SOMMAIRE Édito
Amours chiennes
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Youri Hanne Quel temps de chien! On aura vu des gerbes de fleurs devant les temples Apple, mais pas pour Céline, mort il y a 50 ans, que les puristes fêteront mieux à leur manière; des indignés dans le parc des Bastions à faire pâlir le Che; un mec normal promis à la France; une année sans titre pour Rodgeur, and so what?; la liesse du CNT libyen à en devenir rabat-joie; des guerres internes à l’AESPRI; une rédaction qui capitule comme Belmondo, à bout de souffle… Ce n’est pas la politique de hausse des prix à la caf d’Uni Mail qui va changer quoi que ce soit à l’amertume de mon café, ni à celle de ces quelques lignes. Et pourtant! Je m’étais promis de vous régaler, ami lecteur, lorsque je prendrais à mon tour les rênes de l’édito, en page 2 du journal cher à mon cœur depuis plus de deux ans. Il faut croire que la politique, cette chienne, a eu raison de ça aussi. Forte de ses victoires, mais surtout de sa grande expérience dans le milieu estudiantin, la noble association dont émane le papier que vous tenez à bout de nez d’étudiant en SES ou d’ailleurs, s’est cru obligée de précipiter le départ de nos deux coordinateurs, comprendre rédacteurs en chef, jugés incompétents. Démocratiquement, ajoutera-t-elle. Trop candide pour faire de la politique, la plupart d’entre nous, rédacteurs d’international.ink, a préféré rester en dehors de cette manifestation grandiloquente de la démocratie au sein même de notre mère biologique, l’AESPRI. Que les choses soient claires, si ce propos se retrouve en caractère d’imprimerie en ouverture de notre douzième numéro, une fois n’est pas coutume, c’est bien parce que, cette fois, son auteur joue les modérés (si si!). Alors autant profiter de l’exception pour rendre un chaleureux hommage à nos coordinateurs, transfuges de la rédaction un peu malgré eux, partis jeter l’encre ailleurs. Un hommage, au nom de quoi? De la fraternité, pardi! Et puis au nom du pied de nez aussi. Il me semble que la misère serait moins pénible… Alors je vous passe la soupe avant que ne me prenne l’envie d’y cracher, on a bossé dur pour cette édition, avec amour, encore et toujours. Ami lecteur, à la prochaine, ailleurs, sous le soleil.• 2
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DOSSIER: ZONES SENSIBLES • Monsieur Mappemonde chez le Dr .ink Introduction au dossier • Le Rouge et le Orange La couleur du pouvoir en Thaïlande • Sécession imparfaite Instabilité au Sud-Soudan • Le modèle Mickey Mouse Walt Disney et sa vision de l’Amérique • Floraison des jardins noirs Tensions entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan • Les bombes à retardement de la CIA Les opérations secrètes de la CIA
LES URBAINES • Et si vous viviez à Jean-Violette
ZOOM: TERRORISME • L’amorce de la terreur Résistance, terrorisme et violence légale • Le banquier de l’ombre Portrait d’un dignitaire du IIIe Reich • Le groupe Bélier Lutte pour l’indépendance du Jura
AESPRI • Voyage à Budapest • Forum
UNIGE • Le mirage d’Unimail Le nouvel espace auto-géré • Les brèves d’amphi
International Ink – n°12 Octobre 2011
Édité par l’Association des Étudiants en Sciences Politique et en Relations Internationales (AESPRI) Financé par la Commission de Gestion des Taxes Fixes (CGTF)
Rédacteurs Nina Khamsy, Théo Aiolfi, Claire Camblain, Léandre Berret, Matteo Maillard, Alexis Rapin, Youri Hanne, Ian Florin , Aurélia Bernard, Alexandre Petrossian, Mélissa Dumont
Couverture Nina Khamsy CONTACT www.internationalink.ch international.ink0@gmail.com
DOSSIER
ZONES SENSIBLES
Monsieur Mappemonde chez le Dr .ink Youri Hanne et Alexis Rapin - Docteur .ink: Soyez le bienvenu dans mon cabinet. - Monsieur Mappemonde: Docteur, je vous consulte aujourd’hui mais la raison m’échappe. On dirait que mon incapable de fils, Blaise, ne s’intéresse qu’aux parcs d’attractions. Et dire que je le rêve en avocat... Enfin, il n’a que 8 ans. J’ai mal Docteur. Je suis sensible et j’ai mal. - Bien, nous allons commencer par les grands classiques, on ne peut y échapper: Ouvrez grand la bouche et dites 33. - Krank-kroi... aah - Mais non, pas quand je vous mets le bâton dans la bouche! - Ah. Ben trente-trois alors. - C’est déjà mieux comme ça. Mhhhh… je vois ce que c’est. J’ai déjà pu voir un cas similaire lors d’un séminaire au Soudan. Si j’appuie ici, ça fait mal? - Aïe, zone sensible, c’est le sud de mes omoplates Docteur, vous m’avez pris par surprise. Est-ce bien démocratique? - Mon brave, que voulez-vous, la médecine c’est la médecine! On ne fait d’omelette sans casser des œufs et ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort n’est-ce pas? Et là, ça vous fait mal? - Plus fort oui, ou handicapé. Là non Docteur, ça fait même du bien. Dites, vous connaissez les massages thaïs? - Ah non, ce n’est pas vraiment mon domaine ça. Je suis sceptique quant à ces traitements où il suffit de passer un peu de graisse sur la patte pour calmer les esprits. Et vous savez, moi le patient, moins je le touche, mieux je me porte! - C’est vous qui le dites, vous ne payez pas la consultation. C’est vous qui avez fait des études et moi qui paie les frais des black-operations. On nous promet toujours des résultats mirobolants, mais ça finit par coûter plus cher que de raison.
- Là, je vous le concède, vous n’avez pas tort. Mais, pour vous comme pour moi, il faut savoir relativiser ses malheurs. Pas plus tard que ce matin, en venant au cabinet, dans ma Porsche, je me disais: «Raymond, pense à ses pauvres Arméniens mon vieux, cesse donc de te plaindre à tout bout de champ!». - Et bien qu’elles restent où elles sont ces armées d’Niens, cela sera mieux pour tout le monde! En attendant, c’est moi qui suis malade. Un vieil oncle l’a été aussi, quand il est rentré d’Indochine. J’ai tapé mes symptômes sur Google. Le syndrome Disney paraît-il. C’est grave, Docteur? - Disney, dites-vous? Grand Dieu, c’est bien pire que je ne le craignais. Seriez-vous allé en Californie récemment? - Sûrement pas. Ce reaganisme me donne de l’urticaire! Oh et puis je m’embrouille sur les notions. Parlons médecine, voulez-vous? J’ai parfois d’immenses tâches rouges et jaunes sur le dos, cela peut durer des jours. - Ah oui c’est bien connu. Ça provient d’Asie, à ce que l’on m’a dit. Entre praticiens nous appelons cela suffrage superficiel, méfiezvous dans certains cas cela peut enflammer tout l’épiderme. Je vous prescrirai une élection dont j’ai le secret, vous m’en direz des nouvelles! D’autres maux dont vous souffrez? - Oh, c’est épatant. Pendant que nous y sommes, je crois que je souffre d’une sécession imparfaite au niveau de mes lombaires. Y jetteriez-vous un œil ou dois-je me résoudre à l’infirmité? - Voilà bien une autre de ces zones sensibles dont vous parliez tout à l’heure. Laissez-moi donc deviner: votre corps manque d’eau et vous abusez des huiles minérales? Ne désespérez pas, de nos jours
la médecine fait des miracles. J’en ferai part à un de mes collègues. Originaire des Balkans, il est récemment devenu indépendant, c’est un spécialiste dans le domaine. - Et que me prescrivez-vous docteur? Vous voyez bien que je ne tiendrai pas longtemps. - Oh, j’ai vu pire. Il faut être optimiste. Zone sensible n’est pas zone de désespoir, allons. Nous allons essayer l’a-cu-ponc-ture. - C’est ça, fichez-vous de moi. - Vous verrez, c’est un traitement ré-vo-lu-tion-naire. Développé en loucedé par les laboratoires de la CIA. - Pour moi, la révolution n’est qu’un feu de paille dans l’histoire de l’humanité. Un peu d’ambition, Docteur! - C’est la lueur d’espoir Monsieur. Celle qui suffit à faire vivre un homme, avec les maux et les joies. C’est le printemps qu’on aperçoit, au loin, quand les journées sont rudes et froides. - Dans ce cas, je veux bien vous signer un chèque de suite. Ma femme m’attend et il y a un documentaire sur Arte ce soir. Si je suis en retard, je vais prendre cher. Ma caille, c’est une véritable bombe à retardement. - Soit. Prenez soin de vos zones sensibles et surtout, revenez me voir si vous avez la moindre crainte. Ensemble, nous serons plus forts pour y faire face. Au besoin, j’effectuerai un zoom pour y voir plus clair. - Gardez-en sous le pied Docteur, pas que je guérisse trop vite tout de même. - Malheureux, ne partez pas sans ça! Mon 12ème numéro sur les zones sensibles! Un bréviaire en la matière. Ne vous fiez pas à Courants, la concurrence vieillit mal, mais pas ma Porsche, entre nous. Dieu vous garde. - (soupir). Z’avez la monnaie pour le tram?•
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ZONES SENSIBLES
Le Rouge et le Jaune Derrière son apparente stabilité, la Thaïlande connait depuis 2006 la période la plus trouble de son histoire politique. Il incombe aux vainqueurs des récentes élections de maintenir l’équilibre au pays du sourire. Théo Aiolfi
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e 19 septembre 2006, le général Boonyaratglin Sonthi, appuyé par une cinquantaine de soldats d’élite de la «Royal Thai Army» et des blindés, lançait un coup d’état contre le siège du gouvernement à Bangkok. Le petit contingent parvint à prendre le pouvoir sans faire la moindre victime, profitant de l’absence du premier ministre Thaksin Shinawatra, alors au siège des Nations Unies. Celui-ci déclara alors l’état d’urgence dans toute la capitale thaïlandaise et dénonça vigoureusement le putsch auprès de la communauté internationale. Dès le lendemain, le Roi Bhumibol faisait proclamer un décret avalisant et légitimant le coup d’état. Certes, on pouvait douter de l’ingénuité et de la transparence affichée de façon éhontée par Thaksin alors que celui-ci est soupçonné d’abus de pouvoir, de corruption et de fraudes électorales massives durant les élections législatives de 2006. Une telle situation peut paraître extraordinaire aux yeux d’un observateur extérieur. Pourtant en Thaïlande, elle est presque banale: après tout, le royaume a connu depuis son indépendance en 1932 pas moins de 18 coups d’états. Mais la présence apaisante du roi a toujours permis de maintenir le pays uni au-delà de ces troubles politiques passagers. En théorie, le royaume de Thaïlande est une monarchie constitutionnelle, dans laquelle le pouvoir du roi devrait être très limité et symbolique, à l’image du Royaume-Uni et de la plupart des régimes monarchiques européens. En pratique, le roi jouit d’un pouvoir considérable: chef d’Etat et dirigeant suprême des forces armées, il doit donner son approbation (tacite
ou non) à tout responsable des branches exécutive, législative et judiciaire (y compris le premier ministre élu, pourtant à la tête du gouvernement) avant que celui-ci ne puisse prendre position sur quoique ce soit. Il suffit de quelques signes de la part du souverain pour qu’un ministre se trouve disgracié. Mais au-delà de ces aspects purement politiques, le roi Bhumibol Adulyadej, 9ème descendant de la dynastie des Rama, couronné en 1946, a un pouvoir symbolique plus que considérable qui se traduit de façons extrêmement diverses. En Thaïlande, presque chaque habitant possède chez lui un portrait du souverain, le lundi
Un roi à l’aura quasi-divine. est un jour réservé au roi et les Thaïlandais s’habillent dans leur très large majorité d’un polo jaune en cet honneur. De plus, une offense contre la famille royale est punie de 15 ans de prison par le code pénal. De plus, malgré cette emprise omniprésente sur leur vie quotidienne, aucun thaï ne songerait jamais à insulter de quelque façon que ce soit le souverain car celui-
