Le corps ce grand oublié de la parité Claudine Junien
Les Dîners de l’Institut Diderot
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Le corps ce grand oubliĂŠ de la paritĂŠ Claudine Junien
Février 2017
SOMMAIRE
PRÉSENTATION
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AVANT-PROPOS
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Jean-Claude Seys
Dominique Lecourt
LE CORPS CE GRAND OUBLIÉ DE LA PARITÉ Claudine Junien
LES PUBLICATIONS DE L’INSTITUT DIDEROT
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PRÉSENTATION Claudine Junien est Professeur émérite de Génétique Médicale, PU-PH de la Faculté de Médecine Paris-Ouest, Université Paris Descartes puis UVSQ. Elle a créé et dirigé l’unité de recherche de l’INSERM U383 « Génétique, chromosome et cancer » à l’hôpital Necker-Enfants malades, Paris (1993-2009). Elle a fondé (2012) et présidé (2012-2015) la « Société Francophone pour la recherche et l’éducation sur les Origines Développementales, Environnementales et Epigénétiques de la Santé et des Maladies » (SF-DOHaD). Elle est Chevalier de l’ordre du Mérite (1995) et Chevalier de la Légion d’Honneur (2000). L’objectif de ses travaux de recherche à l’INRA, Jouyen-Josas, BDR, est d’élucider comment les processus épigénétiques retiennent la mémoire d’impacts environnementaux précoces d’une manière spécifique du sexe du parent et de la progéniture. Elle est auteur de 270 publications originales, de livres ou chapitres. Depuis 2006, elle a publié 22 revues, organisé des conférences ou meetings internationaux (11) et nationaux (6), des conférences de presse, et a été invitée à donner 160 conférences ou conférences plénières, cours et débats. Elle est membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine (2012). Elle anime les travaux d’un groupe 5
mixte de réflexion sur les « Différences entre les sexes : pour une parité en recherche et santé », avec l’Académie de Médecine et l’Académie des Sciences. Elle est membre de la DOHaD internationale, de la Fondation pour la recherche cardiovasculaire (Coeur de Femme), de l’OSSD (Organisation for the Study of Sex differences, US), et d’EUGenMED (European Gender Medecine). Jean-Claude Seys Président de l’Institut Diderot
AVANT-PROPOS « Les hommes et les femmes ne sont pas égaux devant la maladie et doivent donc être traités différemment ». C’est avec cette formule politiquement incorrecte que l’Académie nationale de médecine dénonce certains préjugés qui affectent la pensée médicale. Vous êtes à l’origine de ce rapport. Vous militez en faveur d’une médecine sexuée ou différenciée. Vous récusez les tentatives pour rejeter l’existence de ces différences. Voilà un coup sérieux porté à la théorie du genre, aujourd’hui, très en vogue… La maladie d’Alzheimer, la dépression, l’ostéoporose… Oui, certaines maladies touchent plutôt les femmes. L’autisme, les tumeurs du cerveau et les AVC… D’autres atteignent davantage les hommes. Pourtant, on se réfère aux hommes pour concevoir les médicaments. 7
Résultat : les femmes sont exposées à des accidents secondaires deux fois plus nombreux que les hommes. Certaines molécules ne sont pas efficaces sur les hommes mais seulement sur les femmes, et vice-versa. Le problème, c’est que peu de cliniciens sont au courant de cette réalité. Vous parlez d’une « injustice thérapeutique » et l’Académie recommande de prendre conscience de ces différences. Cette perspective pourrait bouleverser le diagnostic et la prise en charge des patients. Vous allez nous expliquer en quoi la parité entre homme et femme ne saurait être obtenue par dénégation de leur différence.
Pr. Dominique Lecourt Directeur général de l’Institut Diderot
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LE CORPS CE GRAND OUBLIÉ DE LA PARITÉ LES DIFFÉRENCES BIOLOGIQUES ENTRE L’HOMME ET LA FEMME SONT SOUS-ESTIMÉES EN RECHERCHE ET EN MÉDECINE. Il ne se passe pas un jour sans que la « théorie du genre » ne fasse l’objet de débats, que des stéréotypes de genre bien ancrés ne subissent des assauts, ou que la question de la parité à l’école, au travail, dans la société en général, ne soit abordée. Et pourtant notre corps, celui que nous habitons en tant qu’homme ou en tant que femme, reste le grand oublié de cet ardent débat sur la parité. Les différences liées au sexe (DLS), qu’il s’agisse de l’âge d’apparition, de la sévérité ou de la prévalence de nombreuses maladies, du métabolisme, de la réponse aux médicaments ou aux régimes, ou de comportements, sont largement reconnues. Ainsi certaines maladies touchent majoritairement les femmes : maladie d’Alzheimer, anorexie, dépression, ostéoporose, troubles alimentaires, maladies auto immunes (maladies thyroïdiennes – Hashimoto, Basedow – sclérose en plaques, lupus etc..), certains cancers (thyroïde). Inversement, les hommes sont plus fréquemment atteints d’autisme, de tumeurs du cerveau 9
et du pancréas, d’accidents vasculaires cérébraux (AVC) ischémiques ; ils sont aussi plus enclins aux conduites à risque (vitesse, alcool, drogues) et à la violence. On sait aussi que les milliards de bactéries qui constituent notre microbiote, sont en proportions différentes de sorte qu’elles confèrent des susceptibilités différentes à leurs hôtes masculins ou féminins. Si la ressemblance, en termes de séquence d’ADN, entre 2 hommes ou 2 femmes est de 99,9 %, la ressemblance entre un homme et une femme n’est que de 98,5 %, du même ordre de grandeur qu’entre un humain et un chimpanzé, de même sexe... Ces DLS existent dans toutes nos cellules qu’il s’agisse du foie, du cerveau ou des organes reproducteurs. Les DLS dépassent largement désormais celles uniquement liées à la reproduction dans leur vision limitée aux gonades et aux hormones.
