Extrait de "La charité des prédateurs. Lettre à l'Abbé Pierre"

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Christophe Leclaire

La Charité des prédateurs Lettre à l’Abbé Pierre

LES I M P R E S S I O N S N O U V E L L E S Bâtons rompus



Christophe Leclaire

LA CHARITÉ DES PRÉDATEURS Lettre à l’Abbé Pierre

LES IMPRESSIONS NOUVELLES



extrait



Cher Abbé Pierre, cher Henri, Tu te demandes sans doute quel est cet épistolier inconnu qui peut bien avoir la drôle d’idée de t’écrire une pareille missive, où les reproches parfois véhéments viendront se mêler à une tendresse immense pour l’insurrection permanente que tu portais en toi ; même si, au niveau politique, hélas, tu n’en fis rien de bon. Rassure-toi, je ne suis pas un énarque, un expert du social, un pseudo-humaniste issu des beaux quartiers et décoré pour son engagement, ni même un titulaire de chaire universitaire savante sur la misère, non, je ne suis qu’un pauvre, un vrai pauvre insolvable d’une soixantaine d’années, en fuite pour sa survie et son intégrité à des milliers de kilomètres de son pays natal. C’est de cette pauvreté extrême que je t’écris, avec mon cœur et ma lucidité, mon intuition aussi, estimant que j’ai plus de légitimité pour le faire que celles et ceux qui ne la connaissent pas de l’intérieur et gagnent des fortunes en théorisant sur son nom, en lui confisquant la parole. Je suis de ceux qui t’ont aimé et admiré lorsqu’ils étaient enfants.


Chez moi, il y avait des crucifix au-dessus de chaque porte, au-dessus de chaque lit où l’on s’ennuyait ferme, avec du buis bénit acheté sur le parvis de l’église, à la messe des Rameaux, en prévision des derniers sacrements. Tout ça était d’une tristesse… Mais dans ma chambre à moi, sur mon petit bureau de premier de la classe, privée évidemment, il y avait un portrait de toi que j’avais découpé dans le journal et glissé dans un cadre assez moche qu’on avait rapporté de Lourdes. De ma famille, catholique et abusivement pratiquante, tu étais bien la seule personne vivante, humaine, avec laquelle je pouvais parler librement. Bien sûr, il y avait l’autre là-haut sur le mur, en mortelle extase au-dessus de mon oreiller, mais à chacune de mes prières, il me regardait, tête sur l’épaule, et semblait me répondre, bras écartés… Que veux-tu que j’y fasse ! Toi, tu étais différent, quelque chose qui m’était familier et qui ressemblait à une fièvre brillait dans ton regard. Il m’arrivait très souvent de te raconter, tantôt avec émotion, tantôt avec virulence, les injustices que je voyais ou celles que je vivais en toute solitude, comme je le fais encore aujourd’hui avec un turbulent espoir. Cela fait quelques mois que je voulais t’écrire, me confesser à toi, simplement, te confier mes doutes et mes tourments, mes rébellions aussi et mes grands écœurements, comme on le ferait auprès d’un ami intime que l’on saurait exempt de tout jugement moral, ou dans


une sorte d’examen de conscience, parfois, quand les champs du réel et du quotidien n’ont plus d’importance pour soi, mais sont pour ceux qui restent d’une actualité toujours plus effroyable et plus désespérante. Et puis, j’ai réalisé que nous étions déjà en 2012, centenaire de ta naissance à Lyon dans une famille aisée de soyeux négociants – certains mots orientent nos destins –, et que tu aurais sans doute, avec la masse de témoignages en tout genre, d’hommages vibrants tous azimuts et de in memoriam publicitaires, beaucoup trop de lectures à ce moment-là pour prendre en considération ma modeste missive, venue d’un coin d’Asie perdu dans les bras du Mékong. J’ai donc laissé passer le temps des commémorations, le temps des bavardages, politiques et médiatiques, associatifs aussi, et des récupérations mercantiles, mon message n’étant pas de cette nature. J’ai laissé à tes héritiers, les sincères bénévoles comme les hauts salariés, ainsi qu’à tes concurrents en charité, le temps de verser une larme ou d’appeler à verser un don, car si quelques poignées d’euros salutaires, à l’aune d’une Com’ de circonstances, peuvent encore atterrir dans la poche de ceux qui en ont réellement besoin, eh bien, c’est déjà une action de grâce dont il faut profiter en ces heures de tous les pourrissements humains, moraux et religieux, politiques et financiers. […]


