Extrait de "Le street art au tournant"

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Christophe Genin

LE STREET ART AU TOURNANT

Reconnaissances d’un genre

L e s I m p r e s s i o n s N o u v e ll e s


Ce livre étudie des phénomènes sociaux et artistiques urbains afin de les comprendre. Ni l’auteur ni l’éditeur ne promeut des pratiques qui contreviendraient à la loi, en particulier aux articles 322-2 et 322-3 du Code Pénal.

Sauf mention contraire, toutes les photographies figurant dans ce livre sont de Christophe Genin Dans les légendes, les auteurs non identifiés sont nommés « ani » Couverture : © Thom-Thom, portrait de femme, affiche découpée au cutter, Paris, 2012, collection particulière Quatrième de couverture : ani, abstract graffiti, peinture aérosol sur mur, Guadalajara, 2013 Mise en pages : Mélanie Dufour

© Les Impressions Nouvelles – 2013 www.lesimpressionsnouvelles.com info@lesimpressionsnouvelles.com


Christophe Genin

LE STREET ART AU TOURNANT Reconnaissances d’un genre

EXTRAIT

LES IMPRESSIONS NOUVELLES



Entrée en matière



« Je ne vois là que des couleurs confusément amassées et contenues par une multitude de lignes bizarres qui forment une muraille de peinture » Balzac, Le chef-d’œuvre inconnu

Depuis maintenant une soixantaine d’années, un nouveau monde d’images a envahi l’espace de nos villes et de leurs abords, des lieux les plus obscurs aux places les plus évidentes. Jadis et naguère ces images étaient nommées péjorativement « graffitis ». Aujourd’hui elles sont valorisées comme graffiti-art, art urbain, street art. Suffit-il d’ajouter « art » pour que la pratique soit estimée artistique ? Comment passe-t-on d’un acte compulsif ou protestataire à une intention artistique et esthétique ? Pourquoi ces images sont-elles devenues un poncif des beaux-arts et du design ? Beaucoup de livres, de DVD, de sites sont déjà consacrés aux diverses images de rues, ou empruntées à la rue. Les anthologies de tags, de graffs, de pochoirs sont légion. Les monographies font florès. Des magazines leur sont dédiés. Des expositions et ventes aux enchères internationales avec une audience croissante, et leurs catalogues afférents, se sont multipliées dans le monde. Ces graphismes sont abordés selon plusieurs aspects. Selon leurs lieux, des villes circonscrites (Philadelphie, Berlin, Santiago) ou des espaces indéfinis (squats, friches industrielles, transports publics). Selon les techniques : bombages, collages, éclairages, pochoirs, gravures. Selon leurs auteurs, anonymes ou célèbres, relevant des styles, des écoles, et des artistes dignes d’une monographie1. Selon les époques, leur avènement singulier ou leurs émergences sporadiques, les influences, les mouvances et mouvements qui constituent déjà une histoire de l’art du graphisme urbain2, histoire continue ou fragmentée. Ani, tags et graffitis, bombe et marker, Paris, métro Abbesses, 2006

Sous quelle discipline me ranger ? Mon but n’est pas de constituer une étude psychologique du tagueur, même si l’examen de ses mobiles identitaires ou politiques, comme de ses référents visuels, relevant d’une culture générale ou d’une sousculture, peut être instructif3. 7


