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I N T E R N A T I O N A L

N°13 LES NOUVEAUX ENNEMIS PUBLICS

JOURNAL D’ETUDIANTS ET ETUDIANTES EN SCIENCE P O L I T I Q U E E T R E L AT I O N S I N T E R N AT I O N A L E S


SOMMAIRE LES INFILTRÉS

DOSSIER : LES NOUVEAUX ENNEMIS PUBLICS 1.Intro dossier : Ceux que l’on aime détester Alexis Rapin

P.4

1.Un été chinois Mélissa Dumont

2.Tu ne buteras point Léandre Berret

P.5

RUE DANDY

3.Les états voyous, ennemis publics de la société internationale P.6 Paulos Asfaha P.8

4.2012 ou la déchéance du banquier Paul de Freitas 5.Tourner la page de la censure Ian Florin

P.10

6.Lord of War, c’est lui Alexis Rapin

P.12

7. Kony 2012, la construction 2.0 d’un ennemi public Matteo Maillard

P.15

P.20

2.Internet de libération ou internet d’oppression Nina Khamsy

P.22

3.Internet fille de la cybernétique Alexandre Petrossian

P.24

P.26

2.Actualités (AESPRI)

P.28

P.32

2.De Matisse à Jean Paul Goude Sarah Franck

P.34

3.Vendre sa maison pour réaliser des films Nina Khamsy

P.36

1.Une nuit Johann Gauderlot

P.38

2.Vol au dessus d’un nid de cigognes Claire Camblain

P.40

REMPLISSAGE + BRÈVES

VIE UNIVERSITAIRE 1.Qui a la plus grosse tour d’ivoire? Théo Aiolfi

1.Afternoons in Utopia Claire Camblain

VOYAGE

ZOOM : L’AVENIR D’INTERNET 1.Facebook veut être ton ami David Zagury

P.30

1.Tout-doux-liste

P.42

2.Brèves d’amphi n°13 Claire Camblain

P.43

Une réaction, un commentaire ou envie de participer à la rédaction? Visite notre site web www.internationalink.ch ou contacte-nous par mail à l’adresse suivante : international.ink0@gmail.com

REDACTION  Coordinateurs : Théo Aiolfi, Matteo Maillard

Graphiste : Diego Thonney

Imprimé par l’atelier d’imprestsion Comimpress

Rédacteurs : Paulos Asfaha, Léandre Berret, Tristan Boursier, Claire Camblain, Joffrey Chadrin, Paul de Freitas, Mélissa Dumont, Ian Florin, Sarah Franck, Johann Gauderlot, Nina Khamsy, Mohammed Musadak, Alexandre Petrossian, Alexis Rapin, David Zagury,

Illustrateur : Karian Foehr

Financé par la Commission de Gestion des Taxes Fixes et la Commission de Direction du Bachelor en Relations Internationales

Contact :

Photo de couverture : Karian Foehr, Matteo Maillard Edité par l’Association des étudiants en Science politiques et Relations Internationales (AESPRI)

international.ink0@gmail.com www.internationalink.ch

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EDITO

Chers lecteurs, je vous souhaite une heureuse année 2012 et un excellent semestre. Permettez-moi d’abord de vous emmener un court instant au temps de Louis XIV, quand de fines plumes et de grands hommes exerçaient leur influence sur l’état, des Colbert, La Fontaine et autres Racine.

leur dira alors: «votre temps est limité, ne le gâchez pas en menant une existence qui n’est pas la vôtre». Enfin oui, que diable! grossiers personnages mal-embouchés! Restez pauvres plutôt que de vouloir être riches! Cela va de soi, vilains gueux, pourquoi vouloir vivre comme un riche quand on ne l’est pas?!

Au XVII° siècle Mazarin déclarait à son ami contrôleur général des finances : «Colbert, tu raisonnes comme un fromage [...] ! Il y a quantité de gens qui sont entre les deux, ni pauvres, ni riches… Des Français qui travaillent, rêvant d’être riches et redoutant d’être pauvres ! C’est ceux-là que nous devons taxer, encore plus, toujours plus ! Ceux là ! Plus tu leur prends, plus ils travaillent pour compenser… C’est un réservoir inépuisable.» Voila qu’en 2012, les cabinets présidentiels, ministériels et fédéraux doivent raffoler de cet exercice de l’esprit.

Voila venu le temps des technocrates, des plans de rigueur, des économies, des sacrifices. Le retour du serpent monétaire, des anacondas politiques qui nous étouffent à courtterme, mais pour un meilleur avenir. Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur [nos] têtes? Ils sont pour nous, ces crochets venimeux qui annoncent les temps de vache maigre. Merkel, Sarkozy, Cameron, Monti, Papademos ne nous apprennent-ils pas que nous sommes tous responsables? Calmons nos ardeurs pour et contre la finance, cet ennemi public qui cristallise souvent à tort les haines de tous côtés. Il est maintenant temps que je vous laisse aux soins de nos chers rédacteurs, qui vous ont concocté un numéro particulièrement fourni et varié. Appréciez ce numéro 13, qui vous portera chance.

Mais, ceux qu’on nomme aujourd’hui classes moyennes asséneraient volontiers à ces traders-banquiers-financiers-politiciens-économistes-riches, (c’est à dire l’ennemi public) ce bel alexandrin : «tu seras châtié de ta témérité». Ils voudraient que la politique reprenne le dessus sur l’économie. Et notre regretté Steve

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Joffrey Chadrin

Numéro 13

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Mars/Avril 2012


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Ceux que l’on aime détester Alexis Rapin Qui sont les ennemis publics? Al Capone? Jacques Mesrine? Non, ceux-là sont démodés, l’homme de la rue les a depuis bien longtemps rétrocédés aux romans ou à la pellicule. Notre époque s’en est trouvé de nouveaux, plus tendances, dont on peut encore maudire le nom sans que cela sonne nostalgique. Oussama Ben Laden? Bernard Madoff? Bachar el-Assad? Voilà qui est déjà mieux. Mais d’abord, qu’est-ce qu’un ennemi public? L’ennemi public, c’est celui que l’on aime pouvoir détester. Non pas que l’on ait forcément un compte personnel à régler, mais cela fait toujours du bien de pouvoir détester quelqu’un. Le monde connaît nombre de malheurs, et dès lors, il nous faut bien quelques fautifs, des gens que l’on puisse pointer du doigt, histoire d’exorciser un peu. L’ennemi public, c’est donc en quelques sortes le coupable idéal, le suspect usuel nous dirait Bryan Singer.

« L’ennemi public nous est utile, on le cloue au pilori et la foule se soulage en jetant la pierre. Mais après? » L’ennemi public n’est pas un bouc émissaire. Il n’est pas un pauvre être candide que l’infortune a désigné pour subir la vindicte de la foule. L’ennemi public est toujours coupable, d’un crime ou d’un autre (du moins aux yeux du bourreau). C’est juste-

ment ça qui fait qu’on aime pouvoir le détester. En effet, punir un innocent, cela n’a rien de bien noble. Punir un coupable par contre, ça soulage. On punit et on s’en délecte, en se flattant d’un « il l’a bien mérité ». On s’approche. L’ennemi public est donc plutôt un « pour l’exemple », un peu comme ces soldats choisis au hasard parmi les mutins, dans les tranchées de la Grande Guerre. Tous avaient désobéi, mais on ne pouvait décemment pas fusiller le bataillon tout entier, alors on en désignait quelques uns, dont la mort servirait à dissuader les autres. Nous voilà au cœur de la problématique. L’ennemi public est coupable, certes, mais est-ce LE coupable? Madoff a lui-même vaporisé des dollars par milliards, mais a-t-il pu faire cela à lui seul? N’était-il pas plutôt un représentant, parmi d’autres, d’un système malsain dont la mécanique d’ensemble est problématique par essence? Et surtout, pendant que nous nous félicitons qu’un tel escroc croupisse en prison, le reste de la machine, encore bien portant, ne poursuit-il pas la même dynamique qu’un tel procès devait combattre? C’est là l’enjeu du débat. L’ennemi public nous est utile, on le cloue au pilori et la foule se soulage en jetant la pierre. Mais après? Le problème estil réglé pour autant? Ne se livre-t-on pas tout simplement à une sorte de

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rite sacrificiel, où l’on liquide simplement quelqu’un pour apaiser la colère générale, sans attaquer le mal à sa racine? Probablement rend-on ainsi justice, puisque l’ennemi public est toujours coupable de quelque chose. Mais ne le sacrifie-t-on pas en vain si sa déchéance ne nous pousse pas à changer le système? Nous nous vantons de vivre dans une époque où règnent en maîtres rationalité, état de droit, respect de la dignité humaine. Et pourtant, le passionnel et la justice sommaire n’ont de cesse de revenir sur le devant de la scène. Comment expliquer la satisfaction générale qui parcourt nos sociétés lorsqu’un ex-dictateur est lynché par une foule en liesse ou qu’un chef terroriste est sciemment criblé de balles? Puisqu’ils sont coupables, tout est permis, est-ce là notre argument? C’est sûr ces questions que l’équipe d’International.Ink vous laissera déguster ce nouveau dossier. Des criminels en col blanc, aux marchands de mort en passant par les Etats voyous et d’autres encore, vous pourrez juger vous-mêmes de toutes ces pierres que l’on jette, mais qui n’en bâtissent pas des montagnes pour autant. «Il nous plait de chercher en autrui ce qu’il nous déplait de trouver en nous» écrivait Pernette Chapponière. Au fond, l’ennemi public ne serait-il pas celui que l’on aime pouvoir détester pour ses méfaits… afin de ne pas avoir à regarder les nôtres?