J’ai beaucoup pensé à toi depuis que tu as baissé le rideau et rendu les clés de la boutique. Nous sommes partis, par un de ces hasards de la vie, le même jour de la même année : 22 janvier 2007. C’était un lundi. Toi, tu regagnais l’idéal abstrait de l’éternité que tu avais connu presque un siècle plus tôt, le vertige sans vertige où les âmes se confondent dans la Lumière de Dieu, où l’espace et le temps, débarrassés de l’hypothèse anecdotique d’un Big Bang qui ne résout rien, n’ont plus de raison d’être et s’unissent dans ce qui restera à jamais notre plus grand mystère. Et moi, pauvre pécheur ludique à la dérive, consommateur malade de plaisirs sans joie et débiteur surendetté d’un monstre financier qui rêvait de me faire la peau, je m’exilais d’Europe et passais les frontières vers une survie dont j’ignorais tout, en des terres inconnues et bien peu catholiques. Comme toi, ce jour-là, je perdis mes papiers, mon nom et mon incarnation d’usage, je perdis tout ce qui avait fait ma vie durant soixante années d’idioties insatiables dans un Occident obèse de certitudes, d’arrogance et de cupidité. Je perdis brutalement tout l’acquis culturel de ces soixante années d’illusions qui m’avaient semblé, au bout du compte, constituer une existence normale. Prendre conscience que l’on est « insolvable » dans un système où tout n’existe que par l’argent et pour l’argent, sans scrupule et sans état d’âme, prendre


conscience que l’on n’est rien sans cet argent artificiel érigé en étalon identitaire, qui nous possède plus fort que nous ne le possédons, qui aliène tout rapport aux autres et tout mode de vie, y compris dans l’intime et le strict nécessaire – manger, s’abriter, pouvoir se laver, aimer, se vêtir –, c’est une condamnation à mort. Il n’était pas question pour moi de mourir de cette mort sale, injuste, de cette mort abjecte imposée par les banques et leurs organismes affiliés qui, avec cynisme et harcèlement, nous poussent dans la consommation absurde, le désir perpétuel impossible à rassasier et, au bout du compte, le surendettement. Un projet… Un rêve ? Besoin de trésorerie ? L’insolvabilité, ce cul-de-sac de la société, et ses conséquences administratives et judiciaires dans lesquelles sont aujourd’hui englués comme des mouches des millions d’êtres humains, uniquement en Europe, était un verdict idéologique prononcé par des juges à la solde d’un ordre économique, insidieux et dictatorial, que je découvrais brutalement. Le fuir à tout prix en m’improvisant hors-la-loi, moi qui l’avais jusqu’ici toujours respectée pendant que tant d’autres, élus et patrons, la bafouaient avec morgue, était ma dernière liberté. Je décidai de vivre en elle jusqu’à ce que la mort m’en sépare. C’est ainsi que par un de ces rebondissements qu’il m’est arrivé quelquefois dans mes fièvres tropicales, je te l’avoue, de croire « miraculeux » tant ils furent insolites


et vécus avec une sérénité profonde, j’ai pu renaître à moi-même et aux autres, après un long voyage riche en métamorphoses. C’est ainsi que j’ai pu réapprendre à marcher, à penser, à aimer et sourire, à me désintoxiquer de la vacuité, mais dans ma chair marquée par le temps, les péripéties, les épreuves douloureuses, avec ma galaxie d’images et de souvenirs en mouvement dans mon cœur et dans ma mémoire. Naturellement, ton être spirituel en fait partie, Henri, mon cher Abbé Pierre, mon compagnon d’enfance, et à une place particulière, aux côtés de Jésus, le fataliste, du Bouddha et de Charles de Foucauld, des hommes qui espéraient de l’homme – bien trop, évidemment –, une place référentielle et néanmoins complexe qui me fait penser à toi chaque jour de ma nouvelle vie. C’est de là que je te parle, de conscience à conscience, comme jadis dans la nudité de mon être en vertige, avec tout ce que l’authenticité comporte parfois d’excessif et de passionné.  Tu vas rire, mais dans les derniers temps passés dans la vieille Europe, alors qu’il ne me restait que mes yeux pour pleurer et l’alcool pour me consoler, alors que les idées de suicide se faisaient chaque jour plus présentes à mesure que je m’enfonçais dans le désespoir, j’ai pensé un moment à rejoindre ta communauté.


