septembre 2006 LittĂŠratures du Canada
Edito par Pascal Thuot
Ô CANADA
u Pacifique à l’Atlantique, s’étend le Canada, grand comme 25 fois la France, plus vaste et plus sauvage que les Etats-Unis, ce pays est le plus grand d’Amérique du Nord mais possède une densité de population très faible : 31 millions d’habitants. A contrario de son puissant voisin, les EtatsUnis, l’identité canadienne ne s’est pas forgée en rejet de ses racines européennes. Ici, pas de guerre d’Indépendance, pas de soumission violente des Premières Nations amérindiennes (malgré une attitude coloniale « traditionnelle » à leur égard) mais plutôt un long processus d’émancipation où cohabitent – de la fin du XIX ème siècle aux années 60 – la montée en puissance d’un fort sentiment d’appartenance et de solides liens, tant culturels que politiques et économiques, avec la Couronne britannique pour les anglophones, et notre Hexagone pour les francophones du Québec.
Tasic… chacun de ces noms raconte une histoire, son histoire, l’Histoire de ce pays.
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Il semblait naturel qu’America, festival dédié aux cultures nord-américaines, pour sa troisième édition qui se tiendra à Vincennes les 28, 29, 30 septembre et le 1er octobre 2006, fasse la part belle à ce pays en invitant quelques 27 écrivains canadiens. Comme la librairie française ne voulait pas être en reste, les librairies indépendantes du groupement Initiales ont voulu montrer leur passion pour cette littérature en vous offrant ce dossier, fruit de notre travail de défricheurs de nouveaux talents et d’une politique de suivi des auteurs qui nous sont chers. Ainsi, se retrouvent côte à côte les grandes figures que sont Nancy Huston, Alberto Manguel ou le regretté Timothy Findley, des auteurs moins connus mais ô combien talentueux que sont Joseph Boyden, Jean Barbe, Tamas Dobozy et Jane Urquhart et des auteurs de bandes dessinées comme Dave Cooper et Jimmy Beaulieu. Que les absents nous pardonnent, mais le temps ne se dilate toujours pas pour nous permettre de faire tout ce que nous aimerions.
Le Canada est aujourd’hui l’un des pays les plus séduisants de la planète. Sa bonne santé, son dynamisme tant économique que culturel ne cesse d’attirer des immigrants venus des quatre coins du globe. Parler de multiculturalisme à son égard n’est pas un vain mot. On vient au Canada avec son mode de vie, son histoire, sa religion, autant d’éléments d’une diversité qui n’est pas pour rien dans l’exceptionnelle vitalité dont font preuves aujourd’hui les littératures canadiennes (rien de plus difficilement réductible que la production littéraire venue de ce pays !). Les patronymes de quelques écrivains parlent d’eux-même : Robertson Davies, Rohinton Mistry, Michael Ondaatje, Neil Bissoondath, Tamas Dobozy, David Albahari, Pan Bouyoucas, Timothy Findley, Robert Lalonde, Vladimir
Nous espérons que vous aurez autant de plaisir à lire ce dossier que nous avons eu à le faire, et peut-être nous croiserons-nous dans les allées du salon du livre que nous animerons en marge de ce troisième festival America, rendez-vous obligé de tous les amoureux des littératures d’Amérique du Nord. Bon voyage !
Pascal Thuot
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SOMMAIRE
Ô Canada… :
p. 2
Timothy Findley : entretien inédit :
Margaret Atwood :
p. 4
Alistair McLeod :
p. 25
David Albahari :
p. 5
Nancy Huston :
p. 26
Jean Barbe :
p. 6
Joseph Boyden :
p. 28
Les Allusifs :
p. 8
Jane Urquhart :
p. 30
Mordecai Richler :
p. 12
Michel Tremblay :
p. 31
Joseph Heath et Andrew Potter :
p. 13
Dave Cooper :
p. 32
Guy Vanderhaeghe :
p. 14
Michel Rabaglieti :
p. 33
Timothy Findley par Alberto Manguel :
p. 15
Jimmy Beaulieu :
p. 34
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p. 19
Lady Margaret par Aude Samarut
Margaret Atwood
ée en 1939 à Ottawa dans la province de l’Ontario, Margaret Atwood est l’une des plus importantes figures de la littérature canadienne contemporaine. Depuis la publication de Double Persephone, un recueil de poèmes en 1961, elle s’est rapidement imposée comme un auteur polyvalent et engagé dans la vie littéraire canadienne. Dès ses premiers romans, La femme comestible (1969), Faire
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surface (1972), Lady Oracle (1976), Margaret Atwood se révèle être sensible à la cause des femmes, dès lors elle sera étiquetée écrivain « féministe » ce qui est bien réducteur au regard de la richesse de son œuvre. C’est grâce à La Servante écarlate (1985) qu’elle obtient, en plus du prix du Gouverneur général du Canada, une reconnaissance cri-
tique et publique hors des frontières de son pays natal. Dans une société dominée par les hommes, où les femmes ne sont pas considérées et où la parole leur est interdite, ce roman d’anticipation dépeint la vie d’Offred, une des rares femmes dont les ovaires n’ont pas été abîmés par les dommages environnementaux et qui sert de mère-porteuse. Bien qu’effrayant, ce monde sclérosé ne nous paraît pas si improbable parce que cette dénonciation des fondamentalismes est pleine d’ironie et de finesse. Avec La Voleuse d’hommes (1993), Captive (1996) ou Le Tueur aveugle (2000), Margaret Atwood prouve qu’elle est un auteur incontournable. Ces romans (certains aux constructions complexes) dépeignent des personnages dont les difficultés principales proviennent de leurs relations aux autres ou des problèmes sociaux. En plus de son style, la force de Margaret Atwood est de mettre en scène des situations qui répondent aux questions que nous nous posons tous, il y a une résonance particulière qui nous touche. Son dernier roman paru en français Le Dernier homme (2003) est un roman d’anticipation particulièrement inquiétant où Snowman, le dernier homme, erre dans un monde dévasté à la recherche de moyens de subsistance. Il se souvient de
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son enfance dans un environnement matériel hyper-sécurisé, de sa rencontre avec Crake et Oryx, de leurs parcours jusqu’à l’âge adulte et au moment où le triangle amoureux tourne mal. Une fois encore Margaret Atwood démontre son talent de conteuse. Elle est aussi l’auteur de nombreux recueils de nouvelles et de poésie, d’essais (dont Essai sur la littérature canadienne qui lui a valu de nombreux détracteurs lors de sa publication) et de critiques, de livres pour la jeunesse. Elle a reçu de nombreux prix et a milité activement au sein d’Amnesty International ou du PEN club international. Aude Samarut, Le merle moqueur, Paris 20ème.
Bibliographie : Le Dernier homme, éd. Robert Laffont, 2005 Lady Oracle, Autrement, 1997, LGF, 2005 La Servante écarlate, éd. Robert Laffont, 2005 La Voleuse d’hommes, éd. Robert Laffont, 1994 ; 10/18 2005 Le Tueur aveugle, éd. Robert Laffont 2002 ; 10/18 2003 Captive, éd. Robert Laffont 1998 ; 10/18 2003
D’ailleurs, au Canada par Géraldine Chognard
David Albahari Globe trotter David Albahari Gallimard, coll. « du monde entier » Traduit du serbo-croate par Gojko Lukic et Gabriel Iaculli
omme d’autres invités du festival America, David Albahari ne réside au Canada que depuis une dizaine d’années : il vient d’un pays, la Yougoslavie, qui comme tel, n’existe plus, une terre natale qu’il a choisi de quitter au moment où l’enflammait de nouveau la fièvre nationaliste. Né à Pec en 1948, David Albahari passe sa jeunesse près de Belgrade, publie ses premiers textes dès les années 70 et devient l’un des auteurs yougoslaves les plus importants, un novelliste réputé, qui ne cache pas son admiration pour d’autres écrivains comme Thomas Bernhard ou Danilo Kis, son aîné et compatriote. C’est avec ses textes « canadiens », publiés chez Gallimard que le public français a récemment pu découvrir son oeuvre : L’homme de février, L’appât et dernièrement Globe-trotter constituent chacun à leur manière des tentatives pour réunir les fils d’une identité problématique, que son destin d’exilé rend plus complexe encore. Ces romans sont écrits dans sa langue maternelle, le serbo-croate, langue dans laquelle il a par ailleurs traduit quelques-uns des plus grands auteurs américains : Atwood, Bellow, Naipaul, Pynchon, Singer, Updike. David Albahari se situe ainsi au coeur du passionnant jeu de miroirs entre Europe et Amérique. L’intrigue de Globe-trotter est à cet égard emblématique : un peintre, le narrateur, et un écrivain juif belgradois, Daniel Atias, sont en résidence sur le campus de Banff, petite ville des Rocheuses canadiennes. Une étrange relation se noue entre ces deux solitaires : le narrateur recherche obstinément la compagnie de Daniel Atias, le guide à travers la ville, jusqu’au musée d’histoire naturelle dont le livre d’or révèle l’énigmatique passage dans les années 20 d’un certain Ivan Matulic, un croate. Cette signature intrigue Daniel Atias, et le conduit sur les traces du petit fils de Matulic, qui vit à Calgary. Le narrateur va être le témoin des tensions croissantes entre ces hommes, qui tous deux savent que leurs racines plongent dans une Europe déchirée par la haine et la guerre. Au-delà de la problématique identitaire, évidemment centrale, David Albahari évoque avec subtilité et pudeur la fascination qu’exerce le visage de Daniel Atias sur le nar-
rateur, cette forme indéfinie de désir qui le tourmente, et lui inspire des sentiments troubles. L’écriture assume impeccablement l’héritage du grand autrichien Thomas Bernhard : une prose rythmée comme le souffle, qui se prête particulièrement bien aux ruminations de son personnage. Le narrateur rapporte ses conversations avec Daniel Atias, se montre tour à tour hésitant, rageur ou sentencieux, s’enferme dans des obsessions abstraites, des spéculations intellectuelles, est finalement rattrapé par l’intensité inexorable de ses sentiments : joies, peines et jalousies. Globe-trotter est un roman atmosphérique, pauvre en événements, qui donne une dimension importante au paysage, aux lieux : déambulations dans la ville de Banff, décor étrange, incongru mélange de nature et d’urbanité, où le promeneur peut à tout instant trébucher sur un wapiti couché en travers d’une rue, déjeuners au restaurant du campus, cocktails entre artistes et universitaires. Deux hommes des plaines, le peintre et l’écrivain, se retrouvent par hasard ensemble à la montagne : cette appartenance signe une proximité possible entre eux. Daniel Atias et le petit fils d’Ivan Matulic viennent du même pays : leur face à face fait écho aux guerres qui l’ont déchiré. David Albahari rappelle avec ce livre qu’une terre et l’histoire de ses hommes sont les composantes indissociables de l’identité ; vouloir échapper à la question : « d’où êtes vous ? » est illusoire. Un roman sombre, qui laisse perplexe, et inquiet. © J. Sassier
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Géraldine Chognard, librairie Millepages, Vincennes 5
Des fleurs dans le désert par Didier Jouanneau
Jean Barbe Comment devenir un ange Jean Barbe Leméac/Actes Sud
trange personnage que ce Victor Lazarre qui se paie le luxe de disparaître dès les premières pages du livre qui lui est consacré ! Du coup on va passer un certain temps à essayer d’en savoir plus sur le bonhomme entouré d’une aura mystico-charlatanesque, de silence et de pseudonymes à la Pessoa, Victor Lazarre, dont la principale qualité n’est pas de parler ni de juger mais d’écouter. Il vous regarde intensément et votre vie s’en trouve changée, modifiée à un point tel que toute personne qui vit cet instant-là éprouve forcement à son tour le besoin de transformer Victor Lazarre en autre chose que ce qu’il est vraiment. Tous lui accordent un nouvel état, comme si son statut d’homme ordinaire ne suffisait plus, devenait une gangue trop étroite. Ils l’appellent alors guide suprême, entité luminescente, titres qu’ils lui confèrent avec ou sans son accord, le plus souvent sans.