ci bénéficie à la fois d’une aura sacrée de père et protecteur de la nation et d’une popularité jamais démentie: ce dernier a toujours su mener le pays sur la bonne voie, lui assurant une image respectable dans la communauté internationale, s’intéressant aux zones défavorisées et maintenant la cohésion nationale après le tsunami dévastateur de décembre 2006. En dépit de cette estime considérable, des voix se sont élevées contre le pouvoir trop important du roi, reliques d’un absolutisme dont ces groupes démocrates souhaiteraient définitivement se défaire, et contre la collusion trop importante entre les élites militaires et la famille royale. C’est ainsi que naquit peu après le putsch de 2006 le «Front national uni pour la démocratie et contre la dictature» (UDD), soutenu et attisé par les fonds de Thaksin. En effet, il faut ajouter que le premier ministre déchu est également un riche homme d’affaire, propriétaire entre autres du «Manchester City Football Club», et est par conséquent à même de subvenir aux besoins du mouvement antimonarchiste. L’UDD ne regroupe pas que des partisans de Thaksin: de nombreux dirigeants du parti ont tenté de se distancier de l’image de dépravation véhiculée par celui-ci. Les partisans du mouvement sont également appelés les «chemises rouges», en raison de leur habillement qui leur sert à la fois d’instrument de contestation, de signe de reconnaissance et de symbole de ralliement. La réaction des partisans du roi fut immédiate : ils se liguèrent au sein de «l’Alliance pour la Démocratie Populaire» (PAD). Appelés les «chemises jaunes» car vêtus aux couleurs du monarque,
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ZONES SENSIBLES ils s’opposèrent au populisme de Thaksin Shinawatra ainsi qu’aux «chemises rouges» qu’ils ne considèrent que comme les représentants corrompus de ce dernier. Le PAD, soutenant la famille royale et les traditions monarchistes du pays, a acquis comme l’UDD une influence grandissante surtout auprès des classes moyennes qui auraient beaucoup à perdre en cas de départ du monarque. Habitué à des méthodes de contestations pacifiques (manifestations, discours, festivals, sit-in,…), le champ politique thaïlandais s’est récemment radicalisé. Après l’adoption d’une nouvelle Constitution en 2007 limitant encore le pouvoir du gouvernement au profit du souverain, la situation s’est tendue de plus en plus jusqu’à ce qu’éclate en mars 2010 un conflit entre les deux camps. Celui-ci a pris la forme de nombreuses émeutes qui ont mis à feu et à sang la capitale du royaume pendant plusieurs semaines, faisant plus de 190 victimes. L’intervention des forces militaires royalistes, fidèles à Bhumibol, a entraîné la capitulation du mouvement des «chemises rouges» dans Bangkok ainsi que l’exil à Dubaï de Thaksin, condamné par la Cour criminelle de Bangkok pour «terrorisme». A l’heure du bilan, on peut voir que prendre parti est comme souvent beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît et qu’il n’y a pas véritablement de «bonne» ou de «mauvaise» couleur de chemise. D’un côté, les rouges qui se prétendent plus démocrates et républicains sont pourtant financés par une classe d’oligarques qui attend patiemment son heure. De l’autre, les jaunes fidèles aux valeurs traditionnelles de la Thaïlande sont eux aussi sous l’influence d’une élite intellectuelle et culturelle favorable au renforcement du régime monarchique en place avec l’appui à peine dissimulé des dirigeants militaires. Actuellement, une des questions les plus délicates et préoccupantes
La campagne du Pheu Thai, inspirée par des shows à l’américaine. de l’agenda politique de la Thaïlande est celle de la succession du Roi Bhumibol, phare du royaume depuis plus de 60 ans. Certains évoquent l’incapacité du prince héritier Maha Vajiralongkorn à affirmer comme l’avait fait son prédécesseur le rôle du monarque. Le prince est jugé incompétent par les élites thaïes et ne bénéficie pas de la popularité de son père. D’autres soufflent le nom de la princesse Maha Chakri Sirindhorn, beaucoup plus estimée par le peuple et par les élites de la capitale, mais dans un pays où la tradition joue encore un rôle considérable, l’idée d’une femme à la tête de la famille royale semble un peu fantaisiste. Sans parler de l’importance considérable que prennent les mouvements antimonarchistes à la suite des évènements de l’an passé: le choix d’un successeur qui s’avérerait
incapable de tenir le trône pourrait mener le pays au bord de la guerre civile. Suite aux élections législatives du 3 juillet 2011, le Pheu Thai (Parti pour les Thaïs), dernier avatar politique modéré des «chemises rouges», a remporté la majorité absolue des sièges à l’Assemblée Nationale (265 sur 500). Dirigé par Yingluck Shinawatra, novice en politique et sœur cadette de Thaksin qu’il décrit comme «son clone», la victoire du parti augure une nouvelle ère politique en Thaïlande. Reste à déterminer si la nouvelle 1ère ministre recherche réellement la rupture avec le populisme de son frère et si les élites de la capitale vont accepter honorablement la déroute électorale du PAD et collaborer dans un régime dans lequel celui-ci ne ferait office que de parti d’opposition impuissant.•
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Sécession imparfaite Dans la région d’Abyei au Sud-Soudan, les convoitises s’intensifient pour le pétrole et l’eau. Melissa Dumont
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ncienne colonie britannique, le Soudan est composé de deux grandes entités culturelles qui sont au Nord la communauté arabophone et musulmane et au Sud la communauté animiste et chrétienne. Depuis l’indépendance de 1956, la corruption et les intérêts économiques colossaux engendrés par le pétrole alimentent les troubles politiques et déclenchent de nombreux conflits armés entre le Nord et le Sud. La première guerre civile éclate dans les années 60 pour s’achever en 1972. Il s’ensuit une seconde guerre civile en 1983 qui débouche en 2005 sur un accord de paix d’une importance considérable. En effet, cet accord a permis au Sud d’obtenir une grande autonomie et prévoyait la mise en place de dispositions permettant aux Soudanais du Sud d’exprimer leur souhait vis-à-vis d’une possible indépendance.
La situation politique intérieure est à l’image de la réalité sur le terrain, c’est-à-dire marquée par de profondes divisions. En effet, le Nord du pays est dirigé, depuis le coup d’état de 1989, par Omar El Béchir qui détient le gouvernement central basé à Khartoum. Celui-ci est sous la menace d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale Internationale de la Haye pour crimes de guerres et crimes contre l’humanité commis lors de la sanglante guerre civile de
La naissance du Sud-Soudan ne garantit pas une paix durable dans la région.
la région du Darfour. Le Sud étant en partie autonome depuis l’accord signé en 2005, c’est à Juba que le pouvoir est concentré avec à sa tête Salva Kiir, issu de la tribu Dinka. En avril 2010 il a été élu président du Sud-Soudan.
Un référendum historique L’accord de 2005 prévoyait une future prise de position sur l’indépendance de la part des SudSoudanais. Chose faite, puisque du 9 au 15 janvier 2011 lors d’un référendum historique les SudSoudanais ont voté à 98,83% pour la sécession qui a aboutit à l’indépendance du Sud-Soudan le 9 juillet 2011. Omar El-Béchir a reconnu les résultats et a indiqué que le choix des Sud-Soudanais allait être respecté. Position largement félicitée par Haile Menkerios, représentant spécial des Nations Unies au Soudan. Il a également encouragé
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ZONES SENSIBLES la paix et un travail collectif afin de permettre un développement durable bénéfique aux populations et notamment de trouver un accord concernant la zone de l’Abyei. Celleci est en effet revendiquée par les deux régions puisque sa position est extrêmement stratégique.
La région fragilisée d’Abyei Le gouvernement central ainsi que le mouvement de libération du Sud revendiquent cette partie. Par conséquent, cette zone a été mis en suspend et ne s’est pas prononcé au moment du référendum en 2011. Le gouvernement central ainsi que le mouvement de libération du Sud revendiquent cette partie. Par conséquent, cette zone a été mis en suspend et ne s’est pas prononcé au moment du référendum en 2011. Une commission frontalière a été mise en place en 2005 pour délimiter la région d’Abyei. Le rapport rendu par celle-ci a été accepté par le Sud mais refusé par le Nord. La Cour Permanente d’Arbitrage (CPA) dont la mission est de régler les différends entre Etats est donc entrée en scène. L’un des reproches qui a été émis par rapport au tracé de la région d’Abyei est celui d’avoir attribué l’essentiel des ressources en eau aux Sudistes et l’essentiel du pétrole aux Nordistes. Face à ce découpage surprenant, les nomades issus de la tribu Misseria qui avaient l’habitude d’aller chercher de l’eau, se voient obliger maintenant de passer de l’autre côté d’une autre frontière établie. Ce qui est loin d’apaiser les conflits. La naissance officielle du SudSoudan ne garantit en rien une paix durable dans la région. Les guerres civiles ont profondément meurtri et divisé les deux communautés, et il faudra probablement plusieurs générations avant qu’une stabilité s’établisse. Le Sud-Soudan va devoir trouver sa place sur l’échiquier mondial, et gérer au mieux le développement de la région sans en faire payer le prix aux populations locales.•
Interview de Komlan Sangbana, Doctorant en droit international et chercheur associé à la Plateforme pour le droit international de l’eau de l’Université de Genève. Ink : En quoi cette division de la zone d’Abyei pose-t-elle un énorme problème pour les populations locales? KS: Parmi les populations locales, il faut distinguer les populations sédentaires et les populations nomades. Les populations sédentaires sont en général des populations du Sud Ndinkas Ngok installées dans la région et les populations nomades sont les populations arabes Misseria du Nord qui se déplacent pour accéder à l’eau contenue dans cette région d’Abyei. Le tracé de la frontière tel qui a été effectué ne permet donc plus à la population nomade arabe d’accéder à ces ressources. Les juges ont-ils prévu des moyens pour garantir l’accès à l’eau des populations nomades?
Dans la sentence arbitrale du 22 juillet 2009, nous pouvons lire à partir du paragraphe 750 au paragraphe 752 que les juges ont veillé à garantir aux populations nomades un certain nombre de droits coutumiers. Par droit coutumier, il faut entendre un droit résultant d’une longue pratique non contestée des activités des populations riveraines. Nous pouvons donc considérer que parmi les droits qui ont été garantis aux populations Misseri, il y a celui de l’accès aux ressources en eau contenues dans la région en dessous de la ligne de démarcation. Cependant, ces droits coutumiers garantissent-ils la paix dans cette région fragile ? Je dirais oui et non. Oui car en
principe, en temps normal la garantie d’un droit coutumier assurant l’accès à l’eau devrait rassurer les populations nomades quant à la disponibilité de l’eau. Mais la situation au Soudan est plus complexe. Ces populations nomades ne semblent pas considérer qu’elles ont un droit coutumier à la ressource en eau mais plutôt qu’elles ont un droit légitime d’accès à l’eau au même titre que les résidents permanents de la région. D’où une situation qui met en lumière le caractère vital et non transactionnel de la ressource en eau. C’est une question de survie. D’après vous quel est l’enjeu majeur à venir ?
D’après moi, l’un des principaux enjeux va concerner le rattachement de la zone d’Abyei. En effet, actuellement la zone n’est rattachée ni au Nord ni au Sud. L’organisation du referendum à venir n’est pas quelque chose de simple car il s’agit de savoir qui va voter ou pas entre les populations sédentaires pour la majorité sudistes qui se considèrent comme les résidents permanents et les populations nomades à majorité nordistes qui se considèrent comme des résidents même si ont peut les qualifier de saisonniers. La sentence arbitrale n’a donc pas vraiment aidé à résoudre le conflit ?
La sentence n’a pas totalement permis de résoudre ce conflit. Certes, le tracé a semblé emporter l’unanimité des principaux belligérants mais il ne suffira pas à assurer la stabilité de la région. Comme nous le confirme l’actualité de ces derniers jours au Soudan, où la situation semble dégénérer à nouveau, au grand dam des populations.
