté un temps en dehors. On verra par la suite comment Comès parlera sans cesse de handicap, de maladies, de mal-être, d’exclus. Toujours sur cette frontière du langage, de la langue. Toujours dans le non-dit. Toujours dans les silences. Sergio Salma propose dès 1988 les premiers gags de Nathalie, ainsi que Mademoiselle Louise, dessiné par André Geerts. Même s’il est passé par les pages du magazine (À Suivre), il est avant tout considéré comme un auteur humoristique, ce que confirme aujourd’hui sa série Animal Lecteur dessinée par Libon. Pourtant, en 2012, il rejoignait la collection « Écritures » de Casterman avec un roman graphique intitulé Marcinelle 1956. Il vient également de publier un biopic sur Gérard Depardieu.


Didier Comès, Silence (1979) Planche n° 49 © Max Comès


Franquin, Gaston Lagaffe Un Gaffeur sachant gaffer, Planche 512 vu par Yslaire Ne vous y trompez pas. Cette planche de Gaston ne me fait pas (plus) rire… mais elle m’émerveille. Bien sûr, on y retrouve la virtuosité graphique de cette « période pinceau », la parfaite maîtrise des ellipses du découpage, les inventions sémantiques ou la qualité expressive du jeu des acteurs. Mais surtout, petit maillon d’une chaîne de presque mille catastrophes, c’est une « grande » planche sous des dehors anecdotiques, exemplaire dans sa forme autant que dans sa thématique. Une planche d’Auteur. Le « gag », ici, ressemble au célèbre « MacGuffin » de Hitchcock, à savoir le prétexte à mettre en scène le petit monde intérieur de Franquin. Une demi-page aurait suffi pour amener la chute, comme aux débuts de la série. Mais Franquin dès le milieu des sixties, s’émancipe (de Spirou, de Jidéhem…), en développant sur une page entière son « gag »… Gaston a repeint le bureau de Fantasio. Ce dernier tente de contenir son irritation instinctive, jusqu’à s’enfuir pour éviter l’explosion, et se décharge sur le premier venu. Quant à Gaston, il relativise sa « faute », avec une candeur qui s’apparente à de la mauvaise foi, pas même vexé du mauvais accueil réservé à sa spontanéité généreuse… On le voit, ce sont les états d’âme des personnages qui donnent tout le sens de cette historiette. En ce sens, Gaston est l’opposé de Tintin. L’un est un anti-héros « sans emploi », rebelle, paresseux et irresponsable. L’autre, le modèle du héros au cœur noble (politiquement correct, dirait-on aujourd’hui), un reporter qui parcourt les pays, dont la psychologie est proche de l’abstraction intellectuelle pour être le témoin « transparent » du monde, celui de son créateur. Gaston, lui, ne sort pas de son bureau (ou presque) mais veut réinventer son monde, se heurtant inévitablement à ses frontières. Dans cette page, il recrée le décor avec ses couleurs à lui, provoquant la colère de Fantasio. À l’instar de son personnage, Franquin concentre son énergie sur ce qui est l’essentiel à ses yeux. Et graphiquement, sacrifie tout au profit de ses intentions. Le décor, enjeu de la transformation, est réduit