Oui, rallier ta bande, chercher refuge dans ton Emmaüs, écho de la Palestine assiégée, devenu Fondation internationale contre ta volonté. J’ai pensé à toutes ces personnes broyées par le destin qui te devaient leur survie en ce monde, auxquelles tu avais offert un travail, un toit, un semblant de dignité, auxquelles ta voix vibrante avait redonné la parole, tes convictions la confiance, et ta frêle silhouette combattante une allure de personne humaine. Et puis, non, il était trop tard. J’avais définitivement perdu la foi en cette société de consommation et d’exploitation toujours plus mortifère où tu t’appliquais avec grâce et fermeté à vouloir réinsérer mes sœurs et mes frères de misère, celles et ceux qui, un jour, comme moi, par la faute d’une injustice, d’un vice, d’une naïveté, d’un piège patronal, marital ou bancaire, d’une audace ou d’un accident, s’en étaient retrouvés exclus. Tu vois, il ne m’aurait servi à rien de me repentir, et de quoi, mon dieu, d’être devenu un homme asocial au sens occidental, une sorte de mystique aux pensées vagabondes, comme disent les surbookés avec des applis à la place du cerveau, d’être rien d’autre que moi-même et de n’en souffrir aucunement à longueur d’existence ? À quoi bon faire semblant de vouloir me réinsérer, être raisonnable et obéissant, sobre et constructif, de vouloir reprendre pied dans un mode de vie aux réalités mercantiles fabriquées de toutes pièces, dont les diver-


tissantes absurdités et les monstrueuses injustices me crevaient les yeux ? Non, je n’ai pas une âme de soldat du néant, de complice d’une gabegie, d’esclave volontaire. Toi, tu avais la grâce du social, du collectif, de la multitude en souffrance, au service d’un système que tu aspirais à améliorer, à sculpter dans ta Foi catholique, à rendre plus juste, plus équitable, mais sans jamais le remettre en cause, comme tout bon manager. Moi, j’avais la disgrâce de croire que ça ne servait à rien dans l’état de délitement actuel de la société, que tout était à repenser, à reconstruire du sol au plafond plutôt que de continuer à vivre sur des malfaçons qui d’avance condamnaient l’ensemble, que tout progrès de l’homme, technologique et scientifique, puissamment récupéré et gadgétisé par le capitalisme, n’aboutissait la plupart du temps qu’à perfectionner ses déviances et ses perversions, sa régression morale, son appétence délirante pour le profit personnel sans fin, et les conditions de sa propre perte. C’est pour cette raison que je n’ai pas pu te rejoindre, car tu voulais créer des êtres soi-disant « réparés, retapés », responsables dans un monde qui ne l’est guère, là où moi je voyais encore, et même plus que jamais, des victimes résignées d’un système abject, perdues dans un labyrinthe de services administratifs et de structures « charitables » à double visage, dirigées parfois de manière féodale par des exploiteurs de peaux en galère.


Mais j’avais de l’amour pour eux, tes compagnons naufragés en lutte truquée pour leur survie, un amour spirituel immense, et de l’amour pour toi qui savais mieux qu’un autre faire jaillir les mirages dans des yeux pleins de larmes et de douleurs sans nom. Hélas, mon pauvre Abbé, tes communautés d’aujourd’hui ressemblent bien souvent à des entreprises négrières et des filières à humiliations. Elles exploitent sans vergogne, avec la bénédiction de l’État, de ses services publics et dépendances sociales, des soustravailleurs corvéables à merci1, harcelés s’ils n’obéissent pas, menacés s’ils osent dire ce qu’ils pensent. Les notables de la charité et autres industriels de l’humanitaire, cette caste autocratique alimentée avec l’argent public, le travail des bénévoles et celui, non reconnu comme tel, de sa main d’œuvre « aidée », veulent empêcher les pauvres de parler d’eux-mêmes et de ce qu’ils subissent dans ce monde, sous prétexte qu’ils ne seraient pas qualifiés, qu’ils n’y comprendraient rien, qu’ils seraient trop fragiles ou trop exacerbés. Ce sont là des arguments de voyous en col blanc qui veulent conserver leur salaire et leurs privilèges, leur mainmise absolue sur le segment de la pauvreté. 1. « Merci » à Martin Hirsch d’avoir inventé ce statut discriminatoire, en l’adjoignant en 2009, le 14 juillet pour jouer le symbole, au décret de création du misérable RSA (Revenu de Solidarité Active). Ce jour-là, comme tant d’autres, en validant un statut de travailleur pauvre sous-payé et sans droits légitimes, nos députés se sont déshonorés en commettant un crime de lèse-République.


