Extrait de "Musiques de films"

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musiques de films

Nouveaux enjeux

Séverine Abhervé, N. T. Binh, José Moure (dir.)

LES I M P R E S S I O N S N O U V E L L E S Caméras subjectives



MUSIQUES DE FILMS : NOUVEAUX ENJEUX Rencontre sensible entre deux arts Sous la direction de Séverine Abhervé, N. T. Binh et José Moure

LES IMPRESSIONS NOUVELLES



extrait



Introduction N. T. Binh La musique de cinéma semble en phase de mutation, et les questions qu’elle soulève passionnent autant les cinéphiles que les mélomanes. Doit-on préférer les partitions originales ou les musiques préexistantes, des chansons pour commenter l’action ou des scores pour se fondre dans les images ? Comment a évolué la musique filmée ? Qu’en est-il de ses réussites et de ses impasses, de ses conventions et de ses audaces ? Pour y répondre, nous avons convoqué des spécialistes internationaux. Chercheurs infatigables, mais aussi amateurs passionnés, ils ouvrent de nouvelles perspectives en interrogeant les œuvres elles-mêmes, anciennes ou récentes, pour qu’elles livrent leurs secrets musicaux. Du cinéma populaire américain ou de l’industrie bollywoodienne jusqu’aux exemples plus cinéphiliques de Leos Carax ou de Pedro Almodóvar, du rock à la musique dite minimaliste en passant par les personnalités fondatrices de Nino Rota ou d’Elvis Presley, le tour d’horizon se veut à la fois éclectique et précis, tout en menant une réflexion avancée sur le sujet. Ces recherches sont complétées par une fructueuse discussion où interviennent des professionnels français, sur l’évolution actuelle de la musique pour l’écran. Un ouvrage brassant un champ aussi large ne peut prétendre épuiser le sujet. L’un des risques encourus est celui de la généralisation abusive de prétendues « tendances ». Nous avons préféré donner la parole à des chercheurs qui circonscrivent leur intérêt à des exemples bien précis : ils en approfondissent l’étude, et ce sera au lecteur d’appliquer, s’il le désire, le fruit de ces recherches à d’autres films, d’autres courants ou d’autres cinéma-


tographies. Ainsi la synthèse majeure effectuée par Sergio Miceli sur la musique de film en Italie offre-t-elle un avantage non négligeable : le corpus limité par l’histoire même de la musique du cinéma transalpin. En effet, s’il faut en croire son auteur, deux phases cruciales du cinéma italien (l’époque mussolinienne, puis le néoréalisme) négligèrent globalement l’apport potentiel de la musique au cinéma. Cette pénurie historique permet à Miceli d’énoncer les principaux modèles musicaux d’une cinématographie entière, dans le cadre réduit d’un essai ! Ainsi peut-il dévoiler les causes (les relations avec la musique savante), isoler les exceptions (Nino Rota), développer les contrepoints (la France, Hollywood), réduire à un seul nom l’éventualité d’une école nationale (Morricone) et à quelques autres l’apparition de la modernité, puis de ses successeurs contemporains… En quelques pages essentielles, se révèle ici une méthodologie que l’on pourrait appliquer à d’autres territoires. La turbulence et l’extrême diversité du cinéma français récent dans son approche de la musique se reflètent dans deux approches contrastées, l’une consacrée aux partitions originales, l’autre aux chansons préexistantes. Étudié par Cécile Carayol, le minimalisme de certaines musiques originales revendique l’influence de compositeurs américains pionniers (Philip Glass, John Adams, Steve Reich) pour construire une véritable école à la française (Alexandre Desplat, Philippe Rombi, Pascal Estève, Jérôme Lemonnier, Armand Amar) ; l’exemple de la collaboration entre le cinéaste François Ozon et le compositeur Philippe Rombi permet à l’auteur de disséquer toutes les composantes de ce style musical, et d’attribuer à chacune d’entre elles une fonction précise dans la lecture d’un film (Dans la maison). Analysé par Phil Powrie, l’usage de chansons peut se charger de significations particulières et inattendues, selon qu’elles sont anciennes ou actuelles, anglo-saxonnes ou françaises. Grâce à sa minutieuse étude de cas, il convainc de la validité de son postulat : « les chansons anglophones établissent un espace et une culture


