Extrait "Dans la peau de Tintin"

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Jean-Marie Apostolidès

dans La peau de tintin



extrait


« RéFLEXIONS FAITES » Pratique et théorie « Réflexions faites » part de la conviction que la pratique et la théorie ont toujours besoin l’une de l’autre, aussi bien en littérature qu’en d’autres domaines. La réflexion ne tue pas la création, elle la prépare, la renforce, la relance. Refusant les cloisonnements et les ghettos, cette collection est ouverte à tous les domaines de la vie artistique et des sciences humaines.

Cet ouvrage est publié avec l’aide de la Communauté Française de Belgique.

Illustration de couverture : Hergé en 1937 (collection privée) Graphisme : Tanguy Habrand

© Les Impressions Nouvelles – 2010 www.lesimpressionsnouvelles.com


Jean-Marie Apostolidès

Dans la peau de Tintin

LES IMPRESSIONS NOUVELLES



À Luc Giard



« Que j’en aie été conscient ou non, je me suis exprimé dans ce que j’ai écrit et dessiné ; sans le vouloir et sans le savoir, j’y ai mis ce que je pensais, ce que je sentais, ce que j’étais. Je travaillais trop pour avoir le temps de m’analyser. » Hergé

« La création d’un double a parfois des conséquences dramatiques : le personnage de fiction tend à l’emporter sur l’individu véritable et finit par prendre toute la place. » Odile Passot

« Ce freudisme balourd, plaqué avec une cuistrerie imperturbable sur l’univers de Hergé, provoque d’abord l’hilarité. Cela dure trente pages, après on s’ennuie. » François Lebrette



Liste des abréviations Archives Hergé (I, II, III, IV et V) : AH, I Tintin au Congo : TAC Tintin en Amérique : TEA Les cigares du pharaon : CDP Le lotus bleu : LB L’île noire : IN Le sceptre d’Ottokar : SO Le crabe aux pinces d’or : CPO L’étoile mystérieuse : EM Le secret de La Licorne : SDL Le trésor de Rackham le Rouge : TRR Les 7 boules de cristal : 7BC Le temple du Soleil : TDS Au pays de l’or noir : ON Objectif Lune : OL On a marché sur la lune : OML L’affaire Tournesol : AT Coke en stock : CES Tintin au Tibet : TAT Les bijoux de la Castafiore : BLC Vol 714 pour Sydney : V714 Tintin et les Picaros : TEP Tintin et l’Alph-Art : TAA



Introduction Tintin est une peau. C’est une enveloppe protectrice, pour Hergé d’abord, et à sa suite pour nombre de ses lecteurs. Cette peau remplit plusieurs fonctions : elle protège du réel, quand celui-ci se fait trop dur ou trop menaçant ; elle rend plus courageux devant l’adversité ; elle magnifie celui qui s’en empare. Ce ne sont pas les seules fonctions dont s’acquitte Tintin pour son créateur ou ses lecteurs mais ce sont les plus essentielles. Elles pourraient expliquer l’étonnant succès de ce personnage depuis sa première apparition, dans le supplément du journal Le Vingtième Siècle, en 1929. En s’identifiant à Tintin, en faisant Tintin, le lecteur revêt sa peau pour lui ressembler et se hisser à sa hauteur. Tantôt masque et tantôt armure, le corps de Tintin est une coquille vide, en attente d’être remplie. Comme toutes les armures, cette peau se fait parfois pesante ; elle alourdit le geste, ralentit l’allure, rigidifie le moi. Une fois qu’on l’a enfilée, on ne peut pas s’en défaire aussi facilement, elle laisse longtemps sa marque sur les esprits et sur les corps. Serait-elle également une tunique de Nessus ? Pour Hergé, cette carapace fut à plusieurs reprises une prison dont il voulut s’évader. Il y parvint, après la Seconde Guerre mondiale, au prix d’un effondrement total de son être. Si l’implication de l’auteur dans son personnage fut si forte, il faut s’attendre à retrouver dans les aventures du garçon à la houpette de nombreuses traces intimes, invisibles aux premières générations de lecteurs. Depuis le décès d’Hergé en 1983, plusieurs biographies importantes ont paru. Je m’appuie sur ces travaux, et sur les documents privés que j’ai pu obtenir, pour risquer une lecture autobiographique des aventures du petit reporter. Il ne s’agit pas ici de dresser un parallélisme entre la vie intime de Georges Remi et les albums de Tintin, mais de montrer que ceux-ci puisent leurs caractéristiques les plus fortes dans l’existence même de l’auteur. Hergé a nourri sa création de ses doutes, de ses blessures, de ses rêves, de ses hantises, et parfois même de ses désirs inconscients. Au-delà des anecdotes, je souhaite mettre en évidence une structure commune aux aventures de Tintin et au psychisme de leur auteur, à partir d’un fantasme fondamental. Ce livre a donc un double objectif : d’un côté, il présente une théorie de la production de Tintin, de l’autre, une théorie de la réception. Il vise à comprendre comment ce personnage s’est changé en un mythe collectif. Je pose l’hypothèse que cette métamorphose s’est réalisée par le même mécanisme d’enveloppement à l’œuvre chez Hergé. Ce dernier est entré dans la peau