Dans tes communautés, Henri, il est une expression courante pour faire comprendre aux récalcitrants bavards, aux compagnons indisciplinés, ce qui les attend en cas de contestation : le P.S.G., « Porte-Sac-Gare », autrement dit… Dégage ! Il faudra que cette vérité éclate, cette odieuse vérité que tous les profiteurs et oligarques de la misère ont intérêt à passer sous silence, même s’il faut l’acheter dans la sphère politique et dans certains médias, blanchisseurs officiels de la pensée unique. Sur cette question cruciale, je préfère laisser la parole à certains de tes « compagnons », anciens et actuels, petites mains maltraitées de tes entreprises charitables qui, avec la complicité des énarques de la Nation, s’assoient sur le droit du travail et le respect de la personne humaine, autant de valeurs qu’elles agitent pourtant comme un bel étendard lorsqu’il s’agit de lever des fonds. À eux de te dire, s’ils en trouvent le courage en dépit des menaces, ce qu’ils vivent au quotidien, à eux de t’exprimer tous leurs griefs de toutes les manières possibles et de saisir, si nécessaire, avec l’aide d’avocats intègres, la Cour Européenne des Droits de l’Homme ! Je suis des leurs avec mes mots, par le cœur et par la pensée, mais c’est à eux, partout où ils se trouvent, de


mettre fin à la confiscation du verbe, comme certains l’osent déjà sur des sites et des forums2. (Internet est un outil précieux, lorsqu’il échappe à une logique marchande ou totalitaire.) Aussi juste et humaine que fût ta lutte contre la pauvreté, Henri, tu la menas aux marges du capitalisme, en vaillant Don Quichotte, sans voir le vent tourner. J’aurais tant aimé me tromper, si tu savais, j’aurais tellement été heureux si tu avais eu raison, si ta voix avait pu émouvoir durablement les âmes atrophiées de l’Occident chrétien, modifier les comportements lamentables engendrés par l’appât du gain, chambouler le fonctionnement mental de ces sociétés hypocrites qui veulent parfumer la misère, et pire, la rentabiliser, au lieu de la combattre. J’aurais tant aimé être un fou furieux et que tu sois un prophète entendu, et non une figure célébrée en ton temps, classée dans le top 5 des personnalités préférées des Français, entre un joueur de tennis reggae et un explorateur des mers à bonnet de Schtroumpf rouge (à chacun sa panoplie, son iconographie). Mais non, tu n’as pas pu, car tu n’étais qu’un homme, hors du commun, c’est vrai, mais emporté 2. Ici, par exemple, tu trouveras quelques centaines de leurs témoignages. Beaucoup d’entre eux sont accablants : http://www. come4news.com/emma-s,-le-piege-a-pauvres-595968  ; ici encore, de lourdes paroles étouffées : http://lodevemaville.free.fr/spip/article. php3 ?id_article=1633


dans le flot de son temps pressé par l’argent et la faillite en marche du politique, c’est-à-dire sans visibilité. Tu es parti en grandes vacances en ayant seulement donné de la voix dans le fracas du monde, rencontré des manipulateurs et des menteurs cupides, passé le doigt sur la poussière des lois sans en contester l’archaïsme, sans appeler à un grand ménage pour retrouver un jour l’essentiel : notre Conscience de la vraie vie sur terre, le sens inaliénable de notre liberté. Tes idéaux intimes, je le crois, et c’est source d’espérance, sont ancrés en chaque être humain comme une intuition salvatrice, mais ils sont enfouis sous des montagnes de souffrances et des générations de peurs déposées dans nos cerveaux pollués, saturés par des milliers de stimuli non hiérarchisés. Ce sont ces plaques de terreur et ce trop-plein d’images imposées, de discours formatés, qui nous bouchent les artères du cœur et toutes les voies de la sagesse commune. Il faudrait recourir à quelque chose comme l’archéologie mentale ou à une chirurgie lourde encore à inventer pour retrouver en chacun de nous la trace spirituelle d’une compassion sincère et agissante à l’égard des autres, le sentiment fossile d’appartenir à la même espèce, à la même et unique conscience d’exister3. Et donc de s’en soucier, avant de gémir chacun sur 3.  La méditation, préconisée par Frédéric Lenoir, est aussi un outil précieux, quand elle ne devient pas un gadget payant, un soin du même tonneau que les thalassos, les massages relaxants, les ressourcements « personnalisés » d’officines spiritualistes.


