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Minia Biabiany «J’ai tué le papillon dans mon oreille» . . . . . . . . . au MAGASIN des horizons . . . . . . . . . par Louise Bernatowiez et Richard Neyroud

PAR LOUISE BERNATOWIEZ ET RICHARD NEYROUD

MINIA BIABIANY « J’AI TUÉ LE PAPILLON DANS MON OREILLE »

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Vue de l’exposition, Minia Biabiany, «J’ai tué le papillon dans mon oreille», 2020, MAGASIN des Horizons, Grenoble. Courtesy de l’artiste et du MAGASIN des Horizons © Camille Olivieri

Le titre de l’exposition «J’ai tué le papillon dans mon oreille» fait écho à la dernière phrase d’un précédent film de Minia Biabiany, Toli Toli (2018): «Les papillons provoquent la cécité quand ils soufflent dans vos oreilles». Échapper à cet état de cécité comme seule alternative pour appréhender l’histoire, en interrogeant les mécanismes d’intériorisation d’un passé commun, colonial et esclavagiste, c’est ce que fait Minia Biabiany, artiste caribéenne née à Basse-Terre. Elle soulève ces questions au MAGASIN des horizons dans une expérience du corps et de l’espace, où l’exposition devient le terrain d’explorations physiques nous plaçant dans une réalité en interconnexion avec le territoire guadeloupéen et le lieu de production des œuvres. L’usage des pratiques artisanales caribéennes rencontre ici des savoir-faire locaux, et en particulier la vannerie, avec la participation de Coralie Beltrame et de la Vannerie de Villaines. Ces traditions reposent sur la transmission, sur la répétition des gestes, dans une pratique intrinsèquement méditative.

Et il rend la révolution possible. Ki valé tousa ki owa mwen1 .

C’est dans une relation à l’histoire, et à ses zones d’ombre, que se situe l’exposition, conçue comme un espace en conscientisation, où la physicalité joue un rôle émancipateur pour les visiteur·euse·s. Il·elle·s traversent et enjambent un système de motifs géométriques faits de terre, matérialisant la trame de tissage de nasses, filets de pêche utilisés notamment dans les Caraïbes. La toile au sol redéfinit la circulation dans l’espace pour mieux approcher les éléments de sculpture, films, tressages en osier blanc, cire, cercles d’eau. La non-linéarité de nos déplacements interroge notre impact sur le sol et la terre, où chaque pas prend une dimension politique prégnante. Minia Biabiany pointe en particulier l’usage abusif de la chlordécone, insecticide employé dans les Antilles françaises durant plus de vingt ans, jusqu’en 1992, en vue de lutter contre le charançon du bananier, et ce en dépit des écosystèmes locaux et de la santé des populations. La contamination des sols a ainsi engendré une multiplication des maladies cancéreuses, des cas de prénatalité, ou encore de stérilité, tout en favorisant largement la production alimentaire métropolitaine ainsi que son marché.

Les yeux ouverts croient voir1 .

Le son insufflé par la conque de lambi, coquillage qui, transformé en moyen naturel de communication audible à des kilomètres de distance, transmet différents signaux dans l’exposition: la présence du feu, de la mort, de la rébellion. La conque est aussi la partie dénommée d’une zone située à l’intérieur du pavillon de notre oreille, caisse de résonance qui amène les ondes jusqu’à notre tympan, pour en amplifier certaines fréquences. Du minéral au corps, que faire aujourd’hui, si ce n’est ne pas oublier, se raccorder à la nature, lui revenir, actes infimes pour contrer les nuisances faites par l’homme et son utilisation à outrance de la chimie, sur ses propres terres, résultats d’importations de cultures sur des sols finalement si peu propices à leur développement.

Pensée dans le prolongement d’une œuvre réalisée au CRAC Alsace en 2019, Qui vivra verra, Qui mourra saura, l’installation au MAGASIN des horizons manifeste un espace-jardin dans lequel le corps des visiteur·euse·s se projette dans une expérience du temps et de l’espace en transformation. Qui vivra verra, Qui mourra saura se basait sur un ouvrage anthropologique du jardin guadeloupéen2, permettant d’associer la symbolique des plantes et leur situation dans le jardin selon les passages de vie, dans un espace dessiné de lignes de sel. Le traçage au sol, tout comme pour l’exposition « J’ai tué le papillon dans mon oreille», porte à focaliser l’attention sur nos pas, ralentissant notre expérience spatiale, marquant des temps d’arrêt, pour mieux voir et écouter ce qui nous entoure. Le souffle du papillon doit cesser pour rendre la révolution possible.

1 — Les textes en italique sont extraits de la vidéo Pawòl sé van (en créole «les mots sont le vent») présente au sein de l’exposition «J’ai tué le papillon dans mon oreille». 2 — Catherine Benoît, Corps, jardins, mémoires. Anthropologie du corps et de l’espace à la Guadeloupe, Paris,

CNRS Éditions/Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2000.

Vues de l’exposition, Minia Biabiany, «J’ai tué le papillon dans mon oreille», 2020, MAGASIN des Horizons, Grenoble. Courtesy de l’artiste et du MAGASIN des Horizons © Camille Olivieri

Minia Biabiany «J’ai tué le papillon dans mon oreille» MAGASIN des horizons, Grenoble 30 janvier – 26 juillet 2020

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