Les Notes de l’Institut Diderot
De l’antisémitisme en France ÉRIC KESLASSY
INSTITUT DIDEROT / www.institutdiderot.fr / @InstitutDiderot
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ÉRIC KESLASSY
De l’antisémitisme en France
Septembre 2015
Les Notes de l’Institut Diderot
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SOMMAIRE REMERCIEMENTS
p. 5
AVANT-PROPOS
p. 7
DE L’ANTISÉMITISME EN FRANCE
p. 9
Dominique Lecourt
Éric Keslassy
ANNEXES
p. 43
LES PUBLICATIONS DE L’INSTITUT DIDEROT
p. 47
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REMERCIEMENTS Je tiens tout d’abord à remercier chaleureusement Jean-Claude Seys, président de l’Institut Diderot, et le Professeur Dominique Lecourt, directeur général de l’Institut Diderot, pour leur remarquable travail à la tête du laboratoire d’idée qui accueille cette réflexion sur l’antisémitisme contemporain. Qu’ils soient également remerciés d’en avoir immédiatement validé le principe. Alexis Rosenbaum, auteur d’une excellente synthèse sur l’antisémitisme 1 et Günther Jikeli, chercheur allemand qui vient de publier une précieuse enquête 2, ont accepté de lire des versions provisoires de mon texte. Frédéric Srour a également pris le temps d’annoter avec précision ce texte. Leurs remarques et conseils m’ont permis de l’améliorer. Qu’ils en soient ici tous les trois vivement remerciés. Selon la formule consacrée, je reste évidemment seul responsable des éventuelles erreurs et des opinions contenues par cette note. Enfin, mes remerciements sincères vont à ceux qui ont pris le temps de répondre à mes questions : Hakim Allouche de Sciences Po, le président de La Fondation du Camp des Milles – Mémoire et Éducation (et Directeur de recherche au CNRS) Alain Chouraqui, le psychiatre et psychanalyste Boris Cyrulnik, Günther Jikeli, l’islamologue Adel Rifaat, et Alexis Rosenbaum. Éric Keslassy, le 6 juillet 2015
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1. Alexis Rosenbaum, L’antisémitisme, Bréal, 2015. 2. Günther Jikeli, European Muslim Antisemitism. Why Young Urban Males Say They Don’t Like Jews, Indiana University Press, 2015.
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AVANT-PROPOS On avait cru l’antisémitisme en France relégué dans un passé révolu lié à une extrême droite discréditée par les années de la collaboration et les excès nationalistes de quelques guerriers de la décolonisation. Pourtant, depuis une vingtaine d’années, l’antisémitisme est de retour. Et cette forme meurtrière de la haine sociale frappe à nouveau durement sur le sol de France. Chacun sait cependant que sa tonalité de fond n’est plus du tout celle de la « révolution nationale ». Le vocabulaire est plutôt celui de l’islamisme ou de l’extrême gauche européenne. Le mouvement de bascule s’est effectué à la fin des années 1980 autour de la question palestinienne. Les effets s’en manifestent dans le style décomplexé, c’est-à-dire violent, qu’affectionne une partie de la jeunesse. Il n’y a rien de vraiment commun entre le traditionnel discours judéophobe de Catholiques traditionnalistes et celui qui dénonce l’arrogance et l’illégitimité d’un État engagé dans une lutte acharnée pour sa propre existence. Dès lors que le soi-disant État islamique (Daech) se présente comme fondé sur les leçons du Coran, il ne s’agit plus de résoudre un problème politico-militaire sur un territoire déterminé. Tout est fait pour que cette guerre civile devienne une guerre de religion à grande échelle, voire ce que certains appellent une guerre de civilisations lorsqu’ils opposent les « valeurs » occidentales aux autres. Cessons, en tout cas, de fermer les yeux ! Dans nos classes, aujourd’hui, le rejet de certains cours d’histoire par une partie de nos élèves est récurrent. Les enseignants font face à des contestations à connotation expressément antisémite lorsqu’ils abordent la question de la Shoah, tandis que l’antisémitisme peut également se révéler dans les cours de récréation et je ne parle pas des élèves qui refusent d’assister à des cours de biologie lorsqu’on leur parle de Darwin et de la théorie de l’évolution. Coincés par le chantage affectif qui pèse sur l’ancien colonisateur, nombre 7
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d’intellectuels et responsables politiques en viennent à renoncer à tout devoir critique à l’encontre d’actes très évidemment criminels. Ce n’est pas faire de la « musulmanophobie » que de constater qu’il existe un puissant antisémitisme dans les banlieues françaises qui enrôle à tour de bras des jeunes gens fraîchement convertis à diverses variantes de l’islamisme comme le salafisme ; lequel professe un retour à un Islam tel qu’on le pratiquait selon eux à l’époque du Prophète. L’énigme la plus menaçante est celle de leur nombre et de l’extrême rapidité (et facilité) avec laquelle ils se rendent sur le terrain. Une fois les Juifs identifiés aux puissants et aux riches qui dominent et gouvernent la planète, il n’est pas difficile de se forger l’image de vertueux combattants engagés dans une lutte à mort contre les modes de vie et les valeurs matérialistes d’un Occident qu’ils considèrent comme dépravé. Ils lui reprochent de favoriser partout une libération des mœurs jugée indécente ainsi qu’un libéralisme à l’endroit des femmes présenté comme contraire à l’enseignement du Prophète. Cet antisémitisme a frappé, y compris des Français de confession musulmane à Toulouse, dans une certaine indifférence dont le fameux « esprit du 11 janvier » apparaît comme une espèce de conjuration symbolique collective. Le texte que nous allons lire examine avec calme et fermeté l’expansion indéniable de cette répugnante manière de penser et d’agir sur laquelle il n’y a pas à transiger, pas plus aujourd’hui qu’hier. Dominique Lecourt Directeur général de l’Institut Diderot
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De l’antisémitisme en France De nos jours, l’information circule à un rythme effréné. Si bien qu’un événement fortement médiatisé chasse l’autre, laissant rarement des traces vraiment durables dans la mémoire collective. Les chaînes d’information continue et les réseaux sociaux ont renforcé cette « culture » de l’instant, qui se traduit par l’absence de recul et de perspective. Au fond, tout se passe comme s’il n’y avait plus d’« avant ». Ce travers de la société de l’information affecte aussi notre réflexion sur la montée de l’antisémitisme en France. Les attentats de janvier 2015 ont ainsi souvent été présentés comme une « actualité » isolée, indépendamment du climat antisémite dans lequel vivent les Français de confession juive depuis le début des années 2000. Si bien que l’on continue d’ailleurs à parler d’un « nouvel antisémitisme » pour un phénomène qui est apparu et dénoncé depuis plus de 15 ans. Sans même remonter aussi loin, rares sont les commentateurs des évènements du 9 janvier 2015 – date de l’attaque de la supérette casher de la Porte de Vincennes à Paris – ayant fait référence aux manifestations de 2014 qui, pourtant, ont laissé percer un antisémitisme libéré et répandu dans une partie la société française. Un antisémitisme venant d’horizon très divers… 26 janvier 2014. Jour de manifestation en France. « Jour de colère » – mais jour d’antisémitisme également. Un collectif hétéroclite piloté par des associations s’opposant au « mariage pour tous » appelle à manifester contre François Hollande : regroupant des groupuscules d’extrême-droite, des associations d’intégristes catholiques, des mouvements dénonçant le « matraquage fiscal » du gouvernement, des partisans de Dieudonné et des militants proches d’Alain Soral, il parvient à réunir plusieurs milliers de personnes dans les rues de Paris. Le cortège résonne d’un antisémitisme « décomplexé » : « Juif ! Juif ! Juif ! Casse-toi ! La France n’est pas à toi ! ». Certains manifestants n’hésitent pas à tendre le bras pour reproduire le salut nazi, quand de nombreux autres se 9
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« contentent » de la quenelle 3… C’est la première fois depuis le 6 février 1934 que des fascistes en si grand nombre défilent à Paris et expriment leur haine contre les Juifs. Pourtant, les grands médias ne parlent quasiment pas de ce « nouveau moment antisémite » 4. Un tout autre contexte donne lieu à de violents débordements antisémites au cœur de l’été 2014. Pour tenter de mettre un terme aux tirs de roquettes du Hamas, Israël lance l’opération militaire « Bordure protectrice » le 8 juillet 2014 en menant des bombardements aériens (Tsahal entre dans Gaza le 17 juillet). En France, une première manifestation est organisée dans plusieurs villes le 13 juillet pour affirmer, selon le mot d’ordre officiel, un « soutien total et inconditionnel à la Résistance palestinienne sous toutes ses formes » – ce qui inclut le terrorisme islamiste du Hamas 5. À Paris, à l’approche de la place de la Bastille, les manifestants ne se contentent plus de crier « Israël assassin », ils s’époumonent de « Mort aux Juifs ! » 6 et semblent vouloir mettre leur menace à exécution en s’attaquant à la synagogue de la Roquette – qui doit être placée sous protection policière. Bien qu’interdite, une nouvelle manifestation propalestinienne est organisée le 19 juillet : elle donnera lieu à des débordements antisémites équivalents et à un affrontement très violent avec les policiers dans le quartier de Barbès. Le lendemain, à Sarcelles, une autre manifestation pro-palestinienne illégale se termine en véritable émeute urbaine : les « Mort aux Juifs » s’accompagnent d’une attaque contre la synagogue à l’aide de fumigènes et de cocktails Molotov. Le face à face est impressionnant : devant le lieu de culte, pour montrer leur détermination, des Français de confession juive entonnent une Marseillaise rapidement sifflée par les assaillants ; repoussés par les forces de l’ordre, ces derniers se replient pour mieux saccager plusieurs commerces tenus par des Juifs. Un cocktail Molotov déclenche même l’incendie d’une épicerie casher – celle qui avait déjà été la cible d’une attaque terroriste deux ans auparavant. Le 25 septembre, l’émission Complément d’enquête de France 2 ..................................................................................................................................................................................................................................................................
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Voir la note 79. Pierre Birnbaum, Sur un nouveau moment antisémite. « Jour de colère », Fayard, 2015 Voir en annexe 1 les extraits de la charte du Hamas qui sont particulièrement explicites. On peut ici s’interroger : des cris « Mort aux Israéliens ! » ou « Mort aux sionistes ! » seraient-ils plus acceptables ? Les autres conflits du monde ne provoquent pas de manifestations et ne conduisent donc pas à des slogans de ce type. Comme personne ne crie « Mort aux Syriens ! » ou « Mort aux Chinois ! », on peut se demander si la haine contre les Israéliens ou les sionistes ne dissimule pas tout simplement de l’antisémitisme.
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revient sur les lieux pour tenter de comprendre ce déchaînement de violence et interroge un jeune Sarcellois qui, à visage découvert, n’hésite pas à appeler au meurtre : « Ce qu’ils font là-bas, en Palestine, nous ici on le fait aux Juifs… Si on s’énerve pour de vrai, c’est grave, on peut les tuer. Si on veut, on les tue ! ». La haine des Juifs est donc explicite. L’attentat du 9 janvier 2015, qui coûte la vie à quatre Juifs – morts simplement parce que Juifs –, se déroule donc pratiquement un an après qu’on ait entendu les slogans antisémites lors du « Jour de Colère ». « Janvier 2014 janvier 2015 : l’année antijuive en France, une année terrible. » 7 Mais cette vague antisémite n’est pas apparue spontanément. Tous ces événements ne peuvent pas être compris si on les analyse indépendamment de la progression de l’antisémitisme que connaît la France depuis le tout début des années 2000. En moins de dix ans, ce sont bien neuf Juifs qui ont été tués sur le sol français par antisémitisme : en janvier 2006, Ilan Halimi est enlevé et torturé par le « gang des barbares » en quête d’une improbable rançon – puisque les Juifs sont censés être riches et solidaires – puis achevé par Youssouf Fofana ; en mars 2012, Jonathan Sandler, ses deux enfants Aryeh et Gabriel (3 et 6 ans), ainsi que Miryam Monsonégo (8 ans) sont assassinés à Toulouse devant l’école Ozar Hatorah par Mohamed Merah ; et, donc, en janvier 2015, Philippe Braham, Yoan Cohen, Yoav Hattab et François-Michel Saada sont exécutés par Amédy Coulibaly. L’objet de cette note est d’essayer de comprendre précisément pourquoi la haine antijuive s’est installée dans certaines franges de la société française. Comment expliquer cette montée des violences antisémites dans notre pays ? Un décryptage devenu essentiel pour tenter de sauvegarder ce qu’il reste de notre « vivre ensemble ».
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7. Pierre André Taguieff, Une France antijuive ? Regards sur la nouvelle configuration judéophobe. Antisionisme, Propalestinisme, Islamisme, CNRS Editions, 2015, p. 7.