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Dans la peau de Tintin

de Tintin, il a invité ses lecteurs à suivre son exemple. Tintin est devenu un mythe parce que nous, ses aficionados, nous l’avons à notre tour utilisé comme une armure ou comme un totem. J’ai déjà beaucoup écrit sur Tintin, beaucoup trop au gré de certains. Ce livre ne répète pourtant pas mes essais précédents. Dans Les métamorphoses de Tintin, paru en 1984, je tentais de montrer, en m’appuyant en partie sur la théorie psychanalytique, comment les aventures du petit bonhomme formaient un tout. Je voulais saisir son évolution, sa lente maturité, ses erreurs de jeunesse puis son vieillissement dans une sagesse qui n’est peut-être qu’un assagissement. En 2003, Tintin et le mythe du surenfant s’attachait, à travers une approche anthropologique, à mettre au jour les structures profondes du récit, les mécanismes élémentaires qui en formaient l’armature1. Dans le présent volume, j’essaie de comprendre l’investissement intime d’Hergé dans son œuvre, afin de mettre en balance les épreuves personnelles qu’il a rencontrées et l’évolution de la saga de Tintin. On découvrira qu’après être entré dans la peau du petit reporter, Hergé s’est investi dans le personnage du capitaine Haddock, puis dans celui de Tryphon Tournesol, pour revenir à Tintin pendant les dernières années de sa vie. À la fin, la boucle est bouclée, mais la sérénité est acquise par l’invention d’un Moi médiatique servant d’écran entre l’artiste et son public. Mon souhait est de retrouver dans ce nouvel essai la lecture pleine d’inquiétude et d’effroi qui fut la mienne lorsque je découvris pendant l’enfance les aventures du petit reporter. En vieillissant, notre lecture devient apaisée parce qu’elle se fonde sur la répétition : nous savons par avance ce qui va se passer. Si, contrairement à Haddock et à Zorrino, nous ne pleurons pas la mort de Tintin, c’est parce que nous savons qu’il ne s’est pas noyé dans la chute d’eau (TDS, 42, 1-7). Il a découvert le passage secret permettant d’entrer dans le temple du Soleil. Nous suivons le déroulement de chaque épisode sans angoisse parce que nous connaissons – ou croyons connaître – le fin mot de l’énigme. Il n’en va pas de même pour les enfants qui ouvrent un album pour la première fois. En me fondant sur les confidences que j’ai pu recueillir, ou sur des témoignages écrits de lecteurs, je crois ne pas être seul à avoir découvert Tintin dans l’angoisse. La peur du monde extérieur est sans doute le sentiment le plus enraciné chez les enfants, celui qui forme le fondement de la personnalité. Il entraîne un besoin de protection, que celle-ci vienne des parents ou de tout autre mécanisme permettant de faire face à ces craintes. Tintin est l’un de ces mécanismes imaginaires. Parce que le héros d’Hergé n’a peur de rien, le 1 Une approche identique sert de méthode à ma contribution au volume collectif L’Archipel Tintin, paru aux Impressions Nouvelles en 2004. 14


INTRODUCTION

jeune lecteur se sent rassuré en mettant ses pas dans les siens. Par ailleurs, ce besoin de protection devant l’inconnu est contrebalancé par un désir tout aussi fort, celui de partir à l’aventure. Ici encore, Tintin se révèle être un pôle d’attraction, lui qui nous conduit dans les lieux les plus reculés du monde. En un mot, les aventures de Tintin remplissent pour les lecteurs du XXe siècle un rôle équivalent à celui des contes de fées de nos ancêtres des XVIIe et XVIIIe siècles : ils sont des récits initiatiques permettant d’entrer dans l’âge d’homme, pourvus des moyens de défense adaptés à la complexité du réel. Les dangers que court l’enfant sont divers mais presque tous résident dans un contact violent avec des individus dont il découvre le désir, la méchanceté ou la folie. Les albums d’Hergé n’offrent pas une version fleur bleue du monde adulte. Le jeune lecteur est sensible au climat d’étrangeté qui transpire dans de nombreux épisodes de Tintin ou de Jo et Zette2. Hergé, comme Hitchcock, et peut-être pour une raison identique, est un maître dans l’art de distiller la peur. Pour moi aujourd’hui, une lecture fondée sur l’angoisse et l’inquiétude est la vraie, même si l’auteur a tenté d’adoucir la violence de son univers en retravaillant la plupart de ses albums. Une telle lecture nous introduit au cœur de l’univers intime d’Hergé et nous donne un aperçu de son inconscient dans ce qu’il a de plus indompté. Avec l’approche émotionnelle de l’enfant, mais armé des outils intellectuels de l’adulte, c’est ce monde d’une inquiétante étrangeté que j’ai tenté de comprendre ici.