LA CONFUSION DES GENRES Il faut tout d’abord bien distinguer ce que l’on entend par les termes « genre » et « sexe ». Il existe en effet une grande confusion entre ces deux termes qui sont souvent utilisés de manière impropre. Le terme « genre » sert à évoquer les rôles qui sont déterminés socialement, les comportements, les activités et les attributs qu’une société considère comme appropriés pour les hommes et les femmes. Le terme « sexe », quant à lui, se réfère uniquement aux caractéristiques biologiques et physiologiques qui différencient les hommes des femmes et est important 10
tout au long de la vie. La primauté donnée au genre sur les réalités du sexe risque de créer une injustice de plus, dont il est du devoir des scientifiques et des médecins de prendre conscience pour alerter et agir. Alors que le sexe est déterminé initialement et uniquement de manière biologique, notre genre, c’est-à-dire la perception et les implications sociales de notre sexe, est également important pour nos vies, mais essentiellement à partir de la naissance, et, comme les DLS, tout au long de la vie. Le genre dépend d’un formatage socioculturel progressif lié à la perception et aux implications sociales de notre sexe, avec des stéréotypes difficiles à éradiquer, même s’ils sont erronés. Pour des raisons socioéconomiques ou par leurs occupations respectives, hommes et femmes peuvent être soumis à des expositions spécifiques différentes aux virus, bactéries et polluants. Les forces biologiques interagissent dès la conception, lors de la différenciation gonadique et jusqu’à la naissance. Puis à partir de la naissance et tout au long de la vie vient s’ajouter progressivement le formatage socio-culturel, d’une manière synergique ou antagoniste. Ces processus divers permettent de créer de nouvelles différences spécifiques du sexe et du genre mais peuvent également amplifier ou atténuer les différences biologiques qui existent déjà (XX/XY et hormones). Les DLS et celles liées au genre sont créées par l’intrication réciproque de multiples forces biologiques et environnementales. Ces différentes composantes ont des 11
effets indépendants et parallèles. Si l’on doit faire une distinction sociale/biologique entre le genre et le sexe, on se doit aussi de préciser qu’ils sont interreliés et potentiellement inséparables. Il existe ainsi des stéréotypes, des environnements, spécifiques aux filles et aux garçons, aux femmes et aux hommes (école, maison, travail…).
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Quoiqu’il en soit, avec le nouvel éclairage apporté par la génétique et l’épigénétique, on sait aujourd’hui que le social influence le biologique et que, réciproquement, le biologique influence le social. D’où la difficulté de séparer ce qui revient au sexe de ce qui revient au genre. Il en découle que les stratégies thérapeutiques ou préventives efficaces pour les individus d’un sexe ne sont pas nécessairement adaptées à l’autre sexe. Les femmes font une fois et demi à deux fois plus d’accidents secondaires liés aux médicaments que les hommes : un coût humain et financier exorbitant et… évitable. En effet, depuis des années, les essais cliniques incluent de façon générale beaucoup moins de femmes que d’hommes. En dépit de ces différences patentes, comme un éditorial et plusieurs articles de la revue Nature l’ont récemment souligné, la parité en recherche biomédicale n’est toujours pas atteinte. La majorité des études s’adressent à un seul sexe – généralement les mâles – aussi bien pour les études chez l’animal que pour les études cliniques chez l’Humain. Au-delà des aspects éthiques interdisant le plus souvent les essais cliniques pendant la période de gestation/ lactation, les soins et les pratiques sont calqués sur ceux qui sont appliqués aux hommes. Si la médecine appliquée aux hommes est basée sur l’évidence scientifique, celle qui s’adresse aujourd’hui aux femmes l’est beaucoup moins. Rechercher les différences et les mécanismes en jeu fera progresser les connaissances et la médecine. Aux États-Unis, le NIH (National Institute of Health) vient d’annoncer sa nouvelle politique pour le financement de la 13
recherche : pour être financé par le NIH, il va désormais falloir inclure les 2 sexes dans toutes les études, Homme ou animal. Plusieurs pays européens ont déjà adapté en conséquence leur recherche scientifique et leurs stratégies thérapeutiques, prenant ainsi au moins dix ans d’avance par rapport à la France, où, sous prétexte de parité, on évite de reconnaître les différences entre les hommes et les femmes, au mépris des évidences scientifiques et de l’intérêt même de la santé des femmes... et des hommes. C’est donc bien le déni des différences qui est à l’origine de cette inégalité et non les différences elles-mêmes. Ce silence à propos des différences biologiques serait-il le symptôme d’un aveuglement plus profond qui concerne le rapport de beaucoup avec la science ? Ce n’est pas en occultant les différences que l’on supprimera les discriminations. Ainsi ce n’est pas en supprimant le terme race que l’on supprimera le racisme.