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Cependant, l’auteur de ces lignes n’apprécie guère les bondieuseries, ne va pas à la messe, n’a que peu de patience avec les gourous pailletés et encore moins de sympathie pour les miraculés et les faiseurs de miracles du genre Paolo Coelho, et seule une immense nausée lui évite d’évoquer l’indispensable décorum qui accompagne ces séances avec des spirites le plus souvent en panne de réel ou de liquidités. Mais heureusement, dans Comment devenir un ange, il n’est pas question de tout ceci. Jean Barbe écrit d’abord et essentiellement sur la flétrissure du temps, les blessures, les vilénies faites aux autres et à soi6
même, des tromperies sordides et du manque de courage, de la veulerie, de l’absurde mais puissante envie d’être toujours le plus fort ou, selon les jours, de se sentir le plus misérable, le plus bête. De la crânerie « […] des petits machos qui, à dix-sept ans, pensaient avoir tout compris. Et sans doute avaient-ils raison puisque, dans soixante ans, ils n’en sauraient pas plus. » Et Paul Lazarre dans tout ça, que fait-il ? Rien. Il écoute. Ce livre parle de la position inaltérable de ceux qui de manière générale sont contre l’avortement et pour la peine de mort et vice-versa. Il sourit. On y lit l’engeance d’une époque qui sautille entre les atrocités du Rwanda et celles du Kosovo, ce monde qui bégaye « […] sans cesse sur la même syllabe. » « Combien de fois peut-on écrire sur la vénalité des classes dirigeantes avant de sombrer sur le fatalisme, combien de fois peut-on dénoncer l’inculture de notre ère avant de finir par comprendre que c’est la culture qui n’y a pas sa place ? » Il est disponible. « Ainsi notre époque ne pourchassait-elle plus les juifs, les homosexuels et les gitans, mais tous ceux et celles qui, à l’intérieur de chaque groupe, ne correspondaient pas au modèle proposé, tous ceux et celles à qui il arrivait de douter. Tous ceux et celles qui ne croyaient pas assez. Le fascisme capitaliste avait emprunté aux religions le mécanisme du crois ou meurs. Si le catholicisme et les religions protestantes ne semblaient pas s’en offusquer, d’autres religions ne s’y trompaient pas. Les musulmans, par exemple, savaient très bien qu’une bouteille de coca-cola n’était pas une boisson désaltérante, mais un outil de propagande destiné à les convertir. » Dans toute cette énumération de malheurs, dans cette liste sans fin de drames humains, d’horreurs
forcément sans noms, il y a Paul Lazarre. « Mais qu’est-ce qu’il fait au juste ? » Encore une fois, « Rien de spécial. Il écoute. Il sourit. Il est disponible. » « Quand ils étaient petits, mes garçons me disaient : nous allons toujours habiter ensemble ! Aujourd’hui, ils ont des choses à faire, et moi je ne suis qu’une arrière pensée, au mieux un sentiment de culpabilité. » Puis vient ce fameux jour où François, le narrateur, chargé de raconter la vie de Paul Lazarre sait que plus rien ne sera comme avant, que son tour est arrivé, que son expérience doit être racontée. il revoit Paul Lazarre, oreille dressée, visage épanoui, attendant les paroles des uns et des autres : « Je pleurais parce que je savais avec une certitude absolue que ce vol de quelques mètres était une réalité, mais une réalité qui appartenait à un autre plan de l’existence que celui auquel j’avais, jusqu’ici, appartenu. Et je pleurais parce que je savais que je ne pourrais jamais partager cette certitude avec quiconque, car il n’y avait pas de mots pour la décrire. Je devais dorénavant la porter en moi comme un secret, à la fois lourd et léger. Je savais que ce secret allait me changer. Il était temps. J’appelais ce changement. » A vous de voir, à vous de croire… Mais il vous reste quand même à découvrir toutes ces fleurs dans le désert que sont Marie, Provençal, Fred, François et Patrick sans oublier Robert qui lit « en fronçant les sourcils un livre de R. Penn Warren que je lui avais prêté. Les constants va-et-vient dans le temps le laissaient perplexe. - Tu n’es pas obligé de le lire, lui avais-je dit. - Je ne suis pas obligé de comprendre, avait-il répondu. Quand je suis perdu, je me laisse porter par le courant. Ca m’amène toujours quelque part. » Jean Barbe ne fait pas de nous des anges, cela serait bien triste. Mais si grâce à lui s’opère une certaine réconciliation avec nos monstres intérieurs, acceptons-le, laissons-nous pousser quelques ailes sinon de désir du moins de Liberté, non ? Didier Jouanneau, Le bruit des mots, Meaux
Explicites allusifs par Pascal Thuot
Brigitte Bouchard Cette petite maison montréalaise nous épate. Avec peu de moyens et l’Atlantique à enjamber, elle travaille à imposer au lectorat français des auteurs tels que le québécois Sylvain Trudel, le serbe Vladimir Tasic ou encore le mexicain Fabrizio Mejía Madrid. Soucieuse de qualité et d’engagement littéraire, Brigitte Bouchard, sa fondatrice, peut aujourd’hui s’enorgueillir d’un catalogue riche d’une bonne quarantaine de titres, résolument ouverts à la polyphonie mondiale. Fictions courtes et souvent d’une belle densité, leur format et une maquette reconnaissables entre tous, ne sont pas sans rappeler les grandes heures de la collection « Chemins » animée jadis par Maurice Nadeau aux éditions Denoël. Rencontre avec une éditrice dont la sympathie n’a d’égal que le talent. Quand et pourquoi avez-vous fondé votre maison d’édition ? J’ai fondé ma maison d’édition en 2001, guidée par la frustration doublée d’une bonne dose d’insouciance. Je ne voulais plus être tributaire des décisions d’autrui, et de plus, je n’aime pas les regrets et les « si j’avais… ». Alors, j’ai décidé de me lancer dans cette aventure et même si j’avais une expérience de vingt ans derrière moi, je ne savais pas à quel point la route serait semée d’obstacles. J’allais d’une certaine façon vers quelque chose de nouveau et vu sous cet angle, surgissait en moi l’énergie nécessaire pour concrétiser ce projet d’édition. Lorsque m’est venue l’idée de mettre en avant les romans courts et d’ouvrir d’emblée à la littérature mondiale, tout s’est mis en place naturellement. Ces deux lignes enchevêtrées avaient un sens. Les Allusifs est un nom qui laisse rêveur, quel sens lui donnez-vous ? Ce n’est pas identifiable, c’est un ensemble de suggestions où s’entrecroisent des perceptions : l’allusion plutôt que la description où peuvent se multiplier les possibilités d’éclosions, de réflexions et le plaisir que suscite la littérature. Je mets ainsi en avant le genre littéraire que je publie : les romans courts, allusifs.
L’intérêt de la littérature repose sur deux temps totalement indépendants l’un de l’autre, c’est-à-dire qu’il ne se réduit pas seulement au temps et au plaisir de la lecture, aussi grand ce dernier soit-il, mais qu’il est également constitué du temps d’après le livre, du temps de la pensée induite par la lecture, du temps fait de l’avalanche des mots non écrits et qui se précipitent soudain dans l’esprit entre les mots que l’on se souvient avoir lus.
en France ?
Les textes que vous publiez viennent d’horizons différents, vous avez dit à leur propos vouloir « réunir leur singularité sous un même toit », pouvez-vous nous en dire plus ?
Vivre à Montréal est-il un handicap lorsque on est très présent sur le marché français ?
Je recherche des voix fortes et singulières. J’aime bien avoir le sentiment d’une révélation lorsque je découvre un auteur, être déstabilisée. J’évite les textes édulcorés, consensuels. Pas d’autoroute. Je doute toujours et il n’y aucun calcul derrière mes choix éditoriaux. La réunion des auteurs piochés à même le vivier mondial réside dans cette aptitude à me perdre sur des chemins de traverse. Il me semble ainsi que les possibilités sont sans limites. Comment percevez-vous l’accueil public et critique qui vous a été fait
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Formidable. Mais le défi est de durer et c’est difficile car il y a un gros trafic. Je n’ai pas d’artillerie lourde à déployer pour faire découvrir un auteur, je n’ai que ma propre volonté et j’ai le devoir de donner la vie à un texte dans lequel je me suis engagée, de tenir mon rôle de passeur. J’ai la chance d’être appuyée par une équipe compétente qui croit en la littérature.
Un handicap non, sauf que ça exige un entraînement de marathonien pour suivre le marché sur deux continents. Sans le marché français, où les ventes sont les plus importantes, les éditions les Allusifs n’existeraient plus. Les Allusifs est la première maison d’édition québécoise qui a pignon sur rue en France. Ceci dit, j’adore vivre à Montréal, mais il y a un manque d’ouverture vis à vis de la littérature étrangère au Québec. Il faut souligner que la population n’est pas aussi importante qu’en France pour soutenir substantiellement une maison d’édition comme la mienne qui doit s’appuyer sur ses ventes et non sur les aides gouvernementales.
Quel regard portez-vous sur le paysage littéraire canadien ? D’emblée, la formulation englobe deux entités bien distinctes, le Québec et le Canada, et deux marchés bien différents, l’anglophone et le francophone. Les lignes directrices des programmes gouvernementaux ont fortement encouragé les publications d’œuvres québécoises et canadiennes, et malheureusement il est aujourd’hui bien difficile pour un lecteur de s’y retrouver dans cette surproduction. Ce fait profite sans doute à quelques marchands, et peut-être aux gouvernements, mais quelle est l’influence réelle hors de nos frontières ? Pourtant, une littérature forte ne peut advenir que sous l’égide d’une politique éditoriale exigeante, sévère, et non pas dans un milieu qui favorise complaisamment la surproduction artificielle d’œuvres « nationales ». Les liens qui m’attachent à cette littérature canadienne sont toutefois très forts et j’aime bien
découvrir des textes oubliés d’auteurs canadiens anglais, comme ce fût le cas avec le roman Nulle douleur comme ce corps de l’auteur canadien Harold Sonny Ladoo publié pour la première fois en anglais en 1972.
la langue française est de plus en plus menacée, mais peut-être plus que les événements eux-mêmes. Car les écrivains canadiens francophones ont exprimé toute la gamme des sentiments, des plus tendres aux plus violents pour conserver le français. La Francophonie est-elle devenue un thème ? Doit-on se rassurer que la France s’exclue de la francophonie ? On traque le francophone en 2006 pour se rassurer d’une gloriole du fait français dans le monde ou pour nous dire que nous sommes une espèce en voie de disparition ? Je publie des auteurs du monde entier, parce que la littérature est sans frontière et mon intérêt premier est la qualité d’un texte littéraire, d’une voix singulière, peu importe la langue d’origine. Certes, il y a un intérêt marqué au Québec pour ses auteurs et les auteurs français, mais ici s’arrête la curiosité face aux auteurs francophones.
La Francophonie – mise à l’honneur cette année au Salon du Livre de Paris – a t’elle encore un sens pour vous ?
Votre plus belle rencontre littéraire ?
J’ai la détestation des ghettos et La Francophonie à l’honneur me fait dire que nous sommes isolés et que nous vivons un peu plus chaque jour dans une enclave américaine. Sommes-nous sous un respirateur artificiel ? Les faits les plus déterminants d’une réalité sociale démontrent assurément que l’anglais prend un peu plus chaque jour du terrain auprès des jeunes à l’école, qu’il y a un désistement de nos dirigeants au pouvoir pour maintenir un enseignement en français de qualité. Le constat semble implacable :
Un livre que vous aimeriez nous faire lire…
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L’écrivain originaire du Honduras Horacío Castellanos Moya dont je publie ces jours-ci, Déraison. Je suis si enthousiaste sur cet auteur que je me suis engagée totalement en achetant toute son œuvre disponible.
La mer de la Tranquillité de Sylvain Trudel. Propos recueillis par Pascal Thuot
Géraldine Chognard
Jean-François Beauchemin Le jour des corneilles Jean-François Beauchemin Les Allusifs
© P. Beauchemin
Un homme et son fils vivent seuls, en autarcie, dans les profondeurs d’une forêt. Depuis la disparition de la mère, morte en couches, tous deux sont visités par des sortes de fantômes : des « gens » tourmentent le père que son délire rend violent, alors que le fils voit les morts à ses côtés, sans s’effrayer de cette faculté qu’il croit partagée par tous. Cet enfant élevé dans la fureur paternelle découvre dans l’amour que lui inspire une jeune fille, la possibilité de sentiments plus doux. Le garçon s’invente une langue hybride, matinée d’archaïsmes, pour dire sa quête d’une affection qu’il imagine malgré tout enfouie dans le cœur de son père : un chant vibrant et mystérieux surgit, du fond d’une geôle où l’a conduit un geste meurtrier emprunt d’espoir et de vengeance.
Pascal Thuot
Pan Bouyoucas L’homme qui voulait boire la mer Pan Bouyoucas Les Allusifs Traduit de l’anglais par Daniel Poliquin
Lukas est prospère. A Montréal, son restaurant de poisson est une adresse prisée qui offre à cet immigré grec de longue date, une position enviable dans la belle société locale. Seulement voilà, à 58 ans, il n’est pas parvenu à faire le deuil de sa grande histoire d’amour adolescente potentielle avec une petite bombe méditerranéenne nommée Zéphira. Perturbé au-delà de l’admissible il pense, à l’instar des anciens grecs, que les rêves permettent de rencontrer les morts afin d’obtenir leur pardon. Ainsi, un soir de grand froid, il prend (pour la première fois de sa vie) un somnifère et s’endort dans sa voiture rangée au garage. Commence pour notre pseudo-Ulysse au cœur gros (et pour le lecteur) une odyssée on ne peut plus onirique où l’on verra que se faire pardonner par une amoureuse déçue n’est pas une mince affaire ! L’homme qui voulait boire la mer est, comme semble l’indiquer son titre, un texte ambitieux où se mêlent des souvenirs d’enfance (ses racines sont sur l’île de Léros), des éléments de mythologie grecque, du Freud et du Jung subtilement détournés, des fantasmes en pagaille où se croisent Marylin Monroe et Benito Mussolini. Pan Bouyoucas ose, se bat avec les limites de la fiction pour mieux les dépasser, et le livre rêvé devient un livre passionnant et follement original.
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Pascal Thuot
Tamas Dobozy Les Dernières notes Tamas Dobozy Les Allusifs
© Peter paterson
A l’heure où j’écris ces mots, seules cinq nouvelles de Tamas Dobozy sont traduites. D’aucun dirait que c’est insuffisant pour juger de la tenue d’un recueil qui est appelé à en contenir dix. Il n’en reste pas moins que chacun de ces textes fait mouche. Voyez plutôt : un vieil hongrois s’est tant et si bien convaincu qu’il a été résistant et martyr du fascisme qu’il bat en brèche la vérité forcement plus trouble et complexe (Récits de la résistance hongroise); un couple choisit de régler ses soucis conjugaux en montant sur un ring pour se boxer avec une férocité animale (Dans le ring), ou encore, un facteur arrondit ses fins de mois en vendant sous le manteau du courrier qui n’a pas trouvé de destinataire (Lettres mortes). Oscillant sans cesse entre une forme d’humour désespéré très efficace et une gravité où se lisent les fêlures profondes du déracinement, de la solitude et le poids inquiétant de l’Histoire, Tamas Dobozy convainc grâce à la finesse de son écriture mise au service d’une parole sans esbroufe. A coup sûr, l’une des belles découvertes de l’édition 2006 du Festival America.