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Tu ne buteras point Naplouse, Cisjordanie, « capitale du terrorisme » Léandre Berret Et tu te fais cracher dessus, et tu te fais insulter… du coup, sous les regards méprisants, tu ne te sens pas à ta place et tu rentres au motel pour méditer sur la situation. Naplouse, drôle d’escale. Surtout quand, dans le guide, tu lis : «les autorités israéliennes d’occupation lui ont donné le titre de capitale du terrorisme». Mais bon, on est des aventuriers alors on se lance en Cisjordanie. En plus, les temps sont calmes… Faisaient pas les malins les aventuriers…

« Ville condamnée à se faire manger le cœur à chaque ère historique, peuple contraint à se reconstruire chaque matin sur les débris du passé. » Après Jenin et un trajet en bus à travers les beautés des paysages cisjordaniens, on atteint Naplouse. Entre les monts, terres fertiles et animation des rues, quelques regards oppressants, mais allons-y. On a vu de meilleures manières d’accueillir les touristes que de les observer comme des ennemis, ou en tous cas comme des intrus, des malvenus… Février 2012. Alors on s’instruit sur le passé de la ville, sur les raisons qui pourraient pousser à ce dédain de nos gueules de gredins. Et l’équation est vite résolue… Plus de 2000 ans de haine et de massacres par des pays extérieurs, additionnés au cloisonnement régulier et à la des-

truction à la manière des aigles de Prométhée… Ville condamnée à se faire manger le cœur à chaque ère historique, peuple contraint à se reconstruire chaque matin sur les débris du passé… Humiliation constante et désespoir récurrent. Saccagée au IIème siècle avant J.C. par Hyrcan. En l’an 72 c’est Titus qui rase tout les vestiges. Conquise par les troupes arabo-musulmanes peu de temps après l’hégire. Théâtre de la lutte entre les pouvoir abbasside et fatimide au XIème siècle. Puis reprise en 1187 par Salah ed-Din. Tremblement de terre, invasion mongole, razzia des tribus bédouines aux XIIème. Voici en quelques mots les meurtrissures qui animent la vie, ou la mort plutôt, des habitants d’une bourgade au cœur des flux migratoires. Plus récemment, en 1936, Naplouse est la première ville à créer un comité national palestinien. Alors bastion de la lutte pour la Palestine libre, elle devient une des cibles principales de la surveillance israélienne. Subissant bombardements réguliers, assassinats de personnages publics, contraintes de marchés et fermeture économique, assiégée puis soumise au couvrefeu depuis 2002. Jusqu’en 2004, le couvre-feu n’a été levé qu’un peu plus de trois jour. Aujourd’hui entourée de colonies juives, Naplouse est ceinte de toutes parts et nous qui nous baladons librement, à traverser leur pays, puis à rentrer chez nous et entrer, sortir, sor-

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tir, entrer, vacanciers sans frontières… Alors voilà, comment ne pas se méfier de l’autre là, qui vient, voyeur moderne, obscène visiteur, spectateur de misère, bourlingueur amateur ou observateur socio-scientifique à peu de frais. Quand, depuis tout temps, divers empereurs qui passaient par là se sont arrêtés pour initier leur culture à coups de bâton, confinés dans un défilé de moins d’un kilomètre carré, entourés et constamment surveillés, il est bien difficile de devenir. Alors nouvel ennemi public ? actuel peut-être, nouveau… quand ça fait 2000 ans qu’on est ennemi, qu’on se fait taper dessus par tous ceux qui passe dans le coin, on se fait une raison et on se méfie des étrangers…

Léandre Berret, février 2012


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Les états voyous, ennemis publics de la société internationale Lorsque l’ennemi public ne s’incarne plus par un corps lynché mais s’étend pour prendre la forme de l’Etat-nation, nous assistons alors à la naissance du Rogue state déclaré fauteur de tous les troubles sur la scène internationale.

Paulos Asfaha L’ennemi public est, dans l’esprit commun, perçu comme un grand criminel auquel une majeure partie de la société voue une haine profonde. Il est mis au ban de la société, pourchassé, traqué. Ce profil lié à un être humain a considérablement muté avec le temps. Du personnage marginal et hors-la-loi, la haine collective se mue et pointe du doigt des associations, des groupes politiques et des mouvements armés, représentés ou décrits comme les ennemis de la nation. L’apothéose de ce mouvement apparaît dans le courant des années nonante où des états sont désignés comme ennemis publics de la société internationale, les nations. L’état voyou est un opposant à l’ordre international, à ses règles et le met en danger.

queur de sa confrontation avec le bloc socialiste. Pour les occidentaux, cette rupture de l’histoire est la promesse d’une paix mondiale. Cependant, le président américain Bill Clinton et son administration (1992-2000) estiment qu’un nombre d’états posent toujours un obstacle à la paix mondiale et à la sécurité internationale. Ces pays reçoivent le qualificatif de rogue state, d’état voyou.

Au sortir de la guerre froide, le bloc capitaliste, mené par les Etats-Unis d’Amérique, sort comme le grand vain-

Pour appartenir à cette catégorie, une nation doit montrer un mépris du droit international, des droits de

“Les grands criminels sont les ennemis locaux, tandis que les rogue states sont les ennemis internationaux“

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l’Homme et soutenir le terrorisme. La liste comprend, en 1994, la Libye, le Soudan, la Corée du Nord, Cuba, la Birmanie, l’Irak, l’Afghanistan et l’Iran. S’il est totalement justifié de constater un dédain du droit international et des droits de l’Homme, il faut remarquer un point commun entre ces différents pays. Au moment de l’apparition de la notion d’état voyou, ces contrées entretiennent des relations difficiles voire inexistantes avec les Etats-Unis d’Amérique. La Libye de Khaddafi est au ban de la communauté internationale depuis les années quatre-vingt et les EtatsUnis ont déjà bombardé le pays. Le Soudan abrite Oussama Ben Laden, ancien agent américain qui s’est retourné contre son allié. L’Iran, l’Irak et l’Afghanistan sont perçus comme les principaux soutiens du terrorisme international islamiste, qui fait son ap-


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parition dans le début de la décennie. La Corée du Nord et Cuba, quant à eux, ont eu la mauvaise idée de rester communistes malgré la chute du bloc soviétique. Ces pays sont quasiment exclus de la scène internationale. Sous l’impulsion des Etats-Unis, ils sont soumis pour la plupart à un embargo, appuyé par la quasi-totalité des nations. Les oppositions aux régimes en place sont soutenues par les Etats-Unis, dans le but de remplacer le régime. Des opérations militaires sont menées à l’encontre de certains états voyous, les autres étant sinon menacés régulièrement de guerre ouverte. Très peu de nations maintiennent des relations avec ces pays ; l’Irak ne compte plus aucun allié, le Soudan est isolé de la scène internationale tandis que la Birmanie est complètement mise au ban du reste du monde. Un parallèle peut être donc établi entre l’ennemi public et l’état voyou. Les grands criminels sont les ennemis locaux, tandis que les rogue states sont les ennemis internationaux.

Comme les premiers, les seconds sont menacés, traqués, honnis. De la même manière qu’elle relate les exactions de l’ennemi public, la presse s’attèle à construire une image négative de ces nations marginalisées.

“Au moment de l’apparition de la notion d’état voyou, ces contrées entretiennent des relations difficiles voire inexistantes avec les États-Unis d’Amérique.“ Dans le contexte local, c’est l’état qui désigne l’ennemi public de la société nationale. Alors que dans le contexte international, le voyou est choisi par un seul acteur, les Etats-Unis. Le nouvel ordre international établi après la chute des régimes communistes semble ne pas tolérer d’opposition. Cette notion d’état voyou a dépassé le stade de la diplomatie, aujourd’hui ces pays sont pointés du doigt par

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les organisations pour les droits de l’Homme, les activistes de la démocratie, les féministes ou encore par l’intelligentsia. L’état voyou a dépassé le cadre d’être ennemi des nations, il est devenu l’ennemi de l’Humanité.

A LIRE : Articles : - CHOMSKY Noam. Rogue States Draw the Usual Line. (http://www.chomsky.info/inter views/200105--.htm) - DERRIDA Jacques. “Y-a-t’il des  états voyous ? La raison du plus  fort“ in Le Monde Diplomatique  (http://www.monde-diplomatique.   fr/2003/01/DERRIDA/9835) Ouvrage : - COURMONT Barthélémy (dir.).  Washington et les états voyous :   une stratégie plurielle, Paris,  éditions IRIS-Dalloz, 2007.


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2012 ou la déchéance du banquier Accusés d’être responsables de la situation économique actuelle, de mépriser leurs clients, de s’octroyer des revenus mirobolants, les banquiers sont stigmatisés de toutes parts. S’il y a effectivement eu des abus peut-on généraliser ce constat à une profession entière ? Dorénavant être banquier signifie-t-il forcément faire partie du groupe des méchants ?

Paul de Freitas Depuis la semaine du 14 septembre 2008 et la mise en liquidation de la banque Lehman Brothers, qui signe le début d’une crise financière et banquière sans précédent, le monde de la finance perd chaque jours en crédibilité. Dans ce contexte le banquier a vu son image se dégrader. Il est passé d’un symbole de réussite sociale, de figure respectée à un véritable ennemi public. Sa crédibilité et son honnêteté son chaque jour remises en cause. Certes l’économie va mal, les mots crise et récession sont sur toutes les bouches, mais peut-on pour autant rendre responsable toute une profession de la malhonnêteté ou de la négligence de quelques uns ?

Le nombre d’affaires engageant des banquiers qui défrayent la chronique ne cesse d’augmenter. On découvre régulièrement de nouvelles fraudes. Ces scandales viennent s’ajouter à une liste déjà longue.

« En janvier 2009 une employée de banque parisienne est poignardée à mort en pleine journée devant son agence. » Ce n’est cependant pas une raison pour clouer au pilori chaque employé de banque. Mais cela est facilité par l’accès aux médias. Sur le net

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ou dans les journaux les articles qui fustigent les banquiers, les rendent responsables de tous les maux, prolifèrent. On peut parler de véritable déferlante médiatique. Mais comment trier le vrai du faux dans ce qu’on peut lire ? Surtout sur internet ou le manque de recul de certains rédacteurs donnent lieu à des grossières généralisations. Pendant ce temps le quotidien des employées de banque continue à devenir de plus en plus difficile. Les clients n’hésitent plus à hausser le ton pour exprimer leurs mécontentements. Dès lors la situation peut vite dégénérer comme en Janvier 2009 où une employée de banque parisienne est poignardée à mort, en pleine journée, devant son agence.


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Selon la police, le meurtrier voulait récupérer l’argent d’une assurance vie qu’il avait souscrit dans cette banque. Si les conditions économiques actuelles ne font rien pour rendre les banquiers sympathiques elles ne sont pas seules responsables du défaut d’image dont souffrent actuellement les banquiers. La dégradation de la relation de proximité par les banques peut aussi être mise en cause. Les employés changent de postes ou circulent dans l’établissement. Dès lors il est difficile de créer une relation de confiance avec son banquier. D’ailleurs on ne parle plus de son banquier mais de sa banque. Il n’y a plus, à proprement parler, de relation personnelle avec le client lambda. Cela malgré les récents efforts de la part des établissements bancaires afin de rétablir la confiance. Mais cette logique de distanciation avec le client n’est pas seulement imputable au monde de la banque. Nombreuses sont les autres institutions, telles que les assurances, qui pour continuer à rester viables doivent gérer de façon rationnelle leurs rapports avec le client. Cette déshumanisation intervient au moment ou les gens auraient besoin d’être rassurés ou conseillés de façon personnelle pour faire face à cette situation de crise.

