LA REVUE DES MUSÉES | no 1 / 2015 | CURATORIAT

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LAREVUEDESMUSÉES


Comite de rédaction - Raluca Bem Neamu, Chef du service Formation professionnelle de l’Institut National pour la Recherche et la Formation Culturelle – Rédacteur principal ; - Dragoș Neamu, Directeur exécutif du Réseau national des musées de Roumanie – peer-review ; - Dr. Virgil Ștefan Nițulescu, Directeur du Musée national du paysan Roumain – peer-review ; - Alexandra Ciocănel, Rédacteur. Lorem ipsum dolor sit amet, consectetur adipiscing elit. Proin posuere Conceptionefficitur graphique et couverture : Gheorghe Iosif tortor quis venenatis. Nam non dui elit. Donec congue ipsum et Traitement de texte : Aurora Pădureanu scelerisque volutpat. Pellentesque interdum malesuada neque non Adresse deelementum. la rédactionMorbi : in nunc et massa ullamcorper commodo rutrum at 57, rue Barbu Ștefănescu Delavrancea, secteur 1, Bucarest, 011353 neque. Fusce placerat aliquet malesuada. Phasellus non http://www.culturadata.ro/categorie-publicatii/revista-muzeelor/ www.facebook.com/RevistaMuzeelor © l’Institut National pour la Recherche et la Formation Culturelle (I.N.C.F.C.) ISSN 1220-1723 ISSN 1220-1723

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N 2015 R. 11/ /2015 No

LA REVUE DES MUSÉES R E V I S T A

M U Z E E L O R

C U R CURATORIAT A T O R I A T

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de matières C U P R Table I N S

TABLE DES MATIERES Avant-propos 5 Raluca 01Bem –Lorem ipsum dolor sit amet, consectetur – Curatoriat, et management de la redéfi8 Adriana 12 Avram adipiscing elit. Proinparticipation posuere efficitur nition muséale. Pour une approche interdisciplinaire de la révision de la norme de muséographe 19professionnelle tortor quis venenatis. Nam non dui elit. Donec congue ipsum et scelerisque volutpat. Pellentesque interdum malesuada neque non elementum. Morbi

Helena Marinescu – La numérisation du patrimoine muséal. 17 Angelica in nunc et massa ullam Les collections en ligne du Musée national d’art contemporain de Roumanie31 corper commodo rutrum at neque. Fusce placerat aliquet malesuada. Phasellus non Lorem ipsum dolor sit amet, consectetur adipiscing elit.

26 Anca Maria Pănoiu - Pour une muséologie naïve: Maricica et le musée d’au-delà Eauxipsum dolor sit amet, consectetur 35 desLorem

41 Petre adipiscing elit. Proin posuered’expression efficitur – Thèmes et formes dans les récentes 42 Gheorghe expositions du Musée de l’agriculture de Slobozia 48

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tortor quis venenatis. Nam non dui elit. Donec congue ipsum et scelerisque volutpat. Pellentesque interdum malesuada neque elementum. Valer Rus – Arts&History. Une nouvelle vision pour unnon vieux musée Morbi in nunc et massa ullam

55 Alis Vasile – Le curateur. A quoi ça sert ?

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corper commodo rutrum at neque. Fusce placerat aliquet malesuada. Phasellus non Lorem dolor sit amet, consectetur adipiscing elit. Alexandra Zbuchea – Jeipsum visite. Je regarde. Je comprends. Réflexions

sur le rôle du curateur pour orienter le visiteur


AVANT-PROPOS SUR LE CHANGEMENT par Raluca Bem Neamu

Ce numéro de la nouvelle série “La revue des musées” ouvre un chapitre récent de la muséologie, commencé il y a longtemps, et qui touche maintenant à la législation à travers un «baptême» linguistique et l’apparition d’un nouveau métier dans les musées. Ce numéro est ainsi consacré à la thématique «Curatoriat et curateur», des mots inédits pour la plupart des musées. Le mot «curateur» fait référence à une activité inconnue du Registre des métiers de Roumanie (RMR), absent de la liste des normes professionnelles et utilisé exclusivement dans le domaine d’activité de nos galeries d’art contemporain. Pourtant, ce métier est présent dans la tradition européenne depuis des décennies! Malgré des différences notables selon la zone géographique d’usage, le mot caractérise une activité qui va de «coordinateur de collection» à «celui qui est chargé de la protection d’une collection» jusqu’au «créateur de l’exposition»: c’est celui qui est chargé de la création du concept et de la mise en marche complète de l’exposition. Cette démarche tente de démanteler le mythe selon lequel, le muséographe est la personne qui «s’occupe de tout», qui connaît les détails les plus intimes des œuvres, prêt à mettre en place à tout moment une exposition de haut niveau avec une partie d’entre elles, capable d’identifier le musée d’où il peut emprunter une œuvre pour compléter un concept, maîtrisant parfaitement la gestion du projet, le temps et les risques. C’est aussi celui qui, après avoir coordonné une partie de l’équipe du musée et avoir valorisé l’exposition, est capable (avec ouverture et disponibilité) d’interroger le public, d’identifier ses préférences, ses attentes et les informations qu’il détient sur l’exposition. Sans oublier qu’il peut dérouler des programmes d’éducation muséale pour différentes catégories de publics, qu’ils soient visiteurs ou susceptibles de l’être. Enfin, il est capable d’évaluer la collection, l’exposition et les programmes éducatifs. Voila le statut actuel du muséographe qui s’occupe de tout, doté des plus grandes compétences professionnelles, prévues par les normes professionnelles. 5


L’initiative de l’Institut National pour la Recherche et la Formation Culturelle (INRFC) a permis de démarrer le processus d’introduction de ce métier dans le Registre des métiers de Roumanie, mais aussi d’identifier les compétences d’un curateur pour que les musées et les autres institutions d’art relevant du secteur privé puissent utiliser cette dénomination de façon parfaitement légale. C’est un processus important (par ses conséquences) et de longue durée, qui a débuté par une enquête complète, dans la littérature spécialisée anglo-saxonne et française, afin que la structure proposée soit une synthèse adaptée aux besoins roumains. Nous proposons ainsi de répartir la référence actuelle de «muséographe», qui existe dans le Registre roumain des métiers, en trois activités différentes, adaptées aux nouveaux besoins des musées: muséographe, curateur et spécialiste en éducation muséale. La première occupation va couvrir les compétences liées à la gestion des collections, la deuxième se réfèrera à la gestion des expositions et la troisième permettra au spécialiste d’acquérir les compétences associées aux enquêtes auprès du public et à la mise en valeur des expositions par et à travers l’éducation. Cette division va permettre d’augmenter les compétences spécifiques de chaque muséographe, en lui proposant une spécialisation au choix, vers une des trois directions énoncées cidessus. On rajoutera le fait que l’actuelle norme professionnelle de muséographe ne peut pas être exercée par une seule personne, vu le fait que les trois catégories de compétences sont sensiblement différentes, difficilement exerçables par un seul type de personnalité ou par un seul spécialiste. Cette démarche de spécialisation est issue, d’une part, de l’étude des tendances européennes dans le secteur et, d’autre part, de diverses réunions aves les spécialistes et les managers des musées roumains. Le besoin de distinguer les activités s’est avéré imminent et l’INRFC a assumé cette démarche, assisté par les institutions muséales et par les organisations professionnelles. Les consultations avec les parties prenantes ont été réalisées fin 2015 et vont se poursuivre jusqu’à la finalisation des étapes administratives nécessaires au changement officiel. Une première étape de ce processus s’est concrétisée par l’introduction des deux nouveaux métiers dans le Registre roumain des métiers (à savoir curateur et spécialiste en éducation muséale), puis par l’identification des compétences qui leur sont rattachées et la mise à jour des compétences de muséographe. Les compétences de chaque métier ont été identifiées suite aux consultations :

Muséographe 1. Connaissance et utilisation appropriée des bases de la muséologie* 2. Connaissance et utilisation appropriée de la législation de base dans le domaine du patrimoine muséal 3. Connaissance et utilisation appropriée des normes de base de conservation préventive 4. Gestion de la collection muséale – planification, organisation, suivi et évaluation 5. Développement du patrimoine muséal et de la circulation des biens culturels 6. Recherche, évaluation et valorisation de la collection muséale 7. Evaluation et réalisation des démarches nécessaires à la réalisation d’un classement des biens culturels 8. Gestion et des biens culturels 9. Numérisation du patrimoine culturel et utilisation des bases de données numériques * Les trois premières compétences sont communes aux trios métiers

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Conservateur 1. Connaissance et utilisation appropriée des bases de la muséologie 2. Connaissance et utilisation appropriée de la législation de base dans le domaine du patrimoine muséal 3. Connaissance et utilisation appropriée des normes de base de conservation préventive 4. Connaissance et utilisation appropriée des techniques, des méthodes et des outils de travail utilisés dans l’aménagement de l’espace et dans la valorisation de l’objet pendant la durée de l’exposition 5. Recherche et évaluation des biens culturels pour organiser des expositions 6. Connaissance et utilisation d’un langage approprie au domaine de l’exposition 7. Identification des besoins et des attentes des visiteurs 8. Réalisation d’un concept et d’un projet de conservation 9. Planification, organisation et développement des projets de conservation 10. Evaluation et suivi de l’impact des expositions sur les bénéficiaires

Spécialiste en éducation muséale 1. Connaissance et utilisation appropriée des bases de la muséologie 2. Connaissance et utilisation appropriée de la législation de base dans le domaine du patrimoine muséal 3. Connaissance et utilisation appropriée des normes de base de conservation préventive 4. Connaissance et utilisation appropriée des méthodes, des techniques innovatrices et interactives et des modèles de bonne pratique dans le processus de l’éducation muséale 5. Identification des besoins et des attentes des visiteurs pour développer des programmes d’éducation 6. Recherche, évaluation et valorisation du patrimoine muséal par l’éducation 7. Planification, organisation et développement des programmes d’éducation muséale 8. Mise en œuvre du projet d’éducation muséale 9. Evaluation et suivi de l’impact des activités éducationnelles sur les bénéficiaires Comme les compétences, telles que les relations publiques ou le marketing ne se retrouvent plus parmi les compétences des métiers cités, nous avons tenté de rajouter quelques éléments spécifiques. Le projet du comité de la Revue des musées est de mettre en évidence dans les prochains numéros, en fonction de l’intérêt manifesté par les spécialités des musées, le processus de changement du paradigme de nos métiers, en mettant l’accent sur les deux nouveaux métiers proposés, à savoir curateur et spécialiste en éducation muséale. Le processus se poursuivra grâce à la démarche assumée par l’INRFC et l’organisation de programmes de formations reconnus correspondant aux trois métiers identifiés. Un premier programme de formationpilote s’est déroulé à la fin de l’année 2015 sur les

compétences du curateur et leurs évolutions. Il a réuni des lecteurs, des curateurs travaillant dans des musées et des galeries d’art roumain, mais aussi des théoriciens et des experts. Il a permis de présenter les idées et les tendances, en adaptant les tendances de la muséologie mondiale au contexte roumain et aux besoins des praticiens de façon empirique et expérimentale, sans le carcan d’une formation professionnelle classique. Nous invitons les communautés muséales à nous faire part de leurs suggestions afin de diversifier ces compétences et nous remercions les spécialistes qui ont participé jusqu’à présent à leur définition. Nous espérons que notre démarche va contribuer, à long et moyen terme, à augmenter le niveau des expositions et à accroître l’ouverture vers le public qui en est le principal bénéficiaire. 7


[fig. no1 le personnel muséal(de spécialité) participant à la mise en place d’une exposition. Source : l’auteur]

CURATORIAT, PARTICIPATION ET MANAGEMENT DE LA RECONFIGURATION MUSEALE. POUR UNE APPROCHE INTERDISCIPLINAIRE DE LA REVISION DE LA NORME PROFESSIONNELLE DE MUSEOGRAPHE ABSTRACT In the context of museographer standard being proposed for revision and division into three further areas of expertise, this article is intended to emphasize the need for an interdisciplinary approach to any change that would apply to the museographer profession as it is depicted today in Romania. The contribution proposes a stakeholder participatory approach to systemic change and tackles the issue from the point of view of project management (requirements documentation, change management), internal control and several legal aspects, put into perspective by international models and standardization. Further analysis is focusing on the standard`s inner overlapping of collections management, curatorship and edutainment practice and brings into discussion the way the museum professional, either in-house or outsourced, could and should engage in supporting the museum`s mission. The conclusions open a list of upsides and downsides to be taken into account when estimating the impact of the standard change and deciding which solution is feasible, necessary and opportune when leveraging the common denominator in beneficiaries` needs. A think tank is proposed to be constituted ad-hoc in order to ensure proper return on investment to advocacy efforts. Key-words: participation, edutainment, good governance, advocacy, curatorship, standards 8


Toute spécialisation est une conséquence normale de la complexité du travail et toute division du travail, pour être efficace, doit être accompagnée paradoxalement, d’un coté, par une intensification des techniques de curatoriat (théorie et pratique), et d’autre coté, par une augmentation de la compréhension du degré d’interdisciplinarité qui gouverne le travail dans les musées. Dans le passé récent et à grande échelle, un musée était considéré comme fonctionnel à partir du moment où il avait ouvert une exposition «permanente» destinée au grand public. Cette pratique met en valeur une vision interne des musées qui manque d’équilibre et de perspective sur leur propre activité, mais aussi sur le rôle qu’ils jouent dans la société. L’exposition représente dans cette optique l’effort suprême de valorisation des collections. De l’orientation exclusive vers les collections à l’orientation exclusive vers le public, les musées se retrouvent dans un processus d’oscillation, entre les buts et les moyens, et finissent par devenir le curateur de leur propre rôle, chaque extrême ayant ses inconvénients. Dans ce contexte, donner de la clarté et de la cohérence au métier de muséographe devient un impératif nécessaire. Le muséographe représente actuellement un factotum spécialisé, tant par la nature de son métier principal que par l’ambigüité issue de la répartition de ses attributions secondaires, bénéfique et nocive à la fois selon leurs modalités d’exercice. Il n’existe pas deux musées similaires, du point de vue de la spécificité des collections, de la taille, de l’environnement (relation de dépendance, capitale/ province, etc.), ou de l’organisation. Chaque musée est un…foyer et chaque manager s’efforce de le faire fonctionner le mieux possible, dans les circonstances actuelles. Le muséographe est aussi souvent, de manière générique, le représentant commercial, celui qui gère l’éducation muséale, qui réalise les

guidages, ou encore qui ouvre le matin et ferme le soir la porte de l’exposition. C’est une situation souvent liée au manque du personnel. Mais pas toujours…. L’Institut National pour la Recherche et la Formation Culturelle souhaite redéfinir et reconfigurer la norme professionnelle de muséographe en distinguant trois métiers : muséographe, curateur et spécialiste en éducation muséale, chacun ayant ses propres attributions et compétences. Cette reconfiguration est-elle nécessaire? Est-elle faisable et opportune? Si la réponse est positive, quelle sera la méthode d’intervention? Faut-il une division en trois ou deux métiers avec une évolution graduelle, ou bien faut-il utiliser les banales fiches de poste qui couvrent aujourd’hui en partie les attributions de beaucoup de muséographes? Peu importe la méthode choisie, il s’avère nécessaire de corriger cette anomalie et de réviser la norme actuelle relative à la profession de muséographe. Pourtant, il nous faut analyser la modalité la plus appropriée pour intervenir sur la norme professionnelle en vigueur. Une intervention radicale se justifie lorsque les bénéfices sont importants ou lors d’une situation sine qua non. Une intervention modérée est susceptible de causer un impact moins important, des changements plus faibles, plus faciles à gérer et probablement suffisants. Le présent article n’est pas censé apporter des réponses, mais plutôt poser quelques questions. Il s’adresse à un large éventail de spécialistes qui exercent leur activité dans les musées, en tant qu’employés où collaborateurs, de managers culturels jusqu’aux chargés de projets. Il faut souligner dès le début que la présente contribution est destinée à un débat qui n’a pas encore débuté. Le pire débat sera un débat superficiel ou presque inexistant, qui aura comme résultat le syntagme «j’accepte la redéfinition»! 9


Le projet de révision est …un projet

En conséquence, il semble parfaitement normal d’appliquer des techniques et des méthodes de management, telles que l’identification du problème, la motivation des demandes par une approche participative censée bien définir les objectifs, le contenu du projet, les modalités de réalisation, la formulation des propositions, l’identification et l’acceptation des délais, mais aussi l’évaluation des ressources nécessaires. Voila quelques aspects. L’initiative de l’INRFC est bonne et salutaire. En tant que promoteur du projet, l’Institut est capable de réaliser une analyse cohérente de la situation et de mobiliser les ressources nécessaires à la réalisation du projet (savoir faire, employés et logistique). Dans ce contexte, la révision devra être perçue par les parties intéressées comme une étape d’un processus de plaidoyer (advocacy), et non pas comme un but. Le résultat final devra amener une réponse légitime, clairement exprimée et susceptible de résoudre les problèmes ponctuels. Le résultat de la révision sera finalement … un texte. Un nouveau métier. Ou peut-être plusieurs. Les conséquences de cette démarche doivent être anticipées de manière réaliste et la communauté muséale doit se préparer aux changements à venir. Une approche intégrée du management de projet sera la seule capable de faire émerger la définition et la réalisation d’une nouvelle norme professionnelle (réécrite ou divisée), en créant une relation entre le management muséal, l’environnement interne (la culture organisationnelle – la version « cultivée », la mission, la vision, les objectifs– avec les autres disciplines et aptitudes indispensables à la réalisation d’une exposition en tant que produit et service culturel – conservateur/restaurateur, spécialiste en éducation muséale, sociologue, créateur, technicien, etc. – appartenant à l’organisation ou provenant de l’extérieur) et l’environnement extérieur, qui suppose l’intégration et l’appropriation des valeurs de l’approche participative dans les musées. Tout changement important doit reposer sur une ample analyse des besoins, mais aussi sur l’évaluation 10

des impacts potentiels de son application. Il faudra prendre en compte, à ces fins, la grande diversité d’institutions impliquées, les musées locaux, régionaux et nationaux, les musées à cinq ou à deux cents employés, les musées d’histoire, d’ethnographie, les musées d’art ou d’histoire naturelle, etc. Par ailleurs, la liste des parties prenantes est beaucoup plus grande et inclue non seulement le personnel muséal impliqué dans la gestion, le personnel spécialisé ou d’exécution (pour mieux comprendre et organiser son travail), mais aussi les syndicats (qui devraient avoir un rôle actif dans l’organisation du temps de travail !), les ordonnateurs de crédits intéressés par les pistes de l’audit, les législateurs qui devront adapter l’impact à d’autres normes, le secteur privé – les industries culturelles et créatives –, en tant que sujets d’externalisation de certaines parties des expositions, etc. La norme professionnelle, telle qu’elle est définie en ce moment, n’est plus adaptée aux besoins et aux tendances muséologiques actuelles. Toute exposition représente un projet qui doit intégrer les caractéristiques du produit fini – et qui doit répondre aux besoins des bénéficiaires – dans la mesure où un musée joue un rôle particulier dans la société. Une séparation des fonctions est, par ressemblance aux jumeaux siamois, difficile et implique une analyse préalable, afin de prouver que la démarche est faisable, opportune, nécessaire et que les résultats escomptés justifient l’allocation des ressources nécessaires. Un tel changement devra être analysé au regard des budgets nécessaires, mais aussi des bénéfices escomptés. Il est également nécessaire de s’assurer que les solutions identifiées ne créent pas d’autres dysfonctionnements, d’identifier les éventuels ajustements d’éviter de remplacer un problème par un autre. Autrement dit, c’est un véritable changement organisationnel qui est nécessaire, y compris au niveau national.