Pascal Thuot
Sylvain Trudel
En 2001, les éditions des Allusifs nous faisaient découvrir Du mercure sous la langue, un roman impressionnant de justesse construit autour de l’agonie d’un ado cancéreux, commis par un certain Sylvain Trudel, célèbre au Québec pour ses textes dédiés à la jeunesse (éditions de La Courte Echelle) et un premier roman, Le souffle de l’Harmattan (repris aux Allusifs), publié à l’âge de 16 ans. Cette année et quelques livres plus tard, il continue son œuvre de « poète métastase » avec ce recueil de nouvelles qui, à contrario du titre, est tout sauf tranquille. Sylvain Trudel nous introduit à l’humanité dénudée jusqu’à l’os. Maille à l’envers, maille à l’endroit, l’auteur reprise un patchwork québécois soumis à rude épreuve. Le pays a beau être immense, on y étouffe comme partout ailleurs. Surgissent de ces pages écorchées vives des faciès qu’on imagine tordus comme dans les toiles d’Otto Dix et des perspectives nauséeuses vues chez Munch : « il fallait tout de même traverser des parkings vastes comme des maladies mentales pour atteindre les hypermarchés ligotés d’autoroutes. » Les personnages de Sylvain Trudel se racontent à la première personne : existences menacées d’auto-combustion, violentées par une religion catholique courroucée, idolâtre et loqueteuse. Souffrants d’avoir mal digéré les Evangiles, on les sent coincés entre une piété inepte et une modernité bidon. Sylvain Trudel n’appartient pas à la veine des écrivains chichiteux. L’œil mouillé n’est pas son genre. Il est plutôt de ceux qui ruent dans les brancards. Il fulmine tant et si bien que la distance de sécurité qui sépare l’écrivain du lecteur a tendance à s’abolir sous le poids des mots. Le féroce appétit de Sylvain Trudel n’est rien moins que contagieux surtout quand un humour des plus rugueux vient poncer les angles aigus de son univers : « quand j’aurai sauvé de la lapidation ma première femme adultère, tout ira mieux… » Qui vivra, verra.
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© Marie-Reine Mattera
La mer de la tranquillité Sylvain Trudel Les Allusifs
Une vie gâchée vaut bien une comédie par Julien de la Panneterie
Mordecai Richler Le Monde de Barney Mordecai Richler Albin Michel, coll. Les grandes traductions Traduit de l’anglais par Bertrand Cohen
« Rien ne me semble plus délectable qu’une biographie qui permet de révéler nos « vrais grands » sous un jour peu favorable, qui établit que l’objet de notre admiration n’était en réalité qu’une sous-merde. » Barney Panofsky, Le Monde de Barney, p. 369
eci - Le Monde de Barney est une tentative d’autobiographie, c’est-à-dire une version de la vie débraillée de Barney Panofsky fortune faisant par Barney Panofsky fortune faite, ou bien les mémoires imprévi-
© Jerry Bauer
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sibles (et donc accompagnées de notes et d’une postface de Michael Panofsky, fils) d’un vieux schmoque calomnié qui prolonge ses vieux jours avec des morceaux de sa vie passée. Ces Mémoires d’un ruffian-montréalais-juif-inculpé contiennent l’une des plus merveilleuses collections de sujets d’affliction jamais lue, des « pro-
pos de tables » hilarants servis sur et sous la table, des cajoleries, des supplications, des menaces, différents séjours parisiens, une correspondance on ne peut plus caustique, des passions profanes (hockey, claquettes, littérature, alcool, cigare…) et une passion sacrée : Miriam, l’adorable troisième femme de Barney, la seule, l’unique, envolée. Ajoutons qu’avant d’être réduit par la maladie (qui finira par dire son nom) à un état quasi végétatif, le vraigrand-Barney-Panofsky-la-sousmerde est resté fidèle aux trois principes, deux intimes convictions et un enseignement que voici : 3/ Ni armes, ni drogues, ni produits diététiques, 2/ la vie est absurde et personne ne peut vraiment comprendre autrui, 1/ « …il ne faut jamais dire la vérité. Dans la difficulté, mentez comme un arracheur de dents. Tout au long du gâchis qu’a été ma vie, je me suis tiré d’une foule de pétrins grâce au secours de mensonges petits ou grands, ou énormes. La première fois où j’ai dit la vérité, cela m’a conduit à une inculpation de meurtre. La seconde m’a volé mon bonheur. »
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Au rayon qui vaut ce qu’il vaut des ressemblances honnêtes, citons Saul Bellow et son Moses Herzog, victime de lui-même, Charles Bukowski et son : « les robinets qui fuient, les pets qu’on lâche pendant l’étreinte, les pneus qui éclatent - voilà qui est plus triste que la mort. », et toutes les superbes grandes gueules juives des récits d’Odessa d’Isaac Babel. Et une définition, proposée par l’extraordinaire écrivain argentin Macedonio Fernandéz ; « Qu’est ce qu’un humoriste ? Le seul métier qui respecte le Temps légitime des oisifs : il le tue. Quelle délicate charité et que d’égards. » Mordecai Richler, vrai grand écrivain, vrai grand criminel, et polémiste - plus ou moins merdique selon chacun des Québécois - s’est éteint à Montréal en juillet 2001, Le Monde de Barney, son dernier roman, a obtenu la Stephen Leacock Memorial Medal for Humour, le QSPELL Award et le Giller Prize, ce qui représente en clair un nombre incalculable de rires. Julien de la Panneterie, librairie Millepages, Vincennes
Situation de la révolte par Sandra Bessière
Joseph Heath et Andrew Potter Le mythe de la contre-culture Joseph Heath et Andrew Potter Naïve traduit de l’anglais par Michel Saint-Germain et Elise de Bellefeuille
ans les années soixante, les mouvements contre-culturels issus de l’Internationale Situationniste affirment que nous vivons tous dans une société de spectacle où toute expérience humaine authentique est récupérée par le capitalisme. Toute la société est fondée sur l’illusion, le spectacle, la seule façon utile de lutter étant de rejeter en bloc tout le système, de faire du brouillage culturel. Heath et Potter prennent le contrepied de cette vision romantique du monde. Selon eux nous ne vivons pas dans le spectacle, le monde est beaucoup plus prosaïque. Le « système » n’existe pas. « Il n’y a qu’un fatras d’institutions sociales provisoirement réunies par le hasard qui distribuent les bienfaits et les fardeaux de la coopération sociale de façons que nous trouvons parfois juste mais qui en général sont manifestement inéquitables. » Dans ce genre de monde, la rébellion contre-culturelle n’est pas seulement inutile, elle est carrément contre-productive « Elle détourne une part de l’énergie et des efforts qui pourraient être consacrés a des initiatives permettant d’améliorer concrètement la vie des gens mais elle encourage aussi le mépris systématique à l’égard de ces changements progressifs. » D’autre part, les auteurs affirment
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qu’il n’y a jamais eu de contradiction entre la rébellion contre-culturelle des années soixante et les fondements du capitalisme. Ils vont même plus loin « Au cours des quarante dernières années la critique de la société de masse a été l’un des moteurs les plus puissants de la société de consommation. » Heath et Potter, en excellents pédagogues, illustrent leur pensée de nombreux exemples accessibles et souvent drôles. C’est un livre piquant qui propose une vraie réflexion sur le radicalisme des mouvements contre-cultu-
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rels et sur ses conséquences dans une démocratie. Mais c’est aussi un livre d’économie et de politique. Ces deux-là ont une vision différente de la politique, une vision humaniste certes, mais moins manichéenne que celle qui est souvent de mise en France. Cela donne une vraie dynamique à leur réflexion et on ne peut s’empêcher d’être enthousiaste.
Sandra Bessière, Millepages, Vincennes
Au-delà du western par Pascal Thuot
Guy Vanderhaeghe La dernière traversée Guy Vanderhaeghe Albin Michel, coll. Terres d’Amérique Traduit de l’anglais par Michel Lederer www.terresdamerique.fr
nnie Proulx, l’auteur de Nœuds et dénouements (Grasset et Rivages Poche) et du désormais fameux Brokeback Mountain (Grasset), récemment adapté au cinéma de la meilleure manière qui soit par Ang Lee, ne s’y trompe pas, son flair de grande lectrice a succombé aux muscs puissants du roman de Guy Vanderhaeghe. Il faut dire que cet écrivain vivant à Saskatoon dans le Saskatchewan, jouit d’une fameuse aura en Amérique du Nord et dans de nombreux pays de part le monde. Heureux lecteurs français qui ne le connaissez pas encore ! Ce texte charnu laissera en vous une empreinte aussi profonde que les sillons creusés par les roues de chariots sur les pistes du grand ouest américain.
expédition. Que ce soit le fascinant Jerry Potts, métis indien taciturne, Custis Straw, le vétéran marqué à jamais par la guerre de Sécession ou encore la farouche Lucie Stowaell guidée par une soif inextinguible de vengeance, tous portent en eux une histoire inavouable, tassée au fond de leur cœur écorché vif. Le choix fait par Guy Vanderhaeghe pour sa narration est à la hauteur du défi qu’il s’est fixé. Pour que nous puissions vivre cette aventure à multiples rebondissements de l’intérieur, le romancier s’est glissé dans la peau de chacun de ses personnages, s’exprimant avec leurs mots, leurs émotions.
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© Margareth Vanderhaeghe
C’est donc un voyage double auquel nous convie l’auteur : un voyage intérieur, subtilement intimiste, qui nous entraîne jusqu’aux tréfonds de ces âmes torturées, et un voyage géographique et historique où Guy Vanderhaeghe nous invite à contourner la superficialité de l’évènementiel (auquel on peut faire dire tout et son contraire) pour nous inciter à nous pencher sur la page restée trop souvent blanche de l’Histoire des humbles, des anonymes. Un thème domine toutefois La dernière traversée, celui de la rencontre impossible entre la civilisation occidentale importée d’Europe et la mosaïque de nations indiennes, dont l’éradication brutale est constitutive de la construction du Nouveau Monde. Heureuse manière de transcender le western, genre auquel on ne peut en aucun cas réduire ce roman.
En 1871, le jeune Simon Gaunt disparaît dans les territoires sauvages du Nord-Ouest. Son père, richissime aristocrate anglais somme ses deux autres fils – Charles, un peintre sans réel talent et Addington, sorte de soldat d’opérette sombre et autoritaire – de retrouver Simon coûte que coûte. Leurs certitudes, leur raffinement (délicieusement mis en scène par Guy Vanderhaeghe) seront mis à mal par la crudité de l’Ouest : des hommes et des femmes façonnés par ce monde dépourvu de douceur, brutal par essence, anarchique. Choc frontal entre la vieille Europe guindée et le nouveau monde débordant de sève. Le tour de force de l’auteur consiste à nous faire partager la vie de chacun des personnages qui prend part à cette
Il serait injuste de refermer cette chronique sans saluer l’impeccable travail de traduction de Michel Lederer qui a, dans l’ombre et avec la complicité de l’éditeur, largement contribué à faire de ce roman époustouflant l’une des meilleures surprises de l’année dans la catégorie littérature étrangère. Pascal Thuot, Millepages, Vincennes.