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CONSTAT STATISTIQUE, FAUSSE PISTE, « ALYAH » ET DÉNI DE RÉALITÉ En partenariat avec le ministère de l’Intérieur, le Service de Protection de la Communauté Juive (SPCJ) – créé en 1980 après l’attentat contre la synagogue de la rue Copernic – recense les actes antisémites. Seules sont comptabilisées les actions (comme les violences, les homicides ou leur tentatives etc.) et les menaces (injures et gestes menaçants, courriers notamment) qui font l’objet d’un signalement auprès des services de Police – plaintes ou mains courantes. Il y a donc fort à parier que les statistiques qui suivent sous-estiment la réalité antisémite en France. Document 1 : Évolution des actes antisémites en France Années Actes Antisémites
1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 81
82
744
219
936
601
974
508
Années
2007 2008 2009 2010 2011
2012 2013 2014
Actes Antisémites
402
614
397
832
466
389
423
571
851
Source : Ministère de l’Intérieur et SPCJ (2015)
La très vive inquiétude qui traverse actuellement les Français de confession juive est bien le résultat d’une situation qui s’est brutalement dégradée en 2000. Alors que l’antisémitisme semblait globalement maîtrisé à la fin des années 90 – ou, au moins, limité à exister par les déclarations provocantes de Jean-Marie Le Pen, contenu dans les mouvances de l’extrême-droite négationniste et de l’antijudaïsme de tradition catholique –, la France se trouve confrontée à une incroyable flambée antisémite en 2000. En 1999 et 2000, le nombre d’actes antisémites augmente de 807 %. Cette brusque recrudescence de la haine antijuive fait apparaître de nouveaux acteurs. Les agresseurs proviennent désormais de l’immigration arabo-musulmane. Comme cette vague d’antisémitisme se déclenche à l’automne 2000, au moment de la seconde Intifada (« Intifada Al Aqsa » ou « guerre israélo-palestinienne »), on a pu croire qu’elle était directement liée aux violences du Proche-Orient – ou plus exactement à la façon dont ils sont (re)transmis en France. Hypothèse qui 12
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se renforce les deux années suivantes : en 2001, année de relatif apaisement au Proche-Orient, les actes antisémites « descendent » à 219, alors qu’en 2002, lorsque le conflit entre l’armée israélienne et les groupes palestiniens islamistes est monté aux extrêmes, ils augmentent et atteignent 936. En réalité, nous savons maintenant que l’importation du conflit israélopalestinien n’a joué qu’un rôle de déclencheur de la haine antijuive qui s’est structurellement installée dans une partie de la société française : le « record » des actes antisémites est établi en 2004 (976) alors qu’il ne se passe rien de particulier au Proche-Orient et, indépendamment des évolutions du conflit israélo-palestinien, la moyenne des actes antisémites entre 2000 et 2014 est de 595 ! On a également pu établir que les évènements tragiques concernant directement les Juifs se traduisent toujours par des explosions de violence antisémite : après la tuerie de Toulouse, 90 actes contre les Juifs ont été recensés en 10 jours ; dans bon nombre de cas, ils étaient réalisés en s’identifiant à Mohamed Mérah ou en faisant directement référence à ses crimes ; les auteurs des actes terroristes font l’objet d’une sorte de glorification. On « s’amuse à se prendre pour »… ! Émerge alors la figure du « héros négatif » qui permet facilement de ne plus se sentir méprisé, mais craint…pour le pire. Au total, aujourd’hui, 51 % des actes racistes commis sur le territoire français visent des Juifs 8 – qui représentent pourtant moins de 1 % de la population. Derrière ces chiffres, ce sont des citoyens français qui sont régulièrement insultés et menacés, agressés verbalement mais aussi physiquement 9 en raison de leur confession (réelle ou supposée) – sans compter le déluge de détestation sur Internet. Les institutions « communautaires » (des synagogues et des écoles notamment) sont également attaquées… Il se développe ainsi une ..................................................................................................................................................................................................................................................................
8. Entre 2013 et 2014, les actes racistes ont augmenté de 30 %. Au contraire, les faits antimusulmans enregistrent une baisse notable de 41 % – avec 133 faits délictueux en 2014 contre 226 en 2013 (La lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, Rapport du CNCDH, 2014) ; par conséquent, la quasitotalité de la hausse des actes racistes s’expliquent par la progression de l’antisémitisme (+ 101 % entre 2013 et 2014). 9. Il n’est évidemment pas possible de revenir précisément sur tous les faits antisémites advenus en 2014 et 2015. Rappelons tout de même l’effroyable agression du 1er décembre 2014 à Créteil : trois hommes cagoulés et lourdement armés font irruption dans l’appartement d’un jeune couple pour les cambrioler – ils partaient du principe que les Juifs ont nécessairement des « revenus immenses ». L’un des agresseurs aurait ainsi lancé à ses victimes : « les Juifs, vous avez de l’argent chez vous, vous ne le mettez pas à la banque… ». La séquestration dure près de deux heures, la jeune femme est violée.
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sorte d’antisémitisme du quotidien qui rend la vie impossible, tant cela oblige finalement les personnes visées à être sans arrêt sur le qui-vive. Autre constat désastreux pour notre République : il n’y a plus qu’un quart des élèves juifs qui étudient dans une école publique ; en grande partie parce que les parents ont souhaité protéger leurs enfants en les inscrivant dans des écoles privées catholiques ou dans des écoles juives – qui, aujourd’hui, sont placées sous la garde des militaires dans le cadre de l’opération « Sentinelle » 10. Aussi, le sait-on maintenant avec certitude, le conflit israélo-palestinien sert seulement de prétexte pour exprimer un antisémitisme structurel : il permet de libérer une parole de haine à l’égard des Juifs et/ou de justifier une violence antisémite. Cet antisémitisme table sur des préjugés accumulés au fil du temps ainsi que sur la très fréquente confusion entre Juifs et Israéliens. Sur ce point, observons que les propos des responsables de la communauté juive en France ne permettent pas toujours de lever cet amalgame dangereux : même si le lien des Juifs avec l’État d’Israël est fort – notamment parce qu’ils le perçoivent comme un refuge potentiel –, il doit être possible pour les dirigeants communautaires d’exercer un regard critique sur la politique menée par les différents gouvernements israéliens. Il est d’ailleurs très surprenant qu’un changement de majorité politique à Jérusalem n’implique aucune nuance dans la défense de l’État d’Israël en France. Par ailleurs, s’il l’on comprend bien qu’il est dans son rôle, force est de constater que Benyamin Netanyahou ne simplifie pas la position des « Juifs de France » lorsqu’il explique, après les attentats de janvier 2015, que l’État d’Israël est leur « foyer » 11. Il n’empêche que le signe le plus tangible de l’angoisse partagée par un grand nombre de Français de confession juive se vérifie dans la très forte et récente augmentation des chiffres de leur départ vers Israël (une émigration appelée ..................................................................................................................................................................................................................................................................
10. L’opération Sentinelle est une opération de l’Armée française déployée au lendemain des attentats des 7, 8 et 9 janvier 2015, pour faire face à la menace terroriste et protéger les « points » sensibles du territoire. 11. De Jérusalem, le 10 janvier 2015, le Premier ministre israélien déclare : « A tous les juifs de France, tous les juifs d’Europe, je vous dis : Israël n’est pas seulement le lieu vers lequel vous vous tournez pour prier, l’État d’Israël est votre foyer. » Le soir même, le Premier ministre, Manuel Valls, lui répond : « La France, sans les Juifs de France, n’est plus la France. » Après la manifestation du 11 janvier, lors d’une cérémonie à la Grande synagogue de la victoire, Benyamin Netanyahou précise que les « Juifs français » seraient accueillis « à bras ouverts » en Israël même s’ils ont le droit « de vivre en sécurité dans chaque endroit où ils choisiraient (de vivre), en particulier la France. ».
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« alyah », soit la « montée » vers Israël). Alors que la flambée antisémite du début des années 2000 avait déjà provoqué une hausse de 60 % de l’émigration vers l’État juif, pour ensuite décroître et se stabiliser autour de 2 000 émigrés par an entre 2005 et 2012, l’insécurité croissante vécue aujourd’hui par la communauté juive hexagonale s’est traduite par une augmentation de 277 % du nombre des départs entre 2012 et 2014. Et l’année 2015 s’annonce comme une nouvelle année record. 12 Document 2 : É volution des départs des Français de confession juive vers Israël 13 1990 - 2001 (Moyenne)
2002 - 2004 (Moyenne)
2005
2006
2007
1502
2374
2948
2831
2715
2008 - 2011 (Moyenne)
2012
2013
2014
2015 (Prévision)
1885
1915
3263
7231
8500 14
Source : Ministère israélien de l’intégration et Agence juive (avril 2015)
Les Français de confession juive savent maintenant qu’ils peuvent se faire tuer en faisant leurs courses dans une supérette casher juste avant Chabbath 15. Mais s’ils sont plus enclins à se laisser tenter par le départ 16, c’est aussi parce qu’ils ..................................................................................................................................................................................................................................................................
12. Il existe d’autres facteurs expliquant cet emballement de l’« alyah » des Français de confession juive : réalisation de l’idéal sioniste, acte religieux, raisons économiques (fiscalité favorable et dynamisme de la croissance en Israël) sont également des motivations. Même si « l’angoisse d’une partie des juifs de France est indéniable », « l’émigration vers Israël n’est toutefois pas réductible à une ‘‘alya de la peur’’ » in JeanMarc Dreyfus et Marc Hecker, « Paris-Jérusalem : les raisons de l’alya », Libération, 25 décembre 2014. 13. Les périodes durant lesquelles les chiffres restent globalement constants sont présentées sous forme de moyenne. 14. Après avoir longtemps annoncé 10 000 départs en 2015, l’Agence juive a revu son estimation à la baisse. 15. Selon la tradition juive, Dieu a créé le monde en six jours et s’est reposé le septième. Le Chabbath correspond à ce septième jour (du vendredi soir au samedi soir), un jour de repos où l’on s’exonère de toutes les contingences matérielles pour se concentrer sur des activités spirituelles et familiales. 16. Il est possible de quelque peu nuancer ce constat en ramenant la prévision des départs en 2015 – 8 500 – à la population totale des Juifs en France (que l’on estime généralement à 550 000) : ce ne sont en effet que 1,5 % des Français de confession juive qui partiraient cette année.
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ont le sentiment que l’antisémitisme s’est désormais banalisé, que l’on peut y adhérer – à l’image des milliers de spectateurs qui continuent à se rendre aux spectacles de Dieudonné – et surtout qu’il ne fait plus autant réagir qu’avant. Les événements de janvier 2015 ont paradoxalement accentué cette perception car ils ont fait surgir une question à la fois entêtante et infamante : les citoyens se seraient-ils autant mobilisés si la liberté d’expression n’avait pas été directement attaquée ? L’attentat du 9 janvier de la Porte de Vincennes est en effet venu après celui du 7 janvier qui a décimé la rédaction de l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo ; la France est alors en état de choc et, le 11 janvier, les Français descendent massivement dans la rue pour montrer au monde leur refus de voir l’obscurantisme l’emporter. Mais on peut alors malheureusement se demander : les Français auraient-ils manifesté aussi nombreux si les victimes avaient seulement été juives ? Poser la question revient malheureusement à y répondre. Pourquoi les Français ne se sont-ils pas sentis autant concernés après l’assassinat d’Ilan Halimi ou encore après les meurtres d’enfants à l’école juive de Toulouse ? Les victimes n’étaient-elles pas françaises ? En dehors des cérémonies officielles, pourquoi n’y-a-t-il eu aucun mouvement populaire pour montrer la solidarité de la Nation à l’égard des Français de confession juive ? Rappelons-nous qu’en 1990, la profanation du cimetière juif de Carpentras avait suscité des manifestations imposantes. Il semble monter de la société française une sorte d’indifférence devant la progression de la haine antijuive, au moment même où elle devient meurtrière. Bien que se déroulant après l’assassinat d’Ilan Halimi et l’attentat de Toulouse, la tuerie du Musée juif de Bruxelles ne suscite aucune réponse particulière 17. Cette période de passivité de l’opinion publique française devant la multiplication des « actualités antisémites » (outre la montée des actes antisémites et le terrorisme, on peut faire par exemple référence aux fréquentes provocations de Jean-Marie Le Pen, d’Alain Soral ou encore de Dieudonné qui sont largement reprises et dénoncées par les médias), fait suite à un long temps du déni : par exemple, on n’a pas voulu voir que la critique légitime de l’État d’Israël cachait trop souvent une réalité antisémite 18. ..................................................................................................................................................................................................................................................................
17. Le 24 mai 2014, un jeune Français, Mehdi Nemmouche, attaque le Musée juif de Bruxelles et tue quatre personnes (dont deux Juifs). Le caractère antisémite de l’attentat ne fait aucun doute. 18. Comme le montre très tôt Pierre-André Taguieff, La nouvelle judéophobie, Mille et une nuits, 2002.
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Pourtant, déjà, le 7 octobre 2000, lors d’une manifestation pro-palestinienne organisée par le Parti communiste, les Verts et des associations comme le MRAP, des slogans comme « À bas les Juifs ! » sont hurlés à Paris. À cette occasion, pour la première fois depuis l’affaire Dreyfus, des manifestants scandent également « Mort aux Juifs ! » Cela n’a pas provoqué la moindre réaction ni des pouvoirs publics, ni des Français. Depuis 2000, des appels ont bien été lancés régulièrement pour signaler qu’une partie de notre jeunesse et que certaines de nos banlieues se perdent dans un rejet virulent et facile des Juifs. Souvenons-nous du livre intitulé Les territoires perdus de la République 19 qui regroupe, en 2002, des témoignages d’enseignants qui démontrent combien l’antisémitisme est répandu parmi certains de nos élèves, en particulier dans les quartiers populaires. Le gouvernement socialiste s’est contenté d’adresser une circulaire, en date du 2 avril 2002, aux responsables de l’Éducation nationale pour rappeler que « les principes d’égalité et de fraternité (sont) le socle de notre coexistence nationale. » Les auteurs des Territoires perdus de la République expliqueront plus tard qu’ils se sont heurtés à des portes closes au ministère de l’Éducation nationale. En fait, le « logiciel socialiste » de l’époque ne permet pas de saisir la réalité telle qu’elle est et d’accepter que des victimes potentielles d’actes racistes et de discriminations puissent se transformer en « bourreaux » antisémites. D’une façon générale, le fait que les « jeunes de banlieues » soient socialement défavorisés est un argument souvent avancé pour réclamer une certaine indulgence. Mais mettre en avant leur marginalisation – due à une ségrégation sociale et territoriale qui ne cesse de s’affirmer – pour « expliquer » ou, plus grave encore, pour « excuser » leur comportement revient finalement à ne pas les considérer comme de véritables citoyens. Au fond, ce « sociologisme », qui suppose de ne pas exiger d’eux ce que nous attendons de tous, les pousse un peu plus en dehors du cercle défini par les valeurs de la République. On saisit ici combien les « bonnes intentions » peuvent obscurcir la compréhension du monde. Rappelons-nous le rapport Obin 20, démontrant la présence ..................................................................................................................................................................................................................................................................
19. Emmanuel Brenner (sous la direction), Les territoires perdus de la république. Antisémitisme, racisme et sexisme en milieu scolaire, Mille et une nuits, 2002 20. Jean-Pierre Obin, Les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires, ministère de l’Éducation nationale, 2004.
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d’un fort antisémitisme et la très grande difficulté à appliquer la laïcité dans certains collèges et lycées, resté de longs mois dans les tiroirs du ministère de l’Éducation nationale avec des motivations louables : la volonté de ne pas stigmatiser les populations musulmanes et de ne pas faire le jeu du Front national… Mais le résultat est que, très longtemps, il demeure impossible de nommer ces nouveaux acteurs de la judéophobie contemporaine dans le débat public et d’expliquer que les personnes issues de l’immigration arabomusulmane se trouvent en nette surreprésentation parmi ceux qui se rendent coupables d’un acte antisémite si l’on se rapporte à leur poids dans la population. Même si l’affaire du RER D 21 peut en partie expliquer certaines réticences, rappelons-nous combien la qualification comme crime antisémite de l’assassinat d’Ilan Halimi a été l’objet de débats passionnés – ce qui, avec le recul, apparait totalement surréaliste. On conviendra aisément qu’il est très difficile de prendre la juste mesure d’un phénomène, puis de le combattre, si l’on refuse de voir la réalité en face. Au cours de sa tournée promotionnelle agitée, réalisée pour la sortie de son dernier ouvrage 22, Emmanuel Todd a expliqué à plusieurs reprises que c’est seulement l’attentat du 9 janvier 2015 qui lui a fait prendre conscience de la présence d’un fort antisémitisme dans certaines de nos banlieues – et de préciser qu’il ne voulait pas y croire jusque-là, même après l’attentat perpétré par Mohamed Merah à Toulouse. Un grand intellectuel comme Alain Badiou écrit même que la flambée antisémite de 2002 est une « construction » politique visant à « allumer un contre-feu » au moment où la guerre israélo-palestinienne est la plus intense 23 ou encore cherchant à favoriser l’émigration des Français de confession juive vers Israël 24.
