EDQ-2010

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Sous la direction de Miriam Fahmy

L’état du Québec 2010

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Les Éditions du Boréal reconnaissent l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) pour ses activités d’édition et remercient le Conseil des Arts du Canada pour son soutien financier. Les Éditions du Boréal sont inscrites au programme d’aide aux entreprises du livre et de l’édition spécialisée de la SODEC et bénéficient du Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres du gouvernement du Québec. © Les Éditions du Boréal 2010 Dépôt légal : 1er trimestre 2010 Bibliothèque et Archives nationales du Québec Diffusion au Canada : Dimedia Diffusion et distribution en Europe : Volumen Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada Vedette principale au titre : L’état du Québec Publ. en collab. avec : Institut du Nouveau Monde. Comprend des réf. bibliogr. et un index. ISSN 1711-3571 ISBN 978-2-7646-2006-9 1. Québec (Province) – Politique et gouvernement – 21e siècle. 2. Québec (Province) – Conditions sociales – 21e siècle. 3. Québec (Province) – Conditions économiques – 21e siècle. I. Fahmy, Miriam. II. Institut du Nouveau Monde. FC2925.2.Q41 4

971.4’05

C2009-300855-4


Directeur général de l’Institut du Nouveau Monde (INM) Michel Venne

Directrice générale de l’Association francophone pour le savoir – Acfas Esther Gaudreault

Direction Miriam Fahmy

Robert Laliberté Raymond Lemieux Benoît Rigaud

Édition et révision des textes Léonore Pion Recherche Krystelle Larouche Léonore Pion Anne-Laure Putigny Correction Cendrine Audet Annie Goulet Sandy Torres Johanne Viel Traduction Juliette Hérivault Responsable de la section Anniversaires historiques Charles-Philippe Courtois Responsable de la section Panorama de la recherche Association francophone pour le savoir – Acfas Conseils Philippe Bourque Julie Caron-Malenfant Alexandre Germain

Rédaction Robert Asselin Jacques Babin Éric Bélanger Yves Bergeron Christian Bordeleau Guillaume Bourgeault-Côté Pascale Breton Hélène Buzzetti François Cardinal Paul Cauchon Édouard Clément Paul-André Comeau Fabien Deglise Andrée De Serres Anne-Marie Denault Jean Dion Daphné Dion-Viens Pierre Drouilly Diane Dubeau Benoît Dubreuil Clermont Dugas Nancy Émond Miriam Fahmy Jean-Marc Fontan Rosaire Garon Stéphanie Gaudet Lucie Gélineau Yves Gingras 5


Daniel Giroux Andrée Grégoire Jean-Herman Guay Lorraine Guay Louis Guay Pierre Hamel Patrice Jalette Jack Jedwab Mario Jodoin Valérie Lacourse Myriam Laforce Daniel Landry Serge Laplante Jean-Marc Larouche Johanne Lebel Patrice Leblanc Jean-Pierre Lemasson Claude Lessard Thibault Martin Louis Massicotte Nelson Michaud Éric Montpetit Sylvie Morel Richard Nadeau André Noël Pierre Noreau Elsa Pépin Léonore Pion Jean-Marc Piotte Florence Piron

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Robert Pouliot Marie-Claude Prémont Pierre Prémont Natacha Prudent Anne Quéniart Martine Robergeau Florian Sauvageau Vincent Tanguay Caroline Toupin Diane-Gabrielle Tremblay Odile Tremblay Michel Venne Daniel Weinstock Deena White Maquette et mise en pages Folio infographie Couverture Christine Lajeunesse Graphiques Guylaine Régimbald Photos Jacques Nadeau, Jacques Grenier (sauf indication contraire) Illustrations Goldstyn


table des matières Un état précaire 11 Michel Venne et Miriam Fahmy Faire mieux ensemble Pierre Noreau

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Chronologie du Québec 2008-2009 21 Serge Laplante

DoSSier SpéciaL : criSe éconoMiQue Le Québec en 10 indicateurs économiques Mario Jodoin Les politiques québécoises pour s’en sortir Éric Montpetit

91 93

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DoSSier SpéciaL : 43 éthiQue pubLiQue Crise financière, crise économique 105 Montréal : scandales et corruption 45 et transformations du travail à tous les étages Diane-Gabrielle Tremblay André Noël Infrastructures urbaines 109 Consolider la confiance 51 et développement durable Entrevue avec André C. Côté Louis Guay et Nancy Émond Éthique acrobatique 55 Et les régions ? 116 Guillaume Bourgault-Côté Entrevue avec Ces pratiques qui dénaturent l’État 61 Gilbert Scantland Christian Bordeleau Les faits pervers de l’endettement 119 Contrats publics et pouvoirs privés 68 Caroline Toupin, Martine Robergeau et Andrée Grégoire Marie-Claude Prémont Le piège de l’éthique Jean-Marc Piotte Les Québécois sont-ils par nature corrompus ? Benoît Dubreuil Chercheurs et responsables Florence Piron

74 Le secteur manufacturier la tête sous l’eau Patrice Jalette et 78 Natacha Prudent

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Économie et morale vraiment incompatibles ? 83 Daniel Weinstock

131

Science économique, illusions et dogmatisme Sylvie Morel

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Quand la confiance est censée remplacer le crédit Andrée De Serre et Robert Pouliot

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DéMographie La démographie en quelques statistiques

203 204

Pères engagés : une nouvelle 206 donne pour la famille et la société panoraMa De La recherche – acFaS 151 Diane Dubeau 211 Enjeux et connaissances 152 Les anglophones du Québec : un « nous » à géométrie variable Johanne Lebel Jack Jedwab Association francophone pour le savoir – Acfas

De la confiance à l’exigence : la figure publique du scientifique Pierre Noreau Recherche universitaire : le temps des incertitudes Yves Gingras Recherche sous influence Dialogue entre P.-A. Comeau t J.-M. Larouche

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environneMent L’environnement en quelques statistiques 162 Valérie Lacourse

219 220

Environnement et jeux d’influence 167 François Cardinal Trop de logos tue le logo Fabien Deglise

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Terrains fertiles pour la recherche 174 poLitiQue Dialogue entre L. Gélineau La politique et Y. Bergeron en quelques statistiques Fonds québécois de la recherche Serge Laplante sur la société et la culture (FQRSC)

180 Fin de la décennie post-référendaire ? Pierre Drouilly Des projets novateurs, 182 Continuité et changement des résultats prometteurs dans le vote des Québécois Fonds québécois de la recherche Éric Bélanger et sur la nature et les technologies (FQRNT) Richard Nadeau Nos chercheurs bâtissent 193 Le retour du traditionnel un avenir durable bipartisme Pierre Prémont Jean-Herman Guay Projets prometteurs en sciences 194 naturelles et en génie L’innovation en recherche Jacques Babin

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231 241 242

245

253

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aDMiniStration pubLiQue L’administration publique en quelques statistiques

263 artS et cuLture 311 264 L’art et la culture en quelques statistiques 312 Rosaire Garon Le régime d’assurance parentale 276 victime de son succès Splendeurs et misères 320 Léonore Pion du financement privé Odile Tremblay Partenariats public-privé : 277 Le livre québécois à la conquête 326 chronique d’un échec de l’Hexagone Christian Bordeleau Elsa Pépin Santé 283 333 La santé en quelques statistiques 284 MéDiaS Les médias en quelques 334 Le ministre dans l’eau bouillante 285 statistiques Pascale Breton Daniel Giroux Médias et santé publique : 290 Médias dans l’œil du cyclone 341 stratégies de communication Paul Cauchon par temps de crise Anne-Marie Denault Fin du mythe de l’autorégulation 347 des médias éDucation 295 Marc-François Bernier L’éducation en quelques 296 L’avenir incertain des quotidiens 353 statistiques Florian Sauvageau Une année sous le signe 298 du décrochage Société civiLe 361 Daphnée Dion-Viens et participation citoyenne 362 Une décennie de Palmarès : 304 La société civile en quelques statistiques entre public et privé, l’écart Jean-Marc Fontan se creuse Pierre-David Desjardins, Débat public : un bilan mitigé, 364 Jean-Guy Blais et un avenir incertain Claude Lessard Pierre Hamel NTI : l’école québécoise doit agir 306 Les motivations à s’engager : 371 Vincent Tanguay portrait d’une jeunesse québécoise Daniel Landry 9


Politique novatrice sous 372 observation Lorraine Guay et Deena White

Les immigrants en région : des problématiques particulières d’intégration Léonore Pion

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Être jeune en région Patrice LeBlanc

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canaDa Bonnet rouge/bleu bonnet Hélène Buzzetti

431 432

Conservatisme et crise forment un cocktail dangereux Jean-Marc Fontan

378

vaLeurS et MoDeS De vie Bénévolat et entraide : le temps du désengagement ? Stéphanie Gaudet

381 382

Conjuguer consommation et éthique Anne Quéniart

387

Crise sur la Colline : coalition morte au feuilleton Louis Massicotte

438

Portrait du Québec alimentaire et gastronomique Jean-Pierre Lemasson

392

Les travaux forcés de Michael Ignatieff Robert Asselin

445

Le Canadien de Montréal : l’année de tous les dangers Jean Dion

398

Que reste-t-il de nos amours ? Nelson Michaud

451

territoire Carte des régions administratives du Québec

403 405

Curieuse élection Pierre Drouilly

406

anniverSaireS hiStoriQueS

466

Aider les municipalités dévitalisées ou protéger le territoire agricole ? Clermont Dugas

413

Le Québec en un coup D’œiL Le Québec en un coup d’œil

469

Chronologie

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Devise et emblèmes

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Index

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Le Plan Nord : simple projet 419 de relance économique ou nouvelle vision du développement ? Thibault Martin 10

Les transnationales canadiennes 456 sur la sellette : de la responsabilité sociale à la responsabilité politique Myriam Laforce

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un état précaire Michel venne Directeur général de l’Institut du Nouveau Monde

Miriam Fahmy Directrice de L’état du Québec et coordonnatrice des publications à l’Institut du Nouveau Monde

En 2010, le Québec est dans un état précaire, tant sur les plans économique, identitaire que démocratique. Il continue de se chercher. Ses institutions vacillent. Des changements s’imposent. Oui, mais lesquels ? Bien que son économie ait mieux résisté, à première vue, aux effets de la plus importante crise économique depuis les années 30, le produit intérieur brut du Québec est encore de 14 % inférieur à celui de la province voisine, le taux de chômage reste élevé et les écarts entre les riches et les pauvres continuent de s’accroître. Sans compter que les finances de l’État retombent dans le rouge. Sur le plan de l’identité collective, des débats divisent une partie du Québec sur le statut de la langue française mais, surtout, sur celui de la religion dans l’espace public. La commission Bouchard-Taylor n’aura pas réussi à récon-

cilier les Québécois sur la question des accommodements raisonnables – le tollé provoqué par le débat sur les signes religieux dans la fonction publique en est une parfaite illustration. Le cours d’éthique et de culture religieuse est contesté. Les institutions démocratiques sont mises à mal par les révélations successives de scandales et les allégations de collusion et de corruption dans l’attribution des contrats et dans le financement des partis politiques. Le taux de participation électorale est anémique. En 2008, il a chuté à son niveau du début du xxe siècle, comme le fait remarquer le sociologue Pierre Drouilly. Le public tourne plus que jamais le dos à la politique. Des institutions mises à mal Tandis que l’Assemblée nationale s’est recomposée, avec le retour en force des 11


L’état du Québec 2010

« vieux » partis, la déconfiture de l’ADQ et l’entrée du premier député de Québec solidaire – tout cela dans la quasi-indifférence des Québécois –, le gouvernement a renoué avec les déficits budgétaires : après presque deux décennies d’un équilibre budgétaire acquis péniblement, des temps durs se préparent dans l’administration publique… Bien que l’on puisse montrer du doigt la crise économique pour justifier ce revirement, il est possible que l’endettement public ne soit pas complètement étranger au mode de gestion en partenariat public-privé (PPP) préconisé, pratiqué et enfin désavoué par le gouvernement Charest, comme le propose Christian Bordeleau. En effet, ajoute Jean-Marc Piotte, la confusion entre le privé et le public a créé un contexte où la mise en œuvre de programmes et de projets publics s’est retrouvée subordonnée aux usages de l’entreprise privée dont le but, on le sait, n’est pas de protéger le bien commun. Il n’y a pas qu’au Québec que les institutions publiques sont mises à mal : les tactiques déjà contestées du gouvernement conservateur à Ottawa, notamment la concentration extrême du pouvoir entre les mains du premier ministre et l’asservissement de ses ministres à sa volonté, ont trouvé leur paroxysme dans la prorogation récente du Parlement. Comme le montre Hélène Buzzetti, Stephen Harper a miné la crédibilité des institutions démocratiques, et l’opposition libérale reste immobile, comme en 12

panne, tandis que le Québec voit, dans la nouvelle dynamique fédérale, s’étioler son pouvoir traditionnel au profit du Centre et de l’Ouest, qui n’en ont plus « besoin » pour obtenir le pouvoir et gouverner. Les relais en transformation Face à l’usurpation du pouvoir par Stephen Harper et à l’immobilisme des partis d’opposition, les citoyens canadiens se sont mobilisés pour contester. Comment ? C’est principalement dans les médias et les réseaux sociaux sur le Web qu’on peut les voir se manifester. Le rôle des médias sociaux – Facebook, Twitter, etc. – dans la circulation de l’information s’accroît en effet, et pas seulement en matière de politique. Par exemple, comme l’explique Anne-Marie Denault, ceux-ci ont été pris d’assaut par l’agitation entourant la pandémie du virus A (H1N1) et ont ainsi modifié la façon dont les autorités publiques communiquent avec la population dans des situations d’urgence. Ceci renforce aussi l’impression d’un court-circuitage et d’une perte d’hégémonie des médias traditionnels, jadis le relais principal entre les institutions et la population. Dans la recomposition du paysage médiatique, les médias traditionnels, et en particulier les médias généralistes, n’ont pas encore réussi à redéfinir leur place. Il faut dire, analyse Florian Sauvageau, que les défis qui s’imposent à eux sont de taille… et pas près de trouver une résolution rapide :


Un état précaire

presse écrite en crise, bouleversements occasionnés par le Web, précarisation du travail de journaliste, conflits de travail, etc. Au cœur de la crise des médias se trouve l’épineuse et éternelle question du financement, une problématique qui concerne tout autant le milieu culturel québécois en lutte pour sa survie. Odile Tremblay déconstruit pour L’état du Québec le mythe du financement privé de la culture, qui n’est pas, contrairement à l’idée en vogue, la solution à tous ses maux. Les citoyens au cœur de la solution La crise financière et la crise d’éthique publique fragilisent la confiance dans les institutions. L’indignation qu’elles suscitent peut être un puissant moteur d’action pour les citoyens. Face à ces turbulences, les Québécois s’engagentils à participer à l’amélioration des choses ? Rien n’est moins sûr... Stéphanie Gaudet montre que ce n’est pas seulement aux urnes que les Québécois sont absents : ils consacrent également de moins en moins de leur temps à des activités de bénévolat. Comment peuton s’attendre à des transformations si les citoyens eux-mêmes ne s’engagent pas dans les affaires de la cité ? Au cœur de la solution aux problèmes du Québec se trouve en effet la participation citoyenne. La participation est déjà une forme de pouvoir. De plus, les citoyens qui participent deviennent plus aptes à s’inscrire dans le débat public.

Ils prennent confiance en leurs propres capacités et en la capacité de la société à relever les défis qui s’imposent à elle. Quand les enjeux sont bien compris, le bien commun l’emporte sur les intérêts individuels. La responsabilité à l’égard de la société triomphe de l’égoïsme. Pour cela, deux ingrédients de base sont nécessaires : de la connaissance et de la délibération publique. C’est la rencontre entre science et société. Cette rencontre, L’état du Québec l’incarne chaque année depuis 1995 et plus que jamais en 2010 puisque cette présente édition est le fruit d’un nouveau partenariat entre l’Institut du Nouveau Monde (INM) et l’Association francophone pour le savoir – Acfas. Désormais, l’Acfas coordonnera, en collaboration avec les fonds de recherche québécois, une section augmentée et améliorée sur l’état de la recherche au Québec et favorisera une diffusion plus large de l’ouvrage. La connaissance issue de la recherche scientifique est essentielle à l’identification des problèmes et des solutions pour les résoudre. Mais pour mettre en œuvre ces dernières, il faut du leadership et de l’action politique. Si elle peut prendre la forme d’engagements partisans, l’action politique est aussi le fait d’une société civile solide et dynamique, créative et novatrice, comme l’est celle du Québec (voir à ce sujet la section sur la société civile). C’est ici que l’Institut du Nouveau Monde (INM) entre en scène. Non 13


L’état du Québec 2010

seulement il publie chaque année L’état du Québec et alimente ainsi le dialogue social, mais il organise aussi des démarches de réflexion et de débats sur les grands enjeux de notre temps : la santé, l’économie, la culture, les changements climatiques ou le vieillissement de la société (pour le calendrier de ses activités, voir www.inm.qc.ca). En août 2010, l’INM sera l’hôte, à Montréal, de l’Assemblée mondiale de Civicus, une alliance internationale de la société civile. Ce rassemblement mettra en lumière la nécessité de travailler ensemble à la construction d’un monde plus juste. Entre-temps, le Québec poursuivra sa marche, parfois dans l’ombre des mauvaises nouvelles, mais aussi et surtout dans celle des nombreuses réussites qui touchent nos vies sur tous les plans. C’est sur ces dernières que nous pouvons nous appuyer pour trouver l’espoir d’un essor nouveau. Car le Québec a su traverser des crises, s’affirmer, défendre son identité et négocier les virages que lui impose la

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modernité : la section des anniversaires historiques, cette année accessible en ligne (www.letatduquebec.qc.ca) est là pour nous le rappeler. En 2010, nous commémorons entre autres le centenaire du journal Le Devoir, le demi-siècle de la Révolution tranquille avec l’élection de « l’équipe du tonnerre » de Jean Lesage en 1960, la Crise d’octobre, la Crise d’Oka, puis les deux référendums sur la souveraineté du Québec. Dans l’édition 2010 de L’état du Québec, vous trouverez aussi des textes de plus de 80 auteurs, tous parmi les meilleurs spécialistes de leur discipline. Outre deux dossiers spéciaux – l’un sur la crise économique et l’autre sur l’éthique publique – et notre section renouvelée sur la recherche au Québec, nous vous offrons comme chaque année une rétrospective des principaux événements de l’année écoulée et toutes les statistiques sur les principaux enjeux de notre époque. Plus que jamais, L’état du Québec reste l’ouvrage de référence par excellence.


Faire mieux ensemble pierre noreau Président, Association francophone pour le savoir – Acfas

Nous savons tous que c’est toujours par avance que se joue l’avenir de nos collectivités : d’imposants défis se dressent devant nous, se cumulent et deviendront plus exigeants au cours des proches décennies. Ces enjeux de notre temps exigent une relation continue entre le milieu de la recherche et les différents acteurs du monde social. Ces enjeux sont de trois ordres : le développement durable et continu de la vie collective; le dialogue entre la science et la société, qui implique le partage bilatéral des savoirs, des expertises et des expériences ; enfin, le développement de la vie démocratique, lequel suppose, audelà des exigences de la délibération, le développement de la recherche publique et la quête du bien commun. C’est donc pour contribuer à la synergie entre le milieu de la recherche et la société que l’Acfas a accepté l’offre de l’INM de collaborer à ce portrait annuel du Québec. Ainsi se trouvent associés d’une façon novatrice le chercheur et le citoyen.

Le développement durable et continu de la vie collective Parmi les défis de l’heure, les changements climatiques témoignent, par exemple, d’une relation insoutenable entre les ressources de la planète et les usages que nous en faisons. Ce phénomène global se combine à bien d’autres : déséquilibres démographiques, mobilité et diversité des populations, appauvrissement accéléré de la biodiversité, raréfaction de l’eau potable, risques croissants de pandémies, sécurité alimentaire, etc. Ces problèmes sont si généraux qu’ils ne peuvent plus faire l’objet d’une expertise particulière non plus qu’être le résultat de l’addition de milliers de décisions individuelles. Ils représentent, en effet, les termes d’un débat beaucoup plus collectif, qui touche aux conditions de notre développement et de notre continuité en tant que société. Nous avons plus que jamais besoin, dans tous ces domaines, de chercheurs créatifs et poly valents, capables de travailler en étroite collaboration avec les acteurs sociaux. L’innovation est la condition 15


L’état du Québec 2010

de notre adaptation rapide à des conditions instables. Les défis doivent être abordés dans leur globalité. Aussi, la diversité des références caractérise aujourd’hui le travail des chercheurs et, plus largement, celui des laboratoires, des centres, des équipes et des regroupements stratégiques du domaine de la recherche. Parallèlement, la production du savoir a connu d’importantes mutations, passant de pratiques centrées sur une seule discipline et implantées par le milieu universitaire à une approche transdisciplinaire et orientée en fonction de leur contexte d’application, qu’il soit de nature sociale, environnementale ou économique. Les rapports périodiques produits par les membres du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) témoignent de façon exemplaire de cette approche collaborative, qui met en lien les chercheurs issus d’une multitude de disciplines – géologues, climatologues, biologistes – et qui s’oriente vers des finalités très concrètes. La même nécessité sous-tend la recherche de solutions au problème des pandémies ou du décrochage scolaire. Elle répond aux besoins de contextes sociaux particuliers, et puise tout autant à la recherche fondamentale qu’à la recherche appliquée. Les grandes initiatives de recherche et les travaux collectifs ne peuvent cependant se développer que dans un contexte plus global encore : celui de la société du savoir, sinon de la société des savoirs. Les connaissances et les compé16

tences de tous les membres de la société sont aujourd’hui des facteurs déterminants de la production, de l’innovation et de la création. Le savoir est la source première de l’innovation, qu’elle soit technologique ou sociale, et, par là, d’un développement éco-socio-économique durable. La production, le partage et l’utilisation des connaissances sont au cœur de cette société du savoir. Cela suppose que nous sommes tous, d’une certaine façon, porteurs de savoirs et que ces compétences doivent être valorisées partout dans la société. Le dialogue entre la science et la société La connaissance n’est pas le domaine exclusif des universités même si nous avons voulu établir collectivement ces institutions privilégiées, où la recherche publique et désintéressée est possible. Il faut aussi reconnaître que le savoir scientifique vient souvent compléter les savoirs d’expérience, les savoirs construits en entreprise ou au sein des organisations. Cela étant, les relations qui se tissent entre chaque « système de recherche » et son « environnement collectif » ne sont pas neutres, ni nécessairement harmonieuses « par nature ». Malgré la très grande confiance que le public investit dans le milieu scientifique et dans la figure du chercheur, on note, depuis le milieu des années 80, le développement d’une certaine réaction sociale vis-à-vis du monde de la connaissance. On désire en savoir davantage sur


Faire mieux ensemble

ce qui se trame dans les laboratoires. Société du risque, principe de précaution, comités d’éthique, développement durable, science citoyenne, tous ces concepts émergent d’un mouvement de fond, d’un appel démocratique. En effet, et les médias nous le démontrent quasi quotidiennement, les questions le plus controversées sont souvent de nature scientifique et interpellent la population de multiples manières : dans les domaines de l’éducation, de la santé, de la sécurité, de l’environnement et du développement durable. Elles nous interpellent comme citoyens, comme sujets de droit, comme justiciables, comme contribuables, comme consommateurs de produits et de services. Or, l’histoire des sciences est traversée par un dialogue asymétrique entre la science et la société. On entretient facilement depuis longtemps l’idée d’une guerre latente entre l’expert et le profane, entre le chercheur et l’acteur de la vie quotidienne. Il n’y a sans doute rien de plus faux que ces oppositions qui font craindre le pire. La solitude du penseur et l’isolement du scientifique sont des mythes encore vivants et pourtant constamment contredits par l’histoire. Cette illusion est en partie le produit du décalage qui s’interpose entre chaque découverte et son usage social ou industriel, délai qui contraste avec le sentiment de transparence et d’immédiateté qui marque la société contemporaine. Résultat : le dialogue est loin d’être toujours facile ou acquis. Cette situation

soulève le problème de l’imputation du monde scientifique et suppose qu’on rende compte de la pertinence et des retombées humaines, sociales ou environnementales de la connaissance. Mais derrière cette volonté généreuse s’imposent aussi nos consensus changeants. Toute découverte induit forcément des effets dont on ne connaît pas a priori la nature. Et parce que les conséquences de ces choix nous touchent tous, il est raisonnable que nous en discutions ensemble. C’est un autre horizon du dialogue continu qui s’impose entre la science et la société. De la science « dans » la société. Les écueils, nombreux, relèvent trop souvent de l’idée d’une forme d’incompréhension inévitable entre le scientifique et le citoyen. Cette incompréhension appréhendée justifie à elle seule la nécessité d’une plus grande diffusion de la culture scientifique. Elle oblige cependant aussi le scientifique, le penseur, à définir sa recherche comme une expression particulière de la citoyenneté. Les échanges continus qui se développent entre les chercheurs d’un champ particulier et les citoyens impliqués directement dans le même domaine ne sont qu’une des formes que peut emprunter ce dialogue. Les milieux de l’éducation, de l’entreprise, de l’action publique, des médias, de la défense et de la sécurité sont autant de lieux où chercheurs et praticiens sont constamment en interaction, et ces échanges ne datent pas d’hier. Ils empruntent encore bien d’autres formes. Les recherches menées dans le 17


L’état du Québec 2010

cadre des Alliances de recherche université-communauté (ARUC) grâce au soutien du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (CRSH), le travail des centres de valorisation et de transfert ou des bureaux de liaison entreprise-université (BLEU) en donnent des exemples. Les chercheurs publient énormément pour le grand public : des guides, des synthèses. On pense à l’ouvrage Au bout du pétrole publié par le physicien Normand Mousseau, et à cet autre, Les aliments contre le cancer, de Richard Béliveau. Certains groupes de recherche travaillent systématiquement avec les acteurs et les citoyens de leur milieu. Ainsi, le Groupe de recherche sur les stratégies d’optimisation d’écosystèmes régionaux (STOPER) consacre son expertise à l’établissement d’un modèle d’aide à la décision dans la gestion des déchets à l’échelle régionale, modèle fondé sur la participation des citoyens et visant la structuration d’une formule délibérative fondée sur le principe du « consensus informé ». Dans tous ces cas, des chercheurs travaillent au dialogue entre la science et la société. La collaboration de l’Acfas à l’édition de L’état du Québec va dans le même sens. Elle favorise une interaction continue entre le milieu de la recherche et celui de la pratique. Mieux, elle participe à cet idéal qui tend à faire de la recherche une pratique sociale, une pratique citoyenne.

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Le développement de la vie démocratique Parce que les problèmes auxquels nous faisons face sont d’envergure planétaire, ils nous placent tous à égalité les uns vis-à-vis des autres. C’est le fondement du principe démocratique. La conséquence de cet état de fait est connue : les problèmes étant collectifs et leur solution collective, ils doivent être l’objet de la plus large délibération possible. Mais il s’agit là d’un idéal abstrait. S’il s’agit au contraire de prendre une série de décisions continues dont les conséquences sont, pour notre avenir collectif, ancrées dans la réalité concrète du quotidien, la question prend un tout autre sens. Ces décisions doivent faire l’objet non seulement d’une décision prise en commun, mais aussi d’une délibération éclairée. C’est le rôle de la recherche d’éclairer les termes de ce débat. Voilà l’endroit précis où la science rencontre la société. Ici encore, on saisit la nécessité que ce débat soit éclairé non pas par une seule perspective ou une seule discipline de référence, mais par une multitude de « voies » et de considérations. D’où la nécessité d’un soutien continu à l’ensemble des domaines et de la recherche ; d’où celle que la recherche soit l’objet d’une véritable priorité publique et politique. Le lieu d’un effort central. Les percées de la recherche doivent faire l’objet d’une large diffusion. C’est là l’objet, également, de notre participation à l’édition de L’état du Québec.


Faire mieux ensemble

La contribution de la recherche au débat public n’a cependant de sens qu’à une seule condition : l’indépendance de la recherche publique. Bien sûr, la science n’est pas au-dessus ou à part de la société, mais il est essentiel de lui préserver un espace indépendant, une posture objective et critique. C’est ce qui permet qu’une délibération éclairée soit possible, qu’elle soit menée au nom de l’intérêt commun plutôt qu’au nom des intérêts particuliers, financiers ou politiques, lesquels pourraient la financer et, partant, l’orienter. Mais il faut reconnaître qu’il existe là une mince ligne de partage, sur laquelle doivent se concilier l’indépendance de l’activité scientifique et les préoccupations de la société, où ces mêmes activités sont menées. Quelques balises existent néanmoins, qui permettent de discuter plus ouvertement les termes de cet ajustement mutuel. Ainsi, le milieu scientifique est fiduciaire d’un devoir de prudence, notamment en ce qui a trait à l’impact de la production scientifique et technoscientifique, et il est légitime que les orientations de la recherche soient périodiquement remises en question. En contrepartie, la société doit accepter que les découvertes les plus importantes des derniers siècles, et plus encore celles des dernières décennies, ont souvent été réalisées par des chercheurs exigeants, dans le cadre de travaux dont l’intérêt n’aurait pas été reconnu par leurs contemporains. D’où la nécessité que soit entretenu un certain

lien de confiance entre science et société. Dans cet esprit, les recherches menées à même les ressources publiques ne doivent pas rester sur les tablettes gouvernementales, ou réduites au silence par une forme de censure active ou passive – ou pire, par la propension des chercheurs à se censurer eux-mêmes ; car, chaque fois encore, c’est la recherche en tant qu’activité démocratique qui se trouve remise en cause. Sur un tout autre plan, au Québec comme ailleurs dans les pays industrialisés, le rôle de la science et de la technologie est toujours plus central dans le développement économique, le développement social et le bon usage des ressources collectives. C’est également une voie par laquelle la recherche se voit associée à l’idéal démocratique, c’est-àdire au projet continu d’une participation constamment élargie à la définition du bien commun. Faire mieux ensemble Les passerelles ne seront jamais assez nombreuses entre le monde scientifique et les autres composantes de la société. L’édition conjointe de L’état du Québec par l’Acfas et l’Institut du Nouveau Monde constitue une de ces passerelles. Il y a là l’exemple d’un « avenir possible ». Faire mieux ensemble : c’est notre objectif. Parions que l’expérience sera couronnée de succès, ne serait-ce que du fait de son évidente nécessité. Elle ouvrira alors la porte à d’autres pratiques de cohabitation entre la science et la société. 19


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Chronologie du Québec 2008-2009 Serge Laplante Journaliste à la recherche, Journal de Montréal

voici les principaux événements survenus au Québec entre le 1er septembre 2008 et le 1er décembre 2009.

SEPTEMBRE 2008 1er septembre – Ce qu’il faut pour vivre trois fois primé. Le film de Benoît Pilon, qui donne la vedette au comédien inuit Natar Ungalaaq, obtient le Grand Prix spécial du jury, le prix du film canadien le plus populaire, de même que celui du long-métrage le plus populaire au Festival international des films du monde de Montréal. Le Grand Prix des Amériques est remis à Okuribito (Départs), réalisé par le Japonais Yojiro Takita.

Pêcheries et de l’Alimentation est critiqué de toutes parts à la suite de sa décision de mener une opération de destruction massive de fromages potentiellement contaminés à la Listeria.

18 septembre – Six mafiosi montréalais plaident coupable. Le patriarche de la famille Rizzuto, Nicolo, 84 ans, et cinq de ses lieutenants plaident coupables à des accusations de gangstérisme, de complot pour importation de stupéfiants, d’extorsion et d’organisation de paris illégaux, accusations qui pesaient 10 septembre – Crise de la listériose. À sur eux par suite de l’opération Colisée, l’heure du bilan de la pire crise agroali- menée par la GRC en novembre 2006, mentaire ayant touché le Québec, la plus importante enquête anti-mafia 22 personnes (dont l’une est décédée) des annales canadiennes. Ils seront tous ont été infectées par la bactérie Listeria, condamnés à des peines de 4 à 15 ans de la plupart d’une source reliée au fro- prison, en plus de se voir conjointement mage. Le ministère de l’Agriculture, des confisquer 2,8 millions de dollars. 21


L’état du Québec 2010

24 septembre – Crise du crédit aux USA. L’effondrement de plusieurs piliers du système financier américain (qualifié de « Pearl Harbor économique » par l’investisseur Warren Buffett) sème crainte et consternation partout en Amérique. La bourse connaît sa pire chute depuis le krach de 1987, le 29 septembre, après le rejet du plan de sauvetage de 700 G de dollars de l’administration Bush par la Chambre des représentants. Baptisé Emergency Economic Stabilization Act (Loi d’urgence pour stabiliser l’économie), le Plan Bush sera finalement adopté par le Congrès le 3 octobre. 29 septembre – Élections partielles dans Jean-Talon. Le libéral Yves Bolduc remporte facilement la circonscription Chantal Petitclerc de Jean-Talon laissée vacante depuis la 19 septembre – Chantal Petitclerc, démission de Philippe Couillard. Le reine des Jeux. Retour triomphal de la Dr Bolduc est ministre de la Santé quintuple médaillée d’or aux Jeux de depuis le départ de Philippe Couillard, Beijing. Petitclerc, 39 ans, athlète en le 25 juin 2008. fauteuil roulant, est la plus médaillée de OCTOBRE 2008 l’histoire des Jeux paralympiques, remportant 21 médailles : 14 d’or, 5 d’argent 7 octobre – Montréal perd son Grand et 2 de bronze. Prix. Commotion dans la Métropole 24 septembre – Centenaire du Cana- quand on apprend que l’épreuve ne dien. Le Club de hockey Canadien figure pas au calendrier provisoire 2009 dévoile en grande pompe la program- publié par Formula One Management. mation des activités du centenaire de la Le lendemain, le porte-parole du proconcession. Les festivités se clôtureront moteur du GP du Canada, Normand avec la tenue du match du Centenaire Legault, confirme qu’il se retire, le au Centre Bell, le 4 décembre 2009, suivi modèle d’affaires n’étant plus viable pour un promoteur privé. du Gala du Centenaire le lendemain. 22


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14 octobre – Harper réélu. Les conservateurs de Stephen Harper sont reconduits au pouvoir au terme de la 40e élec tion générale au Canada, mais obtiennent un nombre insuffisant de députés pour remporter une majorité aux Communes avec seulement 143 des 308 circonscriptions, un résultat cependant supérieur aux 127 sièges qu’ils avaient dans le dernier Parlement. Au Québec, la carte politique reste presque la même : le Bloc québécois (BQ) arrive bon premier avec 49 des 75 sièges, les libéraux obtenant 14 sièges, les conservateurs, 10, le Nouveau Parti démocratique (NPD), 1, et un seul député (André Arthur dans Portneuf) est élu à titre d’indépendant. Il s’agit d’un second gouvernement minoritaire pour Stephen Harper, le troisième d’affilée à Ottawa, un treizième dans l’histoire canadienne. Le taux de participation de 58,8 % est le plus faible depuis la Confédération.

second chef d’État à prendre la parole au Salon bleu après le colonel Paul Magloire, président d’Haïti, en 1955. Mais plusieurs chefs de gouvernement l’avaient fait : Raymond Barre en 1979, Pierre Maurois en 1982, le premier ministre grec Andréas Papandreou en 1983 et Laurent Fabius en 1984. 17-19 octobre – Sommet francophone à Québec. La xiie Conférence des chefs d’État et de gouvernement ayant le français en partage réunit dans la CapitaleNationale 2 000 délégués, dont 57 chefs d’État. C’est le plus important ballet diplomatique depuis l’Exposition universelle de Montréal en 1967.

20 octobre – Stéphane Dion annonce son départ. Admettant sa responsabilité dans la défaite historique du Parti libéral du Canada (PLC) aux dernières élections, Stéphane Dion annonce sa décision de quitter la direction du parti 17 octobre 2008 – Sarkozy au Québec. dès qu’un nouveau chef sera désigné. Il En visite officielle au Québec, le prési- démissionnera le 8 décembre. Sous sa dent Nicolas Sarkozy redéfinit les rap- direction, le PLC a perdu 27 sièges et ports Québec-France-Canada : « Le essuyé la pire défaite électorale depuis monde n’a pas besoin de division, mais la Confédération en ne récoltant que besoin d’unité », affirme-t-il à la Cita- 26,2 % des voix. C’était également la delle de Québec. « Je ne vois pas au nom première fois qu’un Québécois chef d’un de quoi une preuve d’amour pour le des deux grands partis fédéraux ne Québec, fraternelle et familiale, devrait devient pas premier ministre à l’élection se nourrir d’une preuve de défiance à suivante. l’endroit du Canada. » Le président français s’adresse aux députés québécois 21 octobre – L’opposition impose Frandu parquet de l’Assemblée nationale, un çois Gendron. Pour la première fois événement rare, puisqu’il serait le depuis 1878, un président de l’Assemblée 23


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nationale n’est pas issu du parti gouvernemental. Mais le règne du doyen des députés sera également le plus court de l’histoire : 16 jours seulement lorsque Jean Charest déclenche les élections. Celui-ci n’avait pas caché sa colère de se faire imposer un président.

composé de 37 ministres, dont 11 femmes. Dix nouveaux venus accèdent au cabinet. Le Québec compte toujours cinq ministres (Lawrence Cannon, Christian Paradis, Josée Verner, JeanPierre Blackburn et Denis Lebel), mais son poids politique diminue, puisque Josée Verner et Jean-Pierre Blackburn 29 octobre – Adhérer aux valeurs qué- sont rétrogradés à des ministères moins bécoises. Faisant suite au rapport de la importants. Christian Paradis devient commission Bouchard-Taylor, le gou- le nouveau lieutenant du Québec et le vernement Charest énonce les valeurs responsable de la région de Montréal. communes en vigueur au Québec auxquelles les immigrants devront promet- 30 octobre – Lise Thibault s’explique tre d’adhérer : 1) Le Québec est une devant le Parlement. Événement sans société libre et démocratique. 2) Les précédent dans les annales du Compouvoirs politiques et religieux au Qué- monwealth, l’ex-lieutenant gouverneur bec sont séparés. 3) Le Québec est une Lise Thibault accepte de répondre aux société pluraliste. 4) La société québé- députés qui l’interrogent sur l’utilisacoise est basée sur la primauté du droit. tion des fonds mis à sa disposition 5) Les femmes et les hommes ont les durant son mandat. À la suite d’une mêmes droits. 6) L’exercice des droits et enquête journalistique du Journal de libertés de la personne doit se faire dans Montréal, un rapport conjoint des vérile respect de ceux d’autrui et du bien- ficateurs généraux du Québec et du être général. Voici la déclaration que Canada, Renaud Lachance et Sheila devront faire les immigrants à partir de Fraser, avait conclu que, entre 1997 et 2009 : « Comprenant la portée et la 2007, M me Thibault avait obtenu des signification de ce qui précède et accep- remboursements totalisant 700 000 tant de respecter les valeurs communes dollars pour des dépenses qui n’étaient de la société québécoise, je déclare vou- pas reliées à ses fonctions. loir vivre au Québec dans le cadre et le respect de ses valeurs communes et NOVEMBRE 2008 vouloir apprendre le français, si je ne le parle pas déjà. » 3 novembre – Jacques Poulin récompensé. Le romancier d’origine beauce30 octobre – Nouveau gouvernement ronne Jacques Poulin reçoit le prix Harper. Le premier ministre Stephen Gilles-Corbeil pour l’ensemble de son Harper présente un nouveau cabinet œuvre. Remis aux trois ans par la Fon24


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23 novembre – Défaite des Alouettes en finale de la Coupe Grey. Défaite crève-cœur des Alouettes, battus 22-14 18 novembre – Rentrée parlementaire par les Stampeders de Calgary devant à Ottawa. Le libéral Peter Milliken est 66 000 spectateurs au Stade olympique réélu président de la Chambre des com- de Montréal. C’était la première fois en munes pour une quatrième fois depuis 31 ans que l’équipe montréalaise dispu2001. L’élection était présidée par le tait le championnat du football canabloquiste Louis Plamondon, le doyen de dien devant ses partisans. la Chambre, élu il y a 24 ans, en 1984. 24 novembre – Débat des chefs au 19 novembre – 1,4 million de dollars Québec. Pauline Marois, chef du Parti pour un Riopelle. Une huile intitulée québécois, est la première femme à Sans titre (Composition no 2), datée de participer à ce rituel incontournable des 1951, du peintre québécois Jean-Paul campagnes électorales au Québec. Riopelle, est vendue 1,4 millions de dollars lors d’une vente tenue à la maison Heffel Fine Art, à Toronto, le troisième plus haut montant payé pour une œuvre de cet artiste. Le record pour une toile de Riopelle est de 1,6 millions de dollars. 22 novembre – La Coupe Vanier au Rouge et Or. Le club de football de l’Université Laval remporte une cinquième Coupe Vanier, emblématique du championnat canadien, en domptant Jim Flaherty 44-21 les Mustangs de Western Ontario, à Hamilton. Pour la première fois de son histoire, le Rouge et Or réussissait une 27 novembre – Crise à Ottawa. Le saison parfaite de 12 victoires en autant ministre des Finances, Jim Flaherty, de matchs. présente une mise à jour économique et financière et plonge le Parlement dans 22 novembre – Le 33 retiré. Le Cana- une nouvelle crise politique. Le spectre dien de Montréal retire le chandail d’une élection générale se profile de numéro 33 de son célèbre et controversé nouveau. gardien de but Patrick Roy. 25

La Presse canadienne/Adrian Wyld

dation Émile-Nelligan, le « Nobel québécois » est doté de 100 000 dollars.


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29 novembre – Ariane Fortin, championne du monde. La Lévisienne Ariane Fortin conserve son titre de championne mondiale des 70 kg aux cinquième Mondiaux de boxe féminine à Ningbo en Chine. DÉCEMBRE 2008 1er décembre – Le gouvernement Harper menacé. Crise politique à Ottawa. Les trois partis d’opposition annoncent qu’ils ont convenu d’un accord de coopération dans le cas où ils réussiraient à

renverser le gouvernement Harper. L’accord stipule notamment que Stéphane Dion serait premier ministre, que le cabinet compterait 24 ministres dont 6 proviendraient des rangs du NPD, que l’accord entre le NPD et le PLC expirera le 30 juin 2011 et que jusqu’à cette date le BQ s’engageait à appuyer le gouvernement. L’annonce de cet accord scandalise l’opinion canadienne. 1er décembre – Enquête sur la mort de Fredy Villanueva. Après examen du rapport d’enquête de la Sûreté du Qué-

Le bye-bye de Mario Dumont La débandade de son parti, aux élections générales du 8 décembre 2008, pousse Mario Dumont à annoncer qu’il ne dirigera pas l’Action démocratique du Québec lors des prochaines élections : « Dans le con­ texte, vous ne serez pas surpris d’ap­ prendre que je ne serai pas à la tête de mon parti aux prochaines élections. Le temps est venu de tourner la page et de retrouver les miens », fait­il savoir, le soir même. C’en était fait des ambitions politi­ ques d’un des rares politiciens profession­ nels du Québec. Il annoncera par une simple lettre, le 24 février 2009, sa décision de mettre fin officiellement à son mandat le 6 mars suivant. Mario Dumont quitte sans faire de conférence de presse, ni prononcer de discours d’adieux à l’Assemblée nationale. « Les gens qui étaient contre moi depuis 14 ans vont me dire [en Chambre] que, finalement, j’étais bon en maudit ? Non, c’est correct », déclare­t­il à la Presse cana­ dienne. On apprendra quelques jours plus tard qu’il se joint au réseau TQS, devenu « V », à titre de conseiller en développement stratégique et d’animateur de Dumont 360, une émission d’affaires publiques présentée quotidiennement depuis septembre. Depuis sa démission, le parti qu’il incarnait et tenait à bout de bras est en déroute. 26


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bec, la Couronne annonce qu’elle ne portera aucune accusation contre le policier qui a abattu le jeune Fredy Villanueva, à Montréal-Nord, le 9 août 2008. Le ministre de la Sécurité publique annonce que le juge Robert Sansfaçon, de la Cour du Québec, mènera une enquête publique pour faire la lumière sur cette intervention policière. 4 décembre – Prorogation de la session à Ottawa. Coup de théâtre à Ottawa. Menacé d’être renversé par la coalition des partis d’opposition, Stephen Harper convainc la Gouverneure générale de proroger la session au 26 janvier 2009, après 12 jours à peine de travaux parlementaires. 7 décembre – So You Think You Can Dance Canada. Le Montréalais Nico Archambault est couronné grand gagnant de la première saison de la très populaire émission So You Think You Can Dance Canada. Pas moins de 3,5 millions de téléspectateurs ont voté pour le jeune homme de 24 ans, spécialiste de la danse contemporaine et du hip hop, lui assurant ainsi le titre de danseur canadien préféré.

son statut de parti reconnu à l’Assemblée nationale. Québec solidaire fait élire son premier député, Amir Khadir, dans Mercier. 10 décembre – Michael Ignatieff chef du PLC. Le nouveau chef du Parti libéral du Canada est désigné officiellement chef après le retrait de ses deux rivaux, Bob Rae et Dominic LeBlanc. 12 décembre – Suicide assisté. Au palais de justice d’Alma, un jury prononce un verdict d’acquittement dans une cause portant sur le suicide assisté, une première dans l’histoire juridique canadienne. Stéphan Dufour était accusé d’avoir aidé son oncle malade à s’enlever la vie, le 9 septembre 2006.

22 décembre – 18 nouveaux sénateurs. Bien que minoritaire et ayant toujours été opposé à un Sénat non élu, Stephen Harper, qui craint de voir le pouvoir lui échapper, comble d’un coup les 18 sièges vacants au Sénat, dont 4 pour le Québec. C’est la plus importante cohorte à faire son entrée au Parlement canadien. Le premier ministre n’a jamais caché son désir de réformer, voire d’abolir, cette institution qu’il juge antidémocratique. 8 décembre – Réélection des libéraux Depuis son élection en janvier 2006, au Québec. Jean Charest fait élire 66 M. Harper n’avait nommé que deux députés et forme un gouvernement sénateurs. majoritaire. Le Parti québécois devient l’opposition officielle avec 51 députés 27 décembre – L’essence à 78,4 $. L’estandis que l’Action démocratique du sence régulière atteint ce prix plancher Québec, avec 7 députés seulement, perd dans la Capitale-Nationale ; le prix à la 27


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pompe est le plus bas depuis décembre 2003. L’essence avait atteint un sommet historique de 1,44 $ en juillet 2008. JANVIER 2009 2 janvier – Au plus sombre de la crise. La crise économique mondiale occupe une large part du discours et de l’actualité médiatique. La situation est grave et les perspectives, sombres. Il semble que nous vivions la « première véritable crise mondiale du capitalisme », diagnostique le réputé Globe and Mail.

-20 °C, Hydro-Québec doit fournir 37 200 mégawatts à ses clients, fracassant ainsi le record de 36 300 MW établi quatre ans plus tôt. 24 janvier – Lock-out au Journal de Montréal. Ce conflit de travail, le premier depuis la création du STIJM en 1971, touche 253 travailleurs, qui ne tardent pas à lancer leur propre journal en ligne : www.ruefrontenac.com. 27 janvier – Budget Flaherty. Le ministre des Finances, Jim Flaherty, présente un quatrième budget de 258,6 milliards de dollars et prévoit 85 milliards de dollars de déficit dans les cinq années à venir.

5 janvier – Démission du président de la Caisse de dépôt. Le président et chef de la direction de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), Richard Guay, quitte ses fonctions. Nommé le FÉVRIER 2009 5 septembre 2008, il était en congé de maladie depuis le 12 novembre. 2 février – La Légion pour Charest. Le premier ministre du Québec, Jean Cha5 janvier – Équipe Canada triomphe. rest, reçoit l’insigne et le grade de ComLe Canada remporte une cinquième mandeur dans l’Ordre de la Légion médaille d’or consécutive au champion- d’honneur des mains du président nat mondial de hockey junior grâce à Nicolas Sarkozy lors d’une cérémonie une victoire de 5-1 aux dépens de la au palais de l’Élysée. Suède. C’est la deuxième fois que l’équipe canadienne junior enlève cinq 17 février – La bataille abandonnée. titres d’affilée à ce championnat mon- Craignant pour la sécurité des particidial, la marque ayant déjà été établie une pants et du public quant à la bruyante première fois entre 1993 et 1997, et c’est opposition de certains groupes, la Comla 15e fois qu’elle met la main sur l’or. mission des champs de bataille nationaux annule la reconstitution de la 15-16 janvier – Record de consomma- bataille des plaines d’Abraham et le tion électrique. Composant avec un projet d’un bal masqué, les deux princimercure se maintenant sous la barre des pales activités qui devaient commémo28


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rer le 250e anniversaire de l’événement. Le président de la Commission, André Juneau, admet que l’organisme avait sous-estimé le degré de sensibilité et de susceptibilité de la population.

plein hiver pour la première fois depuis 10 ans.

27 février – Un César pour MarcAndré Grondin. Couronné meilleur espoir masculin à l’occasion de la 34e 25 février – Désastre à la Caisse de Nuit des César, à Paris, l’acteur québédépôt. Lors d’une conférence de presse cois était en nomination pour son rôle très attendue, le président de la CDPQ, dans la comédie dramatique Le premier Fernand Perreault, confirme un rende- jour du reste de ta vie, réalisée par le ment négatif historique de 25 % et une Français Rémi Bezançon. perte d’actif de 39,8 milliards de dollars, qui ramène l’actif net des déposants de MARS 2009 155,4 à 120,1 milliards de dollars, au 31 décembre 2008. La direction de la 6 mars – Avocat et gangster. Au palais Caisse affirme qu’à aucun moment la de justice de Montréal, le criminaliste CDQQ n’a fait de spéculation ni pris de Louis Pasquin est le premier avocat risques inconsidérés. Le rendement déclaré coupable de gangstérisme au médian des grandes caisses de retraite Canada. Il est condamné à une peine, canadiennes a été de -18,4 %. La ministre jugée sévère, de quatre années et demie des Finances, Monique Jérôme-Forget, de prison. annonce la tenue d’une commission parlementaire pour entendre les administrateurs présents et passés de la Caisse, tout en se faisant rassurante : les régimes de retraites des Québécois ne sont pas en danger. 25 février – Foule record pour l’Impact. 55 557 spectateurs assistent, au Stade olympique, à la victoire de 2-0 du club de soccer montréalais contre l’équipe mexicaine du Santos Laguna, lors d’un match de quart de finale de la Ligue des champions de la Confédération de l’Amérique du Nord, centrale et Caraïbe de footba ll association (CONCACAF). Le stade était utilisé en

Guy Carbonneau

9 mars – Carbonneau congédié. Tremblement de terre à Montréal : l’entraîneur du Canadien, Guy Carbonneau, est congédié abruptement. « Le changement était nécessaire », déclare laconiquement 29


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Marcel aubut, 20 fois plus utile Entré au conseil d’administration et au comité exécutif du Comité olympique canadien (COC) il y a quatre ans, l’avocat québécois Marcel Aubut devient le 28 mars 2009 le pre­ mier francophone à diriger l’organisation. Très actif sur la scène du hockey international, celui qu’on surnommait jadis le kid de la Grande­Allée a notamment été propriétaire des Nordiques de Québec en plus d’être un acteur important dans de nombreux dossiers de la LNH, tels la fusion avec l’Association mondiale du hockey (AMH), la mise en place de la prolongation, Rendez­vous 87, le développement des contrats de télévision, etc. Associé­ directeur du cabinet Heenan Blaikie, il est aujourd’hui conseiller juridique du Canadien de Montréal, l’ennemi juré d’autrefois. La nomination de Me Aubut à la tête du COC est considérée par plusieurs comme une étape de plus vers la venue des Jeux d’hiver dans la capitale, possiblement en 2022. Sitôt élu, le nouveau président du COC a d’ailleurs assuré le maire Régis Labeaume qu’il serait « 20 fois plus utile » à ce poste pour promouvoir la candidature de la Ville de Québec que s’il dirigeait lui­même le comité de candidature.

son grand ami et directeur général Bob Gainey, qui annonce du même coup qu’il revient derrière le banc. 13 mars – Michael Sabia dirigera la Caisse. L’ancien patron de Bell Canada Entreprises est nommé président de la Caisse de dépôt et placement du Québec. 13 mars – Lucian Bute champion du monde. Le Montréalais d’origine roumaine a vaincu le Colombien Fulgencio Zuniga par K.-O. technique au quatrième round du combat pour la couronne des super-moyens de l’INF disputé au Centre Bell. C’était la troisième défense de son titre décroché le 19 octobre 2007. 13 mars – Le Québec replonge dans les déficits. La ministre des Finances et présidente du Conseil du Trésor, Moni30

que Jérôme-Forget, dépose un budget de 66 milliards de dollars grevé d’un déficit de 3,9 milliards et de 3,8 milliards en 2010-2011. Elle annonce du même coup son intention d’adopter des mesures draconiennes visant un retour à l’équilibre financier en 2013-2014. 17 mars – Record pour Martin Brodeur. En défaisant les Blackhawks de Chicago, le gardien de but des Devils du New Jersey inscrit sa 552e victoire, éclipsant le record de Patrick Roy du plus grand nombre de victoires par un gardien de but en carrière dans la Ligue nationale de hockey (LNH). 29 mars – 11e gala des Jutra. Ce qu’il faut pour vivre, du réalisateur Benoît Pilon, remporte la palme du film de l’année, et vaut à sa vedette principale, l’Inuit Natar Ungalaaq, le titre de meil-


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leur acteur. Isabelle Blais, pour son rôle dans Borderline, est couronnée meilleure actrice. AVRIL 2009 4 avril – Jean Pascal champion du monde. Lors d’un combat disputé à Montréal, le boxeur lavallois Jean Pascal conquiert la ceinture de champion intercontinental des super-moyens de la World Boxing Organisation (WBO) grâce à une victoire par K.-O. au cinquième round, aux dépens de l’Argentin Pablo Daniel Nievas. 8 avril – La Flanelle est à vendre. La rumeur, qui circulait depuis quelques mois, est confirmée : le Club de hockey Canadien est à vendre. L’Américain George Gillett avait acquis, 31 janvier 2001, 80,1 % du Canadien et la totalité de ce qui s’appelait alors le Centre

Molson, pour 275 millions de dollars. 15 avril – Les Hells Angels éradiqués. Opération policière sans précédent, au Québec : environ 1 200 policiers participent à l’opération Sharqc qui cible les motards criminalisés : 156 personnes sont visées par des mandats d’arrêt, dont 111 des 113 membres en règle des Hells Angels du Québec, 11 retraités, 4 « prospects », un « hang-around » et 29 relations. Les bunkers des cinq chapitres du Québec sont confisqués. D’autres arrestations ont lieu au Nouveau-Brunswick, en République dominicaine et en France. MAI 2009 2 mai – Ignatieff couronné. À Vancouver, Michael Ignatieff devient officiellement chef du Parti libéral du Canada, au terme d’un vote symbolique des 2 033 délégués libéraux (il était le seul candi-

guy Lafleur, père de famille, coupable devant la justice Les frasques des rejetons sont parfois cause de la douleur des pères, et les anciennes stars du hockey ne sont pas épargnées. Qu’on pense aux images, qui firent le tour de l’Amérique, de l’assaut insensé de Jonathan Roy, le fils de Patrick, sur un autre gardien dans le cadre d’un match de hockey. Guy Lafleur, pour sa part, a chèrement payé pour avoir voulu être un bon père de famille. Le 1er mai, à Montréal, le légendaire joueur des Canadiens est reconnu coupable d’avoir livré des témoignages contradictoires visant à faire libérer son fils Mark. Lafleur avait aidé son fils à briser un couvre­feu imposé par la cour qui lui ordonnait de dormir chez ses parents quand il obtenait un congé du centre de désintoxication. La preuve a démontré que Mark Lafleur avait couché à l’hôtel à quatre reprises avec son ex­copine. Le 18 juin, le démon blond reçoit une sentence suspendue d’un an, une amende de 100 dollars, et doit remettre 10 000 dollars à un centre de lutte contre la toxicomanie. La sentence est clémente, puisque l’accusation qui pesait sur lui aurait pu lui valoir jusqu’à… 14 ans de détention. 31


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dat) lui ayant accordé leur confiance dans une proportion de 97 %. 5 mai – L’UE bannit le phoque. Le Parlement européen, par une résolution adoptée par une écrasante majorité de 550 députés, bannit le commerce des produits dérivés du phoque sur le territoire des 27 pays membres de l’Union européenne. L’interdiction, effective à compter de 2010, fait exception pour le peuple Inuit. 13 mai – Lancement du projet La Romaine. Coup d’envoi des travaux du complexe hydroélectrique de La Romaine, sur la Côte-Nord. Réalisé au coût de 6,5 milliards de dollars, le complexe comptera quatre centrales qui entreront en service entre 2014 et 2020 et produiront, à terme, 1550 MW-H.

13 mai – Deux nouveaux astronautes. L’Agence spatiale canadienne présente deux nouveaux astronautes, ses premières recrues depuis 1992 : l’Ontarien Jeremy Hansen et le Québécois David Saint-Jacques, 39 ans, natif de la ville de Québec. 5 351 candidats se disputaient ces deux postes. Médecin de famille à Puvirnituq dans le Nord-du-Québec, David Saint-Jacques enseigne également à l’Université McGill. Il a travaillé comme ingénieur et détient un doctorat en astrophysique. David Saint-Jacques est le troisième Québécois à devenir astronaute après Marc Garneau et Julie Payette. 22 mai – Coupable de crime de guerre. Désiré Munyaneza, 42 ans, est déclaré coupable de sept chefs d’accusation de génocide, de crimes contre l’humanité

Xavier Dolan, l’enfant prodige Fils du comédien Manuel Tadros, Xavier Dolan, 20 ans, est la nouvelle coqueluche du cinéma québécois et des médias. Il est consacré le 22 mai 2009, lorsqu’il triomphe au Festival de Cannes. Sélectionné à la 41e Quinzaine des réalisateurs, il remporte trois des quatre prix pour son premier long métrage, J’ai tué ma mère, dans lequel il tient la vedette avec Anne Dorval : le prix Art et Essai remis par la Confédération inter­ nationale des cinémas d’art et essai (CICAE), le prix de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) pour le scénario et le prix Regards jeunes pour les longs métrages. C’est à 17 ans que Dolan a scénarisé son film, qu’il a produit à petit budget en partie à compte d’auteur. Son deuxième long métrage est maintenant en chantier et un brillant avenir se dessine pour lui. 32


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et de crimes de guerre pour son rôle dans des massacres et des viols commis près de Butare, au Rwanda, durant le génocide de 1994 au cours duquel périrent près de 800 000 Tutsis et Hutus. Cette décision, qui fait jurisprudence, a été rendue à Montréal par le juge André Denis de la Cour supérieure du Québec, au terme d’un procès hors normes. Munyaneza est le premier individu à être condamné au Canada en vertu de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les Louise Harel crimes de guerre, une législation qui est entrée en vigueur le 23 octobre 2000. lement chef du parti Vision Montréal et candidate à la mairie. Elle est élue à 27 mai – Francis Proulx coupable. l’unanimité par quelque 200 personnes Reconnu coupable du meurtre prémé- réunies en congrès spécial dans un resdité de Nancy Michaud, attachée poli- taurant de Montréal. Députée de la cirtique du ministre Claude Béchard, conscription montréalaise d’Hochelaga Francis Proulx est condamné, au palais pendant 27 ans, Louise Harel fut plude justice de Québec, à l’emprisonne- sieurs fois ministre sous différents goument à perpétuité, sans possibilité de vernements du Parti québécois, chef de libération conditionnelle avant 25 ans. l’opposition officielle, chef par intérim L’affaire, sordide, avait ému une grande de son parti et la toute première femme partie de la population du Québec. présidente de l’Assemblée nationale. JUIN 2009

19 juin – Jean Pascal champion WBC des mi-lourds. Déjà champion inter5 juin – Première victime du A (H1N1). continental des super-moyens de la Un premier décès lié à la grippe A WBO, le Lavallois ravit la ceinture verte (H1N1) est enregistré au Québec. La et or, emblème du champion mondial victime, une femme de Québec de plus des 175 livres, au Québécois d’origine de 65 ans, apparemment en bonne roumaine Adrian Diaconu. Le combat santé, est décédée trois jours après le de boxe était disputé au Centre Bell. début de symptôme sévères. 20 juin – Les Molson rachètent le 29 juin 2009 – Harel chef de Vision Canadien. Le groupe de l’Américain Montréal. Louise Harel devient officiel- George Gillett cède le Canadien de 33


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Montréal à un consortium mené par la famille québécoise Molson dans une transaction qui pourrait atteindre un demi-milliard de dollars, la plus importante de l’histoire du hockey. La vente inclut aussi le Centre Bell et le Groupe Spectacles Gillett.

ministre des Finances démissionnaire, Monique Jérôme-Forget.

23 juin – Délinquant à contrôler à 17 ans. Première dans l’histoire judiciaire canadienne, un jeune prédateur sexuel de Montréal-Nord, Wisbens Démosthène, écope d’une peine pour 22 juin – Le PLQ remporte deux par- adulte de 10 ans et demi pour de multitielles. L’ADQ perd le comté de Rivière- ples agressions sexuelles. Âgé de 17 ans du-Loup, représenté depuis 1994 par le et 8 mois au moment de son arrestation, chef démissionnaire Mario Dumont, il a aussi été déclaré délinquant à aux mains du libéral Jean D’Amour. contrôler. Il avait commis des viols Le libéral Clément Gignac, dans brutaux contre neuf victimes âgées Marguerite-Bourgeois, succède à la entre 13 et 26 ans.

earl Jones, bandit de grand chemin On croyait avoir tout vu avec l’affaire Vin­ cent Lacroix (Norbourg) et la fraude de quelque 115 millions de dollars dont il s’était rendu coupable, quand a éclaté l’af­ faire de la fraude financière perpétrée par Earl Jones, notre Bernard Madoff national. Arrêté le 27 juillet 2009, Bertram Earl Jones est soupçonné d’avoir utilisé un vieux stra­ tagème des années 20, une « pyramide de Ponzi » – qui consiste à verser de l’argent à des investisseurs, tiré de leur propre compte – grâce à laquelle il aurait subtilisé 75 millions de dollars à divers investisseurs, pour la plupart des résidents du Québec. Ce qui rend sa fraude particulièrement odieuse, c’est que ses victimes sont en majorité des gens âgés, bien souvent des connaissances qui lui vouaient une confiance aveugle, parfois même des parents, comme son propre frère, Bevan, 70 ans, qui aurait perdu des millions de dollars. Jones, qui n’était même pas inscrit auprès de l’Autorité des marchés financiers, proposait ses services de gestion à des gens qui venaient de toucher un héritage ou qui géraient des revenus de pension, leur propo­ sant de s’occuper de tout, même des comptes à payer. Toute la pyramide de Jones s’est effondrée lorsque balayée par la crise économique. Des clients ont tenté en vain d’en­ caisser des chèques, puis porté plainte à l’AMF. L’affaire a alors éclaté au grand jour. 34


Chronologie 2008-2009

Jean charest, champion de l’élection Il a réussi l’improbable : remporter trois élections générales d’affilée, une pre­ mière depuis Maurice Duplessis en 1956, un exploit qui restera sans doute l’un de ses principaux faits d’armes politiques. Déclenchant des élections prématurées, alors qu’il dirigeait un gouvernement minoritaire, il demandait aux Québécois de lui accorder un mandat fort pour affronter les défis que posait la terrible crise économique qui pointait à l’horizon. Son vœu a été exaucé et, maintenant qu’il a « les deux mains sur le volant », il résiste à toutes les tempêtes : pertes historiques à la Caisse de dépôt, crise économique, contrats d’asphaltage accordés à l’entreprise d’un de ses ministres, cafouillage dans la mise en place de la vaccination contre le virus H1N1. C’est sur la scène internationale qu’il semble le plus à l’aise, y trouvant même un visible plaisir. Missions en Californie, en France, en Russie, participation active au Sommet sur le climat à Copenhague, Jean Charest voyage beaucoup et aime discuter des affaires du monde avec les grands, à l’instar de son mentor et ami, Brian Mulroney.

JUILLET 2009

nium à Porto de Galinhas, une station balnéaire du nord-est du Brésil où il 17 juillet – Deux Canadiens dans l’es- séjournait en compagnie de sa femme. pace. Journée historique pour le pro- Gatti, qui a pratiqué la boxe professiongramme spatial canadien alors que pour nelle de 1991 à 2007, a été champion IBF la première fois deux astronautes cana- des poids-plumes en 1995. Le 30 juillet, diens se retrouvent dans l’espace. Partie les autorités policières concluront au la veille à bord de la navette spatiale suicide du boxeur. américaine Endavour, après plus d’un mois de retard et cinq tentatives avor- 23 juillet – Crime d’honneur à Kingtées, Julie Payette rejoint son compa- ston. Trois Montréalais d’origine triote Robert Tursk sur la station orbi- afghane, le père, la mère et le frère aîné tale. Julie Payette en est à son deuxième de trois adolescentes accompagnées de vol dans l’espace. leur tante de 52 ans trouvées mortes le 30 juin dans le canal Rideau, sont arrê11 juillet – Mort d’Arturo Gatti. Le tés et formellement accusés de meurtre boxeur montréalais est retrouvé mort prémédité. étranglé et blessé dans un condomi35


L’état du Québec 2010

La Presse canadienne/Sean Kilpatrick

AOÛT 2009

Jacques Demers

27 août – Jacques Demers nommé au Sénat. L’ex-entraîneur de la LNH est nommé au Sénat par le premier ministre Stephen Harper. La recrue sénatoriale s’engage à sensibiliser la population aux problèmes de pauvreté, d’analphabétisme et de violence faite aux enfants. 29 août – Mort de Sam Etcheverry. Véritable légende du football canadien, l’ancien quart-arrière et entraîneur des Alouettes de Montréal meurt à l’âge de 79 ans d’un cancer. SEPTEMBRE 2009 9 septembre – David Whissell quitte le cabinet. Le ministre du Travail préfère quitter le cabinet plutôt que de se départir de ses intérêts dans l’entreprise 36

familiale ABC Rive-Nord. L’opposition fait grand cas du fait que la compagnie de béton et d’asphalte du ministre, gérée par une fiducie sans droit de regard, a obtenu plusieurs contrats gouvernementaux au cours des dernières années. 15 septembre – Rentrée parlementaire hâtive à Québec. En vertu du nouveau Règlement adopté le 21 avril 2009, l’Assemblée nationale reprend ses travaux un mois plus tôt, mais ajournera deux semaines plus tôt en décembre. Le règlement n’a été modifié que trois fois depuis la Confédération. Les règles actuelles étaient en vigueur depuis 1984 et n’avaient jamais été modifiées complètement depuis. 18 septembre – Un deuxième championnat pour Les Capitales. Un gain de 7-4 sur les Tornadoes de Worcester, au Stade municipal de Québec, permet aux joueurs du club de baseball Les Capitales de remporter un deuxième championnat de la Ligue Can-Am en quatre ans. Depuis le départ des Expos de Montréal, Les Capitales sont devenus la seule équipe professionnelle pratiquant ce sport au Québec. 18 septembre – Le bâillon après… trois jours. Après seulement trois jours de session, le gouvernement a recours à la procédure extraordinaire du bâillon pour forcer l’adoption de son projet de loi 40 suspendant l’application de la Loi sur l’équilibre budgétaire et permettant


Chronologie 2008-2009

nelly arcan au bout du mal-être Sa beauté était à la hauteur de son talent : remar­ quable. Sa vie : entourée d’un voile de mystère pour la plupart de ses lecteurs. Blonde, pulpeuse, voire sulfureuse, sorte de poupée Barbie aux seins et aux lèvres gonflés, elle était prisonnière de cette image publique, à la fois carte de visite et obstacle à l’ex­ pression de son talent. Elle avait payé ses études en faisant le métier d’escorte, ce qui lui avait fourni la matière d’un premier roman, une autofiction, Putain, qu’elle publie en 2001 aux éditions du Seuil, et qui lui vaut une nomination pour les prix Médicis et Femina ainsi qu’une notoriété instantanée. Son deuxième roman, Folle (2004), lui vaudra une autre nomination pour le Femina. Ses proches la décri­ vent comme une femme de lettres très cultivée, travailleuse acharnée, un grand écrivain « qui malheureusement ne croyait pas l’être ». Son œuvre lyrique, dense et puissante, témoignait de ce doute, de son mal­être, autant que du mode de vie d’une certaine géné­ ration. Elle s’est enlevé la vie le 24 septembre 2009, à l’âge de 36 ans. Un acte redouté par ses proches, conscients de sa fragilité, de sa douleur de vivre. Son dernier roman, Paradis clef en main, évoquait la question du suicide.

le recours aux déficits budgétaires. Une mesure « extraordinaire et nécessaire », déclare le leader du gouvernement, Jacques Dupuis.

neux contrat d’installation des compteurs d’eau, accordé à GÉNIeau, contrat grossièrement surévalué, suspendu dès la publication d’un rapport du vérifica-

18 septembre 2009 – Montréal en élections. La campagne électorale s’amorce officiellement, sur fond de scandales. Côte-à-côte s’affrontent Gérald Tremblay (Union Montréal), Louise Harel (Vision Montréal), Richard Bergeron (Projet Montréal). Un thème commun : l’éthique. Depuis un an, les citoyens ont assisté, médusés, à une succession de révélations troublantes. Vente de terrains à rabais par la SHDM. Farami-

Les trois candidats à la mairie de Montréal 37


L’état du Québec 2010

teur général (il sera annulé par la suite). Puis, une foule d’allégations de collusion, de financement illégal, de malversations dans l’adjudication des contrats municipaux, de trafic d’influence de certains fonctionnaires, ont fait la manchette en mettant en cause des membres du comité exécutif. 21 septembre – Le PQ conserve Rousseau. L’économiste Nicolas Marceau remporte les élections partielles dans Rousseau, citadelle péquiste du nord de Montréal, vacante depuis la démission de François Legault.

30 septembre – Guy Laliberté, premier clown de l’espace. Fondateur du Cirque du Soleil, le milliardaire québécois devient le septième touriste de l’espace. Il s’envole pour la Station spatiale internationale à bord de la fusée Soyouz TMA-16. L’homme de 50 ans séjournera 12 jours dans l’espace. Le séjour, qui lui coûtera quelque 35 millions de dollars, servira à l’homme d’affaires de tremplin pour faire la promotion de sa fondation One Drop, vouée à la sensibilisation du public aux enjeux liés à l’eau. L’entrepreneur et premier clown spatial emporte un texte poétique qu’il lira depuis l’espace pour conscientiser la population à la situation précaire de l’eau sur la planète. La lecture de ce message s’inscrit dans le cadre d’un événement international composé de plusieurs spectacles organisés simultanément dans 14 villes du monde, le 9 octobre. OCTOBRE 2009

8 octobre – Absolution inconditionnelle pour Jonathan Roy. Au palais de justice de Chicoutimi, l’ancien gardien Pierre Falardeau de but des Remparts de Québec plaide 25 septembre – Décès de Pierre Falar- coupable aux accusations de voies de fait deau. Le cinéaste, écrivain, grande simples à l’endroit du gardien Bobby gueule devant l’Éternel et surtout ardent Nadeau, gestes posés lors d’un match défenseur de l’indépendance du Qué- disputé le 22 mars 2008 au Centre Georbec, meurt à l’âge de 62 ans. Il est l’au- ges-Vézina. Le jeune homme aujourd’hui teur de plusieurs œuvres majeures de la âgé de 20 ans, fils du célèbre Patrick Roy, cinématographie québécoise parmi s’engage aussi à verser 5 000 dollars à lesquelles Pea Soup, Elvis Gratton, Le cinq organismes de la région. Les images de l’assaut violent et non provoqué de party, Octobre. 38


Chronologie 2008-2009

régis Labeaume nouveau héros des Québécois Pratiquement inconnu du public quand il se présente comme candidat à la mairie de Québec en décembre 2007, lorsque le poste est laissé vacant par le décès de la précédente mairesse, Andrée P. Boucher, Régis Labeaume récolte pourtant 59 % des voix. Déjà, il pro­ pose de mettre fin à l’exode des jeunes et soutient que l’investissement dans de grands événements per­ mettra de dynamiser la ville. Le temps lui donnera raison. Deux ans plus tard, il s’est imposé à la mairie de Québec et a acquis une notoriété enviable à l’échelle de la province, si bien qu’il est sur toutes les tribunes, vantant les qualités et les succès de sa ville. Il faut dire que la Capitale­Nationale, qui semble épargnée par les affaires de corruption qui affligent la métropole, a la cote et plane toujours sur l’extra­ ordinaire succès des célébrations du 400e anniversaire de sa fondation, en 2008. Homme d’affaires prospère, ayant œuvré dans des entreprises de haute technologie, peu porté sur les finasseries et les jeux de coulisse, il s’affiche comme il est : fougueux, hyperactif, impulsif, mais aussi rêveur, enthousiaste, « grande gueule », et rien ne semble pouvoir résister à la volonté et à l’enthousiasme du nouveau héros des citoyens de Québec, réélu, le 1er novembre, avec un score impressionnant de 79,9 % des voix. Plusieurs, déjà, lui prédisent une carrière politique sur la scène provinciale.

Roy sur Nadeau ont fait le tour de l’Amérique et forcé la Ligue de hockey junior majeur du Québec à adopter des mesures plus sévères pour encadrer les combats dans le cadre d’un match. 9 octobre – Vincent Lacroix condamné. L’ex-PDG de Norbourg, Vincent Lacroix, est reconnu coupable et condamné à 13 ans de prison pour avoir fraudé près de 9 200 investisseurs d’une somme de près de 115 millions de dollars. La peine, d’une sévérité exemplaire, est sans précédent au Canada.

17 octobre – L’Impact champion de l’USL. Devant 13 034 spectateurs rassemblés au stade Saputo, l’équipe de soccer professionnel de Montréal défait le Whitecaps de Vancouver et met la main sur le troisième championnat de son histoire, son deuxième en cinq ans. L’Impact avait remporté la coupe de la United Soccer Leagues (USL) en 1994 et en 2004. 17 octobre – Benoît Labonté démissionne. Le chef de l’opposition officielle à Montréal et lieutenant de Louise Harel au sein du parti Vision Montréal se retire deux semaines avant le jour du 39


L’état du Québec 2010

scrutin, après la mise au jour de présumés liens entre lui et l’important entrepreneur Tony Accurso. Ces révélations nourrissent les allégations de conflits d’intérêts, de collusion, de corruption et de malversations qui entourent l’attribution de contrats dans les municipalités. Ces allégations forceront le gouvernement à mettre sur pied l’opération Marteau pour enquêter sur les liens entre le crime organisé, le milieu de la (55 %) aura été immunisée. « Un bénéfice construction et le monde municipal. incalculable pour la collectivité », déclarera le ministre de la Santé, Yves Bolduc. 18 octobre – Gilles Taillon nouveau chef de l’ADQ. L’ex-député adéquiste de 29 octobre – Hydro-Québec achète Chauveau et adjoint au chef de l’opposi- Hydro-NB. Les premiers ministres du tion officielle Mario Dumont l’emporte Québec, Jean Charest, et du Nouveaupar deux voix seulement, au deuxième Brunswick, Shawn Graham, annontour, sur son principal adversaire Éric cent à Frédéricton qu’Hydro-Québec Caire. Son bref leadership, marqué d’in- déboursera 4,75 milliards de dollars cessantes controverses, illustre à lui seul pour se porter acquéreur de la plus la désorganisation du parti. Il sera chef grande partie des actifs d’Énergie Noude l’ADQ du 18 octobre au 18 novembre veau-Brunswick. Hydro-Québec achète 2009, date de sa démission. les sept centrales hydroélectriques d’Énergie Nouveau-Brunswick et la 26 octobre – Vaccination massive. centrale nucléaire de Point Lepreau, de Lancement de la plus grande campagne même que les infrastructures de distride vaccination que le Québec aura bution et de transport d’énergie du connue. L’opération d’immunisation Nouveau-Brunswick. C’est la première contre le virus de la grippe A (H1N1) fois au Canada qu’une société d’État connaît cependant un départ chaotique, achète celle d’une autre province. marqué par des problèmes d’organisation, des horaires changeants et des cas NOVEMBRE 2009 de passe-droit, avant d’atteindre son rythme de croisière. Quand les centres 1er novembre – Élections municipales de vaccination fermeront, le 18 décem- au Québec. Pour la deuxième fois, bre, après huit semaines intensives, un les 1 104 municipalités du Québec peu plus de la moitié de la population étaient en élection simultanément. Le 40


Chronologie 2008-2009

gérald tremblay, malgré tout Traqué par les médias qui ne cessent de révéler des affaires de corruption et de copinage entre des membres de son équipe et des entrepreneurs, Gérald Trem­ blay est pourtant réélu pour un troisième mandat à la tête de la métropole québé­ coise, récoltant 37,9 % des voix et se clas­ sant premier dans 14 des 19 arrondisse­ ments de Montréal. Enveloppes brunes, contrats surévalués, allégations de collu­ sion et de favoritisme mafieux, irrégula­ rités dans l’administration, scandale des compteurs d’eau, Gérald Tremblay s’est battu toute l’année pour défendre sa répu­ tation, prétendant ne pas savoir ce qui se passait autour de lui. Il semble avoir remporté son pari, puisque les citoyens ont décidé de lui faire de nouveau confiance, comme s’ils le dissociaient de la turpitude de son administration et souhaitaient lui donner une nou­ velle chance. Gérald Tremblay a compris le message : « Mon défi politique est de rega­ gner la confiance de tous les Montréalais. Mon défi comme maire est de vous redonner confiance dans les institutions de Montréal. »

taux de participation demeure anémique, autour de 45 %, semblable au taux observé aux élections de 2005. À Montréal, le maire sortant Gérald Tremblay est réélu pour une troisième fois, malgré les allégations de corruption qui pèsent sur son administration. Gérald Tremblay (Union Montréal) récolte 37,9 % des voix, Louise Harel (Vision Montréal) obtient 32,7 % tandis que Richard Bergeron (Projet Montréal) se classe troisième avec 25,4 % des voix. À Québec, le maire sortant Régis Labeaume triomphe en remportant 79,9 % des voix, bien loin du second, l’animateur de radio Jeff Fillion, qui n’obtient que 8,5 % des voix.

4 novembre – Dany Laferrière rafle le Médicis. L’écrivain québécois d’origine haïtienne remporte à Paris le Prix Médicis pour son plus récent roman, L’énigme du retour. Il est le second Québécois à obtenir le prestigieux prix, après MarieClaire Blais, choisie en 1966 pour Une saison dans la vie d’Emmanuel. 14 novembre – Le Rouge et Or champion du Québec. En l’emportant contre les Carabins de l’Université de Montréal, le Rouge et Or de l’Université Laval réalise une septième conquête d’affilée de la coupe Dunsmore, emblématique du championnat de football universitaire québécois. 41


L’état du Québec 2010

gilles carle, poète de l’image Mort le 28 novembre 2009 à l’âge de 80 ans, le réa­ lisateur, scénariste, monteur et producteur était un des géants du cinéma québécois. Son œuvre, riche, compte des titres inoubliables : La vie heureuse de Léopold Z, Les mâles, La vraie nature de Bernadette, Les Plouffe… Il méritait largement les hommages nombreux rendus lors des funérailles nationales, à Montréal. « Hommage à ce grand Québécois qui a mis les siens au cœur de son œuvre. Un des cinéastes les plus marquants du Québec, un homme au talent immense connu et reconnu à travers le monde », écrit le premier ministre Jean Charest, dans un encart publié dans les journaux, hommage officiel de l’État. Mais au­ delà de sa mort, c’est, au fil des mois et des années, tout le calvaire de sa terrible maladie (le Parkinson) qui émeut le Québec ainsi que les difficultés éprouvées par les aidants naturels, décriées sur toutes les tribunes par sa compagne Chloé Sainte­Marie.

28 novembre – Retour du Grand Prix de Montréal. Au terme de négociations épiques, les dirigeants politiques de la Métropole confirment le retour du Grand Prix du Canada au calendrier 2010 du Championnat du monde de Formule 1. L’entente d’une durée de cinq ans prévoit notamment le versement de 75 millions de dollars à la société Formula One Management de Bernie Ecclestone. 29 novembre – Sixième Coupe Grey pour les Alouettes. À Calgary, le club de football montréalais ajoute à son palmarès une sixième victoire de championnat à l’issu d’un match enlevant remporté au compte de 28-27 contre les Roughriders de la Colombie-Britannique. 42

29 novembre – Bute conserve son titre. Au Colisée de Québec, le boxeur québécois d’origine roumaine conserve son titre de champion mondial des supermoyens de l’International Boxing Federation (IBF) à l’issue d’un combat revanche expéditif livré au Mexicain Librado Andrade.


Dossier spécial Éthique publique 45

Montréal : scandales et corruption à tous les étages

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Consolider la confiance

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Éthique acrobatique

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Ces pratiques qui dénaturent l’État

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Contrats publics et pouvoirs privés

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Le piège de l’éthique

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Les Québécois sont-ils par nature corrompus ?

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Chercheurs et responsables

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u

n adage veut que plus on parle d’éthique, moins on la pratique. Si cet adage dit vrai, le Québec souffre d’une crise majeure d’éthique publique. Pendant que la classe moyenne se relève de la pire crise économique depuis les années 30 et que les gouvernements renouent avec les déficits budgétaires, les médias d’information ont mis au jour au cours des 18 derniers mois autant de situations dans lesquelles les fonds publics étaient dilapidés ou détournés dans les poches de truands. Montréal a même été comparée à Palerme. D’autres scandales ont éclaboussé des institutions financières, des courtiers ou d’autres entrepreneurs véreux. Certains ont dormi quelques nuits en prison. Outre l’argent perdu, le gaspillage de fonds publics et la valorisation du copinage qui en résulte, c’est la démocratie qui en souffre le plus. Déjà, le public fait de moins en moins confiance aux institutions publiques et à la classe politique. Les événements de l’année écoulée ont à coup sûr aggravé le problème. La popularité du gouvernement Charest a chuté, tandis que le maire de Montréal, bien que réélu, a perdu l’appui de la majorité des Montréalais. En outre, le taux de participation électorale est au plus bas. Les institutions censées protéger le bien public sont sur la sellette : à quoi servent-elles ? Et les lois, les codes ou les guides de conduite ont-ils un impact ? La question n’est pourtant pas d’abord d’ordre juridique. Elle est d’ordre politique : y a-t-il des leaders volontaires et aptes à redresser la situation au Québec ? Et puis elle révèle quelque chose de ce que nous sommes : la société québécoise est-elle devenue trop tolérante même à l’intolérable ? Le je-m’en-foutisme à l’égard de la chose publique est-il à ce point répandu que les coquins ont désormais la voie libre ?

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Montréal : scandales et corruption à tous les étages andré noël Journaliste, La Presse

La dernière année a été une période faste pour les journalistes d’enquête, qui ont trouvé dans l’actualité montréalaise de quoi nourrir leurs articles : scandale des compteurs d’eau, opérations immobilières douteuses et contrats de construction attribués de façon obscure… comme dans les années 40 et 50, la sphère munimunicipale semble marquée du sceau de la collusion et de la corruption.

Il n’est presque jamais question de Montréal dans The Economist, un magazine plutôt bien informé, plutôt conservateur et plutôt cher. Mais le 25 juin 2009, deux articles en ont parlé. Le premier traitait d’une étude sur la dépression réalisée par un chercheur de l’Université Concordia. Le deuxième portait sur la corruption municipale. Bien sûr, il n’y a aucun rapport entre ces deux phénomènes. Néanmoins, l’image de la métropole du Québec telle que projetée dans la bible hebdomadaire de l’élite mondiale était passablement déprimante.

Titré « Corruption municipale au Canada – Eau et crasse1 », l’article commençait ainsi : « Dans les années 40 et 50, Montréal était connue au Canada pour ses magouilles municipales. De récentes allégations […] rappellent en partie ces vieux souvenirs. La police a ouvert cinq enquêtes sur de possibles fraudes, pots-de-vin et avantages divers portant sur des montants de dizaines de millions de dollars. » Quelques jours plus tard, Bernard Descôteaux signait un éditorial dans Le Devoir sur l’affaire des compteurs d’eau. « Dans toute l’histoire de Montréal, il 45


L’état du Québec 2010

n’y a probablement jamais eu de scandale de l’ampleur de celui qui ébranle l’administration [du maire] Tremblay, mis à part celui sur la corruption du service de police dans les années 40. Depuis, c’était le calme plat, ou presque. » Descôteaux titrait son éditorial ainsi : « Appel à l’aide », à la façon de ces randonneurs perdus qui tracent un SOS dans le sable ou la neige. Depuis septembre 2008, Montréal est en effet loin du calme plat. La dernière année a été une période faste pour les journalistes d’enquête, qui aiment répéter à la blague qu’une nouvelle, « c’est une information que quelqu’un, quelque part, pour une quelconque raison, ne veut pas voir dans le journal ». En revanche, cela a été une année horrible pour certains entrepreneurs dont les revenus, semblables aux champignons, croissent mieux dans l’ombre que dans la lumière

sondages ont montré que la vaste majorité des Québécois souhaite une commission d’enquête publique.

Des écoutes et des caméras cachées Avant de déferler à la une des journaux, les « affaires » ont commencé par une nouvelle en apparence anodine. Le 18 septembre 2008, six membres de la mafia ont plaidé coupable à diverses accusations portées à la suite d’une longue enquête de la GRC sous le nom de code « Colisée ». Le résumé d’écoute électronique, déposé par les procureurs du gouvernement fédéral, devenait public. Le document de quelque 400 pages montrait, entre autres choses, que la mafia fait tout son possible pour élargir son influence auprès de commerçants et d’entrepreneurs. Le rapport d’écoute révélait par exemple que les principaux dirigeants de la mafia montréalaise s’étaient coticertains revenus, semblables sés pour offrir un cadeau de retraite au promoteur immobilier Frank Catania. aux champignons, croissent L’homme d’affaires avait été filmé à son mieux dans l’ombre que dans insu avec le parrain Nick Rizzuto au la lumière. café Consenza, le quartier général de la mafia à Saint-Léonard. Les caméras et une année dévastatrice pour des poli- cachées de la GRC ont croqué une scène ticiens et des hauts fonctionnaires qu’on dirait issue d’une série B : on y voit municipaux, qui ont dû vider leurs le vieux Rizzuto qui compte une liasse bureaux, parfois accompagnés par des d’argent et qui la glisse dans sa chausagents de sécurité. En 12 mois, l’opinion sette, pendant que Catania parle dans publique a changé de façon radicale : les son cellulaire. Année après année, après des appels Montréalais, et tous les Québécois, sont d’offre en bonne et due forme, Construcdevenus beaucoup plus exigeants en tion Frank Catania et associés a raflé des matière d’éthique. Par exemple, des 46


Éthique publique

Le maire Gérald Tremblay, aux côtés de Frank Zampino.

contrats de plusieurs millions de dollars auprès de la Ville de Montréal et de plusieurs municipalités de la Rive-Sud. Frank Catania est un homme d’affaires respectable, qui contribue généreusement à des œuvres de charité. Comment, alors, expliquer des fréquentations aussi curieuses ? Il n’a pas répondu aux questions de La Presse. Mais son fils Paolo, qui a pris sa succession à la tête de son entreprise, a indiqué que Rizzuto et son père sont tous deux des paysanni originaires de la petite ville sicilienne de Cattolica Eraclea, d’où les vieux sentiments d’amitié. Le nom de Frank Catania est vite revenu dans l’actualité, cette fois en raison de transactions elles aussi insolites

avec la Société d’habitation et de développement de Montréal (SHDM), une espèce de créature bureaucratique qui sert de bras immobilier à la Ville. L’entreprise avait acheté un vaste terrain appartenant à la Ville. L’évaluation municipale était de 31 millions de dollars mais, s’appuyant sur une évaluation marchande de 19 millions et invoquant un niveau prétendument élevé de contamination, la SHDM le lui avait vendu pour 4,4 millions. De surcroît, la SHDM a engagé la Ville à assumer une bonne partie des frais pour les rues, les trottoirs, les tuyaux d’eau et d’égout et a accordé un prêt d’une quinzaine de millions de dollars à l’acheteur. En vertu de son programme Accès condos, elle a 47


L’état du Québec 2010

aussi promis d’acheter les condos que ne réussirait pas à vendre l’entrepreneur. un monstre bureaucratique Frank Catania, son fils Paolo et leur entreprise ont déposé une poursuite en libelle de 24 millions de dollars quand La Presse a qualifié ces conditions d’ « avantageuses ». Le tribunal décidera si ce terme est exagéré et diffamatoire. Quoi qu’il en soit, le reportage a mené à une enquête du vérificateur général de la Ville, à la suspension du directeur général de la SHDM, Martial Fillion, puis au départ de son directeur adjoint, Jean-Guy Bertrand. Le vérificateur a trouvé tellement d’anomalies – par exemple la disparition des soumissions déposées par d’autres entrepreneurs – qu’il a transmis son dossier à la Sûreté du Québec (SQ). L’affaire était une véritable boîte de Pandore. Plusieurs journalistes ont ainsi découvert que l’administration municipale avait privatisé en douce la SHDM, qui gère une bonne partie des actifs immobiliers de la Ville, d’une valeur approximative de 300 millions de dollars. L’opération avait été orchestrée par le directeur des affaires corporatives de la Ville de Montréal, Robert Cassius de Linval. Les services juridiques de la Ville l’avaient prévenu que le changement des statuts de la SHDM était illégal. M. Cassius de Linval n’a pas tenu compte de leur avis. À l’abri des regards, la SHDM a conclu plusieurs ententes avec d’autres 48

promoteurs. Eux aussi ont pu acheter des terrains et des bâtiments de la Ville ou signer des contrats dans des conditions qui ont fait sourciller le vérificateur général. Parmi eux : Vincent Chiara, un avocat bien connu, qui a déjà défendu la famille mafieuse CuntreraCaruana et qui s’est depuis recyclé dans les activités immobilières. Un autre nom a fait surface, celui de Tony Accurso. Certains soutiennent qu’il est le roi de la construction du Québec. Il dirige, possède et contrôle un nombre impressionnant d’entreprises comme Construction Louisbourg, Simard-Beaudry et la firme Gastier. Avec le temps, il a établi des relations très étroites avec des hommes politiques et des dirigeants de la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ), plus particulièrement avec la FTQ Construction et le Fonds de solidarité FTQ. Il s’est associé à Dessau, la deuxième firme d’ingénieurs au Québec, dans de nombreux contrats. En 2007, la SHDM a acheté un terrain à la Ville de Montréal pour 733 000 $, dans l’arrondissement de Saint-Laurent, et l’a revendu pour un dollar symbolique (et autres conditions) à Construction Louisbourg. C’était là du menu fretin pour Tony Accurso. Bien plus important était le contrat de 356 millions de dollars conclu à la même époque avec l’administration du maire Tremblay pour installer des compteurs d’eau dans les immeubles industriels, commerciaux et institutionnels.


Éthique publique

Que d’eau ! La Ville a estimé que ses propres professionnels n’avaient pas la compétence requise pour gérer le contrat, ni même le processus d’appel d’offres. Elle a donc confié un mandat à BPR, une autre firme d’ingénieurs qui a déjà été partenaire de Dessau. Au départ, le projet devait se limiter à installer des compteurs d’eau et coûter seulement quelques dizaines de millions de dollars. Mais il a rapidement pris de l’ampleur, pour englober tout le réseau d’eau, hormis les usines d’épuration. Plusieurs entreprises se sont montrées intéressées, mais elles ont toutes été écartées. Pour des raisons inconnues, un consortium formé par les firmes SNC, Gaz Métropolitain et Suez a décidé à la dernière minute de retirer sa soumission. Deux consortiums sont restés sur les rangs : le premier formé par Catania (qui avait acheté les terrains de la Ville ci-haut mentionnés) et le groupe SM ; le deuxième formé par Simard-Beaudry (de Tony Accurso) et la firme Dessau. C’est ce dernier consortium, nommé GENIeau, qui a raflé le contrat. L’homme fort de l’administration Tremblay était Frank Zampino, président du comité exécutif de la Ville et maire de Saint-Léonard. Alors que la Ville négociait l’octroi du contrat des compteurs d’eau, M. Zampino est allé en croisière sur le luxueux yacht de Tony Accurso dans les Caraïbes. Puis, quelques mois après avoir démissionné de

son poste de président du comité exécutif, il a été embauché par la firme Dessau, partenaire d’Accurso dans le contrat des compteurs d’eau, à titre de vice-président, pour un salaire annuel de 400 000 $. Robert Abdallah, qui avait quitté ses fonctions de directeur général de la Ville avant le départ de M. Zampino, est devenu le patron de la firme Gastier, qui appartient à Tony Accurso. Gastier a ensuite été « certifiée » par la Ville de Montréal, avec d’autres sociétés, pour préparer la tuyauterie des immeubles en vue de l’installation des compteurs d’eau. Yves Provost, le haut fonctionnaire qui avait piloté le projet des compteurs d’eau, a été embauché par la firme BPR, laquelle avait été mandatée par la Ville pour gérer la réalisation de ce projet. En vertu du contrat, l’achat et l’installation de compteurs d’eau coûtaient de deux à trois fois plus cher à Montréal qu’ailleurs. Des experts ont montré que tout le volet d’optimisation du réseau était inutilement compliqué et coûteux. Le vérificateur général s’est étonné que des rencontres secrètes aient été planifiées entre des membres de l’administration municipale et des partenaires d’affaires. Là aussi, il s’en est référé à la SQ. Au bout du compte, le maire, Gérald Tremblay, a annulé le contrat. Le directeur général de la Ville, Claude Léger, et le directeur des affaires corporatives, Robert Cassius de Linval, ont dû démissionner. 49


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Beaucoup d’informations circulent, mais il est périlleux de les publier. Des sources sûres parlent, mais demandent la confidentialité. Elles refuseraient de témoigner en cour. Des documents, pourtant fiables, ne pourraient pas être déposés dans un tribunal. Nous ne pouvons donc pas entrer dans les détails et encore moins divulguer les noms des personnes et des entreprises corrompues ou corruptrices. Les allégations sont graves. Des policiers, des enquêteurs du Bureau de la concurrence du Canada, des fonctionnaires et des hommes d’affaires affirment qu’il existe un club d’entrepreneurs qui se partagent les gros contrats de travaux publics. Ce système coûte très cher à la société. Des données issues d’une étude de Transports Canada ont montré que la construction d’une chaussée d’autoroute urbaine à deux voies coûte 50 % de plus au Québec que dans le reste du Canada. L’écart avec l’Ontario est La construction d’une autoroute coûte 50 % de plus moins important, mais quand même significatif, avec une différence de 20 %. au Québec que dans le reste Chaque année, les Montréalais et les du canada. Québécois payent des centaines de millions de dollars en trop pour des routes demandé des crédits supplémentaires souvent mal construites ou carrément au gouvernement du Québec pour créer inutiles. Autant d’argent qui ne va pas une escouade spéciale. Le gouverne- dans les services publics essentiels. ment a donné suite à sa demande mais, au moment d’écrire ces lignes, il refuse note toujours la tenue d’une commission 1. « Municipal corruption in Canada. Water and grime. Montreal’s mayor under pressure », The d’enquête publique. Economist, 25 juin 2009. Des enquêtes en série La SQ a été inondée de demandes d’enquêtes. L’une d’elles a été déclenchée après les dénonciations de l’entrepreneur qui avait obtenu le contrat de rénovation du toit et des façades de l’hôtel de ville. Il a dit qu’un membre connu de la mafia lui avait réclamé 40 000 $, une somme prétendument destinée à deux membres de l’administration Tremblay. En échange, l’entrepreneur aurait pu continuer à travailler sur son chantier. Le directeur général de la SQ, Richard Deschesnes, a déclaré que, « de mémoire de policier », il n’avait jamais vu autant d’enquêtes sur des allégations de corruption dans la métropole. Il s’est dit tellement « préoccupé » par l’infiltration du crime organisé dans l’économie légale, et plus particulièrement dans l’industrie de la construction, qu’il a

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consolider la confiance entrevue avec andré c. côté Commissaire au lobbyisme de 2002 à 2009

L’institution du commissaire au lobbyisme a été créée en 2002 à la suite d’un scandale impliquant des actions de lobbyisme auprès d’un membre du gouvernement. en vertu de la Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme, le commissaire est chargé d’administrer un registre contenant des informations au sujet des différents lobbyistes œuvrant dans la sphère publique. il a en outre un mandat d’enquête, qu’il exerce notam notam-ment quand des allégations de lobbyisme illicite pèsent sur un titulaire de charge publique une fois son mandat terminé ou lorsque des activités de lobbyisme sont effectuées sans enregistrement.

L’état du Québec – Avec le recul, croyezvous que le fait de ne pas avoir assujetti toutes les municipalités dès 2002 à la Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme ait pu envoyer un mauvais message aux acteurs œuvrant à ce palier de gouvernement ? André C. Côté – Ma réponse à votre question est mitigée. Il faut se souvenir du contexte dans lequel cette loi-là a été adoptée et en particulier des événements que l’on a qualifiés d’affaires Bréard et Desroche, d’Oxygen 91. La loi a été préparée très rapidement, et les

municipalités ne l’ont pas vu venir. Elles y ont été assujetties, mais elles ne se sont pas senties visées par son application dans la mesure où les faits ayant mené à son adoption ne sont pas survenus en milieu municipal, mais concernaient la politique provinciale. En d’autres termes, cette loi a été imposée aux municipalités, mais celles-ci n’étaient pas en demande et se sont donc senties moins interpellées. ÉDQ – Est-ce que, selon vous, le Commissaire au lobbyisme dispose actuelle51


L’état du Québec 2010

Commissaire au lobbyisme du Québec

ment de ressources administratives suffisantes pour appliquer cette loi ? A. C. C. – Parce qu’elle vise à changer les mentalités et les façons de faire, il faut, pour la faire appliquer, des outils autres que la répression. Évidemment, on pourrait investir des sommes considérables dans l’institution du Commissaire au lobbyisme et multiplier, par exemple, les ressources d’enquête. Mais on a surtout cherché à mettre en place un processus didactique pour amener les administrations publiques à prendre conscience que la loi existe pour consolider la confiance que les citoyens leur accordent. Je pense que c’est beaucoup plus comme cela que cette loi doit fonctionner que par la multiplication d’inspecteurs, de poursuites et de situations controversées. Quand on fait prendre

André C. Côté 52

conscience aux administrations publiques qu’elles ne sont pas censées ignorer la loi et que la loi en question garantit aux citoyens une transparence nouvelle, il est dans leur devoir d’intégrer le droit des citoyens à être informés sur les réseaux d’influence qui gravitent autour des corps publics. Quant à la loi ellemême, les délais de prescription sont beaucoup trop courts eu égard à la complexité des enquêtes que nous menons. Ceux-ci devraient à mon sens être étendus pour permettre au Commissaire au lobbyisme de mener des enquêtes beaucoup plus efficaces lorsqu’il y a des raisons de croire que la Loi n’a pas été respectée. Actuellement, on ne peut pas poursuivre quelqu’un au pénal pour des infractions qui remontent à plus d’un an. C’est beaucoup trop court ! ÉDQ – Combien d’enquêteurs travaillent pour le Commissaire au lobbyisme ? Ce nombre a-t-il augmenté depuis 2005 et est-il suffisant pour couvrir les 1 113 municipalités du Québec ? A. C. C. – Cette année, au moment du budget, j’ai demandé à ce que deux enquêteurs supplémentaires soient embauchés. Cela a été accepté par le Bureau de l’Assemblée nationale. Nos ressources ont donc augmenté. Vous savez, quand on accueille de nouvelles personnes, il faut du temps pour les former, car la loi qu’elles doivent faire appliquer est très particulière. Quand on engage un enquêteur, il n’est pas


Éthique publique

fonctionnel du jour au lendemain. Il faut leur faire prendre connaissance de toutes les subtilités de la Loi. ÉDQ – Pensez-vous que les restrictions concernant les titulaires de charges publiques sont suffisantes ? A. C. C. – Jusqu’ici, je parlais du devoir qu’ont les administrateurs publics de s’assurer qu’ils ne font pas affaire avec des lobbyistes qui ne respectent pas la Loi. Maintenant, celle-ci impose aussi des restrictions à certains titulaires de charges publiques de haut rang afin de les empêcher de mener des activités de lobbyisme au terme de leur mandat – ces restrictions peuvent durer de un à deux ans. Comme on est encore dans la phase d’implantation de la Loi, je vois mal la pertinence de soulever une nouvelle controverse en prolongeant de façon substantielle la période de restriction d’après-mandat. Commençons par nous assurer que les dispositions en place soient respectées. S’il y a lieu, on pourra toujours augmenter les délais de prescription par la suite. ÉDQ – Comment qualifiez-vous le déni de la Loi par certains groupes de professionnels aux échelons municipal et provincial dans divers projets ? A. C. C. – J’ai soulevé cette question à quelques reprises. Dans les milieux professionnels, disons que la Loi est perçue de façon très négative. Les gens n’aiment pas être étiquetés comme lobbyistes et ne se présentent pas

comme tels. Lorsqu’on se trouve face à des professionnels comme des avocats ou des ingénieurs-conseils et qu’on les informe que dans certaines de leurs pratiques, ils agissent parfois comme des lobbyistes, ça provoque des réactions pas toujours ouvertes et favorables. Je pense qu’il y a encore beaucoup de travail de sensibilisation à faire dans ces milieux et j’ai déploré la passivité, sinon le caractère réfractaire, de certains ordres professionnels, particulièrement du génie-conseil. C’est criant, car on n’a jamais eu à l’horizon autant de grands chantiers de travaux publics, et les relations entre les grandes firmes de génie et les pouvoirs publics sont intenses. Et ma présomption est qu’il existe un lobbyisme non déclaré.

Les gens n’aiment pas être étiquetés comme lobbyistes et ne se présentent pas comme tels. ÉDQ – Le grand nombre de municipalités de petite taille au Québec engendre-t-il plus de problèmes concernant le respect de la loi ? A. C. C. – Oui ! Dans les petites municipalités, on croit à tort que le lobbyisme est une affaire du « grand gouvernement ». J’ai fait une campagne d’information à ce sujet, particulièrement dans le cadre du développement éolien. La fragmentation des collectivités locales 53


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apporte une difficulté supplémentaire en ce qui concerne le contrôle, car plus le nombre de petits gouvernements locaux est important, plus il est difficile de s’assurer du respect de la Loi en raison de la multiplication des occasions d’effectuer des activités de lobbyisme interdites.

amener à reconnaître, de façon beaucoup plus marquée, que les citoyens ont des droits à l’égard desquels les élus sont imputables. Il y a donc à mobiliser les administrations publiques. Je pense que c’est le message le plus important que j’ai cherché à « cristalliser » dans mon dernier rapport annuel. Propos recueillis par Christian Bordeleau

ÉDQ – Comment voyez-vous l’avenir note de la Loi ? A. C. C. – Elle arrive à maturité. Dans 1. Roy, Hugo, et Louise Campeau, « Le cas Oxy9 », note de recherche, École nationale le milieu municipal, on doit s’asseoir gène d’administration publique, 2007. En ligne : avec les élus et l’administration locale http ://archives.enap.ca/bibliotheques/2008/ pour voir comment on pourrait les 02/030017440.pdf

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éthique acrobatique guillaume bourgault-côté Journaliste, Le Devoir

L’année politique à l’échelon provincial a été émaillée de plusieurs scandales : conflits d’intérêts dans les cas des ex-ministres couillard et Whissel, détournement de l’argent des Fier, parachuparachutes dorés pour les dirigeants de certaines entreprises publiques… point commun de toutes ces affaires : une notion très élastique de l’éthique, où toutes les acrobaties sont permises.

Pendant cinq ans, Philippe Couillard a été le portrait type du politicien compétent et efficace. L’homme à la barbe grise bien taillée guidait habilement la barque d’un ministère autrement périlleux, celui de la Santé et des Services sociaux. Son leadership naturel et sa sincérité en faisaient le plus populaire des membres du gouvernement. C’était le « bon docteur Couillard ». Mais la belle réputation de l’ex-neurochirurgien en a pris pour son rhume dans les mois qui ont suivi sa retraite politique, annoncée fin juin 2008. Aux journalistes qui l’interrogeaient à l’époque, Philippe Couillard jurait ne pas savoir ce qui l’attendait à partir de ce moment – hormis des voyages de pêche plus fréquents. Il se disait libre comme l’air.

À peine deux mois plus tard, M. Couillard annonçait avoir été embauché par le fonds Persistence Capital Partners (PCP), propriétaire des cliniques privées Medisys. L’ancien ministre devenait conseiller pour un groupe dont le mandat comprend le développement des soins de santé privés au Canada. Les accusations de conflit d’intérêts sont alors immédiates : le Parti québécois (PQ), par la bouche du député Bernard Drainville, dénonce notamment le fait que le « parrain des initiatives favorisant l’essor du privé » en santé se soit « placé dans une situation où il [allait] pouvoir en profiter personnellement1 ». Mais ces critiques ne sont que des vétilles comparées à ce qui se dit et 55


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et publics2 » unit les deux parties, dit-il. Le 17 mai 2008, un protocole d’entente est signé, et Philippe Couillard est officieusement engagé. Plusieurs noteront que durant les négociations, le ministre a fait élargir la liste des traitements médicaux spécialisés pouvant être dispensés dans des cliniques privées.

L’ancien ministre de la Santé, Philippe Couillard.

s’écrit en mars 2009, quand le commissaire au lobbyisme du Québec, André C. Côté, révèle que le ministre a négocié son transfert au privé bien avant de quitter ses fonctions politiques. On apprend dans le rapport du commissaire que M. Couillard a pris la décision de quitter la vie politique à la fin de 2007. Grâce à un chasseur de têtes, il rencontre les gens de PCP à la mi-mars 2008. Deux semaines plus tard, le ministre relance lui-même un représentant de la compagnie, qui lui fait une offre formelle à la mi-avril. M. Couillard la juge intéressante : une « communauté de vues sur les services de santé privés 56

Whissell aussi Philippe Couillard ne sera toutefois pas le seul à figurer au tableau provincial des écorchés de l’éthique politique : son collègue David Whissell, ministre du Travail, obtient lui aussi une mention. Dans son cas, c’est la saga de l’asphalte qui le force à remettre sa démission. En mai 2009, Radio-Canada révèle en effet que la valeur des contrats accordés par le ministère des Transports du Québec à la compagnie Asphalte Béton Carrière Rive-Nord (ABC) a plus que doublé depuis la nomination de David Whissell à un poste de ministre, en 2007. Or, ce dernier détient une participation de 20 % dans cette entreprise. Comme cette participation est mise — depuis 2005 — dans une fiducie sans droit de regard, le ministre jure ne pas être au courant des activités d’ABC. N’empêche : l’opposition soupçonne un conflit d’intérêts. En septembre 2009, Radio-Canada apporte de nouveaux éléments à l’histoire : selon la société d’État, le ministère des Transports a attribué sans appel d’offres deux contrats totalisant plus de 800 000 $ à ABC. Et l’un de ces contrats – d’une valeur de 564 000 $ – portait sur


Éthique publique

la réfection de routes dans la circonscription d’Argenteuil, celle de M. Whissell. Le gouvernement réplique que les règles ont été suivies, mais le mal est fait. Chroniqueurs, éditorialistes et opposition politique demandent au ministre du Travail de choisir entre l’asphalte et son ministère. Jean Charest, jusqu’alors très souple sur la question de l’éthique, se range aussi à cette option et demande à David Whissell de faire un choix. « L’apparence d’intégrité du gouvernement est tout aussi importante que l’intégrité elle-même3 », explique le premier ministre. Le jurisconsulte de l’Assemblée nationale semble d’accord : « Même si les intérêts du député sont placés dans une fiducie sans droit de regard, l’octroi d’un contrat de gré à gré pourrait laisser percevoir que l’ombre du député n’est pas étrangère au fait que le contrat a été accordé à l’entreprise en question, ce qui pourrait générer un conflit d’intérêts », écrit Claude Bisson dans un avis4. David Whissell décide donc de quitter le cabinet le 9 septembre. Des normes éthiques au cas par cas Actuellement, les règles que doivent observer les ministres sont édictées par le premier ministre – et elles se sont avérées assez flexibles : si le code ne convient pas à la situation d’un ministre, on adapte le code. C’est ce qui s’est passé en 2003 quand une directive a été modifiée pour permettre à la conjointe de Sam Hamad, propriétaire d’une

entreprise de traiteur, de continuer à faire affaire avec l’État. En 2007, c’est David Whissell que Jean Charest a accommodé en modifiant les règles pour lui permettre de conserver ses actions dans ABC. C’est de nouveau le cas en mars 2009 : cette fois, Jean Charest assouplit les normes pour permettre à Pierre Arcand, ministre des Relations internationales, de détenir des intérêts dans l’entreprise Métromédia Plus… même si elle fait directement affaire avec le ministère dirigé par le ministrepropriétaire. La seule condition : se conformer aux « mesures jugées suffisantes » par le premier ministre.

L’apparence d’intégrité est tout aussi importante que l’intégrité elle-même. Dans La Presse du 30 avril, le chroniqueur Vincent Marissal souligne que « l’arbitraire est aux commandes » en ce qui concerne l’éthique au sein du gouvernement Charest. Le même jour, son collègue Michel David se demande dans Le Devoir comment les directives du premier ministre peuvent être moins exigeantes que la Loi sur l’Assemblée nationale – loi à laquelle les ministres, également députés élus, sont censés se conformer. M. David rappelle alors quelques cas récents pour conclure que M. Charest fait preuve d’une « désinvolture saisissante » en matière d’éthique. 57


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Le dossier David Whissell obligera Jean Charest à raffermir quelques règles en septembre 2009. Mais ce n’est pas suffisant, disent les observateurs : il faut un code d’éthique en bonne et due forme, géré par un commissaire à l’éthique. un code pour 2010 ? Cette idée n’est pas nouvelle : Bernard Landry avait promis de la mettre en œuvre en 2002, mais il s’est finalement arrêté à la création d’un poste de commissaire au lobbyisme. Jean Charest a repris le flambeau durant la campagne électorale de 2003, mais le dossier ne s’est pas matérialisé avant 2009. Le projet de loi 48 est finalement déposé le 14 mai : il prévoit la création d’un code d’éthique et d’un poste de commissaire à l’éthique. Il prévoit également que tout député – et non plus seulement les ministres – soit obligé de remettre au commissaire une déclaration de ses intérêts personnels et de ceux de sa famille immédiate. Au besoin, le commissaire aurait le pouvoir d’exiger que le député corrige la situation dans un délai de six mois, par exemple en le forçant à se départir de ses intérêts dans une entreprise transigeant avec l’État. Au minimum, ces intérêts devraient être placés dans une fiducie sans droit de regard. Une déclaration obligatoire des cadeaux reçus par un élu serait aussi dorénavant exigée. Le commissaire à l’éthique aurait un pouvoir d’enquête et il relèverait de l’As58

semblée nationale ; il pourrait imposer des sanctions aux députés fautifs, sanctions pouvant aller jusqu’à la perte de leur siège. Le « premier ministre ne [serait] plus juge et partie », fait ainsi remarquer Jacques Dupuis, ministre de la Sécurité publique, lors de la présentation du projet de loi. Le projet de loi 48 est toujours à l’étude en commission parlementaire au moment d’écrire ces lignes : si la nécessité de son adoption fait consensus, plusieurs détails accrochent encore. Lors des audiences, le Barreau du Québec a notamment fait valoir que le mandat du commissaire devrait être de 10 ans au lieu de 5, de manière à assurer son indépendance. Le commissaire au lobbyisme, lui, a fait part de certaines craintes au sujet de l’harmonisation avec la Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme5. Mais si utiles soient-ils, un commissaire à l’éthique et un code officiel ne règleront pas tout d’un coup de baguette magique, prévient Luc Bégin, directeur de l’Institut d’éthique appliquée de l’Université Laval. « C’est bien de mettre en place des mécanismes de contrôle et des barrières solides, dit-il. Actuellement, les garde-fous ne sont pas suffisants. Mais tant qu’on ne travaillera pas – avec des formations – sur la qualité du jugement des personnes qui occupent des charges publiques, nous n’avancerons pas beaucoup. Il y a une culture politique qui est profondément ancrée


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et qui ne disparaîtra pas du jour au lendemain. » De drôles de Fier Un autre dossier a révélé quelques failles dans le système en 2009 : celui des Fonds d’intervention économique régionaux (FIER), qui ont fait les choux gras du député péquiste François Legault et les jours sombres du ministre du Développement économique, Raymond Bachand, au début du mois de mai. Un FIER est un système d’investissement dans lequel le gouvernement injecte 2 $ quand le privé en investit 1. En principe, il est là pour soutenir l’économie de la région où il a été créé : 50 % des sommes qui sont placées doivent ainsi être réinvesties dans la région d’origine. Mais cette règle est souvent bafouée : Investissement Québec calcule que 20 % des FIER ne la respectent pas. François Legault révélait d’ailleurs à la mi-avril que les gestionnaires d’un FIER créé au Saguenay ont plutôt investi les millions reçus à Montréal, dans des entreprises appartenant en partie à deux des trois administrateurs du fonds, des sympathisants libéraux notoires. Plusieurs autres irrégularités apparentes ont été mises en lumière par le PQ et l’Action démocratique du Québec (ADQ). La situation a ainsi été jugée assez préoccupante pour que le vérificateur général du Québec mène une enquête spéciale sur la question. Son rapport, déposé au début décembre, a

notamment révélé que, à 23 reprises, des administrateurs ont déclaré avoir un intérêt dans le projet visé, mais ne se sont pas retirés au moment du vote, ce qui viole les directives éthiques. À la liste des controverses liées à l’éthique, il faut aussi ajouter les déboires de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ). En janvier, on apprenait ainsi que l’ancien président de la Caisse, Henri-Paul Rousseau, a reçu une prime de départ de 380 000 $ lorsqu’il a quitté ses fonctions pour rejoindre le groupe Power Corporation, en août 2008. L’annonce de cette prime a soulevé un large tollé : la Caisse n’a-telle pas connu en 2008 une annus horribilis, accusant des pertes de 39,8 milliards de dollars ? On observe, aussi bien

La cDpQ a connu en 2008 une annus horribilis, horribilis, accusant des pertes de 39,8 milliards de dollars. à droite qu’à gauche de l’échiquier politique, que M. Rousseau a quitté volontairement la CDPQ avant la fin de son mandat, juste au moment où une crise financière majeure pointait le nez. Et qu’il a touché une rémunération de 1,8 million de dollars en 2007. Dans le contexte, la prime paraît gênante. Les politiques de rémunération de la CDPQ font aussi couler de l’encre en mars : il est révélé que le contrat du 59


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nouveau président, Michael Sabia, prévoit une rente à vie de 235 000 $ par an après un seul mandat de cinq ans, ainsi qu’une généreuse prime de départ. Cette fois, la pression populaire incitera M. Sabia à renoncer à ces conditions avantageuses.

comptes soient rendus, on refuse une certaine attitude paternaliste de la part des gouvernements. » N’empêche : ce regard plus aiguisé ne prévient pas tout. D’où l’idée de renforcer les garde-fous comme le projet de loi 48 propose de le faire pour les parlementaires. Le débat se poursuit à l’Assemblée Des prérogatives élastiques nationale autour de la question. Mais En apparence, les tractations de Phi- comme le notait le chroniqueur du Soleil lippe Couillard, l’asphalte de David Gilbert Lavoie en septembre 2009, « il Whissell, les FIER détournés ou les serait tout de même ironique qu’après primes accordées malgré des bilans avoir imposé des règles de transparence dans le rouge (dans les universités, et de déontologie au monde municipal notamment) ne présentent pas grand- [le rapport de Florent Gagné sur l’éthichose en commun. Mais il y a bel et bien que et la démocratie municipale6], le un fil, dit Luc Bégin, un fil qu’on gouvernement du Québec soit incapable retrouve dans toutes les polémiques de s’entendre avec les partis d’opposiliées à l’éthique : celui d’une mauvaise tion pour doter les parlementaires des compréhension des limites de la fonc- mêmes règles7 »… tion occupée par l’élu ou le titulaire d’une charge publique. D’où l’image de notes l’élastique qu’on étire, qu’on étire, et 1. « Philippe Couillard au privé : des questions d’éthique », La Presse, 19 août 2008, p. A2. puis qui éclate. 2. « Ministre, il cherchait un emploi », Le Devoir, C’est ce qui s’est passé cette année. Et 18 mars 2009, p. A3. c’est ce qui se passera de plus en plus 3. « Jean Charest fait marche arrière », Le Devoir, souvent, ajoute Daniel Weinstock, phi- 10 septembre 2009, p. A3. 4. « ABC Rive-Nord devrait renoncer aux contrats losophe et directeur du Centre de sans appel d’offres du gouvernement », La Presse, recherche en éthique de l’Université de 16 septembre 2009, p. A9. Montréal. Non pas qu’il y ait tellement 5. En ligne : http ://www.commissairelobby.qc.ca/ plus de cas, mais les citoyens et les documents/File/memoire_projet_loi_no48.pdf Voir « Québec veut assainir la vie municipale », médias sont beaucoup plus attentifs à ce 6. La Presse, 15 juillet 2009, p. A2. qui se passe, dit-il. « Le regard de la 7. « Bye bye l’enquête publique ! », Le Soleil, société a changé, on demande que des 3 novembre 2009, p. 14.

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ces pratiques qui dénaturent l’état christian bordeleau Doctorant, School of Public Policy and Administration, Carleton University

L’année 2009 aura définitivement été l’année de l’éthique politipolitique. et pour cause. il faut remonter à 2002 et aux scandales1 qui ont mené à la création de l’institution du commissaire au lobbyisme pour retrouver une méfiance similaire quant aux décidécisions politiques et administratives. Les nouvelles affaires qui ont émaillé l’actualité ont mis en exergue les problèmes engendrés par l’application des préceptes du nouveau management public depuis 2003 au sein des gouvernements locaux et, particulièreparticulière ment, par le parasitage croissant des institutions publiques par de puissantes firmes de consultation.

Cette année, les histoires de malversations, de corruption criminelle, de conflits d’intérêts et de manquements moraux ont mené à plus de six enquêtes criminelles de la Sûreté du Québec, à deux enquêtes formelles du vérificateur général de la Ville de Montréal, à la création d’une escouade policière spéciale baptisée « Marteau », à des demandes générales pour la mise en place d’une commission d’enquête publique sur l’attribution de contrats, notamment à l’échelon municipal, à des firmes privées

– particulièrement dans les domaines du génie-conseil et de la construction – et à des enquêtes du ministère des Affaires municipales, des Régions et de l’Organisation du territoire (MAMROT), à Blainville par exemple. De plus, le Québec a assisté aux premières élections municipales de l’histoire dominées, un peu partout dans la province, par des questions d’éthique et de corruption. Finalement, le gouvernement du Québec a déposé un projet de loi pour réformer les mécanismes 61


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d’attribution des contrats par les gouvernements locaux – un projet en cours d’examen au moment d’écrire ces lignes. À l’échelon provincial aussi, moult enquêtes ont été ouvertes à la suite de révélations faites dans les médias. Ainsi, le Commissaire au lobbyisme enquête actuellement sur les agissements du député et ancien maire de Rivière-duLoup, Jean D’Amour, sur des allégations d’activités de lobbyisme. Le député et ex-ministre du Travail David Whissel, visé par des reportages au sujet des multiples contrats sans appel d’offre octroyés à ABC, sa compagnie d’asphaltage, a dû quitter son poste de ministre. Selon les médias, ces contrats accordés de gré à gré auraient permis à l’entreprise de doubler son chiffre d’affaires. La ministre des Transports, Julie Boulet, qui affirmait jusqu’à tout récemment que les firmes n’obtenaient aucun traitement de faveur de la part de son ministère, a été coincée par le rapport du vérificateur général pour des pratiques de collusion2. Le cadre législatif actuel Depuis 2002, le gouvernement provincial et les municipalités de plus de 10 000 habitants sont soumis indirectement à la Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme. En 2005, cette mesure a été étendue à toutes les municipalités. Le but premier de cette législation consiste en l’enregistrement obligatoire des personnes privées effectuant des activités de lobbyisme 62

auprès de titulaires de charges publiques visés par la Loi. Corollairement, cette législation vise à restreindre le lobbyisme d’après-mandat que les titulaires de charges publiques visés par la Loi peuvent être tentés d’exercer auprès des anciens collègues dès lors qu’ils occupent de nouvelles fonctions au sein de firmes transigeant avec les gouvernements. Ces dispositions de la Loi – difficiles à appliquer – visent les positions de pantouflage qui sont offertes aux anciens titulaires de charges publiques en raison de leurs « carnets d’adresses » et de leurs connaissances de la mécanique interne des institutions, et ce, à des fins de lobbyisme. Cette dernière disposition est faible dans le sens où elle ne permet pas un contrôle adéquat : les délais de prescription sont trop courts (le délai dont le commissaire dispose pour engager des procédures est actuellement d’un an), tout comme les périodes proscrivant le lobbyisme d’aprèsmandat (deux ans) ; de plus, le nombre d’enquêteurs est très limité. Tous ces facteurs font en sorte que, à notre connaissance, aucune accusation pénale n’a été menée à terme par le Commissaire à la suite d’une enquête que ce dernier aurait entreprise de lui-même – autrement dit, non pas à la suite de révélations médiatiques, comme c’est la norme actuellement. Lorsque l’on s’attarde aux autres règles visant à régir la conduite des ministres, on constate que le code d’éthique des membres du cabinet n’est


Éthique publique

en fait qu’un simple code d’honneur, d’application très élastique, administré à la discrétion du premier ministre, Jean Charest. Par exemple, le code a été remodelé spécialement pour accommoder le député David Whissel qui, au moment de sa nomination au Conseil des ministres, détenait des parts importantes dans l’entreprise d’asphaltage ABC. En ce qui concerne les députés n’ayant pas de charges exécutives, ils ne sont régis que par l’article 315 du Règlement de l’Assemblée nationale, qui vise la « Conduite d’un membre du Parlement ». Il s’agit d’un règlement de procédure interne qui est administré par les députés eux-mêmes et qui, à notre connaissance, n’a pas été utilisé, récemment, dans les dossiers d’éthique politique et de corruption. Quant aux gouvernements locaux, les élus municipaux décident entre eux de ce qui constitue une action non éthique, un conflit d’intérêts ou un acte de corruption. En effet, au moment d’écrire ces lignes, sur les 1 139 gouvernements municipaux du Québec, aucun n’avait mis en place de commission indépendante visant la régulation et la sanction de la conduite des élus municipaux œuvrant à temps plein ou à temps partiel. Tout au plus, quelques municipalités disposent de « motions » exprimant qu’une conduite intègre est recherchée et attendue, mais aucune sanction pénale n’y est attachée. Tout comme pour les membres du Cabinet, les membres des conseils municipaux ont des

interprétations très personnelles de l’éthique politique, et les motions ou règles informelles du maire, telle de la plasticine, sont ajustées aux besoins du moment.

aucune accusation pénale n’a été menée à terme par le commissaire à la suite d’une enquête entreprise de luimême. En ce qui concerne les fonctionnaires municipaux, ils sont généralement visés par des dispositions plus ou moins généreuses couvrant principalement les actions entreprises sous influence et qui se reflètent parfois par des écarts financiers, des malversations administratives et procédurales, des abus de confiance, des conflits d’intérêts et de la corruption criminelle. Certains de ces manquements peuvent être objectivés par les audits d’un vérificateur interne – lorsque le poste existe. Mais celui-ci ne peut mener que des enquêtes administratives très limitées. Les événements de l’année 2009 ont mis en exergue le fait que la majorité des municipalités recourent régulièrement aux services de firmes de consultation externes pour effectuer non seulement ces contrôles vitaux, mais aussi beaucoup d’autres actes de gouvernement – nous reviendrons sur les risques que cela comporte.

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L’état du Québec 2010

Les sommes en jeu dans le cadre des mégaprojets PPP sont énormes : 1,5 milliard de dollars, par exemple, dans le cadre du désormais caduc projet de reconstruction de l’échangeur Turcot.

un changement de paradigme Pour comprendre les problèmes éthiques de la gouvernance au Québec – et en particulier à Montréal –, il faut savoir que les gouvernements locaux ont été les premiers et les plus prompts à déléguer au marché privé des pans importants de leurs administrations. En effet, la soustraitance est, au fil des années, devenue de plus en plus populaire grâce à la rhétorique de la « bonne gouvernance ». La Banque mondiale a même applaudi à « la disparition du rôle de l’État local », conceptualisant « le secteur public municipal comme simple “fournisseur de moyens” pour les marchés3 ». À l’échelon provincial, la réingénierie de l’État du gouvernement Charest, notamment les partenariats public64

privé (PPP), a endommagé les fondations d’un service public reposant sur l’intégrité et le respect de processus bureaucratiques visant la protection de la démocratie. Le rejet des valeurs publiques au profit de valeurs privées a de facto créé un terreau fertile pour les malversations de toutes sortes. Cette logique, issue de consultants américains en management et que l’on tente de greffer aux administrations québécoises, est axée sur la rhétorique de l’efficience. Elle vise à favoriser la pénétration des acteurs privés au sein des gouvernements. Cette pensée n’est pas nouvelle. En effet, « l’idée que les activités de l’État doivent être gérées selon des principes d’économie n’était certes pas étrangère aux promoteurs de


Éthique publique

la bureaucratie, mais l’un des moyens de réaliser cet objectif consistait précisément pour eux à réformer une fonction publique inefficace 4 » parce que pénétrée par le patronage et rongée par une corruption résultant d’un manque bureaucratique. Pourtant, aujourd’hui, on voit le retour des « recrutements discrétionnaires » et d’une re-privatisation de services pour permettre l’entrée du privé dans des territoires d’où on l’avait pourtant chassé. L’idée selon laquelle « l’administration publique doit gérer les ressources humaines de la même manière qu’un entrepreneur privé » est également très populaire. C’est dans ce contexte que « la distinction public/privé tend à s’effacer5 ». Dangereusement, « cette fétichisation de la “productivité urbaine” suscite en réalité d’énormes pressions pour la privatisation des équipements et des services urbains, sans égard pour les conséquences ». Dans un contexte de changement de paradigme tel celui-ci, les problèmes éthiques ne peuvent que se multiplier alors que les contacts publics-privés augmentent6. Évidemment, la corruption n’est pas nouvelle, et ce, peu importe le niveau de gouvernement. Mais celle-ci est devenue de plus en plus raffinée7. Ce raffinement rend la détection des délits très difficile8. Néanmoins, la détection de certains types de problèmes reliés au lobbyisme s’améliore avec la mise en place d’institutions comme le Commissaire au lobbyisme.