« Le nombre d’affaires engageant des banquiers qui défrayent la chronique ne cesse d’augmenter » On peut aussi relever qu’il y a une forte assimilation entre banquier et trader. On a tous en bouche les nom de Madoff, de Kerviel ou encore plus récemment de Kweku Adoboli, le trader londonien d’UBS arrêté le 15 septembre dernier. Celui-ci à fait perdre environ 2 milliards de dollars la société lors de transactions non autorisée. Le fait qu’un homme puisse jouer (et perdre) de telles sommes choque

profondément le public. Mais tous les banquiers ne sont pas des traders. Un trader est un terme anglais pour désigner un opérateur de marché. Il achète et vend des actions, obligations, produits dérivés... sur les marchés financiers, pour son propre compte ou pour celui de son employeur. Il n’y a que peu de rapport avec l’employé chargé d’accorder un crédit ou de s’occuper des comptes courants des clients. Certes, certains se sont pris pour des grands investisseurs mais souvent ces traders néophytes sont les premiers à souffrir

des pertes liées à leurs mauvais investissements en ces temps de crise. Dès lors qui sont donc les vrais ennemis publics de la finance ? Ce sont justement ceux qui, comme Madoff, escroquent leur entourage et le monde pour monter une arnaque financière. Ou les traders peu scrupuleux comme Jerôme Kerviel ou Kweku Adoboli. Ceux-ci vont engager l’argent de leur société (et donc de leurs clients) de façon irresponsable. Or pour des profits maximaux les risques pris sont aussi maximaux.

MADOFF OU L’HOMME QUI VALAIT 50’000’000 $ Bernard Madoff, homme d’affaire et entrepreneur autodidacte, est né en 1938 dans le Queens à New York. Son succès en affaire et sa détermination à faire basculer la finance dans le monde de l’informatique vont le faire se propulser à la tête du NASDAQ, deuxième plus grand marché d’actions des USA. Il se sert de sa notoriété pour monter un fond d’investissement spéculatif géré de manière très discrète. Il va offrir avec celui-ci un taux de rendement de presque 20% par année. Le fond ayant accumulé d’énormes pertes va virer dans une arnaque du type de la chaîne de Ponzi. Le profit ne provient pas d’une activité concrète mais du recrutement de nouveaux membres. Madoff va ainsi payer les intérêts dus aux membres en prélevant sur l’argent que les nouveaux investisseurs apportent. Mais en fin 2008 les marchés financiers chutent. Début décembre certains investisseurs veulent récupérer 7 milliards investis dans le fond. Madoff qui a alors seulement 1 milliard en caisse se voit contraint d’avouer son arnaque. Il est arrêté le 12 décembre 2008. Il plaide coupable lors de son procès en 2009 et se voit condamner à 150 ans de prison ferme. Bernard Madoff ne fait pas appel. La Securities and Exchang Commmission, l’organe fédéral américain de réglementation et de contrôle des marchés financiers, évalue l’escroquerie à 50 milliards de dollars. Cela en ferait la perte la plus élevée causée par un membre d’établissement financier.

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Tourner la page de la censure La censure n’est aujourd’hui presque plus qu’un mauvais souvenir. Les inquisiteurs enterrés, une conception virale du livre empêche encore l’Europe de faire confiance à son lectorat. Ian Florin S’il nous fallait boire à la santé du plus grand censuré de tous les temps, c’est avec de la ciguë qu’il nous faudrait trinquer. Si ce bon vieux Socrate ne fut pas le premier trouble-fête à se faire vider, son procès apparaît comme l’événement marquant d’une certaine conception du contrôle social : on ne défie pas impunément la bien-pensance de la cité... C’est connu, la morale publique est la bonne morale, l’ordre public est le bon ordre et tout ceci est fait pour durer. Pour chasser les renards de la basse-cour, on a souvent fait appel à un chien de garde que l’on croyait efficace : la censure. Tantôt gantée aux couleurs de l’empereur, du roi ou de Dieu ; elle menace, brûle, assassine. Des journaux jurassiens muselés lors de la première guerre mondiale à l’assaut du bateau de la radio pirate britannique Caroline, la main invisible de la censure a frappé en tout lieu, en tout temps. Si elle n’a pas de terrain de chasse limité, le livre reste sa victime privilégiée.

« l’Homme est-il si influençable qu’il lui suffit de lire un album d’Astérix pour avoir peur que le ciel lui tombe sur la tête ? » En Occident, le livre fait peur, et ce depuis longtemps. Perçu comme un poison par l’Eglise catholique depuis la nuit des temps, il prend une nouvelle dimension avec l’invention de l’imprimerie au XVème siècle. L’Eglise catholique doit s’armer pour combattre la déviance protestante. Le

En 1933, les étudiants allemands jouent aux inquisiteurs et mettent les livres déviants au feu

premier Index Librorum Prohibitorum est donc introduit sur ordre du Pape en 1559. Cette liste de livres bannis pour leur caractère hérétique ou idéologique vise à éviter la corruption des esprits par la lecture de textes jugés immoraux par la loi canonique. L’index se transforma en véritable cahier des charges de l’inquisition, qui brûla œuvres et auteurs pendant des siècles. Il sera réédité jusqu’en 1948 pour n’être finalement aboli qu’en 1966. Le livre est dangereux Le temps passe, l’index change, les méthodes de l’inquisition sont les mêmes. Qu’importe les revendications, qu’importe les époques : tant d’efforts, de cendres et de sang pour un objet si anodin ! C’est que la main invisible de la censure est toujours dirigée par la même obsession paranoïaque : il est si facile de convaincre un lecteur crédule !

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Le livre possède cette aura qui en fait l’instrument de propagation des valeurs par excellence. On lit par exemple dans l’ Index Librorum Prohibitorum de 1940 : « Les livres non religieux et immoraux sont écrits d’une manière séductrice, souvent avec des thèmes qui évoquent la passion charnelle, ou qui trompent la fierté de l’âme. Ces livres sont écrits avec soin pour convaincre, et visent à gagner du terrain tant dans le cœur et l’esprit du lecteur imprudent ». Comme si la lecture marquait au plus profond de l’être, le livre semble donc agir comme un puissant marqueur idéologique. Plus récemment, qui n’aura pas crié à une imminente révolution des esprits avec Indignez vous de Stéphane Hessel ? l’Homme est-il si influençable qu’il lui suffit de lire le petit livre rouge pour adhérer au parti maoïste local ou un album d’Astérix pour avoir peur que le ciel lui tombe sur la tête ? Telle est la conception des censeurs


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d’hier et d’aujourd’hui : le livre a un tel pouvoir de persuasion qu’il pourrait changer radicalement un homme ou une femme. Bonnes lectures, bonnes valeurs. Pour le reste ? Il suffit d’éviter au lectorat de faire de mauvaises rencontres... Pouvant passer de main en main, de table de chevet en table de chevet, le livre a un pouvoir de contagion énorme. Dans cette perspective virale, chaque cellule malade peut corrompre ses voisines jusqu’à ce que la société toute entière soit contaminée. En la matière, c’est l’auto-médication qui est de mise. À chaque époque ses méthodes. C’est ainsi qu’en 1933, dans le cadre de la « campagne contre l’esprit non allemand », on chargea les étudiants du Reich de combattre ce que les Nazis voyaient comme un grand danger pour l’identité allemande : la mauvaise littérature. On placarde ainsi en lettres gothiques dans toutes les universités du pays : « La censure doit intervenir contre l’emploi abusif de la langue écrite. L’allemand écrit ne doit servir qu’aux Allemands. Ce qui est contraire à l’esprit allemand sera extirpé de la littérature. » Les foyers potentiels de contamination sont visés : une épuration systématique des bibliothèques est organisée. Au bon souvenir de l’inquisition et de son index, tous les livres présents sur une liste noire établie par le gouvernement finiront au feu. U.R.S.S, Allemagne, Afrique du Sud, Iran... les livres ont continué à brûler pas plus tard que dans les années 1990 en Yougoslavie. Aujourd’hui La page noircie de la censure est presque tournée. Elle est devenue ponctuelle, presque anecdotique : lot de Candide saisi à la douane aux Etats-Unis pour obscénité (1930), d’Alice aux pays des merveilles censuré dans une province chinoise à cause d’une présentation trop « humaine » des animaux (1931) ou encore Da Vinci Code banni des bibliothèques libanaises pour blasphème (2004). On compte aujourd’hui une victime notable d’une sorte de loi historique

du talion : l’arroseur arrosé, le haineux haït, le censeur censuré. Le censeur censuré Cet ennemi public que l’on ne veut pas voir exister, c’est Adolf Hitler, ou du moins ce que l’on croit être son fantôme : Mein Kampf. Dicté à Rudolf Hess par Hitler lors de sa détention après une tentative de putsch ratée en 1923, Le pamphlet deviendra, selon Goebbels, « le plus grand livre a succès de tous les temps ». Mein Kampf possède ce statut de véritable bible, que lui donnaient les Nazis hier, et que lui attribuent nombre d’européens aujourd’hui. Ce livre serait le vecteur ultime de l’idéologie nazie et sa lecture par le plus grand nombre renforcerait les idées d’Hitler dans la société. Dans les années 1930 en Allemagne, l’heure est à la diffusion de la bonne parole du Führer, tout allemand doit posséder Mein Kampf, l’avoir lu. Tous les moyens sont bons pour écouler l’œuvre d’Hitler : publicité dans les journaux, obligation pour les fonctionnaires d’acheter le livre, traduction en braille, cadeau de mariage. Le livre garnit de nombreuses bibliothèques : 12 millions d’exemplaires sont écoulés, un foyer sur deux possède Mein Kampf au plus fort du 3ème Reich. On s’accorde même à dire que le livre fut lu par le plus grand nombre, tant les résumés et citations étaient omniprésents dans les médias, et les emprunts dans les bibliothèques nombreux. La guerre perdue, Mein Kampf survit à son créateur, beaucoup d’exemplaires restent en circulation après la chute des Nazis. Combattre le mal par le mal ? Les Européens sont divisés sur le sujet, faut-il interdire Mein Kampf, ou l’autoriser ? Alors que la majorité des pays ne l’ont pas censuré, son cas fait débat. L’Autriche en interdit le commerce et la possession, la France impose une préface explicative à chaque édition. Disponible en quelques clics sur Internet, le livre continue

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d’être vu avec le même pouvoir que lui donnaient les Nazis, capable de convaincre les esprits les plus naïfs. Il suscite une prudence qui se mue en crainte. Comme une arme qui aurait survécu à Hitler, le livre est enfermé dans les Giftkämmer (chambres à poison) des bibliothèques allemandes. Le ministère des finances de l’Etat de Bavière, propriétaire des droits du livre, en interdit la publication, « par respect pour les victimes » du Reich. On s’inquiète de la tombée de Mein Kampf dans le domaine public le 1er janvier 2016, soit 70 ans après la mort d’Hitler, qui rendra le livre encore plus incontrôlable. Une organisation de prévention contre la haine a d’ores et déjà déposé un projet de résolution au niveau européen : « considérant que Mein Kampf constitue une source d’inspiration meurtrière qui ne tarit pas », elle propose de rééditer le texte de Mein Kampf « en édition pédagogique multilingue et commentée, porteur d’une prévention sous forme d’introduction historique ».