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21. Le 9 juillet 2004, soit 18 mois avant l’enlèvement d’Ilan Halimi, une jeune fille non juive prétend avoir subi une violente agression antisémite sur la ligne du RER D. Quelques jours plus tard, alors que l’affaire suscite un emballement médiatique et politique, elle reconnaît avoir menti. 22. Emmanuel Todd, Qui est Charlie ? Sociologie d’une crise religieuse, Seuil, 2015. 23. « Pourquoi cette campagne [dénonçant une ‘‘vague d’antisémitisme’’ en France] ? Il importe d’allumer un contre-feu, car l’opinion publique et même les médias sont choqués de la brutalité avec laquelle l’armée israélienne réprime la deuxième Intifada », Alain Badiou et Eric Hazan, L’antisémitisme partout. Aujourd’hui en France, La fabrique éditions, 2011, p. 8. 24. « D’un point de vue plus empirique, la construction d’une ‘‘montée de l’antisémitisme en France’’ est un argument important en direction des Juifs français pour les pousser à faire leur aliyah, à partir s’installer en Israël. (…) Comme en France il est difficile que les services secrets fassent sauter des synagogues pour pousser les juifs à émigrer, comme il a été fait en Irak et au Maroc, on procède autrement », Alain Badiou et Eric Hazan, op. cit., p. 43.
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Un déni des réalités qui, ici, se rapproche dangereusement de la théorie des complots… Ajoutons que c’est aussi au nom de la mal nommée « islamophobie » 25 que beaucoup n’ont pas voulu admettre qu’il existe dans les populations arabomusulmanes un niveau d’antisémitisme plus important que dans le reste de la société. Pourtant, le fait de combattre justement le racisme antimusulman et les discriminations (en effet beaucoup trop élevés dans notre société) ne devrait pas empêcher de prendre acte de cette réalité apparue explicitement en 2000. Cet aveuglement a fait perdre beaucoup de temps – en particulier pour prendre les « bonnes » mesures – et a nécessairement « autorisé » la diffusion de l’antisémitisme dans la société française. I - COMPRENDRE L’ANTISÉMITISME D’AUJOURD’HUI : LE FAIT MUSULMAN Ce n’est donc que très récemment que le plus grand nombre commence à accepter l’idée que l’antisémitisme des Français issus de l’immigration arabomusulmane est un problème pour le maintien de notre « vivre-ensemble » républicain 26. Il faut évidemment préciser que, même si seule une petite minorité des musulmans de France est concernée, le niveau des préjugés antisémites est plus élevé chez les musulmans que dans le reste de la population française (qui pourtant se situe déjà à un niveau très important 27). Dès 2005, ..................................................................................................................................................................................................................................................................
25. Le terme « islamophobie » semble malheureusement s’être imposé dans le débat public. Son usage entretient pourtant une ambiguïté problématique. Il est en effet à la fois utilisé par des antiracistes qui ne veulent dénoncer que le racisme et les discriminations pratiqués à l’encontre des musulmans ainsi que par des intégristes religieux qui réfutent toute critique de l’Islam. Or, la critique (respectueuse) d’une religion n’est pas du racisme. Nous emploierons donc l’expression plus appropriée de racisme antimusulman. 26. La France compte les « communauté musulmane » et « communauté juive » les plus nombreuses d’Europe. Pour autant, il est fondamental de ne pas opposer un « bloc musulman » à un « bloc juif ». 27. Comme le montre par exemple l’étude de la Fondapol mené par l’Ifop (voir colonne « Ensemble » du document 3). Ajoutons que 25 % des Français interrogés sont d’accord avec l’affirmation « le sionisme est une organisation internationale qui vise à influencer le monde et la société au profit des Juifs » – une question précédente indique que 16 % des répondants sont d’accord avec l’affirmation « il existe un complot sioniste à l’échelle mondiale ». Enfin, 22 % des Français questionnés affirment entendre « souvent ou de temps en temps » dire du mal des Juifs dans leur entourage. Dominique Reynié, L’antisémitisme dans l’opinion publique française. Nouveaux éclairages, Fondation pour l’innovation politique, 2014, p. 10. Dans son dernier rapport, la CNCDH (Commission nationale consultative des droits de l’homme) montre que les Juifs constituent la « minorité la mieux acceptée » en France (85 % des sondés considèrent qu’ils sont des « Français comme les autres »), loin devant les musulmans, mais qu’il existe en même temps « une revitalisation des vieux clichés antisémites » (par exemple, 63 % des personnes interrogées pensent que les Juifs ont « un rapport particulier avec l’argent »). Rapport du CNCDH, op. cit., p. 235-249.
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une enquête du CEVIPOF montre que l’antisémitisme est plus important chez les Français d’origine maghrébine, africaine et turque que dans la moyenne. Par exemple, ils sont deux fois plus nombreux à être d’accord avec l’énoncé « les Juifs ont trop de pouvoir en France » que le reste des Français 28. Beaucoup plus récente, l’étude de la Fondapol confirme ce constat dans des proportions plus inquiétantes encore : Document 3 : Le niveau des préjugés antisémites chez les musulmans
Êtes-vous d’accord ou pas d’accord avec les affirmations suivantes ? « D’accord » (%) Ensemble
Ensemble des musulmans
Origine musulmane
Musulmans croyants
Musulmans croyants et pratiquants
Les Juifs ont trop de pouvoir dans le domaine de l’économie et de la finance
25
67
52
69
74
Les Juifs ont trop de pouvoir dans le domaine des médias
22
61
49
58
58
Les Juifs utilisent aujourd’hui dans leur propre intérêt leur statut de victimes du génocide nazi pendant la Seconde Guerre mondiale
35
56
43
59
62
Les Juifs ont trop de pouvoir dans le domaine de la politique
19
51
37
49
49
Les Juifs sont responsables de la crise économique actuelle
6
13
12
14
14
Les Juifs sont injustement attaqués quand les choses vont mal
46
34
36
37
33
Source : Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop L’antisémitisme dans l’opinion publique française. Nouveaux éclairages, 2014, p. 22. ..................................................................................................................................................................................................................................................................
28. Sylvain Brouard et Vincent Tiberj, Français comme les autres ? Enquête sur les citoyens d’origine maghrébine, africaine et turque, Les Presses de Sciences Po, 2005, p. 100.
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La colonne « Ensemble musulmans » montre que les musulmans interrogés sont deux à trois fois plus nombreux que la moyenne à valider des préjugés antisémites. Comment peut-on expliquer une telle situation en France ? Les raisons sont nombreuses et nous ciblerons ici celles qui, de notre point de vue, sont les plus importantes 29. Faisons d’abord un « détour » par le « monde musulman ». Bien que très divers, celui-ci se caractérise par un niveau d’antisémitisme particulièrement élevé. Une étude récente démontre en effet que les positions négatives à l’encontre des Juifs sont très largement partagées dans les pays qui ont une population majoritairement musulmane : en moyenne, 74 % des répondants ont des opinions antisémites 30. Il n’entre pas directement dans la vocation de cette note d’analyser les facteurs explicatifs de ce phénomène. Nous évoquerons donc seulement rapidement certains d’entre eux. En premier lieu, il faut tenir compte de ce que la propagande antisémite – alimentée aussi bien par des responsables politiques que religieux –, qui se nourrit d’antisionisme, est assez librement diffusée dans les médias des pays musulmans.
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29. Cette section doit beaucoup au remarquable travail mené par Günther Jikeli, en particulier son article « L’antisémitisme en milieux et pays musulmans : débats et travaux autour d’un processus complexe » à paraître prochainement dans la Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine. Nous remercions vivement Günther Jikeli d’avoir accepté de nous en faire parvenir une version intermédiaire. 30. L’étude a fixé qu’une personne possède des opinions antisémites lorsqu’elle approuve au moins six des onze affirmations négatives proposées à l’égard des Juifs – voir la liste des énoncés proposés aux sondés en annexe 2 (ADL, 2014). Par comparaison, l’Europe de l’Ouest est à 24 %, la France à 37 %. 31. Ce texte antisémite, rédigé par les services secrets russes en 1901, invente un plan secret élaboré par les Juifs (et les francs-maçons) pour conquérir le monde. Il est fréquemment utilisé comme une référence sérieuse par les médias des pays arabo-musulmans. En 2002, une série télévisée intitulée Chevalier sans monture, diffusée par la télévision d’État égyptienne (et d’autres chaînes du « monde musulman ») se sert explicitement des Protocoles des Sages de Sion comme trame pour construire son scénario. En 2003, un autre feuilleton titré Al Chatat, diffusé par la chaîne syrienne du Hezbollah – et relayé par satellite dans toute la région – utilise ce faux comme point de départ pour mettre en scène des Juifs qui dominent le monde et élaborent des plans machiavéliques pour conserver leur rang. Une petite lueur d’espoir vient tout de même s’allumer. Lors du ramadan 2015, la télévision égyptienne Al Hayat TV diffuse Quartier juif, une série qui dresse un portrait plus réaliste des Juifs égyptiens. Elle présente notamment la cohabitation des Juifs et des Musulmans dans l’Égypte des années 1950 (une période qui voit à la fois le nationalisme égyptien s’amorcer et le sionisme). Un personnage de confession juive dit même : « Je suis un frère pour les Musulmans, ma religion me le dit. » Evidemment, cette approche tout à fait nouvelle est loin d’être appréciée par tous. Aucune autre chaîne arabe n’a annoncé la diffusion de cette série. Les chaînes du Qatar ont même expliqué qu’elles n’en veulent pas car elles la jugent trop… pro-israélienne ! (Majda Abdellah, « "Quartier juif" : la série égyptienne qui fait polémique », Jeune Afrique, 22 juin 2015).
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Ainsi, l’idée qu’il existe un complot juif à l’échelle internationale, s’appuyant notamment sur Les Protocoles des Sages de Sion 31, y est extrêmement courante. Il en va de même pour les vieux stéréotypes antisémites (« les Juifs sont des tueurs d’enfants », « les Juifs sont des empoisonneurs », « les Juifs procèdent à des meurtres rituels » etc.), en particulier lorsqu’il s’agit de diaboliser l’État d’Israël vu comme une entité nationale illégitime depuis sa création en 1948 (le sionisme est encore aujourd’hui considéré comme un « colonialisme ») 32. Si bien que les Juifs/sionistes sont toujours des « ennemis à combattre » – le mot « juif » est tout simplement devenu une insulte ritualisée dans la langue de certains pays musulmans. Un facteur historique, souvent sous-estimé, explique cette perception négative des Juifs : les minorités non-musulmanes ont très longtemps vécu sous le statut de « dhimmi » en « terre d’Islam » ; ce régime juridique issu du droit islamique – s’adressant plus particulièrement aux Chrétiens et aux Juifs – accorde un statut inférieur à celui des Musulmans. 33 Dans le cadre d’un « pacte », les nonMusulmans sont « tolérés »/« protégés » : ils peuvent quasiment librement exercer leur culte mais ils doivent reconnaître la souveraineté du pouvoir musulman et s’acquitter d’impôts beaucoup plus élevés que les Musulmans ; par ailleurs, ils ont l’obligation de porter un vêtement distinctif et subissent de nombreuses interdictions (comme monter à cheval ou à dos de chameau). Même si ce régime juridique discriminatoire n’a pas été appliqué avec la même sévérité en fonction des périodes et des lieux, il définit une supériorité humiliante – une forme de mépris permanent – des Musulmans à l’égard des non-musulmans qui a nécessairement laissé des traces durables – comme on le constate encore aujourd’hui avec le traitement subi par les Chrétiens d’Orient. Le grand intellectuel musulman, Abdelwahab Meddeb, pense même que le statut de « dhimmi » appliqué aux Juifs est un facteur central explicatif de la ..................................................................................................................................................................................................................................................................
32. Le 26 octobre 2005, à Téhéran, le président iranien Mahmoud Ahmadinejad a prononcé une conférence titrée « Un monde sans sionisme » au cours de laquelle il espère que la lutte palestinienne permette « l’annihilation du régime sioniste ». A plusieurs reprises, il a également expliqué que l’État d’Israël était une « tumeur cancéreuse » devant bientôt disparaître. Par ailleurs, considérant que la Shoah est un « mythe », l’ancien président de la République islamique d’Iran a organisé à Téhéran, les 11 et 12 décembre 2006, un colloque donnant la parole à des « chercheurs » – comme Robert Faurisson – qui nient « la réalité de l’Holocauste ». Plus généralement, le négationnisme est relativement répandu dans le monde arabo-musulman. 33. Notons tout de même que le statut des Juifs en Europe a pu être bien pire que celui de « dhimmi ».
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situation présente : « l’unique façon pour les Musulmans de dépasser l’antisémitisme est d’admettre que les Juifs se sont affranchis du statut inférieur du protégé » Les Musulmans ont d’autant plus de mal à « accepter les Juifs comme sujets de souveraineté et de gloire » que « le rapport de forces s’est inversé » 34. La création, la résistance et maintenant la domination – tant sur le plan économique, intellectuel que militaire – de l’État d’Israël rendent en effet cette reconnaissance encore plus difficile. Un autre facteur historique, plus connu, explique différemment l’importance des opinions antisémites dans le « monde musulman » : la colonisation. Tant dans les protectorats que dans les colonies, les Européens annulent le statut de « dhimmi », ce qui permet aux Juifs de prendre plus d’importance dans la vie économique (ils bénéficient entre autres d’une aide économique et culturelle importante de la part des Juifs métropolitains) ; par rapport aux périodes précédentes, la situation s’est donc inversée pour les musulmans : les Juifs leur paraissent « au-dessus » dans la « hiérarchie coloniale » et sont rapidement perçus comme « favorisés » par les colonisateurs. De fait, en Algérie, le décret Crémieux (1870) créé une inégalité juridique entre les « indigènes israélites » – qui sont directement déclarés citoyens français – et « les indigènes musulmans » – qui ne peuvent obtenir la nationalité française qu’à 21 ans (en pratique, elle est très rarement attribuée). Il est évident que cette disposition a laissé une marque importante dans la mémoire collective des Algériens 35. Il en va de même du choix de l’immense majorité des Juifs de se prononcer contre l’indépendance – et qui ne reste pas après 1962. Toujours sur le plan historique, signalons aussi que l’antisémitisme occidental est venu « alimenter » la haine des Juifs dans les pays arabo-musulmans dès le milieu du XIXème siècle. Plus tard, l’arrivée d’Hitler au pouvoir a également contribué à « renforcer » le phénomène : par exemple, le nationalisme de Nasser 36 a été fortement influencé par l’idéologie nazie 37; Mein Kampf est un livre qui est régulièrement ..................................................................................................................................................................................................................................................................