Si plus d’élus se font prendre la main dans la « jarre à biscuit9 », ce n’est pas nécessairement parce qu’ils ont la dent plus sucrée. En effet, les élus sont plus éthiques qu’auparavant10. Avec le retour du patronage, l’application des techniques managériales du privé et la pénétration de plus en plus profonde du

La corruption n’est pas nouvelle, mais elle est devenue de plus en plus raffinée. marché dans l’administration, il y a plus de biscuits et même de « nouvelles mains » pour les tendre aux élus. L’ironie de la « débureaucratisation » Ainsi, un paradoxe extraordinaire se présente à nous. D’une part, la bureaucratisation de l’administration publique est survenue fortement aux États-Unis, au Canada et ailleurs au début du siècle pour assainir les gouvernements corrompus par de puissants intérêts privés – pensons aux exemples de Chicago, de New York, de Los Angeles, de Toronto, de Montréal, de Québec, d’Ottawa et de Washington. C’est ainsi que la construction d’une fonction publique permanente et compétente a permis de repousser la corruption qui gangrénait l’État pour finalement rendre ses agissements éthiques, grâce à la réduction importante des pouvoirs discrétionnaires et à 65


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l’élaboration de règles, de procédures et de protocoles d’opération. Pourtant, au cours des deux dernières décennies, on a assisté à une « débureaucratisation » nécessaire à la « re-pénétration » du privé et au retour du patronage. La débureaucratisation devait alléger les administrations publiques ; or, paradoxalement, on assiste à un nouveau phénomène de bureaucratisation, correspondant à l’apparition d’institutions dédiées à la régulation éthique des administrations et à leurs audits. Actuellement, selon les arrangements institutionnels dans lesquels ils baignent, les gouvernements locaux peuvent être relativement autonomes, donc peu surveillés. Le nombre effarant de municipalités où aucune opposition ne contrôle les pouvoirs importants de maires majoritaires régulièrement élus par acclamation (plus d’une personne sur deux en 2005 ou 4 905 « élus » municipaux11) n’est pas sain ; il l’est d’autant moins lorsque la couverture médiatique de qualité est faible ou inexistante en région.

que de la « bonne gouvernance ». Maintenant, les firmes puissantes peuvent se permettre d’offrir des salaires à six chiffres et des postes de pantouflage pour recruter à titre de lobbyistes d’anciens élus fédéraux, provinciaux et d’anciens maires, conseillers municipaux ou les directeurs généraux des gouvernements locaux qu’elles souhaitent parasiter. Deuxièmement, la nature contractuelle des ententes entre partenaires publics et privés crée une espèce de marché noir où la négociation des alinéas est très importante et laisse place à des tractations non éthiques, voire illicites. Troisièmement, ces ententes contractuelles sont plus fréquentes : les politiciens délèguent donc de plus en plus de tâches jadis réalisées par des fonctionnaires à des firmes amies, et cela implique des « retours d’ascenseur ». Quatrièmement, l’augmentation de mégaprojets de partenariat public-privé (PPP) suscite des pressions immenses sur les processus décisionnels : les sommes en jeu sont énormes (1,5 milliard de dollars dans le cadre du PPP, désormais Quand la culture du privé caduc, de reconstruction de l’échangeur gagne le public… Turcot) et les concessions, accordées Les pratiques contestables du secteur pour des durées très longues. Dans ces privé sont en augmentation, et cela a conditions, les entreprises privées sont des répercussions sur l’administration prêtes à employer des moyens plus publique. Premièrement, de très nom- agressifs pour obtenir un contrat. Elles breuses entreprises disposent aujour- ont d’ailleurs intérêt à le faire dans la d’hui, plus que jamais, des ressources mesure où le « fardeau éthique » repose nécessaires pour pénétrer les processus sur les épaules de l’administration publibureaucratiques affaiblis par la rhétori- que : elles ne sont pas directement res66


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ponsables des gestes non éthiques qu’elles posent ou font poser par des tiers. Finalement, l’implantation d’une culture de la performance laisse aux gestionnaires une très grande liberté de manœuvre et leur permet d’avoir peu de comptes à rendre sur les moyens utilisés; cela peut prendre plusieurs années avant que les problèmes soient découverts. De même, cette culture favorise un régime de « portes tournantes » entre l’administration publique et les intérêts privés, et cela contribue à insuffler les valeurs non éthiques du privé au secteur public. Par exemple, engager son fils l’été à la direction de son entreprise est valorisé au sein du privé, mais la même démarche au sein d’une municipalité ou d’un ministère relève du népotisme et est interdite. Avec la pénétration du marché dans la sphère publique, on assiste à l’importation d’une culture managériale incompatible avec les valeurs de service public où les processus bureaucratiques sont censés être considérés comme les « moyens légitimes et éthiques » d’arriver à une « fin » démocratique. notes

1. Roy, Hugo, et Louise Campeau, « Le cas Oxygène 9 », note de recherche, École nationale d’administration publique, 2007. En ligne : http :// a rchives.enap.ca / bibliot heques/2008/02/ 030017440.pdf

2. Robitaille, Antoine, « Collusion aux Transports – Julie Boulet jure qu’elle n’était pas au courant », Le Devoir, 19 novembre 2009. 3. Lire à ce sujet Christian Bordeleau, « Le maillage privé-public explique les problèmes éthiques », Le Devoir, 23 avril, 2009 et Mike Davis, Le pire des mondes possibles : de l’explosion urbaine au bidonville global, Paris, La Découverte, 2006, 249 p. 4. Dreyfus, Françoise, L’invention de la bureaucratie, Paris, La Découverte, 2000, 289 p. 5. Davis, Mike, Le pire des mondes possibles, 2006. 6. Bordeleau, Christian, « Le parasitage croissant des firmes de consultation », Le Devoir, 13 août 2008. 7. Stark, A., « Beyond quid pro quo : What’s wrong with private gain from public office ? », American Political Science Review, vol. 91, n° 1, 1997, p. 108-120. 8. Smith, Robert W., An Explanatory Study of State Ethics Commissions : A Grounded Theory Approach, Albany, State University of New York at Albany, 1998. 9. Rosenthal, Alan, Drawing the line : legislative ethics in the states, Lincoln, University of Nebraska Press, 1996. 10. Saint-Martin, Denis, « Conflict of interest and public life : cross-national perspectives », dans C. Trost et A. L. Gash (dir.), Cambridge/ New York, Cambridge University Press, xiii, 2008, 260 p.; Rosenthal, Alan, Drawing the line, 1996 ; Morgan, Peter W., et Glenn H. Reynolds, The appearance of impropriety : how ethics wars have undermined American government, business, and society, New York, Free Press, 1997. 11. MAMROT, Élection municipale 2005 : portrait de l’élection sans opposition, vol. 2, nº 1, 2007. En ligne : http ://www.mamrot.gouv.qc.ca/observatoire/obse_etud.asp

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contrats publics et pouvoirs privés Marie-claude prémont Professeure titulaire, École nationale d’administration publique (ENAP)

Les révélations et allégations de corruption, de dérapages ou de manque de rigueur dans l’attribution de contrats publics ont secoué depuis plus d’un an l’administration publique québécoise, dont aucune zone n’a été épargnée, depuis le secteur municipal jusqu’aux plus hautes sphères du gouvernement du Québec. Sommes-nous condamnés à l’impuissance ?

Non seulement la métropole et plusieurs villes de moyenne importance ont été durement touchées, mais également l’administration centrale, dont le ministère des Transports du Québec, qui a fait la manchette plus souvent qu’à son tour. Même le conseil des ministres est montré du doigt, ayant entériné les recommandations de l’Agence des partenariats public-privé en vue de l’attribution de contrats de PPP pour les Centres hospitaliers universitaires de Montréal (CHUM). Les analyses qui ont appuyé ces recommandations ont en effet été vivement critiquées pour leur manque de rigueur et de transparence par le vérificateur général du Québec 68

dans son rapport à l’Assemblée nationale pour l’année 2009-2010. Pendant ce temps, le gouvernement du Québec maintient sa position de rejet par rapport aux demandes pressantes pour jeter un peu de lumière sur les causes systémiques sous-jacentes, par la tenue d’une enquête publique. Québec a malgré tout dû réagir quant à la couverture médiatique tenace de la dernière moitié de 2009. La mise sur pied de groupes de réflexion et le dépôt de projets de loi en vue de modifier certaines règles pour imposer un encadrement éthique plus rigoureux visent-ils à calmer la tempête de l’opinion publique ou à apporter de réelles solutions durables ?


Éthique publique

L’occasion ferait-elle le larron ? Le programme d’investissements massifs dans la remise à neuf des infrastructures publiques du Québec est-il la source circonstancielle qui explique et alimente ces méfaits ? L’histoire canadienne comme l’expérience internationale démontrent que les marchés publics peuvent facilement devenir le talon d’Achille des pouvoirs publics. Le haut niveau de concentration de l’industrie permet aux pouvoirs privés de développer des techniques pour manipuler à son avantage les règles des marchés publics. La collusion entre gros joueurs de l’industrie, que ce soit dans le domaine de la construction, de la fourniture d’équipements ou d’autres biens, ou encore pour les services professionnels, peut permettre à l’industrie de gonfler les prix et de répartir les marchés publics entre les membres d’un club sélect. La collaboration d’acteurs publics avec les représentants de l’industrie permet certes de décupler les dommages, mais n’est pas toujours essentielle. Ces manipulations assujettissent l’intérêt public au profit d’intérêts privés et constituent une dimension déterminante des phénomènes à combattre. Le Québec a le devoir de protéger le secteur public québécois de telles manipulations. Il peut le faire en tablant sur trois axes : d’abord ne pas soumettre inutilement les marchés publics à la croissance forcée et contre-productive des marchés privés ; ensuite réduire les besoins de financement privé pour le

fonctionnement de la démocratie ; et enfin, mieux régir l’attribution des contrats publics. Le danger de la croissance forcée des marchés privés à même les services publics Il ne fait pas de doute que les vastes programmes d’investissements pour la remise à neuf des infrastructures publiques, lancés en synchronie par le fédéral, le Québec et les municipalités, créent une augmentation soudaine et marquée de l’ampleur des marchés publics. Mais on a pu observer en même temps deux autres phénomènes qui fragilisent sans doute davantage l’action publique : l’attribution de contrats de services professionnels qui touchent les compétences mêmes de l’administration publique et les contrats de PPP. D’abord, les grands ministères de travaux publics comme le ministère des Transports du Québec et certaines grandes et moyennes municipalités, dont Montréal, la métropole du Québec, ont remis entre les mains du secteur privé des pans entiers de leurs actions qui devraient normalement être prises en charge à l’interne. Par exemple, sans pour autant conclure à une relation directe de cause à effet, difficile à établir dans les systèmes complexes, le rapport du vérificateur général de Montréal illustre bien comment le scandale des compteurs d’eau de Montréal est survenu dans un contexte où l’ensemble du 69


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Travaux publics de voirie de l’autoroute 15, à Montréal.

processus de l’adjudication du contrat a été confié à une firme de génie conseil1. Ce processus « privatisé » de préparation et d’adjudication de contrat public s’est plus ou moins transformé en redéfini-

comment un organisme public peut-il s’assurer que la solution retenue satisfait le meilleur intérêt public ? tion de la politique de l’eau de l’agglomération de Montréal, ce qui, en soi, soulève un problème de fond. Un organisme public qui abandonne à une firme privée par contrat de services professionnels la définition de ses besoins, la préparation des documents d’appel de propositions et la gestion de 70

tout le processus devant mener à l’attribution d’un important contrat se place dans une situation de vulnérabilité. Comment l’organisme public peut-il s’assurer que la solution retenue satisfait le meilleur intérêt public s’il n’est pas en mesure de définir, d’évaluer et de contrôler le processus ? Les intérêts privés peuvent alors facilement influencer outre mesure les politiques publiques. Lorsque les firmes privées guident les pouvoirs publics au point où leurs recommandations et études se transforment presque automatiquement en décisions, elles usurpent les pouvoirs de la démocratie. Une administration publique qui ne dispose plus de ressources internes pour former son jugement propre se soumet aux pouvoirs privés et s’expose indûment à la corruption. Un organisme public qui donne à contrat la définition de ses pro-


Éthique publique

pres politiques publiques ne fait rien de moins qu’abandonner sa mission publique à des intérêts privés. La politique du gouvernement Charest en matière de PPP figure aussi au chapitre de la croissance néfaste et forcée des marchés privés à même les services publics, ce qui contribue également à fragiliser le rôle de l’administration publique. Le processus d’attribution des contrats des deux grands hôpitaux universitaires de Montréal du CHUM et du CUSM est particulièrement révélateur. Après avoir soutenu et vanté sur toutes les tribunes les avantages financiers de la formule PPP, le gouvernement a dû se plier aux diktats des consortiums privés retenus. En effet, à la suite d’un chantage et boycottage des travaux orchestré par les firmes privées, le gouvernement a accepté de modifier les règles du jeu. Les compensations pour les propositions non retenues ont été significativement accrues, mais surtout, les normes de partage de risques entre les deux partenaires ont été radicalement modifiées à l’avantage du partenaire privé. Ainsi, contrairement aux arguments avancés pour faire la promotion des PPP, le Québec devra avancer plus de 45 % des coûts qui devaient être financés au complet par le partenaire privé et remboursés sur une période de 30 ans. Le vérificateur général du Québec avait déjà souligné que les études financières de l’Agence étaient biaisées, mais avec la redéfinition tardive de la formule, l’Agence ellemême reconnait qu’aucun avantage

financier pour les contribuables québécois n’émanerait des PPP. Dans ce contexte, le contrat de PPP se révèle sous un autre jour, soit celui de véhicule pour imposer la croissance des marchés privés à l’intérieur même des services et accorder sous artifices une aide publique aux grandes firmes privées à la recherche de nouveaux marchés pour leur croissance propre. Le financement privé de la démocratie Le financement privé de la démocratie est une arme à double tranchant. Autant est-il important de permettre aux individus d’appuyer la mise sur pied et le financement de projets politiques, autant le flux d’argent privé est susceptible de corrompre les projets politiques au profit d’intérêts privés. Le retour d’ascenseur pour le financement des partis politiques par l’attribution de contrats publics doit être intégré dans l’analyse systémique de la corruption dans les marchés publics. Les normes québécoises en matière de financement des partis politiques ont été détournées par certaines ruses. Ces règles doivent être revues et le tir rectifié afin de fermer le robinet des enveloppes brunes, des contributions d’entreprises déguisées en dons d’employés ou dons anonymes. Plusieurs suggestions ont déjà été avancées, comme les contributions filtrées par les déclarations fiscales des individus et l’augmentation de la part du financement public des partis politiques. 71


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Il faut maintenant s’atteler sérieusement à cette question qui empêche les normes en matière d’adjudication des contrats de remplir leur rôle. Les règles d’adjudication des contrats L’administration publique québécoise, autant à l’échelle provinciale que municipale et scolaire, est soumise aux règles d’attribution des contrats publics selon une procédure transparente d’appel d’offres publiques ou d’invitation à soumissionner, au-delà de certains seuils de valeurs des contrats. Ces règles, conçues pour limiter les risques de copinage, tablent sur le bon fonctionnement de la concurrence pour générer le meilleur rendement pour les fonds publics. L’absence de réelle concurrence fait perdre au mécanisme son intérêt, tout en donnant libre cours aux stratégies de manipulations des marchés publics par les entreprises. Ces règles d’adjudication des contrats publics sont-elles suffisantes pour prévenir et éradiquer les problèmes soulevés ? Devraient-elles être révisées de façon significative ou suffit-il de revoir leur application et mise en œuvre, comme le suggère le rapport Gagné2 qui s’est penché sur la question dans le domaine municipal ? Lorsqu’un problème atteint l’ampleur de celui qui se dessine à l’échelle du Québec, il est contre-productif de réduire le diagnostic à une simple méconnaissance de la loi, en arguant 72

qu’une meilleure formation des élus et fonctionnaires aux prescriptions déontologiques et éthiques permettrait de résorber les dérapages. Sans nier l’importance de la formation, il serait plus utile de poser l’hypothèse inverse, à savoir qu’une bonne connaissance des limites de la loi a permis le développement de systèmes de contournement à grande échelle. Les prescriptions législatives sont effectivement confrontées à des échappatoires systémiques qui ne peuvent relever du simple dérapage de comportements individuels. Sur la scène municipale, les dispositions législatives en matière de déontologie et des marchés publics bénéficient de plusieurs décennies d’application. Principalement inscrites à la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités3 et à la Loi sur les cités et villes4, ces dispositions sont essentiellement structurées autour du concept des conflits d’intérêts que doit éviter l’élu ou le gestionnaire. Trois catégories de mécanismes sont mises en œuvre. Le premier mécanisme interdit à l’élu municipal de détenir un intérêt dans un contrat avec la municipalité au cours de son mandat. Le second mécanisme fait la promotion de la transparence en imposant la divulgation des intérêts pécuniaires des élus, pendant que le troisième mécanisme soumet l’adjudication des contrats municipaux à la procédure d’appel d’offres publiques au-delà de 100 000 $.


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Même si ces mécanismes sont essentiels et doivent être resserrés, aucun ne permet directement de répondre aux faits complexes révélés par le rapport du vérificateur général de Montréal sur les compteurs d’eau. Les situations susceptibles d’engendrer des conflits d’intérêts directs ou indirects des acteurs publics doivent certes être évitées, mais les causes de cette affaire se cachent plutôt dans les deux premiers phénomènes relevés, soit la croissance forcée des marchés privés et sans doute également dans le financement privé de la démocratie municipale. Les garde-fous juridiques ont lamentablement failli à la tâche de protection de l’intérêt public dans l’attribution de ce contrat qui était pourtant le plus important de l’histoire de Montréal et pour lequel la vigilance des gardiens aurait dû être exemplaire. De plus, la sanction à un manquement des devoirs imposés aux élus se limite à une déclaration d’inhabilité à un poste électif municipal. L’élu récompensé d’avoir favorisé la conclusion d’un lucratif contrat par un entrepreneur qui le recrute par la suite à un poste privilégié de l’entreprise ne peut nullement être touché par la cible de ces sanctions : son intérêt se concrétise après son mandat, pendant que son passage à l’entreprise privée confirme que ses ambitions ne sont pas freinées par la sanction.

Le fragile équilibre des contre-pouvoirs De par leur nature, les marchés publics mettent en relation étroite les pouvoirs publics et les pouvoirs privés. La fraude et la corruption dans l’attribution de contrats publics confirment que les pouvoirs publics sont vulnérables aux manipulations par les pouvoirs privés. Aucune des mesures de protection présentes ou souhaitables soulignées plus haut ne peut donner de résultats sans une vigilance capitale du « troisième pouvoir » que représentent les médias qui sont souvent seuls capables de dénoncer et de révéler au grand jour les malversations qui peinent à sortir de l’ombre, coincées entre les pouvoirs publics et les pouvoirs privés. La démocratie ne doit jamais s’abandonner à l’impuissance. notes

1. Rapport du vérificateur général au conseil municipal et au conseil d’agglomération sur la vérification de l’ensemble du processus d’acquisition et d’installation de compteurs d’eau dans les ICI ainsi que de l’optimisation de l’ensemble du réseau d’eau de l’agglomération de Montréal, Montréal, octobre 2009. En ligne : http ://ville. montreal.qc.ca/pls/portal/docs/page/verificateur_fr/media/documents/rce_fr_21_10_2009. pdf. 2. Groupe de travail sur l’éthique en milieu municipal, Éthique et démocratie municipale, ministère des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire, Québec, 2009. 3. L.R.Q., c. E-2.2. 4. L.R.Q., c. C-19 ; ainsi que les dispositions équivalentes pour les municipalités régies par le Code municipal, L.R.Q., c. C-27.1. 73


Le piège de l’éthique Jean-Marc piotte Professeur émérite, Département de science politique, Université du Québec à Montréal (UQAM)

pierre-F. côté, directeur général des élections du Québec de 1978 à 1997, affirmait, au moment de son départ, que si les mœurs électorales s’étaient fortement bonifiées sur le plan provincial, elles demeuraient toujours pourries au plan municipal, surtout dans les petites villes non soumises au regard des médias. Depuis cette déclaration, la situation s’est détériorée à un point tel que la ville de Montréal et le gouvernement du Québec rejoignent dans la perversion de la démocratie les petites municipalités vilipenvilipendées par M. côté. comment en sommes-nous arrivés là ? La réforme électorale de René Lévesque voulait libérer les partis politiques de l’influence des bailleurs de fonds. Or, les gens de pouvoir ont à leur service des avocats et des comptables dont la fonction est de découvrir des trous dans les lois pour en contourner l’esprit en faveur des nantis. Le Parti libéral du Québec, mis au tapis par cette réforme qui neutralisait leurs amis argentés, trouva bientôt l’astuce : les dirigeants d’entreprise distribuaient des 3 000 $ à leurs cadres qui, eux, pouvaient « légalement » financer le parti et le leader favorisés par le boss. Le PQ aurait pu, lorsqu’il était à la tête du gouvernement, boucher 74

ce trou… Il s’en est abstenu, arguant de la difficulté de colmater cette brèche à la loi électorale. Pourtant, l’État aurait pu dénicher des avocats aussi judicieux pour obturer les failles que les avocats du pouvoir économique le sont pour les découvrir. Le PQ a préféré suivre les pratiques méandreuses de son vis-à-vis. Le choix du chef d’un parti, dans le cadre d’une course au leadership, n’est pas assujetti à la loi électorale. Aussi, dans les petites localités, le futur maire peut être poussé en avant par l’entrepreneur en construction qui, en échange de contrats à venir, finance sa campagne électorale. Pourquoi les gouvernements


Éthique publique

successifs n’ont-ils pas rendu illégales ces pratiques ? Depuis quelque temps, les ministres ne peuvent plus faire immédiatement du lobbyisme lorsqu’ils quittent l’État pour l’entreprise privée. Mais les relations louches de proximité entre les milieux d’affaires et les élites politiques ne se limitent pas à cette pratique. Philippe Couillard, quelques jours avant de démissionner de son poste de ministre de la Santé et des Services sociaux, n’avait-il pas annoncé à ses collèguesministres qu’il s’apprêtait à œuvrer dans une firme privée d’investissement en santé ? Guy Chevrette, après avoir occupé plusieurs ministères dans différents gouvernements péquistes, n’est-il pas devenu plus tard porte-parole du Conseil de l’industrie forestière ? Un poste de ministre sert souvent de porte d’entrée à un emploi lucratif dans l’entreprise privée. De plus, le va-et-vient entre le privé et le public de sous-ministres et de hauts cadres est un agissement si fréquent qu’il est entré dans les mœurs et ne choque plus personne. Il faut d’ailleurs prendre bonne note que cette confusion entre le privé et le public a été encouragée depuis les années 70 par un courant, venu des États-Unis, qui confie aux départements de gestion la formation des administrateurs publics qui relevait jusque-là de science politique. La promotion du bien commun, qui était traditionnellement l’objectif de l’État et de ses employés, a été subordonnée aux usages de l’entreprise privée

dont le moteur est le profit. Les programmes et l’enseignement de l’École de l’administration publique (ENAP) illustrent parfaitement cette triste dérive. L’entreprise privée est plus efficace que l’entreprise publique, dit-on. Il faut privatiser, dégraisser la fonction publique, confier aux firmes de génie-conseil et aux cabinets d’avocats la planification des projets, les appels d’offres, la réalisation des projets et le contrôle de leur qualité. Mais ces slogans néolibéraux, véhiculés par les disciples de l’Institut économique de Montréal, masquent une petite chose : le bien commun n’existe

La promotion du bien commun a été subordonnée aux usages de l’entreprise privée dont le moteur est le profit. pas pour les compagnies qui carburent aux biens privés, au profit. Appelés à s’alimenter à l’auberge étatique, les consultants, les cabinets, les firmes et les entreprises privées s’en sont mis plein la panse. Pourtant, un État qui respecte la distinction entre public et privé aurait dû conserver ses professionnels, les rémunérer convenablement et, pour un coût moindre, défendre le bien public contre la gloutonnerie des firmes. éthique et politique On carbure beaucoup à l’éthique, mot noble qu’on substitue à celui dévalué de 75


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morale. L’éthique est une branche de la philosophie qui cherche à justifier rationnellement la distinction qu’elle propose entre un bon comportement et un mauvais comportement, entre un comportement juste et un comportement injuste. L’éthicien, nouveau spécialiste dont la formation est parfois philosophique (la création d’un département universitaire d’éthique est prévisible…), dicterait aux chercheurs, aux politiciens et aux dirigeants économiques comment ils devraient se comporter pour être à la hauteur des normes qu’il édicte.

scientifique ou technologique, un pouvoir économique, un pouvoir administratif ou un pouvoir politique. Les hommes et les femmes sont moralement capables du meilleur et du pire. Ceux et celles qui sont mus par le désir de pouvoir sont sans doute davantage portés à y sacrifier leur conscience morale, s’ils en ont une. L’objectif d’un politicien est de prendre le pouvoir et de s’y maintenir ; l’objectif d’un dirigeant d’entreprise est le profit et sa croissance ; l’objectif d’un chercheur est les découvertes, même si leur usage peut être catastrophique (ex. l’énergie nucléaire). Machiavel ajouterait, dans une perspecun état qui respecte la tive utilitariste, que tous les moyens sont distinction entre public et bons et vertueux, s’ils permettent d’atprivé aurait dû conserver ses teindre l’objectif. Les éthiciens interprofessionnels, les rémunérer viennent contre cette morale utilitariste, convenablement. s’opposent à ce que la fin justifie les moyens et sermonnent les gens de pouLa mode de l’éthique répondrait au voir, en proposant une série de règles, relativisme moral engendré par la laïci- un code, où le choix des moyens serait sation de la société, par l’affaiblissement subordonné à un bien commun plus ou de l’identification des individus aux reli- moins bien défini. gions instituées. Il est vrai qu’un hédoLe code d’éthique semble remettre nisme mou, alimenté par un consumé- aux mains des spécialistes la conscience risme encouragé par le marketing et les morale dont seraient dépourvus les gens campagnes de publicité, s’est substitué à de pouvoir, soit par ignorance, soit par des morales religieuses plutôt étroites. intérêt. Or la conscience morale, qui est Mais cette explication, qui semble évi- toute intériorité, ne s’exporte pas, même dente, masque l’essentiel : les éthiciens, si elle peut être soumise à des influences qui fabriquent des codes sur mesure, ne extérieures. La multiplication des éthicherchent pas, en imitant les prêtres de ciens masque ainsi leur impuissance. diverses confessions, à régir le peuple ou Cependant, le code d’éthique se raples travailleurs ; ils s’adressent exclusive- proche du droit lorsque le non-respect ment à ceux qui exercent un pouvoir des règles peut conduire à des sanctions. 76


Éthique publique

Mais qui dans les réseaux de pouvoir juge ? Quelle est son autonomie ? Comment exerce-t-il ses prérogatives ? Quelles sont les sanctions prévues ? Comment sont-elles appliquées ? Si on se fie à la pratique de la plupart des corporations professionnelles, la non-conformité au code entraîne parfois des réprimandes et rarement des sanctions sévères. La boulimie éthique est directement proportionnelle à l’anorexie politique. Les codes d’éthique prolifèrent sur l’absence de lois contraignantes. Les malversations entre politiciens et entrepreneurs pourraient facilement être réduites si une loi, en assurant le financement public des campagnes électorales, en interdisait tout financement privé. Ça aurait un coût pour le contribuable, mais beaucoup moins qu’on ne l’imagine (les dons aux partis sont déductibles d’impôt) et très inférieur à celui engendré par la corruption. La liberté d’un citoyen d’appuyer le parti de son choix ne serait pas contredite : elle peut très bien se réaliser en lui consacrant du temps, sans avoir besoin de le financer. Évidemment, il est impossible de supprimer le mariage entre le pouvoir politique et le pouvoir économique. Tout État, quel qu’il soit, reproduit l’ordre social, en reproduisant les rapports de force inégaux entre classes sociales, entre genres, entre ethnies, entre urbains et ruraux, entre régions… Dans le système capitaliste qui est le nôtre, l’État est indissolublement lié à la bourgeoisie. Mais l’État, qui exerce le monopole de

la contrainte physique légale, ne peut se limiter à la répression sans être un État dictatorial et un État en crise. L’État, pour se maintenir durablement, requiert le consentement de la majorité de la population à sa domination. La réponse est politique Le régime démocratique est la meilleure forme d’État, car il assure aux citoyens des contre-pouvoirs vis-à-vis des gouvernements et de l’élite économique. Mais un État peut être plus ou moins démocratique. Le Québec l’est plus que les États-Unis où tout le système électoral est dominé par les puissances de l’argent. Et il pourrait l’être davantage. Le Québec et les États-Unis le sont davantage que l’Italie où le président de l’État régit la presque totalité des chaînes de télévision. En Amérique du Nord, les médias sont autonomes par rapport aux gouvernements, mais ils pourraient jouer un rôle plus démocratique, s’ils étaient également indépendants de l’État et du pouvoir économique. La démocratie n’est pas un état de fait, mais un processus jamais achevé et toujours à recommencer. La corruption, qui se répand comme une pandémie et affecte l’ensemble du corps social, entraînant cynisme et défaitisme, doit être combattue par des journalistes aguerris et des citoyens vigilants et pugnaces. La lutte contre la malversation est partie prenante de toute volonté de démocratisation. La lutte contre la corruption est politique avant d’être éthique. 77


Les Québécois sont-ils par nature corrompus ? benoît Dubreuil Chercheur postdoctoral, Département de philosophie, Université du Québec à Montréal (Québec)

Lorsqu’un scandale de corruption éclate, on dit souvent qu’il révèle un problème « structurel », ou encore qu’il découle d’une « culture » de la corruption. on l’a dit dans le cas des scandales provenant de l’industrie de la construction : le problème vient du système, il est donc inutile de s’acharner sur les individus eux-mêmes. Les humains sont par nature corruptibles. il est impossible de les changer. il faut plutôt changer les institutions. Mais que faut-il précisément changer dans ces « institutions » ? Qu’y a-t-il en elles qui soit capable de nous rendre parfois vertueux et si souvent… vicieux ?

Au sens le plus élémentaire, le concept d’institution renvoie aux attentes que nous avons les uns envers les autres. Nous nous attendons à ce que le commerçant accepte l’argent que nous lui présentons. Nous nous attendons à ce que notre conjoint soit là pour nous, ou encore à ce que notre patron nous traite convenablement. Les humains ne sont évidemment pas la seule espèce animale dont les membres ont des attentes les uns envers les autres. En un sens, 78

toutes les espèces sociales en ont. Chez les primates, les individus dominants s’attendent à ce que les subordonnés leur cèdent le passage, les enfants s’attendent à ce que leur mère s’occupe d’eux, puis les rivaux s’attendent à combattre pour les mêmes femelles ou la même nourriture. Mais les humains ont des attentes particulières. Ils sont par nature motivés à s’engager dans des activités d’entraide et de coopération avec autrui. Ces


Éthique publique

motivations sont le fondement de leur intégration au monde de la moralité. Cette spécificité soulève cependant des problèmes. Notre promptitude à coopérer ou à aider autrui nous expose à l’exploitation. Pour nous protéger, nous apprenons à nous méfier des autres, à diriger nos bonnes actions vers ceux qui méritent notre confiance et à punir ceux qui nous trompent. Au sein des petits groupes de chasseurs-cueilleurs nomades – dans lesquels les humains ont vécu la quasitotalité de leur histoire –, il est impossible de profiter d’autrui très longtemps. L’information circule vite et l’on découvre facilement les opportunistes. Les moqueries suffisent d’ailleurs souvent à les ramener vers des comportements plus moraux. Dans les sociétés de plus grande taille, comme celles où nous vivons, les choses sont cependant différentes. Nous interagissons constamment avec des inconnus et des richesses colossales circulent d’une main à l’autre : profits, investissements, subventions, sans oublier les bateaux, les enveloppes brunes et les contrats de consultation. Les occasions de tirer profit de la naïveté des gens sont plus nombreuses que jamais. Il existe bien sûr des façons de se mettre à l’abri des malfaiteurs. Nous choisissons de vivre l’essentiel de notre vie dans des petits mondes sociaux où le potinage et les ragots jouent un rôle central. L’esprit de clocher d’autrefois est reproduit à l’intérieur des réseaux d’amis et de

collègues, créant un contexte qui nous oblige souvent à être plus moraux que nous ne le serions si nous étions laissés à nous-mêmes. Mais notre vie ne se limite pas à ces petits réseaux. Les institutions politiques et économiques, notamment, établissent des liens qui font dépendre notre bien-être de celui de millions d’autres individus. Ces institutions ne pourraient fonctionner sans la présence d’individus y jouant un rôle particulier : politiciens, entrepreneurs, hommes et femmes d’influence et de notoriété. Ils sont essentiels au fonctionnement de notre société, car ils établissent des liens entre la pluralité de petits réseaux fragmentés. Essentiels, ces dirigeants représentent cependant une menace pour la masse du peuple à cause de la position centrale qu’ils occupent. Personne n’est mieux placé qu’eux pour tirer profit du travail des autres. Mais qu’est-ce qui leur permet de le faire ? D’où tirent-ils leur impunité ? Cela tient à la nature de la relation que ces gens influents établissent avec les gens autour d’eux. De tout temps, la corruption a été associée à l’existence de relations de loyauté particulières, basées sur l’endettement et la protection. Dans les sociétés esclavagistes, la relation reposait sur la loyauté souvent absolue de l’esclave envers son maître, son seul protecteur dans un monde qui lui était étranger. Dans l’Empire romain, il s’agissait de la relation personnelle entre un patron et son client, le patron protégeant le client en échange d’un travail. 79


L’état du Québec 2010

Au Moyen Âge, elle s’incarnait dans le serment de vassalité qui liait le serf à son seigneur et lui assurait, ici encore, une certaine sécurité en échange d’une partie de son labeur. La prétention des démocraties modernes a été de délier ces loyautés particulières, en rendant l’accès aux charges publiques conditionnel à l’approbation générale, puis en soumettant l’accès à la richesse aux lois du marché et de la concurrence. Pour s’imposer socialement, l’entrepreneur doit offrir des prix compétitifs et le politicien doit être vertueux. Voilà, du moins, la théorie… En pratique, les relations de dépendance et de loyauté demeurent nombreuses. Celui qui a de l’argent ou du pouvoir trouve encore souvent l’occasion de s’attacher son prochain à l’aide de contrats, de positions, de financement électoral.

celui ou de celle à qui il doit son salaire et son statut social. À ce titre, le Québécois n’est ni meilleur ni pire que les autres. Quel contexte social parvient à le rendre vertueux ? Disons d’abord qu’il s’agit d’un contexte où les individus ont la possibilité de faire valoir publiquement leurs qualités et leurs aptitudes. Dans une démocratie saine, les individus doivent pouvoir développer leurs talents, que ce soit dans le domaine de l’administration, de la culture, de la science, du sport, des communications, etc. C’est aussi un contexte où la renommée que l’on peut acquérir par ces voies – et non par la multiplication des loyautés privées – est le principal tremplin vers les positions d’influence. C’est généralement l’objectif que l’on souhaite atteindre grâce aux élections. Le nombre des électeurs est généralement beaucoup plus grand que celui des au titre de la corruption, les personnes que l’on peut s’attacher grâce Québécois ne sont ni meilleurs à des faveurs particulières. Le peuple peut ainsi contrôler sans trop de risque ni pires que les autres. le comportement des puissants. La méthode est bien sûr imparfaite. Si l’inLa psychologie humaine est ainsi formation sur les candidats ne circule faite que nous hésitons à formuler des pas librement, si ces derniers disposent reproches envers ceux à qui l’on doit de ressources financières disproportout. Nous sommes plutôt prompts à tionnées et illicites, si l’électorat est leur retourner les faveurs passées en profondément et irrémédiablement fermant les yeux sur leurs fautes pré- divisé dans ses préférences, les élus rissentes. L’or ganisateur politique, le quent de devenir les instruments des cadre ou encore le consultant mandaté uns ou des autres. par un ami ou un collègue sera enclin Si nous avons raison d’être en colère à fermer les yeux sur l’agissement de face aux scandales qui éclaboussent le 80


Éthique publique

monde politique et le monde de la construction, il faut aussi les remettre en perspective. Au Québec, les dépenses consolidées des trois paliers de gouvernement tournent autour de 45 % du PIB. Cette proportion est similaire à celle que l’on trouve dans la plupart des pays industrialisés. Jamais dans l’histoire de l’humanité les pouvoirs publics n’ont transigé des sommes aussi colossales. Et pourtant, ces sommes aboutissent en grande partie dans les poches de ceux à qui elles sont destinées. Comparés aux empires et monarchies du passé, les bons vieux régimes Taschereau ou Duplessis étaient déjà des havres de transparence et de bonne gouvernance. Et que de chemin avons-nous parcouru depuis. Cela n’implique pas bien sûr de prendre la corruption qui reste à la légère. Si sa part demeure modeste à l’échelle nationale, elle continue de jouer un rôle important dans certains milieux. Lesquels ? Pour le dire simplement, son poids demeure considérable là où quelques individus peuvent accaparer subtilement des ressources financières importantes et les utiliser pour créer des liens d’endettement avec des fonctionnaires, des consultants ou des dirigeants impliqués dans la prise de décisions d’intérêt public. Ce n’est donc pas un hasard si l’industrie de la construction et le monde municipal demeurent l’épicentre des scandales de corruption. Les chantiers demeurent l’un des principaux refuges

du travail au noir et de la circulation de l’argent liquide, permettant l’accumulation de sommes colossales à l’abri des regards publics. Dans plusieurs marchés, les entrepreneurs sont peu nombreux et se connaissent bien, ce qui est susceptible de favoriser les échanges de bons procédés et de nuire à la compétition.

ni les politiciens municipaux ni les entrepreneurs en construction ne sont par nature corrompus. Du côté politique, la décision de promouvoir tel ou tel projet repose sur des considérations souvent nombreuses et floues, ce qui donne aux élus locaux une grande discrétion dans le choix des projets qu’ils appuient. Par ailleurs, le faible intérêt de la population pour la politique municipale et l’absence d’enjeux idéologiques rendent difficile le financement populaire des partis, donnant aux politiciens un incitatif supplémentaire de s’endetter auprès d’acteurs plus intéressés. Ce n’est donc pas un hasard si la corruption s’installe dans le domaine de la construction plutôt que, disons, dans les écoles secondaires ou les régies de la santé. La manière de s’y attaquer consiste à rompre, à un endroit ou à un autre, le cycle de la circulation de l’argent nourrissant les relations de loyauté particulières. La plupart des propositions qui ont été formulées vont en ce 81


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sens. En modifiant le financement des partis, on empêche les politiciens de s’endetter indûment. En révisant les processus d’appel d’offres, on tente de briser les retours d’ascenseur entre les entrepreneurs ou à limiter le pouvoir discrétionnaire des fonctionnaires ou des politiciens. En modifiant les règles sur les chantiers, on s’attaque au nerf de la guerre : l’argent liquide et le travail au noir. Ni les politiciens municipaux ni les entrepreneurs en construction ne sont

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donc par nature corrompus. Comme les autres Québécois, ils sont cependant corruptibles. Pour rester polis, disons également que le contexte institutionnel dans lequel ils évoluent ne leur a pas toujours permis de révéler la plus belle partie d’eux-mêmes. Puisqu’il n’y a rien d’aussi douloureux que d’être la cible de la vindicte populaire – surtout lorsqu’elle est légitime comme elle le fut en 2009 –, parions qu’une victoire sur la corruption représenterait une libération pour la plupart d’entre eux également.


chercheurs et responsables Florence piron Professeure, Département d’information et de communication, Université Laval

réfléchir à l’éthique des sciences et de la recherche, ce n’est pas seulement définir des normes de conduite destinées aux cherchercheurs. c’est aussi comprendre ce qui nourrit la confiance d’une société dans ses chercheurs, dans ses institutions scientifiques et dans le savoir ainsi constitué, souvent à l’origine de décisions publiques qui touchent l’ensemble des citoyens. Comme l’a encore montré la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1), les sciences sont au cœur d’innombrables décisions qui transforment notre société et qui ont souvent des conséquences, parfois majeures, sur la vie quotidienne des individus et des communautés. Pensons à la recherche en santé (médicaments, chirurgie, vaccins), à celle en génie informatique (ordinateurs, téléphones), en sciences de la gestion (organisation du travail, systèmes financiers), en sciences de l’éducation (pédagogie, enseignement) ou en sciences de l’environnement (développement durable, changements climatiques). La référence à des « études scien-

tifiques » fait partie des arguments invoqués par de nombreux acteurs sociaux pour légitimer ou contester une action publique ou une position politique. Le pouvoir d’action que donne toute référence au savoir scientifique repose toutefois sur une condition fondamentale : la confiance des citoyens et des élus dans la qualité du travail des scientifiques. Par exemple, sans la confiance des pouvoirs publics et des citoyens dans la fiabilité des études qui ont identifié le virus A(H1N1), calculé le risque de pandémie et conçu et expérimenté le vaccin, est-ce qu’autant de Québécois auraient choisi de se faire vacciner au cours de l’automne 2009 ? 83


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Comprendre d’où vient et comment se construit et se mérite cette confiance devient alors une question essentielle tant pour les citoyens et les élus que pour les scientifiques. L’éthique des sciences est un domaine de réflexion et de pratique qui vise précisément à vérifier et à garantir en partie la qualité de la science. En effet, si les chercheurs sont intègres, honnêtes, responsables et respectueux des êtres humains, s’ils sont compétents et transparents, alors la confiance dans les propositions et les recommandations qui découlent de leurs travaux semblera pouvoir être justifiée. L’éthique des sciences couvre trois champs, chacun guidé par un souci bien Lorsque la confiance accordée spécifique : à la science est mise 1) L’éthique de la recherche avec des en défaut, la côte est longue participants humains se soucie du à remonter. respect des droits des personnes qui acceptent de participer à des projets Lorsque cette confiance cruciale est de recherche, par exemple en se prêmise en défaut – par exemple lors du tant à un essai clinique de médicascandale du sang contaminé qui a éclaté ment ou de vaccin ou à des entrevues au Québec au début des années 90 –, la de recherche en sciences sociales côte est longue à remonter et la méfiance pendant lesquelles elles confient des s’installe. Or, toute méfiance du public, renseignements personnels privés. des élus et des scientifiques eux-mêmes 2) L’intégrité scientifique se soucie de dans la qualité de la science empêchera l’honnêteté, de la transparence et de cette dernière de se développer : non la compétence des chercheurs. seulement aucun individu ne voudra 3) La responsabilité sociale des cherparticiper aux projets scientifiques qui cheurs et des institutions scientifiques lui sont proposés, mais surtout aucun se soucie des différents usages qui citoyen/contribuable ne voudra que la peuvent être faits de leurs travaux et recherche scientifique publique contides conséquences de ceux-ci sur le nue d’être subventionnée. monde contemporain. une question de confiance Le prestige de la blouse blanche est incontestable encore à notre époque. Les élus et décideurs publics se tournent souvent vers des comités d’experts pour les aider à prendre ou, en tout cas, à légitimer des décisions qui concernent le bien commun ou l’intérêt général. Le transfert des connaissances entre les experts qui les produisent et les décideurs qui les utilisent est d’ailleurs un thème qui préoccupe de plus en plus le monde de la recherche scientifique, soucieux de bien jouer le rôle d’éclaireur de la décision publique que la société actuelle semble attendre de lui.

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Éthique publique

un cadre éthique Le champ de l’éthique de la recherche avec des êtres humains est désormais très balisé au Québec. Deux documents gouvernementaux, qui ne sont toutefois pas des lois, obligent les chercheurs et les étudiants de 2e et de 3e cycles à soumettre tous leurs projets de recherche impliquant des êtres humains à un comité d’éthique de la recherche (CÉR), que ce soit dans le domaine de la recherche biomédicale ou en sciences sociales et humaines. Formés de membres bénévoles (au moins deux chercheurs, un juriste, un éthicien et un membre du public ou un usager sans affiliation avec l’établissement de recherche), ces comités s’assurent principalement que les projets respectent le principe du consentement éclairé des participants, c’est-àdire que les personnes sollicitées pour participer à un projet de recherche comprennent bien de quoi il s’agit, où seront conservées les données recueillies, quel usage en sera fait et quelles en seront les conséquences pour elles. Parmi ces deux documents, l’Énoncé de politique des trois Conseils1 : éthique de la recherche avec des êtres humains formule de nombreuses règles qui doivent encadrer la réflexion des chercheurs et les discussions des comités d’éthique de la recherche. Publié en 1998, ce document est actuellement en intense révision. Une version préliminaire d’une deuxième édition, plus ouverte aux particularités des sciences sociales et humaines, notamment aux

méthodes qualitatives, a été mise en consultation au cours de l’année 2009. Une version finale sera proposée au cours de 2010. L’application de ce document par les universités et les hôpitaux universitaires est une exigence du Protocole d’entente qui leur permet de recevoir des subventions de recherche. Autrement dit, ce champ de l’éthique des sciences ne laisse guère de choix aux chercheurs qui voudraient s’y soustraire. Au Québec, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a produit le Plan d’action ministériel en éthique et intégrité scientifique qui, lui aussi, fait actuellement l’objet d’une réécriture. De nombreux autres documents encadrent l’activité des comités d’éthique de la recherche, que ce soit des modalités de gestion internes aux établissements de recherche ou des politiques générales. La formation des étudiants dans ce domaine n’est pas encore généralisée, mais de nombreux cours de méthode font désormais une place à l’éthique de la recherche avec des participants humains2. L’intégrité, une qualité intrinsèque ? L’intégrité scientifique, autre champ de l’éthique des sciences, est beaucoup moins encadrée dans les universités et les centres de recherche du Québec. Considérée comme un apanage du métier de scientifique ou comme une qualité professionnelle au cœur de la compétence des chercheurs, elle est supposée relever de la formation « informelle » qu’une 85


L’état du Québec 2010

Les chercheurs ont une responsabilité en ce qui concerne l’usage qui peut être fait de leur travaux, notamment en santé.

génération de chercheurs transmet à la suivante : ne pas fausser les résultats, ne pas plagier, ne pas voler d’idées à un tiers (dont les étudiants), toujours citer ses sources, expliquer de manière transparente la démarche scientifique utilisée… tout cela est censé faire presque automatiquement partie du bagage intellectuel de tout chercheur. Toutefois, comme le montrent par exemple les enquêtes menées régulièrement aux États-Unis par l’Union of Concerned Scientists ainsi que par des magazines scientifiques, la tentation de la fraude, de la manipulation des données et des publications scientifiques mensongères reste présente. Le pouvoir et le prestige accrus des scienti86

fiques dans l’univers des politiques publiques ou dans les activités de recherche et développement des entreprises privées engendrent une pression à la performance qui peut conduire à céder plus facilement à cette tentation. L’étude réalisée par le scientifique coréen Woo Suk Hwang montrant qu’il avait créé des cellules souches humaines par clonage n’avait-elle pas fait de lui un « dieu vivant » dans son pays ? Jusqu’à ce que sa fraude soit découverte par des journalistes scientifiques curieux et vigilants… Lorsque le pouvoir politique s’en mêle et fait pression sur des chercheurs ou des centres de recherche pour qu’ils modifient leurs résultats ou même leurs acti-


Éthique publique

vités de recherche (en leur offrant des programmes stratégiques de subvention pour les attirer vers certains domaines) ou encore pour qu’ils privilégient les recherches à visée commerciale (principe au cœur des dernières stratégies de l’innovation des gouvernements québécois et fédéral), alors l’intégrité scientifique paraît réellement menacée. Au lieu de mener des débats sur cette pression à la performance et sur le rôle qu’elles y jouent, les universités publient des chartes ou des déclarations sur l’intégrité scientifique à forte connotation déontologique et moralisatrice, peu susceptibles d’aider les chercheurs à comprendre comment leurs propres « petits » dérapages peuvent conduire à de plus grosses défaillances et comment les universités, les organismes subventionnaires et les gouvernements eux-mêmes peuvent nuire à la culture de l’intégrité scientifique, pourtant essentielle à la confiance dans la science. Démolir la tour d’ivoire C’est ici que prend tout son sens le troisième champ de l’éthique des sciences, à savoir la responsabilité sociale des chercheurs et des institutions scientifiques3. Certes, à l’époque du pouvoir absolu des monarchies européennes, les premiers chercheurs scientifiques avaient senti le besoin de se doter de structures (les académies) les mettant le plus possible à l’abri de l’arbitraire du pouvoir, notamment quand leurs travaux les conduisaient vers l’athéisme.

Mais il ne s’agissait pas pour eux de se fermer aux débats sociaux et politiques de leur temps ! Se protéger contre l’arbitraire et le dogmatisme des pouvoirs théocratiques ne signifiait pas se retirer du monde et s’en abstraire pour évoluer dans une espèce de monde à part, de tour d’ivoire, qui serait seule garante de la qualité de leurs travaux. L’idée que, au nom de la qualité de la science, les chercheurs doivent être « neutres », c’està-dire s’enfermer dans leurs laboratoires ou leurs bureaux, est à la fois réductrice et hypocrite parce qu’elle ignore tout simplement ce que le sociologue Giddens a appelé la « réflexivité du savoir » : le fait que les sociétés contemporaines carburent à la science, qu’elles agissent et se transforment à la lumière de ce que les scientifiques leur apprennent sur elles-mêmes et leur proposent. Refuser de s’intéresser aux conséquences des travaux scientifiques sur le monde contemporain pour, par exemple, privilégier la culture professionnelle axée sur la performance (publier, collecter des subventions), c’est comme lancer une bombe sans se soucier de savoir où elle atterrit et quels dégâts elle commet et ne se soucier que du processus scientifique de sa conception. L’éthique de responsabilité doit plutôt être au cœur de la pratique scientifique, comme l’a rappelé Hans Jonas dans son livre célèbre, Le principe responsabilité. Loin d’être des observateurs impartiaux situés sur une autre planète, les scientifiques entretiennent des liens complexes et chargés de 87


L’état du Québec 2010

ramifications politiques, éthiques et sociales avec le monde auquel ils appartiennent. Rappelons que leurs travaux sont financés soit par des ressources publiques, donc issues de l’ensemble de leurs concitoyens, soit par des ressources privées bien souvent à but lucratif. Comment pourraient-ils ne pas se soucier de l’impact de ces sources de financement sur leurs travaux ? Pratiquer la responsabilité sociale peut aussi prendre la forme d’une

cette recherche sera menée et produira des connaissances : quelles valeurs le chercheur va-t-il promouvoir ? Quelle forme de vie, pour reprendre le concept du philosophe Ludwig Wittgenstein, va-t-il susciter ? Par exemple, selon la manière dont elles sont menées, les recherches sur la pauvreté peuvent, tout en proposant des idées intéressantes pour lutter contre la pauvreté, soit contribuer à stigmatiser davantage les personnes en situation de pauvreté, soit au contraire contribuer à réaffirmer leur égalité en dignité. Cette différence n’est réfléchir à la pertinence d’un pas anodine ! De la même façon, en psyprojet de recherche n’est pas chiatrie, exclure des types de thérapie (par exemple par la parole) au profit de le faire entrer dans les thérapies basées sur les médicaments catégories des organismes contribue à promouvoir un certain type subventionnaires. de rapport au corps et à la souffrance : c’est tout sauf neutre. réflexion continue sur la pertinence Comment mener une telle réflexion sociale et politique des projets qu’un sur la pertinence éthique des recherchercheur souhaite réaliser. L’expression ches ? Surtout pas en restant dans sa « pertinence sociale » est utilisée par tour d’ivoire. Il est grand temps que les nombre d’organismes comme substitut scientifiques s’ouvrent réellement au au terme « utilité », quand ce n’est pas à dialogue avec leurs concitoyens, aux l’expression « capacité d’être commer- préoccupations de ces derniers face à la cialisé ou d’être utilisé par les déci- science. Une telle ouverture fait partie deurs ». Il est urgent que les scientifiques de l’éthique des sciences qui ne peut pas se réapproprient la notion de pertinence être le domaine réservé d’une catégorie afin de lui donner une dimension éthi- d’experts. Organiser des rencontres et que : réfléchir à la pertinence d’un projet des dialogues égalitaires et fructueux de recherche, ce n’est pas s’arranger pour entre chercheurs et citoyens dans le but le faire entrer dans les catégories des de construire une compréhension organismes subventionnaires ou com- mutuelle de la pertinence de tel ou tel manditaires, c’est réfléchir au sens qu’il projet de recherche, y compris une peut avoir pour le monde dans lequel réflexion sur les ressources nécessaires 88


Éthique publique

et leur origine, ainsi que sur les consé- notes quences possibles, voilà un objectif 1. Il s’agit des trois principaux organismes subessentiel d’une éthique de la responsa- ventionnaires canadiens : le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, les Instibilité en recherche scientifique. Des tuts de recherche en santé du Canada et le Conseil outils existent, des expériences sont de recherches en sciences et génie du Canada. menées qui ne doivent pas rester confi- 2. Piron, Florence, Enquête sur la formation en dentielles ou folkloriques, mais qui éthique de la science et de la recherche. En ligne : http ://com.ulaval.ca/grapac doivent prendre la place qui leur revient 3. Le numéro du printemps 2010 de la revue dans la construction de la confiance Éthique publique propose un dossier très riche sur la responsabilité sociale des chercheurs. dans la science.

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Dossier spécial Crise économique   93

Le Québec en 10 indicateurs économiques

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Les politiques québécoises pour s’en sortir

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Crise financière, crise économique et transformations du travail

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Infrastructures urbaines et développement durable

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Et les régions ?

119

Les faits pervers de l’endettement

125

Le secteur manufacturier la tête sous l’eau

131

Économie et morale vraiment incompatibles ?

136

Science économique, illusions et dogmatisme

144

Quand la confiance est censée remplacer le crédit

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n 2009, le monde a traversé ce qu’il convient désormais d’appeler la plus grande crise du capitalisme depuis 70 ans. Le Québec a résisté mieux que d’autres au tsunami économique qui a submergé la planète. Le modèle québécois d’interventionnisme économique et de protection des plus démunis, ainsi que les pratiques canadiennes plus strictes imposées au monde bancaire, ont protégé le Québec de l’ampleur des dégâts qu’ont subis les États-Unis et le Royaume-Uni. Les contrecoups se sont néanmoins fait sentir : la perte de dizaines de milliers d’emplois, la débâcle de l’industrie automobile, l’écroulement de l’épargne des Québécois, le retour aux déficits budgétaires. Ces constats ont été faits maintes fois. Et maintenant ? Ici comme ailleurs, la crise a agi comme un révélateur de problèmes chroniques : une consommation toujours plus effrénée nourrie par l’endettement personnel dégrade l’état de la planète ; la réglementation insuffisante du secteur financier a permis aux banques de complexifier leurs produits financiers, à un tel point que même les courtiers et les économistes les plus aguerris ne s’y retrouvent plus ; les investissements publics censés revitaliser l’économie se font trop souvent au mépris des règles les plus élémentaires de prévision des impacts environnementaux, financiers et humains ; les aléas de l’économie et des cotes en bourses justifient trop souvent les mises à pied et l’exigence d’une flexibilité du travail toujours plus grande ; la richesse augmente alors que les inégalités s’accroissent ; des régions dépendantes de l’industrie manufacturière se trouvent complètement démunies lorsque subitement la compagnie ferme boutique ; etc. La crise nous incite à une réflexion en profondeur sur notre système économique et institutionnel. Rien n’est parfait, donc tout est perfectible. Les sujets qui ont été parfois trop vite écartés du débat public sont précisément ceux que nous vous proposons ici.

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Le Québec en 10 indicateurs économiques Mario Jodoin Économiste, Service Canada

Du côté de l’environnement économique et du marché du travail, l’année 2008 a représenté une année de transition entre quelques années de croissance modeste et la récession qui pointait à l’hol’ho rizon. ainsi, malgré une chute au dernier trimestre de 2008, le bilan de 2008 s’est conclu avec une légère augmentation de la taille de l’économie et du marché du travail.

1) La croissance globale Le produit intérieur brut (PIB) a connu en 2008 sa plus faible croissance depuis la récession du début des années 90, avec un taux de croissance réel de 1,0 % (en dollars constants pour éliminer les effets de l’inf lation). La croissance somme toute honorable de la demande intérieure (dépenses des consommateurs et des gouvernements et investissements) a en effet été fortement amoindrie par la septième année consécutive de dégradation du solde du commerce extérieur.

2) Les dépenses des consommateurs Les dépenses des consommateurs forment le composant du PIB le plus stable et le plus important. En 2008, elles représentaient 63 % du PIB, son niveau le plus élevé des 20 dernières années.

Le pib a connu en 2008 sa plus faible croissance depuis la récession du début des années 90. L’augmentation de 2008 (3,0 %) se situe à peu près au même niveau que lors des trois années précédentes (3,4 %). Cette 93


L’état du Québec 2010 tabLeau 1

Taux de croissance du PIB et de ses composants (%) Moyenne annuelle 2004 à 2007 1,9 3,4 2,0 4,5 2,4 1,8 0,9 5,3

PIB Dépenses des consommateurs Dépenses gouvernementales Investissements Exportations interprovinciales Importations interprovinciales Exportations internationales Importations internationales Source : Institut de la statistique du Québec

2008 1,0 3,0 2,7 2,1 ­0,9 ­0,3 ­3,5 2,4

: Institut

performance demeure remarquable, surtout lorsqu’on constate que ces dépenses ont commencé à diminuer au quatrième trimestre de 2008 (-0,7 %). Compte tenu de la récession dans laquelle le Québec est entré à la fin de 2008, on doit s’attendre à une baisse importante du taux de croissance de ces dépenses au cours des toutes prochaines années.

La forte croissance des dépenses publiques en infrastructures s’est reflétée nettement dans les données de 2008.

est passée de 27 % à 21 % entre 1992 et 1999 pour n’augmenter que légèrement par la suite et atteindre 23 % en 2008. Les dépenses gouvernementales augmentent donc un peu plus rapidement que l’ensemble de l’économie depuis 1999. L’augmentation de 2008, comme celles observées depuis 1999, est concentrée dans le secteur de la santé et, dans une moindre mesure, dans celui de l’éducation. Notons que les dépenses en infrastructures sont considérées comme des investissements et sont analysées dans le prochain paragraphe.

4) Les investissements La part des investissements dans le PIB a atteint 22 % en 2008, son niveau le plus élevé depuis au moins 25 ans. Comme on peut le constater dans le tableau, il 3) Les dépenses gouvernementales Malgré le bon niveau de croissance des s’agit du composant du PIB qui a augdépenses gouvernementales au cours menté le plus fortement au cours des des dernières années, leur part du PIB dernières années, même si son rythme 94


Crise économique

de croissance a faibli en 2008. Selon les années, cette croissance s’est concrétisée dans différents types d’investissements (construction résidentielle, construction non résidentielle et machines et équipements). Cela dit, au bout du compte, tous ces types d’investissements ont connu un niveau de croissance élevé, tant du côté du secteur des entreprises que de celui des administrations publiques. La forte croissance des dépenses publiques en infrastructures s’est reflétée nettement dans les données

de 2008, puisque la valeur des investissements des administrations publiques a crû de plus de 15 % pendant que celle des entreprises stagnait. 5) Les exportations et importations interprovinciales Malgré certaines différences annuelles, la valeur des importations provenant des autres provinces canadiennes varie à peu près au même rythme que celle des exportations du Québec vers ces provinces. En effet, le solde du com-

graphiQue 1

Évolution du solde commercial international et de la valeur du dollar canadien

-8

0,50

-10

$ Canadien en $ US

2008

0,55

2007

-6

2006

0,60

2005

-4

2004

0,65

2003

-2

2001

0,70

2002

0

2000

0,75

1999

2

1998

0,80

1997

4

1996

0,85

1995

6

1994

0,90

1993

8

1992

0,95

1991

10

1990

1,00

X-M (en % du PIB)

Source : Statistique Canada et Banque du Canada

95


L’état du Québec 2010

merce interprovincial (exportations moins importations) est légèrement négatif depuis 2000, se situant toujours à moins de 2 % de la valeur totale du PIB. 6) Les exportations et importations internationales Le solde du commerce international a au contraire connu beaucoup de modifications de tendances au cours des 15 ou 20 dernières années, comme on peut le voir sur le graphique. Si la concurrence avec les pays à faibles salaires explique une partie des problèmes actuels du secteur manufacturier, surtout dans les industries de la fabrication de vêtements, de meubles et de produits électroniques, il n’en demeure pas moins que le facteur qui influence le plus son évolution est la valeur du dollar canadien par rapport au dollar américain. Comme le montre

Le solde du commerce interprovincial est légèrement négatif depuis 2000. éloquemment le graphique, le solde commercial international du Québec (X-M) a constamment été négatif au cours des 19 dernières années lorsque la valeur du dollar canadien était supérieure à 0,75 $ américain, et constamment positif lorsqu’il était inférieur, sauf en 1997. En outre, plus cette valeur s’éloigne de 0,75 $ américain, plus l’ampleur 96

du déficit ou du surplus devient importante. En 2008, alors que la valeur moyenne du dollar canadien a atteint 0,94 $ américain, le déficit commercial international a représenté plus de 6 % du PIB, soit environ 19 milliards de dollars ! Avec un déficit d’une telle ampleur, n’eut été de la solide performance des autres composants du PIB, le Québec aurait bien pu se trouver en récession bien avant le quatrième trimestre. 7) L’emploi et le chômage Le faible niveau de croissance du PIB s’est répercuté sur le marché du travail, le nombre d’emplois n’augmentant que de 0,8 % en 2008, rythme deux fois moins élevé que de 2004 à 2007 (moyenne annuelle de 1,5 %). Ce faible niveau de croissance a tout de même permis au taux d’emploi (pourcentage des personnes âgées de 15 ans et plus qui travaillent) d’afficher sa deuxième meilleure performance historique (60,9 %, par rapport à 61,0 % en 2007) et au taux de chômage de demeurer à son niveau le plus faible des 30 dernières années (7,2 %). Soulignons que 60 % de la croissance du nombre de personnes en emploi depuis 2002 est attribuable aux travailleurs âgés de 55 ans et plus. Cette forte croissance s’explique à la fois par l’augmentation récente de l’âge médian de la retraite (de 58 ans en 1997 à 60 ans en 2008), par la hausse importante du nombre de personnes dans cette tranche d’âge en raison du vieillissement des


Crise économique

baby-boomers (le nombre de personnes âgées de 55 ans et plus a augmenté de plus de 20 % entre 2002 et 2008, tandis que le nombre de personnes âgées de 15 à 54 ans augmentait de seulement 0,7 %) et par l’arrivée à cet âge de femmes historiquement beaucoup plus actives sur le marché du travail que leurs aînées (le taux d’activité des femmes âgées de 55 ans et plus est passé de 15 % en 2002 à 25 % en 2008).

Elles furent à l’inverse plutôt sombres pour la forêt et le secteur manufacturier. Soulignons que le secteur du commerce, très dynamique de 2002 à 2007, a connu une année difficile en 2008, tant du côté du commerce de gros que de celui du commerce de détail.

9) L’emploi par profession Reflet de l’influence de l’économie du savoir sur la composition professionnelle du marché du travail, le nombre 8) L’emploi par industrie d’emplois dans les professions exigeant Après des pertes cumulées de plus de un diplôme universitaire a augmenté de 100 000 emplois entre 2002 et 2007 54 % de 1990 à 2008 par rapport à 21 % (représentant une baisse totale de près pour les autres professions. Par contre, de 17 % des emplois manufacturiers), le l’emploi dans les professions qui exigent nombre d’emplois dans le secteur le moins de compétences connaît un manufacturier est demeuré stable en rebond depuis 2000. Il a même aug2008 malgré une nouvelle détérioration menté plus rapidement que dans les du solde commercial international. Par autres professions (16 % par rapport à contre, l’emploi dans le secteur des 14 %) entre 2000 et 2008. Cela dit, ces services n’a pu conserver son niveau de professions offrent de bien moins boncroissance des années antérieures nes conditions de travail, tant du côté (hausse de près de 350 000 emplois, soit du salaire que de la stabilité des emplois de 13 %, entre 2002 et 2007), n’augmen- et du travail à temps plein. tant que de 0,5 % en 2008. Les dernières années furent tout particulièrement 10) La démographie bonnes pour les secteurs : Grâce à la hausse récente des naissances (hausse de 21 % entre 2002 et 2008 pour - de la construction; atteindre plus de 87 500) et du solde - des services professionnels, scientifi- migratoire (immigrants moins émiques et techniques; grants, d’une moyenne de 4 600 entre - de la finance, des assurances et de 1994 et 1998 à une moyenne de 30 000 l’immobilier; entre 2003 et 2008), le vieillissement de - de l’hébergement et de la restauration; la main-d’œuvre se concrétise plus - du transport; lentement que ne le prévoyait l’Institut - de la santé et de l’assistance sociale. de la statistique du Québec dans son 97


L’état du Québec 2010

scénario de base de 2003. Il n’en demeure pas moins que la population âgée de 25 à 54 ans, qui représente le groupe d’âge le plus actif sur le marché du travail, a d’ores et déjà commencé à diminuer et continuera à se contracter encore plus rapidement au cours des prochaines années. De même, la croissance effrénée de la population âgée de 65 ans et plus entraînera une baisse importante de la population en âge de travailler. Même si nous sommes actuellement aveuglés par les effets de la récession actuelle, effets bien réels et désastreux pour ceux qui les subissent le plus directement, il ne faut pas perdre de vue que le changement le plus important qui se profile à l’horizon n’est pas la baisse actuelle du nombre d’emplois, mais bien le vieillissement de la population et de la main-d’œuvre. D’une société qui, il n’y a pas si longtemps, visait à sans cesse créer plus d’emplois pour faire diminuer

98

le taux de chômage, nous entrons graduellement dans une période où la société visera davantage à trouver des travailleurs pour occuper les emplois dont elle a besoin. Si on ne s’attend pas à ce que cette tendance entraîne des pénuries persistantes, il est clair que la société devra s’adapter à cette nouvelle réalité. conclusion Le bilan mitigé de l’année 2008 est le résultat d’un début d’année relativement dynamique, au diapason des années antérieures, et d’une fin d’année où l’économie est entrée en récession. Les ennuis actuels auxquels nous devons faire face énergiquement ne doivent toutefois pas nous faire oublier que les plus grands défis qui suivront cette récession seront plutôt liés aux conséquences du vieillissement de la maind’œuvre.


Les politiques québécoises pour s’en sortir éric Montpetit Professeur agrégé, Département de science politique, Université de Montréal

Le Québec souffre moins de la crise économique mondiale que d’autres provinces et d’autres pays. Les pertes d’emplois ont notamment été plus faibles au Québec qu’en ontario, où le taux de chômage a dépassé celui de son voisin francophone pour la première fois depuis que le gouvernement du canada compile cette statistique (1976). pourtant, les politiques de redressement économique du gouvernement du Québec sont décevantes, du moins pour ceux qui ont vu dans la crise une occasion de transfortransformer l’économie de la province.

Pour minimiser les effets de la crise, le gouvernement du Québec a d’abord favorisé le financement des entreprises confrontées à la raréfaction du capital. C’est ainsi que le Québec relançait le Régime d’épargne-actions (REA) en accordant un crédit d’impôt aux citoyens qui se procurent des parts d’entreprises québécoises. Il a également mis sur pied le programme Renfort qui offre des prêts et des garantis de prêts aux entreprises performantes confrontées à des difficultés temporaires de

financement. Il a ensuite tenté d’encourager la consommation, par exemple grâce à un crédit d’impôt pour la rénovation domiciliaire. La crise économique mondiale a sans conteste raréfié le capital et ce n’est sans doute pas sans raison que les entrepreneurs ont demandé l’aide de l’État. La crise a montré une fois de plus les limites du marché et l’importance de l’intervention de l’État au Québec et ailleurs. Le gouvernement du Québec a donc eu raison d’intervenir dans l’économie. 99


L’état du Québec 2010

C’est d’ailleurs ce qu’ont fait tous les gouvernements des pays de l’OCDE, notamment par l’adoption de politiques d’amélioration de l’accès au capital et d’encouragement de la consommation. Le plan de sortie de crise du gouvernement québécois n’a donc rien d’original. Ce qui est pire, c’est son manque d’audace : il ne vise qu’à ramener le Québec à une situation économique identique à celle qui prévalait avant la crise.

Si le gouvernement québécois promet une économie identique à celle de l’avantcrise, personne ne promet un état identique à celui de l’avant-crise. Cela est d’autant plus déplorable que la crise aura été coûteuse. Après 10 ans d’équilibre, il est prévu que le budget du Québec revienne à un solde négatif d’environ cinq milliards de dollars en 20092010. Le déficit budgétaire anticipé est attribuable à la diminution des revenus provoquée par le ralentissement économique, mais aussi aux dépenses supplémentaires associées aux politiques de sortie de crise. Alors que la part de la dette dans le PIB québécois avait diminuée de 10 % depuis 1998, pour atteindre environ 35 %, elle repartira à la hausse dans les prochaines années. Si, à ce prix, le gouvernement québécois promet le 100

rétablissement d’une économie identique à celle de l’avant-crise, personne ne promet un État identique à celui de l’avant-crise. Même avec une croissance génératrice de revenus normaux, l’augmentation du poids de la dette publique dans le PIB se traduira par une hausse des paiements d’intérêt, réduisant d’autant les montants disponibles pour les dépenses publiques ciblées. L’état ou l’économie? Pour certains, la «réinvention» de l’État québécois est de toute façon devenue nécessaire. Le discours est bien connu: l’État accapare une part trop importante du PIB, ce qui alourdit le fardeau du contribuable québécois et réduit sa consommation et ses investissements générateurs de croissance économique. Ceux qui prêchent pour une réinvention prêchent – souvent sans le dire ouvertement – pour des coupes dans les dépenses publiques. En effet, pour eux, c’est comme si les impôts allaient toujours en pure perte, dans les poches de fonctionnaires improductifs et de politiciens corrompus, alors que la consommation et l’investissement privés généraient toujours de la croissance et de l’emploi. La preuve du simplisme de ce discours n’est plus à faire. Dans un ouvrage percutant, Akerlof et Shiller montrent que se sont des investissements privés et la corruption de dirigeants d’entreprises cotées en bourse qui sont à la base de la crise mondiale de 20081. Faut-il aussi rappeler que les plans de relance des


Crise économique

économies, incluant celui du Québec, reposent sur des interventions étatiques, rendues possibles grâce aux impôts des contribuables? Pour d’autres, la réinvention de l’économie est plus pressante que la réinvention de l’État. Ce sont ces derniers qui seront les plus déçus des politiques de redressement économique du gouvernement québécois. D’une part, ces politiques visent à permettre le rétablissement d’une économie qu’ils dénoncent. D’autre part, ces politiques contribuent à l’endettement public, ce qui pourrait réduire la capacité de l’État à intervenir, notamment au plan économique. Est-ce qu’il aurait pu en être autrement? Certains caressent encore l’idée d’en finir avec l’économie de marché. Il faudra plus qu’une crise économique mondiale pour que ceux-là voient leur projet aboutir. Contrairement à ce que prétend le discours économique classique, cependant, l’économie de marché n’est jamais parfaitement libre. Les économies, les choix de consommation et les investissements privés sont toujours influencés par les règles et les politiques que font les États. La plupart de ceux qui souhaitent réinventer l’économie ne souhaitent rien de plus qu’une révision significative de ces règles et de ces politiques.

événements et des gouvernements, ce qui rend irréaliste le projet de ramener l’économie à l’identique de ce qu’elle était avant la crise. Cependant, la crise aurait pu permettre une accélération des changements des règles et politiques publiques qui façonnent l’économie. Par exemple, le gouvernement libéral a adopté un plan d’action pour contrer les changements climatiques pour la période 2006-2012. Préparé avant que ne survienne la crise économique, ce plan vise à encourager des choix de consommation et d’investissement privés plus respectueux de l’environnement. Les dépenses prévues pour le transport en commun, par exemple, encourageront ce mode de déplacement aux dépens de l’automobile, qui verra son coût d’utilisation augmenter grâce à une redevance sur les énergies fossiles. Les visées gouvernementales sont toutefois modestes. Selon le plan, le Québec produisait 92 Mt de gaz à effet de serre (GES) en 2005; il vise un niveau de 82,5 Mt en 2012. S’il atteint son objectif, le plan aura donc permis une réduction d’environ 10 % des GES sur une période de six ans, ce qui équivaut à environ 1,5 % par année. En 2006, alors que la croissance économique était forte, le gouvernement aurait pris un risque politique considérable s’il était intervenu avec des mesuoccasions manquées res plus musclées. La crise mondiale de D’ailleurs, ces règles et ces politiques 2008 a cependant modifié le contexte : n’ont jamais été figées dans le temps. soudainement, un consensus sans préElles changent lentement, au gré des cédent, favorable à l’intervention de 101


L’état du Québec 2010

l’État dans l’économie, s’est formé dans les pays de l’OCDE. Et le consensus n’a pas épargné le Québec, son gouvernement s’empressant d’adopter une série de politiques, dont le programme Renfort. À lui seul, Renfort a permis des investissements de deux milliards de dollars dans les entreprises québécoises. Malheureusement, Renfort n’a aucune visée environnementale (ce qui est aussi vrai pour le REA). C’est-à-dire qu’il finance toutes les gammes d’entreprises et d’équipements, certains contribuant sans doute à la dégradation de l’environnement. Pourtant, les deux milliards de dollars de Renfort auraient pu constituer un levier extraordinaire pour soutenir la productivité des entreprises engagées dans le développement durable et celles qui font des efforts pour réduire leur impact environnemental, accélérant ainsi la réalisation du plan d’action sur les changements climatiques.

Pourtant, l’Agence de l’efficacité énergétique a suffisamment d’expertise en rénovation éco-énergétique pour identifier les matériaux et la nature des travaux nécessaires pour réduire la consommation d’énergie des habitations. En appliquant le crédit d’impôt à ces matériaux et à ces travaux, le gouvernement québécois aurait fait plus que soutenir l’économie en période de crise, il aurait aussi accéléré l’atteinte des objectifs de son plan d’action sur les changements climatiques. Selon le plan d’action sur les changements climatiques, le secteur des transports est celui qui produit le plus de GES. Cela n’a rien d’étonnant, car le réseau de transport en commun du Québec est sous-développé. Alors que la construction de trois stations de métro à Laval scandalise encore, peu d’analystes soulignent que le réseau ne suffit plus à la demande. On ne cesse d’annoncer le développement de tramways dans la métropole, mais on continue à retaper pour certains, la réinvention des avenues sans y installer de rails. Quiconque a voyagé en Europe est à de l’économie est plus même de constater le sous-développepressante que la réinvention ment des transports en commun au de l’état. Québec. La crise aurait pu être l’occasion d’amorcer un virage plus significaL’empreinte écologique de la rénova- tif que celui prévu dans le plan d’action tion domiciliaire peut être considérable. sur les changements climatiques, étroiMalgré cela, l’éligibilité au crédit d’im- tement lié à la politique québécoise du pôt pour rénovation domiciliaire, qui transport collectif. Le gouvernement pourrait coûter jusqu’à 250 millions de québécois n’a pas saisi l’occasion. dollars au Trésor québécois, ne repose En incluant la contribution du gousur aucun critère environnemental. vernement fédéral, le gouvernement du 102


Crise économique

Québec annonçait, juste avant la crise, un investissement de 4,5 milliards de dollars sur cinq ans dans sept programmes d’aide au transport collectif. Il s’agit donc de moins de un milliard de dollars par année pour des programmes touchant tant les transports en commun que les déplacements à vélo ou l’adaptation de taxis aux fauteuils roulants. C’est bien peu en comparaison des investissements provinciaux de 2,7 milliards de dollars dans le réseau routier du Québec en 2008 seulement. Dans le contexte de la crise, l’augmentation des dépenses en transport en commun aurait pu être justifiée par la création d’emplois dans les entreprises québécoises qui œuvrent dans ce domaine d’avenir (pensons à Bombardier). Cela aurait aussi encouragé un changement des habitudes de transport au Québec, ce qui aurait contribué à accélérer la réinvention de l’économie. un dialogue plus fécond Si la crise n’a pas permis d’accélérer la transformation de l’économie québécoise, espérons qu’elle ne prête pas flanc au désengagement de l’État. Dans un rapport sur la stratégie de retour à l’équilibre budgétaire, largement diffusé dans les médias en décembre 2009, des économistes mandatés par le ministère des Finances prétendent que les finances publiques de l’après-crise exigeront des coupures budgétaires et des tarifs plus élevés pour les services publics. Cette rhétorique pessimiste à propos de l’État

québécois, déjà présente avant la crise, risque de devenir omniprésente dans l’après-crise. Est-elle justifiée? Elle est évidemment légitime, mais il ne faut pas oublier qu’il s’agit là d’une posture politique et que des discours plus optimistes sur l’État québécois ne sont pas moins justifiés. Parmi ces discours, il y a celui qui mise sur un État engagé dans la transformation de l’économie, comme il aurait pu l’être durant la crise. Un État capable de rendre l’économie plus respectueuse de l’environnement et plus sensible aux pro-

Le discours mise sur un état capable de rendre l’économie plus respectueuse de l’environnement et des problèmes sociaux. blèmes sociaux demeure aujourd’hui une option viable, voire nécessaire, comme l’avancent les auteurs d’un ouvrage récent que j’ai dirigé avec Jean-François Lisée2. Ceux qui souhaitent un tel État, cependant, doivent accepter de payer des impôts, des taxes et des tarifs. En d’autres termes, ils doivent accepter de sacrifier une partie de leur consommation et de leurs investissements individuels au profit de projets collectifs, aussi générateurs de croissance économique – faut-il le rappeler – que l’activité privée. Vivre dans une société qui s’occupe bien de ses personnes âgées, qui investit dans le 103


L’état du Québec 2010

savoir, qui contribue à la protection de la planète, etc., devrait leur procurer au moins autant de satisfaction que l’achat de la voiture de l’année ou du plus récent gadget électronique. Enfin, ceux qui souhaitent un État engagé dans la transformation de l’économie n’ont pas à rejeter en bloc les idées de leurs adversaires. Les difficultés financières auxquelles devra faire face l’État québécois dans l’après-crise ne relèvent pas entièrement de la fantaisie. Pour conserver sa capacité d’intervention, l’État devra sans doute accroître ses revenus, et la tarification des services publics peut constituer une avenue intéressante. Si l’impôt sur le revenu permet de réduire les inégalités de richesse, il faut aussi admettre qu’il est vulnérable à l’évasion fiscale. Moins égalitaires, les tarifs peuvent néanmoins servir à orien-

104

ter les choix des citoyens et entreprises, notamment vers des options respectueuses de l’environnement. Il serait souhaitable que la crise ne vienne pas radicaliser les positions de ceux qui prennent part au débat sur l’avenir de l’État québécois. Espérons que les discussions sur l’avenir de cet État, qui ont trop souvent ressemblé à un dialogue de sourds avant la crise, puissent repartir sur des bases plus constructives dans l’après-crise. notes

1 Akerlof, George, et Robert Shiller, Animal Spirits: How Human Psychology Drives the Economy, and Why It Matters for Global Capitalism, Princeton, Princeton University Press, 2009. 2 Lisée, Jean-François et Éric Montpetit (dir.), Imaginer l’après-crise. Pistes pour un monde plus juste, équitable, durable, Montréal, Boréal, 2009.


crise financière, crise économique et transformations du travail Diane-gabrielle tremblay Professeure, Économie et gestion, Téluq-UQAM Directrice, Alliance de recherche université-communauté (ARUC) sur la gestion des âges et des temps sociaux

Si elle a des conséquences immédiates sur le niveau d’activités et la croissance, la crise économique que nous traversons a aussi des conséquences sur la façon dont on travaille. prêts à faire de nombreuses concessions pour conserver leur emploi, les salariés voient leur travail s’intensifier et leurs conditions se dégrader, tandis que le travail atypique (temps partiel, autonome) a de beaux jours devant lui…

Les médias ont accordé beaucoup d’importance à la crise financière et économique cette dernière année et, même si l’économie québécoise semble moins touchée que celles de l’Ontario et des États-Unis, où les secteurs financiers et de l’automobile ont été fortement atteints, il ne faut pas oublier les effets majeurs de cette crise sur l’emploi. Pour plusieurs, au-delà des pertes financières

(dans des REER ou placements), la crise constitue une importante épreuve : le chômage, qui atteint 9 %, ne va pas se résorber si rapidement, même avec la reprise annoncée. En effet, si les personnes mises à pied peuvent espérer un retour en emploi dans quelques mois ou années, les nombreuses fermetures d’entreprises en condamnent d’autres à un chômage de longue durée et à des 105


L’état du Québec 2010

recherches d’emploi dans un contexte très difficile. De plus, les hausses du prix du pétrole et les difficultés d’accès au crédit bancaire vont ralentir la reprise, de sorte que les économistes s’attendent à une période de reprise lente, alors que la demande privée, celle issue des consommateurs, devra prendre le relais des opérations de relance budgétaire adoptées par de nombreux États, dont le Québec et le Canada. Pour ceux qui ne sont pas au chômage et dont l’emploi est maintenu, la crise correspond souvent à une augmentation de la précarité ou encore à un renforcement des pressions à la productivité, à l’engagement dans le travail, au présentéisme – présence sur les lieux de travail au-delà des heures normales ou payées pour justement sembler bien « engagé » dans son travail et loyal à son employeur… Le travail à domicile Déjà, depuis quelques années, on a constaté que le travail salarié effectué à domicile s’accroît. Ainsi, environ le quart des salariés travaille de chez soi quelque 6 heures par semaine en moyenne. Les deux tiers d’entre eux disent le faire en raison des exigences du travail, et non pas pour mieux concilier travail et famille, comme on pourrait l’imaginer. Aussi, ce ne sont qu’environ 5 % des salariés qui se trouvent dans un programme formel de télétravail, de sorte que 20 % font en réalité du travail supplémentaire à domicile, sou106

vent non payé 1 . Ainsi, depuis une dizaine d’années, le travail envahit de plus en plus le temps théoriquement réservé à la vie personnelle et familiale. Or, il semble que cela ira en augmentant avec les pressions de la crise, qui font craindre à plusieurs une perte d’emploi et les incitent à « mieux performer ». Par ailleurs, les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), comme les Blackberry, téléphone cellulaire et ordinateur portable, permettent maintenant de travailler partout et en tout temps (à l’hôtel, dans les transports en commun, à la maison, etc.). Les pressions de l’employeur se font souvent fortes pour inciter les salariés à « rester disponibles », à pouvoir être joints en tout temps pour des appels professionnels de clients, ou s’il y a « urgence ». Ces technologies aident donc les employeurs à obtenir une meilleure réactivité de l’entreprise et à accroître leurs profits, mais au prix de l’envahissement de la vie personnellefamiliale par le travail. En contexte de crise, difficile pour les professionnels, les cadres et les techniciens concernés par cette « disponibilité obligée » de refuser cette surcharge de travail et cet envahissement de leur temps personnel. Certains se plaignent même de recevoir jusqu’à une dizaine de courriels par jour et une quarantaine de messages texte les informant des retards sur les objectifs de production et les incitant à une plus grande productivité2. Et s’ils peuvent parfois travailler


Crise économique

à domicile, la frontière entre l’autono- sur les jeunes est plus forte, et les promie et le contrôle est souvent bien ténue, messes, de primes par exemple, sont et certains se sentent plus contrôlés reportées5 ». On peut aussi craindre une qu’avant avec les nouveaux outils de détérioration des statuts d’emploi, ce qui communication3. induit souvent une dégradation des conditions de travail. Les privilégiés et les On observe en fait une augmentation laissés-pour-compte régulière des formes d’emploi atypiques, Par ailleurs, une fois les banques sorties et les périodes de crise sont évidemment de leurs difficultés grâce aux fonds des périodes propices à un renforcement publics, il semble que les gouvernements de la tendance. Ainsi, si l’on regarde ne songent plus à imposer une nouvelle l’évolution sur la dernière décennie, le réglementation afin d’éviter que des pourcentage de travailleurs à temps pardérapages de type primes, salaires et tiel est passé au Québec de 9,0 % en 1976 retraites hors normes, emprunts à haut à 18,6 % en 2007. Ce sont surtout les jeurisque et produits dérivés ne se repro- nes, les travailleurs âgés et les femmes duisent dans le secteur financier. De qui travaillent à temps partiel, le pourfait, les financiers (les traders des mar- centage de femmes travaillant à temps chés boursiers en particulier) semblent partiel (26,0 %) étant plus important que déjà retrouver de bons rendements et celui des hommes (11,8 %). De plus, alors primes salariales, alors que beaucoup de que chez les hommes ce sont surtout les salariés resteront confinés au chômage, jeunes qui sont concernés, les femmes dans des emplois précaires (temps par- sont touchées tout au long de leur vie, tiel, travail occasionnel, contrats) ou dans tous les groupes d’âge. Souvent, encore dans des emplois stables, mais cette situation vise à mieux concilier contraints à travailler des heures non l’emploi et la famille, mais ce n’est pas payées afin de conserver un « bon » toujours le cas ; si les trois quarts des emploi. Certains se plaignent déjà de femmes avec enfant travaillant à temps l’élargissement des écarts entre les partiel le font de manière « volontaire », « promesses » des employeurs et la réa- un tiers des femmes avec enfant et la lité du travail 4. Ils affirment que les moitié des hommes et des femmes sans entreprises « leur demandent beau- enfant le font à défaut d’avoir trouvé un coup d’investissement, de flexibilité, de emploi à temps plein. mobilité, mais en échange, la reconnaisPar ailleurs, la proportion de trasance symbolique et financière de leur vailleurs temporaires a progressé quelproduction ainsi que les perspectives de que peu de 1997 à 2007, passant de 13,2 % carrière ne suivent pas forcément. La à 14,1 %, les femmes étant ici aussi un crise a accentué ce décalage. La pression peu plus touchées que les hommes6. 107


L’état du Québec 2010

Les travailleuses autonomes Là où l’on voit un changement important qui s’explique en partie par les périodes de crise, c’est dans la hausse du travail autonome. En fait, les données indiquent que cette forme de travail s’accroît dans les périodes de croissance (parce que les gens se permettent de quitter leur emploi salarié pour créer une entreprise) et dans les périodes de chômage élevé (en l’absence d’emploi, donc), mais l’important chômage actuel et le nombre de fermetures d’entreprises pourraient induire davantage de travail

en 30 ans, le nombre de travailleurs autonomes a progressé de 116 % au Québec. autonome. De fait, de 1976 à 2007, le nombre de travailleurs autonomes a progressé de 116 %, pour représenter 14,3 % de l’ensemble des emplois au Québec. La hausse a été plus forte chez les femmes (188,2 %) que chez les hommes (89,7 %), même si aujourd’hui la proportion des femmes travailleuses autonomes est moindre que celle des hommes travaillant à leur compte (10,8 % contre 17,6 %)7. La crise fait donc craindre une intensification du travail, plus de stress en emploi8, mais aussi un retour à la précarisation de l’emploi des femmes, des jeunes et des travailleurs âgés, soit les 108

plus vulnérables sur le marché du travail. Bref, la crise n’a pas que des effets financiers (pertes de rendements sur investissements) : elle a aussi des effets souvent négatifs sur les conditions de travail, l’intensité du travail et les pressions au travail. notes

1. Voir Diane-Gabrielle Tremblay et Elmustapha Najem, « Work, age and working time preferences : towards a new articulation of social times in a context of economic crisis ? », The International Journal for Responsible Employment Practices and Principles, 2009, p. 53-71. 2. Garric, Audrey, « Les managers soumis à de fortes pressions », Le Monde, 20 octobre 2009, p. 9. 3. Taskin, Laurent, et Diane-Gabrielle Tremblay, « Comment gérer les télétravailleurs ? », Gestion, numéro spécial sur le télétravail, à paraître en janvier 2010. 4. Garric, Audrey, « Un décalage entre les promesses et la réalité du travail », entrevue avec Alexandre Des Isnards, coauteur de L’open space m’a tuer (2008), Le Monde, 20 octobre 2009, p. 9. 5. Ibid. 6. Fadel, Anne-Marie, Marie-France Martin et Pierre-Olivier Ménard, « L’expérience parentale : pression du temps et ajustements professionnels », dans Marie-Agnès Barrère-Maurisson et DianeGabrielle Tremblay, Concilier travail et famille. Le rôle des acteurs. Québec-France, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2009, 456 p. 7. Ibid. 8. En France, les 25 suicides enregistrés à France Telecom en constituent une parfaite illustration. Ceux-ci ont été largement attribués au stress, à la souffrance au travail et à une inaptitude des dirigeants à diriger. Voir à ce sujet Rémi Barroux, « Comme à France Télécom, ce qui est en cause, c’est l’inaptitude à diriger », entretien avec Henri Vacquin, sociologue spécialiste des relations sociales dans l’entreprise, Le Monde, 20 octobre 2009, p. 12.


infrastructures urbaines et développement durable Louis guay et nancy émond Département de sociologie, Université Laval

au moment où les paliers supérieurs de gouvernement investisinvestissent, avec le maigre concours des villes, dans les infrastructures urbaines, la « crise » financière et économique aidant, le vérificavérificateur général du Québec et les médias rapportent des entorses aux règles d’attribution des contrats de construction d’infrastructures, notamment routières, et d’équipements collectifs. on est en droit de se demander quelles sont les finalités profondes de ces invesinvestissements publics à l’heure du développement durable.

Le Québec a adopté en 2006 une loi sur le développement durable qui s’adresse, au premier chef, à l’administration publique. Le gouvernement fédéral s’est doté de la sienne en 2008. Les deux gouvernements se réclament dorénavant du développement durable. Comme l’urbanisme et l’aménagement du territoire sont en grande partie une responsabilité publique, les investissements en infrastructures devraient en principe être régis par un souci de développement durable. Les programmes

d’infrastructures se logent-ils bel et bien à l’enseigne du développement durable ? Les infrastructures sont définies comme des « ouvrages, surtout de communication et de transport, qui assurent la connexion des lieux de l’espace géographique et leur confèrent une fonction sociale créatrice de territoire et de territorialité1 ». Les métropoles canadiennes les plus âgées sont aux prises avec un double problème : d’une part, les infrastructures 109


L’état du Québec 2010

vieillissent et, d’autre part, de nouvelles sont nécessaires. Selon un rapport remis à la Fédération canadienne des municipalités, elles pourraient être sur le point de « s’effondrer3 ». Les récentes fusions municipales et la création des commissions métropolitaines au Québec ne sont pas étrangères au besoin de planifier, de restaurer et d’étendre les grands réseaux techniques urbains. Le « temps des infrastructures » revient en force dans les aménagements urbains et territoriaux, pour reprendre le titre d’un ouvrage4. Les infrastructures ont des impacts environnementaux considérables que le développement durable demande de prendre en compte dans la planification5.

L’efficacité économique Un des problèmes de la planification et de la production des infrastructures et des grands équipements est la tendance au dépassement de coûts, qu’on peut attribuer à deux facteurs principaux6. Le premier est dû à une défaillance de la planification, qui tend à sous-estimer les coûts, notamment en matière de compréhension des impacts écologiques qu’il faut atténuer, et à l’apprentissage nécessaire pour assimiler et maîtriser les innovations que plusieurs projets impliquent. Le second repose sur l’acceptabilité politique des projets. Pour que les élus et les populations les acceptent, les planificateurs sont enclins à sous-estimer la facture totale. Sousestimer les coûts pour des raisons d’acceptabilité politique n’est pas un La planification publique modèle de démocratie et de transpaest souvent absente de la rence, pour ne pas dire d’honnêteté et planification des grands de courage. De plus, la participation publique est souvent absente de la plaprojets. nification des grands projets. Les grandes infrastructures demeurent une Le développement durable est un pro- prérogative technocratique, dirigées et jet social et politique de grande enver- décidées par un club restreint d’experts gure. Il est fondé sur les principes d’ef- et de politiques. On peut se demander ficacité économique, d’équité sociale et si l’efficacité technique et économique d’intégrité écologique. Ceux-ci peuvent ne serait pas accrue dans un contexte de servir de points de repère pour évaluer participation publique élargie. les plans d’infrastructures (Plan québécois des infrastructures, 2008-2013 et L’équité sociale Plan Chantiers Canada, 2007-2014) que Le développement durable n’a pas le gouvernement fédéral et le gouver- inventé la justice sociale. Il a puisé nement du Québec ont récemment dans une longue tradition démocratilancés. que, sociale-démocrate surtout, et lui a 110


Crise économique

donné un sens particulier, adapté aux conditions écologiques actuelles. La planification des infrastructures publiques s’est souvent faite au nom de l’équité sociale. Lorsque les villes nordaméricaines et européennes ont municipalisé les réseaux techniques urbains, elles ont souvent invoqué la satisfaction des besoins de tous ou du plus grand nombre. À partir du moment où les gouvernements s’approprient les réseaux techniques et contribuent à leur évolution, la parité d’accès citoyenne devient un critère de production. Le développement ne saurait exister sans infrastructures. L’autre problème, qui n’est pas sans rapport avec le précédent, repose sur la conception des infrastructures comme service collectif. Il faut distinguer public de collectif. Public renvoie à la propriété, collectif, à la fonction. L’eau, les routes, le transport en commun, l’électricité ont une vocation collective. Ils peuvent être de propriété publique ou privée, voire d’une combinaison des deux. Mais la propriété ne change en rien leur rôle social, qui est complexe. Les infrastructures participent à la définition, à l’image de l’éducation et de la santé, d’une pleine participation à la modernité et à la citoyenneté. Certains accentuent le caractère économique des infrastructures et des services qu’elles doivent rendre de manière efficiente et efficace. D’autres, au contraire, en font une responsabilité publique parce que l’accès à ces ressources participe à la

définition de la citoyenneté et, dans des termes plus philosophiques, à la conception actuelle de la « vie bonne ». Si les années 80 ont, à nouveau, fait pénétrer les acteurs privés dans ce domaine des infrastructures, le bilan de cette décision sur la qualité et le rendement de ces réseaux techniques est aujourd’hui très nuancé. Il y a certes une grande variation entre les pays dans la manière de soutenir les infrastructures et les équipements, mais il est évident que, lorsqu’ils deviennent services collectifs, services citoyens si on peut dire, une forme de propriété ou de supervision publique devient inévitable. D’autre part, si la privatisation des services publics et des infrastructures a été entreprise, c’est que leur gestion souf-

La social-démocratie doit mieux intégrer les dimensions écologiques que sa conception du développement avait négligées. frait d’un grave déficit d’efficacité économique. L’accroissement des coûts, accompagné parfois de faibles innovations, minait à long terme la qualité et la quantité des infrastructures et des équipements publics. La question n’est pas close et la solution sociale-démocrate – qu’on pourrait qualifier de « sociale-libérale » en terre nord-américaine – doit aussi être 111


L’état du Québec 2010

Travaux de construction de la place des Festivals à Montréal.

repensée, car l’efficacité économique est un moyen de réaliser le développement durable. La social-démocratie doit aussi mieux intégrer les dimensions écologiques que sa conception du développement pour tous avait plutôt eu tendance à négliger.

essentiels. Est-on prudent et responsable dans l’utilisation des ressources naturelles et de l’environnement ? Peut-on concilier l’accroissement des conditions de vie avec la protection de l’environnement ? Comme les grandes infrastructures sont de grandes consommatrices de matière et d’énergie, consommatrices L’intégrité écologique d’espace aussi, elles devraient être au Le développement durable fait le pari centre des politiques publiques qui qu’il est possible d’atteindre une plus visent le développement durable. Dans grande harmonie entre la qualité de son rapport Notre avenir à tous, la Coml’environnement et les besoins de déve- mission mondiale sur l’environnement loppement, notamment dans les pays du et le développement (CMED) est peu Sud. Mais les pays développés, qui ont, loquace sur le rôle des infrastructures plus que tous les autres, adopté le déve- pour réaliser le développement durable, loppement durable, ne peuvent plus sauf si on exclut l’énergie. Son chapitre poser la question en termes de besoins sur le défi urbain (chapitre 9) évite pres112


Crise économique

que la question. Le Plan d’action 21 (Agenda 21) est, toutefois, un peu plus explicite. Dans le chapitre sur la « promotion du modèle viable d’établissements humains » (chapitre 7), le plan d’action plaide en faveur d’une « infrastructure environnementale urbaine intégrée » et se préoccupe de la planification des transports viables et de la construction de bâtiments verts. Les agendas locaux peuvent être un moyen de rendre opératoire le développement durable, mais les grandes villes du Québec tardent à s’en donner un. un exemple : les infrastructures de l’eau L’eau est une ressource essentielle d’un point de vue environnemental, économique et social. Cependant, avec la croissance rapide de certains milieux urbains, les sources d’eau potable sont soumises à des pressions de plus en plus accrues. Par conséquent, depuis quelques années, l’eau, en termes d’accès, de qualité et donc de gestion, est l’un des sujets les plus débattus sur les scènes politique et médiatique. Les infrastructures qui s’y rattachent sont multiples : réseaux d’aqueduc et d’égout, stations d’épuration, usines de filtration de l’eau potable, postes de pompage, etc. Dans la foulée de la relance économique à la suite de la crise, le Plan d’action économique du Canada a prévu de réserver 11,8 des 40 milliards de dollars à investir – soit 30 % – aux infrastructures. Le Plan québécois des infrastruc-

tures 2008-2013, quant à lui, s’est engagé à investir 3,6 milliards sur 41,8, soit moins de 10 % des investissements dans les infrastructures municipales. À titre comparatif, les investissements pour le réseau routier s’élèvent à 39 % du total

peut-on concilier l’accroissement des conditions de vie avec la protection de l’environnement ? des investissements. Les investissements en lien avec les infrastructures de l’eau visent plus spécifiquement à compléter la mise aux normes des installations de traitement de l’eau potable et d’assainissement des eaux usées. Qu’en est-il de l’objectif du développement durable par rapport aux infrastructures de l’eau ? Dans son Plan d’action économique, le gouvernement fédéral prévoit dépenser un milliard de dollars sur cinq ans pour l’infrastructure verte qui appuiera des projets exclusivement liés à l’énergie renouvelable. Dans la section s’intitulant « Environnement plus durable », il prévoit la création d’un fonds pour l’énergie propre, l’investissement de 10 millions de dollars pour améliorer les rapports annuels du gouvernement sur des indicateurs environnementaux et le renforcement de l’avantage nucléaire, mais aucune mention n’est faite concernant les infrastructures de l’eau. Dans 113


L’état du Québec 2010

le Plan budgétaire 2009-2010 du gouvernement du Québec, 254 millions de dollars sont prévus afin de favoriser le développement durable, mais aucun de ces investissements ne concerne la gestion de l’eau. En 2000, la Commission Beauchamp sur la gestion de l’eau au Québec spécifiait que la durabilité appliquée à la gestion de l’eau impliquait de protéger l’accès à l’eau pour la satisfaction des besoins humains. À la suite de cette Commission, le gouvernement du Québec a, en 2002, mis en place sa première Politique nationale de l’eau (PNE) dans laquelle l’emploi du terme « durable » demeure en général assez vague en ce qui a trait aux infrastructures de l’eau. conclusion Le défi des infrastructures soutenables demeure entier. Le nouvel urbanisme qui prône le resserrement urbain, la mixité des fonctions urbaines et des modes de mobilité urbaine qui ne reposent pas uniquement sur l’automobile est plus que muet en matière d’infrastructures urbaines. Comme le nouvel aménagement urbain amorce une réflexion sur la manière de repenser les quartiers, une nouvelle ingénierie urbaine doit repenser la conception des infrastructures. Il faut penser à diminuer leur empreinte écologique, soit par une réduction de matière et d’énergie nécessaires à leur construction, soit en en limitant l’empreinte spatiale. La prise en compte de l’empreinte carbonique 114

des infrastructures est maintenant reconnue, comme l’affirme, non sans quelques responsabilités pour les retards pris, une Déclaration de la profession d’ingénieur : « il faut se concentrer sur l’adaptation des infrastructures pour réduire le bilan carbone de nos collectivités7 ». En outre, pour se réclamer de la soutenabilité environnementale à long terme et boucler le cycle matériel et énergétique, la planification des infrastructures doit, dès les phases de conception initiales, intégrer des mesures de démantèlement à la fin de leur durée de vie. Il s’agit d’un défi à l’inventivité humaine que le développement durable cherche aussi à encourager. Dans le domaine de la planification et de la production des infrastructures, les investissements en recherche et développement (R&D) peuvent être la voie royale à la fois vers l’efficacité économique et la soutenabilité environnementale. Or, le Canada traîne de la patte en matière de R&D. Longtemps, la proportion du produit intérieur consacrée à la R&D n’excédait pas 1,5 %. Des progrès récents l’ont fait atteindre les 2 %, mais il est douteux qu’une bonne part des investissements en R&D soit dirigée vers les infrastructures urbaines. Pendant ce temps, les chefs de file en R&D, comme la Suisse, la Suède, la Finlande et les États-Unis, s’approchent des 4 %7. On est généralement bien disposé à se réclamer du développement durable, mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres. Lorsque des projets d’aménage-


Crise économique

ment, comme la rue Notre-Dame et notes l’échangeur Turcot à Montréal, le bou- 1. Lévy, J., et M. Lussault, dir., Dictionnaire de levard Champlain à Québec, sont sou- la géographie et de l’espace des sociétés, Paris, Belin, 2003, p. 512. mis au débat public, ceux qui veulent les 2. Mirza, S., L’effondrement imminent de l’infrasrepenser et désirent s’éloigner des tructure municipale au Canada, Ottawa, Fédérafaçons de faire traditionnelles se mesu- tion canadienne des municipalités, 2007. rent aux intérêts économiques, admi- 3. Prelorenzo, C., et D. Rouillard, dir., Le temps des infrastructures, Paris, L’Harmattan, nistratifs et professionnels qui ne voient 2007. pas aussi clairement l’urgence de conce- 4. Doyle, M. W., et D. G. Havlick, « Infrastrucvoir ces projets à la lumière du dévelop- ture and the environment », Annual Review of pement durable. Le développement Environment and Resources, 34, 2009, p. 349-373. 5. Flyvbjerg, B., Megaprojects and Risk : An durable des villes, notamment en Anatomy of Ambition, Cambridge, Cambridge matière d’infrastructure et de forme University Press, 2003. urbaines, est un processus, un long pro- 6. Déclaration de la profession d’ingénieur, L’avecessus. Il se construit dans la complexité nir de la société canadienne. Façonnée par le nouvel ingénieur. Montréal, 21 mai, 2009, p. 3. des interactions sociales, professionnel- 7. Institut de la statistique du Québec (2005), les et institutionnelles et dans la capacité Indicateurs de l’activité scientifique et technologides acteurs de revoir leurs schémas de que. Compendium 2005, Québec, tableaux A-8 à pensée et d’action quand les situations A-12. changent.

115


et les régions ? entrevue avec gilbert Scantland Directeur général de la Conférence régionale des élus de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine L’état du Québec – Dans quel contexte économique est survenue la crise de 2008-2009 en Gaspésie–Îles-de-laMadeleine (GIM) ? Gilbert Scantland – La région ressource de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine vit, depuis le début des années 90, une crise permanente. Trois grands moments ont marqué l’histoire économique récente de la région : le moratoire sur la pêche de poisson de fond en 1993, qui a fait disparaître plusieurs entreprises et des milliers d’emplois ; la fermeture de la papetière Gaspésia en 1999 suivie de celle de la Smurfitt Stone à New Richmond en 2005 ; la crise du bois d’œuvre qui perdure; et la fermeture de la mine de cuivre à Murdochville en 1998 puis de la fonderie en 2002. Avec la fermeture de ces très grandes entreprises, la Gaspésie a perdu tous ses grands employeurs industriels, entraînant la perte de milliers d’emplois directs et indirects. Ceci nous a obligé à restructurer et à diversifier notre économie. Dès 1998, on a adopté et proposé au Gouvernement du Québec une stratégie de diversifica116

tion de l’économie qui mise sur le développement de créneaux spécifiques à notre région. Nous avons mis de l’avant, dans une approche de développement durable, trois créneaux : l’industrie éolienne, les ressources marines, le récréo-tourisme. Toujours dans une approche de diversification, nous avons porté une attention particulière aux infrastructures de communication et de transport. Il s’agissait essentiellement de positionner la région selon une approche différente, inspirée de la phrase célèbre de J.F Kennedy, « ne demandez plus ce que le Gouvernement peut faire pour les régions de la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine, mais demandez-vous ce que la région peut offrir au Québec». Cette approche a permis de dynamiser les communautés et nous a permis, grâce tout de même à l’aide de l’État, de prendre en main la situation et de s’assurer que le Québec, à l’avenir, ait besoin de la région. ÉDQ – Le plan a-t-il porté les fruits attendus ?


Crise économique

G.S. – Oui, le développement de la région a progressé et on a maintenu le niveau d’emploi malgré les grosses fermetures d’entreprises. En misant sur des industries de niche, et sur des « pôles de croissance», on a assuré notre compétitivité. On a su tirer profit des ressources de la région et, surtout, de l’empowerment de la communauté. On a développé une nouvelle économie. Dès 1999, on a lancé un vaste chantier pour doter la Gaspésie d’un réseau de fibre optique, qui appartient à la communauté. Cet accès à la large bande qui est présent dans chacune des communautés nous a permis de développer non seulement des entreprises qui utilisent les techniques de communication, mais à permis à nos communautés de sortir de l’isolement et d’envisager de nouvelles façons de faire. ÉDQ – Comment la crise économique a-t-elle modifié cette situation ? G.S. – La crise a affecté différents secteurs : dans l’industrie de l’éolien, qui nécessite de grands investissements, il est devenu très difficile de trouver du financement ; les prix des produits de la pêche ont chuté, diminuant la rentabilité des entreprises ; l’industrie forestière, qui alimentait largement le secteur de la construction résidentielle aux États-Unis, a tout d’un coup perdu son principal marché : plus de la moitié des entreprises gaspésiennes du secteur sont fermées temporairement. Dans tous les cas, la crise nous a touchés.

Mais l’impact a été moins important qu’il aurait pu l’être avant le virage struc turel de 1998. Notre nouveau modèle de développement nous a permis d’amortir une partie des effets de la crise. De façon générale, le niveau d’activité s’est maintenu et, en décembre 2009, on note une remontée importante du nombre d’emplois. L’exode démographique s’est arrêté en 2009, et la population a connu une légère augmentation. ÉDQ – Quelles leçons croyez-vous qu’il faut retenir de la crise ? Comment envisagez-vous la sortie de crise, pour la GIM et pour le Québec ? G.S. – La crise nous a encore une fois rappelé les limites de la mondialisation et du modèle économique traditionnel. À l’heure du développement durable, le modèle actuel ne peut plus tenir la route. Quelle est la logique d’importer par camion de la laitue du Chili alors qu’on peut en produire ici avec un impact moindre sur l’environnement ? D’innombrables biens de consommation circulent inutilement sur nos routes. On a besoin de modèles basés sur la proximité et les circuits courts. Cela deviendra possible le jour où l’on inclura dans le prix des produits leur impact sur l’environnement – l’impact de la production bien sûr, mais aussi celui de la distribution. Les régions pourraient trouver leur compte là-dedans. La lunette du développement durable donnerait aux régions une chance non seulement de survivre, mais de se développer. 117


L’état du Québec 2010

Prenons un exemple : le bois coupé et transformé en Gaspésie est envoyé à Montréal, puis renvoyé en Gaspésie pour être vendu dans des quincailleries et des centres de rénovation (un circuit de plus de 2 000 km), voilà un modèle, basé sur les grands volumes et l’uniformisation des marchés, qui ne devrait plus exister, car il ne tient pas compte des coûts réels et notamment des coûts sur l’environnement. Je prône l’idée du circuit court : lorsque c’est possible, desservir les régions proches avec les produits de la région. C’est une façon de garantir à la fois l’offre et la demande et de réduire nos impacts sur l’environnement. Une telle approche devrait recevoir l’appui des pouvoirs publics, car elle réduit nos GES et contribue positivement au bilan carbone du Québec

et les mesures gouvernementaux ne sont généralement pas adaptés aux régions comme la nôtre. Le « one size fits all » ne marche pas chez nous. De façon générale, les programmes qu’administrent les ministères ne tiennent pas compte des réalités particulières des régions. Les normes nationales qui encadrent ces programmes n’offrent pas la souplesse nécessaire pour adapter et moduler les interventions aux spécificités régionales. Il faut mettre à la disposition des régions des outils financiers comme un Fonds de modulation prélevé à même les fonds de programmes existants qui permettrait aux régions de faire les choix stratégiques qui s’imposent et ceci à l’aide d’une enveloppe budgétaire dédiée à la modulation dans chacune des régions. Un fonds de modulation national constituerait, par exemple, un formidaÉDQ – Comment amorcer ce virage ble outil de décentralisation : le gouverlocal et vert ? nement pourrait laisser le soin aux G.S. – Il faut encadrer ce nouveau déve- régions de décider de leurs priorités et loppement dans une gouvernance des mesures à prendre pour atteindre adaptée, c’est-à-dire de plus en plus des résultats en leur réservant une part décentralisée. Il faut accompagner cette du fonds. Cette allocation de ressources décentralisation du transfert vers les « libres de droits» donnerait aux régions régions des ressources et des outils de les leviers nécessaires pour prendre en développement leur permettant de se main leur propre développement éconodévelopper en fonction de leurs besoins mique et social. C’est un peu ça, le déveet de leurs capacités. loppement durable… À l’heure actuelle, on travaille trop Jumelée à la valorisation de nos terrisouvent à l’intérieur des limites de pro- toires, de nos terres et de nos ressources, grammes et de structures, au lieu de se la décentralisation serait bonne pour la demander : « Qu’est-ce qu’on peut planète et contribuerait peut-être à éviaccomplir et quels sont les meilleurs ter une situation de crise comme celle moyens d’y parvenir ?» Les programmes que nous avons connue. 118


Les faits pervers de l’endettement caroline toupin, Martine robergeau et andrée grégoire Coalition des associations de consommateurs du Québec

« achetez maintenant, payez plus tard », « payez en 36 versements égaux, sans intérêts », « payez seulement dans 12 mois », « Zéro comptant », « aucun crédit refusé » sont des formules nous laissant croire que le crédit est gratuit et sans conséquence. pourtant, il n’en est rien. plus les gens achètent à crédit, plus ils hypothèquent leur budget et leur liberté d’action et plus ils risquent de se retrouretrouver dans une situation financière difficile. Le modèle économique canadien repose sur la production de biens favorisant la richesse collective et la croissance. Le fonctionnement optimal de ce modèle suppose la création de besoins individuels et l’incitation à la consommation allant même jusqu’à la surconsommation. Toutefois, lorsque les conditions changent, comme c’est le cas avec la crise économique actuelle, nous sommes en droit de nous poser quelques questions. Est-ce un signe que le modèle utilisé n’est plus en mesure de répondre aux besoins de la population ? Ce modèle est-il toujours aussi efficace ? Apparemment non, car nous constatons

que ce modèle contient plusieurs failles dont, entre autres, les problèmes liés à l’environnement et au surendettement. L’environnement est un sujet abondamment traité depuis quelques années, cependant le surendettement demeure un sujet trop souvent passé sous silence. Pourtant, cette problématique affecte, tout autant que l’environnement, la qualité de vie des citoyens. L’endettement et les trois singes de la sagesse Dans leur pratique quotidienne, les associations de consommateurs, qui sont des organismes à but non lucratif 119


L’état du Québec 2010

œuvrant partout au Québec et offrant des consultations budgétaires gratuites à la population, constatent que les personnes vivant des problèmes financiers attendent souvent trop longtemps avant de demander de l’aide. Elles diminuent ainsi leurs possibilités d’action. Pourquoi attendent-elles aussi longtemps ? Nous constatons que, dans ce domaine comme dans bien d’autres, la crainte d’en parler est une réalité malheureusement trop répandue. Pour la majorité des personnes, une perte de contrôle de leurs finances personnelles leur fait vivre des sentiments de honte et d’incompétence. Elles réagissent alors comme les trois singes de

Le niveau d’endettement des consommateurs au Québec et au canada connaît une croissance exponentielle. la sagesse. Elles choisissent de : « ne rien voir, ne rien entendre et ne pas en parler ». Concrètement, cela signifie ne plus ouvrir les comptes, ne plus répondre au téléphone, faire des promesses que nous ne pouvons pas tenir, ne pas en parler à ses proches, croire que les choses finiront par s’arranger d’elles-mêmes et penser que son niveau d’endettement est normal. Quelle est la limite distinguant l’endettement du surendettement ? M. Gérard Duhaime, sociologue, répond 120

à cette question. Il affirme que le fait d’avoir des dettes est une condition courante, mais que pour une personne surendettée, l’endettement devient un véritable cauchemar1. Ainsi, le surendettement représente l’impossibilité pour cette personne de faire face à l’ensemble de ses dettes. Malheureusement, cette situation se vit de plus en plus au Québec et au Canada, particulièrement dans le contexte difficile d’une crise économique. La carte de crédit pour joindre les deux bouts Le niveau d’endettement des consommateurs au Québec et au Canada connaît une croissance exponentielle. Selon M. Roger Sauvé de l’Institut Vanier de la famille, depuis 1990, l’endettement augmente six fois plus vite que les revenus, et la dette totale des ménages des Canadiens équivalait en 2008 à 140 % des revenus2. Cela signifie que, pour chaque dollar gagné, les Canadiens en dépensent 1,40 $ ! Les experts s’entendent : la situation est alarmante ! Depuis les 15 dernières années, les gens travaillent plus, mais les salaires n’augmentent pas. Le coût de la vie augmente et les gens doivent faire face aux hausses des coûts des biens et services de base. D’après les chiffres de M. Sauvé, le revenu moyen des ménages a connu une augmentation de 11,6 % depuis 1990 et les dépenses ont augmenté deux fois plus rapidement durant la même période, soit de 24,4 %3.


Crise économique

L’épargne, une notion en voie d’extinction ? Dans un contexte où les revenus des ménages ne suffisent plus à combler l’ensemble des dépenses, c’est l’épargne qui en souffre. Le taux d’épargne au Québec et au Canada n’a jamais été aussi bas depuis les 20 dernières années. Selon Statistique Canada, l’épargne des Canadiens est passée de 17 % en 1982 à 1 % vers la fin de 20056. Au Québec, les Pour certains, le fait que le crédit soit toujours là, quoi qu’il arrive, donne l’illusion d’avoir une données de l’Institut de la statistique du sécurité financière ou d’avoir à sa disposition une Québec révèlent que le taux d’épargne source de revenus supplémentaires. des Québécois ne cesse de diminuer. Il est passé de 4,7 % en 2001 à 2 % en 20077. Les cartes de crédit deviennent alors Un des rôles de l’épargne consiste à une solution facile pour joindre les deux faire face aux dépenses imprévues. Combouts. Dans leur pratique quotidienne, ment les ménages arrivent-ils à combler les associations de consommateurs ces dépenses, puisqu’ils sont pratiqueobservent que les ménages sont à court ment sans épargne ? Les cartes de crédit de liquidité et utilisent le crédit pour jouent désormais le rôle de filet de sécucombler leurs besoins de base. Par rité et remplacent, en quelque sorte, conséquent, le nombre de faillites per- l’épargne. Pour certains, le fait que le sonnelles, ultime indicateur de l’endet- crédit soit toujours là, quoi qu’il arrive, tement, a plus que triplé en 20 ans. De donne l’illusion d’avoir une sécurité 1968 à 2006, le nombre de dossiers d’in- financière ou d’avoir à sa disposition une solvabilité déposés au Bureau du surin- source de revenus supplémentaires. tendant des faillites a augmenté en moyenne de 8,6 % par année4. En temps L’accès facile au crédit de crise économique, le nombre de montré du doigt faillites augmente inévitablement. Entre Bien que plusieurs facteurs telles l’ab2007 et 2008, le Bureau du surintendant sence de budget, les habitudes de des faillites a enregistré une hausse de consommation, la diminution des reveprès de 14 % pour atteindre un sommet nus ou l’augmentation des dépenses, avec 123 234 dossiers d’insolvabilité contribuent à l’augmentation de l’endetdéposés en 20085. À ce rythme, le nom- tement chez un individu, il est indéniabre de cas d’insolvabilité pourrait se ble que les cartes de crédit ont un grand situer entre 130 000 et 140 000 en 2009. rôle à jouer. D’après les données de 121


L’état du Québec 2010 graphiQue 1

Pourcentage des dépenses par tranche d’un dollar de revenu personnel 80 %

74 %

71 %

70 %

63 %

60 % 50 % 40 % 30 %

25 % 20 %

20 %

17 %

25 %

10 % 0%

4%

1982 Impôt

2001 Dépenses de consommation

1%

2005 Épargne

l’Association des banquiers canadiens, il y avait, en 2008, 68 millions de cartes de crédit Visa et Mastercard en circulation au Canada, ce qui représente une augmentation de 93 % en 10 ans8. Les cartes de crédit sont souvent identifiées comme l’une des principales causes du surendettement des consommateurs. Il s’agit du type de dette le plus fréquemment cité lorsqu’une personne déclare faillite. Selon l’Agence de la consommation en matière financière du Canada, 85 % des Canadiens ont une carte de crédit et 58 % en possèdent plus d’une9. Plusieurs personnes et des associations de consommateurs considèrent que l’accès facile au crédit incite les consommateurs à s’endetter plus que 122

jamais. Selon le Bureau de la consommation, plusieurs chercheurs établissent une corrélation entre la facilité d’accès au crédit et les faillites des consommateurs10. Il est reconnu que l’utilisation du crédit est un facteur déterminant de l’augmentation de l’endettement. D’autre part, il est également reconnu que les Canadiens ont une faible connaissance du fonctionnement du crédit et des produits financiers. Selon un sondage sur la connaissance, les attitudes et le comportement des consommateurs de services financiers publié en 2006 par l’Agence de la consommation en matière financière du Canada, un segment important de consommateurs canadiens a une connaissance faible ou nulle des taux d’intérêt, du calcul des intérêts ou de leurs responsabilités relatives aux cartes de crédit11. La méconnaissance du fonctionnement du crédit et l’ignorance des coûts reliés au crédit amènent les consommateurs à utiliser les cartes de crédit comme une façon d’emprunter de l’argent plutôt qu’un mode de paiement. L’endettement : plus que des chiffres S’il est facile d’identifier les symptômes d’un endettement problématique, tels que payer ses dettes avec du crédit, avoir du retard dans ses paiements ou avoir de la difficulté à combler ses besoins de base, il est plus difficile d’en reconnaître les atteintes physiques et psychologiques. Outre les conséquences économiques, l’endettement cache des problèmes


Crise économique

sociaux bien réels. Il est de plus en plus reconnu, tant par les chercheurs que par les professionnels de la santé, que l’endettement des ménages entraîne des conséquences néfastes sur la santé des citoyens et une diminution évidente de leur qualité de vie. Nous parlons alors de stress financier. Selon Roger Sauvé de l’Institut Vanier de la famille, ce stress financier constitue un sérieux problème dans la mesure où il peut conduire non seulement à la faillite personnelle, mais aussi à « des problèmes de couple, à la dépression, parfois au suicide12 ». Une enquête sur les conséquences de l’endettement menée par la Coalition des associations de consommateurs du Québec en 2008 révèle que la santé des personnes aux prises avec des problèmes financiers est bien souvent fragilisée, tant sur le plan psychologique que physique. Plusieurs personnes se sentent anxieuses, déprimées, épuisées ou mal dans leur peau à cause de leur situation financière. La plupart vivent des conflits avec leur conjoint, leurs enfants, leurs proches ou leur employeur13. L’endettement, au-delà du coût économique, a un coût humain et social. À la recherche de solutions Malgré cette crise économique difficile qui aurait pu changer les choses, le modèle de croissance économique en place semble là pour rester. Nous devons donc nous en accommoder. Un des meilleurs trucs pour prévenir le suren-

dettement demeure la budgétisation qui permet d’exercer un contrôle sur les dépenses et de créer des habitudes d’épargne. Toutefois, les solutions doivent aller au-delà des responsabilités individuelles dans la mesure où les émetteurs de crédit ont aussi leur part de responsabilité en facilitant l’accès au crédit. En ce sens, le Bureau de la consommation révèle que la majorité

L’endettement entraîne des conséquences néfastes sur la santé des citoyens et sur leur qualité de vie. nous parlons de stress financier. des Canadiens considère que les problèmes d’endettement relèvent d’une responsabilité partagée entre l’individu qui éprouve de la difficulté à tenir ses finances personnelles et les institutions prêteuses qui accordent du crédit trop facilement14. En Europe, nous parlons de plus en plus de responsabilité sociale des institutions financières et nous instaurons des mesures visant à lutter contre l’endettement telle l’obligation de vérifier la solvabilité du consommateur avant d’octroyer du crédit. Aux États-Unis, il est désormais interdit de solliciter du crédit auprès des jeunes sur les campus universitaires ou à proximité de ceux-ci. Au Québec, la Loi sur la protection du consommateur était avant-gardiste. 123


L’état du Québec 2010

Trente ans plus tard, elle accuse un retard et doit s’actualiser. Le gouvernement du Québec travaille actuellement à la modernisation de sa loi en se penchant sur le crédit. En lien avec ces constats, devrionsnous, comme dans certains pays, obliger les institutions prêteuses à vérifier la capacité de remboursement du consommateur ou encore limiter certaines formes de publicités sur le crédit auprès des jeunes ? Souhaitons que le Québec suive la vague mondiale à ce sujet en mettant de l’avant des mesures visant à lutter contre le surendettement. notes

1. Duhaime, Gérard, La vie à crédit. Consommation et crise, Presses de l’Université Laval, 2003, p. 8. 2. Sauvé, Roger, L’état actuel du budget de la famille canadienne, Rapport 2008, L’Institut Vanier de la famille, 2009, p. 12. 3. Ibid., p. 9 4. Bureau du surintendant des faillites Canada, Un survol des statistiques sur l’insolvabilité au Canada jusqu’à 2006, Industrie Canada, 2007, p. 19. 5. Bureau du surintendant des faillites Canada, Statistiques sur l’ insolvabilité au Canada – 2008, Industrie Canada, 2008, p. 1.

124

6. Statistique Canada, no 75-001-XIF, mars 2005, p. 8, janvier 2007, p. 32 et 34. 7. Institut de la statistique du Québec, Le Québec chiffres en main, édition 2009, Gouvernement du Québec, mars 2009, p. 38. 8. Association des banquiers canadiens, « Statistiques sur les cartes de crédit — VISA et Mastercard, Tableau DB 38 — PUBLIC », avril 2009, 1 p. 9. Agence de la consommation en matière financière, « Sondage général sur la connaissance, les attitudes et le comportement des consommateurs de services financiers », décembre 2006, p. 10. 10. Bureau de la consommation, Rapport sur les tendances en consommation, Industrie Canada, 2005, p. 151. 11. Agence de la consommation en matière financière, « Sondage général sur la connaissance, les attitudes et le comportement des consommateurs de services financiers », décembre 2006, p. 15. 12. Sauvé, Roger, L’état actuel du budget de la famille canadienne, Rapport 2005, L’Institut Vanier de la famille, 2006, p. 20. 13. Coalition des associations de consommateurs du Québec, Enquête éclair sur les conséquences de l’endettement sur la santé – faits saillants, 2008, 1 p. 14. Bureau de la consommation, « Rapport sur les tendances en consommation », Industrie Canada, 2005, p. 159.


Le secteur manufacturier la tête sous l’eau* patrice Jalette et natacha prudent École de relations industrielles, Université de Montréal Centre de recherche interuniversitaire sur la mondialisation et le travail

cent mille emplois ! au Québec, cette formule ne réfère désormais plus au célèbre slogan de robert bourassa, mais plutôt à l’ampleur des pertes d’emplois subies depuis six ans par le secteur manufacmanufacturier québécois, soumis à des vagues de licenciements collectifs et de restructurations. Quelles perspectives ?

La crise économique de 2008 a servi de révélateur à la crise du secteur manufacturier qui sévit depuis plus de cinq ans. En effet, à l’échelle du Québec, une perte nette de plus de 100 000 emplois a été enregistrée de 2002, année où l’emploi a culminé dans le secteur de la fabrication, à 2008. Les pires années ont été 2006 et 2007 avec des pertes annuelles de plus de 34 000 et de 38 000 emplois1 – impossible d’accuser la crise * Ce texte est basé sur la recherche effectuée dans le cadre du mémoire de maîtrise de Natacha Prudent. Les informations détaillées sur la méthodologie de collecte des données sont disponibles auprès des auteurs.

financière, qui s’est amorcée à l’été 2007 et qui s’est ensuite étendue au reste de l’économie à l’automne 2008. La

Les industries à intensité technologique élevée subissent une crise conjoncturelle. 125


L’état du Québec 2010

croissance soutenue de l’emploi dans le secteur des services au cours de cette période a contribué à cacher sous le boisseau la situation dramatique à laquelle faisaient face les manufacturiers québécois, les travailleurs et les communautés. Les chiffres de l’emploi donnent certainement une bonne idée de l’ampleur de la crise, mais ils ne rendent pas compte de sa nature. L’ampleur, la nature et les causes de la crise Pour la période 2003-2008, nous avons recensé 1 554 restructurations qui ont engendré un licenciement collectif impliquant au moins 10 mises à pied. Ce nombre se partage en 491 fermetures définitives d’usines, soit 32 % de l’ensemble, et 1 063 restructurations d’une autre nature (réduction partielle des opérations prenant l’une des formes suivantes : réorganisation interne, délocalisation, fusion ou consolidation) – impliquant des mises à pied considérées comme temporaires au moment où elles sont effectuées. Le graphique 1 montre que l’impact de la crise économique s’inscrit dans une crise manufacturière déjà bien enclenchée. Par contre, une réduction de la proportion des fermetures définitives dans l’ensemble des restructurations est observable, passant d’environ un peu plus du tiers de 2003 à 2007 à moins du quart en 2008. Cela suggère que la phase structurelle de la crise tend à se résorber pour faire place à une phase de crise beaucoup plus liée 126

à la conjoncture économique générale. Bien que les mises à pied soient toujours dramatiques pour les individus et les communautés, leurs impacts à terme sont moindres lorsque l’usine demeure en activité. En dépit de cette relative amélioration de la tendance, il demeure que l’année 2008 a été celle qui a engendré le plus de turbulences avec plus du quart des restructurations recensées au cours de la période étudiée. Seules les données de 2009 permettront de confirmer si l’année 2008 marquait ou non un changement durable dans la tendance. Le graphique 2 montre que les régions les plus touchées par les restructurations d’entreprises au fil des ans ont été MontgraphiQue 1

Évolution des restructurations dans le secteur manufacturier québécois, 2003-2008 450 93

400 350

110

324

300 250

96 230 67

200 150

69 56

143

154

118

100

94

50 0

2003

2004

2005

Mises à pied temporaires

2006

2007

2008

Fermetures définitives


Crise économique graphiQue 2

Restructurations dans le secteur manufacturier québécois selon les régions administratives, 2003-2008 Saguenay–Lac-Saint-Jean

3,5% 4,3 % 2,6% 3,3 %

Outaouais

Nord-du-Québec 0,2%

0,6%

Montréal

20,6% 20,8 % 13,8% 14,8 %

Montérégie Mauricie Laval

7,1% 6,3 %

1,9%

3,7 %

Laurentides

3,9%

Lanaudière

5,9%

2,1% 2,9%

Gaspésie– 1,4% Les Îles-de-la-Madeleine 1,7 % Estrie Côte-Nord

8,9 % 2,2% 1,3 % 8,4 % 9,0 %

Chaudière-Appalaches Centre-du-Québec

5,4%

10,2 %

3,9% 3,2%

Capitale-Nationale Bas-Saint-Laurent Abitibi-Témiscamingue

11,0%

2,9%

1,8%

0,0 %

5,5 %

4,7%

5,0%

Mises à pied temporaires

10,0%

15,0 %

20,0 %

25,0%

Fermetures définitives

127


L’état du Québec 2010

réal et la Montérégie, ce qui n’est guère inusité considérant leur part importante dans l’activité manufacturière québécoise. Suivent l’Estrie, ChaudièreAppalaches, le Centre-du-Québec et la Mauricie, qui ont connu près de 37 % des fermetures d’usine. Il reste que les emplois perdus dans une région diversifiée sur le plan industriel, comme Montréal, sont généralement plus faciles à remplacer que dans une région qui l’est moins, comme la Côte-Nord. De plus, les emplois de remplacement dans le secteur des services sont généralement moins payants dans les petites villes et les régions rurales que dans les grandes régions métropolitaines. Bref, une évaluation juste des impacts de la crise pour une région donnée doit être faite à l’aulne de sa structure industrielle.