Je ne m’inscris pas plus dans une histoire de l’art. Car tant que les caractères d’« articité » des graffitis ou du street art ne sont pas établis, il reste hasardeux de l’inscrire dans tel ou tel champ de l’histoire de l’art. Preuve en est que ces pratiques sont classées tantôt dans les arts plastiques, tantôt dans les performances, tantôt dans le graphisme. Si aucun de ces rangements n’est impertinent, leur diversité montre que le street art reçoit des définitions flottantes parce que la notion est elle-même un amalgame. Je n’entreprends guère plus une sociologie de l’art urbain. Si on veut l’interpréter par des catégories sociologiques, on aboutit à une aporie. En effet, la sociologie n’est pas une science normative, mais analyse un fait social par l’observation de ses rapports internes et externes. À cet égard le tag, le graff, le pochoir n’ont ni plus ni moins de valeur, de sens ou d’intérêt que le bal populaire, le tatouage ou la barbe à papa. Socialement ils sont moins déterminants que l’irruption de nouveaux médias, comme le téléphone, la radio, la télévision, l’Internet. En outre une étude sociologique induit un argument d’autorité : l’analyse d’un phénomène par des chercheurs est souvent interprétée comme une reconnaissance de l’intérêt dudit phénomène et, partant, vaut légitimation, comme si tout ce que touchait la culture savante devenait ipso facto valable et valide. Des sociologues militants peuvent occasionnellement user de leur autorité académique pour justifier la valeur artistique ou sociale de pratiques produites par des groupes dont ils sont les défenseurs. L’on avalise alors le tag, par exemple, au nom de la défense des opprimés, de l’encouragement à la désobéissance civile. Il convient donc de distinguer ce qui relève de l’examen scientifique d’un phénomène de ce qui est un engagement moral ou politique supposant des jugements de valeur ou des convictions personnelles. Bien que pertinente pour rendre compte de l’art urbain, l’analyse sociologique ne saurait omettre une autocritique. Avec l’art urbain apparaît une nouvelle valeur : l’identité. Poser un tag, un graff, un pochoir se fait souvent au nom d’une revendication identitaire. Toutefois la réclamation identitaire verrouille le jugement de valeur. En effet, si l’on critique tel graffiti comme n’étant pas beau ou peu pertinent, alors qu’il affirme l’identité de son scripteur, ce dernier prendra cette critique esthétique comme une attaque contre sa personne. La réclamation identitaire tend à faire de toute critique une attaque ad hominem. Or notre époque est celle de la reconnaissance de la diversité culturelle, et, partant, des identités locales tenues pour légitimes. Par conséquent, toute critique sera condamnée comme atteinte à l’identité légitime.

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Graff et culture pulp : KSR, sabreur masqué, peinture aérosol, Orléans, 2011. Photographie Georges Hébrail

Plus radicalement, il faut questionner ce terme d’identité pour savoir s’il recouvre des phénomènes similaires. Car une vision sociologique globale n’est-elle pas vaine ? À une même date donnée, disons 1971, quelle unité sociale y a-t-il entre un Hispano-américain qui « vandalise » l’East Side de New York par des graffitis4, un Berlinois de l’Ouest qui écrit des slogans sur le mur de séparation, et un plasticien parisien qui bombe des silhouettes anti-nucléaires sur des palissades de chantier ? Ce sont des faits différents, relevant de principes divers : identité communautaire, effets particuliers de la guerre froide, humanisme. Y voir une commune révolte contre l’ordre établi reste une généralité politique et sociale qui n’est en rien propre aux graffitis comme art. En outre, évitons toute forme d’illusion rétrospective. Ces pratiques de rue reçurent rétroactivement la qualification d’art, plusieurs années après leurs premières apparitions. Par exemple, quand Milos Forman montre, dans Taking Off (1971), le père de la jeune fugueuse errant dans le Lower East Side, les tags visibles en arrière plan du décor urbain ne signifient pas un univers artistique mais un espace mal famé, une dégradation de l’espace public où le petit-bourgeois se risque pour retrouver sa fille en rupture de classe. De façon analogue, 9


un hermétisme graphique (De gauche à droite et de haut en bas) ani, peinture aérosol sur palissade, Paris, 2009 ; ani, peinture aérosol sur mur, Gentilly, 2013 ; ani, peinture aérosol sur palissade, Paris, 2009 ; ani, peinture aérosol sur mur, Berlin, 2013



en 2011, quelle unité sociale y a-t-il entre un jeune designer en vogue qui décore des meubles, de la vaisselle, des carreaux de cuisine, des lampions, des paravents avec des motifs de graffiti, un pochoiriste sexagénaire enseignant dans une école d’arts appliqués, ou une femme des favellas qui participe avec JR à un acte d’émancipation par la photographie urbaine ? Certes, on peut faire une sociologie du rapport d’un groupe social donné à la production d’un type de graffitis dans un espace donné, mais non une sociologie des graffitis, car cela exigerait une appréhension globale de tous les tissus sociaux de toute la planète. Et les graffitis ne sont eux-mêmes qu’une des applications des inscriptions urbaines…