34. Abdelwahab Meddeb, « L’islam a la même genèse que le judaïsme », Le Figaro, le 7 novembre 2014. 35. D’après l’enquête de l’Anti-Defamation League déjà citée, 87 % des Algériens sondés possèdent des opinions antisémites (ADL, 2014) – un niveau beaucoup plus important que la moyenne obtenue pour l’ensemble des pays du Maghreb et du Moyen-Orient (74 %). On ne trouve un pourcentage d’antisémites plus élevé dans le monde que dans la bande de Gaza (93 %), en Iraq (92 %) et au Yémen (88 %).
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édité, que l’on peut se procurer très facilement dans les pays musulmans, au point par exemple d’être devenu un best-seller en Turquie. Enfin, la montée en puissance de l’islamisme dans le monde arabo-musulman explique également son niveau élevé d’antisémitisme : à partir d’une lecture littérale des textes sacrés de l’Islam, il est possible de construire un antijudaïsme théologique qui, in fine, constitue un axe majeur de la propagande fondamentaliste. L’organisation islamiste Frères musulmans se sert dès le départ de la vie du prophète Mahomet pour prendre les Juifs pour cibles et les rendre responsables de tous les maux. Le prédicateur le plus célèbre de ce mouvement, Saïd Qotb (1906-1966), a développé et diffusé un violent antisémitisme. Dans Notre combat contre Juifs, paru dans les années 50, il explique que le retour aux vraies valeurs de l’Islam passe par une lutte aux accents génocidaires contre les Juifs décris comme des êtres intrinsèquement maléfiques. Ce texte est encore une référence pour les leaders actuels des Frères musulmans (comme Youssef Al Qaradawi 38) 39 ou encore le Hamas. Nous verrons plus loin qu’une lecture « au pied de la lettre » des textes sacrés de l’Islam permet en effet de délivrer un message d’hostilité à l’égard des Juifs – puisque cela peut également concerner des musulmans qui vivent en France. En attendant, même si nous savons que de bonnes relations ont pu se nouer entre Juifs et musulmans dans les sociétés musulmanes, force est de constater qu’il y règne une véritable « culture » de l’antisémitisme. De nombreux témoignages permettent de le confirmer. Citons longuement celui du marocain Saïd Ghallab tant il nous paraît explicite : ..................................................................................................................................................................................................................................................................
36. Gamal Abdal Nasser prend officiellement le pouvoir en Égypte en 1954. Il meurt en 1970 sans l’avoir quitté. Dans les années 1930, alors que l’Égypte est sous protectorat anglais, il milite dans « Jeune Égypte », un mouvement indépendantiste qui imitait complétement le parti nazi et qui s’en prenait fréquemment aux Juifs égyptiens. Entre 1943 et 1949, Nasser est proche des Frères musulmans qui développent une idéologie antisémite. Pourtant, une fois au pouvoir, il est victime d’une tentative d’assassinat par un membre des Frères musulmans. Il s’opposera ensuite fermement à leur influence. Nasser a tenté de mener à bien un projet ambitieux de panarabisme (qui vise à unifier les peuples arabes). Dans cette perspective, la haine des Juifs est un facteur qui favorise les rapprochements. Le parti Baas, l’autre grand mouvement nationaliste arabe avec le nassérisme, parvient à se développer en Syrie et en Irak. Venant de ses rangs, Hafez el-Assad prend le pouvoir à Damas en 1971 – son fils, Bachar, lui succède à sa mort en 2000. Également membre du Parti Baas, Saddam Hussein dirige l’Irak entre 1979 et 2003. Leur propagande baasiste mêle antisémitisme et antisionisme radical. 37. On sait que Mohammed al-Husseini, grand Muphti de Jérusalem de 1921 à 1937, collabora activement avec les nazis contre les Juifs – en partie pour freiner leur immigration dans la Palestine mandataire. C’est notamment avec des armes et des moyens financiers allemands qu’il durcit la Grande révolte arabe à partir de 1936. Chassé par les Anglais, il trouve refuge à Berlin où il rencontre Hitler en 1941. Mohammed al-Hussein souhaitait appliquer les méthodes de la « Solution finale » au Proche-Orient… Après la guerre, protégé par les Frères musulmans en Égypte, il continua de diffuser sa haine des Juifs dans toute la région.
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Dès qu’un Juif s’aventurait chez nous autres musulmans, il était méprisé parce que le Juif c’est la décadence des décadences, l’être le plus vil qui soit. Et, pour nous autres, enfants, c’était comme ça parce ça devait être juste. La preuve : les Juifs encaissent sans broncher. Et s’ils ne protestent pas, c’est parce qu’ils se sentent coupables. (…) Une preuve que le Juif est un sous homme, c’est que nous, misérables, nous les employons à des tâches que nous répugnons de faire. (…) La pire insulte qu’un Marocain puisse faire à un autre, c’est de le traiter de Juif. Il paraît même que Dieu s’en offense. (…) C’est avec ce lait haineux que nous avons grandi, c’est dans cette tension que nous avons compris ce qu’était un Juif, nous gamins de la misère. Nous ..................................................................................................................................................................................................................................................................
38. Plus haute référence théologique des Frères musulmans, Youssef Al Qaradawi est aujourd’hui recherché par Interpol. Mais au milieu des années 2000 il a été considéré comme un interlocuteur suffisamment respectable pour être reçu par le maire de Londres ou être en relation directe avec les autorités françaises. En 2012, il devait même être l’invité vedette du congrès de l’UOIF (Union des Organisations Islamiques de France) avant que le gouvernement français ne le lui interdise au tout dernier moment. Ce Cheikh n’a pourtant jamais caché ses positions fondamentalistes. En effet, depuis plus de 15 ans, il anime sur Al Jazeera une émission télévisée (Al-Sharîa’ wa Al-Hayât – « La charia et la vie ») regardée par 60 millions de personnes dans la région et abondamment relayée sur Internet. Répondant aux questions des téléspectateurs, il y diffuse également son hostilité virulente à l’égard des Juifs comme en 2004 : il ne peut exister « de dialogue entre nous et les Juifs, hormis par le sabre et le fusil » explique-t-il. En 2009, au cours d’une autre émission, il a avancé que « tout au long de l’histoire, Allah a imposé aux [Juifs] des personnes qui les puniraient de leur corruption. Le dernier châtiment a été administré par Hitler. Avec tout ce qu’il leur a fait – et bien qu’ils [les Juifs] aient exagéré les faits –, il a réussi à les remettre à leur place. C’était un châtiment divin. Si Allah veut, la prochaine fois, ce sera par la main des croyants. » Le théoricien des Frères musulmans, Saïd Qotb considérait déjà qu’Allah avait envoyé Hitler pour punir les Juifs… En avril 2013, Youssef Al Qaradawi affirme qu’« il n’y a pas plus grande injustice que celle faite par les juifs à notre peuple en Palestine, où ils ont convergé des quatre coins du monde pour occuper leurs demeures, les expulser et éventrer leurs femmes. » Enfin, point important, il s’est déjà appuyée sur les textes sacrés pour justifier sa haine des Juifs, en 1995, lors d’une conférence prononcée aux États-Unis à l’invitation de la Muslim arab youth association : « Voici ce que disent [les hadiths]. Vous continuerez de combattre les Juifs et ils vous combattront jusqu’à ce que les Musulmans les tuent. Et le Juif se cachera derrière la pierre et l’arbre, et la pierre et l’arbre diront ‘‘Oh serviteur d’Allah, oh Musulman, voici un Juif derrière moi venez le tuer’’. (...) Nos frères du Hamas, en Palestine, la résistance islamique, le Djihad islamique (...) nous rendent notre foi. » (Fiammetta Venner, « Qui est Youssef Al Qaradawi recherché par Interpol ? », Le Huffington Post, 8 décembre 2014). Il s’agit du même hadith cité par la charte du Hamas (voir annexe). 39. Figure politique majeure des Frères musulmans, Mohamed Morsi occupe la fonction de président de l’Égypte entre le 30 juin 2012 et le 3 juillet 2012. A ce titre, il devient l’interlocuteur des responsables occidentaux. Pourtant, en 2010, Mohamed Morsi prononce un discours dans lequel il appelle les Égyptiens « à élever leurs enfants et petits-enfants dans la haine des Juifs ». Un peu plus tard, au cours d’un entretien télévisé, il qualifie les sionistes de « suceurs de sang des Palestiniens » et les présente comme des « descendants des singes et des porcs ». Nous verrons plus loin que le choix des animaux n’est pas neutre. Enfin, sur une télévision libanaise, toujours la même année, le futur président de l’Égypte explique que les « sionistes sont hostiles dans leur nature propre ». Au cours d’une visite aux États-Unis en janvier 2013, alors que la Maison Blanche jugeait ces propos comme « profondément choquants », Mohamed Morsi se contente de faire savoir que ses paroles « devaient être replacées dans son contexte. » (Dépêche Reuters France, « Égypte-Morsi juge ses propos ‘‘antisémites’’ sortis du contexte », 16 janvier 2013).
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avons grandi. Mes amis d’enfance sont demeurés antijuifs. Ils voilent leur antisémitisme virulent en soutenant que l’État d’Israël a été la création de l’impérialisme occidental. (…) Or, il suffit d’ouvrir les yeux pour voir que les croix gammées tapissent les murs et de tendre l’oreille pour saisir combien est ancrée dans les cœurs la haine du Juif, même dans une classe paysanne très arriérée qui ignore ce que signifie Israël, donc, qu’il y a un « conflit politique » judéo-arabe. Tout se passe au contraire comme si le Juif était cet ennemi héréditaire qu’il faut éliminer, une épine dans la plante des pieds qu’il faut arracher, un mal qu’il faut détruire 40. Cet antisémitisme profondément enraciné dans les pays musulmans s’est introduit en France avec l’immigration en provenance de cette région, en grande partie du Maghreb anciennement colonisé. Au cœur des « Trente glorieuses » (1945-1973), la croissance économique exceptionnelle qui se traduit par un manque de bras conduit les entreprises françaises à accélérer la venue de travailleurs étrangers. Lorsqu’ils arrivent d’Afrique du Nord, ils amènent avec eux cet antisémitisme « ordinaire ». Une partie de la judéophobie qui existe aujourd’hui en France doit se comprendre comme un antisémitisme d’importation, soit le transfert d’une tradition antijuive maghrébine sur le territoire hexagonal par le biais de l’immigration 41. L’un des chanteurs du groupe Zebda, Magyd Cherfi, né en France en 1962, d’origine algérienne nous l’indique clairement :
Quand j’étais petit, on n’aimait pas les Juifs. Mes parents étaient antisémites comme on l’est au Maghreb. Le mot « juif » en berbère c’est une insulte. Ce n’était pas une question de Palestine, de politique, c’était comme ça. On n’aimait pas les Juifs, sauf ceux qu’on connaissait 42. L’antisémitisme fait donc partie de l’ethos (système de valeurs) de la société arabo-musulmane et se transmet de génération en génération. Il faut également tenir compte des différences d’intégration dans la société française : au sortir ..................................................................................................................................................................................................................................................................
40. Saïd Ghallab, « Les Juifs vont en enfer », Les Temps modernes, n°229, juin 1965, pp. 2248-2251. 41. Cette idée a déjà été développée par Emmanuel Brenner dans « France, prends garde de perdre ton âme… ». Fracture sociale et antisémitisme dans la République, Mille et une nuits, 2004. 42. Magyd Cherfi, « On n’aimait pas les Juifs, sauf ceux qu’on connaissait… », Le Nouvel Observateur, n° 1942, 24-30 janvier 2002, p. 14.
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de la colonisation, les Juifs s’insèrent assez facilement dans la vie économique et sociale – nombre de ceux qui viennent d’Algérie restent fonctionnaires par exemple –, ce qui n’est pas le cas des immigrés maghrébins. Dans une société démocratique qui justifie la comparaison, ces derniers examinent aujourd’hui comme hier leur situation économique et sociale au prisme de celle qu’ils pensent observer pour les Juifs : la précarité et l’exclusion peuvent alors conforter une sorte de jalousie sociale. Et renforcer le sentiment répandu que la République se traduit dans les faits pour certains et pas d’autres… Sans aucunement justifier les attitudes de rejet, il convient d’acter que la « ghettoïsation » les favorise. En dehors du fait que l’antisémitisme maghrébin s’est transplanté en France en raison des déplacements de population, on doit aussi observer que la « distance » entre les pays arabes et les Français issus de l’immigration arabo-musulmane s’est considérablement « raccourcie » en raison des progrès technologiques comme Internet. Contrairement à ce qui passait avec les précédentes vagues d’immigration, les étrangers et leurs enfants sont ainsi en relation directe et quotidienne avec leur pays ou région d’origine. Ils y conservent des attaches (amis, famille…) 43 et suivent des médias qui déroulent fréquemment une propagande antijuive. Si ce monde sans frontières ralentit évidemment l’intégration, il favorise également la diffusion de l’antisémitisme dans nos quartiers populaires. Des territoires qui accordent une place croissante à l’Islam, au point que la pratique religieuse fait désormais davantage société qu’une République défaillante ou un État trop peu présent pour être efficace et retisser du lien social 44. Sans compter que les réseaux islamistes profitent de cette désespérance sociale pour embrigader des esprits faibles et leur donner des repères qu’ils ne trouvent pas dans le pacte républicain. Ce constat inquiétant est très loin d’être neutre pour l’objet qui nous occupe. Le document 3 45 démontre clairement qu’il existe une corrélation entre religiosité musulmane et niveau d’antisémitisme : les répondants d’origine musulmane sont toujours moins nombreux que la moyenne des Musulmans à valider les ..................................................................................................................................................................................................................................................................