« Une vision passéiste du livre est en train d’entraîner une paranoïa malsaine » Cette vision passéiste du livre comme microbe n’est-elle pas en train d’entraîner une paranoïa malsaine ? À quand un permis de port d’arme pour lire des livres déviants ? À force de vouloir prévenir un retour des démons du passé, on fétichise le livre qui devient emblème, objet de résistance. La diabolisation et les interdits entourant le livre suscitent la fascination de certains. Devenu un symbole anti-occidental, Mein Kampf a ses adeptes et ses curieux, bonnes ventes en Egypte, au Liban, en Syrie, en Palestine, le livre devient même un best-seller en Turquie en 2005 (80’000 exemplaires). Redonnons au lectorat son libre arbitre, éteignons l’aura sacrée du livre. Au bûcher, les inquisiteurs !


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« Lord Of War », c’est lui Il s’appelle Viktor Bout. Surnommé par certains «the merchant of death», il est le trafiquant d’armes le plus connu au monde, et va bientôt rejoindre le tableau de chasse des tribunaux américains.

Alexis Rapin La Sierra Leone? C’est lui. Le Libéria? C’est lui. L’Afghanistan? C’est lui. La RDC? Encore lui. Il est partout, il a trempé dans tout. Là où on avait besoin d’armes, on pouvait appeler Viktor Bout. Détenteur d’une, puis plusieurs, compagnies aériennes, il aurait possédé jusqu’à 60 appareils qui ont transporté depuis les années 1990 toute une panoplie de matériel de guerre aux 4 coins du monde. Il est d’ailleurs la principale inspiration du personnage de Youri Orlov joué par Nicolas Cage dans le fameux film Lord of War. Un mur qui tombe, une affaire qui monte. Sur Viktor Bout on en dit beaucoup plus que l’on en sait vraiment. Mais certaines légendes se recoupent, on en déduit ainsi quelques certitudes.

Viktor Bout serait né en 1967 à Douchanbe, Tadjikistan. Il aurait étudié à l’Institut militaire des langues étrangères de Moscou, qui formait alors les futurs officiers du renseignement militaire soviétique. Disons qu’il en garde quelques bons restes : Viktor Bout parle 7 langues, dont le zoulou et le farsi.

« Viktor Bout approvisionne tantôt monsieur A, tantôt monsieur B, et parfois les deux » Lorsque l’Union Soviétique s’effondre en 1991, du haut de ses 24 ans, Bout fait d’une aubaine ce que nombreux considéraient comme un cataclysme. De vieux avions cargos de l’armée,

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des pilotes au chômage, des commandants de bases désemparés, et surtout des armes russes accumulées par millions dans les arsenaux durant la guerre froide. Il n’en faut pas plus à Viktor Bout pour monter un business juteux. Ses appareils, plein à ras bord, commencent à arpenter les terres les plus inhospitalières du globe… pour livrer des armes, beaucoup d’armes. «L’homme qui rend les guerres possibles» Obtenir des armes sous le manteau ce n’est pas chose facile. Quand quelqu’un vous en propose à prix bradé, et ce livrable n’importe où, il devient rapidement votre fournisseur privilégié. Factions, groupes rebelles et autres guérillas, particulièrement en Afrique, ont recours aux services très appréciés de Viktor Bout.


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Celui-ci approvisionne tantôt monsieur A, tantôt monsieur B, et parfois les deux. Au Congo, il fournit au dictateur Mobutu un avion pour fuir les rebelles… que Bout a lui-même armé. En Angola, il approvisionne d’abords les rebelles de l’UNITA, puis vend des mines anti-personnelles au gouvernement. Par la suite, il fournira à ce même gouvernement… des équipements de déminage. Viktor, c’est quelqu’un qui a le sens des affaires. Sa clientèle ne se limite pas aux groupuscules du Tiers-Monde. En 1994, ses avions transportent des soldats français au Rwanda dans le cadre de l’opération « Turquoise », et plus récemment plusieurs de ses compagnies ont aussi été mandatées par les Anglais et les Américains pour acheminer du matériel à leurs troupes en Irak et en Afghanistan. «Je n’ai jamais vendu d’armes» Les prestations de Bout sont tel-

lement reconnues que même les humanitaires le demandent. Le Programme Alimentaire Mondial de l’ONU, entre autres, utilisera ses appareils pour fournir de l’aide aux victimes du Tsunami en 2006. C’est que Viktor Bout sait se donner bonne réputation. Il affirme à qui veut l’entendre que ses affaires consistent uniquement en transport aérien de marchandises. Et c’est vrai, ou en partie du moins. Ses compagnies ont fait transiter toutes sortes de produits des plus innocents, des aspirateurs jusqu’au poulet congelé. Mais les armes Monsieur Bout? Il déclare régulièrement n’en avoir jamais vendu. Tout au plus reconnaît-il qu’il n’était pas toujours très bien au fait de ce que transportaient ses avions… Et puis, comme le dit si bien son frère et associé, Sergueï Bout, «Un chauffeur de taxi qui prend un drogué dans sa voiture, vous appelez ça un

trafiquant?». Non, chez les Bout, on gagne sa vie honnêtement. Instrument des grandes puissances? Hélas tout le monde ne l’entend pas de cette oreille. Au fil du temps, de plus en plus d’ONG enquêtent sur ses ventes, qui nourrissent les pires conflits du Tiers-Monde. En 2002, Interpol décide de s’attaquer au business du seigneur de guerres et lance un mandat d’arrêt international. Mais Viktor Bout passe continuellement entre les mailles du filet. Identités d’emprunt et relations influentes le protègent suffisamment pour lui permettre de poursuivre son commerce. C’est qu’il rend bien des services ce monsieur Bout. Quand bien même cela n’a jamais été prouvé, il y a fort à parier que les grandes puissances de ce monde l’ont régulièrement utilisé comme intermédiaire

Youri Orlov, personnage principal de Lord Of War, inspiré de Viktor Bout.

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pour armer des factions qu’elles souhaitaient voir semer le trouble. Dans les ambitions géopolitiques des états, le soutien militaire par armement interposé, c’est un outil précieux. Mais cela nécessite une personne qui accepte de se salir les mains pour les autres. Viktor Bout pourrait bien avoir été celle-ci. Le deal de trop Seulement voilà, pareille position devient vite délicate. Lorsqu’on veut rendre service à tout le monde, il arrive vite un moment où le service que l’on rend à l’un déplait à un autre. Viktor Bout l’a appris à ses dépends lorsqu’il est arrêté à Bangkok en 2008. Des agents américains de la DEA – l’agence de lutte anti-drogue – lui on tendu un piège en se faisant passer pour des guérilleros des FARC colombiennes. Simulant de vouloir lui acheter des armes, ils lui donnent rendez-vous dans la capitale thaïlandaise. Bout tombe droit dans le panneau, il y est arrêté le 6 mars.

Lorsque le procès touche à sa fin, en novembre 2011, Viktor Bout est, sans surprise, déclaré coupable. Son avocat n’a pas su tenir tête à l’arsenal juridique des procureurs. De plus, tous les médias américains ont suscité l’ire de l’opinion publique nationale en faisant passer Bout pour le pire des monstres. Il n’en fallait pas plus pour hisser bien haut la guillotine. Peu importe qui a tiré les ficelles de quoi, on veut qu’une tête tombe, celle de Bout ferait bien l’affaire.

« Dans les ambitions géopolitiques des états, le soutien militaire par armement interposé, c’est un outil précieux »

Vieil ami devenu ennemi public Alors qu’ils avaient fermé les yeux sur ses affaires pendant de nombreuses années, les USA avaient donc visiblement décidé de changer de politique. Il avait beau avoir rendu quelques sombres services, armer ceux qui combattaient directement leurs troupes, c’était dépasser les bornes.

A qui la faute? Hélas, le problème n’est pas si simple. Bien sûr, Viktor Bout a fournit des armes à des bourreaux sanguinaires. Il a sciemment permis à des guerres meurtrières de se prolonger, en encaissant la monnaie au passage. Il est coupable. Mais arrêter sa réflexion là, c’est jeter le bébé avec l’eau du bain. Ces armes d’où viennent-elles? Dans l’écrasante majorité des cas, la fabrication d’armement dans les pays est sous le contrôle vigilant des états. Ceux-ci laissent à des courtiers privés le soin d’en organiser le commerce, en leur laissant une marge de manœuvre légale plus ou moins grande. Ainsi, la plus grande part des armes vendues à travers le monde le sont avec un consentement relatif des gouvernements.

Après une lutte diplomatique acharnée entre Russes et Américains sur l’extradition de Viktor Bout vers les Etats-Unis, les Thaïlandais décident finalement de donner raison aux seconds. Bout est remis à ses juges en 2010 et les procédures commencent aussitôt.

Lorsque des trafiquants comme Viktor Bout parviennent à faire commerce de matériel militaire, cela veut donc dire que, quelque part dans la chaîne de transactions, il y a une fuite qui permet à des hommes peu scrupuleux de détourner une part dudit matériel. Ces malversations sont-

Des troupes américaines étant engagées contre les narcotrafiquants dans les jungles de Colombie, Bout se voit donc accusé par les autorités étasuniennes d’avoir voulu fournir à leurs ennemis des armes destinées à tuer des américains.

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elles toujours faites contre le gré des états? On est en droit d’en douter… Comme on l’a dit, les grandes puissances ont souvent des intérêts à défendre, et là où l’on défend quelque chose, on a besoin d’armes. Une non-transparence volontaire Ainsi, les obscures magouilles dont est fait le commerce d’armement résultent donc en grande partie du manque de transparence qui entoure ce milieu. Et on en mesure vite l’ampleur. En 2004, le protocole mis en place par l’ONU pour réglementer le commerce d’armes n’avait été ratifié que par 16 états. Parmi eux, aucun membre permanent du conseil de sécurité, qui sont pourtant les 5 plus gros fournisseurs d’armement dans le monde. Ne parlons même pas de sanctions engagées contre des mauvais élèves du milieu, les cas sont quasiment inexistants. Les états entretiennent donc euxmêmes, apparemment sans trop de complexe, une petite zone de nondroit autour de ce commerce, qui semble recouvrir des enjeux bien trop vitaux pour eux. Juste un, pour l’exemple A l’heure où ces lignes sont écrites, Viktor Bout attend encore de connaître la peine prononcée contre lui. Il risque entre 25 ans et la perpétuité mais a déjà annoncé qu’il ferait appel. Quelle qu’elle soit, la punition sera probablement méritée, notre Viktor n’est pas un enfant de cœur. Mais derrière ce procès théâtral, qui déchaine les passions, on manque l’occasion de faire procès à un système sombre, auquel des états peu vertueux s’accrochent bec et ongles. Bout tombera pour tranquilliser un peu les consciences sur un sujet sensible. Mais celui que l’on a assis sur le banc des accusés aurait probablement beaucoup à raconter s’il s’installait à la barre des témoins.