L’insuffisance de la demande et la concurrence internationale sont évoquées pour justifier les restructurations. D’autres données révèlent que la crise manufacturière a frappé durement les industries à faible intensité technologique 3, comme le vêtement, le textile, le bois et le papier. Environ 72 % de l’ensemble des restructurations ont eu cours dans ce segment du secteur manu facturier, dont plus des trois quarts se sont soldés par des fermetures 128

d’usine. Dans les industries à intensité technologique élevée, comme l’industrie aéronautique ou pharmaceutique, les pertes d’emplois ont été le plus souvent le résultat de licenciements temporaires pour des raisons liées à la demande. Compte tenu du particularisme de ces industries, la crise qui les a frappées n’a pas été de même nature que dans le reste du secteur manufacturier : crise plus conjoncturelle pour les industries à intensité technologique élevée, crise plus structurelle pour les autres. Enfin, les motifs donnés par les employeurs pour justifier les restructurations illustrent aussi la part de la conjoncture et la part de la réorganisation structurelle de la crise vécue dans le secteur manufacturier. L’insuffisance de la demande compte pour plus de 20 % des motifs relevés, suivie par la concurrence internationale à 15 %. Viennent ensuite la hausse de la valeur du dollar canadien (10 %), la réorganisation interne de l’entreprise (10 %), la rationalisation des coûts visant une augmentation de la profitabilité (10 %) ainsi que les difficultés de financement (10 %). En dépit des limites inhérentes à la cueillette des données (notamment à l’enchevêtrement des causes), nous constatons que les motifs attribués par les employeurs aux restructurations tiennent autant à la conjoncture (variation de la demande liée à la crise mondiale, par exemple) qu’à des décisions corporatives stratégiques (rationalisation et réorganisation) ou à des change-


Crise économique

ments structurels (concurrence interna- mes, il faut les rendre plus efficaces, plus tionale, par exemple). humaines et moins porteuses d’insécurité. La capacité effective de notre sysLes perspectives tème de sécurité sociale à répondre à très Le destin du secteur manufacturier au court et à long termes aux besoins des Québec demeure fort sensible à la con- travailleurs en matière de protection du joncture à tous les niveaux. Par exemple, revenu et d’accès à la formation professi le prix du baril de pétrole atteignait sionnelle doit notamment être évaluée à 200 $, les délocalisations deviendraient la lumière de l’expérience récente. Il de facto moins profitables, contribuant serait particulièrement pertinent d’en ainsi à la consolidation des emplois au comparer la performance à celle des Québec. D’ailleurs, quelques cas de systèmes européens de « flexicurité », délocalisations qui ont fait « boome- combinant une main-d’œuvre flexible, rang » – des manufacturiers rapatriant capable de s’adapter à l’évolution de la au Québec certaines activités précédemment délocalisées – ont été signalés l’été dernier4. Même chose pour la valeur du parce que les restructurations sont inévitables, il faut les dollar canadien dont la dépréciation amorcée à l’automne 2008 a aidé certairendre plus humaines. nes industries. Cette sensibilité du secteur manufacturier québécois à la conjoncture rend difficile toute projection. technologie et des marchés, avec la sécuEn parallèle aux changements engen- rité qui garantit les niveaux de vie et les drés par la conjoncture, la restructura- conditions de travail des travailleurs. Au tion du secteur se poursuivra, car les moment où un accord de libre-échange nouveaux modèles de production, l’évo- entre l’Europe et le Canada est dans l’air, lution technologique, la concurrence il serait aussi à-propos d’examiner la féroce pour les consommateurs et les mise à niveau de la législation québéinvestisseurs, la libéralisation du com- coise du travail aux standards de l’Union merce et des mouvements de capitaux européenne afin de consacrer le droit ainsi que le développement des écono- des salariés québécois à être informés et mies émergentes ne cessent de changer consultés au sujet des restructurations, la donne. Le mouvement de restructu- droit dont ils ne bénéficient pas actuelration des entreprises amorcé il y a une lement au Québec. De telles dispositions vingtaine d’années est devenu quasi viseraient à donner davantage de temps aux acteurs locaux pour élaborer des permanent. Parce que les restructurations sont solutions de rechange ou négocier des inéluctables et qu’elles feront des victi- transitions efficaces et humaines, et 129


L’état du Québec 2010

ainsi réduire l’insécurité entourant les notes restructurations qui, malheureusement, 1. Institut de la statistique du Québec, Annuaire continueront de faire partie du paysage québécois des statistiques du travail, 2000-2008, vol. 5, n° 1, 2009. économique québécois. Le développe- 2. Bernard, André, « Tendances de l’emploi ment d’une véritable capacité d’y faire manufacturier », L’emploi et le revenu en perspecface vaut certainement mieux qu’une tive, vol. 10, n° 2, p. 5-14. improvisation, aussi bien intentionnée 3. Classification tirée de OCDE, Science, Technology and Industry Scoreboard 2005 – Toward a soit-elle. Knowledge Based Economy, Paris, 2005.

4. Bergeron, Ulysse, « Délocalisation : le monde à l’envers », Commerce, novembre 2008, p. 19-26; Jalette, Patrice, et Stéphanie Chevance, « De la délocalisation à la relocalisation », Effectif, vol. 11, n° 4, 2008, p. 50-53.

130


économie et morale vraiment incompatibles ? Daniel Weinstock Directeur, Centre de recherche en éthique, Université de Montréal

L’année 2009 aura été, au Québec comme ailleurs, une année marquée par les scandales économiques. Quel diagnostic moral devons-nous tirer de cette corruption, qui semble de plus en plus fréquente ?

Je voudrais dans ce court texte mettre en garde contre deux analyses tentantes, mais à mon avis trop simplistes, de ces crises. La première porterait un regard individualiste sur les crises et conclurait qu’elles ne sont le fait que d’un certain nombre d’individus à la moralité douteuse. La seconde, plus systémique, prétend que les gestes immoraux commis par les acteurs du système économique ne font que refléter l’immoralité du système auquel ils participent et que nous n’éviterons ce genre de crise que lorsque nous aurons changé de système. Je voudrais défendre une position un peu plus nuancée, selon laquelle nous n’avons pas suffisamment pensé aux valeurs morales et aux vertus de caractère individuel qu’un système

économique comme le nôtre présuppose pour son bon fonctionnement. Avant de commencer, il convient de poser un regard un peu sceptique sur la perception selon laquelle la plus grande fréquence de scandales économiques et financiers reflète nécessairement une occurrence plus importante de méfaits. Il se pourrait au contraire qu’elle soit paradoxalement le signe d’un certain progrès moral. En effet, il se pourrait que la société québécoise (ainsi que les autres sociétés modernes ayant eu à faire face à des scandales de même nature) soit moins tolérante qu’elle l’ait été à une certaine époque envers la malhonnêteté des acteurs politiques et économiques, et que les médias soient par conséquent plus portés qu’ils l’étaient 131


L’état du Québec 2010

auparavant à dénoncer les écarts de conduite des individus chargés d’importantes responsabilités économiques. Il s’agirait globalement d’une bonne chose que nous ne soyons plus disposés à faire aveuglément confiance à nos leaders économiques, et que les médias fassent grand cas des conflits d’intérêts

sociétal, la solution serait d’améliorer l’éducation morale des individus, en leur enseignant les bonnes valeurs, telles que l’honnêteté et l’intégrité. Il ne s’agit pas ici de nier qu’une partie du problème relève de la morale individuelle. Il est clair qu’en acceptant des enveloppes truffées d’argent, Benoît Labonté faisait quelque chose qu’il n’aurait pas dû faire. Il en va de même nous n’avons pas pensé aux pour les Vincent Lacroix et les Earl valeurs morales que le Jones de ce monde. Rien de l’analyse capitalisme présuppose pour morale que je propose ici ne devrait être son bon fonctionnement. interprété comme dédouanant ces individus sur le plan de la responsabilité et des malversations dont ils se rendent individuelle. parfois coupables. Il faut donc se méfier Mais nous demeurerions, à mon avis, des analyses de scandales économiques à la surface du problème de l’immoralité qui tablent sur un narratif de déclin dans le domaine économique si nous moral et spirituel de notre société. nous limitions à une telle analyse. Elle est limitée, tout d’abord, parce qu’elle Des pièges à éviter repose sur une vision faussement binaire Venons-en aux analyses de ces scanda- des dispositions morales des individus. les économiques auxquels nous devrions Il y aurait selon cette vision des choses à mon avis résister. La première, que l’on des bonnes et des mauvaises personnes, pourrait qualifier d’« individualiste », et nous éviterions les scandales finansitue le mal au niveau des motivations ciers si nous faisions en sorte que moralement douteuses des principaux les leviers du pouvoir économique soient protagonistes de ces scandales. Selon détenus par de bonnes plutôt que par de cette vision des choses, Earl Jones, Vin- mauvaises personnes. cent Lacroix, Benoît Labonté seraient En réalité, la plupart des individus ne tout simplement de mauvaises person- sont, comme l’ont reconnu tous les nes. La solution est donc de mettre en grands éthiciens, de Platon à Kant et place dans les processus de sélection (de au-delà, ni complètement bons ni comcadres, de conseillers, de politiciens) de plètement mauvais. Leurs motivations meilleurs filtres permettant d’écarter les sont plurielles. Ce n’est donc pas tant en individus dont la fibre morale serait remplaçant les « mauvaises » personnes insuffisamment développée. Au niveau par de « bonnes » personnes à la barre 132


Crise économique

des principales institutions économiques que nous éviterons de telles crises. C’est plutôt en examinant nos institutions afin de découvrir quels sont les incitatifs et les règles qui les structurent et qui ont tendance à promouvoir la prédominance de motivations moralement problématiques et à inhiber les motivations aux conséquences morales plus désirables. Pour ne prendre qu’un exemple, la pression exercée par des investisseurs petits et grands pour des rendements irréalistes dans le contexte économique actuel, marqué entre autres par des taux d’intérêts très bas, ouvre la porte à ce que des conseillers financiers promettant des retours sur investissement très élevés attirent énormément de clients insuffisamment soucieux des méthodes employées dans la quête de profits maximaux. Un biais de sélection est ainsi créé favorisant l’émergence de conseillers, pour qui les fins justifient les moyens, et la promotion de traits de caractère individuels visant la maximisation des profits à court terme, sans égard pour les conséquences à moyen et à long terme que leurs actions sont susceptibles d’engendrer. Une analyse des scandales qui ont entouré des firmes comme Norbourg et des conseillers comme Earl Jones qui passerait à côté des forces structurelles qui ont rendu ces crises possible, et qui ne ciblerait que la vénalité et l’immoralité des principaux protagonistes, serait superficielle et simpliste. Pire, elle serait incapable d’identifier des solutions sus-

Rien de l’analyse morale proposée ici ne devrait être interprété comme dédouanant des individus comme Vincent Lacroix sur le plan de la responsabilité individuelle.

ceptibles d’éviter de manière durable que ne se répètent de telles crises. un lieu commun Si les analyses individualistes qui verraient l’immoralité d’agents individuels comme étant la seule cause des scandales financiers pèche par simplisme, il en va de même des analyses selon lesquelles de telles crises seraient une conséquence inévitable d’une économie de marché capitaliste. De telles analyses verraient l’avidité et l’appât du gain comme des traits de caractère qu’appelle nécessairement un tel système économique et concluraient que nous ne serons en mesure d’éviter crises et scandales que de tels traits occasionnent que dans la mesure où nous rejetterons le système. Une telle analyse représenterait un progrès par rapport à une analyse 133


L’état du Québec 2010

purement individualiste dans la mesure où elle accepterait qu’une analyse éthique adéquate des scandales économiques et financiers doit se pencher sur les règles et les ensembles d’incitatifs institutionnels plutôt que simplement sur les traits de caractère individuels. Mais elle serait également limitée en n’ayant qu’une vision fort restreinte de l’institution du marché. Selon les philosophes et les économistes qui en ont été les premiers théoriciens, le marché n’équivaut pas au simple laissez-faire dans lequel tous les coups sont permis

évitant la création d’asymétries susceptibles de faire en sorte que le marché ne profite qu’à certains. Ces règles interdiront la création de cartels ou de monopoles et tenteront de minimiser les asymétries au niveau de l’information. De telles règles sont relativement bien comprises et ont été intégrées, de manière certes parfois imparfaite, au fonctionnement de la plupart des économies modernes.

Le système carbure à la morale Ce que l’on a moins retenu de l’analyse morale du marché proposée par des économistes classiques comme Smith en réalité, la plupart des est que la viabilité du marché dépend de individus ne sont ni ce que les acteurs économiques possècomplètement bons ni dent des traits de caractère tendant à complètement mauvais. promouvoir son maintien, et qu’ils entretiennent les uns avec les autres des à condition qu’ils engendrent des profits relations empreintes autant de morale à court terme. Pour un penseur comme que de considérations stratégiques. La Adam Smith, ainsi que pour ceux qu’il confiance est notamment une considéa inspirés, le marché est une institution ration importante pour Smith. La profondément morale, au sens où son modération et la capacité de remettre à existence se justifie par la richesse col- plus tard la gratification représentaient lective qu’il crée, mais également au pour Max Weber des traits de caractère sens où il s’agit d’une institution qui doit qui ont permis au capitalisme de se être entretenue autant par des règles développer de manière particulièrement institutionnelles évitant que le marché efficace parmi les peuples protestants. s’éloigne de sa raison d’être première Une attitude prudente par rapport au que par des traits de caractère indivi- risque fait également partie des vertus duels appropriés. qui ont semblé essentielles à ceux qui Pour que la compétition qui caracté- ont perçu le marché comme une instirise le marché produise le bien général, tution morale complexe plutôt que il faut que cette compétition soit loyale, simplement comme le règne du laissezà savoir qu’elle mette en place des règles faire. 134


Crise économique

Une analyse morale sérieuse de la crise économique que nous sommes en train de traverser, et des scandales qui lui ont été associés, porterait un regard attentif sur les aspects du système économique actuel qui ont tendance à inhiber le développement de tels traits de caractère et de telles relations morales. Par exemple, il est clair que l’une des causes de la crise financière de 2008 réside dans la création d’instruments financiers très complexes permettant aux prêteurs hypothécaires de s’immuniser par rapport au risque normalement associé au prêt. La retenue et la modération, qui doivent normalement caractériser la pratique du crédit (il convient ici de noter que le terme « crédit » est étymologiquement et conceptuellement lié à des notions épistémologiques et morales comme celles de « croyance » et de « crédibilité »), sont érodées lorsque de tels instruments financiers créent chez le prêteur l’incitatif ultimement pervers de prêter, sans se soucier de la capacité réelle de l’emprunteur à rembourser. La tâche intellectuelle que nous imposent les crises et les scandales financiers à répétition que nous vivons depuis quelques années est donc de nous livrer à une analyse aussi fine que possible des règles morales et des traits de caractère que le fonctionnement d’une économie

de marché moderne suppose et des mécanismes institutionnels susceptibles de promouvoir, ou au contraire d’inhiber, leur développement. Une telle entreprise intellectuelle devra éviter les écueils qui consisteraient soit à voir la cause des dérapages économiques comme ne résidant que dans l’immoralité de quelques individus que nous n’aurions qu’à purger de notre système afin que ce dernier soit replacé sur les rails, soit à voir de manière également simpliste la cause des scandales comme résidant dans un système économique moralement irrécupérable que nous n’aurions d’autre choix que de rejeter de manière globale. Ce travail de réflexion morale sera forcément plus complexe que celui qui se baserait sur l’une ou l’autre des analyses simplistes que j’espère avoir démasquées dans ce court texte. Il devra faire intervenir les expertises complémentaires d’historiens, de philosophes, d’économistes, de juristes, dont l’apport sera essentiel pour que nous comprenions sous tous leurs angles ces structures et institutions extrêmement complexes qui sont au cœur du fonctionnement des économies modernes. Il devra renouer avec le projet qui a été celui des premiers théoriciens de l’économie moderne, pour qui économie et moralité n’étaient pas encore devenues antithétiques.

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Science économique, illusions et dogmatisme* Sylvie Morel Professeure d’économie, Département des relations industrielles, Université Laval

La crise économique met en lumière les graves lacunes de l’enseil’enseignement de l’économie à l’université. car la responsabilité des économistes « orthodoxes » face à la crise est indubitable : des choix inappropriés en matière de politiques publiques ont concouru à la produire, lesquels ont souvent découlé des préconipréconisations de ces professeurs-chercheurs consultés pour leur experexpertise. pointer la responsabilité de ces économistes par rapport aux conséquences de leurs recommandations renvoie non seulement aux défauts de leurs théories, mais à un problème plus profond encore : le dogmatisme qui sévit dans une institution censée pourtant représenter un haut lieu du savoir dans notre société.

L’une des conséquences de la crise économique, qui a dominé l’actualité de l’année écoulée, est d’avoir révélé au grand jour les failles de l’enseignement et de la recherche en économie dans le monde universitaire. En maints endroits, en effet, les prétentions de la * Certains passages de cet article sont extraits de Sylvie Morel, « La crise économique : quelle responsabilité pour les économistes ? », Économie autrement, 17 avril 2009. 136

« science économique » à pouvoir éclairer la décision publique et privée sont sérieusement mises à mal. Cette science, qui a si manifestement échoué à expliquer les processus économiques ayant conduit à la crise ainsi que ses enjeux, pourquoi s’y fierait-on encore ? Il s’agit là d’une vraie question. Pourtant, le Québec n’est pas le meilleur endroit où en prendre la mesure. Dans les départements de sciences économiques de nos


Crise économique

universités, la crise n’a pas ébranlé cette foi en ce que l’on considère comme étant un savoir rigoureux et objectif. En outre, si un mouvement de contestation étudiant face à l’enseignement de l’économie a soufflé dans de nombreux pays, et ce, bien avant la crise, rien de tel ne s’est produit ici. Sur la scène médiatique, enfin, on cherche en vain un réel débat public ayant pointé la responsabilité des économistes dans les événements actuels. L’expertise de ceux que l’on appelle parfois les « nouveaux clercs » serait-elle à ce point à l’abri de la contestation au Québec ? La science économique : victime de la crise ? L’économiste français Christian Chavagneux dresse l’état des lieux de la discipline en ces termes : « La crise financière est en train de faire une victime à laquelle on ne s’attendait pas : la science économique. Comment se fait-il que la grande majorité des économistes, y compris parmi les spécialistes de la finance, n’ait pas vu venir la catastrophe ? De quoi remettre en cause la théorie financière et, plus généralement, les hypothèses de base de la théorie économique dominante1. » Cette approche dominante, appelée « néoclassique » et développée depuis la fin du xixe siècle, fournit le cadre conceptuel d’où dérive l’essentiel de l’enseignement et de la recherche universitaires en économie. C’est pourquoi on oppose les économistes « orthodoxes » – l’écrasante majorité

de la profession – aux « hétérodoxes », ceux et celles qui, malgré de nombreux obstacles institutionnels, tentent de faire valoir d’autres lectures des faits économiques. L’absence de pluralisme dans l’enseignement de l’économie est l’une des raisons de la naissance, en 2000, dans les universités et grandes écoles françaises, du Mouvement des étudiants pour la réforme de l’enseignement de l’économie, dont les membres affirmaient : « Parmi toutes les approches en présence, on ne nous en présente généralement qu’une seule et elle est censée tout expliquer selon une démarche purement axiomatique, comme s’il s’agissait de LA vérité économique. Nous n’acceptons pas ce dogmatisme. Nous voulons un pluralisme des explications, adapté à la complexité des objets et à l’incertitude qui plane sur la plupart des grandes questions en économie (chômage, inégalités, place de la finance, avantages et inconvénients du libre-échange, etc.)2. » L’aveuglement des économistes orthodoxes C’est ce monolithisme que la crise remet à l’avant-scène. Ainsi, en décembre 2008, l’économiste Richard Dale, professeur émérite de finance internationale à l’Université de Southampton, interpellait la communauté universitaire en affirmant que la crise financière signait « la faillite des chercheurs ». « La recherche académique, écrivait-il, porte une responsabilité dans cette crise : il est urgent de revenir sur les raisons d’un 137


L’état du Québec 2010

Henri­Paul Rousseau, l’ancien président et chef de la direction de la Caisse de dépôt et placement, a été un ardent défenseur de modèles mathématiques de gestion des risques des plus sophistiqués.

aveuglement3. » La communauté universitaire n’avait, notamment, pas jugé bon de retenir les mises en garde que l’auteur avait énoncées, dans un ouvrage, en 1993, contre les dangers de crise engendrés par la diversification croissante des activités des banques4. Au final, évaluet-il, ce « que nous avons observé ces derniers mois est non seulement une fracture du système du monde financier, mais le discrédit d’une discipline, la finance. Il y a environ 4 000 professeurs de finance dans les universités du monde, des milliers de papiers sont 138

publiés chaque année et, pourtant, la communauté universitaire n’a donné presque aucun, pour ne pas dire aucun, avertissement sur le potentiel incendiaire des marchés financiers globaux ». On parle ici surtout de l’enseignement et de la recherche pratiqués dans les départements d’économie, en économie financière, et dans les départements de finance, qui mobilisent surtout savoir et techniques économiques. Dans un article au titre éloquent, The Financial Crisis and the Systematic Failure of Academic Economics 5, huit


Crise économique

chercheurs et professeurs d’université américains et européens livrent aussi un constat accablant pour l’économie dominante : si les économistes semblent avoir été inconscients de la longue gestation de la crise financière actuelle et, une fois celle-ci survenue, en avoir fortement sous-estimé la complexité, c’est en raison d’une mauvaise orientation de la recherche en économie dans le monde universitaire. C’est ce que révèle leur analyse des carences méthodologiques et conceptuelles des modèles de gestion du risque servant à évaluer les produits dérivés ainsi que des modèles macroéconomiques utilisés en économie financière. La théorie dominante, indiquentils, a engendré, surtout depuis 30 ans, des modèles déconnectés de la réalité économique. Dans la littérature universitaire en macroéconomie et en finance, « la « crise systémique » apparaît comme un étrange événement qui est absent des modèles économiques », constatent-ils. Les économistes ont aussi manqué à leur devoir d’information auprès de la population quant aux limites et aux faiblesses de leurs modèles. Paul Krugman, professeur d’économie à l’Université de Princeton, chroniqueur au New York Times et lauréat en 2008 de ce qui est faussement appelé le prix Nobel d’économie6, insiste aussi sur le fait que les risques de crise financière ont été carrément ignorés ou minimisés par les économistes7. En 2003, rappelle-t-il, le président de l’Association économique américaine, Robert

Lucas, professeur à l’Université de Chicago, « nobélisé » en 1995, déclarait « résolu en pratique » le problème de la prévention de la dépression économique. Pour Ben Bernanke, longtemps professeur d’économie et président, depuis 2006, de la Réserve fédérale américaine, la politique macroéconomique moderne avait réglé le problème du cycle économique8. Quant à son célèbre

La théorie dominante a engendré des modèles déconnectés de la réalité économique. prédécesseur, Alan Greenspan, également économiste de formation, il déclarait, en 2004, rapporte encore l’auteur, que « les institutions financières [étaient] devenues moins vulnérables aux chocs engendrés par les facteurs de risque sous-jacents » et que « le système financier dans son ensemble [était] devenu plus solide ». Paul Krugman attribue cet aveuglement de la profession à la vision romancée et à la rectitude de la plupart des économistes, qui se laissent confondre par la beauté formelle de leur outillage mathématique9. À la reine d’Angleterre qui s’était inquiétée, lors d’une visite à la London School of Economics, de ce que si peu d’économistes aient prévu la crise financière10, 10 chercheurs britanniques de renom ont répondu que la science économique était devenue une branche 139


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des mathématiques appliquées ayant peu de liens avec la réalité. non seulement fausse, mais dangereuse En France, en 2000, les étudiants et étudiantes d’économie demandaient à leurs professeurs de sortir « des mondes imaginaires ». Mais l’économie néoclassique n’est pas seulement fictive, elle est aussi dangereuse : « Avec sa fausse croyance selon laquelle toute l’instabilité du système peut être attribuée aux interventions dans le marché, plutôt qu’au marché lui-même, elle s’est fait la défenseure de la déréglementation de la finance et d’une spectaculaire augmentation des inégalités de revenu. [Cela a] conduit au développement des produits financiers qui sont précisément ceux qui mettent maintenant en danger le maintien du capitalisme lui-même11. » Les départements d’économie et de finance ne sont pas seuls sur la sellette : ceux de gestion le sont aussi. Le rôle des gestionnaires dans la crise a été abondamment commenté en 2009, mais quid des institutions qui les forment ? Florence Noiville, journaliste au Monde et diplômée de HEC et de Sciences-Po, vient de signer, dans son ouvrage J’ai fait HEC et je m’en excuse12, un vibrant plaidoyer en faveur de la réforme de ces « écoles du capitalisme » qu’il est, à ses yeux, urgent de repenser : « on ne peut pas ne pas s’interroger sur la part de responsabilité que porte, dans ce désastre, l’enseignement dispensé dans les 140

écoles de commerce. » Son objectif est d’alerter l’opinion publique sur les dangers de continuer d’enseigner, dans les grandes écoles de gestion et de management, ce qu’elle appelle le modèle « Make More Profit, the Rest we Don’t Care About » (MMPRDC). S’agit-il d’une « trahison des clercs » (« le bateau coule peut-être, mais ma cabine n’est pas inondée ») ? D’une difficulté à penser hors du cadre (« le propre de la grande école n’est-il pas […] de reproduire du conforme et du même ?) » ? Toujours est-il que, dans ces lieux, le déni règne en maître et que « presque personne ne semble faire le lien entre la crise actuelle et la formation […] reçue ». Une lueur d’espoir face à ce qui devrait être, selon l’auteure, la HEC – la « Haute éthique contemporaine » –, semble poindre du côté de certaines grandes universités américaines, dont Harvard, où de grands MBA, indique-t-elle, sont en « plein examen de conscience ». On pense également ici au réputé professeur de management Henry Mintzberg, de l’Université McGill, qui, avec un instinct prémonitoire étonnant, écrivait en 2006 que, face à une dépression qui surviendrait en 2008, les économistes auraient bien du mal à saisir, avec « leurs explications toutes faites », dit-il, « comment la productivité a tué l’entreprise américaine13 » et comment une « dépression économique sérieuse » a été « induite par les erreurs du management14 ». Et puis, pointer la responsabilité des économistes et des gestionnaires face à


Crise économique

la crise exonère-t-il pour autant les autorités politiques de la leur ? Il est clair que les liens, au demeurant fort complexes, existant entre le savoir économique et le pouvoir mériteraient un examen plus approfondi. Ajoutons à cet égard que le pouvoir politique, qui ne fait jamais complètement abstraction de ses intérêts, se trompe rarement quand il choisit ses « experts ». Car l’économie n’est pas une technique, elle est tout empreinte de doctrine politique et, si la théorie inspire la conception de nouvelles politiques, elle peut aussi servir à justifier celles dont le choix est déjà arrêté. Cela contribue à consolider l’orthodoxie dans l’espace universitaire, malgré toutes ses carences. S’ajoutent, comme raisons du maintien de la domination de l’orthodoxie, une position institutionnelle solidement structurée – les règles déterminant l’accès aux unités d’enseignement, aux fonds de recherche et aux revues recevant le label scientifique (déterminantes pour la promotion des professeurs-chercheurs) concourant toutes à reproduire une même vision de ce que doit être la discipline –, l’illusion de rigueur que crée son habillage mathématique élaboré et l’attrait que représentent toujours les réponses simples aux problèmes complexes. Des problèmes réels au Québec Si les controverses entourant le savoir des économistes ont eu peu d’écho au Québec, ce n’est pas faute d’y rencontrer les problèmes causés par l’orthodoxie éco-

nomique. La performance désastreuse de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), en 2008, en témoigne directement15. L’utilisation de modèles de gestion du risque inadéquats est l’un des facteurs explicatifs des errements dont ont fait preuve les responsables de gestion de portefeuilles de cette institution. Comme l’explique Konrad Yakabuski16, Henri-Paul Rousseau, l’ancien président et chef de la direction de cette institution, et Richard Guay, qui y occupait le poste de vice-président, étaient, avant d’arriver à la Caisse, professeurs à l’université, en économie pour l’un, en finance pour l’autre. Aussi ont-ils été, quand ils dirigeaient la CDPQ, d’ardents défenseurs de modèles mathématiques de gestion des risques des plus sophistiqués. Des modèles statistiques complexes furent, plus que dans les institutions financières canadiennes, les outils premiers guidant les choix de placement de la CDPQ. Une confiance aveugle dans ces instruments d’évaluation a fait le reste, personne ne pouvant imaginer que les modèles étaient erronés. Une certaine irritation face à l’inconstance des économistes n’a pas non plus épargné le monde politique. À cet égard, rappelons la sortie plutôt inattendue, le jour de la présentation du budget de mars 2009, de Monique Jérôme-Forget, alors ministre des Finances du Québec. Celle-ci déclarait, au vu de l’incertitude entourant son scénario d’un retour à une modeste croissance de 1,9 % en 2010 : « S’il y a des économistes dans 141


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la salle, vous n’êtes pas bons, vous changez d’idée à tous les mois17. » Et, dans le monde universitaire, on constate que l’économie hétérodoxe est pratiquement inexistante dans les départements de sciences économiques des universités québécoises (Laval, Montréal, UQAM, Mc Gill, par exemple). Et ce manque de pluralisme n’est pas nouveau : en 1979, il avait donné lieu à la création de l’Association d’économie politique, dont le but était, comme l’explique Gilles Dostaler, cofondateur et premier président de cette association, de « regrouper économistes et autres chercheurs et intervenants intéressés à mettre en commun leurs analyses et leurs réflexions sur les problèmes contemporains, dans une perspective qui déborde le cadre tant de la science économique orthodoxe que des autres disciplines des sciences sociales refermées sur elles-mêmes », eu égard au fait que le libéralisme économique, revenu en force dans les années 70, était « étayé, sur le plan théorique, par un discours économique monolithique, posant l’économie comme un organisme naturel mû par les lois du marché, au même titre que le système solaire par les lois de la gravitation18 ».

Penser l’économie autrement est donc un chantier de grande envergure. Mais comment procéder ? Geoffrey M. Hodgson, professeur et éditeur du Journal of Institutional Economics, pour qui la question de la réforme de l’enseignement de l’économie doit être inscrite « à l’ordre du jour de nos plus hautes priorités », suggère d’organiser, pour ce faire, un mouvement international d’économistes et d’étudiants et étudiantes en économie. En France, 15 ans après l’Appel des économistes pour sortir de la pensée unique, on vient de fonder l’Association française d’économie politique, en réaction à « l’orientation académique et intellectuelle » qu’a prise la discipline. « Le constat est désormais préoccupant et signifie à plus ou moins brève échéance la fin du pluralisme dans la pensée économique et, par là même, l’absence de tout débat économique19. » C’est avec impatience que James K. Galbraith, professeur d’économie bien connu, fils de l’illustre John K. Galbraith, en appelle aussi à remplacer l’économie néoclassique20. Au Québec, au printemps 2008, un petit groupe d’économistes s’est formé et a lancé l’appel « Pour une autre vision de l’économie ». Nous y affirmions que L’urgence d’une réforme « le défi le plus fondamental qui se pose des programmes d’enseignement aujourd’hui à nous est de revivifier le Les limitations de l’orthodoxie dépas- pluralisme dans le discours économisent largement l’économie financière. que, en redonnant droit de cité aux Tous les champs de spécialisation de la conceptions économiques qui offrent discipline (environnement, développe- une alternative au courant dominant en ment, travail, santé, etc.) sont visés. économie21 ». 142


Crise économique

Tirer les leçons de la crise en réformant en profondeur l’enseignement de l’économie à l’université est la première manière de relever ce défi. L’université doit redevenir un espace privilégié pour cultiver la liberté de penser. notes

1. Chavagneux, Christian, « Les économistes mis en cause », Alternatives économiques, nº 279, avril 2009, p. 61. 2. La Lettre ouverte des étudiantes et étudiants français en économie a été publiée dans le quotidien Le Monde du 17 juin 2000. Ce mouvement étudiant s’est étendu ailleurs en Europe et aux États-Unis. En ligne : www.autisme-economie.org 3. Dale, Robert, « Crise financière : la faillite des chercheurs », Télos, 1er décembre 2008, p. 1. 4. Hodgson, Geoffrey M., « Les économistes se réveilleront-ils en 2009 ? Nous sommes tous keynésiens désormais », La revue du Mauss, n° 33, 2009, p. 192. 5. Colander, David, et autres, The Financial Crisis and the Systematic Failure of Academic Economics, The Dahlem Report, 2009. 6. Il n’y a pas de « prix Nobel d’économie ». Le prix en économie, créé en 1968, s’appelle le « Prix de la Banque centrale de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel » et n’est pas financé par la Fondation Nobel. Voir Gilles Dostaler, « Le “prix Nobel d’économie” : une habile mystification », Alternatives économiques, nº 238, juillet 2005. 7. Krugman, Paul, Pourquoi les crises reviennent toujours, Paris, Seuil, 2009, p. 172. 8. Rapporté par P. Krugman, ibid., p. 13. 9. Krugman, Paul, « How Did Economists Get It So Wrong ? », New York Times, 2 septembre 2009.

10. Hodgson, Geoffrey M., « Ten British Economists Write to The Queen », University of Hertfordshire, Hatfield, Hertfordshire, 2009. En ligne : http ://www.feed-charity.org/revitalizingeconomics-after-the-crash.htm 11. Keen, Steve, « Mad, Bad, and Dangerous to Know », Real-World Economics Review, no 9, 12 mars 2009, p. 2-7 (c’est nous qui traduisons). 12. Paris, Éditions Stock, 2009, 114 p. 13. Mintzberg, Henry, « How Productivity Killed American Entreprise », 2007. En ligne : www.mintzberg.org 14. Mintzberg, Henry, « Misère du management », entretien avec P. H. Dembinski, La revue du Mauss, no 33, 2009, p. 189. 15. En 2008, la CDPQ a enregistré un rendement global de -25 % et son actif net est passé, en un an, de 155,4 à 120,1 milliards de dollars. Ce résultat est très inférieur au rendement de -18,5 % du portefeuille de référence. 16. Yakabuski, Konrad, « Henri-Paul Rousseau was the king of Quebec’s pension fund and his returns the envy of many. His bold strategy also cost the Caisse dearly. How his bet on the quants went wrong », Report on Business, Globe and Mail, 31 janvier 2009, p. B-1, B-4, B-5. 17. Dutrisac, Robert, « Jérôme-Forget peint l’avenir en rouge », Le Devoir, vendredi 20 mars 2009, p. A10. 18. Dostaler, Gilles, « L’Association d’économie politique. Présentation ». En ligne : http ://www. unites.uqam.ca/aep/presentation.html 19. AFEP, « Pour une Association française d’économie politique », 20 octobre 2009. En ligne : www.assoeconomiepolitique.org 20. Galbraith, James, « Pourrait-on enfin avancer sur la réforme de l’enseignement de l’économie ? », La revue du Mauss, no 33, 2009, p. 199-203. 21. Beji, Kamel, et autres, Pour une autre vision de l’économie, 2008, 14 p. En ligne : www.economieautrement.org

143


Quand la confiance est censée remplacer le crédit andrée De Serre École de sciences de la gestion (ESG), Université du Québec à Montréal (UQAM)

robert pouliot FidRisk

La crise des papiers commerciaux adossés à des actifs, mieux connus sous l’acronyme de pcaa, a occulté l’autre crise qui mérite tout autant d’attention : celle des fraudes de Madoff et de Stanford aux états-unis, de portus en ontario, de Lacroix et de Jones, qui n’ont pas laissé en reste les Québécois. cette crise-là est loin d’être réglée, comme le dévoilent les nombreux cas de fraude, grands ou petits, dont continue de nous abreuver régulièrement l’actualité.

À l’heure du diagnostic sur les causes de la crise financière et de l’identification des moyens pour en éviter la répétition, politiciens, régulateurs, superviseurs et actionnaires s’entendent tous sur un point commun : il devient impératif d’améliorer la rigueur des pratiques propres aux différents produits et services financiers. Mais cela veut-il dire plus de réglementation ou de la prévention ? 144

La mutation de l’épargne : une révolution financière turbulente Tant que les taux d’intérêt étaient élevés, les Québécois s’en tenaient à des produits d’épargne bancaire, protégés par des programmes gouvernementaux d’assurance-dépôts, ou à des obligations d’État. À 19,5 % pour une obligation d’épargne du Québec en 1980, pourquoi investir en Bourse ? Mais le ressac de l’inflation et des taux


Crise économique

d’intérêt a rendu les fonds d’investissement plus attrayants pour les épargnants, surtout pour les baby-boomers en mal d’épargne-retraite. Plusieurs facteurs ont contribué à éloigner de plus en plus d’épargnants du monde plus sécurisant du dépôt et de l’obligation. D’une part, les banques centrales réduisaient les taux d’intérêt à compter du début des années 2000 à leur plus bas niveau historique depuis la Grande Dépression, pour éviter justement d’aggraphiQue 1

Évolution de la Caisse de dépôt et placement : un profil de risque croissant de 1995 à 2008

graver la récession qui suivit l’explosion de la bulle des TMT (technologies, média et télécom) des années 90. D’autre part, une armée de babyboomers, dépouillés de la sécurité des régimes de retraite à prestations déterminées (on sait ce que l’on touchera sans savoir ce qu’il en coûte au juste, grâce à la garantie de l’employeur), ont souscrit aux régimes à cotisation déterminée plus aléatoires (on sait ce qu’il en coûte sans savoir ce que cela rapportera), sans garantie de l’employeur. Ajoutez à cela la pression fiscale croissante des gouvernements pour contrer la baisse des inves tissements dans graphiQue 2

Mouvement Desjardins : le maintien de sa réputation de prêteur

350 000

7 000

250 000

6 000

200 000 Millions de dollars

Millions de dollars

300 000

150 000 100 000 50 000 0

5 000 4 000 3 000 2 000

1995

2002

2008

1 000

Obligations et hypothèques Total des actifs Adapté par FidRisk selon rapports annuels

Même si les obligations ont rapporté davantage que les actions depuis 10 ans, la règle d’or pour la majorité des investisseurs était qu’un risque plus élevé rapportait plus. Et comme la théorie moderne de portefeuille le préconisait, il suffisait de mieux contrôler le risque additionnel. C’est ce qui s’est passé avec les PCAA pour quelques points centé­ simaux de plus et des milliards en moins.

0

1995 Revenu net d’intérêt

2002

2008

Revenu fiduciaire

Autre revenu Adapté par FidRisk selon rapports annuels

Plus important que celui de la Banque Nationale en absolu, le revenu fiduciaire de Desjardins représente malgré tout moins de 30 % de son revenu total brut. Desjardins garde sa réputation de grand prêteur.

145


L’état du Québec 2010

les régimes d’épargne-retraite ou les régimes de travailleurs (dotés d’avantages fiscaux plus généreux) depuis trois ans, et les baby-boomers devenaient prêts à presque tout pour réaliser la retraite la plus confortable qui soit.

en plus gros et complexes. C’est la révolution financière qui a marqué le Canada au seuil des années 90, lorsque les banques ont reçu l’autorisation de racheter la majorité des autres institutions financières, comme les sociétés de fiducie, les courtiers en valeurs mobilières et les sociétés de gestion de portefeuille et de La mutation de l’épargne en fonds communs de placement. La investissement s’est réalisée réforme de la Loi sur les banques en 1991 dans un concert de plus en autorisa la création de « groupes d’intérêt bancaires » (par exemple Banque plus bruyant de scandales, Nationale du Canada, Groupe RBC ou de crise et de négligence BMO) alors qu’au Québec, le réseau des fiduciaire. caisses populaires Desjardins, sous juridiction québécoise, se structurait Faute de dépôts et d’obligations capa- aussi à la même époque en grand groupe bles d’offrir des taux d’intérêt raisonna- financier. bles, toute une génération d’avantLe modèle réglementaire basé sur la retraite se voyait condamnée à prendre distinction des produits s’est peu à peu de plus en plus de risques sans le réali- érodé. Les banques de dépôt se sont ser. Chaque point centésimal gagné mises à vendre des fonds collectifs et de devenait précieux dans le calcul de la l’assurance à leurs clients; les courtiers valeur présente de sa rente future, mais en valeurs mobilières, des marges de on en ignorait le coût réel. C’est exacte- crédit à leurs clients et des intérêts sur le ment la tendance que suivirent de solde de leur compte, sans oublier les nombreux gestionnaires de caisses de fonds communs de placement; les sociéretraite, dont la Caisse de dépôt et pla- tés d’assurance, des comptes de chèques cement du Québec entre 1995 et 2008, et sur les dépôts ou la valeur des polices de nombreux fonds universitaires de d’assurance-vie avec, elles aussi, des dotation aux États-Unis. fonds communs appelés fonds distincts. Aux États-Unis, la loi Glass-Steagall est Le transfert du risque abolie en 1999 et ouvre la voie toute des institutions aux investisseurs grande aux fusions entre banques de L’histoire de cette mutation remonte au détail et banques d’investissement et à décloisonnement des services financiers la formation de géants financiers comme et à la dérèglementation autorisant la CitiGroup. Dans les faits, la part de leurs formation de groupes bancaires de plus revenus provenant de la vente de pro146


Crise économique graphiQue 3

Transformation de la Banque Nationale : d’un prêteur à un fiduciaire 4 000 3 500 3 000 Millions de dollars

duits et services de nature fiduciaire est devenue de plus en plus importante pour la majorité des institutions financières, y compris le Mouvement Desjardins et la Banque Nationale du Canada (voir graphiques 2 et 3). D’une banque de crédit, où le danger de faillite impose une discipline de fer, on est passé rapidement à une banque quasi universelle où risque de crédit (avec obligation de résultat, c’est-à-dire une garantie de remboursement d’un dépôt initial plus intérêt) et risque fiduciaire (sans obligation de résultat) s’entremêlent dans un écheveau difficile à démêler. Il a aussi été amplifié par les nouvelles techniques d’ingénierie financière de titrisation et de papier commercial adossé à des actifs. Au moment où éclatait la crise à l’été 2007, certains groupes bancaires étaient devenus des structures compliquées, difficiles à contrôler et à surveiller tant leurs produits et activités étaient liés et interdépendants. Cette mutation de l’épargne en investissement s’est réalisée dans un concert de plus en plus bruyant et tumultueux de scandales, de crise et de négligence fiduciaire. Tout s’est déroulé si vite que les régulateurs n’ont pas vu le train passer, et sont restés passifs durant la crise des PCAA et avant que n’éclatent les scandales de Norbourg, Mount-Real, Earl Jones, Triglobal, et Portus, sans oublier la crise aux relents de fraude à la Ponzi aux États-Unis avec Sir Robert Allan Stanford (8 milliards de dollars)

2 500 2 000 1 500 1 000 500 0

2002

2008

Revenu net d’intérêt de prêts

Autre revenu

1995 Revenu fiduciaire

Adapté par FidRisk selon rapports annuels

La part du revenu d’intérêt de prêts n’a cessé de baisser entre 1995 et 2008 alors que le revenu fiduciaire (courtage, garde de valeurs et gestion de portefeuille) était multiplié par cinq.

et Bernard Madoff (entre 30 et 50 milliards de dollars). plus de règles ? Moins de risques ? et moins de conflits ? Le monde a changé ! Le marché a démontré ses limites et les conséquences de ses débordements. Au bout du compte, tout retombe sur les particuliers à la fois comme citoyens épargnants, par l’intermédiaire de leur régime de retraite et les dévaluations qui s’ensuivent, comme emprunteurs, exposés aux contractions du crédit, 147


L’état du Québec 2010

et comme contribuables, auprès de l’État venant à l’aide d’institutions hasardeuses. Ces dérapages financiers, émanant surtout de l’industrie fiduciaire1, ont pour effet de miner la relation de confiance qui doit exister entre les investisseurs et le marché. Alors, comment redonner confiance aux petits épargnants et aux investisseurs intermédiaires financiers ? La solution est-elle un retour à une loi de type Glass-Steagall Act imposant de nouveau la séparation d’activités ? Certains croient que la seule façon de corriger cette vague sans précédent de scandales et de fraudes depuis dix ans est d’imposer plus de règles, de réduire les risques et, ainsi, de neutraliser les conflits

au bout du compte, tout retombe sur les particuliers, à la fois comme citoyens épargnants, emprunteurs et contribuables. d’intérêts qui causent tant de torts à des milliers et des milliers d’épargnants au point de mettre en échec le système financier lui-même. Une application plus rigoureuse de la réglementation existante serait déjà un pas pour assainir les pratiques du mode financier. Mais il faut plus. Le monde a changé. Le phénomène de fiduciarisation des capitaux au Québec a transformé le 148

monde de l’épargne et de la finance en un vaste univers d’investissement. Les gestionnaires de fonds et les conseillers financiers indépendants ne sont pas seuls en cause. Les services de nature fiduciaire reliés à la production, à la gestion et à la distribution de fonds constituent maintenant une des principales sources des revenus des groupes bancaires, parmi lesquels figurent les grandes banques canadiennes et Desjardins. Celles-ci doivent changer leur perception de la gestion des risques. Il ne leur suffit plus de transférer le risque en le balayant sous le tapis pour en contenir l’impact. La gestion doit être réelle et au meilleur de la connaissance du décideur. Il leur appartient, plus qu’à quiconque, de chercher des solutions pour remédier au problème de perte de confiance et de mettre en place des processus de gestion de risques plus efficaces dans leur propre organisation. À défaut, elles risquent de se voir imposer un encadrement règlementaire qui menacerait leur modèle d’affaires. Ce n’est pas tant de nouvelles règles que des valeurs qu’il faut réintroduire, avec un nouvel équilibre d’imputabilité et de coresponsabilité. Le défi pour les régulateurs et les nombreux corps intermédiaires de la société civile est de comprendre les enjeux de la finance nouvelle, d’en saisir les nouveaux contours de conflits d’intérêts et d’imposer de nouvelles règles de responsabilité. Comme le risque de perte financière est définitivement passé sur les épaules des


Crise économique

investisseurs, cela veut dire prendre des mesures exceptionnelles pour renforcer leurs compétences en littératie (ou éducation) financière dans un monde où même les plus qualifiés d’entre eux y perdent souvent leur latin. un investissement plus responsable et un fonds d’indemnisation Cela signifie renforcer les programmes d’éducation, protéger davantage les investisseurs contre la fraude grâce à des programmes clairs d’indemnisation et promouvoir sans cesse plus de transparence sur les pratiques de l’ensemble des professionnels. S’ils ont une obligation de moyens, qu’ils en fassent la démonstration auprès des investisseurs et qu’on en finisse une fois pour toutes avec les tableaux de classement de fonds dans une industrie où la performance passée ne garantit jamais le rendement futur. La crise de confiance a aussi suscité un nouvel intérêt de la part des investisseurs comme des régulateurs et législateurs pour l’investissement socialement responsable en tant que moyen pour assainir les pratiques en gouvernance d’entreprises et trouver une solution aux problèmes éthiques. Aujourd’hui, les circonstances sont plus que jamais favorables pour exiger des gestionnaires de fonds qu’ils intègrent dans leurs processus de sélection des critères d’évaluation de la qualité de la gouvernance et de la performance sociale et fiduciaire des entreprises dans lesquelles ils investissent.

Et si, malgré toutes ces précautions, un fraudeur réussit encore à se glisser entre les mailles, un fonds d’indemnisation protégerait les épargnants contre la fraude et la négligence fiduciaire2. Un tel fonds serait appelé à couvrir l’ensemble des fonds collectifs (fonds communs, fonds distincts, régimes privés et publics de retraite et fonds d’épargne d’éducation) pour permettre aux investisseurs de récupérer plus rapidement et de manière plus diligente leurs capitaux en cas de fraude ou de mauvaises pratiques de conseil ou de gestion de la part du monde professionnel. Un peu comme l’assurance-dépôts vis-à-vis des banques ou des autres institutions financières couvertes qui permet de protéger les premiers 100 000 $ déposés en cas de faillite. Non seulement le fonds d’indemnisation permettrait d’intervenir au nom de particuliers lésés, mais il aurait une fonction de prévention par l’éducation des investisseurs et la promotion de meilleures pratiques fiduciaires chez les professionnels. Car la prime serait fixée en fonction du risque de fraude ou de négligence auquel les gestionnaires exposeraient leurs clients, tout comme les banques versent une prime à la Société d’assurance-dépôts du Canada en fonction de leur santé financière : plus la santé est bonne, plus la prime est faible, exactement comme dans le cas des conducteurs automobiles, dotés d’un dossier sans accident, ou des non-fumeurs qui prennent une police d’assurance-vie. 149


L’état du Québec 2010

notes

1. Par industrie fiduciaire, nous entendons toute la finance moins les banques de crédit commercial, l’affacturage, le crédit-bail, les cartes de crédit et les sociétés financières sans droit de lever de dépôts. Les principaux acteurs fiduciaires sont les banques d’affaires (courtiers, syndicats financiers, etc.) et les sociétés de gestion d’actifs, qui incluent bien entendu les caisses de retraite, les fonds communs de placement et fondations, les administrateurs de fonds et les gardiens de valeurs comme Fiducie du Québec, Northern Trust, CIBC Mellon ou RBC-Dexia.

150

2. Pour plus de détails, voir le mémoire de la Coalition pour la protection des investisseurs préconisant ce fonds sur le site du Groupe international de recherche sur l’éthique financière et fiduciaire (GIREF). Une quinzaine d’organisations de toutes sortes ont épaulé cette initiative, par exemple des conseillers en services financiers, l’Union des artistes, la Fédération de l’âge d’or du Québec (FADOQ) et des syndicats. En ligne : http ://www.giref.uqam.ca/fr/coalition. php


Panorama de la recherche – Acfas 152

Enjeux et connaissances

ASSoCIATIoN FRANCoPhoNE PoUR LE SAvoIR – Acfas 155

De la confiance à l’exigence : la figure publique du scientifique

162

Recherche universitaire : le temps des incertitudes

167

Recherche sous influence

174

Terrains fertiles pour la recherche

FoNDS QUÉBÉCoIS DE LA REChERChE SUR LA SoCIÉTÉ ET LA CULTURE (FQRSC) 180

L’innovation en recherche

182

Des projets novateurs, des résultats prometteurs

FoNDS QUÉBÉCoIS DE LA REChERChE SUR LA NATURE ET LES TEChNoLogIES (FQRNT) 193

Nos chercheurs bâtissent un avenir durable

194

Projets prometteurs en sciences naturelles et en génie

151


enjeux et connaissances Johanne Lebel Directrice de projets et rédactrice en chef de Découvrir, Association francophone pour le savoir – Acfas

parmi les différentes parties constituant cet organisme social qu’est le Québec, le réseau de recherche publique est relativement méconnu. c’est pourtant un segment central de notre « néocortex » collectif , un espace de pensée analytique et critique, de conscience, mais aussi d’imagination et de création. Les nœuds de ce réseau sont des individus et des organisations. Chercheurs, étudiants-chercheurs, administrateurs, communicateurs… Universités, cégeps, centres de recherche, ministères, organismes subventionnaires, institutions de culture scientifique… Ils innovent tous azimuts et produisent des connaissances de toutes sortes : philosophiques ou biologiques, immatérielles ou techniques, éthiques ou pratiques, etc. Si l’on peut distinguer ce réseau du reste de l’organisme social, on ne peut cependant l’en dissocier. Il n’y a pas de science hors société. Ce réseau, en effet, interagit continuellement avec de multiples interlocuteurs : les citoyens, qui évoluent dans une époque où le travail producteur de 152

valeur est de moins en moins physique et dépend de plus en plus de ressources non matérielles comme la créativité et les savoirs. L’État, qui est responsable du financement public de la recherche et de son encadrement législatif. Le système d’éducation, qui doit offrir des formations appropriées et qui est intimement relié à la recherche publique, puisque celle-ci se réalise essentiellement à travers les universités et les cégeps. Le système de santé, où la recherche est des plus transdisciplinaires. L’activité économique, qui doit compétitionner sur la scène mondiale ou consolider le local, et qui a autant besoin de génie pour ses technologies que de sciences sociales pour sa dimension éthique. Les médias, qui jouent un rôle central entre ces interlocuteurs et


Panorama de la recherche – Acfas

les chercheurs. Et la liste est loin d’être exhaustive. La présente série d’articles dresse un panorama de cette collection de relations, exposant à la fois des enjeux entourant la production de la recherche et des exemples concrets de recherches en cours. Du côté des enjeux, les textes de Pierre Noreau, Yves Gingras et l’échange entre Paul-André Comeau et Jean-Marc Larouche font ressortir certaines des conditions qui permettent d’offrir l’espace/temps nécessaire à l’activité de recherche et d’optimiser les relations entre science et société. Parfois emmurés dans leur propre langage, parfois embués par les préjugés que l’on entretient à leur égard, les chercheurs ont à renouveler les échanges avec les acteurs sociaux, pour permettre, entre autres, la production d’une recherche pertinente et aisément appropriable. « Partager le savoir devient de plus en plus une exigence de la recherche scientifique », souligne Pierre Noreau. Une enquête réalisée auprès de chercheurs québécois révèle que les citoyens font confiance aux scientifiques, mais que les attentes vis-à-vis de la science et de la recherche sont élevées. C’est donc un bon moment pour affiner le dialogue. À travers les réflexions d’Yves Gingras, c’est l’importance d’une recherche publique indépendante du court terme des partis politiques qui ressort. Il souligne que nous avons tout avantage à

nous appuyer sur l’expertise publique développée à travers les organismes subventionnaires pour mener à bien « des programmes de recherche flexibles et à long terme qui couvrent l’ensemble des domaines, y compris ceux dits stratégiques ». Paul-André Comeau et Jean-Marc Larouche, pour leur part, discutent des « enjeux de la transparence ». La liberté de circulation des connaissances étant nécessaire aux débats éclairés, il apparaît sensé de s’interroger sur les pratiques de brevetage et de censure.

Les textes de cette section exposent des enjeux entourant la production de la recherche et des exemples concrets de recherches en cours.

Du côté projets de recherche, les exemples présentés ici tournent autour de deux constantes : la transdisciplinarité des approches et les partenariats avec la société. Dans le champ du social et de la culture, les recherches portent sur un objet d’étude hypercomplexe et en grande mouvance : notre société. Une société par ailleurs ouverte sur une civilisation mondiale en tension tant du côté humain, écologique qu’économique. Le travail ne manque donc pas. 153


L’état du Québec 2010

Pour répondre aux besoins, les sciences sociales et humaines sont de plus en plus impliquées dans le changement social. Ces recherches étant faites « avec » et non pas « sur », les « sujets » de recherche deviennent ainsi des acteurs conscients participant au processus de recherche. « C’est comme si, en s’inscrivant dans une coproduction de savoirs, on réintroduisait la notion de complexité en prenant en considération d’autres expériences et savoirs, d’autres aspirations – celles, par exemple, des communautés. Et ces aspirations, savoirs et expériences viennent bousculer nos hypothèses », commente la chercheuse Lucie Gélineau. Une boucle de rétroac-

154

tion optimisée se noue donc entre chercheurs et publics, et ce, « sans pour autant faire l’économie de la rigueur », souligne Jacques Babin. Dans le champ des sciences de la nature et du génie, les exemples choisis illustrent l’ubiquité des usages des résultats de recherche : réaliser des coupes forestières viables, vérifier la toxicologie d’un nouveau médicament, développer des combustibles, biodégrader les rejets pharmaceutiques, construire des chaussées costaudes ou concevoir des produits qui, du berceau au tombeau, auront une empreinte écologique toute légère.


aSSociation Francophone pour Le Savoir – acFaS

De la confiance à l’exigence : la figure publique du scientifique pierre noreau Président, Association francophone pour le savoir – Acfas

Quelle image les citoyens entretiennent-ils du monde scientifique ? Faut-il craindre le travail des chercheurs ? ces questions ont orienté une enquête menée par l’acfas à l’automne 20081. Dévoilés lors de la grande rencontre Science et société, ses résultats ne laissent aucun doute : les scientifiques sont investis d’une grande légitimité publique, mais une responsabilité nouvelle pèse sur leurs épaules, celle de participer ouvertement aux grands débats sociaux.

Selon les résultats de l’enquête, près de 84 % des Québécois affirment faire confiance aux scientifiques, un niveau de réputation qui les place bien au-delà des politiciens (20 %), des journalistes (59 %) ou même des juges (74 %). La même étude révélait que 92 % des citoyens font, de même, confiance aux professeurs. Ainsi, que ce soit à titre de chercheurs ou de professeurs, les scientifiques sont porteurs d’une grande légitimité. La même question, abordée

sous un autre angle, révélait que 84 % des citoyens entretiennent la conviction « que le développement scientifique apporte plus de bien que de mal2 », et une forte corrélation associe la confiance dont on investit le scientifique à celle dont on investit la science, de sorte que les chercheurs sont vraisemblablement les meilleurs défenseurs de l’idéal scientifique. De façon concordante, on attend des chercheurs qu’ils occupent une plus grande place dans l’espace public. Ainsi, 155


L’état du Québec 2010

81 % des Québécois affirment que « les scientifiques et les chercheurs ont un rôle plus important à jouer aujourd’hui que par le passé dans les grands débats publics ». On s’attend, par conséquent, qu’ils occupent davantage de place dans l’espace public et dans les médias. tabLeau 1

Place des scientifiques dans l’espace public (en %) Croyez-vous que... Oui ... les chercheurs sont suffisamment impliqués 44 dans les débats de société ? ... les médias consacrent assez d’espace à la 41 couverture scientifique ? ... les chercheurs devraient bénéficier de plus de 91 visibilité dans les médias ?

Non

NSP

52

4

56

3

8

1

Si 64 % des répondants se disent plutôt bien informés en matière de science et technologie, ils admettent généralement l’être mieux encore en matière de sport (73 %) ou de culture (78 %). La confiance qu’on place dans les sciences

et les scientifiques comporte évidemment ses exigences. Les scientifiques sont-ils suffisamment sensibles aux attentes de la société ? Il semble que c’est le sentiment le plus largement partagé, mais si 77 % des répondants affirment que les scientifiques sont généralement sensibles aux attentes exprimées par la société, ils sont déjà moins nombreux (64 %) à croire que les chercheurs se soucient des risques reliés à leurs découvertes (tableau 2). En contrepartie, une enquête conduite en parallèle auprès des scientifiques eux-mêmes par le Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie (CIRST) révèle que 88 % des chercheurs se disent personnellement sensibles aux attentes de la société; 71 % affirment s’être à un moment ou à un autre préoccupés des risques associés à leurs travaux. Sur le plan de l’opinion publique, si la vaste majorité des répondants (87 %) entretient la conviction que l’implication des citoyens dans la réalisation d’une recherche améliore la qualité et

tabLeau 2

Scientifiques face aux risques et aux attentes de la société (en %) Souvent Quelquefois

Rarement Jamais

NSP

D’une façon générale, diriez­vous que les scientifiques se préoccu­ pent souvent, quelquefois, rarement ou jamais des attentes de la société ?

77

19

4

Personnellement, diriez­vous que vous êtes souvent, quelquefois, rarement ou jamais inquiet des risques reliés aux découvertes scientifiques ?

64

30

6

156


Panorama de la recherche – Acfas

l’utilité de ses résultats, 68 % d’entre eux se sentent incompétents et incapables de formuler correctement les questions qu’ils aimeraient poser aux scientifiques. En principe, les scientifiques (85 %) partagent l’idéal d’une plus grande implication des citoyens dans l’établissement des choix en matière de science et de technologie, mais la majorité des citoyens eux-mêmes (53 %) affirment que les chercheurs ne consacrent pas suffisamment de temps à la vulgarisation de leurs découvertes. Une plus grande interaction entre la science et la société suppose par conséquent la création de passerelles nouvelles. Elle doit transiter par une meilleure compréhension mutuelle, sinon par le développement d’une véritable culture scientifique, entendue ici en tant que composante de la culture publique. Du moins la diffusion des résultats de recherche auprès de publics non spécialisés apparaît-elle aujourd’hui comme une nécessité, perspective sur laquelle s’entendent d’ailleurs 62 % des chercheurs interrogés. Mais on est encore loin de la cible. Si la majorité des chercheurs (83 %) reconnaît avoir des habilités pour la communication et la vulgarisation scientifique, 76 % se plaignent de ce que ces activités ne sont pas suffisamment prises en compte dans l’évaluation institutionnelle de leur travail. Seulement 14,8 % d’entre eux affirment être disposés à faire « beaucoup plus » ou « un peu plus » (35,9 %) en vue de favoriser la vulgarisation de leurs travaux.

L’asymétrie des rapports à la science Science pour tous donc, mais à quelle condition et à l’avantage de qui ? Il en est du rapport à la science comme de beaucoup d’autres aspects de la vie sociale : nous ne sommes pas tous égaux. L’étude conduite par l’Acfas révèle que le niveau de scolarité des citoyens est le facteur le plus explicatif des variations d’opinion vis-à-vis du monde scientifique : plus leur niveau de scolarité est élevé, plus les répondants tendent à faire confiance aux scientifiques. Il en va de même de la conviction qu’ils entretiennent du caractère généralement positif du développement scientifique (graphique 1). Cette confiance relative se trouve transposée dans toutes les dimensions mesurées dans le cadre de l’enquête (tableau 3). Les répondants moins scographiQue 1

Scolarisation et confiance dans la science En général, pensez­vous que le développement scientifique apporte à l’être humain plus de bien que de mal ou plus de mal que de bien ? 100 % 86

80 % 60 %

89

93

63

40 % 20 % 0 % Primaire Secondaire Collégial Université Plus de bien que de mal

Plus de mal que de bien

157


L’état du Québec 2010 tabLeau 3

Scolarité et attentes à l’égard de la responsabilité et de la présence publiques des scientifiques (en %) Croyez-vous que...

Primaire

Secondaire

Collégial

Université

oui ... les scientifiques se préoccupent […] des attentes de la société ?

66

73

82

85

... les scientifiques se préoccupent […] des risques reliés à leurs découvertes ?

51

63

68

73

... les chercheurs sont suffisamment impli­ qués dans les débats de société ?

64

53

42

42

... les médias consacrent assez d’espace à la couverture scientifique ?

68

50

43

34

larisés sont, toutes proportions gardées, moins convaincus du souci qu’entretiennent les scientifiques à l’égard des attentes de la société ou des risques que comportent leurs travaux. L’un dans l’autre, ils sont moins demandeurs de science dans l’espace public.

Lorsque des choix de société impliquent des questions scientifiques, sur quelle base fonder les décisions ? Les attentes vis-à-vis des retombées de la recherche varient également selon le niveau de scolarité des répondants. Pour les citoyens très scolarisés, les questions de l’avancement des connaissances et de la gestion des problèmes collectifs apparaissent prioritaires dans la poursuite de travail scientifique. À l’inverse, les citoyens moins scolarisés 158

accordent une plus grande importance aux retombées immédiates et quotidiennes de la recherche. Pour leur part, 90 % des chercheurs interrogés par l’Acfas considèrent « qu’il faut développer les recherches scientifiques même quand on ne sait pas si elles auront une application pratique ». La recherche est ainsi considérée comme une activité valable en soi, et ce point de vue est plus facilement partagé par les citoyens scolarisés que par les autres, moins scolarisés. La question de la place de la science et des scientifiques dans les grandes décisions collectives divise également l’opinion. Lorsque des choix de société impliquent des questions scientifiques, sur quelle base les décisions devraient-elles être fondées ? Alors que les citoyens très scolarisés tendent à faire surtout confiance aux experts, les répondants moins scolarisés se fient davantage à l’opinion publique (tableau 4).


Panorama de la recherche – Acfas tabLeau 4

Scolarisation et fondement de la décision publique (en %) Lorsque des choix de société impliquent des questions scientifiques, sur quelle base les décisions devraient-elles être fondées ? Sur les avis des experts Sur l’opinion de la majorité des citoyens Sur les priorités du gouvernement

une recherche à l’abri des intérêts économiques ? Il ne s’ensuit pas que la recherche peut être menée à n’importe quelle condition. Le financement des activités scientifiques est ici au cœur de cette large interrogation. En effet, si en principe le financement de la recherche par l’entreprise recueille l’assentiment de la majorité des participants à l’enquête (81 %), la chose apparaît plus facilement envisageable lorsqu’elle est conduite au bénéfice de l’ensemble de la société (92 %) que lorsqu’elle ne vise que l’amélioration de leur compétitivité (58 %). Encore ici, le niveau de scolarité des citoyens joue un rôle important, et le financement privé de la recherche apparaît spontanément plus problématique pour les répondants les plus scolarisés, alors qu’elle apparaît beaucoup plus facile à envisager pour les citoyens qui le sont moins. Si les chercheurs eux-mêmes sont favorables à une éventuelle collaboration entre le monde de la recherche et celui de l’entreprise (68 % et plus) ou celui des organismes sans but lucratif (82 % et plus), ils rejettent, à hauteur de 80 %, l’idée que ces partenaires puissent béné-

Primaire

Secondaire

Collégial

Université

27 69 4

48 48 4

56 41 3

65 29 6

ficier de façon exclusive des résultats de la recherche principalement lorsqu’elle est financée par des fonds publics. une balise pour une société du savoir Un consensus ressort assez clairement de l’enquête. Les attentes vis-à-vis de la science et de la recherche sont immenses. Les scientifiques bénéficient de la confiance du public. On sait cependant que les conditions de l’ambition scientifique sont parfois difficiles à réunir. L’insuffisance du financement de la recherche, la difficulté d’assurer la formation de la relève scientifique, le soutien déficient accordé à l’institution universitaire, le manque de canaux de communication efficaces entre le monde scientifique et le reste de la société sont autant de raisons qui viennent globalement limiter la compréhension mutuelle entre les scientifiques et les autres champs de l’activité sociale. Il y a dans ce hiatus un espace que doivent dorénavant investir les chercheurs, dans une expression nouvelle et particulière de leur citoyenneté. Partager le savoir devient de plus en plus une exigence de la recherche scientifique. 159


L’état du Québec 2010

Mais ces orientations accompagnent une conception ambitieuse de la vie collective et cette ambition réside dans l’édification d’une véritable société du savoir. Le Québec n’a évidemment pas le monopole de cet idéal. Il est également poursuivi, avec beaucoup plus d’exigence encore, par d’autres collectivités. C’est notamment le cas des sociétés émergentes, comme le Brésil, le Mexique, la Chine ou l’Inde, qui saisissent toute l’importance d’une jonction continue entre le mouvement des connaissances et le mouvement social.

savoir. L’une ne va pas sans l’autre. Il s’ensuit que le développement de l’éducation supérieure et de la recherche constitue pour nous aussi une exigence incontournable. Il doit faire l’objet d’un investissement central et continu, et il est dans l’ordre des choses qu’on y investisse toutes nos énergies. Rien n’est cependant plus discret que le travail scientifique. Il est souvent mené pendant des années dans des laboratoires et des centres de recherches dont on n’entend peu parler. Il laisse peu de traces dans l’espace public. En période économique difficile, il est par conséquent tentant de diminuer ou de il faut favoriser le laisser stagner les budgets de la recherdéveloppement d’une che. C’est une politique à courte vue. À véritable culture scientifique ce chapitre, le financement spectaculaire de certains secteurs emblématien tant que composante ques ou le développement de programde la culture publique. mes de bourses prestigieux ne doit pas faire oublier que c’est dans la On y saisit que l’avenir collectif réside constance et la continuité que doit se dans le développement d’une société déployer la recherche scientifique. Le très scolarisée, capable de se penser elle- Québec et le Canada n’échappent pas à même et d’agir sur le monde. On y cette tentation facile. Elle va pourtant investit donc massivement dans les étu- dans le sens inverse des choix faits aux des postsecondaires, dans les universi- États-Unis qui, en pleine récession économique, réinvestissent massivement tés et dans la recherche. Arrivé à une certaine étape de sa tra- dans la recherche et dans la formation jectoire, le Québec renvoie souvent de universitaire. L’avenir appartient aux lui-même l’image d’une société arrivée sociétés du savoir. Comment protéger la recherche de ces à maturité. Cette idée, pour rassurante qu’elle soit, ne doit pas nous faire oublier coupes claires ? On comprend imméque notre condition de société avancée diatement ici la nécessité d’une nouvelle est tributaire de ce que nous sommes alliance entre la science et la société. d’abord et avant tout une société du C’est la condition du développement 160


Panorama de la recherche – Acfas

d’une culture scientifique, entendue non notes comme le privilège de quelques-uns, 1. Les résultats du sondage commandité par La Presse et Télé-Québec reposent sur les mais comme une dimension pleine et l’Acfas, réponses de 1 002 entrevues téléphoniques effecentière de la culture publique. C’est à tuées du 18 au 29 septembre 2008 dans le cadre cette condition seulement que la société du sondage omnibus CROP-express. Lors de leur se portera massivement à la défense d’un compilation, les résultats ont été pondérés sur la du recensement 2006 de Statistique Canada monde scientifique constamment base afin de refléter la distribution de la population menacé dans sa mission de comprendre adulte du Québec selon le sexe, l’âge, la région de résidence des répondants et leur langue d’usage et de faire connaître. En regard de cette nécessité, il n’y a à la maison. D’un point de vue statistique, un de cette taille (n=1 002) est précis à pas de moyen terme : la société dans échantillon 3 points près, 19 fois sur 20. laquelle vous vivons doit être une société 2. Une enquête menée en 2002 par le Conseil de du savoir, à défaut de quoi elle sera une la science et de la technologie du Québec révélait société de l’ignorance. Ce sont ces que cette proportion était, à l’époque, de 68 % de la science et de la technologie du idéaux aussi que doivent poursuivre les (Conseil Québec, Enquête 2002, Q4). On doit ainsi constachercheurs et les scientifiques. Encore ter une certaine revalorisation de l’activité faut-il savoir les faire partager par tous. scientifique. Le Québec, petite société parmi d’autres, doit saisir cet impératif. « Tant reste de l’eau dans l’air. Tant qu’il reste de l’air dans l’eau » (Vigneault).

161


recherche universitaire : le temps des incertitudes yves gingras Professeur, Chaire de recherche du Canada en histoire et sociologie des sciences, Université du Québec à Montréal (UQAM)

Depuis l’arrivée au pouvoir des conservateurs, le gouvernement fédéral est intervenu à plusieurs reprises dans le système d’allod’allo cation des bourses de recherche universitaire, notamment en en créant de nouvelles. non seulement cela a eu pour effet de rendre aléatoires, voire inéquitables, des façons de faire jusque-là bien rodées, mais cela a également contribué à rendre instable l’envil’environnement de la recherche.

De 1997 à 2006, sous la gouverne du Parti libéral du Canada, les chercheurs universitaires ont été relativement bien appuyés par le fédéral : de nombreux organismes et programmes de recherche ont été créés, les organismes subventionnaires ont vu leurs budgets croître et ont ainsi pu créer, entre autres choses, de nouvelles bourses d’études de maîtrise et de doctorat pour former davantage de main-d’œuvre hautement qualifiée. On pense par exemple à la Fondation canadienne pour l’innovation (FCI, 1996), à Génome Canada (2000), au programme des 162

Chaires de recherche du Canada (2000), aux bourses du Millénaire (1998) et au Fonds canadien de développement pour les changements climatiques (2000). Globalement, les sources fédérales représentent environ les trois quarts des subventions obtenues par les chercheurs québécois en sciences naturelles et un peu plus de 50 % en sciences sociales et humaines. Il s’agit donc, surtout en sciences de la nature, d’un financement incontournable et indispensable ; il vaut donc la peine d’analyser de plus près le sens des interventions fédérales récentes.


Panorama de la recherche – Acfas

L’effet conservateur Depuis l’élection du gouvernement conservateur de Stephen Harper en 2006, la situation a radicalement changé : Génome Canada n’est plus assuré d’avoir un soutien récurrent, la Fondation des bourses du millénaire disparaîtra en décembre 2009 pour être remplacée par un autre programme. Quant au Fonds canadien de développement pour les changements climatiques, qui avait reçu une dotation de 100 millions de dollars lors de sa création, il n’a plus d’argent pour soutenir les chercheurs ; or, les conservateurs n’ont rien prévu pour remplir ses coffres vides. Seule la FCI a pu bénéficier de nouvelles liquidités pour poursuivre le financement des infrastructures universitaires. La situation est à peine meilleure au Québec. Le gouvernement de Jean Charest – qui continue par ailleurs à négliger gravement le financement de base de ses universités, dont le déficit global atteint plus de 400 millions de dollars – ne semble avoir d’autre visée que les impacts économiques à court terme de la recherche, comme si la recherche à plus long terme n’avait pas besoin d’un appui solide pour alimenter en continu le pipeline générateur d’innovations. Faut-il rappeler que les innovations majeures et stratégiques sont non seulement rares, mais le plus souvent imprévues ? L’approche du gouvernement canadien contraste avec celle du nouveau président américain, Barack Obama,

qui a mis l’accent sur la recherche scientifique en augmentant de beaucoup les fonds de ses organismes subventionnaires. Cela a suffi pour que plusieurs scientifiques canadiens relancent une nouvelle fois l’épouvantail de « l’exode des cerveaux » vers le sud. En réalité, il

Les universités québécoises accusent un déficit global de plus de 200 millions de dollars. est très peu probable que cela se produise, car la compétition pour les fonds de recherche y est plus féroce, et les chercheurs canadiens le savent très bien… La caractéristique principale des interventions fédérales depuis la fin des années 90 a été de créer des programmes ciblés qui donnent surtout de la visibilité aux politiciens fédéraux du parti au pouvoir, comme les bourses du Millénaire ou, plus récemment, les bourses Vanier. Ceux-ci peuvent ainsi annoncer des investissements et se faire photographier en public. Comme il est devenu plutôt rare de voir des ministres couper des rubans pour inaugurer des routes nouvellement asphaltées, on comprend aisément leur désir d’être vus en train de contribuer aux nouvelles autoroutes du savoir. Encore faudrait-il que les voies qu’ils prétendent ouvrir ne soient pas des culs-de-sac… 163


L’état du Québec 2010

Car le problème avec cette gestion très politicienne de la recherche scientifique est qu’elle est soumise aux modes et aux lubies personnelles des ministres et de leurs conseillers, qui se succèdent rapidement à la barre des ministères responsables de la recherche scientifique. Ainsi, au lieu de miser sur l’expertise des organismes subventionnaires pour définir des programmes à la fois flexibles, de long terme et qui couvrent l’ensemble des domaines – y compris ceux dits « stratégiques », comme l’Initiative sur la nouvelle économie (INE) –, on préfère mettre de plus en plus d’argent sur des projets ciblés, le plus souvent à court terme, définis dans le secret de l’entourage du ministre. Ainsi, le Fonds de développement pour les changements climatiques n’a pas l’heur de plaire aux conservateurs, plutôt sceptiques sur la réalité de ces changements. Il devient alors une cible facile. En somme, le mode d’intervention des politiciens pose problème, engendre de l’instabilité et peut même mettre en danger le fonctionnement du système de la recherche, comme le montrent les décisions ayant mené à la création de certains nouveaux programmes de bourses.

qui le connaissaient de l’intérieur. Depuis la création du premier système de bourses d’études de cycles supérieurs par le Conseil national de recherches du Canada en 1916, les aides aux étudiants ont évolué en tenant compte du principe suivant, simple, mais implicite : plus ceux-ci progressent dans leur niveau de formation, plus ils peuvent bénéficier d’une bourse d’un montant élevé. Il allait ainsi de soi qu’un étudiant de maîtrise recevait une bourse d’un montant inférieur à celui d’un étudiant de doctorat qui lui-même obtenait un peu moins qu’un chercheur postdoctoral ou qu’un professeur adjoint. La première intervention inopportune dans ce système a été une initiative du gouvernement libéral de Jean Chrétien qui a décidé, au début des années 2000, de créer le programme de bourses d’études supérieures du Canada. Celuici présente un avantage communicationnel sur les bourses habituelles du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH), du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie (CRSNG) et des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) : il met le mot Canada bien en évidence… Au lieu d’augmenter simplement le nombre ou la valeur des bourses déjà Les effets de mode existantes, ce programme, imposé aux Avant que des ministres ne s’aventurent organismes subventionnaires, offre des à créer de nouveaux programmes sans bourses d’une valeur de 35 000 $ à une d’abord consulter les organismes sub- « nouvelle catégorie » d’étudiants au ventionnaires, le système de la recherche doctorat. Au moment de cette annonce, avait évolué sous la gouverne d’experts les bourses postdoctorales avaient à peu 164


Panorama de la recherche – Acfas

près cette valeur ! Cela a eu pour effet non seulement de créer deux catégories de doctorants – ceux qui « ne valent que » 21 000 $, valeur habituelle des bourses des organismes subventionnaires, et les nouveaux, qui valent 35 000 $ –, mais aussi de forcer les organismes subventionnaires à augmenter un peu la valeur des bourses postdoctorales afin d’éviter l’absurdité d’offrir aux chercheurs postdoctorants une bourse d’une valeur inférieure à celles des doctorants. En 2008, cela a été au tour des conservateurs de Stephen Harper d’apporter leur propre contribution à l’anarchie systémique en créant encore de nouveaux programmes de bourses d’études, et ce, sans aucune attention à la logique du système. Nous sommes donc actuellement dans la situation complètement absurde où des doctorants titulaires de la bourse Vanier – nom des nouvelles bourses – reçoivent 50 000 $ par année pendant trois ans, alors que les chercheurs de niveau postdoctoral d’un même département, et qui occupent peut-être le même bureau, doivent se contenter de 38 000 $ ! Dans certains cas, les titulaires de la bourse Vanier vont même assister à des cours donnés par des professeurs adjoints moins bien rémunérés qu’eux…

2008 de bourses de maîtrises en sciences sociales réservées aux sujets liés au commerce. Étant donné le faible nombre de demandes dans ce domaine, cela a eu pour effet – certainement non prévu – d’accroître radicalement le taux de réussite des candidats et d’offrir ainsi des bourses sur la base de dossiers beaucoup plus faibles que ceux d’étudiants d’autres secteurs des sciences humaines et sociales. Ainsi, des bourses de 35 000 $ ont été données à des personnes qui n’avaient pas même la note de passage pour obtenir les bourses de 21 000 $ du CRSH ! Jusque-là, le taux de réussite des candidats était lié au nombre de demandes par domaine, ce qui évitait de tels effets pervers et assurait une certaine équité entre les domaines de recherche. Encore une fois, ce programme a été annoncé sans une compréhension adéquate des exigences minimales de cohérence du système et de l’équité entre candidats. Bien sûr, certains diront que les universités canadiennes doivent composer avec d’importantes contraintes financières et que nous devrions tous remercier les gouvernements d’avoir consenti ces investissements, qui profiteront à la prochaine génération de chercheurs. Or, avant d’accepter que le moindre dollar ne soit injecté dans le système de recherche, les universitaires, toujours fiers Quelle équité ? de leur indépendance intellectuelle, Une dernière intervention totalement devraient d’abord demander publiqueinopportune de la part du gouverne- ment si ces investissements sont nécesment conservateur a été la création en saires, s’ils répondent à de véritables 165


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besoins et, surtout, s’ils ne génèrent pas des effets inattendus et pervers. Si les réponses à ces questions sont négatives, alors il faut tout faire pour convaincre les élus qu’ils font fausse route et qu’ils doivent modifier leur approche. En fait, il faudrait inverser la rhétorique dominante selon laquelle il s’agit d’argent public – à ce titre, des comptes doivent être rendus – et répondre que l’argent public serait mieux investi dans des programmes de recherche à moyen et long terme plutôt que de viser les

La temporalité électorale n’est pas celle de la science et de l’enseignement supérieur. cibles mouvantes – et déjà trop proches de nous – mises de l’avant par les gourous qui annoncent aux portes des ministères avoir trouvé la recette magique pour relancer l’économie. En

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somme, face à l’inhérente imprévisibilité des résultats des activités de recherche, il faut assurer à la recherche une base financière solide et stable et non pas changer de priorités tous les trois ans, comme si la temporalité électorale était celle de la science et de l’enseignement supérieur. Quant aux secteurs stratégiques à renforcer ou à faire émerger (comme les nanotechnologies), les organismes subventionnaires ont fait la preuve depuis plus de 30 ans qu’ils sont en mesure de les identifier par des consultations auprès d’experts qui évitent de monter en épingle les derniers mots à la mode que les « consultants » font miroiter aux politiciens à la recherche de projets porteurs. Le philosophe Gaston Bachelard disait qu’il faut rendre la société semblable à l’école et non l’école semblable à la société. On pourrait ajouter : « Construisons une politique à l’image de la science et non une science à l’image de la politique… »


recherche sous influence Dialogue entre Paul-André Comeau, politologue, École nationale d’administration publique (ENAP), et Jean-Marc Larouche, sociologue, Université du Québec à Montréal (UQAM)

Jean-Marc Larouche – L’éthique de la recherche est une de mes préoccupations. Je m’y intéresse depuis le milieu des années 90, période où les conseils subventionnaires fédéraux (CRSH, CRSNG, CRM) ont élaboré à ce sujet une politique commune explicitant les balises et les modalités d’approbation éthique des projets de recherche avec des sujets humains1. Je me suis alors penché sur les questions et enjeux éthiques qu’un chercheur peut croiser au cours de ses travaux, et ce, tant en amont, en cours, qu’en aval. En amont, lors de l’élaboration même de la recherche : rapport aux valeurs, réflexion sur les fondements et enjeux éthiques de la connaissance. En cours, in situ : concernant les questions de type déontologique et d’intégrité – balises guidant la relation avec des êtres humains, recherche sur du matériel génétique ou avec des animaux. En aval : questions concernant l’usage du savoir dans nos sociétés.

Paul-André Comeau – C’est un peu autour du même objet, les relations recherche-société, que les réflexions issues de mon passage à la Commission d’accès à l’information m’ont mené. En fait, c’est au moment de la réforme du Code civil du Québec qu’une foule de questions ont émergé. Curieusement, c’est le droit qui a alors précédé la pratique, ce qui est rare. Le Code civil édicte dans ses tout premiers articles des dispositions qui ont trait à la recherche sur des personnes et au consentement lié à l’expérimentation. Il y a, par exemple, cette dimension de la recherche basée sur des données personnelles. Dimension centrale pour la protection des citoyens, mais ayant des effets imprévus et complexes pour les chercheurs. Ces règles de conduite ont eu un effet d’autocensure, et ce, particulièrement en sciences sociales, le chercheur craignant de révéler certains faits faisant directement ou indirectement référence à des personnes. Les chercheurs 167


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appellent d’ailleurs ces comités d’éthi- P.-A. C. – Les questions les plus embarque « la police éthique »... rassantes, et c’est toujours le cas aujourd’hui, ont trait aux recherches J.-M. L. – Depuis la mise en œuvre de subventionnées dans le domaine pharcette politique par les comités institu- maceutique et médical. C’est pour moi tionnels d’éthique de la recherche, les un nœud majeur, même aujourd’hui, critiques des chercheurs en sciences malgré la mise en place et le travail des humaines et sociales que vous venez comités d’éthique. Je ne dis pas que c’est d’évoquer se sont poursuivies et un long le seul. Mais c’est probablement le plus processus de révision de la politique a lourd de conséquences. été enclenché. D’entrée de jeu, la nouvelle version J.-M. L. – Pouvez-vous préciser ? prend acte des critiques qui ont été formulées et elle tient compte davantage de P.-A. C. – Il est difficile de faire la part la diversité des pratiques, approches, des choses entre la recherche au sens pur méthodes, terrains, types de groupes ou et noble, si je peux employer l’expresde sujets qui caractérisent les recherches sion, et le biais qui se crée à l’occasion en sciences humaines et sociales, et plus d’une recherche commanditée par le particulièrement en sociologie. privé. Il y a, par exemple, ces pseudodé-

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couvertes dont on apprend, par la suite, que les échantillonnages avaient été plus ou moins faussés, les méthodes un peu « étirées ».

même de certaines disciplines. Il devient possible de se spécialiser sans posséder une culture générale. Cela même à l’émergence des jargons disciplinaires. Il ne s’agit pas d’enlever quoi que ce J.-M. L. – Ce que vous évoquez renvoie soit au savoir spécialisé ni aux savoirs à une tendance lourde de la recherche, ayant des applications immédiates. Il en à savoir qu’il y a de plus en plus d’inter- faut. Mais c’est le type de rapports qu’on relations entre les travaux issus du entretient dans la transmission de ces milieu universitaire et ceux réalisés en savoirs qui est problématique. partenariat avec l’entreprise privée. On La transmission d’un savoir implique valorise l’innovation, le transfert des un processus de partage des clés de la résultats, la « brevetisation », mais ce compréhension et de l’interprétation de n’est pas sans créer des dommages col- ce savoir. Nous avons beau avoir accès latéraux. Par exemple, on voit de plus en à tout sur Internet – et là, il y a une plus de recherches où les scientifiques espèce d’illusion démocratique dans la ne peuvent pas divulguer leurs résultats mesure où l’accessibilité est une condià l’ensemble de la communauté ; ils sont tion inhérente à un exercice démocratitenus au secret. Cela déplace les enjeux que –, plus que l’accessibilité, c’est la de la transparence, qui caractérise la capacité de comprendre et d’interpréter transmission des résultats de la recher- qui est centrale. che universitaire d’abord entre les pairs et avec les étudiants, et ensuite vers les nous avons beau avoir accès réseaux sociaux, le grand public, etc. à tout sur internet, la clé J’ai l’impression qu’on est de moins demeure la capacité de en moins dans un modèle de transmission du savoir, mais plutôt dans un comprendre et d’interpréter. modèle de communication et d’information. La transmission est pourtant au cœur de la formation, où elle s’actualise P.-A. C. – Ces problèmes de transfert dans un échange entre les générations. de connaissances se retrouvent aussi C’est pour cela que la question de la dans d’autres institutions. Je pense, par recherche en milieu universitaire est exemple, aux travaux commandés par importante. Elle est intimement liée à les gouvernements, qui sont d’imporl’enseignement et à des programmes de tants consommateurs de recherche. formation. Aussi, on assiste, depuis un Il y a là des zones grises. D’abord, il n’est temps déjà, à la séparation des savoirs pas toujours facile de connaître leur entre diverses disciplines et à l’intérieur teneur et, ensuite, pour avoir accès aux 169


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résultats, on doit affronter plusieurs obstacles. Les gouvernements englobent dans la notion de secret d’État une foule de choses, y compris les résultats de recherches dont la divulgation ne conviendrait pas à l’agenda politique ou qui soulèveraient des difficultés sur la place publique. Là, il y a un obstacle réel, absent de la recherche universitaire classique, accessible presque de façon universelle. La recherche réalisée pour les gouvernements, ou les acteurs publics, devrait faire partie du secteur public, et ce, sans délais, puisqu’elle est financée à même les deniers publics. Je ne vois pas pourquoi l’accès est régulièrement refusé, même là où il y a des lois d’accès. Quelle est la marge de manœuvre des chercheurs dans ce contexte ? Il faudrait voir les contrats, qui varient d’un individu à un autre, même s’il y a des modèles à peu près standards. Les chercheurs sont d’abord intéressés par leurs tra170

vaux, ils acceptent habituellement les conditions proposées. Il faut être sérieusement indépendant pour refuser les clauses d’un contrat standard. C’est un important problème, et Dieu sait qu’il se fait beaucoup de recherche pour les gouvernements. J.-M. L. – En effet, et dans le domaine des sciences sociales, les gouvernements attendent surtout des chercheurs qu’ils contribuent à l’aide à la décision, à la réception des politiques publiques par les citoyens et à l’évaluation des programmes. On demande aux chercheurs non pas d’avaliser les politiques – ce qui serait de la caution –, mais de travailler davantage sur les effets de ces politiques que sur les causes des problèmes, ce qui fait que le pouvoir se met à l’abri de la critique. Alors qu’il faudrait faire notamment des recherches sur tous les mécanismes de pouvoir, dont ceux qui sont à l’œuvre dans des organismes gouverne-


Panorama de la recherche – Acfas

mentaux où les résultats de la recherche sont un enjeu politique. Je pense ici au cafouillage de l’Office québécois de la langue française à l’hiver 2008 ou à des litiges impliquant Loto-Québec dans le cadre de recherches sur le jeu pathologique. Les résultats de la recherche commanditée peuvent être instrumentalisés et servir de caution à un organisme pour entériner sa politique ou à tout le moins assurer ses arrières vis-à-vis de potentielles conséquences néfastes pour la population. P.-A. C. – On n’échappe donc pas aux dimensions sociales de la recherche. Prenons comme autre exemple les relations avec les médias. Si on reproche à ceux-ci, parfois avec raison, de ne pas s’intéresser beaucoup à la science, il faut aussi voir les embûches que posent les chercheurs à cette transmission. Certains se refusent à la vulgarisation sous des prétextes de « pureté » et en disant que ça ne les concerne pas. La recherche étant terminée, les résultats étant là, maintenant, il faut passer à autre chose… Il y a une fonction de traducteur qui n’est pas toujours remplie, et une première « censure » qui vient des chercheurs eux-mêmes. En théorie, le chercheur doit pouvoir jouer avec ces contraintes médiatiques. Mais, soyons honnêtes, il y a une pratique « technique » de ce discours que beaucoup de scientifiques n’ont jamais apprivoisée et qui les hypothèque dans leurs échanges avec les médias. On peut

il y a une pratique « technique » du discours des médias que beaucoup de scientifiques n’ont jamais apprivoisée. parler ici d’un véritable problème de société. J.-M. L. – Ce que vous évoquez nous renvoie à la distinction entre communication et transmission. Dans la première, l’ère des clips domine et certains ont du succès. Le danger est d’en faire le modèle de la transmission et de la place du savoir dans l’espace public. Nous retrouvons ici la dimension éthique en aval de la recherche, que nous mentionnions en début d’entretien. Je parle de la responsabilité éthique et politique du chercheur de contribuer au débat public non seulement par la diffusion des résultats de sa recherche, mais aussi, comme le soulignait le sociologue Jean-Michel Berthelot, par « une définition des conditions épistémologiques et pragmatiques d’un juste usage des connaissances scientifiques produites ». Entre médias, demandes sociales et exigences de productivité, les contraintes du métier de chercheur se sont considérablement modifiées au cours des dernières décennies. Les modes de production et de valorisation du savoir ont beaucoup évolué. Du Publish or Perish, on est passé au Mets-toi en réseau 171


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ou succombe ou Obtiens des milliers de montant de subventions qu’elles ont dollars en subventions ou meurs. Là, c’est obtenu. Je ne me souviens pas d’avoir Réussis ton clip ou tu n’existes pas pour vu, depuis 10 ans, beaucoup de publicités disant : « Nous avons – nous étant l’université – contribué à l’avancement il y a une monétarisation de la dans tel domaine. » Il y a une monétarecherche qui, curieusement, risation de la recherche qui, curieusement, relativise aux yeux des citoyens le relativise aux yeux des poids de ses résultats. Cette approche citoyens le poids de ses résultats. cette approche me me hérisse ! Pourtant, le citoyen sera très intéressé hérisse ! de savoir que telle université a fait une contribution importante dans le les médias et, par conséquent, dans l’es- domaine, par exemple, de la génétique pace public. ou de l’environnement. Mais savoir que l’université a obtenu tant de millions de P.-A. C. – Dans le même esprit, les recherches cette année, pfff… Les relauniversités expriment leur succès par le tions entre le milieu de la recherche et 172


Panorama de la recherche – Acfas

la société ne sont certes pas au beau fixe. Il faudra sérieusement travailler à optimiser ce dialogue dans les années à venir si l’on ne veut pas que la société « décroche » parce qu’elle n’arrive tout simplement plus à suivre. J.-M. L. – Il faudra consolider l’institution universitaire comme lieu de formation et de recherche en revalorisant ce qui peut paraître vieillot ou ringard, soit le style de la transmission tel que nous l’avons évoqué, plutôt que celui plus stricto sensu de la communication et de l’information. Certes, le chercheur doit

pouvoir communiquer, informer, tout en étant le premier averti et le premier critique de certains styles médiatiques qui, subtilement, imposent une nouvelle censure. Propos recueillis par Johanne Lebel

note

1. Instituts de recherche en santé du Canada, Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, Énoncé de politique des trois conseils : éthique de la recherche avec des êtres humains, 1998 (avec les modifications de 2000, 2002 et 2005).

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terrains fertiles pour la recherche Dialogue entre Lucie Gélineau, du Centre affilié universitaire CSSS Vieille-Capitale, et Yves Bergeron, de l’UQAM-UQAT

Lucie Gélineau – Mon intérêt pour la recherche en partenariat est né au cours des années 90 alors que je travaillais pour le Centre de recherche pour le développement international (CRDI). Trois expériences me reviennent en mémoire. D’abord, dans un bidonville de Mumbai (Bombay), des femmes leaders locales prenant la parole pour m’exposer le projet de recherche en cours et les liens avec leur réalité alors que la chercheuse restait en retrait. Puis, au Costa Rica, la passion de villageoises peu

La production de connaissances ne doit pas être le seul fait des chercheurs « patentés ». on gagne à les coconstruire en croisant savoirs universitaires, d’expériences (de vie) et de pratiques. 174

scolarisées parlant d’implantation de puits en ferrociment, d’entretien de pompes à eau, de développement de fonds communaux pour l’entretien, de mise en place de programmes d’assainissement des eaux, et leur sollicitation par des villages avoisinants et lointains pour partager leurs expériences, pratiques et connaissances. Enfin, les longs échanges avec des petits paysans bribris, des pêcheurs afrocaraïbéens et des ouvriers latinos dans les plantations de bananes, sur l’expansion des compagnies bananières et leurs impacts environnementaux. C’est à la suite de ces nombreux échanges sur le terrain, ainsi que des encouragements reçus des chercheurs du Sud, que j’ai eu le goût de m’investir à mon tour dans cette recherche qui compte, mais au Québec cette fois. L’idée sous-jacente qui anime ma pratique est que la production de connaissances ne doit pas être le seul fait des chercheurs « patentés », mais qu’on


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Panorama de la recherche – Acfas

gagne à les coconstruire en croisant savoirs universitaires, d’expérience (de vie) et de pratiques. Yves Bergeron – Le centre de ton intérêt, ce sont les gens ; dans mon cas, ma motivation première est l’amour de la nature et le souci de trouver un équilibre entre protection et utilisation de la ressource. Peut-être une brève histoire de mon cheminement me permettra-telle de me faire mieux comprendre. Je suis Montréalais, et quand j’ai commencé mes études doctorales dans la forêt boréale québécoise, j’avais une idée un peu romantique de la nature. Pendant que j’étudiais la composition et la distribution d’une forêt quasi vierge, une compagnie forestière s’affairait à la couper de façon bruyante jour et nuit. J’ai su plus tard qu’il s’agissait d’un des premiers chantiers de coupes complètement mécanisées qui visaient la récupération de bois ravagé par une épidémie

d’insectes tueurs d’arbres. J’ai compris à travers les discussions avec les gens qui nous hébergeaient comment cette activité économique était importante pour tous ceux qui dans les villes et villages avoisinants travaillaient à la coupe ou à la transformation du bois. Cette expérience m’a amené à devenir ce que je définis comme un « idéaliste pragmatique ». Je savais que dans un tel contexte, rien n’arrêterait l’exploitation de la forêt. Alors, pourquoi ne pas essayer d’influencer cette activité pour qu’elle se fasse le plus possible en accord avec la nature ? L. G. – En s’inscrivant dans une coproduction de savoirs, on réintroduit la notion de complexité, car on prend en considération d’autres expériences et savoirs, d’autres aspirations – celles, par exemple, des communautés. Et ces aspirations, savoirs et expériences viennent bousculer nos hypothèses. En soi, cela 175


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est de réussir, une fois les résultats de recherche obtenus, à les appliquer dans le concret de la gestion des ressources. Je pense avoir assez bien réussi à comprendre les besoins et à réaliser les recherches, mais j’avoue que leur mise en application se heurte à toutes sortes d’embûches, dont un cadre de gestion gouvernemental assez rigide qui fait peu de place à la science. Cela dit, il y a beaucoup de changements en cours à la suite Y. B. – Dans mon domaine, on parle des pressions de la part du public et des plus de recherche en partenariat que de entreprises (de qui les clients exigent de coproduction. Les partenaires financent plus en plus une certification environet orientent la recherche, qui est réalisée nementale). En ce sens, j’ai la satisfaction en général par des chercheurs universi- d’avoir pu contribuer à l’acquisition des taires ou gouvernementaux, ou les deux. connaissances et surtout à la formation Malheureusement, il est peu courant d’une relève qui sera, j’en suis convaincu, que les gestionnaires industriels ou à la base d’une révolution importante gouvernementaux aient les ressources dans la foresterie québécoise. Je compour s’impliquer directement. Ce n’est prends que les retombées sont beaucoup pas par manque d’intérêt, mais leur plus concrètes et immédiates dans le cas formation (c’est rare que les gestionnai- d’une recherche-action, mais j’imagine que la frustration de ne pas voir les gestionnaires agir rapidement est au moins La mise en application des aussi grande. Je me trompe ? est peut-être source d’innovation dans une perspective d’idéalisme pragmatique, comme tu le dis si bien : comment aborder les questions de viabilité, de justice sociale, de préservation de l’environnement tout en tenant compte des réalités quotidiennes ? Je crois qu’en « cherchant ensemble » on arrive à trouver des solutions viables et de nouvelles avenues.

recherches se heurte à toutes sortes d’embûches, dont un cadre de gestion gouvernemental assez rigide qui fait peu de place à la science.

res aient une formation de deuxième ou troisième cycle) et leurs mandats souvent énormes ne leur laissent pas beaucoup de temps. Dans ce contexte, le défi 176

L. G. – En fait, étrangement, les retombées varient selon les projets. Pour certains, les résultats servent de leviers pour modifier des pratiques ; pour d’autres, il s’agit d’alimenter des revendications de nature plus stratégique. En fait, j’ai souvent une grande satisfaction à voir les intervenants, praticiens et cadres intermédiaires s’approprier les résultats, et je constate les retombées positives pour les personnes en situation


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de pauvreté et d’exclusion. C’est ma source première de motivation pour perdurer en recherche. Mais il est vrai qu’au niveau gouvernemental ou institutionnel, compte tenu des cadres rigides de pratiques ou des obligations de reddition de comptes, les changements se font au compte-goutte. Toutefois, nous avons parfois de belles surprises. Je pense notamment à la contribution des croisements de savoirs lors de la mise en forme du projet de loi 112 pour un Québec sans pauvreté, auquel furent associés des collègues. Aussi, pour ce qui est de la participation des gestionnaires, je sens un vent de changement. Je ne sais si c’est dû à l’arrivée sur le marché du travail de nouveaux gestionnaires formés aux nouvelles approches, mais plusieurs viennent spécifiquement avec des demandes de nature qualitative et participative. L’enjeu est maintenant de gérer la demande, dans un contexte où le financement hors milieu universitaire pour la recherche sociale laisse à désirer, où les conditions de travail sont précaires et où la demande pour des travailleuses et travailleurs qualifiés et compétents va croissant. Nous avons un taux de roulement de personnel fort élevé, avec toutes les difficultés que cela peut générer... D’où d’ailleurs mes maux de tête, en ce moment ! Comment, dans ta pratique, arrivestu à bien cibler les besoins du milieu et à assurer la formation ?

Y. B. – Il y a différentes approches pour sonder les besoins du milieu. Au début, on y allait de façon plus ou moins classique : on tentait d’établir des priorités de recherche autour de tables de concertation auxquelles siégeaient les partenaires et les chercheurs. Nous avons très vite constaté que les partenaires n’étaient pas très à l’aise avec cette démarche trop axée sur l’identification de projets de recherche précis… souvent suscités par les chercheurs. Maintenant, nous réunissons les partenaires en petits groupes, et nous leur demandons de cibler leurs préoccupations. Ces informations sont ensuite diffusées aux chercheurs, qui essaient d’y répondre. La même approche s’effectue à plus petite échelle à travers des visites sur le terrain avec les partenaires. Ceux-ci sont alors à même de discuter de façon concrète de préoccupations précises. Ces rencontres formelles et informelles permettent aussi aux chercheurs de sensibiliser les partenaires à des problématiques qui, sans être préoccupantes à court terme, vont le devenir. Donc, il s’agit surtout de bottom-up (on part des préoccupations de la base pour aller vers la recherche), mais aussi un peu de top-down (les chercheurs poussent des projets pertinents, mais perçus comme moins urgents par les partenaires). Une fois le projet financé, il faut se mettre à la recherche de bons étudiants aux cycles avancés. J’imagine que c’est 177


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la même chose dans ton milieu ; mais avec la démographie québécoise, cela devient de plus en plus difficile. Pour nous s’ajoute la mauvaise perception des régions (injustifiée !) de la part des étudiants (plus nombreux) qui proviennent des grands centres. Dans ce contexte, on doit de plus en plus compter sur les étudiants étrangers, souvent moins bien préparés culturellement à interagir avec des partenaires. On essaie dans la mesure du possible de mettre ces étudiants en contact avec les partenaires. Cela peut se faire à travers des colloques ou par des stages en entreprise facilités par les programmes de bourse en milieu de pratique. Enfin, nos liens avec les partenaires et la formation ont beaucoup bénéficié de la présence d’une forêt d’enseignement et de recherche de 80 km2 en Abitibi qui est gérée par l’UQAT et l’UQAM. Les universités expérimentant

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elles-mêmes la gestion d’un territoire forestier, nous sommes mieux à même de comprendre les préoccupations de nos partenaires. Cette forêt sert aussi de lieu unique pour la formation. Je suis curieux de connaître le rôle des étudiants aux cycles avancés dans vos projets en partenariat... L. G. – Les étudiants sont largement mis à contribution. Il nous apparaît important qu’ils soient en contact avec ces stratégies participatives, car effectivement ces approches demandent des habiletés et des expertises spécifiques, ne serait-ce que dans la manière de façonner ensemble les projets, avec le souci de rigueur nécessaire. Plusieurs étudiants diplômés se greffent à nos projets, explorant des questions laissées pour compte parmi toutes celles émises par les intervenants lors des journées de travail. Des stagiaires viennent assister


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aux séances de travail et de collecte, leur aide étant utile pour des aspects plus techniques (p. ex., tenue d’un journal de bord) – le but est encore ici de familiariser les étudiants avec ces approches. Pour l’instant, le recrutement ne pose pas trop de problèmes. Je tente de mettre à profit l’expérience des étudiants, notamment ceux qui sont étrangers, en les intégrant à des projets en relation avec des milieux ou des problématiques liés à leur histoire lorsque c’est possible : des projets sur l’immigration, par exemple, ou sur les milieux de vie HLM avec forte présence de personnes réfugiées. Leur vie même devient ainsi un plus pour le projet, nous permettant d’explorer certaines questions, de travailler différemment la mise en confiance, etc. Effectuez-vous parfois des croisements de savoirs, c’est-à-dire des croisements d’expertises liées aux savoirs traditionnels, pratiques et scientifiques ?

ches les préoccupations des allochtones et des Autochtones qui utilisent et habitent le territoire.

L. G. – Il y a un mouvement plus large, je crois, dans lequel s’inscrit notre échange sur les stratégies participatives, notamment en Occident. Je reviens d’un voyage en France, où j’ai été fortement sollicitée d’un point de vue méthodologique et stratégique par des collègues universitaires qui commencent à investir la pratique de la recherche participative dans les zones HLM. Les défis sont grands : non pas que les approches participatives ne sont pas présentes en France – on peut penser au développement de croisements de savoirs avec ATD Quart Monde, par exemple, ou encore au courant de la recherche conscientisante –, mais ces approches semblent avoir été peu investies ou reconnues par les milieux universitaires classiques. Au Québec, nous démarY. B. – Comme je le mentionnais plus rons, à l’initiative de personnes ayant haut, beaucoup des projets émanent de gravité autour du Collectif pour un visites sur le terrain avec les partenaires. Québec sans pauvreté, un « espace C’est surtout à cette occasion, devant une tiers », pour reprendre l’expression de situation concrète, que les opinions se participants, où nous pourrons réfléchir confrontent et que les questionnements ensemble – chercheurs, praticiens, communs deviennent une expérience à citoyens – sur la méthodologie propre mettre en place. Les étudiants partici- au croisement de savoirs et aux appropent à ces visites et y ajoutent leur vision ches participatives en recherche et, ce personnelle. Aussi, la collaboration avec faisant, nous soutenir mutuellement. De des collègues s’intéressant aux petites belles années de réflexion et de déploiecollectivités et aux Premières Nations ment s’ouvrent devant nous, je crois ! (mais encore trop rarement) contribue Propos recueillis par Johanne Lebel de plus en plus à inclure dans nos recher179


FonDS QuébécoiS De La recherche Sur La Société et La cuLture (FQrSc)

L’innovation en recherche Jacques babin Président-directeur général, Fonds québécois de la recherche sur la société et la culture (FQRSC)

L’innovation et la recherche sont deux notions qui ne sont pas loin l’une de l’autre. L’innovation découle en partie de la recherche; elle peut même en être constitutive. Encore faut-il que le contexte permette l’innovation en recherche. Comment inciter davantage la recherche à prendre des voies inusitées sans pour autant faire l’économie de la rigueur ? Pour le Fonds québécois de la recherche sur la société et la culture (FQRSC), la réponse allait passer par un nouveau programme, Appui aux projets novateurs. Si, grâce à ses programmes de subvention et de bourses d’excellence, le FQRSC encourage déjà l’innovation en recherche, avec son programme Appui aux projets novateurs, il incite résolument les chercheurs à sortir des sentiers battus. Lancé en 2005, ce programme invite la communauté des chercheurs en sciences sociales et humaines, en arts et en lettres à laisser libre cours à leur ima180

gination créatrice pour soumettre des propositions de recherche qui se distinguent par leur originalité, sur le plan des thèmes abordés, des approches conceptuelles ou de l’architecture des devis construits. C’est donc surtout dans sa philosophie que ce programme se distingue des autres, en encourageant les projets de recherche qui font preuve d’audace. Par ce programme unique, le FQRSC s’engage à soutenir des projets de recherche qui ne pourraient obtenir du financement ailleurs compte tenu du caractère innovant mis de l’avant. Dans sa mission de soutien à la recherche en sciences sociales et humaines, en arts et lettres, le FQRSC dessert plus de la moitié des professeurs-chercheurs des universités québécoises. Cela se traduit par une grande diversité de disciplines, d’approches et de démarches scientifiques. D’où la visée transdisciplinaire du programme Appui aux


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projets novateurs, qui peut accueillir des projets associés à tous les grands domaines de recherche couverts par le FQRSC. Les fonds dédiés à ce programme constituent en quelque sorte un capital de risque investi pour soutenir la recherche conçue à partir d’idées nouvelles, la matière première de la science et de l’innovation. Cette section offre un coup d’œil sur cinq des sept projets de recherche présentés lors du premier concours du programme. Ces projets et leurs résultats ont fait l’objet d’un forum d’échanges ouvert au public en mai 2009 au Centre

des sciences de Montréal. Découvrez ces projets transdisciplinaires, audacieux, en rupture avec les courants de

Que les chercheurs en sciences sociales et humaines, en arts et en lettres laissent libre cours à leur imagination créatrice ! recherche conventionnels et qui présentent un potentiel certain en termes d’exploration et d’expérimentation de nouvelles idées ou de façons de faire.

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Des projets novateurs, des résultats prometteurs

De la recherche au théâtre-forum : la création de nouveaux espaces publics de délibération Au Québec, de nombreux experts et décideurs gouvernementaux mettent en œuvre et déploient différents moyens et stratégies afin de lutter contre la pau-

Le nouvel espace de délibération découlant des travaux de Christopher McAll favorise la mobilisation d’acteurs autour de sujets délicats comme la pauvreté et la discrimination. 182

vreté. Malgré ces efforts, certains croient qu’il faut repenser l’action contre la pauvreté à partir de l’expérience des personnes qui la vivent au jour le jour. Pour plusieurs, il est devenu nécessaire d’inventer de nouvelles formes de participation citoyenne et de créer des espaces publics au travers desquels les citoyens pourraient prendre part à la formulation de politiques publiques et sociales les concernant. Jumelant sciences sociales et théâtre, s’appuyant sur des résultats de recherche et des techniques issues du théâtreforum, puisant aux sources du théâtre politique des années 30, du théâtre de l’opprimé et du théâtre législatif créés en Amérique du Sud dans les années 80, Christopher McAll, professeur-chercheur au Département de sociologie de l’Université de Montréal et directeur scientifique du centre affilié universitaire CSSS Jeanne-Mance, de même que Robert Bastien, chercheur à la Direction de la santé publique de Montréal-Centre, ont créé des espaces publics de débat et de délibération. Les chercheurs et leur équipe souhaitaient combiner les résul-


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tats de trois projets de recherche et les techniques du théâtre-forum afin d’expérimenter différents moments de participation citoyenne : prise de parole, présentation de témoignages, réflexion sur les droits, débats, formulation et discussion de propositions d’action et d’intervention. L’équipe a utilisé différents médias (le théâtre d’intervention lui-même, les arts du cirque, la musique). Avec l’aide de la compagnie de théâtre d’intervention Mise au jeu et de son directeur général et artistique, Luc Gaudet, l’équipe a créé des mises en situation réalistes (où il était question par exemple d’expériences de discrimination vécues par des personnes bénéficiaires de l’aide sociale dans des situations de recherche de logement ou d’emploi), à partir desquelles les participants aux représentations de théâtreforum étaient invités à constituer un tribunal des droits de la personne et à appliquer la Charte québécoise des droits et libertés de la personne. Le Centre de recherche de Montréal sur les inégalités sociales et les discriminations (CREMIS) a organisé, de décembre 2008 à avril 2009, une tournée provinciale qui a constitué l’une des suites de ce projet et a permis d’utiliser des résultats de recherche pour animer des débats citoyens sur le rôle des médecins

à l’aide sociale dans huit régions du Québec. L’objectif de cette tournée était de créer une alliance entre le milieu de la recherche, les groupes de défense de droits, le théâtre d’intervention et des organismes du réseau public de la santé et des services sociaux. Dans la tradition du théâtre d’intervention, les participants étaient invités à commenter, à critiquer et à modifier, le cas échéant, l’action qui se déroulait sur scène, à la lumière de leurs propres expériences et connaissances. Par la suite, l’événement théâtral s’est transformé en un lieu de débat et de délibération à partir des

il faut repenser l’action contre la pauvreté à partir de l’expérience des personnes qui la vivent au jour le jour. témoignages mis en scène préalablement. Dans ce cas, le public est devenu l’acteur central de l’événement, l’objectif étant de mettre à jour des priorités en matière de législation et d’action. Ce nouvel espace public de délibération a favorisé la mobilisation de tous les acteurs autour de sujets délicats touchant la pauvreté et la discrimination et a suscité des débats des plus enrichissants.

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citoyens sans papiers : analyse d’une expérience collective et progressive d’insertion à la société d’accueil En juin 2005, une centaine de personnes, dont bon nombre revendiquaient le statut de réfugié et de « sanspapier », ont participé à l’événement Marche sur Ottawa ? Personne n’est illégal, entre Montréal et Ottawa. Au cours de cette marche à laquelle elle a participé en tant que citoyenne,

Pour la chercheuse Guylaine Racine, le fait d’être en attente de ses papiers ne signifie pas pour autant être en attente d’appartenance. 184

Guylaine Racine, professeure-chercheuse à l’École de service social de l’Université de Montréal, a eu une intuition : si ces personnes, qui n’ont pas encore leur citoyenneté, mais qui la revendiquent, exerçaient leur citoyenneté à travers ce circuit pédestre ? Au fil des jours et des kilomètres parcourus, se peut-il que leurs pratiques de citoyenneté soient en train de se construire, de s’affirmer ? Captant différents moments de la marche avec la complicité d’un cinéaste, la chercheuse a posé son regard sur cette expérience de participation citoyenne et a ensuite questionné les marcheurs, durant la marche et par la suite lors de groupes de discussion, sur différents aspects de leur démarche. Qu’est-ce que les marcheurs auraient voulu montrer s’ils avaient été à sa place ? Voilà une des questions qui revenaient sans cesse dans le carnet de notes de la chercheuse… Authentique laboratoire pour le développement de méthodologies de recherches participatives, ce projet de recherche aura également été un espace de prise de parole pour des personnes qui en sont souvent privées. Il aura aussi montré que les personnes « sans papiers »


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ou « sans statut » ne font pas que subir leur situation : elles agissent pour la modifier et mettent ainsi en œuvre leur citoyenneté. Ce projet a mené à la création d’un film, pour reprendre les termes de la chercheuse, « sur la citoyenneté de personnes qui ne l’ont pas ». La structure du documentaire Les pas citoyens, qui dure une quarantaine de minutes, permet au téléspectateur de ne pas simplement assister à une description chronologique de l’expérience, mais plutôt de se déplacer, guidé par ce qui a été significatif pour les marcheurs. Le film propose une réflexion sur des thèmes comme l’ignorance, la solidarité, le vécu d’une personne sans statut ou la citoyenneté. Les résultats de ce projet de recherche montrent que le fait d’être en attente de ses papiers ne signifie pas pour autant être en attente d’appartenance. Malgré

un quotidien marqué par la pauvreté, la discrimination, les obstacles à l’accessibilité au marché du travail, aux soins de santé, au logement et à l’éducation, un grand nombre de ces personnes ont déjà établi des liens de subsistance, d’amitié, d’insertion et d’échanges avec d’autres membres de la société d’accueil. Plusieurs ont expérimenté différentes formes d’exercice de la citoyenneté, et ce, à différents niveaux : implication dans des

ce projet a été un espace de prise de parole pour des personnes qui en sont souvent privées. comités d’école, bénévolat dans des organismes communautaires, activités de lutte et de revendication en lien avec diverses causes sociales.

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transformation des économies régionales dans le contexte de la globalisation : une recherche participative sur les filières d’approvisionnement en milieux rural et urbain Pour ce projet de recherche participative sur les effets de la mondialisation de l’économie sur les populations locales, Manon Boulianne, professeurechercheuse au Département d’anthropologie de l’Université Laval, a innové sur le plan méthodologique : elle a examiné le vécu de personnes « ordinaires » concernées par ces effets et a inclus ces mêmes personnes à différents stades

menter, de leur point de vue, les changements provoqués par la mondialisation de l’économie dans les filières d’approvisionnement disponibles et mobilisées par les hommes et les femmes de leur région de résidence. En bref, avec ces personnes, la chercheuse a examiné les pratiques, les processus et les acteurs en cause dans la production, la circulation et la consommation des biens et des services d’usage quotidien dans leur famille et leur localité. La L’originalité du projet notion d’approvisionnement indique réside dans le fait de faire que la filière est étudiée à partir du point de non-chercheurs des de vue des consommateurs. Ce projet comptait deux volets. Le « sujets enquêteurs ». premier, mené avec des jeunes mexicains et québécois de 15 à 17 ans étudiant de la recherche. L’originalité du projet au secondaire, a permis de documenter, réside dans le fait de faire de non- avec du matériel de première main chercheurs – des étudiants et des pay- récolté auprès de leurs grands-parents sans du Mexique et du Québec – des et de leurs parents, les transformations « sujets enquêteurs » qui ont collaboré à des pratiques de consommation alimenla méthodologie, la collecte, l’analyse ou taires, vestimentaires et de loisirs réalila diffusion de données afin de docu- sées au quotidien par les ménages du 186


Panorama de la recherche – Acfas

La participation de jeunes étudiants québécois au projet de Manon Boulianne leur a permis de développer un regard critique sur leurs pratiques de consommation.

milieu semi-rural et urbain au Mexique et au Québec. Leur participation à ce projet a contribué au développement d’un regard critique sur leurs pratiques de consommation et à une sensibilisation à la question de la consommation responsable. Le second volet, mené avec une organisation non gouvernementale (ONG) mexicaine œuvrant auprès de paysans en milieu rural, cherchait à évaluer les retombées de la mise en place d’un réseau de commerce communautaire pour les produits locaux afin de voir s’il s’agissait d’une stratégie efficace pour les petits producteurs face à la globalisation. Dans le premier volet, les résultats de la recherche ont été diffusés grâce à une vidéoconférence et à un site Internet

alimentés par les sujets enquêteurs. Véritable exercice de démystification de l’économie, cette recherche entendait contribuer au travail d’intervention d’ONG mexicaines et québécoises qui sensibilisent et conscientisent les citoyens sur les nombreux effets de la mondialisation de l’économie et qui visent à développer des filières d’approvisionnement différentes. Par ailleurs, le travail collaboratif entrepris par un groupe de paysans de l’État de Guanajuato pour développer des filières d’approvisionnement différentes favorisant l’achat local d’aliments sains et frais a contribué à documenter les écueils que peuvent rencontrer d’autres initiatives du même genre, au Mexique ou ailleurs. 187


récits de pauvreté : interprétation des témoignages, des autobiographies et des récits littéraires comme savoir radical Que sait-on sur les femmes en situation de pauvreté au Québec et au Canada ? Quelques éléments de réponse se trouvent dans des rapports gouvernementaux; mais comment ces femmes se perçoivent-elles, quelle place estiment-elles occuper dans la société et quel sens accordent-elles à leur histoire ? Pour Roxanne Rimstead, professeurechercheuse au Département des lettres

et des communications de l’Université de Sherbrooke, une des façons de mieux connaître ces femmes serait de tenir compte de ce qu’elles ont à nous dire et à nous apprendre. Tenir compte de la voix des personnes en situation de pauvreté et en particulier, dans le cadre de cette recherche, des femmes marginalisées est plus qu’une question de justice sociale; c’est en effet

Les stéréotypes négatifs qui circulent sur les femmes en situation de pauvreté influencent les politiques publiques mises en place pour elles, affirme Roxanne Rimstead. 188


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une façon d’aborder un écart dans les connaissances. Par cette recherche, dont l’originalité tenait à son corpus, à sa méthodologie et à son interdisciplinarité, passant de la littérature aux sciences sociales, la chercheuse entendait remettre en état et reconstruire tout un savoir radical sur quatre groupes spécifiques de femmes – assistées sociales, itinérantes, domestiques et prostituées – ainsi que sur l’espace social qu’elles habitent. Il va sans dire qu’en littérature, tout comme dans la vie courante, de nombreux stéréotypes négatifs circulent sur les femmes qui vivent en situation de pauvreté. Ces stéréotypes influencent non seulement la façon dont ces femmes se perçoivent, mais aussi les différentes politiques publiques mises en place pour elles. Tout en fouillant les littératures canadienne et québécoise afin de dénicher des histoires de femmes, la chercheuse a introduit et décrit une nouvelle catégorie d’analyse appelée « récits de pauvreté ». Ses travaux lui ont permis de remettre ces récits dans le contexte de l’histoire sociale des femmes margina-

lisées et de mieux saisir les discours issus de la culture populaire sur les femmes en situation de pauvreté. Ce projet de recherche, qui visait le renouvellement de savoirs conceptuels et théoriques, a permis de lancer un colloque international sur le sujet (Contested Spaces : conflit, contre-récits et la culture d’en bas), de mettre sur pied un projet de livre dans lequel on trouvera deux chapitres pour chaque groupe

tenir compte de la voix des personnes en situation de pauvreté est plus qu’une question de justice sociale. de femmes et, finalement, de lancer un site Web dédié notamment aux chercheurs en sciences humaines et sociales et aux intervenants sociaux – site que les femmes en situation de pauvreté ou anciennement dans une telle situation pourraient également consulter, selon la chercheuse.

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réalité virtuelle dessinée : étude sur l’idéation à travers le dessin dans un environnement immersif En design, les outils informatiques sont utilisés pour présenter et valider des concepts plutôt que pour les concevoir, entre autres parce qu’ils exigent une précision et une finition de l’idée qui peuvent contraindre la créativité du designer. Quand les idées restent encore à formuler clairement, l’esquisse et la maquette faites à la main demeurent les outils de prédilection en ce qui concerne la visualisation et la simulation graphique. Toutefois, ces

Dans l’espace hybride d’idéation, les designers travaillent avec des outils traditionnels améliorés par le numérique. outils traditionnels ont une limite : ils ne permettent pas au designer de bien comprendre les formes et les relations complexes en trois dimensions. Dans ce contexte, on voit apparaître la nécessité de proposer de nouvelles techniques pour pouvoir vraiment profiter des avantages de l’informatique dans l’activité de conception. Tomás Dorta, pro190

fesseur-chercheur à l’École de design industriel de l’Université de Montréal, s’intéresse à la conception de nouvelles technologies qui allient les capacités numériques et manuelles. C’est dans cet esprit qu’a été créé l’Espace hybride d’idéation (EHI), un environnement immersif dans lequel les designers peuvent travailler seuls ou en équipe avec des outils traditionnels améliorés par l’apport du numérique : l’esquisse immersive et le maquettage immersif. Dans l’EHI, le designer crée d’abord un gabarit qui lui servira de repère virtuel pour les proportions des objets et de l’espace, puis dessine sur une tablette numérique et fait manuellement des maquettes qui sont grossies par une projection immersive autour de lui, le tout en temps réel et à l’échelle humaine. Le designer se trouve ainsi à l’intérieur des représentations projetées sur un écran semi-sphérique de près de cinq mètres de diamètre. De cette façon, le designer peut voir une projection du concept à l’échelle humaine autour de lui. L’Espace hybride d’idéation a été testé par plusieurs designers ainsi que par des artistes en arts médiatiques. Pour


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évaluer la pertinence de l’outil d’idéation, l’équipe de Tomás Dorta a développé un instrument méthodologique, le « flux de design », qui permet d’évaluer l’expérience de l’usager durant l’idéation en suivant ses états psychologiques. Les conclusions tirées jusqu’à présent sont positives : après une phase d’adaptation allant généralement de 5 à 10 minutes, les designers se sentent à l’aise avec le dispositif, et le processus d’idéation dans l’environnement immersif se fait alors mieux qu’avec les outils traditionnels ou numériques. Présentement, quatre usagers peuvent occuper simultanément l’EHI. Les membres d’une équipe peuvent tous participer à la réflexion quand ils sont à l’intérieur de l’espace, que ce soit en manipulant un crayon numérique ou en réagissant en montrant des erreurs directement sur l’esquisse projetée à l’aide d’un pointeur laser, par exemple. Chacun émet des observations à propos de ses idées, et la rétroaction entre les membres est optimale, puisque les ajustements peuvent se faire en temps réel. Les décisions de design gagnent en

Dans l’Espace hybride d’idéation de Tomás Dorta, le designer se trouve à l’intérieur des représentations et peut esquisser tout autour de lui en temps réel et à l’échelle humaine.

qualité au fur et à mesure que l’esquisse évolue. L’Espace hybride d’idéation est un dispositif voué à un avenir prometteur. De nombreuses possibilités s’offrent aux utilisateurs éventuels, qu’ils soient designers, architectes ou ingénieurs.

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L’état du Québec 2010

Forum projets novateurs Dans le but de faire connaître les travaux de recherche issus du premier concours tenu dans le cadre du programme Appui aux projets novateurs, le FQRSC a tenu, le 20 mai 2009, le Forum Projets novateurs au Centre des sciences de Montréal. Combinant exposition et table ronde, le forum se voulait une vitrine et un lieu d’échanges sur la recherche innovante. Au cours de l’exposition, les chercheurs ont eu l’occasion de présenter leur projet de recherche, leurs résultats et leurs retombées et, surtout, d’échanger avec les participants qui ont pris part à l’événement. Dans la seconde partie du forum, une table ronde a été tenue avec les cinq principaux chercheurs. Animée par Sophie­Andrée Blondin, journaliste à la radio de Radio­Canada, la table ronde a porté sur la pertinence scientifique du programme Appui aux projets novateurs, de même que sur l’audace et les démarches innovantes en recherche, la transdisciplinarité au service de l’objet de recherche et les moyens de diffusion novateurs. Les panélistes ont égale­ ment répondu à plusieurs questions provenant de l’auditoire.