DES VERSIONS ARCHAÏQUES DE LA BIOLOGIE DU SEXE Notre vision actuelle sur la différenciation du sexe est obsolète : alors que notre genre ne peut se constituer qu’à partir de la naissance, il faut prendre conscience du fait que notre sexe est déterminé bien avant l’apparition des hormones. Il faut donc admettre que des DLS se construisent et se manifestent indifféremment du genre et que sous prétexte de parité, on a trop longtemps évité de reconnaître les différences biologiques entre les hommes et les femmes, au nom de l’égalité mais au mépris des 14
évidences scientifiques. Il est temps de rattraper plus de 10 ans de retard par rapport à nos voisins européens et de mettre en place une médecine différenciée dans l’intérêt même de la santé des femmes... et des hommes ! Des versions archaïques de la biologie du sexe persistent malgré une abondante littérature scientifique sur ce sujet. Aujourd’hui il est temps de se débarrasser de cette vision obsolète des origines biologiques des différences entre homme et femme. Jusqu’à présent on croyait aux schémas suivants : a) en ce qui concerne le chromosome Y, le plus petit de tous les chromosomes, et présent uniquement chez l’homme, parmi le petit nombre de gènes portés par ce chromosome Y on pensait que seul le gène SRY (de l’anglais Sex-determining Region of Y chromosome) qui déclenche la différenciation de la gonade mâle entre la 6ème et la 7ème semaine, était déterminant ; et que les autres gènes avaient un rôle négligeable ; b) en ce qui concerne le chromosome X, la femme, qui possède 2 chromosomes X, pour se faire l’égale de l’homme, qui n’a qu’un seul chromosome X, inactivait dans toutes ses cellules un de ses deux X ; c) les différences n’apparaissaient qu’avec l’arrivée des hormones sexuelles à la 8ème semaine ; d) dès la naissance, les influences liées au genre façonnaient, de concert avec les hormones, notre identité, notre genre. Cette vision, à laquelle certains restent très attachés, est 15
une belle histoire mais elle est fausse : elle satisfait les défenseurs de l’égalité des sexes selon le principe que seuls des individus identiques peuvent être égaux. Toute différence apparaissant comme une entorse au cadre égalitaire républicain.
LE SEXE AU 21ème SIÈCLE Bien avant que la société ne puisse dicter les rôles auxquels chaque fille/femme ou garçon/homme doit se conformer dans toute société, la biologie, au moment même de la conception trace la voie pour le futur individu. Chacun d’entre nous est donc doté d’un sexe biologique. Sur les 23 paires de chromosomes héritées de nos parents, c’est la paire de chromosomes sexuels qui fait toute la différence. Si le spermatozoïde paternel qui se fraye un passage dans l’ovocyte maternel, toujours porteur d’un chromosome X, est porteur lui d’un chromosome Y, ce sera un garçon (XY). Et si le spermatozoïde est porteur d’un chromosome X, ce sera une fille (XX). Les DLS apparaissent donc dès la conception, positionnant ces différences à un stade bien antérieur à la différenciation des gonades qui conditionne l’apparition des hormones (Figure 2). Ce n’est que 7 à 8 semaines plus tard que la différenciation va se poursuivre au cours de fenêtres développementales différentes sous l’influence des hormones sexuelles. Ces différences génétiques puis hormonales aboutissent par des mécanismes différents, avec des différences d’expression de gènes et des différences cellulaires, à des diffé16
Figure 2
rences anatomiques (cœur et vaisseaux sanguins, cerveau etc.) avec, entre autres, des différences au niveau du système immunitaire. Ainsi dès la conception, avec 22 paires d’autosomes et une paire de chromosomes sexuels, XY pour le mâle, XX pour la femelle, les dés sont jetés. Simone de Beauvoir (1956) avec sa célèbre phrase « on ne naît pas femme, on le devient » se serait-elle fourvoyée, et avec elle, toutes celles et tous ceux qui ont enfourché ce dogme? Hélas oui : avant même que le petit blastocyste (une centaine de cellules) ne s’implante dans l’utérus de la mère, on note déjà, à ce stade, que 30 % des gènes qui s’expriment montrent des différences significatives entre le mâle et la femelle. Et déjà le petit embryon mâle, avec une croissance accélérée, se distingue d’un petit embryon femelle.
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Nous devons à Nettie Stevens, chercheuse Américaine, née en 1891, la découverte du rôle joué par le chromosome Y dans la détermination sexuelle en 1905. Grâce à ses études sur un petit coléoptère du genre Tenebrio, elle découvre que les mâles ont des cellules reproductrices avec un chromosome, soit un X soit un Y, alors que celles des femelles ne possèdent qu’un seul et même chromosome, un X. Elle en conclut très justement que ce sont les chromosomes paternels qui déterminent le sexe de la progéniture. Mais sa découverte sera d’abord rejetée par ses pairs pour qui la seule responsable de la détermination du sexe ne pouvait être que la mère. Combien de femmes, jugées « incapables » de donner naissance à un fils ont-elles été répudiées au nom de cette croyance, encore tenace ?