2  « Le premier [album] que j’ai eu en main était en l’occurence Les 7 Boules de cristal [...] J’ouvre l’album et je tombe sur la momie squelettique. C’était la grande faucheuse qui faisait irruption dans ma vie ! Je retrouve presque l’odeur de ferme liée à cette première image, qui m’a assailli d’une terreur absolue. Quand on est petit, on a peur la nuit, on fait des cauchemars. Celui-là est formidablement mis en scène : au début, on voit juste la tête de la momie, qui s’assied ensuite sur le rebord de la fenêtre... Cela s’est imprimé en moi très profondément. » Pierre Michon, «La terreur et son remède», in Tintin au pays des philosophes, Hors-Série de Philosophie Magazine, août 2010, p. 82. 15


Hergé en 1937. (collection privée)


Chapitre 1

Le corps de Tintin « Avant de devenir les concepts philosophiques par excellence, l’Un, l’Unité, la Totalité constituaient des nostalgies qui se révélaient soit à travers des mythes et des croyances, soit dans des personnages de fiction. » Mircea Eliade

Le corps de Tintin est un territoire inconnu. Personne ne l’a découvert. On le devine au travers du vêtement ou, plus directement, l’une des rares fois où le héros se déshabille. C’est un corps secret, un corps mystérieux d’adolescent. Il relève de la catégorie des moins de seize ans, pour emprunter à Gabriel Matzneff un titre provocateur1. On a d’autant plus envie de découvrir Tintin dans son intimité qu’il appartient à cette catégorie de jeunes au sexe indéterminé que célèbre l’auteur du Sabre de Didi. Une seule fois Hergé permet d’entrevoir les petites fesses de son héros. C’est lors de la douche qu’il prend sous la trompe de l’éléphant dans Tintin en Orient. Dans cet épisode fameux, notre ami retourne à l’état sauvage ; il vit en harmonie avec les bêtes de la jungle, comme son aîné Mowgli. Hergé nous le montre entièrement nu, au moment de la toilette. Mais pour épargner la pudeur de ses jeunes lecteurs, il afffuble son personnage d’un pagne, dont il souligne le caractère arbitraire en nous laissant entrevoir le derrière du petit bonhomme2. Pour pallier ce manque à voir, des profanateurs n’ont pas hésité à s’emparer du personnage pour le représenter dans les positions les plus grotesques ou les plus scabreuses, en train de faire l’amour par exemple. D’autres l’ont montré blessé, amputé, alors que l’auteur nous a épargné l’image d’un corps mutilé. Les sanctions judiciaires, qui ne manquent pas de tomber lorsque de tels excès parviennent à la connaissance des ayants 1  Gabriel Matzneff, Les moins de seize ans, Paris, Julliard, 1974. 2  Archives Hergé, III, 75, 7. Lors du retravail de cette aventure, en 1955, Hergé choisira une image moins érotisée de son personnage. Pour prendre sa douche en pleine jungle, Tintin sera pudiquement vêtu d’un caleçon. Voir Les cigares du pharaon, 35, 11. 17


Dans la peau de Tintin

droit, visent à punir les profanateurs d’une image sainte. Tintin est devenu un mythe qui prend sa source dans les croyances les plus archaïques de l’humanité. Les profanations auxquelles nous faisons allusion sont l’envers du désir légitime que tout lecteur porte en lui : voir le corps dénudé du héros, ôter le vêtement dont il se pare pour savoir ce qu’il cache. Par delà ce désir premier, sans doute s’en niche-t-il un autre, moins évident mais tout aussi tenace, comprendre la place du corps de Tintin dans notre imaginaire collectif. Chaque lecteur souhaite connaître les liens secrets qui l’attachent à ce personnage de légende. Quant au tintinologue professionnel, il veut comprendre les raisons d’un succès qui ne s’est pas démenti depuis plus de quatre-vingts ans. Dès l’abord, ce qui frappe dans le personnage d’Hergé, c’est son élégance. Par de nombreux aspects, il ressemble aux dandys qui apparaissent en Angleterre ou en France, au début de la société industrielle, en réaction aux valeurs utilitaires. Tintin porte le costume des élégants des années trente, pantalon de golf et veste cintrée. Avec ou sans cravate, sa chemise ne fait pas de pli. Au début de ses aventures, on lui voit même une casquette sur la tête. Comme son créateur, il n’aime ni le désordre ni la saleté, un trait qu’il partage avec Milou : « Vivement un bon bain qui me débarrassera de toute cette boue3. » L’élégance de Tintin a son origine dans celle d’Hergé lui-même. Le père de Georges Remi était tailleur, comme celui de Jean Anouilh. Alexis Remi (1882-1970) a longtemps travaillé pour une maison de vêtements d’enfants, l’atelier de confection Waucquez, à SaintGilles, dans la banlieue de Bruxelles. Il voulait que ses deux fils, Georges et Paul, soient impeccablement vêtus. Si le père d’Hergé était d’origine wallone (francophone), sa mère, née Elisabeth Dufour (1882-1946), était de culture flamande (néerlandophone). Elle avait également travaillé dans la confection – comme couturière –, mais elle quitta son emploi après son mariage. Pendant des années, Georges portera les vêtements confectionnés par ses parents. Revêtu d’un costume bien taillé, il se sent à l’aise, se déplace avec élégance, devient sûr de son charme et de son talent, comme le montrent les multiples clichés pris de lui à cette époque. Son habit, c’est sa seconde peau. Il l’utilisera pour échapper à son milieu d’origine, la petite bourgeoisie. Le visage de Tintin est un cercle. Peut-être influencé par celui de Bécassine, Hergé le réduit à une ébauche, alors que le visage de Haddock est plus travaillé et laisse paraître les sentiments du personnage. Mais cette 3  Le secret de La Licorne, 39, 10. Le propre et le sale sont deux catégories fondamentales de l’univers d’Hergé. Voir chapitre 18. 18