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Kony 2012, la construction 2.0 d’un ennemi public Les apôtres de l’interventionnisme peuvent se rasseoir en paix. En ce mois de mars un nouvel avatar issu du croisement entre la globalisation et les réseaux sociaux vient de voir le jour: le socio-marketing humanitaire. Matteo Maillard La vidéo a fait l’effet d’une détonation sourde et tentaculaire sur toute la toile. Postée le 5 mars 2012 sur Youtube, Kony 2012, est l’oeuvre de l’association américaine à but non lucratif Invisible children. En moins de cinq jours la vidéo a atteint les 70 millions de vues grâce à sa copieuse reproduction sur les réseaux sociaux, Facebook et Twitter en tête. Comme l’engouement sur internet ne s’exprime que par l’exponentiel, la boule de neige a dévalé la pente, grossissant et accélérant au fur et à mesure de sa course. Mais la vitesse de l’information est inversement proportionnelle à la réflexion qu’elle autorise. Le temps nécessaire à la digestion de l’information et à sa critique s’est ainsi vu comprimé et englouti dans l’enthousiasme communicatif des partages et autres retweet.

des sourires éclatants, des larmes, des républicains, des démocrates, bref, tous les ingrédients pour réussir un blockbuster estival ou une publicité pour assurance ménage. Et c’est bien là le problème; la forme employée pour ce documentaire, touchant au coeur un sujet d’une telle importance dont la mémoire est toujours vive, relève uniquement des codes propagandistes du marketing et du show business.

«We making Kony world news by redifining the propaganda that we see all day, every day, that dictates who and what we pay attention to2 ». Voilà l’idée qui a première vue ne peut être que géniale. Transgresser les codes de la publicité qui nous sont imposés quotidiennement pour en faire une arme de propagande pour une cause juste en lieu et place d’un produit marketing, a effectivement tout pour séduire.

« Les gazouillis des réseaux sociaux mèneront à des effusions de sang bien réelles » Déposons au sol les banderoles et les cris pour un instant. Dans le brouhaha de l’excitation suscitée, de nombreux internautes ont ressenti un certain malaise à la vision de ces 30 minutes savamment montées. On y perçoit pêlemêle: l’accouchement du fils de Jason1, des jeunes ougandais entassés par dizaines dans des salles de sport, des extraits de conférences motivationnelles, des nappes de musique sirupeuse, des cheveux peroxydés, du street art singé sur Shepard Fairey, des packshots de Joseph Kony, des stockshots d’Hitler, des jeunes américains visiblement très contents d’avoir le même t-shirt et de lever le poing à l’unisson, des ralentis stylisés sur le kidnapping d’un enfant,

Double point Godwin pour Jason

1 Jason Russell et le leader charismatique de Invisible children et le narrateur de sa propre histoire dans le documentaire 2 «Nous faisons de Kony un sujet d’actualité mondiale en redéfinissant la propagande que nous voyons tous les jours et qui dicte vers qui et vers quoi doit se porter notre attention» Extrait de la vidéo Kony 2012

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On ne peut battre un ennemi qu’en utilisant les armes qui sont les siennes. Pourtant ici l’ennemi n’est en aucun cas la société de consommation ou un libéralisme échevelé mais bien un chef de guerre sanguinaire d’Afrique centrale. Et on ne combat pas un chef de guerre comme on combat une major hollywoodienne ou une grande marque de sportswear. Jason Russell le sait. Sa tactique de guerilla publicitaire repose nécessairement sur la force armée. Les gazouillis des réseaux sociaux mèneront à des effusions de sang bien réelles et pas toujours pour la bonne cause contrairement à ce que les militants d’Invisible children cherchent à faire croire.

« Pour que le peuple s’unisse dans l’universalisme, le sang d’un coupable doit couler » «Just like his dad, he likes being in movies3 ». L’aide humanitaire est un funambule au-dessus d’un charnier. Loin d’un film, loin d’une pub, loin des spots et toujours loin de la paix. L’humanitaire nécessite de marcher sur la pointe des pieds, pas à pas, un pied devant l’autre. On ne court pas. On ne pénètre pas sur une zone de conflit comme sur une scène de concert sous les applaudissements et la liesse populaire. Arriver avec des rangers sur le filin c’est s’assurer la chute dans le bourbier, de la lutte armée à la guerre civile. L’idée ne semble pourtant pas déranger ces auto-proclamés pacifistes. La finalité de l’opération marketing Kony 2012 est bien la traduction en justice de Joseph Kony, leader de la LRA (Armée de résistance du seigneur). Les moyens pour y parvenir: entraîner et équiper l’armée régulière ougandaise en fournissant matériel militaire et personnel américains. Le 14 octobre 2011, les militants de Invisible children reçoivent une lettre signée de Barack Obama luimême qui ordonne l’envoi d’un contin3 «Tout comme son père il aime être dans les films» dit Jason à propos de son fils. Extrait de la vidéo Kony 2012 4 «Ca c’est le méchant» - «Et lui qui c’est?» - «C’est Jacob» Extraits de la vidéo Kony 2012:

gent de cent formateurs de l’armée américaine en Ouganda. Première victoire, premiers soulagements. Les complaintes de l’association on fait écho jusque dans les plus hautes instances politiques. La machine fonctionne croit-on. Un pied dans le bourbier. «This is the bad guy» indique Jason à son fils en pointant du doigt la photo de Kony. «And who is this?», «This is Jacob4  » répond son fils lorsque son père montre la photo d’un jeune homme ougandais. Si Kony est le méchant attitré, Jacob est le faire-valoir de la propagande de Jason. La victime-étendard, échappée des griffes de Kony, et à qui Jason a fait la promesse, lors de leur première rencontre en 2003, de tout mettre en oeuvre pour faire tomber le chef de guerre. Le conflit réduit et simplifié à la personnification ultime qu’est la vengeance personnelle. Exploités, les stigmates, les pleurs, la souffrance réelle de Jacob qu’on expose à la torche des caméras pour que le monde sache. Un double sacrifié, Jacob. D’abord sur l’autel de la LRA puis sur l’autel médiatique, condamné à exposer sa mémoire et ses cicatrices, d’amphithéâtres en plateaux de télé. La propagande se nourrit des larmes des chaumières. On prône l’universalisme mais l’on ne retient que l’individu. Kony est son petit nom, et il s’agit de le rendre mignon, tout du moins connu. «It’s obvious that Kony should be stopped. The problem is 99% of the planet doesn’t know who he is. If they knew, Kony would’ve been stopped long ago5 ». Le problème c’est la reconnaissance du problème. Comment rendre intéressant pour les gens un conflit intestinal et silencieux de Centre-Afrique? Comment en faire un problème qui surpasse les autres et concerne tout le monde? La réponse est désormais évidente. En utilisant sur la masse hyperconnectée des déconnectés du monde la formule éprouvée du buzz. Répandre le virus de la celebrity junk dans tous ses états et ainsi réussir à faire participer les gens à leur propre asservissement. Asservis5 «C’est évident que Kony doit-être arrêté. Le problème c’est que 99% de la planète ne sait pas qui il est. S’ils avaient su, Kony aurait été arrêté il y a longtemps» Extrait de la vidéo Kony 2012: 6 International Criminal Court ou Cour pénal internationale

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sement à une cause non voulue mais imposée par les codes publicitaires qui ont prouvés leur efficacité maintes et maintes fois sur nos cervelles. Pourquoi cette cause au lieu d’une autre dans la hiérarchie des souffrances dignes d’intérêt? Car la forme y est. Le packaging correspond à ce qu’on ingurgite quotidiennement par tous les canaux de transmission de nos corps, non pas parce qu’un rapport de la ICC6 sur les criminels de guerre et les dictateurs a placé un temps Kony au sommet de ses priorités. Sinon on s’y serait attelé plus tôt. Ce qu’a compris Invisible children, c’est qu’on ne rassemble pas autour d’un conflit aussi odieux soit-il. Il faut une tête à couper, un individu dans lequel enfouir la complexité du conflit. C’est la mécanique de l’ennemi public. Pour que le peuple s’unisse dans l’universalisme, le sang d’un coupable doit couler. Malheureusement pour Jason, si l’ennemi public est souvent une chimère, elle n’en est pas moins hydre. Couper la tête de Kony, et deux autres repoussent. Mais il faut bien commencer par faire le ménage quelque part.

« La propagande se nourrit des larmes des chaumières. On prône l’universalisme mais l’on ne retient que l’individu » «He’s not supported by anyone7» est un des arguments avancés par le film afin de légitimer la transformation de Kony en ennemi public international. Dans un subtexte paradoxal, personne ne supporte les agissements de Kony, mais nous si. Nous allons le soutenir et le redresser, le rendre fameux. Mais pour faire d’un individu une célébrité, il faut le célébrer. Cependant, l’éclat de la fête ne plaît pas à tout le monde. Evelyn Apoko porte les lourdes séquelles de son passé sur son visage. Kidnappée à 13 ans par la LRA, sa bouche est déchirée par une explosion. Elle réussi à s’enfuir. A la ques-


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tion de savoir ce qu’elle pense de la campagne de Kony 2012, elle explique qu’elle regrette profondément de voir le visage du tortionnaire de sa jeunesse fleurir sur les murs des villes américaines comme un printemps arabe inversé. Les grands oubliés de cette campagne sont les victimes de la LRA, qui ne servent que d’ombres fugaces, gueules cassées censées justifier le processus de starification de Kony. Joseph Kony a fuit l’Ouganda pour se réfugier dans la jungle congolaise entouré de centaines voire de milliers d’enfants-soldats. Pour l’en déloger, nous pouvons être assurés qu’il faudra soit tuer ces enfants-soldats soit être tué. Quant aux plus faibles, ils pourront servir d’otages ou de bouclier humain, finir massacrés dans une guerilla promise à l’embourbement. Avec la popularité du mouvement Kony 2012, l’engrenage militaire semble déjà enclenché. L’armée ougandaise prend les armes8. Dans le vacarme des bottes et l’hystérie de ces milliers de new born pacifists de l’ère internet, on a vite oublié que le gouvernement

ougandais reste l’un des plus corrompus d’Afrique. Un gouvernement que le dictateur Yoweri Museveni dirige d’une main de fer depuis son putsch en 1986 et qui est régulièrement condamné par la communauté internationale pour le bafouement des droits de l’homme, notamment la récente chasse aux sorcières des homosexuels condamnés à mort par la nouvelle législation9. C’est à Musevini et à ses sbires que Invisible children tend la main afin de faire sortir le dragon Kony de sa tanière pour rendre la vie des ougandais bien meilleure. Enfin, tant qu’ils ne sont pas gays et ne s’opposent pas à la dictature en place, bien sûr.

tés qui les concernent et de définir les causes pour lesquelles ils souhaitent se battre. Le débat public meurt pour laisser place aux leaders d’opinion qui assènent, à l’instar de la publicité, quoi dire, quoi défendre, quoi penser. L’agir démocratique ne passe plus par le vote, le droit d’association ou la liberté d’expression mais par le contrôle de l’opinion publique. En bon machiavelien on a ainsi le droit de tromper le peuple si l’on estime que la cause défendue est juste. L’échelle de la morale est subjectivisée. On l’impose, on l’imprime à la masse. La minorité libre reste minoritaire, écrasée par le poids d’une nouvelle tyrannie de la majorité.