Quel biais prendre alors pour mener cette étude ? Un premier axe peut être esthétique. Pourtant pour interpréter ces signes urbains les concepts esthétiques classiques (le goût, le beau, l’universel, l’inspiration, la création, l’originalité) semblent vite de peu de valeur. En effet, ces dessins relèvent souvent de techniques élémentaires, plagient souvent des graphismes inventés ailleurs (calligraphie, publicité, bande dessinée). D’un point de vue graphique et esthétique, ils impressionnent surtout les yeux peu avertis de la grammaire des styles. Une esthétique de l’art urbain requiert de l’inscrire en regard des notions et ordres classiques : le jugement de goût estimant la beauté ou la laideur de telle ou telle pièce, la validité des genres artistiques, l’identification des sujets (paysage, portrait, vanité), la constitution de catégories (narratif, formel, abstrait, conceptuel) et de rubriques plastiques (calligraphie, pochoir, etc.), la précision du rapport au temps (éphémère ou durable), à l’espace, au volume. En fait, il semble que ces catégories esthétiques, conçues pour penser une commune mesure de l’expérience esthétique, soient peu pertinentes pour appréhender un phénomène dont la marginalité tient au caractère immobile du support (la paroi), et par là même incessible, étant irréductible à la loi du marché de l’art, à savoir la cession de l’œuvre. Que les graffitis de Bando ou de Jonone finissent dans les galeries et les salons bourgeois, dans les expositions officielles, ne fut possible qu’en substituant la toile à la paroi fixe. Il en va de même pour les tagueurs qui, s’étant illustrés dans le cercle des amateurs de bombages, déclinent leurs graphismes en produits dérivés, versant dans le stylisme en lançant une street fashion aux couleurs et motifs de leurs dessins, comme des tee-shirts. Ils intègrent alors la catégorie des arts décoratifs. Pour mesurer l’innovation du sujet il faut s’initier à l’image contemporaine et urbaine : comment « lire » un tag, un graff, un pochoir ; com12


ment se pense un pochoir en situation. Cette lecture peut être analytique (le tag comme isolat) ou synthétique (la série, le palimpseste). On découvre alors qu’il y a des codes esthétiques au sein de ce milieu comme des expérimentations plastiques, dont témoigne par exemple le wild style. Les études culturelles peuvent aussi être pertinentes. Attentives aux rapports d’hégémonie, comme à leurs vecteurs matériels, les études culturelles déconstruisent les processus de normalisation liés à des rapports de force et examinent les processus de reconnaissance. Ainsi, quand on voit des pièces de writers se propager de par le monde, de New York à Juvisy, comment penser cette planétarisation d’un même gimmick visuel ? Fautil y voir un simple « respect », une copie, voire un vent de liberté qui souffle et s’étend dans le monde ? Ou a contrario est-ce une fois de plus une américanisation des cultures européennes et asiatiques par le biais des industries culturelles de masse, pour introduire dans la tête des jeunes générations non américaines un imaginaire étranger à leur propre histoire locale ? Par ailleurs, que penser à Berlin du muralisme protestataire des générations du Mur, qui devient un objet touristique ? Cela exige d’être attentif aux parcours de reconnaissance. L’art urbain part d’une pratique élémentaire, ces graffitis de l’espace sauvage, niant l’espace public par une posture de hors-la-loi, pour arriver à la légitimité des galeries, des commandes publiques, de la conservation patrimoniale, voire de la restauration mémoriale (à Berlin). Aussi, je me restreindrai à une étude des images et signes depuis leur contexte (la rue, l’institution, le vandalisme, la commande), et depuis leurs référents visuels et culturels (comics, mangas, hip-hop), cherchant à détecter les codes inhérents à ce genre de productions et à analyser les différents types de finalités (politique, ludique, artistique). Pour schématiser, l’art urbain relève de deux sources aux motifs différents. D’un côté, une pratique contestataire d’origine européenne, affirmée dès le milieu des années 1950 par des artistes sortis des écoles d’art ou des universités, fait converger intention politique et acte artistique pour changer de système économico-politique, et inscrit sur les murs des propositions, des symboles et des pochoirs engagés. Cette lignée situationniste, anarchiste, communiste, perdure dans les mouvements alternatifs et antipub, et recourt majoritairement à la proposition, au pochoir, à l’affiche. D’un autre côté, une pratique protestataire, d’origine nordaméricaine, née à la toute fin des années 1960 dans des groupes d’autodidactes en graphisme, mêle individualisme et communautarisme, aspirant a posteriori à réformer le système pour être reconnue par lui, s’y intégrer, 13