Deuxième cohorte de projets prometteurs Lors du deuxième concours du programme Appui aux projets novateurs, neuf projets de recherche ont été retenus en vue d’un financement. Les résultats de ces projets sont attendus pour 2010. · « La dimension publique de l’art contemporain : interventions éducatives et diffusion des observations auprès du grand public », Anne­Marie Émond, Université de Montréal · « Le portage culturel : un nouveau cadre d’accueil pour les femmes enceintes immigrantes – une recherche­action coopérative », Vania Jimenez, Université McGill · « Intégration théorique et empirique des théories motivationnelles aux théories des souve­ nirs et de la mémoire sous la perspective du fonctionnement cognitif inconscient », Serge Lecours, Université de Montréal · « Demandes de réfugié(e)s et orientation sexuelle au Canada : analyse des cas des per­ sonnes bisexuelles à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié », Viviane Namaste, Université Concordia · « La participation sociale : une notion à clarifier, des enjeux à préciser, de nouvelles prati­ ques à imaginer », Yolande Pelchat, CSSS de la Vieille­Capitale · « Être jeune dans une société plurielle et parler de soi et de l’autre à la radio », Cécile Rous­ seau, Université McGill · « Droits humains et témoignages dans les organisations humanitaires au Canada et au Québec : inventaire, critique et production d’un outil collaboratif », Francine Saillant, Univer­ sité Laval · « Présentation et explication du phénomène de l’innovation personnelle... ou quand intuition, sagesse, créativité, talent managérial, douance entrepreneuriale et excellence se combinent », Larisa Shavinina, Université du Québec en Outaouais · « Nouvelles pistes de recherche et de pratique dans le domaine de la mode; apport de cultures non occidentales comme nouvelles références aux pratiques culturelles occiden­ tales en mode », Maryla Sobek, Université du Québec à Montréal. 192


FonDS QuébécoiS De La recherche Sur La nature et LeS technoLogieS (FQrnt)

nos chercheurs bâtissent un avenir durable pierre prémont Président-directeur général, Fonds québécois de la recherche sur la nature et les technologies (FQRNT)

La Stratégie québécoise de la recherche et de l’innovation, Un Québec innovant et prospère, lancée en décembre 2006, a reconnu très concrètement que « l’innovation et la recherche sont au cœur du développement des économies du savoir ». Dans la même foulée, elle a souligné l’importance cruciale de la recherche dans les domaines des sciences pures, des sciences naturelles et du génie, en accordant au FQRNT un rôle et des moyens accrus. C’est avec fierté que nous vous dévoilons 17 réalisations d’étudiants et de chercheurs financées par le FQRNT en 2008-2009. La contribution de ces gens passionnés mérite d’être davantage connue, car la prospérité de notre société et le mieux-être des générations futures y sont liés. Tous ces étudiants et ces chercheurs, à leur façon, chacun dans leur champ d’expertise, contribuent à bâtir un avenir durable pour le Québec.

Nos chercheurs sont très actifs et appuient, par leurs travaux, d’importants secteurs de l’économie québécoise tels que la forêt et l’aérospatiale, les nouvelles technologies de la santé et le bioalimentaire, l’environnement et les écosystèmes, en passant par les biotechnologies et les nanotechnologies. Ces hommes et ces femmes prennent ainsi part à la formation de milliers d’étudiants, une main-d’œuvre hautement qualifiée qui pourra mettre à profit ses connaissances, ses compétences et ses réseaux au sein des organisations qui les engageront. Les projets de recherche illustrés dans ce panorama représentent une partie des nombreux travaux financés par le FQRNT et constituent une excellente occasion de faire connaître ce qui se fait en recherche au Québec en sciences naturelles et en génie. Je vous souhaite une agréable lecture! 193


L’état du Québec 2010

projets prometteurs en sciences naturelles et en génie

bioaLiMentaire : agroaLiMentaire

environneMent

application de compost pour contrer la verticilliose de la fraise La verticilliose de la fraise est une maladie qui réduit considérablement la croissance et la productivité des fraisiers. Afin d’assurer une productivité économiquement viable, les producteurs appliquent fréquemment des biocides de synthèse (fumigants), qui sont chers et d’utilisation difficile en raison de leur toxicité. En contrepartie, les composts sont des produits peu coûteux dont l’utilisation s’inscrit parfaitement dans un contexte d’agriculture durable. En plus d’améliorer la qualité des sols et d’offrir des éléments fertilisants pour la culture, certains composts sont reconnus pour leurs caractéristiques leur permettant de lutter contre différentes maladies telluriques. Les travaux de Valérie BernierEnglish, stagiaire chez le producteur Les Fraises de l’île d’Orléans, consistent à mesurer l’effet de divers types de composts et de doses différentes sur le développement de la verticilliose du fraisier sur des cultures en serre et en champ.

Développement d’un nouveau type de passes migratoires multi-espèces L’accès à la plaine inondable du SaintLaurent est un élément clé pour la reproduction et l’alevinage de nombreuses espèces de poissons fréquentant cet habitat. Cependant, le dragage de la voie navigable et l’aménagement des berges ont contribué à réduire la superficie des marais riverains. Pour compenser une partie de ces pertes, des marais ont été aménagés dans la plaine d’inondation. Lorsque le dénivelé entre le marais aménagé et le cours d’eau adjacent est trop important, la construction d’une passe migratoire est nécessaire afin de permettre aux poissons d’y accéder pour la fraie. Toutefois, jusqu’à tout récemment, les passes migratoires étaient surtout destinées à aider les salmonidés à franchir les obstacles, mais elles sont malheureusement peu efficaces pour d’autres espèces de poissons qui ont une faible capacité natatoire. Les travaux de Joanie Côté, stagiaire chez Canards Illimités Canada, consistent à construire une nouvelle passe qui répond aux besoins des poissons autres que les salmonidés.

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Panorama de la recherche – Acfas

nouveLLeS technoLogieS De La Santé

nouveLLeS technoLogieS De La Santé : biorobotiQue et SyStèMeS MécaniQueS

approche d’imagerie médicale par interaction acousto-électrique pour le dépistage du cancer du sein La mammographie est la modalité d’imagerie médicale de référence pour le dépistage du cancer du sein. Sa sensibilité et sa spécificité peuvent toutefois être insuffisantes pour identifier les tumeurs de petite taille présentes à un stade précoce de la maladie, de même que celles présentes dans les tissus denses des jeunes sujets. Les travaux de Mathieu Gendron (École polytechnique de Montréal) portent sur le développement d’une nouvelle modalité d’imagerie médicale complémentaire à la mammographie, qui pourrait améliorer le dépistage du cancer du sein dans de telles situations. En balayant le sein avec ce faisceau ultrasonore, on obtient une cartographie de la conductivité électrique. Sachant que la conductivité électrique d’une tumeur mammaire est beaucoup plus grande que celle du tissu sain, cela permettrait de caractériser les tumeurs présentes, notamment quant à leur taille et à leur emplacement.

robot médical d’échographie 3D pour détecter l’artériosclérose des membres inférieurs Les maladies cardiovasculaires, telles que l’artériosclérose, sont responsables de plus du tiers des décès au Canada. La planification d’une intervention chirurgicale requiert une représentation géométrique en 3 D de l’artère malade. L’échographie 3D est une avenue des plus prometteuses en imagerie pour détecter les sténoses, car elle offre des avantages tels que la commodité, des coûts peu élevés et une variété de choix d’analyses non invasives et non ionisantes. Cependant, les technologies actuelles en mode « mains libres » ne sont pas adaptées pour le balayage des longs vaisseaux du bas de l’abdomen et des jambes (membres inférieurs). Étant donné le taux de succès élevé des robots médicaux en chirurgie et en orthopédie, l’équipe de recherche de Marie-Ange Janvier (Université de Montréal) a conçu un système robotisé d’échographie 3D pour détecter et quantifier les sténoses des membres inférieurs.

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L’état du Québec 2010

génoMiQue

biotechnoLogieS

transcription épigénétique du gamète mâle L’épigénétique est utilisée pour décrire l’information biochimique héréditaire au sein de l’ADN et des protéines qui entourent et régulent la condensation de l’ADN. L’information épigénétique régule l’expression génique et peut être influencée par l’environnement. Des modèles animaux ont permis à Sarah Kimmins (Université McGill) de mettre en évidence le rôle capital que joue l’alimentation dans le programme épigénétique et la fertilité. L’étude des profils épigénétiques altérés dans des biopsies prélevées sur des patients atteints d’un cancer du testicule a mis en lumière la possibilité qu’une perturbation du programme épigénétique soit associée à l’apparition de ce type de cancer. Les travaux récents de Sarah Kimmins montrent que les profils épigénétiques régulent également la pluripotentialité et la prolifération des cellules dans les cancers du testicule ainsi que dans les cellules souches.

plateforme microfluidique pour tests cytotoxicologiques in vitro Un grand nombre de médicaments en phase préclinique échouent aux tests toxicologiques. L’évaluation précoce de la toxicité des médicaments représenterait un gain de temps et de coûts très important. Pour des questions d’éthique, mais également en raison des coûts prohibitifs et du temps requis, on a tendance à réduire les tests sur les animaux au profit de techniques in vitro. Les travaux d’Olivier Guenat (École polytechnique de Montréal) visent à développer des plateformes microfluidiques en PDMS (un polymère biocompatible et transparent) équipées de microcapteurs électrochimiques, en particulier des microélectrodes sélectives au potassium capables d’analyser en temps réel la viabilité cellulaire. Ainsi, lorsqu’un médicament à tester est administré à une population cellulaire cultivée sur une de ces plateformes, la mortalité cellulaire peut être analysée et quantifiée en fonction de l’augmentation de la concentration extracellulaire potassique, qui est un marqueur précoce de mort cellulaire.

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Panorama de la recherche – Acfas

énergie

nouvelles cathodes pour les piles utilisant le méthanol comme combustible (DMFc) Les piles à combustible qui utilisent des membranes échangeuses de protons sont des dispositifs électrochimiques des plus prometteurs. De nombreuses applications dans le domaine de l’électronique portable sont envisagées. Ce projet de recherche est consacré au développement de nouvelles cathodes pour les piles à combustible fonctionnant par diffusion naturelle de l’air et avec une concentration élevée de méthanol. De nouvelles cathodes seront préparées en utilisant un liant différent du téflon afin de modifier la structure poreuse de la couche catalytique et d’améliorer la gestion de l’eau et le transport de l’oxygène vers le catalyseur. Les travaux d’Ana Tavares (INRSÉnergie, Matériaux et Télécommunications) visent l’optimisation de la struc ture et de la composition de la couche catalytique. Ils évalueront le degré d’utilisation du catalyseur et la gestion de l’eau produite dans l’électrode et étudieront l’interface entre la cathode et les nouvelles membranes composites. Les résultats permettront d’améliorer la performance des piles DMFC à des fins de commercialisation.

environneMent et écoSyStèMeS : changeMentS cLiMatiQueS

biodégradation des composés pharmaceutiques Un nombre croissant de composés pharmaceutiques se retrouve dans l’environnement par l’entremise de rejets non traités et de rejets de systèmes de traitement des eaux usées. Plus de 80 composés pharmaceutiques ont été identifiés à des concentrations de l’ordre du microgramme par litre, et ce, dans les cours d’eau de plusieurs pays d’Europe et d’Amérique. L’impact de ces composés sur l’environnement est méconnu et leur présence suscite de nombreuses inquiétudes. Les travaux de l’équipe de David Cooper (Université McGill et Cégep de Sherbrooke) visent à évaluer l’impact environnemental de composés pharmaceutiques, plus spécifiquement celui de l’ibuprofène, du sulfaméthoxazole et de la carbamazépine, représentant respectivement les analgésiques, les antibiotiques et les anticonvulsifiants. Les résultats permettront d’établir des politiques environnementales québécoises, canadiennes et internationales de préservation de l’environnement et de surveillance de la santé publique.

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L’état du Québec 2010

tranSport

Détérioration des chaussées routières au dégel Le dégel constitue une des causes principales de détérioration des chaussées routières au Québec. Les administrations routières appliquent des politiques de restriction de charge lors du dégel comme moyen principal de protection des réseaux routiers. Les restrictions de charge nuisent toutefois considérablement à la compétitivité de l’industrie du transport ainsi qu’à l’économie québécoise. L’action du gel et du dégel sur les sols gélifs d’infrastructure est généralement considérée comme étant responsable de l’affaiblissement de la chaussée. On a cependant observé que plus de la moitié des dégradations par fatigue qui se produisent durant cette période surviennent en début du dégel, alors que le sol d’infrastructure est encore gelé et que les limitations de charge ne sont pas encore en vigueur. Les travaux de l’équipe de Guy Doré (Université Laval et École de technologie supérieure) visent à identifier et à étudier les mécanismes d’affaiblissement et de détérioration qui agissent dans la partie supérieure de la chaussée.

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technoLogieS De L’inForMation et DeS coMMunicationS

informatisation du graphisme tactile à l’usage des personnes aveugles ou handicapées visuelles L’accès aux documents imprimés est fondamental pour les personnes aveugles ou handicapées visuelles. Le braille et les technologies de synthèse vocale sont aujourd’hui les seuls outils qui permettent aux aveugles d’accéder à un texte sans l’intervention d’une autre personne – à condition que le texte soit disponible sous forme électronique. Pour les images, la seule méthode d’accès est le transfert manuel d’images graphiques en images tactiles sur un support physique embossé accompagné de texte et de symbologie. Les travaux de l’équipe de Vincent Hayward (Université McGill, Université du Québec à Montréal et Université de Montréal) concernent le développement d’un système électromécanique et informatique pour rendre les images accessibles sans avoir recours à la production physique du graphisme tactile. Ce système repose sur le développement récent d’une famille de transducteurs tactiles commandés par ordinateur qui stimulent la peau du bout des doigts en la déformant tangentiellement à la surface et de façon localisée.


Panorama de la recherche – Acfas

environneMent et écoSyStèMeS : changeMentS cLiMatiQueS

émissions de geS par les lacs thermokarstiques au Québec L’accumulation des gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère est une préoccupation environnementale majeure au xxie siècle. Le réchauffement climatique a déjà enclenché un processus généralisé de fonte du pergélisol, couvrant 25 % du territoire québécois, dans les régions boréales et subarctiques. Cette fonte crée des dépressions remplies d’eau appelées « lacs thermokarstiques ». La formation de ces lacs dans les régions circumpolaires, y compris au Nunavik, soulève beaucoup d’inquiétude, car elle peut générer une libération massive de dioxyde de carbone et de méthane vers l’atmosphère, entraînant une accélération du réchauffement planétaire. Cet écosystème répandu en région nordique est très peu connu. Le but principal des travaux de l’équipe de recherche de Reinhard Pienitz (Université Laval et INRS) est de développer un ensemble de connaissances et d’outils pour évaluer l’évolution de l’écosystème thermokarstique sous l’influence des changements climatiques.

ScienceS cognitiveS

centre de recherche sur le langage, l’esprit et le cerveau (crLec) Le langage est essentiel non seulement au développement de la personne et aux rapports humains normaux, mais aussi à la mise en place d’institutions caractérisant les cultures humaines telles que l’éducation, le gouvernement, le commerce, les arts et les sciences. Le Centre de recherche sur le langage, l’esprit et le cerveau (CRLEC) a établi un milieu de recherche multidisciplinaire et multiinstitutionnel consacré à l’étude théorique et pratique des processus fondamentaux de la communication. Les activités du CRLEC se concentrent sur les structures linguistiques, les procédés neurolinguistiques, le bilinguisme, l’acquisition et la pédagogie d’une deuxième langue, les troubles de la parole et les dyslexies. Les membres s’appliquent à traduire d’importantes découvertes scientifiques en programmes novateurs, utiles à la société.

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aéronautiQue et aéroSpatiaLe

MatériauX

centre de recherche en astrophysique du Québec (craQ) De tout temps, l’exploration et la compréhension de l’Univers ont fasciné l’être humain. Depuis plus de 25 ans, le Centre de recherche en astrophysique du Québec (CRAQ) propose un environnement de recherche privilégié aux chercheurs québécois qui s’intéressent à ce domaine. Les astrophysiciens québécois sont des chefs de file dans plusieurs domaines de la recherche théorique et expérimentale. La mission du CRAQ est de promouvoir l’excellence en astrophysique au Québec et de faire rayonner l’astronomie québécoise sur la scène mondiale. L’année 2008 a permis de concrétiser les efforts des astrophysiciens Christian Marois, David Lafrenière et René Doyon. Cette équipe de chercheurs a réussi à photographier un système planétaire possédant trois planètes en orbite autour d’une étoile de la constellation de Pégase.

enrobage de poudres d’aluminium ultrafines Depuis plusieurs années, l’intérêt pour les poudres d’aluminium ultrafines s’est considérablement accru, particulièrement pour leurs propriétés de combustion accélérée et leur très grande réactivité. Ces poudres, qui ont un diamètre allant d’une centaine de micromètres à une centaine de nanomètres, ont des applications dans les domaines de l’industrie chimique, de l’aérospatiale et de la métallurgie. Les usages possibles des poudres d’aluminium ultrafines intéressent particulièrement l’industrie du moulage par injection et le domaine de la fabrication de compositions énergétiques propulsives ou explosives (tels les carburants métalliques) pour des applications spatiales. L’élimination des problèmes de vieillissement prématuré de ces matériaux est une des conditions essentielles à l’expansion de ce marché dont le potentiel économique est important. Les travaux de l’équipe de Charles Dubois (École polytechnique de Montréal, Université McGill, agence gouvernementale RDDC et General Dynamics du Canada) visent à élaborer un procédé d’enrobage thermoplastique autour des particules métalliques d’aluminium afin d’accroître le potentiel industriel des poudres ainsi traitées.

200


Panorama de la recherche – Acfas

écoSyStèMeS

bioaLiMentaire

effet de différents scénarios de récupération des brûlis sur la biodiversité faunique Le Règlement sur les normes d’intervention dans les forêts du domaine de l’État impose la récolte des surfaces récemment brûlées. Actuellement, il n’y a plus de normes concernant la distribution des coupes, et il est possible de récolter toute la matière ligneuse d’une surface incendiée, ce qui peut compromettre la mise en œuvre d’un aménagement durable des forêts tenant compte du critère de maintien de la biodiversité. Les préoccupations de l’équipe de recherche de Jacques Ibarzabal (Université du Québec à Chicoutimi, Service canadien des forêts [Centre de foresterie des Laurentides], Service canadien de la faune, Université du Québec en AbitibiTémiscamingue et MRNF) sont reliées à la récupération des brûlis et concernent principalement les communautés d’insectes saproxyliques et pyrophiles (qui dépendent de la présence de bois brûlé par des incendies de forêt pour accomplir leur cycle vital) ainsi que certains oiseaux consommateurs d’insectes qui colonisent le bois incendié.

impact d’un tarissement court pour les troupeaux laitiers québécois Les travaux de l’équipe de Doris Pellerin (Université Laval, ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec [MAPAQ] et Novalait inc.) visent la mise en place d’une nouvelle régie de tarissement permettant d’améliorer la santé et la productivité des vaches par un tarissement plus simple. Si on augmente la période productive des vaches en réduisant la période de tarissement, la rentabilité des entreprises québécoises s’en trouvera améliorée. Plusieurs études aideront à approfondir les connaissances sur les effets spécifiques d’une réduction de la période de tarissement; l’une d’elles portera sur l’expression des gènes et des récepteurs liés à la production laitière dans la glande mammaire.

201


L’état du Québec 2010

tant sur les nanocomposites et les produits de finition intérieurs. L’expertise québécoise dans l’utilisation des nanoparticules comme renfort pour amélionanotechnoLogieS rer la formulation de teintures et de peintures colorées et semi-transparentes teintures et peintures aqueuses à base d’eau permettra de répondre aux nanocomposites pour le bois défis industriels suivants : amélioration à usage extérieur L’emploi de teintures et de peintures à de l’adhésion film/bois et stabilisation base d’eau commence à s’accroître dans des couleurs vis-à-vis des dégradations l’industrie forestière. Ces produits dits climatiques (UV, chaleur, humidité). aqueux manquent toutefois d’efficacité L’élaboration novatrice d’une technique sur les plans physique et mécanique, ce d’intégration des nanoparticules dans qui constitue un frein à leur pénétration des formules de teintures et de peintures du marché. Depuis près de trois ans, à base d’eau existantes, et son transfert Bernard Riedl et ses partenaires, Forin- vers l’industrie, permettra aux entrepritek Canada Corp. et le Centre de recher- ses québécoises de maintenir leur comche sur le bois (CRB) de l’Université pétitivité face aux pays où les coûts Laval, collaborent à des recherches por- manufacturiers sont faibles.

202


Démographie 204

La démographie en quelques statistiques

206

Pères engagés : une nouvelle donne pour la famille et la société

211

Les anglophones du Québec : un « nous » à géométrie variable

203


La démographie en quelques statistiques* La population du Québec est passée de 6,5 millions d’habitants en 1981 à 7,7 millions en 2007. Cependant, la population du Canada augmente plus rapidement, si bien que le poids du Québec dans le Canada diminue de 26,4 % à 23,4 % pendant cette période. Au cours des mêmes années, la proportion de jeunes de moins de 15 ans diminue de 21,5 % à 16,0 %, tandis que celle des personnes de 65 ans et plus augmente de 8,8 % à 14,4 %, et celle des personnes de 15 à 64 ans bouge peu (69,7 %). La proportion de personnes de langue maternelle française passe sous la barre de 80 % en 2006 (79,6 %). Cependant,

en 2006, le type de ménage le plus répandu au Québec est celui formé d’une personne seule. 81,8 % des Québécois déclarent utiliser le français à la maison. Le Québec a connu une période de très basse fécondité au milieu des * Extraits de Institut de la statistique du Québec, Données sociales du Québec, édition 2009, janvier 2009. 204

années 80, soit un indice de fécondité inférieur à 1,4 enfant par femme, puis une légère remontée autour de 1990, suivie d’une nouvelle baisse à environ 1,5 enfant par femme. Les années récentes voient l’indice regagner de la vigueur. Il atteint 1,65 en 2007, niveau semblable à celui de la période 19901996. Depuis 1990, les indices du Québec sont assez proches de ceux de l’Ontario et du Canada ; en 2006, l’indice du Québec est même légèrement plus élevé. La proportion des naissances hors mariage a augmenté énormément au cours des années 80 et 90, passant de moins de 20 % à près de 60 %. Elle s’est stabilisée à ce niveau depuis le début des années 2000. Au cours des 25 dernières années, on note une croissance continue de l’espérance de vie, qui atteint 78,6 ans chez les hommes et 83,4 ans chez les femmes en 2007. L’augmentation a été plus rapide chez les hommes que chez les femmes, si bien que l’inégalité des sexes devant la mort s’amenuise. En 2006, le type de ménage le plus répandu est celui formé d’une personne seule. Ce type représente 31 % des ménages privés au Québec, alors que 28 % sont formés d’un couple avec enfant,


Démographie

26 % d’un couple sans enfant et 10 % Les couples de même sexe représend’une famille monoparentale ; enfin, un tent 0,8 % de tous les couples québécois petit nombre de ménages sont consti- recensés en 2006. Il s’agit un peu plus tués de différents types, des colocataires souvent de deux hommes que de deux par exemple. En moyenne, un ménage québécois compte 2,32 personnes contre en 2006, l’indice de fécondité 2,90 en 1981. du Québec est légèrement Parmi les familles ayant des enfants de moins de 25 ans à la maison, on plus élevé que celui de dénombre 47 % de couples mariés, 28 % l’ontario et du canada. de couples en union libre et 25 % de parents seuls. En outre, 44 % de ces familles comptent un seul enfant, 40 % femmes. La large majorité vit en union en comptent deux et seulement 16 % en libre, mais 9 % sont mariés. Une petite comptent trois et plus. portion (7 %) de ces ménages compte un Les enfants de moins de 18 ans vivent ou des enfants. pour la plupart (79 %) dans une famille où il y a un couple, et 21 % avec un seul Pour lire la grande étude démographique parent. Cette dernière proportion est du sociologue Simon Langlois, veuillez plus faible chez les plus jeunes enfants vous référer au site Internet de L’état du que chez les plus vieux. Pour la première Québec 2010 : fois depuis 1981, la proportion d’enfants de 0 à 4 ans vivant en famille monopa- www.letatduquebec.qc.ca rentale est à la baisse au Québec.

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pères engagés : une nouvelle donne pour la famille et la société Diane Dubeau Professeure, Département de psychoéducation et psychologie, Université du Québec en Outaouais (UQO)

Le dernier rapport du conseil de la famille et de l’enfance1 est révélateur d’une nouvelle donne au sein des familles québécoises : les jeunes pères s’engagent plus fortement auprès de leurs enfants que ne le faisaient leurs aînés. cette nouvelle réalité, que l’on retrouve dans la majorité des pays occidentaux, oblige à repenser non seulement les rôles parentaux et les rapports familiaux, mais aussi les politiques familiales. familiales. Le Québec a su amorcer ce virage et se démarque par une série de mesures, dont la plus connue est assurément le congé de paternité. paternité.

La place prise par les femmes sur le marché du travail, une plus grande égalité entre les hommes et les femmes ainsi que les taux élevés de divorce et de séparation sont plusieurs des facteurs qui incitent les pères à s’engager davantage. Mais le plus important d’entre eux est peut-être le désir des pères euxmêmes d’assumer un rôle plus actif et de s’investir tôt dans une relation significative avec leur enfant tout en parta206

geant avec leur conjointe les diverses responsabilités familiales. Ce désir s’inscrit dans un contexte social où les pères peuvent, s’ils le souhaitent, assumer ces responsabilités. Pensons par exemple à l’opportunité offerte par la nouvelle politique familiale relative au congé de paternité mise en place par le gouvernement québécois en 2006. Du temps de l’ancien programme – géré par le gouvernement fédéral –, seuls 4 % des


Démographie

pères se prévalaient du congé parental partagé. Avec la nouvelle formule, près de 70 % des jeunes pères prennent un congé de paternité, dont la majorité durant le premier mois de vie de leur enfant; on observe également, dans des proportions moindres, un plus grand partage du congé parental entre la mère et le père. Les visages des nouveaux pères Dans leurs interactions quotidiennes avec leurs enfants, les pères d’aujourd’hui s’investissent généralement aussi bien dans les soins, les jeux ou l’éducation que dans la discipline et sont moins cantonnés à leur rôle traditionnel de pourvoyeur et au stéréotype du père autoritaire qui leur étaient autrefois assignés. En ce début de xxie siècle, il n’existe cependant pas, loin de là, de modèle paternel unique. Celui-ci peut prendre de multiples formes en s’adaptant au portrait diversifié des familles d’aujourd’hui. Certains pères sont plus engagés que d’autres (histoire personnelle, modèles familiaux, désir de s’engager, milieu de travail, etc.) : ils participeront à l’ensemble des activités de l’enfant, alors que d’autres s’investiront davantage dans le jeu ou les activités sportives ou assumeront principalement un rôle de pourvoyeur. D’autres facteurs viennent influencer leur comportement, par exemple le travail de la mère et la place que celle-ci accorde à son conjoint dans l’éducation des enfants, le nombre, l’âge

et le sexe des enfants ou encore les services offerts aux familles (heures d’ouverture de la garderie, programmes de soutien financier, etc.). L’engagement paternel ne doit pas nécessairement être vu comme « plus, c’est mieux ». En effet, la notion d’engagement nécessite de dépasser le contexte des interactions directes avec l’enfant. La disponibilité (présence sans nécessaire interaction), la responsabilité (prise de rendez-vous chez le médecin, par exemple) et la citoyenneté (actions en faveur du bien-être de l’enfant, pour réduire la pauvreté, etc.) doivent

Les études montrent que l’engagement accru des pères auprès de leurs enfants profite à toute la famille. 207


L’état du Québec 2010

également être prises en compte – les études montrent cependant que les pères assumeraient moins les actions relatives aux deux dernières dimensions. Ces comportements des pères sont-ils réellement nouveaux ou s’agit-il davantage d’une nouvelle façon de les analyser ? Il est difficile de le dire dans la mesure où les études menées auprès des pères sont relativement récentes2. De plus, les premières d’entre elles privilégiaient une approche comparative mère-père, qui a surtout fait ressortir le paradigme du père inadéquat, moins présent, moins compétent et moins chaleureux que les mères. Depuis, plusieurs chercheurs ont adopté une perspective

ces d’un casse-tête, alors que le père utilisera les mêmes pièces pour faire une course d’auto. Dans l’état actuel des connaissances, on ne doit pas considérer un comportement parental comme étant meilleur qu’un autre, mais bien y voir un contexte familial qui optimise le développement de l’enfant. Dans une même situation d’interaction, l’enfant pourra développer des habiletés distinctes dépendant du parent avec lequel il interagit.

Les impacts sur la famille L’engagement accru des pères se traduit par des retombées positives pour chacun des membres de la famille. Les enfants dont les pères s’engagent auprès d’eux semblent développer de plus granLes pères ressentent des des facultés d’adaptation, ont moins de effets bénéfiques à s’engager, problèmes de comportement et une identité sexuelle moins stéréotypée; par notamment en termes de ailleurs, ils persévèrent davantage dans santé physique et mentale. leur cheminement scolaire. Quant aux mères dont le conjoint prend sa part des qui mise davantage sur les forces et les responsabilités familiales, elles font état compétences des parents. Certains s’in- de moins de stress parental et d’une plus téressent à la répartition des tâches entre grande satisfaction conjugale. Certains travaux plus récents démonles conjoints en termes de temps ou de trent que les pères eux-mêmes ressentype d’activités, d’autres s’attachent aux tent des effets bénéfiques à s’engager façons de faire différentes des parents : auprès des leurs, notamment en termes ainsi, si les mères et les pères participent de santé physique et mentale. Cet invesaussi fréquemment l’un que l’autre aux tissement précoce des pères auprès de activités de jeu avec l’enfant, les mères leurs jeunes enfants s’avère, selon cersemblent adopter un style plus conventaines études, le meilleur indicateur de tionnel alors que les pères seront moins leur engagement ultérieur. De plus, prévisibles – pour schématiser, une comme les conjoints se partagent plus mère aura tendance à encastrer les piè208


Démographie

rapidement les activités auprès de l’enfant, le père développe plus tôt un sentiment de compétence parentale. Enfin, les grandes théories du développement reconnaissent clairement l’influence des premières relations de l’enfant sur son adaptation future. La plus forte présence de la mère dans la sphère publique et du père dans la sphère familiale exerce inévitablement une pression plus forte sur le couple. Or, s’intégrer à une sphère où l’expertise a été longtemps reconnue aux mères est un défi de taille pour les pères, et leurs conjointes jouent un rôle crucial pour faciliter cette intégration. La place et le soutien qu’elles accordent aux pères sont des atouts essentiels dans l’engagement de ces derniers. En matière de parentalité, les nouveaux pères mentionnent d’ailleurs prendre davantage exemple sur leur conjointe que sur leur propre père. Le climat conjugal occupe ainsi une place centrale dans la redéfinition des rôles parentaux. Le défi est donc de taille lorsque le climat est conflictuel ou qu’il y a rupture conjugale (divorce ou séparation). Dans un contexte où les pères se sont investis de façon précoce auprès de leur enfant, les modalités de garde à la suite de la séparation du couple peuvent se complexifier et faire l’objet de nombreux litiges, la garde des enfants ne revenant plus systématiquement à la mère. Le système juridique et les procédures de soutien (médiation, expertise) doivent prendre en considération ces nouvelles réalités de manière

à favoriser une meilleure coparentalité, dans laquelle les parents travaillent en équipe pour le bien-être de l’enfant. Les impacts sur la société Les changements présents au sein de la famille doivent s’accompagner de mesures de soutien sociétales. Bien qu’il reste encore beaucoup à faire, le chemin au Québec a été tracé. Ainsi, au cours des dernières années, le gouvernement a mis en place des politiques visant à valoriser l’engagement paternel dans les domaines de la périnatalité et de la petite enfance3 par la mise en place du congé de paternité ainsi que par la commande d’études visant à mieux documenter les réalités paternelles4.

Les modalités de garde des enfants à la suite d’une séparation du couple se complexifient. Des retombées concrètes sont également observées grâce aux programmes et aux actions visant directement les pères5, dont certains ont fait l’objet d’une évaluation. Citons à titre d’exemple les projets CooPère Rosemont et Initiative Place-O-Pères – interventions communautaires visant à favoriser l’engagement paternel –, Métiers de pères (jeunes pères en entreprise de réinsertion professionnelle) et RelaisPères (accompagnement par des pères 209


L’état du Québec 2010

visiteurs). Dans le cadre de son Plan d’action sur la santé et le bien-être des hommes 2008-2011, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a alloué 13 millions de dollars permettant, entre autres, de financer en 2008-2009 près d’une douzaine de projets-pilotes visant à rejoindre et à soutenir les hommes qui vivent en contexte de vulnérabilité, dont certains sont également pères. Citons par exemple l’initiative Theraction-défi hors-piste à VaudreuilSoulanges. Malgré ces avancées encourageantes sur le plan des pratiques, un écart impor tant demeure entre les services offerts spécifiquement aux mères et ceux offerts aux pères6. Par exemple, dans la grande région de Montréal, une seule maison d’hébergement, la Maison Oxygène, existe pour les pères accompagnés de leurs enfants. Une société qui change, des familles qui se transforment et des pères au cœur de ce chantier en effervescence. En 2010, on peut affirmer que l’on connaît mieux ces pères, qui ils sont, ce qu’ils font, les bénéfices de leur présence ainsi que les façons de les soutenir dans l’exercice de leur rôle parental et le développement de leur compétence. On ne peut plus se raccrocher à un modèle unique du partage traditionnel des tâches entre les mères et les pères. Le défi est désormais posé au couple – conjugal et parental. Il

210

repose sur un dialogue ouvert entre les hommes et les femmes et sur des actions concrètes visant à fournir un soutien à cette coparentalité (couples séparés ou non) essentielle au mieux-être des enfants notes

1. Baillargeon, Donald, L’engagement des pères : le Rapport 2007-2008 sur la situation et les besoins des familles et des enfants, Québec, Conseil de la famille et de l’enfance, 2008. 2. Les premières études menées auprès des pères – dont les travaux de M. Lamb portant sur l’attachement père-enfant – ont été publiées dans les années 70. 3. Ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), Priorités nationales de santé publique 1997-2002, Québec, gouvernement du Québec, 1997; MSSS, Politique de périnatalité 2008-2018 : un projet porteur de vie, Québec, gouvernement du Québec, 2008. 4. Ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), Les hommes : s’ouvrir à leur réalité et répondre à leurs besoins, rapport du comité de travail en matière de prévention et de soutien aux hommes, Québec, gouvernement du Québec, 2004; Baillargeon, Donald, op. cit. 5. Il existe deux documents de synthèse qui compilent les programmes destinés aux pères au Québec et à travers le Canada : Bolté, Christine, et autres, Sur le terrain des pères. Projets canadiens de soutien et de valorisation de la paternité, Montréal, UQAM, Grave-Ardec, 2001 et Forget, Gilles, et autres, « Les services destinés aux pères : une description et un regard sur l’évolution des pratiques canadiennes », Enfances, familles, générations, no 3, automne 2005. 6. Dongois, Michel, « Le MSSS a-t-il abandonné les hommes ? », L’actualité médicale, vol. 30 no 2, 2009, p. 4-5.


Les anglophones du Québec : un « nous » à géométrie variable Jack Jedwab Directeur général, Association d’études canadiennes

Selon les chiffres du dernier recensement, le nombre d’anglophod’anglopho nes est en augmentation au Québec. La nouvelle, paradoxalement, ne semble pas réjouir la communauté anglophone, qui depuis 30 ans se mobilise autour du thème fédérateur de l’exode de ses membres. par ailleurs, se demande-t-on, qui est véritablement anglophone ? alors que gouvernements fédéral et provincial n’utilisent pas les mêmes critères de comptage, là est en effet la question…

Les résultats du recensement de 2006 ont démontré que « pour la première fois depuis 1976, le nombre d’anglophones au Québec [était] à la hausse ». Le nombre de Québécois de langue maternelle anglaise est passé de 591 000 en 2001 à 607 000 en 2006, soit une augmentation de 16 000. Quant aux Québécois dont l’anglais est la langue la plus souvent parlée à la maison, ils étaient 746 000 en 2001, contre 787 000 cinq ans plus tard. Cette heureuse nouvelle a été difficile à digérer pour les anglophones

du Québec, plutôt habitués à apprendre, pendant les trois dernières décennies, que leur population diminuait. En fait, ce phénomène de diminution a eu une incidence considérable sur l’humeur collective de ces Québécois qui se considèrent comme anglophones. Le terme exode est souvent employé pour décrire le départ en nombre des anglophones de la province depuis les années 70. Il fait partie intégrante du discours de celles et ceux qui donnent expression aux préoccupations actuelles 211


L’état du Québec 2010

de la communauté des anglophones du Québec. L’augmentation qui s’est produite entre 2001 et 2006 impliquerait donc de devoir modifier le portrait démographique en pleine évolution de ce groupe, dont les porte-parole évoquent souvent la disparition. À l’évidence, il est tout à fait légitime d’aborder cette augmentation avec une certaine hésitation. D’une part, les chiffres du recensement de 1996 étaient encore plus élevés et, d’autre part, cette tendance à la hausse pourrait très bien être passagère. Il serait peut-être plus prudent d’attendre cinq ans de plus pour voir si elle se maintient. Toutefois, on ne peut s’empêcher de penser que même une infime augmentation des chiffres est une bonne nouvelle et qu’elle pourrait contribuer à estomper ce sentiment pessimiste qui a déteint sur l’humeur de tant de gens. Le rapport du recensement de 2006 a signalé que « l’augmentation de l’effectif anglophone au Québec s’explique essentiellement par le fait que beaucoup moins de personnes de langue maternelle anglaise ont quitté la province entre 2001 et 2006 comparativement à ce qui avait été observé durant les sept périodes quinquennales précédentes ». La migration interprovinciale des anglophones du Québec pendant cette période s’est traduite par une perte nette de 8 000, un contraste frappant par rapport aux quelque 30 000 qui ont quitté la province entre 1996 et 2001. 212

Être ou ne pas être… anglophone En attachant beaucoup d’importance aux chiffres, on oublie souvent d’examiner les questions fondamentales des individus qui devraient faire partie du groupe et de l’influence relative de l’identité. La taille est un élément important quand on considère le dynamisme démographique d’un groupe, mais la valeur de l’expérience liée à l’appartenance communautaire est aussi essentielle à ce dynamisme. Certains groupes préfèrent adopter des critères plus spécifiques pour déterminer qui inclure, lorsqu’ils jugent qu’une appartenance fondée sur des critères trop vagues risquerait de modifier les éléments qui définissent l’identité d’un groupe. Le fait de se référer à une définition plus générale de l’appartenance pour estimer la taille d’un groupe peut poser problème et amener l’État à contester les chiffres. Cela peut notamment influer sur la planification urbaine et sur l’allocation de ressources au groupe. Le rapport publié par Statistique Canada en 2006 définit ce qu’est un anglophone selon la langue maternelle ou la langue parlée à la maison. La différence entre les deux groupes est de 180 000 personnes. Le gouvernement du Québec a tendance à privilégier le critère de la langue maternelle pour déterminer le nombre d’anglophones de la province. Le gouvernement fédéral n’applique aucun de ces deux critères et se sert plutôt de la variable calculée de la première langue officielle parlée (PLOP),


Démographie tabLeau 1

Anglophones au Québec selon la langue maternelle, la langue la plus souvent parlée à la maison et la première langue officielle parlée, 1971-2006 (en milliers) anglophones au Québec 2006 2001 1996 1991 1986 1981 1971

Langue maternelle 607 591 622 626 680 693 789

Langue parlée à la maison 787 746 762 761 791 806 886

première langue officielle parlée 994 919 925 904 —

Source : Statistique Canada, Recensement du Canada, 1971­2006.

ce qui a donné lieu à une estimation beaucoup plus élevée du nombre d’anglophones après le recensement de 2006, soit près d’un million. On observe un écart de presque 400 000 personnes entre les estimations calculées selon les critères provincial et fédéral ! En fait, d’après les chiffres obtenus en appliquant le critère de la PLOP, la population d’anglophones au Québec ne cesse d’augmenter. Dans chaque catégorie, la plupart des anglophones de la province vivent sur l’île de Montréal et leur nombre aug-

mente lorsqu’on se réfère à une définition plus générale de ce qu’est un anglophone. Comme les chiffres ci-dessous l’indiquent, le nombre d’anglophones habitant Montréal varie grandement d’un critère à l’autre. Ces écarts sont en grande partie attribuables à la concentration des immigrants et de leurs enfants sur l’île. Un grand nombre de ces anglophones sont considérés comme des allophones selon la définition du gouvernement provincial (c’est-à-dire que leur langue maternelle n’est ni l’anglais ni le français) et comme des anglo-

tabLeau 2

Anglophones au Québec, sur l’île de Montréal et dans le reste de la province selon la langue maternelle, la langue la plus souvent parlée à la maison et la première langue officielle parlée, 2006 (en milliers) Anglophones

Langue maternelle

Province du Québec Île de Montréal Reste du Québec

607 320 287

Langue parlée à la maison 787 460 327

Première langue officielle parlée 994 595 399

Source : Statistique Canada, Recensement du Canada, 2006.

213


L’état du Québec 2010

phones selon la définition du gouvernement fédéral.

ceux-ci représentaient un cinquième de tous les nouveaux arrivants au Québec, mais aujourd’hui, environ un immiLa langue des immigrants grant sur quarante est de langue materL’immigration a été d’une importance nelle anglaise. La plupart des immicapitale pour le développement des grants au Québec ne sont ni de langue communautés anglophones, notam- maternelle anglaise, ni de langue materment dans la région de Montréal. Entre nelle française, un groupe qui représenla Seconde Guerre mondiale et le début tait en 2006 quelque 83 % des nouveaux des années 70, un afflux d’immigrants arrivants. arrivant principalement de l’Europe Cependant, si la variable calculée de avec leurs enfants a particulièrement la première langue officielle parlée est favorisé la croissance de la population utilisée pour déterminer le nombre anglophone. Depuis les années 70, par d’anglophones de la province, les résulrapport au nombre total de nouveaux tats obtenus sont considérablement arrivants au Québec, la proportion différents. À Montréal, où habitent la d’immigrants dont la langue maternelle grande majorité des immigrants, il se est l’anglais a diminué en nombre et en dégage un écart très important entre les pourcentage. À une certaine époque, estimations d’immigrants considérés tabLeau 3

Nombre d’immigrants dont la PLoP est l’anglais, la langue maternelle est l’anglais et la PLoP est à la fois l’anglais et le français, à Montréal, par période d’immigration, 2006 anglophones à Montréal

première langue officielle parlée (critère fédéral)

Langue maternelle (critère provincial)

écart entre la pLop et la langue maternelle

pLop anglais et français

Nombre total d’im­ migrants par période d’immigration Avant 1961 1961 à 1970 1971 à 1980 1981 à 1990 1991 à 1995 1996 à 2000 2001 à 2006

182 065

53 645

128 420

105 720

27 245 26 110 23 875 26 220 22 460 21 265 34 885

7 255 9 535 10 100 8 520 6 135 5 035 7 060

19 990 16 575 13 775 17 700 16 325 16 230 27 825

9 490 9 160 10 920 18 150 16 200 14 905 26 895

Source : Statistique Canada, Recensement du Canada, 2006.

214


Démographie

comme anglophones selon les critères fédéral et provincial. On observe dans le tableau ci-dessous que, à Montréal, les immigrants dont la PLOP est l’anglais (182 065) sont plus de trois fois plus nombreux que les immigrants de langue maternelle anglaise (53 645). De plus, ces chiffres ne tiennent pas compte des 105 720 immigrants qui déclarent que leur PLOP est à la fois l’anglais et le français. L’écart entre ces deux groupes d’immigrants est encore plus grand entre 2001 et 2006 : les immigrants dont la PLOP est l’anglais sont presque cinq fois plus nombreux que leurs homologues de langue maternelle anglaise. Lorsque le critère de la langue maternelle est appliqué pour déterminer le nombre d’anglophones au Québec, la diversité ethnique et culturelle de cette population est moins apparente. Inversement, l’adoption de ce critère fait ressortir une augmentation du nombre et

du pourcentage d’allophones à Montréal. Comme le démontre le tableau ci-dessous, dans la catégorie des Montréalais anglophones classés selon la PLOP, les première et deuxième générations constituent ensemble près des trois quarts de la population totale de ce groupe. Depuis les années 70, le gouvernement du Québec a légitimement tenté d’attirer des immigrants francophones pour faciliter l’intégration des nouveaux arrivants dans la société et pour répondre aux préoccupations quant à la précarité de la langue française. La méthode de classement qu’emploie le gouvernement provincial est importante pour atteindre cet objectif de faire croître la proportion d’immigrants francophones. Comme le tableau ci-dessous l’indique, les résultats relatifs aux connaissances linguistiques des immigrants à leur arrivée sont classés dans plusieurs catégories : connaissance de l’anglais,

tabLeau 4

Nombre de personnes âgées de 15 ans dont la PLoP est l’anglais et la langue maternelle est l’anglais, à Montréal, selon la génération, 2006 anglophones à Montréal

première langue officielle parlée

Langue maternelle

écart entre la pLop et la langue maternelle

Nombre total de personnes de 15 ans et plus selon la génération

441 405

254 420

186 985

1re génération

193 645 (44 %)

57 050 (22,4 %)

136 595

2e génération

131 750 (29,8 %)

86 035 (33,8 %)

45 715

3 génération et suivantes

116 010 (26,2 %)

111 335 (43,8 %)

4 675

e

Source : Statistique Canada, Recensement du Canada, 2006.

215


L’état du Québec 2010

connaissance du français, connaissance de l’anglais et du français, aucune connaissance de l’anglais ni du français. La cinquième catégorie regroupe les immigrants qui parlent uniquement le

55 % des immigrants arrivés au Québec en 2008 peuvent être considérés comme anglophones. français à l’arrivée et ceux qui déclarent connaître le français et l’anglais, pour ainsi obtenir un résultat cumulatif des immigrants parlant le français. Selon les chiffres de cette dernière catégorie, le gouvernement du Québec peut préten-

dre que plus de 60 % de ses nouveaux arrivants sont francophones (en cumulant les immigrants parlant uniquement le français et les immigrants bilingues). Même si cette information n’est pas inexacte, elle risque de faire perdre de vue que, si l’on applique la même logique à ceux qui déclarent connaître l’anglais, 55 % des immigrants qui sont arrivés au Québec en 2008 peuvent être considérés comme anglophones (18,7 % parlaient uniquement l’anglais et 37 % parlaient l’anglais et le français). Les anglophones du Québec : chiffres essentiels L’examen ci-dessus de la population d’anglophones au Québec a permis de mettre en lumière les écarts importants

tabLeau 5

Connaissance du français et/ou de l’anglais chez les immigrants admis au Québec, 1997-2008 Français seulement année nbre % 1997 6 927 24,8 1998 7 140 26,9 1999 8 087 27,7 2000 8 735 26,9 2001 9 538 25,4 2002 9 181 24,4 2003 8 613 21,8 2004 9 732 22,0 2005 10 239 23,6 2006 10 697 23,9 2007 10 759 23,8 2008 10 593 23,4

Français et anglais nbre % 3 013 10,8 3 538 13,3 4 428 15,2 5 965 18,4 8 098 21,6 9 291 24,7 11 488 29,0 14 741 33,3 14 599 33,7 15 098 33,8 16 513 36,5 16 730 37,0

connaissance du français nbre % 9 940 35,6 10 678 40,3 12 515 42,8 14 700 45,2 17 636 47,0 18 472 49,1 20 101 50,8 24 473 55,3 24 838 57,3 25 795 57,7 27 272 60,3 27 323 60,4

anglais seulement nbre % 5 984 21,4 4 641 17,5 5 557 19,0 5 994 18,4 5 982 15,9 5 953 15,8 6 638 16,8 7 841 17,7 8 045 18,6 8 793 19,7 8 283 18,3 8 471 18,7

ni français ni anglais nbre % 12 011 43,0 11 190 42,2 11 142 38,1 11 808 36,3 13 919 37,1 13 194 35,1 12 814 32,4 11 929 27,0 10 429 24,1 10 089 22,6 22 776 21,3 22 488 20,9

Source : Gouvernement du Québec, Ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles, 2008.

216


Démographie

entre les estimations selon le critère privilégié. En appliquant des critères plus vagues, les résultats semblent indiquer que la communauté anglophone se porte très bien sur le plan démographique et justifient beaucoup moins cette opinion pessimiste sur la situation démographique du groupe. Cependant, les résultats obtenus en adoptant le critère plus spécifique de la langue maternelle portent à croire que les anglophones sont moins nombreux, malgré la croissance enregistrée entre 2001 et 2006. Mais à l’origine de ces deux définitions se trouve une seule question, à laquelle les porte-parole de la communauté devraient s’intéresser davantage à l’avenir : qui fait partie de la population des anglophones au Québec ?

cuteurs fédéraux de réclamer au gouvernement provincial d’augmenter le niveau de service. Mais cela ne se produit pas, car les associations militantes hésitent à demander au gouvernement fédéral d’assumer ce rôle, puisqu’elles savent ce dernier réticent à intervenir auprès du gouvernement du Québec au nom des anglophones de la province. En fait, la légère augmentation du nombre d’anglophones entre 2001 et 2006 n’a pratiquement suscité aucune réaction chez les porte-parole de la communauté. Les estimations établies selon le critère de la PLOP, qui semblent indiquer une augmentation considérable du nombre d’anglophones au Québec, sont jugées illusoires par les dirigeants d’institutions anglophones (c’est-à-dire les écoles et les services sociaux), qui perLa force du nombre sistent à croire que leurs clients sont de L’adoption au niveau fédéral et provin- moins en moins nombreux. cial de deux approches différentes pour En ce qui concerne la situation linestimer la population d’anglophones guistique à Montréal, l’application du peut avoir des incidences politiques critère de la PLOP pour déterminer le dans les domaines où les deux gouver- nombre d’anglophones est une appronements ont une certaine compétence che à double tranchant. D’une part, ou responsabilité partagée quant à la l’augmentation du nombre d’anglophoprestation de services. Par exemple, en nes dans cette catégorie laisse entrevoir ce qui concerne l’emploi, les estimations que la population anglophone connaît provinciales plus larges pourraient un plus grand dynamisme démographiamener le fédéral à juger qu’il faut pren- que, notamment à Montréal. D’autre dre d’autres mesures pour soutenir les part, les résultats impliquent qu’il y a anglophones dans ce domaine. beaucoup plus d’immigrants anglophoAlors que la population anglophone nes à Montréal que ne le pensent les s’accroît, les organismes provinciaux autorités provinciales. Par conséquent, qui défendent ses intérêts pourraient l’application de ce critère risque de quant à eux demander à leurs interlo- nourrir les sentiments d’insécurité que 217


L’état du Québec 2010

ressentent beaucoup de francophones quant à la situation du français à Montréal. Un sondage mené en mai 2009 par la firme Léger Marketing révèle que presque tous les francophones croient que la langue française est en péril à Montréal, alors que seulement un anglophone sur quatre partage cette préoccupation. Les Montréalais et les

218

Québécois doivent chercher à mieux comprendre les raisons de cette divergence d’opinions sur la situation de la langue française. Au final, les estimations selon divers critères de la population anglophone à Montréal ont une incidence sur les relations entre les communautés linguistiques qu’il importe de comprendre.


Environnement 220

L’environnement en quelques statistiques

225

Environnement et jeux d’influence

231

Trop de logos tue le logo

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L’environnement en quelques statistiques valérie Lacourse Biologiste, spécialiste en éducation relative à l’environnement

L’environnement, un milieu de vie, un écosystème, une notion difficile à définir. Souvent sectorisé, l’environnement se situe pourtant au confluent de problématiques complexes qui font appel à une compréhension et à une gestion globales. Qu’il s’agisse de la qualité de l’eau, des changements climatiques, des activités agricoles ou de l’état des forêts, l’environnement est au cœur des grands enjeux du Québec.

L’eau : l’une des plus grandes richesses du Québec Intrinsèquement lié au vaste bassin des Grands Lacs et du Saint-Laurent, le plus grand réservoir d’eau douce au monde,

Le Québec possède sur son territoire 3 % des eaux renouvelables de la planète. le Québec possède sur son territoire 3 % des eaux renouvelables de la planète, soit plus que toutes les autres provinces 220

canadiennes. Cette majestueuse quantité d’eau douce couvre 10 % du territoire québécois, de par des milliers de rivières et plus d’un demi-million de lacs. Or, les Québécois figurent aussi parmi les cinq plus grands consommateurs d’eau au monde : plus de 400 litres d’eau sont consommés par personne de façon quotidienne, soit trois fois plus que la consommation des Français, de 137 litres par personne en moyenne. Autres exemples : la consommation d’eau par jour par habitant au Canada est de 350 l; en Europe de l’Ouest, elle est de 150 l et en Afrique, de 30 l en moyenne.


Environnement

La consommation d’eau embouteillée Les Québécois ont le privilège de bénéficier d’une eau potable de très grande qualité. Malgré cela, plus d’un milliard de bouteilles d’eau en plastique ont été consommées en 2008 par les Québécois, contre 70 millions en 1992. De sa production jusqu’à la fin de son cycle de vie, l’empreinte écologique de l’eau embouteillée est très grande. Les matières premières primaires utilisées pour la fabrication de la plupart des bouteilles de plastique sont issues du pétrole brut. Ainsi, la production d’un milliard de litres d’eau embouteillée requiert plus de 500 millions de barils de pétrole. De plus, le transport des matières premières et des bouteilles d’eau contribue considérablement à la production de gaz à effet de serre. Enfin, selon la société d’État québécoise Recyc-Québec, seulement 44 % de ces bouteilles sont recyclées, ajoutant 560 millions de bouteilles dans les sites d’enfouissement. Rappelons que ces contenants mettent plus de 600 ans à se dégrader. La rivière yamaska : un sombre portrait La qualité des eaux d’une cinquantaine de rivières est surveillée au Québec. Parmi celles-ci, la rivière Yamaska demeure à ce jour la plus polluée. Avec une superficie de drainage de près de 5000 km2, le bassin versant1 de la rivière Yamaska est immense. La Yamaska coule sur plus de 160 km et touche 92

municipalités. Généralement, l’eau est de mauvaise qualité dans les bassins versants où les activités agricoles sont très présentes. Or, le bassin de la rivière Yamaska est le plus agricole du Québec. Plus de la moitié de sa superficie est consacrée aux monocultures intensives de maïs et de soya qui rendent les sols plus sujets à l’érosion. De plus, avec un cheptel de 900 000 porcs et 92 000 bovins, le bassin de la rivière Yamaska reçoit d’énormes quantités de fumier, lisier et autres matières fertilisantes. Même si plusieurs mesures d’atténuation sont mises en œuvre par les agriculteurs depuis quelques années, 220 tonnes de phosphore sont néanmoins transportées vers les cours d’eau du bassin chaque

plus d’un milliard de bouteilles d’eau en plastique ont été consommées en 2008 par les Québécois. année; une contribution notoire à la prolifération des algues bleu-vert. Les algues bleu-vert L’augmentation fulgurante des algues bleu-vert (ou cyanobactéries) dans les eaux douces du Québec met en lumière un grave déséquilibre des écosystèmes aquatiques et de nombreux problèmes sous-jacents : entre autres, la forte urbanisation des rives des lacs, l’érosion des berges, l’intensification des cultures à 221


L’état du Québec 2010

grand interligne et le ruissellement des engrais azotés. Selon le bilan provisoire du ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs, 119 plans d’eau ont été envahis par des cyanobactéries au cours de l’été 2009, et 34 % d’entre eux l’étaient pour la première fois. La région des Laurentides est la plus durement atteinte, 20 % des plans d’eau touchés par la présence des algues bleu-vert s’y trouvent. Au total, 48 bassins versants regroupant 124 municipalités en ont été affectés en 2009. Les eaux usées et les surverses en temps de pluie Encore aujourd’hui, les eaux usées constituent une source de pollution majeure pour le fleuve Saint-Laurent. Bien que la majorité de la population du Québec traite ses eaux usées, des milliards de litres d’eaux usées échappent à l’épuration et à l’assainissement. Principalement lors de fortes pluies et durant la fonte des neiges, les systèmes d’égouts et les usines de traitement des eaux usées reçoivent un trop grand volume d’eau par rapport à leur capacité. Parmi les grandes villes riveraines du fleuve, les villes de Laval et de Québec sont celles qui ont effectué le plus grand nombre de surverses, avec plus de 2 000 débordements entre 2004 et 2006. Ces surplus d’eau, chargés de matières organiques et de produits chimiques, sont directement déversés sans traitement dans le fleuve. 222

vers une meilleure gestion des déchets Pour la première fois depuis la mise en œuvre de la Politique québécoise de gestion des matières résiduelles en 1998, les Québécois ont récupéré et mis en valeur plus de déchets qu’ils en ont éliminés en atteignant un taux de récupération de 57 %. Toutefois, ce taux record ne rejoint toujours pas l’objectif de 65 % de récupération visé pour 2008. Au dernier bilan 2006-2008, le secteur de la construction est le seul à dépasser largement les objectifs de la politique québécoise en détenant le taux de récupération le plus élevé (74 %). Globalement, les Québécois produisent de plus en plus de déchets. En 2008, la quantité de déchets générée s’établit à quelque 13 millions de tonnes, soit 1,69 tonne par personne. Le volume de déchets que nous produisons a augmenté de 47 % en 10 ans. Or, les objectifs du nouveau plan d’action 20102015 sont encourageants. Le Québec prévoit traiter 60 % de la matière organique d’ici 2015 et bannir complètement l’enfouissement de ces matières d’ici 2020. Quant à la responsabilité des entreprises et des producteurs, le gouvernement vise un niveau de compensation de 100 % pour les coûts de la collecte sélective municipale, ce qui pourrait avoir des effets positifs sur la réduction à la source et le problème du suremballage.


Environnement

Les émissions de gaz à effet de serre Bien que le Québec continue d’afficher le plus faible taux d’émissions de gaz à effet de serre (GES) par habitant de toutes les provinces et territoires canadiens, ses émissions totales se chiffraient en 2006 à 84,7 millions de tonnes (Mt éq. CO2)2, une augmentation de 1,6 % par rapport à 1990. Le secteur des transports (routier, aérien, maritime, ferroviaire, hors route) est responsable de près de 40 % des émissions québécoises de GES. Le dioxyde de carbone, communément appelé gaz carbonique (CO2), l’un des plus importants GES, constitue 79,8 % de l’ensemble des émissions québécoises en 2006. Notons qu’une Opération boucane a été lancée au cours de l’été 2009 pour resserrer la règlementation concernant les véhicules lourds dont les émissions polluantes excèdent les normes en vigueur. Cette opération a pour but de réduire les émissions de GES de 80 000 tonnes par année. D’ici 2020, le Québec vise à réduire de 20 % ses émissions de GES, une cible qui demeure en deçà des objectifs de 25 % à 40 % recommandés par les Nations Unies.

production agricole, on obtient un total de 2 900 176 kg d’ingrédients actifs vendus en 2006, soit 79,6 % des ventes totales. Les herbicides représentent 66,1 % des ventes du secteur agricole dont plus de la moitié est utilisée pour les cultures de maïs et de soya. Dans le secteur de l’entretien d’espaces verts, les terrains de golf sont ceux qui reçoivent le plus de pesticides au mètre carré pour

D’ici 2020, le Québec vise à réduire de 20 % ses émissions de geS, cible en deçà des objectifs de 25 % à 40 % recommandés par les nations unies. un total de 117 287 kg d’ingrédients actifs. Notons que les propriétaires de terrains de golf ne sont pas soumis aux restrictions du Code de gestion des pesticides. C’est la Montérégie qui détient le plus de terrains de golf en nombre (65) et en superficie (1 677 ha).

Forêts et aires protégées Au Québec, les forêts couvrent une superficie de 757 900 km2, soit près de la L’utilisation de pesticides Au Québec, le Code de gestion des moitié du territoire québécois. Le pesticides est en vigueur depuis 2003. domaine forestier s’étend sur sept degrés En 2006, les ventes totales atteignaient de latitude et comprend trois grandes 3 645 005 kg d’ingrédients actifs. Depuis zones bioclimatiques. L’industrie fores1992, le secteur agricole est le principal tière, sur laquelle l’économie de plus de utilisateur de pesticides. En combinant 250 municipalités dépend principalele secteur de l’élevage au secteur de la ment, représente 3 % du produit intérieur 223


L’état du Québec 2010

brut (PIB) québécois. Près de 35 millions notes de mètres cubes de bois sont coupés 1. Le bassin versant désigne l’ensemble d’un terchaque année au Québec, la majorité ritoire sur lequel toutes les eaux de surface s’écoulent vers un même point, appelé exécutoire. provenant de la forêt boréale. Alors que La ligne séparant deux bassins versants adjacents la Commission d’étude sur la gestion de est une ligne de partage des eaux. Cette ligne est la forêt publique au Québec (commission déterminée entre autres par les caractéristiques Coulombe, 2004) recommandait la géologiques, pédologiques et biologiques du territoire. On compte 430 bassins versants majeurs création d’aires protégées sur 12 % du au Québec. territoire québécois d’ici 2010, seulement 2. L’expression équivalent en dioxyde de carbone 5 à 6 % de la forêt était protégée contre (éq. CO2) réfère à la quantité d’un gaz à effet de serre particulier multipliée par son potentiel de l’exploitation industrielle en 2009. réchauffement de la planète; c’est une mesure type des émissions de GES. Le CO2 sert de référence parce que son potentiel de réchauffement est de 1.

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environnement et jeux d’influence François cardinal Journaliste, La Presse

Le protocole de Kyoto arrive à échéance en 2012. La communauté internationale, poussée par des états fédérés comme le Québec, a échoué, lors de la conférence de copenhague, copenhague, à s’entendre sur un tout nouveau traité de réduction des émissions de gaz à effet de serre. serre.

Décembre 2008. Poznań, Pologne. La ministre québécoise de l’Environnement, Line Beauchamp, profite de la conférence internationale sur le climat pour faire une « grande » annonce. Sur le podium, trois personnes et leur entourage. Dans la salle, deux journalistes… La présence du Québec à chacune des conférences climatiques de l’ONU peut faire sourire. N’étant pas un pays, il n’a pas droit de s’asseoir à la table des négociations. Il n’a donc pas son mot à dire dans les discussions qui ont lieu derrière des portes closes et n’a donc, ainsi, aucune influence sur leur issue. Aucune ? Pas tout à fait. Il serait malhonnête de juger de la pertinence de la présence du Québec à la lumière de la

popularité (ou non) des événements de presse qu’il organise. Après tout, la diplomatie internationale brille davantage en coulisses que sous les projecteurs. Or, c’est justement en coulisses que le Québec s’est affairé à tisser un imposant réseau politique dont la conférence de Copenhague était vue en quelque sorte comme l’aboutissement. En effet, les efforts réalisés par la province et les nombreuses rencontres tenues en marge des conférences de Montréal en 2005, puis de Nairobi, de Bali et de Poznań au cours des années suivantes, devaient porter leurs fruits en décembre, au Danemark. Bien d’autres États fédérés et gouvernements subnationaux ont pris la lutte 225


L’état du Québec 2010

aux changements climatiques au sérieux ces dernières années. La Californie constitue certainement la meilleure illustration de l’approche bottom-up (du bas vers le haut) : elle a toujours su placer la barre très haut en adoptant des lois et des règlements très audacieux d’un point de vue environnemental. Plus souvent qu’autrement, ceci crée un effet boule de neige parmi les États plus progressistes, qui obligent ultimement Washington à emboîter le pas. Diplomatie de réseaux Au Canada, on retrouve la même dynamique grâce à des provinces comme le Québec et la Colombie-Britannique. Le Québec a tenté d’influencer le gouvernement central par la bande, par des regroupements de législations volontaires qui entendent donner l’exemple. Pensons aux normes de pollution imposées aux véhicules légers ou, mieux encore, à la Bourse du carbone : le Québec pouvant difficilement élaborer seul un système d’échanges de droits de polluer, il s’est joint en avril 2008 au Western Climate Initiative (WCI), un regroupement d’États fédérés qui vise le développement d’un vaste marché nordaméricain du carbone. Or, si Ottawa a longtemps levé le nez sur un tel système de plafonnement et d’échange des émissions de gaz à effet de serre (GES), il est aujourd’hui obligé d’en implanter un, tant la pression est forte : pression de l’administration Obama, certes, mais pression aussi des membres du WCI, qui 226

se sont faits les plus ardents défenseurs d’un tel marché d’échange. Comble de l’ironie, la future bourse continentale dont le Canada et les ÉtatsUnis font l’apologie pourrait bien naître de la cuisse du WCI… Décembre 2006. Nairobi, Kenya. À la tribune, les ministres de l’écologie de la France et du Gabon s’adonnent à une séance de signature protocolaire. Le thermomètre dépasse les 30 oC. Tout le monde sue à grosses gouttes. L’événement est interminable. Puis, dans une rare incartade diplomatique, la ministre française, Nelly Olin, se permet une envolée lyrique qui réveille tous les journalistes. Elle se dit « choquée » et « déçue » par l’inaction d’Ottawa, laquelle est à son avis « suicidaire pour l’avenir ». « Je suis heureuse de savoir qu’au Canada, tout le monde ne suit pas, renchérit-elle. Et que nous avons le Québec qui engage une politique extrêmement forte. Je salue sa politique et son courage. Je dis bravo. » La scène résume bien l’influence que peuvent avoir les États fédérés et les gouvernements subnationaux comme le Québec. C’est vrai dans tous les dossiers diplomatiques, mais ça l’est encore plus dans celui des changements climatiques depuis la conférence de l’ONU de Montréal, en 2005. C’est à ce moment, tout particulièrement, que le Québec et ses partenaires ont commencé à jouer un rôle important dans ce qu’on pourrait appeler « la diplomatie subgouvernementale » de la lutte contre le réchauf-


Environnement

S’entendre à tout prix Kyoto nous avait permis de croire pour la première fois en l’existence d’un traité inter­ national de lutte contre les changements climatiques. Ratifié par 175 pays, l’accord prévoyait, à l’horizon 2012, une réduction des émissions de gaz à effet de serre des pays industrialisés d’au moins 5,2 % par rapport aux niveaux de 1990. Mais celui­ci vient à échéance, justement, fin 2012. Un tout nouvel accord international est donc crucial, si l’on souhaite poursuivre après 2012 ce qui a déjà été entamé, que ce soit le marché européen du carbone, les réductions des émissions dans certains secteurs ou, encore, les projets verts du Sud financés par le Nord. Les chantiers sont tellement nombreux qu’il était nécessaire de s’entendre à Copen­ hague. Car trois petites années pour ratifier un traité d’une telle ampleur n’étaient pas de trop. Rappelons seulement que le protocole de Kyoto a été élaboré en 1997, mais qu’il n’est entré en vigueur qu’en février 2005, après des années d’incertitude. Il aura fallu huit ans, il ne nous en reste que trois… « Tck, tck, tck. » Le bruit de l’horloge est ainsi devenu le cri de ralliement des écologistes, qui en ont fait le slogan de leur cam­ pagne mondiale. Une campagne qui ajoute une pression à celle déjà exercée par nombre d’acteurs sociaux, industriels et politiques.

fement planétaire. On ne réinventait pas la roue (pensons à la Conférence des gouverneurs de la Nouvelle-Angleterre et des premiers ministres de l’Est du Canada de 2001 durant laquelle avait été adopté un plan climatique), mais le Sommet des leaders de Montréal (2005) et, surtout, la Déclaration de Montréal qui s’en est suivie, ont donné une légitimité nouvelle aux États fédérés qui souhaitaient jouer un rôle plus actif dans le débat sur le climat. Réunis depuis ce moment au sein de la Climate Alliance, les provinces, États américains et autres länder allemands ont commencé à jouer un rôle d’influence de plus en plus important – précisons que la moitié de la population mondiale vit dans une fédération.

Le Québec cité en exemple « Le fondement de ces alliances, explique Marcel Gaucher, directeur du Bureau des changements climatiques au ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs (MDDEP), est d’influencer le cours des choses en mettant en évidence le leadership des États fédérés. » C’est ainsi que de plus en plus souvent, ces dernières années, des personnalités politiques ont pu se servir de l’exemple québécois pour exercer une pression sur le gouvernement canadien. La ministre Olin l’a fait, tout comme l’écologiste canadien David Suzuki et l’ancien viceprésident des États-Unis Al Gore, pour qui « le Québec est la conscience du Canada en environnement ». 227


La Presse canadienne/Adrian Wyld

L’état du Québec 2010

Le Canada, qui a signé l’accord de Kyoto, n’atteindra pas sa cible en 2012.

Rien de cela n’a le pouvoir de modifier la cible que le Canada se fixera à l’horizon 2020 en termes d’émissions de GES. Mais cette pression ne laisse certainement pas indifférent un gouvernement

« Le Québec est la conscience du canada en environnement. » dont la position timide est sans cesse comparée à des législations volontaires largement plus ambitieuses. Des logiques concurrentes La difficulté, à Kyoto, était simplement de s’entendre. À Copenhague, elle fut de convaincre les pays émergents, comme la Chine, l’Inde et le Brésil, de parti228

ciper à l’effort commun. Un défi d’autant plus ardu que plusieurs pays, dont le Canada, n’atteindront pas leur cible en 2012. Tout au long de l’année 2009, les pays riches auront néanmoins tenté de convaincre les pays émergents, dont les émissions sont appelées à exploser au cours des prochaines années, de l’importance de freiner leur hausse – la Chine est devenue en 2008 le principal émetteur mondial, coiffant pour la première fois les États-Unis. « Les pays en développement ont une vision très différente de celle des pays développés, et nous n’avons malheureusement pas réussi à bâtir de ponts entre ces deux positions », précisait le ministre canadien de l’Environnement, Jim Prentice, 100 jours avant Copenhague. « Pour avoir une entente avec les pays émergents, rétorquait alors le coordonnateur général adjoint d’Équiterre, Steven Guilbeault, il faut d’abord et avant tout que les pays industrialisés se fixent une cible ambitieuse. » Voilà qui résume bien la dynamique des négociations qui se tiennent, au fond, entre trois groupes : les pays émergents, qui refusent pour l’instant de faire quoi que ce soit qui pourrait nuire à leur marche vers le progrès ; les pays riches peu volontaires comme le Canada, qui propose pour 2020 une réduction de 3 % en-dessous du niveau de 1990, et les États-Unis, qui s’alignent sur un retour au niveau des émissions de 1990 ; enfin, il y a l’Europe, qui se fixe une cible ambi-


Environnement

tieuse de 20 % de réduction, de 30 % si d’autres pays lui emboîtent le pas. Qui pliera ? Qui fera les concessions nécessaires pour éviter que l’augmentation moyenne des températures de la Terre dépasse la barre fatidique des 2 °C ? ce n’est qu’un au revoir… Décembre 2009. Copenhague, Danemark. Aboutissement d’années de négociations intensives, la Conférence de Copenhague s’est soldée par un cuisant échec. Les quelque 120 chefs d’État réunis dans la capitale danoise dans le but de conclure un traité contraignant et chiffré de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour la période 2013-2020 sont en effet repartis chacun de leur côté, avec un simple accord politique a minima. Quelques mois plus tôt, pourtant, on ne se gênait pas pour comparer ce sommet à la Conférence de Yalta tenue après la Seconde Guerre mondiale, entre Staline, Roosevelt et Churchill, tant on le jugeait crucial. Mais les méfiances et les animosités entre le monde occidental et les pays émergents, particulièrement entre les États-Unis et la Chine, sont apparues beaucoup trop grandes, au final. Pendant 10 jours, les négociateurs ont eu beau travailler d’arrache-pied pour aplanir le terrain, les dirigeants se sont rencontrés sur un chemin parsemé de nids-de-poule au cours des deux derniers jours du sommet.

Jamais autant de chefs d’État ne s’étaient réunis sur un sujet spécifique, en dehors des murs du quartier général de l’ONU à New York. Jamais les chefs d’État n’avaient participé, de leur propre aveu, à une conférence aussi chaotique. Une anecdote résume bien l’atmosphère pourrie qui régnait au Bella Center. À la toute dernière heure, alors que tout semblait perdu, que les leaders annonçaient déjà leur départ de Copenhague, la délégation américaine a aperçu un attroupement chinois devant une salle du centre. Ils sont allés aux nouvelles et ont ainsi appris que les leaders des quatre grands pays émergents – la Chine, l’Inde, l’Afrique du Sud et le Brésil – se réunissaient en secret. Le président américain, Barack Obama, a décidé de faire fi des codes diplomatiques et a forcé son entrée dans la salle. Furieux, les responsables chinois du protocole ont tenté de lui bloquer l’accès, prétextant un manque de chaise. Nullement démonté, le président américain est allé s’en chercher une luimême, puis s’est assis avec ses vis-à-vis afin de discuter dans le blanc des yeux. Voilà ce qui permet au groupe restreint des plus puissants chefs d’État, à minuit moins une, de repartir en annonçant la conclusion d’une entente internationale… qui n’en était finalement pas tout à fait une. Certes, les plus grands pollueurs ont trouvé entre eux un terrain d’entente, mais il ne s’agit finalement que d’un texte politique sans objectifs chiffrés ni 229


L’état du Québec 2010

échéanciers qui avait la faveur d’une poignée de dirigeants seulement. Les 193 pays réunis à Copenhague se sont ensuite réunis en plénière, mais la frustration des uns et la déception des autres a obligé la présidence danoise à mettre fin aux travaux avant de soumettre le texte au vote, se contentant de prendre acte de ce qu’il est mainte-

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nant convenu d’appeler l’« accord de Copenhague ». En 2010, l’objectif reste ainsi le même qu’en 2009 : élaborer un accord international qui prendra le relais du protocole de Kyoto après 2012. Rendez-vous à Mexico, du 8 au 19 novembre, pour la prochaine conférence annuelle de l’ONU sur le climat.


trop de logos tue le logo Fabien Deglise Journaliste, Le Devoir

À chaque réaction son action. Devant les craintes et préoccupapréoccupations autant sanitaires, environnementales que sociales des consommateurs, les marchands de rêves et autres ayatollahs du marketing ont multiplié, ces dernières années, les programmes de certification pour rassurer sur les bonnes vertus d’un produit ou d’un service. energy Star, LeeD, commerce équitable, garanti bio, ecocert, écoLogo, la liste est longue… Sans doute un peu trop au goût de plusieurs qui voient, dans cette logomanie très contemcontemporaine, une source de confusion plutôt que de simplification de la vie de l’homo consumus. La révolution, avec sa fleur de lys bleue et ses trois lettres vertes, B, I et O, reste encore inachevée. À l’automne 2008, les amateurs de produits biologiques au Québec ont vu apparaître un nouveau logo sur plusieurs aliments vendus en épicerie : Bio Québec. Marque déposée du Conseil des appellations réservées et des termes valorisants (CARTV), gardien de la certification et police du bio au Québec, cette signature a le graphique attirant et vise surtout un objectif simple : aider les consommateurs à identifier les produits bio du Québec, et ce, à la demande générale.

La chose était en effet réclamée depuis des lunes par plusieurs groupes de défense de l’environnement, des terroirs et des consommateurs qui voient dans ce marqueur identitaire des aliments un outil efficace de valorisation de la production agricole d’ici, des produits et des artisans. Ont plaidé en chœur ces dernières années, devant plusieurs commissions chargées d’analyser le fait alimentaire québécois, des groupes comme Greenpeace, l’Union paysanne, Équiterre ou encore Option Consommateurs. Mieux, cette nouvelle certification, gérée par la CARTV, assure aux con231


L’état du Québec 2010

sommateurs que le produit qui s’en drape respecte les normes de production biologique en vigueur depuis 2000 au Québec. Des normes strictes, supervisées par le Conseil et encadrées pour le moment par six organismes de certification différents possédant tous un logo propre. Et, de manière indirecte, Bio Québec vient un peu fédérer tout ça. En théorie. Plus d’un an après la mise en orbite du logo bleu et vert, 319 des 1 200 entreprises œuvrant dans l’univers du bio y ont pour le moment succombé, selon les données récentes du CARTV. Pis, loin d’avoir pris la place des nombreux marqueurs présents sur ces aliments, Bio Québec est venu allonger une liste déjà bien longue de certifications, dans laquelle on retrouve certes les Écocert, OCIA, Québec-Vrai et consorts, mais aussi plus de 300 certifications biologiques internationales reconnues officiellement ici. Dans cette ratatouille, le gouvernement fédéral a apporté sa contribution cette année en lançant sur le marché du logo le sien : Bio Canada, un outil de mise en marché censé unifier la certification biologique d’un océan à l’autre. But de la manœuvre ? Aider le consommateur à s’y retrouver, mais également faciliter l’exportation des produits bio canadiens partout sur la planète. Et ce, avec un effet pervers prévisible qui risque de faire frémir la journaliste torontoise Naomi Klein, femme derrière le célèbre essai No Logo : cette énième cer232

tification, loin de simplifier l’étiquetage des produits de consommation, vient finalement alimenter une tendance lourde à l’ère de la surinformation. Le festival du logo C’est que dans toutes les sphères de la consommation, et pas seulement dans les épiceries, la logomanie, ou l’art d’abuser de labels et programmes de certification à des fins de marketing, serait en effet destinée à un bel avenir. Surtout à une époque où les préoccupations sanitaires, sociales et environnementales viennent de plus en plus teinter le comportement des consommateurs. Des consommateurs-citoyens, certes ouverts aux changements, mais rarement à l’effort nécessaire pour les concrétiser. « Ça devient une jungle pour le consommateur », résumait l’automne dernier la firme américaine BBMG, spécialiste du marketing dans une étude sur la prolifération des certifications vertes. « Trop de logo ne permet pas aux consommateurs de s’y retrouver. Cela va plutôt les perdre. » Et elle le prouve. Dans la dernière année, BBMG a soumis à un panel de consommateurs, pour évaluation, 13 des 400 logos verts actuellement en circulation sur le territoire de Barack Obama. Quelque 2000 personnes se sont prêtées au jeu. Et le résultat est pour le moins étonnant. Globalement, c’est le ruban de Möbius, symbole international du recyclage, qui est de loin le plus facilement


Environnement

reconnu par les consommateurs : 89 % l’ont identifié sans aucun problème, juste avant le logo d’Energy Star (87 %) et celui du marqueur biologique américain, l’USDA Organic (62 %). Difficile d’en dire autant pour d’autres certifications qui, malgré leur persistance dans l’environnement commercial et sur les emballages de plusieurs produits, ne semblent pas avoir le même effet dans la population. C’est certainement le cas pour le Fair Trade qui souligne le caractère commercialement équitable d’un produit. À peine 18 % des répondants ont avoué le connaître. C’est peu, mais mieux que le logo de LEED, qui encadre la construction de bâtiments verts (11 %) ou encore celui du FSC, pour les produits du papier certifiés respectueux des forêts, qu’un faible 6 % des sondés a été en mesure de reconnaître. Sale temps pour les logos.

La nouvelle certification Bio Québec assure aux consommateurs que le produit qui se drape de ce titre respecte les normes de production biologique en vigueur depuis 2000 au Québec.

Marquer la responsabilité sociale Pourtant, dans un paradoxe très contemporain, cette ribambelle de logos serait là pour rester, à en croire les marchands de rêve et autres gourous du marketing qui encouragent leur prolifération. Et pour cause. Ces logos sont appréhendés comme des simplificateurs de complexité, aptes à répondre avec une image et quelques lettres aux nombreuses questions éthiques, morales, environnementales ou sanitaires que soulève notre époque. Cet appel à la simplification est alimenté quotidiennement par la lourdeur

et la complexité des rapports internationaux, des cris d’alarme et des inquiétudes exprimées publiquement dans les champs de l’environnement ou de l’alimentation, au grand bonheur des « logophiles » qui voient là certes des mauvaises nouvelles, mais aussi de l’eau pour alimenter leurs prolifiques moulins. En septembre dernier, le dévoilement du rapport de la Banque mondiale sur le développement et les changements climatiques dans le monde pour 2010 a certainement été perçu comme providentiel par ces créateurs d’images, avec ses appels à l’action pour réduire 233


L’état du Québec 2010

l’empreinte environnementale des consommateurs. Action qui, dans le monde des affaires, passe forcément par un logo et une certification afin d’attirer le client socialement conscient. Objectif ? Lui permettre d’apprécier d’un simple coup d’œil qu’il a posé un geste concret en faveur des générations futures, et ce, en mettant de l’avant des pastilles écologisantes de couleur placées bien en vue sur un emballage.

« cinq ou six logos différents sur un seul produit, ça devient franchement ridicule. » Produits d’entretien ou de toilette, vêtements, mobilier, matériaux de construction, la logomanie n’épargne aucun secteur. Avec en tête l’ÉcoLogo, l’écolabel le plus utilisé en Amérique du Nord comme marqueur de la responsabilité sociale et de la conscience environnementale. Gérée par le gouvernement fédéral et l’organisme TerraChoice Environnemental Marketing, cette certification cherche à cerner la valeur environnementale d’un produit durant tout son cycle de vie : de la production à la destruction en passant par l’utilisation. La faible toxicité, le caractère biodégradable, l’efficacité énergétique sont, entre autres, pris en compte. Dans la cour des symboles du « bien consommer », l’ÉcoLogo n’est certaine234

ment pas seul. Il côtoie les Green Seal américain, la Fleur de l’Union européenne, l’Environmental Choice d’Australie, le Blaue Engel d’Allemagne ou encore le Nordic Swan de Scandinavie, qui, dans une moindre mesure, se retrouvent également sur des produits vendus au pays. Il se partage aussi l’espace commercial avec le célèbre programme international Energy Star qui célèbre l’efficacité énergétique, autant dans le domaine des appareils électroménagers que des portes et fenêtres. Plus marginal mais nouvellement arrivé, le projet « Saveur d’ici » vient aussi souligner l’engagement environnemental, par la bande, en pointant avec son logo les aliments produits dans un rayon de moins de 100 km du point de vente. Histoire de réduire la production de gaz à effet de serre qui, eux, contribuent aux dérèglements climatiques. trop d’info tue l’info L’idée est dans l’air du temps. Mais elle vient aussi alimenter une critique naissance sur la multiplication de marqueurs de bonne conscience un peu partout dans l’espace commercial. Et sur les effets pervers de la chose. « On n’a pas fini de voir de nouveaux logos », résumait dans les pages de La Presse en mars 2009 Lyne Gagné, directrice générale d’Aliments du Québec – un autre programme de certification du caractère local des aliments. « Ce sont souvent de belles initiatives, mais je ne crois pas que l’on aide le consommateur en mul-


Environnement

tipliant les logos. Ça finit par ne plus vouloir dire grand-chose et ça crée de la confusion. » Trop de logos tue le logo. La formule est facile mais pas fausse. Elle met aussi en lumière un drame pour les vendeurs d’objets de désir qui s’abandonnent aux labels pour différencier leurs produits des autres – les gourous de la vente parlent d’une stratégie de différenciation –, mais qui, faute de retenue, pourraient bien faire tout ça pour rien. « Cinq ou six logos différents sur un seul produit, ça devient franchement ridicule, résumait dans les pages du même quotidien la chercheuse Gale West du département d’économie agroalimentaire et sciences de la consommation de l’Université Laval. Surtout que la majorité des logos ne sont que des allégations. Le consommateur ne peut pas vérifier leur authenticité et, en plus, on lui dit que ce sont des outils de marketing. » Des outils pas toujours fiables d’ailleurs. C’est en tout cas ce que révèle régulièrement l’organisme TerraChoice Environnemental Marketing dans son étude annuelle portant sur les mensonges du marketing vert – les adeptes de la langue de Shakespeare parlent de greenwashing, où l’art de se montrer socialement et écologiquement responsable, même si ce n’est pas entièrement vrai. Entre novembre 2008 et janvier 2009, 2 200 produits verts ont été passés au crible par ce groupe d’experts afin de vérifier la valeur de leur engagement. La

norme ISO 14021 en matière d’étiquetage environnemental, mais aussi les lignes de conduite de la US Federal Trade Commission, du Bureau de la concurrence du Canada et de l’Australian Competition & Consumer Commission ont été utilisées comme cadre pour l’analyse. Et le bilan est catastrophique : 98 % des produits mentaient aux consommateurs.

Les mauvaises pratiques des uns pourraient bien, à la longue, faire de l’ombre aux bonnes pratiques des autres. Notons que la demi-vérité, l’absence de preuves scientifiques pour soutenir une allégation ou l’usage d’un logo s’inspirant, par la forme ou la couleur, d’écolabels existants et respectés, sont généralement les grandes tares qui alimentent ce phénomène de greenwashing. Et les mauvaises pratiques des uns pourraient bien, à la longue, faire de l’ombre aux bonnes pratiques des autres, tout en généralisant le scepticisme des consommateurs face à cette logomanie à deux visages. une nécessaire remise en question Le drame serait d’ailleurs peut-être en train de se produire, comme en témoignent quelques attaques en règle récentes contre des programmes de certification qui, jusqu’à maintenant, se 235


L’état du Québec 2010

présentaient comme des modèles en la matière. Le programme LEED – pour Leadership in Energy and Environmental Design – de la US Green Building Council, qui vient confirmer le caractère vert dans le domaine de la construction, n’y a d’ailleurs pas échappé en se faisant récemment taxer d’être surtout exploité par des compagnies plus soucieuses de leur image que de l’environnement. Avec une question simple : un bâtiment certifié LEED peut-il, comme c’est parfois le cas, proposer des places de stationnement en abondance alors qu’il devrait s’inscrire dans une logique urbaine favorisant l’usage du transport en commun ? À Montréal, par exemple, le bâtiment de Mountain Equipment Coop (MEC) se targue d’avoir été un des premiers au Québec à jouir de cette reconnaissance. Mais il n’en demeure pas moins situé au cœur d’un stationnement de centre commercial très mal desservi par les autobus et le métro. Pis, pour accéder à ces quatre lettres de noblesse environnementales, le promoteur d’un projet doit souvent débourser plus de 150 000 $ en frais de consultants et autres paperasseries. Une somme importante qui exclut certainement les petits projets, tout aussi verts et même plus, de cette course à la bonne image. Sans compter que ce montant, estiment les détracteurs

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du programme, ferait mieux d’être investi dans le bâtiment lui-même, pour y ajouter plus de panneaux solaires ou des fenêtres à meilleur rendement énergétique. Par exemple. Ce genre de critique n’épargne d’ailleurs pas l’univers du commerce équitable, un autre producteur de logos, où désormais, à l’intérieur de ce courant commercial, les marchands de labellisation s’opposent aux purs et durs du développement commercial à visage humain, comme l’a montré récemment la sociologue Corinne Gendron dans son ouvrage Quel commerce équitable pour demain ? (Écosociété, 2009). À trop se concentrer sur la marque de commerce, le mouvement serait-il en train de perdre son âme, s’est-elle demandé ? La question s’est posée au printemps 2009 lorsqu’un importateur montréalais de meubles africains s’inscrivant dans la mouvance du commerce équitable s’est vu refuser l’accès à une foire commerciale faute d’avoir la certification et le logo qui vient avec. Une erreur de jugement, selon lui, puisque cette absence de logo n’était motivée que par un manque d’argent et de conviction face à un mouvement qui se banalise, plutôt que par de la mauvaise foi. Et bien sûr, la polémique a mis en lumière tout un paradoxe : la simplification du complexe, par le logo, n’est finalement pas si simple que ça.


Environnement Logo

Description et domaine d’application Certifications diverses Energy Star (1992) • Produits ménagers • Appareils électroniques et électro­ ménagers • Matériaux de construction/ d’isolation www.oee.nrcan.gc.ca (Programmes de l’OEE)

organisme impliqué dans la certification et procédure

Au Canada, c’est l’Office de l’effica­ cité énergétique (OEE) de Ressources naturelles Canada (RNCan) qui fait la promotion du symbole ENERGY STAR et qui contrôle son usage. Pour porter le symbole ENERGY STAR, un modèle doit être conforme à des critères techniques conçus pour le classer en tête de liste sur le marché des produits efficaces. Green Seal (1989) Organisme de certification de • Produits de nettoyage produits basée sur une approche • Matériel de bureau cycle de vie. L’organisme répond aux • Matériaux de construction critères de l’Agence américaine de • Peintures l’environnement (EPA) sur la certifi­ www.greenseal.org cation des tiers. Fair Trade Certification Fair Trade (commerce • Bananes, miel, oranges, cacao, café, équitable aux États­Unis et au Ca­ coton, légumes, jus, noix, quinoa, nada) est un système de certification riz, épices, sucre, thé, etc. de produits conçu pour identifier les www.transfair.ca produits qui répondent à des nor­ mes sur l’environnement et le travail. La stratégie du commerce équitable est de travailler avec des produc­ teurs et des travailleurs marginalisés afin de les aider à progresser vers une autosuffisance économique et une plus grande stabilité. WaterSense (2006) Programme de l’Agence américaine • Toilette, robinet, pommeau de dou­ de l’environnement (EPA) conçu che, produits pour l’irrigation, etc. pour encourager une utilisation www.epa.gov/WaterSense efficace de l’eau aux États­Unis. Ces produits doivent être aussi perfor­ mants, sinon plus, que des produits similaires dans la même catégorie. De plus, ils doivent consommer 20 % moins d’eau que leurs concurrents inefficaces.

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L’état du Québec 2010 Logo

Description et domaine d’application

organisme impliqué dans la certification et procédure

EPEAT (2005) • Appareils électroniques www.epeat.net/

Le registre EPEAT inclut les produits électroniques qui ont été déclarés par leur fabricant conformes à la nor­ me de performance environnemen­ tale pour les produits électroniques (IEEE 1680 – 2006). Tous les produits EPEAT doivent répondre à 23 critères obligatoires en matière de perfor­ mance environnementale.

Biodegradable Products Institute (BPI) (1999) • Articles et emballages alimentaires • Sacs compostables, etc. www.bpiworld.org

Le BPI est une association formée par des utilisateurs, des groupes clés du gouvernement, de l’industrie et des milieux universitaires pour la promotion de l’utilisation et du recy­ clage des plastiques biodégradables (par compostage). Les produits doivent répondre à la norme ASTM D6400 ou D6868. ÉcoLogo (1988) Le programme d’étiquetage écologi­ • Produits de santé et de beauté que a été établi par Environnement • Produits d’entretien Canada en 1988 avec plus de 300 • Produits ménagers catégories de produits pour aider • Matériel de bureau les consommateurs à identifier des • Appareils électroniques services/produits qui sont les moins • Matériaux de construction nocifs pour l’environnement. La ges­ www.ecologo.org tion du programme a été rétrocédée à une entreprise privée : TerraChoice Environmental Marketing inc. Certifications pour les produits alimentaires biologiques Quality Assurance International Vérification de la qualité biologique (1989) des produits selon des normes • Légumes, volailles, œufs, miel, etc. strictes. Certifie les producteurs www.qai­inc.com biologiques, les transformateurs, les négociants et les distributeurs. Ecocert (2000) Organisme de certification de • Produits agroalimentaires produits biologiques au Québec www.ecocertcanada.com accrédité par le Conseil des appel­ lations agroalimentaires du Québec (CAAQ). Le partenariat entre les organismes Garantie Bio et Ecocert France a donné naissance en 2000 à Ecocert Canada.

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Environnement Logo

Description et domaine d’application

organisme impliqué dans la certification et procédure

Organic Crop Improvement Associa­ tion (OCIA) (1988) • Produits agroalimentaires www.ocia.org

Organisme international de certifica­ tion de produits biologiques. L’OCIA certifie la ferme, le bétail, les trans­ formateurs, les courtiers/négociants, etc. L’organisme a des antennes à travers le monde, dont le Canada. Organisme canadien de certification de produits biologiques accrédité par le Standards Council of Canada (SCC).

Pro­Cert Organic Systems (1999) • Produits agroalimentaires www.ocpro.ca

BIO Québec (2008) • Produits agroalimentaires www.logobioquebec.info

Québec Vrai (1990) • Produits agroalimentaires www.quebecvrai.org

Certified Organic Associations of BC (COABC) (1993) • Produits agroalimentaires www.certifiedorganic.bc.ca

AB (France, 1985) • Produits agroalimentaires www.agencebio.org

Organisme de certification de produits biologiques au Québec. Le produit doit être certifié selon les normes biologiques de référence du Québec et accrédité par le Conseil des appellations réservées et des termes valorisants (CARTV). Cette norme exige qu’au moins 95 % de ses ingrédients soient d’origine biologique. Organisme de certification de produits biologiques au Québec accrédité par le CARTV.

Programme volontaire de l’industrie alimentaire de Colombie­Britanni­ que pour les produits agricoles bio­ logiques. Les organismes accrédités par la COABC inspectent et certifient les fermes biologiques de Colombie­ Britannique. Logo national de la France pour les produits biologiques. Les produits biologiques portant ce logo doivent contenir plus de 95 % d’ingrédients biologiques, doivent être produits ou transformés dans l’UE et doivent être certifiés par l’un des organismes d’inspection accrédités (Aclave, Agrocert, Ecocert SA, etc.).

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L’état du Québec 2010 Logo

Description et domaine d’application USDA Organic (2002) • Légumes, viandes, volailles, pro­ duits laitiers, etc. www.ams.usda.gov

organisme impliqué dans la certification et procédure

Le département américain de l’agri­ culture a mis en place un ensemble de normes nationales auxquelles doivent répondre les aliments éti­ quetés « biologiques », qu’ils soient cultivés aux États­Unis ou importés d’autres pays. Certifications pour les produits forestiers ou le bâtiment durable Forest Stewardship Council (FSC) Le FSC est une association inter­ (1993) nationale sans but lucratif pour la • Produits du bois et du papier promotion et la gestion durable des www.fsc.org forêts du monde. Le FSC a développé un ensemble de 10 principes et de 56 critères pour la gestion respon­ sable des forêts. Les critères utilisés sont environnementaux et sociaux. The Sustainable Forestry Initiative Norme environnementale amé­ (SFI) (2007) ricaine pour la gestion durable • Produits du bois de la forêt. À l’origine gérée par www.sfiprogram.org l’Association américaine des forêts et du papier, la SFI est devenue indépendante en 2007. Le nouveau conseil d’administration implique des groupes environnementaux et les sociétés qui offrent des produits forestiers. Canada Green Building Council Le CaGBC est l’antenne canadienne (CaGBC) (1998) pour gérer la norme LEED (Lea­ • Bâtiment et produits du bois dership in Energy and Environmental www.cagbc.org Design). La norme LEED est un système nord­américain de stan­ dardisation de bâtiments à haute qualité environnementale créé par le US Green Building Council en 1998. Les critères d’évaluation incluent : l’efficacité énergétique, l’efficacité de la consommation d’eau, l’effica­ cité du chauffage, l’utilisation de matériaux de provenance locale et la réutilisation de leur surplus.

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Politique 242

La politique en quelques statistiques

245

Fin de la décennie post-référendaire ?

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Continuité et changement dans le vote des Québécois

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Le retour du traditionnel bipartisme

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La politique en quelques statistiques Serge Laplante Journaliste à la recherche, Journal de Montréal

L’Assemblée nationale est formée de 125 , députés. Une proposition de réforme de la carte électorale, déposée par le Directeur général des élections, a été rejetée par les parlementaires. Au moment d’écrire ces lignes, sa composition est la suivante : Parti libéral du Québec, 66 députés ; Parti québécois, 51 ; Action démocratique du Québec, 4 ; Québec solidaire, 1 ; et 3 députés siègent à titre d’indépendants. Les dernières élections générales ont eu lieu le 8 décembre 2008. Le Parti libéral du Québec, avec son chef Jean Charest, réélu pour un troisième mandat avec 42,08 % des voix, forme à nouveau un gouvernement majoritaire. Le Parti québécois, dirigé par Pauline Marois, récolte 35,17 % des voix et forme l’opposition officielle. L’Action démocratique du Québec, avec 16,37 % des voix, fait élire 7 députés, mais la crise de leadership qui a suivi la démission du chef Mario Dumont a réduit les troupes adéquistes à 4 députés, Éric Caire (La Peltrie) et Marc Picard (Chutes-de-la242

Chaudière), choisissant de siéger comme indépendants. Québec solidaire, avec 3,78 % du vote, a fait élire un premier député, Amir Khadir, dans Mercier. Jean D’Amour, député de Rivière-du-Loup, s’est temporairement retiré du caucus libéral. À l’Assemblée, 49 nouveaux députés ont fait leur entrée, dont une douzaine qui avaient déjà siégé à l’Assemblée nationale ; 76 ont été réélus. Le taux de participation, (qualifié de catastrophe démocratique par le commentateur politique Jean-François Lisée), à 57,33 %, atteint son plus bas niveau depuis 1927. Il s’élevait à 71,23 % en 2007 comparativement à 70,49 % en 2003. Le même phénomène s’observe aux autres paliers électoraux. Il a été de 45 % aux élections municipales du 1er novembre 2009, alors que 48,4 % des maires et 56,6 % des conseillers municipaux furent élus sans opposition. Aux dernières élections scolaires, en novembre 2007, on avait enregistré un anémique taux de participation de 7,9 %, ce qui alimente ceux qui proposent des élec-


Politique

tions scolaires et municipales tenues simultanément à compter de 2013. Quelques caractéristiques sociodémographiques des députés de la 39e législature1 L’Assemblée nationale n’a jamais été parfaitement représentative de l’ensemble de la population sur le plan sociodémographique. La présence des femmes a marqué un progrès avec la dernière élection générale. Leur nombre est passé de 32 à l’élection de 2007 à 37 en décembre 2008 ; un peu moins que le sommet de 40 atteint en 2006. La moyenne d’âge de l’ensemble des députés élus le 8 décembre 2008 était de 50 ans et 9 mois, la deuxième plus élevée depuis 1867. L’Assemblée nationale semble installée, depuis une dizaine d’années, dans une nouvelle réalité : une moyenne d’âge autour de 50 ans et une présence de plus en plus importante du groupe des 60 ans et plus, qui représentent 21 % des effectifs de la présente cohorte. Faute de définitions largement acceptées et de renseignements précis concernant l’origine ethnique, la seule information disponible concerne le lieu de naissance. À cet égard, 8 des 125 députés élus en 2008 sont nés à l’extérieur du Canada. Quant à la formation scolaire, plus de 80 % des députés de la 39e législature ont une formation universitaire. Fait à noter, 88 députés élus en décembre 2008 possédaient une expérience parlementaire. En moyenne, ils avaient sept ans et huit mois de car-

rière à leur actif. Fait impressionnant, trois députés sont à leur neuvième mandat. Près du tiers des députés de la 39e législature ont une expérience politique antérieure, acquise à Ottawa, dans une municipalité ou dans une commission scolaire. Trois députés ont déjà siégé à la Chambre des communes et 16 ont occupé un poste de maire. Élu à 24 ans, le député de Terrebonne, Mathieu Traversy, est le benjamin de l’Assemblée nationale. Jean-Paul Diamond, député de Maskinongé, serait l’aîné à près de 70 ans, bien qu’en cette matière il faille rester prudent, plusieurs députés étant discrets sur leur âge. Dépenses électorales et financement politique Selon les données publiées par le Directeur général des élections du Québec, la limite des dépenses électorales permises pour l’ensemble des partis politiques et des candidats dans le cadre des élections générales du 8 décembre 2008 était de 54 096 719 $. Le total des dépenses effectuées lors de la période électorale s’élève à 19 523 182 $. Les dépenses totales du PLQ ont atteint 8 610 241 $ ; celles du PQ, 7 088 654 $ ; celles de l’ADQ, 2 991 489 $ ; tandis que celles de Québec solidaire atteignaient 597 452 $. En 2008, les partis politiques et leurs instances, ainsi que les candidats indépendants autorisés, ont eu des revenus globaux qui s’élèvent à 32 883 449 $ et des dépenses qui se chiffrent à 34 928 120 $. Les quatre partis représentés à l’Assem243


L’état du Québec 2010

blée nationale se partagent 98,6 % des revenus et 98,5 % des dépenses. Les contributions des électeurs ont totalisé 17 965 998 $, pour une moyenne de 257 $, tandis que la participation financière de l’État, en incluant les crédits d’impôt accordés par Revenu Québec pour les contributions politiques provinciales, est estimée à 20 014 379 $.

note

1. Pour le portrait de l’actuelle législature, voir le numéro du printemps 2009 du Bulletin de la Bibliothèque : http ://www.bibliotheque.assnat.qc.ca/01/PER/ 811681/2009/Vol_38_no_1_(printemps_2009). pdf

Le conseil des ministres Jean Charest, premier ministre Nathalie Normandeau, vice­première ministre et ministre des Ressources naturelles et de la Faune Monique Gagnon-Tremblay, ministre responsable de l’Administration gouvernementale et présidente du Conseil du trésor Jacques Dupuis, ministre de la Sécurité publique et leader parlementaire du gouvernement Line Beauchamp, ministre du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs Michelle Courchesne, ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport Claude Béchard, ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation et ministre responsable des Relations intergouvernementales canadiennes et de la Réforme des institutions démocratiques Raymond Bachand, ministre des Finances Yves Bolduc, ministre de la Santé et des Services sociaux Julie Boulet, ministre des Transports Laurent Lessard, ministre des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire Sam Hammad, ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale Clément Gignac, ministre du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation Yolande James, ministre de l’Immigration et des Communautés culturelles Christine St-Pierre, ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine Robert Dutil, ministre du Revenu Pierre Arcand, ministre des Relations internationales Kathleen Weil, ministre de la Justice Marguerite Blais, ministre responsable des Aînés Lise Thériault, ministre déléguée aux Services sociaux Pierre Corbeil, ministre responsable des Affaires autochtones Norm MacMillan, ministre délégué aux Transports Nicole Ménard, ministre du Tourisme Tony Tomassi, ministre de la Famille Dominique Vien, ministre des Services gouvernementaux Serge Simard, ministre délégué aux Ressources naturelles et à la Faune Pierre Moreau, whip en chef du gouvernement Lawrence S. Bergman, président du caucus des députés ministériels 244


Fin de la décennie post-référendaire ? pierre Drouilly Professeur, Département de sociologie, Université du Québec à Montréal (UQAM)

alors que bien souvent une élection donnée ressemble beaucoup à la précédente, les changements dans les résultats étant très marginaux, même s’ils peuvent apporter de grands changements dans la composition du parlement (en grande partie à cause du mode de scrutin), la décennie 1998-2008 a été marquée par une succession de séismes électoraux qui ont transformé complètecomplète ment le paysage politique du Québec.

En 10 ans, on aura vu le taux de participation chuter au niveau du début du xxe siècle. On aura eu un gouvernement, celui du Parti québécois en 1998, élu avec moins de voix que son principal adversaire. On aura assisté à la constitution, en 2007, du premier gouvernement minoritaire dans l’histoire du Québec. On aura vu un gouvernement élu trois fois consécutives, ce qui ne s’était pas produit depuis Maurice Duplessis et l’Union nationale. On aura témoigné de la montée spectaculaire et de la chute brutale de l’Action démocratique. Enfin, l’apparition de deux nou-

veau tiers partis, Québec solidaire et le Parti vert du Québec, aura également marqué la politique québécoise. Au lendemain des élections de 2007, la table était mise pour un réalignement politique au Québec : un Parti libéral déstabilisé par sa demi-victoire assortie d’un gouvernement minoritaire, un Parti québécois assommé par sa rude défaite et relégué à la troisième position, une Action démocratique investie du rôle d’opposition officielle. Tout cela ressemblait à un début de réalignement politique et à la disparition à terme du Parti québécois. La déconfiture de 245


L’état du Québec 2010

Environ un million d’électeurs boudent aujourd’hui les deux grands partis, après s’être brièvement laissés séduire par l’Action démocratique.

l’ADQ aux élections de 2008 et les déboires subséquents à cette défaite (départ de Mario Dumont, course cahoteuse à la chefferie, baisse prononcée dans les sondages depuis lors, etc.) indiquent sans doute qu’une page de l’histoire du Québec est maintenant tournée. Nous nous proposons d’analyser l’évolution du vote au cours de la décennie écoulée. tabLeau 1

Députés élus aux élections de 2007 et de 2008 Parti libéral Parti québécois Action démocra­ tique Autres 246

2007 48 36 41 0

2008 Différence 66 + 18 51 + 15 7 ­ 34 1

+ 1

Pour estimer le mouvement des votes d’une élection à l’autre, nous avons procédé à des analyses de régression multiple, mais basées sur le nombre de votes et non pas sur des pourcentages : cela permet de tenir compte de l’abstention électorale dans l’analyse. La place nous manque pour fournir tous les détails de la méthodologie utilisée1, mais globalement le modèle reproduit l’élection dans chaque circonscription à quelques centaines de voix près dans la majorité des cas. De 1998 à 2003 Les faits marquants de l’élection de 2003 furent : la chute du taux de participation (il est passé de 78,3 % à 70,4 %) ; la perte de près d’un demi-million de voix pour le Parti québécois ; la progression du vote adéquiste (gain de plus de


Politique

200 000 voix, les plus fortes progressions se produisant dans Québec métropolitain et dans Chaudière-Appalaches) ; la stagnation du vote libéral (perte de 16 000 voix) ; la progression du vote pour l’Union des forces progressistes sur et autour du Plateau Mont-Royal (circonscriptions de Mercier, d’Outremont, de Sainte-Marie-Saint-Jacques, de Gouin et de Rosemont).

En 2003, le Parti québécois a perdu 27 % de son vote de 1998, 44 % (211 000 voix) des pertes péquistes allant à l’Action démocratique, 47 % (225 000 voix) allant à l’abstention et 8 % (38 000 voix) allant à l’Union des forces progressistes (UFP). On peut donc conclure que l’augmentation de l’abstention en 2003 est essentiellement due à des électeurs péquistes de 1998 qui ont manifesté leur

L’abstention électorale Bien des choses ont été dites sur l’abstention électorale récente dans les démocraties, abstention qui, dit­on, est en progression constante depuis quelques décennies (même si les preuves ne sont pas tout à fait convaincantes). Ces commentaires tour­ nent trop souvent à un certain moralisme réprobateur et normatif, qui pointe du doigt chez les électeurs une supposée apathie ou l’expression de leur cynisme, une perte de confiance dans les institutions, une dépolitisation des jeunes, etc. Pour mettre les choses en perspective, il faut distinguer deux types principaux d’abstentionnisme : d’une part, l’abstentionnisme « structurel » et, d’autre part, l’abs­ tentionnisme « conjoncturel ». L’abstentionnisme « structurel » est d’origine sociologique : il est le fait de popula­ tions défavorisées au plan économique, culturel et politique, et qui sont en situation d’anomie sociale. On trouve généralement ces personnes dans les circonscriptions défavorisées des centres urbains ainsi que dans certaines circonscriptions éloignées. D’une élection à l’autre, ce sont toujours les mêmes groupes sociaux qui s’abstiennent davantage que d’autres, les plus forts taux de participation se rencontrant dans les milieux de la classe moyenne. Cet abstentionnisme structurel varie peu d’une élection à l’autre. L’abstentionnisme « conjoncturel » est d’origine politique : il est lié au contexte poli­ tique de chaque élection. À une élection donnée, un type d’électeur peut s’abstenir parce qu’il ne trouve pas de parti à son goût (c’était le cas des électeurs souverainistes aux élections fédérales avant l’apparition du Bloc québécois) ou parce qu’il est en rup­ ture avec son parti naturel, mais pas au point de voter pour l’adversaire (c’est l’absten­ tion d’une partie de ses électeurs qui explique la défaite du Parti québécois en 1985) ou encore parce que l’enjeu de la consultation lui est plus ou moins indifférent. Cet abs­ tentionnisme « conjoncturel » varie considérablement d’une élection à l’autre. Notre hypothèse est que l’abstentionnisme actuel au Québec est principalement de type « conjoncturel ». 247


L’état du Québec 2010

insatisfaction à l’égard du gouvernement du Parti québécois en restant chez eux. Le Parti libéral, pour sa part, a remporté l’élection avec un gouvernement majoritaire, même si son vote est resté stagnant par rapport à 1998. Il s’agit donc d’une victoire libérale par défaut, attribuable à une défaite du Parti québécois, attaqué de tous les côtés : sur sa gauche par l’Union des forces progressistes, sur sa droite nationaliste par l’Action démocratique et au centre par l’insatisfaction vis-à-vis du gouvernement péquiste sortant. De 2003 à 2007 Les faits saillants de l’élection de 2007 furent : un taux de participation en très légère progression (il est passé de 70,4 % à 71,2 %) ; une perte brutale de près d’un demi-million de voix pour le Parti libéral ; une perte modérée de près de 150 000 voix pour le Parti québécois ; une progression fulgurante d’un demimillion de voix pour l’Action démocratique ; et une progression de plus de 100 000 voix tant pour Québec solidaire que pour le Parti vert. Cela a eu comme conséquence l’élection d’un gouvernement minoritaire et la promotion de l’Action démocratique au statut d’opposition officielle. En outre, le Parti québécois s’est trouvé triplement déclassé, en devenant le troisième parti à l’Assemblée nationale, en obtenant la troisième place au vote populaire et en ayant perdu la majorité relative du vote francophone, pourtant acquise depuis 1970. 248

En 2007, le Parti libéral a perdu 25 % de son vote de 2003, 65 % (287 000 voix) des pertes libérales allant à l’Action démocratique, 25 % (111 000 voix) au Parti vert et 10 % (44 000 voix) à Québec solidaire. Le Parti québécois a perdu 11 % de son vote de 2007, 85 % (122 000 voix) des pertes péquistes allant à l’Action démocratique, 10 % (14 000 voix) à Québec solidaire et 5 % (7 000 voix) au Parti vert. Par ailleurs, l’Action démocratique a recueilli 80 % des voix des nouveaux électeurs ou des abstentionnistes de 2003 qui ont voté en 2007 (122 000 voix). On peut donc conclure que la progression de l’Action démocratique s’est faite pour la moitié par un transfert de voix libérales, pour un quart par un transfert de voix péquistes et pour un quart par la diminution de l’abstention ou l’augmentation du nombre d’électeurs. Au lendemain de l’élection de 2007, plusieurs observateurs de la scène politique se sont demandé si cette élection ne marquait pas le début d’une nouvelle ère politique, d’un réalignement profond des attitudes politiques au Québec, l’Action démocratique avec son nationalisme « autonomiste » se substituant au Parti québécois et à son nationalisme souverainiste. Aujourd’hui on sait qu’il n’en sera probablement rien, mais on peut dire que les souverainistes ont senti passer le souffle du boulet… Il est vrai que les transferts de votes du Parti libéral à l’Action démocratique ont été plus de deux fois plus importants que les


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transferts de vote du Parti québécois, ce qui était quand même une bonne nouvelle pour les souverainistes. Mais il est vrai aussi que les plus gros transferts péquistes se sont produits dans l’électorat de la classe moyenne de banlieue, qui est une des poutres maîtresses du vote péquiste, les pertes du Parti québécois en faveur de l’Action démocratique se produisant dans la frange la plus jeune du « groupe porteur » tel que défini par Gilles Gagné et Simon Langlois. De 2007 à 2008 Les faits saillants de l’élection de 2008 furent : la chute brutale du taux de participation (il est passé de 71,2 % à 57,4 %) ; l’effondrement du vote de l’Action démocratique qui perd près de 700 000 voix ; l’érosion du vote de Québec solidaire ; l’effondrement du vote du Parti vert ; enfin une très légère remontée du Parti libéral (progression d’un peu plus de 50 000 voix) et la fin de la descente aux enfers du vote du

Parti québécois (progression de 16 000 voix). En 2008, l’Action démocratique a perdu 57 % de son vote de 2007, 8 % (52 000 voix) des pertes adéquistes allant au Parti libéral, 3 % (16 000 voix) allant au Parti québécois et 90 % (625 000 voix) à l’abstention. On peut donc conclure que la chute brutale du taux de participation en 2008 est due à deux phénomènes distincts : d’une part, la chute brutale

en 2008, l’action démocratique a perdu 57 % de son vote de 2007, 90 % des pertes adéquistes étant attribuables à l’abstention. du vote adéquiste et, d’autre part, la baisse de participation des électeurs non francophones (ce qui provoque des pertes pour le Parti libéral). Toutefois, les pertes adéquistes (693 000 voix) ne

tabLeau 2

Résultats des élections de 2007 et de 2008 (en nombres) Électeurs inscrits Votes déposés Bulletins rejetés Parti libéral Parti québécois Action démocratique Québec solidaire Parti vert Autres

2007 5 630 567 4 010 696 40 078 1 313 664 1 125 546 1 224 412 144 418 152 885 9 693

2008 5 738 811 3 295 914 49 581 1 366 046 1 141 751 531 358 122 618 70 393 14 167

Différence + 108 244 ­ 714 782 + 9 503 + 52 382 + 16 205 ­ 693 054 ­ 21 800 ­ 82 492 + 4 474 249


L’état du Québec 2010

Le vote linguistique* En 1998, année de référence, les taux de participation diffèrent peu d’un groupe lin­ guistique à l’autre, entre 74 % et 80 %. En une décennie, le taux de participation des francophones est passé de 80 % à 64 % en 2008. Par contre, chez les non­francophones, le taux de participation a constamment diminué sur toute la période : chez les anglophones, le taux de participation est passé de 78 % en 1998 à 40 % en 2008, alors que chez les allophones, il est passé de 74 % en 1998 à 33 % en 2008. Ce très faible taux de participation chez les non­francophones explique qu’en 2008 les 12 circonscriptions les moins francophones aient voté en moyenne à 43 %, alors que les 12 circonscriptions les plus francophones ont voté en moyenne à 61 % (l’en­ semble du Québec a voté à 57 %). Il n’est pas facile d’expliquer les causes de cette désaffection des non­francophones envers le processus électoral, mais comme habituellement ils votent massivement pour le Parti libéral, on peut penser qu’en fait il s’agit bien d’une désaffection envers le Parti libéral. Les électeurs non­francophones boudent le Parti libéral (mais pas au point de voter pour le Parti québécois ou l’Action démocratique !). Quant au vote partisan des groupes linguistiques, les anglophones boudent le Parti québécois (tout comme l’Action démocratique), comme c’est le cas depuis des décen­ nies, alors que les appuis des allophones au Parti québécois se situent sous les 5 %. Par contre, en 2007 et en 2008, une partie non négligeable (respectivement 17 % et 14 %) des anglophones a appuyé le Parti vert et plus de 5 % des allophones ont appuyé Québec solidaire. * Pour analyser le taux de participation par groupes linguistiques (francophones, anglophones et allophones), nous avons fait une analyse spectrale par régression, dans les 56 circonscriptions de la grande région de Montréal, là où se concentre l’essentiel des minorités linguistiques.

peuvent être assimilées complètement à la chute du taux de participation (714 000 votants de moins en 2008 qu’en 2007), puisque le nombre d’abstentions a, quant à lui, augmenté de 823 000 voix. Le portrait est en fait un peu plus complexe. Certes, la majeure partie des pertes adéquistes se sont retrouvées dans l’abstention, mais un certain nombre de votes adéquistes sont retournés soit au Parti libéral (52 000 votes), soit au Parti québécois (16 000 voix), et, dans certaines régions (Québec métropolitain et 250

Chaudière-Appalaches notamment), les pertes de l’Action démocratique ont été moins importantes (et la participation électorale plus forte). D’autre part, le vote libéral a subi deux mouvements contraires : pertes importantes dans l’électorat non francophone et donc gains plus importants qu’il n’y paraît globalement dans le vote francophone. Les pertes libérales se produisent essentiellement dans les circonscriptions de l’île de Montréal, de Laval, de la Rive-Sud de Montréal, de l’Outaouais, et du Sague-


Politique tabLeau 3

Résultats des élections de 2007 et de 2008 (en pourcentages des électeurs inscrits) Abstentions Bulletins rejetés Parti libéral Parti québécois Action démocratique Québec solidaire Parti vert Autres

2007 2008 Différence 28,8 42,6 + 13,8 0,7 0,9 + 0,2 23,3 23,8 + 0,5 20,0 19,9 ­ 0,1 21,7 9,3 ­ 12,4 2,6 2,7 0,2

2,1 1,2 0,2

­ 0,5 ­ 1,5 —

nay–Lac-Saint-Jean. Le vote péquiste a lui aussi subi deux mouvements, les principales pertes se produisant dans l’Est de Montréal et dans Québec métropolitain, et les principaux gains dans les Basses Laurentides et en Montérégie. Quelles conclusions tirer ? Sur une période de 10 ans et trois élections, le Parti québécois a perdu environ 600 000 voix, le Parti libéral en a perdu environ 400 000 et l’Action démocratique se retrouve en 2008 à peu près à son niveau de 1998 (un demi-million de voix). Au total, il y a environ 800 000 personnes de moins qui votent en 2008 qu’en 1998, et comme le nombre d’électeurs inscrits a augmenté d’environ 500 000 durant cette décennie, on compte environ 1 300 000 abstentions de plus en 2008 qu’en 1998. Ce que ces données disent en clair, c’est qu’environ un million d’électeurs boudent aujourd’hui les deux grands partis (québécois

et libéral), après s’être brièvement laissés séduire par l’Action démocratique. Les causes de cette désaffection demeurent cachées, à défaut d’enquêtes précises. Mais il y a là une ambiguïté politique majeure qu’il faudrait clarifier, à défaut de quoi cette indifférence politique risque de s’installer durablement. En ce qui concerne l’avenir de l’Action démocratique, nous pensons que le réalignement politique n’est plus maintenant à l’ordre du jour. Comme Mario Dumont a quitté la direction d’un parti qui était son œuvre, nous voyons mal comment ce parti pourrait survivre. L’Action démocratique va probablement s’étioler au fil des ans et, avec notre mode de scrutin, il est fort possible qu’elle n’élise plus guère de députés, ce qui signerait son arrêt de mort. Évidemment, la question qui se posera alors sera de savoir où se dirigeront les électeurs adéquistes (l’Action démocratique a quand même eu un peu plus d’un demi-million de voix en 2008). Ce que l’on sait, par contre, c’est que la plus grande partie des électeurs péquistes et libéraux qui ont été tentés par l’Action démocratique s’est réfugiée dans l’abstention en 2008. Cela signifie qu’il existe un fort sentiment d’insatisfaction envers les « vieux partis », le Parti libéral et le Parti québécois. La légère remontée du Parti québécois à 35,6 % en 2008, ce qui le replace comme premier parti chez les francophones avec environ 42 % de leur appui, et son retour au rôle d’opposition officielle, peuvent apparaître comme de bonnes 251


L’état du Québec 2010

nouvelles pour lui. Mais ces données sont trompeuses. Comme nous l’avons expliqué en introduction, toute comparaison de pourcentages dans le temps doit être faite sur des bases comparables. Si l’on calcule les appuis au Parti québécois par rapport aux électeurs inscrits, on se rend compte qu’en 2008 le Parti québécois est toujours bloqué à 19,9 % des électeurs inscrits (20,0 % en 2007), c’est-à-dire au niveau où il était en 1970 ! Signalons que la situation du Parti libéral n’est pas tellement plus reluisante : en 2008, avec un vote de 42,1 %, mais seulement 23,8 % des électeurs inscrits, le Parti libéral se retrouve à un niveau inférieur à celui qu’il avait atteint en 1976 (28,8 % des électeurs inscrits). Depuis 10 ans, le Parti libéral a perdu 400 000 voix, mais environ la moitié de ces pertes se sont produites dans l’ouest et le nord-est de Montréal, là où de toute tabLeau 4

Résultats des élections de 2007 et de 2008 (en pourcentages des votes valides) Taux de participation Parti libéral Parti québécois Action démocra­ tique Québec solidaire Parti vert Autres

252

2007 71,2

2008 Différence 57,4 ­ 13,8

33,1 28,3 30,8

42,1 35,2 16,4

+ 9,0 + 6,9 ­ 14,4

3,6 3,9 0,2

3,8 2,2 0,3

+ 0,2 ­ 1,7 + 0,1

façon il remporte la presque totalité des sièges. Ces pertes ne lui causent donc pas de tort au niveau du nombre d’élus. C’est sans doute ce qui explique que, malgré un vote aussi faible, le Parti libéral ait pu former un gouvernement majoritaire. L’abstentionnisme chronique (environ 60 %) des non-francophones en 2008 coûte au Parti libéral environ 300 000 voix, mais ne lui coûte pas de sièges. Le Parti libéral a perdu près de 300 000 voix en faveur de l’Action démocratique en 2007, dont seulement 50 000 lui sont revenues en 2008, la majorité des autres se réfugiant aussi dans l’abstention en 2008. L’ambiguïté que porte l’élection de 2008 tient au retour au régime bi-partisan péquiste/libéral qui a dirigé le Québec depuis une quarantaine d’années, mais dans une sorte d’indifférence. En s’abstenant de plus en plus, les Québécois semblent renoncer à être acteurs de leur avenir, pour en devenir des spectateurs, et les « vieux » partis règnent sans gloire. note

1. Bien évidemment, on travaille sur les soldes du nombre de votes d’une élection à l’autre, ce qui simplifie l’analyse, mais ignore des possibles transferts de votes d’un parti à l’autre, mais en sens contraire et qui s’annuleraient. Par ailleurs, il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’estimations statistiques, et qu’on doit les prendre comme des ordres de grandeur. Néanmoins, nous avons fait dans chaque cas une évaluation de nos résultats, en comparant les chiffres réels de chaque élection avec les chiffres obtenus à partir de notre modèle.


continuité et changement dans le vote des Québécois éric bélanger Professeur, Département de science politique, Université McGill

richard nadeau Professeur, Département de science politique, Université de Montréal

Les élections provinciales de décembre 2008 sont marquées par la chute de l’action démocratique du Québec (aDQ) et le retour à un équilibre plus traditionnel des forces politiques entre le parti libéral et le parti québécois. comment ont voté les électeurs et, en particulier, les partisans de l’aDQ ? nous proposons ici une analyse du comportement électoral et des motivations des QuéQuébécois basée sur les élections de 2007 et de 20081. Pour étudier ces scrutins, deux grandes enquêtes électorales ont été effectuées sous notre supervision par la firme Léger Marketing dans les jours qui ont suivi ces élections. Un échantillon représentatif de 1 151 Québécois et Québécoises a répondu à l’enquête de décembre 2008. Dans ce sondage, nous leur demandions de nous indiquer pour quel parti ils avaient voté le 8 décembre, mais aussi de nous dire quel avait été leur choix lors de l’élection précédente, en mars 2007. Avec ces deux informations, il est possible de déterminer le

déplacement des électeurs d’une élection à l’autre. Le tableau 1 présente le croisement des votes de 2007 et de 2008, incluant l’abstention à l’une ou l’autre des deux élections. Il révèle d’abord que les deux grands partis ont réussi à garder une bonne mainmise sur leurs électorats respectifs : 83 % des libéraux de 2007 sont demeurés avec le Parti libéral du Québec (PLQ) et 80 % des péquistes de 2007 sont restés fidèles au Parti québécois (PQ) en 2008. Cependant, chacun de ces deux partis a vu certains de ses 253


L’état du Québec 2010

partisans bouder les urnes en 2008. Des deux partis, le PQ a été un peu moins affecté par la baisse de la participation électorale, puisque c’est lui qui a mobilisé le plus grand nombre d’abstentionnistes de 2007 : 14 % d’entre eux ont voté pour le PQ en décembre 2008. On constate aussi qu’en 2008 les deux grands partis ont accueilli plusieurs des électeurs des tiers partis de 2007. L’éclatement de la coalition adéquiste de 2007 est frappant : 21 % des adéquistes de notre sondage se sont tournés en 2008 vers le PLQ et 19 % vers le PQ. Le nombre d’électeurs de 2007 de Québec solidaire (QS) et du Parti vert (PV) du Québec est peu élevé dans cette enquête, mais les chiffres du tableau suggèrent que plusieurs électeurs de QS auraient appuyé le PQ en 2008 et que les électeurs verts

de 2007 se seraient soit tournés vers le PLQ, soit abstenus en 2008. Ces résultats semblent donc indiquer que beaucoup d’électeurs adéquistes de 2007 seraient retournés au PLQ et au PQ au scrutin suivant. En d’autres termes, les adéquistes ne se sont pas abstenus en plus grand nombre, du moins pas dans une proportion plus grande que les électeurs des autres partis. Le problème de l’ADQ en 2008 a moins découlé de l’abstentionnisme de ses électeurs que de leur défection vers d’autres partis, essentiellement le PLQ et le PQ. Ce constat va à l’encontre d’une interprétation répandue du résultat de 2008 selon laquelle la chute de l’ADQ serait essentiellement attribuable à la baisse de la participation électorale. Nos données indiquent même que l’Action démocra-

tabLeau 1

Mouvements du vote d’une élection provinciale à l’autre PLQ Choix à l’élection provinciale de 2008

%

Choix à l’élection provinciale de 2007 PQ ADQ QS PvQ %

%

%

%

Abstention %

PLQ

82,6

4,3

21,4

13,5

49,6

8,0

PQ

3,6

79,9

19,0

42,8

8,2

13,9

ADQ

1,5

2,0

48,3

0,0

0,0

7,1

QS

0,5

3,1

1,4

34,9

0,0

9,9

PVQ

0,6

0,7

3,1

3,8

14,7

1,8

11,2

10,0

6,8

5,0

27,5

59,3

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

338

282

267

20

30

77

Abstention Total N=1014

Note : Les chiffres du tableau correspondent aux pourcentages en colonne. Par exemple, pour la colonne PLQ, nous constatons que, selon notre sondage, 82,6 % des électeurs libéraux de 2007 ont voté pour le même parti en 2008, tandis que 11,2 % se sont abstenus en 2008.