GÉNÉTIQUE, ÉPIGÉNÉTIQUE ET ENVIRONNEMENT Pour ne pas commettre les mêmes erreurs, en ce début de 21ème siècle, il est temps de regarder d’un peu plus près ce que la science nous dit sur les différences biologiques entre hommes et femmes. En effet, trop souvent au nom de l’égalité entre hommes et femmes, nous assistons à un déni de ces différences biologiques qui existent bel et bien. Une abondante littérature scientifique les étaye, surtout au niveau moléculaire avec la génétique et l’épigénétique. La génétique s’intéresse aux gènes – 23 000 gènes, des segments d’ADN associés à des protéines, des histones, et 18
répartis sur 46 chromosomes – que nous héritons de nos parents. Le génome est stable et définitif et identique dans chacune de nos cellules. Alors comment expliquer que nos 23 000 gènes ne s’expriment pas de la même façon dans le foie, le rein ou le cerveau et avec des différences selon le sexe ou l’âge. On sait aujourd’hui que cette incroyable plasticité de nos gènes dépend de marques épigénétiques. L’épigénétique, elle, étudie les changements dans l’activité des gènes, changements qui peuvent être induits par l’environnement (au sens large) et qui modifient la façon dont ils se comportent. Pour que nos gènes puissent « s’exprimer » (fonctionner), il faut que l’ADN et les protéines, les histones autour desquelles l’ADN est enroulé comportent des marques spécifiques (que l’on appelle épigénétiques) d’activation ou de répression. De plus, sous l’influence de l’environnement, des modifications peuvent se produire, qui peuvent perdurer durant la vie de l’individu, voire être transmises à sa descendance. Ces marques épigénétiques sont des molécules diverses qu’une batterie d’enzymes (la machinerie épigénétique) fixent sur l’ADN et sur les histones, ou les retirent, sans changer la séquence de l’ADN. Selon le type de marques et leurs combinatoires, elles permettent d’activer ou d’éteindre certains gènes. Ces marques permettent à l’ADN d’être compacté, et, dans ce cas, le gène est passif/ éteint/réprimé, ou bien, au contraire, d’être relâché et ainsi accessible à certains facteurs, comme la machinerie 19
de transcription et les facteurs de transcription. Et il existe des marques épigénétiques spécifiques du sexe apposées sur certains gènes comme une sorte de mémoire pour se souvenir de son sexe, dès le début de la vie, pour moduler au bon moment, dans la bonne cellule, l’expression de certains gènes. Ces différences existent dans tous les tissus, incluant les gonades et le cerveau, et donc dans chacune des 60 000 milliards de cellules qui les composent. Ces marques épigénétiques sont à la base des différences de réseaux de gènes impliqués chez l’homme et la femme, et dans leurs réponses à court ou long terme à l’environnement. Sensibles à tous les types d’environnement, physiques, chimiques, bactériens/viraux, psychoaffectifs, économiques, ou géographiques, elles retiennent aussi la mémoire des événements passés longtemps après l’impact de l’exposition, en fonction du sexe biologique, puis du genre. Façonnées au gré de l’environnement, les marques épigénétiques établissent des réseaux de gènes différents chez le mâle et la femelle, tant au niveau basal que pour les réponses à court terme ou à long terme.
DEPUIS LA CONCEPTION, CHACUNE DE NOS CELLULES A UN SEXE Le séquençage du génome humain a pu répertorier une petite centaine de gènes sur le chromosome Y qui s’expriment uniquement dans les cellules d’un mâle. Quant 20
au chromosome X il contient environ 1500 gènes. On a longtemps cru que l’un des 2 chromosomes X était complètement inactivé au hasard dans toutes les cellules d’une femme (Mary Lyon 1961). Or il s’est avéré que 10 à 15 % des gènes échappaient à cette inactivation chez la femme (Carolyn J. Brown 1991). Ainsi les facteurs génétiques qui rendent compte des différences entre mâles et femelles sont précisément d’une part les gènes du chromosome Y qui s’expriment uniquement dans les cellules d’un mâle, et d’autre part les gènes de l’X qui échappent à l’inactivation de l’X et sont donc plus exprimés chez une femelle que chez un mâle. Il est bien connu que l’ablation hormonale ne parvient pas toujours à éliminer complètement les différences entre mâles et femelles, ni inversement la supplémentation hormonale à les recréer. Ce qui démontre les rôles organisationnels et activationnels des facteurs génétiques de l’Y et de l’X, au même titre que les hormones. De nouvelles données scientifiques, largement validées, dont certaines datent tout de même de quelques décennies, bouleversent le schéma égalitariste et étayent un nouvel ordre au niveau cellulaire. Elles attribuent de fait un sexe à toutes nos cellules et ce depuis la conception : au stade blastocyste (100 cellules) avant le 6e jour en période préimplantatoire, régulant ainsi d’une façon sexe-spécifique l’expression des gènes portés par les autres chromosomes. Ainsi avant même l’apparition des gonades et donc des hormones, 30 % des gènes s’expriment déjà différentiellement avant l’implantation de l’embryon dans l’utérus. 21
a) Si des études ont montré que le petit chromosome Y a « rétréci » au cours de l’évolution ce n’est pas pour porter uniquement le gène SRY mais pour préserver un patrimoine essentiel et déterminant : le chromosome Y ainsi « réhabilité » porte en fait une centaine de gènes essentiels. Certains sont impliqués dans des affections cardiovasculaires. b) Le chromosome X n’est pas en reste : alors que l’on croyait qu’un des 2 X était entièrement inactivé, mettant la femelle sur pied d’égalité avec le mâle, on sait maintenant que grâce à des mécanismes épigénétiques, 15 % des gènes, échappent à cette inactivation et s’expriment donc plus chez la femelle que chez le mâle (Figure 3).