Quelques mots sur le contrôle interne et sur les autres démons

Le rôle d’un standard ISO, d’une norme professionnelle ou bien d’une norme de contrôle interne est de fournir un socle commun d’analyse, de prévision, de planification mais aussi de suivi, d’évaluation, de contrôle et d’audit. Ce sont toutes des fonctions de management. Autrement dit, elles rendent plus facile la vie d’un manager. Comment assurer la gestion interne d’un musée pour s’assurer que ses résultats quantitatifs et qualitatifs correspondent à ce que nous avons estimé ? Il y a une variété de musées qui ont un socle commun, et malgré cela il existe un seuil au-delà duquel les normes de la profession sont appliquées de manière différente, qu’il s’agisse des normes obligatoires ou uniquement des normes recommandées. Toute institution publique est obligée de respecter les normes de contrôle interne, tout en gardant le choix des activités à standardiser. Les procédures se ressemblent également jusqu’à un certain point, comme par exemple le registre du patrimoine, l’exportation temporaire mais aussi dans d’autres activités. Elles reposent toutes sur des normes légales avec des applications différentes d’un musée à l’autre. Dans certains musées, le muséographe s’occupe seul de toutes les étapes de l’exposition et cette situation pourra se perpétuer. Dans d’autres, il n’y a pas le choix. Ces musées préfèrent les normes plus complexes, offrant une plus grande flexibilité au management dans la répartition des responsabilités et la constitution des équipes chargés des projets. La révision par division ne doit pas exclure les bénéfices tirés du cumul. Quand on dispose d’un registre du personnel, d’un ensemble d’objectifs généraux ou annuels, de fiches

de poste des muséographes, qui parfois ne couvrent pas intégralement les attributions et les compétences nécessaires pour atteindre les objectifs, ou bien sont redondantes avec d’autres domaines ou métiers qui existent (ou non) dans l’organigramme (comme par exemple celui de guide, chercheur, chargé de gestion, chargé des relations publiques ou technicien), quand l’instabilité et l’inertie augmentent, quand une mission d’audit sur les procédures d’application du contrôle interne est annoncée, comment peut-on s’en sortir ? Agit-on de manière productive ou appliquet-on une stratégie adaptée à la situation-, justifiée par l’incohérence du système ? Si un directeur de musée se retrouve dans une de ces situations, il aura le droit, mais aussi l’obligation d’agir, pour contribuer ainsi à donner plus cohérence au domaine, sinon il devra laisser les autres agir à sa place. Du point de vue du contrôle interne, la révision des normes (la division en trois normes différentes n’est pas la seule possibilité envisageable) doit être justifiée par la nécessité de mieux respecter ses principes et ses objectifs essentiels prévues par la législation en vigueur1. La norme doit aussi être utile au manager qui dispose d’une check-list (un outil très efficace) sur son écran, qui empêche de donner la même attribution à plusieurs postes, qui le rassure sur le fait que ses subalternes connaissent bien leurs missions, mais aussi les interdictions, qu’il y a une évidence claire des missions et des personnes, qu’il n’y a pas de confusion des termes. Les définitions du dictionnaire2, ainsi que les prescriptions du Code Civil3 et du Registre des métiers de Roumanie4 fournissent quelques précisions

1 L’Ordre no 400/2015 approuvant le Code du contrôle interne/managérial des entités publiques [Online] disponible à l’adresse : http://lege5.ro/en/Gratuit/g4ydomzugq/ordinul-nr-400-2015-pentru-

aprobareacodului-controlului-intern-managerial-al-entitatilor-publice. 2 Curateur, curateurs - Personne chargée d’assister l’incapable majeur dans tous les actes que celui-ci ne peut accomplir seul. Source : DEX’09 (2009) (Le Dictionnaire explicatif de la langue roumaine,

deuxième édition, L’Académie roumaine – l’Institut Linguistique Iorgu Iordan, Ed. Univers Encyclopédique Gold, 2009) Curateur, n.m. personne qui exerce ses attributions établies par une curatelle. 2. Celui qui est charge de liquider les biens d’une société en faillite 3. L’administrateur d’une maison mémorial Source: MDN ‘00 (2000) (Grand Dictionnaire de néologismes, Marcu, Florin, Ed. Saeculum, 2000) Curateur n.m. Celui qui est établi par justice, soit pour veiller aux intérêts d’un mineur émancipé et l’assister dans certains actes, soit pour administrer les biens d’un majeur déclaré incapable de les gouverner lui-même, soit enfin pour régir une succession vacante ou une chose abandonnée. Source: Șăineanu, 6eme Edition (1929) (Dictionnaire universel de la langue roumaine, 6eme Edition, Șăineanu Lazăr, ed. Scrisul Românesc S.A., 1929) – les définitions sont disponibles aussi à l’adresse : dexonline.ro 3 La Loi no 287 du 17 juillet 2009 (republiée et actualisée) sur le Code Civil [Online] disponible à l’adresse : http://legeaz.net/noul-cod-civil 4 L’Ordre no 1832 du 6 juillet 2011, approuvant le Registre des métiers de Roumanie [Online] disponible à l’adresse : http://www.mmuncii.ro/pub/imagemanager/images/file/Legislatie/ORDINE/O1832-2011. pdf

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supplémentaires sur la notion de curateur, pour éviter les incohérences et clarifier le sujet. Le rôle du curateur est bien indiqué dans la législation, plus précisément dans le Code Civil, avec des articles spécifiques dédiés au curatoriat et au curateur, et accompagnés des définitions afférentes. L’utilisation du mot curateur seul n’est pas possible. Ainsi, pour avoir une notion claire et éviter les ambigüités, l’utilisation des syntagmes tels que « curateur muséal » s’avère très utile. Par contre, l’Ordre no 1832/856 du 6 juillet 2011 qui approuve la Classification des métiers en Roumanie amplifie l’ambigüité. Voila quelques exemples : 262 Bibliothécaires, archivistes curateurs – Les bibliothécaires, les archivistes et les curateurs développent et maintiennent les collections des archives, des bibliothèques, des musées, des galeries d’art et des institutions similaires. 2621 Archivistes et curateurs - Les archivistes et les curateurs s’occupent de la collecte, de l’évaluation et de la bonne conservation du contenu des archives, des artefacts et des enregistrements à intérêt historique, culturel, administratif et artistique et d’autres objets. Ils s’occupent aussi de la planification, de l’élaboration et de l’implémentation des systèmes nécessaires à la bonne conservation des enregistrement et des documents historiques de valeur : 262101 archiviste ; 262102 conservateur d’œuvres d’art et des monuments historiques (études supérieures) ; 262103 muséographe ; 262104 restaurateur d’œuvres d’art et des monuments historiques (études supérieures) ; 262105 conservateur archive (études supérieures) ; 262106 restaurateur archive (études supérieures) ; 262107 restaurateurs biens culturels (études supérieurs). Autrement dit, le muséographe reste souscrit au curateur, mais le curateur est doté des attributions suivantes : 343 Autres spécialistes du domaine artistique, culturel et culinaire 5 INRFC[Online] Disponible à l’adresse: http://www.culturadata.ro/bazele-muzeologiei/ 6 http://encyclopedia.thefreedictionary.com/curatorship 7 Ruge (2008), p 12.

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Les autres spécialistes du domaine artistique, culturel et culinaire réunissent les aptitudes créatives et les connaissances techniques et culturelles (…) la préparation des objets en vue de leur exposition, l’entretien des collections des bibliothèques et des galeries, des enregistrements et des systèmes de gestion (…) La subdivision : 3433 Techniciens du domaine de (expositions, musées et bibliothèques)

l’art

Les techniciens du domaine de l’art (expositions, musées et bibliothèques) préparent les œuvres d’art, les artefacts pour les collections, ils s’occupent du rangement et de la mise en œuvre des objets des galeries, (…) Conformément à la définition donnée lors du programme de formation organisé par l’INRFC, «le muséographe est le spécialiste qui s’occupe de la constitution, du développement, de la gestion, de la recherche, de la conservation, de l’évaluation et du classement du patrimoine muséal à travers l’exposition publique, dans le but de le faire connaitre, de contribuer à l’éducation et au loisir du public5». Le programme de formation est construit autour de la norme professionnelle de muséographe, conformément au code RMR 262103, la souscatégorie 2621 Archivistes et curateurs. Dès lors, pour adapter finalement la norme au contenu national, il est nécessaire de lever les ambigüités et de clarifier la norme professionnelle, en effectuant une étude comparative des pratiques internationales. Une analyse rapide du contexte international en matière des normes6 existantes met en évidence une forme de gestion adaptée aux spécificités nationales de la communauté muséale. Le curateur et le muséographe sont définis et dotés d’attributions différentes, selon le cas. Nous n’avons pas envisagé de comparer les fonds nationaux, ce qui aurait conduit à comparer deux icebergs dont seul le sommet serait visible. L’unique recommandation possible reste celle de l’ICOM7, qui sépare les fonctions de recherche/d’exploitation des services destinés aux visiteurs. On arrive ainsi à une séparation


entre le curateur et le muséographe, sous la forme d’une subdivision fonctionnelle, faisable et salutaire dans la mesure où la pratique l’impose. Le muséographe d’aujourd’hui couvre, par exclusion, tous les objectifs qui ne sont pas couverts par les chercheurs ou les restaurateurs. A la séparation des attributions s’ajoute la problématique du décalage des séquences de travail, qui peut causer des problèmes, elle aussi étant justifiée par la norme professionnelle. A l’image de quelques circulaires inefficaces auxquelles s’ajoute la spécialisation «pédagogue muséal», présente dans l’échelle salariale mais absente du registre des normes professionnelles. En l’absence de spécification et de distinction des attributions entre le curateur et le muséographe, une réelle hypothèse repose sur le curriculum actuel du programme de formation continue destiné aux curateurs, qui propose que le muséographe reste près des collections, le pédagogue muséal près du public et qui situe le curateur au centre… Dans la pratique actuelle, le muséographe est chargé de la gestion scientifique du patrimoine (et lutter avec les bugs en DocPat), de la conceptualisation curatoriale (finalisée dans le meilleur cas par un dossier thématique

dans l’archive scientifique, avant la mise en place de l’exposition) et de l’activité d’interprétation/ médiation du patrimoine avec le grand public, composante intrinsèque de l’éducation muséale (visible grâce aux projets d’éducations muséale qui viennent compléter l’exposition principale). La mission actuelle est de trouver un bon équilibre entre le niveau de formation, d’expérience et de motivation du muséographe et de revenir au manager direct. C’est lui qui décide de la répartition de la durée du travail avec le public et avec les collections, conformément aux objectifs généraux ou spécifiques de l’institution (ou des sous-divisions afférentes). Une standardisation appropriée, ainsi qu’un système d’évaluation transparent et cohérent seront bienvenus. Le but est de rentrer finalement sous la sphère d’influence des 3E : efficience, efficacité, économicité, influencés eux-aussi par d’autres facteurs qui viennent souligner l’inadéquation du cadre réglementaire avec la norme professionnelle. Il faudra s’assurer que les ressources investies dans l’intervention garantissent un bon retour sur investissement. Comment peut-on résoudre ce dilemme, sous réserve d’assurer en même temps un contrôle interne réel ?

Un trio … à combien ? Afin de mieux analyser les modalités de séparation des trois catégories d’attributions, il est nécessaire de débattre tout d’abord des aspects unificateurs et des façons de les faire travailler ensemble. La science des systèmes biologiques nous montre que la fonction crée l’organe capable de la faire fonctionner. En conséquence, il faudra analyser en quoi une séparation duale d’ICOM sera appropriée ou non au contexte roumain actuel. Plusieurs muséographes qui travaillent dans des institutions de petite taille exercent les trois attributions en même temps. Elles viennent s’ajouter aux missions administratives, de communication et relations publiques, d’organisation des événements, de management de projet… qui dépassent parfois 50% des taches mensuelles, un pourcentage supérieur aux missions de spécialités. Les attributions énumérées ci-dessus peuvent être réorientée

vers une autre catégorie de personnel, comme les référents, les responsables des salles, les guides, les spécialistes en communication publique. Dans les institutions de grande taille, disposant d’un organigramme plus généreux, il existe sous la norme professionnelle de muséologue, référent ou pédagogue muséal, du personnel qui s’occupe de l’éducation muséale. C’est une fragmentation a priori et un dépassement de la norme professionnelle qui démontrent que l’absence des normes est remplacée par un conglomérat de normes. Dans plusieurs cas, l’attribution de la norme professionnelle de muséographe n’a pas été justifiée par des raisons de management (la séparation des attributions qui correspondent aux objectifs du contrôle interne) ni par la pratique, mais par des nécessités d’organisation, la volonté de mieux

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rémunérer les employés indispensables, de les motiver de façon symbolique parce que, dans une petite équipe ce métier couvre la plupart des taches à réaliser. La réalisation d’une exposition nécessite l’intégration des toutes les fonctions élémentaires, qui assurent le bon fonctionnement du processus. Une bonne collaboration de l’équipe dès le début est essentielle, pour éviter toute perturbation de la qualité de travail, le dépassement du budget et du calendrier, les frustrations, la démobilisation de l’équipe, les résultats faibles par produit/service culturel et pour éviter même de rater les objectifs et la mission à long terme. L’équipe réunit obligatoirement le muséographe – chercheur, le curateur – interprète, le responsable de l’éducation muséale – le communicateur, le restaurateur et le personnel auxiliaire. Elle sera animée éventuellement par un manager chargé de projet ad-hoc (dans la pluparts des cas le manager provient de l’intérieur de l’équipe ou bien c’est le manager direct). Imaginons l’exemple de l’implémentation d’un projet thématique, où le restaurateur récemment consulté doit réécrire la moitié du projet pour non respect des normes de conservation pendant l’exposition, ou refuse un projet conçu hors les murs, pour des raisons liés à l’intégrité du monument… A la fin de l’exposition ou après le vernissage, le responsable de l’éducation muséale est souvent appelé pour concevoir des programmes sur la même thématique destinés au grand public, aux écoles du quartier, pour motiver le jeune public qui représente la cible principale de l’éducation, dont la segmentation est appropriée à l’investissement. Voila quelques erreurs qui ont un impact direct sur la qualité du produit culturel fini. Les musées proposent/peuvent proposer de sujets sensibles de réflexion pour le grand public, capables de générer un impact réel. Le curatoriat devient ainsi une activité critique, les aptitudes qu’il propose viennent amplifier les habilités connexes et les compétences d’un spécialiste muséal. Elles deviennent un défi pour le manager, censé intégrer les ressources, les processus et assurer la qualité. La fonction principale du curateur est d’intégrer dans l’exposition le concept curatorial «négocié» avec l’équipe et assumé par tout le monde. 14

Chaque membre de l’équipe reste indispensable : le spécialiste – celui qui connait la collection (le muséographe responsable de la gestion, autre que le curateur), le restaurateur (qui a dans la plupart des cas comme responsabilité supplémentaire la gestion de la collection), le responsable de l’éducation muséale. Notre discussion tourne donc autour d’un manager et d’une équipe de projet. L’éducation signifie la communication, activité intrinsèque aux activités muséales à ne pas ignorer, qui existe et qui se produit à chaque instant où le visiteur entre dans l’espace muséal (réel, virtuel ou bien il se situe devant une affiche ou une publication). Sa mission principale est la construction et la mise en marche des projets et des programmes d’éducation muséale. La responsabilité de l’équipe entière est devenue plus importante que celle d’un spécialiste capable de planifier-gérer-évaluer en vue d’obtenir des les meilleurs résultats en termes de quantité/ qualité. Le muséographe réunit toutes les conditions nécessaires pour devenir un métier reconnu. Il s’occupe aujourd’hui de l’éducation muséale, de l’interprétation du patrimoine, des missions auxiliaires comme le marketing ou la communication/ organisation des événements (qui sont les attributions du référent). Sa principale mission est de «traduire» le message scientifique, trop spécialisé, dans un message accessible pour l’enseignement tout au long de la vie. Un pédagogue muséal devrait analyser, planifier, choisir et appliquer les stratégies et les techniques d’enseignement susceptibles de rendre le patrimoine beaucoup plus accessible au grand public, d’éveiller chez les visiteurs l’esprit de réflexion après la visite, mais aussi la conscience d’une réelle satisfaction. Afin de mieux identifier et analyser les dysfonctionnements inévitables d’une norme professionnelle cumulative et tellement complexe, on peut se demander si l’externalisation ne pourrait pas être une solution (c’est une question fonctionnelle légitime!) Du point de vue juridique, tout contrat, outre que le classique contrat individuel du travail (CIT), ne dispose pas d’une norme professionnelle équivalente qui peut lui servir de cadre juridique. La formulation des demandes spécifiques pour la


prestation des services effectuée par le curateur ou par le pédagogue muséal de chaque projet devient alors encore plus difficile. Une séparation de ce qu’on garde et ce qu’on externalise s’avère difficile à intégrer dans un cahier de charges. Une approche simpliste est de considérer que le muséographe est l’employé qui fournit les informations essentielles, qui s’occupe de la gestion des collections et du processus de l’exposition/ curatorial, à partir du concept conçu par le curateur qui, à son tour est censé de répondre aux besoins

d’éducation du public, identifié par le pédagogue muséal. Dans la vie réelle, le processus ne peut pas être divisé en relations de type cause-effet ou stimulation-réponse. Dans ce contexte les réitérations et les négociations entre les membres de l’équipe sont nécessaires et normales : les métierssocle de la norme professionnelle (le muséographe, le curateur et le spécialiste dans l’éducation muséale) d’un coté, et les spécialistes qui travaillent ensemble pour assurer l’achèvement et le succès de l’exposition (restaurateur, créateur, technicien, personnel auxiliaire, communicant, etc.) de l’autre coté

Conclusions Si les tentatives de clarification augmentent les ambigüités, l’apparition d’un laboratoire d’idées (think thank) en tant que noyau utile pour la conceptualisation et le plaidoyer devient indispensable. La fonction essentielle du groupe sera alors d’évaluer les pratiques courantes, d’identifier et de consulter les parties prenantes, d’explorer les nouvelles méthodes pour améliorer les processus capables de produire des résultats pour les musées. Une liste contenant les arguments pour et contre la division de la norme professionnelle d’un coté, et sa révision détaillée, de l’autre cotée, est présentées ciaprès. Les avantages de la division en trois métiers sont : • Une meilleure distribution des rôles à l’intérieur d’une équipe capable de comprendre et de continuer à travailler ensemble ; • La spécialisation et la division du travail à l’intérieur d’une norme professionnelle trop complexe, qui pourrait entrainer l’augmentation de la productivité dans l’environnement élitiste des musées. Les arguments contre la division/révision détaillée sont : • Le nombre réduit du personnel et des équipes de petite taille, qui empêchent la réalisation de la division des taches, mais qui favorisent le cumul des fonctions (peu importe son nom actuel) ; • De démontrer que c’est un faux problème, vue la capacité actuelle des spécialistes à

assumer (grâce à leur formation et expérience professionnelle) les trois grandes catégories d’attributions ; • Le problème pratique de relocalisation du personnel exerçant le métier de muséographe. Un manque de concordance entre les prescriptions des fiches de poste, la nouvelle norme professionnelle et la disponibilité du personnel existant. Il nous reste à identifier la direction (pour ou contre) et éventuellement la possibilité de trouver une troisième voie. Le but principal est que les parties prenantes en tirent des bénéfices, sinon il faudra aussi envisager de ne rien faire. Il existe plusieurs possibilités de révision,. Un exemple serait de garder les attributions prévues par la norme professionnelle actuelle de muséographe, lui rajouter les responsabilités de curatoriat et/ou d’éducation muséale, qui seront clairement mises en évidence sur l’échelle graduelle d’évolution de carrière. Les dysfonctionnements actuels de la fiche de poste de muséographe (les attributions sont aléatoirement rapportées à l’échelle graduelle d’évolution de carrière) devraient êtres corrigés. La capacité de plaidoyer (advocacy) est faible dans le contexte actuel (manque des ressources : personnel, budget, temps et nécessité d’une réorientation intelligente). Le choix des nouvelles directions doit reposer sur des critères d’importance et d’impact prioritaire pour la plupart des opérateurs culturels du secteur muséal. Une démarche participative sera capable d’offrir la légitimité nécessaire, mais aussi 15


de la représentativité d’une bonne gouvernance.

domaine, comme beaucoup d’autres, où une majorité qui préfère le silence peut être plus efficace qu’une Un large débat est nécessaire, accompagné par une minorité active. C’est un risque assumé. Le présent consultation des parties prenantes. Notre démarche, article a le rôle de présenter un point de vue, mais ainsi que l’article dédié au sujet dans la Revue des aussi des nuances utiles pour arriver à un consensus Musées (qui est un outil de communication intra- et finalement, pour atteindre le bien-être de la professionnel) pourront être très utiles. C’est un communauté muséale, qui est notre but ultime.