254


Politique

tique du Québec a réussi à s’attirer quelques appuis chez les abstentionnistes de 2007 (7 % de ceux-ci). C’est plutôt le Parti libéral, et non l’ADQ, qui a souffert le plus de l’abstentionnisme. Toujours selon nos données, 27 % des abstentionnistes de 2008 proviendraient des rangs de 2007 du PLQ, 20 % du PQ et seulement 13 % de l’ADQ. Les motivations des électeurs québécois Une analyse plus approfondie de nos données permet de clarifier les raisons de cette dynamique du comportement électoral des Québécois. Dans notre livre, nous établissons une distinction importante entre les déterminants de long terme et de court terme du vote. Les déterminants de long terme renvoient aux facteurs plus profonds affectant les choix électoraux, comme les caractéristiques socioéconomiques des électeurs ainsi que leurs valeurs et attitudes politiques. Les déterminants de court terme renvoient plutôt aux facteurs liés à la conjoncture politique, tels les enjeux débattus et l’image des chefs. On peut d’abord se demander si la défaite sévère encaissée par l’ADQ en 2008 ne correspond pas à un changement important dans les déterminants de long terme du vote. La chute du parti de Mario Dumont est-elle attribuable, par exemple, à un glissement des valeurs des Québécois vers un progressisme plus appuyé et à une volonté plus grande de voir le gouvernement intervenir de

façon plus marquée pour soutenir le développement économique et social du Québec ? Cette conclusion, plausible à première vue, ne paraît pas correspondre à la réalité. Selon les données de nos enquêtes, les grands équilibres entre le souverainisme et le fédéralisme, l’interventionnisme et le laisser-faire, le libéralisme culturel et le conservatisme moral ont peu changé entre les élections de 2007 et de 2008. Le seul facteur de changement est l’expression d’un cynisme encore plus appuyé envers le processus électoral, qui n’est pas étranger à la baisse spectaculaire de la participation lors de l’élection de décembre 2008. Les raisons des changements dans les choix électoraux des Québécois de 2007 à 2008 semblent se trouver davantage du côté des facteurs de court terme. Deux données ressortent de notre enquête. Notons d’abord l’affaissement très marqué de la popularité de Mario Dumont, attribuable en bonne partie à sa performance jugée décevante comme chef de l’opposition. Une campagne difficile a fait le reste. Le chef de l’ADQ dominait très nettement ses adversaires lors de la campagne de 2007. Des concurrents plus aguerris et un bilan décevant ont éliminé cet « avantage Dumont » lors de l’élection de 2008. Les enjeux débattus n’ont pas non plus permis à l’ADQ, comme cela a été le cas 20 mois plus tôt, de se démarquer. L’élection de 2008 a été dominée par deux enjeux : l’économie et, dans une moindre mesure, la santé. 255


L’état du Québec 2010

Dans les deux cas, la faiblesse de l’équipe adéquiste n’a pas permis au parti d’afficher l’image de compétence attendue par les électeurs. L’image positive du Parti libéral à propos des questions économiques constitue la clé de sa réélection. L’enjeu de la santé, qui avait joué un rôle majeur dans la victoire de Jean Charest en 2003, n’a pas eu autant d’importance lors des scrutins de 2007 et de 2008. Les Québécois, déçus de la performance du PLQ dans le dossier de la santé, restent sceptiques envers la capacité du PQ de faire mieux, de même qu’envers l’option de la mixité public-privé avancée par l’ADQ. Au total, c’est donc l’économie et la brève crise politique à Ottawa – autour du renversement possible du gouvernement Harper par une coalition appuyée par le Bloc québécois – qui ont constitué les faits marquants de l’élection de 2008. La crise financière de l’automne a manifestement favorisé le PLQ et aurait pu procurer à ce parti une victoire éclatante. La crise politique à Ottawa a cependant fourni à certains électeurs souverainistes la motivation nécessaire pour exercer leur droit de vote. L’effet contradictoire de ces deux tendances a fait en sorte que Jean Charest a remporté une courte victoire en 2008. Il a été réélu avec une majorité, devenant ainsi le premier chef de gouvernement québécois à obtenir un troisième mandat consécutif depuis Duplessis. Mais la majorité obtenue était mince, contribuant ainsi à donner des 256

airs de victoire morale à la troisième défaite consécutive du Parti québécois. Quel avenir pour l’aDQ ? La clientèle adéquiste de 2007 semble ainsi être retournée, en bonne partie, vers les deux grands partis traditionnels au moment de l’élection de 2008. Le cycle électoral 2003-2008 semble donc s’être conclu par un rétablissement de l’équilibre partisan entre le PQ et le PLQ. Dans ce contexte, quelles perspectives d’avenir peut-on entrevoir pour l’ancienne formation de Mario Dumont ? Trois constats ressortent de nos analyses. D’abord, il n’y a pas eu de mouvement générationnel apparent derrière la montée de l’ADQ en 2007. Bien que les plus jeunes électeurs se soient tournés de manière plus marquée que leurs aînés vers les deux autres tiers partis, Québec solidaire et le Parti vert, ils n’ont pas appuyé l’ADQ davantage que les autres électeurs. Ensuite, on a cru pendant un moment que la dépolarisation des opinions constitutionnelles au Québec offrait à l’ADQ et à sa position « autonomiste » une place de choix dans le spectre politique québécois pour les années à venir. Mais les données de nos enquêtes portent à croire que la niche de l’autonomisme s’est rétrécie avec le temps et que les opinions constitutionnelles au Québec sont peut-être en voie de se polariser de nouveau. La capacité de l’autonomisme à mobiliser de façon durable une


Politique

large clientèle électorale reste encore à démontrer. Enfin, les résultats de nos analyses indiquent que la clientèle de l’ADQ se montrait, en 2007, très hétérogène tant dans son profil socioéconomique que dans ses valeurs et ses positions idéologiques. Le recul de l’ADQ dans l’électorat en 2008 a fait en sorte que la clientèle de ce parti s’est repliée sur son « noyau dur », un peu moins nationaliste et un peu plus à droite culturellement qu’en 2007. Cette dynamique suggère que l’on aurait surestimé l’étendue de la base partisane de l’ADQ en 2007 alors que la clientèle adéquiste de 2007 ne constituait pas une base homogène solide qui aurait permis au parti de remplacer l’un des deux grands partis à brève échéance. Les forces de court terme ont aussi joué un rôle important dans l’évolution du comportement électoral récent des Québécois. Les campagnes électorales semblent bel et bien avoir compté dans les résultats des deux derniers scrutins provinciaux. À ce chapitre, la conjoncture politique a été nettement plus favorable à l’ADQ en 2007 qu’en 2008. Mario Dumont bénéficiait d’une image beaucoup plus positive que ses adversaires au moment du premier scrutin. Les enjeux politiques débattus en 2007, notamment la question des accommodements raisonnables et celle de la tenue possible d’un troisième référendum sur la souveraineté du Québec, ont aussi joué à l’avantage de l’Action démocratique du Québec. À l’inverse, l’image plus

attrayante des chefs libéral et péquiste, les enjeux centraux de l’élection de 2008 – surtout l’économie –, de même que la crise passagère d’unité nationale sont des facteurs qui ont tous joué en faveur des deux partis traditionnels. Bien que les facteurs de court terme puissent de nouveau favoriser l’ADQ, l’avenir de cette formation politique paraît cependant incertain, et ce, quel que soit le scénario envisagé. Un regain d’intérêt des électeurs pour la question nationale, par exemple, desservirait cette formation politique tout en favorisant le PQ et le PLQ. Par ailleurs, l’actuel déficit de crédibilité de l’ADQ porte à croire que le PQ et le PLQ pourraient aussi continuer à exercer leur domination, « par défaut » en quelque sorte, en l’absence de toute reprise du débat sur l’avenir politique du Québec. Seule une transformation profonde de l’ADQ ou l’émergence d’une nouvelle force politique au Québec à la fois crédible et modérée pourrait peut-être changer la donne, à court terme du moins. Autrement, il y a fort à parier que les prochaines élections au Québec pourraient être caractérisées par une polarisation accrue entre le PQ et le PLQ, une convergence prononcée entre les programmes de ces deux partis et une désaffection marquée des électeurs. note

1. Cette analyse s’appuie sur notre livre, Le comportement électoral des Québécois, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2009, 173 p. 257


Le retour du traditionnel bipartisme Jean-herman guay Professeur et directeur, École de politique appliquée, Université de Sherbrooke

L’action démocratique du Québec (aDQ) ayant perdu 34 sièges aux dernières élections, le paysage politique à l’assemblée nationale semble s’être recomposé selon des schémas désormais classiques : les libéraux tiennent les rênes du pouvoir pour un troisième mandat consécutif tandis que le parti québécois (pQ) retrouve sa place dans l’opposition officielle. officielle.

Si, le soir du scrutin de décembre 2008, on a pu croire, pendant quelques minutes, à l’élection d’un nouveau gouvernement minoritaire, ce n’était pas pour les mêmes raisons qu’en 2007. Cette fois, ce n’était pas tant la force du troisième joueur politique, l’Action démocratique du Québec (ADQ), qui alimentait ce scénario, mais une éphémère égalité entre les deux grands partis, le Parti libéral du Québec (PLQ) et le Parti québécois (PQ). Au terme de la soirée électorale, le verdict était cependant clair : les libéraux et les péquistes reprenaient l’essentiel des sièges, soit 117 sur 125, c’est-à-dire 94 % de la représentation politique. La courte majorité libérale était néanmoins suffisante pour mettre 258

Jean Charest à l’abri du marchandage parlementaire. Le chapitre d’une assemblée à trois, nommé maladroitement « cohabitation » par le premier ministre, se refermait brutalement. L’Assemblée nationale s’inscrit de nouveau dans une logique bipartisane similaire à celle qu’elle a connue avec force en 1989 et en 2003 – les libéraux et les péquistes détenaient 97 % des sièges – ou en 1998 et en 1994 – ils disposaient alors de la totalité des sièges sauf un, celui de Rivière-du-Loup. Les résultats de 2008 ne nous ramènent pas au bipartisme absolu de 1981 et de 1985 – les deux grands partis raflaient alors la totalité des sièges –, mais ils indiquent que libéraux et péquistes sont en voie de récupé-


Politique

rer leur part du monopole de la représentation politique, laquelle était tombée, en 2007, à 71 % sous la poussée adéquiste. Ce retour du bipartisme apparaît cependant fragile quand on s’intéresse au nombre d’électeurs plutôt qu’aux seuls pourcentages de votes et de sièges. Même si le PQ a récolté une dizaine de sièges de plus qu’en 2007, son nombre total d’électeurs ne s’est accru que de 15 000. Pour les libéraux non plus, les brebis égarées qui retournent au bercail ne sont pas légion : elles sont seulement un peu plus de 50 000. Compte tenu de l’effondrement du taux de participation à 57,4 %, les victoires du PQ et du PLQ restent hypothéquées par l’indifférence de beaucoup d’électeurs. Il est donc trop tôt pour affirmer avec certitude un retour en force du bipartisme. Cela est d’autant plus vrai que la présence à l’Assemblée nationale du député Amir Khadir (Québec solidaire) et d’une petite poignée d’adéquistes pourrait donner à ces deux dernières formations un levier pour s’inscrire dans l’agenda médiatique.

ques changent souvent leur discours et leur plateforme pour séduire des segments d’électeurs susceptibles de rejoindre leur rang. Les quelque 20 mois qui se sont écoulés entre les deux derniers scrutins montrent la pertinence de cette analyse. Du côté des libéraux, il ne fait pas de doute que Jean Charest l’a emporté en opérant des campagnes de séduction au-delà du périmètre qu’il avait tracé pour son parti depuis 1998, année où il en a pris la direction.

Les victoires du pQ et du pLQ restent hypothéquées par l’indifférence de beaucoup d’électeurs.

Le nouveau positionnement du PLQ sur l’axe droite-gauche est à cet égard frappant : recul sur l’épineux dossier du mont Orford, égalité homme-femme au cabinet, engagement dans l’énergie éolienne, augmentation marquée du salaire minimum, au point d’étonner le Le jeu politique Conseil du patronat… Dans un bulletin La plupart des spécialistes du compor- électoral publié par le Front d’action tement électoral sont d’accord sur un populaire en réaménagement urbain point : les électeurs, du moins dans une (FRAPRU), un organisme qui milite proportion significative, votent d’une pour le droit au logement, on n’hésitait manière stratégique. S’ils doivent choi- pas à donner une meilleure note aux sir entre deux candidats qui présentent libéraux qu’aux péquistes. Qui l’aurait des similitudes d’opinion, ils sont nom- cru ? Mais Jean Charest a aussi occupé breux à privilégier le candidat le plus l’espace discursif de l’ADQ : changement susceptible de gagner. Cette logique est de posture sur les bulletins scolaires, d’autant plus vraie que les partis politi- création de la Commission des aînés et, 259


L’état du Québec 2010

surtout, mise en place de la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement liées aux différences culturelles (accommodements raisonnables) – une thématique identitaire si profitable à Mario Dumont. En somme, les libéraux – et Jean Charest lui-même – ont offert aux électeurs un changement suffisant pour que plusieurs électeurs adéquistes n’aient pas cru bon voter pour l’ADQ… ou de se déplacer le jour du vote. Mais il y a plus. Entre les deux scrutins, Jean Charest a su se draper d’un nationalisme québécois jusque-là inédit dans sa carrière politique. Critique

La chute de l’aDQ est aussi la conséquence de ses propres turpitudes, en particulier de son inexpérience parlementaire. envers Stephen Harper, exigeant continuellement des montants d’argent supplémentaires ou des pouvoirs accrus, exploitant les thèmes du déséquilibre fiscal et de l’environnement, il a repris une bonne partie de la rhétorique traditionnelle si chère aux Québécois francophones, nombreux, faut-il le dire, à partager une forme plus ou moins prononcée de nationalisme. Ce cocktail de déclarations et de positions lui a permis d’obtenir un bon niveau de satisfaction populaire à l’automne 2008. Du côté du PQ, la même stratégie a été mise de l’avant. Dès qu’elle a pris la 260

relève d’André Boisclair, Pauline Marois a repoussé du revers de la main l’agenda référendaire sur la souveraineté du Québec ; elle s’est davantage alignée au centre en adoptant un discours socialdémocrate moins tranché, arguant qu’il n’est pas honteux de vouloir « créer la richesse ». Enfin, elle a cherché à faire vibrer la corde identitaire en développant le discours du « nous ». Ces stratégies multiples menées par libéraux et péquistes ont eu une conséquence relativement simple : réduire la pertinence du discours de l’ADQ. À ce jeu, les grands partis jouissent généralement d’une série d’avantages leur permettant de contrer la montée de nouveaux partis : l’expérience, une masse de militants capables de porter le discours et, enfin, les avantages liés aux ressources humaines, organisationnelles et financières. La chute de l’Action démocratique du Québec est aussi la conséquence de ses propres turpitudes, en particulier de son inexpérience parlementaire. Aussi longtemps que l’ADQ ne se réduisait qu’à une poignée de députés sans ressources, les électeurs étaient satisfaits des quelques répliques percutantes de Mario Dumont. Au moment où son parti devenait l’opposition officielle, les Québécois étaient en droit d’en attendre bien plus. L’incapacité de l’ADQ à formuler des propositions structurées et recevables s’est manifestée dans plusieurs dossiers : absence lors de la crise budgétaire du printemps 2007, refus de


Politique

présenter un mémoire à la commission Bouchard-Taylor, indifférence à l’égard des travaux de la commission traitant de la condition de vie des aînés, par exemple. Dans les deux derniers dossiers, l’ADQ avait soulevé les problématiques – « soufflé sur les peurs », diront d’autres –, mais a refusé de proposer des réponses précises et concrètes. Quant aux dossiers de la Caisse de dépôt et placement du Québec et des commissions scolaires, l’opinion publique est restée dubitative devant les propos contradictoires ou les projets bâclés. une nouvelle dynamique Au cours de l’année 2009, les libéraux de Jean Charest ont d’abord regagné des points, puis perdu du terrain à l’automne. Leur victoire dans Rivière-duLoup et la bonne gestion de certains dossiers n’ont pas permis de contrer l’impact des scandales municipaux et le fantôme d’une enquête publique dans l’industrie de la construction. Les libéraux tablent sur les préoccupations socio-économiques en offrant des projets tantôt généraux, tantôt plus avancés en matière de politiques publiques : le Grand Nord, la réduction de 20 % des GES, les ententes de mobilités de la main-d’œuvre avec l’Europe. Bien que la cote personnelle de Jean Charest l’emporte sur celle de Pauline Marois, la vie politique contient assez d’aléas pour que les jeux ne soient pas faits. Du côté du PQ, le travail d’opposition n’est pas sans difficulté. Le leadership de

Aussi longtemps que l’ADQ se réduisait à une poignée de députés sans ressources, les électeurs étaient satisfaits des quelques répliques percutantes de Mario Dumont.

Pauline Marois provoque des critiques et des réticences. Le départ de François Legault a affaibli l’équipe péquiste. Le PQ n’a pas été en mesure de capitaliser sur les difficultés de la Caisse de dépôt ni sur la récession. Il semble par contre être parvenu à isoler le gouvernement sur la question de la commission d’enquête. Plus fondamentalement, le PQ peine à redéployer le dossier de la souveraineté. Par le dossier linguistique, le parti tente de redynamiser son électorat et les affrontements identitaires, mais rien, du moins jusqu’à présent, ne permet d’anticiper un net rebond. Enfin, l’équipe péquiste éprouve des difficultés communicationnelles et organisationnelles nombreuses, notamment pour déployer un discours différent de celui qui est le sien depuis 40 ans. L’arrivée de Québec solidaire à l’Assemblée 261


L’état du Québec 2010

nationale représente aussi une menace à sa gauche. C’est cependant l’historique alternance politique des Québécois qui constitue l’espoir le plus significatif pour les péquistes. Au terme des 4 années du mandat libéral actuel – fin de 2012 ou début de 2013 –, le PLQ aura été au pouvoir depuis 10 ans. Si la réélection de 2008 était déjà un exploit du point de vue de la statistique, une quatrième victoire consécutive en 2012 semble illusoire. Le goût de l’alternance représente donc la carte maîtresse pour les péquistes. Dans cet horizon, si la souveraineté ne parvient pas à être au-devant de la scène publique, les péquistes savent fort bien qu’elle deviendra un talon d’Achille pour eux, et qu’il importera au parti de trouver un arbitrage adéquat et crédible de leurs ambitions. Plus à droite, les rares succès rencontrés par l’ADQ depuis près de 10 ans laissent croire qu’il existe un segment de l’électorat qui partage ses valeurs de centre-droit. Sociologiquement, il s’agit souvent de jeunes ménages, évoluant dans le secteur privé, vivant dans la région de Québec et dans les couronnes de Montréal. Constituent-ils un bloc de 15 %, de 25 % ou de 30 % des électeurs ? Les données disponibles ne permettent pas d’en avoir une image précise. Le problème réside dans l’incapacité de l’ADQ à incarner ses valeurs et à les associer à des projets crédibles. Il réside aussi dans le fait que ce parti n’incarne

262

plus la fraîcheur de la nouveauté. Il n’en reste pas moins que, en 2009, l’ADQ n’a pas su profiter de sa course à la chefferie pour gagner des points et actualiser son programme. Ce qui est généralement une belle opportunité pour les partis a été une occasion ratée pour l’ADQ. Le départ impromptu de Gilles Taillon et l’arrivée de Gérard Deltell ouvrent une période de défis pour cette formation qui doit se redéfinir à l’interne comme auprès de l’électorat, autrement elle risque de devoir fermer les livres. La dernière inconnue relève des libéraux eux-mêmes. Depuis près de 10 ans, Jean Charest a démontré une habileté à se déplacer sur l’axe gauche-droite. Au départ plus à droite et nettement fédéraliste, il affiche aujourd’hui des positions centristes, fortement teintées d’un bleu nationaliste. Cette capacité à « bouger » de façon opportune constitue l’une des forces traditionnelles des libéraux sur leurs adversaires péquistes, soumis à la pression d’une militance plus radicale et au poids d’un projet défini dont la non-réalisation entraîne une lassitude. Comment les libéraux profiteront-ils des années qui viennent ? Pourront-ils par eux-mêmes incarner le changement dans 24 ou 36 mois ? Rien n’est encore joué. Les très fortes variations enregistrées depuis presque 10 ans dans l’opinion publique québécoise nous invitent à la prudence.


Administration publique 264

L’administration publique en quelques statistiques

276

Le régime d’assurance parentale victime de son succès

277

Partenariats public-privé : chronique d’un échec

263


L’administration publique en quelques statistiques Texte et données extraits du site « L’État québécois en perspective » de l’Observatoire de l’administration publique de l’ENAP1

Les revenus totaux Le profil des recettes publiques courantes du gouvernement du Québec porte sur les opérations budgétaires du fonds consolidé. Ce profil ne rend pas compte de l’ensemble des recettes des adminis-

trations publiques au Québec, étant donné que, en 2003, le gouvernement du Québec prélevait 42,7 % des recettes fiscales ; le fédéral, 41,2 % ; les municipalités, 8,2 % et la Régie des rentes du Québec, 7,8 %2.

Figure 1

Revenus du gouvernement du Québec (en millions de dollars et en pourcentage), 2008-2009 Revenus du Fonds des générations 0,9 % (587 M$) Transferts fédéraux 22,0 % (15 081 M$)

Revenus des entreprises du gouvernement 7,3 % (5 013M$)

Impôt sur le revenu et les biens 41,4 % (28 376 M$)

Revenus divers 6,1 % (4 175 M$) Droits et permis 2,5% (1 714 M$) Taxes à la consommation 19,5 % (13 595 M$) Revenus totaux : 68 514 M$. Revenus autonomes : 53 433 M$. Source : Ministère des Finances du Québec, Comptes publics, 2008-2009.

264


Administration publique

En 2008-2009, les revenus totaux du gouvernement du Québec s’élevaient à 68 514 millions de dollars. Deux types de revenus sont à distinguer : les revenus autonomes que le gouvernement du Québec perçoit de son propre chef (53 433 millions de dollars, soit 78,0 % des revenus totaux) et les transferts en provenance du gouvernement du Canada (15 081 millions de dollars, soit 22,0 % des revenus totaux). La croissance des revenus totaux du gouvernement du Québec entre 20012002 et 2006-2007 s’explique par la croissance soutenue des revenus autonomes du Québec (+ 5,3 % de croissance annuelle moyenne sur ces cinq années). Malgré les promesses de réduction d’impôts lors de la campagne électorale de 2003 et la volonté de procéder à une réingénierie de l’État québécois, les

revenus du gouvernement s’apprécient en valeur réelle puisque leur croissance est plus que deux fois supérieure à l’inflation (+ 2,1 %) sur la même période. En revanche, dans le contexte du ralentissement économique qui a suivi l’effondrement des marchés financiers en 2008, les années budgétaires 2007-2008 et 2008-2009 ont été marquées par un ralentissement de la croissance des revenus autonomes du gouvernement du Québec, puis par leur diminution nette. Les transferts fédéraux Les transferts fédéraux sont des sommes d’argent 5 versées par le gouvernement fédéral aux gouvernements provinciaux pour appuyer la prestation de services publics et la mise en œuvre de programmes par ces derniers. Ces transferts poursuivent des objectifs de

graphiQue 1

Revenus du gouvernement du Québec (en millions de dollars et en pourcentage), 2008-2009 20% 15,0

15% 7,0

7,6

6,3

5%

2,2

0%

2,3

9,0

8,9 5,4

4,6

4,1

3,4

1,7

4,7

4,2 1,5

-0,6

-1,0

2009

2008

2007

2006

2005

2004

2001

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1999

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1997

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1995

1994

1993

1992

1991

-5%

2003

-4,3

2002

10%

Sources : Ministère des Finances du Québec, Comptes publics.

Source : Ministère des Finances du Québec, Comptes publics.

265


L’état du Québec 2010

redistribution de la richesse entre les provinces et permettent le financement d’interventions pancanadiennes, sectorielles ou régionales3. Depuis la restructuration du transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux (TCSPS) en avril 2004, les trois principaux programmes de transferts sont le Transfert canadien en matière de santé (TCS), le Transfert canadien en matière de programmes sociaux (TCPS) et la péréquation. Le programme de péréquation du gouvernement fédéral a pour but de « donner aux gouvernements provinciaux des revenus suffisants pour les mettre en mesure d’assurer les services publics à un niveau de qualité et de fiscalité sensiblement comparables4 ». Les paiements de péréquation ne sont assor-

tis d’aucune condition. Les gouvernements provinciaux déterminent euxmêmes l’affectation de ces revenus. Au cours des 19 dernières années, la tendance en ce qui concerne la part des transferts fédéraux dans les revenus totaux du gouvernement du Québec est à la baisse. Néanmoins, c’est moins cette tendance à la baisse que la forte variabilité des transferts et consécutivement leur manque de fiabilité et de prévisibilité qui ont fait l’objet de critiques de la part des gouvernements provinciaux dont celui du Québec5. En 2008-2009, les transferts fédéraux au gouvernement du Québec ont atteint un montant de 15 081 millions de dollars. À titre de comparaison, pour l’année d’imposition 2007, l’impôt fédéral net payé par les contribuables

graphiQue 2

Croissance annuelle des transferts fédéraux au gouvernement du Québec (en pourcentage) 28,3

30% 15,1

20% 10%

27,4

13,9 8,4

4,5

23,1

11,9 7,6

7,0

2,4

0,0

0%

-3,2

-3,5

-0,2

-3,6

-1,8

-10% -17,5

-20%

-21,2

Source : Ministère des Finances du Québec, Comptes publics.

266

2009

2008

2007

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2002

2001

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1997

1996

1995

1994

1993

1992

1991

-30%


Administration publique

québécois s’élevait à 19 493 millions de dollars6. Le programme de péréquation est la principale source de revenus reçus par le gouvernement du Québec en provenance du gouvernement du Canada. Les transferts pour la santé (3 740 millions de dollars) constituaient 24,8 % des transferts fédéraux au gouvernement du Québec en 2008-2009, alors que les transferts pour l’enseignement postsecondaire et les autres programmes sociaux (1 267 millions de dollars) comptaient pour seulement 8,4 % des transferts fédéraux7. Au cours de la seconde moitié des années 90, le programme de péréquation a connu d’importantes variations d’une année budgétaire à l’autre, ce qui rendait les cadres financiers des provinces instables. En réaction aux critiques

formulées à l’égard du programme de péréquation, le budget fédéral de 2007 a annoncé que les conditions de détermination des paiements de péréquation seraient simplifiées afin de les rendre plus prévisibles et que l’enveloppe globale de ce programme serait revalorisée continûment jusqu’en 2013-2014. En ce qui concerne la contribution de ce programme fédéral aux finances publiques du Québec, il faut souligner que le Québec, en raison de l’importance de sa population et de son économie, et bien qu’étant la province ayant la capacité fiscale la plus proche de la moyenne des provinces canadiennes, est celle qui reçoit le plus de paiements de péréquation. En 2008-2009, elle recevait ainsi plus de la moitié des paiements consentis par Ottawa aux provinces dans le cadre de ce programme.

Figure 2

Composantes des transferts du gouvernement du Canada au gouvernement du Québec pour l’année 2008-20009

Santé 24,8% (3 740 M$) Péréquation 53,2% (8 028 M$)

Postsecondaire et autres programmes sociaux 8.4 % (1 267 M$) Autres programmes 13,6% (2 046 M$)

Source : Ministère des Finances du Québec, Comptes publics, 2008-2009, p. 119. Résultats réels au 31 mars 2009.

267


L’état du Québec 2010

Les dépenses totales Les dépenses totales, appelées également « dépenses courantes », sont constituées des dépenses de programmes et des intérêts sur la dette8. En 2008-2009, pour un dollar de revenu, le gouvernement du Québec dépensait 88,4 cents pour les services à la population (les dépenses de programmes) et 11,6 cents pour le paiement de sa dette (le service de la dette). Pour l’année 2007-2008, les dépenses totales du gouvernement représentaient 22,3 % du PIB (calculé selon les données des comptes économiques provinciaux publiées par Statistique Canada). Par rapport à la population du Québec, les dépenses totales par habitant s’élevaient, pour cette même année budgétaire, à 8 656 $. Figure 3

Dépenses totales du gouvernement du Québec, 2008-20009 Dépenses de programmes 88,4% (61 668 M$)

Service de la dette 11,6 % (8 131 M$) Dépenses totales : 69 799 M$ Source : Ministère des Finances du Québec, Comptes publics, vol. 1.

268

Les dépenses de programmes du gouvernement constituent la notion de dépenses publiques la plus couramment utilisée pour mesurer la taille de l’État. Elles sont composées de dépenses courantes nettes en biens et services, des subventions (aux entreprises) et des prestations sociales (transferts aux particuliers). Le service de la dette reflète quant à lui la contribution fiscale actuelle sans égard au moment où les services ont été rendus. En situation d’équilibre budgétaire, le service de la dette introduit un écart entre les taxes payées et les services publics reçus par les contribuables. Selon les dernières données accessibles des Comptes économiques provinciaux qui portent sur l’année 2007, les dépenses courantes de l’ensemble des administrations publiques au Québec (fédérale, provinciale et locales) s’élevaient à 126 324 millions de dollars, ce qui représentait 42,6 % du PIB. Cependant, pour mesurer l’ampleur totale de l’intervention gouvernementale, il serait nécessaire de prendre également en compte l’ensemble des dépenses fiscales9 au Québec, et non pas seulement les dépenses publiques directes. Il est important de souligner que les données sur les finances publiques des comptes publics du Québec après 1997 ne sont pas directement comparables avec celles des années précédentes en raison de la réforme de la comptabilité publique de 1997-199810. Les principaux changements par rapport aux comptes publics de 1996-1997


Administration publique graphiQue 3

Croissance annuelle des dépenses de programmes du gouvernement du Québec (en pourcentage) 10 % 8% 6% 4% 2% 0% -2 %

2009

2008

2007

2006

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2004

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1997

1996

1995

1994

1993

1992

1991

-4 %

Source : Ministère des Finances du Québec, Comptes publics, vol. 1. Année se terminant le 31 mars.

sont énumérés dans le document publié par le gouvernement lors du discours du budget de mars 1998, intitulé « Réforme de la comptabilité gouvernementale ». L’évolution des dépenses de programmes a été caractérisée par une croissance rapide et soutenue après l’exercice 1997-1998 au cours duquel le gouvernement a annoncé l’atteinte de l’équilibre budgétaire. Alors que les dépenses excluant le service de la dette ont baissé en moyenne de 0,7 % par année entre 1993-1994 et 1996-1997, leur croissance, amorcée en 1997-1998, s’est accélérée entre 1997-1998 et 2008-2009, avec un taux de croissance annuel moyen de 4,9 %, nettement supérieur au taux d’inflation annuel moyen au Québec sur la période (+ 2,0 %). Il est

paradoxal de noter que ce changement de tendance correspond à la décision du gouvernement du Québec, à la suite de la Conférence sur le devenir social et économique du Québec de mars 1996, de lutter contre les déficits publics et d’atteindre à moyen terme l’équilibre budgétaire. Par ailleurs, entre 1997-1998 et 20082009, le poids des dépenses excluant le service de la dette dans les dépenses totales n’a cessé d’augmenter, passant de 83,2 % à 88,4 %. Ceci signifie qu’une part de plus en plus faible des revenus est consacrée au paiement des intérêts sur la dette, cette part étant passée de 16,8 % en 1997-1998 à 11,6 % en 20082009. Cette évolution s’explique par l’amélioration des conditions d’em269


L’état du Québec 2010

prunt du Québec alors que la conjoncture économique était plus favorable dans les années 2000 que dans les années 90. En tenant compte de la démographie, les dépenses totales par habitant en dollars courants sont passées de 5 989 $ en 1997-1998 à 8 656 $ en 2007-2008, soit une augmentation de 44,5 %. Cette augmentation est beaucoup plus forte que la croissance démographique (+ 6,2 % sur la même période). Entre le 31 mars 1993 et le 31 mars 2008, la proportion des dépenses publiques courantes du gouvernement du Québec par rapport au PIB a baissé. Cette situation est en partie attribuable à la vigueur de l’économie. Entre 19841985 et 1988-1989, ce ratio a connu une nette diminution (de 24,2 % en 1984-1985

à 21,1 % en 1988-1989) qui résultait d’une augmentation des dépenses beaucoup plus faible (bien qu’étant de + 21,0 %) que celle du PIB (+ 38,2 %). À l’inverse, l’augmentation du ratio entre 1988-1989 et 1992-1993 s’explique par la faiblesse de la croissance économique annuelle (+ 2,2 % par an en moyenne), alors que, sur la même période, les dépenses du gouvernement croissaient à un rythme moyen annuel de 6,5 %. La stabilité de ce ratio autour de 21 % entre 2000-2001 et 2007-2008 résulte d’une croissance des dépenses proportionnelle à la croissance économique. Les dépenses par mission Au 31 mars 2009, la répartition des dépenses totales par mission était la suivante :

graphiQue 4

Évolution des dépenses totales du gouvernement du Québec (en pourcentage du PIB) 25 % 24 % 23 % 22 % 21 %

1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008

20 %

En pointillé, la droite de régression. Source : Ministère des Finances du Québec et Statistique Canada, ESTAT, Tableau 384 0002, au 8 juillet 2009. Année se terminant le 31 mars.

270


Administration publique Figure 4

Dépenses du gouvernement du Québec par mission (en millions $ et en pourcentage), 2008-2009

Service de la dette 11,6 % (131 M$)

Santé et services sociaux 38,3 % (26 718 M$)

Économie et environnement 12,2% (8 525 M$) Gouverne et justice 8,9% (6 201M$) Soutien des personnes et familles 7,9% (5 530M$)

Éducation et culture 21,1 % (14 686 M$)

Dépenses totales : 69 799 M$ Source : Ministère des Finances du Québec, Comptes publics.

En 2008-2009, près des deux-tiers de la marge de manœuvre financière du gouvernement du Québec (les dépenses totales moins le service de la dette) étaient alloués à la santé, aux services sociaux, à l’éducation et à la culture. Toutes les autres politiques et programmes du gouvernement ne disposaient que du tiers de la marge de manœuvre financière du gouvernement. Depuis l’année budgétaire 1996-1997, les dépenses gouvernementales sont ventilées dans les Comptes publics en fonction de cinq grandes missions de service public plus la catégorie de dépenses du service de la dette. Les variations quant à l’importance de ces quatre missions pouvant être intégrées dans un jeu à somme nulle (les augmentations des unes étant compensées par les diminutions des autres), on

peut souligner que le poids des dépenses en santé et en services sociaux et celui du service de la dette dans les dépenses totales ont une évolution opposée, ce qui revient à dire que l’amélioration des conditions d’emprunt depuis la fin des années 90 a notamment permis de dégager des fonds supplémentaires pour la mission « Santé et services sociaux ». La dette Les trois-quarts de la dette nette du gouvernement du Québec sont constitués des déficits cumulés, c’est-à-dire de l’addition des déficits budgétaires depuis les années 60. En effet, tous les exercices budgétaires entre 1960-1961 et 1997-1998 se sont soldés par un déficit11. L’exercice 1998-1999 a été le premier en quatre décennies à se solder par un surplus (de 126 millions de dollars). 271


L’état du Québec 2010

Malgré l’atteinte du déficit zéro en 1998-1999, la dette totale du Québec a continué d’augmenter entre 1999-2000 et 2008-2009 à un rythme annuel moyen de 3,8 %, rythme qui demeurait toutefois inférieur au taux de croissance annuel moyen de l’économie qui, selon Statistique Canada, a été de 4,4 % entre 1998 et 2008. Pour mesurer le niveau d’endettement de l’ensemble du secteur public québécois, la notion de la dette à long terme est utilisée dans le plan budgétaire du gouvernement du Québec de 2009-2010. Elle comprend la dette totale du gouvernement et les dettes des

réseaux de l’éducation, de la santé et des services sociaux, d’Hydro-Québec, des autres entreprises du gouvernement et des structures municipales. Une bonne partie de la dette à long terme a servi à financer les infrastructures publiques comme les routes, les hôpitaux, les écoles et les barrages hydroélectriques. Les données du tableau ci-dessous montrent que la dette à long terme croît régulièrement en valeur nominale depuis 2000-2001. Toutefois, son poids dans l’économie diminue en raison de la croissance plus forte de la production du Québec. On remarque également que la croissance

tabLeau 1

Dépenses totales par mission (en pourcentage des dépenses totales), Québec, 1997-2009 Santé et services sociaux 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009

32,0 30,4 32,4 32,5 33,6 34,6 34,9 35,8 36,1 36,6 37,6 37,4 38,3

Éducation Économie Soutien et Gouverne Service de Dépenses et culture et environ- personnes et justice la dette totales nement et aux familles 25,8 22,8 22,0 22,3 22,0 22,0 22,2 22,3 21,6 21,7 21,3 21,0 21,0

8,9 11,1 11,1 12,5 12,2 11,6 11,7 11,2 11,0 11,3 11,3 12,1 12,2

11,0 9,7 10,6 10,1 9,8 9,9 9,9 9,8 9,1 8,7 8,4 8,1 7,9

7,9 7,7 7,0 7,0 7,1 7,1 7,8 7,8 9,4 9,0 9,0 8,3 8,9

14,5 16,9 15,5 15,6 15,3 14,2 13,3 13,1 12,9 12,6 12,5 13,0 11,6

100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0

Source : Ministère des Finances du Québec, Comptes publics 2007-2008, vol. 1, p. 29. Année se terminant le 31 mars.

272


Administration publique Figure 5

Structure de la dette du gouvernement du Québec (en millions de dollars), au 31 mars 2009 Fonds des générations 587

Passifs 182 325

Actifs financiers 53 532

Déficits cumulés 98 026

Dette nette 128 793

Actifs non financiers 30 767

Source : D’après le ministère des Finances du Québec, Comptes publics 2008-2009.

tabLeau 2

Dette à long terme du secteur public québécois en millions de dollars et en pourcentage du PIB, de 2000-2001 à 2008-2009 Gouver- Réseaux Hydronement Québec

Autres Municipalités Total entreprises du et organismes gouvernement municipaux

% du PIB

2000­2001

104 848

8 787

38 979

4 345

16 699

173 658

77,2

2001­2002

107 175

9 588

37 893

3 906

16 777

175 339

77,2

2002­2003

111 387

11 008

35 639

3 955

16 530

178 519

73,2

2003­2004

114 725

10 877

34 348

3 575

17 212

180 737

72,1

2004­2005

116 596

12 301

33 032

3 726

17 053

182 708

69,5

2005­2006

118 302

13 078

32 367

3 540

18 347

185 556

68,5

2006­2007* 143 449

2 023

32 674

31

16 409

194 586

69,1

2008­2008* 148 015

1 552

32 399

25

17 321

199 312

67,2

2008­2009* 151 447

911

36 572

171

19 261

208 362

68,6

Source : Ministère des Finances du Québec, Plan budgétaire 2006-2007, p. 23, et Plan budgétaire 2008-2009, p. 13. * Données découlant de la réforme comptable de 2008.

273


L’état du Québec 2010

de la dette à long terme du secteur public est essentiellement le fait de la croissance de la dette du gouvernement. La réforme comptable de 2008, en imputant une grande partie des dettes des réseaux au gouvernement, a encore fait croître la part de la dette du gouvernement dans la dette à long terme du secteur public. Par ailleurs, pour mesurer avec exhaustivité le phénomène de l’endettement public au Québec, il faudrait également ajouter la part de la dette du gouvernement fédéral incombant au Québec en proportion de sa population, soit environ 106,6 milliards de dollars en 200812, aux dettes du gouvernement, des réseaux, des municipalités et des entreprises du gouvernement. notes

1. L’Observatoire de l’administration publique a bénéficié du soutien du Secrétariat aux affaires intergouvernementales canadiennes (SAIC) du Québec, par l’intermédiaire du Programme de soutien à la recherche en matière d’affaires intergouvernementales et d’identité québécoise, pour colliger et analyser les présentes données. Consultez www.etatquebecois.enap.ca <http:// www.etatquebecois.enap.ca> 2. Godbout, Luc, et Pierre Beltrame, Fiscalité comparée : comparaison de l’importance des recettes fiscales par rapport au PIB - le Québec en regard du G7, de l’OCDE et de l’UE, Université de Sherbrooke, Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques, Document 2006/04, 2006, p. 13. Les revenus des administrations publiques ne sont pas seulement constitués des recettes fiscales, les transferts fédéraux, les revenus des entreprises du gouvernement et les droits et permis ne pouvant être assimilés stricto sensus à

274

des impôts, c’est-à-dire à des prélèvements obligatoires. 3. Il est à noter par ailleurs que le Québec est la seule province à bénéficier d’un abattement fiscal s’élevant à 16,5 % de l’impôt fédéral de base depuis 1977. Il s’agit là d’arrangements fiscaux portant sur des points d’impôts, et non sur des liquidités, qui ne seront pas traités dans ce texte sur les transferts fédéraux. 4. Gouvernement du Québec, Commission sur le déséquilibre fiscal, Les programmes de transferts fédéraux aux provinces, 2001. 5. Loi constitutionnelle de 1982, art. 36 (2). 8. Lazar, H., Canadian fiscal arrangements, Institute of Intergovernmental Relations, McGillQueen’s University Press, 2005, p. 27. 6. Agence du revenu du Canada, Statistiques sur le revenu 2009 – Année d’imposition 2007, Tableau 1. 7. Ministère des Finances du Québec, op. cit. 8. Le profil des dépenses publiques courantes du Québec porte sur les opérations budgétaires du fonds consolidé. 9. Godbout, Luc, L’intervention gouvernementale par la politique fiscale : le rôle des dépenses fiscales, Economica, 2006. Les dépenses fiscales sont des mesures fiscales préférentielles qui engendrent un manque à gagner volontairement consenti par les gouvernements pour favoriser des objectifs d’ordre social ou économique. Elles constituent des programmes gouvernementaux d’aide financière offerts par des dispositions fiscales plutôt que par des dépenses publiques directes. 10. L’analyse de l’évolution sera limitée aux périodes dont les données sont comparables, à savoir 1997-1998 et les années budgétaires suivantes. Toutefois, les données pour les années antérieures seront présentées. 11. Voir Ministère des Finances, Comptes publics 1997-1998, vol. 1, p. xix. 12. Selon le ministère des Finances du Canada dans Comptes publics 2007-2008, la dette fédérale était de 457,6 milliards de dollars au 31 mars 2008. Le Québec représentait alors 23,3 % de la population canadienne.


Les institutions du pouvoir législatif Assemblée nationale (125 députés) Commissions parlementaires permanentes (11) Personnes ou autorités nommées (7) : • Le vérificateur général • Le directeur général des élections • Le protecteur du citoyen • Le commissaire au lobbyisme • Le président de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse • Le président de la Commission de la fonction publique • Le président de la Commission d’accès à l’information

Les organismes gouvernementaux (191) Comités, conseils, commissions (78) Régies (20) Tribunaux administratifs (13) Offices (30) Sociétés administratives (42) Sociétés d’État (8)

Le réseau des services de garde Bureaux coordonnateurs (165) Centre de la petite enfance (982 établissements et 1 344 installations) Garderies subventionnées (589) et non subventionnées (142)

Lieutenant-gouverneur

L’organigramme de l’État québecois LES INSTITUTIONS INSTITUTIONS CENTRALES CENTRALES LES DU POUVOIR POUVOIR EXÉCUTIF EXÉCUTIF DU

Le Conseil des ministres (ou Conseil exécutif) (29 membres) Le premier ministre 26 ministres Le whip Le président du caucus 7 comités ministériels permanents (dont le Conseil du trésor) Les ministères (22) Directions (645) Bureaux régionaux (231) Bureaux locaux (1109) (17 régions administratives)

Le réseau de la santé et des services sociaux • Instances régionales (15 agences de la santé et des services sociaux, 2 conseils régionaux, 1 régie régionale) • Instances locales (95 – des CSSS pour la plupart) • Établissements (191 publics dont 6 centres hospitaliers, 103 privés) • Cliniques privées, organismes communautaires et autres ressources complémentaires

Les institutions du pouvoir judiciaire La Cour supérieure La Cour d’appel La Cour du Québec

LES TROIS RÉSEAUX DE L’ÉDUCATION

Le réseau de l’enseignement obligatoire Établissements privés (276) Écoles gouvernementales (4) Commissions scolaires (72) gérant 2 766 écoles publiques primaires et secondaires Le réseau collégial Cégeps (48) Établissements privés (60) Écoles gouvernementales (11) Le réseau universitaire Organismes (19) (1 université publique et ses 10 constitutantes, 8 universités privées)

Les organismes de la sécurité publique Sûreté du Québec Corps de police autochtones (31) Corps de police municipaux (35)

1. De juridiction fédérale et en conformité avec la Convention de la Baie-James et du Nord québécois et de la Convention du Nord-Est québécois. Source : L’Observatoire de l’administration publique, d’après Gélinas (2003) – ENAP, octobre 2009.

Les institutions politiques autochtones Amérindiennes¹ Conseils de bande (39) Conseils tribaux Inuite (majoritairement) Administration régionale Kativik

Les institutions objets de décentralisation politique • Municipalités locales (1 115) et arrondissements (45) • Villages nordiques (14), villages cris (8) et village naskapi (1) • 104 municipalités régionales de comté (dont 87 par lettres patentes) • 2 communautés métropolitaines • 21 Conférences régionales des élus


Le régime d’assurance parentale victime de son succès Le 1er janvier 2006, le gouvernement Charest lance un tout nouveau programme de prestations familiales : le Régime québécois d’assurance parentale (RQAP), destiné aux parents de bébés naissants et adoptés. La mise en place du RQAP en 2006 répond à deux besoins : relancer la natalité dans une société vieillissante et adapter le marché du travail à de nouvelles réalités sociales. Les femmes, en moyenne plus scolarisées que les hommes, constituent désormais près de la moitié de la main­d’œuvre (46 % en 2000 contre 36 % en 1976). On constate également que les pères souhaitent s’impliquer davantage dans l’éducation de leurs enfants. La solution que le gouvernement québécois adopte pour allier à la fois développe­ ment économique et fécondité est de mettre en place un nouveau système de presta­ tions familiales : grâce à des indemnités plus longues et plus généreuses, le RQAP assure une plus grande sécurité financière aux nouveaux parents tout en leur permet­ tant de concilier travail et famille. Le régime concerne désormais tous les travailleurs, qu’ils soient salariés ou à leur compte. Enfin, avec l’instauration d’un congé de pater­ nité de cinq semaines, il permet aux nouveaux pères de s’impliquer davantage auprès de leur nouveau­né. Ce programme provincial, plus généreux que le programme fédéral qu’il remplace, connaît un succès immédiat. Sous l’effet conjugué de données sociodémographiques et de la mise en place du RQAP, on assiste à un véritable baby­boom : de 76 250 nais­ sances en 2005, on passe à 81 962 en 2006, à 84 453 en 2007 et à 87 600 en 2008, soit une augmentation de près de 15 % en 4 ans. Ces chiffres dépassent les prévisions gouvernementales et mettent en péril la pérennité du Régime québécois d’assurance parentale. Le RQAP est conçu comme un système d’assurances autofinancé par les cotisations des salariés, des employeurs et des travailleurs autonomes. Lors du lancement du pro­ gramme, son coût est estimé à 800 millions de dollars par an. Or, pour la seule année 2008, il atteint 1,6 milliard de dollars. Cette année­là, le gouvernement prévoit initiale­ ment indemniser 111 000 parents, mais ce chiffre s’élève au final à plus de 121 000 per­ sonnes. Le nombre de pères bénéficiaires, en particulier, a été sous­évalué dans les calculs prévisionnels : ceux­ci sont de plus en plus nombreux à vouloir profiter de leurs congés de paternité. Dernier facteur à prendre en compte : le ralentissement écono­ mique. Avec la récession, le montant global des cotisations diminue. Dans ces condi­ tions, comment assurer la pérennité du régime ? Pour le maintenir à flot, la formule retenue consiste en premier lieu à augmenter les cotisations : elles ont été augmentées de 8 % en janvier 2007, de 7,5 % en 2008 et 2009, et le seront de nouveau en 2010. Le gouvernement s’est par ailleurs engagé à renflouer les caisses du régime en y injectant 300 millions de dollars supplémentaires. Il souhaite également obtenir du fédéral un transfert des cotisations de l’assurance­emploi. Léonore Pion

276


partenariats public-privé : chronique d’un échec christian bordeleau Doctorant, School of Public Policy and Administration, Carleton University

avec l’élection du parti libéral en 2003 et de son chef Jean charest, une nouvelle vague de réformes managériales de l’administration publique est venue s’échoir sur le Québec. ce qui était alors baptisé « réingénierie de l’état québécois » se présentait « sous forme de solution technique à des problèmes qui sont souvent politiques1 ». or, en cherchant à dépolitiser les processus de réalisation de projets au nom de l’efficience, le processus réduit les logiques démocratiques à de simples ententes contractuelles.

En voulant rapprocher les pratiques étatiques de celles d’une entreprise privée – en octroyant, par exemple, la conception, la planification, la communication et la réalisation de projets à des consortiums d’entreprises privées – et en diminuant les capacités d’action de l’administration publique québécoise, le gouvernement libéral de Jean Charest a tranquillement miné les fondations de l’administration publique. L’élan idéologique des libéraux s’est matérialisé en 2005 à travers le projet de loi 61 visant la création de l’Agence des partenariats public-privé du Québec. Il

s’agit d’une structure très limitée – elle n’emploie que six personnes – et qui ne comporte pas les éléments de contrevérification, de surveillance et de contrôle devant être présents au sein de structures administratives publiques dédiées à la gestion et à l’octroi d’enveloppes budgétaires colossales – ce que fait l’Agence en attribuant des concessions à des partenaires privés. Son conseil d’administration fait une large place aux acteurs issus du monde des affaires et à des individus partisans des PPP2, tant et si bien qu’elle a, au cours des dernières années, perdu beaucoup 277


L’état du Québec 2010

de crédibilité auprès des acteurs sociaux, qui la perçoivent comme un lieu de légitimation de décisions arbitraires prises en amont par le gouvernement. Et pour cause. Le gouvernement Charest a dû abandonner le 22 octobre 2009 le « fer de lance de sa réingénierie de l’État québécois3 »; l’Agence des PPP est mise au rancart en raison de son discrédit, et Infrastructure Québec est créé pour coordonner les futurs projets publics et, comme le dit Jean-Marc Salvet du journal Le Soleil, « ratissera plus large que la moribonde agence ». Le gouvernement a ainsi devancé d’un mois le rapport du vérificateur général du Québec, Renaud Lachance, sur les manipulations comptables dans les études commandées à des firmes de management par l’Agence pour favoriser le choix du mode PPP pour la construction du CHUM. Encaissant des millions pour leurs services, ces firmes « n’ont pas agi comme des experts indépendants ayant pour objectif de critiquer et de remettre en question les hypothèses posées par PPP Québec, qui les recrutait4 », écrit Renaud Lachance.

entente avec un partenaire privé – un processus toujours complexe et dont les coûts de transaction sont exorbitants, et ce, même lorsqu’il s’agit d’un projet simple, comme c’est le cas ici. Le projet de haltes routières a débuté par un appel d’intérêt (juillet 2005), suivi d’un appel de qualification (juin 2006, dévoilé en septembre 2006), d’un nouvel appel de qualification (novembre 2006, dévoilé en janvier 2007), de l’annonce des résultats de cet appel (février 2007), d’un appel de propositions (mars 2007), de la sélection de l’entreprise Immostar inc. (janvier 2008) et, finalement, de la signature d’une entente pour construire sept haltes routières (novembre 2008). Étant donné la simplicité du projet et considérant que, aujourd’hui, il n’est toujours pas complété, la formule PPP apparaît comme complexe, lourde et peu efficace. Le projet de parachèvement de l’autoroute 25 a été le deuxième projet de PPP à avoir été annoncé le 22 décembre 2005. Il consiste en la construction d’un court tronçon d’autoroute de 7,2 km devant enjamber la rivière des Prairies. Deux ans plus tard, le 24 septembre 2007, une Les ppp dans le domaine entente a été conclue avec le consortium des transports Concession A25 pour une livraison du En matière de transports, le premier pont deux ans plus tard. Or, depuis le projet de l’Agence a été celui des « haltes 16 novembre 2007, aucune autre routières », annoncé à la hâte le 22 juin annonce n’a été faite, et les travaux ne 2005 pour lancer la composante PPP de sont pas très avancés. Jusqu’à présent, la réingénierie de l’État. Ce projet est ce sont donc quatre années qui ont été particulièrement intéressant, car il met consacrées à un processus de nature en évidence le processus menant à une purement contractuelle rigide qui ne 278


Administration publique

s’harmonise pas avec les préoccupations démocratiques exprimées par le biais des institutions administratives et judiciaires. Le 5 novembre 2006, le gouvernement annonçait le lancement de l’appel de qualification du troisième projet de PPP en matière de transports, cette fois dans le cadre du parachèvement de l’autoroute 30. Il s’agit d’un projet visant à relier Châteauguay et VaudreuilDorion, dans le but premier de terminer la ceinture autoroutière de la région périurbaine sud de Montréal. Après un processus de plus de deux années, une entente a été conclue à l’automne 2008 avec le consortium Nouvelle A30. Depuis, aucune annonce n’a été faite, mais si l’échéancier est respecté (livraison en décembre 2012), il aura fallu 6 ans pour construire environ 50 km d’autoroute. Finalement, à Montréal, l’échangeur Turcot devait initialement être reconstruit selon la formule PPP, tel qu’annoncé le 31 octobre 2008. Il s’agissait d’un projet de plus de 1,5 milliard de dollars. Mais, le 24 juillet 2009, le gouvernement a décidé d’abandonner l’idée de PPP – nous reviendrons sur cette décision.

(CHUM), de Centre universitaire de santé McGill (CUSM), de centre d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) en Montérégie (SaintLambert), de Centre hospitalier universitaire de Québec (CHUQ) et de Centre de recherche du CHUM (CRCHUM). Depuis 2006, le processus concernant le CHUM piétine, et les acteurs impliqués ont dénoncé – à la quasiunanimité – le recours à la formule PPP. Au 30 mars 2009, le processus en était encore au lancement de l’appel de proposition. En ce qui concerne le projet CRCHUM, après trois années de processus contractuels, les propositions techniques ont été déposées le 10 juillet 2009. Le PPP du CHUQ a été annoncé le 30 juillet 2008 et, depuis « l’appel de manifestation d’intérêt », l’Agence des PPP n’a rapporté aucun changement au dossier. Finalement, le PPP CUSM, annoncé le 7 avril 2006, aura nécessité deux années et demie de processus contractuels pour que l’appel de propositions soit lancé. Le seul PPP mis en branle dans le secteur de la santé est le projet CHSLD – Montérégie (Saint-Lambert) qui consiste en l’achat, par le gouvernement, de 200 places d’hébergement. Un processus contractuel de trois années aura Les ppp en santé et en culture été nécessaire pour que la construction On trouve également des projets de PPP de cette simple bâtisse soit entreprise. dans le secteur de la santé et de la En ce qui a trait à la culture, le PPP culture. Sans pouvoir les détailler tous OSM visant la création d’une salle de ici, nommons les projets de Centre concert acoustique pour l’Orchestre hospitalier de l’Université de Montréal symphonique de Montréal (OSM) est le 279


L’état du Québec 2010

Des employés du CHUM et du CUSM manifestent contre la formule du PPP en septembre 2009.

seul de ce secteur. Ici encore, trois années auront été nécessaires pour donner le coup d’envoi des travaux de l’Adresse symphonique.

plication de la formule PPP à l’échangeur Turcot, « étant donné que c’est un dossier très complexe, avec beaucoup de partenaires ». L’échec de la formule PPP a mis en exergue la fragilité de ces L’échangeur turcot contrats. L’analyse du cas de l’échangeur et les écueils de la formule ppp Turcot permet d’en mettre les problèL’année 2009 aura permis de rendre mes en évidence. tangibles les différents écueils de la Le gouvernement et l’Agence des PPP formule PPP en matière de réalisation ont toujours affirmé que la formule PPP de projets publics au Québec. Plus par- permettrait de faire des économies. ticulièrement, les projets CHUM et Dans le cas de la rénovation de l’échanTurcot ont défrayé la chronique à main- geur Turcot, les chiffres avancés en tes reprises et ont alimenté les sections novembre 2008 étaient de 100 millions réservées aux idées dans les journaux de dollars. Mais tout porte à croire que nationaux. Ainsi, après plus d’un an de ceux-ci sont biaisés en raison des techcontestations et d’avis défavorables, la niques utilisées, identiques à celles ministre des Transports, Julie Boulet, a employées pour évaluer la construction finalement répudié publiquement l’ap- du CHUM, que le vérificateur a jugé 280


Administration publique

non conformes aux pratiques généralement reconnues. L’appel de qualification était prévu pour juin 2009. Le choix de la formule PPP a été soutenu de nouveau par un rapport de la firme PricewaterhouseCoopers, qui a été sélectionnée le 7 décembre 2007 pour étayer le dossier, puis sélectionnée à nouveau le 19 mars 2009 à titre de conseiller spécialisé en processus, finance et fiscalité – la même firme qui a faussé, selon Renaud Lachance, les analyses présentées par l’Agence des PPP dans le dossier du PPP CHUM. L’Agence des PPP a par ailleurs retenu les services de la firme d’avocats Fasken Martineau à titre de conseiller juridique afin de gérer les nombreux intervenants lors des audiences publiques tenues au mois de juin 2009. L’utilisation des firmes d’avocat est importante et généralisée, et ce, dans tous les PPP. Les cabinets d’avocats raffolent des PPP parce qu’ils sont lucratifs. Le journaliste René Lewandowski, spécialiste des activités juridiques des grandes firmes, parle de « dossiers lourds et complexes qui génèrent des milliers d’heures facturables. Stikeman Elliott a ainsi facturé environ 5 000 heures pour le PPP de l’autoroute 255 » – à des taux moyens de 600 $ de l’heure, par exemple. En effet, que ce soit Turcot, A-25, A-30 ou le CHUM, « parce qu’il s’agit de contrats à long terme (entre 25 et 35 ans, généralement), les PPP deviennent pour les cabinets une source de revenus réguliers et quasi récurrents pour de longues

années ». Ce sont des vaches à lait, car une fois le contrat signé, « il y a toujours de l’activité juridique qui revient chaque année ». Ces montants représentent des pertes pures pour les citoyens. Se dégagent de cette chronologie quatre éléments importants. Premièrement, le recours, à grands frais, à la firme de management PricewaterhouseCoopers à titre de conseiller spécialisé dans le cadre du projet du complexe Turcot pour la production d’un rapport qui devait légitimer une direction idéologique a constitué une grave erreur. Le rapport de ces comptables en management a fait l’objet de vives attaques en raison des recommandations et des conclusions qu’il contenait quant à la sécurité routière; étonnamment, la « firme de comptables analysait dans son rapport les « lacunes géométriques » de l’échangeur Turcot, établissant même une causalité avec le taux d’accidents6 ». Cela a causé une panique parmi les usagers, et le rapport – et ses conclusions – a été jugé inopportun par tous. La ministre des Transports, Julie Boulet, a dû convoquer une conférence de presse pour le rejeter en affirmant « qu’il s’agissait d’un simple rapport de comptables ». Le 24 juillet 2009, lors de l’annonce officielle de l’abandon du PPP, la ministre Boulet avouait candidement que le rapport « avait été fait au départ pour démontrer que le PPP avait une plus-value de 100 millions de dollars ». Grâce au rapport du vérificateur général du Québec, nous 281


L’état du Québec 2010

savons maintenant que ces montants ont été créés de toutes pièces grâce à l’utilisation de taux surévalués et d’omissions volontaires. Deuxièmement, la crise financière a eu pour effet de diminuer les liquidités disponibles, et les institutions financières n’étaient plus disposées à prêter des sommes colossales à faibles taux7. Troisièmement, en plein été 2009, un autre morceau de béton s’est détaché de l’échangeur Turcot et a gravement blessé un travailleur en s’écrasant au sol. Cet événement, combiné aux multiples fermetures d’urgence des voies, met en évidence le fait que cette structure, tout comme d’ailleurs le projet de la reconstruire selon la formule des PPP, est condamnée. Finalement, la réticence des acteurs sociaux, des résidants du quartier SaintHenri et même de la Ville de Montréal a été sous-estimée dès le départ. En effet, un rapport de comptables ne peut renseigner sur la nature des problèmes politiques, sociaux et moraux pouvant être rencontrés en cours de réalisation de projet. Pour éviter des écueils semblables, le gouvernement gagnerait à rééquilibrer les sources de son expertise en réduisant le rôle des comptables, des ingénieurs et des économistes en provenance de firmes ayant des intérêts financiers dans les projets qu’ils analysent. En consultant au sein de ses universités des experts

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réellement indépendants – des sociologues, des politologues, des spécialistes de l’administration et des politiques publiques, etc. – avant de s’engager dans des projets d’envergure, le gouvernement et, corollairement, les citoyens, obtiendraient une vision plus réelle, plus sociale, moins idéologique et moins liée à l’intérêt de quelques promoteurs. Notes

1. Rouillard, Christian, et autres, La réingénierie de l’État : vers un appauvrissement de la gouvernance québécoise, Québec, Presses de l’Université Laval, 2004, p. 181. 2. À titre d’exemple, l’administrateur Marcel Boyer était, jusqu’à tout récemment, vice-président et économiste en chef de l’Institut économique de Montréal, qui prône la marchandisation complète des services publics. Et l’ancien p.-d.g. de l’agence, Pierre Lefebvre, travaillait auparavant au sein de la firme PricewaterhouseCoopers, citée à plusieurs reprises dans cet article. 3. Salvet, Jean-Marc, « Et voici Infrastructure Québec », Le Soleil, 22 octobre 2009. 4. Voir vol. 2, chap. 5 du rapport déposé à l’Assemblée nationale, le 18 novembre 2009. 5. Lewandowski, René, « Partenariat publicprivé payant pour Stikeman Elliot », La Presse Affaires, 15 novembre 2007. 6. Ibid. 7. Cela a été le cas pour le PPP Turcot. Mais dans le cadre du PPP CHUM, le gouvernement Charest a décidé, à la fin du mois de novembre 2009, de garantir 45 % des coûts en avançant l’argent aux firmes privées, ce qui a provoqué une sortie publique de l’Association des économistes québécois : « Là, on paie une bonne partie de l’immeuble durant sa construction. L’avantage tant vanté est disparu ! » À lire dans Ariane Lacoursière et André Noël, « CHUM : la facture augmente de 8 millions », La Presse, édition du 27 novembre 2009.


Santé 284

La santé en quelques statistiques

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Le ministre dans l’eau bouillante

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Médias et santé publique : stratégies de communication par temps de crise

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La santé en quelques statistiques* En 2005, 23 % de la population québécoise de 15 ans et plus s’estime en excellente santé, ce qui est légèrement supérieur à la proportion observée en Ontario et au Canada (22 %). Cette proportion n’a pas varié depuis 2003, année qui marquait une diminution par rapport à 2000-2001 (28 %). Même si elle est passée de 27 % en 2003 à 25 % en 2005, la proportion de fumeurs chez les 15 ans et plus est plus élevée au Québec qu’en Ontario (22 %) et qu’au Canada (23 %). Dans l’ensemble, les femmes sont proportionnellement moins nombreuses à fumer que les hommes (24 % contre 27 %). La différence selon le sexe s’estompe chez les moins de 45 ans pour les personnes n’ayant jamais fumé ou ayant cessé de fumer. La proportion de buveurs parmi les 15 ans et plus, qui avait augmenté de 2000-2001 (83 %) à 2003 (85 %), n’a guère varié au Québec depuis. En 2005, cette proportion (84 %) dépasse les proportions ontarienne (79 %) et canadienne (80 %). Quel que soit le groupe d’âge, elle est plus élevée chez les personnes titu* Extraits de Institut de la statistique du Québec, Données sociales du Québec, édition 2009, janvier 2009. 284

laires d’un diplôme d’études postsecondaires que chez celles qui n’ont pas terminé le secondaire. Selon l’indice utilisé au Québec, 38 % des adultes de 18 ans et plus sont suffisamment actifs dans leur pratique d’une activité physique de loisir, tandis que 24 % d’entre eux peuvent être classés parmi les « sédentaires ». Toutes proportions gardées, les jeunes (18-24 ans) sont beaucoup plus souvent classés parmi les actifs que les autres groupes d’âge, et les hommes le sont un peu plus que les femmes (40 % contre 36 %). En 2005, environ 41 % des Québécoises et Québécois de 15 ans et plus disent être en excellente santé mentale. Leur perception est un peu plus positive que celle observée en Ontario et au Canada, où cette proportion est de 38 %. Au Québec, en 2005, 26 % des personnes de 15 ans et plus éprouvent un stress élevé au quotidien, soit un peu moins qu’en 2003 (28 %). En proportion, elles sont un peu plus nombreuses dans ce cas que celles de l’Ontario ou du Canada (23 %). Par ailleurs, le stress élevé touche proportionnellement plus de gens parmi les groupes plus scolarisés de la population.


Le ministre dans l’eau bouillante pascale breton Journaliste, La Presse

c’est connu, le ministère de la Santé et des Services sociaux est de loin le plus périlleux. Dès sa première année en politique, le ministre de la Santé, le Dr yves bolduc bolduc,, l’a appris durement, lui qui a été confronté à plusieurs crises et polémiques successives : dossier du nouveau chuM, pénurie d’isotopes médicaux, erreurs d’analyse dans des tests liés au cancer du sein, le tout sur fond de pandémie de grippe a(h1n1). En juin 2008, à peine quelques heures après avoir été nommé ministre, alors qu’il n’était pas encore élu, Yves Bolduc jette un pavé dans la mare en remettant en doute la gestion de la direction du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) dans plusieurs dossiers. Il faut dire que le centre de recherche vient de perdre une subvention fédérale de 100 millions de dollars, obtenue plutôt par le Centre universitaire de santé McGill (CUSM). Moins de deux jours après les critiques ouvertes du ministre, le directeur général du CHUM, le Dr Denis Roy, remet sa démission. Il faudra attendre 11 mois, en mai 2009, pour que son successeur

soit nommé. Et encore, Christian Paire, qui a dirigé l’hôpital universitaire de Rouen, en France, n’est entré officiellement en poste qu’en septembre. Tout au long de l’année 2009, le dossier du nouveau CHUM provoque, encore une fois, bien des vagues. Le débat est d’abord relancé en septembre 2008. Pour les médecins spécialistes, rien ne va plus : ni l’emplacement ni le projet en lui-même. L’hôpital est trop petit et les médecins ne croient plus au projet, déclare le président de la Fédération des médecins spécialistes, le Dr Gaétan Barrette, lors d’une conférence de presse où il déchire la photo du futur CHUM dans un geste 285


L’état du Québec 2010

pourront aussi bénéficier de bureaux individuels. La nouvelle est annoncée à quelques jours du déclenchement des élections provinciales qui reporteront le gouvernement Charest au pouvoir. Le dossier du CHUM n’est pas réglé pour autant. Quelques semaines plus tard, c’est au tour des médecins de l’hôpital d’en critiquer les plans fonctionnels et techniques. Ce mécontentement donne lieu à bien des jeux de coulisses et se règle finalement à la satisfaction des médecins. Du moins pour l’instant. Il reste néanmoins une épine dans le pied du gouvernement : son intention initiale de construire les nouveaux mégahôpitaux selon la formule du partenariat public-privé (PPP). De nombreuses critiques, cette fois de la part Le ministre de la Santé, Yves Bolduc. d’ingénieurs et d’architectes, s’ajoutent à celles des syndicats. D’ailleurs, en juin théâtral qui illustre le sentiment des 2009, des remaniements majeurs surviennent avec le départ de la vie politimédecins. Les spécialistes accentuent la pression que de la ministre Monique Jérômedans les semaines suivantes. À tel point Forget – grande défenderesse des que le ministre Bolduc consent finale- PPP – et du président de l’Agence ment à réviser le projet. Plutôt que d’être des partenariats public-privé, Pierre rénové, comme c’était prévu, l’hôpital Lefebvre. Du coup, le gouvernement Saint-Luc sera entièrement démoli avant semble maintenant hésiter à se land’être reconstruit. Cette décision entraî- cer dans ce type d’aventure et songe à nera des délais supplémentaires, puisque revenir à un mode de construction la construction ne pourra être complétée conventionnel. avant 2018 dans le meilleur des cas. Le ministre Bolduc approuve aussi un pro- La crise des isotopes médicaux jet bonifié : le nouveau CHUM comptera Mais il n’y a pas que le dossier du nou772 lits, à la place des 700 prévus, et 39 veau CHUM qui accapare le ministre. salles d’opération, soit 9 de plus que D’autres problèmes s’accumulent. En dans les plans initiaux. Les médecins mai, la fermeture du réacteur nucléaire 286


Santé

de Chalk River, en Ontario, provoque une pénurie d’isotopes médicaux partout au pays. Fermé pour un entretien qui devait initialement durer un mois, le réacteur reste arrêté tout l’été, tout l’automne, puis tout l’hiver... Ce réacteur fournit du molybdène, un produit radioactif à partir duquel sont extraits les isotopes médicaux. Ceux-ci sont utilisés comme marqueurs lors d’examens servant notamment à détecter des cancers, des métastases, des embolies pulmonaires et des saignements. Le molybdène fourni grâce au réacteur de Chalk River permet d’effectuer 30 000 examens chaque semaine au Canada – dont 30 % au Québec – et 400 000 aux États-Unis. Comme plusieurs autres pays, le Canada doit s’approvisionner ailleurs, mais les quantités disponibles sont limitées. Comme il s’agit d’un produit qui se dégrade rapidement, les départements de médecine nucléaire doivent réaménager leurs horaires pour utiliser au maximum les isotopes lorsqu’ils sont livrés, généralement en début de semaine. Pour pallier cette pénurie, les médecins optent pour d’autres types d’examen lorsque c’est possible, notamment dans le cas de certains cancers. Le Québec a une longueur d’avance sur plusieurs autres provinces canadiennes, car, au cours des dernières années, plusieurs de ses hôpitaux ont acquis des TEP Scan, des appareils coûteux, mais qui s’avèrent une bonne solution de remplacement aux isotopes pour certains examens.

Mais les semaines passent et la pénurie d’isotopes médicaux n’est toujours pas résolue. Le personnel, qui a accumulé beaucoup d’heures supplémentaires depuis le début de la crise, commence à être essoufflé. On sait déjà que le réacteur nucléaire de Chalk River ne

Le réacteur nucléaire de chalk river reste arrêté tout l’été, tout l’automne, puis tout l’hiver... redémarrera pas avant le printemps 2010, dans le meilleur des cas. Mais il faudra en plus composer avec l’arrêt du réacteur de la Hollande, qui avait pris le relais pour fournir les pays en isotopes depuis le début de la crise. Lui aussi doit fermer pour une période de six mois en janvier 2010, le temps d’un entretien régulier. Les tests du cancer du sein et les avortements Au début de l’été, une nouvelle crise éclate dans le milieu de la santé au Québec. Une étude menée par l’Association des pathologistes du Québec révèle que des erreurs d’analyse ont été détectées dans des tests liés au cancer du sein. Il ne s’agit pas d’erreurs qui surviennent lors de diagnostics de cancer, mais plutôt au moment de déterminer quel traitement doit être préconisé. Plusieurs laboratoires de pathologie ne disposent 287


L’état du Québec 2010

Quand la grippe a(h1n1) s’en mêle… En 2009, une nouvelle menace a plané sur le milieu de la santé, mais, cette fois, le Québec était loin d’être le seul touché. Il s’agit de la pandémie de grippe A(H1N1), dont les premiers cas ont été rapportés au Mexique en avril 2009. En moins de quelques semaines, le virus s’est propagé à l’ensemble de l’Amérique du Nord, puis outre­mer. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) n’a d’ailleurs pas tardé à décréter le niveau d’alerte maximal, affirmant qu’on se trouvait en situation de pandémie mondiale. La grippe s’est avérée moins virulente que ce qui avait été envisagé au départ, lorsque les premiers décès ont été rapportés. Mais contrairement à la grippe saison­ nière, qui touche souvent les personnes âgées, le virus A(H1N1) semble se transmettre plus facilement aux enfants. Les conséquences graves, notamment les hospitalisa­ tions, surviennent surtout chez les malades chroniques, les personnes dont le système immunitaire est affaibli, les femmes enceintes et les Autochtones. Tant le fédéral que le provincial ont établi dès 2006 un plan d’intervention en cas de pandémie alors qu’on craignait la grippe aviaire. Depuis le printemps, les plans ont été ressortis, dépoussiérés et mis en application. De nouvelles directives sont mises à jour régulièrement, tant pour les écoles, les services de garde, les entreprises, les personnes à risque que les établissements de santé. La deuxième vague de grippe A(H1N1) a frappé le Québec à l’automne, au moment où les responsables de la santé publique se préparaient à lancer la plus vaste campagne de vaccination de l’histoire. Des files d’attente de plusieurs centaines de personnes se sont formées devant les centres de vaccination, surtout après qu’un adolescent ontarien en apparente bonne santé est mort de la grippe A(H1N1). Le calme est revenu peu à peu les semaines suivantes alors que l’ensemble de la population pouvait désormais se faire vacciner et qu’il a été possible de produire plus de doses du vaccin. Les responsables de la santé publique se sont fixé l’objectif de vacciner 75 à 80 % de la population afin de diminuer les risques de propagation si une troisième vague frappe le Québec, vers la fin de l’hiver.

pas d’un contrôle de qualité suffisant, ce qui entraîne les erreurs. Dans ce dossier, la gestion du ministre de la Santé s’avère chaotique. Il met d’abord en doute les résultats de l’étude, avant de convenir le lendemain que ses résultats sont « préoccupants ». Il accuse ensuite les journalistes de contribuer à semer la crainte et l’anxiété, avant de mandater un comité d’experts pour 288

analyser la question. Il annonce finalement que près de 2 000 tests effectués entre avril 2008 et juin 2009 seront repris. Quelques semaines plus tard, il se ravise de nouveau. Ce sont près de 3 000 tests qui seront analysés de nouveau. Ce sera un été difficile pour le ministre. À peine la crise liée aux tests sur le cancer du sein s’estompe qu’une nou-


Santé

velle controverse éclate, cette fois au sujet des cliniques privées qui pratiquent des avortements. Le gouvernement fait adopter un projet de loi pour encadrer la pratique des cliniques privées. Celles-ci doivent obtenir une accréditation les reconnaissant comme des centres médicaux spécialisés (CMS) avant la fin du mois de septembre afin de continuer de pratiquer certaines interventions chirurgicales. Au total, une cinquantaine d’interventions sont ciblées dans la loi, dont les interruptions volontaires de grossesse. En commission parlementaire, plusieurs intervenants préviennent le ministre qu’il devrait exempter les cliniques qui pratiquent des avortements du projet de loi : les normes sont trop contraignantes, il n’est pas nécessaire d’avoir des règles aussi strictes que dans un bloc opératoire pour pratiquer ce type d’intervention. Obliger les cliniques à s’y soumettre risquerait de compromettre l’accessibilité de l’avortement, disent-ils. Le ministre choisit tout de même d’aller de l’avant avec son projet. La controverse éclate au mois d’août, lorsque la Clinique médicale de l’Alternative annonce qu’elle devra cesser ses activités, incapable de se soumettre aux normes pour être accréditée comme un CMS. Du coup, ce sont 2 000 avortements par année qui devront être pratiqués ailleurs. Mais où ? Deux des trois autres cliniques privées de Montréal qui pratiquent des interruptions volontaires

de grossesse pourraient elles aussi devoir cesser leurs activités, reconnaît le président et directeur de l’Agence de santé et de services sociaux de Montréal, David Levine. À elles seules, elles pratiquent le tiers des 15 000 interventions faites à Montréal chaque année. Les fédérations de médecins et des groupes de femmes montent aux barricades. Ils accusent le gouvernement de chercher à limiter l’accès à l’avortement et de vouloir ramener les interventions dans les hôpitaux. Une nouvelle fois, le ministre de la Santé se retrouve dans l’eau bouillante. Il multiplie les interventions publiques contradictoires, disant une chose et son contraire, ce qui ne rassure en rien la population. Il demande finalement un nouvel avis au Collège des médecins afin d’éclairer sa décision. L’avis du Collège ne saurait être plus clair. Il n’y a pas lieu de pratiquer des avortements dans des lieux aussi stériles que les blocs opératoires. Le sujet est clos. La clinique de l’Alternative compte rester ouverte. Mais cette controverse qui n’aurait jamais dû avoir lieu fait perdre de nouvelles plumes au ministre Bolduc. Une année difficile, donc, mais qui n’est pas finie. Les négociations en vue du renouvellement des conventions collectives dans le réseau de la santé au printemps 2010 risquent d’entraîner d’autres crises et d’autres prises de bec. Les prochains mois seront chauds.

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Médias et santé publique : stratégies de communication par temps de crise anne-Marie Denault Assistante de recherche, Groupe de recherche Médias et santé, Université du Québec à Montréal (UQAM)

La grippe a (h1n1) a occupé une place importante dans la couvercouverture médiatique au Québec depuis l’été 2009. La communication autour de ce sujet de santé publique est-elle trop alarmiste ? La question se pose avec d’autant plus d’acuité que d’autres enjeux de santé publique ne sont pas traités. Se pose également la quesquestion du rôle des nouvelles technologies de l’information, qui participent désormais à la construction de l’image collective des maladies émergentes. émergentes. Les instances gouvernementales doivent s’ajuster à cette nouvelle réalité.

Le 19 juin 2009, l’alerte concernant la pandémie de grippe A (H1N1) était donnée1. Son ampleur a été plusieurs fois comparée à celle de la grippe espagnole, qui a fait 20 millions de morts dans les années 1918-1919. Or, à la mi-octobre, seuls 4 735 décès2 étaient répertoriés au niveau mondial, dont 27 cas au Québec3. Pour faire face au risque 290

sanitaire, le gouvernement du Québec a commandé plus de 11,5 millions de doses du vaccin et conseille à tous de se faire vacciner. Le message a été bien entendu, mais le gouvernement fait face à un nouveau défi de communication : convaincre la population d’aller de l’avant avec la vaccination tandis que certains experts s’interrogent sur ses risques et


Santé

sa pertinence, entraînant de fortes réti- toujours pas vu le jour a ainsi eu pour cences chez les citoyens. effet, selon Pierre Bérubé, professeur en gestion de crise et risque majeur et cherune médiatique maladie cheur à la Chaire de relations publiques Comme le souligne Dominique Breton, et communications marketing de responsable des communications au l’UQAM, de diminuer l’intérêt sociétal ministère de la Santé et des Services pour la pandémie. sociaux du Québec, nous sommes dans Stéphane Perron, médecin spécialiste une ère d’information-spectacle. La à la Direction de la santé publique de pandémie figure parmi ces situations Montréal, souligne que les communicapouvant « faire la nouvelle » et dont tions concernant la santé peuvent avoir raffolent les médias. D’ailleurs, la santé un impact positif lorsqu’elles jouent un figure généralement parmi les sujets qui rôle de sensibilisation, permettant aux se vendent bien : « L’information concer- individus de prendre en charge leur nant la santé est un objet d’importance santé et de s’impliquer dans les enjeux pour les médias, car c’est un sujet qui touchant leur communauté. Plusieurs touche la totalité de la population. » Le problèmes de santé émergents, très peu traitement médiatique de l’information médiatisés, mériteraient d’ailleurs selon dans les situations de crise est d’ailleurs lui une couverture médiatique accrue. souvent alarmiste, spécialement en ce C’est le cas, notamment, du problème qui concerne les risques de santé5, ce qui des punaises de lit, un insecte qui infeste peut avoir deux effets : semer la panique les logements, piquant leurs habitants au sein de la population ou, au contraire, pour se nourrir de leur sang pendant la entraîner un désintérêt lorsque la crise nuit (souvent en grappe et surtout sur les annoncée ne se produit pas. Or, précise bras). À Montréal, ce problème a rapideDominique Breton, « l’objectif du gou- ment pris de l’ampleur. « Les stratégies vernement est de tenter de calmer la de contrôle sont actuellement sous-optipopulation québécoise. […] Il n’y a pas males », explique le Dr Perron. Ce fléau lieu d’instaurer un affolement général à a par ailleurs d’autres conséquences : ce sujet ; il suffit simplement d’éveiller une augmentation de l’anxiété et de l’inla conscience sociale face aux moyens somnie, en raison de l’isolement social de prévention pour être en mesure de des personnes dont les logements sont diminuer la propagation. » infestés, et un stress important lié à l’irLes communications entourant les ritation résultant des piqûres. La comrisques associés aux grippes sont sou- munication médiatique autour de cet vent contradictoires. Le fait d’avoir enjeu de santé publique pourrait alarmé la population quant à l’immi- convaincre les propriétaires de logenence d’une crise d’envergure qui n’a ments infestés de prendre des mesures 291


L’état du Québec 2010

de transport pourrait contribuer à réduire les problèmes de santé liés à l’obésité, au diabète et aux traumas routiers. Autrement dit, une vision plus représentative des enjeux actuels de santé dans les médias permettrait aux individus de prendre leur santé en charge plus adéquatement, en modifiant leur comportement et, surtout, en se mobilisant pour pousser les élus à mettre en place les actions nécessaires.

La grippe A (H1N1) a occupé une place importante dans la couverture médiatique au Québec dès l’été 2009.

appropriées pour prévenir ou traiter le problème de manière efficace. Des dépliants ont été produits par les autorités de santé publique, mais cette information n’est pas régulièrement reprise par les médias et les groupes communautaires, car l’enjeu n’est pas nouveau. De ce fait, il est moins attrayant. Un traitement médiatique des problèmes d’asthme causés, entre autres, par le manque d’entretien du parc immobilier – ce qui entraîne des dégâts d’eau qui favorisent la prolifération de moisissures dans les logements – serait aussi nécessaire. De même, un réaménagement de l’espace urbain et des réseaux 292

Les ntic, nouvelles stratégies Ainsi, l’impact de la couverture médiatique sur la santé des populations est très important. Mais avec le développement des médias sociaux tels Facebook, YouTube, Twitter et les blogues, les stratégies de communication dans les situations à risque ont été grandement modifiées. Ces nouveaux médias permettent à tout un chacun de produire, de diffuser et de réagir rapidement à des informations. La montée en popularité des réseaux sociaux montre qu’une part non négligeable de la population québécoise s’informe sur Internet par le biais de ces échanges avec des pairs. Les individus ont ainsi accès à un nombre impressionnant de ressources pour se forger une opinion à propos de différents sujets d’actualité. Aussi les instances publiques doivent-elles mettre les bouchées doubles pour centraliser et uniformiser les messages concernant les risques de maladies émergentes. Prenons l’exemple de cette campagne de vaccination massive : très controversé


Santé

au sein de la population québécoise, le sujet a été largement discuté sur le Web. Le 1er octobre 2009, un communiqué publié sur le site Internet du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI) était titré ainsi : « Vaccination H1N1 : méfiance des infirmières5. » L’objectif de ce texte était entre autres d’alerter la population sur les dangers de développer une maladie neurologique à la suite de l’injection d’un vaccin contenant des adjuvants, ceux-ci pouvant augmenter les risques de contracter le syndrome de Guillain-Barré. Plusieurs arguments véhiculés sur Internet vont ainsi à l’encontre de la proposition du gouvernement. Ceux-ci soulignent, par exemple, l’immunité juridique dont bénéficient les compagnies pharmaceutiques compte tenu de l’urgence de produire des vaccins ou accusent ces compagnies privées de contribuer au discours alarmiste entourant la pandémie pour maximiser leur profit. On décrie également les motifs de relance économique derrière la mise en place de cette campagne de vaccination massive. Au Centre de coordination des mesures d’urgence de Montréal, Myriam Fernet, agente de recherche du Centre de sécurité civile, affirme que les médias sociaux peuvent grandement complexifier la communication auprès du public, car la population peut recevoir de l’information – par exemple le nombre de cas de grippe – en même temps que les instances publiques. Pour s’assurer de

la véracité de l’information divulguée à la population, l’Agence de la santé et des services sociaux du Québec a dû diversifier ses moyens de communication, répéter les messages à maintes reprises et multiplier sa présence sur ces outils d’échange que sont Facebook, YouTube et Twitter. Un projet exploratoire de Gunther Eysenbach (2009), chercheur au Global eHealth Innovation Center de l’Université de Toronto, démontre que, contrairement aux croyances, les activités de microblogging via Twitter ne donnent pas naissance à de la désinformation, mais encouragent plutôt le transfert de connaissances provenant de sources fiables concernant la situation pandémique. Son analyse du contenu des messages montre que seul 1,75 % de ceux-ci contenait un élément de désinformation. De plus, compte tenu de leur rôle de relais de l’information, ces médias sont devenus incontournables. Aussi les organismes de santé publique, tels Santé Canada, l’OMS et le Center for Disease Control aux États-Unis sont-ils de plus en plus actifs sur Twitter, diffusant quotidiennement des informations officielles, données qui sont par la suite partagées entre les individus à une vitesse fulgurante. En termes d’alerte, les médias sociaux constituent en effet des moyens efficaces pour rejoindre une partie des citoyens qui deviennent euxmêmes des relais d’information. Selon le professeur en gestion de crise et risque majeur Pierre Bérubé, les 293


L’état du Québec 2010

médias sociaux peuvent ainsi participer efficacement à une meilleure gestion des alertes à la population et au bon déroulement des événements dans des situations de pandémie. De nouvelles stratégies seraient d’ailleurs à développer. Par exemple, chaque individu pourrait faire usage de la fonction « statut » disponible sur Facebook pour informer la totalité de son réseau de connaissances de son

Les médias sociaux constituent des moyens efficaces pour rejoindre des citoyens qui à leur tour relaient l’information.

À l’ère du développement des médias sociaux, la gestion des communications concernant la santé est ainsi devenue très complexe. Par ailleurs, pour conserver la confiance de la population, les instances publiques doivent faire preuve d’une grande transparence. Avec l’arrivée des nouveaux médias, la responsabilité communicationnelle devient collective, et les Québécois – comme les habitants du reste de la planète – seront ainsi de plus en plus amenés à participer au relais d’information. Malgré les risques de désinformation entourant certains sujets, les individus disposent ainsi de beaucoup plus d’options pour se forger une opinion critique face à des réalités qui touchent directement leur santé.

état de santé. Car si le téléphone permet de contacter un individu à la fois, les notes nouveaux médias favorisent des con- 1. Organisation mondiale de la santé, tacts simultanés avec de multiples per- « Phase OMS d’alerte à la pandémie actuellement sonnes. En outre, étant donné que l’iso- en vigueur », Phase d’alerte dans le cadre du plan lement est recommandé pour une mondial OMS de préparation à une pandémie de grippe, document d’orientation de l’OMS, personne infectée, les nouveaux médias Genève, 2009, 51 p. En ligne : www.who.int/csr/ pourraient être utilisés pour permettre disease/avian_influenza/phase/fr/index.html aux individus de garder contact avec 2. www.who.int/csr/don/2009_10_16/en/index. leur réseau social malgré le retrait social html 3. Agence de la santé publique du Canada, imposé. Un bémol demeure : lorsque les « Décès associés à la grippe A (H1N1) au Canada », informations qui circulent ne sont pas mise à jour du 22 octobre 2009. En ligne : www. véridiques, l’utilisation des médias phac-aspc.gc.ca/alert-alerte/h1n1/surveillancesociaux en période de crise ne présente fra.php 4. Bomlitz, Larisa J., « Misrepresentation of pas que des bénéfices. La rapidité de health risks by mass media », Journal of Public circulation de l’information peut deve- Health, vol. 30 no 2, 2008, p. 202-204. nir problématique si les informations en 5. www.syndicat-infirmier.com/VaccinationH1N1-mefiance-des.html question ne sont pas valides. 294


Éducation 296

L’éducation en quelques statistiques

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Une année sous le signe du décrochage

304

Une décennie de Palmarès : entre public et privé, l’écart se creuse

306

NTI : l’école québécoise doit agir

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L’éducation en quelques statistiques* Entre 1990 et 2006, la proportion des titulaires d’un diplôme universitaire s’est accrue d’environ 7 points chez les hommes et d’environ 9,5 points chez les femmes tant au Québec, en Ontario, qu’au Canada. C’est pourquoi le Québec n’a pas réduit l’écart avec l’Ontario et le Canada. La proportion des titulaires d’un baccalauréat demeure inférieure au Québec à celles de l’Ontario et du Canada. En 2006, le Québec compte 17,7 % de bacheliers et 17,2 % de bachelières et l’Ontario, 21,9 % et 20,6 % respectivement. En 2006, la proportion des hommes et des femmes de 25 à 34 ans qui n’ont pas terminé leurs études secondaires est sensiblement plus élevée au Québec qu’en Ontario et qu’au Canada. Les compétences en littératie augmentent progressivement d’un niveau de scolarité à l’autre, si bien que, parmi les personnes les plus scolarisées, soit celles qui ont un diplôme d’études universitaires, plus de 7 personnes sur 10 affichent, tant en compréhension de * Extraits de Institut de la statistiques du Québec, Données sociales du Québec, édition 2009, janvier 2009. 296

textes suivis qu’en numératie, des compétences qui leur permettent de participer pleinement à la société actuelle. Entre 1976 et 2006, la fréquentation scolaire des 15-19 ans s’accroît au Québec d’environ 20 points contre près de 14 points en Ontario. Durant ces 30 années, la fréquentation scolaire des adolescents québécois s’est considérablement rapprochée de celle des Ontariens. En 2006, la fréquentation scolaire des femmes de 20 à 24 ans atteint environ 47 % et celle des jeunes hommes, environ 39 %, tant au Québec qu’en Ontario. Au cours de ces trois décennies, le taux de fréquentation scolaire des Québécois de 20 à 24 ans a rejoint celui des Ontariens. Pour presque tous les niveaux d’études, le taux de fréquentation des femmes dépasse celui des hommes. En 20052006, le taux d’accès des filles en 5e secondaire est beaucoup plus élevé que celui des garçons, soit 82,0 % comparativement à 69,9 %. À la formation collégiale, le taux des femmes atteint 42,4 % et celui des hommes, 28,9 %. L’écart entre les sexes tend à croître à la formation préuniversitaire comme à la formation technique. Par exemple, en


Éducation

1975-1976, à la formation technique du collégial, l’écart entre le taux d’obtention du diplôme des hommes (5,5 %) et celui des femmes (9,5 %) est de 4 points, tandis qu’en 2005-2006, il atteint 8 points, soit 10,7 % et 18,7 % respectivement. À l’université, entre 1975-1976 et 20052006, le taux d’obtention du baccalauréat a plus que doublé, passant de 14,9 % à 31,4 %. À partir du milieu des années 80, la proportion des femmes (19,9 %) qui terminent avec succès le premier cycle universitaire dépasse celle des hommes (18,1 %). Par la suite, l’écart entre les hommes et les femmes s’élargit et atteint 16 points en 2005-2006, soit 23,6 % chez les hommes et 39,6 % chez les femmes. L’âge module la participation au marché du travail. Ainsi, parmi les 25-54 ans, le taux d’activité des diplômés universitaires se maintient chez les hommes et les femmes à près de 90 %. Quant au taux d’activité des personnes qui ont moins de neuf années de scolarité, il se situe à plus de 60 % chez les hommes et à moins de 60 % chez les femmes. Sur le marché du travail, les titulaires d’une maîtrise tirent mieux leur épingle du jeu que les bacheliers. En janvier 2007, parmi les titulaires d’une maîtrise et ceux d’un baccalauréat de la promotion de 2005, 75,2 % et 69,7 % respectivement occupent un emploi. Au début de 2007, parmi la promotion de 2005-2006, le taux de chômage

est plus élevé chez les personnes diplômées du secondaire (près de 10 %) que chez celles qui obtiennent un diplôme d’études collégiales ou universitaires (près de 4 %). Entre 1997 et 2002, le taux de participation des personnes de 25 ans et plus à

en 30 ans, le taux d’obtention du baccalauréat a plus que doublé, passant de 14,9 % à 31,4 %. l’éducation et à la formation des adultes, toutes catégories confondues, a plus augmenté au Québec (de 20,3 % à 31,9 %) qu’en Ontario (de 29,1 % à 29,7 %) et qu’au Canada (de 26,5 % à 31,4 %). La hausse est marquée pour les activités de formation liées à l’emploi comme pour celles qui se rapportent aux intérêts personnels. Les femmes affichent un taux de participation à des activités de formation liées à l’emploi généralement plus élevé que celui des hommes. En 2002, entre 25 et 34 ans, il atteint 51,0 % chez les femmes et 45,5 % chez les hommes et, entre 45 et 54 ans, 35,7 % et 29,4 % respectivement. La participation à des activités de formation liées à l’emploi s’élève d’un niveau de scolarité à l’autre, ainsi qu’avec le revenu.

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une année sous le signe du décrochage Daphnée Dion-viens Journaliste, Le Soleil

L’année 2008-2009 est marquée par une mobilisation sans précéprécé dent visant à contrer le décrochage scolaire au Québec. pour une rare fois, la prise de conscience émerge d’abord de la société civile, civile, poussant le gouvernement à agir. Dans les écoles primaires et secondaires,, des modifications sont aussi apportées à la réforme secondaires alors que l’opposition s’organise dans les établissements postsecondaires contre les projets de loi 38 et 44 qui modifient les mécanismes de gouvernance des cégeps et des universités.

Depuis des années, la société québécoise doit composer avec une réalité qui mine son potentiel social et économique : au Québec, près d’un jeune sur trois (29 %) quitte l’école publique sans diplôme. Le constat est encore plus troublant chez les garçons : 35 % décrochent, selon les chiffres du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS). Malgré ces statistiques alarmantes, la lutte à l’abandon scolaire fait du surplace depuis des années, le taux de décrochage étant demeuré relativement stable depuis 15 ans. Or, au cours de l’année 2008-2009, une mobilisation 298

citoyenne permet de braquer les projecteurs sur le problème et d’en faire un enjeu rassembleur. Automne 2008. Jacques Ménard, président de BMO Groupe financier Québec, décide de s’attaquer une fois pour toute à ce « fléau social », inquiet qu’il est des répercussions désastreuses du décrochage sur l’économie québécoise. M. Ménard, qui s’intéresse à cette problématique depuis des années, crée le Groupe d’action sur la persévérance et la réussite scolaires, un comité sélect formé d’une quinzaine de personnes. « L’idée, c’est de réunir les forces vives »,


Éducation

explique-t-il. La ministre de l’Éducation, Michelle Courchesne, appuie l’initiative. Ce comité est composé notamment d’Alain Veilleux, sous-ministre à l’Éducation, de Jean-Paul Beaulieu, sous-ministre aux Affaires régionales, d’André Chagnon, président de la Fondation Lucie et André Chagnon, de Michèle Thibodeau-DeGuire, pdg de Centraide, du Dr Alain Poirier, directeur national de santé publique, de même que du Dr Gilles Julien, bien connu pour son implication auprès des enfants en difficulté. Des représentants d’organisations communautaires se joignent aussi à l’équipe. Un rapport est attendu pour le début de l’année 2009. Parallèlement à cette initiative, les Journées interrégionales sur la persévérance scolaire se déroulent à la fin octobre, à Mont-Sainte-Anne. Plus de 400 personnes provenant de toutes les régions du Québec y participent. C’est une première. S’articulant autour de l’adage africain voulant qu’il faut « tout un village pour élever un enfant », l’événement vise à mobiliser les communautés pour lutter contre le décrochage scolaire, qui n’est pas seulement l’affaire de l’école. En plus des intervenants du milieu de l’éducation, on y trouve des gens d’affaires, des représentants du réseau de la santé, des intervenants jeunesse, des parents, des organismes communautaires, etc. Pendant deux jours, les participants partagent les recettes gagnantes, notamment celle du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Grâce à toute

la mobilisation de la communauté, cette région a réussi à garder davantage de jeunes sur les bancs d’école, passant il y a quelques années du neuvième au premier rang des régions du Québec pour son faible taux de décrochage.

La ministre courchesne promet de réduire de 10 % le nombre d’élèves dans toutes les classes du Québec. Début novembre, quelques jours après la tenue de ce sommet, le Québec plonge en campagne électorale. L’éducation y occupe toutefois une place peu importante dans la mesure où la campagne est surtout marquée par la crise économique. Pour augmenter la réussite des petits Québécois sur les bancs d’école, la ministre Courchesne promet de réduire de 10 % le nombre d’élèves dans toutes les classes du Québec, tant au primaire qu’au secondaire, à partir de septembre 2009. un plan contre le décrochage De son côté, le Groupe d’action sur la persévérance et la réussite scolaires dévoile ses recommandations à la mimars. Le rapport Ménard repose sur 10 pistes d’action à adopter pour en arriver à un objectif : faire passer le taux de diplomation avant 20 ans de 69 % à plus de 80 % d’ici 2020. En s’appuyant sur des modèles nord-américains qui 299


L’état du Québec 2010

Avril 2009 : les professeurs de l’UQAM en grève.

ont fait leurs preuves, le groupe de travail propose notamment de miser sur la prévention dès la petite enfance, de s’attaquer aux retards d’apprentissage au primaire, de développer des projets communautaires avec des adolescents issus de quartiers défavorisés et d’encourager la transition vers la formation professionnelle. L’opération coûterait de 35 à 65 millions de dollars par an pendant trois ans pour la réalisation de projets pilotes, puis de 140 à 240 millions par an par la suite. Pressé de répondre à ce rapport, le gouvernement Charest promet d’agir, mais sa réponse se fait attendre, et le milieu de l’éducation s’impatiente. Après avoir promis un plan d’action au printemps, la ministre Courchesne dévoile finalement le 9 septembre une stratégie gouvernementale qui épouse 300

presque en totalité les recommandations du rapport Ménard – y compris la cible du taux de diplomation de 80 % d’ici 2020. Le plan d’action repose sur « 13 voies de réussite » qui misent sur l’intervention auprès de la petite enfance, la réduction de la taille des classes au primaire, l’embauche de 200 nouveaux enseignants-ressources au secondaire et une reddition de comptes accrue entre le ministère de l’Éducation et les commissions scolaires, chacune d’entre elles devant se fixer des cibles à atteindre en matière de réussite. Ce plan d’action est doté d’un budget d’environ 160 millions de dollars par année, mais la grande majorité des mesures proposées ne s’appliqueront qu’à partir de septembre 2010. Le banquier Jacques Ménard salue le dépôt de ce plan d’action, qui est toute-


Éducation

fois tièdement accueilli dans le milieu de l’éducation. Les enseignants et les directions d’école déplorent le manque de moyens pour atteindre la cible fixée, jugée d’ailleurs trop modeste. Plusieurs se demandent tout haut pourquoi la ministre Courchesne réussirait là où tous ses prédécesseurs ont échoué. Mais cette fois-ci, la mobilisation semble vouloir s’étendre à l’extérieur du réseau scolaire et prend racine dans les communautés, qui n’ont pas attendu le gouvernement pour agir. Seul l’avenir dira si le coup de barre tant espéré deviendra réalité.

La réforme de la réforme Mais il n’y a pas que le décrochage scolaire qui a fait couler beaucoup d’encre en 2008-2009. La réforme scolaire, mise en place dans les écoles du Québec depuis 2000, continue de soulever les passions dans le milieu de l’éducation. Au cours de la dernière année, le ministère de l’Éducation poursuit le remodelage de la réforme, rebaptisée « renouveau pédagogique » en cours de route. Afin de s’assurer que les connaissances ne seront pas éclipsées au profit des compétences – un des concepts clés sur lesquels repose cette réforme

De débrayage en projet de loi grève à l’uQaM Insatisfait du déroulement des négociations avec la direction, le Syndicat des profes­ seurs de l’UQAM déclenche la grève le 16 mars 2009, après quatre jours de débrayage sporadique. Le syndicat réclame l’embauche de 300 nouveaux professeurs et des conditions salariales équivalentes à celles de leurs collègues des autres universités québécoises. Après six semaines de grève, le gouvernement Charest s’impatiente et menace de déposer une loi spéciale forçant le retour au travail des 980 professeurs. Le 24 avril, ces derniers acceptent les dernières propositions patronales, qui prévoient la création de 145 postes et des augmentations de salaire de 11 % sur trois ans. Québec verse 20 millions de dollars pour financer cette entente, puisque l’UQAM n’a pas les moyens de payer ces augmentations sans s’endetter davantage. Loi 88 La loi 88, qui modifie la Loi sur l’instruction publique, est adoptée le 28 octobre 2008. La législation prévoit de nouveaux mécanismes de reddition de comptes entre les commissions scolaires et le ministère de l’Éducation. Québec peut ainsi imposer des cibles et des objectifs à atteindre – en matière de réduction du décrochage ou de réus­ site en français par exemple – et exiger des correctifs. Pour stimuler la vie démocra­ tique scolaire, les présidents des commissions scolaires sont désormais élus au suffrage universel, et un plus grand nombre de parents siègent aux conseils des commissaires. Chaque commission scolaire doit par ailleurs nommer un protecteur de l’élève, respon­ sable de gérer les plaintes des parents. La loi 88 entre en vigueur le 1er juillet 2009. 301


L’état du Québec 2010

controversée –, le ministère de l’Éducation entreprend de réécrire les programmes afin de préciser ce que les élèves doivent apprendre chaque année. À l’automne 2008, un premier document est rendu public, détaillant les connaissances à acquérir en orthographe et en conjugaison au primaire. D’autres documents semblables sont publiés en cours d’année. Cet exercice de « hiérarchisation des savoirs » doit maintenant se poursuivre pour le secondaire. Au passage, le libellé des compétences à développer a aussi été simplifié, un exercice salué par les syndicats d’enseignants. Malgré ces changements dans les programmes, l’évaluation des connaissances ne transparaît pas encore dans les bulletins, toujours construits autour des compétences. Québec a promis de

Malgré ces changements dans les programmes, l’évaluation des connaissances ne transparaît pas encore dans les bulletins. remédier à cela au cours de l’année 2009-2010, l’évaluation représentant pour plusieurs un des derniers écueils de cette réforme, qui a subi de multiples modifications au cours des dernières années.

302

La gouvernance des universités et des cégeps Dans les cégeps et certaines universités, l’année 2008-2009 a surtout été marquée par les enjeux entourant la gouvernance, à la suite du dépôt de deux projets de loi qui ont suscité une levée de boucliers dans les établissements postsecondaires. Dans la foulée du scandale immobilier de l’UQAM, la ministre de l’Éducation, Michelle Courchesne, avait annoncé son intention d’encadrer davantage les universités afin d’éviter qu’un tel désastre financier ne se reproduise. Après avoir reçu les recommandations du Groupe de travail sur la gouvernance des universités, présidé par le professeur de HEC Montréal Jean-Marie Toulouse, Québec dépose deux projets de loi à l’automne 2008 qui meurent au feuilleton avec le déclenchement des élections provinciales, début novembre. La ministre Courchesne revient à la charge en juin 2009 en déposant les projets de loi 38 et 44, qui modifient les mécanismes de gouvernance des universités et des cégeps. Les textes, quasi identiques aux deux précédents, prévoient que les conseils d’administration des établissements postsecondaires seront composés de 60 % de membres externes et d’au moins 25 % de membres issus de la communauté universitaire et cégépienne. Pour l’instant, les conseils d’administration sont principalement composés de membres internes. Québec dit vouloir s’inspirer des « principes


Éducation

reconnus de saine gouvernance » afin d’éviter que les intérêts des groupes représentés par les membres de la communauté ne teintent le processus de décision. Les deux projets de loi prévoient par ailleurs la création de trois comités – sur les ressources humaines, sur la gouvernance et l’éthique et sur la vérification financière –, de même que de nouveaux mécanismes de reddition de comptes entre le gouvernement et les établissements d’enseignement. À l’Assemblée nationale, les consultations sur les projets de loi 38 et 44 s’amorcent en septembre 2009. À tour de rôle, les acteurs du milieu collégial et universitaire défilent pour faire entendre leur opposition. La Fédération des cégeps estime que le projet de loi 44 représente un fardeau bureaucratique inutile pour des établissements qui sont déjà très réglementés. Les étudiants et les syndicats de professeurs, dans le

milieu tant collégial qu’universitaire, dénoncent la trop grande place accordée aux membres externes dans la composition des conseils d’administration, qui menace la mission même des établissements d’enseignement, affirment-ils. Même la Conférence des recteurs et des principaux des universités québécoises (CREPUQ) ne veut pas de ce projet de loi, refusant que Québec impose un seul et même modèle de gouvernance pour l’ensemble des universités québécoises, reniant ainsi les valeurs, les traditions et la culture propres à chaque établissement. Au moment d’écrire ces lignes, la ministre de l’Éducation, Michelle Courchesne, semblait toujours aussi décidée à aller de l’avant avec ces deux projets de loi, qui viendraient modifier considérablement le modèle de gouvernance des cégeps et des universités québécois.

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une décennie de Palmarès : entre public et privé, l’écart se creuse Depuis 10 ans, l’Institut économique de Montréal (IEDM) utilise les données officielles du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec pour bâtir son bulletin des écoles secondaires, plus communément connu sous le nom de « Palmarès », publié dans L’actualité. Or, ce classement contribue à creuser l’écart entre public et privé. Les résultats de notre enquête1 indiquent que, contrairement aux thèses libérales et du libre choix selon lesquelles la concurrence entre les établissements améliore la qualité de l’éducation dispensée dans l’ensemble des établissements, la compétition accrue du privé a eu depuis 10 ans un effet négatif sur le rendement des écoles publi­ ques et creuse l’écart de performance entre les écoles des deux secteurs, en ce qui concerne tant les résultats moyens aux épreuves uniformes que les taux de réussite.

tabLeau 1

Résultats moyens et taux de réussite aux épreuves uniformes ministérielles par région/réseau, 2001 et 2007 RÉgIoNS/RÉSEAUX

Moyenne Moyenne variation 2001 2007

Taux de réussite 2001

Taux de réussite 2007

variation

Ensemble de la province total Ensemble public du Québec privé Écart entre réseaux

73,5 72,1 79,9 7,8

public privé Écart entre réseaux public Laval privé

72,8 77,5 4,7 72,6 75,7

Écart entre réseaux public Montréal privé Écart entre réseaux public Montérégie privé Écart entre réseaux

3,1 69,8 78,0 8,2 71,5 79,5 7,9

ville de Québec

304

73,2 ­0,3 85,9 71,4 ­0,7 84,0 80,4 +0,5 94,7 9,0 10,7 Régions avec forte concurrence 71,6 ­1,2 84,9 78,8 +1,3 91,8 7,2 6,9 69,5 ­3,0 82,5 79,6 +3,9 91,0 10,1 69,2 79,6 11,3 70,8 78,8 8,0

­0,6 +1,6 ­0,7 ­0,7

8,5 78,6 93,1 14,5 82,7 94,6 12,0

84,4 81,8 95,0 13,2

­1,5 ­2,2 +0,3

82,5 93,6 11,1 82,4 94,9

­2,5 +1,8

12,5 74,1 95,1 21 80,9 94,3 13,4

­0,1 +1,6 ­4,5 +2 ­1,7 ­0,3


Éducation Nous attribuons ce phénomène au déplacement des bons élèves des écoles publiques vers les écoles privées. Plus particulièrement, les écoles publiques des régions à forte concurrence – là où il y a un nombre élevé d’écoles privées – sont les plus touchées alors que les écarts entre les deux réseaux y augmentent année après année de façon significative. Cette tendance est observable, mais à un moindre degré, dans pratique­ ment toutes les régions du Québec. On peut penser que les classes moyennes, inquiètes de leur survie en contexte de mondialisation économique, utilisent le bulletin des écoles afin de mieux gérer la sco­ larisation de leurs enfants. Être un bon parent signifie ainsi assurer à son enfant la meilleure éducation disponible sur le « marché » afin que celui­ci maximise ses chances de réussite sociale, même si cela veut dire l’envoyer à l’école privée et ne pas faire preuve de solidarité citoyenne à l’égard du système public, qui accueille la diversité culturelle, sociale et de talents. Ce comportement des classes moyennes n’est pas propre au Québec : on le retrouve dans la plupart des pays occidentaux. note

1. DESJARDINS, Pierre­David, Claude LESSARD et Jean­Guy BLAIS, « Les effets prédits et observés du Bulletin des écoles secondaires du Québec », communication présentée dans le cadre du symposium international « Privatisation et marchandisation de l’éducation : l’éducation restera­t­elle un service public ? »,colloque Recherche en éducation et formation (REF), Nantes, France, 18 juin 2009.

Pierre-David Desjardins Doctorant en éducation, Département d’administration et fondements de l’éducation, Université de Montréal Jean-guy Blais Professeur titulaire, Département d’administration et fondements de l’éducation, Université de Montréal Spécialiste de la mesure et de l’évaluation en éducation Claude Lessard Professeur titulaire, Chaire de recherche sur les métiers de l’éducation, Université de Montréal

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nti : l’école québécoise doit agir vincent tanguay Vice-président Québec, Innovation et Transfert, CEFRIO

La démocratisation d’internet et sa présence croissante dans tous les environnements de travail et de loisir révolutionnent nos façons de nous informer, de traiter l’information, de communiquer, de collaborer et de créer. L’école est-elle au diapason de ses élèves ? au moment où elle doit ajuster sa façon de travailler à la réalité d’aujourd’hui, ses hésitations à intégrer le numérique dans ses pratiques en inquiètent plus d’un.

Il y a 500 ans, Gutenberg, avec l’invention de l’imprimerie, révolutionnait la diffusion du savoir. En 1985, l’arrivée de l’ordinateur personnel, suivie d’Internet en 1995, et l’apparition du numérique sous toutes ses formes sont venues modifier en profondeur les façons de s’informer, de traiter l’information, de communiquer, de collaborer et de créer de nouveaux contenus plus imaginatifs les uns que les autres. Combien de solutions – encore inimaginables il y a trois ou quatre ans – viennent aujourd’hui bouleverser l’accès au savoir et, surtout, multiplier les ressources pour construire en réseau son 306

savoir et le rendre accessible partout et en tout temps ? C’est la révolution du numérique. Le philosophe et académicien français Michel Serres rappelle que la révolution de l’imprimerie a créé la possibilité de démocratiser le savoir. Mais selon la richesse ambiante, toutes les communautés n’y ont pas accès. Par contre, le numérique rend tout le savoir accessible, même pour ceux qui habitent dans une petite communauté éloignée. La situation économique est de moins en moins une barrière, puisque la grande majorité des familles ayant un enfant à l’école ont, à la maison, un ordinateur branché


Éducation

Comme toutes les bibliothèques scolaires et municipales disposent d’une connexion Internet, il est maintenant possible pour tous de profiter des possibilités qu’offrent les outils du Web.

sur Internet haute vitesse. Et comme toutes les bibliothèques scolaires et municipales disposent elles aussi d’une telle connexion, il est maintenant possible pour tous de profiter des possibilités qu’offrent les outils du Web. Nous assistons et participons tous les jours à cette révolution. Pourtant, l’école tarde à se l’approprier.

prentissage et le développement des compétences. Certains pourtant y croient. Ceux-là multiplient les expéri-

L’école tarde à s’approprier la révolution numérique.

mentations en matière de travail collaboratif et en réseau. Ils mettent entre les expérimentations et résistances mains des élèves des portfolios électroQuinze ans après la démocratisation de niques d’apprentissage accessibles aux l’accès à Internet, une vaste majorité parents. d’enseignants s’interrogent encore sur Or, malgré les investissements imporla valeur ajoutée des technologies de tants consentis par le ministère de l’information et des communications l’Éducation, du Loisir et du Sport (TIC) pour améliorer leur pratique (MELS) ou par les commissions scolaiprofessionnelle ou pour faciliter l’ap- res, on observe encore d’importantes 307


L’état du Québec 2010

résistances au sein du corps enseignant. Cette réserve peut s’expliquer en partie par la lourdeur de la tâche dans des classes où les élèves présentent un parcours d’apprenant atypique et où il devient difficile de les placer en situation d’apprendre. Pourtant, l’ordinateur en réseau pourrait apporter des ressources supplémentaires pour permettre une pédagogique différenciée. Mais combien en sont conscients ? Des expériences intéressantes ont été menées un peu partout au Québec. Cependant, la masse critique des enseignants qui optent pour le virage numérique dans la conception d’activités d’enseignement et d’apprentissage n’est pas encore atteinte. Les expérimentations réalisées constituent des cas exceptionnels ou isolés, même si elles sont souvent très médiatisées. De plus, il manque de lieux où ces expérimentations sont rendues visibles et qui permettent à de nouveaux adeptes de participer au développement de ces projets pédagogiques. Chaque enseignant doit trop souvent réinventer la roue s’il veut s’investir dans l’intégration des technologies en classe. Et, pour ceux qui les utilisent, une question se pose : les nouvelles technologies de l’information (NTI) constituent-elles une fin en soi ou un moyen parmi d’autres d’apprendre ?

coutures. Dans l’enquête que le Centre francophone d’informatisation des organisations (CEFRIO) a menée en 2009, les jeunes ont dit souhaiter approfondir certaines questions reliées aux TIC à l’école, mais seule une minorité d’entre eux croit que la plupart des enseignants sont en mesure de les aider à acquérir les connaissances qu’ils aimeraient acquérir. Ainsi, seulement un élève ou étudiant québécois sur trois (35 %) croit qu’actuellement « la plupart » de ses enseignants « disposent des connaissances adéquates pour l’accompagner dans son apprentissage des technologies1 ». La position du MELS à ce sujet est assez neutre, car, en ce qui a trait à la pédagogie, la responsabilité revient à l’enseignant et à la direction de l’école. Voilà pourquoi il n’existe aucune précision sur l’utilisation qui devrait être faite des technologies de l’information (TI) dans l’enseignement ni pour les démarches d’apprentissage proposées aux élèves. Cependant, dans le Programme de formation de l’école québécoise, certaines compétences transversales en TI sont déterminées, mais cela ne change pas la pédagogie ni l’utilisation que l’on fait des TI. Une des responsabilités principales de l’éducation est de préparer le futur citoyen et travailleur à affronter les défis de son temps. N’est-il pas dit qu’en Les jeunes à la vitesse du numérique essayant de traiter les problèmes du préPendant que l’école continue de douter sent avec les outils du passé, on prépare du potentiel des TIC, les jeunes explorent les problèmes du futur ? Il ne faudrait le monde du numérique sous toutes ses pas que tel soit le constat des efforts et 308


Éducation

L’école québécoise est­elle au diapason du numérique ?

des ressources pourtant consentis à l’éducation des jeunes et à la formation des maîtres. Comme la façon d’être actif socialement évolue et que le monde du travail exige de nouvelles compétences, l’école doit aussi ajuster sa façon de travailler à la réalité d’aujourd’hui. Sur le plan sociétal, il est grand temps d’amorcer le virage. Mais par où commencer ? Tout comme les facultés de sciences et de génie, les facultés de sciences de la santé et celles des sciences de l’administration ont fait évoluer leurs programmes et leur prestation de l’enseignement ; les facultés des sciences de l’éducation doivent s’ajuster à la réalité des jeunes auxquels ces futurs enseignants devront enseigner.

Par ailleurs, la façon traditionnelle de s’inscrire dans une démarche de formation n’a plus la cote. À l’ère du numérique, toutes les avenues sont ouvertes. Le monde de l’éducation primaire-secondaire pourrait faire figure d’innovateur en prêchant par l’exemple. Comment ? En utilisant les outils collaboratifs comme une avenue de formation entre pairs. Ces environnements collaboratifs sont idéals pour la mise en place de communautés de pratiques professionnelles et pour la diffusion de leurs réussites dans le réseau. Regardons les jeunes travailler à l’ordinateur. Nous y détecterons rapidement le plaisir et la satisfaction. Cette notion de plaisir est fondamentale dans le développement de la culture de la formation continue. 309


L’état du Québec 2010

Un portail national pour les enseignants pourrait aussi être pris en charge par un organisme qui fait autorité dans le réseau avec la collaboration des organismes nationaux qui œuvrent dans le secteur en incluant les syndicats. Les enseignants devraient pouvoir y travailler en collaboration avec des collègues d’autres écoles partageant des problématiques de design pédagogique ou de gestion de classe. Un lieu virtuel devrait être mis à leur disposition pour qu’ensemble ils puissent déposer des outils qu’ils auront construits seuls ou en groupe. Il pourrait s’agir d’une vidéo sur une démonstration ou une explication scientifique ou mathématique, un « exerciciel », un petit jeu sérieux, un montage de situation d’apprentissage.

nous renvoient au travail en collaboration, à la recherche et au traitement de l’in-formation, à l’utilisation des médias et au développement des compétences technologiques. L’utilisation des technologies, n’est-ce pas la façon privilégiée de développer ces nouvelles compétences ? De plus, si l’éducation est aussi importante que la culture ou le développement économique, pourquoi ne pas souligner les initiatives de collectifs qui auraient développé des contenus nouveaux ou des pratiques favorisant la réussite éducative en reconnaissant à l’intérieur d’un des prix du Québec ces pionniers de la révolution numérique à l’école ? Enfin, comment amener l’école à utiliser les réseaux sociaux pour améliorer De nouvelles compétences la relation de l’enseignant avec ses élèpour les élèves ves ? Celle de l’école avec la famille et En quoi les TIC modifient-elles les avec la communauté ? La piste du numéfaçons d’apprendre ? Quelles sont les rique est à explorer. Les parents de la compétences à développer pour le xxie nouvelle génération pourront juger euxsiècle ? mêmes de la valeur des services offerts On réfère souvent aux compétences par les écoles d’un milieu donné... en lien avec l’innovation. L’innovation note est proposée aux élèves par des activités 1. En ligne : http ://www.cefrio.qc.ca/fr/docude créativité, de pensée critique et de ments/publications/Rapport-synthese-sur-larésolution de problèmes. Et les moyens generation-C.html

310


Arts et culture 312

L’art et la culture en quelques statistiques

320

Splendeurs et misères du financement privé

326

Le livre québécois à la conquête de l’hexagone

311


L’art et la culture en quelques statistiques rosaire garon Sociologue et professeur associé, Département d’études en loisir, culture et tourisme, Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) Les données sur la culture informent peu sur l’originalité de la création ou de la production culturelle et artistique québécoise, pas plus que sur la réception des œuvres par le public. Elles peuvent par contre illustrer l’importance quantitative que prend la culture, mesurée en dollars investis ou dépensés, en nombre de produits, de représentations artistiques et culturelles ou encore en assistance. À ce titre, elles fournissent une base de connaissance de l’état du système culturel. C’est le sens de cet article qui, à travers quelques chiffres, invite à prendre conscience de la force créatrice qui forge le paysage culturel du Québec. Ce dynamisme, dont on devine l’existence sous les statistiques, est le produit de ces milliers de professionnels auxquels il convient de rendre hommage. Ils sont près de 120 000, selon le recensement canadien de 2006, qui, en tant qu’auteurs, techniciens, artistes, interprètes, artisans ou autres, contribuent à la conservation et au renouvellement de la culture québécoise. 312

Le financement des arts et de la culture* Les pouvoirs publics Les pouvoirs publics occupent une place importante dans le financement de la culture. Les dépenses faites par tous les niveaux de gouvernement, au Québec, étaient de 2,56 milliards en 2006-2007, soit le deuxième montant brut le plus élevé après l’Ontario (3,10 milliards de dollars), mais le montant le plus élevé de toutes les provinces par personne, soit 335 dollars par personne, comparativement à 245 dollars en Ontario1. Le fédéral et le provincial L’intervenant le plus important est le gouvernement fédéral, qui a investi 1,25 milliard de dollars au Québec. À 164 dollars, c’est au Québec que la dépense fédérale par personne est la plus élevée de toutes les provinces (107 dollars par personne en Ontario). * On ne peut, en toute rigueur, additionner les dépenses des différentes administrations publiques parce qu’il existe des transferts entre elles.


Arts et culture tabLeau 1

Dépenses totales de l’administration fédérale et des administrations provinciales québécoise et ontarienne au titre de la culture, selon les fonctions, 2006-2007 Administration/fonction Fédérale Bibliothèques Ressources du patrimoine Enseignement des arts Littérature Arts d’interprétation Arts visuels et artisanat Cinéma et vidéo Radiodiffusion et télévision Industrie du disque Multiculturalisme Arts multidisciplinaires et autres Total

Québec Milliers de $ 29 631 312 088 5 452 31 647 35 956 6 025 127 294 618 919 6 276 6 494 71 618 1 251 402

% 2,4 24,9 0,4 2,5 2,9 0,5 10,2 49,5 0,5 0,5 5,7 100,0

Ontario Milliers de $ 10 656 274 764 9 761 32 082 118 618 7 206 57 304 798 624 1 630 4 653 43 162 1 358 461

% 0,8 20,2 0,7 2,4 8,7 0,5 4,2 58,8 0,1 0,3 3,2 100,0

Provinciales Bibliothèques Ressources du patrimoine Enseignement des arts Littérature Arts d’interprétation Arts visuels et artisanat Cinéma et vidéo Radiodiffusion et télévision Industrie du disque Multiculturalisme Arts multidisciplinaires et autres Total

Milliers de $ 221 779 158 062 21 570 9 560 125 323 25 814 49 454 71 216 2 199 8 492 103 594 797 063

% 27,8 19,8 2,7 1,2 15,7 3,2 6,2 8,9 0,3 1,1 13,0 100,0

Milliers de $ 258 824 257 368 21 585 6 747 29 286 6 534 7 973 80 790 1 117 3 617 27 973 701 814

% 36,9 36,7 3,1 1,0 4,2 0,9 1,1 11,5 0,2 0,5 4,0 100,0

Source : Statistique Canada, « Dépenses publiques au titre de la culture : tableaux de données, 2006­2007 », Bulletin de service, No 87F0001X au catalogue.

313


L’état du Québec 2010

La moitié des dépenses fédérales au Québec sont allées à la radiodiffusion et à la télévision, et 25 % aux ressources du patrimoine.

L’intervenant le plus important est le gouvernement fédéral, qui a investi 1,25 milliard de dollars au Québec. Le gouvernement provincial, pour sa part, montre une plus grande diversification de ses dépenses, qui se chiffrent à près de 920 millions de dollars en 2007-20082 (104 dollars par personne), une augmentation de plus de 120 millions de dollars depuis 2006-2007. C’est sans compter les dépenses allant à la langue française de 23,7 millions de

dollars. Les domaines qui ont bénéficié le plus de cet accroissement sont la radio et la télévision, les bibliothèques, le patrimoine et les arts de la scène. Les municipalités Les municipalités sont également des partenaires non négligeables dans le soutien de la culture. Comme aux autres paliers gouvernementaux, leur engagement financier va croissant. Une étude récente de l’Observatoire de la culture et des communications du Québec établit à 536 millions de dollars les dépenses culturelles des municipalités, en 2007, soit 70 dollars par personne3. Les dépenses municipales, en Ontario, sont plus imposantes, les municipalités ayant dépensé deux fois plus qu’au Québec, soit 1,04 milliard de dollars (82 dollars par personne).

tabLeau 2

Dépenses totales des administrations municipales québécoises et ontariennes au titre de la culture, selon les fonctions, 2006 Fonction Bibliothèques Musées Archives publiques Lieux historiques Arts d’interprétation Centres culturels et autres Total

Québec Milliers de $ 261 020 61 880 ­ 11 1 618 182 821 507 350

% 51,4 12,2 ­ 0,0 0,3 36,0 100,0

Ontario Milliers de $ 761 736 10 546 ­ 2 247 18 395 245 597 1 038 521

% 73,3 1,0 ­ 0,2 1,8 23,6 100,0

Source : Statistique Canada, « Dépenses publiques au titre de la culture : tableaux de données, 2006­2007 », Bulletin de service, No 87F0001X au catalogue.

314


Arts et culture

Les organismes-conseils Le Conseil des arts du Canada a accordé des aides de 45,7 millions de dollars en subventions, au Québec, en 2008-2009, et de 50,5 millions de dollars si l’on tient compte des autres programmes du Conseil des arts du Canada4. Pour sa part, le Conseil des arts et des lettres du Québec a versé 87,3 millions de dollars aux organismes et aux artistes professionnels en 2008-2009. Enfin, le Conseil des arts de Montréal a accordé des sub-

ventions directes aux organismes pour 9,2 millions de dollars en 2008, sans compter 341,000 dollars dans divers programmes de soutien. La part la plus importante des montants accordés par les conseils est allée aux arts d’interprétation (théâtre, musique et danse). La SODEC, Téléfilm Canada et Patrimoine canadien La Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) a soutenu

tabLeau 3

Dépenses moyennes des ménages au titre des loisirs culturels pour certaines activités culturelles, Québec, 2005-2007 Activité culturelle Audiovisuel (équipement et services) Équipement audio et télévisuel Disques, cassettes et DVD (achat et location) Télédistribution Sorties Cinéma Spectacles en salle Musées et autres expositions Matériel de lecture* Journaux Revues et périodiques Livres et brochures Autre Total Part des dépenses culturelles dans les dépenses totales des ménages

2005 843 $ 245 $ 2 084 $ 394 $ 202 $ 94 $ 82 $ 26 $

Québec 2006 905 $ 289 $ 221 $ 395 $ 215 $ 85 $ 98 $ 32 $

2007 880 $ 272 $ 211 $ 397 $ 191 $ 83 $ 80 $ 28 $

Canada 2007 1 150 $ 427 $ 228 $ 495 $ 253 $ 97 $ 112 $ 44 $

232 $ 85 $ 47 $ 89 $ 11 $ 1 277 $

238 $ 84 $ 46 $ 89 $ 19 $ 1 358 $

245 $ 86 $ 47 $ 102 $ 10 $ 1 316 $

264 $ 84 $ 53 $ 108 $ 20 $ 1 667 $

2,3 %

2,4 %

2,3 %

2,4 %

* Ne comprend pas les manuels scolaires. Source : Compilation de l’auteur d’après l’Enquête sur les dépenses des ménages en 2005, en 2006 et en 2007 de Statistique Canada.

315


L’état du Québec 2010

l’industrie culturelle en investissant, en 2008-2009, 59,3 millions de dollars dans ses programmes généraux et son programme destiné à l’exportation et au rayonnement culturel. Elle a également

Le plus important soutien dont bénéficient les industries culturelles vient des mesures fiscales. financé des entreprises en leur allouant des sommes totalisant environ 23,3 millions de dollars. Le plus important soutien dont bénéficient les industries culturelles vient cependant des mesures fiscales. Le montant pressenti du crédit d’impôt, en 2008-2009, est de 140,3 millions de dollars, dont 70 % s’appliquent au cinéma et à la production télévisuelle. En 2008-2009, la participation du gouvernement fédéral dans la production cinématographique et télévisuelle s’est élevée à 144,1 millions de dollars par l’entremise du ministère du Patrimoine canadien et de Téléfilm Canada, alors que celle du Québec a été de 122,2 millions de dollars5. Les dépenses des ménages Même si les loisirs culturels n’occupent qu’une petite part les dépenses des ménages québécois – environ 2,3 % en 2007 –, les montants en cause sont d’environ 1 300 dollars par ménage en 2007. 316

Les dépenses culturelles des ménages sont un peu plus faibles en 2007 qu’elles ne l’étaient en 2006. Les Québécois dépensent moins que la moyenne des Canadiens pour les produits et services culturels. En 2007, les ménages canadiens dépensaient 350 dollars de plus à ce chapitre, en moyenne. Les domaines des arts et de la culture Les institutions patrimoniales L’Enquête auprès des établissements du patrimoine7, menée en 2005 par l’Observatoire de la culture et des communications du Québec, recense 1 075 établissements du domaine du patrimoine, des institutions muséales et des archives et 32 organismes de représentation. Les organismes du patrimoine forment le tiers de ces établissements, les centres et services d’archives, un peu plus du quart, et les institutions muséales, environ 40 %. Ces établissements ont eu des revenus de 437 millions de dollars en 2004 et des dépenses de fonctionnement de 433,2 millions de dollars (dont près de la moitié est consacrée aux salaires et aux avantages sociaux). Leurs revenus proviennent à 63 % du financement public et parapublic. Le personnel rémunéré représente plus de 4 700 années-personnes. De plus, environ 15 000 bénévoles ont travaillé près de 1,3 million d’heures pour ces établissements.


Arts et culture

Les institutions muséales Les institutions muséales, musées, lieux d’interprétation et centres d’exposition, jouent un rôle irremplaçable dans la conservation et la diffusion du patrimoine culturel. Les musées forment 30 % des 420 institutions examinées par l’Observatoire de la culture et des communications du Québec en 2005, contre 56 % pour les lieux d’interprétation et 14 % pour les centres d’exposition. Il existe une grande disparité quant à la taille de ces établissements. En 2008, les institutions muséales ont accueilli 12,6 millions de visiteurs, dont 63 % ont visité les musées, 33 % les lieux d’interprétation et 4 % les centres d’exposition6.