contemporains, alors que les chansons françaises tentent la reconstruction d’un passé communautaire et nostalgique ». La musique de film a-t-elle une nationalité ? Dans bien des cas, cela peut se discuter, mais comme le montre Dominique Nasta, il est arrivé que l’identité d’origine des partitions endosse un rôle particulier : elle se penche sur les films européens réalisés par des migrants, qui revendiquent leur appartenance à une diaspora ou assument une culture d’exilé. L’ancêtre de cette démarche serait, à l’ère poststalinienne, d’une part la réappropriation de musiques folkloriques par des metteurs en scène de républiques de l’ex-URSS comme Paradjanov, ou d’autre part l’emploi de partitions classiques occidentales pour ignorer le modèle soviétique (Tarkovski). La pertinence de ces théories s’élargit à des films plus récents, où les formes musicales les plus diverses (originale ou préexistante, instrumentale ou vocale, diégétique ou non) accompagnent, complètent et parfois questionnent le récit principal, selon l’origine – géorgienne, albanaise, algérienne, transylvanienne… – des cinéastes en exil. Comme Cécile Carayol l’a évoqué à travers la collaboration Ozon-Rombi, ou encore Dominique Nasta avec la complicité Tony Gatlif-Delphine Mantoulet, la classique notion de « tandem » réalisateur-compositeur reste d’actualité pour résister à l’uniformisation des formes. Pionnier des recherches sur la musique de film, François Porcile, après un éclairant survol historique, se penche sur l’un des binômes les plus éclatants du cinéma d’aujourd’hui, constitué par Pedro Almodóvar et Alberto Iglesias. La modernité et l’originalité de leur collaboration consiste notamment dans l’économie voire la parcimonie de la partition, mais aussi dans le dialogue de cette dernière avec les sons ou avec les musiques – souvent les chansons – préexistantes. On n’est jamais si bien servi que par soi-même : John Carpenter fait partie des rares cinéastes également compositeurs (citons encore, en un rassemblement hétérogène, Charles Chaplin, Satyajit Ray, Clint Eastwood, Mike Figgis, Bertrand Bonello, Ju-


lie Delpy…). Chez Carpenter, composer pour ses propres films était au départ dicté par un souci d’économie, mais finit par devenir une règle voire un luxe. Analysée en détail par Yohann Guglielmetti, l’impulsion fondatrice de cette double carrière est née avec Halloween, série B devenue triomphe commercial et modèle canonique d’un néogenre, y compris dans ses partis pris musicaux, leur simplicité répétitive épousant le concept même de serial killer. Que reste-t-il de nos accords ? Fellini, qui n’était pas du tout mélomane, s’est très vite trouvé un alter ego musical : Nino Rota. Leur relation fusionnelle a survécu à la mort de Rota, puisque Fellini demanda à Nicola Piovani d’en épouser le style. Mais surtout, comme le montre Roberto Calabretto, ce qui est impliqué dans les références ou les citations de Rota dans le cinéma contemporain, c’est le plus souvent l’influence de ce couple idéalisé, et non pas le seul génie du compositeur : c’est bel et bien l’utopie d’un rapport insurpassé entre deux créateurs, donc entre deux arts. Souvent dans l’histoire du cinéma, les interactions originales de la musique et de l’image ont contribué à renouveler les formes filmiques ; le processus est toujours à l’œuvre aujourd’hui, même s’il est moins patent que par le passé. Mais ce renouvellement a toujours été ambigu. Si, comme l’explique François Ribac, l’arrivée du rock dans le cinéma anglo-saxon a pu être vécue comme une révolution culturelle, l’attrait de la nouveauté s’accommoda fort bien de codes et de conventions remontant à la comédie musicale classique voire à l’accompagnement du cinéma muet ! Il n’empêche qu’une relation particulière s’établit entre la chanson et l’action, posant les bases d’un rajeunissement (et non d’une rupture) des schémas préétablis. C’est aussi une dialectique entre tradition et renouveau qu’explore Séverine Abhervé dans l’évolution contemporaine du cinéma indien populaire, dit « bollywoodien » : en se fondant sur des recherches récentes, elle montre que pour survivre à une