Les références web (consultées le 1er novembre 2015) : INCFC. f.d. Les bases de la muséologie – le muséographe [Online], disponible à l’adresse: http://www.culturadata.ro/bazelemuzeologiei/ INCFC. f.d. Curateur [Online], disponible à l’adresse: http://www.culturadata.ro/curs-curator/ Dexonline. ro. f.d. Curateur. [Online], disponible à l’adresse: https://dexonline.ro/definitie/curator Thefreedictionary. com. f.d. Curatorship. [Online], disponible à l’adresse: http://encyclopedia. thefreedictionary.com/curatorship Ruge, Angelika (ed.). 2008. Museum Professions – A European Frame of Reference. [Online], disponible à l’adresse: http://icom.museum/ fileadmin/user_upload/pdf/professions/frame_ of_reference_2008.pdf L’Ordre no. 400/2015 approuvant le Code du contrôle interne/du management des institutions publiques. 2015. [Online], disponible à l’adresse:

http://lege5.ro/en/Gratuit/g4ydomzugq/ ordinul-nr-400-2015-pentru-aprobarea-coduluicontrolului-internmanagerial-al-entitatilorpublice La Loi no. 287 du 17 juillet 2009 (republiée et actualisée) sur le Code civil. L’émetteur : Le Parlement de Roumanie, publié dans le Journal Officiel no 505 du 15 juillet 2011. [Online], disponible à l’adresse: http://legeaz.net/noulcodcivil L’Ordre no 1832/856 du 6 juillet 2011, qui approuve le Registre des métiers de Roumanie – Le Ministère du travail, de la famille et de la protection sociale no 1.832 du 6 juillet 2011; L’Institut National du Statistique no 856 du 11 juillet 2011 publie dans le Journal officiel no 561 du 8 aout 2011. [Online], disponible à l’adresse: http://www.mmuncii. ro/pub/imagemanager/images/file/Legislatie/ ORDINE/O1832-2011.pdf

Références générales : ICOM. f.d. Professions. [Online], disponible à l’adresse: http://icom.museum/professionalstandards/professions/

Adriana Avram Chef section du Musée d’Ethnographie Universelle „Franz Binder” CNM ASTRA Sibiu, 11, Petite Place adriana.avram@muzeulastra.com 16


LA NUMERISATION DU PATRIMOINE MUSEAL Les collections virtuelles du Musée national d’art de Roumanie

ABSTRACT* The present study proposes a theoretical investigation concerning the digitization of art works, situated in the frame of the relationship between technology, museum and the contemporary art world. The new technologies of information and communication are changing the social and cultural landscape, bringing under discussion the museum function, that of the museology and of art, as well as its representation in the public sphere. From museum sites to online museums and the more recent virtual tours, the internet proves to be a useful tool for art and museums, trustees, experts, museographers being thus able to envisage new forms of cooperation between the exhibitions creators and the visitors - users. The virtual tour is an interactive tool allowing a 360 degrees view of a museum space or an exhibition, the online collections of the Romanian National Art Museum being an example. KEY-WORDS: digitization, art, internet, virtual tours, new technologies of information and communication * Communication lancée lors du XVIème Forum du réseau transméditerranéen et de la Conférence soutenue par la Faculté de Journalisme et sciences de la communication, intitulée « Comprendre la IIIème transition. La place des technologies dans les pratiques sociales et interculturelles», Bucarest, 1-3 juin 2015

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La présente étude est une réflexion théorique sur le phénomène de numérisation des œuvres d’art et les relations existant entre la technologie, le musée et l’environnement de l’art contemporain. La présence des musées dans le réseau world wide web est un processus en plein développement ces dernières années, qu’il s’agisse du musée virtuel, du musée électronique, de l’ hyper-musée, du musée numérique, du cyber-musée ou encore de visites virtuelles. Cette transmutation dans l’espace et dans l’idéologie de l’internet s’approche du musée imaginaire, du musée sans murs8, tel que conçu par Malraux. Le cyberespace, en tant que réseau (network) ou écosystème de communication et de diffusion, interroge les préoccupations patrimoniales des muséologues et des curateurs sur les processus de démocratisation de la culture, ou sur les politiques culturelles. La technologie s’impose graduellement dans l’activité muséale, pour répondre aux pratiques du visiteur, qui se connecte virtuellement aux collections, et au besoin de vitalisation du musée, qui peut constituer une opportunité pour le monde artistique. Le nouveau type de muséographie et les nouvelles expériences muséales sont responsables des mutations culturelles contemporaines9. L’analyse de ce phénomène en Roumanie repose sur la visite virtuelle du Musée national d’art contemporain et la réalisation des deux entretiens, l’un avec l’initiateur de cette visite virtuelle, Emilian Săvescu, et l’autre avec un artiste plasticien roumain, Vlad Ciobanu.

Le musée d’art pendant l’époque du virtuel Le musée d’art a comme principale fonction la conservation des œuvres inscrites dans le patrimoine mobile10. La création du musée implique le détachement de l’art avec la vie, qui ne veut «être rien d’autre que de l’art11» , qui devient une «communauté imaginée» dans l’Europe du XIXe siècle. Les éléments matériels du passé sont considérés comme des indices, des témoins, des voies pour apprendre, qui contribuent tous à l’ordre de l’histoire12. Les musées deviennent ainsi des environnements intellectuels et sociétaux remplis de conscience nationale. Vers la fin du XXe siècle, les musées deviennent des espaces où peut se manifester la différence artistique et patrimoniale13. Ils continuent à être aujourd’hui des espaces privilégiés pour la construction «des signifiés du passé matériel14» et des principes-cadre pour l’exposition de l’art contemporain, ce dernier représentant l’exposition idéale15, qui réunit

des discours autorisés16. A partir de 1991 (moment qui marque l’apparition du world wide web, selon le CERN), on parle souvent d’une démocratie numérique, d’une cybercitoyenneté, d’une société de la connaissance ou de l’information17, mais aussi d’une fracture numérique (digital divide18). Dominique Poulot met en évidence le fait que «l’affirmation des droits de l’homme amène à considérer l’accès aux œuvres d’art comme un droit légitime, auquel il faut satisfaire de manière efficace et équitable19». La technologie est partie prenante de la création des «nouveaux espaces de créativité et de production économique et culturelle20» dans un contexte de passage des systèmes industriels vers l’économie de la connaissance. «Dans ce nouveau cadre, on constate que les nouvelles technologies

8 Malraux (1965) 9 Levy (2001), p. 44 10 En Roumanie, le patrimoine culturel national mobile a été réglementé par la Loi no. 182/2000 sur la protection du patrimoine culturel national mobile, republiée en 2008. 11 Gadamer (1992), p. 40 12 Nora P. (1972) 13 Poulot (2005), p. 141 14 De Certeau in Le Goff & Nora (1974), p. 57 15 O’Doherty (1986) [Artforum, 1976] 16 Poinsot (1999) 17 Jeanneret (2005), p. 66-76 18 Perriault (2002) 19 Poulot (1988), p. 332-341 20 Mathien (2005), p. 7

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de l’information et de la communication, mais aussi les possibilités de collaboration interdisciplinaire ont généré un changement du comportement des musées, plus précisément en valorisant l’impact de l’institution sur individus et les communautés21». Parties intégrantes du contexte social, informationnel et technologique22, les nouvelles formes de communication virtuelle que l’Internet facilite s’avèrent des outils intéressants pour les musées. Ces outils permettent aux experts, aux muséographes et aux curateurs de se tenir informés et d’identifier les nouvelles formes de coopération entre les créateurs d’expositions et les visiteurs, réunis sous la même sphère culturelle grâce à un support technologique de communication23. La technologie est capable d’augmenter l’intérêt des visiteurs pour l’art, mais aussi d’élargir les connaissances du grand public dans ce domaine : Les créateurs utilisent de plus en plus, des instruments technologiques pour faciliter la compréhension ; cet état de lieu va déterminer un comportement différent par rapport à la visite physique dans un musée. Du point de vue commercial, il s’agit d’un facteur valorisant pour la popularité du musée, capable d’augmenter le nombre des visiteurs et d’élargir

la structure du public habituel (chercheurs, élèves, étudiants, néophytes, amateurs d’art, touristes24, etc.) Les débats actuels sur la technologie et l’informatisation mettent en évidence le problème du post-humanisme, prêt à devenir «par l’intermédiaire de la dématérialisation et de l’immatérialité de l’information25» une des théories explicatives de la virtualité et de la cyberculture. Anita Hammer affirme que «les activités de cyberespace oscillent entre sociétal, rituel ou esthétique et sont définies comme ‘réflexives’ parce qu’elles se produisent à la frontière de l’individuel et collectif, par l’intermédiaire des représentations collectives26» . Les théoriciens du postmodernisme considèrent que «la réalité virtuelle peut être perçue comme une réalité facilitée par les technologies de l’information et de la communication, et le processus de virtualisation représente une exploitation créative à attributs multiples de l’humain. […] la technicité n’est pas un prolongement intrinsèque de la corporalité ou de l’imagination, elle n’est pas soumise en totalité à l’humain, mais elle représente une relation facilitée par l’humain à l’aide le technique, en se manifestant comme moyen et pas comme modalité autonome de l’être27».

Art et edutainement Le phénomène des musées virtuels entraîne la création de nouvelles voie de diffusion, car «le public ne va plus au musée, c’est le musée qui va au public28» ; la consultation individuelle, solitaire, à distance, se substitue à la visite collective des expositions. Malgré la méfiance initiale sur l’intérêt de permettre l’accessibilité des collections au grand public via l’espace virtuel, les visiteurs ont continué à se déplacer dans les musées et la virtualisation des musées a été un vrai facteur de stimulation culturelle, capable d’accomplir d’autres fonctions et de se fixer des buts différents. De plus, ces formes de présentation virtuelle sont capables de «créer une relation plus intime entre le visiteur et les œuvres29», grâce à la réduction de la distance et à la

possibilité de sélectionner le contenu et le parcours. Au-delà, il existe un réel intérêt pour la circulation des œuvres d’art ; dans le domaine artistique, «l’ignorance est pire que la connaissance, et l’exposition de l’œuvre d’art est préférable à sa disparition30». L’Internet facilite le développement de l’edutainement31 (un mélange d’information éducative et d’exposition ludique), qui facilite l’apprentissage de notions plus complexes. Le musée virtuel rend accessible l’art pour le jeune public (teens), ainsi que la culture populaire32 qui en fait partie. Deborah Schwarts explique que les «jeunes sont des consommateurs, mais aussi les producteurs des nouveaux médias, et il est important de suivre l’évolution des programmes destinés aux jeunes.

21 Striepe (2013) p. 207-217 22 Rotaru (2010), p. 12 23 Grancher (2003) [online] 24 Ibidem 25 Rotaru (2010), p. 36 26 Hammer (2004), p. 260-268 27 Rotaru (2010), p. 22 28 Quitté (2009) 29 Ory-Lavolée (2002) [online] 30 Arsenault (2003) 31 Bernier (2001) 32 Hill, Douillette (2014), p. 250-261

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La participation de cette génération saturée par les médias nous montrera le pourcentage de l’expérience muséale qui sera modelée par l’internet33». Les adolescents (teenagers) sont la catégorie d’âge la moins représentée dans les visites muséales34, mais cette

catégorie devient représentative pour les enquêtes sur les pratiques de visite, et une fois devenus adultes «les prospectives de longue durée des musées et leur relation avec la communauté peuvent se refléter dans le niveau d’engagement des audiences35».

Les ressources d’art dans l’environnement virtuel L’apparition des musées dans l’espace virtuel a généré dès le début, des réactions positives et négatives. Certains considèrent cet espace comme «une tombe de l’art36», susceptible de produire une dénaturation «en attribuant une substance transitoire aux objets37»; d’autres parlent d’un populisme technologique, destiné à attirer le jeune public (l’effet gadget) ou de «McDonalisation» de la culture, car le visiteur/ utilisateur cherche plutôt une sensation qu’une réflexion esthétique. Parmi les avantages offerts par les musées virtuels, on cite la démocratisation de la culture et son ouverture vers un public plus large ; l’accessibilité hors des programmes de visite et la disparition des contraintes liées à l’espace : … institution de la mémoire, le musée associe les substituts numérisés des collections, des archives, des bibliothèques et des musées dans un environnement interactif riche, et permet d’accéder au contenu quelle que soit la nature de l’institution. L’institution de la mémoire se fixe comme objectif de préserver ce contenu pour les générations futures, et de promouvoir son utilisation et sa gestion dans le temps. Le musée virtuel n’est nullement un rival, ni une menace pour le musée “de briques et de mortier”, car sa nature numérique lui interdit de présenter des objets réels aux visiteurs, contrairement au musée traditionnel. Mais il peut par ailleurs prolonger les idées et les concepts des collections dans le cyberespace, et révéler, ce faisant, la quintessence du musée. Parallèlement, le musée virtuel touche des visiteurs qui n’auront peut-être jamais la possibilité de se rendre physiquement dans tel ou tel musée38. Werner Schweibenz identifie les catégories suivantes 33 Schwartz (2005) 34 Striepe (2013), p. 207-217 35 Ibidem 36 Doray, Bibaud (1999) 37 Bernier (2001) 38 Schweibenz (2004) 39 Ibidem 40 Grancher (2003) [online]

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: le musée-brochure (proposant des informations essentielles sur le musée); le musée-contenu (banque de données des collections muséales); le musée pédagogique (proposant différents points d’accès à ses visiteurs virtuels, selon leur âge, leur environnement et leur niveau de connaissances); le musée virtuel (qui n’a pas toujours d’équivalent dans le monde réel, il contient des collections numérisées)39. Le musée virtuel a été défini comme «... une collection d’objets numérisés articulée logiquement et composée de divers supports qui, par sa connectivité et son caractère multi-accès, permet de transcender les modes traditionnels de communication et d’interaction avec le visiteur... ; il ne dispose pas de lieu ni d’espace réel, ses objets, ainsi que les informations connexes, pouvant être diffusés aux quatre coins du monde40». Pages internet contenant des bases de donnes des photos des œuvres d’art: Virtual Library Museum Page (vlmp.museophile.com), ARTHLink (witcombe.sbc. edu/ARTHLinks.html), Art webgraphie (bump.fundp. ac.be/art), Web Gallery of Art (wga.hu), Artcyclopedia. com, Base Joconde (culture.gouv.fr/documentation/ joconde), Corbis (pro.corbis.com), Musenor.com, Le Louvre (louvre.fr); Virtual Guggenheim Museum (guggenheim.org/exhibitions/virtual); GALLERY 9 (walkerart.org/gallery9/), Fondation Cartier pour l’Art Contemporain (fondation.cartier.fr), MOMA.org, Tate Gallery (tate.org.uk/webart), NARCISSE, Network of Art Research Computer Image SystemS in Europe (culture.gouv.fr/documentation/lrmf/pres.htm). Les visites virtuelles des grands musées du monde sont disponibles à l’adresse : http://www.googleartproject. com, plateforme qui met a la disposition du public les images réels des musées comme MoMA de NewYork, Le palais de Versailles, Van Gogh d’ Ams, le Musée


Ermitaj de Sankt-Petersburg, Tate Britain de Londre, Alte Nationalgalerie de Berlin etc. Une exposition virtuelle peut transposer totalement ou partiellement le lieu de l’exposition, et situer dans l’espace ou dans la métaphore (selon un concept architectural ou muséologique) les objets de l’exposition ; il existe aussi des expositions virtuelles thématiques transposées du monde réel ou bien créées dans l’espace virtuel: La perspective de présentation des objets permet aux spécialistes (restaurateurs, historiens, artistes) d’accéder aux caractéristiques de l’objet (traitement des surfaces, matérialités, etc.), rendues inaccessibles normalement dans l’espace physique, par les diverses formes de protection La visite virtuelle peut très bien remplacer les albums. La visite virtuelle permet aussi la saisie du rapport dimensionnel entre les objets et l’accès (de manière virtuelle) à l’aspect dimensionnel de l’objet. Les albums, par contre, réduisent les dimensions au cadre de la photo. Un souvenir très personnel qui a attiré mon attention au premier impact visuel s’est produit à Louvre, devant le « Radeau de la Méduse » de Théodore Géricault. Dans ma tête je pensais que c’était un tableau avec des dimensions standard (maximum 2m x 2m) – le souvenir du choc que j’ai eu est encore vivant ; devant moi il y avait un tableau de 7m x 5m. On peut rajouter encore « Les Noces de

Cana » de Paolo Veronese, qui fait 10m x 7m. Il y a les musées qui déroulent leur activité dans des espaces fermés, mais il y a aussi des musées en plein air, de plus en plus nombreux pendant la deuxième moitié du XXe siècle ; il s’agit des musées de sculpture et de poterie monumentale, résultats des centres d’arts et de créations. En Roumanie il y a le centre de sculpture de Magura Buzaului, qui a déjà gagné sa notoriété. Il y a aussi des exemples similaires, comme le centre de poterie monumentale de Medgidia, détruit en grande partie, par le manque d’intérêt des autorités publiques, le centre commémoratif de sculpture Oarba de Mures ou encore le centre de sculpture Casoaia Arad. La virtualisation de ces musées en plein air permet de suivre leur évolution dans le temps et de décider une éventuelle restauration et/ou conservation, selon les cas. Les musées en plein air sont plus vulnérables face à l’action des éléments naturels et face à l’activité humaine. L’histoire nous montre que les tremblements de terre, mais aussi les bombardements pendant les deux guerres mondiales, les destructions produites au Proche Orient, la destruction de la Bibliothèque Nationale d’Art et du Musée National d’Art pendant les événements de la révolution roumaine, en 1989 ont eu des impacts négatifs sur les musées. La numérisation peut être aussi une forme de protection des œuvres d’art. [Vlad Ciobanu, artiste plastique, entretien du novembre 2015]

Visite virtuelle des collections du Musée national d’art de Roumaniec En 2008 a été lancé au niveau européen le projet «Europeana, la bibliothèque numérique européenne» (europeana.eu/portal). Conformément au Rapport The New Renaissance, du Comité des Sages, Reflection group on bringing Europe’s cultural heritage online, disponible à l’adresse du Réseau National des Musées de Roumanie : muzee.org/ romania/final-report-cdS3.pdf), La numérisation est plus qu’une option technique, elle est une obligation morale. Beaucoup de biens culturels sont consommés actuellement dans l’espace virtuel, les écrans et les outils numériques sont omniprésents, il est devenu vital maintenant

de développer la culture virtuelle […]. L’abandon de ce but va entraîner un grand danger d’érosion et on va perdre les éléments constitutifs du socle des pays et de la civilisation européenne de ces derniers siècles41. (Bruxelles, le 10 janvier 20111, point 2.3.2). Le partenaire de Roumanie dans ce projet est le CIMEC (Collectif de l’Institut de mémoire culturelle), qui a déjà connu l’expérience du projet EDLnetnet Europeana v.1.0-E-ContentPlus, 2009-2010. La page e-patrimoniu.ro (qui appartient à l’Institut national du patrimoine patrimoniu.gov.ro) est un portal d’information sur les musées de Roumanie. Il offre

41 The New Renaissance, Report of the Comite des Sages on bringing Europe’s Cultural Heritage Online (2011) [online]

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des liens vers la «blogosphère muséale», vers des sites et des blogs des musées, ou vers le Guide des musées de Roumanie (http://ghidulmuzeelor.cimec. ro). Conformément à cette plateforme (e-patrimoniu. ro), il existe 109 musées en Roumanie, qui proposent des visites virtuelles (http://www.cimec.ro/muzee/ muzeecu-tur-virtual.html), dont 14 sont des musées d’art. La visite virtuelle est capable d’attirer un public diversifié mais aussi les touristes et offre une perspective commerciale42. Le communiqué de presse publié en 2014 par MNAR, lors de l’attribution du certificat d’excellence TripAdvisor (suite à la perception des visiteurs) nous offre un bon exemple :

de la réalité, d’un service […]. Il me paraît un excellent outil pour un artiste et pour un musée de montrer l’état exact de l’exposition, telle qu’elle était […]. La visite virtuelle est une traduction fidèle de l’exposition, on a l’impression de se promener dans l’exposition. (Emilian Săvescu, imagofactory. ro, entretien réalisé en mai 2015) Les visites virtuelles du MNAR réunissent les galeries d’art permanentes du MNAR (la Galerie du vieil art roumain, la Galerie d’art moderne roumaine

MNAR mène une activité d’expositions riche et s’intéresse à diversifier ses activités pour le public. En 2014 ont été organisées dans notre musée 210 programmes destinés aux écoles, aux familles et aux adolescents et 107 programmes destinés aux adultes, pour un nombre total de 16.182 participants. Notre démarche, de rendre accessible Fig. no. 1 Les musées et les galeries disponibles lors de la visite virtuelle du l’institution à toutes les catégories Musée national d’art de Roumanie (capture d’écran www.mnart.arts.ro) de public a intégré les visites virtuelles gratuites, accessibles sur la page et la Galerie d’art européen), les sous-divisions internet du musée. [Communiqué de presse du comme le Musée des collections d’art, le Musée MNAR [online]). «K.H.Zambaccian» et le Musée «Theodor Pallady». La visite virtuelle du Musée national d’art de Roumanie est un projet conçu par Imago Factory pour le compte du MNAR. Il a été réalisé entre 2012 et 2014 et a été ouvert au public en avril 2014. L’initiateur du projet de numérisation de collections du Musée national d’art de Roumanie, l’artiste Emilian Săvescu, considère que la visite virtuelle est utile pour la présentation et la campagne publicitaire d’un musée ou d’une exposition, pour une activité d’archivage mais aussi pour la recherche et la restauration : Pour moi, la visite virtuelle n’est pas un acte de création. Il me paraît plutôt une consigne conforme 42 Lipovetsky, Serroy (2013), p. 395 43 Souchier, Jeanneret, Le Marec (2003), p. 118 44 Sauvageot (1994), p. 221

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La visite virtuelle s’inscrit dans la catégorie des dispositifs techno-sémiotiques que l’espace virtuel online43 propose, avec un hypertexte, un environnement ou une architecture virtuelle, qui est un modèle informatique interactif en trois dimensions, à parcourir avec une souris et un clavier. Les nouveaux outils de représentation et de création de l’espace, qui nous sont offerts par la nouvelle technologie et par les images numériques, reposent sur le principe de l’interactivité «à travers la forme figurative : agir sur quelque chose, […] une exploration sensoriale et cognitive à la fois44». L’organisation


d’une visite virtuelle est sensiblement liée à l’affichage des textes sur l’écran et des dispositifs techniques nécessaires à l’itinéraire virtuel. Les visites virtuelles transposent d’abord le concept «d’espace virtuel», car une visite au musée signifie tout d’abord « consommer des espaces, absorber des endroits45». L’interface graphique de l’ordinateur représente un cadre (framed off) pour d’autres activités46, qu’il s’agisse d’un miroir (mirror), d’une fenêtre (window) ou bien d’une porte47 (portal), le cadrage est défini clairement et l’activité réflexive peut se produire à l’intérieur48.