Les bibliothèques publiques La lecture est l’une des voies privilégiées par les pouvoirs publics pour démocratiser la culture. Le réseau des bibliothèques publiques québécoises, qui dessert 95 % de la population, est formé, en 2006, de 827 bibliothèques, soit 125 bibliothèques publiques autonomes, localisées le plus souvent dans les villes de 5 000 habitants et plus, de 11 centres régionaux de services aux bibliothèques publiques, de 690 bibliothèques publiques affiliées, desservant les petites municipalités, et de la Grande Bibliothèque. Ces bibliothèques ont une collection de 21,1 millions de livres et elles ont effectué 45,3 millions de prêts. Près de l’équivalent de 3 000 employés à temps complet assurent les services. En 2006,

Figure 1

Répartition des représentations, des billets disponibles et de l’assistance selon la discipline, 2008 40%

37

35% 30%

29

27 23

25% 20%

16

15

14

15% 8

10%

22

19

16

18 15

5

4

5% 0%

Représentations Théâtre

Chanson francophone

14

13

4

Billets disponibles Chanson anglophone

Assistance Variétés

Musique

Danse

Source : Observatoire de la culture et des communications du Québec, « La fréquentation des arts de la scène au Québec en 2008 », Statistiques en bref, No53, novembre 2009.

317


L’état du Québec 2010

les dépenses des bibliothèques publiques se sont élevées à 278,4 millions de dollars et leurs dépenses, à 278,4 millions.

rapport aux années antérieures alors que, à l’inverse, celle de la chanson anglophone a poursuivi sa progression.

Les arts de la scène La majorité des Québécois vont voir des spectacles, même si ce n’est qu’une ou deux fois par année. En 2008, environ 16 500 représentations payantes en arts de la scène ont été offertes au public dans plus de 500 salles. Un peu plus de 9,7 millions de billets étaient disponibles pour ces représentations. L’assistance totale s’est élevée à 7 millions de spectateurs, et les revenus de la billetterie (taxes non comprises) ont été de 236,5 millions de dollars. L’assistance aux spectacles de chanson francophone a diminué en 2008 par

Le cinéma Le cinéma demeure la sortie la plus populaire, malgré une baisse régulière des entrées d’année en année. L’offre demeure toutefois abondante, et le nombre de projections dans les cinémas et les ciné-parcs est en augmentation. En 2008, il avoisinait le million de représentations, dont 74 % étaient en français. En revanche, le nombre d’entrées est à la baisse depuis 2002 et se situait à 22,6 millions. Tout comme l’assistance, les recettes au guichet poursuivent leur diminution, étant de 162 millions de dollars en 2008.

Figure 2

Assistance, recettes et projections de films dans les cinémas et les ciné-parcs selon le pays de provenance des films, 2008 90 % 80 %

79

80

79

70 % 60 % 50 % 40 % 30 % 20 % 5

10 % 0%

5

France

États-Unis Assistance

4

Recettes

10

9

9 0

Québec

0

1

Canada (sans Québec)

7

7

6

Autres

Projections

Source : Observatoire de la culture et des communications du Québec, Statistiques sur l’industrie du film et de la production télévisuelle indépendante, Édition 2009.

318


Arts et culture

Le livre La production de livres est un bon indicateur de la vitalité de la culture d’une nation. Le livre conserve toujours un statut particulier parmi les moyens d’information et de connaissance. Même à l’heure des nouvelles technologies de l’information et de l’Internet, sa valeur est reconnue en tant que lieu de mémoire collective, outil de diffusion et source de connaissances. Le nombre de titres de livres publiés au Québec, en 2007, a diminué par rapport aux années précédentes. Alors que le nombre de publications était d’environ 6 200 en 2005 et en 2006, il baisse à près de 5 800 en 2007. Le tirage des livres demeure assez faible – moins de 2 500 exemplaires en moyenne. En 2007, les trois quarts des titres ont été édités par des maisons commerciales et un peu plus de 8 % par le gouvernement du Québec. Les tirages des maisons commerciales sont deux fois et demie plus élevés que ceux du gouvernement du Québec. Les catégories d’ouvrages les plus publiés sont celles qui traitent de la langue et de la littérature7, de la psychologie et de la religion et, en troisième lieu, des sciences sociales. Le chiffre global des ventes de livres neufs, qui était en pro-

gression depuis plusieurs années, subit une diminution en 2008, totalisant 810,1 millions de dollars. Plus de 60 % de ce montant provient des ventes en librairie, contre 21 % de ventes directes par les éditeurs et 9 % pour les grandes surfaces. notes

1. Les dépenses par personne faites dans les territoires dépassent de beaucoup celles des provinces. 2. Ce montant n’inclut pas les 22,6 millions de dollars consacrés à la langue française. 3. Observatoire de la culture et des communications, Les dépenses culturelles de municipalités en 2007, Statistiques en bref, no 55. 4. Ce montant comprend les subventions accordées dans le cadre des programmes, les prix, les bourses, les paiements aux auteurs, traducteurs et illustrateurs en échange du prêt de leurs livres par les bibliothèques publiques ainsi que la participation du Conseil aux activités liées au mandat de l’UNESCO. 5. Ces montants comprennent au fédéral : Téléfilm Canada, Minitraité, ONF, Fonds canadien de télévision (part publique) et crédit d’impôt du Canada. Au Québec : SODEC et crédit d’impôt du Québec. 6. Observatoire de la culture et des communications du Québec, État des lieux du patrimoine, des institutions muséales et des archives. Cahier 1. Premier regard, Québec, 2006. 7. Cette catégorie « langue et littérature » comprend, entre autres, la littérature en général, la poésie, le roman, le conte, la nouvelle, la littérature de jeunesse, de même que les publications sur le théâtre, le spectacle et le cinéma, la langue et la linguistique.

319


Splendeurs et misères du financement privé odile tremblay Journaliste culturelle, Le Devoir

en l’absence d’une tradition du don et du mécénat solidement implantée, le milieu culturel québécois, pourtant très dynamique, connaît d’importants problèmes de financement, largement accentués par la crise économique, la fuite des commanditaires et les compressions budgétaires. Dans ces conditions, la tentation de faire appel à de riches bienfaiteurs est grande, comme sont grands les risques que cela comporte…

Les 12 et 13 septembre derniers, à Québec, lors du spectacle Moulin à paroles célébrant le 250e anniversaire de la bataille des Plaines d’Abraham, on passa le chapeau. C’est ainsi que l’évé-

Les traditions du mécénat sont solidement implantées aux états-unis et au canada anglais, tandis que les francophones québécois ont tendance à considérer qu’il incombe à l’état de débourser pour la culture. 320

nement, associé en haut lieu aux souverainistes radicaux, et donc privé de subventions, fut financé à même les dons du public. Preuve, s’il en était besoin, que les visages de la philanthropie sont souvent multiples. Les traditions du mécénat, solidement implantées aux États-Unis et au Canada anglais, sont un legs de la vieille Angleterre, importé d’outre-mer, tandis que les francophones québécois ont tendance à souvent considérer qu’il incombe à l’État de débourser pour la culture. Un point de vue défendable, au demeurant. La société québécoise de son côté n’a jamais eu de racines profondes


Arts et culture

en matière de philanthropie culturelle et se cherche encore. La part de financement privé des arts et lettres était au Québec de 13,5 % en 2000-2001, contre 20 à 25 % ailleurs au Canada. Des mécènes, des commanditaires, des fondations philanthropiques, des campagnes de financement existent ici, comme ailleurs, mais à moindre échelle. Question de mentalité. D’ailleurs, le Québec compte moins de grosses fortunes que certaines provinces anglophones comme l’Alberta, la ColombieBritannique ou l’Ontario, championnes de la philanthropie au pays. Mais une nouvelle génération d’entrepreneurs a vu ici le jour, certains vraiment impliqués dans leur communauté et désireux de pousser la roue de la culture, d’autres surtout attachés à la visibilité que leur procurent les commandites. La communauté juive, par exemple, est depuis toujours impliquée dans la philanthropie. Phyllis Lambert, issue de la dynastie Bronfman, a porté à bout de bras son extraordinaire projet de Centre canadien d’architecture. On salue au passage quelques autres réussites éclatantes, à une échelle ou à une autre, comme celle de Phoebe Greenberg, derrière la Fondation d’art contemporain DHC/Art, qui a commandé au cinéaste Denis Villeneuve un film produit par elle. Seuls paramètres : ce film devait être relié au théâtre et contenir des éléments grotesques et un banquet. On connaît la suite : le remarquable court métrage Next Floor prit la

Phyllis Lambert a porté à bout de bras son projet de Centre canadien d’architecture.

route de Cannes, rafla le Grand Prix à la Semaine de la critique en 2008, avant de crouler sous les lauriers dans maints festivals et galas. Chose certaine, à trop compter sur un philanthrope, on oublie qu’il peut retirer son soutien, par goût de la nouveauté ou pour des raisons économiques. D’où le danger d’ériger des structures culturelles au bon vouloir du prince. Il y a 10 ans, Daniel Langlois, patron de Softimage et jeune mécène abreuvé au lait des nouvelles technologies, anticipant la révolution numérique dans le septième art, ouvrait son superbe complexe Ex-Centris, boulevard St-Laurent. Grâce à ses salles dédiées à la projection de films d’art et essai, les Montréalais connurent un bonheur cinéphilique 321


L’état du Québec 2010

sans nuages durant une décennie. La décision de Langlois de changer la vocation du « temple » en centre d’expérimentation diversifiée mit en lumière la fragilité du réseau de salles de cinéma, encore en attente d’écrans de succession voués aux œuvres indépendantes. Le mécène, de son côté, avait plein droit de viser d’autres vitrines de création. La musique, nouvelle grande favorite du complexe, y gagna du terrain, quoique le public ne fut guère nombreux au rendez-vous, alors que le cinéma en perdait de façon définitive. Herschel Segal, propriétaire des boutiques Le Château, philanthrope associé

plusieurs commanditaires estiment plus tentant de voir le nom de leur entreprise en grosses lettres associé à une manifestation prestigieuse et courue qu’à des créateurs de la marge à la dégaine subversive. à Langlois dans sa récente fondation, est un mélomane, d’où la prépondérance accordée à la musique au détriment de l’orientation multidisciplinaire d’abord prévue. Les deux hommes sont en quête d’alliés dans leur fondation pour soutenir ce centre de diffusion et d’exploration musicales – et Langlois déplore le manque de mécènes au Québec. 322

Les laissés-pour-compte de la culture En 2005, le gouvernement créait Placements Culture, un programme d’incitation au mécénat dans la culture assorti d’une enveloppe de 35 millions de dollars – celle-ci a été majorée de 10 millions de dollars pour l’exercice 20092010. Ce programme, géré par le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ), est basé sur l’appariement, c’est-à-dire qu’il accorde une aide publique égale ou supérieure aux sommes recueillies par les organismes culturels lors de leurs campagnes de financement privé. En trois ans, le milieu culturel a pu ainsi bénéficier d’aides pour un montant total de plus de 42 millions de dollars. Et des mesures ont été prises pour faciliter l’accès de Placements Culture aux petits organismes. N’empêche : ce programme demeure soumis aux fluctuations économiques et aux inclinations et intérêts du secteur privé. Les entreprises qui y participent affichent leurs propres intérêts promotionnels. Ajoutez-y des goûts personnels, souvent conservateurs, voire des préjugés. Plusieurs commanditaires estiment plus tentant de voir le nom de leur entreprise en grosses lettres associé à une manifestation prestigieuse et courue qu’à des créateurs de la marge à la dégaine subversive. L’art en tâtonnement, la relève, la quête expérimentale ont tout pour devenir des laissés-pourcompte du système. De fait, une étude du CALQ met en évidence le fait que les organismes culturels aux revenus infé-


Arts et culture

rieurs à 250 000 $ reçoivent une aide privée inférieure à 7 % de leur budget, contre 15 % pour les compagnies millionnaires1. Dans le contexte actuel où notre société du spectacle carbure au divertissement de masse orchestré par une poignée de promoteurs comme Spectra ou le groupe Juste pour rire, de Gilbert Rozon, promoteurs qui marginalisent les autres types de création et récoltent le gros des subventions d’État et des commandites, les petits ont la vie dure. Surtout depuis qu’a frappé la crise économique… Même les puissants empires culturels ont subi les contrecoups du crash. Un peu partout, les bas de laine des compagnies et des rendez-vous culturels se vidaient, les ceintures se serraient. En décembre 2008, General Motors, en pleine débâcle financière, annonça qu’il cesserait de commanditer le Festival de jazz en 2010, après 10 ans de partenariat. (Cependant, même en accusant une perte de 6 millions de dollars, cette mégamanifestation musicale avait les reins assez solides pour accuser le coup et trouver à GM un successeur.) Même le 31e Gala de l’ADISQ, ayant perdu, pour cause de récession, les commandites de la Rôtisserie St-Hubert, se mit au régime minceur en 2009.

culturelles des conservateurs dans les programmes fédéraux Routes commerciales et Promart, ainsi que les orientations du gouvernement Harper, si fermées aux besoins des créateurs, poussaient les entreprises culturelles, affolées, à se tourner vers l’industrie privée, espérant là compenser le manque à gagner. Le retrait des commanditaires et mécènes, secoués, appauvris, en ébranla plusieurs. Une étude à l’échelle canadienne, menée auprès de 89 organismes culturels en mai 2009, démontrait que la moitié d’entre eux envisageaient d’importantes pertes de financement privé à la suite des remous de la crise, les commandites et les revenus de fondations étant en chute libre. Au Québec toutefois, les ventes au guichet et les abonnements n’ont guère diminué avec la récession alors que les promoteurs des spectacles sur Broadway, à New York, ont de leur côté perdu 15 % de leur clientèle au cours des premiers mois de 2009. Le Québec fut moins touché par la crise que le gros voisin, mais la source des dons s’est amoindrie. Une étude publiée en novembre 2009 par la chaire de gestion des arts de HEC Montréal portait sur l’économie des arts en temps de crise2. Menée en juin 2009 auprès de 250 organismes culturels, elle livrait de surprenantes évaluaLes victimes de la crise tions optimistes en ces temps troublés : En fait, la crise économique ne pouvait 64 % des organismes prévoyaient une survenir à un pire moment pour les hausse ou une stabilité de leurs revenus artistes. En 2008, les compressions autonomes ou privés en 2009. Du côté 323


L’état du Québec 2010

des arts de la scène, le profil se nuançait, puisque le tiers des répondants craignait une diminution de revenu. Optimistes au printemps, ces organismes l’étaient peut-être moins à l’automne, la hausse du taux de chômage les ayant sans doute privés de recettes au guichet. En août 2009, Hydro-Québec, partenaire de plusieurs événements et compagnies culturelles, fut pris dans un scandale de conflit d’intérêts et tenu de modifier ses politiques en matière de commandites. Cela fit frissonner le milieu, inquiet de ne plus recevoir aucun subside de la société d’État. Lucien Bouchard, président du conseil d’administration de l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM) se fendit d’une lettre vitriolique aux journaux, craignant qu’Hydro-Québec ne retire son appui à l’orchestre à la suite des remous médiatiques. Musées, troupes de danses, festivals tremblaient de concert. Fausse alerte, mais qui démontre à quel point plusieurs fondations artistiques ont besoin des commandites des sociétés d’État pour survivre. Mais l’OSM, compagnie de prestige et d’excellence solidement implantée, soigne sa fondation – grâce à laquelle l’organisme est le mieux soutenu par les fonds privés au Québec. Les autres ont davantage à perdre. L’adversité mère de débrouillardise Des forces vives de la création se rallient, se serrent les coudes. En mars 2009 était inauguré sur le Plateau-Mont324

Royal le théâtre Aux Écuries, un espace de création et de diffusion théâtrales regroupant depuis trois ans sept jeunes compagnies qui mettent en commun ressources et équipement. Aux Écuries établissait un partage immobilier à long terme avec le Théâtre des Deux Mondes et inaugurait une programmation de 34 événements théâtraux. D’autres compagnies de théâtre se sont regroupées, à l’initiative du Théâtre de la Pire Espèce, et sont aujourd’hui une quarantaine à partager leurs ressources. En danse aussi, des coalitions se forment. Des efforts héroïques sont accomplis. C’est l’aide de l’État qui manque. Les voies de financement différentes commencent souvent par l’autoproduction. En musique, par exemple, tout en appauvrissant les artistes qui peinent à vendre leurs disques, les nouvelles technologies modifient le panorama et permettent à la relève indépendante de rejoindre un public sur la Toile sans passer par un intermédiaire. Au cinéma, l’utilisation de caméras numériques permet de diminuer les coûts de production. Quand le film J’ai tué ma mère, du jeune Xavier Dolan, créa l’événement au dernier Festival de Cannes en récoltant trois prix à la Quinzaine des réalisateurs, il démontra par l’absurde le manque de vision de TéléfilmCanada, qui avait refusé d’investir dans le projet. La SODEC, étant intervenue pour sa part en fin de parcours, s’en tirait in extremis. Financé en grande partie à compte d’auteur, tourné avec la


Arts et culture

nouvelle caméra haute définition Red, précise et économique, J’ai tué ma mère prouva que l’école de la liberté procure parfois les plus beaux fruits. Tous n’ont pas le talent de Dolan, mais des œuvres qui n’auraient jamais vu le jour peuvent exister, circuler sur la Toile ou, mieux, trouver distributeur et sortir en salle commerciale ou se voir retenues dans la programmation de festivals. Le film Conversion de Dominic Marceau, défi d’un groupe d’amis qui ont travaillé au projet de façon bénévole, a même été tourné avec une caméra intégrée à un appareil photo. On ne saurait bâtir une cinématographie en demandant aux créateurs non payés de racler leurs fonds de tiroir, mais un art souterrain se faufile ainsi en trouvant, avec des moyens de misère, sa place au soleil. L’argent demeure le nerf de la guerre et la précarité, le lot de bien des créateurs, ceux de la relève surtout. En cette ère où les mégamanifestations prennent d’assaut la nouvelle Place des Festivals au centre-ville de Montréal, les petites compagnies artistiques paraissent vraiment menacées. En fait, si le gouvernement du Québec, par le biais de son programme Placements Culture, cherche à accroître

la part du financement privé en culture, il se heurte aux effets de la crise financière dans une société privée d’ancrage solide en matière de philanthropie, donc déjà fragilisée. Par ailleurs, à trop compter sur l’entreprise privée et la générosité de riches bienfaiteurs, avec leurs goûts, leurs humeurs, leurs virages et leur soumission forcée aux aléas du marché économique, on ne peut offrir d’assises solides à un réseau culturel. Un plaidoyer pour un meilleur financement privé suppose en amont une aide accrue de l’État : allez libérer un employé pour courtiser les philanthropes et courir les commandites quand vous tirez le diable par la queue... La culture doit être saisie à bras-lecorps, sinon l’expérimentation, la relève, les arts de la scène en marginalité seront vite emportés par le vent du divertissement et la tempête d’une économie instable. notes

1. Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ), « Le financement privé des arts et des lettres au Québec », Constats du CALQ, no 5, juillet 2003. 2. Courchesne, André, et Johanne Turbide, « L’économie des arts en temps de crise », HEC Montréal, novembre 2009.

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Le livre québécois à la conquête de l’hexagone* elsa pépin Journaliste indépendante

S’il est un sujet sensible auprès des Québécois, c’est bien celui de leurs rapports avec la France. il fut un temps où la mère patrie faisait figure d’autorité, surtout dans le domaine des arts et de la littérature. or, l’édition québécoise prend de l’expansion, et cercertains cas de figure prouvent qu’il est désormais possible de faire sa place dans un marché 10 fois plus grand que le nôtre, voire sur la planète tout entière. portrait d’une conquête tous azimuts.

La France est un territoire attrayant, non seulement du fait de l’envergure de son bassin de population, mais aussi à cause de sa longue tradition littéraire et de l’effervescence du milieu du livre. Brigitte Bouchard, fondatrice des Allusifs, en connaît quelque chose, avec la moitié de ses ventes effectuées en France. Selon elle, l’Hexagone a l’avantage d’être une plaque tournante de la littérature : tous les éditeurs étrangers passent à Paris. Avoir une visibilité en France aiderait donc à se faire * Article paru dans le numéro 52, avril 2009, du magazine Le libraire. 326

connaître à l’international. Pourtant, selon Antoine Tanguay, directeur des éditions Alto, publier en France n’est pas synonyme de réussite : l’auteur peut facilement se noyer dans la masse. David contre goliath De plus, ce marché est saturé avec, en moyenne, 700 nouveautés deux fois par année. L’ampleur du marché provoque une concurrence féroce et des coûts de promotion exorbitants. Les moyens à déployer pour percer en France sont souvent démesurés pour les éditeurs québécois. Pour eux, il faut « accompagner » le livre, établir un contact direct


Arts et culture

avec les éditeurs français, mais aussi avec les libraires et les journalistes. Brigitte Bouchard a donc décidé, après quelques années de vaches maigres, de mandater une attachée de presse en France : « Ça prend une antenne làbas, parce qu’on est sollicités tous les jours. Pour être remarqué, il faut jouer dans la cour des grands. Si tu n’as pas les moyens de ton adversaire, tu as juste ta volonté, tes convictions. » Mais faute de pouvoir se payer un attaché de presse en France, plusieurs éditeurs québécois optent pour des partenariats avec les éditeurs français. Les différents partenariats La coédition est, en théorie, l’entente la plus intéressante pour les éditeurs. Il s’agit d’un vrai partage des risques. Dans le cas d’une coproduction, le nom des deux parties se trouve sur la couverture. Michel Tremblay, Antonine Maillet et Aki Shimazaki font partie des rares auteurs qui bénéficient de la coédition entre Leméac et Actes Sud, établie il y a 25 ans. « Le partenariat s’est fait après des expériences de distribution décevantes en France », explique Lise Bergevin, directrice générale chez Leméac. Un même livre distribué en France sous l’étiquette Leméac se vend mieux, en effet, une fois édité chez Actes Sud, car « le public accorde une crédibilité à un éditeur », d’après Mme Bergevin. Dans les faits, « ce sont les Français qui accaparent le marché québécois ». Fabrice Piault, rédacteur en chef adjoint

de Livres Hebdo, un magazine professionnel hebdomadaire français publié par Électre, explique que « les éditeurs français refusent souvent de partager le marché, car ils ne veulent pas céder la distribution sur le sol québécois ». Les politiques de la coédition commandent pourtant que l’éditeur distribue le livre sous sa marque, sur son territoire. La résistance des éditeurs français décourage certains de leurs homologues québécois, qui optent pour

Le principal obstacle à l’exportation du livre québécois en France est la diffusion. la cession de droits. Cela permet à nos auteurs de bénéficier de la visibilité des grandes maisons d’édition françaises, qui occupent un espace privilégié dans les librairies, mais aussi de réduire leurs coûts de transport. Isabelle Gagnon, directrice de la Librairie du Québec à Paris et de Distribution du nouveau monde (DNM), déplore que, dès qu’un livre québécois a un potentiel de vente en France, les droits sont vendus à un éditeur français. D’après elle, cela fait diminuer les ventes pour l’édition québécoise. Machinerie éditoriale D’après la plupart des éditeurs consultés, le principal obstacle à l’exportation 327


L’état du Québec 2010

Les préoccupations commerciales sont plus présentes qu’auparavant. Les grands groupes veulent des best-sellers à tout prix et achètent de plus en plus de livres anglo-saxons, des valeurs considérées comme sûres. » « Pour vendre des livres, il faut passer par les médias et ce n’est pas facile », explique Isabelle Gagnon, qui se désole du peu d’auteurs de chez nous qui jouissent d’une couverture médiatique. À cet égard, Normand Baillargeon a réussi un exploit en France grâce à une réception critique exemplaire. Son Petit cours d’autodéfense intellectuelle (Lux Éditeur) a été remarqué par le Monde diplomatique et Daniel Mermet, une vedette du journalisme français. Il n’en fallait pas moins pour que l’essai fasse un tabac et qu’il s’écoule à plus de 40 000 exemplaires. Selon Pascal Assathiany, qui connaît bien les deux marchés pour avoir vécu en France avant de devenir directeur Normand Baillargeon a réussi un exploit en littéraire chez Boréal, le problème est France grâce à une réception critique exemplaire. d’ordre culturel et commercial. Ainsi, la Son Petit cours d’autodéfense intellectuelle (Lux Éditeur) s’est écoulé à plus de 40 000 exemplaires. langue québécoise a des tonalités différentes, et notre marché répond aussi à des règles différentes. On a beau dire du livre québécois en France est la dif- que notre langue doit garder sa couleur, fusion, qui exige des moyens de plus en certains de nos mots sont tout simpleplus importants à cause des fusions ment inconnus des Français. Pierre d’éditeurs, notamment, qui remodèlent Bourdon, directeur des Éditions de l’échiquier. « L’édition devient une l’Homme, abonde dans le même sens : machine économique dirigée par de « Nos livres ne sont pas adaptés pour la grands financiers, qui sont plus pru- France, comme c’est le cas pour les livres dents, estime Hélène Derome, directrice étrangers. » Ainsi, les ouvrages canalittéraire aux Éditions La courte échelle. diens-anglais réussissent souvent 328


Arts et culture

mieux, parce que les traductions correspondent à la réalité, linguistique en particulier, des lecteurs français. « Il faut adapter les livres pour leur marché », explique Louise Loiselle, directrice de Flammarion Québec. À la di Stasio, le succès de librairie de Josée di Stasio, a ainsi été réintitulé Si simple, si bon pour l’édition imprimée par la maison mère, Flammarion. Pourtant, l’Association pour l’exportation du livre canadien confirme que, parmi les ventes de titres québécois réalisées en France en 2006 et qui totalisent environ 10,5 millions de dollars, 8 millions de dollarssont attribuables aux publications vendues telles quelles, contre environ 1 million de dollars à la cession de droits et 1 million de dollars aux auteurs étrangers. Comme quoi le livre québécois se vend tout de même bien dans sa version originale !

domaine des dictionnaires, par exemple. Pourtant, Québec Amérique a réussi à imposer son Dictionnaire visuel. Il s’agit souvent de trouver une nouvelle approche, de combler un manque. Selon Pascal Assathiany, du Boréal, l’édition nord-américaine (ce qui inclut bien sûr le Québec) est à l’avant-garde du livre pratique. Les Éditions de l’Homme, qui cumulent de très bonnes ventes en France, y ont ouvert un bureau et élaboré un catalogue international, spécialisé dans les sciences humaines, « un genre qui répond aux besoins du marché français », explique Pierre Bourdon, viceprésident à l’édition. Louis-Frédéric Gaudet, de Lux Éditeur, a aussi conquis un milieu spécifique, celui du livre politique. « Lux se positionne à mi-chemin entre les traditions universitaires française et anglosaxonne », explique l’éditeur, qui croit Les meilleures ventes québécoises que cette « pensée hybride » répond au Comment déterminer qu’un livre pos- besoin de renouvellement d’une France sède le potentiel pour séduire la France ? intellectuellement sclérosée. Isabelle Louise Loiselle possède une longue Gagnon confirme, elle, que les meilleuexpérience, ayant travaillé 14 ans chez res ventes en France concernent les Stanké avant de fonder les éditions livres pratiques et de sciences humaines. Flammarion Québec en 1998, qui « Nous avons une bonne réputation publient une vingtaine de titres par parce que nous sommes moins théoriannée. « On est tous à la recherche du ques que les Français, qui ont souvent la moule, mais c’est dans l’originalité que manie de tout intellectualiser », indiqueça marche, dans les approches qui se t-elle. Notre approche plus pragmatique distinguent. » constitue manifestement un atout. Il y a aussi des chasses gardées dans À preuve, Librex vend très bien La le milieu du livre français. Il est diffi- santé par le plaisir de bien manger, des cile de rivaliser avec Larousse dans le Drs Béliveau et Gingras, repris là-bas 329


L’état du Québec 2010

par Solar. Flammarion Québec a pour sa part vendu à J’ai lu Les secrets de la vitalité de Nicole Gratton et Guérir sans guerre de Johanne Ledoux. Dans les années 60-70, Réjean Ducharme, Anne Hébert, Michel Tremblay et Antonine Maillet ont séduit la France, mais depuis, l’image du Québec s’est transformée. Selon Lise Bergevin, directrice chez Leméac, notre littérature est moins folklorique aujourd’hui, ce qui contribue à notre succès. Avec Un dimanche à la piscine à Kigali, Gil Courtemanche a par exemple permis de jeter un nouvel éclairage sur le Rwanda, un regard détaché du sentiment de culpabilité ressenti par les Français. Ce roman est loin de notre folklore. hors des sentiers battus L’espoir d’une amélioration de nos relations avec la France se situe peut-être du côté des petites maisons d’édition, florissantes au Québec. Ces dernières valorisent de nouvelles approches du marché et évitent certains écueils des échanges à grande échelle. « Les éditeurs de la relève n’ont pas le même point de vue que l’ancienne génération, qui s’est battue pour s’introduire dans le marché français », juge Antoine Tanguay. Plutôt que de brandir le drapeau national, les éditeurs de la relève construisent leurs catalogues sur la qualité des auteurs. « On ne doit pas souffrir du lieu d’où on vient », affirme Antoine Tanguay. « Il va bientôt y avoir un changement de garde en France, car les éditeurs 330

vieillissent », mentionne Luc Roberge. La nouvelle génération est naturellement ouverte à plus d’échanges, comme le croit Florence Noyer, des éditions Héliotrope. « À l’ère de l’Internet, ditelle, il faut que les textes circulent, que la littérature voyage. » Brigitte Bouchard a compris cela en 2001 en fondant Les Allusifs, dont le catalogue est essentiellement constitué d’auteurs étrangers. Il s’agit là d’une réussite exceptionnelle pour un éditeur québécois en France. Le livre québécois dans la mire des Français Le Québec représente sans contredit un marché intéressant pour les Français. Michel Lafon fait partie des rares éditeurs français qui s’intéressent de près à notre littérature. Il fréquente le Québec depuis 30 ans et mise autant sur la vente des auteurs québécois en France que sur celle des auteurs français au Québec. Il a ouvert un bureau à Montréal pour distribuer ses livres et, en quatre ans, son chiffre d’affaires au Québec est passé de 500 000 dollars à 3 millions de dollars. À la question de savoir s’il y a dans notre littérature des traits spécifiques qui attirent les éditeurs français, plusieurs répondent qu’ils ne choisissent pas un livre pour son origine géographique, mais pour la qualité du texte, de l’écriture. Ils reconnaissent toutefois dans notre littérature des traits originaux, une sensibilité qui nous est propre. Michel Lafon parle d’une « bouffée


Arts et culture

de pureté » : « Il y a une fraîcheur très nord-américaine dans la littérature québécoise. Vous dites des choses qu’on n’ose pas dire en France. » « Ce qui plaît chez les Québécois, c’est la sincérité et la qualité de l’écriture », affirme Alain Carrière, éditeur chez Anne Carrière, mais aussi ancien éditeur chez Robert Laffont. Aux yeux de Bertrand Visage, du Seuil, notre littérature est indéniablement nordaméricaine par le mode de vie qu’elle met en scène et son rapport à la sexualité. Celui qui a publié Nelly Arcan affirme que « les auteurs québécois sont des écrivains à fleur de peau et à cœur ouvert ». Il oppose notre émotivité, notre sensibilité, à la cérébralité française. Plusieurs éditeurs français disent rechercher des auteurs ouverts sur le monde, universels. Manuel Carcassonne, directeur littéraire chez Grasset, remarque qu’après une période de la littérature québécoise très blanche, nous avons désormais une littérature métissée. Notre cosmopolitisme lui apparaît comme un nouvel atout. Dany Laferrière, Ying Chen et Sergio Kokis incarnent d’après lui le visage moderne du Québec, bien loin des images d’Épinal datant de quelques décennies. « Il y a eu une césure dans votre littérature. Le Québec est devenu une terre d’asile et d’exil, et il produit désormais une littérature-monde », affirme Carcassonne.

Les auteurs québécois rêvent-ils encore de la France ? Publier en France est-il toujours le rêve des écrivains québécois et un gage de réussite ? « Dans les années 60, cela permettait d’être lu au Québec », soutient Jacques Godbout. Selon Gil Courtemanche, c’est encore le rêve de l’écrivain québécois à cause de l’ampleur du marché, mais aussi des activités qui accompagnent la publication. « Grâce à la publication française d’Un dimanche à la piscine à Kigali, j’ai été invité au festival Étonnants voyageurs de SaintMalo, en résidence littéraire à SaintNazaire, à plusieurs colloques et à des tables rondes », raconte-t-il. Chrystine Brouillet a pour sa part des réserves à propos du grand rêve qu’on fait miroiter aux auteurs québécois : « Il ne faut pas se leurrer. Il est utopique de croire qu’on va faire carrière en France. Personne ne nous attend. » L’auteure de Québec a commencé à publier ses romans policiers chez Denoël dans les années 80 et a vécu une dizaine d’années à Paris. « J’avais la chance d’être une étrangère et d’être une femme, ce qui me faisait remarquer dans le milieu du roman policier, mais les médias s’intéressaient peu à moi. Ce n’est pas comparable au succès que j’ai connu au Québec », explique-t-elle. Tous les écrivains québécois consultés confirment d’ailleurs que leurs ventes en France ne dépassent pas celles au Québec. Elles en constituent, au mieux, un tiers. 331


L’état du Québec 2010

Selon Nicolas Dickner, si la France était, pour la génération le précédant, soit celle des baby-boomers, le pôle d’attraction intellectuel, ce n’est plus vrai aujourd’hui. « Quand j’étais à l’université, je visais la France. Aujourd’hui, ce qui m’intéresse le plus, c’est être traduit dans plusieurs langues », confie-t-il. Si la traduction semble être le nouveau rêve caressé par les auteurs québécois, la publication en France leur confère-t-elle encore une reconnaissance, une autorité ? François Barcelo pense que c’est encore le cas. Il se demande jusqu’à quel point le fait d’être publié chez Gallimard n’a pas influencé le réalisateur qui a récemment adapté Cadavres au cinéma. Gaétan Soucy, qui a connu un immense succès en France avec La petite fille qui aimait trop les allumettes et Music-Hall, va jusqu’à dire qu’il a acquis sa notoriété après la publication à Paris. Ses ventes ont alors décuplé. « La force gravitationnelle de Paris est immense », ajoute-t-il. Certains auteurs québécois se sont carrément fait connaître par l’intermédiaire de la France. Réjean Ducharme a publié L’avalée des avalés chez Gallimard après avoir été refusé par les éditeurs québécois, à l’instar de Jacques Godbout avec L’aquarium, publié au Seuil en 1962. Nelly Arcan a aussi fait paraître Putain directement au Seuil.

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« Parfois, le pays natal n’est pas le meilleur pour accueillir le livre », explique Robert Lalonde. L’un de ses romans, Le dernier été des Indiens, a été mieux reçu en France qu’au Québec. Le livre traite du rapport avec les Amérindiens, un sujet délicat pour les Québécois, mais qui a plu aux Français. « On est mieux compris par des gens à qui on ne fait pas un miroir impitoyable de leurs problèmes », ajoute-t-il. L’accueil fait aux Québécois Actuellement moins fascinés par le Québec que durant les années 60-70, les Français font-ils toutefois un bon accueil aux écrivains québécois ? On se souvient des commentaires de Thierry Ardisson sur l’accent de Nelly Arcan à Tout le monde en parle. L’épisode avait touché une corde sensible. Pourtant, la jeune auteure a dit qu’elle ne s’est jamais sentie victime de discrimination comme écrivaine du Québec. Robert Lalonde s’est par contre déjà fait proposer par son éditeur de ne pas signaler en quatrième de couverture qu’il venait de la Belle Province. Lors de ses tournées de promotion en France, Nicolas Dickner a vu ses interventions remplacées par celles d’un Anglais ou d’un Américain : « Je ne claironne pas que je suis québécois, dit-il. Être cosmopolite est beaucoup plus à la mode. »


Médias 334

Les médias en quelques statistiques

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Médias dans l’œil du cyclone

347

Fin du mythe de l’autorégulation des médias

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L’avenir incertain des quotidiens

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Les médias en quelques statistiques Daniel giroux Secrétaire général, Centre d’études sur les médias

Les habitudes médiatiques des Québécois changent : leur écoute de la télévision est plus éclatée (parce qu’ils butinent à plusieurs chaînes), ils écoutent moins la radio, ils sont de moins en moins nombreux à lire un quotidien ou un magazine, mais passent plus de temps sur Internet. Les dollars publicitaires se déplacent, eux aussi. Tout cela a des effets de plus en plus perceptibles sur certains segments de l’industrie. Deux événements récents illustrent de manière éloquente ce phénomène. D’une part, la faillite de TQS et sa laborieuse reprise en main témoignent des difficultés de la télévision généraliste privée (essentiellement TVA et TQS du côté francophone) à maintenir ses revenus et son offre de programmation. Le Mouton noir est devenu V. L’information, jadis l’une des marques de commerce du réseau, est réduite à l’extrême. Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a accepté, à contrecœur, une telle baisse. Autrement, la survie 334

du diffuseur aurait été sérieusement compromise. D’autre part, Quebecor connaît un deuxième long conflit de travail dans l’un de ses quotidiens. Après ceux Journal de Québec, c’est au tour des employés du Journal de Montréal de faire face à un lock-out qui perdure. Les dirigeants de l’entreprise veulent réduire de manière importante les coûts d’exploitation du quotidien. Le groupe dirigé par Pierre Karl Péladeau subit une baisse du lectorat, tant pour le Journal de Québec et le Journal de Montréal que pour ses autres quotidiens payants d’importance au pays tels le Toronto Sun, le Calgary Sun et le Edmonton Sun. Le tassement du nombre de lecteurs ne touche pas que les titres de Quebecor, mais bien tous les titres payants de la presse montréalaise. Cela n’aide pas à convaincre les annonceurs de maintenir la part des budgets publicitaires allouée aux quotidiens payants. Ils se tournent de plus en plus volontiers vers les nou-


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veaux médias… mais pas nécessairement vers les sites des quotidiens. La publicité L’Association canadienne des journaux estime en effet que les revenus publicitaires des éditions papier des quotidiens payants ont fléchi de 6,2 % au Canada entre 2005 et 2008. Cette baisse n’est pas compensée par l’augmentation des recettes tirées de la vente de publicité en ligne, de sorte que, au total, les revenus publicitaires de ces journaux ont décliné. La publicité en ligne représente 6,7 % de l’ensemble des revenus publicitaires des quotidiens payants au Canada en 2007. Malheureusement, il n’existe aucune donnée comparable pour le Québec pris isolément. De façon plus générale, on sait cependant que les dépenses des annonceurs dans les principaux véhicules publicitaires – journaux (quotidiens et hebdomadaires, payants et gratuits), télévision, radio, magazines, Internet et affichage – ont augmenté de 33 % entre 2003 et 2007 au Québec. C’est Internet qui gagne la palme de la plus forte croissance. De fait, on y dépense maintenant autant d’argent que pour l’achat de minutes publicitaires à la radio. Tous deux se classent au troisième rang des médias les plus utilisés par les annonceurs, après la télévision et les journaux. Internet rafle quelque 11 % du marché de la publicité – contre moins de 1 % en 2003. Ce sont les journaux qui encaissent la perte la plus importante :

la baisse de cinq points et demi qu’ils ont connue depuis 2003 est supérieure aux pertes combinées de la télévision, de la radio, des magazines et de l’affichage. La presse quotidienne Il faut dire que le nombre de lecteurs de quotidiens décline au Québec, malgré la popularité des quotidiens gratuits à Montréal. Entre 2004 et 2007, les quotidiens ont perdu près de 120 000 lecteurs chaque jour en semaine (le tableau fait état des variations pour chacun des 14 titres). La part de la population qui lit un

Les revenus publicitaires des éditions papier des quotidiens payants ont fléchi de 6,2 % au canada entre 2005 et 2008. quotidien de façon régulière du lundi au vendredi est passée de 52 % à 48 % pendant la même période. Quant à la portée totale de ces journaux, c’està-dire le nombre de personnes qui ont lu ou feuilleté au moins une édition papier ou en ligne pendant la semaine (7 jours), elle a chuté d’environ 58 000 lecteurs. Il en résulte que la part des Québécois rejoints par les quotidiens est maintenant de 75 %. Elle était de 80 % en 2004. À Montréal, les gratuits Métro et 24 heures ont gagné 70 000 lecteurs 335


L’état du Québec 2010 tabLeau 1

Évolution du nombre de lecteurs réguliers des quotidiens québécois en semaine Titres Le Journal de Montréal La Presse The Gazette Métro 24 heures Le Devoir Le Journal de Québec Le Soleil Le Droit Le Nouvelliste* La Tribune* Le Quotidien* La Voix de l’Est* The Record*

2004 2008 Variation** 642 000 578 800 ­ 63 200 459 200 358 100 260 500 152 500 77 000 204 300

444 600 294 300 323 800 227 200 67 500 167 400

­ 14 600 ­ 63 800 + 63 800 + 74 700 ­ 9 500 ­ 36 900

128 200 155 500 74 000 88 600 52 700 54 400 42 600 45 400 58 300 54 000 23 700 26 700 1 600 1 200

+ 27 300 + 14 600 + 1 700 + 2 800 ­ 4 300 + 3 000 ­ 400

* Pour ces journaux, les seules données disponibles ont trait à l’année 2005 plutôt qu’à 2004. ** Le nombre de lecteurs de quotidiens pour l’ensemble du Québec ou pour un marché donné, par exemple le marché de Montréal, ne peut être établi en additionnant les lecteurs de tous les titres, parce que les lecteurs qui lisent plus d’un titre seraient alors comptés plusieurs fois. Source : Compilation du CEM à partir des données de NADbank

depuis 2004, ce qui porte à environ 385 000 le nombre de Montréalais qui lisent l’un ou l’autre de ces titres chaque jour de parution. Ces gains ne compensent toutefois pas les pertes encaissées par les titres payants de la métropole, dont le nombre de lecteurs a chuté de 160 000 chaque jour en semaine. Cela représente une baisse de 11,6 %. 336

À moins d’un revirement, le déclin du lectorat des journaux payants devrait se poursuivre avec le vieillissement des plus jeunes, car l’habitude de lire un quotidien payant de façon régulière en semaine est bien moins répandue chez les 18-34 ans que chez les 35 ans et plus. Ils sont 35 % chez les plus jeunes à avoir adopté cette pratique, contre 45 % chez les plus âgés. On remarque exactement l’inverse à l’égard des titres gratuits. Ceux-ci sont lus chaque jour de parution par 20 % des moins de 35 ans, comparativement à 11 % chez leurs aînés. Les magazines À l’instar des quotidiens, les magazines – du moins ceux qui sont destinés au grand public et dont le lectorat est mesuré par la firme Print Measurement Bureau (PMB) – perdent des lecteurs. La quarantaine de magazines dont il est question ont vu leur lectorat décroître de 16 % entre 2003 et 2008. Cela représente une baisse de près de 3,4 millions de lecteurs par période de publication (la plupart de ces titres sont des mensuels). Ces données de l’industrie font écho au désintéressement dépeint par le ministère de la Culture et des Communications dans la dernière édition de son enquête sur les pratiques culturelles des Québécois (2004). Selon cette enquête reconduite tous les cinq ans depuis 1979, c’est en 1994 que les magazines attiraient le plus grand nombre de lecteurs : 63 % des Québécois en lisaient au moins un par mois. Depuis, cette proportion ne


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cesse de descendre et a atteint 53 % en 2004. Cela représente une baisse de 10 points en 10 ans. En ce qui concerne les habitudes de lecture selon les différents groupes d’âge, les 15-24 ans sont passés, en 10 ans, du statut de plus grands lecteurs de magazines à celui de groupe présentant le taux le plus faible. En 1994, ils étaient trois sur quatre à lire un magazine chaque mois. Dix ans plus tard, il n’en restait plus qu’un sur deux. Qui plus est, un bon nombre des 25-34 ans de 2004, qui faisaient partie 10 ans plus tôt de la cohorte des 15-24 ans, ont délaissé les magazines : leur taux de lectorat est passé de 75 % à 53 %, soit une baisse de 22 points. L’enquête révèle également que les magazines ont perdu des lecteurs de tous les niveaux de scolarité. Les baisses les plus importantes sont toutefois survenues chez ceux qui ont fréquenté le cégep ou l’université. La télévision Contrairement à la presse écrite, la télévision gagne en popularité auprès des Québécois de langue française. Ils y consacrent maintenant environ deux heures de plus qu’en 2004, soit 31,5 heures par semaine. On peut attribuer cette hausse au plus grand choix qui leur est offert. On note également une écoute plus importante à l’échelle du Canada, mais les francophones du Québec demeurent de plus grands téléphages que les autres Canadiens. La différence atteint presque cinq heures par semaine.

Il existe une relation directe entre l’âge et l’intérêt pour le petit écran. De façon générale, plus on avance en âge et plus on est accro à la télévision. Les femmes sont également des téléspectatrices plus assidues que les hommes. Toutefois, cet intérêt plus grand pour la télévision ne profite pas également à toutes les chaînes. Les canaux spécialisés sont les grands gagnants. Les heures d’écoute que les Québécois francophones leur accordent ont augmenté du tiers depuis 2004, année qui marque l’introduction du système de mesure par audiométrie. Ensemble, les RDS,

heures par semaine consacrées à l’écoute de la télévision : 31,5 Super Écran, Séries +, Vrak TV, Télétoon, Canal D et autres RDI (en tout 22 chaînes) totalisent 40,3 % de l’écoute. Cette augmentation de l’audience des réseaux spécialisés au détriment des réseaux généralistes entraîne un déséquilibre dans l’évolution des revenus des uns et des autres et se reflète dans leurs marges bénéficiaires. Alors que les services spécialisés et payants transforment plus du quart de leurs recettes en profits, cette proportion n’est que de 6 % pour les généralistes. Les premiers sont donc en mesure d’investir davantage dans leurs diverses programmations, ce qui devrait permettre d’attirer de nouveaux téléspectateurs et, à la fin du cycle, 337


L’état du Québec 2010

d’attirer de nouveaux annonceurs. Les généralistes, au contraire, doivent réduire leurs dépenses. La radio Les Québécois passent en moyenne 18,5 heures par semaine à écouter la radio conventionnelle (contre 18,3 heures dans l’ensemble du Canada), mais ils le font avec moins d’assiduité qu’en 1999 : la

Les Québécois passent en moyenne 18,5 heures par semaine à écouter la radio conventionnelle.

baisse est de 2,8 heures par semaine chez les Québécois et de 2,2 heures chez les Canadiens (figure 1). Les chiffres publiés par Statistique Canada1 nous permettent de faire d’autres constats pour le Québec : - les Québécois anglophones consacrent plus de temps à écouter des émissions de radio que les Québécois francophones ; - de façon générale, les hommes et les femmes écoutent autant la radio les uns que les autres. Une différence marquée entre les sexes apparaît cependant chez les 25-49 ans, pour lesquels l’écoute radiophonique heb-

Figure 1

Évolution de l’écoute hebdomadaire de la radio chez les auditeurs 22,0 21,5

21,3

Heures par semaine

21,0 20,5

21,2 20,7

20,5

20,5

20,1 19,8

20,0 20,3 20,1

19,5

19,7

20,2 19,5

19,5 19,1

19,0

18,8 18,5 18,6

18,5

18,3

Québec

Canada

Source : Statistique Canada, diverses éditions du bulletin Le Quotidien.

338

2007

2006

2005

2004

2003

2002

2001

2000

1999

18,0


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domadaire des hommes devance celle des femmes. Chez les 65 ans et plus, le phénomène inverse se produit ; - les adolescents et les 18-24 ans écoutent bien moins la radio que leurs aînés. De plus, le temps qu’ils passent à écouter la radio diminue de manière plus marquée. Ainsi, les plus jeunes y ont consacré 7,2 heures en 2007 contre 11,3 en 1999.

Les nombreuses stations qui proposent surtout de la musique recueillent plus de 70 % des heures d’écoute. La Première chaîne de Radio-Canada, qui mise sur l’information et les interviews, obtient de 14,5 % des heures d’écoute, alors que les stations privées à prépondérance verbale (information, magazines, tribunes téléphoniques et retransmission de matchs sportifs) en obtiennent 15,2 %. Ces deux types de

graphiQue 1

Popularité de certaines activités pratiquées par les internautes canadiens Jeux en ligne multijoueurs Création d’un site personnel Écoute de balados Babillard électronique Téléchargement de musique Lecture audio en continu Jeux en ligne Réseautage social Messagerie instantanée Vidéos en ligne Au cours des mois précédents

0%

10% Anglophones

20%

30%

40 %

50 %

60%

Francophones

Source : Media Technology Monitor de BBM, données rapportées dans CRTC, Rapport de surveillance des communications 2009.

339


L’état du Québec 2010

service attirent très peu les jeunes. Plus l’âge des auditeurs augmente, plus la popularité de ces radios s’accroît. Les nouveaux médias Le développement des modes numériques de distribution a diversifié les moyens de consommer les contenus des médias traditionnels, mais a aussi permis à de nouveaux types de médias de s’implanter. Internet demeure le principal vecteur de ces changements, bien

pourcentage des Québécois qui utilisent internet : 71 %

seulement un tiers des personnes âgées de 65 ans et plus déclare une telle pratique. Le graphique 1 permet de mettre en évidence le degré d’adoption de nouveaux usages (vidéo sur Internet ; téléchargement de balados ou de musique ; écoute de radio en continu). Les francophones sont généralement moins nombreux que les anglophones à intégrer de telles pratiques à leurs habitudes. Les dépenses des annonceurs sur Internet totalisent 317 millions de dollars pour les sites canadiens de langue française en 2008, soit une croissance de 22 % par rapport à 2007. Les médias traditionnels qui ont une présence en ligne y sont en concurrence avec une pléthore d’autres entreprises, dont les moteurs de recherche, qui raflent une bonne partie des dollars des publicitaires.

que les modèles avancés de téléphones cellulaires ouvrent de nouveaux modes d’accès à des contenus audio et vidéo. Or, le nombre de Québécois utilisant Internet croît toujours. La proportion est actuellement de 71 %. Le nombre note d’utilisateurs diminue avec l’âge. Plus 1. Statistique Canada, Le Quotidien, édition du de 90 % des 18-24 ans utilisent Internet 26 juin 2007. au moins une fois par semaine, alors que

340


Médias dans l’œil du cyclone paul cauchon Journaliste, Le Devoir

La grande crise qui secoue les médias dans le monde a frappé le Québec de plein fouet cette année. Si la crise est d’abord conjoncconjoncturelle, elle est aussi structurelle : baisse de lectorat lectorat,, déplacement de la publicité vers internet, internet, baisse des profits des réseaux de télévision généralistes, passage difficile vers un univers multimémultimédia. au Québec, Le Journal de Montréal est en lock-out, La Presse fait face à des compressions majeures, radio-canada doit se départir de 800 employés. et tous les médias doivent partager leur territoire avec de nouveaux venus : Facebook, Facebook, twitter, twitter, mais aussi les médias citoyens. citoyens. La remise en question des modèles traditiontraditionnels est bien amorcée.

Au printemps 2009, le réputé journal américain The Christian Science Monitor abandonnait le papier pour se consacrer à un site Internet quotidien et n’offrir qu’une version imprimée hebdomadaire le week-end. Cette décision d’une prestigieuse publication à vocation nationale a fait le tour du monde, puisqu’elle symbolisait les changements en cours dans l’univers des journaux. Depuis plusieurs mois, les lecteurs québécois lisaient des articles sur la

baisse du lectorat des journaux, sur la pression irrésistible du Web sur les modes de diffusion traditionnels, sur le déplacement des revenus publicitaires vers Internet, et ainsi de suite. Ces reportages parlaient de journaux américains, français, scandinaves, italiens, britanniques. Mais en 2009, ces problèmes ont frappé de plein fouet deux des principaux journaux de la province, Le Journal de Montréal et La Presse. 341


L’état du Québec 2010

Septembre 2009 : la direction de La Presse menace de suspendre la publication du quotidien si les employés ne font pas de concessions sur leurs conditions de travail.

La crise au Journal de Montréal avait couvé tout au long de l’automne 2008, alors que se tenaient de difficiles négociations sur le renouvellement de la convention collective des employés. Mais elle a véritablement éclaté le 24 janvier 2009 lorsque, devant l’impasse des négociations, Quebecor a placé le journal en lock-out. Les employés, expulsés de leur lieu de travail, ont alors répliqué en votant la grève générale. Et très rapidement ils ont lancé leur propre site Internet, RueFrontenac. com, publication quotidienne qui leur permet de ne pas perdre la main. La direction de l’entreprise, elle, a poursuivi la publication du Journal de Mont342

réal avec les cadres, en reprenant des textes du Journal de Québec et en utilisant une nouvelle structure, l’agence QMI, dans laquelle différentes publications de Quebecor déposent leurs textes pour utilisation commune. Quebecor veut en effet généraliser la mise en commun des contenus de ses différents médias et cherche à réduire les coûts de conventions collectives fort avantageuses. L’éditrice du Journal de Montréal, Lyne Robitaille, a indiqué « ne plus avoir de marge de manœuvre pour évoluer », et cette évolution passe dans les prochaines années par une intégration plus poussée des contenus sur les nouvelles plateformes technologiques.


Médias

Le syndicat, lui, se bat à la fois pour préserver ses conditions de travail et pour maintenir la qualité de l’information, qu’il estime menacée. Le conflit a été acrimonieux, puisqu’il a aussi obligé les différents collaborateurs non salariés du journal à décider s’ils poursuivaient ou non leur collaboration avec le journal. Les conséquences de ce conflit pourraient être profondes. La direction de l’entreprise fait en effet la preuve qu’elle peut continuer à publier son journal sans ses journalistes syndiqués. Et plus les mois passent, plus l’agence QMI devient une structure centrale de redistribution des contenus pour les médias du groupe. au tour de La Presse Alors qu’on croyait que le principal concurrent du Journal de Montréal, La Presse, pourrait profiter des difficultés de son rival, on apprenait le 15 juin 2009 que le quotidien mettait en place un plan de réduction des dépenses de 26 millions de dollars pour faire face à ses propres difficultés financières. L’aspect le plus spectaculaire de ce plan a consisté à abolir, le 28 juin, l’édition du dimanche, qui était publiée depuis 25 ans. Cette annonce survenait après la mise sur pied d’un programme de départs volontaires à l’automne 2008. Mais l’éditeur du quotidien et président de Gesca, Guy Crevier, évoquait au printemps suivant « une récession soudaine et brutale » et le déficit du fonds de pension des employés. La moitié du plan de réduction des dépenses, soit 13 millions

de dollars, concerne directement les coûts de main-d’œuvre. Sa négociation apparaît donc comme un exercice douloureux auquel les syndicats sont conviés. Les autres journaux du groupe Gesca doivent également revoir leurs coûts, mais c’est vraiment La Presse, le vaisseau amiral du groupe, qui est le plus touché.

La moitié des 26 millions de dollars du plan de réduction des dépenses de La Presse concerne les coûts de main-d’œuvre. La situation des deux grands quotidiens montréalais diffère sous plusieurs aspects, mais elle présente au moins une grande ressemblance : les coûts de production d’un grand journal quotidien sont de moins en moins adaptés à un marché en décroissance, et les entreprises n’ont pas encore trouvé le moyen de générer des profits substantiels avec leurs nouvelles activités Internet. Le Devoir apparaît comme le seul journal qui n’a pas fait face à une crise importante en 2009. Sa situation est toujours fragile, mais ses coûts de maind’œuvre et de production sont beaucoup moins élevés que ceux de ses concurrents, et il compte sur un nombre grandissant d’abonnés Internet pour générer des profits, aussi minimes soient-ils. 343


L’état du Québec 2010

Des télédiffuseurs sous pression The Gazette avait également fait face, en 2008 et en 2009, à des compressions budgétaires. Mais c’est surtout son propriétaire, le groupe CanWest Global, qui a passé l’année à tenter de renégocier sa dette avec ses créanciers. CanWest annonçait au début de 2009 l’abolition de 560 emplois, dont 360 emplois dans les journaux du groupe – l’entreprise gère également le réseau de télévision Global. Il est très significatif que la direction de CanWest ait précisé que les seuls endroits où elle refusait d’imposer des compressions étaient « les médias en croissance », soit Internet, la téléphonie et les chaînes spécialisées. Pour équilibrer leur budget, CanWest Global et son rival, CTV, ont cherché en 2009 à vendre de petites stations de télévision locales. En 2008, selon un rapport du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), les bénéfices des chaînes généralistes canadiennes s’élevaient, avant impôts, à 8 millions de dollars. Une misère, si l’on considère qu’en 2004 ils étaient de 233,4 millions ! Les chaînes de télévision généralistes ont donc continué à plaider pour l’obtention d’une partie des redevances des abonnés du câble et du satellite, redevances actuellement versées aux seules chaînes spécialisées. Peine perdue, puisque le CRTC leur a encore refusé cette permission en 2009. Il a toutefois renouvelé pour deux ans les licences des chaînes généralistes, une 344

mesure exceptionnelle puisque celles-ci sont habituellement accordées pour sept ans. L’organisme réglementaire fédéral veut ainsi prendre le temps de bien analyser la situation difficile de ces réseaux. On peut conclure de cette série de compressions que ce sont les grands médias généralistes, journaux et réseaux de télévision conventionnels, qui sont le plus bouleversés par les changements dans le monde des médias. Car les médias spécialisés, autant les magazines que les chaînes spécialisées, s’en tirent beaucoup mieux. radio-canada doit faire sa part Le grand diffuseur national, lui, est-il à l’abri des difficultés ? Pas du tout. En mars 2009, Radio-Canada annonçait la plus importante opération de rationalisation depuis 15 ans. Pour faire face à un manque à gagner de 171 millions de dollars, Radio-Canada/CBC a procédé à 800 mises à pied (environ 8 % du personnel), dont 335 dans le secteur français. Radio-Canada évoque la perte de revenus publicitaires, conjuguée à des hausses multiples des dépenses, par exemple dans les coûts de production. Le gouvernement conservateur a été pris à partie par tous les autres partis politiques pour ne pas être venu à la rescousse du diffuseur public. S’il est exact qu’il ne lui a pas accordé de subvention spéciale pour faire face à cette crise, il faut préciser qu’il n’a pas réduit les crédits parlementaires de Radio-Canada.


Médias

Son plan de survie comprend plusieurs volets, dont des mises à la retraite, la diminution des budgets alloués aux émissions, l’augmentation du nombre de reprises à la radio et à la télévision et des ventes d’actifs. Dans un tel contexte, il est presque miraculeux que la programmation télévisuelle automne-hiver 2009-2010 ait pu conserver des titres forts et proposer plusieurs nouveautés. Et, pour le moment, Radio-Canada a évité une menace qui planait, celle de se voir imposer de la publicité à la radio. Par ailleurs, le télédiffuseur public accélère encore plus son virage Internet, en proposant de nouveaux produits sur son site Web, en offrant de plus en plus de « Webdiffusions » et en poussant plus loin l’intégration radio-télé-Web. Dans un contexte aussi trouble pour les réseaux télévisuels, la transformation de l’ancien TQS en une quasi nouvelle chaîne, V, apparaît comme un pari particulièrement audacieux. Remstar, qui avait acheté TQS en faillite en 2008 et qui avait d’abord proposé une programmation de transition, a véritablement manifesté ses intentions à l’automne 2009, avec une programmation qui cible les 18-49 ans, présentant force jeux et émissions américaines, et avec l’ancien chef de l’ADQ Mario Dumont à la barre d’un magazine quotidien. Reste à voir si Remstar saura remporter son pari de faire une chaîne généraliste rentable. Par ailleurs, la situation des réseaux généralistes se complexifie encore plus avec la création par le gouvernement

fédéral en mars 2009 du nouveau Fonds des médias, qui remplace le Fonds de télévision. L’intention du gouvernement conservateur est de créer un fonds qui privilégiera les émissions rentables aux cotes d’écoute élevées. Les télédiffuseurs publics comme Radio-Canada et Télé-

radio-canada a évité une menace qui planait, celle de se voir imposer de la publicité à la radio. Québec sont inquiets, se demandant si d’excellentes émissions à l’écoute moins élevée seront délaissées. Le nouveau fonds sera en vigueur en 2010, et l’incertitude règne encore sur la façon dont les nouveaux critères seront appliqués. Par ailleurs, le CRTC a décidé en juin 2009 de ne pas imposer de réglementation supplémentaire à Internet, alors que plusieurs groupes lui demandaient d’exiger des fournisseurs d’accès qu’ils contribuent à un fonds de production de contenus pour le Web. Les médias et les citoyens dans une nouvelle relation La crise des médias n’est pas qu’économique. Le rôle même des médias traditionnels est en transformation sous la poussée d’Internet. Les médias traditionnels cherchent en effet à faire une place aux citoyens qui s’expriment fortement, et autrement, par l’intermé345


L’état du Québec 2010

diaire de nouveaux modes de diffusion comme Facebook et Twitter. Les médias doivent apprendre à partager le territoire de l’information avec ces citoyens. Lors des élections de juin 2009 en Iran, par exemple, le mouvement de contestation a largement été propagé sur Internet, que ce soit par les vidéos sur YouTube ou par les messages sur Twitter, alimentant les salles de nouvelles. Quant à l’élection canadienne de 2008, elle a été marquée au Québec par la protestation des groupes culturels, qui se sont servis d’Internet, et particulièrement de YouTube, comme d’une arme de contestation. Au Québec, les changements dans le monde des médias suscitent aussi des interrogations sur la qualité même de l’information, à cause de la vitesse de diffusion des informations en tous genres sur le plan mondial, mais aussi à

346

cause de la diminution des ressources dans les médias eux-mêmes. Le Conseil de presse du Québec rendait public en octobre 2008 un rapport sur la qualité de l’information, à la suite d’une grande tournée régionale effectuée quelques mois auparavant. Le constat du public était sévère : selon les participants à cette tournée, la qualité de l’information était affectée par le sensationnalisme, l’accent mis sur les événements spectaculaires ou négatifs, l’uniformisation du contenu, l’absence de suivi et le contenu superficiel. Ironie du sort, quelques mois après la publication de ce rapport, c’est le conseil luimême qui était en crise. Les radios et télédiffuseurs privés se retiraient en effet de l’organisme, et son président démissionnait, alors que le conseil s’interrogeait sur son rôle et sur son continuel manque de ressources.


Fin du mythe de l’autorégulation des médias Marc-François bernier Professeur agrégé, Chaire de recherche en éthique du journalisme, Université d’Ottawa

entre le départ de plusieurs de ses membres et une crise de légilégitimité et de leadership, le conseil de presse du Québec (cpQ) a connu une année 2009 pénible. Mais ce malaise n’est pas propre au cpQ : il s’inscrit dans un contexte où l’autorégulation des médias est de plus en plus considérée comme un mythe, voire un mécamécanisme d’autoprotection plutôt que de protection du droit du public à une information de qualité.

Sous la pression de certains des médias qui le financent, le Conseil de presse du Québec (CPQ) a dû en 2009 réfléchir à son rôle et à la portée de ses interventions. Ces entreprises de presse ne veulent pas que les tribunaux civils – qui interviennent notamment dans des cas de diffamation – puissent utiliser les décisions du CPQ pour justifer les leurs. Cette tentative de brider le Conseil de presse a pour l’instant échoué, mais elle en dit beaucoup sur les limites d’un organisme dont la survie

dépend du bon vouloir des médias qui le composent. charité bien ordonnée commence par soi-même Le CPQ a toujours souffert de sousfinancement, certains médias n’ayant jamais contribué à son budget, mais cette situation s’est aggravée à compter de décembre 2008 quand les radiodiffuseurs privés (TVA, Astral, Corus, RDS, TQS, etc.) ont décidé de le délaisser au profit du Conseil canadien des 347


L’état du Québec 2010

normes de la radiodiffusion (CCNR). Outre le financement, il a aussi perdu une certaine légitimité, car dorénavant ces diffuseurs peuvent refuser de collaborer avec le CPQ lorsque celui-ci traite une plainte les concernant, l’empêchant par le fait même de se prononcer en toute connaissance de cause. Des journalistes de ces entreprises ont néanmoins accepté, dans certains cas, de collaborer aux procédures du CPQ, ce qui lui a permis de rendre une décision. Mais si les plaignants veulent obtenir des explications de la part des diffuseurs eux-mêmes, ils devront s’adresser au CCNR, un organisme entièrement financé par les diffuseurs privés. Le mémoire déposé au Conseil de presse par la Fédération nationale des communications (FNC) affirme que le « désengagement à la fin de l’année 2008 [des diffuseurs privés], les menaces des hebdos d’en faire autant et les conditions que pose l’Association des quoti-

Les entreprises de presse sont réfractaires à l’autorégulation quand celle-ci porte à conséquence. diens au maintien de son adhésion ont provoqué la crise que traverse actuellement le Conseil de presse. La FNC constate cet état de fragilité dans lequel se retrouve le Conseil, preuve que l’autorégulation a ses limites1 ». 348

L’année 2009 a confirmé que ces entreprises de presse étaient réfractaires à l’autorégulation quand celle-ci porte à conséquence. Lorsqu’elles acceptent de collaborer, c’est parfois à contrecœur, cherchant à en atténuer les conséquences. Le CPQ a souvent déploré que ses décisions ne soient pas publiées par les médias mis en cause, ce qui est contraire à l’esprit de l’autorégulation. L’autorégulation en question On peut dire que le CPQ a connu une crise existentielle, au point où ses président et vice-président, réfractaires aux demandes des entreprises de presse, ont démissionné pour ne pas nuire à sa survie. Leur présence aurait pu inciter des médias membres à quitter le CPQ, le privant ainsi de leurs cotisations. Cet épisode québécois s’inscrit dans un contexte plus large de remise en cause de la légitimité, de la crédibilité et de l’efficacité des dispositifs d’autorégulation que les médias ont créés depuis près d’un siècle d’échapper aux interventions étatiques. L’autorégulation est un dispositif célébré dans plusieurs sociétés libres et démocratiques, car elle résulte de l’initiative des principaux intéressés, qui lui attribuent de nombreuses vertus. Le journaliste hongrois Miklós Haraszti écrira par exemple qu’elle « aide les médias à réagir et à répondre aux plaintes légitimes et à corriger leurs erreurs2 ». Mais des études empiriques disent autre chose.


Médias

Créé en 1973 à l’initiative conjointe de journalistes et de dirigeants de médias d’information, le Conseil de presse du Québec est un organisme à adhésion volontaire, indépendant des autorités gouvernementales, dont la mission est la protection de la liberté de la presse et la défense du droit du public à une information de qualité.

Dans son mémoire de maîtrise, le chercheur Ulric Deschênes a révélé des failles importantes dans la procédure d’étude des plaintes du CPQ et dans sa jurisprudence, qui « témoigne d’un laxisme endémique3 » par opposition aux tribunaux civils. Outre les imperfections structurelles du CPQ (fragilité face aux pressions des entreprises de presse qui la financent ; impossibilité de connaître qui, parmi les membres du CPQ, a participé aux délibérations, l’identité des membres du Comité des

plaintes sur l’éthique de l’information – choisis parmi les 20 administrateurs identifiés sur le site – n’étant pas publiée), des entreprises de presse ont refusé à plusieurs reprises de collaborer à ses délibérations, minant ainsi sa légitimité et son efficacité. L’ex-président du CPQ, Raymond Corriveau, écrira même que l’historique « des crises quasi permanentes du Conseil de presse laisse penser que l’autoréglementation ne fut jamais bien acceptée par les entreprises de presse4 ». Quant à l’honorable Jean349


L’état du Québec 2010

Pierre Bourduas, juge à la Cour du Québec, il conclut que le CPQ « est, en droit, un organisme privé, et dans les faits, un organisme voué à la défense et à la promotion des intérêts de ses membres5 ». Dans son mémoire soumis au CPQ en mai 2009, la FNC « estime cependant que les décisions du tribunal d’honneur doivent rester anonymes de façon à éviter que les journalistes qui siègent à ces comités subissent des pressions indues de leurs patrons ou de leurs pairs ». Quant au CCNR, il est financé entièrement par l’Association canadienne des regroupements volontaires de radiotélédiffuseurs privés, qui assure l’autorégulation de l’industrie en matière de publicité, d’information et de programmation liée au divertissement. C’est cet organisme privé qui a blâmé RadioCanada pour son Bye Bye 2008, avant que le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) ne fasse sensiblement la même chose, en août 2009. Le CRTC, justement, n’est pas considéré comme un dispositif fiable pour venir en aide à ceux qui ont été injustement traités par les médias. Ces dernières années, bien qu’il ait refusé de renouveler la licence de la station radiophonique CHOI-FM, reconnue pour ses graves transgressions à la déontologie et aux conditions de sa licence, il a néanmoins laissé ses propriétaires vendre à un autre groupe médiatique une licence qui ne leur appartenait plus, si bien que la radio est toujours en ondes. 350

Au Royaume-Uni, il a été démontré que, de sa fondation à son abolition en modifications, le British Press Council a surtout protégé les intérêts des médias et des journalistes contre les critiques des citoyens. Aux États-Unis, il n’existe que quelques conseils de presse régionaux. Le Conseil de presse national n’a duré que 11 ans, en raison, d’une part, d’une forte résistance de grands médias, tel le New York Times, et, d’autre part, de son incapacité à s’imposer par des décisions courageuses ou impartiales. Quant aux ombudsmen et aux médiateurs de presse, le verdict n’est guère plus favorable. C’est en partie pour protéger la viabilité économique des médias face à un public méfiant, de moins en moins consommateur, ou, dans le cas des médias publics, pour assurer leur légitimité sociale qu’ont été créées des fonctions telles que l’ombudsman, le médiateur de presse ou le représentant du public. Une enquête que nous avons menée a montré que l’ombudsman de Radio-Canada avait tendance à se montrer complaisant à l’égard de son employeur6. Ainsi a-t-on observé que moins de 23 % des griefs examinés étaient considérés comme fondés et que dans 60 % des plaintes rejetées, l’ombudsman ne dévoilait aucune des normes sur lesquelles son jugement s’appuyait. Les rares fois où un même dossier a été examiné à la fois par l’ombudsman, le Conseil de presse du Québec et les tribunaux civils, c’est l’om-


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budsman qui s’est montré le moins réceptif envers les plaignants. Dans plusieurs pays occidentaux, on observe que les journalistes ont élaboré des textes déontologiques exhaustifs et conformes à de grandes valeurs morales, sociales et intellectuelles (servir l’intérêt public, diffuser des informations vraies, faire preuve de rigueur et d’exactitude, être impartiaux, équitables et intègres), mais qu’ils ont été incapables de s’autodiscipliner pour les appliquer7. La convergence, la concentration et la commercialisation La remise en question des dispositifs traditionnels d’autorégulation s’inscrit aussi dans un contexte de convergence des médias, de concentration de la propriété et de commercialisation de l’information. Dans ce contexte, les journalistes semblent impuissants à imposer leurs normes professionnelles, ce qui les inquiète beaucoup8. Comment, alors, est-il possible d’améliorer la diversité et la qualité de l’information ? Plus de 276 journalistes du Québec ont répondu à cette question dans le cadre d’une enquête qualitative de la Chaire de recherche en éthique du journalisme de l’Université d’Ottawa9. Le plus souvent, les journalistes demandent une intervention étatique afin de limiter, voire de diminuer, la concentration de la propriété des entreprises de presse. Plusieurs ont proposé que le CPQ soit réformé pour « avoir des dents » et qu’il sanctionne les transgres-

sions déontologiques. D’autres ont plutôt souhaité l’implantation d’un tribunal qui serait indépendant des médias. L’imposition d’un code de déontologie, la création d’un ordre professionnel, de meilleures conditions de travail – surtout pour les journalistes pigistes – sont également au nombre des propositions récurrentes. Très peu de journalistes sont satisfaits de l’ordre actuel des choses, mais certains estiment qu’il est trop tard pour agir.

Les journalistes semblent impuissants à imposer leurs normes professionnelles, ce qui les inquiète beaucoup. Le sociologue Pierre Bourdieu était d’avis que le journaliste, à titre individuel, n’a pas toujours la capacité d’assumer des responsabilités éthiques et morales alors même que pèsent sur lui des mécanismes sociaux lourds. Ses revendications professionnelles ne sont pas toujours compatibles avec la situation d’un employé dont les choix et les comportements sont fortement influencés par des injonctions et des assignations d’un employeur soucieux de maximiser ses gains économiques, politiques, etc. C’est en tenant compte de ce contexte que Bourdieu se demandait comment renforcer les contraintes qui favorisent l’éthique et comment « contrecarrer […] celles qui poussent à la faute ou à l’erreur10 ». 351


L’état du Québec 2010

Alors que le pouvoir médiatique ne cesse de croître, les démocraties et leurs citoyens ont toujours besoin de journalistes intègres, équitables, soucieux de vérité sur des enjeux importants. Bien que les journalistes adhèrent massivement à de telles exigences, ils sont aux prises avec des contraintes organisationnelles qui, souvent, les poussent à transgresser les principes éthiques et les règles déontologiques en vigueur dans la profession. Les enquêtes ont mis en évidence l’incapacité des journalistes et des médias à instaurer une réelle autodiscipline. Il est peut-être temps d’envisager des modèles de corégulation, où il reviendrait aux journalistes de se donner librement des normes professionnelles, pendant que le pouvoir de discipline et de sanction serait confié à un organisme indépendant et neutre, tel un tribunal de la déontologie du journalisme. notes

1. Fédération nationale des communications, Mémoire présenté au Conseil de presse du Québec, 20 mai 2009, p. 4. 2. Haraszti, Miklós, « Les mérites de l’autorégulation des médias : concilier droits et respon-

352

sabilités », dans Le guide pratique de l’autorégulation des médias, Vienne, OSCE, 2008, p. 10-11. 3. Deschênes, Ulric, L’insoutenable légèreté du discours. L’analyse de la jurisprudence du Conseil de presse du Québec, mémoire de maîtrise, Département d’information et de communication, Faculté des arts, Université Laval, 1996, p. 90. 4. Corriveau, Raymond, et Denis Plamondon, « Conseil de presse du Québec. Partir pour agir », Le Devoir, 2 juin 2009, p. A7. 5. Voir Conseil de presse du Québec c. Gilles Lamoureux-Gaboury, Cour du Québec, 17 avril 2003, p. 23. 6. Bernier, Marc-François, L’ombudsman de Radio-Canada : protecteur du public ou des journalistes ?, Sainte-Foy, Presses de l’Université Laval, 2005. L’enquête se limite à la période 19922003. 7. Voir notamment Media Standard Trust, A More Accountable Press, Part 1: The Need for Reform. Is Self-Regulation Failing the Press and the Public?, Londres, 2008. 8. Bernier, Marc-François, Journalistes au pays de la convergence : Sérénité, malaise et détresse dans la profession, Québec, Presses de l’Université Laval, 2008. 9. L’auteur présente ici les premières données d’une recherche qualitative menée au printemps 2009 auprès de journalistes membres de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec et de l’Association des journalistes indépendants du Québec. 10. Bourdieu, Pierre, « Journalisme et éthique », Les Cahiers du journalisme, nº 1, 1996, p. 10-17.


L’avenir incertain des quotidiens Florian Sauvageau Directeur, Centre d’études sur les médias et professeur associé, Université Laval

Les difficultés financières que vivent les médias ne disparaîtront pas avec la reprise économique. La crise a des racines plus profonprofondes. elle s’annonce depuis des années. et les problèmes ne sont pas que pécuniaires. Le journalisme cherche aussi sa voie dans un univers de surabondance d’information.

C’était il y a moins de 30 ans. En août 1981. La Commission royale sur les quotidiens (la commission Kent, du nom de son président) rappelait dès les premières lignes de son rapport les circonstances de sa création, l’année précédente : « La Commission est née de la stupéfaction et du choc. Simultanément, à Ottawa et à Winnipeg, deux journaux respectables, fondés il y a longtemps, ont disparu. La Tribune de Winnipeg avait 90 ans, le Journal d’Ottawa, presque 95. » Leur disparition, résultat d’une entente entre deux grands groupes de presse, constituait « le point culminant d’une série d’acquisitions et de “rationalisations” qui ont transformé en pro-

fondeur la presse au Canada ». À Montréal, deux quotidiens ayant marqué l’histoire avaient également disparu à la fin des années 70, le Montréal-Matin en 1978 et The Montreal Star en 1979. Ainsi, la fermeture de journaux n’est pas un phénomène impensable ni nouveau. Six quotidiens sont publiés à Montréal en 2009 (si l’on compte les quotidiens gratuits Métro et 24 heures). Il serait étonnant qu’il y en ait autant, sur papier, à la fin de la prochaine décennie. Mais qui sait ? La crise de la presse écrite a frappé l’Amérique du Nord de plein fouet à l’automne 2008. Aux États-Unis, les 18 derniers mois ont été catastrophiques. 353


L’état du Québec 2010

Le Devoir, qui tire la moitié de ses revenus de la vente du journal à ses lecteurs, se tire mieux d’affaire dans la conjoncture économique difficile.

De nombreux journalistes ont été licenciés, les conditions de travail de ceux qui restent en poste se sont détériorées. La fermeture d’un vieux journal du Colorado, le Rocky Mountain News, a symbolisé ce marasme. Chez nous, les directions des quotidiens réclament aussi des modifications majeures aux conditions de travail de leurs journalistes. Le Journal de Montréal a décrété un lock-out en janvier et, plus récemment, La Presse a mis ses employés en demeure d’accepter des changements importants avant la fin de l’année. Des craintes en découlent pour l’avenir non seulement des journaux, mais 354

aussi de l’information, plus encore quand on sait le rôle que jouent les quotidiens dans le processus de collecte et de diffusion des nouvelles, quotidiens dont les salles de rédaction sont beaucoup mieux garnies que celles des autres médias. Sans les journaux pour s’y alimenter, le menu d’information des autres médias serait souvent mince. une crise à multiples facettes La crise financière que vit la presse écrite est double, conjoncturelle et structurelle, diraient les économistes. La récession (la conjoncture) et la diminution des revenus publicitaires qui


Médias

l’accompagne transforment en chute brutale le lent déclin des quotidiens amorcé depuis des années. Les difficultés ne disparaîtront toutefois pas avec la reprise économique, comme par un coup de baguette magique. La crise a des racines plus profondes. Pour comprendre les changements en cours, il faut les voir dans un cadre plus large. Celui du repli des médias de masse comme nous les avons connus au xxe siècle et de la montée des médias de niche que permet la technologie numérique. C’est le déclin du grand magasin qui offre de tout pour tous et le triomphe de la boutique spécialisée qui permet à chacun de répon-

dre à l’objet précis de ses désirs. De la même manière que la télévision généraliste a vu une partie de son auditoire migrer vers les RDS et autres canaux spécialisés, la presse écrite subit les

on assiste au repli des médias de masse et à la montée des médias de niche que permet la technologie numérique. assauts des sites de tous ordres qui se multiplient sur Internet. Les problèmes que connaissent aujourd’hui les journaux étaient prévi-

graphiQue 1

Nombre d’exemplaires vendus en moyenne chaque jour pour mille habitants chez la population âgée de 20 ans et plus ; quotidiens, 1965-2008, Québec

300 250 200 150 100 50

2008

2007

2006

2005

2004

2003

2002

2000

1995

1990

1985

1975

0 1965

Nombre d’exemplaires par 1000 habitants

350

Source : Compilation du Centre d’étude des médias à partir des données de tirage vérifiées par ABC et CCAB et des données de population de Statistique Canada.

355


L’état du Québec 2010

sibles et remontent à bien avant Internet. L’évolution du tirage des quotidiens ne correspond plus depuis longtemps à l’accroissement de la population ni à la hausse du nombre de foyers (graphique 1). Mais les journaux offraient toujours aux annonceurs un nombre de lecteurs suffisamment intéressant pour qu’ils y maintiennent leur présence, et les profits qu’ils engrangeaient faisaient oublier aux propriétaires l’intérêt déclinant que suscitaient leurs quotidiens. Le comportement plus récent des consommateurs, des plus jeunes en particulier, qui n’achètent plus guère de journaux et préfèrent Internet pour s’informer, mais aussi le changement d’attitude des annonceurs, leur ont fait tirer la sonnette d’alarme. Aux États-Unis, on dit que chaque lecteur de journal qui meurt n’a pas d’héritier. Les jeunes adultes s’informent autrement. Ils n’ont pas la fidélité à un journal quotidien ou au même bulletin de nouvelles télévisé qui caractérisait leurs parents. On dit qu’ils grignotent l’information, quand ils en ont envie, là où ils en ont envie. Ils reprennent aussi les nouvelles, les remanient, les commentent et les échangent avec leurs « amis » de Facebook ou de Twitter. Le souci d’interactivité, le besoin de mobilité du support et l’attrait pour la gratuité sont autant de traits qui marquent le rapport qu’ils entretiennent avec les médias. Tout comme une certaine méfiance envers les grands groupes de presse. 356

tabLeau 1

Évolution du nombre de lecteurs réguliers des quotidiens en semaine à Montréal Titres Le Journal de Montréal La Presse The Gazette Métro 24 heures Le Devoir

2004

2008

variation

642 000 578 800

­ 63 200

459 200 358 100 260 500 152 500 77 000

­ 14 600 ­ 63 800 + 63 300 + 74 700 ­ 9 500

444 600 294 300 323 800 227 200 67 500

Source : Compilation du Centre d’études sur les médias à partir des données de NaDBANK.

La culture de la gratuité qui s’est développée chez les jeunes adeptes d’Internet joue un rôle déterminant dans leur comportement. Ainsi, ils liront volontiers un journal papier… s’il est gratuit. À Montréal, le succès que remportent Métro et 24 heures auprès des jeunes permet de relativiser leur supposé rejet du papier (tableau 1). En revanche, cela n’arrange pas les problèmes de financement des médias. Qui va payer pour la collecte de l’information si les clients de demain ne le veulent pas et si les annonceurs le veulent de moins en moins ? Le modèle d’affaires, dit-on, s’est brisé. La publicité va voir ailleurs En Amérique du Nord, la publicité a toujours constitué la part du lion dans le financement des journaux quotidiens (entre 75 % et 80 % des revenus). Le Devoir, qui touche la moitié de ses revenus de l’achat du journal par ses lecteurs,


Médias tabLeau 2

Évolution des parts des revenus publicitaires par média (en %) de 1998 à 2008 au Canada Média

1998

2007

2008

Télévision Quotidiens* Radio Magazines Affichage Internet* Total

42,4 % 28,2 % 16,8 % 8,2 % 4,0 % 0,5 % 100 %

38,5 % 20,1 % 17,1 % 8,4 % 4,9 % 10,9 % 100 %

38,1 % 18,9 % 17,4 % 7,8 % 5,2 % 12,6 % 100 %

variation 1998-2008 ­4,3 % ­9,3 % 0,6 % ­0,4 % 1,2 % 12,2 %

* Les recettes des quotidiens et d’Internet ne tiennent pas compte des petites annonces. Source : Calculs du Centre d’étude des médias à partir des données de Television Bureau, Net Ad Volume 2008.

constitue une exception. Ce qui lui permet d’ailleurs de mieux se tirer d’affaire dans la conjoncture économique difficile que nous traversons depuis un an. Revenons aux autres quotidiens. Ils ont subi un premier revers avec l’intérêt suscité par la création de sites de petites annonces sur le Web. Traditionnellement, les « annonces classées » ont compté pour environ le tiers des revenus publicitaires des quotidiens canadiens. Les journaux américains ont été davantage frappés par leur migration vers le Web, mais le phénomène est aussi présent chez nous. Au Canada, les revenus provenant des petites annonces ont diminué de 6 % de 2005 à 2008, selon les calculs du Centre d’études sur les médias. La publicité suit les consommateurs là où ils vont. Si ces derniers se déplacent vers Internet et les médias de niche, la publicité les y suivra. D’autant que les médias spécialisés permettent aux annonceurs de cibler plus aisément les

clients potentiels qu’ils souhaitent rejoindre que les médias de masse, qui rassemblent des consommateurs aux intérêts et aux profils diversifiés, souvent peu intéressés à se procurer un produit donné. Dans une enquête réalisée pour le Consortium canadien de recherches sur les médias, quand on demande aux directeurs médias des principales agences de publicité canadiennes de décrire les principaux changements en cours dans la répartition des dépenses publicitaires, la réponse est à peu près unanime : on souligne ce déplacement vers les médias de niche. Autre coup dur pour les journaux. Le tableau 2 montre que la part des quotidiens dans l’ensemble des dépenses publicitaires au Canada a diminué de plus de 9 % depuis 10 ans. Les quotidiens, et c’est là le drame, risquent de se trouver sans les ressources requises pour maintenir la collecte d’information qu’ils assurent présentement. 357


L’état du Québec 2010

Ces journaux, objectera-t-on, sont aussi présents sur Internet, où se déplace la publicité, et peuvent en bénéficier. En partie seulement. Les sites des grands quotidiens ne récoltent qu’une part de la publicité qui migre vers Internet. Celleci se trouve partout : sur Google, sur les réseaux sociaux, sur les sites de tous ordres. Les seuls revenus de la version Web du New York Times, par exemple, ne permettraient de financer que 20 % de l’effectif rédactionnel actuel. Le journalisme en crise Il n’y a pas que les médias de masse qui soient en crise. Le journalisme l’est aussi. Les problèmes du journalisme vont bien au-delà de la superficialité de trop de reportages ou de l’inutilité et de la vacuité de certaines chroniques ou billets d’humeur. L’un des observateurs

Dans un univers d’abondance, les nouvelles sans cesse recyclées se retrouvent partout et se ressemblent toutes. les plus attentifs de la presse écrite et du journalisme, l’économiste Robert Picard, remet en cause l’essence même du travail journalistique. Selon lui, ce que produisent les journalistes de nos jours n’a souvent que peu de valeur. Dans un monde où il n’y avait que quelques journaux et stations de radios, une 358

ou deux chaînes de télévision, l’information et les nouvelles étaient un bien rare. Le numérique a tout changé. Aujourd’hui, dans un univers d’abondance, les mêmes nouvelles, collectées par tous de la même manière, préparées et diffusées dans les mêmes styles et tons, sont recyclées sans cesse d’un média à l’autre, se ressemblent toutes et se retrouvent partout. Du quai du métro à la cage d’ascenseur, elles occupent l’espace entre deux réclames publicitaires. C’est ce qui fait qu’elles n’ont plus de valeur. Nous avions la musique d’ascenseur, la « MUZAK », raille le journaliste canadien Robert Fulford, nous avons maintenant les nouvelles d’ascenseur, les « NEWZAK ». Et le pire, c’est qu’on ne peut se débrancher ! Le discours journalistique, standardisé, formaté, a souvent des allures de message codé. Les jeunes, encore eux, ne se retrouvent pas toujours dans ce langage qui appartient en outre à une autre époque, celle du journaliste qui sélectionne chaque jour du haut de sa chaire les faits que le public, croit-il, doit connaître. Le journalisme, dit-on, c’était un cours magistral ; c’est maintenant un séminaire ou une conversation. Dans ce nouveau monde, tributaire d’Internet et de l’interactivité, le journaliste doit dialoguer avec le public, pour le meilleur et pour le pire. Le New York Times et Le Devoir sont en concurrence avec les amis de Facebook et des blogues et sites dont on ne connaît souvent ni les promoteurs ni les parrains.


Médias

Les journalistes n’ont d’autre choix que de s’adapter à cette nouvelle donne et de repenser leur rôle, leur « spécificité » et leurs façons de faire dans cet univers d’interactivité et de surabondance d’information – sans abandonner l’idéal de service public, qui reste la raison d’être de ce métier, mais en évitant la nostalgie d’un âge d’or chimérique. La solution aux maux de la presse écrite est peut-être davantage dans cet effort d’introspection, plutôt que dans la recherche du modèle d’affaires miracle. Demain et après-demain Il ne faut pas non plus exagérer l’ampleur actuelle des changements. Les choses évoluent lentement. J’ai cité des dizaines de fois depuis 20 ans la remarque suivante de Vannevar Bush, conseiller scientifique de l’ancien président américain Franklin D. Roosevelt, qui a dit qu’on avait toujours tendance à exagérer les conséquences à court terme attribuables aux nouvelles technologies et à minimiser leurs conséquences à long terme. La télévision n’est pas morte et les journaux papier ne disparaîtront pas tous en 2010 ! Mais les tendances lourdes montrent que des transformations profondes sont en cours. Les Québécois, comme les autres Canadiens, ont de plus en plus recours à Internet pour s’informer, mais la télévision demeure de loin le média que privilégie la majorité d’entre eux. Deux enquêtes du Centre d’études sur les médias, réalisées à deux ans d’intervalle

auprès de groupes identiques de citoyens, montrent que la part des nouveaux médias dans le temps consacré à l’information a augmenté de 3,4 % de 2007 à 2009, passant de 12,6 à 16 % du temps total ; mais les médias traditionnels restent dominants. L’enquête de 2009 montre évidemment que les plus jeunes s’informent bien davantage en fréquentant les nouveaux médias, mais la télévision reste, pour eux comme pour leurs aînés, la source principale d’information. Une autre enquête, dirigée par Nicole Gallant, auprès de grands utilisateurs des technologies de l’information permet d’autres constats intéressants. Ainsi, plusieurs répondants identifient une combinaison de médias (la télévision et Internet en particulier) comme étant leur principale source d’information. On l’a dit, les citoyens s’informent aujourd’hui en grignotant. Les journaux ont à peu près disparu des sources d’information de ces grands utilisateurs de nouveaux médias. Cela confirme que les tendances lourdes augurent mal pour l’avenir à long terme de la presse papier. Revenons à 1981 et à la Commission royale sur les quotidiens. C’est la concentration de la propriété des journaux aux mains de grands groupes et la disparition des titres indépendants qui inquiétaient les auteurs du rapport. La concurrence moindre faisait craindre la diminution de la diversité d’information et d’opinion. C’est ce qui a retenu 359


L’état du Québec 2010

l’attention à l’époque. À juste titre d’ailleurs. Mais tout cela a occulté une partie du rapport dont on peut mesurer aujourd’hui le caractère visionnaire. Dans un chapitre intitulé « Une industrie en transition », la commission Kent consacrait quelques pages à la « convergence » (c’était, rappelons-le, il y a presque 30 ans) des télécommunications, de l’ordinateur et de la radio-télévision, au caractère bidirectionnel de ce qu’on appelait alors la télématique et aux conséquences que pourrait avoir pour la presse écrite l’explosion des nouveaux médias qui convoitent « le temps et l’at-

360

tention des lecteurs de journaux, ainsi que l’argent des annonceurs ». Patrons de presse et journalistes auraient eu avantage à s’attarder à cet aspect du rapport de la commission. « Leur effet conjugué [des nouveaux médias] risque manifestement de nuire à la presse écrite à partir du milieu de la décennie actuelle [1980]. Il pourrait avoir des conséquences dramatiques au cours des années 1990. » (p. 216) La secousse est venue une dizaine d’années plus tard que ce que les commissaires avaient prévu, mais on commence aujourd’hui à en ressentir toute la portée.


Société civile et participation citoyenne 362

La société civile en quelques statistiques

364

Débat public : un bilan mitigé, un avenir incertain

371

Les motivations à s’engager : portrait d’une jeunesse québécoise

372

Politique novatrice sous observation

378

Conservatisme et crise forment un cocktail dangereux

361


La société civile en quelques statistiques Jean-Marc Fontan Professeur, Département de sociologie, Université du Québec à Montréal (UQAM) Chercheur, Centre de recherche sur les innovations sociales (CRISES)

La nature de la société civile est hybride au sens où elle touche aux grands domaines du social sans être centrée sur une dimension spécifique. Au sein de cet espace de déploiement et de construction des liens sociaux, nous trouvons des organisations à vocation religieuse ou caritative, des regroupements professionnels, des actions collectives de type mouvement social, des groupes d’entraide et de solidarité, des

en 2003, le Québec comptait 46 000 organismes bénévoles et sans but lucratif. organisations de loisirs ou encore des organismes communautaires. La société civile accueille des organisations laïques et confessionnelles. Celles-ci s’inscrivent dans un spectre idéologique ou 362

politique très large, s’étendant de l’extrême gauche à l’extrême droite. L’espace de la société civile se trouve à toutes les échelles territoriales : du local à l’international en passant par le régional et le national. Les actions collectives issues de la société civile prennent naissance de façon informelle, sur la base d’une implication volontaire et bénévole. Elles ont une durée de vie plus ou moins longue. Elles mobilisent un nombre plus ou moins important de ressources humaines, matérielles et financières. Le cycle de vie d’une organisation issue de la société civile peut être de courte, de moyenne ou de longue durée. Elles peuvent se traduire par une formalisation juridique du statut de l’organisation et conduire à son incorporation1. Une enquête nationale conduite en 2003 par Imagine Canada2, en association avec l’Alliance de recherche universités-communautés en économie sociale (ARUC-ÉS) pour le volet québé-


Société civile

cois de l’étude, permet de dresser un portrait complet de la société civile. On y apprend que le Québec comptait en 2003 46 000 organismes bénévoles et sans but lucratif, soit 29 % des 161 000 organismes de ce type présents sur l’ensemble du territoire canadien. En termes de chiffre d’affaires, les recettes atteignaient les 17 milliards de dollars. En fait d’effectifs, ces organisations embauchaient 324 000 salariés et comptabilisaient 555 millions d’heures de bénévolat (l’équivalent de 289 000 emplois à temps plein). En moyenne, chaque Québécois adhérait ou était membre de quatre organismes sans but lucratif. L’enquête a aussi permis de se rendre compte de la répartition des organisations en fonction de leur secteur d’activité. Celles ayant une mission centrée sur le sport ou le loisir représentent le quart (26 %) des organisations. Viennent ensuite celles œuvrant dans le domaine des services sociaux (15 %) et dans le domaine religieux (11 %). Suivent enfin les organismes de philanthropie et de bénévolat (9 %). Les revenus générés par ces organisations proviennent principalement de

sources gouvernementales (49 %), puis d’activités d’autofinancement (36 %), de dons (10 %) et de sources diverses (5 %). Évidemment, le fait d’agglomérer un grand nombre de données ne rend pas compte de la très grande diversité des situations rencontrées. La société civile québécoise réunit un nombre très important de petites organisations. À titre d’exemple, 45 % de celles qui sont recen-

en 2003, ces organisations embauchaient 324 000 salariés et accomplissaient 555 millions d’heures de bénévolat. sées dans l’étude disposent en 2003 d’un revenu annuel égal ou inférieur à 30 000 dollars. De plus, 54 % d’entre elles sont gérées exclusivement par des bénévoles. notes

1. En ligne : http://www.registreentreprises.gouv. qc.ca/fr/glossaire/ 2. Imagine Canada. Section recherche. En ligne : http://www.imaginecanada.ca/?q=fr/node/66

363


Débat public : un bilan mitigé, un avenir incertain pierre hamel Professeur, Département de sociologie, Université de Montréal

en dépit des effets de la crise financière sur les conditions de vie – et des réflexes qu’ils peuvent engendrer en termes de repli sur la vie privée –, la participation des citoyens aux affaires publiques continue de faire les manchettes. Les médias font constamment état de conflits ou de controverses impliquant des projets de développement ou d’aménagement urbains à propos desquels les citoyens n’hésitent pas à manifester leur désaccord, à s’engager et à suggérer de nouvelles solutions. parviennent-ils de ce fait à influencer les décisions publiques et privées ? rien n’est moins sûr.

Au cours des dernières années, et en particulier durant l’année qui vient de s’écouler, plusieurs projets urbains ont retenu l’attention des observateurs de la scène locale montréalaise et ont suscité des controverses. On peut penser à certains projets de redéveloppement immobilier dans le secteur résidentiel, comme cela a été le cas pour l’ancien séminaire de philosophie des Sulpiciens ou pour l’ancien couvent des sœurs des Saints-Noms-de-Jésus-et-de-Marie sur les flancs du mont Royal. On peut évo364

quer aussi le redéveloppement du 1500, rue Ottawa, l’ancien site du centre de tri postal situé dans le quartier Griffintown et celui des anciens ateliers du CN dans Pointe-Saint-Charles. Enfin, on peut mentionner les controverses autour de la reconstruction de l’échangeur Turcot ou encore autour du réaménagement du quadrilatère Saint-Laurent, au sud de la rue Sainte-Catherine, par la Société de développement Angus. Tous ces projets ont donné lieu à des démarches de consultation publique de


Société civile

la part des pouvoirs publics et, à chaque occasion, des citoyens ont pris la parole afin d’exprimer leur désaccord face aux visées des promoteurs. À certains égards, on entre ici dans l’univers de la « défiance » qui constitue, au dire du sociologue français Pierre Rosanvallon1, avec le système des institutions représentatives, les deux dimensions de tout processus démocratique. Les citoyens s’expriment Depuis une quinzaine d’années, dans la très grande majorité des pays occidentaux, les discours favorisant la participation des citoyens font une place de plus en plus large au thème de la gouvernance. L’enjeu est avant tout de promouvoir une gestion publique plus performante et plus démocratique. Même si les termes gouvernance, délibération et débat public recouvrent souvent des réalités disparates, ils ne visent pas moins, dans l’intention de leurs promoteurs, une nette amélioration des modèles traditionnels – élitistes et hiérarchisés – de gestion publique. Pour peu, on pourrait associer ces vocables à l’émergence d’une « nouvelle culture politique », que des chercheurs ont évoquée dans le passé2. En dépit des incertitudes concernant les effets tangibles de ces discours, notamment en ce qui concerne la capacité effective des citoyens à influencer les processus décisionnels, on peut néanmoins parler d’un nouveau paysage médiatique et politique au nom duquel

se sont déployées nombre d’expériences participatives, en particulier à l’échelle locale. Mais quelle est l’efficacité véritable de ces discours participatifs et des expérimentations qui en découlent du point de vue d’une démocratisation de la gestion publique ? Dans les faits, jusqu’à quel point les pouvoirs publics acceptent-ils de revoir les modes de légitimité et les processus de décision établis ? Est-ce que la modernisation de la démocratie passe encore par une rénovation du discours participatif ? Quelle attention par exemple ce discours accorde-t-il à la justice et à la solidarité

Quelle est l’efficacité des discours participatifs du point de vue d’une démocratisation de la gestion publique ? sociales de même qu’aux enjeux de redistribution ? À qui profite, en dernière analyse, l’ouverture de ce discours politique sur des intentions vertueuses associées à des valeurs comme la communication, l’échange et la rationalité, qu’il est difficile a priori de réprouver ? La question de la démocratie continue étonnamment de demeurer à l’ordre du jour à Montréal malgré les innombrables luttes et mobilisations déployées par des milliers de citoyens depuis les années 60 afin de rendre l’administration municipale accessible aux citoyens, en commençant par une 365


L’état du Québec 2010

Manifestation de citoyens contre le projet de reconstruction de l’échangeur Turcot, en avril 2009.

gestion plus transparente des affaires urbaines. On doit se remémorer les nombreuses luttes contre les démolitions de logements ou des projets de rénovation urbaine. On peut aussi mentionner diverses initiatives visant l’amélioration des conditions de vie dans les anciens quartiers ouvriers – pensons à l’action des cliniques populaires de santé ou des centres d’éducation populaire. Au fil des ans, une véritable culture sociale et politique de la participation émanant des citoyens s’est déployée. Les mobilisations sociales 366

relatives aux enjeux du développement urbain et des conditions de vie ont essaimé et alimenté l’essor de véritables mouvements urbains3. À plusieurs occasions, les mouvements sociaux ont été des promoteurs ou des défenseurs de la démocratie participative. Ils ont aussi contribué de diverses manières au déploiement d’une démocratie délibérative, que ce soit en faisant la promotion de valeurs et de normes ouvertes au partage du pouvoir ou en défendant leur point de vue dans les nouvelles arènes publiques. Cela ne les a pas pour autant empêchés de prendre leurs distances à maintes reprises à l’égard tant des dispositifs délibératifs que des nouvelles modalités de participation citoyenne mis en place par les pouvoirs publics. C’est que ces dispositifs font souvent appel aux mêmes règles que celles qu’on trouve dans l’ensemble de la société. Elles reconduisent la hiérarchie qui prévaut entre les classes sociales, favorisant les acteurs qui sont en position de domination. On peut penser ici aux nombreuses consultations publiques organisées par les instances gouvernementales : on recueille les opinions des riverains sans pour autant leur fournir de ressources supplémentaires pour les aider à préparer leurs interventions publiques. La question posée ici, à travers ces exemples, est avant tout celle de l’influence des citoyens sur les processus de décision en matière d’aménagement et de développement urbains. À quelles


Société civile

conditions les énergies investies par les citoyens pour stopper ou repenser des projets urbains peuvent-elles engendrer les résultats escomptés ? Les multiples avenues de la participation Plusieurs pistes de solution existent. La première est avancée par les chercheurs Archon Fung et Erik Olin Wright4. Elle consiste, de manière paradoxale, à combiner la participation aux instances de délibération instituées à un « contrepouvoir significatif ». Les succès obtenus lors de certaines consultations publiques s’expliquent davantage par les mobilisations à l’extérieur des salles d’audience que par ce qui s’y déroule. Un exemple bien connu est celui de la mobilisation contre le projet gouvernemental de déménagement de l’HôtelDieu de Montréal à Rivière-des-Prairies en 1992. Afin de soutenir un point de vue différent de celui du ministre porteparole du gouvernement dans ce dossier, la Ville de Montréal a mandaté le Bureau de consultation de Montréal afin d’organiser une consultation publique sur le sujet. Les arguments présentés lors de cette consultation publique ont été largement défendus par la Coalition sur l’avenir de l’Hôtel-Dieu de Montréal, qui regroupait, entre autres, la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, la Confédération des syndicats nationaux, la Corporation des urbanistes du Québec, la Ville de Montréal, le Regroupement des médecins

de l’Hôtel-Dieu pour le maintien de l’Hôtel-Dieu au centre-ville, de même que des associations de commerçants et d’autres groupes d’intérêts. Toutefois, c’est la présence de cette coalition sur le terrain de la société civile et l’influence de son action sur l’opinion publique davantage que les conclusions provenant de la seule consultation publique qui sont parvenues à faire reculer le gouvernement. La deuxième voie est celle que résume le sociologue Gianpaolo Baiocchi5. Les citoyens doivent considérer les forums délibératifs auxquels ils participent de façon ponctuelle et tactique. Dans cette perspective, ils ne doivent pas oublier les finalités qu’ils poursuivent ni se faire d’illusions sur leur capacité d’influencer la décision. Ils doivent toutefois garder à l’esprit que leur participation peut entraîner des bénéfices autres, à commencer par une reconnaissance de leur cause et des valeurs dont ils font la promotion. La troisième voie se situe d’emblée sur le terrain institutionnel. Il s’agit pour les citoyens de contribuer au design des forums délibératifs afin de ne pas laisser aux experts la possibilité de définir les règles du jeu exclusivement en fonction des attentes des spécialistes et de la classe politique6. Cette voie ne peut pas toujours être empruntée avec succès. Mais à certaines occasions, lorsque des partis politiques réformistes sont au pouvoir, par exemple, cela peut être possible. 367


L’état du Québec 2010

En 1988, lors des audiences sur la politique-cadre de consultation publique, plus de 40 intervenants ont été entendus. Même si les orientations de la politique n’ont pas été remises en question, des clarifications au sujet des objectifs ont été demandées. Ces trois modalités d’action – qui ne sont pas mutuellement exclusives – constituent trois voies susceptibles

Les citoyens doivent contribuer eux-mêmes à la définition des règles du jeu participatif. d’aider à contrebalancer les effets négatifs inhérents aux forums délibératifs (je pense en particulier ici au poids que les élites continuent d’avoir dans le processus décisionnel) et surtout d’accroître l’effet de la participation des citoyens sur la redéfinition des projets. En matière de débat public, rien ne peut garantir que tous les protagonistes accepteront de jouer le jeu de la communication et de la coopération. C’est pourtant une règle essentielle à respecter si l’on veut que la participation délibérative soit en mesure d’engendrer des bénéfices en termes de démocratisation. Comme le mentionne Jean-Michel Fourniau7, deux logiques opposées sont nécessairement présentes dans les forums délibératifs et entrent constam368

ment en conflit. Il s’agit d’un côté d’une logique d’argumentation et, de l’autre, d’une logique de décision. Alors que la première permet à tous les participants de réviser leurs positions, voire à l’occasion de changer de point de vue au cours de la discussion, la logique de la décision pour sa part renvoie en dernier ressort à un rapport de force entre les protagonistes. Ceux qui décident sont nécessairement en position de pouvoir. Ils n’ont pas à respecter les résultats de l’argumentation. Leur choix relève d’une multiplicité de facteurs au nombre desquels le débat public et la délibération qui l’alimente comptent souvent pour quantité négligeable. Montréal : changement et continuité Si l’on considère la participation des citoyens à Montréal depuis les années 60, on peut dire que celle-ci a joué un rôle important dans la modernisation de la planification et de la gestion urbaines. Que l’on se remémore la réglementation qui prévaut en matière de logement, le changement des mentalités concernant la protection du patrimoine ou l’amélioration des équipements et des services dans les domaines de la culture, de l’entraide sociale, de la santé ou de l’environnement. Chaque fois, on peut identifier des initiatives provenant des mouvements sociaux, du secteur communautaire et des citoyens qui ont contribué d’une manière importante à transformer le contenu des politiques et des programmes mis en place.


Société civile

Il en va de même en ce qui a trait au cadre du débat public en vigueur. La politique de consultation et de participation publiques de la Ville de Montréal et les dispositifs qui en découlent sont redevables dans une large mesure à l’histoire des luttes sociales et des mobilisations urbaines des 50 dernières années. Ce sont avant tout les citoyens qui ont revendiqué une plus grande transparence de l’administration municipale et qui ont demandé à être mieux informés des intentions des élus et à être écoutés par eux. Pour autant, toutes les innovations relatives à la participation et à la consultation publiques n’ont pas réussi à transformer en profondeur le système de prise de décision. Le poids des élites et des intérêts économiques dans la définition des priorités de l’action publique continue d’être aussi grand aujourd’hui qu’hier. Depuis que la Ville de Montréal a adopté une politique de consultation publique, à la fin des années 80, on a souvent l’impression que le cadre du débat public et son évolution ne sont pas parvenus à modifier les rapports de pouvoir sur la scène urbaine. Les professionnels, les élus et les groupes d’intérêts bien organisés ont un accès plus facile aux structures de pouvoir et sont davantage en mesure d’infléchir les processus décisionnels en leur faveur que ne le sont les citoyens. Je dois revenir à cet égard à la double logique évoquée plus haut qui alimente les conflits d’aménagement que l’on

observe aussi bien à Montréal qu’ailleurs. La logique de la décision, infléchie par les rapports de force entre les acteurs, parvient sans cesse à supplanter la logique de l’argumentation. Comment sortir de cette impasse ? Deux voies complémentaires méritent d’être poursuivies. La première se situe sur le terrain de l’esprit civique et du changement des mentalités. Ce n’est pas une perte de temps que de soumettre les choix publics à un débat où les citoyens concernés ont la possibilité de s’exprimer. À cet égard, il y a un apprentissage collectif à faire et à mettre en valeur. La seconde relève d’emblée de la voie politique. Il est nécessaire que les partis politiques non seulement défendent les intérêts des citoyens, mais acceptent aussi de revoir les modèles de gestion hiérarchisés et verticaux en place pour leur substituer des approches faisant davantage appel au débat public et à la participation des citoyens sur une base régulière. Mais ce sont aussi les moyens utilisés pour faciliter le débat public et la participation qu’il faut considérer. À ce chapitre, on ne peut se contenter de reprendre les recettes qui viennent d’ailleurs. Il existe une longue tradition de participation à Montréal que les élites ont eu trop tendance à négliger dans le passé. notes

1. Rosanvallon, Pierre, La contre-démocratie, Paris, Seuil, 2006. 2. Voir par exemple la thèse élaborée par Terry Nichols Clark et Vincent Hoffmann369


L’état du Québec 2010 Martinot dans The New Political Culture, Boulder (Colorado), Westview Press, 1998. 3. Voir à ce sujet Pierre Hamel, Ville et débat public. Agir en démocratie, Québec, Presses de l’Université Laval, 2008, 190 p. 4. Fung, Archon, et Eric Olin Wright, « Le contre-pouvoir dans la démocratie participative et délibérative », dans Marie-Hélène Bacqué, Henri Rey et Yves Sintomer (dir.), Gestion de proximité et démocratie participative, Paris, La Découverte, 2005, p. 49-80.

370

5. Baiocchi, Gianpaolo, « Participation, Activism and Politics : The Porto Alegre Experiment and Deliberative Democratic Theory », Politics & Society, 2001, vol. 29, no 1, p. 43-72. 6. Hajer, Maarten A., « Setting the Stage. A Dramaturgy of Policy Deliberation », Administration & Society, 2005, vol. 36, no 6, p. 624-647. 7. Fourniau, Jean-Michel, « L’expérience démocratique des “citoyens en tant que riverains” dans les conflits d’aménagement », Revue européenne des sciences sociales, 2007, vol. 45, no 136, p. 149179.


Les motivations à s’engager : portrait d’une jeunesse québécoise L’engagement citoyen des jeunes constitue un thème largement abordé au Québec ces dernières années. D’aucuns accusent les jeunes d’apathie et de cynisme, particulièrement à la lumière de leur faible taux de participation aux élections québécoises et canadiennes de l’automne 2008; d’autres louangent leur implication renouvelée dans des mouve­ ments sociaux (écologistes, étudiants). Qu’en est­il réellement1 ? Premièrement, les relations que les jeunes recherchent dans l’engagement citoyen sont prioritairement celles qui favorisent le partage de savoirs, de compétences. C’est dire que l’Autre, en tant que motivateur ou mini­enseignant, est instrumentalisé. Les relations ami­ cales sont possibles et souhaitables, mais non prioritaires. Deuxièmement, la cause ou le groupe est appréhendé pour sa fonction utilitaire, permettant tantôt de se bâtir un réseau de contacts, tantôt de développer des facettes de sa personnalité. Troisièmement, ces jeunes sont aux prises avec un quotidien (études, emplois, famille) parfois incompatible avec leurs idéaux. Ils transforment alors leurs utopies en des « utopies pragmatiques ». Plutôt que de bâtir un « à venir » qui rendrait leur mode de vie actuel cohérent avec leurs idéaux, ils réagissent à des diktats de performance d’un futur qui exige beaucoup d’eux. utopies pragmatiques D’ailleurs, les résultats de ces entretiens mettent en évidence un paradoxe. Les motiva­ tions à l’engagement s’inscrivent bel et bien au sein d’un idéal, voire d’une utopie. L’enga­ gement citoyen répond à ce que ces jeunes qualifient de « besoin » ou de « nécessité » de « bâtir un monde meilleur ». Cependant, cet engagement s’impose à travers des caracté­ ristiques d’un monde où les liens sociaux s’effritent, rappelant les comportements aso­ ciaux d’un « âge des ténèbres ». L’engagement citoyen contemporain est un « engagement­dégagement2 », par lequel le mirage de la liberté individuelle – une liberté conditionnelle, faudrait­il dire – maintient son emprise sur l’engagement collectif. Pour cette raison, les engagements ponctuels et multiples sont priorisés. La fidélité au groupe ou à la cause se subordonne à l’autonomie personnelle. « L’avenir dégagé, l’avenir engagé », écrivait Gaston Miron. L’avenir est en effet dégagé de toute emprise collective, dogmatique ou idéologique, mais il est engagé dans une voie individualiste qui participe à l’effritement des liens sociaux. Malgré une volonté de contourner un monde déshumanisant, ces jeunes s’engagent partiellement dans sa reproduction. notes

1. Entretiens menés dans le cadre du mémoire de maîtrise Les motivations à l’engagement citoyen chez la jeunesse québécoise à l’ère postmoderne, mémoire réalisé par l’auteur sous la direction d’Andrée Fortin à l’Université Laval. 2. Terme emprunté aux travaux du sociologue français Michel Wieviorka.

Daniel Landry Professeur de sociologie, Collège Laflèche Doctorant en études québécoises, Université du Québec à Trois­Rivières (UQTR) 371


politique novatrice sous observation* Lorraine guay Agente de recherche, Université de Montréal

Deena White Professeure de sociologie, Université de Montréal Responsable de l’évaluation de l’implantation de la Politique de reconnaissance et de soutien de l’action communautaire (PRSAC)

en 2001, le Québec s’est doté de la politique de reconnaissance et de soutien de l’action communautaire (prSac)1. une première évaluation de son implantation, réalisée de septembre 2005 à décembre 2007 par une équipe de recherche indépendante, fait état des réussites, des ratés et des défis à relever. en voici quelques faits saillants.

On s’en doute : une telle politique n’est pas tombée du ciel. Elle est le résultat des très longues luttes qui ont jalonné le développement historique des organisations populaires et communautaires au Québec. L’objectif majeur de ces luttes a toujours été la reconnaissance politique et le respect de l’autonomie du * Article paru dans le numéro 731, mars 2009, du magazine Relations, p. 19-21. 372

secteur communautaire, une démarche fondée sur la conviction qu’un État démocratique doit reconnaître et soutenir l’apport de ses groupes à l’exercice d’une citoyenneté libre, responsable et critique. un modèle unique au monde Depuis la fin des années 90, dans au moins une dizaine de pays occidentaux, de nombreux gouvernements recon-


Société civile

naissent l’apport des organismes communautaires à la société par la signature d’accords et de conventions. Mais la PRSAC est une politique sans précédent dans le monde. Elle se distingue des modèles existants entre autres par trois impératifs : 1) affirmer la spécificité des organismes communautaires autonomes par rapport à l’économie sociale et au mouvement coopératif ; 2) respecter l’autonomie des organismes communautaires en s’éloignant d’une complémentarité et d’un partenariat obligés avec l’État ; 3) privilégier le soutien à la mission comme mode de financement le plus susceptible de favoriser « l’émergence d’une participation citoyenne innovatrice émanant d’un milieu où les problèmes sont directement vécus », ce que ne permet pas l’approche de financement de type contractuel généralement utilisée en Europe, aux États-Unis et au Canada anglais. La PRSAC se distingue également par la reconnaissance et le financement des groupes de défense collective des droits, une situation inédite dans le monde. Qu’un État s’engage dans cette direction n’est pas banal. Le gouvernement québécois a choisi une voie très peu fréquentée par les États occidentaux. La situation géopolitique du Québec fait aussi en sorte qu’il est tiraillé par des forces qui l’éloignent de ses choix politiques. Mentionnons l’influence fédérale canadienne – où domine une approche plutôt rigide de financement des groupes par contrat ou par projet – et l’intérêt

croissant pour la philanthropie dans une optique conservatrice à l’américaine. Enfin, il s’agit d’une politique basée sur le développement d’une relation de collaboration conflictuelle entre un ensemble de ministères et les réseaux d’action communautaire : « relation de collaboration », car contribuant à répondre, autrement, aux mêmes défis sociaux auxquels fait face le gouvernement et « conflictuelle » parce que l’État accepte ainsi de soutenir ceux dont la mission même est bien souvent de le confronter, de le critiquer, de veiller à ce que ses lois et programmes soient conformes aux besoins et aspirations de la population.

La situation géopolitique du Québec fait en sorte qu’il est tiraillé par des forces qui l’éloignent de ses choix politiques. Par ailleurs, deux autres caractéristiques de la PRSAC rendent difficile sa mise en œuvre. D’abord, son caractère intersectoriel : la politique concerne plus d’une vingtaine de ministères et organismes gouvernementaux ayant chacun leurs propres mission, structure, pratiques, culture organisationnelle et contraintes administratives et juridiques. Ces instances entretiennent des liens fort diversifiés avec quelque 5 000 organismes communautaires, cela au sein d’un appareil gouvernemental où 373


L’état du Québec 2010

Les fêtes de quartier sont l’occasion pour les organismes communautaires de présenter leurs services à la population.

la « souveraineté » des ministères constitue la norme quasi absolue. Ensuite, sa nature non prescriptive : contrairement à une loi, une politique gouvernementale n’implique pas d’obligations formelles pour les différents ministères et organismes concernés. Son implantation peut donc varier d’un ministère à l’autre. C’est sans compter les contraintes issues des orientations et politiques conjoncturelles des gouvernements : coupures, contraintes budgétaires, priorités autres, etc. Les enjeux et les défis La première évaluation de la politique conclut à une réussite de son implanta374

tion dans l’appareil gouvernemental. Certes, celle-ci varie d’un ministère à l’autre, mais le leadership reconnu du Secrétariat à l’action communautaire autonome et à l’innovation sociale, la permanence d’un comité interministériel ainsi que les nombreux outils d’information et de sensibilisation mis à la disposition des responsables gouvernementaux ont bien joué leur rôle. En outre, l’existence d’un plan d’action gouvernemental qui vise à concrétiser les orientations de la politique, de même que la vigilance et le travail critique constant du Réseau québécois d’action communautaire autonome et de ses différents secteurs ont fait en sorte que


Société civile

la politique fait maintenant partie de l’appareil administratif québécois. Si l’évaluation permet d’indiquer les effets structurants importants qu’a la politique sur le milieu communautaire2, faisons plutôt ici un survol des difficultés relevées et même des ratés – car il importe aux acteurs concernés de les transformer en défis pour les prochaines années. Parmi les difficultés rencontrées figure le brouillage des frontières entre l’action communautaire autonome et le communautaire au sens large. Un des objectifs de la PRSAC est non seulement de valoriser, de promouvoir et de soutenir l’action communautaire autonome,

mais aussi de la renforcer et de la faire croître. Dans cette optique, il faudrait considérer comme un échec toute dilution des caractéristiques spécifiques de l’action communautaire autonome, pourtant reconnues dans la politique. Force est de constater qu’il s’agit malheureusement d’une tendance lourde qui s’actualise tant au niveau des principes que des pratiques. L’exemple le plus étonnant est celui du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) – un des piliers de cette politique –, qui n’entend pas appliquer les huit critères de reconnaissance de l’action communautaire autonome. C’est l’esprit et le cœur même de cette politique qui sont

Les huit critères qui s’appliquent aux organismes d’action communautaire autonome Tels que spécifiés dans la Politique gouvernementale L’action communautaire : une contribution essentielle à l’exercice de la citoyenneté et au développement social du Québec (septembre 2001) et dans le Cadre de référence en matière d’action communautaire (août 2004), les quatre critères qui s’adressent au milieu communautaire dans son ensemble sont : 1. avoir un statut d’organisme sans but lucratif ; 2. démontrer un enracinement dans la communauté ; 3. entretenir une vie associative et démocratique ; 4. être libre de déterminer sa mission, ses orientations ainsi que ses approches et ses pratiques. Les quatre critères spécifiques à l’action communautaire autonome qui s’ajoutent aux quatre premiers sont : 5. avoir été constitué à l’initiative des gens de la communauté ; 6. poursuivre une mission sociale propre à l’organisme et qui favorise la transforma­ tion sociale ; 7. faire preuve de pratiques citoyennes et d’approches larges axées sur la globalité de la problématique abordée ; 8. être dirigé par un conseil d’administration indépendant du réseau public. 375


L’état du Québec 2010

ainsi mis à mal. Les conséquences sur les groupes ne tarderont pas à se faire sentir : ils deviendront de plus en plus dépendants de l’approche du new public management, adoptée depuis déjà plusieurs années par la fonction publique québécoise et incarnée entre autres dans les mandats des Centres de santé et de services sociaux (CSSS). Cette approche privilégie le modèle marchand : instrumentalisation des groupes, rapports contractuels avec eux en tant que fournisseurs de services, atteinte de résultats quantifiables et établis par l’appareil gouvernemental. Le déficit de reconnaissance et de représentation de l’action communautaire au sens large pose aussi problème. Les décideurs politiques ont toujours voulu assurer une portée élargie à cette politique. Il leur importait d’y inclure « l’action communautaire au sens large », constituée des organismes qui produisent des services qualifiés de « complémentaires » et qui ne sont pas perçus comme des organismes d’action autonome – par exemple des groupes en employabilité financés par des ententes de services avec Emploi-Québec. Mais la PRSAC ne propose pas de lignes directrices nationales pour baliser son application auprès de ces groupes. Au contraire, les ministères semblent avoir toute liberté de définir de façon unilatérale la nature de leur lien contractuel avec ceux-ci, tant que ces relations se déroulent dans un climat de respect. 376

Quant au mode de financement privilégié par la politique – celui en appui à la mission globale des organismes –, il est en recul. Certes, il a augmenté de façon constante depuis 1995, mais cela est principalement dû au ministère de la Santé et des Services sociaux, qui finance plus de 60 % des groupes. Dans les autres ministères, ce type de financement n’a pas augmenté de façon significative. En fait, il a diminué quant à sa valeur constante depuis l’adoption de la PRSAC. De plus, le financement par ententes de service continue d’être maintenu dans certains ministères (ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale, ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles) et d’être favorisé dans d’autres (MSSS), laissant la porte ouverte à une plus grande instrumentalisation des groupes en fonction des objectifs des ministères. La consolidation de l’action communautaire autonome – et donc sa contribution au développement social, à la participation citoyenne et au développement de nouvelles pratiques – risque ainsi de s’affaiblir avec les années, fluctuant au gré des priorités gouvernementales du moment. La poursuite de l’implantation de la politique Les résultats de l’évaluation de la PRSAC démontrent l’importance de poursuivre sa mise en œuvre en tant que projet gouvernemental et communautaire à long terme. S’attendre à une


Société civile

transformation percutante et profonde des modes de fonctionnement de l’administration publique en sept ans correspondrait à manifester un optimisme peu réaliste compte tenu des conditions complexes d’implantation d’un tel instrument et des rapports des différents ministères avec le milieu communautaire. Surtout, ces résultats rappellent qu’aucune politique ne peut vivre sans la mobilisation constante et renouvelée des principaux acteurs concernés. Rappelons surtout que son objectif principal demeure la reconnaissance de l’autonomie de l’action communautaire : il s’agit là d’une exigence d’autonomie et d’une autonomie exigeante tant pour l’État que pour le mouvement communautaire. Pour le gouvernement,

l’autonomie érigée en finalité de la politique s’inscrit comme la perpétuelle contestation de sa tendance « naturelle » à l’instrumentaliser. Pour les acteurs communautaires, l’autonomie exigée impose l’autocritique constante de leurs propres pratiques, la conscientisation et la mobilisation des groupes qui s’en réclament. Elle exige également une fidélité au travail d’éducation populaire, de défense des droits et d’expérimentation de pratiques de citoyenneté. notes

1. Gouvernement du Québec, L’action communautaire : une contribution essentielle à l’exercice de la citoyenneté et au développement social du Québec, 2001. 2. Pour plus de détails à ce sujet, consulter le rapport final au www.evalprsac.com.

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conservatisme et crise forment un cocktail dangereux Jean-Marc Fontan Professeur titulaire, Département de sociologie, Université du Québec à Montréal (UQAM)

La crise économique de 2008-2009 laissait entrevoir un essouffleessouffle ment du modèle libéral de développement des économies monmondiales. au cours de cette crise, un certain espoir a permis de croire en la possibilité de réformer les principes et les valeurs de « l’esl’esprit » économique dominant. Mais, tel un chat, les défenseurs de l’économie capitaliste en contexte néolibéral sont dotés de pluplusieurs vies, et ils savent bien protéger leurs avoirs et leurs intérêts. ce faisant, ils n’hésitent pas à réformer et à faire bouger la société, mais pas nécessairement dans le sens entendu par les mouvements progressistes.

Pour le mouvement communautaire et la société civile en général, la crise rend encore plus évidentes les conséquences de cette mouvance conservatrice qui traverse la majorité des sociétés de la planète. Au Canada, ce conservatisme est incarné par un gouvernement central de droite qui ne ménage pas ses efforts pour inscrire les moindres actions de l’État dans une 378

logique marchande, pour miner insidieusement les assises des mouvements sociaux, pour trancher en faveur de politiques et de positions qui nient nombre des acquis sociaux et politiques gagnés au fil des 40 à 50 dernières années. Concrètement, pour ce gouvernement conservateur, l’enjeu relève de positions politiques qui donnent le ton à ce qui est acceptable et à ce qui ne l’est


Société civile

pas. Non à l’accord de Kyoto, non à la déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, non au contrôle des armes à feu par la tenue d’un registre national, non aux recommandations du Groupe de travail sur l’équité salariale et non à l’adoption d’une loi fédérale sur l’équité salariale. La liste est longue et se décline aussi par des positions en faveur du plafonnement de la responsabilité des entreprises de l’industrie nucléaire en cas d’accident, en faveur de politiques punitives à l’égard de jeunes contrevenants, particulièrement à l’égard de jeunes issus de communautés culturelles. Cette liste reflète aussi une volonté d’orienter la recherche sur des thématiques économiques. Nous pensons à l’orientation précise donnée en 2008 aux bourses offertes pour réaliser des études supérieures en sciences humaines, lesquelles devront être attribuées à des diplômes et à des projets liés au monde des affaires. Cette liste reflète aussi la volonté d’amener les entreprises culturelles québécoises à augmenter leur part d’autofinancement et à devoir moins compter sur l’aide de l’État fédéral : nous pensons aux coupures qui ont affecté le secteur culturel en 2006-2007. Nous pensons aussi à la volonté du gouvernement conservateur de couper dans les subventions accordées à des organisations de défense des droits et au programme de contestation judiciaire. Nous pensons aux coupures dans le financement d’organisations actives et progressistes dans

le domaine du développement international : le cas de KAIROS, une organisation active depuis 40 ans qui intervient dans les pays les plus pauvres et qui dénonce les positions conservatrices du gouvernement Harper sur les questions de la pauvreté et du réchauffement climatique. Nous pensons aussi aux menaces de coupures de l’ACDI qui planent toujours au début de 2010 sur l’organisme international québécois Alternatives. Le contrôle croissant exercé par le gouvernement fédéral réduit les capacités d’action des provinces et des municipalités. Au Québec, malgré les spécificités culturelles du modèle québécois

La crise rend encore plus évidentes les conséquences de la mouvance conservatrice qui traverse la majorité des sociétés. de développement, notre gouvernement voit ses marges de manœuvre limitées. Il doit s’en tenir à être un bon gestionnaire des dépenses publiques. Il peut moins nouer ou renouer avec le leadership clair et innovant en termes de développement socioéconomique que nous avons su collectivement mettre en scène au cours et à la suite de la Révolution tranquille. Pour le mouvement communautaire, ce double mouvement de turbulences 379


L’état du Québec 2010

qui affectent le territoire québécois – un fort courant et esprit conservateur en provenance d’Ottawa et une tendance à l’immobilisme à Québec, où le gouvernement adopte une position de bon gestionnaire des finances publiques – fait en sorte que des organisations communautaires et d’économie sociale voient leur financement plafonné ou tout simplement remis en question. Nous pensons au dossier de la gestion des matières résiduelles, où le Québec

toute situation de crise représente une occasion qu’il faut savoir saisir pour mieux rebondir. affiche un retard important, malgré ses positions en faveur de l’accord de Kyoto, lié à la timidité de l’État à œuvrer de concert avec les entreprises d’économie sociale actives dans le domaine. Nous pensons aussi au secteur des services à domicile, où le manque de vision de l’État sur la façon de bien lier et d’agencer ce qui doit relever d’interventions publiques, d’interventions sociales et d’interventions privées vient aggraver la quantité et la qualité des services à domicile rendus à la population. Le grand compromis des années 60-80 qui soutenait le développement du mouvement communautaire est de plus en plus

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orienté vers des avenues considérées économiquement rentables et idéologiquement acceptables par l’État. En période de turbulence, il devient opportun pour le mouvement communautaire et les composantes progressistes de la société civile québécoise de reconsidérer leur rapport au politique et, plus particulièrement, leur rapport à l’État. Cette reconsidération devrait les amener à faire front commun sur certains dossiers, tel que proposer des budgets publics alternatifs ; reconnaître et investir dans les nouvelles façons de penser de façon inclusive le développement économique où ni le développement social ni l’environnement naturel ne sont sacrifiés au profit d’une croissance économique au service des mieux nantis. Toute situation de crise représente une occasion qu’il faut savoir saisir pour mieux rebondir. Nous pensons qu’il y a urgence à agir tant sur les dossiers de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion que sur celui de la lutte contre la destruction des écosystèmes de la planète. S’il y a des investissements majeurs à faire, s’il y a des chantiers d’innovation à mettre de l’avant, ils doivent moins porter sur la mise en marché de nouveaux produits et de nouveaux gadgets – les entrepôts, les magasins et les dépotoirs débordent –, ils doivent plutôt porter sur l’avenir collectif que nous voulons nous donner.