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Le modèle Mickey Mouse Disneyland, ou comment une parcelle de terre californienne est devenue une vitrine du rêve américain. Ian Florin
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i les parcs n’ont pas été créés pour y mettre des châteaux miniatures et des montagnes russes, on y est toujours allé pour s’y étonner et s’y distraire. D’abord lieu de détente pour l’aristocratie, le parc s’ouvre au commun des mortels au XVIIIème siècle: des manèges, des boutiques et des restaurants s’installent dans les jardins d’agrément des capitales européennes, comme le Tivoli à Paris. Si le parc est un lieu de loisir et de consommation, il est aussi lieu de contemplation: on y observe les animaux exotiques dans les parcs zoologiques et on y admire la nature dans les National Parks américains. Les parcs d’attractions naissent à la fin du XIXème siècle: des sociétés de forains se forment et ouvrent les premiers Luna Parks, sortes de fêtes foraines permanentes. Le succès est au rendez-vous, mais dans les années 1950, le public commence à déserter les manèges pour se tourner vers la télévision. Alors que l’avenir du secteur semble condamné, un homme va croire dans le futur des parcs d’attractions: Walter Elias Disney.
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La création en 1955 de Disneyland en Californie est une petite révolution dans l’industrie du parc de loisirs : finies les attractions traditionnelles disposées n’importe comment autour d’une allée centrale! Concevoir un bon parc, c’est (beaucoup) plus compliqué que ça. Walt Disney, passionné par l’urbanisme et les nouvelles technologies, croit plus que quiconque dans l’importance de l’organisation spatiale et les progrès de la science pour changer la vie des Hommes. Il en fera le projet de sa vie: EPCOT , une ville parfaite qui ne sortira jamais de terre, dont le nom sera finalement donné à un
parc d’attractions futuriste, bien loin du rêve originel de Disney. Walt aura au moins marqué l’histoire de l’aménagement avec son modèle de parc, repris dans le monde entier. Son idée est de diviser Disneyland en parties distinctes (les lands), qui évoquent chacune un thème ou un univers particulier. Le parc d’attractions est mort, vive le parc à thèmes!
Un lieu dédié aux idéaux de Disney Dès les prémices du projet, Walt Disney affiche des ambitions pour son parc qui vont bien au-delà du cadre strict du divertissement: «Ce sera un lieu où les gens trouveront bonheur et connaissance […] Ici, il y aura la possibilité pour vous de voir et de comprendre les merveilles de la Nature et de l’Humanité. Disneyland sera basé et dédié aux Idéaux, Rêves et Réalités qui ont créé l’Amérique. Et il sera uniquement bâti pour mettre en relief ces rêves et réalités et les utiliser comme source de courage et d’inspiration pour le monde entier.» Disneyland sera un lieu de représentations sociales, d’idéaux. Ça tombe bien, Walt en a plein la tête. En utilisant sa passion
s’adresse à l’enfant qui est en nous. Walt a créé un monde rassurant, qui renvoie à l’innocence des rêves. La succession de barrières qui entourent le parc donne un sentiment de sécurité au visiteur, alors que le «passeport» d’entrée, la musique, la nourriture pour enfant et les Mickey en peluche appellent au voyage et à une certaine «régression» mentale. L’environnement de Disneyland n’a en effet rien de normal et bouscule le visiteur dans ses repères: l’utilisation de techniques de cinéma donne une impression de grandeur aux bâtiments et aux rues. Une «nature» entre poésie et obsession du réel a aussi été inventée de toutes pièces par Walt Disney, qui a créé un véritable écosystème dans le parc, dont l’aspect varie suivant les lands et les attractions. Une zone isolée du monde réel, un visiteur hors de ses repères, retombé en enfance, Walt n’avait plus qu’à façonner un parc à l’image de sa conception du monde passé, présent et futur. D’après Denis Lacorne, «Disneyland reflète surtout les valeurs conservatrices de son fondateur, républicain de tendance reaganienne, à savoir le patriotisme,
pour l’aménagement, il a projeté son imaginaire dans une parcelle du territoire, il a créé une zone à la fois fruit et vecteur de propagation de ses valeurs. En isolant physiquement et mentalement le visiteur, Disney le rend plus perméable à ses idées: il
le populisme, l’ordre moral, la foi dans la science, la passion dans l’économie de marché». Disney était un patriote convaincu: «Si vous regardiez au fond de mes yeux, vous y verriez flotter deux drapeaux américains». Disneyland est une représentation de la pensée de son
Walt Disney croit plus que quiconque aux progrès de la science pour changer la vie des Hommes.
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Disneyland sera basé et dédié aux Idéaux, Rêves et Réalités qui ont créé l’Amérique. créateur, que l’on peut résumer ainsi: l’histoire et l’idéologie américaines font des Etats-uniens un grand peuple et des U.S.A. une grande nation. Le développement de nouvelles technologies et de nouveaux modèles d’organisation urbaine assurent aux Etats-Unis une place de locomotive pour un monde meilleur. Les états-uniens triomphants Pour montrer la grandeur du peuple américain, Disney a voulu l’ancrer dans une histoire glorieuse. L’entrée du parc donne sur Main Street, la rue centrale du parc, magnifiant la libre entreprise et la croissance économique américaine du XXème siècle, alors que Frontierland reprend à son compte le mythe de l’ouest: le visiteur peut jouer au pionnier en traversant le continent depuis le Mississipi dans une nature en plastique... Walt disait de Frontierland: «Nous tous, avons raison d’être fiers de l’histoire de notre pays et sommes façonnés par l’esprit pionnier de nos aïeux. Nos aventures sont conçues pour vous donner la sensation d’avoir vécu, même un court instant, durant ces jours pionniers de l’Amérique.» Si Walt Disney affiche dans Main Street et Frontierland des valeurs conservatrices, il veut aussi projeter le visiteur dans l’Amérique triomphante de demain. Il a donc créé
Tomorowland pour communiquer sa foi en la science: «Demain peut être une ère merveilleuse. Nos scientifiques sont en train aujourd’hui, d’ouvrir les portes de l’Ère de l’Espace à des réalisations qui profiteront à nos enfants et aux générations à venir. Les attractions de Tomorrowland ont été conçues pour vous donner l’occasion de participer à des aventures qui sont une représentation vivante de notre futur.» Fusée, autoroute, monorail, Walt Disney montre du concret pour convaincre. L’attraction principale du land, inaugurée en 1957, est la visite d’une «maison du futur», censée être le reflet d’une habitation de 1986, dans laquelle les micro-ondes et autres écrans de télévision impressionnent les premiers visiteurs. Pour créer de bons patriotes, avoir un mythe fondateur, afficher la réussite économique de l’idéologie et promettre un futur radieux c’est bien, se différencier des autres, c’est mieux. À Disneyland, l’ «ailleurs» est figuré dans Adventureland: concentré de préjugés et d’amalgames, on y voit des «pygmées-cannibales-chasseurs d’homme» censés représenter les peuples «des jungles reculées d’Asie et d’Afrique [...] loin de toute civilisation». Après ce tour d’horizon du
passé, du futur et de l’ailleurs, le visiteur sortira de Disneyland la tête pleine d’images du rêve américain, mais les poches vides de dollars: on ne fait pas que de s’imprégner des valeurs de Walt Disney dans le parc, on l’enrichit. Fantasyland est avec son château, la vitrine des créations Disney qui contribue à l’engouement pour les produits Disney. À Disneyland, on paye pour être exposé à la publicité extrêmement efficace du groupe: pour 34% des participants à une étude réalisée en 1988, «magique» est le mot qui définit le mieux l’empire Disney... On pourrait voir dans Disneyland l’évolution naturelle des parcs: les fonctions originelles, divertissement, contemplation et consommation ont été reprises par Walt Disney. Mais il y a ajouté une dimension idéologique jusque-là inédite: les parcs Disney qui se sont multipliés à travers le monde sont autant de zones d’objectivations des valeurs de leur créateur. Il est bon de prendre les «méchants pygmées cannibales des jungles d’Asie et d’Afrique» d’Adventureland et les «gentils self-made men américains» de Frontierland pour ce qu’ils sont: des robots chargés de sens par un homme de convictions qui aura passé sa vie à vouloir «inspirer» le monde entier.•
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Floraison des jardins noirs Le Haut-Karabagh, région à cheval entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, souhaite la reconnaissance internationale. Alex Petrossian
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e 20 février 1988 le peuple du Haut-Karabagh—qui signifie pays des jardins noirs en azéri—ou Artsakh en arménien, décide de jouir de son droit à l’autodétermination. Aussitôt, l’Azerbaïdjan répond par de violents pogroms anti-arméniens dans les villes de Soumgait, Bakou et Kirovabad ainsi que dans plusieurs autres villes azerbaïdjanaises qui débouchent sur une véritable guerre contre le Haut-Karabagh. S’ensuit l’un des conflits les plus meurtriers faisant suite à la désintégration de l’URSS, qui s’étend de février 1988 à mai 1994 et causera la perte de 30’000 personnes. Si nous analysons le problème du point de vue du droit international, il faut se poser la question du statut du Haut-Kharabagh, qui est basé sur le droit du peuple du Haut-Karabagh à l’autodetérmination. Cette notion, aussi appelée droit des peuples à disposer d’eux mêmes qui figure dans la charte des Nations Unies est à l’origine de ce conflit. Il faut donc commencer par la reconnaissance et la réalisation de ce droit pour pouvoir trouver une solution fiable et durable.
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Racines et fondements du problème Le 5 juillet 1921 sur ordre de Staline, le bureau caucasien du Parti bolchevique de la Russie rattache le Haut-Karabagh, terre historiquement arménienne, à l’Azerbaïdjan. Cette décision a deux motifs probables: soit pour appliquer la fameuse théorie politique du « diviser pour mieux régner », soit alors pour s’attirer les faveurs d’Atatürk, le président de la Turquie à cette époque. En effet, les bolcheviques considéraient la Turquie comme un allié potentiel contre les puissances impérialistes.