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Le Grand Elysium Hotel de Timothy Findley
Par Alberto Manguel En octobre paraîtra un nouveau livre du maestro Alberto Manguel chez Actes Sud, La bibliothèque, la nuit. Perspective ô combien réjouissante lorsque l’on songe à la trajectoire intellectuelle de ce grand cosmopolite natif de Buenos Aires, devenu citoyen canadien en 1985. Romancier, essayiste, traducteur, directeur de collection, celui qui fit la lecture à Borges possède un appétit livresque digne d’un ogre. L’amitié et l’admiration sont les deux composants principaux du ciment qui unissait Timothy Findley et Alberto Manguel. Lorsque nous avons fait part à ce dernier de notre volonté de rendre hommage à l’auteur de Pilgrim (Le Serpent à Plumes) disparu en 2002, il nous a offert – avec la complicité des éditions Actes Sud pour la traduction française – ce texte pénétrant, fruit d’une lecture profonde et d’une culture phénoménale, sur l’un des plus grands romans de Timothy Findley, Le Grand Elyseum Hotel. Q : Pourquoi faut-il toujours que nous déguisions la vérité en fiction ? R : La moindre porte ouverte la vérité s’y glisse. Timothy Findley, Inside Memory
’Histoire, selon Timothy Findley, ce n’est pas ce qu’on nous raconte, mais ce que nous, nous racontons. Nous créons la chronique de notre passé grâce aux mots, et c’est pourquoi l’Histoire profite de toutes les conquêtes et tombe dans tous les pièges de la littérature. Parmi la colossale marée de dates, noms, personnages, évé-
© Simo Neri
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nements, heurs et malheurs, qui s’abat sur notre présent, nous choisissons ce dont nous avons besoin pour tisser un récit, avec l’espoir
qu’un début, un milieu et une fin rendront cette marée cohérente. Comme le Dieu de la Bible, nous créons la réalité par le verbe. Nous inventons des explications à notre passé, puis nous déclarons : « Voilà ce qui est arrivé. » « Ce qui est arrivé », dans Le Grand Elysium Hotel, c’est la guerre. « Une guerre, indique le narrateur de Findley, n’est qu’un bruit – une puanteur de mort – un champ de ruines, vaste ou réduit - et un sujet de lamentation… Une guerre n’est rien d’autre qu’un lieu où nous avons été exilés de nos rêves les meilleurs. » Par conséquent, l’histoire est une histoire d’exil, l’histoire d’hommes et de femmes perdus en un lieu de cauchemar où ils se meuvent, dociles, sans comprendre le but ou la destination de leurs mouvements. « Je ne savais pas bien comment m’y prendre pour raconter cette histoire », avoue-t-il dans Inside Memory, un livre publié en 1990 qui rassemble des passages de son journal, « jusqu’à ce que je me rende compte qu’Homère, lui, aurait considéré que ce n’était pas seulement l’histoire d’hommes et de femmes, 15
Bibliographie d’A. Manguel : La porte d’ivoire, Boréal, 1991 Dernières nouvelles d’une terre abandonnée, Actes Sud, 1998 Une histoire de la lecture, Actes Sud, 1998 (Prix Médicis de l’essai) Dictionnaire des lieux imaginaires, Actes Sud, 1998 La bibliothèque de Robinson, Lemeac, 2000 Dans la forêt du miroir, Actes Sud, 2000 Le livre d’images, Actes Sud/Lemeac, 2001 Stevenson sous les palmiers, Actes Sud, 2001 Chez Borges, Actes Sud, 2003 Journal d’un lecteur, Actes Sud, 2004 Kipling, une brève biographie, Actes Sud, 2004 La bibliothèque, la nuit, Actes Sud, 2006 Le Grand Elysium Hotel de Timothy Findley par Alberto Manguel
mais aussi celle des dieux auxquels ces hommes et ces femmes sont soumis ; et que convoquer des icônes m’aiderait à mieux la raconter. Il fallait donc que je change de gamme, que je transpose cette histoire du plan historique au plan mythologique. » Le modèle mythologique choisi par Findley est L’Iliade, cette épopée dont, consciemment ou inconsciemment, presque tout l’imaginaire guerrier de l’Occident dérive. Findley semble dire que chacune de nos guerres (qu’elle oppose les Anglais aux Allemands, la démocratie au fascisme ou les classes supérieures aux classes inférieures) est une guerre des Grecs contre les Troyens, qui, aux yeux du chroniqueur lettré, se dissout en une multitude d’histoires particulières où des hommes et des femmes singuliers sont en butte aux caprices et aux passions d’un panthéon de dieux en proie à la démence. L’histoire de Findley a commencé à prendre forme longtemps avant qu’il ne trouve son aède. Des mois durant, le récit s’est développé de façon si tentaculaire que l’auteur a dû suspendre au mur de son bureau un schéma immense pour suivre la trace de ses nombreux personnages. Il s’est finalement rendu compte qu’une voix centrale était nécessaire pour conférer à cette masse de personnages et d’événements une forme de cohérence supérieure. C’est en relisant Ezra Pound qu’il serait retombé sur Hugh Selwyn Mauberley, recueil de poèmes semi-autobiographiques
publié en 1920, et qu’il se serait aperçu que le personnage éponyme, poète-héros fictif, pouvait lui fournir la voix qu’il recherchait. Mauberley serait son Homère, chargé de porter ses personnages de gazette au rang de héros de fiction, de transformer ces figures historiques en icônes mythologiques. « Homère était capable d’élever ce tableau au niveau de l’icône », note Findley, qui se demande alors : « Cela dit, au vu de ce que sont ses protagonistes, Mauberley va-t-il pouvoir en faire autant ? » Si le substrat mythologique qui constitue l’épine dorsale du Grand Elysium Hotel est antique, le vocabulaire utilisé, lui, est tout à fait moderne. Mrs. Simpson est une Hélène à demi consentante, conjuguée à un Pâris hésitant, destinée à être sauvée par divers Ménélas tantôt preux, tantôt brutaux. Dans le rôle d’Hélène et Pâris, nous avons donc Mrs. Simpson et Édouard VII ; Churchill et Hitler incarnent Héra aux prises avec Zeus ; Ezra Pound joue la démente Athéna ; et le nazi Harry Reinhardt est Achille le sanguinaire, arborant des chaussures en alligator en lieu et place de son légendaire talon. Il finira par planter un pic dans l’œil de Mauberley, ce qui le rendra aveugle, comme la tradition dit qu’Homère l’était, et par le tuer — formidable ressort narratif qui permet au personnage de se retourner contre son auteur, puisque Reinhardt n’existe pour nous qu’à travers le récit de Mauberley, simples mots sur le mur. Les transpositions de Findley ne consistent pas simplement à rebap16
tiser les personnages. Au gré du temps, certains traits des figures mythologiques passent au premier plan tandis que d’autres reculent dans l’ombre, certains acquièrent des significations nouvelles tandis que d’autres perdent de leur force. Chaque époque, Findley en a l’intuition, élit sa propre version des vieilles légendes et la refond en fonction de ses propres désirs et dispositifs. Dans Inside Memory, Findley écrit : « Ne jamais perdre de vue les artifices de la mythologie — qu’elle l’emporte sur la « réalité » parce qu’elle ne l’utilise que comme simple ingrédient – comme point de départ de chacune des « histoires ». Un mythe n’est pas à proprement parler un mensonge, c’est la vérité en tenue d’apparat. Ses gestes sont plus amples. Sa voix est faite pour porter sur de longues distances. Son visage est composé d’ombres, de lignes et de couleurs cachées, fabuleuses. C’est le plus grand théâtre des intrigues humaines.
Parfois, on y invite les dieux parce que c’est la seule scène sur laquelle les hommes peuvent rivaliser avec eux. Même si, bien sûr, les dieux ne sont jamais vaincus que par d’autres dieux. » Toutefois, quand on réécrit un mythe, rien ne garantit qu’il soit reconnu. Findley est bien placé pour savoir qu’une lecture contemporaine est rarement à même de mettre à jour toutes les subtilités de nuance et de ton de l’histoire qu’on rejoue, et qu’il restera encore beaucoup à déchiffrer pour les générations futures. Les lecteurs les plus fins d’Homère devaient appartenir à sa postérité, et ceux qui suivent Mauberley et lisent son récit pour la première fois ne le comprennent qu’à peine. Les soldats de la Septième Armée américaine – le capitaine Freyberg, le lieutenant Quinn, le sergent Rudecki, le soldat Annie Oakley –, s’ils deviennent les destinataires obligés des fameux derniers mots de Mauberley, sont incapables de saisir la vraie nature du drame dont il a été témoin. Même Quinn, qui a pour mission d’accompagner le texte du début à la fin, ou Freyberg, qui lit toutes ces histoires à la lumière funeste des atrocités découvertes à Dachau, n’ont qu’une vague idée de l’ampleur du récit, de ses échos du fond des âges et de sa portée infinie. Ils lisent ce qu’ils savent déjà, la seule version de l’histoire qu’ils soient en mesure d’identifier. Le cœur de cette saga leur reste impénétrable. Pourtant, suggère Findley, une lecture plus profonde, plus subtile peut être tentée.
Le choix de Mauberley (création autobiographique d’Ezra Pound) comme narrateur est délibérément troublant, mais nullement surprenant dans l’œuvre de Findley. Pound apparaît dans au moins une nouvelle (In the cage) et une pièce (The Trials of Ezra Pound) comme le personnage incertain et insaisissable du grand artiste qui endosse le rôle du traître. Bien que Mauberley soit censé avoir été un « grand écrivain américain », le texte lu par Quinn s’avère être une chronique presque brute des événements où ne transpirent que quelques pointes occasionnelles de « grand style ». À des considérations et réflexions intimes font suite des scènes dont Mauberley ne peut pas avoir été témoin, comme si, de l’acteur doué qu’il était, il s’était transformé, sur les murs où il a écrit sa saga, en un dieu omniscient. Mais Mauberley n’a rien d’un narrateur impartial. Dès le début, il semble opter pour le plus sombre et le plus contestable des partis en présence. Alors pourquoi décrire cette guerre folle à travers le regard d’un homme qui a défendu la politique d’Hitler et de Mussolini, d’un écrivain qui, quoique talentueux, a passé « tant de temps en compagnie de l’aristocratie dissolue d’une Angleterre décatie, ainsi que de l’équipage en pleine dérive morale du canot de sauvetage certes élitaire mais avarié de l’Europe fasciste » (comme l’écrit le New York Times) ? Bien entendu, c’est exactement là où Findley veut en venir. « J’ai pris conscience, dit Mauberley, de ce que toute mon époque était contenue 17
dans ce microcosme infernal : si je voulais écrire, je devais donc prendre sur moi de me faire le témoin des ces vies, de ces événements, de ce lieu ». En adoptant le point de vue d’un zélateur du pouvoir absolu, prêt à collaborer à la mise sur pied d’un gouvernement fantoche où le Duc et la Duchesse de Windsor doivent faire office de couple royal, à prendre part à une cabale qui attend le moment opportun pour lancer sur le monde son offensive néfaste ? nom de code : « Pénélope », à renoncer à son écriture pour une intrigue de bas étage, Findley confère à son récit une profondeur bien plus grande que s’il avait fait le choix conventionnel d’un Homère juste et bon. Mauberley est la figure même de la transgression, tant sur le plan politique que sur les plans sexuel et artistique. Il a rallié les fascistes, il est sexuellement ambigu, son ambition littéraire « de décrire la beauté » s’oppose obstinément au « ronflement de rhétorique pompière » qui prévaut à l’époque, et c’est à travers ces transgressions que Findley peut suivre son personnage jusqu’au cœur du conflit, sans en rester à la surface documentaire, convenue, de l’horreur. Le choix de Mauberley lui offre un point de vue non pas panoramique et lointain sur la situation, mais celui d’une créature affamée, hantée, minée, en état de belligérance avec le monde et avec luimême. « L’usage que je fais du mot « fasciste » recouvre les agissements des gens assoiffés de pouvoir de manière générale, indique Findley dans un entretien avec David
Ingham, parce que pour moi c’est ça, le fascisme : des gens avides de toute-puissance peuvent certes toucher les populations dans leur propre soif de pouvoir, mais sans l’appui d’icônes qui font les choses pour eux et en leur nom, au fond, ils ne sont rien ». Autrement dit, les héros troyens assoiffés de pouvoir ne sont puissants que si les dieux tirent sur leurs ficelles. Dans la nouvelle Troie assiégée de Findley (le Grand Elyseum Hotel qui, dans la mythologie moderne, tire son nom du film célèbre où joue Greta Garbo), Mauberley, contemporain fictif de Pound et T.S. Eliot, couvre les murs de sa suite du récit qui causera sa perte sans espoir de rédemption. Il recrée la réalité selon ses souvenirs, ou ce qu’il croit être ses souvenirs, fabrique une vérité dont il sait qu’elle est vouée à disparaître sans un bruit, à être lue, traduite et jugée par ceux qui viendront après lui, avant d’être livrée à la ruine comme les murs de l’hôtel luimême. « C’est ainsi que le monde s’achève », écrit Eliot dans Les hommes creux : « non à grand bruit, dans une plainte », vers que Pound répète dans son « Canto CXXIV » : « à grand bruit, non dans une plainte », avant d’ajouter : « Pour bâtir la cité de Diocé dont les terrasses sont couleur d’étoile il rendait des jugements équitables, fonda une cité visionnaire, sorte de paradis terrestre ». Admirateur de Mussolini, Pound se figurait que le Duce, comme Diocé, bâtirait un état idéal, passé le cataclysme de la guerre. Le monde futur imaginé par Mauberley est proche de l’archétype mytholo-
gique, de la grande cité de Troie détruite par les Grecs et qui renaît non comme état idéal mais comme symbole. Ce qu’il exprime par ces mots, à la toute fin du roman : « Imaginons que, par un après-midi d’été, quelque chose de mystérieux remonte à la surface — se montre et disparaisse avant que l’on ait pu l’identifier… Le soir venu, la forme —quelle qu’elle fut — n’a laissé presque aucun souvenir; nul ne peut affirmer avec certitude qu’elle était telle ou telle. Impossible de se rappeler sa taille. À la fin la vision est balayée, n’est plus qu’une pensée brumeuse : terrible, mais irréelle… Ainsi, tout ce qui est parvenu au jour finit par sombrer, innommé : une forme qui traverse lentement un rêve. Au réveil, nous ne nous souvenons plus avec effroi que d’une présence sacrée, tandis qu’une ombre tapie dans le crépuscule murmure, depuis l’envers de la raison : je suis là. J’attends. » Quelle est donc cette forme, cette chose entrevue, qui affleure à la conscience avant de disparaître ? S’agit-il de « l’ombre cachée, fabuleuse », mentionnée plus haut ? Pound semble lui-même fournir plusieurs indices dans ses poèmes, par exemple quand il dit, à la fin du brouillon de son « Canto CXVI » : « Une petite lueur, comme d’une chandelle de jonc / pour reconduire à la splendeur », puis prévient : « Que l’amour ne soit pas dans la maison et il n’y a rien ». C’est à cette fin, semble-t-il, pour faire entrer l’amour, que Findley ménage d’invisibles fissures dans les portes de 18
sa fiction. Le Grand Elysium Hotel rassemble et cultive nombre des thèmes et procédés chers à Findley : la figure de Pound, les ténèbres des guerres mondiales, la mort injustifiée d’animaux, les blancs qui font rupture, en fin de paragraphe, et réservent un espace à la réponse du lecteur. Mais c’est avant tout le motif de l’apparition/disparition d’une révélation, fil rouge de l’œuvre de Findley, qui prend, dans ce livre, une importance déterminante. L’espace d’un instant, une intuition soudaine, une brusque épiphanie, un éclair de solution miroitent aux yeux de ses personnages, mais c’est pour mieux être aussitôt arrachés à leur vue. Si ses protagonistes ne cessent de découvrir des vérités et de tirer des conclusions, ce n’est que pour se rendre compte que ce qui leur semblait être une réponse n’était qu’une question de plus et que la porte de sortie est condamnée. Cette chose qui émerge des eaux, dans la vision de Mauberley (comme l’iceberg qui dérive à travers les pages ouvertes de The Telling of Lies) ne laisse voir qu’une fraction d’elle-même, un fragment de vérité tentant et prometteur qui, comme Mauberley, nous dit : « Tout ce que j'ai écrit est vrai : sauf les mensonges. » Dans ces limbes irrévélés dort quelque chose qui doit rester sans nom, de même que la réponse à une énigme est contenue dans l'énigme. Comme le savait Findley, la fiction peut tout nommer, sauf sa propre vérité. Cette tâche muette incombe au lecteur. Traduit de l'anglais par Yoann Gentric.