à sa plus simple expression : deux ou trois objets, indispensables à la narration, aucune perspective pour les mettre en situation… Le bureau de Fantasio, sans plafond et sans sol, est défini par la couleur des murs. Ce que Gaston veut changer, justement. Et les personnages se déplacent sur la ligne abstraite du cadre, ils ne sont pas dans la réalité, enfermés dans leur case. À l’intérieur, tout est concret, investi de l’énergie du trait. Le phylactère, le papier qui traîne par terre, les points d’interrogation… rien ne peut être inanimé, tout doit être vivant. Fantasio en colère, ce n’est pas seulement des yeux agrandis, des cheveux en bataille, une bouche grand’ ouverte, ce sont aussi des petits nuages, des lignes tremblées pour simuler la force des cris, une queue de phylactère comme un éclair, etc. Autant d’incarnations graphiques de l’impalpable, de l’invisible de ces humeurs intérieures… Tout doit être vivant ! Vous voyez où je veux en venir ? Oui, l’angoisse métaphysique est palpable. Une page de Gaston, c’est d’abord un extrait du journal intime d’un petit garçon qui voulait réinventer le monde, et qui n’y arrive pas, un épisode du feuilleton de ses débats intérieurs, dont la pudeur a été de vouloir en faire rire, avant de céder à ses idées noires. C’est aussi l’histoire d’un artiste qui lutte pour ne pas se prendre au sérieux, qui s’obstine à juger ses velléités créatrices, enfantines et dangereuses pour l’adulte. Tout le contraire d’Hergé. On a dit qu’Hergé aurait qualifié un jour le dessin de Franquin d’« un peu vulgaire ». Ce n’est peut-être pas faux, et même compréhensible. Lui qui définissait son héros par son contour, d’une ligne « claire », pure et idéale, comme un géographe trace les frontières d’un pays et signifie peut-être ainsi que toute incursion étrangère s’apparenterait à une guerre, comment s’étonner de cette réticence instinctive face à l’extraversion de conflits intérieurs ? De ces deux géants du 9e art qui s’opposent, on retiendra que le génie de l’un éblouit souvent au point d’aveugler celui de l’autre, comme le Soleil chasse la Lune, et réciproquement. Celui de Franquin est d’avoir donné corps à cette part d’invisible en nous, et 50 ans plus tard de continuer à émouvoir… même quand son gag, lu et relu, ne fait plus rire. Surtout quand il ne fait plus rire. Bernard Hislaire démarre très jeune divers travaux pour le magazine Spirou avant de se lancer, en 1978, dans sa première série en solo, Bidouille et Violette. Succès d’estime plus que commercial, ce qui ne sera pas le cas pour Sambre, lancé à la fin des années 80 et qui connaîtra un très grand succès en librairie. La série existe toujours. Face à l’arborescence de ses héros, Yslaire a même choisi d’en confier certaines histoires à d’autres dessinateurs. Il publie en outre régulièrement des œuvres plus personnelles qui se distinguent par leur exigence et leur regard sur l’Histoire. Yslaire est par ailleurs un des pionniers du numérique.