nous-mêmes, nos illusions de confort menacé par les réalités difficiles de notre prochain, de notre voisin, les réalités du vivant, et de nous déclencher de vieilles dermatoses d’intolérance et des eczémas purulents de rancœurs nationalistes. La « dé-civilisation » ou « l’ensauvagement » de nos sociétés, concepts rances défendus par quelques intellectuels des droites extrêmes, francs érudits (Renaud Camus, Richard Millet, Alain Soral ou Dominique Venner, ancien de l’OAS jouant les « Pussy Riot » samouraï à Notre-Dame de Paris), lobbyistes sécuritaires émargeant dans les universités ou les services publics (Xavier Raufer, alias Christian de Bongain, Alain Bauer) ou collecteurs sélectifs et obsessionnels des pages de faits-divers (« Laurent Obertone »), sont de tristes exemples du racisme ordinaire, de la haine épidermique de l’autre et de la fermeture au monde4. « Il faut vivre les uns pour les autres et non pas les uns contre les autres », affirmais-tu dans Confessions5. Et en cela, tu avais raison ! 4.  On leur opposera l’analyse salutaire de Raphaël Liogier, Le mythe de l’islamisation, essai sur une obsession collective (Seuil, 2012), qui déconstruit toute leur argumentation. 5. Éditions Albin Michel, 2002. Ce livre est pour moi, avec Mon Dieu… pourquoi ? (co-écrit avec Frédéric Lenoir, éditions Plon, 2005), l’un des plus importants de ta longue bibliographie. Il me semble refléter au plus juste les audaces authentiques qui étaient les tiennes, mais que l’homme d’église que tu étais aussi, soumis à la hiérarchie, négociateur dans l’âme, n’a jamais pu défendre politiquement.


Aujourd’hui, en ces temps de fausse crise mondiale, qui n’en est qu’à son commencement et s’avère une tentative sans précédent de mutation humaine fomentée par les banquiers et les spéculateurs internationaux, les multinationales spoliatrices de terres et de ressources locales, de données personnelles et de renseignements, tes grands idéaux sociaux, cher Abbé, ne sont compréhensibles que parce qu’ils sont défiscalisés. Comme le pressentait si justement Roland Barthes, te voilà devenu l’icône parfaite dont les lamentables politiciens, les néo-capitalistes éco-solidaires et les citoyens au grand cœur abusé peuvent se gargariser pour remplacer la justice par de vibrantes paroles creuses et consensuelles : Je m’inquiète d’une société qui consomme si avidement l’affiche de la charité, qu’elle en oublie de s’interroger sur ses conséquences, ses emplois et ses limites. J’en viens alors à me demander si la belle et touchante iconographie de l’abbé Pierre n’est pas l’alibi dont une bonne partie de la nation s’autorise, une fois de plus, pour substituer impunément les signes de la charité à la réalité de la justice.  (Roland Barthes, in Mythologies, Seuil, 1957)

Te voilà rangé sur l’étagère patrimoniale des symboles et des aspirations, avec ta capeline, ta canne et ton béret, juste à côté de la lampe d’Aladin ou de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.


[…]


La charité des prédateurs Lettre à l’Abbé Pierre octobre 2013

Au-delà du statut indigne dont Martin Hirsch affubla les Compagnons d’Emmaüs, au-delà des turpitudes avérées d’associations sectaires, ce petit livre très documenté nous montre comment la gestion de la misère est devenue pour certains prédateurs un outil de profit, puissant et cynique. L’auteur s’adresse ici à l’Abbé Pierre, confident de son enfance chrétienne, et à travers lui, à tous les êtres debout et lucides qui refusent la vacuité larmoyante des discours officiels et des actions stériles. Appelant à un vrai modèle de justice, il analyse en profondeur les mensonges de ces « tirelires déguisées en trousses de secours » : caritatif institutionnel, microfinance, Social Business, Solidarités hypocrites des banquiers, des marques et de certains universitaires, empilement de structures coûteuses et dérisoires, nuées d’associations sans âme, etc. Dans ce réquisitoire impitoyable contre les dérives de l’humanitaire et du caritatif, Christophe Leclaire, préférant la conscience politique aux tristes alibis de la bonne conscience, nous alerte sur le chaos dans lequel nous entraîne le capitalisme planétaire, avec sa recherche de croissance qui engendre partout la douleur et la déshumanisation. Il nous invite à repenser les richesses, et non la pauvreté, et rejoint ainsi les soulèvements légitimes des peuples pour leur dignité et leur liberté, afin d’en finir avec nos sociétés aliénées et sous surveillance, où des élites corrompues s’enrichissent de la misère qu’elles produisent en toute impunité, tout en prétendant la combattre. Né en 1952, Christophe Leclaire vit dans la clandestinité en Asie du Sud-est. Il est l’auteur de Insolvables ! (Flammarion, 2011).

Retrouvez-nous sur www.lesimpressionsnouvelles.com Diffusion / Distribution : Harmonia Mundi EAN 9782874491771 ISBN 978-2-87449-177-1 96 pages – 9 €


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