Pascal Jourdana
Entretien inédit avec Timothy Findley
Timothy Findley, écrivain canadien anglophone, est né à Toronto en Ontario en octobre 1930. Il entame d’abord une notable carrière d’acteur, durant laquelle il joue dans la première production de Thornton Wilder, The Matchmaker (1954), donne la réplique à sir Alec Guinness et est l’un des membres fondateurs du Stratford Shakespearean Festival (1953), avant de devenir écrivain. Son œuvre forte et lucide, composée de onze romans, de recueils de nouvelles, de pièces de théâtre et de scénarii, n’a cessé d’ausculter notre monde, que sa vision décrit comme contaminé en permanence par la folie. Une folie diabolisée et rejetée par les uns, chérie au contraire par les autres comme un ultime signe d’humanité. Il est mort en France, en Provence, en juin 2002. « La grande force de l’art est de vous faire voir, au-delà du moment, la vérité et les mensonges essentiels. » manquées, mais au fond les rares moments que j’ai passées à l’Université n’étaient pas heureux. Ce n’est pas un endroit fait pour les « artistes », je veux dire ceux qui cherchent autre chose dans la vie que d’être « éduqués ». En plus, je connaissais déjà mon homosexualité, et ça n’a pas aidé, évidemment, mes camarades me regardaient de travers… Bref, vous pouvez imaginer le reste, cette situation était courante à l’époque. Mais j’étais heureux de vivre, et je
allé très vite vers le théâtre, et j’ai adoré ce monde ! Découvrir les mots, la scène, les pièces essentielles, de grands acteurs – j’étais chanceux, je jouais assez bien pour être partenaire des meilleurs. Puis Thornton Wilder (un excellent dramaturge et romancier américain © David Middleton qu’on connaît mal en France), à qui Que retenez-vous de la période où j’avais fait lire une de mes prevous étiez danseur et acteur ? mières nouvelles, m’a encouragé. Cette expérience vous influence-tVoilà mon éducation. Une succeselle encore aujourd’hui dans les sion de hasards et des rencontres choix de vos thèmes ou dans avec des personnes remarquables. votre processus Pour ce qui concerne d’écriture ? mes influences qui datent de cette périoOn juge quelqu’un de J’ai à peine entamé de, il faudrait tout dire. mes études universiUn exemple. J’étudiais “bon ou mauvais” taires. J’ai été très dans une école de alors qu’il faudrait dire malade la première théâtre en Angleterre “proche du bien année, alors un proqui nous envoyait à la ou proche du mal”, fesseur formidable a National Gallery pour ce qui est différent. dit à mes parents que voir les tableaux datant je pouvais abandonde la Restauration ner : « Il fera sa anglaise, observer propre éducation ». comment les gens se Mes parents l’ont écouté me suis lancé. D’abord en m’orien- tenaient, comment ils étaient (incroyable !), et je peux dire que tant vers la danse, avant de com- habillés, etc. Tous leurs gestes, j’ai trouvé ce dont j’avais besoin. prendre qu’avec mes problèmes saisis par les peintres, révèlent Bien sûr, certaines choses m’ont de dos je n’y arriverai pas. Je suis quelles étaient leurs habitudes. Ils 19
paraissaient souvent « coincés ». Mais voyez, ils portaient tous une perruque. Et bien, essayez ! Certains mouvements de tête sont impossibles à faire avec ce truc sur la tête ! Cette méthode nous faisait comprendre comment jouer en adoptant certaines manières, parce que les gens sont le produit de leur époque, les gestes sont tributaires des vêtements, leurs pensées des usages… Je me rappelle encore mes visites de musées quand j’écris et que je cherche à rendre vraisemblable une époque. Parmi ces gens remarquables que vous avez connus, il faut citer votre ami le grand acteur Alec Guiness, qui vient de mourir cet été (août 2000). C’était un homme merveilleux, très malicieux, et évidemment un immense acteur. Mais pour moi c’était surtout un très grand professeur, qui m’a apporté tout ce
que j’avais besoin de savoir, et pas seulement en tant que comédien, aussi en tant qu’auteur débutant. Je dis toujours aux débutants : si vous voulez écrire, intéressez-vous au théâtre. Jouez, ou allez voir des pièces, peu importe, mais observez les acteurs, vous apprendrez comment écrire. Étudiez la composition des meilleures pièces et vous comprendrez ce que sont la ligne, la tension, l’émotion, l’humour… Un bon roman s’appuie sur des principes similaires. Un événement me revient en mémoire, c’est une anecdote, mais ça rend un portrait assez juste d’Alec Guiness. Il avait une mère très difficile, d’origine modeste, une barmaid, très portée sur l’alcool. Son père était titré, un aristocrate… Je vous passe les détails de leur rencontre et de leur séparation, qu’on connaît peu. Alec n’a jamais vu son père, c’est sa mère qui l’a élevé et en grandissant il eut de plus en plus honte d’elle, n’osant jamais inviter d’amis à la maison. Moi-même, je n’ai jamais rencontré sa mère. Sauf une fois… Alec avait l’habitude d’inviter ses amis dans sa maison le soir de Noël. Il était très généreux et c’étaient de merveilleuses soirées. Un Noël, Alec disparut à l’étage, un coup de fil important. Nous avons continué la fête sans lui. Vingt minutes plus tard, la sonnette retentit : c’était sa mère. La femme d’Alec, qui l’avait vue une fois ou deux seulement, l’a reconnue immédiatement. C’était horrible, elle puait l’alcool, voulait embrasser tout le monde, et fit une scène terrible. (Timothy Findley prend une voix 20
rauque et aviné) « Il ne m’a jamais rien donné, je ne l’ai jamais vu quand j’avais besoin de lui. Je lui ai donné toute ma vie et lui, il ne me présente même pas ses amis… Je sais que ce salopard est là-haut, je veux qu’il descende me voir, qu’il me fasse un cadeau, beau et coûteux ! » C’était effrayant, il fallait voir ses cheveux crasseux, sa robe à moitié déchirée… Bon dieu, c’était sa mère, que faire ? La femme d’Alec, qui avait peur qu’il ne redescende et la rencontre, discuta avec elle gentiment pour lui montrer qu’elle se rendait malheureuse, etc. Finalement, elle arriva à la convaincre d’accepter de l’argent pour prendre un taxi, et ferma la porte derrière elle… Tout le monde était sous le choc, quelle histoire ! Dix minutes après, Alec descendit enfin. Personne ne lui dit rien, la fête reprit. Après un moment, en discutant avec lui (et je crois que je suis le seul à l’avoir remarqué), j’entrevis un reste de maquillage sur son cou. Je compris tout : c’était lui ! Je l’ai imaginé se maquiller, descendre par l’arrière de sa maison, sonner et, devant tous ces gens, jouer le rôle de sa propre mère ! Il ne l’a jamais avoué, et je ne lui ai jamais posé la question directement, mais ce fut une vraie leçon pour moi. Pas seulement pour la performance, la façon dont il a pu à se point s’imprégner des sentiments de sa mère, et comment il a réussi à tromper tout le monde. Mais parce que j’ai su alors jusqu’où vous devez aller pour donner une vraie interprétation. Qu’il faut tout abandonner, renoncer à toute bien-
séance, éducation, dignité, moralité, etc. pour jouer, ou écrire. Nous ne sommes pas très loin de cette folie, explorée de livre en livre, et plus particulièrement de la schizophrénie que vous retranscrivez en faisant surgir diverses voix intempestives. Je pense que c’est mon background théâtral. Mais pas seulement. Pensez-y : vous dialoguez avec vous-même en permanence, des voix s’imposent fortement et distinctement sous votre crâne… Chacune est le reflet d’une personnalité, une gardienne qui argumente pour telle ou telle chose. Quand je dois prendre une décision, deux voix subsistent. Il me faut alors décider quelle est ma voix prédominante, celle qui m’indique vraiment où est mon chemin. Les autres l’attaquent, prennent le ton de la prudence, de la morale ou de la règle : « Attention, tu vas avoir des ennuis ! » Mais je ne dois pas les écouter. Savonarole dans Pilgrim, c’est l’image de la loi, du pouvoir. C’est également celui qui exécute, un symbole de mort. Jung, à l’opposé, dit qu’il faut oublier toute expérience, se libérer des mensonges de la politesse, cesser d’être prudent pour être vivant. Rien n’arrive si vous êtes trop précautionneux. Dans le livre que j’écris en ce moment, Spadeworks (Les Robes bleues), une femme ressent une attirance sexuelle incontrôlable pour un inconnu. Ce sont les pages les plus difficiles que je n’ai jamais écrites. Il a fallu aller au bout de ce que voulait dire, pour moi, tomber
passionnément amoureux d’un être qui était quelques instants auparavant un étranger. Décrire les scènes physiques, la sensualité, était très dur. Ce que j’avais fait dans Pilgrim pour le jeune Léonard de Vinci était assez proche, mais là, je suis allé encore plus loin, je me suis autorisé à pénétrer vraiment mon domaine privé. J’ai suivi ma bonne voix en me souvenant d’Alec jouant sa mère. S’il n’avait pas « occupé » la peau, le corps de celle-ci, il n’aurait jamais pu la rendre si réelle. Pilgrim côtoie des êtres partagés entre l’innocence et l’abjection, l’ignorance et le génie. Vous semblez obsédé par les thèmes du bien et du mal mais jamais dans une perspective manichéenne. Oui, un homme n’est jamais totalement bon ou mauvais, et ma description de Jung cherche à rendre compte de cela. On a souvent une notion de la justice simpliste. On
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juge quelqu’un « bon ou mauvais », alors qu’il faudrait dire « proche du bien ou proche du mal », ce qui est différent. Nous souhaitons la plupart du temps que les choses soient polies, lisses, politiquement correctes, bien rangées dans des catégories. Mais nous sommes des êtres imparfaits, peu efficaces, et la vérité est que tout est bancal, que nous avons juste appris à faire semblant… La plupart des gens arrivent à rejeter l’aspect noir, ou les instincts meurtriers de leur propre caractère. Mais c’est souvent au prix du mensonge et de l’incompréhension. Je pense à ce passage du Grand Elyseum Hôtel, qui concerne Hitler et le nazisme. Un des personnages réalise que ce sont toujours des gens ordinaires qui ont soutenu de terrifiantes positions, que le fascisme est en chacun de nous. Il n’arrivera à s’opposer au pire qu’en comprenant la personnalité des délateurs quotidiens, des petits bourreaux, des soldats zélés. Il comprend qu’il doit se mettre à leur place en faisant surgir la part abhorrée de sa propre personnalité. En tant qu’écrivain, si je suis à l’extérieur, comme si je tenais une conversation sur mon sujet, je joue faux. En moi existe un être lâche ou ignoble. Même si j’ai pris un autre chemin, j’ai choisi de ne pas oublier cette part de mal en moi pour être capable de l’éviter quand un choix doit être fait. Si vous ne savez pas que combattre cet ennemi, c’est avant tout vous combattre, vous serez dans une attitude de compassion, ou, à l’opposé, de croisade : deux simplifications du monde très dangereuses.
Pilgrim est un roman qui rassemble de nombreuses préoccupations intimes, mais c’est aussi un livre nourri de références historiques, artistiques, métaphysiques, qui vous a demandé d’abondantes recherches… C’était surtout une joie d’écriture… et un travail très dur ! Parce que j’avais beaucoup à apprendre, par exemple sur la Guerre de Troie, l’Inquisition espagnole, Léonard de Vinci, les théories jungiennes, etc. Les détails étaient essentiels. Malgré tout il fallait doser, ne jamais en écrire trop. Il faut juste retenir le détail qui en dit le plus, même si vous vous efforcez de tout apprendre d’une époque, des techniques, des arts de la guerre, etc. Le lecteur ne doit pas être surchargé d’informations, cela brise son imaginaire. L’écrivain doit apprendre le plus de choses possibles, puis les oublier : une fois de plus, c’est comme d’être un acteur ! Un très sage ami écrivain m’a dit un jour : « Tu dois savoir quitter la pièce dans laquelle tu as installé confortablement ton lecteur. » Dans Les Robes bleues, j’essaye de ne pas être trop explicite à propos du corps du photographe qui rend fou de désir mon héroïne. On sait juste qu’il a un corps magnifique. Si je le décrivais, il ressemblerait à un Georges ou un Paul. Or chacun a sa propre opinion de la beauté, particulièrement de ce genre de beauté sexuelle. Il faut laisser un espace pour ça. À propos des détails, on m’a parfois fait le reproche de certaines erreurs, des anachronismes. Oui, c’est vrai, mes officiers de la Guerre de Troie
boivent du thé, et celui-ci n’aurait été importé en Europe que bien plus tard, par Marco Polo ! Mais ça n’a pas d’importance. Souvent, de croire que ça aurait pu arriver suffit, la transposition est presque nécessaire. Dans ce cas précis, je dirais que c’est un anachronisme d’objet mais pas d’intention. Car pendant la Guerre de Crimée, ou la Guerre de Sécession, au plus fort des batailles, les gens des classes supérieures organisaient (quel courage !) des pique-niques. Ils demandaient à leurs serviteurs d’emporter de belles nappes blanches, du vin, du champagne parfois, d’excellents mets, et ils s’installaient sur les collines pour regarder les gens se faire tuer. Puis ils repartaient tranquillement à l’issue du combat, en le commentant comme un match de tennis. On voit bien là votre perpétuel réquisitoire contre la guerre, presque toujours présente dans vos romans. Quand j’étais jeune, bien des gens craignaient à tout instant une attaque russe, et donc sa réplique américaine et l’enchaînement nucléaire catastrophique. C’était une peur permanente. Je ne sais pas pourquoi, trop d’arrogance peut-être, mais je n’ai jamais eu peur de ça. Je savais que c’était une menace, mais ce qui m’inquiétait c’était de savoir qu’il y avait des gens assez stupides pour déclencher ça. Là, oui, il fallait tenter de faire quelque chose contre cette énorme bêtise potentielle. Alors j’ai écrit des romans ! C’est ma manière, que je revendique comme absolument politique, de 22
dire mon dégoût d’une certaine vision du monde, celle qui le dirige vers sa perte. Mais pourquoi inventer des histoires au lieu d’écrire des essais ou des articles politiques ? Parce que dans un roman, l’avantage, c’est que vous n’avez pas à fournir de réponses. Vous connaissez les derniers mots de Gertrude Stein ? C’étaient : « Quelle est la réponse ? » Et ses amis qui l’entouraient, murmurèrent : « Il n’y a pas de réponse ». « Bon, alors quelle est la question ? », et elle mourut. Je retiens ça d’elle : quand vous écrivez, envoyez au diable les réponses, vous ne les connaîtrez jamais. Shakespeare, Molière, Proust ont bâti des œuvres qui continuent de nous interroger. Si mes livres peuvent amener les gens à se poser quelques bonnes questions à propos de la guerre ou d’un choix moral, peut-être que j’aurais servi à quelque chose. Je lis beaucoup de presse politique. Heureusement qu’elle existe, spécialement quand elle est d’opposition ! L’élection de George W. Bush1 est à mes yeux antidémocratique et trafiquée, ses positions sont manichéistes et dangereuses. Et bien, je pense que si cette situation était transposée dans un roman ou une pièce de théâtre qui l’évoquerait, même lointainement, cela aurait bien plus d’impact que toutes les analyses journalistiques actuelles, aussi bonnes soient-elles. C’est la grande force de l’art de vous faire voir, au-delà du moment, la vérité et les mensonges essentiels. C’est exactement le propos de Pilgrim. Bien sûr, la plupart du temps, l’art, la littérature, échouent
à changer les choses. Mais si vous n’essayez pas, alors, merde, à quoi bon être un homme !
pas seulement des personnages, ils sont d’abord eux-mêmes, sauvagement, âprement, et c’est une sorte de privilège pour moi de les avoir connus. Je souhaiterais ardemment qu’ils existent. Mais j’ai de la chance, ils ont vraiment existé un moment à mes yeux, et s’ils prennent vie également pour mes lecteurs, alors j’ai réussi à écrire correctement.