André Franquin, Gaston Lagaffe – Un Gaffeur sachant gaffer (1968) Planche n° 512 © Dupuis 2015


Will, Tif et Tondu Les Ressuscités, planche 5 vu par Dany Cette planche de Tif et Tondu est un très bon exemple de ce qui caractérise le travail de Will en tant que dessinateur de bande dessinée. Et on pourrait le résumer en trois mots : lisibilité, efficacité et surtout, simplicité. Cette simplicité, qui est tellement difficile à trouver, Will en a toujours eu le secret et toutes ses planches en sont la lumineuse démonstration. Quand on regarde un original de Will, comme celui-ci, tout paraît évident. Chaque élément du décor, chaque personnage, chaque phylactère, chaque onomatopée est à la place qui lui convient. On a l’impression que c’est exactement comme ça qu’il fallait raconter l’histoire et que tout ce qu’on pourrait ajouter serait superflu. En revanche, rien ne manque, toutes les indications utiles à la compréhension du récit sont présentes ainsi que les éléments nécessaires à susciter l’émotion chez le lecteur. La première petite case est insérée dans la grande scène d’ambiance. On y voit les trois personnages, immédiatement identifiables, en gros plan, mais avec une ombre un peu dramatique sur les visages. On retrouve directement ces trois personnages dans la grande image, mais Will peut alors se permettre de les montrer en beaucoup plus petit, pratiquement en ombre chinoise, ce qui donne toute l’importance à la masse du château en ruines et à son aspect fantasmagorique. L’ambiance, assez sinistre, est accentuée par quelques détails comme les chauves-souris ou l’arbre mort. Les cases 3 et 4 complètent cette impression de peur ressentie par les héros, surtout par Tondu, mais avec un petit côté comique qui rappelle qu’on est dans une série humoristique, tout de même. Dans la case 5, il s’agit simplement de montrer les personnages qui avancent avec leurs valises ; ils vont vers la chaumière, en laissant le château sur leur gauche. Ce qui permet, à la case 6, de comprendre qu’ils ont fait un peu de chemin. Le château est assez loin derrière et on situe parfaitement les personnages géographiquement quand on découvre la chaumière. Elle aussi est assez inquiétante, avec seulement une petite fenêtre légèrement éclairée. La case 7 est un grand classique du suspense de la dernière image de la page : qu’y a-t-il derrière la porte ? Les personnages sont de dos et on est derrière eux, un peu anxieux, nous aussi… C’est terriblement efficace et d’une simplicité telle que vous pouvez contempler cette page à trois mètres de distance, elle reste parfaitement lisible. Et bien sûr, par-dessus tout ça, il y a l’esthétisme de Will. C’était un peintre merveilleux dont les toiles étaient toujours des modèles d’équilibre et d’élégance. On retrouve évidemment ce sens inné de la composition dans chaque case et chaque planche. Par exemple, ici, toutes les ombres noires sont judicieusement placées pour que la page soit idéalement équilibrée. Tout est simplement parfait. Enfant de l’âge d’or de la bande dessinée belge, formé au Studio Greg, Dany a travaillé avec Greg sur la série Olivier Rameau, mais aussi brièvement sur Bernard Prince ou encore Jo Nuage et Kay Mac Cloud. Il a aussi illustré l’un des grands scénarios de Jean Van Hamme, Histoire sans héros, pour le magazine Tintin. Il a réalisé trois albums d’Arlequin avec le même scénariste et publié plusieurs histoires seul. Aujourd’hui, il travaille avec Arleston sur Les Guerrières de Troy.


Will, Tif et Tondu – Les Ressuscités (1972) Scénario : Maurice Tillieux ; planche n° 5 © Will – tous droits de reproduction réservés


TABLE DES ILLUSTRATIONS

FRANÇOIS CRAENHALS

ALEXIS

[Dominique Vallet] (1946 - 1977) EMAAT LE BOSSU p. 49 Scénario Yvan Delporte — Le Trombone illustré, n° 1 (supplément du Spirou n° 2031, 1977), p. 2 N° inv BD 74/A (sans texte) EMAAT LE BOSSU p. 49 Scénario Yvan Delporte — Le Trombone illustré, n° 1 (supplément du Spirou n° 2031, 1977), p. 2 N° inv BD 73/A (avec texte)

NOËL BISSOT

(1916 - 1972) LE BARON, ONCLE BÉBEL ET LE SIRE JEAN FOULTRE DE MONTGIBET – UNE HISTOIRE DE PILULES p. 46 Planche n° 17 Le Journal de Spirou, n° 1456 (1966) N° inv BD 78/34A

DIDIER CASTEN

[Didier Castenholz] (Liège, 1966) TCHANTCHÈS – GAMIN DES RUES p. 6 Scénario Michel Dusart Planche n° 40 Mise en scène et conception graphique François Walthéry Couleurs Georges Van Linthout Documentation Michel Elsdorf — Noir Dessin, 1995, p. 42 N° inv BD 96/75A, B et C

DIDIER COMÈS

[Dieter Hermann Comès] (1942 - 2013) SILENCE Planche n° 49 — (À suivre), n° 13 (1979) — Casterman, 1980, p. 70 N° inv BD 79/67A SILENCE Planche n° 66 — (À suivre), n° 21 (1979) — Casterman, 1980, p. 90 N° inv BD 79/66A

p. 61

p. 59

(1926 - 2004) POM ET TEDDY – LE BOUDDHA DES EAUX p. 9 Planche n° 36 — Journal Tintin, n° 769-799 (19631964) — Le Lombard, 1965, p. 38 N° inv BD 72A CHEVALIER ARDENT – LES CAVALIERS DE L’APOCALYPSE p. 27 Planche n° 35 — Journal Tintin, n° 46-9 (1977-1978) — Casterman, 1980, p. 37 N° inv BD 69A