Figure 3
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c) De plus, on sait aujourd’hui qu’il existe une grande homologie entre certains de ces gènes de l’X et ceux portés par le chromosome Y. Une trentaine de gènes sont impliqués dans la régulation de l’expression des gènes portés par les autres chromosomes et des protéines et ont un gène homologue sur le chromosome X (les paralogues). En effet, certains gènes de l’X et de l’Y, codent des enzymes spécifiques de la machinerie épigénétique qui s’expriment dès la mise en route du génome pour venir marquer certains gènes de leur sceau mâle ou femelle, avec des marques épigénétiques spécifiques. Ces marques mâle – ou femelle – spécifiques pourront, à leur tour, être reconnues pour permettre l’activation (ou l’inhibition) sélective par les hormones mâles ou les hormones femelles. d) Au cours des dernières années, de nouveaux éléments dans les voies précédemment caractérisées et de nouveaux niveaux de la régulation des gènes, tels que les ARN 1 non codants et l’épigénétique, ont été impliqués dans le développement des gonades. Ils permettent de mieux comprendre le rôle des gènes nécessaires pour le développement structurel et l’entretien des gonades : au début du développement, la gonade embryonnaire est bipotentielle avec la capacité unique de se différencier en un des deux organes fonctionnellement distincts, un testicule ou un ovaire. La détermination correcte, la différenciation et le développement des gonades reposent sur un réseau étroitement régulé de facteurs 1. Acide ribonucléïque
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de transcription et des molécules de signalisation cellulaire. Les perturbations du réseau génétique qui sous-tendent ces voies peuvent conduire à des troubles du développement sexuel qui sont associés à un dysfonctionnement gonadique, une infertilité et des cancers des gonades chez les personnes touchées. Pourtant, il n’existe que de très rares cas (0,018 % des naissances) pour lesquels le sexe, à la naissance, peut être ambigu, que l’origine soit chromosomique, génique, développementale ou environnementale. La vision du 20ème siècle de la différenciation du sexe avec le gène SRY comme unique acteur et du sexe féminin comme étant le sexe par défaut, est donc obsolète. Il en est de même pour la vision centrée sur les gonades et les hormones. e) E nfin, toujours grâce aux progrès des connaissances en épigénétique, on sait aujourd’hui que les expériences vécues par un individu, les contacts environnementaux auxquels il est soumis depuis la vie intra utérine et tout au long de sa vie laissent des traces, une mémoire sur ses gènes par l’intermédiaire de l’épigénétique et vont en conditionner l’expression. Ainsi les influences liées au genre, les contraintes sociales vont aussi marquer nos gènes et laisser des marques conférant certaines dispositions à l’individu en fonction de son genre, mais seulement à partir de la naissance. Ces données ne remettent pas en cause le rôle des hormones ni celui du genre mais relativisent leurs rôles. Les différences entre l’homme et la femme longtemps domi24
nées par les hormones ne sont donc pas dues uniquement aux hormones et au formatage par les stéréotypes de genre. Elles résultent d’interactions complexes entre certains gènes et des gènes de l’Y et de l’X auxquels viennent s’ajouter, et seulement à partir de la huitième semaine, les fluctuations des hormones sexuelles spécifiques du sexe, et ce tout au long de la vie. Dans toutes nos cellules, ces différences d’expression fluctuent : elles persistent, disparaissent, voire changent de direction. Enfin, parallèlement, l’environnement intra utérin, puis celui de l’enfant et de l’adulte viendront contribuer au formatage de notre épigénome pour conférer à l’individu son identité. Le binôme sexe/genre évolue donc dans la réciprocité grâce à l’épigénétique.
DÈS L’INSTANT DE NOTRE CONCEPTION, LES COMPORTEMENTS DIFFÈRENT Dès la conception, l’embryon mâle ne se comporte pas de la même manière que l’embryon femelle. Pourquoi de telles différences alors que les hormones sexuelles n’ont pas encore fait leur apparition ? Parce que, précisément, toutes les cellules de l’embryon ont un sexe : XX pour les filles, XY pour les garçons. Dans un blastocyste bovin, un tiers des gènes qui s’expriment sont différentiellement exprimés entre le mâle et la femelle. Dans le blastocyste de souris également, près de 600 gènes sont différentiellement exprimés. Ceci 25
démontre qu’en l’absence d’influences hormonales à ce stade, les chromosomes sexuels peuvent imposer une régulation transcriptionnelle à des gènes autosomiques. L’analyse ontologique des données chez le bovin suggère un niveau transcriptionnel global plus important chez les femelles et un métabolisme protéique plus important chez les mâles. D’un point de vue phénotypique, le métabolisme global du glucose est deux fois plus important et l’activité de la voie des pentoses phosphates quatre fois plus importante dans les blastocystes bovins mâles que dans les blastocystes femelles. Des différences métaboliques similaires ont été observées chez les embryons humains au même stade. Bien avant la différenciation des gonades, des DLS existent entre des cellules embryonnaires mâles et des cellules femelles vis-à-vis de leur sensibilité (plus importante chez les femelles) à une exposition à l’alcool, ce qui peut être attribué à l’action de gènes portés par les chromosomes sexuels. On sait également que les différences de développement du cerveau et de comportement entre les mâles et les femelles, aux stades précédant la différenciation gonadique, résultent directement des profils d’expression sexuellement dimorphiques de gènes liés au développement neuronal. Au jour 10,5 du développement embryonnaire chez la souris, on peut détecter l’expression différentielle d’une cinquantaine de gènes, pour la plupart autosomiques, entre les cerveaux d’embryons mâles et femelles. 26
Dans leur très grande majorité, ces gènes interviennent dans trois catégories de fonctions biologiques : différenciation et prolifération cellulaires, régulation transcriptionnelle et signalisation. On trouve également des gènes codant pour des enzymes de la machinerie épigénétique. Les mécanismes par lesquels ces gènes agissent plus tard sur le développement des neurones et par conséquence sur les comportements, indépendamment ou en synergie avec les hormones gonadiques, restent à déterminer. Ainsi, du fait de l’expression déséquilibrée des gènes liés à l’X entre les sexes et des gènes de l’Y à certains stades du développement préimplantatoire précoce, le sexe de l’embryon joue un rôle déterminant dans l’établissement de la taille de l’embryon, sa vitesse de croissance, le métabolisme, le développement des organes, y compris le cerveau (SRY, MAOA dans le cerveau), la réponse et la morbidité face à certains stimulus délétères. Dans le contexte de l’origine développementale de la santé et des maladies de l’adulte ( DOHaD 2 ), les effets précoces de la programmation au cours du développement, les effets à long terme, voire les effets multi ou transgénérationnels sont souvent spécifiques du sexe, celui de la progéniture et celui du parent. Pourtant les bases biologiques de ces différences sont encore largement méconnues, confinées aux effets organisationnels et activationnels des hormones et occultées par des considérations socioculturelles.