43. Une partie conséquente de la communauté arabo-musulmane qui vit en France provient du Maghreb dont les populations sont plus antisémites que la moyenne des pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient (74 %) : 80 % au Maroc, 87 % en Algérie, 86 % en Tunisie (ADL, 2014). 44. Gilles Kepel, Banlieue de la République. L’enquête. Société, politique et religion à Clichy-sous-Bois et Montfermeil, Gallimard, 2012. 45. Page 20
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affirmations antisémites ; au contraire, les Musulmans croyants et les musulmans croyants et pratiquants sont toujours plus nombreux à être en accord avec les énoncés antisémites que la moyenne des Musulmans ; l’affirmation « les Juifs ont trop de pouvoir dans le domaine de l’économie et de la finance » est même acceptée par un nombre plus important de Musulmans croyants et pratiquants (74 %) que de Musulmans croyants (69 %) 46. Dans Français comme les autres ?, Sylvain Brouard et Vincent Tiberj observent : « Que les personnes interrogées soient originaires de Turquie, du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne, le préjugé antisémite est présent dans des proportions similaires. En revanche, le facteur religieux n’est pas à négliger. L’œcuménisme des Musulmans à l’égard de la religion chrétienne existe bien, mais s’étend difficilement à la communauté juive. » Et de conclure que la pratique de la religion musulmane « est associée à un niveau d’antisémitisme significativement plus élevé » 47. Enfin, une étude récente montre qu’il n’existe pratiquement aucune différence en termes de niveau d’antisémitisme – se plaçant à un niveau élevé – parmi les jeunes hommes musulmans qui vivent en France, en Allemagne ou en Angleterre 48. Comment ..................................................................................................................................................................................................................................................................
46. Dans une moindre mesure, on peut formuler la même observation pour l’affirmation « les Juifs utilisent aujourd’hui dans leur propre intérêt leur statut de victimes du génocide nazi pendant la Seconde Guerre mondiale ». 47. Dans le cadre de cette enquête, 46 % des musulmans pratiquants, 40 % des Musulmans pratiquants occasionnels et 30 % des Musulmans se montrent « intolérants » à l’égard des Juifs. Les auteurs avancent que la pratique de la religion musulmane s’accompagne d’une fréquentation de réseaux sociaux sur lesquels circulent des préjugés antisémites. Sylvain Brouard et Vincent Tiberj, op. cit., p. 103-104. 48. Günther Jikeli, European Muslim Antisemitism. Why Young Urban Males Say They Don’t Like Jews, Indiana University Press, 2015. Ce sociologue allemand a interrogé des jeunes hommes musulmans – d’une moyenne d’âge de 19 ans et les femmes n’ont pas été assez nombreuses à accepter de répondre – en Allemagne, en France et en Angleterre. Il parvient à identifier quatre types de préjugés semblables dans les quatre pays : des stéréotypes « classiques » qui associent les Juifs à l’argent et/ou qui renvoient à la théorie du complot, entretenant une image négative et potentiellement menaçante des Juifs dans l’esprit de ces jeunes ; des opinions négatives révélées par le conflit israélo-palestinien mais qui s’appuient sur de « vieux préjugés » (comme « les juifs tuent des enfants » qui se transforme très vite en « les juifs tuent nos enfants », ce qui légitime l’utilisation de la violence contre les Juifs) – comme les répondants ne font généralement aucune distinction entre Juifs et Israéliens, ils se persuadent ainsi du « caractère foncièrement cruel » de l’ensemble du peuple juif ; des préjugés directement liés à l’identité arabo-musulmane : pour les sondés, il existe une hostilité générale et éternelle entre les musulmans ou les Arabes d’une part et les Juifs d’autre part – ce qui se traduit par des déclarations comme « les musulmans et les Juifs sont ennemis » ou encore « les Arabes détestent les Juifs » – qui est renforcée par leur lecture du Coran ; enfin, une haine des Juifs qui ne fait pas l’objet d’une rationalisation : certains jeunes musulmans interrogés n’essaient même pas de la justifier tant elle est inscrite dans leur environnement social. Enfin, Günther Jikeli explique qu’un nombre conséquent de sondés exprime le désir d’attaquer physiquement les Juifs. Mais il avance aussi un petit motif d’espoir : il existe des jeunes musulmans qui prennent leur distance avec l’antisémitisme, considérant par exemple qu’il est trop facile de toujours accuser les Juifs pour tout.
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expliquer cette homogénéité des préjugés antijuifs pour des individus plongés dans des cultures nationales différentes ? Une interprétation raisonnable est alors de mettre en avant ce qui leur est commun à savoir une culture arabo-musulmane et une pratique religieuse de plus en plus centrale dans leur vie. Compte tenu de ces enquêtes qui vont toutes dans le même sens, on peut légitimement se demander si l’Islam ne conduit pas à intérioriser une vision négative des Juifs. Il s’agit d’une question délicate et il convient de ne pas tomber dans une vision univoque des Musulmans religieux en France qui pourrait servir à discréditer une minorité qui est déjà trop souvent montrée du doigt à cause des agissements de quelques-uns. Tout d’abord, rappelons que les pratiquants de l’Islam sont très divers, y compris sur notre territoire : les islamistes ne représentent qu’une faible minorité des Musulmans ; et la majorité, elle-même, est constituée de Musulmans qui vivent leur foi de façon plurielle. Plutôt que de parler d’un Islam, il serait d’ailleurs préférable de retenir le pluriel : il existe des Islams. Il n’est donc pas question d’affirmer que les Musulmans pratiquants sont tous antisémites, et encore moins que ce serait le cas de l’ensemble des musulmans de France. Nous avons cependant observé qu’il existe un niveau élevé de préjugés antisémites chez de nombreux musulmans. Même s’il ne s’agit que de l’une des explications d’un phénomène complexe, nous voudrions montrer qu’une lecture traditionnaliste et décontextualisée des textes sacrés de l’Islam peut conduire à diffuser des idées antisémites. L’Islam naît au début du VIIème siècle lorsque, à 40 ans, Muhammad (570 – 632) apprend, par l’ange Gabriel, avoir été choisi par Dieu pour être son dernier messager. Tout au long de sa vie, il va ainsi recevoir des fragments du Message divin (la Révélation). Le Prophète Mahomet se trouve alors dans sa ville natale : La Mecque. Il ne parvient pas à faire accepter l’horizon spirituel qu’il propose – et qui se situe dans le prolongement du judaïsme et du christianisme – à ses habitants (des tribus arabes polythéistes ou païennes). Les Mecquois qui n’entendent pas se convertir au monothéisme combattent son message. La toute petite communauté musulmane qu’il est parvenu à constituer trouvera une issue lorsque les chefs de deux grandes tribus (Aws et Khazraj) font appel au Prophète Mahomet pour régler la guerre qu’ils se livrent depuis très longtemps à Yathrib. Tous se convertissent à l’Islam et le conflit s’achève. À Yathrib (qui deviendra plus tard Médine – Madinat Al Nabî soit « la cité du Prophète »), les Musulmans 29
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cohabitent avec trois tribus juives (Qaynuqa, Nadir et Qurayza à partir de 622. Un traité de protection mutuelle est signé (« La Constitution de Médine ») entre les Musulmans, les Juifs et les petites communautés arabes tribales qui vivent à Médine – en particulier pour défendre la ville contre les attaques des Mecquois. Par conséquent, dans un premier temps, Juifs et Musulmans sont alliés. Les premiers versets du Coran présentent d’ailleurs les « Enfants d’Israël » d’une façon positive : par exemple, Moïse est explicitement une source d’admiration et d’inspiration pour le Prophète Mahomet. Pensant pouvoir convertir les Juifs à l’Islam, il se rapproche d’ailleurs de leurs mœurs (par exemple, pour ce qui concerne les interdits alimentaires). Nous n’avons pas de certitude absolue mais c’est vraisemblablement quand Mahomet comprend qu’il ne parviendra pas à ses fins que la vision coranique des Juifs devient très dépréciative. Celui qui se considère comme le dernier des Prophètes ne peut accepter que les Juifs – qui ont introduit le monothéisme – ne valident pas son enseignement puisqu’il souhaite être le rassembleur et l’héritier de deux autres traditions qui croient en un Dieu unique. Les Juifs sont alors accusés de s’être détournés de la Vérité 49, de s’associer aux mécréants, sont maudits 50 et présentés comme des êtres pervers 51 puis ils sont transformés en singes et en porcs 52. Le Prophète Mahomet interdit de se lier avec ceux qui se seraient moqués de sa religion, à commencer par les Juifs 53. Mais le manque de respect n’est pas la seule motivation :
Ô les croyants ! Ne prenez pas pour alliés les Juifs et les Chrétiens ; ils sont alliés les uns des autres. Et celui d’entre vous qui les prend pour alliés, devient un des leurs. Dieu ne guide certes pas les gens injustes 54. ..................................................................................................................................................................................................................................................................
49. Coran (62 : 5) : « Ceux qui ont été chargés de la Thora mais qui ne l’ont pas appliquée sont pareils à l’âne qui porte des livres. Quel mauvais exemple que celui de ceux qui traitent de mensonges les versets d’Allah et Allah ne guide pas les gens injustes. » 50. Coran (4 : 155). 51. Coran (5 : 59) : « Ô gens du Livre ! Est-ce que vous nous reprochez autre chose que de croire en Allah, à ce qu’on a fait descendre vers nous et à ce qu’on a fait descendre auparavant ? Mais la plupart d’entre vous sont des pervers. » 52. Coran (5 : 60) : « Puis-je vous informer de ce qu’il y a de pire, en fait de rétribution auprès d’Allah ? Celui qu’Allah a maudit, celui qui a encouru Sa colère, et ceux dont Il a fait des singes, des porcs, et de même, celui qui a adoré le Tagut [la transgression], ceux-là ont la pire des places et sont les plus égarés du chemin droit. » Singes et porcs sont les animaux utilisés par Mohamed Morsi dans sa violente diatribe contre les Juifs. 53. Coran (5 : 57) : « Ô les croyants ! N’adoptez pas pour alliés ceux qui prennenten raillerie et jeu votre religion, parmi ceux à qui le Livre fut donné avant vous et parmi les mécréants. Et craignez Allah si vous êtes croyants. » 54. Coran (5 : 51).
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Avec les païens, les Juifs sont même définis comme « les plus fortement hostiles envers les croyants parmi les hommes » 55. Mahomet reproche explicitement aux « gens du Livre » d’avoir désobéi à Dieu, sans doute parce qu’ils ont refusé de se convertir à l’Islam, en ne le reconnaissant pas comme Prophète. Dans le contexte de ce qu’il perçoit comme une trahison, il accuse les Juifs et Chrétiens d’avoir manipulé le message divin et d’être devenus des idolâtres. Le ton se fait alors apocalyptique :
Les Juifs disent : ‘‘Uzayr 56 est fils d’Allah’’ et les Chrétiens disent : ‘‘Le Christ est fils d’Allah’’. Telle est leur parole provenant de leurs bouches. Ils imitent le dire des mécréants avant eux. Qu’Allah les anéantisse ! Comment s’écartentils (de la vérité) ? 57 Le conflit devient ouvert en 624 puisque les Juifs ne se résolvent pas à épouser les enseignements du Prophète Mahomet. La « Constitution de Médine » ne tient plus. Après avoir été fait prisonniers par Mahomet et certainement promis à l’exécution, les Qaynuqa doivent leur survie à l’intervention du chef des Khazraj qui obtient leur exil. En 625, les Nadir sont également contraints au départ de Médine après s’être opposé au messager d’Allah. En 627, Médine subit le siège des habitants de La Mecque qui veulent préserver le polythéisme. Les Musulmans sont aux prises avec une armée n’ayant jamais compté autant d’hommes. Ils ne doivent la victoire qu’à des tranchées qui empêchent les assaillants de rentrer dans la ville. Mais il semblerait que la dernière tribu juive présente à Médine – Qurayza – ait pactisé avec l’ennemi avant de se raviser. Cette « trahison » sera punie de la mort par Mahomet. Le Coran fait référence à cet épisode 58 mais c’est surtout dans la Sîra (chronique des faits et gestes du Prophète Mahomet – qui est également un texte sacré) que l’on peut lire la description du massacre des Juifs. Tout d’abord, Mahomet aurait reçu l’ordre de marcher contre les Qurayza : ..................................................................................................................................................................................................................................................................
55. Coran (5 : 82). 56. Uzayr (Esdras) est un prophète que des Juifs auraient considéré comme le fils de Dieu. 57. Coran (9 : 30). 58. Coran (33 : 26- 27) : « Et Il a fait descendre de leurs forteresses ceux des gens du Livre qui les avaient soutenus [les coalisés mecquois], et Il a jeté l’effroi dans leurs cœurs ; un groupe d’entre eux vous tuiez, et un groupe vous faisiez prisonniers. Et Il vous a fait hériter leur terre, leurs demeures, leurs biens, et aussi une terre que vous n’aviez point foulée. Et Allah est omnipotent ».
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Gabriel dit : (…) Dieu, t’ordonne, Ô Muhammad, d’aller combattre le clan juif des Banû Qurayzah. Moi-même, j’y vais de ce pas et j’ai l’intention de faire trembler la terre sous leur pied 59. Il les fait prisonniers et les enferme. Puis « l’Envoyé de Dieu » procède à la mise à mort :
L’apôtre d’Allah alla au marché et a fait creuser des fossés. Il les fit venir, et les fit décapiter de telle sorte qu’ils tombaient dans les tranchés. (…) Ils étaient au nombre de six cents, ou de sept cents ; celui qui multiplie leur nombre affirme qu’ils étaient entre huit cents et neuf cents. Pendant qu’on les amenait à l’Envoyé d’Allâh par groupes, ils dirent [au chef des Aws] Ka’b b. ‘Asad : « Ô Ka’b! Qu’est-ce qu’on fera de nous ? » Il répondit : « Est-ce que vous êtes incapables de réfléchir ?! Ne voyez-vous pas que le crieur ne cesse pas de crier, et que celui d’entre nous qu’on envoie ne retourne pas ?! C’est bien sûr le massacre. » Cela continua jusqu’à ce que l’Envoyé de Dieu en finît avec eux 60. Les hommes de Qurayza sont donc massacrés (tandis que les femmes et les enfants sont réduits à l’esclavage). Ce passage semble donc légitimer la mort des Juifs par les Musulmans. Dans la littérature sacrée de l’Islam, il existe aussi un hadith – communication orale du Prophète Mahomet qui, sauf exception, ne relève pas de la parole divine – d’une violence rare. Très fréquemment cité par les intégristes et présent dans la Charte du Hamas 61, les mots utilisés ne laissent aucunement place à l’interprétation :
L’heure ne se lèvera pas avant que les Musulmans ne combattent les Juifs, au point que le Juif se cachera derrière les rochers et les arbres. Les rochers et les arbres diront alors : « O Musulman ! Voici derrière moi un Juif, viens le tuer » 62. ..................................................................................................................................................................................................................................................................