Fig. no. 2 Instruction de navigation ((browsing tips) (capture d’écran www.mnart.arts.ro)

Une visite virtuelle propose des images panoramiques des salles d’exposition (une perspective à 360 degrés), réalisées à l’aide d’images photographiques, après traitement graphique réalisé avec un logiciel (realtime panorama editors/ panorama software) comme Autopano Giga et Panotour Pro du créateur Kolor : La visite virtuelle professionnelle peut contenir des dizaines de panoramas interconnectés par des points de liaison. Une visite virtuelle à 360° complexe représente un ensemble unitaire et interactif ; il est réaliste, objectif et exhaustif, facilitant la visite sans restriction de durée ni de détail. Par comparaison, la photo « gèle » un instant ou bien un endroit, tandis que le film est capable de présenter un espace sur une durée déterminée, la succession des séquences étant donnée par le talent et la subjectivité du producteur. (www.imagofactory. ro) Une visite virtuelle, c’est présenter l’information orientée plutôt vers l’objet, que vers le contexte. La macro photo est utile pour la restauration et la numérisation, car elle permet de

Fig. no. 3 Plan de visite virtuelle de la Galerie du vieil art roumain (capture d’écran www.mnart.arts.ro)

Fig. no. 4 Image panoramique, Galerie du vieil art roumain, salle no 5 (capture d’écran www.mnarts.arts.ro)

45 Poulot (2005), p. 141 46 Hammer (2005), p. 262 47 Turkle (1996) 48 Hammer (2005), p. 262

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visualiser chaque détail d’un objet, avant ou après sa restauration. Les images peuvent contenir des «témoins», ainsi que des textes qui décrivent l’objet.

Fig. no. 5 Galerie du vieil art roumain, exemple de texte explicatif « Épitaphe, 1475 », salle no 1-2 (capture d’écran www.mnart.arts.ro)

En ce qui concerne les éléments constitutifs d’une exposition, on peut attacher à la visite virtuelle différente fichiers, pour améliorer et mieux documenter la visite: des fichiers audio (musique), des textes contenant des informations, un historique, des insertions vidéo, des cartes, des liens vers d’autres pages internet, etc.

Conclusion Comme nous avons vu auparavant, la numérisation du patrimoine d’art muséal repose sur la collaboration entre la technologie et la muséologie, modifie le rapport entre le public et la perception de l’art. Considérée utile par les artistes, les restaurateurs, les muséographes, les experts ou les néophytes, la visite virtuelle reste un instrument de connaissance, d’exploration, mais aussi d’archivage et de restauration.

Il est bien vrai que pour comprendre l’art, le savoirfaire technique n’est pas suffisant, car les vertus pédagogiques de cet outil restent encore inexplorées et ne sont pas mises en valeur. Le rôle de l’art pour assurer la visibilité et la démocratisation de l’accès à l’espace muséal restent essentiels.

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Angelica Helena Marinescu Faculté de journalisme et sciences de la communication, Université de Bucarest 15, Calea Victoriei, Bucarest angelica.marinescu@yahoo.com 25


Fig.1. Casa bătrânească în care a fost montat muzeul etnografic

POUR UNE MUSEOLOGIE NAÏVE Maricica et le musée d’au-delà des Eaux « Pour le paysan, la muséalité est quelque chose de ridicule. Comme il ne s’évanouit pas devant un paysage, il ne s’évanouit pas non plus devant des valeurs entreposées, parmi lesquelles tu peux te promener en soupirant le dimanche, en habits de fête. Il est intéressant aussi d’identifier dans quelle mesure le paysan est intéressé par sa propre identité ». (Andrei Pleșu **) ABSTRACT In Podu Nărujii, a village in Vrancea county, Romania, the new and the archaic are intertwined, as natural as in any other village of the 21st century. However, the image that the villagers have of themselves and therefore want to transmit seems to spring rather from the old times. Maricica, a young peasant aged 34, wears blue-jeans and T-shirts, but knows how to weave, spin, tell stories of the past and, as well as that, she is a depositary of the antique traditions of the village. ‚Over the river’, in an area rather difficult to reach, Maricica settled a micro-museum of the Vrancea village in the old house of the deceased Apostol Zaharioiu. There, without any expertise, but with a lot of creativity, she arranged objects that are more or less peasant-like, gathered from the village dwellers. This paper aims to present the manner in which personal creativity and intuition can serve the representation of local identity, materializing in a naive, but not unaware syntax of old and new objects. KEY-WORDS: material culture, ‚naive museology’, (auto)representation, local identity, cultural memory, tradition, museum discourse * L’article a été réalisé à partir d’une recherché ethnologique réalisée en collaboration avec la Faculté de Lettres de l’Université de Bucarest et le Centre culturel régional Vrancea, entre le 14 et le 19 aout 2014. ** Pleșu, Andrei, « Sur un personnage à de nombreux visages », Fiche. Bulletin d’information du Musée du paysan roumain, 1(2001) (entretien réalisé par Silvia Cazacu)

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Fig. no 2 Costume féminin traditionnel exposé dans le musée Peut-on appeler «musée» une collection populaire privée? Les avis sont partagés, car une telle entité est souvent créée par des personnes qui travaillent par passion pure, qui n’ont pas bénéficié d’une formation spécialisée en muséologie ou curatoriat, et dont les conditions de conservation sont inappropriées. Certaines voix préfèrent une position radicale, en faisant valoir qu’une collection privée ne respecte pas les conditions sine qua non de fonctionnement d’un musée. En effet, selon la définition donnée par le Conseil international des musées (ICOM) et reprise par la législation roumaine: «Le musée est une institution culturelle publique au service de la société, qui recueille, conserve, recherche, reconditionne, communique et expose, en vue de l’éducation, de la connaissance, et du loisir, les témoignages matériels et spirituels des communautés humaines et de son environnement49». Conformément à cette définition, les initiatives des paysans souhaitant populariser leur village ou leur région par l’intermédiaire d’une exposition

personnelle, qui réunit des objets dans un espace privé, ne méritent pas l’attention des spécialistes, car elle représente une aspiration profane, issue d’un élan humaniste. Certaines voix consacrées du domaine de la muséologie, comme Dominique Polot, affirment que la définition de l’ICOM est hégémonique et confirme le phénomène de mondialisation et d’uniformisation qui s’étend aux musées. Il démontre l’existence d’alternatives issues de la sémiologie ou des sciences de la communication, ou de la culture professionnelle des spécialistes de la conservation50. Les voix qui soutiennent ces alternatives appartiennent aux anthropologues des objets, esprits ouverts capables de saisir les nuances du geste curatorial spontané, de lui reconnaitre sa légitimité et sa valeur. Thierry Bonnot par exemple, a consacré un volume à l’attachement aux objets, aux histoires et aux empreintes personnelles qu’ils peuvent contenir, et parle des musées monoparentaux, où le «charme prime et les règles s’absentent51». L’équipe du Musée du paysan a identifié dans l’espace

49 La Loi des musées et des collections publiques No 311 du 8 juillet 2003, disponible à l’adresse : http://www.cimec.ro/muzee/lege/index.htm (dernière consultation le 20 avril 2015) 50 Poulot, Dominique. 2009. Musées et muséologie. Paris: Editions La Découverte, p. 6 (trad. m. AMP) 51 Hudson apud Bonnot, Thierry.2014. L’Attachement aux choses. Paris: CNRS Editions, p. 106 (trad. m. AMP)

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Fig. no 3 Assiette murale en terre cuite de type « Impatiences » (porte-bonheur au foyer)

roumain un épanouissement des entités de type « musée », déployées par l’effort, la patience et le soutien personnel de leurs initiateurs. En 2008, la même équipe leur a dédié le projet intitulé « Patrimoine et identité locale. L’identification et la popularisation des collections populaires roumaines », dont l’objectif principal était le soutien et la formation des promoteurs locaux, ainsi que l’exploitation de leurs initiatives. Les collectionneurs sélectionnés pour participer à ce projet ont bénéficié d’un stage d’une semaine au Musée de la Chaussée (Muzeul de la Şosea), avec cinq modules de formation et une activité pratique, la mise en place d’une exposition représentative avec leurs propres objets52. L’ouvrage publié à la fin du projet, reconnaît la précarité des collections populaires privées des villages roumains. L’ethnologue Carmen Mihalache parle ainsi de la faible protection institutionnelle et de l’absence d’un cadre législatif cohérent de politique culturelle, capable de les protéger et de les encourager. Elle remarque aussi que le potentiel in nuce de tels musées est significatif et qu’il représente une ressource importante de patrimoine, un facteur d’identité et d’originalité spécifique à une communauté, une ressource identitaire représentative et une carte de visite emblématique des propriétaires. Au-delà des particularités identitaires et de la cohésion sociale, caractéristiques de la vie culturelle des communautés, les collections populaires bien exploitées seront

capables de générer des bénéfices économiques pour les villages et de devenir une ressource efficace pour populariser les valeurs et l’image des communautés vers l’extérieur, notamment par leur intégration dans les stratégies touristiques. Leur profil fait la différence et représente une attraction pour les visiteurs. Ce sont des espaces culturels vivants, qui mélangent les témoignages du passé de façon diverse ; on ajoute un accueil chaleureux, une manière toujours différente du récit de l’histoire, un dialogue non protocolaire avec les hôtes qui façonne le goût du visiteur pour les objets et lui donne envie de revenir. Le nombre des visiteurs augmente ainsi de manière exponentielle. Le charme des collections privées se manifeste par un certain relâchement devant les règles, qui ne se traduit pas par l’ignorance, mais par un statut différent – une chose différente remplie de charme, comme les icones populaires vitrées devant la peinture de la Renaissance (préoccupée par les proportions et le concret). La naïveté de ces endroits vivants permet un renouvellement continu, après chaque visite, comme dans les contes de fées. Carmen Mihalache démontre aussi que pour assurer leur vitalité, il est nécessaire de soutenir des ONG, des institutions culturelles et des autorités publiques; garder leur ingénuité53 est aussi un impératif important. En outre, l’interférence des collections avec la vie culturelle des communautés reste un sujet peu analysé ; les collections représentent une ressource importante pour les régions rurales

52 Le Musée du paysan roumain, 2008. Les esclaves de la beauté. Musée et collections populaires roumaines. Bucarest : Témoin, p. 7 53 Ibidem, pp 5-11

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Fig. no 4 Métier à tisser exposé dans la “bonne chambre”

d’origine. Une enquête détaillée effectuée lors des recherches anthropologiques dans les régions, pourrait engendrer de nouvelles disciplines, comme l’anthropologie de l’objet ou la muséologie, enrichir les recherches identitaires et faire disparaître un complexe archaïque régional existant dans certaines

régions ethnographiques. Le village va ainsi réobtenir sa dimension adaptée à la réalité contemporaine, complexe, hétéroclite, ouverte – l’endroit de connexion des grands changements de paradigme, des reconfigurations et de recherche des nouvelles directions.

L’histoire du musée d’au-delà des Eaux Je vais continuer à expliquer, la notion de «muse» en tant que collection populaire privée valorisant le projet de ses initiateurs. Maricica, une paysanne de 34 ans provenant du village Nistoresti, dans le département de Vrancea, habillée en jeans, t-shirt et nu-pieds, qui connaît les traditions anciennes, est très fière d’avoir créé avec sa sœur Ionica I., un musée qui réunit des objets locaux donnés par C.B., un paysan originaire du village Podul Nărujii, très respecté par la communauté. Ancien enseignant, huissier de justice à Focşani, joueur de cornemuse, fin connaisseur des traditions locales, chasseur amateur, l’homme est propriétaire d’une pension et d’une ferme dans son village natal, qui ne font pas partie du circuit touristique, mais aussi d’un club d’équitation qui a ouvert ses portes deux mois avant ma recherche. En tant que «commanditaire» et gérant du musée (très apprécié au niveau local), son image de fils du village est évidente. Le petit musée ethnographique

a été créé par Maricica dans la région de Măgurele, au-delà des Eaux, dans une ancienne maison que C.B. a achetée à Apostol Zaharoiu (défunt) – Fig. no 154. L’ancien propriétaire, très âgé, était un paysan de la classe moyenne (propriétaire de 3-4 hectares de terrain): «Mesurant 1,50 m, pesant 50 kg – petit mais espiègle !», déclare l’acheteur. Apostol Zaharoiu a été persécuté par les communistes : comme il s’est opposé à la collectivisation dans les années 1952-1953, il a été emprisonné pendant 14 ans et, même si la collectivisation ne s’est pas produite, les communistes se sont préoccupés de dégrader son image pendant son absence. Les gens du village l’évitaient et il vivait isolé dans sa maison de Măgurele, aujourd’hui transformée en musée. Le vieux Gheorghe Vulpoiu, voisin d’Apostol Zaharoiu, lui rendait visite de temps en temps (lui aussi était seul, veuf, âgé, et il est décédé à 107 ans). Vétéran des deux guerres mondiales, il descendait dans le

54 Les photos qui accompagnent cet article ont été effectuées pendant ma recherché à Podul Nărujii, entre le 14 et le 19 aout, 2014

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Fig.5. Birou masiv în stil burghez expus în camera bună

village pour chercher des allumettes et, pour les économiser il préférait ne pas cesser de fumer. Il avait des cerisiers qui attiraient les enfants. C.B. était un de ses «clients». La maison de Vulpoiu est maintenant une ruine, l’opposé total du musée créé et géré par Maricica, notre guide. Nous sommes descendus, en suivant le chemin qui passe derrière la maison de C.B., un versant léger mais difficile à parcourir, en traversant un pont improvisé en bois, et en montant une colline remplie de branches arrachés par la dernière tempête. Un chemin compliqué, mais rendu facile par l’enthousiasme de Maricica qui, malgré une blessure au talon, ne cessait pas à faire l’éloge son musée, qu’elle considère un repère culturel important de la région55. La femme animait donc le début de la visite par un mélange de fierté locale, de souvenirs du passé, garantissant l’authenticité et pleine de

respect pour C.B. Dans la vision de Maricica, C.B. connaît tout, il est capable de trouver tous les objets nécessaires à la collection, même une pendule avec coucou (supérieur à l’horloge électrique en plastique qui a appartenu à l’équipe de restaurateurs). C.B. est le commanditaire du musée, le dépositaire de ses secrets et le meilleur connaisseur de chaque détail. Il jouit d’une certaine autorité dans la communauté, due à son potentiel financier, son influence, au respect et à la reconnaissance de ses qualités, qui lui permettent d’investir dans un projet nécessitant un soutien financier et ne pouvant pas être assuré par les autres paysans de la région de Vrancea. Il est considéré comme le démiurge d’une partie du mythe capable, grâce à son savoir-faire et à la confiance qu’il inspire, de réaliser ce projet. Il reste pourtant discret dans le discours muséal ; sa présence gagne de l’importante quand c’est Maricica qui s’occupe de

55 A noter que notre équipe de l’Université de Bucarest a été perçue par Maricica et par la communauté locale comme « les Messieurs de Bucarest », préoccupés par la culture et la recherche des traditions. Le discours des gens exulte parfois quand ils parlent de la richesse culturelle de la région, convaincus qu’ils sont les dépositaires de ce que nous on cherche. Le maire de Nistoreşti, dans un exces de fièrte, a declaré que la region est ideale pour faire un „braconage folclorique”.

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Fig.6. Sintaxă obiecte expuse pe birou la gestion effective du musée. Dès le premier coup d’œil, j’ai eu un coup de foudre, car le musée a éveillé en moi le souvenir de la peinture naïve. J’y ai remarqué une originalité, un regard vif et un fort désir de dévoiler sa propre personnalité, par une utilisation répétitive de la métaphore naïve et par une inventivité charmante. A la deuxième vue, je me suis posée des questions : j’avais envie de mieux comprendre les détails de l’exposition et la présentation des objets locaux (pourquoi ces objets et pas d’autres ?). Mon désir immédiat était de mieux comprendre ce rassemblement spontané de patrimoine, in nuce, sans l’assistance d’un spécialiste, capable d’exprimer les traits de personnalité des initiateurs. A qui transmettre ? Le musée d’au-delà des Eaux n’est pas inclus dans le circuit touristique, malgré la volonté de Maricica, et la proximité de la pension de C.B. Les causes sont multiples : une infrastructure inutilisable, l’absence 8

de marketing, la faiblesse des politiques culturelles, incapables de soutenir les musées populaires ; tels sont des éléments qui empêchent cette initiative de se faire connaître, de dépasser les frontières locales et de populariser cette identité culturelle. Jean Baudrillard, qui remarquait il y a quelques décennies la tendance de l’objet mythologique (un vieil objet, sans fonctionnalité concrète, à valeur esthétique, porte-parole du propre passé et de ses origines) à «symboliser le schéma qui renferme la valeur à l’intérieur d’un cercle et dans un temps idéal […] l’objet mythologique n’incarne pas un discours tenu devant les autres, mais devant soi-même». L’objet répond d’abord à son besoin (personnel ou celui d’une communauté ou région ethnographique) de réécrire ses origines afin de se légitimer lui-même. L’objet devenu ainsi porteur d’esprits, se correspond dans la vie traditionnelle, idéalisée et reconstruite par la mémoire.

Baudrillard, Jean. 1996. Sistemul obiectelor. Cluj: Echinox, p. 53. (trad. Horia Lazăr)

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Fig. no 7. Tambour utilisé pour les chants des fêtes traditionnelles, adossé au métier à tisser de la chambre principale

Objets orientés vers le passé Le musée de Maricica est un microcosme de la vie traditionnelle locale, il contient un ensemble presque complet d’objets capables de représenter les aspects de la vie domestique ancienne de la région56. Il constitue le principe d’un modèle de vie, avec ses activités, métonymie d’un ensemble ethnographique, scrupuleusement reconstitué par une reconstruction de la mémoire et qui appartient à une époque incertaine. Maricica est une femme bavarde et ses explications, accompagnées par une démonstration pratique du métier à tisser installé dans la pièce principale et par les régionalismes57 sont susceptibles «de valoriser» les objets. On entend souvent des histoires comme celle du grand-père Ion Cornea : un homme petit, imberbe, avec son gros gilet en laine, sa chemise de fête décorée de motifs populaires, la calvitie couverte par un chapeau vert embelli par deux plumes bleues, avait souvent l’habitude de faire raccommoder ses pantalons grâce à la vieille machine à coudre, ses chaussons en laine et sa ceinture traditionnelle en cuir. Il sortait souvent de l’argent de sa poche pour le donner à sa petite-fille préférée. Il demanda souvent à sa femme Ilinca (qui a vécu 100 ans, 6 années de plus que lui) d’amener des

pommes pour leur fille. Les pommes ridées étaient rangées en grappe et leur odeur excitait les narines de l’enfant Maricica. Le grand-père est le représentant d’un mode archaïque, que Maricica utilise comme source d’inspiration dans sa démarche muséologique. Aux souvenirs vivants, concrets, éloquents, Maricica rajoute une composante incertaine hors du temps. C’est le temps de la tradition, un non-temps qu’on retrouve dans son discours lorsqu’elle utilise l’imparfait «Telle était notre habitude!», qui se répète et qu’elle utilise pour renforcer ses explications. L’imparfait utilisé par Maricica pour parler des gens appartenant au passé ou des pratiques anciennes est le temps de la continuité, celui qui répare les ruptures, qui a un rôle massificateur, mais qui représente en même temps une forme verbale du domaine de l’imprécision et de l’idyllique. L’imparfait facilite le détournement d’un acte culturel et d’une pratique utilisée à un moment donné, nous montrant qu’une reconstruction est possible, qu’elle peut éliminer l’histoire et installer à sa place une idée réconfortante et gratifiante. Ce type de comportement n’est pas déterminé par

56 Les objets du musée de Maricica sont repartis en catégories fonctionnelles, dans la liste annexée au présent chapitre 57 A regarder la liste annexée au présent chapitre

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Fig. no 8. Version de tapis de mur «L’enlèvement au Sérail»

la naïveté de Maricica ni par celle de son musée. Ce n’est pas un comportement naïf, populaire, c’est un comportement d’origine intellectuelle, bien connu dans toute l’Europe pendant la deuxième moitié du XIXe siècle et le début du XXe siècle, qui a accompagné la création des premiers musées ethnographiques et a ouvert la voie aux suivants. Pendant la deuxième moitié du XIXe siècle, les grandes découvertes de la science et de la technologie occidentale ont été popularisées dans le monde entier par les Expositions universelles. En 1867, a été créé à Paris un stand d’exposition, une sorte de contre-courant de cet exhibitionnisme progressiste, qui oppose aux grandes découvertes scientifiques et technologiques, la popularisation des anciennes coutumes populaires françaises et étrangères: «la mission est confiée à un groupe d’artistes convaincus de l’imminente disparition des coutumes typiques,

souhaitant présenter les dernières vestiges des anciennes coutumes»58. Il s’agit, sans doute, d’un comportement dénommé beaucoup plus tard (dans les années ’60-’70 du XXe siècle) «ethnologie d’urgence»: le sentiment qu’il existe un passé menacé de disparition, qui nécessite en conséquence une conservation urgente. C’était un phénomène spécifique à la période de fin du XIXe siècle, proche du romantisme, utilisé pour renforcer les idées politiques des Etats-nations en train d’être créés sur le socle des populations archaïques, profitant de leur sagesse et de leur savoir-faire, bien représentés dans le folklore. Il existe certainement une admiration pour le paysan, vu comme «sauvage de chez nous» qui a déclenché le grand succès de l’équipe suédoise, lors de l’exposition universelle de Paris, en 1867. Les artistes ont montré au monde entier des costumes populaires typiques et ont mis en scène la vie rurale ancienne59. C’était la recette du succès, car dix ans plus tard, en 1878, les scandinaves ont réussi à nouveau, respectivement par Arhtur Hazelius, à inaugurer lors de l’Exposition de Paris, une nouvelle voie d’expression spectaculaire, qui va inspirer toute la muséographie ethnographique européenne des décennies à venir60. Il s’agit du diorama, une dramatisation des personnages, une référence théâtrale de mise en scène de la vie archaïque paysanne, destinée au public moderne urbain, capable de s’étonner devant cette vie totalement différente, immobilisée entre les gros murs en verre, et devenue ainsi inoffensive. Le docteur Artur Hazelius avait présenté au public six ans avant, sa collection personnelle d’objets ethnographiques provenant de la zone isolée de Dalarana (considérée «génuine»), avec le but clairement formulé : «d’utiliser les objets du patrimoine pour éveiller et stimuler les sentiments de

58 Thiesse, Anne-Marie. 1999. La création des identités nationales. Europe XVIIIe-XXe siècle, Paris: Editions du Seuil, p. 197 (trad. m. AMP) 59 Ibidem, pp. 197-198. 60 Ibidem, p. 198.