2. Developmental Origins of Health and Disease
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TYPES ET TAILLE DES DIFFÉRENCES
Figure 4
On peut distinguer différentes catégories de différences liées au sexe : 1) l e dimorphisme sexuel : la différence repose sur deux formes, une plus répandue chez les mâles et l’autre plus fréquente chez les femmes ; on peut citer l’exemple de la crinière du lion, de la taille des canines, la queue du paon mâle, le comportement copulatoire, le chant des oiseaux, le maternage, l’agression post partum, ou la parade nuptiale ; 2) l a caractéristique phénotypique peut être présente dans un seul sexe et absente dans l’autre, la différence existe sur un continuum et la moyenne est différente entre les hommes et les femmes ; de nombreux exemples existent avec la taille (Figure 4), les seuils de douleur, les préférences et la prise alimentaire, la détection des odeurs, la 28
peur, l’anxiété, l’apprentissage, la mémoire, les réponses au stress, le processing sensoriel etc. ; 3) la caractéristique phénotypique peut être la même chez les hommes et les femmes, mais les fondements cellulaires peuvent être différents. Mâles et femelles utilisent des stratégies différentes. Les mécanismes peuvent être communs ou différents selon le type de stress ou par exemple impliquer des cellules différentes ; 4) e nfin une différence liée au sexe peut disparaître ou apparaître seulement en réponse à un défi comme une blessure ou un stress : il peut y avoir convergence du phénotype avec disparition de la différence ou bien il peut y avoir divergence de phénotype avec apparition d’une différence liée au sexe. Il existe des différences statistiquement significatives (parfois modestes et spécifiques) entre hommes et femmes mais ce n’est pas dire pour autant que chaque homme ou chaque femme correspond à un « type » particulier. Par exemple, il est bien établi que les hommes sont en moyenne plus grands que les femmes, mais cela n’est évidemment pas applicable à chaque homme et chaque femme en particulier. La sourde inquiétude que toute différence soit systématiquement en défaveur des femmes n’est pas justifiée non plus : les garçons sont plus touchés par le retard mental et sont plus agressifs que les filles en moyenne, par exemple. Enfin, la crainte que toute différence de fait entre hommes et femmes pourrait justifier une discrimination sexiste est encore une erreur : ce qui est naturel n’est pas nécessairement bon, et ce qui 29
est biologique n’est pas inexorable. C’est aux citoyens de décider des comportements et des modes d’organisation de la société souhaitables, y compris si cela doit aller à l’encontre de nos prédispositions biologiques 3. Il est tout aussi absurde de faire de ces petites disparités des frontières hermétiques en affirmant une absolue séparation des sexes que de les nier ou de prétendre qu’elles s’expliquent parfaitement par l’existence d’une culture sexiste (par ailleurs bien réelle). Ce n’est pas seulement faux : ce mythe de l’indifférenciation est sans doute en partie la cause de la quinzaine d’années de retard que la France accuse par rapport au reste de la communauté médicale européenne eu égard au développement d’une médecine (dont la psychiatrie) adaptée à chacun. Ensuite, pour faire passer la légende, on est obligé de tricher avec la raison, donnant une très mauvaise illustration de ce qu’est l’esprit critique que l’on souhaite pourtant plus que jamais développer chez les jeunes. Catherine Vidal, par exemple, dont la présence médiatique et politique est considérable, présente régulièrement la plasticité cérébrale (le fait que le cerveau se modifie en permanence sous l’effet de l’environnement ou de l’expérience) comme la preuve que rien n’est déterminé. C’est évidemment un paralogisme : la force musculaire est aussi très plastique et extrêmement dépendante de l’entraînement. Il n’en reste pas moins que la championne du monde d’haltérophilie, 3. Voir Sastre et coll «En sciences, les différences hommes femmes méritent mieux que des caricatures», Le Monde, 18 avril 2016, supplément Science et techno.