59. Ibn Ishâm, La biographie du prophète Mahomet, Fayard, 2004. La première biographie du Prophète Mahomet (Sîra Rasûl Allah, « Biographie de l’Envoyé d’Allah ») a été rédigé au milieu du VIIIème siècle. Elle a été remaniée par Ibn Ishâm au IXème siècle. 60. Ibn Ishâm, op. cit. 61. Voir note 28 p. 19 et annexe 1. 62. Considéré comme authentique par toutes les traditions, ce hadith a été transmis par Abû Hurayara. Il s’agit de l’un des nombreux compagnons du Prophète Mahomet, principal rapporteur de sa parole.
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Le massacre des Juifs de la tribu Qurayza et ce hadith servent à propager la haine des Juifs parmi les Musulmans. D’une façon générale, une partie importante du Coran délivre un message d’hostilité contre les premiers monothéistes 63. Pour autant, il est impératif de tenir compte de la période dans lequel il a été rédigé. C’est dans un contexte historique bien précis – et dans ce contexte seulement – que les textes sacrés de l’Islam comportent des pages extrêmement virulentes à l’égard des Juifs. S’il convient de ne pas oublier le temps de cohabitation pacifique entre les Musulmans et les Juifs de Médine (qui précède la violence), l’erreur consiste surtout à croire que le Coran ou la Sîra délivre un message immuable qui doit encore être suivi à la lettre aujourd’hui.
Or, le Coran ne dit pas cela. Il dit le contraire de cela. Mais pour le savoir, il faut fausser compagnie aux guides attitrés. (…) En le replaçant dans son contexte. En reliant les versets du Coran aux circonstances dans lesquelles ils ont été révélés au Prophète. Alors on découvre ce que le dogme de l’imprescriptibilité a pour faction de nous cacher. (…) Dieu transcende le temps, Sa parole est inscrite dans le temps 64. Autrement dit, ce qui fut valable au VIIème siècle ne l’est pas nécessairement aujourd’hui. Faire croire cela – comme le font les islamistes – relève d’un projet idéologique et politique 65. Un projet totalitaire. En réalité le message d’Allah ne peut être compris en dehors du temps et de l’espace de sa Révélation. La parole de Dieu « porte la marque de son inscription dans l’Arabie du VIème siècle. » 66 Il n’est donc pas possible de lire le Coran « comme un ensemble de commandements et d’interdits valables en tous lieux et en tous temps » 67 ..................................................................................................................................................................................................................................................................
63. Abdelwahab Meddeb considère que l’Islam connait, dès sa naissance, « l’épreuve des Juifs ». A l’origine, le Prophète Mahomet demande aux Juifs d’adhérer à la religion nouvelle qui rectifie et authentifie leur révélation. L’Islam se situe donc bien dans le droit fil du judaïsme. Mais le refus des Juifs va générer un antijudaïsme islamique. L’intellectuel musulman convie alors « l’Islam à épurer le contentieux traditionnel en reconnaissant sa dette biblique, (…) en admettant la légitimité théologique et historique du judaïsme. » Abdelwahab Meddeb, « Contre-prêches », Esprit, n° 10, octobre 2006, p. 6-17. 64. Mahmoud Hussein, Ce que le Coran ne dit pas, Grasset, 2013, p. 15-16. 65. C’est vrai que dans leur accès sauvage à la lettre du Coran et à la tradition, les intégristes de l’Islam trouvent des arguments massifs dans leur haine des Juifs. On trouve dans le Coran, au sujet des Juifs, « les accusations de trahison, de non-fiabilité, d’infidélité. Tous ces versets anti-juifs convergent vers les thèses antisémites. » Abdelwahab Meddeb, « L’Islam a la même genèse que le judaïsme », Le Figaro, le 7 novembre 2014. 66. Mahmoud Hussein, op. cit., p. 9. 67. Mahmoud Hussein, op. cit., p. 10.
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tels qu’ils sont promus par l’approche fondamentaliste. Pourtant, l’immense difficulté du temps présent est que l’on ne peut pas faire comme s’il n’existait pas de points de passage entre l’Islam et l’Islamisme. Certains intellectuels musulmans, sans doute encore trop peu nombreux, expliquent clairement que les « racines du mal » se trouvent dans l’Islam. C’est le cas d’Abdenour Bidar qui s’adresse puissamment et directement au « monde musulman » :
D’où viennent les crimes de ce soi-disant « État islamique » ? Je vais te le dire, mon ami. Et cela ne va pas te faire plaisir, mais c’est mon devoir de philosophe. Les racines de ce mal qui te vole aujourd’hui ton visage sont en toi-même, le monstre est sorti de ton propre ventre – et il en surgira autant d’autres monstres pires encore que celui-ci tant que tu tarderas à admettre ta maladie, pour attaquer enfin cette racine du mal ! 68 Abdelwahab Meddeb explique très bien que le Coran est un texte ambivalent puisqu’il avance qu’il faut en même temps « nulle contrainte en religion » 69 et combattre tous ceux qui ne croient pas à la « religion vraie » :
Combattez ceux qui ne croient ni en Allah ni au Jour dernier, qui n’interdisent pas ce qu’Allah et Son messager ont interdit et qui ne professent pas la religion de la vérité, parmi ceux qui ont reçu le Livre, jusqu’à ce qu’ils versent la capitation par leurs propres mains, après s’être humiliés. 70 Abdelwahab Meddeb conclut : « L’islamisme est, certes, la maladie de l’Islam, mais les germes sont dans le texte lui-même. » 71 Dès lors, une réforme de l’Islam parait être la solution des intellectuels musulmans qui souhaitent « arracher » les racines du mal. Comment en effet occulter que c’est au nom de l’Islam que les attentats terroristes sont commis ? Que les Frères Kouachi ont hurlé avoir « vengé le Prophète » juste après avoir exécuté la rédaction de Charlie hebdo ? Déjà que les cris « Morts aux Juifs ! » de « Jour de colère » ont été trop peu remarqués, il n’a quasiment pas été signalé ..................................................................................................................................................................................................................................................................
68. Abdenour Bidar, « Lettre ouverte au monde musulman », Marianne.net, 13 octobre 2014 69. Coran (2 : 256). 70. Coran (9 : 29). 71. Abdelwahab Meddeb, « L’islamisme est la maladie de l’islam, mais les germes sont dans le texte », Libération, 23 septembre 2006.
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qu’ils s’accompagnaient de très nombreux « Allah Akbar ! » (« Dieu est grand »), donnant ainsi une coloration religieuse à la manifestation. « Allah Akbar ! », c’est aussi ce que l’on a entendu l’été dernier en France lorsque des synagogues ont été prises pour cibles. De même que l’on a « oublié » de remarquer que des drapeaux de Daech étaient présents dans les cortèges des manifestations propalestiniennes… II - COMPRENDRE L’ANTISÉMITISME D’AUJOURD’HUI : LA « CONVERGENCE DES JUDÉOPHOBES » L’antisémitisme qui provient d’une partie des Musulmans de France n’est pas le seul à sévir. Il continue de subsister un antisémitisme d’extrême-droite incarné par Jean-Marie Le Pen : n’a-t-il pas récemment réaffirmé sa conviction que les chambre à gaz étaient un « détail » de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale ? En outre, il les a encore réitérés dans Rivarol, un journal qui se lance régulièrement dans de violentes diatribes antisémites et qui vient d’être condamné pour cette raison, ajoutant « n’avoir jamais considéré le maréchal Pétain comme un traître ». Le psychodrame familial qui s’en est suivi – et la suspension du parti de Jean-Marie Le Pen – permet, à bon compte, à sa fille de se présenter comme irréprochable. Mais les dernières déclarations antisémites du père ne sont pas, loin s’en faut, une première. Jean-Marie Le Pen n’étaitil pas président d’honneur du FN alors que ses « dérapages » visant les Juifs étaient bien connus. Sans remonter trop loin 72, sa promesse d’une « fournée » à Patrick Bruel n’avait déclenché qu’une bien faible condamnation de Marine Le Pen – dénonçant seulement une « faute politique » qui viendrait donc seulement affaiblir sa stratégie de « dédiabolisation ». Le conflit avec son père est uniquement motivé par des considérations politiques : accéder au pouvoir mérite bien quelques sacrifices. Mais, au fond, le parti n’a pas réellement changé comme l’indique les nombreux propos antisémites diffusés sur Internet par certains cadres du FN (non sanctionnés par la direction) 73. A la marge du champ politique, sur Internet, Alain Soral diffuse également sa haine antisémite. S’il en fallait encore une preuve, on peut faire référence à son message du 17 mai 2015 sur sa page officielle Facebook, posté en dessous d’une photo de ..................................................................................................................................................................................................................................................................
72. Le 6 juin 2014.
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Serge et Beate Klarsfed qui viennent d’être décorés de l’ordre allemand du mérite : « Voilà ce qui arrive quand on ne finit pas le boulot ! ». Les nostalgiques du IIIème Reich se rencontrent aussi dans des groupuscules néo-nazis. Aussi, peut-on toujours constater l’existence d’un vieil antisémitisme d’extrêmedroite, un antisémitisme « traditionnel » qui trouve certaines des racines dans l’antijudaïsme catholique mais aussi dans l’intériorisation de vieux stéréotypes – comme l’indique la dénonciation de la prétendue « influence juive » subie par Manuel Valls. À l’autre bout de l’échiquier politique, l’extrême-gauche, l’antisémitisme est également présent (depuis toujours serait-on tenté d’ajouter) 74. A la suite de la publication de son étude L’antisémitisme dans l’opinion publique française, Dominique Reynié a considéré que la société française devait faire face à trois « foyers d’antisémitisme » : une partie significative de la population musulmane, l’extrême-droite et l’extrême-gauche (au travers des proches du Front de gauche). Il est vrai que la lutte contre le capitalisme peut entrainer la survivance de certains vieux préjugés antisémites comme, par exemple, l’idée que « les Juifs dirigent le capitalisme mondial ». De nos jours, à l’extrême-gauche, l’antisémitisme prend plus souvent le masque de l’antisionisme 75. Rappelons ici qu’il n’est pas question d’exonérer Israël de ses responsabilités dans le blocage des négociations au Proche-Orient, mais de pointer du doigt un discours qui en ..................................................................................................................................................................................................................................................................
73. Nous ne citerons que deux exemples. Le secrétaire général du cercle de réflexion Club Idées nation créé par Louis Alliot, vice-président du FN, Bruno Lemaire (qui n’a rien à voir avec l’ancien ministre de l’Agriculture) a écrit le 14 avril 2013 sur le site Boulevard Voltaire « qu’il n’est pas contraire à la réalité de penser que le lien des Juifs aux puissances financières est une vérité historique – et encore actuelle. » Ancien candidat du FN aux cantonales, Florent Braun a écrit sur son compte Facebook dans une page ouverte au public : « Ce qui a toujours été un combat universel, intemporel et naturel pour le genre humain contre la vermine circoncie a pour but final pour tout homme libre de les détruire et nous délivrer de leur joug ». Voir Thomas Guénolé, « Au FN, l’antisémitisme continue », Marianne.net, 23 février 2015. 74. Dans Sur la Question juive (1844), Karl Marx assimile les Juifs aux bourgeois : « Le change, voilà le vrai dieu du Juif. (…) La nationalité chimérique du Juif est la nationalité du commerçant, de l’homme d’argent. » S’opposer aux Juifs revient donc à combattre le capitalisme. Marx ajoute en effet : « L’Argent est le dieu jaloux d’Israël devant qui nul autre dieu ne doit subsister. [...] Quel est le fond profane du judaïsme ? Le besoin pratique, l’utilité personnelle. Quel est le culte profane du Juif ? Le trafic. Quel est son Dieu profane ? L’argent. Eh bien, en s’émancipant du trafic et de l’argent, par conséquent du judaïsme réel et pratique, l’époque actuelle s’émanciperait elle-même. » Une vision des Juifs qui a longtemps imprégné une grande partie de la gauche (par exemple, de nombreux socialistes se sont prononcés contre Dreyfus). Cette perception du Juif-capitaliste était également très présente en URSS et dans l’ensemble du bloc de l’Est.
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diabolisant systématiquement l’État juif peut s’apparenter à de la judéophobie moderne. Nombre de militants d’extrême-gauche applique une grille marxiste, particulièrement simpliste, sur le conflit israélo-palestinien : les « dominés » sont les Palestiniens, ces nouveaux « damnés de la Terre », qui se doivent de résister par tous les moyens possibles – y compris le terrorisme aveugle utilisé par le Hamas – à l’oppression des « dominants » israéliens. Leur attachement à la cause palestinienne peut les conduire à des outrances allant jusqu’à « nazifier » Israël : les Juifs profiteraient de la mauvaise conscience occidentale liée à la Shoah pour se comporter aujourd’hui avec les Palestiniens comme les nazis se sont comportés avec eux hier ! Dès lors, « l’antisémitisme antisioniste » 76 consiste à identifier sionisme et nazisme 77. Il devrait pourtant être possible de défendre la juste revendication d’un État palestinien sans tomber dans ce type de raccourcis judéophobes. Ajoutons que par le biais de l’antisionisme et de l’antiaméricanisme, une certaine extrême-gauche s’est dangereusement rapprochée de l’islamisme qui, on l’a vu, développe une idéologie antisémite. Cette fois-ci c’est la légitime volonté de secourir les « exclus » des quartiers sensibles, autres « damnés de la terre », qui motive cette jonction redoutable 78. Sans s’être lui-même compromis par des positions antisémites, le NPA (Nouveau parti anticapitaliste) s’est ainsi signalé par sa participation aux manifestations pro-palestiniennes qui ont, à l’été 2014, dégénéré en de très graves violences antijuives. On observe ici une première « convergence judéophobe » entre une grande partie de l’extrême-gauche et l’islamisme. Mais l’antisionisme permet aussi de réactiver l’antisémitisme « classique » de gauche : sans l’avouer, il s’agit de dénoncer des Juifs (et non pas seulement des sionistes) incarnant le capitalisme prédateur – soit des richesses mal acquises – de notre temps. Dans ce cas, l’antisionisme cache seulement un antisémitisme qui n’est pas/plus assumé. ..................................................................................................................................................................................................................................................................