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Fig. no 9 Mise en scène d’une cuisine traditionnelle

patriotisme chez le visiteur»61. Un personnage très proche d’Artus Hazelius était le lieutenant-colonel roumain Dimitrie Pappasoglu, qui a ouvert en 1864 dans sa propre maison un petit musée ethnographique. Son succès n’a pas été aussi rapide ni fulminant que celui du suédois Artus Hazelius. Les toutes premières créations muséographiques roumaines ont échoué par manque de vision, de pratique et d’ordre, et a causé l’immaturité du secteur ethnographique de cette époque-. La collection de Dimitrie Pappasoglu sera pourtant le socle du Musée d’ethnographie, d’art national, d’art décoratif et d’art industriel, créé par le décret royal le 25 février 1906, sous la direction d’Alexandru Tzigara-Samuraş, l’actuel Musée du paysan roumain62. Le moment coïncide avec l’ouverture de beaucoup de musée ethnographiques partout en Europe Occidentale, vers la fin du XIXe siècle et le début du XXe, ce qui traduit l’intérêt des élites pour le folklore, l’essor des revues spécialisées et le développement des institutions spécialisées, comme Folklor Sciety (Londres, 1878). La convergence de ces phénomènes est issue d’un grand mouvement de création des identités nationales. C’est le début d’une modernité fascinante, qui menace par ses changements radicaux le retour à une vie archaïque. Eric Hobsbawn attribue au phénomène de création des traditions les caractéristiques suivantes: „les traditions inventées désignent un ensemble de pratiques rituelles et symboliques qui sont normalement gouvernées par des règles ouvertement ou tacitement acceptées et qui cherchent à inculquer certaines valeurs et normes de comportement par la répétition, ce qui implique automatiquement une continuité avec le passé. En fait, là où c’est possible, elles tentent normalement d’établir une continuité

avec un passé historique approprié [...]. Toutefois même lorsqu’il existe une telle référence à un passé historique, la particularité des ‚traditions inventées’ tient au fait que leur continuité avec le passé est largement fictive. En bref, ce sont des réponses à des situations nouvelles qui prennent la forme d’une référence à d’anciennes situations, ou qui construisent leur propre passé par une répétition quasi obligatoire”63. Ce qui anime le geste muséologique naïf de Maricica se superpose en grande partie à la problématisation d’Eric Hobsbawn et sur un contexte qui a fait apparaître la fascination pour l’objet ethnographique, il y a plus d’un siècle. Certainement les temps ont changé, las causes aussi, mais le changement social et économique radical, parfois incohérent et déconcertant, reste une caractéristique du village contemporain de la région de Vrancea, subitement ouvert à une modernité hétéroclite, remplie de diverses formes culturelles, qui ne retrouvent plus leurs repères identitaires. Le regard

61 Ibidem, p. 200. 62 http://www.muzeultaranuluiroman.ro/istoric.html (dernière consultation, le 20 avril2015). 63 Hobsbawm, Eric. 2012. The Invention of Tradition. Cambridge:Cambrige University Press, pp. 1-2 (trad. m. AMP)

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se tourne alors vers le passé, vers l’archaïque salvateur. Comme Russel W. Belk montrait dans son article dédié au rôle des objets dans la construction et la conservation du passé, «nous sommes préoccupés par le passé au moment où notre identité est confrontée aux défis64». Les objets jouent alors un rôle anti-amnésique et deviennent des repères de la mémoire culturelle: «Les objets nous stabilisent, nous rappellent notre passé et le transforment en une partie substantielle de notre présent»65. Le discours de Maricica est évidement muséal et verbal, mais la dimension nationaliste caractéristique du XIXe siècle lui manque. Il n’y a pas de trace d’un éventuel drapeau ou d’une devise

déclamative dans son musée. Quand elle fait référence aux costumes populaires pour enfants, femmes ou hommes de sa collection, ou à la chemise de fête de son grand-père Ion Cornea, l’idée de «nationalisme» s’installe dans le discours régional, surtout par d’un modèle représentatif, que par intention à caractère pragmatique. Même si la tendance nationaliste est absente, le discours de Maricica pourrait être une éventuelle réponse consciente et intuitive au fait que, pendant longtemps, la région de Vrancea a été considérée comme un noyau traditionnel (cf les recherches faites dans le village Nerejeu par les équipes de l’école de sociologie de Bucarest).

Une scénographie sensible Le musée de Maricica constitue davantage qu’un rassemblement d’objets traditionnels, c’est toute une scénographie, une syntaxe qui réunit plusieurs pièces, chacune avec son rôle et sa direction. Elle devient ainsi capable de générer un espace. Jean Baudrillard disait que: «sans connexion il n’y a pas d’espace, car celui-ci existe uniquement s’il est ouvert, provoqué, rythmé, élargi par une corrélation d’objets capables de transmuter sa fonction vers une nouvelle structure66». En suivant la même voie, Maricica n’est pas loin de la mise en scène d’une vie archaïque qu’Artur Hazelius réalisa en 1878 par son diorama. C’est la raison pour laquelle l’intuition est le point fort du discours muséal improvisé par Maricica : la femme agit spontanément, capable de donner des directions extrêmement fortes, sans être trop consciente de leur intelligence. L’analyse des quelques objets exposés ne respecte pas la répartition par critères fonctionnels67, mais exploite le talent du discours et de leur force intérieure. Selon Jean Baudrillard, l’analyse des objets n’est pas édificatrice par la classification, mais par la manière dont les objets sont vécus68. Regardons le costume traditionnel pour femme exposé dans la chambre à coucher (Fig. no. 2, fig. no.3). Sa

position, en l’absence d’un mannequin ou d’une autre forme de corporalité a suscité mon intérêt. Maricica a clarifié son choix: elle a adopté cette posture pour évoquer la gracieuseté des femmes d’autrefois, qui affichaient cette tenue à la porte, pendant les fêtes. Il existe certainement dans sa réponse une forme d’attachement à la féminité de ses ancêtres, probablement nourrie par les souvenirs de son enfance. J’ai également remarqué la note théâtrale de la posture, une sorte de diorama non-vitré minimaliste, mais aussi l’intuition dégagée des explications de Horia Bernea sur les éléments composant le Musée du paysan roumain: «Sans corps qui soutient le costume, il devient une carcasse flasque; il faudra trouver par la suite un substitut du corps pendant l’exposition, pour que le costume l’habille et qu’il se laisse habillé par celui-ci, parachever la relation corps-vetement et reconquérir ainsi son rôle69». On ajoute l’intention de Maricica de suggérer le couple paysan, par la juxtaposition des deux costumes masculin et féminin contre le mur, de l’assiette en terre cuite de type «porte-bonheur au foyer». Le texte ne fait pas uniquement référence à l’abondance et au bonheur du foyer, mais comme Maricia le dit, il renforce l‘union des deux principes, masculin et féminin. Cette forte

64 Belk, Russel, W. „The Role of Possesions in Constructing and Mantaining a Sense of Past”, NA – Advances in Consumer Research, 17(1990), pp. 669-676 (trad. m. AMP) 65 Mc Cracken apud Belk, Russel W. ibidem. 66 Baudrillard, Jean, op. cit., p. 13 67 A voir l’Annexe 1 68 Baudrillard, Jean, op. cit., p. 6 69 Bernea, Horia. 2010. Quelques pensées sur la muse, les quantités, la matérialité et le métissage, f.l : Éditeur Liternet, p. 31

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Fig.10. Păpuşă de plastic

liaison diminue. Il devient peu important si l’assiette est un objet populaire ou un kitsch, résultat de la production de masse, qu’on achète dans les brocantes. Maricica a installé dans la chambre principale le métier à tisser, un objet fonctionnel qui renvoie à une pratique archaïque maintenue, au sein de la communauté grâce à quelques femmes (Fig. no.4). Maricica n’a plus exercé cette activité depuis sont mariage, en 1999 mais elle n’hésite pas à nous faire une démonstration, pour montrer aux gens «quelle était la coutume chez nous». L’objet devient par la suite le représentant d’un temps incertain «il faudra le protéger, il a de la valeur n’est-ce pas?». Lorsqu’on l’interroge pour savoir si elle souhaite achever le tapis entamé sur le métier à tisser, Maricica répond «je pense que le parent C.B. veut le garder pour faire des démonstrations, pour montrer qu’il est fonctionnel. Si quelqu’un me demande je pourrais lui montrer…sans problème!» Pour Maricica aussi, il signifie une réalité concrète: un objet de musée. Dans la même pièce principale, «traduite» par Maricica «salle de jour70» («… salle de jour comme on l’appelle

maintenant…la pièce où on accueillait les invités … pas une chambre à coucher ni une chambre peu utilisée») elle a installé un bureau massif en bois (Fig. no.5) de style bourgeois. Cet objet marque sans doute une rupture dans la syntaxe des objets, en renversant la «phrase populaire» par un élément caractéristique à l’espace urbain moderne, dont la présence ne se justifie pas dans une maison paysanne du début du XXe siècle. «Lui aussi c’est un meuble ancien…je ne connais plus le propriétaire…regardez, il est différent, il a des tiroirs!». Maricica souligne la différence du meuble, avec le tiroir comme indice culturel de l’urbanité et de la bourgeoisie qui n’a rien à voir avec la vie paysanne et les objets populaires71. Dans la vision de Maricica, le caractère ancien semble légitimer la présence de l’objet dans le musée. Pour elle «urbain» est synonyme de «nouveau» et «paysan» synonyme d’«ancien». L’idée de tradition et de passé reviennent. La naïveté du geste réside dans le croisement des deux axes de raisonnement et de valorisation (rural/urbain, respectivement nouveau/ancien), qui se superposent parfaitement dans la réalité. Le critère chronologique dans le choix

70 L’initié traduit la notion dans le code culturel de l’ethnologue, comme le symbole d’une réalité ethnographique appartenant au propre horizon culturel. Il se trouve pratiquement entre deux mondes, maitrisant les deux codes. 71 Nicolau, Irina. 2001. „Considérations sur la mise en place et le rangement”, dans Mélange ethnologique et d’autres sujets, Bucarest: Edition Ars Docendi, p. 64.

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et le rangement des objets compte plus que leur nature et leur origine. Interrogée sur les raisons des emplacements, la femme argumente tout simplement: «j’ai choisi la salle du jour, la grande pièce…». L’idée d’un «objet de valeur» apparaît et on se trouve confrontés à une syntaxe axiologique des objets, en fonction de la valeur attribuée par le regard critique du paysan. C’est un comportement typiquement populaire qui est opposé à l’espace urbain contemporain, orienté vers la consommation, où les objets appartiennent à d’autres catégories: ils sont plus diversifiés et soumis à une usure rapide. Le bureau est «une la pièce de résistance» du «coin bourgeois» parce qu’il est, comme de la écorce accrochée au mur, le support approprié pour présenter les photos des anciens propriétaires de la maison. Dans cette axiologie, il est peu important que le bureau serve de support pour les peignes ou pour les couteaux en bois enfoncés dans une planche à découper ; à coté il y a un cadre de photo et un vase de fleurs vides (Fig. no.6). Les deux premiers pourraient constituer une autre «rupture» populaire. Maricica me dévoile souriante l’esprit ludique des objets : «Je me suis préparée pour l’accueil, il faut servir les invités n’est-ce pas ? J’ai mis aussi la seille et deux bols en bois…». Son raisonnement ressemble à un «jeu» avec les invités. La fonction pratique du couteau en bois est renversée, son épée devient inoffensive et le rôle de l’objet change. Le rire de Maricica rajoute au musée naïf l’élément ludique, le simulacre muséal reçoit des nuances puériles. Maricica rajoute le ludique à la matrice rigide de la tradition. Par ailleurs, le cadre de la photo et le vase constituent un double écoulement de la fonction de l’objet : une fois par muséification et une autre fois par le vide. La suggestion de Maricica de faire connaître la photo de famille de C.B. met en évidence une éventuelle signature et réaffirme l’autorité du propriétaire. Le cadre photo et la vase attendent le moment de l’accomplissement de leur fonction ou celui de la renaissance, en sollicitant l’imagination ardente des visiteurs. Une autre «rupture» de la phrase populaire que le discours muséal ne veut pas pérenniser, c’est le tambour de fête rangé contre le métier à tisser, dans la «pièce principale» (Fig. no. 7). Il s’agit d’un objet particulier, qui met en évidence le mélange entre le

nouveau et l’ancien au sein de la communauté, qui est utilisé pour des pratiques archaïques et qui porte l’empreinte régionale. Il est surprenant de constater en même temps que les enfants des nouvelles générations l’ont repris, en lui rajoutant des inscriptions en anglais ou des dessins représentant des crânes. Dans le discours muséal, le tambour représente un oxymoron susceptible de réaliser une «fuite» ; Maricica n’est pas contente que les enfants aient utilisé l’objet. Une deuxième vue nous montre que l’oxymoron consiste à avouer involontairement et sincèrement le vrai statut de la tradition au sein de la communauté et confère de la fonctionnalité à la vie du village contemporain, où le présent et le passé, la culture traditionnelle et la culture médiatique se croisent sans se réfuter. Nous avons découvert, derrière la porte du chiler (chambre utilisées par les seniors de la famille), la représentation locale de «L’enlèvement au Sérail» (Fig. no.8) difficile à reconnaitre, à cause du caractère infantile et très peu élaboré de l’image. C’est l’objet de la fierté d’une femme : «il vient de chez nous». « L’enlèvement au Serial» est un événement culturel post-paysan, spécifique au passage de l’objet issu de l’industrie familiale et l’artisanat vers l’objet issu de la production en série, extérieure; il est perçu comme «beau». Maricica le présente comme appartenant à la culture locale, porteuse des empreintes régionales, distinctives, identitaires. A coté d’une poêle en terre cuite blanchie, un endroit a été aménagé pour mettre en scène la cuisine traditionnelle (Fig. no.9). Sur le triangle en bois attaché au mur ont été rangés quelques objets appartenant à la même sémantique (serviette, cuillère en bois) et d’autres, appartenant au même kitch, originaires des brocantes, incapables de justifier leur utilité: une pinte en bois, une maison paysanne miniature en bois et des bois de cerf. La présence du kitch dans une exposition paysanne révèle des questions: combien vaut-il ? Jean Baudrillard fait une théorie du kitch et affirme qu’il appartient à la catégorie de «pseudo-objets, c’est-àdire de la simulation, copie, objet factice, stéréotype, pauvreté de signification réelle et surabondance de signes, de références allégoriques, de connotations

72 Baudrillard, Jean. 2005. La société de consommation. Mythes et structures. Bucarest: Communication.ro, p. 139 (trad. Alexandru Matei),

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disparates, comme exaltation du détail et saturation par les détail; Il y a une relation étroite entre son organisation interne (surabondance inarticulée de signes) et son apparition sur le marché (prolifération d’objets disparates, amoncellement de série)72». Maricica n’a pas la conscience du kitch, elle valorise la beauté des objets qui appartiennent à cette catégorie, nécessaires à la décoration. Mais le caractère décoratif n’est pas populaire, il n’appartient pas à l’espace archaïque que le musée souhaite évoquer. Elle anticipe le caractère urbain ; à la campagne il n’y a pas de «beauté» pour la beauté. La fonction esthétique reste essentielle mais pas exclusive. Horia Bernea dit que «l’objet traditionnel est un objet puissant par l’adaptation parfaite de l’aspect à son but73». L’idée qui se dégage est qu’on se retrouve devant un objet qui devrait signifier, du point de vue esthétique, la fonctionnalité de la cuisine. Une des idées originales de Maricica (dont elle est très fière) c’est la poupée en plastique, emmaillotée comme

un bébé, qui «dort» dans le berceau, à coté de la poêle en terre cuite (Fig. no.10), appelée «cocuţa» mais aussi le morceau de «fromage» (caş), en réalité une pierre couverte de papier et enfilée, symbolisant le lactosérum écoulé pendant le processus de fabrication: «j’ai utilisé une pierre pour remplacer le fromage et ce fil ressemble au lactosérum qui s’écoule!» L’improvisation met en évidence la force de représentation d’un engrenage évoquant un savoir-faire vital pour l’ancienne vie des paysans, mais aussi son courage discursif: Maricica connaît le jeu, elle se sent libre, elle brise l’intention d’un bref discours muséal par des éruptions qui mettent en évidence la créativité, la candeur, l’individualité. Les deux concepts dévoilent l’immobilisation de quelque chose qui se caractérise normalement par le mouvement, la vitalité, la transformation (comme la surexcitation des bébés et la fermentation du lait) et également l’extirpation de l’âme de l’objet, inhérent à la muséification.

… et pourtant les objets qui se taisent Dans les années ’60, une industrialisation féroce évanouissait la culture matérielle occidentale, en diminuait la durée de vie des objets. Violette Morin fait, dans son article, la distinction entre «l’objet cosmocentrique ou protocolaire» et celui «bio-centrique ou biographique74». Le premier représente l’objet matérialisé, caractéristique de la modernité, dont l’existence est éphémère, à usage domestique, et relève la trajectoire rapide entre la fabrique et la poubelle. Il est destiné à devenir un déchet et il est remplacé rapidement. Le deuxième, par contre, est l’objet qui fait partie de l’intimité et du destin de son propriétaire; tels objets sont en parfaite symbiose avec leur possesseur, font partie intégrante de celui-ci et vieillissent en même temps que lui75. Dans le même style, Jean Baudrillard affirme: «qu’il a une fonctionnalité riche et une faible capacité de signification [l’objet fonctionnel n.m], renvoie vers l’actualité et s’épuise dans le quotidien ; l’objet mythologique, avec sa fonctionnalité minimale et son pouvoir de signification élevé, revoit à l’ancestralité

ou même à l’antériorité absolue de la nature76». La visite du musée de Maricica et le discours qu’elle perpétue, nous montrent que les objets aspirent vers la deuxième catégorie conceptuelle, caractérisée par la durabilité et redoublée par la prégnance identitaire. Russel W. Belk montre que les objets ayant un possesseur ont cette capacité de prolonger le Soi dans le temps et dans l’espace, qu’ils sont des dépositaires des souvenirs et des sentiments. En plus, le Soi qu’ils enracinent dans le présent, par rapport au passé, est capable de migrer de l’individualité vers la communauté entière, ou vers la (sous)culture, sous le syntagme «identité collective»/ «Moi collectif» qui, à des divers moments de l’histoire et dans des endroits différents, aspire être plus opératif que le Moi individuel77. Les objets du musée de Maricica, par leur disposition dans l’espace, aspirent vers ces qualités, malgré les obstacles. Il ne s’agit pas d’erreurs muséologiques, de ruptures de syntaxe ou du kitsch car nous avons bien montré auparavant les possibilités de compréhension et d’exploitation de l’erreur dans ce

72 Baudrillard, Jean. 2005. La société de consommation. Mythes et structures. Bucarest: Communication.ro, p. 139 (trad. Alexandru Matei),25 consum. Mituri și structuri. București: Comunicare.ro, p. 139 (trad. Alexandru Matei), 73 Horia Bernea, op. cit., p. 23. 26 Horia Bernea, op. cit., p. 23. 74 Violette Morin apud Bonnot, Thierry, op. cit., p. 83. 75 Ibidem. 76 Bernea, Horia op. cit., p. 24. 77 Belk, Russel W. „Possessions and the Extended Self”, The Journal of Consumer Research, 15/2 (1988), pp. 139-168

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Baudrillard, Jean. 2005. Societatea de


type de discours muséal. Le «handicap» de la syntaxe réfléchie de Maricica repose sur la quasi-absence des histoires à rattacher à chaque objet. Si le musée entier se situe hors du temps, grâce à la tradition qu’ils souhaitent mettre en scène, les objets «se taisent» par manque d’histoire et de personnalité. Si la trajectoire de chaque objet pouvait être décrite et documentée, il aurait pu constituer, plus que le discours gentil de Maricica, une «toile narrative» capable de soutenir la syntaxe strictement matérielle. Horia Bernea affirme que les objets tirés de leur contexte organique et vidés de leur fonction élémentaire par une muséification, dans un contexte déficient, se fragilisent, deviennent artificiels: «Je pense qu’il est utile de leur donner la chance d’exister dans un espace actif, un espace culturel ouvert, capable des les extraire de l’apathie des anciennes comparaisons symboliques et

émotives. L’objet deviendra ainsi le ferment capable de produire de l’information78». La solution est le dialogue permanent, rythmé, entre l’objet puissant et l’objet faible, capable de réaliser un tissu de significations. C’est une approche intellectualiste, dont la muséologie naïve dispose a priori par l’intervention du hasard. Russel W. Belk frape l’œil en considérant que l’action de muséification entraîne une sacralisation de l’objet79 (et de sa signification), le musée étant le temple de la modernité80, et que, l’action d’extraire l’objet de son organicité quotidienne pour le mettre à coté d’objets sacrés renforce ce phénomène de sacralisation. Pour la muséologie naïve, les liaisons créées peuvent renforcer l’effet, mais aussi le diminuer, car le facteur déterminant est le hasard. Avec l’absence de la narrativité, en tant que stratégie «réparatrice» du vide historique dans le discours, les objets seront capables uniquement de signifier de manière abstraite le temps81.