certaine mondialisation (entendre : occidentalisation) dans le goût du public, le rapport étroit de la musique et de l’image s’est progressivement transformé, tout en restant fidèle à certaines caractéristiques immuables, dans la réalisation des films comme dans leur marketing. Gilles Mouëllic, dont les travaux sur le jazz et l’improvisation au cinéma font autorité, réfléchit sur l’inclusion de quelques performances chantées ou dansées dans le cinéma contemporain : le cinéma direct pénètre comme par effraction au cœur de la fiction, avec le surgissement de « mondes imprévisibles, inattendus et indicibles » grâce à la musique, comme en témoigne « l’échappée poétique » de la séquence d’entracte de Holy Motors de Leos Carax (2012). À la reconnaissance mutuelle de ce que les deux arts peuvent s’apporter de singulier, Dominique Chateau répond par « le film comme partition musicale », un concept ambivalent sur lequel se penchent les commentateurs depuis pratiquement les origines de l’image animée, lorsque les films étaient à la fois muets et musicaux. Il apporte un éclairage nouveau à ce paradigme originel et persistant : le cinéma en tant que musique, la musicalité intrinsèque du jeune septième art comme défi lancé à la « vraie » musique. Ces débats théoriques ne perdent rien, bien au contraire, à être confrontés à la pratique. Pour preuve, la parole que nous avons donnée aux « professionnels », acteurs de la musique de film : les compositeurs, bien sûr, mais aussi d’autres activités qui font le lien entre musique et cinéma, telles qu’ingénieur du son mixeur ou superviseur musical. C’est sans préjugés et sans « langue de bois » qu’ils apportent leurs réponses nourries d’expérience et de pensée aux questions que nous nous posons sur les nouveaux enjeux des musiques de films1. 1.  La plupart des textes de cet ouvrage ont fait l’objet de communications au colloque Musiques de films, nouveaux enjeux : rencontre sensible entre deux arts, qui s’est déroulé les 7 et 8 juin 2013 (Institut ACTE, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, CNRS, Cité de la musique), dans le cadre de l’exposition Musique et cinéma, le mariage du siècle ? à la Cité de la musique.


[…]


Heureux tandem : Pedro Almodóvar & Alberto Iglesias François Porcile Le succès du tandem Almodóvar/Iglesias (neuf films depuis La Fleur de mon secret en 1995) m’incite à proposer une réflexion sur la notion de tandem réalisateur/compositeur et ses diverses illustrations à travers l’histoire du cinéma sonore. Saluons d’abord une collaboration qui a suscité un bouquet de récompenses pour le compositeur : cinq prix Goya, deux « European Film Awards », une nomination comme « compositeur de l’année » pour La piel que habito, sans oublier le Prix Sacem/Radio France de la meilleure musique de film pour Volver, etc. En opérant un flash-back jusqu’à l’apparition de la piste sonore au cinéma, on notera que de tels tandems ont existé d’emblée, à commencer par la rencontre de Jean Grémillon avec Roland-Manuel pour son premier film sonore, La Petite Lise, en 1930. On dénombre, depuis cette date, et sur tous les continents, une bonne trentaine de couples importants, sur lesquels il est intéressant de se pencher, dans la perspective de considérer sur quel héritage s’est bâtie la collaboration singulière entre Pedro Almodóvar et Alberto Iglesias. Remarquons la formation de tandems « immédiats », par exemple pour Zéro de conduite, Jean Vigo et Maurice Jaubert, lequel, déclarait le cinéaste, « a assez de talent pour qu’à l’occasion les hurlements des gosses couvrent sa musique. » Simple boutade en apparence, mais riche de conséquences. Si Nino Rota avait déjà à son actif une quinzaine de musiques de films avant de rencontrer Federico Fellini, pour Le


Cheik blanc, en 1952, le contact fut unique. « Notre rapport n’a pas été un rapport comme les autres, un rapport qui se développe, grandit, décroît », écrit Fellini dans un hommage publié quelques jours après la mort de Rota, survenue le 10 avril 1979. « C’était un rapport qui n’a jamais subi de changements, d’oscillations. La première fois que nous nous sommes regardés dans les yeux, nous avons eu le sentiment de nous être retrouvés, et c’est alors que nous nous sommes mis à côté l’un de l’autre. […] On sentait sa créativité si proche de soi qu’elle communiquait une sorte d’ivresse, jusqu’à vous donner la sensation que la musique, c’était nous qui étions en train de la faire. » On imagine qu’une telle osmose a dû s’opérer d’entrée de jeu entre Roman Polanski et Krzysztof Komeda, à travers sept films à partir du court métrage Deux Hommes et une armoire en 1958, collaboration interrompue brutalement par la mort accidentelle du compositeur en 1969, âgé d’à peine 38 ans. Outre-Atlantique, et dans un tout autre genre, on rencontrera une égale complicité entre Blake Edwards et Henry Mancini, entamée dès Diamants sur canapé, en 1961, précédé de la série TV Peter Gunn. Alors qu’il préparait son premier film, Les Jeux de l’amour, en 1959, Philippe de Broca remarqua lors d’un entracte un film publicitaire pour les potages Maggi présentant par truquage un troupeau de vaches dansant le Cha-cha-cha sur une musique d’un certain Georges Delerue. Ce fut le déclic. Il voulut à tout prix rencontrer ce jeune compositeur : « On a parlé du film, je lui ai dit deux ou trois mots du sujet, en évoquant la possibilité d’une valse pour le générique. Il s’est aussitôt mis au piano : “ Une valse comme celle-là ? ” Ça y est, il avait trouvé : sa valse avait quelque chose de guilleret, d’élégant, avec un arrière-goût de tristesse. À partir de ce jour, j’ai été incapable de me passer de Georges, de l’homme et du compositeur. […] Car voilà son génie : rendre palpable, derrière un vernis de légèreté, une insondable tristesse, une impression de la fragilité des êtres et des