75. Au sens strict, l’antisionisme pourrait être défini comme une opposition à l’existence même de l’État d’Israël. Mais l’usage courant lui a maintenant donné un sens quelque peu différent : l’antisionisme renvoie désormais davantage à ceux qui combattent le plus résolument la politique menée par Israël dans les territoires palestiniens occupés – sans pour autant, pour certains d’entre eux, se commettre dans l’antisémitisme. 76. On doit cette expression à l’historien Robert Wistrich. 77. Sur ce point, nous renvoyons le lecteur aux travaux de Pierre-André Taguieff qui fourmillent d’exemples. 78. L’extrême-gauche est également lié à des associations comme le Parti des Indigènes de la République qui soutient explicitement toutes les actions du Hamas et milite pour le port du voile à l’école publique. Une association qui n’hésite pas à poster des tweets antisémites comme celui du 30 mai 2015 : « Les Juifs sont les boucliers, les tirailleurs de la politique impérialiste française et de sa politique islamophobe. »
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L’« antisionisme antisémite » est déjà ce qui lie Alain Soral et Dieudonné M’Bala M’Bala. Après de multiples provocations antisémites, l’ancien humoriste dirige la liste antisioniste qui se présente en Île de France lors des élections européennes de 2009, tandis qu’Alain Soral se trouve en cinquième position. Les deux compères tentent longtemps d’échapper aux poursuites judiciaires en remplaçant le mot « Juif » par « sioniste ». Le petit jeu n’a heureusement pas échappé aux magistrats 79. La liste antisioniste aurait reçu des financements en provenance d’Iran 80 – le président-fondateur du Parti antisioniste, Yahia Gouasmi, dirige également la fédération chiite de France et, à ce titre, reste en relation constante avec les autorités iraniennes –, pays dans lequel Dieudonné se rend régulièrement, trouvant une parfaite terre d’accueil pour ses thèses les plus radicales 81. Il y a notamment rencontré l’ancien président Mahmoud Ahmadinejad qui rêvait d’un « monde sans sionisme ». Il existe donc un axe Dieudonné – islamisme chiite qui, de fait, rapproche des antisémites d’horizons différents (dont les « suprématistes » noirs)… On a donc ici une double « convergence judéophobe » : Dieudonné est à la fois proche de l’extrêmedroite – de par sa relation étroite avec Alain Soral mais aussi par le lien tissé avec Jean-Marie Le Pen 82 – et des milieux islamistes. Aujourd’hui, Soral et Dieudonné se présentent, à bon compte, comme les leaders de la « dissidence » et expliquent que la quenelle 83 est un geste antisystème. Mais le « système » (médias, banques, etc.) dénoncé est bien censé être tenu par les Juifs ! Il semblerait que Dieudonné ait définitivement basculé, en janvier 2003, lorsque le CNC (Centre national de la cinématographie) lui refusa une subvention pour aider au financement de son projet de film sur le Code noir. A ses yeux, les « sionistes du CNC » ne voulaient pas que la mémoire ..................................................................................................................................................................................................................................................................
79. Entre 2007 et 2015, Dieudonné M’Bala M’Bala est condamné à dix reprises pour incitation à la haine raciale ou contestation de crime contre l’humanité, une fois pour apologie de terrorisme et deux fois pour diffamation. Entre 2008 et 2015, Alain Soral est condamné à trois reprises pour incitation à la haine raciale ou à la violence et trois fois pour diffamation. 80. Le film de Dieudonné, L’antisémite (2012), aurait aussi été directement financé par des fonds iraniens. 81. Dieudonné est donc connu et apprécié en Iran, raison pour laquelle il apparaît couramment à la télévision iranienne. Reçu comme un expert, il peut expliquer que Jésus était le prophète de l’Islam et que « les musulmans doivent tendre la main aux chrétiens, et les chrétiens qui sont aujourd’hui perdus doivent rejoindre l’Islam. » Pas n’importe lequel des Islams, mais l’Islam de Khomeiney, un « Islam ouvert et moderne », pour « se battre contre l’injustice. L’injustice (qui) a un nom : le sionisme ». 82. L’ancien président du Front national est le parrain de la troisième fille de Dieudonné. En juillet 2015, Jean-Marie Le Pen a fêté ses 87 ans en compagnie notamment d’Alain Soral et de Dieudonné.
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de l’esclavage soit aussi présente que la mémoire de la Shoah – qu’il qualifie de « pornographie mémorielle ». Après avoir fait acclamer le négationniste Robert Faurisson à la fin de l’un de ses spectacles – pour lui remettre un prix par une personne déguisée en déporté ! –, Dieudonné explique avoir déchiré les pages concernant la Shoah du livre d’histoire de l’un de ses enfants, les trouvant trop nombreuses en comparaison de celles qui racontent la traite négrière. L’une des récentes vidéos postées sur Internet par l’ancien humoriste met en scène son fils qui lui dit : « Papa, le Père Noël, il n’existe pas… » pour mieux lui répondre ironiquement : « Ah bon, et les chambres à gaz ? ». Une concurrence de la mémoire instrumentalisée à des fins commerciales qui provoque actuellement de gros dégâts dans notre jeunesse 84. En dépit des scandales – en réalité, sans doute grâce aux scandales – les tournées de Dieudonné suivent les villes qui ont un Zénith et continuent donc d’attirer de très nombreux spectateurs. Privé des médias, il se sert avec succès d’Internet 85 à la fois pour se promouvoir et pour continuer à diffuser sa haine : avec plus de 500 000 « amis » sur Facebook et des vidéos qui peuvent rassembler plusieurs millions de vues sur Youtube, Dieudonné se donne une audience très diversifiée. Son tour de force malfaisant ..................................................................................................................................................................................................................................................................
83. On devrait savoir que Dieudonné n’a pas inventé la forme de ce geste. Le Docteur Folamour (1964) de Stanley Kubrick en est l’initiateur : ancien scientifique nazi, il ne parvient pas à réprimer un salut hitlérien intempestif avec son bras droit tendu, ce qui l’oblige à appuyer dessus avec sa main gauche. Utilisé dans un spectacle dès 2005 sans avoir de signification précise si ce n’est l’aspect comique, la quenelle est réalisée par Dieudonné et Soral sur l’affiche de campagne de la liste antisioniste (élections européennes, 2009). L’humoriste devenu propagandiste explique alors précisément le sens du geste : « L’idée de glisser ma petite quenelle dans le fond du fion du sionisme est un projet qui me reste très cher. » Très rapidement, cela devient un signe de ralliement des personnes qui souhaitent soutenir Dieudonné. Toutefois, sa propagation virale en brouille quelque peu le sens : devenu un code très populaire chez certains jeunes, il n’est pas du tout certain que tous les auteurs de la quenelle aient conscience du caractère antisémite du geste. Ils sont également induits en erreur par Dieudonné qui le présente comme un « bras d’honneur au système ». En réalité, sa signification antisémite ne fait aucun doute : outre que le système est bien dirigé par les Juifs, on peut prendre l’exemple de Soral qui vient d’être lourdement condamné pour avoir publié une photo sur Internet le représentant en train de faire ce geste au milieu… du Mémorial aux victimes de la Shoah à Berlin. 84. Voir le récent échange télévisé entre François Hollande et quelques lycéens (décrit en annexe 3). 85. D’une façon générale, Internet est le lieu qui permet de déverser sa haine impunément. Cachés derrière leur écran d’ordinateur et un pseudonyme, les utilisateurs des réseaux sociaux se laissent aller à toutes les provocations. On se souvient du mot clé #Un bon juif qui faisait partie des tous premiers mots clés les plus tweetés par les Français en janvier 2013. Sous couvert d’humour, on pouvait par exemple lire « #Un bon juif est un juif mort » ou encore « #Un bon juif est un juif cuit ». L’UEJF (Union des étudiants juifs de France) avait eu le plus grand mal à obtenir une réaction de Twitter. La prolifération des discours de haine sur Internet est dénoncée par la CNCDH dans son dernier rapport. Le lecteur peut utilement se reporter à Marc Knobel, L’Internet de la haine. Racistes, antisémites, néonazis, intégristes, islamistes, terroristes et homophobes à l’assaut du web, Berg international Editeurs, 2012.
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est d’avoir su agréger des antisémites ayant peu en commun. Dieudonné aime à présenter son public comme une « boîte de crayons de couleurs » 86 : on y trouve en effet du blanc, du noir mais aussi du brun, du rouge et du vert. Si nouveauté il y a, c’est ici qu’elle se situe : il existe actuellement une très inquiétante « convergence des judéophobes ». La « génération Dieudonné » peut en effet être vue comme une fédération d’antisémites venant d’horizons très divers et développant une rhétorique antijuive complétement décomplexée. On voit bien suivant quels axes ces différents rapprochements se sont opérés au fil du temps : Alain Soral et ses fréquentations d’extrême-droite se sont associés à Dieudonné qui a ajouté des Islamistes en lien avec l’extrême-gauche. Au bout du processus, l’extrême-droite de Soral et Dieudonné a intégré dans son discours des références directes à l’idéologie d’extrême-gauche. D’abord par le biais de l’antisionisme, toutes les connexions semblent aujourd’hui possibles. « Jour de Colère » et les manifestations pro-palestiniennes de l’été dernier nous en ont offert un redoutable aperçu : alors qu’une certaine France « black-blanc-beur » s’oriente vers l’extrême-droite, des musulmans partagent le même bitume que des identitaires qui assument leur racisme anti-musulman ; des catholiques traditionnalistes se trouvent dans le même cortège que des « suprématistes » noirs et des islamistes ; et une partie de l’extrême-droite accepte de manifester au côté de l’extrême-gauche. Une fusion est en train de s’opérer entre antisémitisme politique (qui se fonde sur l’antisionisme et l’anticapitalisme) et antisémitisme religieux (issu de l’intégrisme catholique – qui pense encore que les Juifs forment un « peuple déicide » – et de l’islamisme qui se développe dans certaines de nos banlieues). Cette confusion intellectuelle (et conceptuelle) et politique sert directement la « convergence des judéophobes ». Elle prend d’autant plus d’ampleur que la France s’interroge sur son identité et souffre actuellement d’une grave crise démocratique, due au fossé qui ne cesse de se creuser entre les élites politiques et économiques d’une part et ce qu’il est désormais convenu d’appeler « le peuple » d’autre part. Dans ce contexte, les Juifs apparaissent aux yeux de beaucoup comme l’incarnation d’un groupe ayant des droits supérieurs et/ou d’autres préoccupations que les citoyens de base. Cette idée prospère notamment sur ..................................................................................................................................................................................................................................................................
86. Jérémie Mani, « Qui sont les fans de Dieudonné sur Internet ? », Le Huffington Post, 9 janvier 2014.
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les réseaux sociaux. Ainsi, derrière la dénonciation d’une gouvernance politique à la fois verrouillée et coupée des réalités, il se diffuse chaque jour davantage une haine des Juifs présentés comme la figure moderne des élites. De même, la mémoire de la Shoah est perçue comme la mémoire des élites, celle qui serait nettement privilégiée au détriment de celle des autres minorités (esclavage, colonisation…). Ce climat de banalisation de l’antisémitisme préfigure nécessairement des passages à l’acte violents et possiblement meurtriers. Par rapport au début des années 2000, l’antisémitisme d’aujourd’hui présente deux nouvelles caractéristiques : auparavant, il se révélait presque toujours dans une parole ou un acte spontané, il peut désormais se manifester suite à une programmation froide et calculée ; tandis qu’il ne faisait plus de mort depuis le tout début des années 1980 (et les attentats contre la synagogue de la rue Copernic en 1980 et de la rue des Rosiers en 1982), l’antisémitisme d’aujourd’hui tue à nouveau. L’antisémitisme prend donc un tour tragique lorsque des jeunes quittent leur pays et leur « cité » pour s’entraîner au « djihad » en Syrie ou ailleurs et qu’ils reviennent avec l’idée de passer à l’acte terroriste. Avec l’objectif de diffuser la peur dans les sociétés européennes. Il aura fallu le massacre de Charlie Hebdo pour qu’un début de prise de conscience collective apparaisse : les Juifs ne sont pas les seuls visés, chacun peut l’être… Au total, la « convergence des judéophobes » et le terrorisme islamiste ont le même objectif : déstabiliser la démocratie. Le tableau est sombre, très sombre. Il est donc très difficile d’y distinguer des motifs d’espoir. On peut tout de même souligner le fait essentiel que les pouvoirs publics n’hésitent plus à condamner avec la plus grande fermeté tous les débordements antisémites. Ainsi, Manuel Valls n’a-t-il pas hésité à adopter une ligne politique risquée – et à perdre des plumes dans les sondages – pour interdire les spectacles de Dieudonné 87. Mais on doit admettre une nouvelle réalité tout à fait insupportable : la lutte contre l’antisémitisme conduit à alimenter l’antisémitisme ! En s’opposant aux propos ou aux actes antisémites, l’État est vu par certains comme un « allié » de Juifs qui auraient la mainmise ..................................................................................................................................................................................................................................................................
87. Dans son « one man show » intitulé Le Mur (2013), Dieudonné déclenche les rires des spectateurs en s’en prenant notamment au journaliste Patrick Cohen : « Moi quand je l’entends parler, Patrick Cohen, j’me dis, tu vois, les chambres à gaz… Dommage ! ».
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sur le pouvoir 88. D’une certaine façon, la lutte contre l’antisémitisme devient la preuve que la « communauté juive » est privilégiée par les pouvoirs publics et les médias au détriment des autres communautés, qu’il y aurait bien un « deux poids, deux mesures » 89. Comment sortir d’un tel cercle vicieux ?
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88. Par exemple, le Parti des Indigènes de la République vient de dénoncer le philosémitisme de l’État français. Houria Bouteldja, « Racisme (s) et philosémitisme d’État ou comment politiser l’antiracisme en France ? », 11 mars 2015. 89. Dans son ouvrage, publié avec Patrick Singaïny, pourtant rédigé après les attentats de janvier 2015, le grand intellectuel Edgar Morin explique qu’en France « la synagogue est respectée et honorée par les officiels qui y mettent kippa, (alors que) la mosquée est oubliée. » (Avant, pendant, après le 11 janvier, Editions de l’Aube, 2015, p. 38) Des Juifs ne venaient-ils pas d’être tués seulement parce qu’ils étaient Juifs ?