L’universalisme étouffe ainsi sous l’individuation et la culpabilité toute désignée de l’ennemi public. En voulant trop tirer sur les ficelles publicitaires, Invisible children les tissent à la croix du marionnettiste, consolidant l’évidence de la manipulation10. La thèse involontairement soutenue par Invisible children et celle de l’abrutissement des masses. Les individus ne possèdent pas les facultés de discerner les priori-

Le message est bien passé, dans le respect d’une logique ternaire. 1) signer la pétition 2) acheter le bracelet Kony 2012 et l’Action Kit 3) s’inscrire au programme TRY et donner quelques dollars par mois. Le plan est bien rôdé. Nous pouvons tous nous unir dans la joie du lynchage prêt à l’emploi. Au fond, qui a dit que les conspués n’avaient pas le droit à leur quart d’heure de gloire?

La mécanique du marketing humanitaire 7 «Il n’est soutenu par personne» (à propos de Kony), Extrait de la vidéo Kony 2012: 8 L’UPDF, Uganda People’s Defence Force est l’armée régulière du gouvernement ougandais. Elle a été accusée à 9 Voir à ce sujet l’excellent documentaire tiré de l’émission Vanguard de la chaîne américaine Current, et intitulé «The missionaries of hate».

10 Il est intéressant de noter que seul 37% de l’argent versé à Invisible Children est utilisé sur le terrain à travers leur programme d’aide, alors que 20% est utilisé pour les salaires des organisateurs et les 43% restants sont alloués à la publicité et la visibilité du mouvement. Jedidiah Jenkins le «director of ideology» d’Invisible Children explique qu’il y a une mésentente lorsqu’on les défini comme une organisation humanitaire. Selon lui leur véritable statut est plutôt celui d’un lobby et d’un organisme de propagande occupé à exposer des causes humanitaires au public. http://www.good.is/post/a-kony-2012-creator-defends-the-film/

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Crédits photo : Désirée Maillard, Matteo Maillard, Karian Foehr

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À LA RECHERCHE D’ÉCLAIRAGE SUR LE WEB DE DEMAIN, .INK EST ALLÉ RECUEILLIR LES OPINIONS DES ÉTUDIANTS DE L’UNIGE SUR QUELQUES QUESTIONS CRUCIALES. David Zagury

Les anonymous, c’est juste la classe. Ils sont comme Batman ou Spider Man. Pourquoi est-ce que Spider Man serait cool quand il sauve un gonzesse et il serait pas cool quand il fait du soft power en faveur de wikipédia ? Mais Spider Man est juste cool. :-s by DavidZag, 7 hours ago

Non, c’est faux ! C’est une pensée de businessman. Les gens qui font l’Internet, les geeks, seront tjs libres de reconstruire un Internet libre. Ils veulent pas être contrôlés. by Alex A, 1 hour ago

Is already today’s face of the internetz. futur visage has yet to be found. by Markkk, 13 hours ago

Les Anonymous, c’est une grosse blague. C’est encensé par les médias, alors qu’en fait c’est toi, c’est moi, dès qu’on poste un truc. Parce que ça vient de 4chan ! by Alex A, 12 hours ago

Oui, peut-être, mais seulement pour M. et Mme Tout-leMonde. by MathiasBango, 6 hours ago

Ni l’un ni l’autre ! Citoyens actifs du web ! Ce sont des vrais utilisateurs-acteurs qui défendent leur liberté par le moyen qu’on essaie précisément de leur enlever. by Penelope Garcia, 12 min ago

Facebook est un réseau social parmi d’autres. Et en fait peu utilisé en Asie. Les réseaux sociaux en général vont se « commoditiser », devenir comme l’électricité. Ce sera un outil omniprésent, et pas une fin en soi. Mais pas forcément Facebook. by Penelope Garcia, 3 hours ago

« If I can’t get a vagina, I might as well fuck around with the system. » No terrorists though, mostly doing it for a good cause. by Brigitte69, 5 hours ago

Facebook n’est plus cool. Il y a trop de monde, trop de pubs, trop de manipulation, trop de problèmes de vie privée ! Je pense que les gens vont savoir l’abandonner naturellement au profit d’un réseau plus propre. Diaspora débarque avec un concept un peu plus doux et une certaine éthique. Les choses vont bouger. by Thomas, 4 hours ago

Plus de 60% des gens qui hackent ne savent même pas pourquoi ils le font, et en fait ils le font pour rigoler, « just like that ». By Ramzar7, 1 day ago

Facebook, c’est le visage de la décadence

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FACEBOOK VEUT ÊTRE TON AMI L’entreprise de Mark Zuckerberg compte beaucoup trop d’utilisateurs pour ne pas radicalement changer la face du web. Elle pourrait bien devenir l’administrateur en chef de nos consommations numériques, mâcher et avaler le web, et signer la mort de l’aventure fascinante qu’est la discipline de surfer. En compagnie d’Evgeny Morozov, nous nous inquiétons… David Zagury Pour Sheryl Sandberg, COO de Facebook et bras droit de Mark Zuckerberg, le web informatif (« information web ») s’oppose au web social (« social web »). Le premier passe par les moteurs de recherche, les robots d’indexation, les liens de site à site, ou même la manipulation hasardeuse de l’URL1. Le second est cette nouvelle manière d’accéder à du contenu web, dont Facebook a été, sinon l’inventeur, du moins le catalyseur incontesté : le réseau social, où tout passe par les posts de vos « amis ». Le premier serait du passé ; le second, du futur.

même le contenu en question dans le giron de l’application Facebook. « Nous créons une plateforme sur laquelle tout le monde peut se connecter, puis nous permettons à toutes ces entreprises de s’y implanter », explique-t-il. Partager, c’est sûrement bien. Les amis, c’est sûrement bien. Les « friends », c’est sûrement pas mauvais. Il y a pourtant cette petite angoisse du piège. Loin de la peur du big brother numérique, Evgeny Morozof a commis un article bouleversant dans le NY Times du 4 février dernier. Intitulé « The Death of the Cyberflâneur », il suggère que l’Internet était perçu à ses débuts comme un lieu de promenade nébuleuse, de quête au hasard, bref, de flânerie. La flânerie : cette esthétique de la nonchalance associée avec la littérature parisienne du XIXème siècle, vantée par Beaudelaire ou Benjamin. Elle suppose la curiosité, la discrétion, la lenteur, la solitude. Sur le web, la tentation de flâner passait par un imaginaire de l’Internet comme terra incognita numérique, comme digitale caverne d’Ali Baba. Et nos logiciels s’appelaient Explorer ou Navigator. De quoi rêver.

Musiques et idées sont appelées à ne plus jamais être savourées dans la solitude, mais seulement sous le regard bienveillant de votre petite communauté.

Mais les projets haussmanniens ont détruit bien des ruelles au profit de grandes avenues, et du trafic hippomobile, puis automobile. C’est le déclin du flâneur parisien. Et pour Morozov, qui poursuit l’analogie, « si aujourd’hui l’Internet a un Baron Haussmann, c’est Facebook ». Le social network prône le partage entre amis de toutes les expériences numériques. Vidéos, musiques et idées sont appelées à ne plus jamais être savourées dans la solitude, mais seulement sous le regard bienveillant de votre petite communauté. Sheryl Sandberg parle de « wisdom of friends », la sagesse de vos amis, comme du critère à l’aune duquel vous découvrirez les nouveautés du web. Cela culmine dans le « frictionless sharing », ou l’idée que tout ce que vous faites est partagé automatiquement sur votre page Facebook ; pour ce qui doit rester intime, il faut spécifier une exception.

Au moment où j’écris ces lignes (27.2.12), Facebook compte plus de 850 millions d’utilisateurs, soit plus d’un humain sur huit. Et il croît. Il a, par ailleurs, annoncé le premier février dernier son entrée en bourse. Il excite tous les spéculateurs. Il serait estimé, selon certains, à 100 millards de dollars. Et si l’Internet a été jusqu’aujourd’hui ce qu’Emmanuel Dessendier appelle un « réseau a-centré », demain Facebook pourrait changer la donne. Dans son rôle de passeur de contenu, le social network a vocation à avaler les plus importants canaux usuels du web, en méga-administrateur de nos consommations numériques. C’est en tous cas l’intention à peine dissimulée de Mark Zuckerberg. Ce dernier verrait volontiers son entreprise chapeauter toutes les formes de communication en ligne, après qu’elle aura bâti le réseau social le plus vaste ayant jamais existé (ainsi que la base de données la plus complète sur ses utilisateurs). Zuckerberg crée à cet effet le concept de partership company, et noue des alliances-clés avec, par exemple, Spotify (logiciel de streaming de musique) ou la presse (Guardian, Washington Post, etc.), qui ont désormais leur application Facebook. Celle-ci informe tous vos amis de ce que vous écoutez et lisez en temps réel, et vous permet de cliquer pour découvrir vous-

La première victime de ce phénomène est la sérendipité. Plus aucune découverte sur le web n’est vraiment le fruit du hasard. La deuxième victime est probablement l’individualité des goûts. Le plaisir d’écouter de la musique, regarder un film ou lire un texte ne se trouve plus dans l’expérience elle-même, mais aussi, et peutêtre surtout, dans l’exhibition de cette expérience. Une chose nous

1 Comme nous le disait le Professeur A. Flückiger, « en cas d’erreur 404, n’ayez

qu’un leitmotiv : jouez avec l’URL ! ». On appelle cela l’URL butchering.