choses, que tout est perdu ou va se perdre1. » S’ensuivit une collaboration intense et inventive sur dix-sept films, interrompue par la disparition de Georges Delerue en 1992. Une telle concordance de ton ne se découvre pas toujours immédiatement, et certains tandems célèbres ne se sont constitués qu’après des expériences plus ou moins probantes, sinon quelquefois réussies. Jacques Demy travaille d’abord avec Elsa Barraine et Maurice Jarre avant de rencontrer Michel Legrand pour Lola. Claude Lelouch ne sollicitera Francis Lai qu’après avoir collaboré avec Danyel Gérard et Pierre Vassiliu. Ils auront la chance de démarrer ensemble sur un « tube », le « Chabadabada » d’Un homme et une femme, en 1966, prélude à un tandem record de trente films. La rencontre Almodóvar/Iglesias va, elle aussi, se produire tardivement. Le réalisateur travaille d’abord avec Bernardo Bonezzi (1964-2012) jusqu’au profond désaccord consécutif à la conception sonore de Femmes au bord de la crise de nerfs. Almodóvar sollicite ensuite Ennio Morricone pour Attache-moi en 1990, puis Ryuchi Sakamoto pour Talons aiguilles (1991). De même François Truffaut, après une première collaboration assez quelconque avec Maurice Le Roux pour Les Mistons suivie d’une autre, désastreuse du point de vue de l’auteur, avec Jean Constantin pour Les Quatre Cents Coups, entre en contact avec Georges Delerue pour une expérience acrobatique de resynchronisation des images de clavier de Tirez sur le pianiste, tournées sans son-témoin. Accord immédiat, et après quatre films successifs avec Delerue, Tirez sur le pianiste, Jules et Jim, Antoine et Colette (dans L’Amour à vingt ans) et La Peau douce, Truffaut prône la nécessité absolue du tandem : « On a intérêt à ne pas changer de musicien à chaque film ; comme on arrive à se com1. Entretien par Stéphane Lerouge, livret d’accompagnement du CD « Le cinéma de Philippe de Broca : musiques de Georges Delerue », volume 1 (1959-1968), Universal, 2006.


prendre de mieux en mieux, ce serait idiot d’avoir tout à recommencer avec quelqu’un d’autre.2 » Ce qui ne va pas empêcher Truffaut de changer de compositeur pour ses deux films suivants (Bernard Herrmann) et pour trois autres encore (Antoine Duhamel). Il ne retrouvera Delerue qu’au bout de sept ans, en 1971, pour Les Deux Anglaises et le continent. Ce qui tendrait à prouver, a contrario, que le tandem n’est pas une recette absolue, et n’apporte pas de solution miracle à un problème qui, selon les termes de Maurice Jaubert, ne se pose jamais dans les mêmes termes. Si l’on en croit Alain Resnais, chaque film suppose un compositeur différent, un univers sonore particulier. Par ailleurs, on croise dans le cours de l’histoire du cinéma des exemples de tandems qui ne présentent guère d’intérêt, en dépit de leur régularité : dix-neuf films d’Autant-Lara avec René Cloërec, onze films de Delannoy avec Georges Auric, alors que ce dernier a pu se révéler un interlocuteur inventif et pertinent de René Clair, Jean Cocteau ou John Huston. Et oublions certains tandems « familiaux » dont les liens de parenté ne garantissent en rien la qualité du résultat, qu’il s’agisse des partitions calamiteuses de Renzo Rossellini pour son frère Roberto ou des compositions de Mathieu Chabrol pour son père Claude – d’autant plus fâcheuses qu’elles venaient remplacer une longue et heureuse collaboration avec Pierre Jansen sur vingt-deux films. En revanche, un éventail très divers de collaborations fructueuses plaide en faveur du « tandem ». Et d’abord, la relation privilégiée entre les deux « Serge », Eisenstein et Prokofiev, dont il ne faut pas perdre de vue qu’elle bénéficiait d’un avantage considérable : un temps de travail illimité qu’envieraient nombre de compositeurs d’aujourd’hui, à commencer sans doute par Alberto Iglesias. Eisenstein écrivait en 1946 : 2.  Entretien par Pierre Billard, Cinéma 64 n° 87, juin 1964.