În loc de concluzii: Muzeul și Țăranul Il existe dans la muséologie naïve un excédent de sens issu de la candeur et de la spontanéité de l’action, du regard courageux qui ne se soucie pas de l’erreur. Il concerne deux catégories de vide: un vide constitutif qu’il préfère remplir par l’action curatoriale, liée à la recherche identitaire de celui qui traîne entre le présent et le passé et à la recherche de ses repères; l’autre vide, prend la forme d’un réceptacle capable d’être rempli par le rétablissement de l’historicité dans un espace où la soif pour les origines et l’authenticité l’ont situé hors du temps et ont renversé le passé qu’il souhaite exprimer. Vintilă Mihăilescu a identifié quelques causes qui se trouvent à l’origine de la disparition des paysans de l’espace roumain: la dissolution de l’esprit communautaire lié à la propriété, suite aux confiscations des terrains par les communistes, au collectivisme et l’industrialisation communiste, à l’urbanisation forcée et absurde du paysan (l’apparition d’une catégorie intermédiaire d’ouvrier-fermier), suivies par un exode

vers l’espace rural après la Révolution de 1989, par la reconquête des terrains en l’absence d’un plan agricole soutenable, orienté vers la production, et par la migration massive à l’étranger à la recherche d’une vie meilleure82. Tous ces éléments ont bouleversé le paysan roumain et ont divisé irréversiblement sa plaque tournante: la terre. Dans l’acception de l’anthropologue, le paysan est une personne intimement liée à la terre; il y a une relation de réciprocité directe entre les deux: la terre a besoin de la force de travail pour donner ses fruits, et le paysan a besoin de travailler pour se nourrir. Ce cordon ombilical qui lie le paysan à la terre façonne son mode de vie et son rapport à l’environnement, autour duquel se tisse toute une culture. Plus il existe des éléments qui s’interposent, plus le cordon ombilical se distend et on s’éloigne de la vie rurale. Il ne s’agit pas d’une disparition complète, mais d’une dilution significative. Intimement liée a la terre et nommée paysan, la personne qui vit à la campagne et qui se donne ce titre tout seule, va finir par se transformer en une pièce composante d’un système antagoniste.

78 Bernea, Horia op. cit., p. 24 79 Belk, Russell W. The Role..., op. cit. 80 Rheims apud Belk, Russel W. ibidem. 81 Baudrillard, Jean Sistemul..., op. cit., p. 50. 82 Vintilă Mihăilescu, Le paysan roumain n’existe plus, disponible àa l’adresse : http://adevarul.ro/news/societate/vintilamihailescu-nu-mai-exista-taran-roman 1_513786b300f5182b85d855f1/ index.html (entretien réalisé par Oana Dan; dernière consultation, le 22 avril 2015)

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L’effet de ce changement de paradigme est la normalisation de l’activité muséale dans l’espace rural. Celui qui assume son identité paysanne ne reconnaît jamais la nécessité d’une action de muséification de sa propre vie. Il pourra plutôt muséifier éventuellement des événements, des personnalités historiques glorieuses, des événements spectaculaires, mais jamais le quotidien. Pourquoi le conserver s’il est vivant, organique, et s’il suit l’ordre chronologique du temps ? Pourquoi l’exposer ? L’action en urgence liée aux actes de culture traditionnelle est spécifique à la modernité et représente une approche intellectualiste de l’espace archaïque. Si les indigènes ont intégré ce type de comportement pour arriver à le confondre avec leur propre initiative par fierté, on assiste à un processus de

transformation du paysan, un passage de celui qu’il se déclare être aujourd’hui à un post-paysan influencé par les conséquences d’une société post-paysanne, orientée vers un futur moderne. Un regard plus ou moins louche est orienté vers un passé bucolique, identitairement assumé, par le besoin de répondre à la question: «Qui sommes nous?» issue d’un sentiment de séparation, d’un vide, d’une menace de perte imminente. Le rôle de l’objet est de remplir ce vide, par un discours orienté vers lui-même, car l’objet est porteur d’esprits. Il est même d’aller vers un collecteur d’esprits, capable d’évoquer le passé bucolique où le mal a été extirpé, qui offre l’illusion réconfortante de son prolongement dans un passé pauvre en repères identitaires.

Clasificarea obiectelor din muzeul Maricicăi pe categorii funcționale*** 1. Industries familiales • Métier à tisser • Fils de chaîne • Marionnette • Pédales • Rouleau de tissu • Régulateur • Lisses • Verge • Navette • Fil de laine • Harnais • Peigne • Canette • Battant • Rouet en bois pour filer la laine 2. Pièces de la maison • « Pièce principale » • Chambre des séniors (ro-Chiler) • Porte • Porte non vitrée • Cuisine à l’ancienne (ro-lăptărie) 3. Anciens objets du foyer • Jerrican à gaz • Cuve en bois (pour le fromage) • Balance (pour peser le fromage) • Table ancienne (qui a appartenu aux constructeurs de la maison)

• Baquet en bois (pour la lessive) • Pétrin en bois (pour la farine) • Rouleau à pâtisserie • Tringle de cuisine en bois • Tamis • Tonneau • Seille en bois • Cloche pour bétail • Forces à tondre les moutons 4. Objets de cuisine • Planche à découper en bois • Couteau en bois • Bols en bois • Cuillère en bois • Seille en bois • Gourde 5. Costumes populaires • Jupe paysanne (à l’entrée) • Costume femme (dans la chambre à coucher) • Costume homme (dans la chambre à coucher) 6. Meubles • Lit à rouleaux (dans la cuisine) • Triangle de cuisine en bois • Bureau a inspiration brugeoise (dans la « grande chambre ») • Tapis de mur • Tapis paysan • Miroir

(*** Les objets ont été classés par rubrique, selon leur ordre d’apparition dans le discours de présentation de Maricica).

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• Table de ferme • Lit ancien à matelas en paille 7. Objets de fête • Bœuf (Buhai) • Tambour à matraques • Cornemuse en cuir de chevreau (à l’entrée) • Buccin (couvert en croute de cerisier) 8. Objets rituels • Icône décorée de basilique 9. Objets pour les remèdes naturels • Ventouses (à coté de la poêle en terre cuite) 10. Objets de puériculture • Baquet en bois pour laver les nourrissons • «cocuța» (poupée emmaillotée du berceau, dans la chambre à coucher) 11. Objets “fantaisie” (pour la créativité du discours muséal)

• «cocuța» (poupée emmaillotée du berceau, dans la chambre à coucher) •«cașul» (le rocher couvert de papier par un fil textile ayant le rôle de lactosérum) 12. Objets hors du culte populaire • Horloge mécanique • Deux nouvelles portes d’intérieur (qui remplacent les portes originales, offertes par Cornel Bercariu) • Bureau d’inspiration brugeoise (de la « grande chambre ») • Bibelot en poterie (pour décoration) • Bois de cerf (pour décoration) • Tapis de mur « L’enlèvement au serial » • Assiette murale en terre cuite de type « Impatiences » (porte-bonheur au foyer), dans la chambre à coucher, entre les costumes traditionnels.

Bibliographie Publications de spécialité: Le Musée du paysan roumain. 2008. Les esclaves de la beauté. Musées et collections paysannes de Roumanie, Bucarest : Témoin Baudrillard, Jean. 2005. La société de consommation. Mythes et structures, Bucarest : Comunicare.ro (trad. Alexandru Matei) Baudrillard, Jean. 1996. Le système des objets. Cluj : Echinox (trad. Horia Lazăr) Belk, Russel W., „The Role of Possesions in Constructing and Mantaining a Sense of Past”, NA– Advances in Consumer Research, 17 (1990) Belk, Russel W., „Possessions and the Extended Self”, The Journal of Consumer Research, 15/2(1988) Bernea, Horia. 2010. Quelques pensées sur le musée, quantité, matérialité et croissement. f.l: Edition Liternet Bonnot, Thierry. 2014. L’Attachement aux choses. Paris : CNRS Editions Hobsbawm, Eric. 2012. The Invention of Tradition. Cambridge: Cambrige University Press Nicolau, Irina. 2001. „Talmeș-balmeș sur l’ethnologie et d’autres sujets. Bucarest : Edition Ars Docendi

Pleșu, Andrei, „Sur un personnage à de nombreux visages”, Fiche. Bulletin d’information du Musée du paysan roumain, 1(2001) (entretien réalisé par Silvia Cazacu) Poulot, Dominique. 2009. Musées et muséologie. Paris : Editions La Découverte Thiesse, Anne-Marie.1999. La création des identités nationales. Europe XVIIIe-XXe siècle. Paris : Editions du Seuil Références internet: La Loi des musées et des collections publics no. 311 du 8 juillet 2003, disponible à l’adresse : http:// www.cimec.ro/muzee/lege/index.htm http:// www.muzeultaranuluiroman.ro/istoric.html MIHĂILESCU, Vintilă, Le paysan roumain n’existe plus, disponible à l’adresse : http://adevarul.ro/ news/societate/vintilamihailescu-nu-mai-exista-taran-roman-1_513786b300f5182b85d855f1/ index.html (entretien réalisé par Oana Dan)

Anca-Maria Pănoiu Musée du paysan roumain anca.maria_p@yahoo.com 41


Fig. 1. Muzeul Agriculturii, Biserica de lemn “Poiana”

THEMES ET FORMES D’EXPRESSION dans les récentes expositions du Musée de l’agriculture de Slobozia ABSTRACT Abstract: Reaching the maturity of exploring and promoting Romanian national rural culture, the Slobozia Agricultural Museum continues, in the same tradition of preserving and revealing the essence of the heritage that is under its management, to choose a large variety of themes regarding its exhibits that are meant to enrich the thinking, imagination and sensitivity of the modern man. Intuition was the one that managed to survive over the last years, in spite of the financial issues, mostly because the museum is oriented, concerned and dedicated to its public, thus organizing event – exhibitions that contain many interactive activities (creative workshops, artistic moments, practical demonstrations of traditional cooking, etc.). These are supposed to not only develop specific skills, but also facilitate a better understanding of the language of the world of the museum. Therefore, this paper is going to focus on the ways of presenting the spiritual and material culture through temporary thematic and symbolic exhibitions that are all ready to answer the needs and interests of the visitors. Such exhibitions play also an important role in revitalizing the heritage and the Agricultural Museum itself, that is more and more preoccupied with the relationship and interference between the traditional world and the nowadays rapidly growing technological society. KEY-WORDS: Slobozia Agricultural Museum, rural culture, exhibitions, traditional, practical demonstrations 42


Fig. no. 2 Semailles avec le tracteur type Lans Bulldog (année de fabrication 1939) et charrue en fer à deux branches type Rud Sack (1936)

L’inauguration de l’exposition permanente, accompagnée du catalogue de présentation des collections, représente probablement l’événement le plus important depuis la création du musée. Le Musée de l’Agriculture a été créé par la Décision de la Préfecture du département Ialomiţa no. 178/1990 en conformité avec la Loi no. 311 du 8 juillet 2003. Il a reçu le titre «Musée national de l’agriculture» en 2011. L l’administration ayant pris du retard dans la publication des actes officiels.

Le musée a officiellement ouvert ses portes le 25 mars 1996, grâce à l’effort des autorités, de la direction et des employés. Le bâtiment, inadapté au fonctionnement d’un musée à vocation agricole, manque d’espace nécessaire aux entrepôts, aux foires et aux démonstrations de machines et d’outillages agricoles. En 2013, une étude préalable a été réalisée en vue de la consolidation, du réaménagement et du développement des espaces muséaux, des entrepôts, des ateliers de conservation et de restauration, pour réaffirmer l’importance du musée et créer un circuit muséal approprié permettant de faire découvrir au public le précieux et varié patrimoine national.

La consolidation de l’infrastructure et l’exploitation de l’exposition ont été les activités les plus importantes de ces dernières années, grâce à un programme de circulation de la plupart du patrimoine, l’exploitation éditoriale (avec l’édition des catalogues d’exposition), la conservation, la restauration et l’entretien des objets, la formation professionnelle des employés (le projet du Conseil Régional Ialomiţa), le dialogue et l’échange de bonnes pratiques avec d’autres musées, institutions et organisations culturelles, universités, institutions similaires étrangères (via l’Association internationale des musées d’agriculture), de la presse locale et nationale, l’utilisation efficace du budget 43


Fig. no.3 Le moulin de Fuierea (conformément au plan de management approuvé par le Conseil régional Ialomiţa). Ces actions ont constamment placé le Musée d’agriculture de Slobizia dans la sphère publique. L’église en bois «Poiana», lieu de pratique rituelle subordonnée à la Paroisse Buna Vestire (l’Annonciation) est un site touristique qui attire les touristes régionaux, nationaux et internationaux. Au printemps 2011, l’ensemble des services administratifs de l’église sont revenus à la Paroisse Buna Vestire. La Ferme-modèle Perieţi, avec une surface de 5,4 hectares et 18 bâtiments, a été offerte en don en 2005. Cette ferme, fondée en 1936, obtient le statut de ferme-modèle en 1945 et devient un exemple de modernisation de l’agriculture roumaine. Le manque de cohérence des projets (vus par la Direction de patrimoine et par la Commission nationale des monuments historiques), l’absence de vision réaliste quant à la restauration et le retard des travaux nécessaires ont provoqué la destruction de certains bâtiments. L’intégrité du monument historique «l’Ensemble Ferme agricole village Perieţi, département Ialomiţa» et les objets de patrimoine s’y rattachant 44

ont été touchés. L’Ordre no. 2656 du 16 novembre 2012 du Ministère de la culture et du patrimoine national, a classé l’immeuble Ferme agricole Perieţi dans une catégorie inferieure, respectivement dans la groupe «B», (code IL-II-a-B14153 du régime juridique des monuments historiques). Comme la région d’Ialomiţa ne dispose pas de la capacité financière pour soutenir le projet, une étude de faisabilité a été réalisée sur l’obtention d’un financement européen non remboursable. Le patrimoine mobile du musée réunit 13.416 objets, repartis en plusieurs collections représentatives: outils, machines agricoles et installations d’archéologie industrielle, ethnographie (outils agricoles d’artisanat, moyens de transports, objets familiaux, meubles, poterie, textiles, costumes populaires, coutumes), histoire et mémoire, art, religion, littérature, sciences naturelles. Notre rôle est d’exploiter dans ses expositions les objets dotés de valeur artistique, documentaire, historique, scientifique, culturelle, mémoriale, provenant de toutes les régions ethnographiques du pays. Un seul parcours imaginaire et synthétique à l’intérieur


Fig no. 4 Les pilons du ciel

Fig. no.5 L’atelier de quincaillerie

Fig no. 6 La mairie

des objets n’est pas suffisant pour couvrir la richesse technique, créative et spirituelle du génie humain. La spécificité «nationale» ne délivre pas assez d’information pour connaitre la spécificité de chaque objet; nous invitons pourtant le visiteur à entreprendre un processus de réflexion, d’imaginer pendant quelques secondes l’esprit rural d’autrefois, le spectacle dans les ruelles pendant les fêtes, les coutumes et les traditions presque oubliées, les signes, les symboles qui témoignent de l’existence du passé. Ce sont des souvenirs sensibles pour chacun d’entre nous que le musée sera capable d’éveiller, c’est aussi la nostalgie de l’enfance ou de la jeunesse de nos grands-parents, de 45


Fig. no.7 La boulangerie susciter la curiosité et l’envie d’approfondir un passé qui ne revient jamais. Le Musée de l’agriculture a organisé une exposition, qui a réunit des objets de toutes les collections. C’était un effort important qui a rencontré un obstacle important, celui de recréer le passé de certains objets du patrimoine, sans bénéficier des moindres Fig. no.8 L’atelier photo

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informations sur leur provenance, leur propriétaire ou leur date de fabrication. Cette exposition a mis en évidence les collections exceptionnelles du musée : les outils et les machines utilisées pour le travail du sol, les machines agricoles d’époque, les moyens de transport, de viticulture, de pomiculture, d’apiculture, les greniers, les objets du foyer, les outils textile


Fig. no. 9 L’intérieur d’une maison traditionnelle. La chambre de travail

Fig. no. 10 La cuisine d’autre fois traditionnel, les vêtements, les métiers et l’artisanat, les moyens de secours, les outils pour la poterie, la verrerie, la métrologie, l’horlogerie, les appareils de photographie et les photos d’époque. Notre mission est de créer une institution «visible», de mettre en valeur les ressources culturelles, historiques et patrimoniales disponibles, un musée reconnu, apprécié et visité ; ce sont des éléments capables de garantir son avenir et surtout son financement. Ce projet d’exposition s’efforce de réaliser un passage d’une structure traditionnelle rigide à une autre, plus flexible, adaptée à l’environnement et aux besoins des visiteurs des communautés locales, préoccupés par la qualité de l’activité muséale, avec le souci de préserver l’amélioration continue du niveau d’attractivité du département et de la région. Le Musée de l’agriculture est actuellement l’unique musée de Roumanie à spécifique agricole. Il lui

revient ainsi la responsabilité de garantir la qualité, le professionnalisme, le modernisme et la continuité. Ces dimensions confèrent à l’institution de la représentativité au niveau culturel, du prestige, de l’exemplarité et traduisent notre message dans la vie culturelle roumaine actuelle.

Prof. dr. Gheorghe Petre Muzeul Agriculturii 920031, Slobozia, B-dul Matei Basarab, nr.10 Tel./Fax: 0243-231991, e-mail: mna_slobozia@yahoo.com; www.muzeulagriculturii.ro 47


Fig. no. 1 L’intérieur de la Maison des Mureşeni 2007-2015. Exposition permanente

ARTS & HISTORY Une vision nouvelle pour un ancien musée

ABSTRACT Art&History - A New Vision for An Old Museum. This article presents the nuances in defining a museum in relation to its museum-collection. Usually, a museum is the reflection of its collections, but sometimes, in particular cases, the exhibition may not be only the reflection of its collections. In our case study, Mureșianu House Museum from Brașov, Transilvania, we describe a museum that is translating from a classic memorial museum to a modern museum, adapted to the requirements of contemporaneity.