MICHEL DENYS

[Michel Regnier alias Greg] (1931 - 1999) LE CHAT – HOLD-UP p. 29 Couverture — Héroïc-Albums n° 36 (1955) N° inv BD 78/41A

JACQUES DEVOS

(1924 - 1992) M. RECTITUDE ET GÉNIAL OLIVIER – LA « COUPE » DE L’ANNÉE p. 63 Planche n° 1 — Le Journal de Spirou, n° 2094 (1978), p. 10 — M. Rectitude et Génial Olivier – Un génie ingénu, Dupuis, 1986, p. 12 N° inv BD 79/56A

ANDRÉ FRANQUIN

(1924 - 1997) GASTON LAGAFFE – UN GAFFEUR SACHANT GAFFER pp. 19 & 65 Planche n° 512 — Le Journal de Spirou, n° 1571 (1968) — Dupuis, 1969, p. 35 N° inv BD 78/12A

RENÉ GIFFEY

(1884 - 1965) LA VIE HÉROÏQUE DE CHARLES NUNGESSER Planche n° 15 — Regards, 2000

N° inv BD 78/39A

GOS

[Roland Goossens] (1937) LE SCRAMEUSTACHE – L’HÉRITIER DE L’INCA p. 17 Planche n° 1 — Le Journal de Spirou, n° 1806-1822 (1972) — Dupuis, 1973, p. 3 N° inv BD 78/8A

JEAN GRATON

(1923) MICHEL VAILLANT – L’HONNEUR DU SAMOURAÏ p. 40 Planche n° 39 — Journal Tintin, n° 7-37 (1964) — Le Lombard, 1966, p. 41 N° inv BD 78/19A MICHEL VAILLANT – CAUCHEMAR p. 67 Planche n° 46 — Journal Tintin, n° 38-48 (1972) — Le Lombard, 1973, p. 48 N° inv BD 78/18A

GREG

[Michel Regnier] (1931 - 1999) ROCK DERBY – LES REQUINS DU RING p. 35 Planche n° 14 — Journal Tintin, n° 9-25 (1960) — Le Lombard, 1974, p. 16 N° inv BD 78/35A

RENÉ HAUSMAN (1936)

ZUNIE p. 50 Scénario Yvan Delporte Planche n° 6 — Le Trombone illustré, n° 6 (supplément du Spirou n° 2036, 1977), p. 8 N° inv BD 78/20A

HERGÉ

p. 32

[Georges Remi] (1907 - 1983) LES AVENTURES DE TINTIN –


ON A MARCHÉ SUR LA LUNE p. 69 Planches n° 13 — Journal Tintin, n° 12 (1950-1953) — Casterman, 1954, p. 13 N° inv BD 78/65A LES AVENTURES DE TINTIN – ON A MARCHÉ SUR LA LUNE p. 71 Planches n° 35 — Journal Tintin, n° 52 (1950-1953) — Casterman, 1954, p. 35 N° inv BD 78/64A

HERMANN

[Hermann Huppen] (1938) BERNARD PRINCE – LA FORTERESSE DES BRUMES p. 75 Scénario Greg Planche n° 7 — Journal Tintin, n° 15-27 (1975) — Le Lombard, 1977, p. 9 N° inv BD 78/26A BERNARD PRINCE – OBJECTIF CORMORAN p. 21 Scénario Greg Planche n° 33 — Journal Tintin, n° 24 (1976) — Le Lombard, 1978, p. 35 N° inv BD 78/27A COMANCHE – LES LOUPS DU WYOMING p. 73 Scénario Greg Planche n° 15 — Journal Tintin, n° 27-46 (1972) — Le Lombard, 1974, p. 17 N° inv BD 78/29A