« Les images passent sur l’écran. Et sur les bras du fauteuil, les longs doigts agiles de Prokofiev s’agitent sans arrêt, nerveusement, comme un récepteur de télégraphe Morse. Prokofiev “bat-il la mesure ?” Non. Il “bat” beaucoup plus. Il saisit la loi de la structure d’après laquelle, sur l’écran, dans le montage, la durée et les cadences des différents morceaux sont croisées entre elles, et le tout, pris ensemble, est entrelacé avec les actions et les intonations des personnages. Le lendemain, il apporte la musique qui pénètrera la structure du montage, dont il a emporté les lois de construction dans la figure rythmique que ses doigts pianotaient3. » Tandem idéal, certes, annonciateur d’une autre entente exemplaire, celle de Bernard Herrmann avec Alfred Hitchcock, l’espace de huit films, brutalement interrompue par le refus d’une partition pas assez « pop » au goût du cinéaste pour Le Rideau déchiré en 1966. Et ici, j’opère un premier « raccord » avec le travail d’Alberto Iglesias, tant il me semble que la référence à Bernard Herrmann ne lui est pas étrangère, notamment au générique de La Mauvaise Éducation. Et quand Bernard Herrmann déclare : « Je pense toujours que la musique de film exprime ce que l’acteur ne peut montrer ou dire ; la musique procure, essentiellement et inconsciemment, une série de points d’appui ou de repères au spectateur », il paraît définir prémonitoirement la démarche adoptée par Iglesias dans sa collaboration avec Almodóvar : une signalétique de brèves séquences apparaissant comme les voix des personnages ou des indices sur l’enjeu dramatique du film, la complexité de l’intrigue, des pistes fugaces. Quelque chose qui s’apparenterait à un dispositif d’alerte. Un autre tandem, superbe d’exigence comme de difficulté relationnelle, préfigure à mon sens un autre aspect du travail d’Alberto Iglesias, c’est le duo que formèrent sur onze films Michelangelo Antonioni et Giovanni Fusco, de Nettoyage urbain 3.  S. M. Eisenstein, Réflexions d’un cinéaste, trad. Lucia Galinskaïa et Jean Cathala, éditions Langues étrangères, Moscou, 1958.


(1948) au Désert rouge (1964), c’est-à-dire d’une adaptation de jazz à une partition électroacoustique. Fusco disait d’Antonioni : « Il se comporte […] à l’égard de la musique comme l’homme qui hait une femme parce qu’il l’aime trop. […] Je me suis souvent entendu plaider, presque avec amertume, pour des morceaux que j’avais composés dans l’esprit même de sa poétique. Peut-être était-ce lui qui avait raison, mais cela me coûtait beaucoup d’y renoncer. Je suis sûr cependant d’avoir réussi, d’autres fois, à le conduire dans certaines zones et à les lui faire musicalement accepter, sans qu’il s’en doute. […] Il est nécessaire que la musique d’un film soit très incisive et assez mesurée. Une expérience désormais longue me permet d’affirmer que les résultats les plus efficaces peuvent être obtenus avec les orchestres les moins importants. Pour ma part, en particulier lorsque je rencontre un réalisateur de l’envergure d’Antonioni, j’élimine l’orchestre tout à fait4. »

4.  Pierre Leprohon, Michelangelo Antonioni, Seghers, Paris, 1969.


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Présentation des codirecteurs de l’ouvrage Séverine Abhervé  Chercheuse associée au laboratoire « Art, Culture et Transmission » de l’ICT (Institut catholique de Toulouse) et chargée d’enseignements aux universités Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Paris 3 Sorbonne Nouvelle et Paris 8 Saint-Denis. Musicienne et ingénieur du son, elle a publié plusieurs articles sur la musique de films, la voice-over et le métier de compositeur. Parallèlement à ses recherches universitaires, elle doit notamment sa spécialité à son parcours professionnel où elle côtoie l’univers des musiques de films en travaillant notamment pour l’UCMF (Union des Compositeurs de Musiques de Films). N. T. Binh Maître de conférences à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Critique à la revue Positif, sous la plume de Yann Tobin. Auteur, coauteur ou directeur d’ouvrage notamment de Mankiewicz (Rivages, 1988), Lubitsch (avec Christian Viviani, Rivages, 1990), Bergman, le magicien du Nord (Gallimard, 1993), Typiquement British  (avec Philippe Pilard, Centre Pompidou, 2000), Paris au cinéma (Parigramme, 2003), Sautet par Sautet (avec Dominique Rabourdin, La Martinière, 2005),  La Direction d’acteur au cinéma (revue Études théâtrales, Louvainla-Neuve, 2006), Monuments, stars du 7e art (Le Patrimoine, 2010), Les Magiciens du cinéma : Carné-Prévert-Trauner (avec Jean-Pierre Jeunet et Philippe Morisson, Les Arènes, 2012). Il est aussi réalisateur de documentaires et a été commissaire de l’exposition Musique et cinéma, le mariage du siècle ? à la Cité de la musique (2013), dont il a dirigé le catalogue (Actes Sud/Cité de la musique).