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même si elle soulève des dizaines de kg de plus que la quasi-totalité de la population mondiale, reste 127 kg en dessous du record masculin. Autre argument irrecevable : les cerveaux des hommes et des femmes seraient de toute manière « indiscernables ». Cette affirmation est vraie si l’on parle de comparer les cerveaux individuellement à l’œil nu. Mais le poids est déjà une indication. Des noyaux que l’on peut voir au microscope, tout comme des analyses sophistiquées à l’IRM, permettent de les différencier un peu mieux. Et au niveau moléculaire, on peut à coup sûr différencier un cerveau féminin d’un cerveau masculin, avec les chromosomes sexuels : XY pour le mâle et XX pour la femelle. La taille des différences entre femmes et hommes sur des variables psychologiques est généralement évaluée grâce au d de Cohen. Il s’agit d’un indice qui correspond au rapport entre la différence de moyenne entre les deux groupes sur l’indice de dispersion (écart-type) : d= (m1 - m2)/((σ1 + σ2)/2). En d’autres termes, le d de Cohen permet, à travers la taille d’effet, de donner une indication sur la force de la relation. L’indice varie généralement entre 0 et 1, bien qu’il puisse théoriquement être bien plus élevé. Cohen catégorise la valeur de d comme suit. 0 à 0,10 différence minime, 0,11 à 0,35 petite différence, 0,66 à 1 grande différence, > 1 très grande différence. Schématiquement, lorsque le d de Cohen est relativement grand (et qu’il existe des différences entre les deux groupes), les courbes des groupes se chevauchent très peu. Cela atteste d’une certaine similitude de scores au niveau des membres de chacun des groupes. 31
Conventionnellement, lorsqu’une étude énonce un d négatif, il s’agit d’une différence en faveur des femmes. Nous disposons aujourd’hui de données au niveau moléculaire qui attestent que ces différences sont bien réelles avec les différences d’expression des gènes, touchant en moyenne 30 % des gènes, ou des différences épigénétiques que l’on retrouve au niveau de tous les tissus étudiés. Les différences ne sont pas forcément importantes. Elles peuvent en revanche toucher plusieurs gènes d’un même réseau et avoir ainsi un effet non négligeable au niveau phénotypique.
INTÉGRER LE SEXE ET LE GENRE DANS LA RECHERCHE EN SANTÉ Le défi pour le futur est donc d’inventorier les sites et de déchiffrer les mécanismes par lesquels les gènes des chromosomes sexuels et les hormones sexuelles régulent les gènes de la machinerie épigénétique et contribuent aux DLS via l’établissement d’épigénomes spécifiques d’un tissu, d’un stade, des expériences vécues, d’un état physiopathologique ou de l’âge. La connaissance des mécanismes de base des DLS et de leurs effets très précoces, dès le stade blastocyste, voire dès le stade de démarrage de la transcription embryonnaire, permettra d’appréhender toute la diversité de nos capacités de réaction et d’adaptation à notre environnement nutritionnel, sociétal ou au stress, selon notre sexe, voire notre genre. 32
Des analyses bio-informatiques fondées sur la biologie des systèmes devraient permettre de déterminer s’il existe ou non des assortiments de gènes et des voies épigénétiques universels impliqués dans le dimorphisme sexuel et/ou des spécificités spatiotemporelles communes aux différentes espèces. Compte tenu de l’évolution des chromosomes sexuels et des pressions sélectives sur les deux sexes, la compréhension des génomes modernes doit s’effectuer dans une perspective d’évolution, en comparant différentes espèces et souches. Si certains gènes montrent une DLS conservée entre les espèces, il n’en sera pas nécessairement de même pour d’autres gènes, chaque espèce, chaque souche ou race ayant évolué à sa façon. Ces recherches permettraient d’identifier d’importants mécanismes protecteurs pour un sexe et délétères pour l’autre, cibles potentielles de nouvelles interventions thérapeutiques, personnalisées. Ensuite, il faut sortir de la dichotomie sexe et genre : les deux dimensions sont parfaitement imbriquées. On ne peut pas dissocier la biologie du contexte sociétal, économique et culturel dans lequel elle s’inscrit, de la même manière qu’on ne peut pas isoler les influences environnementales et culturelles des socles, des prédispositions biologiques qu’elles viennent renforcer ou, au contraire, atténuer. C’est un tout. Ainsi, la prise en compte du sexe et du genre en médecine doit se faire de manière réciproque – du chercheur ou du médecin face à son sujet ou son patient, mais aussi dans l’autre sens – car on observe des différences de traitement dans les 2 sens. Une approche 33
ignorant l’influence du sexe, comme celle du genre risque d’aboutir à des constatations erronées. Intégrer le sexe et le genre dans la recherche sur la santé peut aider à reconfigurer le statu quo des connaissances. Les modèles animaux peuvent apporter des réponses que les études épidémiologiques ou cliniques ne peuvent apporter. Ainsi les femelles sont souvent plus sensibles à la douleur, comme la femme. Des données récentes montrent en outre que le sexe/genre de l’expérimentateur est important. L’exposition olfactive à des expérimentateurs mâles mais pas à des expérimentatrices entraîne une inhibition de la douleur provoquée expérimentalement. Des données similaires ont été observées chez l’Homme. Enfin une autre étude a montré que lors de lésions nerveuses, les voies de la douleur chez les souris sont différentes chez le mâle et chez la femelle. Le mâle utilise la microglie de la moelle épinière, alors que les femelles utilisent des cellules T du système immunitaire. Ces données montrent bien le risque qu’il y a à n’étudier que les mâles : on risque de passer à côté du mécanisme pertinent chez la femelle. De plus, l’existence de mécanismes différents montre que la recherche de cibles pharmacologiques peut-être différente en fonction du sexe. Les stéréotypes sur les groupes sociaux sont des représentations mentales qui sont incomplètes, biaisées, insensibles aux variations et résistantes à toute information qui les infirmerait. On connaît chez l’Homme l’effet délétère de la simple évocation d’un stéréotype de genre ou de race. On sait aussi que les comportements des professionnels 34
de santé dépendent de leur sexe/genre ainsi que du sexe/ genre du patient.