Bombarder le système [d’après le titre du film Bomb the system] (De gauche à droite et de haut en bas) L’action directe : ani, pochoir sur mur, Amsterdam, 2009 Dénoncer la société de consommation : ani, pochoir sur mur, Berlin, Tacheles, 2011  Contre le G8 : ani, pochoir sur panneau, Amsterdam, 2009 Contre l’aéroport de Nantes : ani, pochoir sur mur, Brest, 2013


en profiter. Elle répète sur les murs des pseudonymes obscurs à ceux qui n’appartiennent pas au groupe. Cette lignée du tag et du graff perdure dans les lettrages contemporains et un certain graphisme publicitaire. Ces deux perspectives ont des façons différentes de s’approprier l’espace urbain et de lui donner sens. Pourtant elles sont identiquement réfractaires à l’ordre établi, au sens où elles en dévient les contraintes et en récusent les injonctions. Mon argument central sera de voir dans l’art urbain l’espace de jeu des identités réfractaires. J’appelle identités réfractaires ces processus de sauvegarde du quant-à-soi par micro-résistances aux contraintes qui, sous des allures d’intégration des normes d’établissement, font émerger des marques et des marges d’altérité qui, à force d’opiniâtreté, finissent par être reconnues et établies à leur tour. Les œuvres d’art, comprises depuis Kant selon une fin de communicabilité (Mitteilbarkeit)5, n’ont pas pour seules finalités la contemplation ou la consommation, un ravissement pour esthète éthéré ou un divertissement pour foules aliénées, une libération de l’âme ou un agrément des sens. Elles sont également autant de moyens pour signifier une affirmation de soi, par delà toutes sortes 16

Graffeurs au pied du mur, Paris, 2009


Une action et un réseau internationaux : ani, pochoirs sur mur, Budapest, 2013

de contraintes, ou des constructions d’identités (personnelles, sociales, culturelles, religieuses et politiques). Ici l’art est un des processus culturels englobant les dimensions politiques, géopolitiques et éthiques de la dignité et de l’égalité. C’est pourquoi la question de l’origine de ce nouveau genre, comme celle de sa langue d’expression – par des writers qui s’autoproclament kings du street art –, posent le problème des rapports de force inaperçus, ou des relations d’influence qui conduisent une culture donnée à faire sien le mainstream de l’entertainment et de la world culture au service d’un soft power américain. Pour être plus clair, il faut veiller à ne pas réduire un art urbain multiple à l’école américaine du graffiti qui, pour exemplaire qu’elle soit, représente finalement les intérêts de l’idéologie américaine. La vulgate actuelle repose sur le modèle de la percée et de la dissémination. On raconte que des jeunes marginaux américains ont bousculé l’establishment par une innovation créative, et leur originalité est devenue un standard international. Cette belle histoire, qui a tout d’une success story, oublie que la bourgeoisie libérale américaine fait aussi partie de l’establishment, et s’est vite intéressée aux productions de rue, ayant rapi17



Alex Martinez, portrait de Samuel Beckett, peinture murale, Londres Portobello, 2007