KEY-WORDS: Mureșianu House Museum Braşov, 2015, modernization, museum, collection, modern museum space

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Fig. no. 2. L’intérieur de la Maison des Mureşeni 2007-2015. Exposition permanente

«La maison de Mureşeni» de Braşov constitue l’un des musées mémoriels les plus importants de Roumanie. Orienté ces dernières décennies vers des activités d’éducation et des projets communs d’excellence, le musée change de direction au profit d’une popularisation intense de la culture et des arts contemporains ainsi que d’une préservation du patrimoine classique. Le présent article vise à présenter la réorganisation des espaces muséaux et le processus de changement de marque (rebranding). La relation entre le musée et les collections est essentielle pour l’économie de nos activités spécifiques. «Museums as holders of primary evidence...» have a «...primary duty to preserve [their] collections...», to acquire objects with the «...expectation of permanency...» and to «... keep them for posterity». However, in some situations such as «living» or «working» museums, it may be necessary to regard «at least part of their collection as replaceable or renewable»83. Le code ICOM des Musées réaffirme constamment la nécessité de conserver de façon appropriée des collections et des documents.84

83 Donahue, Paul F. (2004), p. 4 84 idem

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Fig. no. 3. L’intérieur de la Maison des Mureşeni 2007-2015. Exposition permanente

Il existe cependant des exceptions, comme «La maison des Mureşeni» de Braşov: «There are many exceptions to this definition and to the traditional concept of a museum as a collecting institution. Examples are oneobject museums, such as a ship museum or a house museum with a plethora of culturally associated objects, the avocationalists’ museum that puts its member’s models on exhibition but does not concern itself with acquisition, preservation or research, the art museum that appears not to have acquired a permanent collection – [voir Andrew J. Pekarik, „Museums as Symbols », en « Curator 46/2, April 2003, pp. 132-135] – the virtual museum with virtual objects, and the science centre or children’s museum with no collection85». Telle est la direction que notre musée pourra suivre. Pour analyser la situation actuelle du musée de Braşov, il est utile de rappeler la définition prévue par la Loi no. 311/2003: «Le musée est une institution culturelle publique au service de la société, qui recueille, conserve, recherche, reconditionne, communique et expose, en vue de l’éducation, de la connaissance, et

du loisir, les témoignages matériels et spirituels des communautés humaines et de leur environnement86». La fonction d’une collection dans un musée mémorial est évidement beaucoup plus réduite, par la nature intrinsèque de son origine collection, ayant la forme d’un (don des héritiers ou de la famille de la personnalité/des personnalités), et par le nombre limité des témoignages matériels dans le temps et dans l’espace. Notre raisonnement va plus loin et pose une question normale: est-ce que le fonctionnement d’un tel musée répond aux priorités stratégiques du secteur culturel présentées dans la «Stratégie sectorielle du domaine culturel»? Ce document, essentiel pour montrer la direction du phénomène culturel national, couvre la période 2014-2020. Ses objectifs sectoriels visent le patrimoine culturel national (mobile, immobile, et immatériel) et la création contemporaine auxquelles s’ajoutent des objectifs horizontaux, comme le renforcement de la capacité institutionnelle, l’éducation culturelle et le développement des infrastructures culturelles87.

85 Ibidem 86 Loi no. 311/2003 [Online] disponible a l’adresse : http://www.dreptonline.ro/legislatie/legea_muzeelor_colectiilor_publice.php 87 CCDC. (f.d.)

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Fig. no. 4. L’intérieur de la Maison des Mureşeni 2007-2015. Exposition temporaire Rembrant@Braşov

La nouvelle vision muséale proposée pour «La maison des Mureşeni», définie dans le projet de management pour la période 2014-202088 est holistique et intègre la plupart des priorités stratégiques du domaine culturel. A la fin du processus de changement de position et de marque, le musée de Braşov sera modernisé, prêt à accueillir des projets culturels importants, à offrir des espaces capables d’accueillir des expositions. Il pourra ainsi offrir une alternance rationnelle et performante pour des thématiques liées au patrimoine classique ou à la création contemporaine, et porter une attention accrue à l’éducation culturelle pour consolider son positionnement institutionnel. «La maison des Mureşeni», de Braşov a été créée en 1968, pour faire suite aux actes de donation des héritiers de Iacob Mureşanu (1812-1887), membre de l’Académie roumaine, pédagogue, journaliste et politicien d’exception, roumain issu de la Transylvanie du XIXe siècle. Le musée porte le nom d’une dynastie culturelle roumaine très importante, qui a donné des pédagogues, des journalistes, des politiciens, des écrivains, des historiens et des musiciens

d’exception. Les principaux éléments du patrimoine sont les documents (peu nombreux) provenant d’Andrei Mureşanu (une transcription du XIXe siècle de la poésie «Retentissement», devenue aujourd’hui l’Hymne national de Roumanie), mais aussi des archives de famille (contenant plus de 25.000 pièces), des meubles, de l’art plastique et décoratif, des instruments de musique. Dès sa création, le musée a pris la forme d’un musée mémorial «classique» réunissant des meubles appartenant à la famille, des étagères et des panneaux en bois nécessaires à la présentation des documents et des textes explicatifs. Le musée ne s’est jamais adapté aux normes d’exposition d’un musée classique (dote d’un système d’éclairage moderne, doublé par l’obturation de la lumière naturelle, etc.). De plus, l’exposition prolongée des documents du XIXe siècle ne respecte pas les normes de conservation et d’exposition du patrimoine culturel mobile89. En 2007, l’exposition permanente du musée a été recrée, à partir d’une vision issue de la reconstruction

88 Rus (2014) 89 Conformément a la Décision du Gouvernement no. 1546/2003. [Online] disponible à l’adresse : http://www.bcu-iasi.ro/docs/HG1546-2003.pdf

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Fig. no. 5. L’intérieur de la Maison des Mureşeni 2007-2015. Exposition permanente

Fig. 7. Fig. no. 6. et Fig. no.7. L’intérieur de la Maison des Mureşeni 2007-2015. Exposition temporaire Rembrant@Braşov

de l’ambiance intime spécifique à l’intérieur d’une maison privée de la deuxième moitié du XIXe siècle. L’exposition abandonne ainsi les étagères et les panneaux, 5 salles de l’exposition permanente sur 8 étant recouvertes de papier peint. On été uniquement gardés les meubles, les objets d’art plastique et décoratif appartenant au don initial. On a rajouté 3 salles d’exposition permanente, utilisées pour la présentation de biens culturels appartenant à 52

d’autres personnalités de la vie culturelle de Braşov, comme George Dima et Paul Richter. Une salle était dédiée exclusivement à l’évolution technologique des appareils de reproduction sonore (boîtes musicales, phonographe, gramophone, cellule magnétique ou boîte d’harmonie). Deux autres salles d’exposition étaient destinées aux expositions temporaires. En 2015 débute un processus radical pour


Fig. no. 8. L’intérieur de la Maison des Mureşeni 2007-2015. Exposition permanente

aménager l’exposition d’histoire muséale roumaine. L’emplacement du musée (25, Piata Sfatului, Braşov centre ville), tout près de l’Eglise noire, a influencé ce nouvel aménagement. Une deuxième raison pour ce changement est donnée par la définition du nombre des touristes qui arrivent chaque année à Braşov, environ 1.000.000. C’est une statistique officielle, qui repose sur le nombre de nuitées annoncé par le système hôtelier local et régional, qui ne prend pas en compte les touristes en transit ni les touristes voyageant librement qui ne sont pas enregistrés dans les statistiques officielles des entités économiques du tourisme local. Le troisième facteur qui a contribué à reconsidérer les espaces muséaux a été donné par le caractère des expositions temporaires qui voyagent dans le pays et surtout à l’étranger. Ce sont des expositions de grande et de moyenne taille, qui nécessitent des centaines de mètres carrés d’exposition, des dizaines et souvent des centaines de mètres linéaires de panneaux d’exposition. Tous ces facteurs ont déterminé le choix de la solution finale, c’est-à-dire le changement radical

Fig. no. 9. L’intérieur de la Maison des Mureşeni 2007-2015. Exposition permanente

des espaces d’exposition du musée: le nouvel espace de l’exposition temporaire du musée dispose de 8 salles, un long couloir qui fait la liaison avec un espace de plus de 220 mètres carrés et environ 90 mètres linéaires de panneaux d’exposition; par contre, l’exposition permanente dispose uniquement de 3 salles, soit environ 100 mètres carrés.

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La nouvelle exposition permanente du musée comporte environ 500 objets, pièces de patrimoine et portraits (objets et photos) exposés librement. L’idée de reconstituer l’ambiance du XIXe siècle a été adoptée pour deux salles d’exposition et la troisième à été dédiée à l’évolution technologique des appareils de reproduction sonore pendant deux siècles. L’espace de d’exposition est doté d’un système d’éclairage mixte (lampe à incandescence classique et spots encastrables LED), avec des appareils de reproduction du son (musique classique et guidage audio en roumain et en français). Les nouvelles salles de l’exposition temporaire constituent le plus grand et le plus moderne espace d’exposition de Braşov. Elles sont dotées d’un système d’éclairage moderne (spots à LED modulaire sur rail, 15 W/ pièce, pour un total de 94 pièces). La lumière naturelle a été obturée en dotant les fenêtres du bâtiment de stores. L’espace répond à la nouvelle mission organisationnelle du musée, reformulée par le management, qui couvre la période 2014-2020: «Notre mission est d’interpréter et de célébrer le passé dans le contexte du présent et du futur, d’une manière adaptée aux besoins du tourisme moderne. ‘ La maison de Mureşeni’ de Braşov existe comme un modèle à suivre. Les habitants de Braşov doivent connaître leur ville d’autrefois et ce musée a pour mission de leur rappeler en permanence que le futur a un cœur antique. Les Mureşeni et leurs contemporains

Bibliographie: Le Centre de recherche et de conseil culturel f.d. La Stratégie sectorielle de la culture et du patrimoine national pendant la période 2014- 2020 [Online] Disponible à l’adresse : http://www.cultura.ro/ uploads/files/STRATEGIA_%20SECTORIALA_

(Gheorghe Dima, Paul Richter, Ioan et Ştefan Baciu, etc.) étaient tous des modèles de civilisation urbaine multiculturelle ; ce musée s’efforce de transmettre cet esprit à la nouvelle génération, par l’initiation et par l’intermédiaire des projets et des partenariats communautaires financés hors budget et par la réalisation d’expositions capables de répondre aux besoins du public et des touristes de Braşov90». Le nouvel espace d’exposition a été préparé pour la première exposition temporaire « Rembrant@ Braşov », qui a marqué la réouverture du musée, le 5 octobre. Cette exposition réunit 273 gravures réalisées pendant le XIXe siècle à la Bibliothèque nationale française, des copies de gravures originales du grand peintre néerlandais. La collection appartient à Mr. Thomas Emmerling, l’initiateur de cette exposition à Braşov, après les expériences de Cluj-Napoca, Timişoara, Iaşi et Câmpulung Muscel. L’exposition a été annoncée avant le vernissage par des bannières publicitaires, des affiches, des autocollants, l’affichage électronique et une campagne de presse. Enfin, les musées roumains peuvent et doivent adapter leur discours d’exposition aux besoins des communautés locales, en hiérarchisant les stratégies culturelles nationales de manière holistique, de façon à populariser une alternative du patrimoine national et de la création contemporaine d’une façon moderne et attractive. La Loi No. 311/2003 [Online] disponible à l’adresse : http://www.dreptonline.ro/legislatie/legea_ muzeelor_colectiilor_publice.php Rus, Valer. 2014. Projet de management. Le musée : «La Maison des Mureşeni», Brașov, 2014-2019, mss.

IN_DOMENIUL_CULTURII_2014-2020.pdf Donahue, Paul F. „Reevaluating the ICOM Definition of the Museum”. Focus 2 (2004), p. 4-5 [Online] Disponible à l’adresse : http://icom.museum/ fileadmin/user_upload/pdf/ICOM_News/2004-2/ ENG/p4_2004-2.pdf Décision du Gouvernement No. 1546/2003. [Online] Disponible à l’adresse : http://www.bcu-iasi.ro/ docs/HG1546-2003.pdf. 90 Rus (2014)

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Dr. Valer Rus Musée «La maison des Mureşeni», Brașov 25, Piața Sfatului, Brașov, 500025 rus.valer@gmail.com


LE CURATEUR – À QUOI ÇA SERT?

ABSTRACT The article analyses the terminological difference between the existing term, “museographer” and the more recent term in use, “curator”, as well as their descriptions as job requirements in Romania and abroad. The need for an official recognition of the “curator” is questioned, under a brief overview of the current circumstances that could have led to the necessity of introducing a new term or a new occupation – the curator, along with a critical approach on the market exigencies and available tools and resources in the curatorial work in Romania. After identifying several major deficiencies that could interfere with the quality of the curatorial act, the article does not attempt to find solutions to these particular problems, but suggests ways of overcoming existing obstacles instead, in an achievable manner, stating that issues lay in changing perspective, rather than in amending terminology. KEY-WORDS: curator, museum professions, museum job description, museum exhibition, exhibition planning.

«Le curateur» est une notion nouvelle dans la muséologie roumaine qui essaie de remplacer parfois le modeste « muséographe » dénué de modernité et d’intellectualisme. Il palie aussi l’absence d’une dénomination appropriée à d’autres catégories d’expositions, plus rares, différentes des expositions muséales. Il est presque inutile de rappeler la provenance anglo-saxonne de la notion de «curateur», de plus en plus courante dans le langage et dans notre vie quotidienne.

Aucune différence entre les deux jusqu’ici: conservation générale, gestion, recherche, interprétation et mise en valeur du patrimoine aux fins d’éducation et de loisir. Un ajout s’avère nécessaire : de la propagande et du «softpower», ou de la diplomatie culturelle. Pourquoi y aurait-il besoin d’attribuer une nouvelle dénomination au classique «muséographe»? Par besoin de modernité dirais-je. Et par comparaison de nos produits aux produits des autres pays plus développés.

C’est une notion nouvelle dans la langue roumaine, dotée d’un ancien sens juridique, celui de personne chargée de la bonne administration du patrimoine et/ou des intérêts d’un tiers.

Qu’est-ce qui nous manque ? D’abord le spectaculaire. L’envergure. L’inédit. La complexité. Les moyens (matériels). L’audace. Et malheureusement la créativité.

Une analyse de la «fiche de poste» du curateur français, britannique, américain ou italien par exemple, démontre que ses attributions se superposent aux attributions du muséographe local (assez nombreuses conformément au Registre des métiers de Roumanie).

Tous ces éléments appartiennent au secteur visible de l’activité curatoriale. La recherche, la conservation, la gestion ne sont pas accessibles au public, ni physiquement ni pour l’évaluation. Ma propre expérience démontre que ce secteur n’a pas de déficiences importantes, fondamentales, car nos musées 55


sont issus d’un état bureaucratique et autoritaire, ce qui n’est pas nécessairement un défaut.

Ce sont des ingrédients interdépendants qui limitent la liberté de choix et de créativité du curateur.

La partie visible est pourtant soumise au regard critique et au test du temps, un temps de plus en plus accéléré.

Aujourd’hui il n’y en a pas beaucoup qui réussissent (du point de vue financier et logistique) à intégrer dans une exposition des objets hors du patrimoine de leur propre institution.

Et qu’est-ce qu’on voit finalement ? A l’exception de la peinture et des objets d’art décoratif, presque tous les objets des expositions muséales sont extirpés de leur contexte initial, authentique, et sont soumis à notre interprétation actuelle, qui déforme tout simplement leur sens initial.

Les politiques d’exposition manquent. Il manque aussi une stratégie centralisée des autorités, des politiques détaillées ou les célèbres «projets de management».

Cette dénaturation par interprétation ne sert pas l’objectivisme. Elle reste dans le relativisme et sert aux choix conjoncturels, dont les critères d’évaluation sont aussi conjoncturels. Pour satisfaire, elle doit s’adapter au gout actuel.

Une exposition importante a besoin de temps. Le cycle budgétaire annuel n’est pas adapté à la conception, à la préparation et à la mise en œuvre d’un projet d’exposition. Le circuit financier n’est pas conçu pour s’adapter aux projets, mais limite le projet aux contraintes budgétaires.

Notre choix n’est pas de satisfaire le goût de la majorité. Le succès est actuellement défini par la quantité, le nombre des visiteurs et parfois par le profit financier. Choisissons la voie de satisfaire la majorité en ignorant la reconnaissance des corps de métier, des milieux élitistes (peu nombreux) ou d’un public de niche. Le goût courant est : visuel, très visuel, rapide, meilleur que celui de la concurrence, chargé d’une information légère et accessible, digitalisé. Il est aussi communiqué et commercialisé selon les règles de l’économie de marché. Plutôt agressive. Qu’est-ce qui nous empêche de créer de meilleures expositions dans nos musées ? Pour répondre, il faudra d’abord dénombrer les outils du curateur-muséographe, qui composent les ingrédients d’une exposition : • Les œuvres exposées ; • L’espace d’exposition avec toutes ses coordonnés (dimension, étalage, éclairage, microclimat, voies d’accès) ; • Le temps nécessaire à la réalisation du projet d’exposition et à sa mise en place ; • Le matériel auxiliaire ; • Les ressources financières et administratives disponibles ; • Le public-cible. 56

Le muséographe devra s’adapter au contrat de management de l’institution, attendre l’adoption du budget annuel et évaluer les risques de révision budgétaire. Ces sont des prémices qui permettent le choix des projets peu coûteux, nécessitant des ressources administratives et humaines réduites et un court temps de mise en œuvre. Les résultats sont aussi prévisibles : de petits projets ou des projets insignifiants. Comment peut-on compenser ces prémices décourageantes ? Je propose deux approches : une qui vise la communication agressive, via la technologie virtuelle et la deuxième, l’exploitation au maximum de l’interprétation de l’objet, le caractère inédit de la sélection des œuvres et l’abandon de l’étalage classique de l’exposition. A quoi sert le curateur du point de vue terminologique ? A mettre en évidence l’importance de l’exploitation publique de l’activité muséale. Une spécialisation supplémentaire des muséographes pourra être utile, mais aussi une révision des politiques d’exposition et du raisonnement curatorial. Alis Vasile British Council România 14, Calea Dorobanţilor, secteur 1, Bucarest vasile_alis@yahoo.com


JE VISITE. JE REGARDE. JE COMPRENDS. Réflexions sur le rôle du curateur pour orienter le visiteur

ABSTRACT Museum visitation is relatively low around the world, one of the main justifications given is the poor quality of the museum offer. What could museums do in this context, not only to increase the number of people who enter their exhibitions, but also to increase their socio-cultural impact, namely to achieve their complex missions in good conditions. This paper proposes the investigation of the points of reference a curator of an exhibition should consider when designing a successful exhibition. The proposed solution is to adopt a marketing vision, taking into account both museum visitors and other stakeholders. The landmarks are multiple: the characteristics of the public, its motivations, the interests of contemporary society, the discourses that animate the public space, the context in which the visit takes place and such. The curator is not only a connoisseur, a protector and promoter of heritage. She must be a good marketer, understanding the visitors, and open to their specificities. KEY-WORDS: Exhibition planning, museum marketing, visitors and exbitions, heritage interpretation.

Le profil du visiteur d’un musée Les musées sont plus animés, ils ont changé leur concept d’interaction avec le grand public. Les gens attendent pendant des heures pour visiter des musées ou des expositions. Beaucoup de musées déclarent une augmentation du nombre de visiteurs et l’intérêt pour ces institutions augmente partout dans le monde. En Asie, il existe des expositions de type blockbuster qui attirent des visiteurs plus qu’en Europe ou aux Etats Unis. Le Proche Orient ouvre des musées spectaculaires et devient l’endroit préféré pour l’exportation des collections des grands musées du monde, qui y ouvrent des filiales. Pourtant, les études de consommation culturelle montrent que les chiffres des visites ne semblent pas avoir connu

de modifications importantes. En 2013, 63% de la population de l’UE n’avait pas visité un musée depuis un an, une augmentation de 5% par rapport à l’année 200791. En Roumanie, 21% de la population âgée de plus de 15 ans avait visité un musée ou une galerie d’art au moins une fois par an, soit 6% de moins qu’en 200792. Les statistiques des activités culturelles sont les suivantes: 20% de la population est allé au moins une fois au cinéma, 33% a visité un monument ou un site historique (palais, château, église, etc.), 25% ont assisté à un concert, 17% ont visité une bibliothèque publique, 15% sont allés au théâtre

91 EC (2013a), p. 9 92 EC (2013b), p. 1

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et 11% ou à l’opéra. Une vision d’ensemble montre une faible participation culturelle et une pratique culturelle beaucoup moins faible par rapport au niveau européen. Seulement 7% de la population a un niveau élevé ou très élevé de participation par rapport au niveau européen qui est de 18%. En outre, 55% des roumains ont enregistré une faible participation culturelle en 2013, une réduction de 14% par rapport à l’année 200793. Une cause importante pourrait être la crise économique survenue entre les deux enquêtes (selon l’Eurobaromètre). Conformément aux chiffres précédents, les visites au musée semblent être plus attractives que d’autres activités culturelles, mais les sites culturels le plus visités restent les palais, les châteaux, les monuments et les sites historiques, qui sont généralement visités pendant les vacances ou les voyages occasionnels. On se demande si les musées ne font pas également l’objet de visites des Roumains pendant les vacances. Les raisons principales pour lesquelles les roumains ne visitent pas les musées sont les suivantes: le manque du temps – 32%, la faible qualité de l’offre sur le lieu de résidence – 12%, le manque d’intérêt – 22%, le prix – 12%94. Les Roumains déclarent, moins que d’autres européens, que les musées ne les intéressent pas (22% par rapport à la moyenne européenne de 35%). Les jeunes, les seniors, et les moins instruits sont aussi les moins intéressés95. La motivation des visiteurs reste un repère important, pour la mise en œuvre d’une exposition : l’éducation, la curiosité, la socialisation, les coutumes familiales, l’intérêt pour certains sujets, etc. Ce sont les raisons qui alimentent les attentes du public des musées. Généralement le public préfère les visites éducatives et récréatives96. Le musée est souvent associé aux loisirs intéressants et inédits des vacances97. Les attentes du public sont liées

93 EC (2013b), p. 1 94 EC (2013b), p. 2 95 EC (2013b), p. 2 96 Hooper-Greenhill (1994), p. 67 97 Hooper-Greenhill (1994) 98 Croitoru & Becuț (2015), p. 151 99 Falk & Dierking (2000) 100 Falk & Dierking (2000); Lehn, Heath & Knoblauch (2001) 101 Zbuchea & Ivan (2013)

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aux valeurs intimes du visiteur. Le Baromètre de la consommation culturelle réalisé en 201598 en Roumanie montre que les valeurs qui priment pour le visiteur d’un musée sont l’éducation, le temps libre, la détente et la culture ; ces valeurs sont différentes par rapport à celles des non-visiteurs. La création des expositions importantes ne reposent pas uniquement sur les caractéristiques et les motivations des visiteurs, mais sur la compréhension du comportement et la façon de déchiffrer les messages transmis par les mussées. Il convient de noter que les visiteurs ne sont pas seuls dans les musées, ils sont accompagnés par des amis, des camarades, d’autres membres de la famille et que l’interaction sociale prime pendant la visite99. La perception d’une exposition est liée au contenu des informations reçues et à l’expérience personnelle qui y associée et qui est facilitée par le groupe dont il fait partie100. Généralement le comportement dans le musée diffère en fonction du sexe, de l’âge et du niveau d’éducation. Les jeunes entrent davantage en interaction avec les œuvres et les équipements exposés, et surtout avec les nouvelles technologies que le discours muséal propose et qui amplifient leurs attentes. Chez les Roumains il existe généralement deux approches différentes : le visiteur «sélectif» et le visiteur «qui a une vue d’ensemble101». La première catégorie réunit des personnes à haut niveau d’éducation, qui font une visite sélective du musée en fonction de leurs intérêts et de leur niveau de connaissances, qui ne sont pas préoccupés par les nouvelles technologies et qui souhaitent participer aux programmes d’éducation. Le visiteur « qui a une vue d’ensemble » s’efforce retenir le plus d’informations sur l’exposition, les nouvelles technologies l’intéressent et il est un client potentiel de la boutique. C’est la catégorie de visiteurs la plus nombreuse.