Certains peintres que je fréquentais me faisaient confiance et m’apprenaient beaucoup, en me parlant de leurs difficultés ou en me laissant Vous aimez dire que vous vous voir le travail en cours. C’est vrai, sentez vivre au milieu d’esprits. l’origine de la création artistique Croyez-vous vraiment à la presreste mystérieuse, et me captive. cience, aux anges, à la réincarnaL’image de la toile blanche, c’est tion ? prodigieux ! Tout ce qu’on peut imaginer mettre sur cette toile avant de Il y a effectivement certaines peindre ! Où va se poser le premier croyances ancrées en moi. Je suis coup de pinceau ? Comment le persuadé que cette table, ces peintre sait qu’il doit faire son prepierres dans notre jardin, Bill2, vous, Le processus de création, en lui- mier geste de telle sorte et non tous les êtres vivants et toutes les même, est une chose qui vous fas- d’une autre ? Il ne se le demande choses possèdent une parcelle cine ? pas, le fait, un point c’est tout. De mystérieuse, une étincelle de… nombreux écrivains ont fait l’expéquelque chose ! Et rience de se demanDieu merci, car si der pourquoi ils je n’étais pas ceravaient écrit tel ou tain de ça, je n’estel passage… Ne Bien sûr, saierais même demandez jamais la plupart du temps, pas d’écrire. Écrid’où ça vient ! C’est l’art, la littérature re est pour moi la plus dangereuse échouent à changer comme retrouver pensée qu’un artiscette part de te puisse avoir. Si les choses, magie, de divinité, quelque chose mais si vous n’essayez pas, appelez ça comme émerge, et que vous alors, merde, vous voudrez. Les vous arrêtez pour à quoi bon être Messagers de vous demander d’où un homme ! Pilgrim sont une ça vient, vous tuez sorte de représeninévitablement tation de ces l’idée, la phrase, êtres, forts prél’inspiration. Tout sents pour moi. Mais ils ont aussi Quand j’étais jeune, j’ai séjourné artiste authentique le sait. une autre fonction. C’est une façon en Australie. J’étais totalement Pour moi, écrivain, les premiers pour moi d’écrire la beauté abso- fauché et je posais comme modèle mots du livre ne se mettent en lue, de magnifier la vision de Sybil, pour des artistes. La plupart du place qu’à la dernière extrémité, une femme fascinante, énigma- temps, j’étais le « sujet », et je ne quand j’ai presque tout fini. Je dois tique et merveilleusement faite voyais rien. J’étais assis là, le dessiner un cercle. Je commence pour célébrer la vie dans ce qu’elle châssis posé en face de moi, je donc à un point, presque au hasard, a de plus prodigieux. Néanmoins n’en voyais que le dos, et c’était et j’y reviens. Mais je constate alors une femme qu’on peut rencontrer comme de regarder une pièce à que ce n’est pas un « bon » cercle, dans la vraie vie ! D’ailleurs partir des coulisses. Je n’écrivais que je dois le corriger, repasser sur Pilgrim, Lily (La Fille de l’homme au pas encore, mais j’étais intéressé son tracé approximatif pour le piano), Robert (Guerres), ne sont par la démarche de l’artiste. rendre régulier.
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Nous avons ouvert notre dialogue en parlant d’Alec Guiness. Refermons le cercle avec un autre ami que vous aimez évoquer, Alberto Manguel. Oui, Alberto est un très grand ami. Nous avons vécu de merveilleux moments ensemble. Il me fait beaucoup rire ! Et ses livres, je pense particulièrement à son Histoire de la lecture, sont fabuleux. Il a le don de vous guider dans la bonne direction, de vous donner une quantité incroyable d’informations, mais de vous laisser en même temps la liberté de grappiller, d’imaginer par vousmême. Il nous encourage surtout à aller voir ailleurs. On sort de ses livres nourri, mais pas saturé, avec l’envie d’en savoir encore plus parce qu’il nous aide à voir, à savoir comment voir. Peut-être que son regard si particulier vient de son expérience d’exil et de migrant. Le Canada est un pays extraordinaire pour cela. On y trouve de très bons écrivains, tant de langue française qu’anglaise, parmi les meilleurs représentants littéraires de ces deux langues. C’est un carrefour. Alberto Manguel est né à Buenos Aires, Michael Ondaatje au Sri Lanka, Rohinton Mistry à Bombay, Neil Bissoondath à Trinidad. Ils écrivent très différemment, évidemment, mais chez eux deux cultures (au moins !) se rejoignent à chaque fois en un homme, en une œuvre. Pour eux, écrire à partir du Canada, loin de leur lieu de naissance, est une sorte de valeur ajoutée. Moi, j’écris mieux à partir d’ici, de France. Ça ne veut bien
sûr pas dire qu’il faut être en exil pour être un bon écrivain ! Alberto vient du monde de la diplomatie, il a travaillé avec Borges, il a très jeune côtoyé ce qu’il y a de mieux. Mais il ne s’est pas contenté d’un avenir tout construit. Il a voulu être comédien, ce qui en fait mon voisin, même s’il n’a pas poursuivi cette carrière, attiré plutôt par l’écriture. Son parcours, ses expériences, lui ont fait comprendre certaines choses de la nature humaine. Il est capable de vous dire qui vous êtes, intimement. Il est à l’intérieur, même quand les différences les plus fortes semblent s’y opposer. Il est à mon sens bien plus capable qu’un quelconque sociologue ou psychologue d’exprimer la vérité d’un être humain. Ce qui en fait un grand écrivain, car là est la force de la littérature.
Entretien inédit réalisé à Cotignac (Var) en janvier 2001 par Pascal Jourdana.
Cet entretien avait été réalisé pour une parution initialement prévue dans Le Magazine Littéraire. C’est probablement l’un des derniers effectués en France avant la mort de Timothy Findley, en juin 2002.
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Le premier mandat de Georg W. Bush, 2 William Whitehead, son compagnon, présent à l’entretien. 24
Bibliographie : Romans The Last of the Crazy People (1967), Le dernier des fous, traduction Nadia Akrouf, Le serpent à plumes, 1994 puis collection « Motifs », 1996 The Butterfly Plague (1969) The Wars (1977), Guerres, traduction Éric Diacon, Le serpent à plumes, 1980 puis collection « Motifs », 1994 et 2000 Famous Last Words (1981), Le grand Elysium Hotel, traduction Bernard Géniès, Robert Laffont 1986, puis collection « 10/18 », 1999. Réédité par Le serpent à plumes 2005 Not Wanted on the Voyage (1984) The Telling of Lies (1986) Headhunter (1993), Le Chasseur de têtes, traduction Nésida Loyer, Le serpent à plumes, 1996 et 1999, puis collection « Folio » Gallimard, 2001 The Piano Man’s Daughter (1995), La Fille de l’homme au piano, traduction Isabelle Maillet, Le serpent à plumes, 1999, puis collection « Folio » Gallimard, 2001 You Went Away (1996), Nos Adieux, traduction Isabelle Maillet, Le serpent à plumes, 1998, puis collection « Motifs », 2000 et 2005 Pilgrim (1999), Pilgrim, traduction Isabelle Maillet.
Chiennes de vies par Pascal Thuot
Alistair MacLeod Chien d’hiver Alistair MacLeod L’Olivier Traduit de l’anglais par Françoise du Sorbier et Paule Guivarch
h e z MacLeod, avant toute chose, il y a le Pays, l’île de Cap-Breton au sud de Terre-Neuve, paysage dramatique où s’affrontent les coups de sang de l’Océan et la terre ferme, caillasse rabotée par les vents dessus, charbon mortifère dessous. Les hommes et les femmes qui vivent là s’échi-
© Ted Rhodes
C
nent à tirer de ce milieu ingrat de quoi subsister, assez pour ne pas crever de faim, trop peu pour être heureux, avec en plus le poids du déracinement au creux des tripes. Venus pauvres d’Ecosse, ils le sont restés, se sont transmis la misère de génération en génération comme un fardeau que les jeunes ne veulent plus porter, en tout cas pas comme ça, pas pour finir en pêcheur disloqué sur les rochers du rivage, ni ensevelis dans les boyaux d’une mine clandestine. Alors, sous le regard gris acier des mères, dans le silence vrillé de souffrances des pères, un jeune gars fuit en stop, des filles saisissent la balle au bond d’un mariage pour ne pas reproduire un destin gâché d’avance, avec fichée dans le crâne cette interrogation universelle qui fait dire à un personnage : « […] je suppose que tous, nous aimons nous croire des enfants de l’amour et non de la nécessité. Croire que nous sommes venus au monde, parce qu’il y avait avant l’érection un sentiment de paix et de bien-être, et non l’inverse. » Il y a comme un ciment qui solidarise ce recueil, un réalisme farouche, le souci permanent de rendre compte. Alistair MacLeod, à qui l’on doit La perte et le fracas, roman traduit en 2001 pour le compte des éditions de l’Olivier, nous fait toucher du doigt les violents paradoxes du déracinement, le rejet et la nostalgie, la solitude insondable aussi. Son éloquence est cuisante et salvatrice. Sans forcer le trait mais avec beaucoup de compassion et de retenue, il illustre de manière bouleversante quelques vies minuscules promises à l’oubli. Pascal Thuot, libraire Millepages, Vincennes.
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Tout se joue à six ans par Pascal Thuot
Nancy Huston Lignes de faille Nancy Huston Actes Sud, coll. Un endroit où aller.