LE CORPS DE TINTIN

ébauche porte en elle l’une des deux formes élémentaires de l’univers d’Hergé, le cercle, la seconde étant le bâton. L’identification à Tintin commence sans doute par le visage ; le lecteur pénètre dans une forme close, il entre dans le cercle, il se trouve encerclé. C’est par la tête que Tintin nous invite à pénétrer dans sa peau. Une analyse de Michel Serres évoque les trous dans le décor des photographes forains : « Vous passez la tête et êtes portraituré en Jupiter, Zidane ou je ne sais quoi. Ce rond complètement blanc, c’est le visage de Tintin et ce visage est si blanc, si inexpressif, si indéterminé que vous pouvez passer la tête à travers. C’est-à-dire que Tintin, c’est vous.4 » Faisons un sort aux lieux communs qui courent depuis des lustres à propos de cette bande dessinée. À suivre la doxa, les aventures de Tintin représentent un univers avant tout masculin se développant en dehors de toute sexualité, selon ses lois propres. Comme les filles sont exclues du récit, aucune personne de sexe féminin ne peut s’identifier à cette série. Ce jugement sans appel repose apparemment sur des vérités incontestables. Les dames tiennent une place insignifiante dans la saga tintinienne. Elles peuvent se ranger en deux catégories : d’une part les grosses dames encombrantes, qui monopolisent les cabines téléphoniques tandis que le héros s’impatiente sous la pluie (SDL, p. 8) ; d’autre part les concierges, témoins aveugles et impuissants de drames qui ne parviennent pas à les émouvoir, tant elles sont imperméables au rêve et à l’aventure. Si Bianca Castafiore peut être vue comme une excroissance du premier modèle, Madame Pinson, la concierge du 26 rue du Labrador, peut servir d’emblème au second, elle qui assiste à l’enlèvement du héros sans avoir la moindre idée du drame qui se joue (SDL, p. 35-36). Littéralement, elle ne voit rien5. Le cantonnement des femmes dans un rôle modeste a peut-être son origine dans les angoisses d’Hergé lui-même. Dans une entrevue publiée le 12 octobre 1943 par le journal L’Avenir, il tient des propos qui feraient sourire, s’ils n’étaient le signe de son malaise en face du féminin. Sous couvert d’humour, il force le trait et dévoile son inquiétude au lieu de la cacher comme il croit : « Évidemment, j’aime bien voir les “belles Madames”, mais pourquoi éprouvent-elles donc le besoin de parler ? Souvent à les voir, je bâtis tout un monde de suppositions on ne peut plus agréables à leur endroit et, tout à coup, voilà le bel oiseau qui parle : catastrophe et catastrophe ; en un rien de temps, tout l’édifice est écroulé, il ne reste absolument rien. Qui me 4  Michel Serres, « Tintin, un rond dans l’eau », in Télérama Hors-Série, Tintin : L’aventure continue, 2003, p. 82. 5  Ce classement superficiel ne tient pas compte d’autres personnages comme Madame Clairmont dans Les 7 boules de cristal ou la petite Miarka dans Les bijoux de la Castafiore, qui échappent aux deux catégories. Pour Miarka, je renvoie à l’analyse du chapitre 18. 19


Dans la peau de Tintin

dira donc pourquoi les femmes parlent ?6 » Le journaliste qui l’interroge n’est d’ailleurs pas dupe des rodomontades du jeune homme. Il souligne que l’entrée de Madame Hergé, accompagnée de sa « fille » (sic), la chatte angora Thaï, produit un changement soudain chez son interlocuteur. Pour comprendre comment une fille peut s’identifier au héros d’Hergé, il faut revenir au corps de Tintin. C’est un adolescent imberbe à la peau blanche. Milou, qui a partagé son lit à plusieurs reprises, sait de quoi il retourne lorsqu’il met en doute l’existence de signes sexuels secondaires chez son maître : « Ta barbe ?... Où est-elle, ta barbe ?...7 » Le reporter est un individu dépourvu de poils. En lui se mêlent une souplesse féline et une dureté d’acier. Pour nous en tenir à la seule aventure de L’île noire, on le voit tour à tour courir pour échapper aux recherches des deux policiers (p. 5), sauter par-dessus la passerelle d’un navire en partance (p. 6), tomber puis se relever sans une égratignure (p. 10), s’enfuir devant un dogue menaçant (p. 14), se battre à mains nues contre un ennemi armé (p. 16), poursuivre un second bandit dans la nuit noire (p. 26), sauter d’un mur sur le toit d’une Jaguar en pleine vitesse (p. 28), sauter de nouveau, mais d’un pont, pour atterrir sur un train en marche (p. 30), entrer dans un wagon après avoir risqué sa vie dans un tunnel (p. 31), poursuivre ses ennemis à l’intérieur du wagon-restaurant (p. 32), s’accrocher à un autre train (p. 33), se sortir indemme d’un accident d’avion (p. 39), marcher sans fatigue pendant trente-cinq kilomètres en montagne (p. 40-41), et de nouveau, une fois rendu sur l’île noire, échapper à tous les dangers en s’insinuant partout, y compris entre les rochers. Cette souplesse féline, qui se rit des lois de la pesanteur, fait l’objet d’un autre commentaire ironique du cabot : « Tu ne pouvais pas passer tout simplement par la grille, comme moi ?... Il faut toujours que tu essayes de faire l’acrobate ! » (IN, 28, 11) Le corps de Tintin ne peut subir aucune atteinte, comme si la violence du monde extérieur se révélait impuissante. Pourtant, les attaques ne manquent pas. Dès la première page de L’île noire, Tintin est abattu par le complice de Slim. On le voit quitter la clinique le lendemain, au grand étonnement de l’infirmière : « Au revoir, mademoiselle !... » (IN, 2, 14). Ivan, un membre de la bande à Wronzoff, le matraque, il s’en tire sans une bosse (IN, 7, 13). Son pied droit est pris dans un piège à loup, il n’en éprouve aucune blessure et repart avec les bandits sans boiter (IN, 15, 8). Il parvient peu 6  Bob Collet, « L’ami des enfants : Hergé », in L’Avenir, 12 octobre 1943. 7  L’île noire, 29,1. Dans la première version de l’album, en noir et blanc, publiée en 1937, le cabot ironisait davantage : « Ta barbe ?... Parlons-en, de ta barbe... » Voir Archives Hergé, IV, p. 72. Est-ce en raison de l’absence de cet appendice capillaire que dans cet album Tintin se métamorphose magiquement en vieillard, pourvu d’une barbe abondante ? Voir L’île noire, 5, 8-12. 20