EDGAR PIERRE JACOBS

(1904 - 1987) BLAKE ET MORTIMER – LE MYSTÈRE DE LA GRANDE PYRAMIDE (TOME II) p. 24 Planche n° 26 — Journal Tintin, n° 12-22 (1950-1952) — Le Lombard, 1955, p. 28 N° inv BD 79/63A BLAKE ET MORTIMER – LA MARQUE JAUNE p. 77 Planche n° 26 — Journal Tintin, n° 31-45 (1953-1954) — Le Lombard, 1956, p. 30 N° inv BD 79/60A

WILLY LAMBIL

[Willy Lambillotte] (1936) LES TUNIQUES BLEUES – DES BLEUS EN NOIR ET BLANC p. 53 Scénario Raoul Cauvin Planche n° 1 — Le Journal de Spirou, n° 1965-1979 (1975)

PEYO

— Dupuis, 1977, p. 3 N° inv BD 79/58A

JACQUES LAUDY (1907 - 1993)

DAVID BALFOUR p. 14 Scénario Yves Duval, d’après le roman de Robert Louis Stevenson — Journal Tintin, n° 24-7 (1952-1953) — Distri BD, 1980 N° inv BD 78/15A et BD 78/16A

P. LEÏKA

[Pierre Kosc] (1934) MISTER PLUM À PARIS N° inv BD 78/37A

p. 54

RAYMOND MACHEROT

(1924 - 2008) CHLOROPHYLLE – LE BOSQUET HANTÉ pp. 18 & 96 Planches n° 8 et 17 (détail) — Journal Tintin, n° 29-46 (1956) N° inv BD 78/7A et BD 78/4A CLIFTON ET LES ESPIONS p. 38 Planche n° 10 — Journal Tintin, n° 49-11 (1960-1961) — Le Lombard, 1965, p. 12 N° inv BD 78/13A

MAURICE MARÉCHAL

(1922 - 2008) PRUDENCE PETITPAS – STANISLAS A DISPARU p. 44 Scénario Mittéï Planche n° 1 — Journal Tintin, n° 34 (1967) — Fusils pour Macao, collection « Jeune Europe » n° 56 (1968), p. 27 N° inv BD 78/25A

JACQUES MARTIN (1921 - 2010)

ALIX – LE TOMBEAU ÉTRUSQUE p. 30 Planche n° 53 — Journal Tintin, n° 45-22 (1967-1968) — Casterman, 1968, p. 55 N° inv BD 78/14A

MORRIS

[Maurice de Bevere] (1923 - 2001) LUCKY LUKE – TORTILLAS POUR LES DALTONS p. 79 Scénario René Goscinny Planche n° 19 — Le Journal de Spirou, n° 1466-1487 (1966) — Dupuis, 1967, p. 21 N° inv BD 79/54A

[Pierre Culliford] (1928 - 1992) JOHAN ET PIRLOUIT – LE SORTILÈGE DE MALTROCHU pp. 10 & 81 Planche n° 49 — Le Journal de Spirou, n° 1548-1661 (1967-1969) — Dupuis, 1970, p. 51 N° inv BD 79/57A

SIRIUS

[Max Mayeu] (1911 - 1997) LES TIMOUR – LA TRIBU DE L’HOMME ROUGE Planche n° 15 — Dupuis, 1955, p. 17 N° inv BD 68A

p. 83

MAURICE TILLIEUX

(1921 - 1978) GIL JOURDAN – POPAÏNE ET VIEUX TABLEAUX p. 87 Planche n° 42 — Le Journal de Spirou, n° 990-1031 (1957) — Dupuis, 1959, p. 44 N° inv BD 70A GIL JOURDAN – LE CHINOIS À DEUX ROUES p. 85 Planche n° 20 — Le Journal de Spirou, n° 1459-1486 (1966) — Dupuis, 1967, p. 22 N° inv BD 79/71A