Et bien. Si on séparait la lumière des ténèbres pour commencer ? Dolce Agonia ui ne connaît pas cette grande femme de Lettres qu’est Nancy Huston ? Romancière (Les Variations Goldberg, Romance ; La Virevolte ; L’Empreinte de l’ange ; Dolce Agonia…)* essayiste (Nord perdu suivi de Douze France ; Professeurs de désespoir…) et musicienne, élève de Roland Barthes et proche de Romain Gary (Tombeau pour Romain Gary), elle est née à Calgary au Canada, mais vit depuis de nombreuses années à Paris avec son mari, l’essayiste Tzvetan Todorov. On pourrait dire en préambule, que ce treizième roman – le douzième chez Actes Sud – contient d’une certaine manière tous les autres, elle y poursuit encore et toujours des souvenirs d’avant sa naissance, comme si elle était dépositaire d’un savoir que l’empreinte de l’ange n’aurait pas oblitéré. Hubert Nyssen**, son éditeur, a écrit : « L’innocence refusée serait donc la source de son talent », j’ajouterai aujourd’hui que son talent d’écrivain est arrivé à une maturité telle qu’elle parvient à nous faire comprendre que l’innocence n’est qu’une vue de l’esprit et qu’on l’associe à tort à l’enfance, que cette idée fragile et souvent abstraite d’innocence subit les hold-up à répétition du mensonge, de la haine et du malheur ainsi que les chocs de l’amour. Et puis, qu’elle
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est la véritable nature de l’innocence ? Nous protège-t-elle contre ce que l’on ne sait pas ou de ce que l’on sait sans vouloir se l’avouer ou sans pouvoir l’exprimer ? Dans Lignes de faille, quatre enfants de six ans perdent chacun la leur, en liaison directe et néanmoins subtile avec celle des autres : Solomon en 2004, Randall, son père en 1982, Sadie, la mère du précédent en 1962 et Kristina, l’arrière-grand-mère de Solomon au moment de la débâcle allemande en 1944-45. Tels sont les mystères de la filiation où l’indicible fait partie de la transmission, au même titre que leur marque de naissance — un grain de beauté de la taille d’une petite pièce de monnaie — qu’ils portent tous les quatre à un endroit différent du corps. Ici, tout se joue à six ans. A cet âge, l’enfant s’emploie à faire sien le monde alentour, ses merveilles, sa violence et ses trahisons. Nancy Huston n’a d’ailleurs que six ans lorsque sa mère quitte son mari et ses trois enfants. Blessure indélébile déjà exprimée dans Nord perdu, que l’on retrouve ici avec un curieux et passionnant effet de ricochet sur plusieurs générations. Outre son écriture sans fausse note aucune, la réussite de ce roman doit beaucoup à sa construction et au caractère haletant de cette quête des origines judéo-germaniques d’une famille américaine. A l’instar du géologue, 26
Nancy Huston pratique une sorte de carottage dans la mémoire de cette famille et dans la mémoire collective. Le premier chapître est consacré à Solomon. Nancy Huston y dresse le portrait forcément irritant d’un gosse d’aujourd’hui, brillant, qui se dit « fils de Google et de Dieu », pur produit de l’Amérique fin de siècle puritaine et guerrière de Bush et Schwarzie, dont les ailes d’angelot se sont déjà consumées aux flammes du X sur Internet et devant les corps d’irakiens suppliciés à la prison d’Abou Graib. Solomon entend tout, retient tout et s’immisce à pas de loup au cœur de ces Lignes de failles d’où ne demandent qu’à jaillir les secrets ténébreux d’une famille irradiée par l’Histoire. On se dit : quel adulte va-t-il devenir ? On s’inquiète, on pressent la bombe à retardement que représente cet ultime rejeton aux relents maléfiques d’une lignée tortueuse. La romancière ne répondra pas à cette question, mais va s’attacher à nous montrer quel enfant a été son père, quelle enfant fut sa grand-mère pour que
par défaut nous puissions comprendre quels adultes ils sont devenus dans ce monde déboussolé par des conflits sans fins ni solutions, et comment ils tentent à chaque instant de contenir cet héritage trop lourd, cet exil intérieur qui se repaît de leurs âmes. La structure narrative de Lignes de faille est aussi complexe que délicate, aussi ambitieuse qu’admirable. Nancy Huston n’oublie rien de ce qu’elle a semée au fil des pages, chaque élément trouve sa justification dans le chapitre suivant, dans leur passé, enfoui sous le bric à brac de la vie qu’ils (Randall l’homme d’affaire pressé, Sadie l’historienne à la judéité enflammée de convertie et Kristina alias Erra, la célèbre chanteuse aux racines inimaginables) se sont
faits malgré tout. Ainsi, Nancy Huston conduit-elle le lecteur ébloui, abasourdi à chaque pivot du roman (et Dieu sait s’ils sont multiples), jusqu’à la source, jusqu’à cette venimeuse fontaine de vie, située quelque part en Bavière à l’époque du troisième Reich, point de départ de leur histoire mais aussi de la nôtre, hommes et femmes vivants au XXIème siècle. Lignes de faille fait partie de ces livres qu’on ne referme jamais tout à fait. De toute façon, le mien ne se ferme plus. Je me suis tant et si bien accroché à lui pour ne rien en perdre, que son dos s’est cassé. Et puis tant mieux après tout. Qu’il reste ouvert ! Ainsi les mots qu’il contient pourront-ils — par je ne sais quelle magie — se mêler à la brise, polle27
niser et ensemencer l’humanité pour qu’un jour peut-être il ne soit plus question de ce « rêve d’enfance qui mord la poussière ». Et quand j’écris cela, je ne fais qu’effleurer la dimension réelle de ce livre foisonnant. On ne le dira jamais assez, Nancy Huston appartient, et cela depuis longtemps, aux grands écrivains nord-américains de notre temps. Pascal Thuot, librairie Millepages, Vincennes
* les titres entre parenthèses sont parus chez Actes Sud ** in « Les variations Huston », par Hubert Nyssen, fondateur des éditions actes Sud, texte paru dans Ce que dit Nancy, un dossier Initiales, 2001.
L’adieu aux larmes par jean-Eric Nuquet
Joseph Boyden Le Chemin des Ames Joseph Boyden Editions Albin Michel, Coll. Terres d’Amérique Traduit de l’anglais par Hugues Leroy www.terresdamerique.fr
“ Me retournant vers la cave, je découvre un homme qui en a surgi pendant que tout le monde riait. Il porte un chiffon sur la figure, qui ne laisse voir que ses yeux. Dans ses mains il y a un drôle de fusil, relié à un tuyau qui passe sous son aisselle pour arriver à un haut bidon que l’homme porte dans son dos. La bouche de cette chose laisse tomber une flamme bleue qui éclabousse la brique. Les autres doivent le découvrir tout de suite après moi. Les rires cessent d’un seul coup et Thompson crie : “ Vite! ” Graves s’arrête net. Il va pour faire demi-tour, se ravise et continue de l’avant, levant sa bombe comme une matraque. “ A terre, Graves ! ” crie Elijah en empoignant son fusil, mais je m’aperçois - comme lui, sans doute - qu’il a parlé en cree. Graves lève les yeux sur Elijah, l’air perdu. Un torrent de flamme jaune, aveuglant, jailli de la bouche du fusil dans un grand sifflement et l’engloutit. Graves dresse une main vers Elijah comme pour lui dire au revoir, les cheveux et la moustache en feu. Un instant plus tard ce n’est plus qu’une boule enflammée qui se tord en silence sur le sol. ”
E l i j a h Whiskeyjack et Xavier Bird, deux amis d’enfance, indiens Crees, s’engagent dans le corps expéditionnaire canadien pour combattre en Europe. Pour eux, cette expérience à venir se résume à une grande aventure, une partie de chasse dont les limites dépassent leurs habituels terrains de jeux. Ils ne savent pas que la guerre s’est déjà mue en une boucherie gigantesque, dans laquelle les
1914
hommes se font étriper à grands éclats de shrapnels. 1919. Xavier revient de l’enfer, seul. Hagard, mutilé, devenu accro à la morphine, unique remède à sa douleur mentale et physique, il est accueilli par sa tante Niska. C’est elle qui se chargera de le ramener chez eux, loin de la ville, à bord d’un canoë fragile. Durant les trois jours que durera ce trajet rédempteur, le rescapé, hanté par les visions du conflit et bercé par les paroles de Niska, va se remémorer
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sa guerre et son enfance... « La pluie bat sur le sable autour de moi, ce soir, la pluie imprègne peu à peu la laine de cet uniforme que je n’ai pas quitté, et il en monte une odeur animale qui me ramène aux champs de bataille. Je ne veux plus jamais y retourner. Ma tante se repose sous son tipi. Moi je ne peux pas ; quand je m’y risque, ces camarades morts que je ne veux pas revoir me visitent. Ils m’accusent de choses que je
© Stephanie Beeley
n’ai pas faites ou, bien d’autres, que j’ai commises. Nous nous sommes tous conduits, là-bas, de façons qu’il vaut mieux taire. »
Beau et brutal, voilà les deux premiers mots qui viennent aux lèvres lorsque l’on termine le livre de Joseph Boyden. Plus qu’une lecture Le Chemin des Ames est une expérience : celle de la guerre, de l’amitié, de l’amour, de l’extase de la morphine, de l’odeur de la chair
brûlée, de la haine, du pardon et du sauvetage d’une âme. Tout y est frappant de vérité, tandis que la vie bouillonne à chaque phrase que l’œil du lecteur accroche. Il est indéniable que J. Boyden a l’étoffe d’un conteur né dans cette description de ce double théâtre d’opérations : celui des champs de batailles sanglants d’Ypres et de Vimy, et cette lutte des combattants contre le spectre de leur propre folie. Pourtant, ce jeune canadien aurait très bien pu racon-
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ter autre chose, ne pas s’approcher de si près de l’égarement et de la douleur de ces figures qu’il accompagne. Où, alors, faut-il chercher, pour comprendre cette communion trinitaire entre cet écrivain, ses personnages et ses lecteurs ? Et d’où vient ce besoin de mémoire ? Il y a bien sûr ce grand-père maternel blessé au front durant les derniers jours de la Grande Guerre, ce père, qui en 1945, devint le médecin militaire le plus décoré de l’empire britannique. Il y ces sangs mêlés qui coulent dans ses veines et qui charrient les plaintes et les espoirs de peuples opprimés depuis longtemps déjà, Indiens, Irlandais, Ecossais. Mais il y a surtout ce don que l’on reconnaît tout de suite chez un grand romancier, celui d’ouvrir son récit, de lui insuffler une cadence, d’y mettre une part de soi, de le laisser vivre et enfin d’oser le confier à ceux qui vont y participer malgré eux, c’est à dire nous, lecteurs comblés de cette confiance. En attendant de savoir ce que ce nouveau talent littéraire nous réserve, il ne nous reste plus qu’à parcourir, encore et encore, ce long chemin des âmes.
Jean-Eric Nuquet, librairie Millepages, Vincennes.
Barbara Bessat-Lesage
Jane Urquhart Les amants de pierre Jane Urquhart Seuil, coll. Points roman Traduit de l’anglais par Anne Rabinovitch
ans un village perdu du Canada, un prêtre amoureux des cloches rassemble des pionniers au sein de son église, qui donnera naissance à un village, Shoneval. La famille de Klara et Tilman s’inscrit dans l’histoire de cette communauté : Klara, dans sa jeunesse, est tombée amoureuse de Eamon l’Irlandais muet, qui partit à la guerre dans l’espoir de piloter des avions, laissant sa promise seule face à l’absence. mais aussi face au vide après la fuite de son frère Tilman, vagabond dans l’âme, se sentant des fourmis dans les jambes dès que les oiseaux migrent. Le destin de ces êtres croisera celui du célèbre sculpteur Walter Allward, qui édifia en France après la grande guerre le
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monument de Vimy, en mémoire des soldats canadiens morts au combat. Ce sera le moyen pour cette fratrie de dépasser les pertes infligées par l’histoire, de se réconcilier avec le passé grâce à la sculpture, en gravant le souvenir dans la pierre. Un récit au style touchant et poétique, peuplé de personnages authentiques et attachants.
Barbara Bessat-Lesage, libraire Le Merle Moqueur, Paris 20ème
Un maudit paquet de troubles par Alain Lemoine
Michel Tremblay Le cahier bleu Michel Tremblay Actes Sud/Leméac
outre maîtresse de la littérature canadienne, Michel Tremblay a enchanté nombre de lecteurs avec ses Chroniques du Plateau Mont-Royal, qui nous plongent dans le quartier populaire de l’Est de Montréal où il est né en 1942. Premier écrivain à truffer ses écrits du « joual » québécois, son style très incarné, plein de tendresse et de malice est jubilatoire.
Ses personnages aux destins croisés sont attachants, ils font face à la vie contre vents et marées, toujours… Son œuvre est immense, une trentaine de pièces de théâtre, plus de vingt romans, des films, des œuvres radiophoniques. Cette année avec Le cahier bleu, Michel Tremblay nous offre le troisième opus de ses Cahiers de Céline. Dès l’ouverture du texte, on est bercé par la mélodie et les rythmes des phrases choisies par l’auteur « C’est là qu’elle a écrit son cahier rouge ; c’est là qu’elle va commencer le bleu. Ce matin même. Le cœur battant et la main tremblante. » Nous retrouvons donc Céline, la serveuse naine du restaurant Sélect, qui livre à ses cahiers ses démons et ses inquiétudes. Le Cahier bleu commence au moment où elle revient au Select récupérer son tablier. Elle l’avait abandonné pendant l’Exposition Universelle de Montréal pour un rôle d’hôtesse au Boudoir, une maison accueillante pour touristes esseulés. Le Select, lui, est un simple restaurant du quartier des théâtres. Tous les clients sont des habitués. Là, elle retrouve Gilbert, une connaissance de « sa vie d’avant », beau gaillard à la crinière hirsute, qui fleure bon le patchouli. Il va devenir le premier grand amour de sa vie au grand dam de ses amis qui lui promettent, à juste titre, « un maudit paquet de troubles ».
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L’écriture, subtile et humoristique de Michel Tremblay nous entraîne dans des aventures savoureuses. Je ne peux que vous conseiller de vous immerger toutes affaires cessantes dans la prose de Michel Tremblay. Vous n’en ressortirez pas indemne, mais quel plaisir et quel bonheur… Alain Lemoine, L’Astrée, Paris 17ème.
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Gare à Cooper par Gabriel Paillier
Dave Cooper ès la publication, au Seuil, en 2005, de Ripple, le monde de Dave Cooper est apparu comme un choc, la révélation d’un grand auteur de BD, inconnu jusqu’alors en France. Un univers moite de frustrations, sur le désir, le beau et l’incapacité à réaliser ses fantasmes, qui joue de son côté malsain pour nous pousser à comprendre la solitude de ses personnages, comme celle de nos contemporains dans un monde gouverné par l’image, le porno-chic et la consommation à tout prix. Avec un trait simple mais réaliste, un dessin tout en rondeur cherchant plus l’expressivité que l’exhaustivité des détails, Dave Cooper réalise des BD intrigantes et personnelles à mille lieux de l’image d’Epinal des comics de super-héros américains.
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Ripple est une histoire d’amour torturée qui hante le personnage principal même des années après. Martin est peintre et malgré les quelques illustrations qu’il a produit pour des albums jeunesse, il ne trouve plus d’inspiration. Il passe une petite annonce pour trouver un modèle et rencontre Tina, jeune femme mal dans sa peau à cause de ses rondeurs. Ce qui va de suite plaire à notre peintre « maudit », qui lui révèle ses propres défauts et perversions. S’ensuit l’histoire d’une relation ambiguë faite de domination, de rejet et de désir inassouvi dans laquelle l’amour a du mal à trouver une place. Un récit qui, s’il peut surprendre par une débauche de sexe sur certaines planches,
n’oublie pas d’être parfois drôle et émouvant. Dès le départ, Dave Cooper annonce la couleur, sur la couverture de Dan et Larry : « un mélange surréaliste de rêves et de souvenirs racontés sous la forme d’un roman graphique ». Alors on se laisse perdre et promener par Dan, un jeune canard freluquet qui vit dans un monde chaotique, noir et sans pitié qui ressemble étrangement à l’adolescence. Un petit gars à part, rejeté par ses copains de lycée, un peu moche, complètement empêtré dans sa découverte de la sexualité et ayant pour unique ami un vieux dessinateur de BD aux problèmes sexuels douteux, pour lequel il fait des dessins. Dan et Larry semble être un album malsain et effrayant au premier coup d’œil. Mais au fur et à mesure de la lecture, on est touché par les personnages, leur mal être et leurs vies dans cet endroit pourri. On y est sensible malgré tout car peu à
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peu nos propres souvenirs d’adolescence se mêlent aux images, et le flou, la proximité des deux visions apportent au récit sa vie propre enroulée dans la poésie suintante de l’univers Dave Cooper. Dave Cooper habite Ottawa, au Canada. Illustrateur et peintre, il publie depuis 1996 dans de nombreuses revues (Zero Zero, Dark Horse…), crée des animations pour la télé (notamment avec Matt Groening), le tout ayant abouti à plusieurs livres : Suckle, Crumple, Dan and Larry, Weasel, Ripple. Par ailleurs, Dave Cooper expose régulièrement ses peintures à l’huile. Gabriel Pailler, M’Lire, Laval
Paul dans tous ces états par Marie-Cécile Cristofoli
Michel Rabaglieti Paul en appartement Michel Rabagliati Editions La pastèque
née où Lennon est assassiné en bas de son immeuble, l’année où India Song de Marguerite Duras sort en salle et fait hurler de rire Paul et Lucie, l’année où commence tout simplement leur histoire d’amour… uillet 1983, Paul et Lucie emménagent dans leur nouvel appartement à Montréal. La première nuit, Paul se remémore leur rencontre sur les bancs du Studio Seguin, leur école de dessin commercial.