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ANNEXES 1 – La Charte du Hamas (1988, extraits) : Au nom d’Allah, le tout-miséricordieux, le très miséricor-dieux. (…) Israël s’élèvera et restera en place jusqu’à ce que l’Islam l’élimine, comme il a éliminé ses prédécesseurs. (…) Ceci est la charte du Mouvements de la résistance islamique (Hamas). Elle révélera son vrai visage, dévoilera son identité, définira ses positions, précisera ses objectifs, discutera de ses espérances, appellera au soutien de sa cause et à son renforcement, et à ce que les hommes rejoignent ses rangs. Car notre combat contre les Juifs est extrêmement étendu et sérieux, à un tel point que tous nos loyaux efforts seront nécessaires, et que ceux-ci devront être suivis par d’autres mesures et renforcés par de nouveaux bataillons issus du riche monde arabe et islamique, jusqu’à ce que nos ennemis soient vaincus et que la victoire d’Allah soit établie. (…) Grâce au fait que les Musulmans qui ont fait leur la cause du Hamas et aspirent à sa victoire, pour le renforcement de ses positions et pour l’encouragement de son djihad, sont répartis sur l’ensemble du globe, le Mouvement est universel… Le Prophète, que la prière et la paix soient sur lui, a dit : « Le Temps ne viendra pas avant que les Musulmans ne combattent les Juifs et ne les tuent ; jusqu’à ce que les Juifs se cachent derrière des rochers et des arbres, et ceux-ci appelleront : ô Musulman, il y a un Juif qui se cache derrière moi, viens et tue-le ! » Le Mouvement de la résistance islamique croit que la terre de Palestine est un waqf 90 islamique, dans toutes les générations et jusqu’au jour de la résurrection. Nul ne peut y renoncer, en tout ou en partie, ni l’abandonner, en tout ou en partie. Nul n’en a le droit : ni un pays arabe, ni l’ensemble de tous les pays arabes, ni un roi ou président arabe, ni l’ensemble de tous les rois et présidents arabes, ni une organisation ni l’ensemble de toutes les organisations, qu’elles soient palestiniennes ou arabes, parce que la Palestine est un waqf islamique ..................................................................................................................................................................................................................................................................
90. Le Waqf ou Wakf ou Vakıf (en turc), précédemment connu comme Wakf-alal-aulad, est, dans le droit islamique, une donation faite à perpétuité par un particulier à une œuvre d’utilité publique, pieuse ou charitable, ou fiducie. Le bien donné en usufruit est dès lors placé sous séquestre et devient inaliénable. Au Maghreb, le waqf est appelé Habis. Source : documentation en ligne Wikipédia.
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dans toutes les générations et jusqu’au jour de la résurrection. Qui peut prétendre parler au nom de toutes les générations islamiques jusqu’au jour de la résurrection ? Tel est le statut de la terre selon la charia islamique, et ce statut est le même pour tous les pays que l’islam a conquis par la force et qui sont devenus, par là même, des terres de waqf depuis leur conquête, pour toutes les générations de Musulmans jusqu’au jour de la résurrection. (…) Les initiatives de paix, les prétendues solutions pacifiques et les conférences internationales pour résoudre le problème palestinien sont toutes contraires aux principes du Mouvement de la résistance islamique. Car renoncer à une part quelconque de la Palestine signifie que l’on renonce à une partie de la religion. Le nationalisme du Mouvement de la résistance islamique est partie intégrante de sa foi ; le Mouvement éduque ses membres à adhérer à ses principes et à élever la bannière d’Allah sur leur patrie dans leur combat pour le djihad : « Allah est tout-puissant, mais la plupart des gens l’ignorent. » (…) Il n’y a pas de solution au problème palestinien, si ce n’est par le djihad. Les initiatives, les propositions et les conférences internationales ne sont qu’une perte de temps, un exercice futile. 2 – Liste des affirmations antisémites de l’enquête internationale de l’Anti-Defamation League (2014) : L’ONG américaine, l’Anti-Defamation League, a fait réaliser par un institut de sondage (First International Ressources) la première enquête internationale sur l’antisémitisme (les résultats complets sont disponibles à http://global.adl.org). Dans plus de 100 pays, des échantillons représentatifs de la population ayant plus de 18 ans ont été soumis à une liste de onze stéréotypes antijuifs au cours d’un entretien (il aura fallu en conduire 56 000 dans 96 langues différentes). En voici la liste : 1. Les Juifs sont plus loyaux envers Israël qu’envers [ce pays/les pays où ils vivent] ; 2. Les Juifs ont trop de pouvoir sur les marchés financiers internationaux ; 3. Les Juifs ont trop de pouvoir sur les affaires mondiales ; 4. Les Juifs pensent qu’ils sont mieux que les autres ; 5. Les Juifs ont trop de contrôle sur les médias internationaux ; 6. Les Juifs sont responsables de la plupart des guerres dans le monde ; 44
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7. Les Juifs ont trop de pouvoir dans le monde des affaires (« business ») ; 8. Les Juifs ne se soucient que de leur peuple, pas de ce qui arrive aux autres ; 9. Les gens détestent les Juifs à cause de la manière dont les Juifs se comportent ; 10. Les Juifs ont trop de contrôle sur le gouvernement des États-Unis ; 11. Les Juifs parlent encore trop de ce qui leur est arrivé pendant l’Holocauste ; Rappelons que le sondé répondant « certainement vrai » à au moins 6 des 11 énoncés figurant ci-dessus a été considéré comme antisémite par l’ADL. La moyenne mondiale se situe à 26 %. 3 – Le Président de la République face à la concurrence des mémoires : Ne sous-estimons pas les dégâts provoqués dans notre jeunesse par la propagande de Dieudonné M’Bala M’Bala. Peu à peu, grâce des vidéos outrageantes postées sur Internet, il est parvenu à diffuser l’idée que les Français de confession juive bénéficient d’un traitement privilégié par les pouvoirs publics et les médias, en particulier pour ce qui concerne la mémoire de la Shoah. Un exemple sidérant permet d’illustrer ce constat. Le 19 avril 2015, des lycéens ont la chance de rencontrer le Président de la République sur le plateau du Supplément, l’émission d’infotainement de Canal +. Le climat économique morose actuel devrait certainement les engager à interroger François Hollande sur l’épineuse question de l’insertion des jeunes sur le marché du travail. Pourtant, après la diffusion d’un reportage tourné dans leur lycée de Thiais, la discussion s’engage sur… Dieudonné ! À la demande de la présentatrice, François Hollande explique la différence entre Charlie Hebdo qui se limite au blasphème autorisé par la République et Dieudonné qui, lui, incite à la haine – ce qui est interdit par la loi. On peut alors penser la thématique enfin évacuée et que vont être enfin abordées les difficultés économiques et sociales auxquelles sont confrontés les jeunes de notre pays. Las, Yacine, l’un des lycéens présent sur le plateau n’hésite pas : « Doit-on se cacher de rire de Dieudonné ? Doiton avoir honte d’aimer les spectacles de Dieudonné ? » Ainsi, les explications très claires données par le Président de la République ne lui paraissent pas suffisantes et un dialogue surréaliste s’amorce. François Hollande garde sa contenance : « On doit réfléchir. Ceux qui y vont rient. Mais qu’est-ce qui fait que l’on rit de ça ? » « Parce que c’est marrant… Chacun a son opinion. Je vais 45
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faire une blague, ça va pas faire rire tout le monde, ça va faire rire certaines personnes et pas d’autres » répond sans hésiter Nadia. Hollande se montre combatif : « Quand il se déguise en nazi et qu’il dit qu’il faut tuer des Juifs, c’est drôle ? » « Ce n’est qu’une blague après… » se voit-il rétorquer. La journaliste intervient et rappelle qu’un de leur camarade a jugé drôle d’imiter Hitler en cours d’allemand et qu’ils se sont sentis obligés de se cacher pour rire. Yacine reprend : « Il se moque d’Hitler, il ne se moque pas des Juifs. » Le Président de la République doit se transformer en professeur d’histoire devant des lycéens qui ne veulent pas accepter que l’on ne puisse pas rire de tout : « S’il se moquait d’Hitler, ce ne serait pas un problème. Hitler a tué six millions de Juifs. S’il se moque des Juifs qui justement ont échappé aux camps de la mort ou qui sont morts dans ces chambres à gaz, là, c’est une apologie de la haine… parce que ça peut se reproduire ! » Et d’ajouter qu’« il n’y a pas eu que le génocide des Juifs », qu’il y en a eu d’autres, comme celui commis par les Turcs contre les Arméniens en 1915 et qu’il y a actuellement des massacres de chrétiens ou de musulmans… Le couperet tombe, sans aucune retenue : « Oui mais on parle plus des Juifs ! ». François Hollande doit alors expliquer la spécificité de la Shoah, évoquer la solution finale et revenir sur le respect que l’on doit accorder aux victimes de ce crime contre l’humanité. Ces lycéens ne devraient-ils pas le savoir ? Dans certains territoires, l’école s’est donc fait doubler par les discours délétères qui organisent la concurrence des mémoires : même pour ce qui a constitué leur plus grand malheur, les Juifs apparaissent comme ayant des droits supérieurs (« Pourquoi parle-t-on davantage des Juifs ? Il n’y en a que pour eux. Cela suffit maintenant. »). Les échanges du Supplément démontrent finalement combien cette approche si dangereuse de la mémoire s’est diffusée au sein d’une partie de notre jeunesse. Les lycéens expliqueront après l’émission que le Président de la République n’est pas parvenu à les convaincre. On apprendra même plus tard à quel point la confusion est totale : hors-antenne, les lycéens tenteront de faire admettre au Président de la République que la France s’est rendue coupable d’un génocide en Algérie. Les mots « colonisation » ou même « massacre » ne leur paraissent pas assez forts…
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LES PUBLICATIONS DE L’INSTITUT DIDEROT Dans la même collection • L’euthanasie, à travers le cas de Vincent Humbert - Emmanuel Halais • Le futur de la procréation - Pascal Nouvel • La République à l’épreuve du communautarisme - Eric Keslassy • Proposition pour la Chine - Pierre-Louis Ménard • L’habitat en utopie - Thierry Paquot • Une Assemblée nationale plus représentative - Eric Keslassy • Où va l’Égypte ? - Ismaïl Serageldin • Sur le service civique - Jean-Pierre Gualezzi • La recherche en France et en Allemagne - Michèle Vallenthini • Le fanatisme - Texte d’Alexandre Deleyre présenté par Dominique Lecourt
Les Carnets des Dialogues du Matin • L’avenir de l’automobile - Louis Schweitzer • Les nanotechnologies & l’avenir de l’homme - Etienne Klein • L’avenir de la croissance - Bernard Stiegler • L’avenir de la régénération cérébrale - Alain Prochiantz • L’avenir de l’Europe - Franck Debié • L’avenir de la cybersécurité - Nicolas Arpagian • L’avenir de la population française - François Héran • L’avenir de la cancérologie - François Goldwasser • L’avenir de la prédiction - Henri Atlan • L’avenir de l’aménagement des territoires - Jérôme Monod • L’avenir de la démocratie - Dominique Schnapper • L’avenir du capitalisme - Bernard Maris • L’avenir de la dépendance - Florence Lustman • L’avenir de l’alimentation - Marion Guillou • L’avenir des humanités - Jean-François Pradeau • L’avenir des villes - Thierry Paquot • L’avenir du droit international - Monique Chemillier-Gendreau • L’avenir de la famille - Boris Cyrulnik • L’avenir du populisme - Dominique Reynié • L’avenir de la puissance chinoise - Jean-Luc Domenach • L’avenir de l’économie sociale - Jean-Claude Seys • L’avenir de la vie privée dans la société numérique - Alex Türk • L’avenir de l’hôpital public - Bernard Granger 47
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• L’avenir de la guerre - Henri Bentegeat & Rony Brauman • L’avenir de la politique industrielle française - Louis Gallois • L’avenir de la politique énergétique française - Pierre Papon • L’avenir du pétrole - Claude Mandil • L’avenir de l’euro et de la BCE - Henri Guaino & Denis Kessler • L’avenir de la propriété intellectuelle - Denis Olivennes • L’avenir du travail - Dominique Méda • L’avenir de l’anti-science - Alexandre Moatti • L’avenir du logement - Olivier Mitterand • L’avenir de la mondialisation - Jean-Pierre Chevènement • L’avenir de la lutte contre la pauvreté - François Chérèque • L’avenir du climat - Jean Jouzel • L’avenir de la nouvelle Russie - Alexandre Adler • L’avenir de la politique - Alain Juppé • L’avenir des Big-Data - Kenneth Cukier et Dominique Leglu • L’avenir de l’organisation des Entreprises - Guillaume Poitrinal • L’avenir des inégalités - Hervé Le Bras • L’avenir de la diplomatie - Pierre Grosser
Les Dîners de l’Institut Diderot • La Prospective, de demain à aujourd’hui - Nathalie Kosciusko-Morizet • Politique de santé : répondre aux défis de demain - Claude Evin • La réforme de la santé aux États-Unis : Quels enseignements pour l’assurance maladie française ? - Victor Rodwin
• La question du médicament - Philippe Even
Les Entretiens de l’Institut Diderot • L’avenir du progrès (actes des Entretiens 2011)
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DE L’ANTISEMITISME EN FRANCE Éric KESLASSY enseigne la sociologie à Sciences Po et l’économie, la sociologie et l’histoire du monde contemporain à la prépa Commercia. Il a publié de nombreux ouvrages dont Citations politiques expliquées (Eyrolles, 2012) et Leçons d’introduction à la sociologie (Ellipses). Cette note est la troisième qu’il rédige pour l’Institut Diderot après La République à l’épreuve du communautarisme (2011) et Une Assemblée nationale plus représentative ? Sexe, âge, catégorie socioprofessionnelle et « pluralité visible » (2012).
Dès lors que le soi-disant État islamique (Daech) se présente comme fondé sur les leçons du Coran, tout est fait pour que cette guerre civile devienne une guerre de religion à grande échelle, voire ce que certains appellent une guerre de civilisations lorsqu’ils opposent les « valeurs » occidentales aux autres. Cessons, en tout cas, de fermer les yeux ! Ce n’est pas faire de la « musulmanophobie » que de constater qu’il existe un puissant antisémitisme dans les banlieues françaises. Coincés par le chantage affectif qui pèse sur l’ancien colonisateur, nombre d’intellectuels et responsables politiques en viennent à renoncer à tout devoir critique. Le texte que nous allons lire examine avec calme et fermeté l’expansion indéniable de cette répugnante manière de penser et d’agir sur laquelle il n’y a pas à transiger, pas plus aujourd’hui qu’hier.
Dominique LECOURT Directeur général de l’Institut Diderot
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La présente publication ne peut être vendue
ISBN 979-10-93704-14-2
FONDS DE DOTATION POUR LE DEVELOPPEMENT DE L’ECONOMIE SOCIALE REGI PAR LA LOI N°2008-776 DU 4 AOUT 2008 – SIRET N° 513 746 651 00019
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www.idcomm.fr - Imprimé sur papier issu de forêts gérées durablement. Septembre 2015.
On avait cru l’antisémitisme en France relégué dans un passé révolu. Et pourtant, cette forme meurtrière de la haine sociale frappe à nouveau. Chacun sait que sa tonalité n’est plus celle de la « révolution nationale ». Le vocabulaire est celui de l’islamisme ou de l’extrême gauche européenne. Les effets se manifestent dans le style décomplexé, c’est-à-dire violent, qu’affectionne une partie de la jeunesse.