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après non seulement à se défaire de ses liens avec un tison, mais à mettre K.O. l’abominable docteur Müller. L’incendie de la villa de Müller ne le touche pas davantage, même s’il reste longtemps la proie des flammes. Par précaution, les pompiers le dirigent vers l’hôpital d’Eastdown, mais cet infatigable quitte de nouveau l’établissement sans s’attarder : « Je me sens tout à fait bien... » (IN, 23, 4) Un phare tombant sur sa tête du haut d’un arbre n’entraîne aucune bosse (IN, 24, 3), pas plus que le choc violent avec un rateau (IN, 26, 11). Après ses acrobaties avec la Jaguar de Müller, il échappe encore à un accident dans la roulotte où il a trouvé place (IN, p. 29). L’accident d’aviation ne cause de dommage qu’à son costume, ce qui donne à notre héros l’occasion de passer le dernier tiers de l’aventure vêtu d’un kilt (IN, p. 39). Sur l’île noire, il échappe autant aux menaces du gorille Ranko qu’aux balles de révolver de Wronzoff (IN, 48, 4). Et s’il finit par chuter sur les Dupondt (IN, 59, 13), il s’en tire sans s’être cassé le moindre membre. À l’exception d’une seule image, dans l’aventure chinoise (LB, 49, 12), on ne voit jamais couler le sang de Tintin. S’il fréquente à quelques reprises les établissements médicaux, il déjoue les pronostics les plus conservateurs des médecins. En un mot, le personnage se trouve doué d’un corps de rêve qui échappe aux lois humaines puisqu’il ne vieillit pas, n’a guère de besoins, ne connaît aucune faiblesse et ne saurait être atteint par les agressions du monde extérieur. C’est de plus un corps adolescent, d’une rare beauté, qui rappelle par quelques traits ces portraits de scouts dessinés par Pierre Joubert pour la collection Signe de Piste, un univers saturé d’homosexualité. Mais Tintin n’est pas le prince Éric, son corps participe d’autres lois, puisqu’en lui se concentre tout l’univers d’Hergé. C’est dire qu’il n’existe pas de frontière entre le monde animal et le monde humain. La relation entre le maître et son chien est complexe, elle se modifie d’une aventure à l’autre8. Si Milou garde longtemps la parole, Tintin pour sa part peut s’affubler d’une peau d’animal comme d’autres revêtent un manteau ou une robe. Dans l’aventure du Congo, on le voit vêtu successivement de la peau d’un singe puis de celle d’une girafe, preuve de son affinité avec le monde animal. Dans une perspective anthropologique, les albums participent de deux univers, ils se déroulent autant dans les sociétés sauvages que dans les sociétés techniciennes. L’absence de frontière entre l’humain et l’animal s’accompagne d’une faible séparation entre le masculin et le féminin. L’adolescent Tintin se présente autant comme un garçon que comme une fille, ce qui explique l’attrait qu’il exerce sur les deux sexes. Outre Bécassine, il possède de nombreuses affinités avec Jeanne d’Arc, la virginité, le courage, l’esprit de sacrifice. 8  Serge Tisseron en a bien perçu la complexité. Voir l’article « Milou, mi fougue mi raison », in Télérama Hors-Série, Tintin : l’aventure continue, 2003, p. 84. 21