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Il se souvient comment, en cette rentrée 1980, leur nouveau professeur Jean-Louis Desrosiers va les initier au design, au cinéma, à l’art, à la culture en somme, et comment il emmène quatre de ses élèves en voyage culturel à New York pour découvrir les nouvelles tendances artistiques. C’est l’an-
Dans ce récit autobiographique, Michel Rabagliati raconte à travers plusieurs aventures de Paul (voir bibliographie), sa naissance à Montréal en 1961, sa formation à la typographie et au graphisme publicitaire, puis son arrivée progressive dans la bande dessinée. Fervent admirateur de Tardi, Goossens, Dupuy, Berbérian, Seth, Julie Doucet et bien d’autres, il se produit en Rabagliati un déclic si bien qu’il commence à écrire des scénarii dans lesquels il donne vie à son autre lui, Paul. A partir d’un quotidien intimiste, il transforme
son histoire en minis aventures pleines d’humour et de sensibilité. Le ton est juste et le dessin simplement beau et charmant dans le meilleur sens du terme. Chacun de nous se reconnaît un peu dans ce personnage de Paul. Digne héritier de Kiraz ou de Gotlib, Michel Rabagliati a eu raison de quitter le milieu publicitaire et de nous offrir toutes ces petites tranches de vie. Publié pour la première fois aux éditions de la Pastèque, chez Drawn & Quaterly, éditeur canadien de, entre autres, Seth, Adrian Tomine, Chris Ware, Michel Rabagliati recevra par la suite de nombreuses récompenses aux Etats-Unis et au Canada. Marie-Cécile Cristofoli, L’Echappée Belle, Sète
Bibliographie : Paul à la campagne, Ed. La Pastèque 1999 Paul Apprentice Typographer, Drawn & Quaterly 2000 Paul in the country, D&Q, Paul et Richard, Spoutnik Paul défait ses boîtes, Le Libraire 2001 Paul dans le métro, Cyclops Paul à la quincaillerie, Spoutnik Paul a un travail d’été, Ed. La Pastèque Paul has a summer job, D&Q Paul in the metro, D&Q annual Paul goes to the hardware store, Cyclops Paul en appartement, Ed .La Pastèque 2004
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Un beau lieu de mécanique générale par Gabriel Paillier
Jimmy Beaulieu et MG Ma voisine en maillot Jimmy Beaulieu mécanique générale/les 400 coups
ilettante du dessin et musicien de la BD, Jimmy Beaulieu est un acteur important de la scène BD montréalaise. Venu à la BD un peu par hasard, il a fait tous les métiers possibles autour de l’art séquentiel (libraire, éditeur, conférencier, commissaire d’exposition…) avant de se consacrer à la production de ses propres projets et à son poste de « coach » (directeur de collection) chez Mécanique Générale.
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Fin des années 90, il publie ses premières BD et participe à la création des éditions de La Pastèque, de la revue Spoutnik et du centre de diffusion F-52. En 2001, il créé avec deux collègues dessinateurs, Leif Tande et Sébastien Trahan, accompagnés de Luc Giard, Benoît Joly et PhlppGrrd, l’écurie Mécanique Générale, collectif de six auteurs et maison d’édition. MG explore le médium de l’image séquentielle à bulles avec liberté et poésie, selon les propres envies de ses auteurs. Véritable laboratoire de création, les éditions MG publient les projets personnels de ses auteurs mais aussi des petits nouveaux comme des plus confirmés (MG vient d’éditer Véro d’Edmond Baudoin), des collaborations et des collectifs d’auteurs. Avec un dessin souvent proche du crayonné, et un trait hérité de la ligne claire, rapide et efficace, Jimmy Beaulieu nous raconte des histoires du quotidien, des petits riens aux grands moments, sa vie est une source d’inspiration constante ainsi que sa ville d’adoption, Montréal. Dans Quelques pelures et Résine de Synthèse, qui se répondent, il nous raconte la solitude, la recherche de l’âme soeur puis une fois sa blonde trouvée, la vie commune, le tout arrosé d’une bonne dose d’ironie et d’autodérision. Dans Moins vingt-deux degrés Celsius, son album le moins personnel et écrit en trois jours, Beaulieu exprime la solitude d’une femme en manque d’affection qui se réfugie avec son chat dans le visionnage des films de Steve McQueen (à voir presque uniquement pour le dessin de cette femme belle et fragile). Le moral des troupes, qui doit être sa BD la plus aboutie, reprend le cours autobiographique de Beaulieu à Montréal, sa nouvelle vie avec sa blonde, sa relation aux femmes et au monde, qu’il déplore froid et cynique. Dans la veine du roman graphique (le livre compte plus de 150 pages), il se replonge également dans son enfance, sa vie à Québec, la famille et les copains d’enfance. Vient de paraître, son dernier album, Ma voisine en maillot, qui traite, à l’inverse de Moins vingtdeux degrés Celsius, de l’exubérance estivale et d’une histoire d’amour exclusive le temps d’une coupure générale d’électricité. Gabriel Pailler, M’lire, Laval
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INITIALES
Une association, des libraires.
Libraires indépendants, nous partageons la même passion des livres et de notre métier. Nous avons choisi de nous rassembler en créant l’association Initiales en 1997 et d’œuvrer dans un même sens pour la défense de nos identités culturelles. Depuis sa création, Initiales a édité différents dossiers thématiques et textes inédits. Retrouvez-les intégralement sur le site www.initiales.org. Les coups de cœur et les chroniques des libraires sont en lecture libre sur notre site www.initiales.org. Chaque librairie est un lieu d’échanges, de rencontres et de débats ; retrouvez l’ensemble des manifestations organisées dans chacune d’entre-elles sur le site www.initiales.org. A l’occasion de la précédente édition du Festival America, nous éditions « nos amériques », un dossier consacré à la littérature des Etats-Unis. N’hésitez pas à nous le demander, il en reste quelques uns !
Remerciements : Tout spécialement à Alberto Manguel, Pascal Jourdana et Yoann Gentric, aux éditions Actes Sud, Albin Michel, L’Olivier et les Allusifs, et à tous ceux qui de près ou de loin ont encouragé la naissance de ce dossier, dont Michel Bazin et Francis Geffard.
Coordination : Pascal Thuot Rédaction : Barbara Bessat-Lesage, Sandra Bessière, Géraldine Chognard, Marie-Cécile Cristofoli, Yoann Gentric, Didier Jouanneau, Pascal Jourdana, Alain Lemoine, Alberto Manguel, Jean-Eric Nuquet, Julien de la Panneterie, Gabriel Pailler, Aude Samarut, Pascal Thuot. Régie publicitaire : James Vrignon Conception graphique : Stéphane Vlassak kebrasky@wanadoo.fr Impression : Impritexte (Montrouge)
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Antipodes 8, rue Robert Schuman 95880 Enghien Tél 01 34 12 05 00 Fax 01 34 17 69 26 www.librairieantipodes.com L’Arbousier 1, avenue Abdon Martin 04700 Oraison Tèl/Fax 04 92 78 61 08 librairielarbousier@tiscali.fr L’Astrée 69, rue de Lévis 75017 Paris Tél 01 46 22 12 21 lastree@free.fr www.lastree.com Atout-livre 203 bis, avenue Daumesnil 75012 Paris Tél 01 43 43 82 27 Fax 01 43 43 82 73 info@atoutlivre.com www.atoutlivre.com Blandine Blanc 19, rue Pierre Bérard 42000 Saint-Etienne Tél / Fax 04 77 32 58 49 librairiebb@free.fr www.blandineblanc.com Le Bruit des Mots 11, place du Marché 77100 Meaux Tél 01 60 32 07 33 Fax 01 60 32 07 34 bruit.des.mots@wanadoo.fr www.lebruitdesmots.com Le Cadran Lunaire 27, rue Franche 71000 Mâcon Tél 03 85 38 85 27 Fax 03 85 40 92 16 cadran.lunaire@wanadoo.fr www.lecadranlunaire.com Comme un roman 27, rue de Saintonge 75003 Paris Tél 01 42 77 56 20 Fax 01 42 77 56 20 commeunroman@wanadoo.fr www.comme-un-roman.com Les Cordeliers 13, Côte des Cordeliers 26100 Romans-sur-Isère Tél 04 75 05 15 55 Fax 04 75 72 50 56 libcordeliers@wanadoo.fr www.librairielescordeliers.com
Le cyprès 17 rue du Pont Cizeau 58000 Nevers TÈl 03 86 57 53 36 Fax 03 86 59 59 24 www.lecypres.com
Millepages 174, rue de Fontenay 94300 Vincennes Tél 01 43 28 04 15 Fax 01 43 74 44 13 millepages@wanadoo.fr www.millepages.fr
Quai des Brumes 120, Grand’Rue 67000 Strasbourg Tél 03 88 35 32 84 Fax 03 88 25 14 45 quaidesbrumes@club-internet.fr www.librairiequaidesbrumes.com
L’échappée belle 7 rue Gambetta 34200 Sète Tél 04 67 43 64 54 Fax 04 67 74 74 18 libechappeebelle@aol.com www.lechappeebelle.fr
Millepages Jeunesse 127, rue de Fontenay 94300 Vincennes Tél 01 43 28 84 30 Fax 01 43 28 71 77 millepages.jeunesse@wanadoo.fr www.millepages.fr
La Réserve 81, avenue Jean Jaures 78711 Mantes-La-Ville Tél 01 30 94 53 23 Fax 01 30 94 18 08 librairie.lareserve@wanadoo.fr www.librairielareserve.fr
Millepages BD et Disques 133, rue de Fontenay 94300 Vincennes Tél 01 43 28 04 50 Fax 01 43 28 04 54 millepages.bd@wanadoo.fr www.millepages.fr
Le Scribe 115, faubourg Lacapelle 82000 Montauban Tél 05 63 63 01 83 Fax 05 63 91 20 08 libscribe@aol.com www.lescribe.com
M’Lire 3 rue de la Paix 53000 Laval Tél 02 43 53 04 00 Fax 02 43 53 23 52 mlire@wanadoo.fr www.mlire.com
Des Signes 17, rue Pierre Sauvage 60200 Compiègne Tél. 03 44 38 10 18 Fax. 03 44 38 10 21 www.librairiedessignes.com
L’Écritoire 30, place Notre-Dame 21140 Semur-en-Auxois Tél 03 80 97 05 09 Fax 03 80 97 19 89 ecritoire@wanadoo.fr www.ecritoire-semur.com Le grain des mots 13 boulevard du Jeu de Paume 34000 Montpellier Tél 04 67 60 82 38 Fax 04 67 60 82 91 info@legraindesmots.com www.legraindesmots.com Gwalarn 15, rue des Chapeliers 22300 Lannion Tél 02 96 37 40 53 Fax 02 96 46 56 76 librairie.gwalarn@wanadoo.fr www.librairiegwalarm.com Lucioles 13-15, place du Palais 38200 Vienne Tél 04 74 85 53 08 Fax 04 74 85 27 52 lucioles@free.fr www.librairielucioles.com Maupetit 142-144 La Canebière 13001 Marseille Tél 04 91 36 50 50 Fax 04 91 36 50 79 maupetit@wanadoo.fr www.librairiemaupetit.com Le Merle Moqueur 51, rue de Bagnolet 75020 Paris Tél 01 40 09 08 80 Fax 01 40 09 86 60 mailing@lemerlemoqueur.fr www.lemerlemoqueur.fr
Mots et Images 10 rue Saint-Yves 22200 Guingamp Tél 02 96 40 08 26 Fax 02 96 40 08 27 mots-et-images@wanadoo.fr
Le Square (L’université) 2, place Docteur Léon Martin 38000 Grenoble Tél 04 76 46 61 63 Fax 04 76 46 14 59 libsquar@club-internet.fr www.librairielesquare.com
Les Mots Passants 2, rue du Moutier 93300 Aubervilliers Tél/Fax 01 48 34 58 12 lesmotspassants@wanadoo.fr www.lesmotspassants.com
Vent d’Ouest 5, place du Bon-Pasteur BP 31626 44016 Nantes Cedex Tél 02 40 48 64 81 Fax 02 40 47 62 18 librairie@ventdouest.org
Nordest 34 bis rue de Dunkerque 75010 Paris Tél/Fax 01 48 74 45 59 lib.nordest@wanadoo.fr www.librairienordest.com
Vent d’Ouest au Lieu Unique 2, rue de la Biscuiterie 44000 Nantes Tél 02 40 47 64 83 Fax 02 40 47 75 34 ventdouestalu@hotmail.com
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Ce dossier, pour une bonne part constitué d’inédits vous est offert par les librairies Initiales.