José Moure Professeur en études cinématographiques à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il a notamment publié : Vers une esthétique du vide au cinéma (L’Harmattan, 1997), Michelangelo Antonioni, cinéaste de l’évidement (L’Harmattan, 2001), Le Plaisir du cinéma : analyses et critiques des films (Klincksieck, 2012), Le cinéma, naissance d’un art – 1895-1920 (avec Daniel Banda, Flammarion, 2008), Le cinéma : l’art d’une civilisation – 19201960 (avec Daniel Banda, Flammarion, 2011), Avant le cinéma : l’œil et l’image (avec Daniel Banda, Armand Colin, 2012) et L’Atelier des cinéastes : de la Nouvelle Vague à nos jours (avec Claude Schopp et Gaël Pasquier, Klincksieck, 2012), Charlot : histoire d’un mythe (avec Daniel Banda, Flammarion, 2013).

Présentation des auteurs Roberto Calabretto  Professeur associé en musicologie à l’université d’Udine où il est actuellement Président du département Arts, Musique et Spectacle. Il fait également partie du comité scientifique des publications Quaderni di Mirage ainsi que du groupe de recherche « Historiographie musicale et musique de film » de la Fondation Levi de Venise. Il a coordonné le projet de « restauration des musiques de films sur disque » réalisé en partenariat avec les archives du film de Bologne. Ses recherches portent essentiellement sur la musique italienne du XXe siècle et la musique dans le langage audio-visuel, en particulier au cinéma. Il a notamment publié des ouvrages sur Robert Schumann, Alfredo Casella et Nino Rota mais également sur le cinéma de Pier Paolo Pasolini, Michelangelo Antonioni, Andrei Tarkovski, Luchino Visconti, Alain Resnais et bien d’autres cinéastes et a récemment publié Lo schermo sonoro. La musica per film (Venise, 2010).


Cécile Carayol  Maître de Conférences en musicologie à l’université de Rouen. Auteur d’articles sur la musique de film, ses correspondances avec la musique de concert et d’un ouvrage : Une musique pour l’image, vers un symphonisme intimiste dans le cinéma français (Presses Universitaires de Rennes, 2012). Dominique Chateau  Professeur à l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne. Il enseigne l’esthétique et les études cinématographiques. Il a publié notamment : Arts plastiques : archéologie d’une notion (Jacqueline Chambon, Coll. « Rayon art », 1999), Qu’est-ce que l’art ? (L’Harmattan, Coll. « L’ouverture philosophique », 2000), Cinéma et Philosophie (Nathan, Coll. « Université », 2003), Qu’estce qu’un artiste ? (Presses Universitaires de Rennes, 2008), L’Art comptant pour un (Les Presses du réel, MAMCO, 2009), L’Expérience esthétique : intuition et expertise (Presses Universitaires de Rennes, 2010), Philosophies du cinéma (Armand Colin, 2010). Christian Jaccard, Énergies dissipées (Bernard Chauveau éditeur, 2011), Subjectivity (dir.) (Amsterdam University Press, 2011), La Subjectivité au cinéma (Presses Universitaires de Rennes, 2011), Dialectique ou antinomie ? Comment penser (L’Harmattan, 2012). Yohann Guglielmetti  Il a réalisé et produit une dizaine de courts-métrages de fiction ainsi que des films de communication institutionnels, spots publicitaires, clips musicaux et développe actuellement une adaptation d’un roman de Raphaël Confiant. Parallèlement, il compose pour des courts métrages et des chansons. Il a notamment écrit et dirigé la bande originale de l’ARX « Lost Memories » ; il a reçu, en avril 2011, le Prix Sacem du meilleur compositeur de la biennale 2009/2010. Il enseigne également à l’Université des Antilles et en Guyane l’écriture cinématographique et audiovisuelle et l’analyse de films, puis à l’Institut Régional d’Art Vi-