Les Arméniens ont toujours réfuté cette décision arbitraire de Staline, mais à l’époque soviétique, la voix du Karabagh n’atteignait pas Moscou. Durant celle-ci, les droits et les libertés des Arméniens du Haut-Karabagh sont systématiquement violés par les autorités azerbaïdjanaises, ce qui pousse un grand nombre d’Arméniens à s’exiler. Grâce à la «Perestroïka», la région autonome déclare son indépendance en
Le Haut-Karabagh est sous contrôle des forces armées arméniennes. 1988, car elle ne souhaite pas le même destin que le Nakhitchevan. Ce dernier est une autre entité territoriale dans les frontières de l’Azerbaïdjan soviétique dont la population arménienne a été victime d’une politique de nettoyage ethnique: les Arméniens du Nakhitchevan constituaient 55,7% de la population en 1924 tandis qu’à l’effondrement de l’URSS il n’en subsistait plus aucun. De même pour les Arméniens du Haut-Karabagh qui constituaient 94,4% de la population en 1923 et dont le pourcentage est tombé à 76,9% en 1989. Histoire du conflit du HautKarabagh Comme je l’ai dit précedemment, le conflit du Haut-Karabagh s’étend de février 1988 à mai 1994. La république de facto indépendante
du Haut-Karabagh se situe dans le Caucase du Sud, une région très montagneuse et hautement stratégique en raison notamment des nombreux oléoducs et gazoducs qui la traversent tel que le BTCBakou-Tbilissi-Ceyhan. Sa capitale est Stepanakert, sa superficie est de 4’400 km2, le nombre d’habitants, majoritairement d’origine arménienne, avoisine les 140’000, et le seul moyen d’entrer ou de sortir du Karabagh est de passer par le corridor de Latchine qui rtelie le Haut-Karabagh à l’Arménie. Après le pogrom de Soumgaït, des conflits interethniques éclatèrent un peu partout en Azerbaïdjan, au Haut-Karabagh et en Arménie. On dénombra 400’000 réfugiés Arméniens d’Azerbaïdjan et 800’000 réfugiés Azéris d’Arménie et du Haut-Karabagh. Il paraît nécessaire de mentionner le fait qu’il y ait eut des violations des droits de l’Homme de la part des deux parties comme le massacre de Maraghar commis par les Azérbaïdjanais en 1992 ou bien le massacre de Khodjaly commis, quant à lui, par les Arméniens. La même année, l’ Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) tenta un acte de médiation entre les deux parties, en créant le Groupe de Minsk coprésidé par les Etats-Unis, la France et la Russie mais les deux parties ne trouvèrent pas de compromis. Le rôle de la Russie durant le conflit fut prépondérant mais ambiguë. Elle a fourni des équipements militaires et a même envoyé des mercenaires de la Communauté des Etats indépendants post-soviétiques (CEI) aux deux belligérants. La Turquie joua aussi un rôle important, car dès qu’elle a su que les Arméniens du Karabagh souhaitaient l’indépendance elle ferma ses frontières avec l’Arménie pour
DOSSIER
ZONES SENSIBLES soutenir son «frère» turcophone, l’Azerbaïdjan. Les forces du HautKarabagh étaient appuyées par les soldats de la république d’Arménie alors que les forces azerbaïdjanaises étaient soutenues pas les moudjahidins afghans ainsi que par des volontaires tchétchènes. Vers la fin de la guerre les forces du HautKarabagh contrôlent non seulement la majeure partie du Haut-Karabagh mais aussi des régions à l’extérieur de l’enclave qui représentent 9% du territoire azerbaïdjanais. Dès lors, le 16 mai 1994, les deux belligérants signent un cessez-le-feu avec la médiation de la Russie. L’avenir du Haut-Karabagh Ces dernières années l’Azerbaïdjan, dopé par ses revenus pétroliers, connaît une des croissances économiques les plus élevées du monde, ce qui lui permet d’augmenter son budget militaire et ses armements en vue de reprendre prochainement le Haut-Karabagh. En effet, la récente doctrine militaire azerbaïdjanaise prône que «le recours aux armes serait inévitable, en cas de non-règlement des conflits
par le moyen pacifique». D’autres propos bellicistes prononcés par des membres du gouvernement azerbaïdjanais disent que les nouvelles armes dont dispose l’Azerbaïdjan permettent «de détruire toutes les cibles dans les territoires arméniens» et que «l’armée azerbaïdjanaise est capable d’intercepter et détruire toute cible en Arménie». En plus des simpes provocations, la politique militariste de l’Azerbaïdjan a dépassé les plafonds maximaux établis par le traité sur les armes conventionnelles en Europe, pour plusieurs catégories d’armements. Dans cet environnement géopolitique hostile, l’Arménie compte sur l’ Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), qui regroupe la Russie et plusieurs pays d’Europe centrale, pour assurer sa sécurité. Le conflit du Haut-Karabagh est une des guerres les plus longues de l’ex-URSS qui affecte l’ensemble de la situation géopolitique de la Transcaucasie, notamment celle du tracé des oléoducs et gazoducs. Le fait que l’on ne trouve pas de solution à ce conflit est un facteur
de retard pour cette région tant au niveau politique qu’économique ou social. Outre le rôle de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan dans la résolution du conflit, celui de la Russie par rapport à ses «étrangers proches»
Le conflit du HautKarabagh est un des plus longs de l’ex-URSS.
sera prépondérant. La coopération et la sécurité dans la région sont la clé pour de meilleures relations entre l’Azerbaïdjan, l’Arménie et le Haut-Karabagh. À terme, si l’on veut aboutir à une paix durable et stable, les forces arméniennes devront rendre les territoires avoisinants du Haut-Karabagh, en contrepartie de quoi l’Azerbaïdjan approuvera la notion d’autodétermination et sera contraint de reconnaître l’indépendance de l’Artsakh. •
Nous sommes nos Montagnes est un monument qui se situe à la périphérie de Stepanakert. C’est le symbole de la république du Haut-Karabagh 11
DOSSIER
ZONES SENSIBLES
Sceau de la CIA dans le hall d’entrée de son QG de Langley, Virginie.
Les bombes à retardement de la CIA On les appelle les «black ops». Les opérations clandestines orchestrées par les services secrets constituent de véritables instruments de la politique extérieure américaine. Souvent dénuées de visions de long terme, elles participent à créer des situations potentiellement explosive. Alexis Rapin
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n anglais, cela se dit «Blowback», en français on préfère le terme plus imagé de «Retour de flamme», à savoir une conséquence imprévue et nuisible qui frappe l’auteur d’une action. A la CIA le terme fait depuis des années partie du vocabulaire courant, tant et si bien que McGeorge Bundy, un ancien conseiller à la sécurité nationale, qualifia le bilan historique des actions militaires clandestines de la CIA de «lamentable». En effet, un bon nombre d’opérations entreprises par les services secrets américains ont amené et continuent d’amener leurs lots de résultats inattendus, le plus souvent regrettables. Le Moyen-Orient, terrain de chasse de l’agence s’il en est, cultive les cas de black ops qui ont débouché sur l’amorcement de situations des plus instables.
communistes, fut destitué et le Shah ainsi remis au pouvoir régna d’une main de fer par le biais d’un régime grassement entretenu par les USA. C’était la première fois que la CIA faisait tomber un gouvernement légitimement élu. Ce ne serait pas la dernière. Mais le gouvernement du Shah exerça diverses brutalités sur la population, ce qui précipita de façon significative la révolution islamique de 1979. La république des mollahs qui lui succède se révéla être non seulement un ennemi juré des USA, mais également un facteur d’instabilité régionale à bien des égards : Soutien au Hezbollah au Liban, guerre contre l’Irak de Saddam Hussein, aide à des réseaux terroristes et ingérences diverses, sa politique étrangère participa à entretenir bien des tensions au Moyen-Orient, dont la plupart demeurent graves plus de 70 ans après Ajax. John Prados, chercheur américain spécialiste des questions de sécurité nationale écrivit ainsi «Washington avait manqué une opportunité cruciale […] de soutenir à bon compte la création d’une démocratie islamique modérée».
Une longue tradition Un exemple bien connu est l’opération Ajax, qui fit tomber le gouvernement du premier ministre Mohammad Mossadegh en Iran en 1953. Grâce à une propagande massive financée et organisée par la CIA, ainsi qu’à diverses tractations secrètes entre des agents américains et des membres des autorités iraniennes, une révolte fut lancée
Tous les moyens sont bons Plus tard, c’est en Afghanistan que les activités de la CIA laisseront leurs traces. Le pays, envahi par les soviétiques en 1979, était le théâtre d’une résistance acharnée de la part des moudjahidines, que les USA furent ravis de soutenir. La CIA offrit rapidement armes, entrainement et finances aux groupes rebelles afghans et collabora avec les services secrets pakistanais, l’ISI,
suite à un coup monté politique. Mossadegh, qui avait nationalisé la production pétrolière et était considéré comme sympathisant des
pour disposer d’un intermédiaire régional. C’est ces derniers qui furent pendant longtemps chargés de
C’était la première fois que la CIA faisait tomber un gouvernement légitimement élu. Ce ne serait pas la dernière.
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ZONES SENSIBLES répartir l’aide américaine entre les différentes factions, apparemment sans que la CIA surveille elle-même ce qui était fait de son argent. Ainsi les Pakistanais profitèrent de l’occasion non seulement pour se tailler une clientèle dans les chefs de guerre afghans, mais également pour favoriser les plus fondamentalistes parmi eux, dont un groupe qui se faisait appeler talibans… C’est ainsi près de 9 milliards de dollars qui furent distribués, sous forme d’armes notamment. Lorsque l’armée rouge, saignée au possible, se retira en 1989, la CIA cria victoire. Elle ne s’affola que peu de voir un régime islamiste s’installer par la suite en Afghanistan. Elle le regretta quelques années plus tard, pas besoin cette fois d’expliquer pourquoi. Un des chefs de clan qu’elle arma, un certain Ben Laden, lui causa d’ailleurs bien de l’embarras. Surtout lorsqu’elle s’aperçut que le complexe de bunkers qu’elle lui avait fait construire dans les montagnes pour résister aux Russes allait servir contre les USA. John Prados écrit cette fois «Si cette opération n‘avait pas eu lieu, il y a de bonnes raisons de croire que l’ascension du fondamentalisme islamique aurait pu être enrayée».
Jouer avec le feu Quelques années après, l’affaire de l’Irangate nous ramène dans la République des mollahs en 1985. Il s’agit cette fois d’un véritable scandale publique. William Casey, directeur de la CIA à l’époque, décida, à son initiative personnelle, de vendre clandestinement des armes à l’Iran pour faire libérer des otages américains au Liban, et d’utiliser les bénéfices pour financer les contre-révolutionnaires nicaraguayens. Alors en guerre avec l’Irak de Saddam Hussein, l’Iran reçut ainsi plusieurs centaines de missiles antichars et antiaériens qui furent sans doute utilisés dans les combats qui faisaient rage sur le front. Les USA, qui avaient jusqu’alors déjà
soutenu l’Irak, en vinrent ainsi à jouer sur les deux tableaux, entretenant une guerre abominable qui devait faire plus d’un million de morts. Il manquerait quelqu’un sur ce portrait de famille si l’on oubliait de mentionner le projet Achilles, en Irak. Après des hauts et des bas dans leurs relations avec Saddam Hussein, les USA décidèrent de se débarrasser de lui définitivement entre 1995 et 1997. La CIA établit ainsi des relations proches avec de multiples groupes rebelles irakiens, kurdes notamment, à qui elle procura des moyens importants. Plusieurs tentatives de soulèvement échouèrent, la plus ambitieuse se muant en véritable fiasco qui coûta la vie à des centaines d’insurgés et engendra des répressions brutales sur les minorités dont ils étaient issus. D’une part, ces tentatives ne provoquèrent pas la moindre menace sur la dictature de Saddam à l’époque. Mais en plus, les
Allen Dulles, pionnier de la CIA et père de l’opération Ajax.
financements si convoités, répartis à l’aveuglette par la CIA, exacerbèrent les tensions entre les différentes factions rebelles irakiennes. Certaines, au Kurdistan irakien, se livrent encore à des querelles de pouvoir meurtrières.
Des risques, et, parfois, des résultats Ces opérations ne sont que quelques exemples, les plus connus, parmi nombre d’autres sur lesquels on sait moins, ou parfois rien. Elles sont régulièrement citées car les années qui nous en séparent offrent deux avantages. D’une part celui d’avoir accès à certains documents officiels déclassifiés qui nous livrent un peu de vérité dans ce monde du secret. D’autre part, elles nous permettent un plus grand recul sur les conséquences véritables de ces opérations aventureuses. Que penser de ces entreprises, sinon que leur manque d’analyse en profondeur et de vision de long terme amorce les détonateurs de bombes à retardement dans diverses régions du monde? Si les USA, conscients de ces échecs historiques, continuent de les pratiquer, c’est visiblement qu’ils sont convaincus de leurs indéniables utilités directes. Qu’ils soient nobles ou peu louables, les objectifs à court terme de ces opérations ont toujours revêtu une importance certaine pour le gouvernement américain qui paraît, depuis, être devenu «addicted» aux black ops. Au sujet de l’efficacité des opérations clandestines, John Prados écrira : «La CIA n’a mené que deux sortes d’entreprises paramilitaires, celles qui ont échoué, et celles qui ont frôlé l’échec.» Là où les relations internationales sont souvent comparées à un grand échiquier, est-il bien prudent d’y prendre part en jouant au poker?• Pour en savoir plus : Le livre noir de la CIA de GORDON Thomas et DENOEL Yvonnick.
Les guerres secrètes de la CIA de PRADOS John.