RECHERCHE BIOMÉDICALE ET MÉDECINE DOIVENT ÊTRE SEXUELLEMENT PERSONNALISÉES L’« oubli » du corps dans le discours sur la parité est directement responsable d’une quasi absence de prise en compte des DLS en termes de santé mais aussi de maladies. Si les femmes sont les principales victimes de ce déni, les hommes en pâtissent aussi. Pourquoi un tel silence en ce qui concerne les différences biologiques entre hommes et femmes ? Et comment redresser la barre pour appliquer à tous, hommes et femmes, une médecine équitable ? La première urgence est de faire prendre conscience, à tous, de tous les niveaux, des différences biologiques : tout d’abord la recherche, fondamentale et clinique, mais aussi la pratique médicale et la vie de tous les jours en impliquant le public, les médias, les professionnels de santé en devenir ou déjà en place, les politiques et les décideurs. Pour cela, il faut réformer l’enseignement de la médecine, où la prise en compte des DLS autres que celles liées à la reproduction est totalement absente. Enfin, avoir peur de ces différences, ou les nier par des moyens détournés, est absurde et contre-productif. Prendre en compte les différences, c’est faire en sorte que la santé de tous soit traitée sur un pied d’égalité, c’est donner à chaque individu des chances identiques. La 35
santé des femmes joue un rôle déterminant pour leur émancipation : « les femmes représentent l’atout le plus sous-employé dans l’économie mondiale » 4. En effet si les femmes étaient employées aux mêmes taux que les hommes aux États-Unis, au Japon, et en Égypte, le PIB de ces pays serait plus élevé de 5 %, 9 %, et 34 % respectivement. La France a accumulé un retard considérable, au moins 10 ans, par rapport à d’autres pays européens (Allemagne, Hollande, Suède, Italie), au Canada surtout, aux ÉtatsUnis, ou à Israël qui ont des sociétés savantes dédiées et des instituts de médecine de genre qui pratiquent la double approche basée sur le sexe et le genre. Une revue critique et une prise de conscience des contraintes sociales liées au genre et de leur incorporation biologique devraient alors permettre de « mettre à nu » notre sexe biologique. Il faudra alors veiller à ne pas céder à la tentation de hiérarchiser les mécanismes complexes impliqués, source potentielle de discriminations, toutes scientifiquement et médicalement injustifiées.
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4. A ngel Gurria secrétaire général de l’OCDE.
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Les Notes de l’Institut Diderot • L’euthanasie, à travers le cas de Vincent Humbert - Emmanuel Halais • Le futur de la procréation - Pascal Nouvel • La République à l’épreuve du communautarisme - Eric Keslassy • Proposition pour la Chine - Pierre-Louis Ménard • L’habitat en utopie - Thierry Paquot • Une Assemblée nationale plus représentative - Eric Keslassy • Où va l’Égypte ? - Ismaïl Serageldin • Sur le service civique - Jean-Pierre Gualezzi • La recherche en France et en Allemagne - Michèle Vallenthini • Le fanatisme - Texte d’Alexandre Deleyre présenté par Dominique Lecourt • De l’antisémitisme en France - Eric Keslassy • Je suis Charlie. Un an après... - Patrick Autréaux • Attachement, trauma et résilience - Boris Cyrulnik • La droite est-elle prête pour 2017 ? - Alexis Feertchak
Les Entretiens de l’Institut Diderot • L’avenir du progrès (actes des Entretiens 2011) • Les 18-24 ans et l’avenir de la politique 38
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Le corps ce grand oublié de la parité « Les hommes et les femmes ne sont pas égaux devant la maladie et doivent donc être traités différemment ». C’est avec cette formule politiquement incorrecte que l’Académie nationale de Médecine dénonce certains préjugés qui affectent la pensée médicale dans un récent rapport. Claudine Junien, à l’origine de ce rapport, milite en faveur d’une médecine sexuée ou différenciée et récuse les tentatives pour rejeter l’existence de ces différences. On se réfère aux hommes pour concevoir les médicaments. Résultat, les femmes sont exposées à des accidents secondaires deux fois plus nombreux que les hommes. Certaines molécules ne sont pas efficaces sur les hommes mais seulement sur les femmes, et viceversa. Claudine Junien parle d’une « injustice thérapeutique » et l’Académie recommande de prendre conscience de ces différences. Cette perspective pourrait bouleverser le diagnostic et la prise en charge des patients.
Pr. Dominique Lecourt Directeur général de l’Institut Diderot
Professeur de génétique. Elle a dirigé l’unité 383 « Génétique, chromosome et cancer » à l’Hôpital Necker – Enfants malades (Paris) de 1994 à 2005 et co-dirige depuis 2006 l’unité Inserm U781 « Génétique et épigénétique des maladies métaboliques, neurosensorielles et du développement ». Elle est aussi responsable scientifique à l’INRA de Jouy-en-Josas.
La présente publication ne peut être vendue
ISBN 979-10-93704-31-9
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