dement détecté un nouveau marché. Elle oublie que les graffitis modernes ont une histoire antérieure, et que chaque pays et chaque culture ont un rapport à la rue lié à leur propre histoire politique et juridique. À HongKong une intervention de Zeus lui vaut d’être incarcéré, à Ramallah un collage d’Ernest Pignon-Ernest est sous la garde de la police palestinienne. De même qu’Hollywood n’exprime qu’une dimension du cinéma, que les comics strips ne sont qu’un aspect de la bande dessinée, de même les writers sont des acteurs de rue parmi d’autres activistes possibles. Mon argument ne consiste pas à prendre pour allant de soi la conscience que telle ou telle culture a d’elle-même, mais à repérer des jeux de résistance et des conditions de reconnaissance. Cela passe par des trajectoires humaines qui anticipent les homologations. Je ne ferai pas mienne l’idée répandue d’une genèse américaine des graffitis ou du street art qui, venus de Philadelphie, de New York, de Chicago, se répandraient dans le monde, apportant avec eux un vent de rébellion des minorités6. Cela est vrai, mais pour partie seulement, pour une production d’images ou de signes sous l’influence d’une hégémonie « douce », véhiculée par les images des ghettos, reprenant parfois celle des comics ou des soap-operas, transportée par diverses médiations (photographies, films, vidéo-clips). Car cette histoire, au sens de story-telling, qui narre un joli conte pour capter notre bienveillance politique, nie la diachronie et la discontinuité d’un phénomène mondial aux images hétérogènes. Par exemple, la tradition muraliste sud-américaine est indépendante des tagueurs de New York. Au Mexique des peintures de rue empruntent au graff certains aspects visuels, mais selon une base narrative et expressive locale. Des inscriptions aphoristiques parisiennes, des graffs berlinois s’approprient les murs de la ville contre l’idéologie américaine, tandis que les dessins guanches peints aux Canaries ne doivent rien à l’histoire nordaméricaine actuelle. Reconnaître le graffiti comme art requiert une histoire des divers modes de graffitis dont les multiples inscriptions urbaines actuelles sont les formes contemporaines qui en changent la réception, le statut, et l’économie. Mon approche essaiera donc de constater des phénomènes discrets, de temps et de qualité distincts, qui se superposent, se surimpriment dans des espaces perméables créant un effet de profondeur, là où il y a diversité, voire disparité. En un mot, j’essaierai de faire acte de discernement, de ne pas systématiser le jugement par un dénigrement dogmatique ou par des applaudissements partisans. Il en est de l’art urbain comme du reste des productions humaines : les qualités sont inégales. Des pochoirs 19


géniaux par leur densité humaine, qui valent le détour et entrent dans notre mémoire collective, peuvent cohabiter avec des tags quelconques qui ne méritent pas d’être défendus. Le pire côtoie le meilleur, sur une même surface, sous forme de couches mêlées. J’espère tenir la balance égale entre deux écueils : le jugement infondé et le refus de jugement. Je tenterai une analyse différenciée et circonstanciée de ces images (toutes ne sont pas à mettre dans le même sac de l’indignation ou de l’encouragement), en tenant compte de l’histoire du phénomène, et en en révélant les contradictions. Par une ironie de l’histoire, ce qui put être initialement le cri de révolte d’une génération contre l’hégémonie d’une culture (le wasp7 de la Nouvelle Angleterre), sur des surfaces occultes, est devenu un signe extérieur de modernité exploité par les puissances politiques, institutionnelles ou marchandes. J’observerai des faits, pour les comparer en des lieux et des temps différents et en établir les conditions d’apparition, les facteurs de développement et de mutation, des hypothèses d’interprétation. Par exemple le bombage est souvent reçu ou revendiqué comme une sous-culture produisant une crise de la culture majoritaire ou dominante. Quand bien même on voudrait interpréter le concept de culture(s) comme un fait, non comme une norme, cette interprétation présuppose elle-même une norme, tacite ou exprès, depuis laquelle on l’examine. À suivre une méthode qualitative, l’écueil serait d’en rester à une normalisation inconsciente d’elle-même. Pour le contourner je voudrais articuler trois facteurs : —  l’interaction : le bombage n’est pas un phénomène isolé, mais se conçoit comme une réaction au système dominant, tout comme la société réplique à cette provocation en déclinant toute une palette d’attitudes contrastées, cette relation de causalité réciproque se soldant par une transaction entre les deux parties ; —  l’histoire : ayant une genèse, ce phénomène a un cursus de développement (sa mondialisation) et d’altération (le postgraffiti) ; l’histoire permet ici de comparer des pratiques d’âges différents, acquérant de ce fait des valeurs et des fonctions distinctes ; —  l’économie : considérer le tagueur comme un agent responsable qui a certes des objectifs symboliques (la crise culturelle), mais aussi un intérêt convergent avec celui du marché global, de sorte que sa pratique est l’objet d’un échange pouvant en infirmer la valeur symbolique.