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URBAINES
JEAN-VIOLETTE
Et si vous viviez à Jean-Violette ? Pour ce numéro et rien que pour vous, International.Ink a envoyé deux de ses rédactrices très spéciales dans l’ambiance étrange de la rue Jean-Violette. Voici leur histoire… Aurélia Bernard et Claire Camblain
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Jean-Violette…tu veux dire le cousin de Fanfan la Tulipe»? Oui, mesdames et messieurs, ainsi a commencé notre enquête, sous les moqueries et les blagues même pas drôles de nos concitoyens. La bave des crapauds n’atteint pas les blanches colombes. Nous avons persisté et nous vous proposons de découvrir cette petite rue, artère perpendiculaire à la rue de Carouge, coincée entre un Pouly et la Sportive. Elle est discrète la demoiselle, elle se réserve pour le grand soir, dévoilant ses charmes tout en finesse et subtilité. Sophie, fripeuse et commerçante fraichement installée nous en parle déjà pourtant avec amour «c’est une rue très vivante, qui bouge beaucoup. J’entends souvent des cris, les gens s’interpellent entre immeubles. C’est un mélange de bobo et de populaire, on y croise une palette d’individus hétéroclites : de la mamie aux plus jeunes, des solitaires aux familles bien garnies. Je dois parfois faire dans le social, et l’hôpital n’étant pas très loin, certains viennent me raconter leurs malheurs. Mais c’est un quartier dont je suis vraiment ravie.» Hétéroclite, le mot ne pourrait être mieux choisi. Jean-Violette abrite des personnalités hautes en couleurs: des chiens attendant sagement que leur maître s’en revienne de leur lutte contre la dépendance, des jeunes et des geeks hagards devant le cyber café du coin, un hôtel de luxe avec sa porte automatique qui s’ouvre quand on veut la fermer, des
clients d’une Sportive bien remplie, une laverie où se côtoient étudiants et leurs bouquins, des énervés du téléphone ainsi que des têtes fatiguées. Et si vous cherchez bien, vous remarquerez peut-être des Enfants terribles bien cachés où un bel homme travaille le bois à mains nues. Si par hasard vous décidiez de vous éloigner quelques instants de cette rue aux milles trésors, vous tomberiez sur un joli petit théâtre où vous trouveriez
On lui donne alors le nom de rue Jean-Violette en hommage au poète suisse romand.
Une moitié de la rue est démantelée pour de gros immeubles locatifs.
La rue Jean-Violette c’est une belle brochette de saveurs où on aurait plaisir à se piquer
de quoi écrire des chroniques, un squat mystérieux et une Église dont la cloche est en avance de 10 minutes. Enfin, pour être sûr d’être au bon endroit, il vous faudrait rencontrer la femme toujours suivie d’une boule de poils blanche et si frisée qu’on ne sait plus où est la tête (et oui, encore un canin dans le paysage), des chauffards assassins et un roux inaccessible. Vous l’avez compris, la rue Jean-Violette c’est une belle brochette de saveurs où on aurait plaisir à se piquer. Si elle ne
URBAINES
JEAN-VIOLETTE vous disait rien, maintenant elle vous est familière. Mais quelles sont les mystérieuses raisons expliquant une vie sociale si hétérogène au sein d’un même quartier? Remontons un peu plus loin, vous vous en souvenez surement, c’était au début du siècle dernier. La ville y était moins bruyante et l’air plus pur, mais surtout, la rue explorée était beaucoup plus fleurie. Cela ne nous apparaît pas très
quartier. Une moitié de la rue est démantelée au profit de gros immeubles qui doivent subvenir aux besoins liés à la croissance démographique. La rue n’étant plus fleurie a laissé place au béton armé, on lui donne alors le nom de rue Jean-Violette en hommage au poète suisse romand. En même temps, on agrandit la chaussée de la ruelle, pour en faire une avenue traversante…il y a l’hôpital cantonal de l’autre côté, et ce serait donc beaucoup plus simple de passer par JeanViolette pour y accéder. Mais l’autre partie de la rue n’a pas dit son dernier mot. D’autres artistes y vivent, des sculpteurs, peintres et potiers se rassemblent et les voisins s’opposent ensemble à la démolition de leurs habitations. Comme nous
Mais quelles sont les mystérieuses raisons expliquant une vie sociale si hétérogène au sein d’un même quartier?
original que de se rappeler que l’étroite rue de l’époque était bordée de maisonnettes aux nombreux jardinets abritant des rangées de violettes. Les voisins du quartier venaient d’ailleurs les admirer chaque printemps (ce qui donna d’abord son nom rue des Violettes). Quant au caractère bobo de la rue, il fait écho à un passé déjà riche et animé. Leur proximité avec le théâtre Pitoëff (rue de Carouge), le Grand-Théâtre (Place-Neuve) et la Comédie de Genève (boulevard des Philosophes), donnait l’opportunité aux vieilles maisons du quartier d’abriter écoles de musique et de danse, mais surtout les nombreux artistes-comédiens de ces scènes de spectacle. Pourtant, renversement de situation et d’ambiance dès les années 1970 où la ville prend le dessus sur la vie de
le voyons aujourd’hui, leur résistance a porté ses fruits, les maisons étant toujours debout. Ainsi, vous verrez la rue des voisins qui coupe la Jean-violette, hommage à cette solidarité? Une chose est sûre, c’est que nous trouvons dorénavant une rue Jean-Violette scindée en deux : d’un côté, une architecture faite de maisons moyennes et colorées, parsemées de barsbobos où le côté artistique se perpétue; de l’autret, une réalité plus criante, une vie populaire confrontée aux inégalités de la vie sociale mais donnant une vision plus profonde de la nature humaine.•
Un squat mystérieux et une Eglise dont la cloche est en avance de 10 minutes.
Une chose est sûre, c’est que nous trouvons dorénavant une rue Jean-Violette scindée en deux. 15
ZOOM
TERRORISME
L’amorce de la terreur Du goût de l’absolu à la pulsion de haine. De l’emprise des consciences au sacre médiatique. Ou lorsque résistance, terrorisme et violence légale s’enlacent en une danse macabre. Matteo Maillard Rien n’est vrai, tout est permis
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Ainsi parlait Hasan Ibn Sabbâh, chef spirituel de la secte chiite ésotérique des nizarites. Les membres de ce groupuscule aussi connus sous le nom d’Hashshâshîn, perpétraient, d’Acre à Jérusalem, de spectaculaires assassinats publics de dignitaires templiers lors de la troisième croisade. Ils n’en réchappaient que rarement. Leur geste meurtrier se présente ainsi comme la première forme ritualisée d’attentat suicide, à portée politique et religieuse. A un point tel, que des suppositions étymologiques font découler le terme assassin du nom Hashshâshîn, racine semblable pour le Haschisch, plante qu’ils recevaient en prévision de leur acte. Avec le temps, le coup de poignard est devenu coup de feu ou déflagration, comme les idéologies ont subi des mutations. Si les manières ou les motifs diffèrent, la pulsion qui entraîne l’acte terroriste semble inchangée. Le terrorisme est à considérer, avant toute chose, comme la cristallisation puis l’éclatement de ce qu’Aragon nommait «le goût de l’absolu». «Une passion si dévorante qu’elle ne peut se décrire. Elle mange qui la contemple. Tous ceux qui s’en sont pris à elle s’y sont pris. On ne peut l’essayer, et se reprendre» . L’acte terroriste est un acte tributaire de la passion. Passion comme action d’endurer la souffrance, mais aussi passion pour une cause, pour une idée, pour un
imaginaire et des représentations personnelles ou partagées. Une fleur monstrueuse qui «prend parfois le langage du scepticisme comme du désespoir, mais c’est parce qu’il suppose au contraire, une foi profonde, totale, en la beauté, la bonté, le génie, par exemple» . Le langage choisi par le terrorisme est celui des corps déchiquetés, des cendres et du sang. Le scepticisme est fanatisme. La foi totale, plus celle des dogmes que celle du beau. Au crépuscule des attentats du 11 septembre, le compositeur Karlheinz Stockhausen a considéré cet acte comme «la plus grande oeuvre d’art jamais réalisée dans le cosmos». Tollé général, la salière vidée sur une plaie béante, l’indignation gronde un manque de respect outrageant pour les victimes et les familles meurtries. Pourtant la fascination est là, tournant sur nos écrans, les images de la collision, puis la chute des tours, imprimant le choc sur la rétine comme pour mieux le faire accepter. Face à l’incompréhensible, l’inimaginable, le temps se met à tourner, des boucles incessantes pour en immobiliser le mouvement. C’est une façon de domestiquer cette «brutale discontinuité qui vient rompre une normalité paisible» . Images obscènes car déjà vues, on vient revoir ce qui a déjà été aperçu en fiction, sauf qu’ici les images débordent de réel, débordent du réel. Un mouvement de va-et-vient pour exorciser un mal qu’on pensait irréalisable. Cet effet de réel produit est alors
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TERRORISME immédiatement hissé au rang d’effet esthétique. De l’absurde absolu on ne perçoit que la beauté. Peu importe la noblesse de la cause défendue le terrorisme est uniquement affaire de légitimation. Entre le terroriste et le résistant, la distinction ne s’établit qu’au travers du contexte socioéconomique et politique dans lequel l’acte est perpétré, comme celui des années futures. Le régime nazi aujourd’hui au pouvoir, la résistance française et anglaise ne serait qu’un réseau de terroristes vaincus. Cette légitimation s’effectue par le regard de celui qui détient le pouvoir et applique sa vérité à l’Histoire. La lutte qui se tient dans le terrorisme moderne oppose un centre à sa marge. Une majorité en proie à ses minorités dissidentes. Le centre est ici un Etat-nation légitimé par une population, un territoire, et reconnu par le reste des Etats-nations dans sa souveraineté. La marge, elle, est idéologique. Son but est le renversement de cette légitimation à son profit. Si l’Histoire est écrite par les vainqueurs, le terrorisme est en quelque sorte un pari sur l’avenir. Poser la question du terrorisme c’est aussi poser la question de sa mesure. A partir de quel instant peut on qualifier un acte de terroriste? Lorsqu’il y a mort d’homme? avant? après? Doit-on comptabiliser les cadavres? On approche la question du seuil qui est, elle aussi, affaire de point de vue. Le terrorisme est, comme la guerre, la continuation de la politique par d’autres moyens, et cette assertion fonctionne dans les deux sens. La bombe du terroriste est chargée de shrapnels et de sens. Son but premier est de produire une rupture suffisamment forte avec la normalité pour que son message politique soit diffusé et entendu. Dans l’autre sens, accuser un adversaire de terrorisme peut devenir l’objectif
Le terroriste, comme le barbare, c’est toujours l’Autre
politique d’un Etat, ou ses institutions, dans le but de décrédibiliser un groupe, une entité résistante. Ce sont les Etats souverains qui détiennent le monopole de la violence légitime. Sur le champ de bataille, le privilège au meurtre se distingue par l’uniforme, impératif signalétique qui octroie l’impunité pour des guerres propres et légales. Il est l’indicateur du droit de tuer, prérogative à un crime banalisé, convenable. C’est parce que le terroriste ne possède pas d’uniforme qui le rattache à une entité guerrière légitime, que son action apparaît comme moralement inacceptable . A l’inverse, le crime d’Etat semble parfaitement en règle, pour la loi comme la morale. Asymétrie du pouvoir et des valeurs. Toutes les vies ne se valent pas lorsqu’elles se mesurent au prestige de l’uniforme. Si le terrorisme ne porte pas d’habits officiels, c’est qu’il est une lutte non-conventionnelle, de fait, peu présente sur le théâtre des opérations. Sa tourmente s’exerce sur sol civil. Un sac abandonné dans un terminal. L’horreur du terrorisme réside dans sa dissimulation au cœur du quotidien le plus trivial. Déchirure soudaine au bout de
l’attente. Il vient bouleverser notre rapport au présent en instiguant une atmosphère persistante de crainte et de suspicion qui mène à la paranoïa sécuritaire et la suspension des libertés. Il est l’effroyable jeu du hasard, chargé de la plus amère des potentialités: la mort. La fracture est d’autant plus grande pour des sociétés modernes où le décès est un tabou mal enfoui. Lorsque ce choc n’est pas directement vécu, il est véhiculé par les images des médias qui en assurent le traitement et la publicité. Dans une société du signe, la nécessaire communication politique que recherche le terrorisme, trouve dans le système médiatique une arme de propagande idéologique plus puissante que n’importe quelle ceinture d’explosifs. Afin d’attirer l’attention sur sa cause, le terrorisme se veut spectacle, adaptant sa forme à celle des canaux qui transmettent ses actions et sa voix. Le médium redevient le message. Nous assistons à la mise en scène de l’acte terroriste qui se réapproprie ainsi la visibilité dont il n’est pas maître. Sur les tréteaux de l’espace public le terroriste assène les trois coups. Plus qu’une vitrine du terrorisme, les médias permettent surtout son assimilation par le passage nécessaire entre la phase de l’explosion et celle de la normalisation. Ainsi, l’étrange, l’imprévisible, l’inattendu s’adapte progressivement au corps de la normalité et s’inscrit dans les mémoires comme le seul possible jamais envisagé . On assiste à la cicatrisation. Un acte à la fois violent et imprévu ne peut conserver son caractère d’exceptionnalité indéfiniment. La plaie mémorielle doit être recousue, et c’est avec le double travail du temps et des médias - banalisation du choc des images par leur reproduction comme autant de coups répétés qui finissent par faire disparaître la douleur - que l’acte terroriste peut passer du statut d’impossibilité concrétisée, à celui de possible assimilé. L’historien terminera le mouvement du journaliste en fixant ce vertige dans le factuel. En donnant à l’évènement une temporalité, il lui assurera l’intemporalité. L’annonce de la mort de Ben Laden - euphémisme pour assassinat - où l’on voit les démocraties souffler dans un cadavre, bien heureuses de pratiquer une justice sans jugement, rappelle que la limite d’un Etat de droit et ses principes s’arrête où la lutte anti-terroriste commence. Le trophée enterre le procès sous les cris de joie d’une violence étatique légitimée, légitimante, pour les luttes à venir. La ligne de partage entre résistant et terroriste se décompose. Au grand bal des explosifs, le terroriste, comme le barbare, c’est toujours l’Autre. A la question du terrorisme, dégager une vérité objective hors de nos perceptions relatives paraît dès lors illusoire. L’avenir indicible et tous les possibles envisageables confineraient-ils au cynisme et à l’apathie? Dans ce cas, pour le meilleur ou le pire, rien n’est vrai, tout est permis. Voici le temps des Assassins
Pour les références des citations, retrouvez l’article sur notre site www.internationalink.ch 17
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TERRORISME
Le banquier de l’ombre Parmi les activistes les plus acharnés et les plus emblématiques de ces dernières décennies, un personnage sort curieusement du lot: le nazi suisse François Genoud, homme de l’ombre et véritable stratège. Youri Hanne
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eule personne à avoir produit un documentaire complet sur François Genoud, Pierre Péan est l’auteur du film L’Extrêmiste, François Genoud, De Hitler à Carlos, réalisé un an avant la mort du protagoniste. Le journaliste d’investigation y relate les faits historiques auxquels est mélé le nazi suisse, connu pour son rôle de «banquier du IIIème Reich» et de cerveau du terrorisme international.