L’interprétation du patrimoine muséal. Quel est le rôle du curateur? Quelle est la perception du visiteur? L’interprétation du patrimoine muséal et de l’exposition repose sur une démarche complexe et interdisciplinaire de recherche scientifique. Ce processus n’est pas toujours facile, il est souvent influencé par les valeurs des chercheurs, mais aussi par la place du patrimoine au sein de la société à un moment donné (ce processus est exemplifié par une des œuvres les plus célèbres au monde, la Vénus de Milo102). Les résultats de ces recherches sont présentés au public d’une manière accessible et appropriée. Une exposition à succès entraîne chez les visiteurs des expériences diverses, «accessibles» mentalement et physiquement. Ce but n’est pas facile à atteindre. Il faut dépasser les contraintes logistiques, des éléments objectifs, mais aussi la subjectivité de la direction des musées ou des curateurs. Hooper-Greenhill observait il y a 20 ans la situation de la Grande Bretagne: «Il existe une angoisse chez les curateurs, que la facilitation de la compréhension des idées que l’exposition incarnent va entraîner une approche commerciale, un affaiblissement de la qualité académique, une explication facile et un plaisir superficiel. Cette angoisse doit être convertie en une lucidité et une observation du fait que, la plupart des gens cherchent le bonheur, l’utilité et la recréation dans un musée103». Cette lucidité est sans doute nécessaire dans beaucoup de musées roumains. «Une exposition bien mise en scène est capable de

créer chez le visiteur une expérience d’immersion, qui entraîne les sens, stimule l’intellect et libère l’imagination104». L’utilisation d’une approche commerciale (dont le repère principal est le visiteur) pendant la représentation, la réalisation et la communication d’une exposition a de nombreux bénéfices105 comme: le choix de la perspective sur le public, la réalisation d’une exposition ergonomique, capable de cibler le contenu des idées, d’attirer un grand nombre de visiteurs via des campagnes publicitaires, etc. Enfin, une approche commerciale rend efficiente l’exposition et permet d’atteindre les objectifs proposés. Réaliser une exposition centrée «vers le public» est difficile. D’un côté il y a des obstacles objectifs, comme la faible connaissance des visiteurs et des obstacles qui empêchent la réalisation d’études complexes sur leur profil. D’un autre coté, la réaction des visiteurs devant un sujet ou une exposition est extrêmement subjective et contextualisée. Il est très difficile de savoir comment le sujet est assimilé par le public, afin de réaliser une exposition capable d’obtenir l’expérience muséale.106 IPOP (Ideas–People–Objects–Physical / IdeesGens-Objets-Materiel) est un modèle à adopter107. Il contient des repères significatifs à prendre en considération pour monter une exposition. Les idées résultent des connaissances représentées par les informations et les explications proposées. Les sources d’inspiration que les gens utilisent pour faire référence à la vie des autres sont: les histoires,

102 Anghel (2006) 103 Hooper-Greenhill (1994), p. 113 104 Beghetto (2014), p. 1 105 Zbuchea (2014) 106 Beghetto (2014), p. 1 107 Beghetto (2014), p. 2

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les biographies, les films, les photos, etc. Les objets représentent les artefacts exposés dans les présentations, mais aussi les éléments esthétiques et descriptifs. Les aspects matériaux visent le mouvement, l’attouchement, la signalisation, etc. Ce sont des repères que les curateurs peuvent utiliser pour structurer les expériences et pour attirer et animer les visiteurs. Il existe souvent une rupture entre la planification d’une exposition et sa perception effective. Il est difficile par ailleurs d’obtenir une certaine réaction du public108. Pour réduire cette différence, il est nécessaire de mettre en place une équipe interdisciplinaire capable d’assurer un résultat complexe et intéressant pour plusieurs catégories de public, mais aussi de réduire la subjectivité et les limites de chaque domaine de recherche. La réalisation d’une exposition nécessite la collaboration du curateur avec une équipe de spécialistes, qui doit absolument inclure un commercial ou un spécialiste en communication. Une stratégie de marketing est bien adaptée. Elle est capable de mieux clarifier la structure du public ciblé et d’adopter quelle sera l’approche la plus bénéfique : une stratégie orientée vers un segment de public bien défini, une stratégie diversifiée en fonction de quelques approches personnalisées, une stratégie adaptée à un nombre réduit de catégories de public ou bien une stratégie amorphe, orientée vers un publique homogène. Le choix de la meilleure alternative relève des caractéristiques de l’exposition, des objectifs assumés, des ressources dont le musée/ le curateur dispose, ainsi que des particularités des visiteurs, des autres parties prenantes et du marché. Nous recommandons les principes suivants109: l’analyse d’impact, l’étude préalable, l’identification du public-cible, l’association des multiples significations, l’interdisciplinarité, l’interactivité, 108 Lehn, Heath & Knoblauch (2001) 109 Zbuchea (2014) 110 Simon (2010) 111 Christidou (2013)

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l’animation du débat, des services supplémentaires et une activité récréative agréable. On observe que la plupart des principes sont orientés vers le visiteur et soulignent le caractère dynamique et participatif du musée actuel110. La majorité du public préfère l’interactivité du musée contemporain, les activités incitatives et les services capables de lui offrir le confort, de stimuler la pensée et les sens, de fournir les loisirs qu’il souhaite en respectant le contexte et certaines limites. L’explication du patrimoine à travers l’exposition devra avoir comme repère le visiteur: ses connaissances actuelles, ses centres d’intérêt, les éventuels débats d’actualité, etc. Une approche commerciale est également nécessaire pour proposer des services connexes et des programmes rattachés à l’exposition principale. Pour une meilleure compréhension, les visiteurs interagissent pendant la visite, avec le patrimoine, mais aussi avec leur groupe. Le processus de compréhension du patrimoine suppose trois types d’interactions importantes111. D’abord, les visiteurs ont besoin de partager avec les autres, de se faire remarquer, d’attirer l’attention du groupe, de fasciner. Le texte proposé par le musée (l’affichage) sera filtré par la raison, reproduit et interprété par les visiteurs de façon personnelle. La deuxième catégorie de réaction est la saisie d’un aspect, d’une histoire personnelle. La troisième sera l’animation de la collection, l’immortalisation d’un élément de l’exposition à l’aide de son corps. C’est une interprétation subjective de l’exposition, adaptée à sa propre personnalité ou aux membres du groupe. Les visiteurs tentent d’abord d’identifier le patrimoine et ensuite de créer des significations. C’est une observation importante qui doit être synchronisée avec deux idées essentielles. D’abord que l’information formellement transmise est la


plus édificatrice pour le visiteur. Ensuite, que les visiteurs, reconnaissant l’autorité du musée, aspirent au développement personnel par l’intégration et l’interprétation individualisée des informations. On observe souvent une particularisation du rôle de chaque membre du groupe (un qui lit le texte affiché, l’autre qui fait le commentaire des images et enfin un autre qui interagit avec l’équipement technique disponible). Certains visiteurs font des jeux de rôles et transforment les significations associées à l’exposition/l’œuvre pour obtenir des réactions de la part du groupe, soit au sein de l’exposition, soit dans un autre contexte social112. Le rôle d’une exposition est d’interpréter le patrimoine muséal à des fins éducatives ou sociales. L’impact de l’exposition est donné par ses connotations éducatives. Cet impact va augmenter au fur et à mesure qu’on associe au patrimoine exposé des éléments éducatifs «à distance» ou faceà-face, comme les workshops, les locutions, le théâtre muséal, le dessin, les films documentaires, etc.113 Ce sont des éléments qui permettent l’interprétation, une meilleure compréhension du patrimoine et de la thématique, par la participation du public, des nouvelles expériences pour les visiteurs et l’échange des bonnes pratiques. Il est recommandé par la suite de donner un caractère dynamique à l’exposition, l’interactivité, des programmes intéressants pour le public et les autres parties prenantes. Une exposition peut attirer des catégories différentes de public, pour des raisons éducatives. Les visiteurs utilisent les musées de manière très diversifiée114. Certains visiteurs cherchent la confirmation de leurs opinions sociopolitiques par exemple, mais aussi à observer dans quelle mesure la société contemporaine est capable de saisir ces réalités ; la recherche de la légitimité. Le musée, quant à lui, suit

d’autres objectifs comme l’utilisation des espaces pour le débat public115. Selon la thématique, le rattachement affectif des visiteurs à une exposition détermine la manière d’interpréter le patrimoine exposé. Les motivations, les rattachements à l’exposition et l’interprétation du patrimoine différent en fonction du profil ethnique et social des visiteurs. Ce profil correspond à leurs connaissances et à leurs expériences antérieures ainsi qu’à la thématique de l’exposition visitée116. L’approche traditionnelle concentre toute son attention sur les collections, l’exposition des chefsd’œuvre, des objets rares et spectaculaires qui sont mis en valeur pour leurs caractéristiques scientifiques, des objets relativement decontextualisés du point de vue traditionnel. Cette approche pourra causer des difficultés de compréhension et de perception; ils seront perçus comme des objets intéressants, dotés certainement d’une valeur intrinsèque mais qui se situent sur un piédestal, dans un univers qui ne croise pas la vie du visiteur. Dans la réalisation d’une exposition, l’approche commerciale se concentre sur les visiteurs et sur les autres parties prenantes. Cette concentration sur les parties prenantes rend vivant le patrimoine, l’investit avec des valeurs sociales, facilite son entrée dans le patrimoine personnel des visiteurs et des communautés, facilite sa relation directe et subjective avec le patrimoine muséal et le concept de l’exposition. La réalisation d’un concept d’exposition adapté aux parties prenantes est difficile, mais les bénéfices sont évidents : l’augmentation de l’impact et de la réussite de la mission de l’exposition. La partie prenante est toute personne ou organisation qui

112 Lehn, Heath & Knoblauch (2001) 113 Hooper-Greenhill (1994), p. 143 114 Smith (2014) 115 Uchill (2012) 116 Smith (2014)

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exerce une influence ou qui est influencée par l’activité muséale. Chaque exposition implique plusieurs parties prenantes117, exerçant une influence différente sur le musée, selon le cas et leurs centres d’intérêt. Les parties prenantes sont : les visiteurs, les communautés locales, les ONG et les chercheurs/passionnés intéressés par la thématique de l’exposition. Chacun a sa propre relation avec l’exposition, une perspective différente d’analyse (curiosité, passion, intérêt social/politique, niveau de culture générale), etc. L’expérience muséale est le résultat du profil et des centres d’intérêt du public et de son interaction avec les objets exposés. C’est au visiteur d’établir la relation personnelle avec ces objets, d’utiliser lors de l’évaluation du concept ses émotions, ses souvenirs et les connaissances qu’il maîtrise118. Dans ce contexte, sa réaction face au message du musée est subjective. Cette situation est valable aussi pour d’autres catégories de public intéressés tant par la thématique et les objets exposées que par la présentation du patrimoine. Les objets appartenant aux collections du musée ont plusieurs significations, pour les visiteurs mais aussi pour les autres parties prenantes119. Chaque objet est interprété différemment et les expériences qui lui sont associées changent d’une personne à l’autre. Une question s’impose : quelle est la valeur et la signification authentique du patrimoine ? La réponse dépend de plusieurs facteurs : les caractéristiques, la signification, l’image mais aussi l’histoire de l’objet qui exerce une influence sur le mode d’emploi (par le curateur) et sur la l’interprétation du message (par le public). Le musée représente aujourd’hui plus qu’un temple de préservation du patrimoine. Trois approches différentes sont utilisées pour réaliser un concept d’exposition: la présentation systématique/

117 Association des musées du Pays-Bas (2010), 27-29; Kotler et al. (2008), p. 60; Zbuchea (2010) 118 Froggett & Trustram (2014) 119 Heumann Gurian (1999)

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chronologique, la présentation thématique et l’interprétation des collections. La première est probablement la plus facile à mettre en œuvre, à gérer (du point de vue logistique et conceptuel), c’est une approche traditionnelle, scientifique, assimilable facilement, mais peu attractive pour le public. La deuxième est une approche stratégique, de plus en plus utilisée par les musées roumains, qui suppose une analyse interdisciplinaire, structurée et portant sur plusieurs directions d’intérêt. C’est une approche plus intéressante et plus intégratrice que la précédente, mais difficilement accessible au grand public. L’interprétation des collections est un processus dynamique de communication avec le public, qui permet au musée de faire connaitre de manière interactive ses collections, ainsi que les résultats de son activité de recherche. La présentation et la diffusion de l’information permettent la vision, la lecture, l’expérimentation ainsi que la compréhension de la valeur et de la signification des collections. On part d’une étude interdisciplinaire du patrimoine et on intègre les centres d’intérêts du public, des communautés, des parties prenantes, mais aussi des thèmes d’actualité qui intéressent la société contemporaine. Cette approche correspond le mieux aux attentes du public actuel. Les bénéfices de l’interprétation pendant l’exposition sont multiples: elle suscite l’intérêt de plusieurs catégories de public, fait appel à des ressources externes (immatériels) et incitent certaines parties prenantes à y investir leur ressources mentales et émotionnelles pour mieux intégrer les significations et le sens profond de l’exposition. Cette approche permet l’intégration et l’interaction sociale. L’interprétation en vue d’une meilleure compréhension, devra cibler plusieurs aspects. D’abord bien définir et connaître le public, pour


s’adapter à ses besoins. L’exposition fait une présentation, diffuse des messages, parle sur plusieurs «voix». La décodification du message se fait via plusieurs voies. Le choix des histoires/sujets à interpréter devra répondre aux besoins des parties prenantes. Les formes de présentation seront ainsi adaptées au profil des visiteurs. Les incitations de nature mentale et émotionnelle seront conçues pour stimuler l’interaction des visiteurs avec l’exposition et le patrimoine pour encourager leur dialogue avec le musée et les parties prenantes. L’exposition pourra ainsi se transformer en un forum de débats. Les visiteurs aiment avoir une relation personnelle avec les objets exposés120. Le processus de sélection du patrimoine exposé devra ainsi prendre en considération leur capacité à évoquer des connaissances et des sentiments, à réaliser des connexions. L’exposition devienne vivante, intéressante et génératrice de bénéfices intimes. On constate le besoin d’interaction du public avec l’exposition121. La jeune génération, adepte de l’interaction virtuelle est la plus intéressée par l’interactivité. Il s’agit d’un changement de paradigme de la visite, plus adaptée au contexte dynamique de notre société contemporaine. Pour assurer des expériences muséales 122 particulières , la participation du public dans toutes les étapes de réalisation d’une exposition est de plus en plus encouragée. La littérature spécialisée analyse plusieurs modèles d’interaction entre le public et les musées. Elle relève ainsi l’intérêt du musée pour un discours multiculturel, pluraliste, diversifié, capable de répondre aux exigences de notre société contemporaine et des débats qui l’animent.

Certains curateurs hésitent à introduire ces éléments dans le concept d’une exposition, malgré l’intérêt qu’ils suscitent chez le visiteur. Pour certains visiteurs ils valent plus que les éléments éducatifs ou sociaux, ce qui détermine certains musées (et autres entités commerciales) à présenter des «expositionsspectacles»123. Les éléments de spectacle et d’amusement priment et diminuent parfois l’aspect scientifique, social, philosophique. Les ingrédients qui assurent le succès d’une telle exposition sont : les décors inédits, une ambiance fascinante et séductrice, les reconstitutions. Tous ces éléments créent l’illusion d’un loisir intelligemment construit autour d’une thématique qui suscite l’attention et l’imagination du public. Un concept d’exposition centré sur le loisir et le divertissement risque d’entraîner l’affaiblissement de l’élément scientifique. Un discours institutionnalisé, chargé de stéréotypes124, ne touche pas les sensibilités d’un large public, contourne les controverses et sollicite peu les visiteurs, sans générer de réticences envers l’exposition. L’authentique est surclassé par une avalanche de reproductions et reconstitutions, qui génèrent l’apparition du compromis entre la science et le divertissement, entre les chercheurs et les spécialistes de la communication. Une telle approche exagérée va entraîner certainement des problèmes de perception : la réalité va être confondue par un imaginaire fabriqué, la critique du sujet sera obsolète, le sujet de l’exposition risque d’être dénaturé. En outre, il n’y a pas de corrélation directe entre le nombre des visiteurs, le niveau de compréhension du sujet et l’impact de la visite sur le public.

Les aspects essentiels qui caractérisent les expositions contemporaines sont le plaisir et le sensationnel.

120 Froggett & Trustram (2014). 121 Leshchenko (2013), p. 159. 122 Duarte Cândido, Aidar & Conrado Martins (2013), p. 54-55 123 Drouguet (2005) 124 Drouguet (2005), p. 70-71

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Conclusions Le musée est une organisation dynamique, dont la mission est complexe et connectée aux réalités de la société contemporaine. Les expositions sont ainsi adaptées aux besoins des visiteurs et des parties prenantes. Pour le grand public, les musées sont plus attractifs que d’autres types d’offres culturelles. Malgré cela, leur visite reste peu attractive pour le public roumain. Une cause importante de ce manque d’intérêt reste la qualité inappropriée de l’offre. Il est important que les expositions répondent aux besoins du public, d’abord pour faire venir les visiteurs, ensuite pour enrichir leurs expériences. Une approche commerciale contribuera à augmenter le nombre des visiteurs et à accomplir ses missions. Le succès de l’exposition nécessite une coopération entre les diverses catégories de spécialistes, le musée et ses visiteurs. La pertinence d’une exposition appelle une flexibilisation et des compromis qui lui permettront une meilleure animation du public et l’obtention des résultats à long terme. Cette mission sera difficile à réaliser car le visiteur est influencé par plusieurs facteurs liés aux caractéristiques socioculturelles et au contexte de la visite.

L’explication interdisciplinaire et complexe du patrimoine est une technique de réalisation d’une exposition à succès. L’explication doit se rapporter au visiteur et aux autres catégories de parties prenantes. Les curateurs sont tenus de prendre en considération la valeur scientifique des collections mais aussi leur signification, leur image et leur position par rapport à la société contemporaine. Ces derniers objectifs sont plus importants que la valeur objective intrinsèque du patrimoine. Une personne visite une exposition qu’elle considère bénéfique et susceptible de répondre à ses attentes. Elle regarde, perçoit, échange et intègre le patrimoine par rapport à plusieurs facteurs objectifs ou subjectifs, selon le cas. Il ya des facteurs universellement valables, tandis que d’autres changent en fonction du contexte de la visite. Le curateur (responsable du succès de l’exposition) est dès lors confronté à de nombreux défis. La plupart sont associés au visiteur et à l’exploitation appropriée du patrimoine, une moindre part à sa perception effective. La mission du curateur est de conserver et d’étudier le patrimoine mais aussi de le populariser. Le repère central du curateur n’est pas la collection, mais paradoxalement le visiteur.

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Alexandra Zbuchea Faculté de Management, SNSPA 30A, le Boulevard de l’Exposition, secteur 1, 012104 Bucarest, Roumanie alexandra.zbuchea@facultateademanagement.ro

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