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Table des matières Entrée en matière Jeté à la rue / jeté à la vue

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La trajectoire des graffitis : De la confusion à l’homologation

33 Un problème de statut : art ou vandalisme ? 35 La question des origines 52 Le temps de la reconnaissance par les savants et les artistes 59 La vision historique : le graffite originel 60 Les graffitis africains 64 Le bâtard anobli 65 Le trouble occulté 74 La poésie de la rue et la beauté du défait 76 « Je jouis dans les pavés » : les graffitis comme gestes artistico-politiques 80 L’intervention de rue comme art total 83 De Paname au Bronx : aller-retour 87 Une reconnaissance conditionnelle 93 Que vaut une telle reconnaissance ? 96

Street Art urbain : l’art dans un état critique

99 Un art en question 100 Un mot qui fait des histoires : graffiti, street art, art urbain, muralisme ? 106 La question des seuils : à partir de quand y a-t-il street art ? 113 Un cas d’école : Basquiat, « Samo© for the so called avant-garde » 131 Statut du transfert 134 L’archivage : entre espionnage et patrimonialisation 145 Le cas du tag 150 Déchiffrer les noms et les nombres 156


L’onde de choc du street Art urbain 163 Une dimension géopolitique du street art 164 Le street art au féminin pluriel 168 Vandalisme et communication, ou vendalisme et communicassure ? 179 Du choc au chic : quand les vandales sont mignons 182 Les artistes en jeu : l’espace collectif Le street art dans le cinéma Du mur à la planche : graff de bande dessinée Le design Les beaux-arts

Le street art et les autres arts

195 196 205 234 241 245

Conclusion

249

Annexes

255 Glossaire  255 Bibliographie 259 Filmographie 261 Notes 261


Christophe Genin

LE STREET ART AU TOURNANT

Reconnaissances d’un genre

EN LIBRAIRIE LE 31 OCTOBRE 2013

Le street art se trouve dans un tournant, entre illégalité et patrimonialisation, entre contestation locale et consommation de masse. Graffiti, street art, art urbain, peu importe le nom, car par sa dimension planétaire il est indéniablement l’art de notre temps. Que représentent ces œuvres ? Une protestation contre l’ordre établi ou un désir de reconnaissance et d’intégration ? Une caricature de notre monde, son hyperbole ? La métaphore de nos croisements et de nos métissages culturels ? Peut-on dégager une lisibilité d’ensemble dans des phénomènes si divers, voire disparates ? Le street art au tournant se veut un essai sur ce nouveau mode d’expression, sérieux dans son étude et ses références, mais accessible à un large public. Dans cet ouvrage richement illustré, Christophe Genin envisage le street art comme un phénomène culturel planétaire, traversé de courants multiples, quelquefois contradictoires. Il examine sa généalogie et ses évolutions actuelles les plus précipitées. Il aborde ses conditions d’existence, entre la résistance des autorités politiques au « vandalisme », et la reconnaissance de diverses instances, comme le marché de l’art ou les sciences humaines. Il dresse un panorama des champs investis par le street art : le graphisme, le cinéma, la performance, les jeux urbains, les représentations culturelles, la politique et le tourisme. Le street art au tournant s’appuie donc sur des observations d’œuvres, de comportements, de statuts, sur des rencontres avec de nombreux artistes de diverses générations comme Miss.Tic, Rero ou Levalet. Un livre pour comprendre et aimer. Professeur à la Sorbonne, agrégé de philosophie et docteur ès lettres, Christophe Genin travaille sur les cultures émergentes et populaires. Il a publié Miss.Tic, femme de l’être (Les Impressions Nouvelles, 2008) et Kitsch dans l’âme (Vrin, 2010). Amateur des inscriptions de rue, il s’intéresse aux graffitis et au street art depuis 1985.

Retrouvez-nous sur www.lesimpressionsnouvelles.com Diffusion / Distribution : Harmonia Mundi EAN 9782874491801 ISBN 978-2-87449-180-1 272 pages – 28,50 €


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