Valeurs et modes de vie 382

Bénévolat et entraide : le temps du désengagement ?

387

Conjuguer consommation et éthique

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Portrait du Québec alimentaire et gastronomique

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Le Canadien de Montréal : l’année de tous les dangers

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bénévolat et entraide : le temps du désengagement ? Stéphanie gaudet Professeure, Département de sociologie et d’anthropologie, Université d’Ottawa

Le discours public sur l’engagement des citoyens est plein de paradoxes. tantôt il dénonce le faible taux de participation aux élections, tantôt il loue les nouvelles formes d’engagement. comprendre ces contresens apparaît essentiel dans une société où les individus redéfinissent leur rapport à la collectivité. cet article propose une réflexion sur l’engagement des Québécois au regard de leur participation, de plus en plus faible, aux activités de bénévolat et d’entraide.

La participation par le bénévolat ou l’entraide représente un geste citoyen à la base des solidarités sociales. Elle demande un investissement de soi important et conduit à une augmentation du sentiment d’appartenance, du capital social et de la socialisation politique. Pour plusieurs, particulièrement les femmes, l’entraide entre proches représente une forme privilégiée de participation : engagement social incontournable, elle peut occuper les mêmes fonc382

tions sociales d’inclusion, de lutte contre les inégalités, de changement social et de bien-être associées à la participation. Il est donc important de comprendre à quelles conditions et dans quels contextes cette participation à travers l’entraide et le bénévolat est possible. Je circonscris les pratiques de participation sociale au don de temps dans le cadre formel d’une organisation et dans celui, plus informel, de l’entraide1. Le temps constitue un indicateur impor-


valeurs et modes de vie

tant pour saisir les pratiques plutôt que les discours, pour analyser la quotidienneté de ces pratiques et pour y inclure la participation informelle. Sociologiquement parlant, donner de son temps – plutôt que donner de l’argent ou consommer de façon responsable – enracine très fortement l’engagement dans le lien social, voire dans l’interaction face-à-face. Plus encore, cette forme de participation s’inscrit dans la logique du don2. En dehors des obligations institutionnelles et celles de la culture de consommation de masse qui dominent souvent nos interactions, des individus offrent ce qu’ils ont de plus précieux symboliquement et concrètement : leur temps et leur identité. C’est peut-être là la façon la plus tangible de lutter contre la société de consommation dans laquelle nous vivons. Or, si l’on analyse les données de l’Enquête sociale générale sur l’emploi du temps de Statistique Canada3, on s’aperçoit que, de 1992 à 2005, les Québécois – tout comme les Canadiens – ont été beaucoup moins nombreux à offrir du temps4 pour l’entraide ou le bénévolat. À quoi attribuer cette tendance ? À la montée de l’individualisme ? À l’apparition de nouvelles contraintes sociales, telles que l’augmentation du temps de travail ?

L’entraide conduit à une augmentation du sentiment d’appartenance, du capital social et de la socialisation politique. Canada. Est-ce une surprise ? Non. Si l’on considère qu’au Canada les individus travaillaient en moyenne 8,9 heures par jour en 2005 – soit 30 minutes de plus qu’en 1986 – et que la proportion des bourreaux de travail (10 heures et tabLeau 1

Taux de participation à des activités de bénévolat ou d’entraide, en 1992 et 2005 taux de participation sociale (%) Québec Ontario Reste du Canada

1992 2005 14,1 12,2 16,1

9,2 10,0 11,3

Source : Enquête sociale générale, Statistique Canada.

plus de travail par jour) est passée de 17 % à 25 % pendant cette même période5, il apparaît logique que le temps alloué aux activités sociales soit en baisse. Dans un contexte où concilier les obligations personnelles, familiales et professionnelles demeure un défi constant, les citoyens peuvent-ils seulement participer socialement sur une base quotidienne ? La réponse semble négaLe temps du désengagement Le taux de participation aux activités de tive : en 2005, seulement 9,2 % de la bénévolat et d’entraide a, de 1992 à 2005, population québécoise participait à des baissé de 35 % au Québec et de 30 % au activités de bénévolat ou d’entraide. 383


L’état du Québec 2010

La participation par le bénévolat ou l’entraide représente un geste citoyen à la base des solidarités sociales.

Depuis 1992, tous les Canadiens ont diminué leur participation sociale, à l’exception des femmes du reste du Canada, qui conservent sensiblement les mêmes taux de participation aux activités d’entraide. Les Québécois ont diminué leur participation bénévole d’environ 43 % – un taux semblable à celui du reste du Canada. Les Québécois avaient traditionnellement l’habitude d’être plus actifs que le

reste des Canadiens dans les activités d’entraide – au détriment du bénévolat –, mais il semble que cela ait changé. Depuis 1992, la participation des hommes dans ce domaine a chuté de moitié et chez les femmes, d’un tiers. Les changements dans l’organisation familiale et le fort taux d’emploi des femmes contribuent probablement à ces changements dans les rôles sociaux.

tabLeau 2

Taux de participation à des activités sociales selon le type d’activité et le sexe, en 1992 et 2005 taux de participation sociale (%) bénévolat entraide

Hommes Femmes Hommes Femmes

Québec 1992 8,3 7,7 10,1 10,8

Source : Statistique Canada, Enquête sociale générale.

384

ontario 2005 4,7 4,4 4,8 7,5

1992 6,8 11,0 6,2 7,6

2005 4,3 5,7 5,0 7,4

reste du canada 1992 10,9 11,9 8,8 9,2

2005 5,7 6,5 5,6 8,3


valeurs et modes de vie

aider sa cause… ou celle de son voisin ? La baisse de l’engagement des Québécois est symptomatique de plusieurs malaises sociaux. Premièrement, l’organisation du temps social telle qu’elle est structurée actuellement représente une forte contrainte, en particulier pour les individus qui mènent de front leur carrière tout en s’occupant de jeunes enfants. Tandis que la durée de vie augmente, le temps de travail, lui, reste concentré sur la tranche d’âge 25-60 ans, et le travail par lui-même devient de plus en plus intense, notamment pour les individus ayant une formation universitaire6. Si nous pouvions travailler moins d’heures dans une journée, mais sur une période de vie plus longue, peut-être alors pourrions-nous disposer de plus de temps pour nous et pour les autres. Le deuxième malaise qu’illustre la baisse du taux de participation est certainement le manque d’institutions adaptées aux attentes et aux besoins des individus. En effet, il existe peu d’organisations non partisanes, notamment en région, et celles qui existent déjà disposent de très peu de moyens financiers. Lors d’une récente enquête réalisée à Gatineau7, des personnes interviewées racontaient qu’elles aimeraient bien donner de leur temps, plutôt que de l’argent, mais qu’elles ne savaient pas à quelle porte cogner. Celles qui avaient déjà contacté des organismes avaient été déçues par l’accueil qui leur avait été réservé. Plusieurs avaient eu l’impres-

sion de rencontrer des technocrates qui établissaient des profils de bénévoles. Certains avaient même été écartés parce que leurs compétences ne correspondaient pas aux besoins de l’organisme. La gestion des bénévoles semble parfois un poids pour certains organismes, qui n’ont pas toujours les ressources et la connaissance nécessaires pour accueillir les bénévoles dans l’« esprit » du don, c’est-à-dire en dehors d’une logique technocrate ou marchande. De nouvelles formes d’engagement ? Depuis quelques années, des chercheurs remettent en doute les constats négatifs que leurs collègues dressent sur le déclin de la participation, qu’elle soit sociale ou politique. Plusieurs soulignent le fait que des formes inédites d’engagement émergent, des formes encore difficiles à saisir par les enquêtes, puisqu’elles se manifestent notamment à travers les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). Sommes-nous trop optimistes à l’égard des NTIC ? Celles-ci peuvent manifestement devenir de puissants outils de mobilisation et de changement social. Sans remplacer la participation sociale à travers le don de temps, elles peuvent constituer des tremplins vers un engagement plus actif. Si nouvelle forme d’engagement il y a, elle prend, entre autres, celle de l’entrepreneuriat social. Des individus mettent ainsi à profit leurs compétences professionnelles pour créer du changement social au sein 385


L’état du Québec 2010

d’entreprises dont c’est la vocation. notes Pensons notamment aux activités du 1. Nous excluons ici l’entraide au sein de la sphère Dr Gilles Julien : grâce à sa clinique, il domestique, puisque nous nous intéressons à l’engagement social. offre un service professionnel d’accom- 2. Voir à ce sujet l’ensemble de la réflexion de pagnement et de soins à de nombreuses Jacques T. Godbout sur le don dans la société familles montréalaises tout en attirant moderne ; lire entre autres L’esprit du don, Montdes bénévoles soucieux de donner leur réal, Boréal, 1992, 344 p. et Ce qui circule entre nous, Paris, Seuil, 394 p. temps et d’appuyer une cause. 3. Cette enquête est fondée sur l’emploi du temps La participation sociale des Québé- pour une journée complète. Elle nous permet cois est en baisse constante depuis 1992. donc de comptabiliser le nombre de minutes que Les deux phénomènes qui contribuent les Canadiens attribuent à diverses activités au cours d’une journée. Nous avons calculé les taux à cette baisse sont la chute de la partici- de participation en fonction des individus qui pation des hommes aux activités d’en- consacraient au moins deux minutes de leur traide et une baisse de participation des emploi du temps quotidien à une activité d’en-

La participation sociale des Québécois est en baisse constante depuis 1992. hommes et des femmes aux activités bénévoles. Cette chute de la participation sociale en termes de bénévolat et d’entraide doit retenir l’attention de nos politiciens et de nos décideurs. Elle témoigne de difficultés à concilier le temps pour soi et pour les autres, mais aussi d’une absence d’institutions dynamiques pour canaliser le besoin des individus à participer socialement. L’entrepreneuriat social représente peut-être une réponse à ce besoin des individus de renouveler le rapport au collectif tout en conciliant le temps pour le travail.

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traide ou de bénévolat. 4. Tous les individus qui ont consacré au moins deux minutes de leur journée à une activité d’entraide ou de bénévolat ont été comptabilisés pour créer le taux de participation. 5. Turcotte, Martin, « Le temps passé en famille lors d’une journée typique, 1986 à 2005 », Tendances sociales canadiennes, no 83, 2007. 6. Dans une étude internationale, Jonathan Gershuny explique que les individus avec une scolarisation élevée sont ceux qui ont davantage augmenté leur temps de travail. Ils forment une sorte de super-classe de travailleurs où l’intensité du travail est valorisée. Voir Gershuny, Jonathan, « Busyness as the Badge of Honor for the New Superordinate Working Class », Social Research: An International Quarterly, vol. 72, no 2, 2005, p. 287-314. 7. Nous avons effectué une recherche sur la participation sociale des Canadiens à travers leurs parcours de vie, financée par le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (CRSH). L’un des aspects de cette recherche consistait à interviewer des résidents de deux quartiers de la ville de Gatineau (un vieux quartier central et une nouvelle banlieue) sur leur participation sociale.


conjuguer consommation et éthique anne Quéniart Professeure, Département de sociologie, Université du Québec à Montréal (UQAM)

produits équitables, biologiques, achats locaux. Depuis quelques années, le visage de la consommation change, et le « surconsomsurconsommateur » fait de plus en plus souvent place au « consom’acteur » pour qui l’acte d’achat est un geste d’engagement. d’engagement. Mais pourquoi choisir de se tourner vers ce type de produits ? c’est à cette quesquestion que nous répondons dans ce texte en nous basant sur une enquête1 menée dans la grande région de Montréal.

Si le consommateur de produits équitables, biologiques et locaux se soucie du caractère « santé » du produit, de son rapport qualité/prix et de son accessibilité, il met surtout de l’avant, dans son choix, des critères altruistes, se basant sur des considérations environnementales, sociales ou politiques. Or, comme nous allons le voir, plus l’échelle de valeurs est complexe, plus elle comprend de critères différents, et moins les choix de consommation sont automatiques, plus ils amènent les consommateurs à réfléchir à la portée de leurs actes et surtout à leurs priorités.

Faire ses achats selon une échelle de valeurs Ainsi, pour certains, notamment les plus jeunes parmi nos répondants, la question environnementale est celle qui les préoccupe le plus. La consommation est donc pour eux une façon de poser un geste écologique, non seulement en termes de refus des pesticides, des herbicides ou encore des organismes génétiquement modifiés (OGM), mais aussi de pollution liée au transport. Cela les amène à exclure d’abord les produits équitables (qui viennent souvent du Sud) pour privilégier l’achat local, et ce, 387


L’état du Québec 2010

La relation de proximité avec les commerçants fait partie des valeurs des « consom’acteurs ».

qu’il soit biologique ou non, car les produits n’ont pas voyagé. Par exemple, ils vont choisir d’acheter les pommes non biologiques du Québec plutôt que les pommes biologiques de Californie. Autrement dit, entre un produit biologique qui vient d’ailleurs et un produit non biologique local, c’est souvent le local qui va l’emporter dans leur « échelle de choix », puisque le biologique n’a de sens que s’il respecte l’environnement. Pour d’autres, la consommation est avant tout un acte politique, puisque les choix qui sont faits en cette matière expriment les valeurs de l’individu. Consommer des produits responsables, c’est pour eux encourager certaines causes et en rejeter d’autres. Ainsi, certains vont plutôt privilégier des produits qui 388

sont équitables, quitte à faire des kilomètres pour se les procurer, puisqu’ils garantissent aux petits producteurs de bonnes conditions de travail. Mais dans une logique inverse, d’autres vont choisir, au nom de valeurs nationalistes, des produits locaux, c’est-à-dire cultivés ou fabriqués au Québec. De plus, se portant en général à la défense du « petit » ou s’affichant contre « les grosses compagnies », ils choisissent d’acheter leur café équitable chez un petit commerçant éloigné de leur lieu de résidence plutôt qu’à l’épicerie au coin de leur rue. Enfin, un certain nombre de consommateurs, notamment des jeunes qui se procurent régulièrement des produits équitables, vont se renseigner sur la situation politique du pays du producteur. C’est le cas pour cette jeune femme de 25 ans :


valeurs et modes de vie J’ai habité en Afrique et je connais un petit peu les producteurs là-bas. Tu te dis, à un moment donné : « Pourquoi mes pratiques à moi ici encouragent finalement une forme d’exploitation ? » [...] Donc, c’est un peu de penser à certaines questions : comment est produit ce que tu achètes ? Où est-ce qu’il a été fait ? Dans quelles conditions ? Comment il a été acheminé ? Comment est-ce qu’il est emballé ? Comment est-ce qu’il est vendu ?

Le lieu de vente, l’entreprise qui en fait la promotion et l’emballage sont également des facteurs fréquemment pris en compte. Autrement dit, les répondants accordent une importance particulière aux producteurs et autres acteurs impliqués dans la production ou la vente d’un bien, « d’un bout à l’autre de la chaîne ». Les consommateurs veulent retrouver de l’« humanité dans leur assiette » ; ils défendent des valeurs de solidarité et de respect envers les producteurs locaux, mais aussi envers les producteurs du Sud, le tout dans un souci de cohérence. Voici ce que nous disait un jeune homme de 26 ans : Tu vas au McDo, t’achètes un café équitable, donc ce que tu veux, c’est te prononcer en faveur de la justice sociale. Mais les gens chez McDo sont payés des peanuts par rapport à tout le chiffre d’affaire qu’ils font. Donc pour moi, ça perd de son sens. Tant qu’à acheter bio, tant qu’à acheter équitable, est-ce qu’on ne peut pas intégrer des lieux qui sont cohérents avec ces valeurs-là, où l’organisation est faite de façon démocratique, comme avec des coop où les gens ont une forme d’équité,

une forme de justice sociale, une réflexion idéologique ?

À ces considérations environnementales et politiques s’ajoute l’importance du contact humain. Ainsi, plusieurs répondants sont fidèles à certains commerces parce qu’ils y sont reconnus par les employés, et donc s’y sentent « moins comme un numéro », « moins bousculés », « moins pressés ». De plus, certains expriment la volonté d’une relation marchande de proximité, sans intermédiaire, par exemple en s’abonnant aux

Les consommateurs défendent des valeurs de solidarité et de respect envers les producteurs locaux et du Sud. paniers biologiques, car cela encourage directement un producteur. D’autres soulignent l’importance de partager les valeurs défendues par les commerçants et apprécient de pouvoir discuter politique avec eux ou de les voir prendre clairement position pour une cause sociale ou environnementale, en affichant leur solidarité dans leur vitrine, par exemple. Un homme de 35 ans nous expliquait : C’est un petit commerce de quartier qui est à proximité de l’endroit où je reste. Donc on va là, on est reconnu, on sait que ce sont des gens engagés. Quand c’est un commerce qui n’appartient pas à une chaîne, le propriétaire, on le connaît, puis 389


L’état du Québec 2010 on connaît ses valeurs, un peu. Avant l’invasion américaine en Irak, je suis allé là avec des affiches annonçant des manifestations, puis il n’y avait pas de problème. Il était bien content de les mettre dans son commerce. Ça, dans une chaîne, c’est impossible. C’est impensable, il y a trop de niveaux… puis personne ne veut s’avancer.

On le voit bien, d’autres valeurs sont donc ici en jeu, qui vont bien au-delà de simples préférences pour tel ou tel produit. Il s’agit de valeurs fortes, celles qui « concernent la manière dont [on va] vivre [sa vie], […] qui touchent à ce qui constitue une vie riche et signifiante par rapport à une autre qui ne se préoccuperait que de questions accessoires ou futiles2 ». En effet, ces valeurs viennent remettre question les règles et valeurs habituelles en matière de consommation et, même, entrent en conflit avec les normes sociales dominantes qui fondent les rapports marchands dans nos sociétés de (sur)consommation, basés sur une logique économique dans laquelle le consommateur est un « individu rationnel […] qui maximise son utilité en fonction des caractéristiques objectives des produits et des prix qu’il observe sur le marché […], ne s’intéressant pas aux conditions de production des produits, sauf si elles influent sur leurs caractéristiques ».

choix éclairés et critiques en matière d’achats, mais aussi favoriser une multitude d’autres gestes, comme le recyclage, le compostage, la réduction de l’utilisation de l’automobile et même la réduction de sa consommation, comme le souligne cette femme de 31 ans : On va essayer de faire faire des rénovations vertes si possible […]. Pour moi, ça aussi, ça fait partie d’une consommation responsable. C’est vraiment à tous les niveaux, c’est pas juste dans ce que j’achète pour me nourrir. […] J’essaie d’utiliser les logiciels open source le plus possible. J’utilise Mozilla Firefox plutôt qu’Explorer, des choses comme ça. […] Côté transport, on se promène toujours en vélo. Puis je mélange plein de critères parce que làdedans, il y a les critères environnementaux. Moi, c’est toujours des critères à trois niveaux : les critères sociaux, environnementaux, économiques, qui vont entrer en ligne de compte.

Il y a donc chez les répondants cette idée que la consommation responsable n’est qu’une partie d’un tout plus large, qu’elle doit faire partie d’une philosophie de vie où d’autres pratiques cohérentes s’ajoutent, où la réflexion est de plus en plus globale et profonde. Les consommateurs rencontrés semblent donc s’être construits un mode de vie où la consommation biologique et équitable est au centre de leurs valeurs. Celle-ci semble représenter un maillon Être cohérent dans sa consommation dans une chaîne d’engagements, une Par ailleurs, pour tous, la consomma- étape dans une spirale de gestes engation signifie non seulement faire des gés. C’est en effet un mouvement qui 390


valeurs et modes de vie

s’effectue à la fois en s’approfondissant – les convictions liées aux habitudes de consommation responsable semblant de plus en plus solidement ancrées – et en s’élargissant – l’intérêt pour les produits de consommation biologiques ou équitables s’étendant à d’autres pratiques responsables. Voici ce que nous explique une jeune femme de 25 ans : On utilise beaucoup la bicyclette, le transport en commun, puis quand c’est pas possible, Communauto. […] La récupération, beaucoup. On achète neuf le moins possible. Je pense qu’on n’a rien de neuf ici. C’est tout acheté dans des friperies, des ventes de garage, on fait de la récupération… […] Donc, pour moi, la consommation responsable, ça commence déjà par consommer ce dont tu as besoin. Puis, dans la mesure du possible, récupérer. Faire avec ce que tu as déjà. […] Dans les loisirs, aussi, c’est d’essayer de pas trop consommer. On utilise beaucoup la bibliothèque. […] C’est une autre manière de voir la culture. Il y a beaucoup de spectacles gratuits, on encourage les petites productions.

La consommation responsable serait ainsi un moyen « de se prononcer et, donc, de façonner par ses choix des pratiques environnementales, politiques, culturelles, sociales et économiques plus larges3 ». Pour la plupart des consommateurs rencontrés, l’aspiration à « vivre autrement », notamment en consommant « mieux 4 » – mieux pour eux, mieux pour l’environnement, mieux pour les générations à venir – est en tout cas centrale.

un mode de vie se construit où la consommation biologique et équitable est un maillon dans une chaîne d’engagements.

notes

1. Cette enquête par entrevues a été menée auprès de 64 consommateurs de produits biologiques et équitables, soit 26 hommes et 38 femmes âgés de 18 à 69 ans. Ajoutons que plus de la moitié d’entre eux vivent seuls et n’ont pas d’enfants. Ils sont tous assez fortement scolarisés, la quasi-totalité ayant complété des études postsecondaires et les deux tiers ayant un diplôme universitaire. Le revenu annuel moyen par individu se situe cependant sous la barre des 30 000 $ pour les deux tiers de nos répondants. Ces entrevues faisaient partie du second volet d’une vaste enquête qualitative, financée à la fois par le Programme PAFACC de l’UQAM et par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSHC). Menée de 2000 à 2007, elle portait sur le militantisme et sur les nouvelles formes d’engagement politique, notamment chez les jeunes. Ce texte reprend des éléments de l’article d’Anne Quéniart et Catherine Jauzion, « Consommation responsable et préoccupations éthiques », dans Stéphanie Gaudet et Anne Quéniart, Sociologie de l’éthique, Montréal, Liber, p. 132-150. 2. Ruffieux, Bernard, « Le nouveau citoyen consommateur : que peut-on en attendre en termes d’efficacité économique ? », Sciences de la société, n° 62, 2004, p. 93. 3. Marchand, Anne, Pierre De Coninck et Stuart Walker, « La consommation responsable. Perspectives nouvelles dans les domaines de la conception de produits », Nouvelles pratiques sociales, vol. 18, no 1, 2005, p. 42. 4. Piraux, Maurice, Consommer éthique : un choix, Bruxelles, Éditions Luc Pitre, 2006. 391


portrait du Québec alimentaire et gastronomique Jean-pierre Lemasson Professeur, Département d’études urbaines et touristiques, École des sciences de la gestion (ESG), Université du Québec à Montréal (UQAM)

tout le monde s’accorde pour dire que depuis l’exposition univeruniverselle de Montréal en 1967, le Québec est entré dans une nouvelle ère marquée par une urbanisation en croissance constante, une scolarisation plus importante de la population, une tertiarisation et une féminisation des emplois. La conjugaison de ces phénomèphénomè nes a modifié les comportements alimentaires, mais aussi, et plus largement, la nature et les enjeux contemporains entourant l’alimentation et la gastronomie.

Certains comportements alimentaires méritent d’être soulignés, puisqu’ils sont particulièrement révélateurs des changements sociaux vécus au quotidien. De manière générale, les consommateurs tendent de plus en plus à privilégier des aliments facilement consommables et dont le temps de préparation est court. Cela explique par exemple l’augmentation des ventes 392

d’aliments comme le yogourt ou les fruits. Gagner du temps est une contrainte permanente qui justifie la popularité de plus en plus marquée des plats surgelés et prêts à manger, même si, étonnamment, le temps consacré à la préparation des repas journaliers reste relativement stable (de 35 à 40 minutes) depuis des années. Nous assistons même au retour d’une cuisine familiale


valeurs et modes de vie

plus sophistiquée et au désir de manier à nouveau les casseroles ! Le souci de manger sain est aussi de plus en plus présent, mais n’est pas sans soulever certains problèmes, que nous évoquerons plus loin. Un des débats actuels est celui de savoir si la tradition du repas familial, surtout le souper, n’est pas menacée par les emplois du temps de plus en plus contraignants des parents et des enfants. Les études1 en la matière ne sont pas concluantes, mais les dernières données à l’échelle canadienne indiquent que plus de 81 % des familles dînent ensemble plus de cinq soirs par semaine. Les inquiétudes à cet égard seraient-elles alors exagérées ? Le noyau familial serait-il tout aussi solide que par le passé2 ? Ce serait en tout cas là un signe encourageant qui permettrait de croire non seulement au choix de privilégier la convivialité familiale plutôt que les horaires et les emplois du temps des divers membres de la famille, mais aussi au rôle toujours déterminant de cette dernière dans la socialisation de l’enfant, notamment en matière d’apprentissage et de transmission des goûts.

sont les restaurants dits à service complet, où la convivialité peut s’exprimer sans contrainte de temps, qui sont recherchés. Ainsi, la proportion des dépenses alimentaires des ménages consacrée au restaurant est passée au Québec de 18,3 % en 1997 à 20,2 % en 20053, suivant une tendance commune aux pays occidentaux. Les Québécois mangent donc plus souvent au restaurant, fréquentent les établissements à service rapide 6,8 fois en moyenne tous les 15 jours, mais consacrent, toutes proportions gardées, la plus forte part de leur budget aux restaurants moyen et haut de gamme. Oui, les Québécois sont les plus gourmands et gourmets des Canadiens4, et leurs habitudes en termes de fréquentation de restaurants n’en sont pas le seul signe. Les restaurants sont par ailleurs une formidable porte d’entrée sur la gastronomie internationale. Les cuisines ethniques authentiques ou stéréotypées par la restauration rapide ouvrent le goût à des mondes alimentaires et culinaires variés. Le cosmopolitisme culinaire de Montréal surtout, mais pas exclusivement, nous donne l’illusion de l’abondance et d’une ouverture au monde La sociabilité alimentaire témoignant de notre modernité. HabiToutefois, la sociabilité alimentaire tués aux goûts d’ailleurs, nous hésitons change aussi. La fréquentation des res- moins à essayer des saveurs nouvelles. taurants, activité urbaine s’il en est, tend à augmenter, notamment avec le niveau Manger : peur ou plaisir ? des revenus. Si, le midi, des restaurants Toutefois, d’autres phénomènes à rapides et bon marché sont préférés, le l’œuvre modèlent déjà nos sensibilités soir ou durant les fins de semaine, ce et les marqueront plus nettement à 393


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l’avenir. Nous en retiendrons quatre aux fins de cet article. En premier lieu, jamais l’acte de manger n’a été perçu comme aussi complexe et angoissant. En effet, alors que les discours des entreprises et des pouvoirs publics se veulent rassurants quant au degré de sécurité alimentaire, paradoxalement les peurs et les angoisses de la majorité s’accroissent sourdement. Il suffit de constater le refus des autorités gouvernementales d’interdire les OGM et leur publicisation éventuelle sur les emballages de produits destinés à la consommation humaine ou encore le refus de mettre en œuvre, dans bien des domaines, le principe de précaution, élémentaire dans d’autres pays, pour que le consommateur ait le sentiment que sa santé passe bien après les intérêts écono-

L’obsession des choix sains met de l’avant toutes les pathologies que manger pourrait déclencher. miques des entreprises privées – pensons notamment au clonage animal. Comme par ailleurs la complexité alimentaire s’accroît sans cesse – nous trouvons aujourd’hui autour de 30 000 produits dans un supermarché moyen –, le commun des mortels ne sait littéralement plus où donner de la tête et devient de plus en plus indécis. Loin de lui faciliter la vie, cet univers de surinformation, 394

exigeant toujours plus de décisions, devient de plus en plus anxiogène. S’ajoute à cela l’omniprésence d’un discours sur les saines habitudes alimentaires, qui a souvent des effets inverses à celui qui est recherché. Non seulement l’impossibilité pratique de prendre des décisions rationnelles à partir des étiquettes est avérée, mais l’obsession médiatique de faire des choix sains conduit à une suspicion généralisée en mettant notamment de l’avant toutes les pathologies que l’acte de manger pourrait déclencher (cancer, obésité, diabète de type 2, etc.). Le mythe selon lequel il serait possible de connaître les propriétés des aliments et de maîtriser leurs effets sur la santé est largement propagé, mais les contradictions, insuffisances, silences des experts-conseils font en sorte que jamais le mangeur n’a ressenti aussi nettement à quel point il était seul responsable du contenu de son assiette. Jamais on ne lui a donné autant d’informations et jamais les risques de manger ne lui ont semblé aussi grands. La pseudo-scientifisation de la communication alimentaire a véritablement institutionnalisé nos peurs et a désormais des effets pervers5. Sans être à l’opposé, mais certainement en réaction à la « pathologisation » croissante du discours alimentaire, le plaisir de manger, particulièrement chez les francophones du Québec, a acquis une véritable légitimité sociale. En témoigne la multiplication des évé-


valeurs et modes de vie

Les restaurants constituent une formidable porte d’entrée sur la gastronomie de tous les pays du monde.

nements festifs autour de la nourriture, dont le festival Montréal en lumière est en quelque sorte l’emblème. Les salons et festivals alimentaires sont légion, et il en émerge presque chaque année, dont le dernier en date, Saveurs et tentations, a connu sa première édition dans le Vieux-Port de Montréal à l’été 2009. La fréquentation soutenue des restaurants gastronomiques participe à ce plaisir partagé en public. Bref, le plaisir gourmand, autrefois privilège de la bourgeoisie québécoise, est désormais démocratisé. Du coup, la convivialité change, elle aussi. De plus en plus souvent, par exemple, les jeunes, avant de s’offrir de « bons gueuletons », font les courses ensemble, préparant mieux le plaisir

rituel du partage. Plusieurs cours de cuisine retiennent aussi la formule des achats en commun avant que le repas, où chacun a mis sa touche, soit dignement célébré. Dernier avatar d’une

Le plaisir de manger chez les francophones du Québec a acquis une véritable légitimité sociale. convivialité vibrante, le Dîner en blanc, un dîner où chacun apporte son repas et le partage avec ses amis, a réuni, en août 2009, quelque 1 200 personnes place Jacques-Cartier, à Montréal. 395


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La gastronomie spectacle Ce que nous pourrions dénommer – qu’on nous pardonne le néologisme – la « spectacularisation » de la gastronomie est aussi en cours. Les médias contribuent grandement au phénomène. Le véritable tsunami dans l’édition des livres de cuisine – dont les images le plus souvent servent à faire rêver –, les émissions de télévision où les chefs d’autrefois ont été remplacés par des communicateurs professionnels, voire des vedettes garantissant surtout les cotes d’écoute, le vedettariat qui conduit les chefs à engager des attachés de presse pour assurer leur réputation et gérer leur image, la mise en scène des événements publics mentionnés plus haut : tout cela participe à une transformation de la Cène en scène. Paradoxalement, tout ce qui relève du goût devient un spectacle pour les yeux, et ce, jusque dans la réorganisation des cuisines des restaurants, où le travail des chefs doit être visible de la salle. Une formidable transformation culturelle est en cours dont il est difficile de démêler ce qui tient du plaisir festif et de la complaisance racoleuse de certains entrepreneurs surtout soucieux de gagner rapidement de l’argent. L’éloge du goût, que ce soit au cinéma ou sous d’autres formes d’expression, est désormais omniprésent dans nos vies quotidiennes, donnant à la gastronomie ce que certains considèrent comme étant sa véritable nature : d’abord et avant tout un discours sur la nourriture6. 396

Ma bouffe, mon identité Enfin, et dans un autre ordre d’idées, il est essentiel de signaler la vigueur du processus de patrimonialisation de l’alimentation au Québec, c’est-à-dire le désir d’investir nos aliments de notre identité. En 1996, le Québec s’est levé comme un seul homme contre la prétention d’Ottawa d’interdire la fabrication et l’importation de fromage au lait cru. Cette tentative a été considérée comme une attaque à notre francité. Depuis, l’industrie des fromages fins a fait un remarquable bond quantitatif et qualitatif, et de nombreux secteurs de l’alimentation ont connu un essor vigoureux. Un formidable appétit de découverte des produits locaux, rapidement baptisés « produits du terroir », démontre un désir évident de retrouver une nourriture saine et digne de confiance, mais également originale et inscrite dans une tradition plus ou moins réinventée pour l’occasion. Les aliments ne sont plus seulement des produits comestibles, mais bien des vecteurs d’une culture alimentaire et sensorielle qui nous est propre. Nous avons désormais au Québec la Loi sur les appellations réservées et les termes valorisants – la seule du genre en Amérique du Nord –, et les cuisiniers des restaurants de qualité ne jurent que par les produits cultivés ou les animaux élevés au Québec. En ces temps de modernité, comme les pays européens, nous voulons affirmer notre identité nationale par la distinction alimentaire et gastronomique.


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D’autres analyses auraient pu compléter ce portrait trop rapide. Il est toutefois clair qu’entre la fascination d’un monde nouveau du début des années 70 et aujourd’hui, le Québec est entré dans la modernité gastronomique. Ayant connu les mêmes phénomènes que tous les pays occidentaux – urbanisation, travail des femmes, scolarisation universitaire, etc. –, il a été marqué par les mêmes changements des comportements alimentaires, mais aussi par les mêmes peurs, aspirations ou rêves7. Toutefois, dans ce vaste mouvement de mondialisation des conditions de vie et de leurs effets psychosociaux, le Québec témoigne d’une singularité réelle. Il renoue avec les valeurs de l’Europe latine, où la gastronomie conjuguant originalité, qualité des produits et convivialité est clairement vécue comme un enjeu identi-taire – contrairement aux pays anglo-saxons8. La gastronomie est désormais investie comme un projet culturel, « une forme de réenchantement du monde », auraient pu

dire Weber et Nietzsche, le signe d’une commensalité où « se popote », avec une vitalité peu commune, notre « franco-américanité ». notes

1. Latreille, Martin, et Françoise-Romaine Ouellette, Le repas familial, recension d’écrits, rapport de recherche, INRS, 2008, 59 p. 2. Cooke, Nathalie, « Home Cooking : The Stories Canadian Cookbooks Have to Tell », dans What’s to Eat, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2009, p. 229-244. 3. Association des restaurateurs du Québec, Profil et performance de la restauration québécoise, 2008, p. 53. 4. « Faits saillants 2007. Données sur les services alimentaires canadiens », HRI, juin-juillet 2007, vol. 11, no 3, p. 18-38. 5. Corbeau, Jean-Pierre, « Les effets pervers de l’information nutritionnelle », Réalités en nutrition, n° 17, 2009, p. 5-12. 6. Ory, Pascal, Le discours gastronomique français, Paris, Gallimard, 1998, 203 p. 7. Voir notamment Faustine Régnier, Anne Lhuissier et Séverine Gojard, Sociologie de l’alimentation, Paris, La Découverte, 2006, 121 p. 8. Amilien, Virginie et autres, « Local food in Europe : ESF exploratory workshop », Anthropology of Food, mars 2007. En ligne : http://aof. revues.org/document498.html

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Le canadien de Montréal : l’année de tous les dangers Jean Dion Journaliste, Le Devoir

L’année 2009 était censée être marquée d’une pierre blanche pour le canadien : avoir 100 ans, ça n’arrive pas tous les jours. Mais malgré un début de saison plus que prometteur, les déboires – pas tous sportifs – se sont accumulés, laissant l’équipe dans l’ombre de sa splendeur passée. L’année se termine par un grand final : la revente du club… Ça ne devait pas précisément se passer de cette façon. Pour sa 100e année d’existence, le Canadien de Montréal avait prévu toutes sortes de célébrations. Inauguration de la place du Centenaire honorant, par des statues, ses plus grandes légendes – Howie Morenz, Maurice Richard, Jean Béliveau et Guy Lafleur – juste à côté du Centre Bell. Aménagement, à l’intérieur de l’amphithéâtre, d’un mur des célébrités. Présentation du match des Étoiles et de la séance annuelle de repêchage amateur. Retrait du chandail de Patrick Roy, dont les prouesses ont rythmé l’enfance de la génération actuelle de partisans. Utilisation des uniformes d’antan, question d’évoquer 398

l’une des plus riches histoires sportives au monde. Ouverture de patinoires communautaires un peu partout en ville. Bref, les réjouissances étaient au menu. De gloire en queue de poisson Sur la glace, la saison régulière 20082009 avait démarré sur les chapeaux de roues, le Canadien remportant 8 de ses 10 premiers matchs. L’équipe donnait ainsi à ses supporters des raisons légitimes de croire que le premier rang de l’association de l’Est décroché le printemps précédent n’était pas un heureux accident de parcours. C’est plutôt l’élimination hâtive au deuxième tour des séries éliminatoires aux mains des


valeurs et modes de vie

Flyers de Philadelphie, en principe moins forts qu’elle, qui a constitué la mauvaise surprise. Le Tricolore devait maintenir sa vitesse de croisière pendant plusieurs semaines. Fin novembre, Roy « rentrait à la maison » et son numéro 33 s’en allait rejoindre les autres immortels au plafond du Centre Bell. Ainsi, le Canadien figurait avantageusement au classement jusqu’aux fêtes, et même après. Vue de l’extérieur, l’ambiance semblait au beau fixe, et la principale question consistait à savoir comment le club allait se comporter en séries, lui qui y éprouve des difficultés depuis sa dernière conquête de la coupe Stanley, en 1993. Une participation à la « vraie saison » ne faisait aucun doute. Les choses allaient tellement bien que le 13 janvier, lors d’une conférence de presse de mi-saison, le directeur général, Bob Gainey, déclarait qu’en cinq ans à ce poste, son meilleur coup avait été l’embauche, en 2006, de Guy Carbonneau à titre d’entraîneur-chef. C’est à peu près à ce moment-là que la sauce a commencé à se gâter. Sur le Web, toutes sortes de rumeurs se sont mises à circuler, quelquefois photos à l’appui, à propos de la vie nocturne de certains jeunes porte-couleurs du Canadien. L’équipe n’a pas aidé sa cause et n’a pas contribué à ce que le public se concentre sur l’aspect « hockey » des choses en ne remportant que 3 rencontres sur 15 sur une période d’un mois, du 20 janvier au 19 février. Et, la

troisième semaine de février, la machine s’est emballée. Alors que tout le monde s’interrogeait sur les causes de ces déconfitures à répétition, Jean Perron, l’ancien entraîneur du CH devenu commentateur, déclarait à la télévision que trois joueurs – le gardien Carey Price et les attaquants Christopher Higgins et Sergei Kostitsyn – étaient « sur la rumba ». Le lendemain, Alex Kovalev, la vedette de l’équipe, était invité à aller se reposer chez lui pendant quelques jours sans qu’on donne d’explications aux médias. Trois jours plus tard, le quotidien La Presse, qui avait prévenu la veille au soir qu’il allait publier une très grosse histoire, contribuant ainsi à répandre les bruits les plus fous, révélait que Sergei et son frère, Andrei Kostitsyn, de même que le défenseur Roman Hamrlik, fréquentaient un membre du crime organisé montréalais. Aucun acte illicite n’a été prouvé, mais la casserole a débordé.

Le 9 mars, bob gainey congédiait carbonneau, jadis son « meilleur coup comme patron à Montréal ». Le Tricolore s’est un peu remis d’aplomb en gagnant cinq des sept matchs suivants. Au milieu de cette séquence, l’attaquant Steve Bégin était échangé aux Stars de Dallas et a pu ainsi briser le silence entourant les tensions 399


L’état du Québec 2010

Guy Carbonneau, entraîneur­chef du Canadien, embauché en 2006 et congédié l’année du centenaire du Tricolore.

dans l’équipe, révélant en entrevue que Carbonneau avait du mal à faire passer ses idées. Après les partys et les accointances louches, le « problème de communication » est entré dans la danse. Le 9 mars, Bob Gainey congédiait Carbonneau, jadis son « meilleur coup comme patron à Montréal ». Le directeur général est lui-même descendu derrière le banc pour les 16 matchs restants. L’équipe jouait en deçà de son potentiel sous Carbonneau, a-t-il expliqué. Un changement était devenu nécessaire pour la relancer. 400

La relance fut tiède. Sous Gainey, le Canadien a présenté un rendement de 6 victoires, 7 défaites, 3 défaites en prolongation et a conclu la saison régulière sur 4 défaites consécutives. Il s’est timidement qualifié pour les séries à son avant-dernier match et a terminé au huitième rang de l’Est, ce qui lui a valu d’affronter dès le premier tour les champions de l’association, les Bruins de Boston. L’affaire s’est avérée expéditive : les Bruins ont gagné la série en quatre matchs. Comme queue de poisson, c’est aussi gros qu’une histoire de pêcheur.


valeurs et modes de vie

un club à vendre Parallèlement à tout cela, les choses ont bougé au plus haut niveau. Après que le propriétaire, George Gillett, eut catégoriquement nié, fin 2008, une déclaration de l’homme d’affaires Jim Balsillie selon laquelle le Canadien était à vendre, on apprenait au printemps 2009 que c’était bel et bien le cas. Gillett, qui avait aussi investi dans le club de soccer de Liverpool, en Angleterre, et dans une écurie de courses automobiles NASCAR aux États-Unis, éprouvait des difficultés financières et devait se départir d’une partie de son empire. Ce morceau sera le Canadien de Montréal, le Centre Bell et le Groupe Spectacles Gillett. Le dossier étant confidentiel, là encore des rumeurs ont circulé pendant des semaines quant à l’identité des acheteurs potentiels. En juin, la transaction a été conclue et un consortium, formé notamment des frères Geoffrey, Justin et Andrew Molson, de Bell Canada Entreprises, de la compagnie Woodbridge et du Fonds de solidarité FTQ, s’est porté acquéreur de la franchise. En déposant une offre estimée à plus de 600 millions de dollars, il devançait au fil d’arrivée un groupe formé de Quebecor et des Productions Feeling, de René Angélil. Et ce n’est pas parce qu’on traversait la morte saison que le Bleu Blanc Rouge prenait des vacances. Le 1er juin, Gainey annonçait l’embauche de Jacques Martin, alors directeur général des Panthers de la Floride, au poste d’entraîneur-

chef. Un vétéran pour remettre un peu d’ordre dans la cabane... Puis, le grand ménage a commencé. Le 1er juillet, date butoir pour les joueurs autonomes sans compensation, le Canadien laissait filer plusieurs de ses têtes d’affiche. Le capitaine Saku Koivu est parti à Anaheim. Kovalev a pris le che-

puis, le grand ménage a commencé. Le 1er juillet, le canadien laissait filer plusieurs de ses têtes d’affiche. min d’Ottawa. Alex Tanguay s’est trouvé un travail à Tampa Bay, Francis Bouillon à Nashville, Robert Lang à Phoenix, Tom Kostopoulos en Caroline, Mathieu Dandenault dans les mineures. Christopher Higgins a été échangé aux Rangers de New York, et Patrice Brisebois a annoncé sa retraite. Pour prendre leur place sont apparus de nouveaux visages ayant pour noms Mike Cammalleri, Scott Gomez, Brian Gionta, Travis Moen, Jaroslav Spacek, Hal Gill et Paul Mara. Jamais n’avait-on vu, dans l’histoire du Canadien de Montréal, sinon de toute la Ligue nationale de hockey, un chambardement de personnel aussi soudain et radical. Aussi, au moment de démarrer la saison 2009-2010, le « nouveau Canadien » suscitait une tonne de 401


L’état du Québec 2010

questions. Qu’en sera-t-il de la proverbiale chimie du club avec des effectifs dont près de la moitié étaient ailleurs il n’y a pas trois mois et qui amorcent la campagne sans capitaine attitré ? Ce club est-il trop petit et trop léger ? Après une saison en dents de scie marquée par la controverse, le gardien de but Carey Price est-il prêt, à 22 ans, à supporter la pression qui accompagne le poste le plus névralgique de tout le sport professionnel nord-américain ? Jacques Martin, qui a énormément d’expérience en tant qu’entraîneur, mais qui n’a jamais vraiment connu de succès en séries éliminatoires, est-il l’homme pour emmener les Glorieux au moins en demi-finale de la coupe Stanley, exploit que personne n’a accompli depuis 1993 ? Les nuits de Montréal seront-elles plus calmes ? En

402

somme, le Canadien est nouveau, mais est-il amélioré ? Une seule chose est certaine : hors glace, impossible de faire pire que l’année précédente... Le CH a réjoui bien du monde en sélectionnant le Montréalais Louis Leblanc au premier tour du repêchage en juin, mais le club s’est présenté en octobre avec une saveur moins locale que jamais. Trois joueurs seulement s’exprimaient en français : Guillaume Latendresse, Georges Laraque et Maxim Lapierre, auxquels est venu s’ajouter plus tard Mathieu Carle. Deux d’entre eux ne font désormais plus partie de l’équipe. Rien pour inciter les fans à la patience quand on traversera des temps durs. Peut-être que ça prendrait une équipe à Québec pour fouetter les troupes ?...


Territoire 405

Carte des régions administratives du Québec

406

Curieuse élection

413

Aider les municipalités dévitalisées ou protéger le territoire agricole ?

419

Le Plan Nord : simple projet de relance économique ou nouvelle vision du développement ?

426

Les immigrants en région : des problématiques particulières d’intégration

427

Être jeune en région

403


Pour lire les statistiques complètes sur les 17 régions administratives du Québec, veuillez vous rendre au www.letatduquebec.qc.ca. Vous trouverez les statistiques à jour sur la superficie, la démographie, le marché du travail, les investissements, ainsi que la liste des principales municipalités et des municipalités régionales de comté de chaque région. 404


Régions administratives du Québec

09 Côte­Nord 10 Nord­du­Québec

11 Gaspésie–Îles­de­la­Madeleine

02 Saguenay–Lac­Saint­Jean 08 Abitibi­Témiscamingue 01 Bas­Saint­Laurent 04 Mauricie

03 Capitale­ Nationale 12 Chaudière­Appalaches

07 Outaouais 15 Laurentides

17 Centre­du­Québec

13 Laval 16 Montérégie

05 Estrie

14 Lanaudière 06 Montréal

405


curieuse élection pierre Drouilly Professeur, Département de sociologie, Université du Québec à Montréal (UQAM)

curieuse élection que celle à la mairie de Montréal en 2009 ! après une campagne électorale très mouvementée, durant laquelle scanscandales allégués, accusations de prévarications, coups de théâtre et coups bas ont fait de la scène municipale une sorte de reality show (sinon de freak show), show), les électeurs ont semblé, le jour du vote, faire preuve d’une étonnante indifférence et d’une apathie certaine. Le taux de participation est demeuré très bas (39,4 % en 2009 contre 35,0 % en 2005) et le maire, Gérald Tremblay (Union Montréal), a été réélu

Le seul changement important est la progression du vote pour richard bergeron (projet Montréal), qui passe de 8,5 % à 25,6 %. avec une majorité amoindrie (22 000 voix de majorité contre 65 000 en 2005). Sa principale adversaire, Louise Harel (Vision Montréal), n’a fait aucun gain par rapport au vote accordé à Pierre Bourque en 2005 (tableau 1). Le seul changement important, outre la baisse 406

du vote en faveur de Gérald Tremblay – qui passe de 53,7 % du vote exprimé en 2005 à 37,9 % en 2009 –, est la progression du vote pour Richard Bergeron (Projet Montréal), qui passe de 32 136 voix en 2005 à 107 046 voix en 2009 (soit de 8,5 % à 25,6 % du vote valide). Au final, en 2009, 1 électeur sur 7 a voté pour le maire Tremblay, 1 électeur sur 8 a voté pour la chef de l’opposition à l’Hôtel de ville et 1 électeur sur 10 a voté pour Richard Bergeron. Au-delà de ces chiffres globaux, il existe de fortes variations selon les arrondissements (tableau 4). Ainsi, le taux de participation varie de 21,6 % (Ville-Marie) à 65,7 % (Rivière-desPrairies–Pointe-aux-Trembles) ; le vote pour Union Montréal varie de 19,6 %


Territoire tabLeau 1

Élections à la mairie de la ville de Montréal 2005-2009 Résultats bruts Électeurs inscrits Votants Rejetés Union Montréal Vision Montréal Projet Montréal Autres

2005 1 113 059 389 016 12 482 202 302 136 777 32 126 5 329

(Plateau-Mont-Royal) à 63,8 % (SaintLéonard) ; le vote pour Vision Montréal varie de 16,2 % (Pierrefonds-Roxboro) à 49,1 % (Mercier–Hochelaga-Maisonneuve) ; et le vote pour Projet Montréal varie de 13,6 % (Saint-Léonard) à 40,5 % (Plateau-Mont-Royal). On peut évidemment tenter d’expliquer ces variations en fonction de la personnalité des différents candidats et candidates aux postes de maire et de conseillers d’arrondissement, puisqu’on observe une assez bonne corrélation entre les différents votes que chaque électeur a dû exprimer à cette élection (un vote pour le poste de la mairie de Montréal, un pour le poste de la mairie d’arrondissement, un pour le poste de conseiller de la ville de Montréal et éventuellement un vote pour le poste de conseiller de l’arrondissement). Ainsi, Louis Miranda (maire élu de l’arrondissement d’Anjou), Claude Dauphin (maire élu de l’arrondissement de Lachine) et Michel Bissonnet (maire élu de l’arrondissement de Saint-Léonard)

2009 1 100 206 433 771 15 257 158 631 136 337 107 046 16 500

Différence ­12 853 + 44 755 + 2 775 ­43 671 ­ 440 + 74 920 + 11 171

ont pu tirer vers le haut le vote pour Union Montréal à la mairie de la ville ; ou Michel Labrecque (candidat défait à la mairie de l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal) et Marcel Tremblay (candidat défait à la mairie de l’arrondissement Villeray–Saint-Michel– Parc-Extension) ont pu tirer vers le bas le vote pour Union Montréal à la mairie de la ville. Mais ce type d’explications a ses limites, car il nous amène à proposer au cas par cas des justifications ad hoc. En outre, ce type d’analyse ne permet tabLeau 2

Élections à la mairie de la ville de Montréal 2005-2009 Pourcentages par rapport aux électeurs inscrits Participation Rejetés Union Montréal Vision Montréal Projet Montréal Autres

2005 2009 Différence 35,0 39,4 + 4,4 1,1 1,4 + 0,3 18,2 14,4 ­ 3,8 12,3 12,4 + 0,1 2,9 9,7 + 6,8 0,5 1,5 + 1,0 407


L’état du Québec 2010

élection sans passion Si tous les regards – ou presque – se sont focalisés sur les élections à Montréal, ce n’est pas seulement en raison des scandales qui ont émaillé la campagne, des enjeux pro­ pres à la métropole ou de la lutte, serrée, qui s’y est jouée. C’est aussi, certainement, parce que les batailles dans les quelque 1 100 autres municipalités de la province n’ont pas présenté d’intérêt médiatique majeur. Comme l’ont noté plusieurs commenta­ teurs, les résultats ont surtout mis en évidence une grande continuité : continuité dans le désintérêt des électeurs – le taux de participation, 45 %, est resté le même qu’en 2005 –, mais aussi dans leurs choix. Ainsi le maire sortant de Québec, Régis Labeaume, a­t­il été reconduit pour un deuxième mandat avec 79,7 % des voix. À Laval, Gilles Vaillancourt, en poste depuis 20 ans, a également été réélu (61,3 %), tout comme Éric Forest à Rimouski (97 %) ou Jean Tremblay à Saguenay (78 %). D’autres maires n’ont pas obtenu une victoire aussi facile : c’est le cas d’Yves Lévesque à Trois­Rivières, réélu avec 54,8 % des suffrages, de Marc Bureau à Gatineau (44,1 %) et de Bernard Sévigny, le successeur du maire sortant, à Sherbrooke (34,4 %). L’une des rares véritables alternances a eu lieu à Longueuil, où l’ancienne députée péquiste Caroline St­Hilaire a défait Jacques Goyette, le dauphin du maire sortant. Élue avec 52,9 % des voix, elle reste toutefois minoritaire au sein de son conseil municipal. Enfin, faute d’opposition, près de la moitié des maires du Québec (543) ont été élus par acclamation et, dans 238 municipalités, tous les mandats ont été attribués sans élection… Léonore Pion

pas d’expliquer les variations du taux de participation, puisqu’il n’existe pas de corrélation statistique significative entre d’une part le taux de participation et d’autre part le vote obtenu par chacun des partis politiques (le taux de participation n’est globalement pas lié aux résultats obtenus par l’un ou l’autre des partis politiques). Le vote linguistique Pour l’ensemble des élections au Québec, la principale caractéristique qui explique les résultats du vote est la lan408

gue maternelle des électeurs. C’est aussi le cas des élections municipales de Montréal, d’autant plus que les fusionstabLeau 3

Élections à la mairie de la ville de Montréal 2005-2009 Pourcentages par rapport aux votes valides Participation Union Montréal Vision Montréal Projet Montréal Autres

2005 35,0 53,7 36,3 8,5 1,4

2009 Différence 39,4 + 4,4 37,9 ­15,8 32,6 ­3,7 25,6 + 17,1 4,0 + 2,6


Territoire

Les trois candidats à la mairie lors de l’élection municipale de Montréal de novembre 2009, Richard Bergeron, Louise Harel et Gérald Tremblay.

défusions d’il y a quelques années ont provoqué des débats fortement colorés par le clivage linguistique. Les liens entre la composition linguistique des arrondissements et le vote municipal étaient déjà bien apparents en 2005 (Pierre Bourque obtenant ses meilleurs résultats dans l’est francophone de Montréal et Gérald Tremblay, dans les arrondissements les moins francophones, en particulier dans les villes de banlieue annexées comme Lachine, LaSalle, Pierrefonds, Roxboro, Saint-Laurent à l’ouest de l’île et Montréal-Nord et Saint-Léonard à l’est de l’île).

En 2009, il existe en effet une corrélation significative moyenne (coefficient de 0,479) entre le taux de participation total et le taux de participation des fran-

La principale caractéristique qui explique les résultats du vote au Québec est la langue maternelle des électeurs. cophones ; une corrélation significative forte entre le pourcentage de francophones et le vote pour Union Montréal (coefficient de -0,720) ou le vote pour Vision Montréal (coefficient de +0,847). 409


L’état du Québec 2010 tabLeau 4

Élection à la mairie de Montréal 2009 Pourcentages par arrondissement Arrondissement Total Montréal Ahuntsic­Cartierville Anjou Côte­des­Neiges–NDG Lachine LaSalle L’Île­Bizard–Ste­Gen. Mercier–Hoch.­Mais. Montréal­Nord Outremont Pierrefonds­Roxboro Plateau­Mont­Royal Riv.­Prairies–PAT Rosemont Saint­Laurent Saint­Léonard Sud­Ouest Verdun Ville­Marie Villeray–St­Michel

Francophones Participation 53,0 52,9 68,9 26,2 61,3 41,2 60,4 79,7 56,5 63,2 32,8 65,7 65,5 75,1 29,5 33,1 59,1 63,6 51,5 42,1

Nous avons effectué, tant pour l’élection de 2005 que pour celle de 2009, une estimation des pourcentages de francophones (langue maternelle) et de nonfrancophones qui ont participé à l’élection et qui ont voté pour chacun des partis. Cette analyse, dont les résultats apparaissent dans le tableau 5, a été conduite par des régressions linéaires. Bien entendu, il faut prendre ces estimations pour ce qu’elles sont, les vraies valeurs demeurant inconnues, puisque 410

39,4 43,6 45,1 35,2 38,4 36,7 39,0 40,0 31,6 53,8 29,4 42,4 65,7 44,2 32,0 36,5 34,9 37,4 21,6 37,1

Union Mtl 37,9 34,0 43,6 49,5 51,1 50,5 45,1 22,9 43,4 41,3 51,6 19,6 40,4 23,2 60,6 63,8 32,6 37,1 31,9 36,1

Vision Mtl 32,6 35,9 33,9 17,9 24,3 23,9 25,8 49,1 32,6 33,1 16,2 37,5 36,6 42,4 17,4 16,7 34,6 32,6 36,1 34,4

Projet Mtl 25,6 27,0 20,3 26,3 21,0 17,9 24,6 25,8 19,2 23,0 27,1 40,5 20,3 32,5 17,7 13,6 27,5 25,2 27,5 25,1

Autres 4,0 3,1 2,1 6,3 3,5 7,8 4,5 2,1 4,8 2,5 5,2 2,4 2,7 1,9 4,3 6,0 5,4 5,1 4,5 4,4

le vote est secret : ces estimations représentent donc des moyennes et n’excluent pas des variations dans les différents arrondissements. Toutefois, ces estimations reproduisent assez bien le résultat réel pour l’ensemble de la ville, et seuls deux arrondissements s’écartent significativement des estimations obtenues : l’arrondissement de Rivièredes-Prairies–Pointe-aux-Trembles a par ticipé beaucoup plus que prévu par le modèle et l’arrondissement du


Territoire tabLeau 5

Élections à la mairie de Montréal 2005-2009 Estimation des pourcentages selon la langue maternelle 2005

2009

Francophones

Nonfrancophones

Francophones

Nonfrancophones

Participation

44

29

52

24

Union Montréal

41

69

15

70

Vision Montréal

37

28

53

4

Projet Montréal

12

1

31

17

Plateau-Mont-Royal a voté beaucoup plus que prévu pour Projet Montréal par le modèle. Au total, dans presque 60 % des cas, ce modèle reproduit les résultats réels (taux de participation, vote aux différents partis) à moins de 5 % près. Que conclure de cette analyse ? Concernant le taux de participation en 2009, les francophones ont voté deux fois plus (52 %) que les non-francophones (24 %). C’était déjà le cas en 2005 (44 % des francophones avaient alors voté, contre 29 % des non-francophones). Entre 2005 et 2009, les deux groupes ont varié en sens contraire : le taux de participation des francophones a augmenté de 8 % et celui des non-francophones a reculé de 5 %, avec pour conséquence une faible augmentation de seulement 4,4 % de la participation pour l’ensemble de la ville. Alors qu’Union Montréal a conservé ses appuis parmi les non-francophones (70 % en 2009 contre 69 % en 2005), ses appuis parmi les francophones se sont effondrés (15 % en 2009 contre 41 % en 2005). C’est dire que la baisse enregis-

trée par le parti de Gérald Tremblay est exclusivement due à la baisse de ses appuis chez les francophones. Inversement, Vision Montréal a vu ses appuis parmi les francophones augmenter de 16 % (37 % en 2005 contre 53 % en 2009), mais ses appuis parmi les nonfrancophones ont chuté (28 % en 2005 et seulement 4 % en 2009). C’est donc dire que Louise Harel a obtenu la majorité absolue du vote chez les francophones (alors que Pierre Bourque perdait devant Gérald Tremblay même parmi les francophones en 2005), alors que ses appuis parmi les non-francophones ont été négligeables. Finalement, Projet Montréal, avec 31 % des appuis chez les francophones, a devancé Union Montréal et se trouve en troisième position. De plus, même si les non-francophones ont boudé Vision Montréal, le mécontentement d’une partie significative d’entre eux a profité à Projet Montréal (qui passe, parmi les non-francophones, de 1 % en 2005 à 17 % en 2009). 411


L’état du Québec 2010

conclusion En somme, c’est comme si deux sociétés (francophone et non-francophone) coexistaient sur un même territoire en s’ignorant mutuellement sur le plan politique. Les francophones ont davantage voté en 2009 qu’en 2005 et les nonfrancophones se sont davantage abstenus. Les francophones ont exprimé leur mécontentement face à l’administration Tremblay en donnant un solide appui à Louise Harel, tandis que les nonfrancophones, malgré tous les lourds soupçons entourant cette administration, ont complètement boudé la candidate « séparatiste ». Il est vrai que Louise Harel avait plusieurs défauts rédhibitoires pour les non-francophones : souverainiste depuis toujours, députée et ministre importante de tous les gouvernements péquistes, ancienne présidente de l’Assemblée nationale du Québec et

412

ancienne chef de l’opposition officielle et chef intérimaire du Parti québécois en 2005 ; initiatrice du projet des fusions municipales au début des années 2000 ; et en plus ne maîtrisant pas parfaitement la langue anglaise... Malgré une feuille de route impressionnante qui fait de Louise Harel une des femmes politiques les plus remarquables des dernières décennies, les Montréalais non francophones lui ont massivement préféré un maire usé sur lequel pesaient des soupçons importants. Chacun est libre d’en tirer ses propres conclusions. Pour notre part, cela nous confirme que, malgré ce que certains se plaisent à affirmer, la grande réconciliation nationale est encore une vue de l’esprit et que la question nationale est encore au cœur de notre vie sociale et politique.


aider les municipalités dévitalisées ou protéger le territoire agricole ? clermont Dugas Géographe, Université du Québec à Rimouski (UQAR)

en septembre 2008, le gouvernement du Québec mettait en place, en complément à la politique de la ruralité (2007-2014), un plan d’action pour venir en aide aux municipalités dévitalisées. dévitalisées. admiadministré par les municipalités régionales de comté (Mrc) et doté d’un budget de 38 millions de dollars sur 5 ans, ce plan s’articule avec un vaste ensemble de mesures gouvernementales déjà en place ou à adapter aux milieux concernés. cependant, malgré les retom retom-bées bénéfiques escomptées, son efficacité risque d’être sérieusérieusement réduite par la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles (Lptaa). (Lptaa).

Le plan d’action s’appuie sur deux principes fondamentaux, soit l’occupation dynamique du territoire dans une perspective de développement durable et le fait que le développement des municipalités dévitalisées doit être le fruit des efforts des acteurs et leaders du milieu avec l’appui du gouvernement. Cela correspond aux orientations de la Politique de la ruralité. Les interventions doivent s’articuler autour de cinq

lignes directrices dont on ne peut que reconnaître la pertinence. Il faut prendre en compte les problèmes structurels des localités, considérer les services de proximité, valoriser la coopération et la mise en commun des services et des ressources, privilégier les services collectifs et fournir une aide financière à caractère temporaire et décroissant. Le programme s’applique à 152 municipalités où vivent environ 119 000 413


L’état du Québec 2010

personnes. Celles-ci sont réparties dans 45 MRC situées dans 14 des 17 régions administratives du Québec. La sélection des municipalités a été effectuée à l’aide de l’indice socioéconomique utilisé pour mesurer le niveau de développement économique dans le cadre de la Politique de la ruralité. L’indice est formé de six indicateurs établis avec les données du recensement fédéral de 2006. Les municipalités dont l’indice de développement est inférieur à – 5 sont considérées dévitalisées. Les municipalités retenues connaissent toutes des difficultés socioéconomiques sérieuses. Néanmoins, la méthode de sélection utilisée est discutable en raison de la

en 2006, la décroissance démographique affecte 54 % des localités de moins de 1 000 habitants. nature de certains indicateurs1 de l’indice. Cela entraîne plusieurs conséquences : d’une part, le terme dévitalisé n’est pas celui qui convient le mieux à toutes les municipalités retenues; d’autre part, la liste des localités serait plus longue si on avait accordé plus d’importance à la démographie dans la réalisation de l’indice. La décroissance démographique Bien que le concept de dévitalisation ne soit pas clairement défini dans le docu414

ment gouvernemental, il fait habituellement référence à la baisse de population, qui elle-même entraîne la diminution et même la fermeture complète de services de base. La disponibilité et la nature des services sont en lien étroit avec les volumes de population à desservir. La carence en services a aussi comme effet de diminuer le potentiel de développement. En conséquence, un indice de dévitalisation devrait au moins comprendre des informations sur la taille démographique des localités et sur l’évolution de la population durant une longue période. Ces informations sont absentes de l’indice utilisé. La seule référence à la démographie concerne son évolution pour la période 2001-2006, ce qui est beaucoup trop court. Même s’il fluctue d’un recensement à l’autre en raison de facteurs conjoncturels, le nombre de localités en décroissance démographique a toujours été élevé au Québec. On en dénombre 520 pour la période 2001-2006, ce qui correspond à 44 % des localités de la province. Ce nombre de 520 est aussi le plus faible des 25 dernières années. Le maximum a été atteint entre 1986 et 1991 avec 589 entités en perte d’effectifs. Toujours en 2006, la décroissance affecte 54 % des localités de moins de 1 000 habitants et 60 % de celles de moins de 500 habitants. C’est aussi dans ces deux derniers groupes de localités que l’on trouve le plus grand nombre d’entités en décroissance continue.


Territoire

En protégeant le territoire agricole, la LPTAA freine la création d’entreprises et le développement industriel et commercial.

Une diminution de population de faible amplitude sur une période de cinq ans seulement est plus ou moins significative. Dans beaucoup de cas, cela s’inscrit dans une relative stabilité de longue durée. Toutefois, quand la décroissance se prolonge de façon continue dans le temps, elle peut être à la fois révélatrice et porteuse de problèmes. C’est ce qui se passe dans de vastes parties du monde rural. En référence aux trois derniers recensements fédéraux de la période 1991-2006, on dénombre 300 localités rurales en décroissance démographique continue. Les deux tiers de ces communautés ont moins de 1 000 habitants et 96, moins de 500 habitants. Pour plusieurs de ces municipalités, la décroissance dure depuis au moins 40 ans. Dans certains cas, comme dans

celui de Saint-Guy dans le Bas-SaintLaurent, c’est un véritable effondrement démographique qui s’est produit. La population est passée là de plus de 900 à 90 personnes de 1951 à 2006. Heureusement, tous les cas de décroissance n’ont pas cette ampleur, même si un bon nombre de localités ont perdu au moins le tiers de leurs effectifs depuis les années 50. La dévitalisation à géométrie variable Non seulement on ne tient pas compte de toutes les municipalités dévitalisées dans le plan gouvernemental, mais le concept de dévitalisation prend des sens différents selon les localités retenues. Pour certaines, la dévitalisation est un enjeu réel, pour d’autres, elle ne 415


L’état du Québec 2010

constitue pas un véritable problème en raison de leur localisation le long de routes nationales, de leur fonction de centres de services et du nombre de leurs résidents – c’est particulièrement le cas pour les neuf municipalités de plus de 2 500 habitants, dont une de plus de 6 000 habitants. Les perspectives d’avenir sont donc fort différentes selon les endroits. Pour les communautés les plus petites et les plus isolées – et c’est le cas de la majorité –, les défis restent majeurs. Le dynamisme et la créativité des individus s’y sont manifestés de multiples façons dans le passé sans pour autant que les citoyens soient en mesure d’arrêter la décroissance démographique et d’empêcher la fermeture des services. En raison de leur localisation et de leurs caractéristiques socioéconomiques, leurs problèmes sont structurels et bien souvent d’envergure régionale. Évidemment, toutes les sommes d’argent mises à la disposition des MRC pour encourager la diversification économique des localités dévitalisées sont les bienvenues et produiront des résultats dans la mesure où l’on pourra initier des projets porteurs de développement. La difficulté consiste à trouver ces projets pour de petites localités isolées en milieu agroforestier, dépourvues de services, loin des marchés et présentant des problèmes d’accessibilité. Par contre, les mesures du plan d’action gouvernemental relatives aux services publics et privés de proximité contri416

bueront incontestablement à améliorer le cadre de vie. Mais à défaut d’interventions gouvernementales majeures à portée régionale, il serait surprenant de voir se produire un redressement significatif de la situation économique. Le plan d’action doit être appuyé par un ensemble de mesures gouvernementales, dont la LPTAA. Or, telle qu’appliquée actuellement, cette loi est plutôt mal perçue dans une vaste partie de l’espace rural. Elle est même souvent perçue comme un facteur de dévitalisation2. une loi à double tranchant La LPTAA joue un rôle majeur dans la gestion de l’espace au Québec. Dans 954 municipalités, elle a entraîné le découpage d’une zone agricole à l’intérieur de laquelle la construction résidentielle est très limitée et où aucune intervention non liée à l’agriculture et à l’acériculture ne peut être autorisée par les municipalités sans l’accord préalable de la Commission de la protection du territoire agricole (CPTAQ). D’une superficie de l’ordre de 6,3 millions d’hectares, la zone agricole n’est occupée qu’à 53 % par les exploitations agricoles. Elle englobe de vastes superficies boisées et des terres en friche à potentiel agricole très faible ou nul. Seulement un peu plus du tiers de la zone agricole est constitué de sols fertiles. À beaucoup d’endroits, la zone prend une place disproportionnée compte tenu de la nature des sols et au regard du rôle joué par l’agriculture.


Territoire

Dans 17 MRC, elle correspond à plus de 90 % de l’espace municipalisé. Dans plusieurs municipalités, c’est pratiquement tout le territoire qui est sous le contrôle de la CPTAQ. La loi est efficace pour assurer la protection des sols agricoles, mais elle exerce aussi des effets négatifs sur le développement socioéconomique de nombreuses localités. Elle va notamment à l’encontre d’objectifs poursuivis par la Politique de la ruralité et le plan d’action pour les municipalités dévitalisées. Une enquête réalisée récemment à l’UQAR3 auprès de toutes les municipalités situées en zone agricole a permis de constater que seules 11 % des municipalités ne voient que des avantages à la loi, alors que 68 % y trouvent au contraire de nombreux inconvénients. Cette appréciation est exprimée dans toutes les régions du Québec. La liste des désavantages créés par la loi est considérable. Au moins une quarantaine de problèmes ont été mentionnés par les répondants à l’enquête. Ceux qui sont évoqués le plus fréquemment ont trait à la démographie, à la construction résidentielle, au développement industriel et commercial, à la villégiature, à l’expansion des services et aux pertes de revenus des municipalités. La loi a des effets négatifs sur la démographie en empêchant des localités de garder des jeunes familles ou d’accueillir d’anciens et nouveaux résidents qui voudraient s’installer sur des terres inoccupées et sans potentiel agricole. À

cet égard, d’aucuns trouvent particulièrement déplorable le fait de ne pouvoir autoriser des constructions le long des routes ouvertes à l’année, à proximité de plans d’eau ou encore dans des paysages exceptionnels, mais où l’agriculture est impraticable eu égard à leur topographie. Ce serait souvent l’unique façon pour les municipalités d’accroître leurs revenus fiscaux et de rentabiliser des services qu’elles doivent offrir à quelques résidents seulement. De nouvelles entrées d’argent sont aussi jugées nécessaires pour améliorer les services existants et faire face aux nouvelles contraintes administratives imposées par Québec. Selon les municipalités, les restrictions créées par la loi ont conduit à la perte de plusieurs milliers de résidents depuis une dizaine d’années.

68 % des municipalités trouvent de nombreux inconvénients à la Lptaa. Les demandes de construction dans des espaces à population dispersée font partie des rares occasions qui se présentent aux municipalités dévitalisées pour consolider leur tissu de peuplement. Elles correspondent en partie aux nouvelles formes de mise en valeur de l’espace rural, qui s’appuient sur la fonction résidentielle. Les impératifs de l’économie et la mobilité géographique des individus ont en effet entraîné une 417


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dissociation des lieux de travail et d’habitation, faisant en sorte que toutes les localités rurales accueillent des résidents qui travaillent à l’extérieur de leur lieu de séjour. On estime en outre que la loi nuit à la création et à l’expansion d’entreprises et au développement industriel et commercial en interdisant l’utilisation de terrains jugés nécessaires à la réalisation de projets. Il s’agit généralement d’espaces inutilisés, considérés comme les seuls appropriés en raison de leur disponibilité, de leur dimension, de leurs coûts d’acquisition, des bâtiments existants ou d’éléments de localisation. Les coûts et la lenteur du processus de dézonage sont aussi souvent des facteurs de dissuasion suffisants pour amener l’abandon rapide d’un projet. Les restrictions récentes aux droits acquis empêchent également des propriétaires de commerces implantés avant la mise en application de la loi de changer la vocation de leur entreprise sans autorisation de la CPTAQ en vue de l’adapter au nouveau contexte existant. Cela a aussi comme effet de priver des résidents de services qui leur seraient très utiles. En limitant le morcellement et l’aliénation des terres agricoles, la loi ralentit la diversification de l’agriculture, entrave la mise en valeur de terres fertiles non utilisées, conduit à la sous-utilisation d’une ressource disponible et prive les communautés rurales de nouveaux résidents et d’emplois complémentaires. En raison de leurs coûts plus abordables, les 418

terres de faible dimension pourraient faciliter l’entrée de producteurs dans le secteur agricole tout en favorisant différents modèles de production. et maintenant ? La mise en place par le gouvernement du Québec d’un plan d’action en faveur des municipalités dévitalisées constitue une initiative très intéressante qui va certainement avoir des retombées positives. Toutefois, le répertoire des mesures à prendre est loin d’être épuisé. Les grands facteurs structurels responsables de la dévitalisation sont en général ignorés. Il faudrait par ailleurs que la vieille promesse gouvernementale de modulation des politiques et des programmes en fonction des spécificités territoriales se traduise réellement dans les faits et tout particulièrement dans le contenu et l’application de la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles. De vigoureux changements s’imposent à cet égard pour centrer la loi sur sa véritable finalité et l’empêcher d’être un frein à l’occupation dynamique du territoire et au développement socioéconomique. notes

1. Cinq des six indicateurs sont liés à l’économie et certains d’entre eux sont redondants. 2. Pour un éclairage sur la LPTAA, voir l’article de Bernard Vachon, « Rapport Pronovost : sortir l’agriculture et les communautés rurales fragiles d’un modèle qui les étrangle », dans Miriam Fahmy (dir.), L’état du Québec 2009, Montréal, Fides, 2008, p. 419. 3. Enquête réalisée de 2004 à 2008 sous la direction de l’auteur.


Le plan nord : simple projet de relance économique ou nouvelle vision du développement ? thibault Martin Professeur agréé, Université du Québec en Outaouais (UQO)

annoncé en pleine crise économique, le plan nord propose de stistimuler le développement de près des deux tiers du territoire québéquébécois. Qualifié de « Saint graal sans contenu » par l’opposition, frappé d’anathème par certains chefs autochtones, le plan nord pourrat-il devenir cette deuxième « baie-James » que le gouvernement promet ? Malgré les critiques multiples qui lui sont adressées, il existe un véritable besoin, exprimé par les populations nordiques, tant autochtones que non autochtones, pour une coordination du développement du nord auquel le gouvernement actuel pourrait, s’il adopte la bonne approche, répondre avec ce plan.

À l’heure où l’État planificateur et aménageur se transforme, sous la pression de la société civile, en État régulateur, voire en simple « accompagnateur », l’annonce par le gouvernement du Québec, en septembre 2008, de son intention de mettre en branle un projet de développement de grande envergure – le Plan Nord – peut sembler

paradoxale. Cependant, cette décision est loin d’être totalement surprenante dans le contexte actuel. En effet, la crise économique et la montée du chômage, résultats de la crise financière de 2008, ont incité les gouvernements à prendre des mesures exceptionnelles afin de s’impliquer dans la relance économique. Certes, il ne s’agit pas d’une véritable 419


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remise en cause des canons du modèle économique néolibéral, mais la situation a convaincu plusieurs chefs de gouvernement d’assumer un leadership économique afin de montrer que l’État pouvait encore « protéger » ses citoyens des dérapages du système. On a ainsi vu se multiplier les mesures qui pourraient sembler venir d’une autre époque : sauvetage de banques et de grandes entreprises automobiles, mise en place de grands projets d’infrastructure ou encore retour aux déficits publics et même au protectionnisme. Le gouvernement français a lancé un « grand emprunt » afin de financer des projets « d’avenir », de même le gouvernement de Jean Charest a lancé, en septembre 2008, le Plan Nord, dont les retombées sont censées s’étaler aussi loin que 2035. Il est intéressant de noter que, dans les deux cas, ces initiatives sont directement associées au chef de l’État lui-même. Le grand emprunt est porté par le président Sarkozy de la même manière que Jean Charest fait du Plan Nord son projet personnel. On pourrait voir dans cette appropriation du projet par les chefs d’État eux-mêmes le résultat d’un calcul électoraliste (n’oublions pas que Jean Charest annonce son plan en pleine campagne électorale), mais on peut aussi penser que cette personnification du projet est en partie destinée à redonner confiance à des populations qui ont pu, au cœur de la crise, se demander ce que faisaient leurs leaders. De même, tant en France qu’au Québec, 420

les projets font appel à des vieilles recettes nationales. Au Québec, c’est le recours à l’exploitation des ressources naturelles, hydroélectricité, mines, forêts, qui est envisagé pour soutenir la reprise de la croissance ; en France, c’est la dette publique qui, loin d’effrayer la population, est considérée comme un investissement collectif dans l’avenir. Le parallèle ne s’arrête pas là, puisque d’un bord à l’autre de l’Atlantique les deux projets n’ont pas de véritable contenu. Il a ainsi été reproché à Sarkozy de vouloir emprunter sans avoir de projet d’investissement ; de même, au Québec, le Plan Nord n’a pas de substance en tant que tel, au point même que le gouvernement provincial admet sur son site Web qu’il s’agit d’« une vision à construire1 ». De quoi s’agit-il ? Le Plan Nord vise le territoire situé au nord du 49e parallèle (à l’exception de l’Île-d’Anticosti et de la partie nord de la péninsule gaspésienne), soit près de 72 % du territoire québécois. Cette région, vaste comme deux fois la France, n’a que 121 000 habitants, soit moins de 2 % de la population totale du Québec. Ce territoire regorge de ressources naturelles, et depuis les projets hydroélectriques de la baie James des années 80 les Québécois ont découvert non seulement son existence, mais aussi son potentiel économique. Toutefois, contrairement à Robert Bourassa, qui avait une vision très claire du développement de la région de la baie James2, Jean


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Charest doit encore élaborer son Plan Nord de toutes pièces. En effet, le projet en l’état actuel des choses se résume à un document de présentation de 29 pages3 qui se limite à décrire le territoire et les communautés du « Nord », à dresser le portait du potentiel énergétique, minier, forestier, touristique et de mise en valeur de la faune de ce territoire et à réitérer l’engagement du gouvernement provincial envers le développement durable, la lutte au réchauffement climatique ainsi que son désir de travailler avec les communautés nordiques, notamment autochtones. Mais au-delà de ces principes généraux et de la promesse d’augmenter – sans qu’Hydro-Québec ne sache précisément comment4 – de 3 500 mégawatts la puissance énergétique du Québec d’ici 2035, on ne peut que spéculer sur ce que seront les véritables applications du plan. La demande est là Toutefois, il serait erroné de croire que ce projet ne repose sur rien ou qu’il s’agisse d’une initiative circonstancielle (rassurer la population face à la crise), car il est au contraire une ébauche de réponse à une demande pressante du milieu, qui s’inquiète depuis longtemps du manque de coordination du développement du Nord. En effet, les projets, tant d’extractions minières que de coupes forestières ou d’hydroélectricité, se multiplient dans les territoires nordiques sans qu’il y ait de

véritable concertation entre les différents acteurs. Pourtant, comme on le sait, les communautés mono-industrielles du Nord, tributaires des contraintes globales, connaissent des effets de « boom and bust » (croissance et récession). Pendant que les unes bénéficient de la croissance pour la demande de produits miniers, d’autres subissent la crise forestière sans qu’aucun mécanisme soit prévu pour pallier les effets de ce développement différencié. Sans compter que les Premières Nations, bien que certaines aient signé des ententes politiques et économiques novatrices, font toujours face à des problèmes socioéconomiques importants.

Le plan est une ébauche de réponse aux inquiétudes à l’égard du manque de coordination du développement du nord. C’est dans ce contexte qu’en 1994, à l’Assemblée nationale du Québec, l’exdirecteur général de la Société de développement de la Baie-James, devenu député d’Ungava5, plaidait pour une desserte gouvernementale adaptée aux particularités nordiques de la région Nord-du-Québec. En 1998, à la suite de cette demande, la Commission parlementaire de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale du 421


L’état du Québec 2010

Jean Charest fait du Plan Nord son projet personnel.

Québec était chargée de mener des consultations particulières auprès des acteurs du développement de la région Nord-du-Québec, dont les représentants des institutions cries et inuites, sur l’étude globale du développement du Nord-du-Québec. À la suite de cette consultation, le gouvernement du Québec adopta, en 2001, la Politique de développement du Nord-du-Québec. Celle-ci, à la veille de la signature de la Paix des Braves et de l’entente Sanarrutik, mettait l’accent sur la nécessité de créer des ponts entre la population jamésienne6 et les Autochtones, cherchait à favoriser la déconcentration des pouvoirs et imposait à chaque ministère de tenir compte dans ses 422

activités et offres de services de la spécificité du Nord, à la fois géographique mais aussi sociale (Autochtones, nonAutochtones). La défaite du Parti québécois, en 2003, fit en sorte que cette politique resta lettre morte. Néanmoins, il est facile d’en retrouver dans le Plan Nord les grandes orientations : concertation avec les populations locales, respect des ententes avec les Autochtones, développement durable. Cela dit, dans les discours officiels, il est davantage fait référence à la Convention de la Baie-James et aux projets hydroélectriques qu’à cette politique. À cet égard, Mme Normandeau, vicepremière ministre et ministre responsable du Plan Nord, déclarait que le plan


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du gouvernement était plus ambitieux que celui qu’avait échafaudé l’ancien premier ministre Robert Bourassa pour la baie James7. Il semblerait donc que le Plan Nord s’inscrive davantage dans une perspective économique que dans l’approche péquiste fondée sur la négociation d’ententes politiques (Paix des Braves, entente Sanarrutik, entente commune). Certes, Jean Charest réitère que rien, dans le Plan Nord, ne remettra en question les ententes conclues avec les Autochtones ni celles qui sont en négociation ou en pourparler8. Cela dit, il ne s’engage pas à ouvrir de nouvelles perspectives afin de régler les différends qui empêchent de créer des liens de collaboration avec certaines communautés innues de la Côte-Nord. Là où les péquistes auraient parlé de la nécessité de créer de nouvelles ententes de nation à nation, Jean Charest annonce plutôt qu’il a « confié au ministre des Affaires autochtones le mandat de convenir avec eux du meilleur processus pour les assurer de la prise en compte de leurs droits, de leurs intérêts et de leurs préoccupations9 ». Les exigences aussi S’agit-il d’une simple différence de style, ou les libéraux minimisent-ils l’importance des attentes politiques des Autochtones dans leur approche du développement du Nord ? Il est pour l’instant trop tôt pour se prononcer, mais les premières annonces d’investissement confirment

que le gouvernement mise sur l’économie tout en lançant des projets qui doivent rallier les Autochtones. Ainsi, la première véritable annonce d’investissement concerne la mise à niveau de 13 aéroports situés au Nunavik et 2 sur la Côte-Nord, pour un coût de 106 millions de dollars. Pour les Inuit qui réclament depuis longtemps leur désenclavement, une telle nouvelle ne peut déplaire. Par contre, pour plusieurs leaders autochtones, le Plan Nord n’est pas acceptable, car il risque de mettre entre parenthèses les revendications territoriales.

Les libéraux minimisent-ils l’importance des attentes politiques des autochtones dans leur approche du développement du nord ? Une Alliance stratégique contre le Plan Nord vient d’être créée par cinq chefs innus. Raphaël Picard, chef de la communauté de Pessamit (Betsiamites), menace d’employer tous les moyens possibles pour bloquer le plan, ajoutant : « Il va falloir marcher sur le corps de nos ancêtres, sur nos corps à nous, pour qu’il y ait de nouveaux développements sans qu’on y ait participé pleinement10. » Ghislain Picard, le chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, renchérit et déclare : « sans nous, le Plan Nord est un Plan Mort11 », 423


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tant que le gouvernement ne donne pas suite aux revendications des Innus. Ces déclarations ont eu lieu lors d’une conférence de presse tenue le jour même où la ministre Normandeau réunissait la première table de consultation avec les acteurs du milieu nordique. Celle-ci réunissait plus de 200 personnes, dont la plupart des chefs et représentants d’institutions autochtones ayant signé des ententes politiques (Paix des Braves, entente Sanarrutik). En somme, il semblerait que les leaders autochtones ne soient pas, a priori, défavorables à un plan de développement quand ils ont les moyens institutionnels de participer d’égal à égal. Par contre, les leaders des communautés qui ont des litiges concernant leurs droits territoriaux ne veulent pas entendre parler de développement tant que ceuxci ne seront pas réglés. La crise actuelle a permis à certains pays de remettre de l’avant les façons de concevoir le développement social et économique inscrit dans leur histoire. Ce retour en force à des pratiques nationales de développement qui, il y a quelques années, auraient été considérées comme des déviances à l’orthodoxie économique, révèle que dans le contexte actuel de mondialisation, il y a encore une place pour un développement enraciné dans la culture nationale. En effet, celui-ci est avant tout un enrobage identitaire d’un ensemble de projets de développement déjà en œuvre ou en gestation. Il actualise ce que beaucoup 424

pensent : que la souveraineté (économique pour les uns, économique et politique pour les autres) du Québec passe par le développement des ressources naturelles du Nord. Cependant, le défi du Plan Nord sera de contribuer à ce que cette souveraineté du Québec se fasse dans le respect de la souveraineté des populations autochtones. En somme, pour réussir, le Plan Nord doit absolument reprendre cette idée, qui était au cœur de la Politique de développement du Nord-du-Québec de 2001, que l’avenir du Nord-du-Québec passe par la collaboration institutionnelle entre l’État et les Autochtones et entre les Autochtones et les autres communautés nordiques. Si le Plan Nord n’est qu’un vaste chantier économique et ne contribue pas réellement à résoudre la fracture sociale qui existe entre, d’une part, le nord et le sud du Québec et, d’autre part, les communautés autochtones et non autochtones, il est à craindre que certaines Premières Nations ne cherchent à bloquer le processus afin de ramener l’attention sur leurs revendications. En somme, le préambule à tout Plan Nord devrait être, avant même un engagement envers le développement durable, un engagement à établir un partenariat de nation à nation avec les Autochtones. À cet égard, l’Institut de développement durable des Premières Nations du Québec et du Labrador affirme12 qu’aucun développement dura-


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ble ne peut exister s’il n’est pas fondé sur la reconnaissance des droits ancestraux des Premières Nations. Le message est on ne peut plus clair ; il est à souhaiter que l’équipe de Jean Charest saura l’entendre. notes

1. En ligne : http://www.plannord.gouv.qc.ca/ 2. Voir l’ouvrage de Robert Bourassa, L’énergie du Nord. La force du Québec, Montréal, Québec Amérique, 1985. 3. Le document peut être consulté sur le site du gouvernement du Québec. En ligne: http ://www. plannord.gouv.qc.ca/documents/plan-nord.pdf 4. Selon les propos de Daniel Vandal, PDG de la société d’État, recueillis par Radio-Canada. En ligne : http://www.radio-canada.ca/nouvelles/ Politique/2009/10/14/001-nord_plan.shtml 5. Il s’agissait de Michel Létourneau, que Bernard Landry nommera ministre délégué aux Affaires

autochtones et au Développement du Nord québécois en 2002. 6. Nom donné à la population non autochtone résidant dans la région de la baie James. 7. En ligne : http://www.radio-canada.ca/nouvelles/Politique/2009/10/14/001-nord_plan.shtml 8. Cette promesse a été faite à l’occasion de l’allocution du premier ministre du Québec, Jean Charest, lors du discours inaugural à l’Assemblée nationale (le 10 mars 2009). En ligne : http:// www.premier-ministre.gouv.qc.ca/discours2009-03-30.shtml 9. Ibid. 10. En ligne : http://www.radio-canada.ca/nouvelles/Politique/2009/11/06/001-plan-nord-innus. shtml 11. Ibid. 12. Institut de développement durable des Premières Nations du Québec et du Labrador, Stratégie de développement durable des Premières Nations du Québec et du Labrador, rédigé par Catherine Johnson et Suzy Basile, IDDPNQL, Wendake, 2006.

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Les immigrants en région : des problématiques particulières d’intégration À l’hiver 2009, l’histoire de la famille Liu, originaire de Taïwan, a fait la manchette : au Canada depuis 13 ans, elle est allée s’installer à Saint­Prosper, en Mauricie, pour reprendre la cabane à sucre Chez Roger. Mais si les médias n’ont pas manqué de souli­ gner ce bel exemple d’intégration, ce n’est pas seulement en raison de son caractère singulier. Les immigrants sont en effet encore peu nombreux à poser leurs valises en région. De toutes les personnes accueillies au Québec de 1998 à 2007, plus des trois quarts se sont installés dans la région métropolitaine de Montréal (Montréal, Laval et Longueil), contre 4,1 % dans la région de la Capitale­Nationale, 3,9 % en Montérégie, 2,5 % dans l’Outaouais, 1,9 % dans les Laurentides et en Estrie et 1,5 % dans Lanaudière. Les municipalités régionales de comté (MRC), en partenariat avec le ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles (MICC), déploient pourtant d’impor­ tants efforts pour attirer les nouveaux arrivants, dont la présence résoudrait bien des problèmes (dépeuplement, vieillissement de la population, pénurie de main­d’œuvre, dénatalité, etc.). Certaines villes, comme Sherbrooke et Québec, se sont même dotées de politiques d’accueil des nouveaux arrivants. choc culturel Les attirer est une chose ; les faire rester en est une autre. La ville de Rimouski en sait quelque chose : sur les 120 immigrants venus s’installer en 2002 dans le cadre du pro­ gramme de régionalisation de l’immigration du MICC, la plupart sont repartis… Les associations locales font état de nombreux freins à l’insertion sociale et profes­ sionnelle des nouveaux arrivants, au premier rang desquels figure l’incompréhension réciproque des accueillants et des immigrants en ce qui concerne leurs culture et habi­ tudes de vie respectives. À ces chocs culturels, ajoutons des problèmes de logement (en nombre insuffisant ou trop petits pour accueillir des familles nombreuses) et d’in­ sertion sur le marché du travail. La tâche des MRC, des villes et des associations est d’autant plus ardue qu’un quart (24,4 %) des nouveaux arrivants qui s’installent en région sont des réfugiés. Leur situa­ tion est bien plus précaire que celle d’autres immigrants : non seulement beaucoup d’entre eux ne parlent pas le français, mais en plus ils disposent de ressources limitées. Léonore pion Source : Direction de la recherche et de l’analyse prospective, Présence en 2009 des immigrants admis au Québec de 1998 à 2007, MICC, mai 2009. En ligne : www.micc.gouv.qc.ca.

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Être jeune en région* patrice Leblanc Professeur, Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) Directeur de la Chaire Desjardins en développement des petites collectivités

Des expériences d’animation jeunesse en milieu rural améliorent les conditions de vie des adolescents et dynamisent les commucommunautés locales. Des programmes novateurs permettent aussi de transformer le risque d’exode des jeunes adultes en une mobilité pouvant contribuer à la vitalité des régions et des villages. Être jeune dans une grande ville et l’être en milieu rural ou dans une petite ville de région sont des expériences fort différentes. L’analyse de la situation en Abitibi-Témiscamingue en fournit un bon exemple. Cette région du Nord-Ouest québécois est un vaste territoire de 65 000 km2 habité par 145 000 personnes vivant dans près de 90 municipalités, souvent de moins de 1 500 habitants. Région dite ressource dont l’économie repose beaucoup sur les industries minière et forestière ainsi que sur l’agriculture. Avec un taux de chômage autour de 9 %, stable depuis 3 ans, et une création de 300 emplois entre 2005 et 2007, la situation du marché du travail y est relativement bonne, malgré * Article paru dans le numéro 727, septembre 2008, du magazine Relations, p. 21-22.

les incertitudes reliées à la crise forestière et aux difficultés dans le monde agricole. Les jeunes de 15 à 34 ans constituent près de 25 % de la population totale de l’Abitibi-Témiscamingue. Les plus jeunes, moins autonomes dans leurs déplacements, vivent souvent isolés dans leur petit village et ont plus difficilement accès à des loisirs organisés, tandis que les plus vieux partent fréquemment pendant quelques années faire l’expérience de la grande ville, certains pour ne pas en revenir. Différents projets ont été développés pour eux au fil des ans dans la région. Des projets pour les adolescents En Abitibi-Témiscamingue, il existe depuis plusieurs années des expériences d ’animation jeunesse en 427


L’état du Québec 2010

Printemps 2009 : des jeunes d’Abitibi­Témiscamingue participent à un forum jeunesse au lac Favrian.

milieu rural. Prenant la forme de locaux dédiés aux jeunes dans les villages, ils s’apparentent aux maisons de jeunes en milieu urbain. En fait, il s’agit d’associations de jeunes et d’adultes qui, sur une base volontaire, proposent un lieu de rencontre animé où les jeunes de 12 à 17 ans, au contact d’adultes significatifs, peuvent devenir des citoyens actifs, critiques et responsables. L’idée est de briser l’isolement des jeunes et de leur donner accès aux loisirs afin de favoriser leur insertion sociale. Le fonctionnement quotidien de tels lieux s’organise autour de trois grands types d’activités. D’abord des activités d’animation : sports, loisirs, arts, sorties, divertissements ; ensuite des activités de sensibilisation à l’adoption de saines habitudes de vie ; enfin des activités visant l’engagement des jeunes dans les décisions, l’autofinancement et la réalisation de projets. Annuellement, les jeunes organisent une activité de plus grande envergure, tel un voyage culturel et de diver428

tissement à Montréal, à Québec ou à Ottawa, ou encore un grand spectacle de variété regroupant chanteurs, danseurs, comédiens ou musiciens et présenté dans plusieurs villages de la région. Il y a présentement 46 locaux de jeunes en Abitibi-Témiscamingue, dont certains desservent plus d’un village. C’est donc plus de la moitié des 93 villages ruraux du territoire qui ont un lieu physique où les adolescents peuvent se rencontrer au moins une fois par semaine. Plus d’une trentaine d’animateurs et de coordonnateurs assurent le bon fonctionnement de ces locaux. Depuis maintenant trois ans, une table régionale de coordination a été formée pour assurer la pérennité de l’animation jeunesse en milieu rural et pour permettre aux différents acteurs de développer une vision commune tout en véhiculant une image positive de la jeunesse. Une recherche en cours1 démontre que deux grands types de retombées découlent de l’animation jeunesse en


Territoire

milieu rural. D’abord, des effets se font sentir sur les jeunes eux-mêmes, car ceux-ci développent leurs compétences individuelles et sociales ainsi que de saines habitudes de vie. Ensuite, les communautés rurales elles-mêmes sont touchées, la plus grande présence active des jeunes et la mise en place d’infrastructures de loisirs pour les adolescents contribuant à leur vitalité. L’animation jeunesse en milieu rural démontre bien que, même si les conditions de vie des adolescents ne sont pas toujours faciles, ces jeunes, pour peu qu’on leur en donne l’occasion, peuvent devenir des acteurs et des catalyseurs importants du développement de leur communauté. En mai dernier, par exemple, ils ont planté des arbres dans plusieurs villages de la région afin de démontrer leur présence et leur intérêt à y grandir, à y cheminer et à s’y impliquer. L’exode ou la mobilité des jeunes adultes ? À partir de 16, de 17 ou de 18 ans, nombreux sont celles et ceux qui déménagent vers d’autres milieux de vie. Souvent qualifié d’exode des jeunes, ce mouvement de migration est toutefois bien plus souvent qu’on le croit fait d’allers-retours. Les travaux du Groupe de recherche sur la migration des jeunes2 ont bien fait ressortir la complexité du phénomène. La migration des jeunes originaires d’un milieu rural comporte souvent

plusieurs moments. D’abord, la migration se fait à courte distance, généralement vers la ville régionale. Par la suite, d’autres déménagements successifs vont amener les jeunes vers les grandes villes (essentiellement Montréal, Québec et Gatineau), puis vers leurs banlieues ou vers la région d’origine, voire le village d’origine. Ces mouvements migratoires sont d’abord impulsés par une volonté de poursuivre des études supérieures, ce qui oblige les jeunes à se rapprocher des cégeps et des universités, davantage présents dans les centres urbains. Derrière ces motifs se cachent toutefois des motivations plus profondes reliées à la volonté des jeunes de « vivre leur vie ». En effet, il faut comprendre la migration des jeunes comme une étape dans leur accession à la vie adulte, étape qui leur permet d’expérimenter et d’acquérir autonomie et indépendance. La migration des jeunes ruraux n’est pas pour autant synonyme de rejet du milieu rural. En effet, la majorité des jeunes migrants seraient prêts à revenir vivre dans leur milieu d’origine si les circonstances s’y prêtaient, et c’est près d’un jeune migrant sur deux qui le fera effectivement. Trois groupes de facteurs expliquent ces retours : la volonté d’avoir une bonne qualité de vie et d’être proche de la nature, la volonté de gagner sa vie et, finalement, la volonté de se rapprocher de sa famille et de ses amis. Certes, si l’on doit se préoccuper de la migration des jeunes originaires d’un 429


L’état du Québec 2010

milieu rural, on ne doit pas nécessairement s’en inquiéter. Cette mobilité des jeunes ne va pas nécessairement contribuer à la dévitalisation des villages ruraux et, à terme, à leur fermeture. Elle permet souvent aux jeunes de découvrir d’autres réalités et de revenir dans leur région d’origine avec des idées neuves. L’organisme Place aux jeunes du Québec3 a d’ailleurs bien compris cela en cherchant à favoriser la migration, l’établissement et le maintien des jeunes âgés de 18 à 35 ans en région à travers divers programmes. Le plus connu consiste en « séjours exploratoires » qui se déroulent généralement sur deux ou trois fins de semaine axées sur la redécouverte de la région, le développement de réseaux de contacts et la préparation de son avenir en région. Organisés dans plus de 70 municipalités régionales de comtés (MRC), ces séjours s’adressent majoritairement aux jeunes originaires du milieu et en train de faire des études à l’extérieur. Mais leurs autres mesures sont également intéressantes. Le programme Place aux jeunes ados vise à sensibiliser les adolescents au phénomène de la migration avant leur départ de leur région d’origine et aussi aux possibilités d’emploi et à la qualité de vie dans celle-ci. Le site Internet Accro aux régions4 a quant à lui pour fonction première de recenser les jeunes qui quittent leur région. Il leur permet de conserver un lien avec leur lieu d’origine et leur fournit de l’information sur ce qui se passe dans leur région (offres 430

d’emploi, activités culturelles, etc.) ou dans d’autres régions pour lesquelles ils désirent recevoir de l’information. En définitive, devenir adulte lorsqu’on est originaire d’un milieu rural se conjugue fréquemment avec une mobilité géographique. Les milieux ruraux ne doivent pas la craindre, mais au contraire chercher à accompagner les jeunes tout au long de leur parcours migratoire afin de favoriser leur retour et de saisir les occasions qui accompagnent cette mobilité. un dynamisme humain Si les adolescents vivant en milieu rural sont parfois isolés, délaissés, voire parfois oubliés et que les jeunes adultes sont plutôt mobiles, il n’en demeure pas moins que, chacun à sa manière, ils peuvent contribuer au dynamisme de leur communauté. Si on leur donne l’espace pour le faire et un coup de pouce, les jeunes sont prêts à s’engager. Aux milieux ruraux d’en tirer profit. notes

1. LeBlanc, Patrice, et Judy-Ann Connelly, Évaluation participative du projet Animation jeunesse en milieu rural, Rouyn-Noranda, Chaire Desjardins en développement des petites collectivités, Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, 2008. 2. LeBlanc, Patrice et autres, La migration des jeunes Québécois de milieu rural. Rapport d’un sondage auprès des 20-34 ans du Québec, Montréal, INRS Urbanisation, Culture et Société, 2006. 3. www.placeauxjeunes.qc.ca 4. www.accrodesregions.qc.ca


Canada 432

Bonnet rouge/bleu bonnet

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Crise sur la Colline : coalition morte au feuilleton

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Les travaux forcés de Michael Ignatieff

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Que reste-t-il de nos amours ?

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Les transnationales canadiennes sur la sellette : de la responsabilité sociale à la responsabilité politique

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bonnet rouge/bleu bonnet hélène buzzetti Correspondante parlementaire à Ottawa, Le Devoir

vingt ans et un changement de nom plus tard, le parti conservaconservateur aura tenté, et raté, une seconde opération de charme visant le Québec. Mais comme à l’époque des négociations constitutionconstitutionnelles, l’échec de sa cour a pour effet de faire retourner le Québec et le reste du canada dans une dynamique de confrontation et de repli sur soi.

D’une certaine manière, les tentatives du gouvernement conservateur de Stephen Harper pour amadouer le Québec – toutes timides aient-elles été – ont eu le même effet sur les relations Québec-Canada que la grande opération de réconciliation des progressistesconservateurs de Brian Mulroney à la fin des années 80. L’échec retentissant d’il y a 30 ans et celui, presque discret,

un nouveau cycle de distanciation des deux solitudes s’est amorcé. d’aujourd’hui ont chaque fois poussé les deux blocs politiques au repli sur soi. Leurs leaders respectifs ont retrouvé 432

leurs instincts naturels en se cantonnant dans une dynamique de confrontation : à Québec, les libéraux de Jean Charest sont redevenus plus nationalistes et revendicateurs, tandis qu’à Ottawa les conservateurs de Stephen Harper ont adopté un ton dur, presque hostile, face au Québec. Un nouveau cycle de distanciation des deux solitudes s’est amorcé. Des différences majeures entre 1990 et 2009 existent. D’abord, les antagonismes sont moins exacerbés dans la mesure où les attentes, aujourd’hui déçues, étaient nettement moins élevées que celles de 1989-1990. Mais, surtout, il faut noter qu’il revient à un seul homme politique, Stephen Harper, de jouer les rôles que Brian Mulroney et Jean Chrétien s’étaient à leur époque partagés.


Canada

Mulroney n’a jamais cessé d’espérer le retour du Québec dans le giron constitutionnel canadien, jusqu’à précipiter le naufrage de son navire politique. Il est revenu à son adversaire libéral de tenir le discours du père Fouettard et d’instrumentaliser les divisions ayant assuré son maintien au pouvoir. Stephen Harper, lui, a procédé à une conversion. Alors qu’en 2005 il promettait une charte du fédéralisme d’ouverture, la reconnaissance de la nation québécoise et la fin d’un fédéralisme dominateur et paternaliste, il a pris acte, devant les résultats électoraux québécois décevants de 2008, que cette main tendue ne portait pas les fruits escomptés. Il a renoncé au dépôt de sa charte qui, pour être digeste dans le reste du pays, avait été trop diluée au goût de Québec. Il a refusé d’assortir sa reconnaissance de modifications législatives, comme l’application de la Charte de la langue française, aux entreprises de juridiction fédérale. Il a fermé la porte à tout transfert d’argent supplémentaire au chapitre du déséquilibre fiscal ou encore de l’harmonisation des taxes de vente et a renvoyé à Québec les artistes et entrepreneurs mécontents des restrictions budgétaires fédérales. À Québec, Jean Charest a retrouvé la zone de confort du Parti libéral du Québec (PLQ). À l’automne dernier, le voilà qui demandait l’annulation des coupes dans les programmes d’aide au développement économique régional (20 millions de dollars) et dans le

domaine de la culture (45 millions de dollars). Il exigeait que son gouvernement soit le maître d’œuvre des programmes en culture et il soutenait que le déséquilibre fiscal n’était pas encore réglé. Enfin, il réclamait pour le Québec, à titre d’État fédéré, une place et un droit de parole lors des négociations internationales de Copenhague sur les changements climatiques. La carte de la conciliation avec Ottawa ne lui avait procuré qu’une minorité, la revendication lui a apporté une confortable majorité. un bloc québécois fort, une gauche divisée Pendant son règne, Jean Chrétien n’a pas craint d’exacerber les divisions entre souverainistes/nationalistes et fédéralistes pour se maintenir au pouvoir. Son intransigeance lui a certes coûté des sièges au Québec, mais elle lui a fourni une belle carte de visite dans le reste du pays. Sans compter que les sièges québécois ont été récoltés par un parti, le Bloc québécois, qui ne le menaçait pas, ne pouvant former de gouvernement. À la faveur d’une division de la droite ailleurs au Canada, Chrétien a pu se maintenir en poste. Stephen Harper tente d’une certaine manière la même stratégie, encouragé par l’exaspération d’une presse canadienne-anglaise qui ne croit plus aux vertus de la cajolerie. Depuis le printemps, il n’est plus rare de lire des chroniqueurs rappelant que les beaux 433


L’état du Québec 2010

discours au Québec ont coûté cher et n’ont rien donné. Le journaliste Don Martin n’a-t-il pas écrit pour la chaîne CanWest que « tout ce dorlotement de la nation québécoise, en lui octroyant un statut spécial, une influence excessive, la priorité linguistique chaque fois que le premier ministre ouvre la bouche et de nombreux cadeaux, a gratifié les conservateurs d’un appui de moins de 10 % dans les sondages, derrière le Parti vert1 » ? Son collègue Jeffrey Simpson, du Globe and Mail, ajoute qu’il y a « tellement de déception et même de rancœur au sein du parti à l’extérieur du Québec face à une stratégie québécoise ratée qu’il reste bien peu de place pour que M. Harper poursuive sa flatterie2 ». Le livre de Brian Lee Crowley, Fearful Symmetry3, défend même la thèse selon laquelle le Québec et ses politiques sociales trop coûteuses empêchent le Canada de poursuivre son développement. Les conservateurs de Stephen Harper font donc à leur tour le pari que, à défaut de leur revenir, le Québec restera à domination bloquiste, tandis qu’ils maintiendront leur contrôle, quoique précaire, dans le reste du pays à la faveur d’une gauche divisée entre le Parti libéral, le Nouveau Parti démocratique (NPD) et le Parti vert. La preuve la plus éloquente de ce pari a été fournie en décembre 2008 lorsque, pour neutraliser la coalition libérale-néodémocrate de Stéphane Dion, Stephen Harper a diabolisé les « séparatistes » avec tout le fiel qu’il pouvait sécréter. Puis, pour la 434

première fois, il a flirté avec la majorité dans les sondages. Le Québec, terre sans espoir Certes, le Parti conservateur pourrait essayer de remporter le Québec autrement qu’en titillant sa fibre nationaliste, mais cette réorientation de tir semble peu probable. Stephen Harper mise encore et toujours sur la frange populiste et adéquiste du Québec pour cueillir ses appuis, refusant de prendre acte de l’effondrement de la formation de Mario Dumont. Par exemple, pendant la tourmente autour de la commémoration du 250e anniversaire de la bataille des Plaines d’Abraham, certains députés conservateurs et le premier ministre lui-même se sont fait l’écho parfait de certains animateurs de « radio-poubelle » de Québec en approuvant la simulation guerrière, puis en condamnant le Moulin à paroles qui faisait une place au manifeste du Front de libération du Québec (FLQ). Stephen Harper continue en outre de tout faire pour endiguer l’influence des vieux « bleus » du Québec, les progressistes-conservateurs de l’époque Mulroney. Des organisateurs comme le sénateur Pierre Claude Nolin ont été écartés, et Brian Mulroney lui-même a été déclaré persona non grata lorsque la commission d’enquête sur ses transactions avec l’homme d’affaires Karlheinz Schreiber a débuté. Le bannissement de l’idole de bon nombre de conservateurs québécois a créé d’importantes tensions


Canada

Les conservateurs de Stephen Harper ont adopté un ton dur, presque hostile, à l’égard du Québec. Un nouveau cycle de distanciation des deux solitudes s’est amorcé.

que la grand-messe montréalaise pour célébrer le 25e anniversaire de son élection n’a que partiellement commencé à apaiser. Il faut certainement voir dans cet entêtement du premier ministre l’influence de son conseiller pour le Québec, Dimitri Soudas. Soudas est non seulement issu de la filière adéquiste au provincial mais, au fédéral, il faisait partie du minuscule contingent allianciste au Québec pendant les années 2000. Dimitri Soudas fait contre lui l’unanimité – ou presque – des militants conservateurs québécois, qui ne voient aucun avenir à se cantonner dans les

sillons de l’Action démocratique du Québec (ADQ) et qui rappellent la débâcle électorale de 2008 – la conservatrice comme l’adéquiste – pour le prouver. À Québec, l’équipe de Jean Charest avait même posé le remplacement de Soudas à titre d’interlocuteur comme condition au rétablissement des lignes de communication entre les deux administrations. Depuis, M. Soudas a plutôt été promu tout en conservant son poste de conseiller pour le Québec. où cela nous mène-t-il ? Dans ce contexte, il faut s’attendre à ce que le Bloc québécois mise sur la carte 435


L’état du Québec 2010

de la défense des intérêts du Québec pour maintenir sa domination dans la province. Cette stratégie l’a bien servi en 2008, mais lui servira-t-elle encore dans les prochains mois ? Cette fois, il y a un joker nommé Michael Ignatieff. Jusqu’à présent, le chef libéral a fait preuve sur le front Québec-Canada non pas de neutralité, mais plutôt d’une certaine surdité à l’antagonisme traditionnel. Ignatieff se pose comme un politicien qui, n’ayant pas pris part aux grands déchirements nationaux, s’y intéresse peu aujourd’hui. Il promeut une forme de « post-constitutionnalisme » non sans rappeler celui de Paul Martin en 2004, mais plus crédible dans la mesure où l’universitaire a vécu plus de 25 ans à l’extérieur du pays. « Il n’a pas une approche défensive face au Québec, une approche en fonction des demandes ou des revendications traditionnelles du Québec », expliquait cette année le professeur de

projets structurants, tels que l’établissement de trains à grande vitesse entre les métropoles du pays, tout en faisant fi des blessures d’orgueil du passé. Le chef libéral est le premier à avoir proposé au sein du très centralisateur Parti libéral du Canada (PLC) la reconnaissance de la nation québécoise, même si, à l’instar du chef conservateur, il n’a pas voulu s’aventurer à donner une dimension autre que symbolique à cette reconnaissance. Ses troupes, avec celles de Harper, ont ainsi défait un projet de loi bloquiste qui aurait permis l’application de la Charte de la langue française dans les banques ou les compagnies aériennes. Seul le NPD, influencé en cela par son seul député dans la province, Thomas Mulcair, y a prêté son appui. Gilles Duceppe veut exploiter à son avantage cette tiédeur libérale face à la question nationale. Le discours préélectoral repose donc sur l’idée que le Parti conservateur et le Parti libéral, c’est « bonnet blanc, blanc bonnet ». Selon le chef bloquiste, les libéraux de Michael Ignatieff se disent pour la création d’une n’ayant pas pris part aux commission des valeurs mobilières pangrands déchirements canadienne, probablement basée à nationaux, ignatieff s’y Toronto. Ils appuient l’injection de milintéresse peu aujourd’hui. liards de dollars dans l’industrie automobile ontarienne, mais pas dans l’industrie forestière québécoise – pas plus l’Université d’Ottawa Robert Asselin, que britanno-colombienne, faut-il préqui a été son conseiller quelque temps. ciser. Et comme les conservateurs touMichael Ignatieff propose au Québec de jours, Michael Ignatieff s’est porté à la se joindre à la grande aventure cana- défense des sables bitumineux alberdienne, de participer à d’importants tains. Gilles Duceppe y voit autant d’ar436


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guments pour que les Québécois n’accordent pas leur appui au PLC. Certes, Ignatieff a déjà déclaré en entrevue, en prenant le temps de choisir ses mots en français, qu’il ne veut pas « proposer de petits cadeaux » au Québec, parce qu’il « trouve cela méprisant 4 ». Mais n’en déplaise à Gilles Duceppe, Michael Ignatieff n’est pas Jean Chrétien. Il a peut-être les mains vides, mais il n’agite pas de fichu rouge non plus. Le chef libéral a dit vouloir attendre que la Cour suprême du Canada se prononce sur la légalité d’une commission des valeurs mobilières pancanadienne avant de trancher sur la question parce que, sans s’opposer à une telle centralisation, il n’est pas convaincu de sa pertinence. Il a rappelé dans un important discours économique à Toronto que son parti était prêt à accorder des garanties de prêts aux entreprises forestières. Il s’est engagé à créer un système national de plafonnement et d’échange des émissions de carbone en chiffres absolus. Et il s’est porté à la défense des budgets culturels alors que c’est précisément leur réduction qui a fait imploser la campagne conservatrice au Québec à l’élection de 2008. Le PLC voudra donc faire valoir

aux Québécois que, si le Bloc québécois a joué un rôle positif en 2008 en privant Stephen Harper de sa majorité qui effraie tant, il constitue aujourd’hui un obstacle à sa défaite en privant le PLC des sièges nécessaires pour former un gouvernement. Les libéraux de Michael Ignatieff réussiront-ils là où ceux de Paul Martin ont finalement échoué ? Le scénario n’est pas impossible. Après tout, en 2002-2004, les Québécois étaient prêts à passer l’éponge sur deux décennies de confrontation pour couronner ce Paul Martin encore adulé. Il aurait pu devenir le premier chef libéral à récolter une majorité de sièges à une élection générale depuis le rapatriement unilatéral de la Constitution canadienne... n’eut été une certaine commission Gomery. notes

1. Martin, Don, « Tories may be running on fumes », National Post, 11 juin 2009, p. A4. 2. Simpson, Jeffrey, « A formula that will fail to add up to a conservative majority », The Globe and Mail, 22 mai 2009, p. A21. 3. Crowley, Brian Lee, Fearful Symmetry : The Fall and Rise of Canada’s Founding Values, Toronto, Key Porter Books, 2009, 359 p. 4. Buzzetti, Hélène, « Finie, la politique du “nanane” », Le Devoir, 18 avril 2009, p. A5.

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crise sur la colline : coalition morte au feuilleton Louis Massicotte Professeur, Département de science politique et titulaire, Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires, Université Laval

À la fin de l’année 2008, la scène parlementaire fédérale a été secouée par une crise politique majeure qui pendant quelques jours a passionné les constitutionnalistes du pays et polarisé l’opinion, occasionnant un important changement de cap de la part du gouvernement conservateur.

Aux élections du 14 octobre 2008, les conservateurs de Stephen Harper sont reportés au pouvoir avec un nombre accru de députés, mais sans parvenir à conquérir la majorité qu’ils espéraient. Les libéraux réalisent la pire performance de leur histoire au chapitre du vote. Le Bloc québécois maintient ses positions. Le Nouveau Parti démocratique (NPD) gagne huit sièges, alors que les Verts n’en conquièrent aucun, malgré la participation de leur chef au débat télévisé. Comme on a pu le dire en d’autres circonstances : Harper a gagné 438

tout en perdant, le NPD a perdu tout en gagnant, le Bloc a maintenu ses positions. Quant aux libéraux et aux Verts, ils ont perdu… et perdu ! Pendant un temps, on espère que le Parlement va s’extirper de l’atmosphère de foire d’empoigne qui prévaut depuis trois ans. Grossière erreur. Six semaines après le scrutin, le 27 novembre, c’est le ministre des Finances, Jim Flaherty, qui allume la mèche en présentant une mise à jour économique et financière. Le gouvernement annonce alors qu’il va faire face à la crise en ramant à contre-


Canada

courant de tous les pays industrialisés. Parmi les coupes budgétaires annoncées figurent l’élimination du droit de grève pour les employés de la fonction publique et, surtout, l’abolition des subventions de l’État aux partis politiques, source principale de revenus pour les partis d’opposition. Faire bloc contre les conservateurs Confrontés à des mesures qui reflètent l’idéologie conservatrice dans ce qu’elle a de plus contestable à leurs yeux, les partis d’opposition se concertent en évoquant une solution inédite : le renversement du gouvernement et son remplacement par une coalition réunissant libéraux et néo-démocrates, avec le soutien des bloquistes, qui ne participeraient toutefois pas à un possible gouvernement. Le scénario est le suivant : à la première occasion, une motion de censure serait présentée et adoptée par la Chambre des communes. Le gouvernement Harper pourrait alors soit démissionner, ouvrant ainsi la voie à la coalition, soit demander à la gouverneure générale la tenue d’élections anticipées. La gouverneure générale refuserait cette demande parce qu’il existe un gouvernement alternatif et, surtout, parce que des élections viennent d’avoir lieu. Harper n’aurait alors d’autre choix que de démissionner, alors le chef de l’opposition formerait un gouvernement de coalition. Bien des précédents parlementaires appuient ce scénario1.

On découvre rapidement que pour le premier ministre, dont l’habileté stratégique n’était jusque-là jamais mise en doute, la meilleure défense est encore l’attaque. Il annonce dès le vendredi 28 novembre le report, du 1er au 8 décembre, du scrutin fatidique et déclare que le renversement éventuel de son gouvernement se soldera par des élections, que la gouverneure générale ne saurait lui refuser. Il ajoute qu’il serait antidémocratique de mettre au pouvoir un chef rejeté par les électeurs à l’élection précédente. Puis, durant la fin de semaine, le gouvernement retire une à une les mesures provocatrices qui ont mis le feu aux poudres et annonce un nouveau budget pour le 27 janvier. Rien n’y fait, car les partis d’opposition ont flairé l’odeur du sang… Alors que les conservateurs n’ont aucun problème de trésorerie, les caisses des partis d’opposition, elles, sont vides. Pour ces derniers, le contexte n’est donc pas favorable à la tenue de nouvelles élections. Pour éviter d’en arriver là, il est essentiel de trouver une solution de rechange crédible, et les partis d’opposition s’emploient durant la fin de semaine à la bâtir. Rapidement, cependant, les failles se mettent à lézarder l’édifice. Durant la fin de semaine, Jack Layton organise une conférence téléphonique réunissant les membres de son caucus. Par malheur, un député conservateur a été inscrit sur la liste des participants, ce qui lui permet d’enregistrer les délibérations et d’en dévoiler 439


L’état du Québec 2010

le contenu. Les extraits portant sur la participation du Bloc sont mis en exergue pour consommation publique. Qui dirigera la coalition ? Le nouveau premier ministre sera issu des rangs libéraux, puisque ceux-ci constituent le deuxième parti aux Communes. Cependant, durant la semaine qui a suivi l’élection, Stéphane Dion a dû céder à la pression de ses députés et annoncer son départ, tout en conservant son poste jusqu’à l’élection de son successeur. Réussira-t-il le retournement prodigieux qui avait permis à Pierre Trudeau en 1979 de revenir en force ? Le lundi, un caucus du Parti libéral du Canada (PLC) scelle la décision : la coalition sera dirigée par Dion jusqu’à ce que le parti élise un nouveau chef. La direction des coalisés échoit donc à un chef en sursis de son propre aveu, impopulaire et contesté au sein de son propre parti. L’accord de coalition est signé le lundi 1er décembre dans la salle du comité des chemins de fer du Parlement, sous le feu des caméras de télévision. Les visages sont crispés et aucun des acteurs principaux ne sourit. Le texte prévoit la constitution d’un gouvernement de coalition pour une durée de 30 mois sous la direction de Stéphane Dion, le Bloc québécois soutenant pendant au moins 18 mois le gouvernement sans y participer. Cette dernière dimension échappe au grand public, qui voit les trois chefs signer l’accord comme si tous devaient faire partie du nouveau gouvernement. Les libéraux auront 18 ministres ; les 440

néo-démocrates, six. Des personnalités libérales de haut rang, issues de la droite du parti, consolideront le flanc droit du nouveau gouvernement en le conseillant à titre de « sages ». L’accord annonce que « le gouvernement doit agir en partenariat avec les Canadiens et les Québécois », sous-entendant que ces derniers ne sont pas des Canadiens… Les jeux sont faits, rien ne va plus ! À partir de ce moment, la situation se détériore pour la coalition. Au Québec, elle est bien accueillie, sinon par les médias, du moins par le grand public. Certains voient avec plaisir le Bloc québécois s’insérer dans l’exécutif de « l’autre nation », mais des souverainistes s’en dissocient2. Ailleurs au pays, on est tout simplement furieux. Presque tous les éditoriaux dénoncent la coalition. Des néo-démocrates éminents emboîtent le pas3. Dans les tribunes téléphoniques, c’est le déchaînement. Un auditeur réclame rien de moins que le rapatriement des boys d’Afghanistan parce que « c’est ici, dit-il, que la démocratie est en danger4 ». Sur un registre plus modéré, le sénateur conservateur Hugh Segal souligne les implications régionales du changement : à un gouvernement conservateur où l’Ouest est représenté en force pour la première fois depuis longtemps succéderait une coalition dominée par les provinces centrales5. Aux Communes, Stephen Harper se drape dans l’unifolié et clame que la coalition va donner le pouvoir aux


Canada

Le 4 décembre 2008, la gouverneure générale, Michaëlle Jean, accède à la demande de Stephen Harper de proroger le parlement.

séparatistes – bien que son parti ait envisagé de faire exactement la même chose en 20006. Dans certains milieux, on crie à la trahison pure et simple. Les divers sondages réalisés pendant et après la crise indiquent clairement que la coalition a perdu la bataille des relations publiques7. Le gouvernement abat alors sa carte maîtresse en annonçant qu’il demandera la « prorogation » de la session parlementaire. Inconnu du grand public, ce terme désigne le pouvoir de la gouverneure générale de mettre fin à la session parlementaire. Son utilisation aurait pour effet d’empêcher la Chambre de

renverser le gouvernement jusqu’à l’ouverture de la session suivante. Puisque la session a été ouverte quelques semaines plus tôt seulement et que les députés n’ont pas eu le temps d’adopter grand-chose, l’impact sur les travaux parlementaires serait minimal. Les experts sont pris de court : il existe des précédents de gouverneurs généraux ayant refusé la dissolution, mais on n’en connaît point qui aient refusé la prorogation. Utilisée pour contrer une coalition unifiée jouissant de l’appui de la population, la prorogation n’aurait eu pour conséquence que de retarder l’hallali et aurait été dénoncée comme la 441


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mise sous clé du Parlement. Utilisée à l’encontre d’une coalition aussi branlante qu’impopulaire, elle va tuer celleci dans l’œuf. un amateurisme fatal Le mercredi 3 décembre, alors que la coalition a déjà du plomb dans l’aile, se produit l’un des plus spectaculaires exercices d’autodestruction de l’histoire canadienne. En soirée, les deux grands rivaux sont censés s’adresser au pays. En grande forme, Harper pourfend en français « les souverainistes » et en anglais « the separatists ». Malheureusement pour Dion, la soirée est gâchée par ce qu’on appellera une « catastrophe technique ». Les versions française et anglaise de son discours, fignolées jusqu’à la dernière minute, ont été enregistrées sur une même cassette. Les réseaux de télévision doivent en produire des versions distinctes, ce qui en retarde la diffusion. Les animateurs de télévision ironisent sur l’amateurisme de coalisés incapables de livrer leur message à l’heure dite. Lorsque l’enregistrement est enfin diffusé, son impact est détruit par des failles techniques. Œuvre d’un cinéaste amateur, l’enregistrement souffre d’un mauvais cadrage et d’une surcharge de couleur rouge. Les premières phrases du texte écrit ont été sautées. En prime, comme le public anglophone ne manquera pas de le remarquer, l’arrière-plan inclut une étagère sur laquelle figure en bonne place un livre intitulé « Hot Air », expres442

sion anglaise qui désigne un discours sonore, mais vide de sens ! Obnubilé par ces détails, le public ne prête guère attention au contenu du discours. Tout cela survient la veille du jour où la gouverneure générale, Michaëlle Jean, rentrée d’urgence d’un voyage officiel en République tchèque, doit rencontrer le premier ministre pour causer prorogation. Celle-ci est accordée le 4 décembre après un entretien de deux heures dont on ne connaît pas la teneur. L’un après l’autre, des « sages » libéraux (Frank McKenna et Jim Manley) annoncent leur retrait d’une fonction floue qu’ils disent n’avoir jamais accepté. Dans les jours suivants, Stéphane Dion quitte son poste et est remplacé par Michael Ignatieff. Celui-ci maintient un temps l’équivoque sur la coalition, mais on se rend compte rapidement que ce libéral de droite n’y croit pas, ce en quoi il reflète l’opinion de beaucoup de ses pairs8. Durant les vacances du temps des fêtes, au fil des négociations entre libéraux et conservateurs, s’esquisse un changement radical d’orientation dans la politique économique de ces derniers, que confirmera le discours du budget prononcé le 27 janvier par Jim Flaherty. Au risque de mécontenter ses propres partisans, le gouvernement conservateur se lance, comme tous ses homologues internationaux, dans un programme de dépenses publiques au moment où la récession porte un grave coup à l’économie canadienne, et


Canada

notamment à l’industrie ontarienne. Le gouvernement survit au vote de confiance alors que les ex-coalisés se poivrent mutuellement de phrases assassines. Du même coup, profitant de la distraction offerte par les fêtes et ravalant ses déclarations antérieures au sujet des nominations politiques, il peuple la chambre haute de 17 partisans conservateurs quelques jours avant Noël. La coalition : morte et enterrée Le passage du temps n’a guère amélioré l’image de la coalition. Jeffrey Simpson écrira plus tard que les libéraux se sont lancés dans cette opération « without adult supervision9 » et ironisera sur la « coalition farce10 ». Un commentateur plutôt hostile à Harper comparera les coalisés à des gens incapables d’organiser correctement un cortège funéraire de deux véhicules11. En mai, Michael Ignatieff livrera enfin le fond de sa pensée : la coalition aurait profondément divisé les Canadiens et leur aurait donné l’impression que les libéraux avaient volé le pouvoir, reprenant exactement la vision des choses qu’avaient propagée les conservateurs12. Quel bilan tirer de cet épisode ? Du côté des conservateurs, il les a obligés à réaliser que leur statut minoritaire les obligeait à un virage important. Du côté des libéraux, Michael Ignatieff jouira, pendant une brève période, d’une lune de miel avec les électeurs, mais, dès l’été, son aura s’effiloche et son aile québécoise est ébranlée à l’automne par la

démission-surprise de son chef, Denis Coderre. À la fin de l’année, sous l’égide du « nouveau messie », les libéraux retombent dans les sondages à un niveau inférieur à celui où ils étaient sous Stéphane Dion, alors même que les conser-

Les coalisés ? « Des gens incapables d’organiser un cortège funéraire de deux véhicules. » vateurs commencent à naviguer en « territoire majoritaire ». Seul le temps permettra de prendre pleinement la mesure de cet épisode. Si les libéraux réussissent à gagner les prochaines élections, l’aile droite du parti se félicitera d’avoir fait échouer une équipée qui aurait ancré le parti à gauche, en rupture avec son traditionnel jeu de bascule. Si au contraire Stephen Harper en sort vainqueur avec la majorité espérée doublée du contrôle du Sénat, il lui sera possible de choisir le cap annoncé en novembre 2008. La coalition apparaîtra alors en rétrospective aux partis coalisés comme une superbe occasion manquée. Pour un aperçu fascinant sur la crise de la part d’un apparatchik néodémocrate, voir la série de Brian Topp « Coalition Redux », dans le Globe and Mail des 29 et 30 novembre, 2, 3 et 4 décembre 2008. 443


L’état du Québec 2010

notes

1. Massicotte, Louis, « Une coalition à Ottawa ? Why not ? », Le Devoir, 1er décembre 2008, p. A7. La plupart des experts en la matière ont soutenu la coalition. Voir Peter Russell et Lorne Sossin (dir.), Parliamentary Democracy in Crisis, Toronto, University of Toronto Press, 2009 ; et l’opinion d’une trentaine de juristes et politologues publiée en français (« Le Parlement est roi », Le Devoir, 26 janvier 2009) et en anglais (« What happens next if PM loses vote on coming budget ? », The Toronto Star, 23 janvier 2009). Les contributions savantes semblent avoir eu peu d’effet sur l’opinion, qui a arbitré les points de droit constitutionnel en fonction de son appui ou de son hostilité à la coalition. 2. Bastien, Frédéric, « Un marché de dupes », La Presse, 4 décembre 2008, p. A38. 3. Voir à ce sujet la lettre de l’ancien chef néodémocrate de Nouvelle-Écosse, Jeremy Akerman (« Divided along party lines »), et celle de l’ancienne ministre néo-démocrate des Finances de la Saskatchewan, Janice MacKinnon (« A coalition in a time of economic tumult ? No thank you »), The Globe and Mail, 2 décembre 2008, p. A14 et A15. 4. On entendra aussi des voix plus responsables. Voir l’éditorial du Globe and Mail du 4 décembre 2008, « Fanning anger toward Quebec », p. A20. 5. Segal, Hugh, « La prudence demeure de mise », La Presse, 4 décembre 2008, p. A39. 6. Laghi, Brian, Steven Chase et Daniel Leblanc, « Harper plays patriot game », The Globe and Mail, 4 décembre 2008, p. A1 et A6.