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Ajoutons que lors de la première apparition théâtrale de Tintin, le 15 avril 1941, le rôle principal était tenu par une comédienne, Jeanne Rubens9. La féminité du petit bonhomme se trouve renforcée non seulement par son élégance vestimentaire mais aussi par le style irréprochable de ses propos : « Nous savions déjà que vous étiez une canaille, monsieur Rastapopoulos ; il nous restait à apprendre que vous étiez aussi un malotru ! » (V714, 19, 10). S’il possède une force masculine, sa grace, sa souplesse et sa parole peuvent être associées à sa dimension féminine. L’île noire est l’aventure dans laquelle cette dimension est peut-être la plus visible. En effet, dès qu’il a revêtu son kilt, Tintin se trouve en quelque sorte féminisé. Analysant la première version de cette aventure, Ludovic Schuurman écrit justement : « À la première vignette [de la page 89] apparaît Tintin. Son attitude est craintive, il tient un bâton comme arme et porte ce kilt qui féminise et fragilise tant sa silhouette.10 » Il faut rapprocher le caractère androgyne de Tintin de la vision du monde de l’enfance à la veille de la Première Guerre mondiale. À cette époque, le petit garçon ne se distingue pas de la petite fille. Les photos d’hommes célèbres que nous connaissons, celles de Sartre par exemple, montrent un jeune Poulou ayant les cheveux longs d’une fillette. Il en va de même pour Georges Remi. Philippe Goddin publie des photos de l’enfant11, avec des boucles et des vêtements qu’on associerait aujourd’hui à ceux d’une petite fille. Il n’en est rien. Parfois jusqu’à l’âge de raison (7 ans), l’enfant est affublé d’un sexe indécidable. Il n’est ni garçon ni fille, mais enfant avant tout. C’est-à-dire un être non seulement asexué mais

9  La pièce s’intitulait Tintin aux Indes ou le Mystère du diamant bleu. Elle fut écrite par Hergé et Jacques Van Melkebeke et représentée au Théâtre royal des Galeries Saint-Hubert à Bruxelles, d’abord pendant trois jours (15-17 avril 1941), puis reprise pendant une semaine après le 1er mai. 10  Ludovic Schuurman, Hergé au pays des îles noires. Étude comparée des trois versions d’un album d’Hergé, Université Charles de Gaulle, Lille 3, 2009, p. 74. Un peu plus loin, ce même auteur écrit : « Personnage d’abord naïf, voire enfantin (afin de satisfaire les jeunes lecteurs avides d’y trouver un double idéalisé), Tintin assume également, dans L’île noire, une part de féminité indéniable, présence inhérente à tout roman gothique. D’abord et surtout, il est le seul, en Écosse (!), dans les années trente, à porter le kilt traditionnel, dès la page 81. Cette tenue qui dévoile la minceur de ses jambes imberbes et la finesse de ses chevilles (à tel point qu’on le croirait parfois mal proportionné), fragilise considérablement son image de jeune garçon athlétique invulnérable. [...] À noter que ce n’est pas la représentation du kilt qui féminise le personnage chez Hergé, mais bien Tintin en kilt qui assume sa part de féminité » (p. 92-93). 11  Philippe Goddin, Hergé, lignes de vie. Biographie, Bruxelles, Éditions Moulinsart, 2007, p. 29 et 30. 22


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Georges Remi à l’âge de 5 ans. (collection privée)

sans sexualité12. Peut-être y a-t-il dans le petit reporter un désir inconscient de l’auteur de revenir à sa propre enfance, celle-ci étant associée à la féminité ? Parmi les notes personnelles qu’Hergé a prises vers 1975, en vue du tournage du film Moi, Tintin de Gérard Valet et Henri Roanne, Philippe Goddin a retrouvé celle-ci, qui jette un éclairage intéressant sur l’imaginaire de l’enfant : « Ma mère aurait préféré une fille. Alors, elle avait laissé pousser mes cheveux et m’habillait en fille. Son chagrin (et le mien) lorsque, pour aller à l’école, on m’a coupé mes belles boucles. Pour me consoler, on m’a dit : “Ça repoussera”. Et je n’ai rien eu de plus pressé que de couper la crinière et la queue de mon cheval à bascule. » Lorsque les parents Remi 12  Freud mettra à mal cette pieuse mythologie en publiant en 1905 ses Trois essais sur la théorie sexuelle. La première traduction française de ce texte ne paraît cependant qu’en 1923. 23


Dans la peau de Tintin

constatent le dommage fait au jouet, qui représentait pour eux un effort financier, l’enfant aurait fait cette réponse : « Ça repoussera...13 » La scène est importante puisqu’Hergé a pris soin de la transcrire. Le cheval à bascule est comme le double de l’enfant. Georges a perdu sa crinière, le dada doit subir le même sort. Par ailleurs, le passage d’une identité féminine à une identité masculine s’accompagne d’un traumatisme. Hergé n’en parle pas et réduit l’anecdote à la perte des boucles ; il faut cependant lire cet épisode comme la fin de la relation privilégiée avec la mère. Cette mutilation est annoncée comme temporaire à l’enfant, puisque les parents l’assurent que « ça repoussera » ; or ça n’a jamais repoussé, comme Hergé a pu le constater. De même, le retour d’une relation fusionnelle avec la mère ne s’est jamais produit. On verra comment, devenu adulte, Georges cherchera des compensations à cet épisode qu’il a certainement vécu comme une blessure. S’il a perdu sa féminité à cette occasion, s’il l’a refoulée dans une dimension secrète de son être, on peut s’attendre à ce qu’il en soit de même pour son héros. Tintin est en partie construit à partir des désirs, des angoisses et des émotions de Georges Remi ; à ce titre, il est à la fois garçon et fille. Et s’il faut voir dans sa houpette une marque de sa masculinité, il n’est pas impossible d’y lire le souvenir des boucles de fille que Georges a portées jusqu’au jour où il dut entrer à l’école primaire et intégrer l’univers masculin. Nous pouvons maintenant répondre à la question que nous posions précédemment : pourquoi tant de lecteurs souhaitent-ils voir le corps nu de Tintin ? Qu’est-ce que les vêtements dissimulent, que possèderait le héros ? Ne serait-ce pas une double appartenance sexuelle, l’androgynie, ou plutôt l’androgynéité, pour reprendre une expression de Michel Butor14, qui caractérise nombre d’artistes et de dandys, catégories auxquelles on peut rattacher le personnage de Tintin ? Les affinités entre Baudelaire et la créature d’Hergé seraient-elles plus profondes que ne l’a entrevu JeanFrançois Campario15 ? Mais l’androgyne n’est pas l’hermaphrodite et son absence de division sexuelle serait invisible, même si Hergé nous le montrait entièrement nu. Quand nous faisons référence à l’androgynéité du héros, c’est surtout pour en souligner la dimension mythique. Il est une incarnation de l’Un, il relève du commencement en ce sens qu’il n’est pas divisé. On observe en sa personne une coincidentia oppositorum qui caracté13  Hergé, lignes de vie, p. 43. 14  Michel Butor, Histoire extraordinaire. Essai sur un rêve de Baudelaire (1961), rééd. Paris, Collection Folio, 1988, p. 76. 15  Jean-François Campario, Baudelaire/Hergé : penser la création, Paris, L’Harmattan, 2003. 24