suel de la Martinique, pour le programme Drac/CNC « Passeur d’Images » et pour le GRETA dont il a coordonné la formation « Techniciens Audiovisuels ». Depuis fin 2012, il poursuit une recherche sur la musique de film chez John Carpenter. Sergio Miceli  Professeur d’histoire et d’esthétique de la musique au Conservatoire Luigi Cherubini de Florence (1976 / 2011) et anciennement chargé de cours sur l’histoire de la musique de films dans les Universités de Florence et de Rome « La Sapienza », il a enseigné dans de nombreuses institutions dont le CSC (Centre Expérimental de Cinématographie) de Rome. Parmi ses principales publications : La musica nel film. Arte e artigianato (Fiesole, 1982), Atti del Convegno internazionale di Studi Musica & Cinema (Florence, 1992), Morricone, la musica, il cinema (Milan, 1994 ; Valence, 1997 ; Essen, 2000), Musica e cinema nella cultura del Novecento (Milan, 2000 ; Rome, 2010), Comporre per il cinema, Teoria e prassi della musica nel film (avec Ennio Morricone, Rome-Venise, 2001; Metuchen, NJ, 2013), Musica per film. Storia, Estetica-Analisi, Tipologie (Milan, 2009 et 2010 ; paru également en anglais en 2013). Gilles Mouëllic  Professeur en études cinématographiques et musique, codirecteur de la collection « Le Spectaculaire/cinéma » des Presses Universitaires de Rennes, il enseigne le cinéma et le jazz à l’université Rennes 2 où il anime le programme ANR « Filmer la création artistique » au sein de l’équipe d’accueil Arts, pratiques et poétiques dont il est également le directeur. Il est l’auteur de nombreux écrits sur les rapports musique et cinéma et notamment Jazz et cinéma (Cahiers du cinéma, 2000), La Musique de film (Cahiers du cinéma/Sceren-CNDP, 2003), ainsi que d’un recueil d’entretiens : Jazz et cinéma : paroles de cinéastes (Séguier/ Archimbaud, 2006). Ses travaux actuels portent sur les relations entre techniques et esthétiques ainsi que sur l’improvisation en


tant que mode de création au cinéma, avec notamment la publication récente, aux éditions Yellow Now, d’un essai intitulé Improviser le cinéma (2011). Dominique Nasta  Professeure en études cinématographiques à l’Université Libre de Bruxelles, elle a également été Professeure invitée aux Universités de Montréal, Liège et Anvers. Elle a publié Meaning in Film (1992), Le Son en perspective: nouvelles recherches (2004) et récemment Contemporary Romanian Cinema : The History of an Unexpected Miracle (2013), ainsi que de nombreux essais et chapitres d’ouvrages collectifs sur les émotions et la musique au cinéma, l’esthétique des mélodrames muets, Michelangelo Antonioni, et Lucian Pintilie. Dominique Nasta dirige la collection bilingue, « Repenser le cinéma » aux éditions Peter Lang, qui vient de publier l’ouvrage collectif Le Mélodrame revisité (2014) qu’elle a également co-édité. François Porcile  Réalisateur (200 courts métrages et documentaires depuis 1966), historien de la musique de film, écrivain, musicologue. Conseiller musical de François Truffaut pour ses quatre films utilisant des partitions inédites de Maurice Jaubert. Outre une biographie de ce dernier (Les Éditeurs français réunis, 1971), il a publié Défense du court métrage français (Cerf, 1965), Présence de la musique à l’écran (Cerf, 1969), La Belle Époque de la musique française (Fayard, 1999), Les Conflits de la musique française (Fayard, 2001), Maurice Ohana, avec Edith Canat de Chizy (Fayard, 2005). Phil Powrie  Professeur de cinéma et Doyen de la Faculté des Sciences Humaines à l’université de Surrey au Royaume-Uni. Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur le cinéma, dont French Cinema in the 1980s: Nostalgia and the Crisis of Masculinity (1997),


Contemporary French Cinema: Continuity and Difference (dir., 1999), Jean-Jacques Beineix (2001), French Cinema: An Introduction (2002), Carmen on Film: A Cultural History (2007), Pierre Batcheff and Stardom in 1920s French Cinema (2009). Il dirige la revue Studies in French Cinema. Il est le Président de l’Association for Studies in French Cinema, et le Vice-Président de la British Association for Film Television and Screen Studies. François Ribac  Compositeur et maître de conférences à l’université de Bourgogne où il enseigne les arts du spectacle et la sociologie de la culture. Outre des opéras et des musiques pour la télévision, il est l’auteur de L’Avaleur de rock (La Dispute, 2004), a dirigé un numéro spécial « Rock et cinéma » pour la revue Volume (2004) et publié (avec Giulia Conte) Les Stars du rock au cinéma (Armand Colin, 2011).