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7. Smyth, Julie, « Canadian divided on toppling government : Poll », The National Post, 3 décembre 2008 ; « Majority (68 %) of Canadians from every part of the country supports Governor General’s decision to prorogue Parliament », sondage Ipsos Reid, 5 décembre 2008. En ligne : w w w. i p s o s -n a . c o m /n e w s /p r e s s r e l e a s e . cfm ?id=4201 ; Presse canadienne, « Sondage Nanos – Les Québécois et les autres Canadiens sont divisés sur l’opportunité d’une coalition », Le Devoir, 12 janvier 2009. 8. Taber, Jane, « Concerned for his political future, Ignatieff backers advise him to keep his distance from the coalition », The Globe and Mail, 4 décembre 2009, p. A7. 9. Simpson, Jeffrey, « The coalition that wasn’t and the jobs budget that won’t be », The Globe and Mail, 27 janvier 2009. 10. Simpson, Jeffrey, « The Conservatives are down in Quebec – and know it », The Globe and Mail, 25 mars 2009. 11. Olive, David, « Fumbling coalition lets Tories rewrite Constitution », The Toronto Star, 6 décembre 2008. 12. Presse canadienne, « La coalition aurait divisé les Canadiens, selon Ignatieff », Le Devoir, 11 mai 2009. Pour les réactions des chefs des autres partis, voir Alec Castonguay, « Usurper le pouvoir – Ignatieff a outré ses alliés d’hier », Le Devoir, 12 mai 2009.


Les travaux forcés de Michael ignatieff robert asselin Directeur associé, École supérieure d’affaires publiques et internationales, Université d’Ottawa

élu député pour la première fois en 2006, Michael ignatieff a connu une ascension rapide en politique. À la tête du parti libéral du canada depuis un an, le chef de l’opposition officielle réalise maintenant que la route vers le 24 Sussex sera plus longue et sinueuse que prévue. bilan d’une année mouvementée ; portrait et défis d’un politicien en devenir.

Rarement un homme politique contemporain n’a suscité autant de curiosité au Canada. Depuis Pierre Trudeau, aucune autre personnalité politique n’a fait l’objet d’autant d’attention, ici et à l’extérieur du pays, avant d’occuper la fonction de premier ministre. Fort de son parcours d’écrivain et d’intellectuel engagé dans la cause des droits humains, il était clair dès son entrée sur la scène politique canadienne que M. Ignatieff visait haut. Après tout, on ne quitte pas un poste de professeur en droits de la personne à Harvard pour venir siéger sur les banquettes arrière et faire de l’intendance à la Chambre des

communes. Défait par Stéphane Dion lors de la course à la chefferie en 2006, M. Ignatieff a pourtant dû se rendre à l’évidence que la politique avait ses règles et que son impressionnant curriculum vitae ne lui garantirait pas un succès immédiat. Ce n’est qu’à sa deuxième tentative, le 10 décembre 2008, après que les deux autres aspirants, Dominic LeBlanc et Bob Rae, se furent désistés de la course, qu’Ignatieff est couronné chef du Parti libéral du Canada. L’année 2009 avait pourtant bien commencé pour lui. Dès son arrivée à la tête du parti, après la fin de règne diffi445


L’état du Québec 2010

cile de Stéphane Dion, Ignatieff est apparu rapidement en contrôle de ses troupes et de son message. Stephen Harper, lui, se relevait péniblement de la crise politique dont il s’était sorti en suppliant la gouverneure générale de proroger le Parlement. La récession s’annonçait longue et difficile et le gouvernement Harper se cherchait. Les Québécois semblaient avoir définitivement tourné le dos aux conservateurs et tous les astres semblaient être alignés en faveur de Michael Ignatieff. Les mois qui ont suivi n’ont pas amené les résultats escomptés. Pensant sûrement que M. Harper se battrait tout seul, le nouveau chef libéral est resté passif. Le vent de fraîcheur provoqué par son arrivée s’est lentement, mais sûrement, transformé en questionnement de son leadership et de ses instincts politiques. Plutôt favorables au départ, les journalistes et commentateurs sont devenus très critiques, épiant les faits et gestes du nouveau chef. Les mauvais sondages ont suivi. Un an après son accession au poste de chef, les principales interrogations à l’égard de M. Ignatieff demeurent : qui est cet homme ? Et quelles sont ses idées pour le pays qu’il veut diriger ? un parcours hors du commun Issu de l’aristocratie canadienne anglaise de Toronto, Michael Ignatieff a un parcours personnel et professionnel qui ferait l’envie de bien des gens de sa génération. Son père, George Ignatieff, a été l’un des diplomates les plus en vue de 446

son époque. Ambassadeur du Canada aux Nations Unies et en Yougoslavie, il était l’un des principaux conseillers en politique étrangère de Lester B. Pearson. Son grand-père, Paul Ignatieff, a été ministre de l’Éducation sous le dernier tsar en Russie. Premier de classe au Upper Canada College, Michael Ignatieff fait ses études universitaires à Oxford et Harvard. À Oxford, il côtoie Isaiah Berlin, l’un des plus grands penseurs libéraux contemporains, et écrit sa biographie. Durant sa carrière professionnelle, il est journaliste, écrivain et professeur dans de grandes universités telles que Harvard, King’s College à Oxford, la London School of Economics et l’École des Hautes Études en sciences sociales de Paris. En Europe et aux États-Unis, il atteint une stature enviable dans les cercles universitaires et littéraires. Auteur prolifique, il remporte plusieurs distinctions littéraires pour ses nombreux romans et essais. Dans Blood and Belonging (1993), il traite avec audace de la question du nationalisme moderne en s’inspirant, entre autres, des conf lits dans les Balkans et en Irlande du Nord. Directeur du Carr Center for Human Rights à Harvard, il se fait courtiser par des militants libéraux en 2005 pour venir s’installer au Canada et décide d’entrer sur la scène politique fédérale. En janvier 2006, il est élu député dans la circonscription d’Etobicoke-Lakeshore, dans la région de Toronto.


Canada

transition difficile Après sa défaite à la course à la direction de 2006, Michael Ignatieff se résout à faire ses classes de parlementaire et à mieux se faire connaitre au sein de son parti. Pendant deux ans, aux côtés de Stéphane Dion comme chef adjoint, il doit accepter le rôle effacé qu’on lui demande de jouer. Aux communes, il devient un parlementaire efficace à la période des questions et gagne le respect de ses collègues. Lorsque Dion connaît des difficultés, le caucus le voit déjà chef. Quand Dion est forcé de se retirer, Ignatieff a déjà la grande majorité des appuis dont il a besoin dans le parti, y compris l’appui d’un grand nombre de députés et d’organisateurs à travers le pays. L’instabilité politique provoquée par la crise politique de la fin de 2008 incite ses deux concurrents à se rallier. Il hérite d’un parti relativement uni et résolu à reprendre le pouvoir à court terme. Nouvellement installé chef, Ignatieff jouit d’une popularité instantanée. À Laval, en mars 2009, il prononce un important discours dans lequel il reconnaît et salue la double appartenance identitaire des Québécois au Québec et au Canada. Il invite les Québécois à « reprendre leur place » au sein du Canada. Pour la première fois depuis l’affaire des commandites, le Parti libéral du Canada est alors en tête dans les sondages au Québec. Peu de temps après, les conservateurs contre-attaquent. Ils produisent des publicités

négatives qui visent à définir le chef libéral comme un expatrié qui ne connaît pas bien son pays et qui est seulement de passage pour venir satisfaire sa soif de pouvoir. Ignatieff ne réagit pas et, pendant les mois qui suivent, reste relativement timide dans son approche et ses propositions. Soudainement, il semble donner raison à ses détracteurs. Il devient défensif et reste peu visible. Il semble incapable d’occuper l’espace public. À l’automne, il est forcé d’admettre ses erreurs stratégiques et il remplace sa garde rapprochée en nommant Peter Donolo, un ancien proche de Jean Chrétien, comme chef de cabinet.

pour lui, le nationalisme québécois est positif et contribue à enrichir la citoyenneté canadienne. Le libéralisme de Michael ignatieff La pensée politique de Michael Ignatieff s’articule autour de trois grands axes : l’unité nationale, le rôle de l’État pour assurer l’égalité des chances et l’engagement du Canada à l’international. Sur la question de l’unité nationale, il se distingue clairement de l’héritage de Trudeau. Pour lui, le nationalisme québécois est positif et contribue à enrichir la citoyenneté canadienne à condition qu’il y ait chez les Québécois un sentiment de double appartenance au 447


L’état du Québec 2010

Rarement un homme politique contemporain a­t­il suscité autant de curiosité au Canada.

Québec et au Canada. Signe d’une certaine évolution au sein du Parti libéral du Canada, cette prise de position ne fait plus l’objet de divisions internes comme jadis c’était le cas. Ignatieff se présente également comme un rassembleur capable de donner aux Canadiens provenant des différentes régions du pays un projet commun sous l’égide

il préconise une intervention étatique pour réduire les disparités économiques et favorise la redistribution de la richesse. 448

d’une citoyenneté canadienne comportant un certain nombre de valeurs et de principes. Conscient des difficultés historiques de son parti dans l’ouest canadien, il s’est même porté à la défense des sables bitumineux en affirmant que l’on ne devait pas en faire un enjeu d’unité nationale. Quant au rôle de l’État, Michael Ignatieff s’inscrit dans la continuité libérale. Il préconise une intervention étatique pour réduire les disparités économiques entre individus et régions et favorise la redistribution de la richesse. Issu de la philosophie libérale traditionnelle, il croit que l’individu est capable de faire les bons choix pour lui-même et que le


Canada

rôle de l’État consiste essentiellement à assurer l’égalité des chances. Sur le plan économique, il favorise des investissements dans le domaine de l’éducation et de l’énergie propre, une stratégie agressive d’innovation, des relations commerciales soutenues avec les puissances économiques que sont la Chine et l’Inde. Il accorde aussi une grande importance aux investissements en recherche et développement, surtout pour développer les technologies qui nous permettront de mieux pallier les changements climatiques. On peut présumer que le rôle et l’engagement du Canada sur la scène internationale est le leitmotiv de l’engagement politique de Michael Ignatieff. Après tout, les relations internationales et les droits humains ont été les sujets sur lesquels il a œuvré et réfléchi pendant la grande majorité de sa vie adulte. Il a séjourné à de nombreuses reprises dans les régions dévastées par les conflits humains, dans les Balkans, en Irak et en Afghanistan, et a été l’un des principaux architectes de la doctrine de la responsabilité de protéger (Responsability to Protect) issue d’un groupe de travail de l’ONU. La doctrine édicte qu’en présence flagrante de violation de droits humains et de cas évidents de génocides, la communauté internationale a le devoir et la responsabilité d’intervenir, par la voie militaire, si nécessaire. Pour le Canada, il privilégie un rôle actif dans les institutions multilatérales. Conscient de notre géopolitique et du

rôle des États-Unis dans le monde, il accorde une grande importance aux relations bilatérales canado-américaines. Il est d’avis que le Canada a un rôle primordial à jouer dans la réforme de la gouvernance internationale, de la même façon qu’il a influencé positivement la création de bon nombre d’institutions internationales existantes. Les défis Certains commentateurs ont déjà écrit la nécrologie politique de Michael Ignatieff. Il est possible en effet que cet intellectuel engagé ne réussisse pas à se convertir en homme d’État. Pourtant, Stephen Harper n’avait pas mis les pieds dans plus de deux ou trois pays avant de devenir premier ministre ; Ignatieff a une connaissance du monde que peu de Canadiens peuvent se vanter d’avoir. Instruit dans les grandes universités européennes et américaines, écrivain accompli, il a côtoyé les grands de ce monde. Mais contrairement à son principal adversaire politique, son handicap majeur réside pour le moment dans ses habiletés politiques. S’il a réussi à piquer la curiosité des gens, il n’a pas encore été en mesure de définir sa personnalité politique et de se donner une stature de premier ministre en attente. Est-ce un manque de passion ou d’authenticité ? Une incapacité à livrer un message simple et clair à l’électorat ? Pour l’instant, ces questions restent entières. Heureusement pour lui, Michael Ignatieff a encore du temps devant lui. 449


L’état du Québec 2010

Le vrai sondage, le seul qui importera pour son avenir politique, ce sera celui qui lui sera livré le soir des prochaines élections fédérales. D’autres premiers ministres ont fait l’objet de critiques encore plus dures et ont vécu encore plus dangereusement avant d’être élus. En politique, il existe un vieil adage selon lequel tout ce qui ne tue pas rend

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plus fort. Après tout, la vie d’un chef de l’opposition officielle n’est jamais facile dans notre système parlementaire. Tous les politiciens commettent à un moment ou un autre des erreurs et ont à apprendre les rudiments du métier. Michael Ignatieff a certes tous les attributs d’un prince ; reste à voir si, comme Machiavel, il arrivera à ses fins.


Que reste-t-il de nos amours ? nelson Michaud École nationale d’administration publique

La déclaration faite lors du Sommet de la Francophonie par le président français, nicolas Sarkozy, Sarkozy, sur l’inutilité de « divisions supplémentaires », a-t-elle eu l’impact qu’on a voulu lui attribuer ? constitue-t-elle la pierre d’assise d’une redéfinition des relations France-Québec ? Que nous apprend l’année écoulée et quelles sont les perspectives d’avenir1 ?

Québec, 17 octobre 2008. Coup de tonnerre dans un ciel d’automne. Lors d’une conférence de presse donnée au mitan de sa visite, le président français, Nicolas Sarkozy, déclare : « Si quelqu’un a envie de me dire que le monde aujourd’hui a besoin d’une division supplémentaire, c’est qu’on n’a pas la même lecture du monde. » Que veut-il dire ? De quoi parle-t-il ? De la souveraineté du Québec, assurément, dit la rumeur reprise par les médias québécois. Dans le sillage présidentiel, Alain Joyandet, ministre français des Affaires étrangères et européennes, et François Fillion, premier ministre, tentent de rectifier cette lecture de la déclaration.

Jean-Pierre Raffarin, ancien premier ministre et désormais Grand Témoin de la Francophonie, nuance. Épousant une attitude que n’aurait pas reniée le général de Gaulle, Sarkozy laisse s’élaborer les interprétations. Un an plus tard, cette déclaration équivoque a-t-elle eu l’impact que les médias ont voulu lui attribuer au moment du Sommet ? Constitue-t-elle la pierre d’assise d’une redéfinition des relations France-Québec ? Doit-on regretter les jours où la France était prête à accompagner le Québec, quels que soient ses choix, rejetant tout autant l’ingérence que l’indifférence ? A-t-on placé les propos présidentiels dans le 451


L’état du Québec 2010

Nicolas Sarkozy avec Stephen Harper et la gouverneure générale, Michaëlle Jean, au Sommet de la Francophonie de 2008.

contexte approprié ou les a-t-on centrés dans une perspective limitée ? Les déclarations sarkoziennes La sortie du président, à Québec, n’est pas une première. Ses sympathies fédéralistes sont connues. Il les avait affirmées clairement en mai, lors d’une cérémonie au cimetière de BenyReviers, en Normandie, alors qu’il rendait hommage, aux côtés de la gouverneure générale, Michaëlle Jean, aux soldats canadiens tombés lors de la Seconde Guerre mondiale. Une semaine plus tard, sur les quais bordant la Garonne, pressé par les jour452

nalistes de réagir aux propos présidentiels, le maire de Bordeaux, Alain Juppé, flanqué du premier ministre Jean Charest, apporte une précision : « Le Canada est un pays ami avec lequel nous avons intérêt à avoir des liens extrêmement étroits, mais pour moi les Québécois sont un peu plus que des amis, ce sont des frères. » Dès lors – certains diront sous la pression –, le président fait sienne cette nouvelle maxime et, une fois au Québec, il l’enrichit d’un justificatif éloquent : « Je ne vois pas au nom de quoi une preuve d’amour pour le Québec devrait se nourrir d’une preuve de défiance à l’endroit du Canada. »


Canada

Ce cri du cœur – ou ce « coup de pied de l’âne », comme le titre Le Devoir 2 – lancé dans l’enceinte de la Citadelle de Québec est toutefois suivi, quelques heures plus tard, d’une autre déclaration, prononcée cette fois juste de l’autre côté de la rue, au Salon bleu de l’Assemblée nationale québécoise. Les termes de ce dernier discours, en évoquant la relation Québec-France, font référence à des échanges entre « partenaires égaux3 ». Le contraste frappe. D’autant plus que, selon le quotidien Le Figaro4 qui rapporte les propos d’un conseiller de l’Élysée, ces mots ont assurément été « très pesés » afin « d’effacer l’ambiguïté » provoquée en Normandie. Dans ce contexte alors, laquelle des nombreuses interprétations des controversés propos de la Citadelle doit-on privilégier ? Que signifie, mais surtout qu’est-ce qui explique la sortie fédéraliste du matin ? S’il est vrai que ses amitiés avec des familles québécoises économiquement influentes sur la scène internationale sont avérées, il serait surprenant que le président français accepte de n’être que l’écho des voix que la brise de Sagard5 aurait déposé au fond de son oreille. La réalité est beaucoup plus complexe. une interprétation tronquée, un contexte simplifié Si la convergence entre les vues du président Sarkozy et celles de la gent d’affaires québécoise fédéraliste existe, les deux partagent plus qu’un simple amour du Canada : ils considèrent la stabilité poli-

tique et le poids des plus grands ensembles (unions politiques et économiques) comme des éléments facilitateurs sur la voie de la prospérité. Et c’est davantage là que l’interprétation est possible. D’abord, la déclaration du président français se situe certes en marge de sa visite dans le cadre du Sommet de la Francophonie, mais on doit aussi sa présence à Québec à une halte faite sur sa route vers Camp David. L’y attend le président George W. Bush pour discuter de la réforme du capitalisme envisagée par Sarkozy, et ce, dans un contexte de

comment le défenseur d’un ensemble fédéré – l’europe – pouvait-il entonner un autre hymne en parlant du canada ? début de crise économique aux conséquences alors aussi inquiétantes qu’inconnues. Mais, surtout, on ne peut minimiser que la tonnante réplique de la Citadelle est une réponse offerte à un journaliste attaché à la couverture d’un autre sommet, tenu simultanément à celui de la Francophonie : le Sommet Canada-Union européenne. Faut-il rappeler que la France, donc Sarkozy, occupe à ce moment la présidence d’une union faisant face à plusieurs incertitudes quant à son avenir ? Comment le défenseur d’un ensemble fédéré – 453


L’état du Québec 2010

l’Europe – pouvait-il entonner un autre hymne en parlant du Canada ? On le constate, le président français a en tête, au moment de sa déclaration, un portrait beaucoup plus large que celui, étroit, de l’axe Québec-Paris que les tensions politico-constitutionnelles configurent parfois en triangle amoureux lorsque s’y immisce Ottawa. Au Québec, les réactions ont été fortement teintées par cette préoccupation bidirectionnelle, regrettant ces « beaux jours » où la relation France-Québec avait pour objectif premier l’obtention d’une caution pour l’affirmation, sur la scène internationale, d’un nationalisme identitaire marqué du sceau de la formule immuable du « ni-ni »; c’était le principe actif dans la phase préparatoire à une éventuelle reconnaissance au soir d’une déclaration d’une autonomie pleine et entière. Par ses affirmations, Sarkozy tourne-t-il une page de l’histoire ou tourne-t-il le dos au Québec ?

plutôt un juste besoin d’adaptation à un monde aux contours redéfinis. L’action internationale du Québec s’engage plutôt dans cette dernière voie. La présence internationale québécoise est désormais plurielle. La politique internationale du Québec présentement en vigueur et le Plan d’action 2009-2014 publié par Pierre Arcand, le ministre des Relations internationales, en témoignent6. Pas moins de 15 ministères du gouvernement québécois sont interpellés, et les régions cibles incluent aujourd’hui Mumbai, en Inde, et São Paulo, au Brésil. L’axe Québec-Washington vient par ailleurs d’être renforcé, notamment par la nomination de John Parisella à la délégation générale du Québec à New York, tête de pont de la diplomatie québécoise aux États-Unis, et pourrait aussi tirer avantage de l’arrivée de Gary Doer, ami personnel de Jean Charest et défenseur de l’action internationale des provinces, comme ambassadeur canadien à Washington. L’après-sommet Pour sa part, l’accompagnement effiPour bien mesurer le niveau d’impact cace que peut offrir la France au Québec qu’ont pu avoir ses propos, il faut contemporain dépasse de très loin la d’abord évaluer où en sont les relations reconnaissance identitaire. À l’heure où, internationales du Québec en 2010. Si la comme le faisait remarquer la journaliste France y constitue toujours un pilier Chantal Hébert, le premier ministre « fait incontournable, elle le fait d’une tout flèche de tout bois7 » pour inscrire le Quéautre manière que celle qu’elle avait bec à l’agenda international des préoccuchoisie d’épouser, il y a près d’un demi- pations environnementales, au moment siècle. Les nostalgiques diront, regar- où le contexte économique donne aux dant cette vieille photo de jeunesse, que velléités libre-échangistes vers l’Europe c’était hier. Les lecteurs avant-gardistes une importance accrue, il ne fait aucun du contexte international y verront doute que, à tous les niveaux, les acteurs 454


Canada

politiques français peuvent relayer les demandes en provenance du Québec. Les deux États partagent une vision assez proche pour travailler de concert, notamment sur les dossiers économiques et écologiques, des questions placées haut dans leurs priorités respectives. nuls bonheurs fanés, nuls rêves mouvants En fait, ce que le recul d’une année nous permet de cerner, c’est que même si les propos du président Sarkozy ont fait beaucoup de bruit en octobre 2008, ce ne sont pas eux qui ont redéfini les paramètres de la relation franco-québécoise. Quelle que soit l’exégèse qu’on en fasse, il demeure que d’autres facteurs plus fondamentaux, plus structurants ont prévalu. Le rôle international que le Québec a choisi de jouer s’accentue et se diversifie pour contrer les pressions qui le forceraient à modifier ses politiques et programmes pour répondre à des normes internationales, fixées par d’autres, plutôt que pour contribuer à la définition et répondre aux caractéristiques de sa société. Et il y a fort à parier que la tendance en ce sens se poursuive pendant un certain temps. À cet égard, il est tout aussi probable que la France continue « d’accompagner le Québec quels que soient ses choix ». Seulement, les choix que le Québec contemporain doit faire ne se limitent plus à son avenir constitutionnel. Ils embrassent un large éventail d’autres questions qui risquent d’influencer tout

Les choix que le Québec doit faire ne se limitent plus à son avenir constitutionnel. autant son identité. En y apportant des réponses et en défendant sur la scène internationale les intérêts qui y sont rattachés, le Québec fait alors preuve d’une saine maturité et d’une sage sensibilité en matière de relations internationales et de politique étrangère. Cette attitude, les gouvernements québécois présent et à venir ont avantage à la cultiver, ce en quoi ceux de la République française sauront sans doute les épauler, encore plus efficacement par les gestes que par les mots. notes

1. L’auteur écrit ici à titre d’analyste des relations internationales et de la politique étrangère des entités fédérées. Il tient à remercier Frédéric Mayer pour son assistance dans le cadre de la recherche dont ce texte est issu. 2. David, Michel, « Le coup de pied de l’âne », Le Devoir, 20 octobre 2008. 3. En ligne : www.elysee.fr/documents/index. php ?mo de = c v ie w& pre s s _ id=1943&c at _ id=7&lang=fr 4. Jeudy, Bruno, et Charles Jaigu, « Trois sommets en une journée pour Sarkozy », Le Figaro, 16 octobre 2008. 5. Lieu de villégiature charlevoisien de l’une de ces familles, connu pour recevoir plusieurs décideurs publics et du monde des affaires. 6. Ministère des Relations internationales, Politique internationale du Québec. Plan d’action 2009-2014. Mesures pour l’année 2009-2010. En ligne : www.mri.gouv.qc.ca/fr/pdf/plan_action. pdf 7. Radio-Canada, Les coulisses du pouvoir, émission du 4 octobre 2009. 455


Les transnationales canadiennes sur la sellette : de la responsabilité sociale à la responsabilité politique Myriam Laforce Agente de recherche, Groupe de recherche sur les activités minières en Afrique (GRAMA), Chaire C.-A. Poissant de recherche sur la gouvernance et l’aide au développement, Université du Québec à Montréal (UQAM)

Les entreprises canadiennes occupent aujourd’hui une place prépré pondérante sur les marchés mondiaux. ce rayonnement sans préprécédent, s’il participe largement au dynamisme actuel de l’économie du pays, ne se fait pas toujours sans heurts dans certaines régions du globe. À l’heure où les sociétés transnationales (Stn) d’ici se veulent socialement responsables, il est pertinent de se questionquestionner sur les règles particulières auxquelles elles sont assujetties lorsqu’elles ont des activités à l’étranger. ceci touche à la question cruciale des responsabilités politiques, qui semblent souvent difdifficiles à circonscrire dans ce monde globalisant.

En octobre 2009, le gouvernement de Stephen Harper annonçait la nomination de la toute première conseillère en responsabilité sociale des entreprises (RSE) de l’industrie extrac456

tive, invitée à jouer « un rôle essentiel dans le règlement de problèmes sociaux et environnementaux reliés aux activités des entreprises canadiennes actives à l’étranger1 ». Quelques mois plus tôt,


Canada

le projet de loi C-300 sur la responsabilisation des sociétés à l’égard de leurs activités minières, pétrolières ou gazières dans les pays en développement franchissait une étape importante à la Chambre des communes en étant adopté par quatre voix de majorité au terme de sa seconde lecture. Si elle était adoptée, cette loi conférait au gouvernement fédéral le pouvoir d’enquêter sur les pratiques des entreprises du secteur extractif et pourrait ultimement conduire, dans les cas de violations prouvées des droits de la personne ou de normes environnementales, à l’imposition de sanctions prenant notamment la forme du retrait du soutien financier et politique gouvernemental. Ce soutien comprend notamment les montants investis dans ces sociétés par le Régime de pensions du Canada ainsi que les services fournis par Exportation et développement Canada et le MAECI. Loin d’être le fruit du hasard, cette conjonction d’événements politiques survient au moment où les sociétés canadiennes œuvrant à l’étranger sont régulièrement montrées du doigt pour des comportements jugés inacceptables du point de vue social ou environnemental2. Depuis la tenue en 2006 d’un vaste processus de consultation publique à travers le pays, les Tables rondes nationales sur la responsabilité sociale et l’industrie extractive minière dans les pays en développement, le débat sur cette question bat effectivement son plein. Ce processus, parrainé par un

Petro­Canada est l’une des quatre plus importantes transnationales canadiennes du secteur industriel.

comité consultatif incluant des représentants de l’industrie et de la société civile, a débouché sur la publication d’un rapport consensuel assorti d’un ensemble de recommandations politiques qui visait à positionner le Canada comme chef de file en ce qui concerne non seulement la présence et le rayonnement de ses entreprises sur les marchés mondiaux, mais également à mettre en relief le rôle du gouvernement dans la promotion du respect des droits de la personne et des normes environnementales à l’échelle internationale3. Deux ans se sont écoulés entre la publication de ce rapport novateur et la 457


L’état du Québec 2010

réponse offerte par le gouvernement Harper. Et la création toute récente du poste de conseiller en RSE s’inscrit précisément dans la stratégie que l’administration actuelle a consenti à mettre en œuvre en mars 2009 comme suite aux tables rondes 4 . Cette stratégie confirme que « le gouvernement du Canada s’attend à ce que toutes les entreprises canadiennes actives à l’étranger respectent les lois et les normes internationales en vigueur, exercent leurs activités avec transparence et en consultation avec les gouvernements des pays d’accueil et les communautés locales, et se comportent de façon responsable sur les plans social et environnemental, et il les encourage en ce sens5 ». Au-delà des initiatives actuellement proposées, le champ d’action du gouvernement canadien se limite-t-il effectivement strictement à une capacité « d’encouragement » à l’adoption de pratiques responsables par les sociétés transnationales implantées au pays ?

secteur de la fabrication avec 18,3 % des stocks d’IDCE, puis celui des mines et extraction pétrolière et gazière, avec 14,8 %. Bien que les États-Unis représentent toujours la première destination en importance pour l’investissement direct du Canada à l’étranger, leur part, qui atteignait 50 % du total en 2000, a fléchi à 44 % en 2007, signe que d’autres marchés gagnent tranquillement en importance. C’est le cas notamment de l’Europe (particulièrement du RoyaumeUni) ainsi que des centres financiers extraterritoriaux, appelés « offshore », dont plusieurs sont situés dans les Caraïbes. La Chine et l’Inde, dont la croissance économique suscite tant d’intérêt, n’accaparaient encore en 2008 qu’une part relativement modeste de l’IDCE, soit respectivement 0,6 % et 0,1 %. Ceci dit, on note depuis quelques années une croissance plus forte de l’IDCE dans les pays non membres de l’OCDE qu’aux États-Unis. Globalement, les ventes des filiales La place des sociétés transnationales étrangères appartenant à des entreprises canadiennes dans le monde canadiennes équivaudraient aujourAu cours des dernières années, l’inves- d’hui à près de 85 % de la valeur des tissement direct du Canada à l’étranger exportations canadiennes de biens et (IDCE), principale mesure de l’activité services. Cette donnée, qui indique que des sociétés transnationales d’ici, s’est l’IDCE a largement pris le pas sur les déplacé du secteur des biens vers celui exportations en matière d’expédition de des services. L’industrie des finances et biens et services vers d’autres marchés, des assurances, la plus importante à ce révèle par le fait même l’importance des chapitre, accaparait 40,3 % des stocks activités des STN pour l’économie d’IDCE en 2008, avec 256,9 milliards de nationale. Les avancées technologiques dollars en investissements6. Suivent le ainsi que la déréglementation des indus458


Canada tabLeau 1

Principales sociétés transnationales canadiennes (2009) Nom Finances et assurances Banque Royale du Canada Toronto Dominion Bank Bank of Nova Scotia Banque de Montréal Manulife Financial Secteur industriel Encana Corporation Canadian Natural Resources Ltd. Suncor Energy Inc. Petro­Canada Barrick Gold Corporation Secteur tertiaire Thomson Reuters BCE TransCanada Corporation Enbridge Inc. Research in Motion Ltd.

Total des actifs (millions de dollars US)

Nombre d’employés dans le monde

589 775 458 887 413 595 338 983 306 682

73 323 58 792 69 049 37 000 24 000

Pétrole et gaz Pétrole et gaz Pétrole et gaz Pétrole et gaz Mines

47 247 34 750 26 503 24 750 24 161

6 048 4 132 6 798 6 088 20 000

Médias Télécommunications Services énergétiques Services énergétiques Équipement électronique

36 020 32 316 32 113 20 126 8 101

56 700 50 000 3 987 6 079 12 800

Secteur

Banques Banques Banques Banques Assurances

Sources : The Financial Times, FT Global 500 2009 : http ://www.ft.com/reports/ft500­2009 ; United Nations Conference on Trade and Development (UNCTAD), “Largest home­based TNCs, 2007”, World Investment Directory : Canada.

tries et la libéralisation des normes commerciales et d’investissement constituent autant de tendances ayant favorisé cet essor. En 2008, le stock total d’investissement direct du Canada à l’étranger s’établissait à 637,3 milliards de dollars, une ascension dite « spectaculaire » de 54,6 % en valeur depuis 2003. Les performances honorables du Canada à cet égard se vérifient également, et probablement plus encore, dans le secteur des industries extractives, qui

apparaît aujourd’hui tout particulièrement sur la sellette. En vertu de la longue tradition minière du pays et des conditions intéressantes offertes aux investisseurs, la Bourse de Toronto représente toujours la place boursière par excellence pour les sociétés minières, si bien que c’est près de 60 % d’entre elles à travers le monde qui y sont inscrites et ainsi considérées comme « canadiennes ». De même, en 2008, 75 % d’entre elles avaient leur siège social au 459


L’état du Québec 2010

Canada7. Les entreprises minières canadiennes comptent pour plus de 40 % des budgets globaux d’exploration de l’industrie minière mondiale et ont des intérêts dans quelque 7 800 propriétés situées dans plus de 100 pays8. La valeur cumulée des actifs des entreprises minières canadiennes dans le monde s’élevait en 2008 à 111 milliards de dollars, dont environ 25 % seulement situés au Canada. L’Amérique latine accaparait à ce titre 51 % du lot des actifs à l’étranger, et l’Afrique, 19 %9. Bon nombre des entreprises canadiennes œuvrant dans le domaine de l’exploration minière dans les pays du Sud sont considérées comme des sociétés juniors, dont les activités et les opérations sont principalement financées par l’émission d’actions destinées à cette fin. La transnationalisation dans ce secteur n’est donc plus l’apanage des grandes sociétés bien connues et au profil de RSE bien défini. Comme on le verra ici, ceci rend encore plus complexe la compréhension des lieux où, en ce début de xxie siècle, sont véritablement logées les responsabilités pour les impacts des activités des entreprises canadiennes à l’étranger.

distincte entre la société mère et ses filiales s’applique, fondant donc deux nationalités au sein d’une même entité. Ainsi, le gouvernement du pays d’origine des STN n’a pas, en théorie, le pouvoir de légiférer en ce qui concerne les activités des filiales implantées dans des pays tiers. Ce principe largement reconnu est régulièrement invoqué – de concert avec celui de la souveraineté territoriale des pays hôtes de l’investissement – pour expliquer l’impuissance de l’État canadien devant les impacts négatifs présumés des opérations des entreprises d’ici à l’étranger et, tout particulièrement dans le contexte actuel, des sociétés minières actives dans les pays du Sud. Ce principe sert également de fondement à l’approche privilégiée par le gouvernement actuel, se limitant à « encourager » les entreprises à développer leurs activités dans le respect des lois des pays hôtes, d’une part, et, d’autre part, en mettant de l’avant des pratiques « exemplaires » du point de vue des multiples directives existant en matière de responsabilité sociale corporative10. Or, il semblerait que le droit international n’interdirait pas comme tel à un responsabilités sociales… État d’exiger que ses entreprises transet politiques nationales imposent à leurs filiales une En vertu du droit international, les ligne de conduite différente de celle qui entreprises sont généralement dotées de devrait normalement être suivie en la nationalité du pays où elles s’incor- fonction des lois des pays hôtes, tant que porent et s’enregistrent. Dans le cas des cette ligne de conduite n’implique pas sociétés transnationales, le principe de se placer dans une situation d’illégafondamental de la personnalité légale lité vis-à-vis de celles-ci. De fait, il sem460


Canada

La Banque de Montréal est l’une des principales sociétés transnationales canadiennes, comptant plus de 338 milliards d’actifs à l’étranger.

ble que les États-Unis rejetteraient fréquemment le principe de la personnalité légale distincte entre la société mère et ses filiales et, en dépit des protestations en provenance d’autres États contestant cette long arm jurisdiction, ils appliqueraient souvent directement leurs lois aux sociétés étrangères contrôlées en majeure partie par des sociétés américaines. De même, selon l’idée de juridiction simultanée, les tribunaux canadiens pourraient être saisis dans les cas d’infractions commises dans d’autres pays si « une part suffisante des activités constituant [ou préparatoires à] l’infraction s’est déroulée au Canada », un lien « réel et important » devant exister entre l’infraction et le Canada 11 . Il revient évidemment aux tribunaux de

juger du caractère « réel et important » de ce lien. Pour ajouter à la complexité des normes s’appliquant aux activités des sociétés transnationales, il faut reconnaître

Les tribunaux canadiens pourraient être saisis dans le cas d’infractions commises dans d’autres pays. que toutes les activités de celles-ci ne sont pas organisées selon un modèle de société-mère et filiales en propriété exclusive à 100 %. Le modèle de la coentreprise, appelé « joint-venture », avec différents types de degrés de contrôle et de propriété pour plusieurs entreprises, 461


L’état du Québec 2010

rend par exemple complexe l’application de juridictions autres que celle du pays hôte. Quel rôle pour les états ? Cela étant, à l’heure de la globalisation des marchés, l’ascendant des États d’origine des STN sur les activités internationales de ces dernières ne se limite pas à des considérations légales. Les gouvernements comme celui du Canada offrent en effet souvent un appui financier ou logistique important à leurs entreprises pour un développement plus aisé de leurs opérations sur des marchés étrangers. On peut donc se demander si, dans ce contexte, ces gouvernements n’héritent pas dès lors eux-mêmes de certaines responsabilités à l’égard de telles opérations et ne se verraient pas ainsi dépositaires d’un certain « contrôle » sur les affaires de leurs STN, contrôle dont la définition des paramètres leur revient en grande partie. Les tables rondes de 2006 présentées précédemment devaient permettre précisément de questionner les limites de l’exercice d’un tel contrôle. Or, les résultats de ce processus en termes de politiques n’ont peut-être pas été à la hauteur du caractère prometteur et inédit de l’initiative. La stratégie proposée cette année par le gouvernement a été essentiellement centrée autour des principes de RSE, lesquels présentent certaines limites, particulièrement lorsque promus en stratégie unique. Car les approches volontaires, aujourd’hui 462

tabLeau 2

Stock d’investissement direct du Canada à l’étranger, par région et pays (2008) Région

IDCE (milliards Pourcentage de dollars CAN) 637,3 100

Monde Amérique du Nord et Caraïbes 421,3 Europe 150,9 Asie/Océanie 36,2 Amérique du Sud et centrale 24,8 Afrique 4,0 10 principaux pays États­Unis 310,7 Royaume­Uni 54,0 Barbade 45,0 Bermudes 22,3 Irlande 20,5 Îles Caïman 19,2 France 18,7 Hongrie 10,8 Allemagne 10,5 Brésil 9,2 Économies émergentes Chine 3,6 Inde 0,8 Russie 0,5

66,1 23,7 5,7 3,9 0,6 48,8 8,5 7,1 3,5 3,2 3 2,9 1,7 1,6 1,4

0,6 0,1 0,1

Source : Affaires étrangères et Commerce international Canada, Le commerce international du Canada. Le point sur le commerce et l’investissement – 2009, Ottawa, MAECI, 2009, p. 74.

considérées comme plus souples et donc mieux adaptées aux exigences du marché que les mécanismes de régulation traditionnels, présentent le risque


Canada tabLeau 3

Stock d’investissement direct du Canada à l’étranger, par secteur (2008) IDCE (milliards de dollars CAN)

Pourcentage

Total secteurs Finances et assurances

637,3

100

256,9

40,3

Fabrication Mines et extraction pétrolière et gazière Extraction pétrolière et gazière

116,8

18,3

94,0

14,8

67,6

10,6

26,5

4,2

68,4

10,7

21,0

3,3

18,3

2,9

17,1

2,7

3,5

0,5

Secteur

Mines Gestion d’entreprises Industries de l’information et industries culturelles Technologies de l’information et des communications Transport et entreposage Autres

Source : Affaires étrangères et Commerce international Canada, Le commerce international du Canada. Le point sur le commerce et l’investissement – 2009, Ottawa, MAECI, 2009, p. 7.

de placer la question publique et hautement politique des retombées (positives comme négatives) des investissements internationaux entre les

seules mains des investisseurs privés eux-mêmes. Cela est particulièrement vrai pour les investissements dirigés vers de nombreux pays dits en développement. Ces pays sont souvent le terrain de comportements problématiques de STN qui se retrouvent à faire la manchette au Canada. La faible capacité de certains pays hôtes à s’assurer que les entreprises actives sur leur sol respectent leurs lois, bien que réelle dans plusieurs cas, ne peut être strictement mise sur le compte d’une « mauvaise gouvernance », à corriger par l’introduction de mesures techniques précises. Il faut rappeler, en effet, que les multiples réformes politiques et économiques mises en place en échange de soutien financier à partir des années 80 dans plusieurs pays en développement, en encourageant la privatisation et la déréglementation, ont laissé un héritage lourd de conséquence pour le contrôle que ces gouvernements détiennent sur leur propre économie ainsi que leur pouvoir à arbitrer les industries œuvrant sur leur territoire12. La tendance qui découle de cette situation, c’est de nous tourner aujourd’hui vers d’autres instances susceptibles d’assurer un meilleur contrôle des activités des STN canadiennes pratiquées dans ces pays. Ces instances, issues à la fois du domaine public et privé, incluent non seulement notre gouvernement, mais aussi les STN ellesmêmes lorsqu’elles mettent de l’avant diverses formes « d’auto-certification », 463


L’état du Québec 2010

les organisations de la société civile qui quer. Ce foisonnement de nouveaux exercent une vigilance et produisent des mécanismes de régulation formels et labels environnementaux ou sociaux informels, tout en rendant le suivi auxquels les entreprises peuvent adhédifficile, ajoute à la confusion alors rer, les institutions multilatérales de que les responsabilités politiques et financement et autres institutions intersociales des acteurs en jeu, qui sont nationales qui émettent des normes et certes partagées, se doivent d’être standards en vue d’encadrer les praticlarifiées. ques volontaires, etc. Mais cette tendance, toute logique Puisque le Canada cherche à se tailler qu’elle soit, pourrait s’avérer probléma- une place dans un monde qui serait, tique à deux égards : selon le gouvernement, désormais « multipolaire13 », et alors que ces questions, à la faveur de l’actualité, font l’obLe foisonnement de nouveaux jet de vifs débats dans l’opinion publique, le contexte semble tout à fait mécanismes de régulation propice pour que le Canada assume un formels et informels ajoute rôle de leader dans la poursuite de la à la confusion. réflexion déjà bien amorcée sur ces enjeux, tant ici au pays que sur les dif1. Il se peut que, parce que constatant férentes tribunes mondiales où il fait que les gouvernements des pays hôtes entendre sa voix et défend ses valeurs. ne possèdent pas les capacités requises pour veiller au respect des règle- notes mentations en place, l’on en vienne à 1. Ministère des Affaires étrangères et du contourner ceux-ci en tant qu’agents Commerce international (MAECI), « Le clés de régulation de leurs économies, ministre Day annonce la nomination de la première conseillère chargée de promouvoir la compromettant ainsi encore davan- conduite responsable des entreprises canadientage leur légitimité. nes à l’étranger », Communiqué no 289, Ottawa, 2. Dans un contexte où les sphères de MAECI, 2 octobre 2009. responsabilités, telles que définies 2. Plusieurs exemples d’allégations de cet ordre ont été relevés dans le cadre des témoignages légalement, apparaissent de plus en entendus lors de l’examen de la loi C-300 par le plus diffuses au fur et à mesure que Comité permanent des affaires étrangères. Voir les règles du commerce international à cet effet le site suivant : http ://www2.parl.gc.ca/ se superposent et se complexifient, CommitteeBusiness/CommitteeMeetings. aspx ?Cmte=FAAE&Stac=2718913&Language=F cette tendance encourage la multipli- &Mode=1&Parl=40&Ses=2 cation des « normes », plus ou moins 3. Le rapport, publié en mars 2007, est disponible contraignantes, qui peuvent s’appli- à l’adresse suivante : http ://www.miningworks. 464


Canada mining.ca/miningworks/media_lib/documents/ CSR_reportFR.pdf 4. Gouvernement du Canada, Renforcer l’avantage canadien. Stratégie de responsabilité sociale des entreprises (RSE) pour les sociétés extractives canadiennes présentes à l’étranger, Ottawa, Gouvernement du Canada, mars 2009. 5. MAECI, ibid. 6. Cette donnée et celles qui suivent dans ce paragraphe et les deux suivants sont tirées de Ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI), Le commerce international du Canada. Le point sur le commerce et l’investissement – 2009, Ottawa, MAECI, 2009, pp. 40 ; 71 et 74-75. 7. Gouvernement du Canada, Renforcer l’avantage canadien, p. 3. 8. Brassard, Sylvie, « La présence de l’industrie minière canadienne dans le monde », Annuaire des minéraux du Canada - 2006, Ottawa, Ressources naturelles Canada, 2006, p. 7.2. 9. Données de Ressources naturelles Canada.

10. Les plus connues en la matière demeurent certainement les Principes directeurs de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à l’intention des entreprises multinationales, sur lesquels est en partie fondée la nouvelle stratégie de RSE du gouvernement canadien. 11. Seck, Sarah L., « Exploding the Myths : Why Home States are Reluctant to Regulate », Keynote Address for Mining Watch Canada Conference, Regulating Canadian Mining Companies Operating Internationally, 20 octobre 2005, p. 4. 12. C’est ce qu’on a notamment pu observer à travers le processus de révision des codes miniers africains qui s’est échelonné au cours des deux dernières décennies (Bonnie Campbell [dir.], Mining in Africa. Regulation and Development, Londres : Pluto, Ottawa : CRDI et Uppsala : Nordiska Afrikainstitutet, 2009). 13. MAECI, Le commerce international du Canada, p. 77-110.

465


anniversaires historiques Comme à chaque édition, L’état du Québec 2010 propose une sélection d’articles portant sur les grandes dates qui ont jalonné notre histoire et dont on marquera l’anniversaire au cours de l’année à venir. Selon quelle logique est opérée cette sélection ? Premièrement, la date d’anniversaire doit, bien sûr, correspondre à un chiffre rond. Ensuite, en une dizaine d’articles seulement, nous cherchons à présenter un panorama diversifié d’événements significatifs dans l’histoire du Québec, de ses débuts jusqu’à nos jours. Enfin, si les grands moments politiques trouvent naturellement ici une place de choix, nous tenons aussi à couvrir d’autres facettes de notre passé : histoire culturelle, scientifique, religieuse, sportive, sociale, économique, militaire, etc. Voici donc les 10 anniversaires retenus pour cette édition 2010 de L’état du Québec. La version intégrale de ces articles est disponible sur le site Web www. letatduquebec.com. Bonne lecture ! 1535 : le deuxième voyage de Jacques cartier dans le nouveau Monde Un récit à la hauteur des ambitions françaises Claude La Charité Les tribulations du deuxième voyage du célèbre explorateur ont été réécrites sur le mode épique pour donner à voir au pouvoir royal ce qu’il recherchait dans le Nouveau Monde : un passage vers l’Asie, un royaume facile à soumettre et des richesses à foison.

466

1635 : fondation du premier collège jésuite en nouvelle-France Le berceau québécois des lettres et des sciences Marc André Bernier Il y a 375 ans, à Québec, les Jésuites fondaient le premier collège de la colonie. Les enseignements des membres de la Compagnie de Jésus auront une influence certaine dans l’apparition d’une intelligentsia québécoise, formée notamment à l’art oratoire.


1735 : premiers tronçons carrossables entre Québec et Montréal 275 ans sur le chemin du Roy Manon Bussières Vestige de la Nouvelle-France, le chemin du Roy, aménagé au xviiie siècle, correspond au tracé de l’actuelle 138, sur la rive nord du fleuve Saint-Laurent. Cette route a été la première à permettre une communication terrestre entre Québec, Trois-Rivières et Montréal.

1935 : première parution de la Flore laurentienne Histoire d’un best-seller québécois André Bouchard En 1935, le frère Marie-Victorin (18851944) publie sa Flore laurentienne. Cette œuvre magistrale, dirigée par le fondateur du Jardin botanique de Montréal, a profondément marqué l’histoire du Québec. Chaque année, de nombreux Québécois continuent de se la procurer.

1910 : fondation du Devoir Henri Bourassa et le journalisme indépendant, catholique et national Xavier Gélinas Fuyant dès le départ la réclame et le sensationnalisme, Le Devoir a longtemps répondu aux attentes d’un lectorat désargenté mais instruit, peu nombreux mais inébranlablement fidèle. Ainsi, malgré l’absence totale de soutien financier, le « miracle du Devoir » s’est-il produit.

1960 : la révolution tranquille Les francophones prennent le vrai pouvoir Pierre Duchesne Le 22 juin 1960, l’élection de Jean Lesage comme nouveau premier ministre entraîne le Québec dans une vague de réformes sans précédent. La société québécoise vit une véritable révolution, mais menée sans violence et de façon démocratique. On assiste à la naissance de l’État du Québec contemporain.

1930 : premier succès de la bolduc Les débuts de la chanson québécoise Chantal Savoie Dans les années 30, une femme du peuple, la Gaspésienne Mary Travers, pose les premiers jalons de la chanson canadienne-française avec un répertoire inspiré à la fois du folklore et des réalités quotidiennes des gens de sa condition.

1970 : la crise d’octobre Le Québec ébranlé En octobre 1970, le Front de libération du Québec (FLQ) enlève l’attaché commercial de la Grande-Bretagne, James Richard Cross, et le ministre québécois, Pierre Laporte. La Loi sur les mesures de guerre est invoquée. James Cross s’en tire sain et sauf, mais Pierre Laporte est retrouvé mort dans le coffre d’une voiture.

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L’état du Québec 2010

1980 et 1995 : premier et deuxième référendums sur la souveraineté D’un référendum à l’autre, la question nationale dans l’impasse Michel Sarra-Bournet Durant la deuxième moitié du xxe siècle, les gouvernements du Québec ont d’abord lutté pour la protection de l’autonomie de la province au sein de la fédération canadienne et, ensuite, pour son extension. Cette bataille politique a connu son apogée à l’occasion de deux référendums.

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1990 : la crise d’oka Oka, vingt ans déjà ! Les origines lointaines et contemporaines de la crise Pierre Lepage Ce qui s’est produit le 11 juillet 1990 Pierre Trudel Des revendications historiques non résolues, une base territoriale insensée et des relations police-communautés autochtones nettement détériorées, tout était en place pour une crise majeure à Oka.


Le Québec en un coup d’œil 470

Le Québec en un coup d’œil

478

Chronologie

485

Devise et emblèmes


Le Québec

en un coup d’œil

un vaste territoire Le Québec occupe un très vaste territoire : 1 667 441 km2, soit trois fois la France et près du cinquième des ÉtatsUnis d’Amérique. Il s’étend sur plus de 17 degrés de latitude et 22 degrés de longitude, entre le 45e et le 62e degré de latitude nord et entre le 56 e et le 79e degré de longitude ouest. C’est la deuxième province la plus populeuse du Canada et la plus vaste en termes de superficie ; elle occupe 15,5 % du territoire canadien.

Superficie :

15,5

%

du territoire canadien

Le Québec est délimité par plus de 10 000 km de frontières terrestres, fluviales et maritimes : à l’ouest il est bordé par l’Ontario, au sud par quatre états américains (Maine, Vermont, New York et New Hampshire), et au nord par le territoire du Nunavut (frontière mari470

time). À l’est, les provinces canadiennes du Nouveau-Brunswick, de TerreNeuve-et-Labrador, de la NouvelleÉcosse et de l’Île-du-Prince-Édouard partagent des frontières avec le Québec. pays du nord Outre l’immensité de son territoire, le Québec est caractérisé par un climat froid et humide grandement déterminé par sa position nordique et maritime qui influence la diversité des zones climatiques (au nombre de quatre : arctique, subarctique, continentale humide et maritime) et entraîne la concentration des populations vers le sud. Le Québec ne profite pas de la présence du Gulf Stream, un courant chaud, mais se trouve sous l’inf luence du courant marin du Labrador qui refroidit une partie de l’Amérique du Nord. Au nord du 58e parallèle, un climat arctique (huit mois d’hiver annuellement), des chutes de température considérables (parfois jusqu’à -40°C) et une végétation de toundra, parsemée de mousses et de lichens, rendent les condi-


Le Québec en un coup d’œil

tions de vie difficiles. Ce territoire n’est pratiquement habité que par les populations inuite et crie. Au centre du Québec, le climat est subarctique, l’hiver rigoureux, l’été plus court. En descendant vers le sud, les terres deviennent plus propices à l’agriculture. D’ailleurs, 80 % de la population québécoise se concentre sur ces terres, en particulier sur les rives du fleuve SaintLaurent. Dans les basses-terres du SaintLaurent, le climat est de type continental humide. L’hiver est froid et neigeux ; l’automne, coloré et modéré ; le printemps, relativement doux et pluvieux, et l’été, chaud et humide. On y retrouve les agglomérations les plus populeuses que sont Montréal (1 636 400 habitants en 2007), Québec (capitale, 500 700 habitants) et Laval (381 700 habitants). Enfin, le climat est maritime aux Îlesde-la-Madeleine, en raison de la proximité de l’océan Atlantique.

ble, il est le plus important axe fluvial nord-américain. Grâce à son estuaire de 65 km de largeur, il ouvre la voie vers les confins de l’Amérique, en plus d’atteindre par la Voie maritime le cœur du continent. On peut dire que le Québec est une « terre d’eau » puisque sa superficie en eaux est de 355 315 km2, soit 21,3 % du total, dont 201 753 km2 d’eau douce, soit 12,1 % du territoire. D’innombrables lacs (on en estime le nombre à près d’un million), rivières et ruisseaux (quelque 130 000) ont émergé du Bouclier canadien. Selon le ministère des Ressources naturelles, Faune et Parcs, le Québec détient 3 % des réserves mondiales d’eau douce. Le Bouclier est la plus vieille formation géologique du continent nordaméricain, d’âge précambrien. Il s’étend sur plus de 60 % du territoire québécois. L’altitude moyenne de ce socle varie

une « terre d’eau »... Le fleuve Saint-Laurent, long de 3 260 km (du lac Supérieur jusqu’au détroit de Cabot), traverse le territoire d’ouest en est pour se jeter dans l’océan Atlantique. C’est le troisième plus grand fleuve en Amérique du Nord, après les fleuves Mackenzie et Mississipi, et le 17e plus long au monde. Il reçoit dans sa portion québécoise environ 350 affluents, ce qui le classe au 13e rang mondial quant à la superficie de son bassin versant. En plus d’alimenter les Québécois en eau pota471


L’état du Québec 2010

entre 300 et 500 mètres mais s’élève, en certains endroits, à plus de mille mètres au-dessus du niveau de la mer. Le mont D’Iberville, situé dans la chaîne des monts Torngat, est le plus élevé du Québec, à 1 652 mètres d’altitude. Les Québécois tirent de l’eau leur première source d’énergie et l’un des socles de leur économie : l’hydroélectricité. Fondée en 1944, la société HydroQuébec – qui devint monopole d’État lors de la nationalisation de 1963 – possède 83 centrales, dispersées aux quatre coins du territoire, qui fournissent plus des trois quarts (77,3 % en 2001) de leur électricité aux Québécois. L’électricité est la première forme d’énergie consommée (39,5 % en 2005), suivie du pétrole (39,3 %), du gaz naturel (11,6 %), de la biomasse (8,7 %) et du charbon (0,9 %). Le Québec a produit 212,7 milliards de kilowatt heures (kWh) en 2005. L’électricité québécoise est l’une des moins onéreuses qui soient : 6,4 cents le kWh pour un ménage montréalais en 2005, contre 11,4 cents aux États-Unis. En 2005, près de 79 % des exportations d’hydroélectricité étaient destinées aux États-Unis. ... et de forêts La forêt s’étend sur 761 100 km2 ; elle recouvre donc près de la moitié de la superficie du Québec et représente 2 % des forêts mondiales. Au nord, dans la forêt boréale de conifères, qui couvre près des trois quarts du territoire boisé, poussent des sapins baumiers, des pins 472

gris et des épinettes. On y aperçoit quelques feuillus, comme le bouleau à papier et deux essences de peuplier. Au sud, la forêt offre un paysage de feuillus : bouleau jaune, chêne, tilleul, ainsi que le populaire érable à sucre, l’emblème canadien dont on tire le sirop d’érable. La faune est extrêmement diversifiée : ombles de fontaine, faucons pèlerins, tortues des bois, salamandres pourpres, lynx, etc. On dénombre environ 25 000 espèces d’insectes et 653 espèces animales ; 76 espèces animales seraient menacées par la chasse abusive et la pollution causée par l’homme. On compte au Québec 7 000 espèces de plantes et 1 500 sortes de champignons. Le cinquième de cette flore abondante est aujourd’hui en voie d’extinction à cause des activités humaines. Le gouvernement a mis en place des lois et des statuts juridiques pour protéger les écosystèmes, les aires forestières, les rivières et les refuges d’oiseaux. Le réseau des parcs nationaux du


Le Québec en un coup d’œil

Québec compte actuellement 22 territoires et couvre une superficie de plus de 6 404 km2. Le parc marin du Saguenay – Saint-Laurent est quant à lui géré conjointement par les gouvernements du Canada et du Québec.

population La population du Québec se chiffre en 2009 à 7 788 800 habitants. De 2006 à 2007, la population a augmenté de 52 800 âmes. Le Québec occupe le second rang au Canada pour sa population, après l’Onun sol riche en minerais tario. Il représente 23,4 % de la populaVers 1920, le Québec a aussi connu sa tion canadienne, un pourcentage qui ne « ruée vers l’or », dans la région de l’Abi- cesse de décroître. Le taux quinquennal tibi-Témiscamingue, riche en minerais de croissance de la population qué de toutes sortes. Le Québec abrite dans bécoise pour la période 2001-2006 était ses sous-sols d’abondants gisements de 3,4 %, alors que le taux canadien était d’or, de fer, de cuivre et de nickel. de 5,2 %. Argent, amiante, titane et zinc sont également exploités en Abitibi-Témiscamingue, au Saguenay–Lac-Saint-Jean et dans le Grand Nord. habitants Avec 30 mines ouvertes à l’exploitaEn 2006, l’indice de fécondité était de tion, le potentiel minéral québécois reste sous-exploité. On estime à 40 % la part 1,62. La femme a une espérance de vie des ressources du sous-sol qui est plus longue (83 ans) que l’homme connue. Le Québec est le deuxième pro- (78 ans). Le Québec compte 96 600 femducteur d’or, de fer, de minéraux indus- mes (3 898 700) de plus que d’hommes triels et de matériaux de construction (3 802 100). L’âge moyen de la populaau Canada. Il se classe au deuxième tion est de 40,1 ans, 16,0 % de la popurang mondial pour la production de lation ayant moins de 15 ans, 69,7 % niobium (principalement utilisé dans la étant âgée de 15 à 64 ans, et 14,4 % ayant 65 ans et plus. tuyauterie). Le Québec dispose d’abondantes ressources hydrauliques et géologiques, 1 138 municipalités mais moins de 2 % de ses terres sont Le Québec est divisé depuis le 30 juillet fertiles. Les terres agricoles n’occupent 1997 en 17 régions administratives à qu’une superficie de 33 514 km 2, que l’intérieur desquelles le territoire est l’urbanisation croissante tend à res- subdivisé d’abord en municipalités treindre. Les nombreux reliefs acciden- régionales de comté (MRC), au nombre tés sont également peu propices à de 104, définies comme des « institutions supramunicipales qui regroupent l’agriculture.

7 788 800

473


L’état du Québec 2010

l’ensemble des municipalités urbaines et locales d’une même région d’appartenance » ; et en municipalités dont le nombre s’élève à 1 138. principales villes (nombre d’habitants) : Montréal 1 636 400 Québec 500 700 Laval 381 700 gatineau 251 300 Longueuil 233 000

Autrefois terre d’accueil pour les Européens (Irlandais, Juifs d’Europe de l’Est, Italiens, Portugais, Grecs...), le Québec a accueilli, depuis les années 70, des immigrants d’origines plus diversifiées. En 2006, le Québec a accueilli 44 686 nouveaux arrivants, qui provenaient d’Afrique (29,8 %), d’Asie (29,5 %), d’Europe (20,3 %) et d’Amérique (20,2 %). La population autochtone compte 81 455 individus, ce qui représente environ 1 % de la population du Québec. Elle comprend 10 nations amérindiennes et la nation inuite, réparties dans 55 communautés. Les Inuit habitent le Grand Nord québécois (au-delà du 55e parallèle) et le Nunavik. Les Amérindiens appartiennent à deux familles linguistiques et culturelles : algonquienne et iroquoïenne. Les Iroquois, qui regroupent deux nations, les Hurons-Wendat et les Mohawks, occupent la plaine fertile du Saint-Laurent en région de Montréal. Enfin, les Algonquiens peuplent la forêt boréale, d’ouest en est, depuis la baie James jusqu’à la pointe de 474

la Gaspésie. La famille algonquienne regroupe huit nations : les Abénaquis, les Algonquins, les Atikameks, les Cris, les Innus (Montagnais), les Malécites, les Micmacs et les Naskapis. Les cinq principales religions au Québec sont le catholicisme (près de six millions de baptisés), le protestantisme (335 590), l’islam (108 620), la religion orthodoxe (100 370) et le judaïsme (89 915). Le revenu personnel disponible par habitant s’élevait à 23 268 $ en 2006. Le système politique Le Québec est une démocratie parlementaire – un système politique directement inspiré du régime parlementaire britannique – comme toutes les provinces canadiennes qui disposent d’une assemblée législative et y font adopter leurs lois. Un « gouvernement responsable », composé d’élus du parti majoritaire, est formé après les élections générales et répond directement au parlement (Assemblée nationale) selon le principe de la responsabilité ministérielle. compétences constitutionnelles Le gouvernement du Québec possède de nombreux champs de pouvoir définis par la constitution canadienne, notamment l’éducation, les services sociaux et les municipalités. Mais la défense, la monnaie et les affaires étrangères – entendues ici dans leur dimension strictement diplomatique – relèvent du gouvernement fédéral canadien.


Le Québec en un coup d’œil

Le système électoral Le système électoral est le même qu’en Grande-Bretagne et dans le reste du Canada : uninominal majoritaire à un tour. Dans chacune des circonscriptions, le candidat ayant reçu le plus de votes, même s’il ne dispose que d’une majorité simple, devient le député de ladite circonscription. Ce système pouvant occasionner des distorsions importantes entre le pourcentage du vote obtenu par un parti et sa représentation parlementaire, l’idée d’une réforme électorale, intégrant des éléments de proportionnelle, plane depuis de nombreuses années au Québec. Aux élections générales du 26 mars 2007, le Parti libéral du Québec a récolté 33,08 % des suffrages et obtenu 48 sièges, ce qui lui a permis de former le gouvernement (minoritaire) sous la direction du premier ministre Jean Charest. L’Action démocratique du Québec a obtenu 30,4 % des votes et fait élire 41 députés pour former, sous la direction de Mario Dumont, l’opposition officielle. Avec 28,35 % du vote, le Parti québécois, alors dirigé par André Boisclair, a fait élire 36 députés. Suite à la démission d’André Boisclair, Pauline Marois est devenue la première femme élue à la tête de ce parti. Le taux de participation, en baisse dramatique depuis 1998, s’est établi à 71,23 %.

Le législatif : Il est exercé par les 125 députés élus constitutifs de l’Assemblée nationale. Ces élus représentent chacun une circonscription. Leur rôle principal est de recevoir et d’étudier les projets de loi, de les amender, de les rejeter ou de les adopter à l’Assemblée nationale (jusqu’à 1968 : « Assemblée législative »). Le représentant de la reine, théoriquement le chef de l’État québécois, qui règne sans gouverner, le lieutenant-gouverneur (l’honorable Pierre Duchesne), doit sanctionner les lois. Le parlement québécois a vu le jour en 1791 à la suite de l’adoption, par le Parlement britannique, de l’Acte constitutionnel de 1791. La première scéance de la « Chambre d’assemblée du BasCanada a eu lieu le 17 décembre 1792, ce qui en fait le plus vieux du monde après celui de Grande-Bretagne.

L’exécutif : Le gouvernement exerce le pouvoir exécutif. Le premier ministre est le chef du gouvernement. Il nomme les membres de son conseil des ministres : ministres titulaires, d’État ou délégués, élus au suffrage universel et donc d’abord députés (sauf rares exceptions). Ensemble, ils forment le conseil exécutif. Ils occupent leurs fonctions pour un mandat maximal de cinq ans. Le chef dont le parti obtient le plus grand nombre de députés devient premier ministre. Le conseil exécutif administre l’État en conformité avec les lois adoptées à l’AsDivision des pouvoirs L’État québécois est divisé en trois pou- semblée nationale. C’est, en général, le conseil exécutif qui présente des projets voirs : législatif, exécutif et judiciaire. 475


L’état du Québec 2010

de loi pour adoption. C’est lui qui adopte les règlements. Le parti qui obtient le plus de sièges après le gouvernement forme l’Opposition officielle. Le chef de ce parti devient le chef de l’Opposition officielle à l’Assemblée nationale. L’administration de l’État relève d’une vingtaine de ministères (chiffre variable) qui assument la base de l’organisation gouvernementale (Santé, Éducation, etc.). Certaines fonctions administratives sont déléguées à près de 175 organismes autonomes et publics : sociétés (p. ex. : Société des alcools), conseils (Conseil du statut de la femme), offices (Office de la langue française), comités (Comité de révision de l’Aide juridique), tribunaux administratifs, etc. Ils demeurent sous la responsabilité des ministères. Les municipalités jouissent de certains pouvoirs qui leur sont dévolus par le gouvernement provincial. Elles possèdent des champs de compétence dans lesquels elles peuvent intervenir à l’échelle locale : finances, loisirs, salubrité publique, etc. Les municipalités sont gérées par un conseil dont les membres sont aussi élus au suffrage universel. Ce régime municipal existe depuis 1855 (Acte des municipalités et des chemins du Bas-Canada). Le judiciaire : La justice est indépendante des pouvoirs législatif et exécutif, même si certaines décisions la concernant (nomination des juges) impliquent le gouvernement. La justice québécoise 476

doit cohabiter avec la justice canadienne (qui a par exemple préséance en droit criminel). Le système judiciaire québécois est divisé en quatre échelons où chacune des cours a sa propre juridiction. Les cours municipales ont une compétence limitée en matière civile notamment pour des questions de réclamations de taxes et pour des infractions aux règlements municipaux. La Cour du Québec est le plus vaste tribunal du Québec qui a compétence en matière civile, criminelle et pénale. Elle est composée de trois chambres. La chambre civile comprend la Cour des petites créances qui tranche pour des litiges impliquant un petit montant. La chambre criminelle et pénale entend toutes les causes qui relèvent du Code criminel et du Code de procédure pénale. Enfin, la Chambre de la jeunesse traite des poursuites criminelles et pénales qui impliquent les mineurs. La Cour supérieure a pour première fonction de rendre jugement dans les causes où la somme en litige est d’au moins 70 000 $, dans les questions familiales comme le divorce, la pension alimentaire et la garde des enfants et les demandes de recours collectifs. Du point de vue législatif, la Cour supérieure a pour tâche de surveiller et de présider aux réformes sur les tribunaux qui relèvent de la Législature du Québec. Elle a aussi le pouvoir d’émettre des injonctions afin de faire cesser une activité préjudiciable. Du point de


Le Québec en un coup d’œil

vue criminel, la Cour supérieure est le tribunal de première instance. Elle entend aussi les recours extraordinaires, notamment celui de détention illégale. La Cour supérieure est également le tribunal d’appel qui entend les appels des décisions rendues par les autres tribunaux du Québec, en matière criminelle, pénale et administrative. Enfin, la Cour suprême du Canada est le tribunal de dernière instance qui a le pouvoir de trancher sans appel sur des causes criminelles, civiles ou constitutionnelles qui ont été entendues au Québec et ailleurs au pays. L’éducation et la santé Tous les enfants sont tenus de fréquenter l’école dès l’âge de 6 ans, et ce, jusqu’à 16 ans. Il y a cinq niveaux d’enseignement : pré scolaire, primaire, secondaire, collégial et universitaire. L’instruction, publique ou privée, est offerte en anglais et en français. Les écoles publiques sont administrées par des commissions scolaires qui relèvent du ministère de l’Éducation. Ces commissions existent depuis 1845. Ceux qui les dirigent sont des élus. Le réseau de la santé, qui est public et d’accès universel, est géré par le ministère de la Santé et des Services sociaux, et ses agences dispersées dans les 17 régions administratives. repères historiques Province à l’intérieur d’une fédération, qui aime néanmoins à se voir comme

une nation, le Québec comme entité politique existe depuis la Confédération canadienne de 1867. Mais ses racines historiques plongent plus loin : la colonisation française de la vallée du SaintLaurent a commencé au début du xviie siècle. La composante autochtone de l’identité québécoise, quant à elle, plonge ses racines dans des millénaires de présence sur le continent. Contrairement à une vision communément répandue qui fait commencer le Québec moderne en 1960, avec la Révolution tranquille, la modernisation du Québec, qui s’est sans doute accélérée à partir des années 60, a connu de très nombreux antécédents tout au long du xxe siècle. L’histoire du Québec – dont on trouvera ci-dessous quelques jalons chronologiques essentiels – peut se lire comme la recherche incessante, par un petit peuple du Nouveau Monde, de sa définition, des conditions de sa survie et de son progrès, dans un contexte culturel et politique difficile, voire hostile, après la conquête de 1760 et la cession par la France à l’Empire britannique des terres de la Nouvelle-France, dans un continent désormais anglosaxon. La colonisation française, la conquête anglaise de 1760, les rébellions de 1837-1838, la Confédération canadienne, les référendums, les lois linguistiques, l’ouverture sur le monde : autant de jalons compréhensibles uniquement pour qui garde en mémoire cette clé d’interprétation. 477


chronologie 8000 av. J.-C. • Arrivée des premières peuplades autochtones sur le territoire actuel du Québec. Vers 1390 • Fondation de la Confédération iroquoise par Dekanawidah et son assistant Hiawatha unissant les Cinq nations iroquoises (Mohawks, Senecas, Onondagas, Cayugas, Oneidas). 1534 • Jacques Cartier, de Saint-Malo, accoste dans la baie de Gaspé. Au nom de François Ier, roi de France, il prend possession de ce territoire qui s’appellera le Canada.

1608 • Samuel de Champlain arrive aux abords d’un site escarpé que les Amérindiens appellent « Kébec ». Il fonde sur ce site une ville du même nom (Québec). Il est par la suite nommé lieutenantgénéral de la Nouvelle-France (1612). 1625 • Arrivée des premiers jésuites. 1639 • Fondation à Québec du couvent des Ursulines par Marie Guyart (mère Marie de l’Incarnation), et de l’HôtelDieu de Québec. 1642 • Paul de Chomedey, sieur de Maisonneuve, fonde Ville-Marie (Montréal). 1689-1697 • Première guerre intercoloniale (Français contre Anglais). 1701 • Le gouverneur de Callières met fin aux guerres franco-amérindiennes. Il signe la Grande Paix de Montréal avec les Iroquois et une quarantaine d’autres nations alliées des Français. 1701-1713 • Deuxième guerre intercoloniale. La France perd l’Acadie. 1718 • Érection de la forteresse de Louisbourg pour défendre la NouvelleFrance. 1744-1748 • Troisième guerre intercoloniale.

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Le Québec en un coup d’œil

1748 • Fin de la guerre entre les colonies (traité d’Aix-la-Chapelle).

1799 • L’anglais est déclaré langue officielle du Bas-Canada.

1754-1760 • Quatrième guerre intercoloniale.

1817 • La Banque de Montréal est la première banque canadienne.

1759 • Siège de Québec et bataille des plaines d’Abraham. Les troupes françaises du général Montcalm sont défaites par le général Wolfe et l’armée britannique.

1834 • Ludger Duvernay fonde la Société Saint-Jean-Baptiste, vouée à la cause des « Canadiens » et des patriotes. Le Parti patriote fait adopter 92 résolutions à l’Assemblée du Bas-Canada, pour réclamer les mêmes privilèges que le Parlement britannique.

1760 • L’armée britannique prend possession de Montréal. Capitulation de la Nouvelle-France et de Montréal. Établissement d’un régime militaire.

1837-1838 • Londres refuse les 92 résolutions. Agitation dans le Bas-Canada. Déclarés rebelles, les patriotes, avec à 1763 • Proclamation royale : le roi leur tête Louis-Joseph Papineau, se de France, par le traité de Paris, cède soulèvent. Douze patriotes sont pendus le Canada au royaume de Grande- à Montréal, de nombreux autres forcés Bretagne. La province de Québec est à l’exil et des villages sont détruits. soumise aux lois d’Angleterre. 1839 • Publication du rapport Durham. 1774 • Le Parlement de Londres, par 1840 • L’Acte d’Union réunit les provinl’Acte de Québec, reconnaît le droit civil ces du Haut et du Bas-Canada. français (tout en gardant le droit criminel britannique), la religion catholique 1852 • Fondation de l’Université Laval, première université francophone et et le régime seigneurial. catholique en Amérique. 1791 • L’Acte constitutionnel divise 1867 • L’Acte de l’Amérique du Nord le Canada en deux provinces : le britannique réunit les colonies du Haut-Canada (Ontario), à majorité Canada (l’Ontario et le Québec), de la anglophone, et le Bas-Canada (Québec), Nouvelle-Écosse et du Nouveauà majorité francophone. Débuts du Brunswick pour créer le Dominion du parlementarisme britannique. Canada. C’est le début de la Confédéra1792 • Premier Parlement du Bas- tion canadienne. Pierre-Joseph-Olivier Canada et premières élections. Deux Chauveau, un conservateur, devient partis s’affrontent : les « Tories », surtout le premier premier ministre de la noudes marchands et des nobles anglais, velle province de Québec, et John A. et les « Canadiens », qui sont franco- MacDonald, un conservateur, premier phones. premier ministre du Canada. 479


L’état du Québec 2010

1897 • Wilfrid Laurier, premier premier ministre francophone du Canada. 1900 • Alphonse Desjardins fonde la première caisse populaire à Lévis. 1907 • À Québec, le gouvernement Gouin crée l’École des hautes études commerciales (HEC). 1909 • Fondation du club de hockey Canadien. 1910 • Fondation du journal Le Devoir par Henri Bourassa, un nationaliste canadien. 1912 • Premier Congrès de la langue française. 1917 • Crise de la Conscription. Résistance des Canadiens français à l’enrôlement forcé. 1918 • Les femmes obtiennent le droit de vote au niveau fédéral. 1919 • Fondation, au Monument national à Montréal, du Congrès juif canadien. 1920 • Fondation de l’Université de Montréal.

Québec (battu en 1939, puis régulièrement réélu de 1944 à 1960). 1937 • « Loi du cadenas », adoptée sous Maurice Duplessis, qui interdit l’utilisation d’une maison « pour propager le communisme ou le bolchévisme ». 1940 • Droit de vote pour les femmes aux élections québécoises ; création par Ottawa de l’assurance-chômage. 1942 • Plébiscite sur la conscription, approuvée par les deux tiers des Canadiens-anglais mais rejetée par 73 % des Québécois ; accords fiscaux cédant à Ottawa le pouvoir d’imposition. 1943 • Loi sur l’instruction obligatoire des enfants. 1944 • Création d’Hydro-Québec. 1945 • Loi sur l’électrification rurale. 1948 • Paul-Émile Borduas, à la tête des automatistes rebelles, écrit son manifeste Refus global. Adoption du drapeau du Québec.

1949 • Grève de l’amiante. La Cour suprême du Canada devient la der1922 • Inauguration de la première nière instance d’appel au Canada après radio de langue française, CKAC (mise l’abolition du droit d’appel au Comité en ondes par le quotidien La Presse ; en judiciaire du Conseil privé de Londres. 1919, Marconi avait mis en ondes une 1952 • Première station de télévision station de langue anglaise, CJAD). au Québec, CBFT (Radio-Canada),

1931 • Statut de Westminster qui consa- Montréal. cre la pleine indépendance du Canada. 1955 • Émeute au Forum de Mont1934 • Création de la Banque du Canada. réal à la suite de la suspension du hoc1936 • Maurice Duplessis fonde l’Union keyeur Maurice Richard. nationale, un parti réformiste et natio- 1959 • Inauguration de la Voie maritime naliste. Il devient premier ministre du du Saint-Laurent. 480


Le Québec en un coup d’œil

1963 • Apparition du mouvement terroriste Front de libération du Québec (FLQ) . Création par Ottawa de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme (Laurendeau-Dunton). 1964 • Loi qui met fin à l’incapacité juridique des femmes mariées. 1966 • Daniel Johnson (UN) premier ministre. Inauguration du métro de Montréal.

Jean Lesage

1960 • Début de la Révolution tranquille, après 16 ans d’un régime duplessiste plus conservateur que réformiste (la période a été qualifiée de « Grande Noirceur »). L’élection du gouvernement libéral de Jean Lesage inaugure une période de modernisation accélérée de la société québécoise et de son économie : création d’entreprises publiques, nationalisation de l’électricité (1963), création du ministère de l’Éducation (1964), du ministère des Affaires culturelles (1961), assurancehospitalisation (1960), création de la Caisse de dépôt et placement du Québec (1965) et de la Société générale de financement, ouverture des premières délégations du Québec à l’étranger. 1961 • Première femme élue à l’Assemblée législative du Québec, Claire Kirkland Casgrain, candidate libérale dans Jacques-Cartier.

1967 • Montréal accueille l’exposition universelle ; visite du général De Gaulle : « Vive le Québec libre ! ». États généraux du Canada français. Création de la Bibliothèque nationale. 1968 • Fondation du Parti québécois, produit de la fusion du RIN (Rassemblement pour l’indépendance nationale, fondé en 1960 par André D’Allemagne et présidé par Pierre Bourgault) et du MSA (Mouvement souveraineté-association). Chef : René Lévesque. Parachèvement du barrage de la centrale hydroélectrique Manic 5. Décès de D. Johnson, J.-J. Bertrand lui succède. Instauration du mariage civil. Commission Gendron sur la situation de la langue française. L’assemblée législative du Québec devient l’Assemblée nationale. Fondation de l’Université du Québec. 1969 • Manifestation pour un McGill français ; adoption à Ottawa de la Loi sur les langues officielles du Canada. Émeute à Saint-Léonard en opposition au projet de loi 63 sur l’inscription à 481


L’état du Québec 2010

1975 • Adoption de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, à 1970 • Le libéral Robert Bourassa l’Assemblée nationale. Création de devient premier ministre. Crise d’Oc- Radio-Québec, qui deviendra TéléQuébec en 1996. Signature de la Contobre. Des membres du Front de libéravention de la Baie James et du Nord tion du Québec (FLQ) enlèvent un québécois avec les Cris, les Inuit et les diplomate britannique et assassinent le Naskapis. ministre du Travail, Pierre Laporte. Pierre Elliott Trudeau, premier ministre 1976 • René Lévesque remporte les du Canada, applique la Loi sur les mesu- élections à la tête du Parti québéres de guerre (suspension des libertés cois. Montréal accueille les Jeux de la xxie olympiade. l’école française pour les enfants d’immigrants.

1977 • Adoption de la Charte de la langue française (loi 101). 1980 • 60 % des Québécois rejettent le projet de « souveraineté-association », lors d’un référendum. Une loi fédérale consacre le « Ô Canada » comme hymne national du Canada.

Crise d’Octobre

civiles). L’armée canadienne est dépêchée au Québec. Assurance maladie ; Agence de coopération culturelle et technique (ancêtre de l’Organisation internationale de la Francophonie).

1982 • Nouvelle constitution canadienne, adoptée sans l’accord de l’Assemblée nationale du Québec. Selon la Cour suprême du Canada, le Québec ne jouit d’aucun droit de veto. 1983 • Création du Fonds de solidarité des travailleurs du Québec. 1985 • Retour au pouvoir de Robert Bourassa, libéral.

1987 • Accord du lac Meech (négo1972 • Grève du Front commun syndical ciations constitutionnelles) pour réintédu secteur public ; emprisonnement des grer le Québec dans la Constitution chefs syndicaux. canadienne. Signature des 11 premiers 1974 • Le français devient la langue ministres du Canada et des provinces. Mais l’accord ne sera pas ratifié. officielle du Québec (loi 22). 482


Le Québec en un coup d’œil

1988 • Les clauses sur l’affichage unilin- 1995 • Pour la deuxième fois de son gue français de la loi 101 sont jugées histoire, le Québec, par voie référeninconstitutionnelles par la Cour suprême daire, refuse la souveraineté politique : du Canada. La loi 178 maintient l’affi- 49,4 % de OUI, 50,6 % de NON. chage commercial unilingue. 1996 • Lucien Bouchard (PQ), pre1989 • Entrée en vigueur de l’Accord de mier ministre ; réélu en 1998. Déluge au libre-échange (ALE) Canada-États- Saguenay. 1998 • Grand Verglas. DéconfessionnaUnis. lisation du système scolaire par la créa1990 • Échec de l’Accord du lac Meech. tion de commissions scolaires linguisCommission Bélanger-Campeau sur tiques. Renvoi de la Cour suprême du l’avenir politique et constitutionnel du Canada sur la sécession, reconnaissant Québec. Crise d’Oka : affrontement entre citoyens blancs et mohawks sur la légitimité du mouvement souverainiste. Il n’existe pas de droit à la sécesune question territoriale. sion dans la Constitution, mais avec une 1991 • Adoption du rapport Allaire question claire et une majorité claire par le Parti libéral du Québec : on y lors d’un référendum sur la sécession du recommande un transfert massif de Québec, le reste du Canada aura l’oblipouvoirs aux provinces, et en particu- gation de négocier. lier au Québec ou, à défaut, la souverai2000 • Sanction de la loi fédérale sur la neté du Québec. clarté, découlant du renvoi de la Cour 1992 • Accord de Charlottetown (négo- suprême de 1998, imposant des condiciations constitutionnelles). Lors d’un tions pour que le Parlement fédéral référendum pan-canadien, 57 % des prenne en compte les résultats d’un Québécois et 54 % des Canadiens rejet- référendum sur la souveraineté (loi tent l’entente. C-20) ; en riposte, adoption à l’Assem1993 • Adoption de la loi 86 permettant blée nationale de la Loi sur l’exercice l’affichage bilingue avec prédominance des droits fondamentaux et les prérodu français. Le Bloc québécois, parti gatives du peuple québécois et de l’État souverainiste, avec à sa tête Lucien du Québec (loi 99). Fusions municipaBouchard, forme l’« opposition offi- les, notamment des 29 municipalités de l’île de Montréal. cielle » à Ottawa. 2001 • Bernard Landry (PQ) succède 1994 • Jacques Parizeau (PQ) est élu à Lucien Bouchard comme premier premier ministre du Québec. Entrée en ministre. vigueur de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) Canada- 2003 • Sous la gouverne de Jean Charest, retour du Parti libéral au pouvoir. États-Unis-Mexique. 483


L’état du Québec 2010

Québécois sont reconnus comme formant une nation par la Chambre des communes du Parlement du Canada. 2007 • Élection d’un gouvernement minoritaire libéral à Québec. L’action démocratique du Québec devient l’opposition officielle et met fin à l’alternance entre libéraux et péquistes qui dure depuis 30 ans. Pauline Marois devient la septième chef du Parti quéLe premier ministre Jean Charest bécois, et la première femme élue à la 2004 • Éclatement du scandale des tête de ce parti. Elle succède à André commandites (portant sur l’utilisation Boisclair, qui a démissionné après un de fonds publics pour la promotion du peu plus d’un an à la présidence du PQ. Canada au Québec). Le mariage gai 2008 • Deuxième gouvernement condéclaré légal au Québec. Élection d’un ser vateur minoritaire consécutif élu au gouvernement libéral minoritaire au Canada sous la direction de Stephen fédéral sous la direction de Paul Martin. Harper. Moins de deux ans après la dernière 2005 • Grève étudiante sans précédent contre la réduction de l’aide financière élection générale, le premier ministre aux études. Bernard Landry quitte la libéral minoritaire Jean Charest déclenprésidence du Parti québécois. Inaugu- che des élections. Les libéraux sont réération à Montréal de la Grande Biblio- lus et forment un gouvernement majothèque. André Boisclair devient le ritaire. C’est la première fois depuis les sixième chef de l’histoire du Parti qué- années 50 qu’un parti remporte un troibécois. Il succède à Bernard Landry, qui sième mandat consécutif. Québec solidaire fait son entrée à l’Assemblée natioa démissionné six mois plus tôt. 2006 • Élection d’un gouvernement nale en faisant élire l’un de ses deux conservateur minoritaire au fédéral porte-parole, Amir Khadir, dans le sous la direction de Stephen Harper. Un comté de Mercier. nouveau parti, Québec solidaire, est créé le 4 février 2006 à Montréal. Fondé sur les valeurs de l’écologie, du féminisme et du bien commun, il est né de la fusion du mouvement politique Option citoyenne et du parti politique Union des forces progressistes. Les

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2009 • Après avoir perdu 34 sièges lors de l’élection générale de 2008, le chef fondateur de l’ADQ, Mario Dumont, démissionne. Gilles Taillon remporte la course à la chefferie, mais démissionne à son tour un mois plus tard. Gérard Deltell est alors nommé chef de l’ADQ.


Devise et emblèmes

Je me souviens C’est en 1883 que l’architecte et sousministre des Terres de la Couronne Eugène-Étienne Taché fait graver, sur la porte en pierre du Palais législatif de Québec, la devise « Je me souviens ». En 1939, elle est officiellement inscrite sur les nouvelles armoiries. L’architecte Taché a voulu rendre hommage à tous les pionniers du Québec en rassemblant, sur la façade de l’hôtel du Parlement, des figurines de bronze qui représentent les Amérindiens, les Français et les Britanniques. On y trouve représentés les premiers moments de la NouvelleFrance, avec les explorateurs, les missionnaires, les administrateurs, les généraux, les chefs, etc. Taché a aussi fait inscrire, au bas de l’œuvre, la nouvelle devise.

armoiries Les armoiries du Québec reflètent les différentes époques du Québec. Elles sont décorées de fleurs de lis or sur fond bleu pour souligner l’origine française de la nation québécoise, d’un léopard or sur fond rouge pour mettre en évidence l’héritage britannique, et de feuilles d’érable pour signaler l’appartenance du Québec au Canada. Drapeau Depuis le 21 janvier 1948, le drapeau officiel du Québec, le fleurdelisé, flotte sur la tour de l’Assemblée nationale. En hommage à la France, le drapeau représente quatre lis blancs sur autant de rectangles de fond azur. Une croix blanche, symbole de la foi chrétienne, les sépare. La fleur de lis est l’un des plus

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L’état du Québec 2010

anciens emblèmes au monde. Les Assyriens, quelque 3 000 ans avant notre ère, l’utilisaient déjà. La fleur de lis a aussi occupé une grande place dans l’ornementation en France. emblèmes L’iris versicolore a été désigné emblème floral du Québec à l’automne 1999. Le harfang des neiges, grand-duc blanc qui habite le nord du Québec, a été désigné emblème aviaire en 1987. Il évoque la blancheur des hivers québécois. Le bouleau jaune, ou merisier, est présent dans la sylviculture québécoise depuis les temps de la Nouvelle-France.

Hamelin, Jean (dir.). Histoire du Québec, SaintHyacinthe, Edisem, 1976. Institut de la statistique du Québec. Le Québec chiffres en main, édition 2008. En ligne : http ://www.stat.gouv.qc.ca/publications/referenc/qcmfr_pdf.htm

Sites internet

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références

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Secrétariat aux affaires autochtones, Profil des nations : www.autochtones.gouv.qc.ca/relations_autochtones/profils_nations/profil.htm Statistique Canada, Recensement 2001 et Recensement 2007 : www12.statcan.ca/francais/ census/index.cfm Union des municipalités du Québec : www.umq.qc.ca


index 24 heures, 335, 353, 356 A ABC Rive-Nord, 36, 56-57, 62-63 Abdallah, Robert, 49 Abitibi-Témiscamingue, 427430 Accommodement raisonnable, 11, 260 Accurso, Tony, 40, 48-49 Actes Sud, 327 Action démocratique du Québec, 12, 26, 27, 34, 40, 59, 242, 245-252, 254-257, 258-262, 434-435 Activité physique, 284 ADISQ, 323 Administration publique, 263282, 476, voir aussi Éthique publique Aéronautique, 200 Agenda 21, 113 Agence de la consommation en matière financière du Canada, 122 de l’efficacité énergétique, 102 de santé et de services sociaux de Montréal, 289, 293 des partenariats public-privé, 68, 71, 277-281, 286 spatiale canadienne, 32 Agriculture, 221, 223, 416 Agroalimentaire, 194 Alberta, 321 Alcool, 284 Algues bleu-vert, 221-222 Alimentation, 392-397 Aliments du Québec, 234 Allemagne, 234 Alliance de recherche universités-communautés, 18, 362

Alouettes, 25, 42 Alternatives, 379 Aluminium, 200 Angélil, René, 401 Anglophones, 211-218 Arcan, Nelly, 37, 330, 332 Arcand, Pierre, 57, 454 Archambault, Nico, 27 Ardisson, Thierry, 332 Armoirie, 485 Artériosclérose, 195 Arthur, André, 23 Arts, 311-332 Assathiany, Pascal, 328-329 Asselin, Robert, 436 Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, 423 Assemblée nationale du Québec, 11, 36, 63, 242-244, 258, 421422, 475-476 Association canadienne des journaux, 335 canadienne des radiodiffuseurs, 348-349 d’économie politique, 142 des banquiers canadiens, 122 des pathologistes du Québec, 287 française d’économie politique, 142 francophone pour le savoir – Acfas, 13, 15, 155-161 pour l’exportation du livre canadien, 329 ATD Quart Monde, 179 Aubut, Marcel, 30 Australie, 234-235 Autoroute, 278-279, 281 Avortement, 289

B Babin, Jacques, 154, Bachand, Raymond, 59 Bachelard, Gaston, 166 Baillargeon, Normand, 328 Baiocchi, Gianpaolo, 367 Balsillie, Jim, 401 Banque, 146, 148 Banque mondiale, 64, 233 Banque Nationale du Canada, 146-147 Barcelo, François, 332 Barrette, Gaétan, 285 Bastien, Robert, 182 BBMG, 232 Beauchamp, Line, 225 Beaulieu, Jean-Paul, 299 Bégin, Luc, 58, 60 Bégin, Steve, 399 Béliveau, Jean, 398 Béliveau, Richard, 18, 329 Bénévolat, 13, 362-363, 382-386 Bergeron, Richard, 37, 41, 406-412 Bergevin, Lise, 327, 330 Berlin, Isaiah, 446 Bernanke, Ben, 139 Bernier-English, Valérie, 194 Berthelot, Jean-Michel, 171 Bertrand, Jean-Guy, 48 Bérubé, Pierre, 291, 293 Betsiamites, 423 Bibliothèque publique, 317 Bioalimentaire, 194, 201 Bio Canada, 232 Bio Québec, 231 Biotechnologie, 196 Bipartisme, 258-262 Bisson, Claude, 57 Bissonnet, Michel, 407 Blainville (ville), 61 Blais, Isabelle, 31 Bloc Québécois (BQ), 23, 26, 256, 433-437, 438, 440

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L’état du Québec 2010 Blogue, 292, 358 Bolduc, Yves, 22, 285-289 Bordeleau, Christian, 12 Bouchard, Brigitte, 326-327, 330 Bouchard, Lucien, 324 Bouillon, Francis, 401 Boulet, Julie, 62, 280, 282 Boulianne, Manon, 186 Bourassa, Henri, 467 Bourassa, Robert, 420, 423 Bourdieu, Pierre, 351 Bourdon, Pierre, 328-329 Bourque, Pierre, 406, 409, 411 Bourse de Toronto, 459 Bourse du carbone, 226 Bourse Vanier, 163, 165 Bourses du millénaire, 162-163 BPR, 49 Bréard et Desroche (affaire), 51 Brésil, 454 Breton, Dominique, 291 Brisebois, Patrice, 401 British Press Council, 350 Brodeur, Martin, 30 Brouillet, Chrystine, 331 Buffett, Warren, 22 Bureau de la concurrence du Canada, 50, 235 de la consommation, 122-123 du surintendant des faillites, 121 Bureau, Marc, 408 Bush, George W., 22, 453 Bush, Vannevar, 359 Bute, Lucian, 30, 42 Buzzetti, Hélène, 12 C Caire, Éric, 242 Caisse de dépôt et placement du Québec, 28, 29, 30, 59-60, 141, 146, 261 Calgary Sun, 334 Cammalleri, Mike, 401 Canada, 69, 106, 113-114, 120, 129, 146, 162, 204, 226, 265-267, 284, 296-297, 312-316, 320, 357, 383-384, 431-465, voir aussi Harper, Stephen

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Canal D, 337 Canards Illimités Canada, 194 Cancer du sein, 195, 287-288 CanWest Global, 344, 434 Carbonneau, Guy, 29-30, 399-400 Carcassonne, Manuel, 331 Carle, Gilles, 42 Carle, Mathieu, 402 Carrière, Alain, 331 Carte de crédit, 120-122 Carte électorale, 242 Cartier, Jacques, 466 Cassius de Linval, Robert, 48-49 Catania, Frank et Paolo, 46-49 Cégep, 302-303 de Sherbrooke, 197 Centre(s) canadien d’architecture, 321 de coordination des mesures d’urgence de Montréal, 293 de santé et de services sociaux, 376 d’études sur les médias, 357, 359 francophone d’informatisation des organisations, 308 hospitalier universitaire de Québec, 279 interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie, 156 universitaire de santé de McGill, 71, 279, 285 hospitaliers universitaires de Montréal (CHUM), 68, 71, 278-281, 285-286 Centre de recherche de Montréal sur les inégalités sociales et les discriminations, 183 en astrophysique du Québec, 200 sur le bois (CRB), 202 sur le langage, l’esprit et le cerveau, 199 Centre-du-Québec, 127-128 Chagnon, André, 299 Chaires de recherche du Canada, 162 Chalk River (réacteur), 286-287

Changement climatique, 15, 101102, 197, 199, 227, 433 Charest, Jean, 12, 24, 27, 28, 35, 57-58, 63-64, 163, 242, 256, 258261, 277-278, 420, 423, 432-433, 435, 452 Charte québécoise des droits et libertés de la personne, 183 Chaudière-Appalaches, 127-128, 247, 250 Chavagneux, Christian, 137 Chemin du Roy, 467 Chen, Ying, 331 Chevrette, Guy, 75 Chiara, Vincent, 48 Chine, 229, 458 CHOI-FM, 349 Chômage, 11, 96, 297 Chrétien, Jean, 164, 432-433, 447 Chronologie, 477-484 CHSLD – Montérégie, 279 Cinéma, 318, 321, 324-325 CitiGroup, 146 Citoyens sans papiers, 184-185 Climat, 470 Climate Alliance, 227 Clinique médicale de l’Alternative, 289 Club de hockey Canadien, 22, 25, 29-30, 31, 33-34, 398-402 Coderre, Denis, 443 Collège des médecins, 289 Colombie-Britannique, 226, 321 Coalition des associations de consommateurs du Québec, 123 Code civil du Québec, 167 Collectif pour un Québec sans pauvreté, 179 Collusion et corruption, 11, 37-38, 40, 44, 45-50, 61, 65, 68-69, 77, 78-82, 131 Comeau, Paul-André, 153 Comité d’éthique de la recherche, 85 Comité olympique canadien, 30 Commissaire à l’éthique, 58 Commissaire au lobbyisme, 51-54, 62, 65


Index Commission Beauchamp (gestion de l’eau), 114 Bouchard-Taylor, 11, 24, 260 Coulombe, 224 de la protection du territoire agricole, 416 des aînés, 259 des champs de bataille nationaux, 28 Gomery, 437 Kent (quotidiens), 353, 359-360 mondiale sur l’environnement et le développement, 112 Commission scolaire, 261, 301 Compagnie minière, 457, 459460 Compteurs d’eau (affaire), 37, 45, 48-49, 69, 72 Concession A25, 278 Conférence de Copenhague, 225, 229-230 de Yalta, 229 des recteurs et des principaux des universités québécoises, 303 sur le devenir social et économique du Québec, 269 Conseil canadien des normes de la radiodiffusion, 348 de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, 334, 344-345, 349 de l’industrie forestière, 75 de presse du Québec, 346, 347348, 350 de recherche en sciences humaines du Canada, 18, 164-165 de recherche en sciences naturelles et en génie, 164 des appellations réservées et des termes valorisants, 231, 396 des arts de Montréal, 315 des Arts du Canada, 314-315 des arts et des lettres du Québec, 315, 322-323

national de recherches du Canada, 164 Conseil des ministres, 244 Conservatisme, 378 Consommation, 93-94, 99, 231240, 316, 387-391 Consortium canadien de recherches sur les médias, 357 Construction Louisbourg, 48 Contrat public, 68-73, voir aussi Partenariat public-privé Convention de la Baie James, 422 Cooper, David, 197 CooPère Rosemont, 209 Côte-Nord, 127-128 Côté, André C., 56 Côté, Joanie, 194 Couillard, Philippe, 22, 55-56, 60, 75 Coupe Dunsmore, 41 Grey, 25, 42 Vanier, 25 Cour du Québec, 476 supérieure, 476 suprême du Canada, 477 Courchesne, Michelle, 299-300, 302-303 Courtemanche, Gil, 330-331 Crédit, 121-124 Crédit d’impôt pour la rénovation domiciliaire, 99, 102 Crevier, Guy, 343 Crime d’honneur, 35 Crime organisé, 399, voir aussi Mafia Crise d’Octobre, 467 d’Oka, 468 économique, 12, 28, 91-150, 323, 354, 378 financière, 22, 105-108, 125, 135, 137, 139, 144, 147 Cross, James Richard, 467 Crowley, Brian Lee, 434 CTV, 344 Culture, 13, 279, 311-332

Culture scientifique, 161 Cuntrera-Caruana (famille), 48 D Dale, Richard, 137 D’Amour, Jean, 34, 62, 242 Dandenault, Mathieu, 401 Danse, 324 Dauphin, Claude, 407 David, Michel, 57 Déchets, 222, 380 Déclaration de Montréal, 227 Décrochage scolaire, 298-303 Déficit budgétaire, 12, 30, 36-37, 100 Deltell, Gérard, 262 Demers, Jacques, 36 Démocratie, 11-12, 18, 64, 71, 77, 80, 351, 365, 474 Démographie, 97-98, 117, 202218, 243-244, 276, 414-415, 417, 427-430, 473 Démosthène, Wisbens, 34 Denault, Anne-Marie, 12 Denis, André, 33 Dépenses électorales, 243 gouvernementales, 94, 152, 163, 268-271, 312-316, 379 Député, 242-244, 246, 258 Derome, Hélène, 328 Deschênes, Ulric, 348 Deschesnes, Richard, 50 Descôteaux, Bernard, 45-46 Dessau (firme), 48-49 Dette publique, 12, 100, 268, 271274 Développement durable, 109-115, 117 Devise, 485 Diamond, Jean-Paul, 243 Dickner, Nicolas, 331-332 Dion, Stéphane, 23, 26, 434, 440, 442, 445, 447 Directeur général des élections, 242 Di Stasio, Josée, 329 Distribution du nouveau monde, 327 Division des pouvoirs, 475-477

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L’état du Québec 2010 Doer, Gary, 454 Dolan, Xavier, 32, 324 Donolo, Peter, 447 Doré, Guy, 198 Dorta, Tomás, 190 Dorval, Anne, 32 Dostaler, Gilles, 142 Doyon, René, 200 Drainville, Bernard, 55 Drapeau, 485-486 Drouilly, Pierre, 11 Dubois, Charles, 200 Duceppe, Gilles, 436 Ducharme, Réjean, 330, 332 Dufour, Stéphan, 27 Duhaime, Gérard, 120 Dumont, Mario, 26, 242, 246, 251, 255, 257, 260, 345 Dupuis, Jacques, 37, 58 E Eau, 113-114, 220-221, 471 Eaux usées, 222 Échangeur Turcot, 279-282, 364 École nationale d’administration publique, 75 École de technologie supérieure, 198 École polytechnique de Montréal, 195, 196, 200 ÉcoLogo, 234 Économie, 93-98, 125-130, 131-135, 186-187 Écosystème, 201, 472 Éditions, voir aussi Leméac, Lux, Québec Amérique Allusifs, 326, 330 Alto, 326 Anne Carrière, 331 Boréal, 328-329 Courte Échelle, 328 Denoël, 331 de l’Homme, 328-329 Gallimard, 332 Grasset, 331 Héliotrope, 330 Seuil, 331-332 Edmonton Sun, 334 Éducation, 11, 142, 152, 295-310, 477

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Élections, 242-244, 245-252, 253257, 346, 406-412, 438, 475 Emblème, 486 Emploi, 96-97, 106, 125-130 Emploi-Québec, 376 Endettement, 119-124 Énergie, 197 Energy Star, 233-234 Enfant, 204-205 Engagement citoyen, 371, 382-386 Entente Sanarrutik, 422 Entreprise (responsabilité sociale), 456-465 Environnement, 194, 197, 199, 201, 219-240, 387 Épargne, 121, 144-148 Équipe Canada, 28 Équiterre, 228, 231 Espace hybride d’idéation, 190 Essence, 27-28 Estrie, 127-128 États-Unis, 75, 77, 86, 105, 123, 146-147, 160, 163, 226, 228-229, 234-235, 293, 320, 350, 353-354, 356, 454, 458, 461 Éthique publique, 43-89, 351, 387-391 Etcheverry, Sam, 36 Europe, 123, 129, 228, 234, 453, 458 Ex-Centris, 321 Exportations, 95-96, 327-329 Eysenbach, Gunther, 293 F Facebook, 12, 292-294, 346, 356, 358 Faillite, 121 Fair Trade, 233 Falardeau, Pierre, 38 Famille, 206-210 Fasken Martineau, 281 Faune, 472 Fédéralisme, 432-437, 474 Fédération des cégeps, 303 des médecins spécialistes, 285 des travailleurs du Québec, 48 Femme, 107-108, 188-189, 204, 206, 289, 296, 339, 384

Fernet, Myriam, 293 Festival international de jazz de Montréal, 323 international des films du monde de Montréal, 21 Juste pour rire, 323 Montréal en lumière, 395 Fillion, François, 451 Fillion, Martial, 48 Finances publiques, 11-12, 94, 99-104 Flaherty, Jim, 25, 28, 438, 442 Flammarion Québec, 329 Flore, 472 Fondation canadienne pour l’innovation (FCI), 162-163 Fondation d’art contemporain DHC/Art, 321 Fonds canadien de développement pour les changements climatiques, 162-163 de recherche sur la société et la culture, 180-192 de solidarité FTQ, 48, 401 des médias, 345 d’indemnisation, 149 d’intervention économique régional, 59, 60 québécois de la recherche sur la nature et les technologies, 193-202 Forest, Éric, 408 Forêt, 178, 201, 202, 223-224, 472 Forintek Canada Corp., 202 Fortin, Ariane, 26 Fourniau, Jean-Michel, 368 Fraise, 194 France, 140, 142, 226, 326-332, 420, 451-455 Francophonie, 451-455 Fraser, Sheila, 24 Fraude financière, 144-150 Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), 259 Front de libération du Québec (FLQ), 434, 467 FSC, 233


Index Fulford, Robert, 358 Fung, Archon, 367 G Gagné, Gilles, 249 Gagné, Lyne, 234 Gainey, Bob, 30, 399-401 Galbraith, James K., 142 Gallant, Nicole, 359 Gaspésia, 116 Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine, 116-118 Gastier, 48-49 Gastronomie, 395-397 Gatti, Arturo, 35 Gaucher, Marcel, 227 Gaudet, Louis-Frédéric, 329 Gaudet, Luc, 183 Gaudet, Stéphanie, 13 Gaz à effet de serre, 101-102, 118, 199, 223, 226-228, 234 Gélineau, Lucie, 154 Gendarmerie royale du Canada, 21, 46 Gendron, Corinne, 236 Gendron, François, 23-24 Gendron, Mathieu, 195 General Dynamics du Canada, 200 General Motors, 323 GENIeau, 37, 49 Génome Canada, 162-163 Génomique, 196 Gesca, 343 Giddens, 87 Gignac, Clément, 34 Gill, Hal, 401 Gillett, George, 31, 33, 401 Gingras, Yves, 153 Gionta, Brian, 401 Globe and Mail, 434, 444 Godbout, Jacques, 331-332 Gomez, Scott, 401 Gore, Al, 227 Goyette, Jacques, 408 Grand Prix de Montréal, 22, 42 Grande Bibliothèque, 317 Gratton, Nicole, 329 Greenberg, Phoebe, 321 Greenpeace, 231

Greenspan, Alan, 139 Greenwashing, 235 Grondin, Marc-André, 29 Groupe d’action sur la persévérance et la réussite scolaires, 298-300 de recherche sur les stratégies d’optimisation d’écosystèmes régionaux, 18 de travail sur la gouvernance des universités, 302 d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), 16 Groupe SM, 49 Guay, Richard, 28, 141 Guenat, Olivier, 196 Guilbeault, Steven, 228 Gutenberg, 306 H Halte routière, 278 Hamad, Sam, 57 Hamrlik, Roman, 399 Handicap visuel, 198 Hansen, Jeremy, 32 Haraszti, Miklós, 348 Harel, Louise, 33, 37, 41, 406-412 Harper, Stephen, 12, 23, 24, 26, 27, 163, 165, 256, 260, 323, 379, 432-434, 436, 438, 441-443, 446, 449, 456 Hayward, Vincent, 198 Hébert, Anne, 330 Hébert, Chantal, 454 HEC Montréal, 323 Hells Angels, 31 Higgins, Christopher, 399, 401 HLM, 179 Hockey junior, 28 Hodgson, Geoffrey M., 142 Homme, 204, 206-210, 296, 339, 384 Hôtel-Dieu de Montréal, 367 Hydroélectricité, 472 Hydro-Québec, 28, 32, 40, 272, 324, 421, 472

I Ibarzabal, Jacques, 201 Identité collective, 11, 396 Ignatieff, Michael, 27, 31, 436437, 442-443, 445-450 Imagine Canada, 362 Immigrant, 184-185, 214-216, 426, 474 Immostar inc., 278 Impact (L’), 29, 39 Importations, 95-96 Inde, 454, 458 Infrastructure Québec, 278 Infrastructure urbaine, 109-115 Initiative Place-O-Pères, 209 sur la nouvelle économie, 164 Innovation, 15, 180-192 Innus, 424 Institut(s) de développement durable des Premières Nations du Québec et du Labrador, 424 de recherche en santé du Canada, 164 du Nouveau Monde, 13-14 économique de Montréal, 75, 304 national de la rechercche scientifique (INRS), 197, 199 Vanier de la famille, 120, 123 Institution muséale et patrimoniale, 316-317 Internet, 12-13, 169, 306-310, 318, 324-325, 335, 340, 341-342, 345346, 355-359 Investissement responsable, 149 Investissements, 94-95, 113, 458 Isotopes médicaux, 286-287 J Janvier, Marie-Ange, 195 Jean, Michaëlle, 442, 452 Jérôme-Forget, Monique, 29, 30, 34, 141-142, 286 Jésuites, 466 Jonas, Hans, 87 Jones, Earl, 34, 132, 147 Journal de Montréal, 28, 334, 341-343, 354

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L’état du Québec 2010 Journal de Québec, 334, 342 Journal d’Ottawa, 353 Journalisme, 350-351, 358-359 Journées interrégionales sur la persévérance scolaire, 299 Joyandet, Alain, 451 Julien, Gilles, 299, 386 Juneau, André, 29 Juppé, Alain, 452 K KAIROS, 379 Khadir, Amir, 27, 242, 259 Kimmins, Sarah, 196 Klein, Naomi, 232 Koivu, Saku, 401 Kokis, Sergio, 331 Kostitsyn, Andrei et Sergei, 399 Kostopoulos, Tom, 401 Kovalev, Alex, 399, 401 Krugman, Paul, 139 L Lachance, Renaud, 24, 59, 62, 68, 278, 280-282 Labeaume, Régis, 39, 41, 408 Labonté, Benoît, 39, 132 Labrecque, Michel, 407 Lacroix, Vincent, 39, 132 Laferrière, Dany, 41, 331 Lafleur, Guy, 31, 398 Lafleur, Mark, 31 Lafon, Michel, 330 Lafrenière, David, 200 Lait, 201 Laliberté, Guy, 38 Lalonde, Robert, 332 Lambert, Phyllis, 321 Landry, Bernard, 58 Lang, Robert, 401 Langage, 199 Langlois, Daniel, 321-322 Langlois, Simon, 205, 249 Langue, 11, 211-218, 250, 402, 408-411 Lapierre, Maxim, 402 Laporte, Pierre, 467 La Presse, 48, 341, 343, 354, 399 Laraque, Georges, 402 La Romaine, 32

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Larouche, Jean-Marc, 153 Latendresse, Guillaume, 402 Laurentides, 251 Laval (ville), 222, 251, 408 Lavoie, Gilbert, 60 Layton, Jack, 439 LeBlanc, Dominic, 445 Leblanc, Louis, 402 LeBlanc, Patrice, 427-430 Le Devoir, 343, 356, 358, 467 Ledoux, Johanne, 329 LEED, 233, 236 Lefebvre, Pierre, 286 Legault, François, 59, 261 Legault, Normand, 22 Léger, Claude, 49 Léger Marketing, 218, 253 Leméac, 327, 330 Lesage, Jean, 467 Les Capitales, 36 Les Fraises de l’île d’Orléans, 194 Lévesque, René, 74 Lévesque, Yves, 408 Levine, David, 289 Lewandowski, René, 281 Librairie du Québec à Paris, 327 Librex, 329 Lisée, Jean-François, 242 Listériose, 21 Livre, 318-319, 326-332, 396 Lobbyisme, 51-54, 62, 65, 75 Logo, 231-240 Loiselle, Louise, 329 Longueuil, 408 Loto-Québec, 171 Lucas, Robert, 139 Lux Éditeur, 329 M Machiavel, 76, 450 Madoff, Bernard, 147 Mafia, 21, 46 Magazine, 336-337 Maillet, Antonine, 327, 330 Maison Oxygène, 210 Manley, Jim, 442 Mara, Paul, 401 Marceau, Dominic, 325 Marceau, Nicolas, 38

Marché privé, 68-73 Marie-Victorin (frère), 467 Marissal, Vincent, 57 Marois, Christian, 200 Marois, Pauline, 25, 242, 260261 Martin, Don, 434 Martin, Jacques, 401-402 Martin, Paul, 436-437 Matériaux, 200 Mauricie, 127-128 McAll, Christopher, 182 McKenna, Frank, 442 Mécénat, 320-325 Médias, 12-13, 77, 131, 152, 171-172, 290-294, 333-360 Ménard, Jacques, 298-300 Mermet, Daniel, 328 Métiers de pères, 209 Métro, 335, 353, 356 Métromédia Plus, 57 Milliken, Peter, 25 Minerais, 473 Ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, 201 de la Culture et des Communications, 336 de la Santé et des Services sociaux, 210, 375-376 de l’Éducation, du Loisir et de Sport, 301-302, 307 de l’Immigration et des Communautés culturelles, 426 des Ressources naturelles et de la Faune, 201 des Transports, 68, 69, 280 du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs, 222, 227 Mintzberg, Henry, 140 Miranda, Luis, 407 Miron, Gaston, 371 Mise au jeu, 183 Möbius, 232 Mode de vie, 381-402 Moen, Travis, 401 Molson (famille), 33-34, 401 Mondialisation, 117, 186-187, 424


Index Montérégie, 127-128, 223, 251 Montréal, 22, 37, 44-50, 64, 69, 72-73, 127-128, 213-218, 247, 251252, 279-282, 291, 335, 353, 356, 364, 367-369, 406-412 Montréal-Matin, 353 Morale, 131-135 Morenz, Howie, 398 Mount-Real, 147 Mountain Equipment Coop, 236 Mousseau, Normand, 18 Mouvement Desjardins, 146, 148 Mulcair, Thomas, 436 Mulroney, Brian, 432-434 Municipalité, 63, 66, 69, 72, 74, 109-115, 128, 242, 264, 314, 406418, 473-474 Murdochville, 116 Munyaneza, Désiré, 32 Musique, 324

OCDE, 100, 102 Office québécois de la langue française, 171 Olin, Nelly, 226 Ontario, 105, 284, 296-297, 312, 321 Opération Boucane, 223 Colisée, 21, 46 Marteau, 61 Sharqc, 31 Option Consommateurs, 231 Orchestre symphonique de Montréal, 279-280, 324 Organisation mondiale de la Santé, 293 Organisme génétiquement modifié, 387, 394 Outaouais, 251 Oxygen, 9, 51

N Nadeau, Bobby, 38 Nanotechnologie, 202 New Richmond, 116 New York Times, 350, 358 Noiville, Florence, 140 Nolin, Pierre Claude, 434 Norbourg, 147, voir aussi Lacroix, Vincent Nord-du-Québec, 421-422 Noreau, Pierre, 153 Normandeau, Nathalie, 422-424 Nouveau Parti démocratique, 23, 26, 434, 436, 438-440 Nouveaux médias, 340, 359, voir aussi Internet Nouvelle A30, 279 Nouvelles technologies de l’information et de la communication, 106, 117, 292, 306-310, 385 Novalait inc., 201 Noyer, Florence, 330

P Paire, Christian, 285 Paix des Braves, 422 Paradis, Christian, 24 Parisella, John, 454 Partage des compétences, 474 Partenariat public-privé, 12, 64, 66, 68-69, 71, 277-282, 286 Parti conservateur du Canada, 432, 434, 436 Parti libéral du Canada, 23, 26, 31-32, 162, 164, 434, 436-437, 438-440, 443, 445, voir aussi Dion, Stéphane; Ignatieff, Michael Parti libéral du Québec, 27, 34, 74, 242-262, 433, voir aussi Charest, Jean Parti politique, 11-12, 74-77, 81, 243-262, 367 Parti québécois, 27, 38, 59, 74, 242-262, 422, voir aussi Marois, Pauline Parti vert du Canada, 434, 438 Parti vert du Québec, 245, 248, 254 Participation citoyenne, 13, 364370 Participation électorale, 11, 13,

O Obama, Barack, 163, 229 Observatoire de la culture et des communications du Québec, 314, 316-317

41, 44, 242, 247, 257, 411 Pascal, Jean, 31, 33 Pasquin, Louis, 29 Patrimoine canadien, 316 Pauvreté, 183, 188-189 Payette, Julie, 35 PCAA, 144, 147 Pearson, Lester B., 446 Péladeau, Pierre Karl, 334 Pellerin, Doris, 201 Péréquation, 266-267 Perron, Jean, 399 Perron, Stéphane, 291 Pesticide, 223, 387 Petitclerc, Chantal, 22 Phoque, 32 Piault, Fabrice, 327 Picard, Ghislain, 423 Picard, Marc, 242 Picard, Raphaël, 423 Picard, Robert, 358 Pienitz, Reinhard, 199 Pilon, Benoît, 21, 30 Piotte, Jean-Marc, 12 Placements Culture, 322, 325 Plamondon, Louis, 25 Plan d’action économique du Canada, 113 Plan Nord, 419-425 Poirier, Alain, 299 Poisson, 194 Politique, 240-262, 378, 432-444 Politique de développement du Norddu-Québec, 422, 424 de la ruralité, 413-418 de reconnaissance et de soutien de l’action communautaire, 372-377 nationale de l’eau, 114 Population, 473, voir aussi Démographie Portus, 147 Poulin, Jacques, 24 Premières Nations, 179, 422-425, 468, 474 Presse quotidienne, 335-336, 341, 353-360 Price, Carey, 399, 402 Pricewaterhouse Coopers, 281

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L’état du Québec 2010 Print Measurement Bureau, 336 Pritchard, David, 348 Productions Feeling, 401 Produit biologique, 231-240 Produit intérieur brut, 11, 93-94, 100 Projet Montréal, 406-412 Prorogation, 441 Protocole de Kyoto, 227, 230 Proulx, Francis, 33 Provost, Yves, 49 Publicité, 335, 340, 341, 354, 356358 Q QMI (agence), 342-343 Québec (ville), 222, 247, 250, 408 Québec Amérique, 329 Québec Solidaire, 12, 27, 242243, 245, 248, 254, 261, voir aussi Khadir, Amir Quebecor, 334, 342, 401 R Racine, Guylaine, 184 Radio, 338-340 Radio-Canada, 56, 339, 344-345, 349-350 Rae, Bob, 445 Raffarin, Jean-Pierre, 451 RDDC (agence gouvernementale), 200 RDI, 337 RDS, 337, 355 Réalité virtuelle, 190-191 Recherche en partenariat, 174-179 et développement, 114 scientifique, 13, 16-19, 83-89, 150-202 universitaire, 162-166 Recyc-Québec, 221 Référendum, 468 Régie des rentes du Québec, 264 Régime d’épargne-actions, 99, 102 Régime québécois d’assurance parentale (RQAP), 276 Région, 116-118, 127-128, 186-187, 404-405, 426, 427-430

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Relais-Pères, 209 Religion, 11 Remstar, 345 Renfort (programme), 99, 102 Réseau québécois d’action communautaire autonome, 374 Réseau social, 12, 292-294 Réserve fédérale américaine, 139 Responsabilité sociale, 233 Restaurant, 393 Révolution tranquille, 467 Revenus gouvernementaux, 264-265 Richard, Maurice, 398 Riedl, Bernard, 202 Rimstead, Roxanne, 188 Riopelle, Jean-Paul, 25 Rive-Sud de Montréal, 251 Rivière Yamaska, 221 Rizzuto, Nicolo, 21, 46 Roberge, Luc, 330 Robitaille, Lyne, 342 Rocky Mountain News, 354 Rosanvallon, Pierre, 365 Rôtisserie St-Hubert, 323 Rouge et Or, 25, 41 Rousseau, Henri-Paul, 59, 141 Roy, Denis, 285 Roy, Jonathan, 31, 38 Roy, Patrick, 25, 30, 398-399 Rozon, Gilbert, 323 RueFrontenac.com, 342 S Sabia, Michael, 30, 60 Saguenay–Lac-Saint-Jean, 251, 299 Saint-Jacques, David, 32 Salvet, Jean-Marc, 278 Sansfaçon, Robert, 27 Santé, 195, 279, 283-294, 394, 477 mentale, 284 publique, 290-294 Santé Canada, 293 Sarkozy, Nicolas, 23, 28, 420, 451, 453-454 Sauvageau, Florian, 12 Sauvé, Roger, 120, 123 Scandinavie, 234

Schreiber, Karlheinz, 434 Science économique, 136-143 Sciences cognitives, 199 Scientifique, 155-161, voir aussi Recherche scientifique Secrétariat à l’action communautaire autonome et à l’innovation sociale, 374 Secteur manufacturier, 125-130 Segal, Herschel, 322 Segal, Hugh, 440 Sénat, 27, 36, 443 Séries +, 337 Serres, Michel, 306 Service canadien de la faune et des forêts, 201 Services à domicile, 380 Services financiers, 146-148 Sévigny, Bernard, 408 Shimazaki, Aki, 327 Simard-Beaudry Construction, 48-49 Simpson, Jeffrey, 434, 443 Smith, Adam, 134 Smurfitt Stone, 116 Social-démocratie, 110-112 Société d’assurance-dépôts du Canada, 149 de développement Angus, 364 de développement de la BaieJames, 421 de développement des entreprises culturelles, 315316, 325 d’habitation et de développement de Montréal, 47-48 Société civile, 361-380 Société du savoir, 16, 159 Sommet Canada-Union européenne, 453 de la Francophonie, 451-455 des leaders de Montréal (2005), 227 Soucy, Gaétan, 332 Soudas, Dimitri, 435 Spacek, Jaroslav, 401 Spectra (Groupe), 323


Index Stanford, Sir Robert, 147 St-Hilaire, Caroline, 408 Stikeman Elliott, 281 Stress, 284 financier, 123 Suicide assisté, 27 Super Écran, 337 Sûreté du Québec, 48-50, 61 Suzuki, David, 227 Système électoral, 475 Système politique, 474 T Tabac, 284 Taillon, Gilles, 40, 262 Takita, Yojiro, 21 Tanguay, Alex, 401 Tanguay, Antoine, 326, 330 Taux d’intérêt, 144-146 Tavares, Ana, 197 Technologie, 128 Téléfilm Canada, 316, 324 Télé-Québec, 345 Télétoon, 337 Télévision, 337-338, 344-345, 355, 359 TerraChoice Environmental Marketing, 234-235 Territoire, 403-430, 470 agricole, 413-418 Théâtre Aux Écuries, 324 de la Pire Espèce, 324 des Deux Mondes, 324 Théâtre forum, 182-183 The Christian Science Monitor, 341 The Economist, 45 The Gazette, 344 The Montreal Star, 353 Theraction-défi-hors-piste, 210 Thibault, Lise, 24 Thibodeau-DeGuire, Michèle, 299 Topp, Brian, 443

Toronto Sun, 334 Toulouse, Jean-Marie, 302 TQS, 334, 345 Transfert fédéral, 265-267 Transnationale, 456-465 Transport, 198, 278-279, 387 en commun, 101-103 Travail, 105-108, 129, 297 à domicile, 106-107 atypique, 107 autonome, 108 Travers, Mary, 467 Traversy, Mathieu, 243 Tremblay, Gérald, 37, 41, 49, 406-412 Tremblay, Jean, 408 Tremblay, Marcel, 407 Tremblay, Michel, 327, 330 Tremblay, Odile, 13 Tribune (Winnipeg), 353 Triglobal, 147 Trudeau, Pierre E., 440, 445, 447 Tursk, Robert, 35 TVA, 334 Twitter, 12, 292-293, 346, 356 U Ungalaaq, Natar, 21, 30 Union des forces progressistes, 247248 Montréal, 406-412 nationale, 245 of Concerned Scientists, 86 paysanne, 231 Université, 162-166, 172-173, 302303 de Montréal, 195, 198 de Toronto, 293 d’Ottawa, 350 Laval, 25, 198, 199, 201, 202, 235 McGill, 196, 197, 198, 200 Université du Québec à Chicoutimi, 201 à Montréal, 198, 291, 301-302

à Rimouski, 417 en Abitibi-Témiscamingue, 201 USDA Organic, 233 V V, 334, 345 Vaillancourt, Gilles, 408 Valeurs, 381-402 Veilleux, Alain, 299 Vérificateur général du Canada, 24 Vérificateur général du Québec, 24, 59, 62, 68, 278, 280-282 Vieillissement de la population, 96-98, 336 Villanueva, Fredy, 26 Villeneuve, Denis, 321 Virus A(H1N1), 12, 33, 40, 83, 288, 290-293 Visage, Bertrand, 331 Vision Montréal, 33, 37, 39, 41, 406-412 Vrak TV, 337 W Web, voir Internet Weber, Max, 134 Weinstock, Daniel, 60 West, Gale, 235 Western Climate Initiative, 226 Whissell, David, 36, 56-58, 60, 62-63 Wittgenstein, Ludwig, 88 Woo Suk Hwang, 86 Woodbridge, 401 Wright, Erik Olin, 367 Y Yakabuski, Konrad, 141 YouTube, 292-293, 346 Z Zampino, Frank, 49

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Inm = incubateur d’idées + créateur de citoyenneté L’Institut du Nouveau Monde (INM) est une organisation non partisane dont la mission est de développer la participation citoyenne et de renouveler les idées. Cette boîte à idées québécoise s’est, depuis sa fondation en 2004, imposée comme l’un des acteurs privilégiés du dialogue entre les citoyens et entre la société et ceux qui la gouvernent.

DES CITOYENS DES IDÉES DES PROJETS

L’INM œuvre dans une perspective de justice et d’inclusion sociales, dans le respect des valeurs démocratiques et dans un esprit d’ouverture et d’innovation. Par ses actions, l’INM encourage la participation des citoyens, contribue au développement des compétences civiques, au renforcement du lien social et à la valorisation des institutions démocratiques.

partIcIper, pour quoI faIre ? pour pour u pour u pour u pour u u

revitaliser la démocratie améliorer les politiques et les services publics créer les conditions d’émergence d’innovations sociales développer les capacités des individus et le sens des responsabilités civiques renforcer la cohésion sociale

la méthode : informer + débattre + proposer Informer pour contrer le sentIment d’Incompétence des cItoyens Les citoyens ne peuvent participer à des débats sur des questions complexes s’ils ne savent pas de quoi ils parlent. L’INM met à leur disposition une information impartiale et accessible sur les grands enjeux en débat : documents imprimés, cahiers spéciaux dans des journaux quotidiens, sites Web, conférences, vidéos, etc.

inm.qc.ca

débattre pour faIre émerger les Idées nouvelles Délibérer force les citoyens à

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s’écouter les uns les autres et à se faire leur propre opinion. Cela permet aussi de faire le tri entre les bonnes et les mauvaises idées, car une idée ne vaut rien si elle ne subit pas avec succès le test de la confrontation et de la réfutation. Le processus de délibération sert également aux décideurs, qui s’informent ainsi des préférences, des besoins et des attentes des citoyens.

proposer pour agIr Tous les processus de participation doivent aboutir à un résultat concret : les citoyens refuseront de participer si leurs délibérations ne sont pas suivies d’effets. L’INM s’engage à recueillir la parole citoyenne, à la mettre en forme et à la faire connaître auprès du public et des décideurs. La formulation de propositions est également une étape essentielle dans la formation des citoyens, qui se commettent, tranchent, établissent des priorités.


Ce livre a été imprimé sur du papier certifié FSC.

ACHEVÉ D’IMPRIMER EN MARS 2010 SUR LES PRESSES DE TRANSCONTINENTAL GAGNÉ À LOUISEVILLE (QUÉBEC). 504


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