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plaît parce qu’elle plaira sûrement à nos « amis ». Nous faisons ceci ou cela car nous avons plaisir à le montrer sur Facebook. Qu’il est bon de se faire liker ! Ce que tous nos « amis » regardent, nous le regardons aussi. La troisième victime, sans doute, est la lenteur. « Les pages de jadis, chargeant lentement, accompagnées par le bourdonnement funky du modem, avaient leur propre poétique étrange, écrit Morozov, [...] et occasionnellement cette lenteur nous alertait même sur le fait que nous étions assis devant un ordinateur ». Mais vous avez probablement déjà oublié cette époque. Facebook et Twitter ont consacré le web en temps réel. À tout moment, je sais où en est ma communauté. Internet devient le miroir immédiat du temps. Il est le reflet de toute une chronologie culturelle, celle de la culture adolescente. Timeline, le dernier outil de Facebook, en est l’illustration ultime : il archive chronologiquement tous vos faits et gestes, et rend l’archive disponible. On peut imaginer la suite. Un skieur de l’extrême vous donnera rendez-vous sur sa page Facebook à une heure précise pour streamer en temps réel ce que filme sa caméra GoPro. Puis, tous équipés de GoPros, nous offrirons en temps réel des parties de notre vie quotidienne à streamer sur notre page Facebook. « Tu n’as pas eu tes billets pour le Paléo ? Connecte-toi à 22h00 et je te ferai streamer le concert avec ma GoPro ». Bien entendu, la victime, c’est aussi l’intimité – une idée dont on parle de moins en moins...

considérable sur ce que nous consommerons à partir d’Internet, et potentiellement, sur nos sources d’informations, puisqu’il décide à quels médias il accorde une application. « Pire, écrit Evgeny Morozof, quand le schéma du frictionnless sharing deviendra pleinement opérationnel, nous lirons probablement tous nos journaux sur Facebook, sans jamais dépasser ses confins pour aller visiter le reste du web. » Le bloggeur Robert Scoble imagine la suite : « dans le nouveau monde, vous ne faites qu’ouvrir Facebook et tout ce qui vous intéresse va simplement défiler sur l’écran ». Les pratiques d’Internet vont changer. Est-ce grave, après tout ? Mon cousin cadet m’a raconté l’autre jour que ses amies gagnent leur argent de poche en vendant leurs petites culottes aux enchères sur Internet, accompagnées d’une photo de leur postérieur pour illustrer le produit et appâter le chaland. Nous avons perdu la cyberflânerie, la sérendipité, l’individualité, la lenteur. Mais nous avons gagné les petites culottes. Est-ce mal ? Il faut seulement espérer que Facebook n’avale pas dans sa nasse tout le reste de l’Internet intéressant. Que le world wide web reste wide. Que l’on ferme Facebook pour « se payer une vie », comme ils disent, mais aussi parfois pour aller voir du côté des versions alternatives de l’Internet. Un peu comme à la plage, qu’on arrête de mater et qu’on retourne surfer. Et que l’on ne se contente pas de se laisser instiller du contenu facebook-vacciné dans les colonnes bleu-mornes. Bref, que le world wide web reste wild.

Mais nous avons un peu forcé le trait. Les réseaux sociaux ont leur part de génial. Anita Rozenholc, de la revue EcoRev, a réagi sur France Culture au texte de Morozof : « J’ai devant moi quelque chose qui me touche beaucoup, qui est révolutionnaire, et qui me paraît plus important que ce texte : des femmes égyptiennes, sur la place Tahrir, se sont promenées non pas avec des pancartes, mais avec des claviers d’ordinateur, qu’elles brandissent au-dessus de leurs têtes. » Effectivement, depuis deux ans, deux phénomènes politiques transnationaux majeurs – le printemps arabe et le mouvement Occupy – doivent la vitesse de leur mise en place à Facebook et à Twitter. Rappelons-nous qu’en 2009 déjà, Mark Pfeifle, ancien membre du Conseil de sécurité nationale US, suggérait que Twitter dût recevoir le prix Nobel de la paix pour son rôle joué dans les protestations en Iran. On peut revenir aussi sur le sujet de la culture adolescente. Facebook est au coeur d’une dynamique complètement nouvelle et fascinante dans la consommation culturelle des jeunes. Aujourd’hui, chacun peut rendre attentif à ce qu’il fait lui-même d’artistique. La promotion, qui est le revers pénible de la médaille pour quiconque organise lui-même ses concerts, spectacles ou expos, est, tout d’un coup, devenue simple et rapide. Et gratuite. Enfin, le buzz, cette galvanisation 2.0, a quelque chose de plus excitant que l’époque où c’était la télévision qui nous servait des bande-annonces entre deux publicités pour des surgelés, ou encore lorsque c’était la radio qui, en nous rabâchant les oreilles, décidait des morceaux que nous allions aimer. Il n’empêche que Facebook, omnivore affamé, prêt à tout avaler, a quelque chose d’effrayant. Devenu en six ans « une version personnalisée du web dans le web » (Charlie Rose), il pourrait devenir un « web par-dessus le web », un « web distillé », un « web clés en main ». D’une approche bottom up, le grand social network pourra bientôt imposer une approche top down : son influence sera

Mark Zuckerberg, co-fondateur, CEO et actionnaire à 28.4 % de Facebook. ©Joseph Rosenfeld

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INTERNET DE LIBERATION OU INTERNET D’OPPRESSION? Le rôle joué par les réseaux sociaux dans le processus des révolutions issues du Printemps arabe fait apparaître Facebook ou Twitter comme des armes révolutionnaires. Cette idéalisation des réseaux sociaux omet qu’ils peuvent également être les instruments d’exclusion, de contrôle et de dépolitisation. Nina Khamsy

Une manifestante à Beyrouth, le 5 février 2011 (photo de : Sharif Karim/Reuters). Le rôle des réseaux sociaux dans le processus des révolutions arabes se revendique partout où ils ont été utilisés.

Comme une plateforme d’expression et de débat, d’échange d’informations et d’idées, la toile Internet revêt les proches apparats d’une nouvelle forme de démocratie virtuelle.

nationaux, socialisation du savoir, (...) Internet ne permet pas seulement de communiquer davantage ; il élargit formidablement l’espace public et transforme la nature même de la démocratie. » Le rôle politique d’Internet et des réseaux sociaux a été loué suite aux révolutions du Printemps arabe du fait de l’utilisation massive d’Internet dans leurs processus. C’est pourquoi une idée, massivement véhiculée par les médias, s’est répandue ; un lien direct existerait entre les réseaux sociaux, les révolutions et la démocratie.

« Des tweets ont été envoyés. Des dictateurs ont été renversés. Internet = démocratie. CQFD »

Dans les révolutions du Printemps arabe, « l’usage premier des réseaux sociaux a été détourné pour devenir un lieu d’expression politique en lien avec les actions. Puis les sites et blogs ont servi de ressource pour les militants, diffusant des informations et discours contestant ceux du régime […] En second lieu, [ils] ont rempli trois grandes fonctions : faciliter l’organisation du mouvement, la diffusion de l’information et le partage de témoignages. » C’est ce qu’explique Isabelle Hare, professeur en Sciences de l’Information et de la Communication à l’Université de Poitiers, dans l’ouvrage Les élections iraniennes sur Twitter et Facebook. En effet, Facebook et Twitter auraient permis de contourner la censure et contrer la propa-

Internet constituerait une opportunité démocratique et ses fondements seraient profondément égalitaires, soutient Dominique Cardon, sociologue et chercheur associé au Centre d’études des mouvements sociaux à Paris, dans son ouvrages La démocratie Internet. D’après elle : « Le web constitue à l’échelle planétaire un laboratoire d’expériences démocratiques : auto-organisation des citoyens, délibération élargie à de nouveaux publics, mise en place de collectifs trans-

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gande, et de traverser les frontières par la diffusion imagée donnant un écho planétaire à une action interne.

auraient été changées. Et pas pour le mieux. La raison se trouve dans ce qu’on appelle la « fracture numérique » en creusant un gouffre entre ceux qui possèdent une connexion Internet et qui n’en possèdent pas, les exclus. Les moyens de communication modernes auraient contribué à creuser davantage l’écart socioculturel entre classes moyennes et aisées et classes défavorisées urbaines et rurales qui ont seulement accès à la télévision nationale. Ainsi, toujours d’après Azadeh Kian : « le mouvement ne se donne pas les moyens d’atteindre la moitié de la population qui n’a accès ni à Internet, ni aux chaînes satellitaires ou autre moyens de communication modernes. [Il] ne réussira pas à mobiliser les démunis et à se positionner comme alternative au pouvoir actuel. » Les échanges plus classiques de rencontres en face à face sont remplacés par les échanges virtuels, la conséquence en est l’exclusion d’une majorité de la population iranienne qui pourrait apporter un important soutien au mouvement.

La puissance de démocratisation des nouveaux médias apporte-telle forcément la démocratie et la liberté ? Certains auteurs comme Evgeny Morozov, auteur The Net Delusion : The Dark Side of Internet Freedom, affirment au contraire qu’elle peut être l’enracinement des régimes autoritaires. D’après lui, c’est ignorer les mécanismes d’activisme réel qui sous-tendent les révolutions arabes que d’affirmer le raisonnement simpliste : « Des tweets ont été envoyés. Des dictateurs ont été renversés. Internet = démocratie. CQFD. ». L’Internet de libération et l’Internet d’oppression seraient-ils les revers d’une même médaille ?

« Bref, ces informations pour lesquelles on torturait autrefois peuvent désormais être obtenues en quelques clics »

Quels enjeux se cachent derrière cet engouement pour les réseaux sociaux? L’ouvrage The Net Delusion pose quelques questions controversées intéressantes pour s’interroger sur les raisons de cet engouement. On peut se demander par exemple si : « en insistant sur le rôle libérateur des outils et en minimisant le rôle des organisations humaines, ces prétextes rendent-ils les américains fiers de leur propre contribution aux événements du Moyen-Orient ? Après tout, puisqu’une telle révolution n’aurait pas pu avoir lieu sans Facebook, alors la Silicon Valley mérite en grande partie d’être créditée pour sa contribution ».

En effet, paradoxalement, Internet et les réseaux sociaux sont de formidables outils de contrôle. Ils peuvent autant contourner la propagande et la censure qu’en être le lieu où elles sont poussées à l’extrême. Aussi, le gouvernement peut les utiliser en s’infiltrant dans les réseaux pour puiser des informations en ligne. Par exemple, après les manifestations de 2009 en Iran, les autorités iraniennes ont collecté les photos des manifestants sur Flickr (une plateforme de partage de photo) et les ont postées sur des sites officiels pour appeler à identifier les protestataires. Les liens d’amitié Facebook ont aussi été utilisés pour en retrouver. Bref, ces informations pour lesquelles on torturait autrefois peuvent désormais être obtenues en quelques clics.