LE CORPS DE TINTIN

rise les héros légendaires ou certains individus possédant dans leur société un statut particulier, comme les chamans de Sibérie, qui cumulent symboliquement sur eux les deux sexes. Il en va de même pour Tintin. Personnage hors du commun, il apparaît dans un contexte de tensions politiques entre les nations européennes. On peut en effet entrevoir en 1930 les signes d’une reprise prochaine du conflit mondial, en raison même du traité qui était censé avoir apporté la paix. En un sens, malgré la naïveté du désir politique ayant présidé à son invention, Tintin devrait être un facteur de réconciliation entre les gens. Il incarne l’état de non-division qui caractérise les commencements. Pendant les premières aventures, c’est-à-dire jusqu’à L’étoile mystérieuse, il se présente comme l’Un, comme l’Unique. Dans cette optique, il relève davantage de la théologie que de la politique. S’il n’y a pas de sexualité dans les commencements de Tintin, c’est parce que ce dernier est une incarnation de l’Adam primitif, un être androgyne cumulant sur sa personne le masculin et le féminin. Le mythe de l’androgyne, nous rappelle Jean Libis, se présente comme un négatif de la sexualité16. Le héros est Un, il n’a pas d’Autre, il ne relève que de lui-même, il forme un tout complet, c’est-à-dire une unité qui contient et intègre une pluralité virtuelle. C’est seulement avec l’arrivée de Haddock qu’il entrera dans une relation duelle. Enfin, avec l’invention de Tournesol, la structure du récit se reconstruira d’une façon trinitaire, autour du chiffre trois ; à ce moment-là, Tintin aura perdu l’aspect androgyne qui le caractérisait pendant la première partie des aventures. La sexualité pourra faire son apparition à l’intérieur de l’univers hergéen, sous la double figure d’une soprano narcissique et d’une petite tigresse plus apprivoisée qu’on ne l’imaginerait. Mais, pendant tout le premier cycle, Tintin nous apparaît avant tout comme un androgyne. C’est ici la source de ses exceptionnelles qualités et de sa beauté. Lorsque le monde de Tintin se structure autour d’une trinité, l’androgynie initiale du héros ne disparaît pas, elle devient latente. Elle se prolonge dans les deux dimensions qui caractérisent Tintin, le calcul et la rêverie. En effet, après L’étoile mystérieuse, on peut opposer un Tintin calculateur et un Tintin rêveur. Le premier est un penseur qui se livre à des analyses rigoureuses, à des déductions incomparables – son côté Sherlock Holmes, comme dirait Milou –, pour parvenir à ses fins. La reflexion rationnelle, fondée sur l’équivalence, l’identité et la tautologie, est son instrument de bord. Elle le pousse à l’action, que Tintin parte seul ou en compagnie de ses deux larrons. C’est ici l’origine de sa passion pour le voyage, une envie qui le titille jusqu’au bout, ou presque. Sous la figure du calculateur, Tintin est toujours en mouvement, toujours sur le qui vive. Le second est porté vers la rêverie, dans le sens où Gaston Bachelard entendait le mot. Son ins16  Jean Libis, Le mythe de l’androgyne, Paris, Berg International, 1980, p. 228. 25