Chef d’orchestre ou petit musicien? François Genoud est un patriote suisse, il est né en 1915 à Lausanne. À douze ans, son père l’envoie en Allemagne dans un camp pour jeunes où il apprendra «l’ordre et la discipline». Contrairement à son père, François restera toute sa vie convaincu que ces vertus résident dans les gènes des individus. À cet âge là, il a déjà la tête dans le journal nationalsocialiste. L’Allemagne est au bord de la guerre civile; Hitler accède au pouvoir en 1933. François Genoud se découvre un véritable amour pour la nature et entretient, dans son coin, le fantasme d’une race aryenne. Il considère que les Juifs ont «une influence négative» sur le monde. Pourtant, il confie ne jamais avoir cru à une volonté de «solution finale» de la part du régime nazi. Il déplore par ailleurs que la doctrine nationale-socialiste soit «victime d’un grand complot mondialiste» organisé par «les démocrates, les Juifs et les Occidentaux». François Genoud a su rester discret tout au long de ses cinquante ans d’activisme. Exécuteur testamentaire de Hitler et de Goebbels, proche d’Ahmed Ben Bella et de Mohammed Khider pendant la guerre d’Algérie, agent du nationalisme arabe ou encore ami des chefs terroristes Waddi Haddad et Carlos. Sa démarche de militant en dit long sur la complexité du monde. Décrit parfois comme un chef d’orchestre nazi, le Suisse se considère plutôt comme un petit musicien.
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Hitler, idole des nationalistes arabes François Genoud adhère au Front national suisse. Le parti a très peu de succès en Suisse romande. En 1936, Genoud se rend à Baghdâd. Il a vingt ans. C’est le premier coup d’Etat nationaliste en pays arabe. Il rencontre des réfugiés palestiniens et s’engage, contre le Royaume-Uni, dans la cause palestinienne. Le pays est à feu et à sang. Face à la puissance britannique, nazis et nationalistes arabes se serrent les coudes. Le Grand Mufti de Jérusalem et Adolf Hitler s’échangent une poignée de main. Un acte symbolique qui va permettre le rapprochement du nazi François Genoud avec les activistes radicaux palestiniens dans les années 1970. En 1941, François Genoud est recruté par l’officier Paul
Dickopf, devenu son ami. Cet ancien agent de la Gestapo est alors membre des services secrets de l’armée allemande. Genoud devient un véritable espion nazi alors qu’il opère officiellement en Suisse pour les Renseignements helvétiques.
Des livres nazis aux activistes infréquentables Attaché à la littérature nazie, François Genoud prend en main l’édition de plusieurs dignitaires du IIIème Reich dont l’illustre Dr. Goebbels. Alors que le bréviaire hitlérien Mein Kampf est banni en France, Genoud garde en mémoire cette phrase qui figure dans Le Testament politique de Hitler, publié chez Arthème Fayard: «Je suis persuadé que les Japonais, les Chinois et les peuples régis par l’Islam seront toujours plus proches de nous que la France, par exemple, en dépit de la parenté du sang qui coule dans nos veines».
Le nazi François Genoud s’est battu toute sa vie contre le mondialisme.
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TERRORISME François Genoud rêve d’un IVème Reich. En 1951, il organise l’évasion du Général Ramcke, héros de la Wehrmacht prisonnier en France. Ce coup d’éclat permet à Genoud de se faire sa place au sein du gotha nazi. Genoud rejoint Ramcke en Allemagne. Il y fait la connaissance de Hans Rechenberg qui devient son ami. Avec ce haut-fonctionnaire du IIIème Reich et officier de la Wehrmacht, Genoud voue une fidélité sans limite à Hitler et à ses idées. Il est devenu l’un des plus précieux propagandistes du nazisme. Le nationalisme arabe, soutenu par l’extrême-gauche européenne, devient la nouvelle priorité de François Genoud. Nazis et communistes s’impliquent dans une même cause. En 1960, Adolf Eichmann, organisateur principal de la solution finale, est capturé en Amérique latine et livré à Israël. Genoud met en place la stratégie de rupture pour sa défense, une tactique reprise plus tard par l’avocat des causes scandaleuses, Maître Jacques Vergès. Il s’agit pour l’accusé de refuser de répondre à toutes les questions et de nier la légitimité des juges. Eichmann, docile, est condamné à mort. Deux ans plus tard, les accords d’Evian sont les prémices de l’indépendance de l’Algérie. Ben Bella dirige le pays. Khider est à la tête du Front de Libération Nationale (FLN). Alors que l’Algérie est encore française, Genoud fonde la première banque algérienne indépendante. Avec Paul Dickopf, il case ses amis allemands dans l’administration d’Alger. En plus de l’argent, Genoud s’intéresse au pétrole et lance la construction d’un pipe-line cent pour cent algérien. Les Britanniques, les Français et les nouveaux responsables algériens du pétrole font échouer le projet. Khider démissionne sans pouvoir éviter la débâcle. Genoud, dépositaire du trésor du FLN, reste son ami. Khider veut financer l’opposition à Ben Bella qui les fait emprisonner et expulser. Ben Bella est renversé dans les mois qui suivent par le colonel Houari Boumediene qui poursuivra Genoud pour récupérer le trésor du FLN jusqu’en 1979.
«Ce n’est pas au vainqueur de juger le perdant d’une guerre»
Israël brise l’espoir du nationalisme arabe Juin 1967. L’expansion nationaliste arabe est stoppée net par Israël. L’Etat juif parvient à s’assurer la pérennité en tablant sur les conflits entre pays arabes et tire profit des tensions au sein même des mouvements nationalistes. Le Docteur Georges Habbache, chef du Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP) prône la lutte armée et dénonce «le racisme, l’agression et la soif de conquête de l’Etat d’Israël». À Zürich, un commando du FPLP commet un attentat contre un avion israélien. Nous sommes en 1969. Genoud se précipite sur les lieux et applique sa stratégie de rupture pour défendre les hommes du FPLP. Il part ensuite au Liban rejoindre Waddi Haddad, activiste palestinien. Cette rencontre marque le début de l’internationalisation du terrorisme.
Pour concurrencer le FPLP, Yasser Arafat monte sa propre organisation terroriste en 1971, baptisée symboliquement «Septembre noir», en hommage aux milliers de Palestiniens poussés à l’exil par le roi de Cisjordanie. Une nouvelle amitié naît avec François Genoud. Le Suisse ne déroge pas à son image d’homme de l’ombre; il ne revendique que le détournement d’un avion de la Lufthansa dans le but d’obtenir une rançon. L’opération est un succès. Jamais Genoud ne dépensera le moindre sou de la somme détournée. La marque d’un homme de conviction, fidèle aux siens et à ses idées. Il restera fier et digne jusqu’à la fin de l’histoire.
La rencontre avec Waddi Haddad marque le début de l’internationalisation du terrorisme.