WILL

[Willy Maltaite] (1927 - 2000) TIF ET TONDU – LES RESSUSCITÉS p. 91 Scénario Maurice Tillieux Planche n° 5 — Le Journal de Spirou, n° 1789-1802 (1972) D’après le scénario de Tillieux pour Félix – Les ressuscités, planche 4, dans Héroïc Albums, n° 12, 23 mars 1949 — Dupuis, 1973, p. 7 N° inv BD 79/59A ISABELLE – L’ASTRAGALE DE CASSIOPÉE p. 89 Scénario André Franquin, Yvan Delporte et Raymond Macherot Planche n° 36 — Le Journal de Spirou, n° 2019-2035 (1976) — Dupuis, 1979, p. 38 N° inv BD 79/62A


61


Table des matières

La naissance d’une collection Carmen Genten, Conservatrice au BAL – Musée des Beaux-Arts de Liège

7

La bande dessinée belgo-française, un aperçu historique José-Louis Bocquet 11 La BD comme art. Brève histoire de l’original et de sa valeur dans l’espace francophone Didier Pasamonik 23 Comment montrer la bande dessinée ? Thierry Bellefroid 41 Regards sur la collection Olivier Grenson Silence (planche 66), de Comès

58

Sergio Salma Silence (planche 49), de Comès

60

Thierry Bouüaert M. Rectitude et Génial Olivier – La « Coupe » de l’année (planche 1), de Devos

62

Yslaire Gaston Lagaffe – Un Gaffeur sachant gaffer (planche 512), de Franquin

64

Denis Lapière Michel Vaillant – Cauchemar (planche 46), de Jean Graton

66

William Henne Les Aventures de Tintin – On a marché sur la lune (planche 13), de Hergé

68

Sacha Goerg Les Aventures de Tintin – On a marché sur la lune (planche 35), de Hergé

70

Jean-Marie Derscheid Comanche – Les Loups du Wyoming (planche 15), de Hermann 72 Frank Pé Bernard Prince – La Forteresse des brumes (planche 7), de Hermann

74

Alain Goffin Blake et Mortimer – La Marque jaune (planche 26), de Edgar Pierre Jacobs

76

Pierre Bailly Lucky Luke – Tortillas pour les Daltons (planche 19), de Morris

78

Max de Radiguès Johan et Pirlouit – Le Sortilège de Maltrochu (planche 49), de Peyo

80

François Schuiten Les Timour – La Tribu de l’homme rouge (planche 15), de Sirius

82

Claude Renard Gil Jourdan – Le Chinois à deux roues (planche 20), de Tillieux

84

Frédéric Niffle Gil Jourdan – Popaïne et vieux tableaux (planche 42), de Tillieux

86

Renaud De Heyn Isabelle – L’Astragale de Cassiopée (planche 36), de Will

88

Dany Tif et Tondu – Les Ressuscités (planche 5), de Will

90

Table des illustrations 92 Les autres planches de Bande dessinée de la collection du Musée des Beaux-Arts de Liège 94


l’âge d’or de la bande dessinée belge JANVIER 2015

Le Musée des Beaux-Arts de Liège possède une collection de planches originales de bande dessinée recelant quelques trésors exceptionnels. Les signatures les plus prestigieuses s’y côtoient : Hergé, Jacobs, Franquin, Morris, Peyo, Tillieux, Will, Macherot, Martin, Hermann, Comès, Graton, Sirius et bien d’autres encore. José-Louis Bocquet replace cette collection dans l’histoire de la bande dessinée belge, Didier Pasamonik se penche sur la marchandisation des originaux et Thierry Bellefroid s’interroge sur le devenir de la planche lorsqu’on l’expose. Enfin, une vingtaine d’auteurs belges contemporains s’approprient la collection, jetant un regard personnel sur l’un de ses trésors. Ce livre est donc à la fois un catalogue patrimonial et un dialogue entre le passé et le présent de la bande dessinée.

Retrouvez-nous sur www.lesimpressionsnouvelles.com Diffusion / Distribution : Harmonia Mundi EAN 9782874492327 ISBN 978-2-87449-232-7 96 pages – 19,50 €


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