Sommaire

Introduction I. Musiques de films : écoles et tendances contemporaines

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Sergio Miceli : Y-a-t-il encore une école italienne de la musique de film ? 15 Cécile Carayol : Phénomène du minimalisme répétitif dans le cinéma français contemporain. Philippe Rombi, Dans la maison de François Ozon 34 Phil Powrie : Les chansons préexistantes dans le cinéma français actuel 46 Dominique Nasta : Usages de la musique chez les cinéastes migrants et diasporiques 60 II. Compositeurs et cinéastes : d’une expérience l’autre

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François Porcile : Heureux tandem : Pedro Almodóvar & Alberto Iglesias 75 Yohann Guglielmetti : « The Shape Song », musique séquentielle de John Carpenter 84 Roberto Calabretto : L’influence de Nino Rota sur une nouvelle génération de compositeurs 91 III. Images et musiques : accords majeurs ou mineurs

113

François Ribac : When rock songs meet movies

115

Séverine Abhervé : Entre tradition et renouveau, le rôle de la musique dans le cinéma indien contemporain 128


Gilles Mouëllic : De quelques performances musicales dans le cinéma contemporain 145 Dominique Chateau : Musicalité contre musique : vers l’idée de partition audiovisuelle 163 Clap de fin Table ronde : parole aux acteurs de la musique de films, avec Séverine Abhervé, Marc-Olivier Dupin, Thomas Jamois, JeanClaude Petit, Bruno Tarrière et Béatrice Thiriet 173 Présentation des codirecteurs de l’ouvrage

199

Présentation des auteurs

200



Dans la même collection Cinéma et musique : accords parfaits. Dialogues avec des compositeurs et des cinéastes ouvrage coordonné par N. T. Binh, José Moure et Frédéric Sojcher Les Impressions Nouvelles, 2014 « Beaucoup d’images de cinéma sont indissociables de leur musique. Une conjonction qui tient de l’alchimie. Comment est née l’étincelle qui a produit cette fusion ? À quel moment la partition est-elle venue se marier aux plans tournés ? Quel processus permet aux cinéastes et aux compositeurs d’unir leurs talents ? Nous leur donnons ici la parole. Sont explorés dans cet ouvrage les grands élans et la petite cuisine, les moments d’enthousiasme et les tiraillements du doute, tout ce qui constitue la collaboration entre un metteur en scène et un musicien, avant de parvenir à « l’accord parfait ». Ces passionnants témoignages racontent l’aventure de la création : ils intéresseront autant le spécialiste que le profane. Nous espérons aussi qu’ils incitent les jeunes cinéastes de demain à être encore plus mélomanes, et les compositeurs plus cinéphiles, afin de poursuivre le chemin tracé par ces artistes. » Entretiens avec Carter Burwell Vladimir Cosma Bruno Coulais Mychael Danna Claire Denis Atom Egoyan

Stephen Frears Alberto Iglesias Benoit Jacquot Ennio Morricone Jean-Claude Petit Jean-Paul Rappeneau


Musiques de films Nouveaux enjeux Séverine Abhervé, N. T. Binh, José Moure (dir.)

septembre 2014 La musique au cinéma semble en pleine phase de mutation, et les questions qu’elle soulève passionnent autant les cinéphiles que les mélomanes : doit-on préférer les partitions originales ou les musiques préexistantes ? des chansons pour commenter l’action ou des scores pour se fondre dans les images ? comment a évolué la musique filmée, qu’en est-il de ses succès et de ses impasses, de ses conventions et de ses audaces ? Pour y répondre, cet ouvrage a convoqué des spécialistes internationaux. Chercheurs infatigables, mais aussi amateurs passionnés, ils ouvrent de nouvelles perspectives en interrogeant les œuvres ellesmêmes, anciennes ou récentes, pour qu’elles révèlent leurs secrets et leurs trésors. Du cinéma populaire américain et de l’industrie bollywoodienne, jusqu’aux exemples plus cinéphiliques de Leos Carax ou de Pedro Almodóvar, du rock à la musique dite minimaliste, en passant par les œuvres fondatrices de Nino Rota ou d’Elvis Presley, ce panorama se veut à la fois éclectique et subjectif, tout en faisant profondément avancer la réflexion sur le sujet. Ces recherches sont complétées par une fructueuse discussion où interviennent des professionnels français, sur l’évolution actuelle de la musique pour l’écran.

Diffusion / Distribution : Harmonia Mundi EAN 9782874492167 ISBN 978-2-87449-216-7 208 pages – 18 €

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