Vergès le scandaleux et Carlos, frère spirituel Figure montante du FPLP, Ilich Ramirez Sànchez dit Carlos prend la succession de Waddi Haddad, assassiné en 1978 par empoisonnement. Ce jeune vénézuélien mènera une carrière de militant et de terroriste pour diverses causes. Genoud, lui, est toujours sain et sauf. Son engagement semble toutefois toucher à son terme. Tous les services secrets sont sur ses traces; il leur semble toujours plus utile vivant que mort. Genoud reprend du service dans les années 1980 pour voler au secours de l’ancien officier SS, Klaus Barbie. «Si nous ne le faisons pas, qui le fera?» répondra-t-il à sa femme hésitante. Le Suisse contacte Jacques Vergès, ami de longue date qui accepte de défendre Barbie. Genoud mène son dernier combat. Il veut trouver un asile à son ami Carlos auquel il se dévoue entièrement. Il essuie des refus de la part de la Syrie, de l’Irak et de l’Iran. Après vingt ans de traque, la police française a Carlos sous écrou. Genoud réaffirme amitié et admiration pour Carlos. Les deux hommes correspondent par courrier et discutent de la nécessité d’une révolution mondiale. Le vénézuélien vante à la fois Saddam Hussein et le renouveau du terrorisme islamique, ce qui, pour le journaliste Pierre Péan, relève d’un amalgame surprenant. Pour Genoud, Carlos est «un combattant qui n’a jamais commis de crime de droit commun, un homme politique engagé pour une cause extrêmement honorable». Genoud est le dernier défenseur de sa cause. Il considère que ce n’est pas au vainqueur de juger le perdant d’une guerre. Le même argument depuis Nuremberg. Le combat de Genoud est perdu. Il ne verra pas renaître le IIIème Reich. Palestiniens et Israéliens ont des raisons de croire en la paix. Waddi Haddad est mort, Carlos est derrière les barreaux. Ils sont des vaincus de l’Histoire. C’est la fin d’une époque. François Genoud, complètement isolé depuis la mort de sa femme, décide de mettre un terme à sa vie, le 30 mai 1996.•
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TERRORISME
Le dernier coup de tête du groupe Bélier Durant la lutte pour l’indépendance jurassienne, le groupement séparatiste a mené des actions hors du commun. Léandre Berret
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la fin des années 50 suite à un trop plein d’ingérence bernoise, de réclusion et de désintérêt complet de la part du canton de Berne, les Jurassiens en ont assez! La coupe est pleine, il est temps de montrer ce désaccord et de mettre les politiques face à leurs responsabilités! Le Rassemblement Jurassien (RJ), est fondé. Le groupe Bélier en découlera en 1962, formant la branche «armée» du mouvement. Complètent la liste des groupements séparatistes: le Front de Libération Jurassien (FLJ) et le Mouvement Autonomiste Jurassien (MAJ). Le groupe Bélier, d’après Roland Béguelin, activiste jurassien, a su éviter un terrorisme violent en canalisant les énergies des jeunes Jurassiens par des méthodes et des actions hors du commun. En voici quelques exemples:
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1962-1974. Les démêlés pacifistes illégaux ou le terrorisme grivois… Marre de l’ours bernois et de cette Suisse qui brime une partie de son peuple. Le but du groupe Bélier est clair: écorner l’image de la vache suisse à travers l’Europe, obliger les autorités à lancer des réformes en faveur du Nord bernois et de considérer le problème jurassien. Il s’agira d’abord de rappeler à la ville de Berne qu’elle perd le nord… Donner un coup de pied dans la fourmilière verte des façades de la
capitale pour qu’elle s’aperçoive enfin de l’existence de sa minorité latine! Première lutte afin d’obtenir un plébiscite et une autonomie jurassienne. Pour se faire entendre, le FLJ et le groupe bélier entrent dans l’action contestataire et hissent les couleurs jurassiennes dans toutes les communes de leur petit coin de pays. Le groupe Bélier se lance dès lors dans une campagne de contestation humoristique : le but étant «de faire connaitre les tenants et les aboutissants de la question jurassienne audelà des frontières, exporter le problème jurassien afin de faire pression sur les autorités bernoise et la Confédération.» tout en évitant des actions violentes. Suivis par des milliers de jeunes lors de leur première participation à la fête du peuple jurassien, les Béliers sont actifs et prennent des initiatives fructueuses. Leur première année d’action est marquée par l’occupation de la préfecture de Delémont—symbole de l’implantation bernoise dans le Jura-Nord—ainsi que la distribution de 300’000 tracts dans les localités du canton de Berne et le fleurissement sur les chaussées de graffs «JURA LIBRE». Elle provoquera la déclaration suivante du conseiller fédéral bernois Wahlen en visite au marché concours de Saignelégier : «Chers Jurassiens, c’est maintenant l’heure du Jura». Les Jurassiens l’ont entendu et s’activent plus que jamais
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TERRORISME pour l’autonomie de leur canton et ce sont 500 membres du groupe Bélier qui se réunissent en septembre de la même année, à Berne, pour répondre à l’appel au dialogue de M. Wahlen. En plus des nombreuses manifestations pro-jurassiennes, menées périodiquement jusqu’au plébiscite de 1974, plusieurs Jurassiens, outrés de devoir servir dans une armée appartenant à un pays qui ne les reconnait pas, se font objecteurs-patriotes et déposent leurs armes devant le Palais fédéral. Ce refus de servir une Suisse qui n’entend pas la voix du Jura et la grande visibilité du groupe Bélier obligent de plus en plus les politiciens à remettre la question jurassienne sur la table des débats. Les Béliers, mis sous écoute téléphonique par le gouvernement bernois, ont pendant près de 10 ans houspillé les symboles bernois, ils ont montré la force et la volonté du peuple jurassien de se construire un avenir indépendant. Bien leur en a pris ! Après l’occupation des ambassades suisses de Paris et de Bruxelles, le bétonnage de la porte du Rathaus de Berne et l’entrée sur la glace des championnats du monde de hockey à Berne, les Béliers, hyperactifs, ont réveillé l’ours bernois de son hibernation politique. Devant cet enthousiasme et le soutien populaire des Jurassiens, la marche vers l’autonomie aboutit enfin au plébiscite de 1974 qui enclenche la construction d’un canton du Jura composé des districts d’Ajoie, de Delémont et des Franches-Montagnes. Et puis ils s’en furent… Le groupe Bélier se range, les membres actifs s’en vont un à un, certains s’engagent dans la politique jurassienne. Une nouvelle génération de Béliers se met en place, révoltée, elle, par la séparation du canton, scindé Nord-Sud. Il revendique la perte de sa moitié et se promeut revendicateur de la Question jurassienne. Un journaliste de la TSR, dans un reportage pour Temps Présent en 1971, résumera ainsi le combat autonomiste: «Une si jolie petite guerre, sans mort, sans héros et sans gloire». Mais victorieuse !
«Chers Jurassiens, c’est maintenant l’heure du Jura ».
1974- Aujourd’hui. La réunification et l’activisme anarcho-contestataire. Plus proches de nous, les actions menées par les nouveaux membres : vol de la pierre d’Unspunnen (BE), destruction de la sentinelle des Rangiers (JU) et autre rapatriement de la roue des moulins de Bollement (JU), descellée en 1972 par l’armée suisse. Après la réussite de 1974, c’est le scandale des caisses noires qui attise la volonté justicière des réunificateurs. En fait, l’histoire voudrait que la confédération ait illégalement distribué près d’un million de francs suisses aux loyalistes bernois pour une période allant de 1974 à 1982. Mais la procédure judiciaire empêcha les Jurassiens restés Bernois de revoter. Et le refus du Tribunal Fédéral d’entrer en matière puisque la République n’existait pas à l’époque des faits. Un
sentiment de discrimination et d’abandon survient et le Bélier se remet à l’ouvrage. Mais il doit se redéfinir, le combat n’est plus le même… Il luttait pour l’autonomie jurassienne, il doit maintenant se battre pour l’unification. « A l’heure actuelle, la République et Canton du Jura n’est formée que des trois districts du nord du Jura. Elle doit tout mettre en œuvre pour rétablir l’unité du Pays. Le district de Laufon a rejoint Bâle-Campagne. Quant aux trois districts méridionaux (Moutier, Courtelary et La Neuveville), archiminoritaires dans un canton germanophone, vidés de leur substance vive et germanisés, ils dépérissent au fil des ans.» Cependant, il semblerait que l’élan populaire qui permit une si grande réussite ait fuit les protestataires, et la motivation avec: ces actes contestataires ressemblent plus à des brigandages solitaires qu’à des actions collectives soutenues ! Les anciens faisaient le désordre bernois et les autorités connaissaient leur pouvoir de mobilisation et le soutien que leur vouaient les Jurassiens. Les membres du groupe Bélier actuel ont des airs d’équipe de fêtards en manque d’adrénaline. Les «coups d’éclats» sont passés sous silence par les médias et la prise d’otage de la pierre d’Unspunnen alimente les discussions comme une bonne blague de jeunes voyous, sans plus. Des mobilisations plus que sporadiques, une fête de la jeunesse jurassienne désertée, pourtant symbole de l’enthousiasme populaire. Le Bélier s’adresse à une foule de fidèles largement amenuisée. D’ailleurs, son seul vrai impact après 1974 aura été d’initier le rapport Widmer -reconnaissant l’erreur de la séparation du Jura-Nord avec le Jura-Sud- après un accident qui tua un de ses membres. Si ce n’est la volonté, ce sont bien les actions et la non-clarification des buts, de la lutte, moins compréhensible qui atténuent la force du Bélier. Le mouvement a, si ce n’est incité, du moins accéléré le passage à l’autonomie jurassienne. Les autorités politiques bernoises et fédérales étaient joyeusement ridiculisées et subissaient le groupe Bélier. Il a eu son heure et s’est inscrit dans l’histoire jurassienne comme un acteur fondamental à l’avancée de l’autonomie. Malheureusement, ses descendants ont un effet moindre. Alors qu’il fallait faire appel aux grenadiers bernois et à la police pour déloger les manifestants du palais fédéral, le Bélier d’aujourd’hui n’est ni craint ni combattu… La Question jurassienne ne se règlera pas par le groupe Bélier, oublié par la presse, snobé par les politiciens. Alors que sa lutte ressemble plus à un alibi pour subsister, le groupe Bélier actuel est très loin de provoquer un quelconque changement dans les relations Nord-Sud. C’est d’ailleurs le conseil d’Etat bernois qui a récemment entamé un processus qui doit mener à un scrutin populaire en 2013. Sans faire suite à aucune pression protestataire. Bref, quand des institutions légales prennent en mains les sujets qui fâchent, et s’appliquent à trouver des solutions, les mouvements illégaux peuvent ranger leurs seaux de peinture et leurs revendications. Ils houspillent désormais des valeurs déjà traitées et nul ne se retrouve plus dans des fauteurs de troubles en mal de reproches.•
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AESPRI
VOYAGE
«Egészségetekre!*» La bande de l’AESPRI part en vadrouille en Europe centrale. Illan Acher
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u 4 au 11 avril 2011 s’est déroulé le –désormais– traditionnel voyage de l’AESPRI, avec comme destination cette année –roulement de tambour!– Budapest, ville la plus peuplée d’Europe centrale, haut lieu culturel dont la renommée n’est plus à faire. C’est donc trente étudiantes, débordantes de fougue et de jeunesse, qui ont débarqué ce lundi après-midi sur les rives du Danube (déjouons aussitôt toute équivoque: c’est bien par les airs et non par les eaux que nous gagnâmes la ville). Premiers contacts avec ce nouvel espace pour lequel une semaine de découverte ne sera pas de trop. Les bus, les stations de métro, et sous un ciel terne préfigurant déjà le climat à venir, les valises à roulette raclant les pavés anciens
se dirigeant vers le croisement d’Astoria, au centre de la ville. Elles trouveront vite refuge dans une des cinq chambres du dernier étage d’un charmant immeuble de style classique (ou baroque, néobaroque, peut-être néoclassique? vieux quoi) surplombant la rue animée. Cinq chambres de six personnes pour trente occupantes… Faites le compte
laisse pas fermer l’œil alors qu’une visite obligatoire vous attend dans quelques heures– et qui passait de temps en temps la nuit dans une pièce séparée et demandait, après vingt-deux heures, un peu de calme –voyez-vous ça.
vous-même. Autant dire que nous n’aurons pas été beaucoup dérangées, si ce n’est quelquefois par le responsable des lieux, un trentenaire adepte de hard rock matinal –du type qui vous ne
plupart des participantes s’était inscrite avec quelques amies, tout le monde a fait bien des efforts afin de faire connaissance. Étudiante en relations internationales ou en science politique, qu’importe –les
La vie en communauté n’avait plus qu’à débuter ! Et bien que la
Le Jobbik est l’inventeur de la notion de «criminalité rom»
AESPRI
VOYAGE fiertés attendront. Ainsi le premier soir, ambiance festive dans un bar local, verres colorés à la main, et les gags chauvins juste inattendus n’ont pas tardé à surgir. Pas trop tout de même : les conversations se trouvaient en plus grande partie animées par les quatre étudiantes hongroises qui ont fait preuve d’un très beau sens de l’hospitalité –ou bien ne voulaient-elles que faire la fête avec de nouvelles têtes, c’est à voir– en acceptant de nous rencontrer et de nous emmener avec elles dans des lieux non accessibles aux touristes ordinaires ; une expérience dont beaucoup d’entre nous retirent un souvenir marqué : en effet, lire un article sur Internet au sujet de l’avancée inquiétante du Jobbik, l’imposant parti d’extrême droite hongrois, et voir dans la fraîcheur de la soirée, à l’extérieur du bar d’où proviennent les rires du groupe, le visage de son interlocuteur changer à la seule évocation du nom Jobbik, ce n’est pas pareil. Le jeune homme a baissé sa voix d’un ton, expliquant son désarrois, son effroi parfois, et presque toujours, son sentiment d’impuissance face à la propagation effective de sentiments morbides, entraînant, tout autour de lui, connaissances comme inconnues croisées dans la rue dans un mal-être profond, et ce n’est pas marginal, dit-il, tous les secteurs sont touchés, l’éducation comme la santé et la vie professionnelle, la faute notamment au gouvernement conservateur et son triste jeu de chat et de souris, ses accointances à peine dissimulées, avec les forces d’extrême droite. Le Jobbik, justement, dont nous avons eu l’occasion de rencontrer quelques unes de ses représentantes officielles. Idéologiquement, en plus de la classique ethnicisation des problèmes sociaux (en l’occurrence, tout est mis sur le compte des Roms), le parti prône l’interventionnisme étatique dans l’économie, chose qui répugnerait n’importe quel militant UDC de «l’orthodoxie» économique.