Dans la peau de Tintin

trument de bord est alors le système analogique que les poètes et les artistes ont utilisé depuis l’Antiquité la plus reculée17. C’est ici qu’il faut chercher les affinités que le monde d’Hergé entretient avec la sagesse traditionnelle plutôt que dans une improbable utilisation des tarots18. En qualité de rêveur, Tintin est enclin au repos. Ce n’est plus le voyage qui le stimule, mais la promenade dans des lieux cent fois arpentés, seul ou avec son plus cher compagnon, l’inénarrable Archibald Haddock. Le centre du repos, le point stable de l’univers de Tintin-rêveur est formé par Moulinsart, dont toute l’organisation spatiale incite à la rêverie19. En tant que calculateur, c’est l’animus de Tintin qui est mis au premier plan par Hergé, sa dimension masculine. En tant que rêveur, c’est l’anima qui prend le dessus, la dimension féminine20. Les deux sont indissociables. Elles nous rappellent qu’à sa naissance Tintin fut un être complet, clos sur lui-même et pourtant ouvert au monde extérieur. Même s’il a perdu l’aura qui le rattachait à certains mythes religieux comme celui de l’androgyne, il conserve des traces permettant d’entrevoir son origine. Tintin possède ainsi jusqu’au bout de ses aventures une figure double qu’on accordait dans la religion romaine au dieu Janus. D’un côté, il est Tintin schizo, pour reprendre l’expression de Pierre Sterckx21 ; de l’autre, il est Tintin héros, celui que nombre de lecteurs ont voulu mieux connaître et parfois imiter. Dans sa personne, les deux dimensions de l’action et de la rêverie sont en rivalité et en complémentarité. L’une ne saurait l’emporter sur l’autre. Si elles se combattent, elles ne doivent pas s’anéantir car la victoire de l’une sur l’autre briserait le moteur secret de cette machine célibataire. Nous devons pareillement accepter le conflit du masculin et du féminin qui existe dès le commencement dans le corps de Tintin, comme Hergé a dû l’accepter à l’intérieur de sa propre personne.

17  René Alleau, La science des symboles : contribution à l’étude des principes et des méthodes de la symbolique générale, Paris, Payot 1976. 18  Voir Pierre-Louis Augereau, Hergé au pays des tarots.Une lecture symbolique, ésotérique et alchimique des aventures de Tintin, Turquant, Cheminements, 1999, et Bertrand Portevin, Le monde inconnu d’Hergé, Paris, Dervy, 2001. 19  Voir chapitre 19 « L’invitation au château ». 20  Gaston Bachelard, La poétique de la rêverie, Paris, PUF, 1960. 21  Pierre Sterckx, Tintin schizo, Bruxelles, Les Impressions Nouvelles, 2007. 26


[…]



Table des matières

INTRODUCTION

11

CHAPITRE 1 : Le corps de Tintin CHAPITRE 2 : L’enfance grise CHAPITRE 3 : Les blessures secrètes CHAPITRE 4 : La séparation CHAPITRE 5 : À fleur de peau CHAPITRE 6 : Au nom du Père CHAPITRE 7 : Germaine Kieckens CHAPITRE 8 : Le mythe des jumeaux CHAPITRE 9 : La conquête de Tintin CHAPITRE 10 : La scène primitive CHAPITRE 11 : Un orphelin nommé Haddock CHAPITRE 12 : Prélude à l’Apocalypse CHAPITRE 13 : La cassure CHAPITRE 14 : En haine de Tintin CHAPITRE 15 : Dialogue avec Tryphon CHAPITRE 16 : Le museau de la vache CHAPITRE 17 : La maison hantée CHAPITRE 18 : Le propre et le sale CHAPITRE 19 : L’invitation au château CHAPITRE 20 : Le Moi médiatique CHAPITRE 21 : L’alpha et l’omega CHAPITRE 22 : Tchang arrive ! ... Tralala ! CHAPITRE 23 : Tintin comme totem CHAPITRE 24 : Tintin rodouélisé CHAPITRE 25 : Le Tombeau d’Hergé

15 25 39 55 63 71 81 97 113 127 139 149 161 173 185 197 213 227 241 253 263 277 289 301 321

REMERCIEMENTS

333


PARUTION : SEPTEMBRE 2010 Tintin est une peau, une armure, une carapace. Hergé le conçut ainsi, d’abord pour conquérir la jeune femme qu’il aimait, ensuite pour obtenir la reconnaissance sociale dont il avait besoin. Il s’investit si bien dans cette saga qu’elle peut se lire aujourd’hui comme une autobiographie cachée de son créateur. On y retrouve ses peurs, ses blessures secrètes, ses aspirations les plus nobles comme ses désirs les moins avouables. Tout cela forme le terreau sur lequel il bâtit une œuvre complexe, comique, riche en rebondissements et présentée sous une enveloppe enfantine, à la manière des contes de fées du XVIIe siècle. À la suite d’Hergé, le lecteur est invité à entrer dans la peau de Tintin, pour se sentir plus fort, pour vaincre les peurs de son enfance. La peau de Tintin se fait alors corps collectif et le petit reporter acquiert le statut d’un mythe. Ce mythe nouveau permet à ceux qui y participent de se reconnaître entre eux comme des frères unys et de solidifier leur rapport au monde contemporain, un rapport souvent fondé sur l’inquiétude et le défi. Enfin, ce volume s’attache à éclaircir une situation paradoxale : qu’arrive-t-il lorsque les ayants droit se sentent eux-mêmes exclus de la peau de Tintin, qu’ils ne comprennent ni la force ni la spécificité de ce mythe, perpétué hors de leur contrôle ? Le danger est grand qu’ils cherchent à réduire le personnage d’Hergé au statut d’une marque commerciale, de façon à regagner le contrôle d’un produit dont ils se veulent les propriétaires exclusifs et jaloux.

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http://www.lesimpressionsnouvelles.com

DIFFUSION/DISTRIBUTION : HARMONIA MUNDI EAN : 9782874490989 ISBN : 978-2-87449-098-9 336 PAGES - 22 €


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