Le parti se classe donc sur une ligne différente de celle que nous connaissons en Suisse ; une ligne qui tendrait plus à rappeler les grandes politiques fascistes historiques européennes. Dans le versant d’une violence plus manifeste, le Jobbik ne se vante pas publiquement de la création d’une milice paramilitaire, la Garde Magyare, bien que celle-ci lui soit associée au sus de tous. La Magyar Gárda se présente légalement comme une association de citoyens et déclare vouloir «défendre la Hongrie sur le plan physique, moral et intellectuel». Elle se donne comme but de lutter contre la «criminalité rom». Le rôle de ce mouvement est parfaitement ambigu, la plupart des agressions racistes anti rom remontant à des individus proche de la Garde Magyare, allant jusqu‘à l‘incendie criminel d‘habitation et au meurtre. Nous nous retrouvons donc dans cette petite salle de l’université Loránd Eötvös, autour de ces deux représentantes du parti et d’un professeur de science politique accompagné de deux assistants; les trois derniers nous laissant la parole pour interagir avec les personnalités politiques après nous avoir proposé une rapide présentation du système politique hongrois et du Jobbik. Quelques échanges polis se suivent, et notre rencontre tourne rapidement au ridicule lorsque nous la discussions s’appesantit sur la notion de « criminalité rom », inventée par le Jobbik. Les sensibilités s’échauffent un peu de notre côté tandis que nos interlocutrices (se) répètent continuellement les mêmes incohérences, comme pour se rassurer. Nous découvrons alors que les trois autres Hongrois présents sont, tout compte fait, sinon tous du Jobbik, du moins sympathisants assez sympathisants pour tolérer un discours haineux, lui témoigner une certaine légitimité. Piégées dans cette salle de réunion, nous voyons l’atmosphère continuer à s’alourdir, pour finalement devenir, selon ce
que plusieurs d’entre nous diront une fois à l’air libre, nauséabonde. Heureusement, tout le voyage n’aura pas été marqué que par cette entrevue: nous avons pu organiser une rencontre avec l’autre camp, si l’on peut dire, l’ennemie direct et déclarée du Jobbik: la communauté rom. Enfin pas des Roms directement victimes de la Garde Magyare, mais des membres d’une association de défense des droits des Roms, que nous avons retrouvé au Tűzrakter, bar hautement alternatif presque absolument vide en ce milieu d’après-midi. Des journalistes français expatriés nous ont également fait partager leur vision a mi-chemin entre l’Europe occidentale et centrale; la place des minorités en Hongrie, le rapport au passé longtemps plongé dans les totalitarismes, le silence introverti des Hongrois, la lente reconstruction. Au final que de rencontres puissantes et sincères
Nos interlocuteurs répètent les mêmes incohérences, comme pour se rassurer
dans ce voyage, de rires et de sentiments d’indignation. Quelques semaines plus tard Breivik commet son coup d’éclat dans le sang en Norvège, l’UDC entame son énième campagne de votation hostile aux étrangers (étymologiquement, on dit: xénophobe) et les participantes au voyage rempilent dans leur majorité pour une nouvelle année universitaire. Puisse que cette semaine passée au bord du Danube rester présente dans nos mémoires, comme une invitation à maintenir notre esprit aiguisé - et à repartir l’année prochaine. • Les termes au féminin se comprennent également, bien entendu, au masculin.
*cri des buveurs hongrois lorsque deux choppes s’entrechoquent
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AESPRI
FORUM
Forum du militantisme 2011 «De l’ignorance à l’intégration : une semaine pour tout changer» Johanna Yakoubian
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ù étiez-vous durant la semaine du 11 au 14 avril? Je vous pose cette question l’air de rien mais l’heure est grave. En effet, vous avez peut-être eu l’audace de ne pas assister à l’heureux événement qui a pris place dans le sein d’Uni-Mail. Si c’est le cas, une petite séance de rattrapage s’impose. Laissez-moi donc vous raconter la fabuleuse histoire du forum du militantisme. Chaque année, l’AESPRI met sur pied une semaine dédiée au militantisme. Nous pouvons alors assister pendant toute une semaine à des débats endiablés, à différents ateliers, mais aussi à des tables rondes ou autres conférences traitant d’un sujet militant. Cette année, ce fut au tour du thème de l’intégration d’être célébré. L’intégration, l’intégration…c’est
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un peu vaste tout de même me direz-vous. Je vous l’accorde bien volontiers et c’est pourquoi nous avions pris le soin d’axer la semaine sur 4 réflexions particulières : la réinsertion des anciens détenus dans la société, l’intégration des homosexuels ou lesbiennes à Genève et en Suisse, l’intégration des musulmans à Genève mais aussi dans tout le pays, et enfin, l’intégration des personnes handicapées physique. Nous avons eu la chance de débuter cet événement sur les chapeaux de roue grâce à une première conférence «La Suisse et l’intégration», conférence tenue par Matteo Gianni et Claudio Bolzman. Celle-ci a d’ailleurs compté un grand nombre d’intéressés. Nous y avons réfléchi aux différentes bases et concepts soutenant la notion d’intégration qui allait nous occuper la semaine durant. Malheureusement, les accidents de parcours existent, et nous avons ensuite dû faire face au désistement de Maître De Preux et à l’annulation de sa conférence «Comment reprendre sa vie après une détention?». Toute l’équipe chargée de l’organisation profite d’ailleurs de son passage dans International.Ink pour s’excuser une fois encore de cet incident. Mardi, nous avions à peine eu le temps de tout installer qu’une foule d’intéressés se pressait déjà devant les portes de la table ronde et de la conférence sur l’homoparentalité. «Comment vivre son homosexualité à Genève» , où étaient présents Delphine Roux, Chatty Ecoffey, Laurena Parini, LGBT Youth et Think Out- a fait salle pleine! Le soir,
il était temps de ravitailler les troupes et c’est rassasié que tout le monde a pu apprécier la projection du film Harvey Milk, œuvre qui en a ému plus d’un. Après s’être remis de nos émotions, nombre d’entre nous s’étaient réunis pour le débat «1978-2010…Et après?» Ont alors été abordés la question du Queer, de son militantisme et des discriminations ayant toujours cours aujourd’hui. A l’aube du troisième jour, de braves bénévoles se sont empressés d’ouvrir le Café Autogéré et nous tenons à vous féliciter pour avoir épuisé les stocks dès 14h. Mais c’est qu’il vous fallait être en forme pour les conférences de la journée. La première, «La religion musulmane : la fin des amalgames», tenue par l’Imam Ibram a rencontré un franc succès, tout comme «L’intégration sociale des musulmans : incompréhensions et récupération politique» où étaient présents Gaëtan Clavien et Oscar Mazzoleni, politologue spécialisé dans les stratégies politiques de l’UDC. Enfin, une journée de sensibilisation au handicap physique a pris place pour clôturer cette semaine riche en événements. Un parcours fléché à réaliser dans un fauteuil roulant nous a alors permis de prendre conscience des obstacles quotidiens dont nous ne soupçonnions même pas l’existence. Nous souhaitons ici remercier particulièrement l’AGIS pour nous avoir prêté le matériel spécialisé. Ce forum du militantisme 2011 avec ses nombreuses conférences, ses travaux pratiques et ses autres moments d’échange et de réflexion, fut, nous l’espérons, une belle réussite. Un grand merci à vous tous et nous vous donnons dors et déjà rendez-vous l’année prochaine. •
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ESPACE AUTOGÉRÉ
Le mirage d’Uni Mail C’est au bout du parc d’Uni Mail, dans une véranda ensoleillée, que le nouvel espace autogéré a vu le jour à la rentrée Nina Khamsy
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e Nadir est un nom d’origine arabe qui signifie axe géométrique à l’opposé du Zénith. En effet, c’est à l’opposé de l’université qu’il accueille les étudiants de toutes facultés confondues au sein de ses murs colorés, en leur mettant à disposition des micro-ondes, des canapés, un bar à prix libres, un piano, et surtout, une atmosphère détendue. Le sourire aux lèvres, l’une des fondatrices nous livre ses impressions: «C’est une victoire. C’est génial de voir qu’un tel projet au sein de l’Université est possible. Cela fait quatre semestres au moins que l’on attend cela...». L’idée d’un espace pour étudiant à Uni Mail s’est concrétisée à la suite des événements de novembre 2009 dans le mouvement international «Education is not for sale!». Une centaine d’étudiants occupèrent la salle M R080 pour faire entendre leurs revendications. Durant les discussions animées, le besoin d’un espace qui servirait notamment à
parler des politiques universitaires s’est fait ressentir. Un groupe d’étudiant décida de concrétiser ce projet. Débutèrent alors une série de démarches officielles auprès du rectorat pour obtenir une salle. Pour cela, le groupe se fonda en association autonome. L’Association des Etudiant(e)s pour un Espace Autogéré (AEEA) a ainsi vu le jour en février 2010. Elle fut rapidement rejointe par d’autres étudiants volontaires motivés (ils étaient 350 membres fin 2011) et obtint le soutient de près de 700 étudiants. Bien que le rectorat avait formulé un préavis favorable concernant ce projet en mars 2010, appréciant notamment la démarche pacifique menée, c’était à la rentrée 2010 qu’il devait voir le jour mais le délai se vit indéfiniment repoussé. Finalement, c’est en juin 2011 que l’AEEA obtint l’adresse actuelle, 8-10 Baud-Bovy, qu’elle partage avec deux autres associations d’étudiants (CGTF et CUAE), créant ainsi un espace étudiant centralisé.
Les étudiants ont désormais un espace fait par eux et pour eux.
De l’autogestion? Le Nadir fonctionne sur les bases de l’autogestion, donc d’une horizontalité qui n’implique aucune hiérarchie. Ainsi, comme aucun chef ne possède le dernier mot, le but est de converger vers le consensus. Il possède en outre un site internet (www.aeea.ch) pourvu d’un forum qui permet de faire véhiculer les informations entre les membres. Quant au financement, il s’est autofinancé avec des ventes de restauration à prix libre. Pour se former en association conforme au règlement universitaire, l’AEEA a dû créer des statuts officiels. Comme cela allait à l’encontre de l’idée d’horizontalité, c’est avec ironie qu’elle a désigné le président, le vice-président et le trou du cul en recourant au jeu des chaises musicales. Un portrait du Nadir Les membres le décrivent comme «Convivial et ouvert à tous. Il favorise les échanges entre les étudiants des différentes facultés, les discussions enrichissantes et débats-politiques parfois, bien sûr, mais sans opinions prédéfinies. Il offre ainsi une façon d’acquérir des connaissances en dehors des auditoires académiques et du milieu commercial. Le Nadir servira également de plateforme culturelle pour divers expositions et des projections de film suivies de débats auront lieu tous les mardis.» Ils invitent les personnes motivées à se joindre aux réunions qui se tiennent les mercredis à 18h car «chacun peut amener une idée ou un projet», une façon sympathique de contribuer à faire évoluer la vie estudiantine de Genève.• Voir aussi: L’autogestion, pour une réhabilitation du politique, (International.Ink, n° 3 p.13, 2008).
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Les brèves
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