Concernant l’Internet politique plus proche de nous, l’engouement pour les réseaux sociaux se voit jusque dans nos pratiques quotidiennes. En témoin désemparés de ces révoltes, nous tentons de participer à la révolution virtuellement en utilisant les mêmes outils. Nous

« Les échanges plus classiques de rencontres en face à face sont remplacés par les échanges virtuels, la conséquence en est l’exclusion d’une majorité de la population iranienne qui pourrait apporter un important soutien au mouvement »

De plus, les réseaux peuvent constituer le frein à un mouvement de contestation et même se retourner contre lui. Prenons l’exemple iranien du mouvement vert : en l’absence de vrais leaders et en raison d’une organisation très faible, le mouvement ne pouvait pas être géré simplement par les réseaux sociaux ou Youtube. En effet, malgré les acquis du mouvement vert tel que sa dimension culturelle et sa déconstruction de la légitimité du régime, il est resté désorganisé et a éprouvé des difficultés à connaître du succès. C’est ce qu’exprime l’ouvrage L’Iran, un mouvement sans révolution ? d’Azadeh Kian, professeur de sociologie à Paris et chercheuse au sein de l’UMR Monde iranien. Elle explique l’impact d’Internet sur le mouvement vert. D’après elle, bien qu’Internet et la blogosphère aient donné une dimension transnationale au mouvement vert, ils l’auraient également fragmenté « à cause d’un manque de structure et l’absence d’une prise de direction acceptée par tous les acteurs iraniens et par ceux de la diaspora ».

nous mettons à « Liker » une révolution ou devenir le 2’346ème membre du groupe : « Stop the massacre of the Syrian population by its own army ». Est-ce un acte d’engagement politique ou un simple signe de solidarité ? Les pétitions virtuelles spontanées qui en résultent ont-elles une quelconque valeur à revendiquer ? Ou bien, au contraire, ces « Like » désorientent-ils notre engagement et ont pour fonction de tranquilliser notre conscience tout en nous dépolitisant ? Internet serait-il devenu le nouvel « e-opium » des masses ?

Le mouvement vert aurait évolué suivant le modèle des sociétés globalisées qui fonctionnent par réseaux et par interactions à la forme de flux communicationnels. En conséquence, les deux dimensions fondamentales de l’expérience humaine que sont le temps et l’espace

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INTERNET FILLE DE LA CYBERNETIQUE Avec l’essor d’Internet et des TIC1 ces dernières années les « cyber- » envahissent l’espace public. Mais que peut donc bien se cacher derrière ce préfixe ? Quel est son origine ? Quel est le lien entre Internet et cybernétique ? C’est ce que nous allons décrypter. Alexandre Petrossian La définition :

L’industrie militaro-industriel fut donc la première à saisir l’importance des nouvelles technologies dans le domaine des communications. Un autre exemple de collusion entre le monde militaire et la cybernétique est la création ces dernières années d’une « quatrième armée » celle qui parcourt l’espace virtuel de l’informatique et des télécommunications. L’armée cybernétique, comme on l’appelle, traite Internet comme un nouveau champ de bataille avec la formation de guerriers cybernétiques capables de réagir à toute menace vingt-quatre heures sur vingt-quatre sept jours sur sept.

Figurez-vous que l’origine du mot cybernétique revient à Platon qui utilisait le terme « kubernetike » pour désigner l’action de manœuvrer un vaisseau, de gouverner. Le but de la cybernétique est donc de « mener le navire à bon port même en cas de tempête ». La définition de Norbet Wiener, le père de la cybernétique moderne, est : « Science du contrôle et de la communication chez l’animal et la machine ». L’objet de la cybernétique est ainsi l’information, c’està-dire l’ensemble des messages, verbaux ou non-verbaux, conscients ou inconscients, qui circulent aussi bien entre un pilote et son copilote qu’entre deux ordinateurs ou deux cellules d’un organisme. La communication est donc commune aux animaux et aux être humains puisqu’elle assure la transmission de l’information.

L’origine de la cybernétique : La cybernétique tire son origine de la thermodynamique qui introduit des notions extrêmement importantes comme la rétroaction ou bien l’auto-régulation. Ces derniers expliquent comment les éléments d’un système entre en interaction réciproque. Prenons un élément A qui agit sur un élément B : si l’élément B réagit et « répond » à l’élément A alors on peut parler de boucle de rétroaction ou de feedback. On trouve deux sortes de boucles de rétroaction : les boucles positives où la variation dans un sens de la valeur A entraîne une variation dans le même sens de la valeur B et les boucles négatives où un élément A fait augmenter B, mais où l’augmentation de B fait diminuer A. Un exemple d’un système cybernétique serait le radiateur électrique. Il possède deux éléments, une résistance et un thermostat, liés par une boucle négative: ainsi, l’augmentation de la chaleur déclenche d’elle même la coupure du thermostat, provoquant en retour la baisse de la température, qui produira à son tour la réouverture du thermostat. Un système cybernétique équilibré engendre l’autorégulation, qui signifie qu’une tendance dans un sens crée intrinsèquement les conditions de la tendance inverse. Ainsi, l’avantage du système autorégulé est sa longévité et sa stabilité. Les principaux systèmes autorégulés sont issus de la nature comme par exemple l’écosystème, la cellule ou encore l’organisme.

L’information, rapidement reçue mais mal comprise, est un des dangers majeurs du XXIè siècle. Le contexte : La cybernétique est née lors des conférences Macy qui se déroulèrent de 1942 à 1953 et qui avaient pour but d’édifier une science générale du fonctionnement de l’esprit grâce à l’apport de logiciens, mathématiciens, anthropologues, psychologues et économistes. À cette époque, la désillusion et le désespoir vis-à-vis de la condition humaine étaient de mise parmi les penseurs occidentaux. Comment pouvait-on encore croire à la modernité alors que c’est elle qui engendra les deux guerres mondiales ? Selon Wiener, la nature humaine tend vers le désordre et l’indifférenciation. Il entendait dès lors remédier à l’imperfection humaine en créant une « machine capable de contrôler, de prévoir et de gouverner ». Cette « machine », la cybernétique, mettrait l’information au cœur de son système. La cybernétique ouvrait donc une nouvelle voie qui nous donne une vision du réel sous l’angle de l’information.

Cybernétique et société : Aujourd’hui, complètement entourés des systèmes informatiques, nous ne nous retrouvons en définitive que confrontés à une nouvelle sorte de communication qui, bien que facilitant en surface la diffusion de l’information, biaise de plus en plus la compréhension de cette même donnée. Or, puisque l’influence des médias sociaux (Twitter, Youtube, Facebook…) notamment ne cesse de croître, il est indispensable de pouvoir maîtriser les TIC. En effet, l’information,

Ainsi la cybernétique donna les outils nécessaires à la réalisation d’un système interactif que l’on appelle aujourd’hui Internet. Ce réseau prend sa source dans le projet ARPANET, initié par le Pentagone dans les années soixante, pour le transfert d’informations militaires. 1 : Technologie de l’information et de la communication

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Norbert Wiener

rapidement reçue mais mal comprise, est un des dangers majeurs du XXIè siècle.

face à une robotisation de toutes les relations. Les signaux d’information, traditionnellement transmis de personne en personne, échappent aujourd’hui au contrôle de l’humain, parfois même presque totalement. A force de vouloir faciliter le transit d’informations, nous avons atteint un stade où nous ne le contrôlons plus. Pour exemple, l’incident de juin 2010 à la bourse de Tokyo où une société de courtage allemande a émis un ordre de vente de 150 milliards en raison d’un bug informatique ou encore la fameuse histoire du pilote d’hélicoptère américain, révélé par Wikileaks en 2007, qui tua des journalistes faisant l’amalgame entre « America’s Army3 » et la réalité de la guerre, viennent étayer cette hypothèse de la confusion de l’information par notre volonté de maîtrise absolue.

Wiener, dans son livre Cybernetics and Society, tente de faire le lien entre la cybernétique et la société en traçant une analogie entre les systèmes automatiques et les institutions humaines. Il met également en garde les dirigeants contre les conséquences d’une utilisation de la cybernétique qui ne serait pas accompagnée par une évolution post-industrielle2 des structures de la société. Wiener affirme en effet que si nous ne n’arrivons pas à concilier la fin du travail humain, qui serait remplacé par des machines intelligentes, alors nous assisterons à un développement du chômage et de l’exclusion sociale.

Voici certaines applications de la cybernétique : processus de robotisation de la production, réseaux financiers mondialisés, nouvelles méthodes de management et d’organisation de l’entreprise, réseaux de communication et réseaux informatiques (Internet) ou nouveaux systèmes d’armes intelligentes.

Cependant, les sociétés post-industrielles qui émergent aujourd’hui, bien qu’étant directement liées à la cybernétique, n’ont pas mis à

La Toile est devenue, en quelques années, la nouvelle interface de communication pour les êtres humains.

Ces dix dernières années ont connu un changement radical en terme de communication grâce à Internet. La Toile est devenue, en quelques années, la nouvelle interface de communication pour les êtres humains. Ainsi de nouvelles formes de citoyenneté sont arrivés avec les technologies de réseau. Cependant, cette nouvelle forme de communication ne doit pas être pensée en terme de substitution par rapport aux formes traditionnelles d’expression mais plutôt comme complémentaire. Les principes cybernétiques tels que « vivre c’est communiquer » ou bien « le réel peut tout entier s’interpréter en termes de messages » ne risquent-ils pas de déshumaniser notre intériorité ? De réduire l’Homme à un « homo communicans » ? Voici le défi que nous réserve Internet et son ère cybernétique !

profit l’aspect essentiel de cette science de la communication. Si on revient à la définition citée plus haut, la cybernétique est la science de la communication entre êtres vivants. Là où l’on s’attendait à une clarification des communications humaines, on se retrouve pourtant 2 : La société post-industrielle est une société basée sur le secteur tertiaire (les services) liés à la connaissance et à l’information. Celle-ci faisant suite à la société industrielle basée sur le secteur secondaire liés aux matières premières et aux machines 3 : America’s Army est un jeu vidéo développé par l’armée américaine afin d’entrainer les soldats américains.

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International.ink

Qui a la plus grosse tour d’ivoire? Comme affiché avec fierté sur son site, l’Université de Genève est entrée en 2011 dans les 100 meilleures universités du classement de Shanghai (ARWU), à la 78ème place plus exactement. Sur quoi sont fondés ces classements et quel est leur impact pour les universités ? Théo Aiolfi Que ce soit par curiosité de savoir où se place son université, pour se renseigner sur le prestige d’un établissement dont on convoite un diplôme ou simplement pour découvrir quels sont les pays prédominants dans l’enseignement supérieur, la plupart des étudiants ont déjà, au moins une fois, consulté un de ces fameux classements universitaires. Mais au-delà des chiffres inéluctablement trop simplificateurs, rares sont ceux qui se sont intéressés dans le détail à la façon dont chaque université est notée et qui sont les organismes derrière ces classements.

Les méthodes de ces trois classements diffèrent considérablement en dépit d’apparentes similitudes. Bien que ceux-ci soient de plus en plus nombreux, les trois classements les plus consultés et reconnus sont l’ARWU (« Academic Ranking of World Universities »), classement de la Shanghai Jiaotong University lancé en 2003 et le classement du magazine britannique Times Higher Education (THE) lancé en 2004 en coopération avec l’entreprise Quacquarelli Symonds (QS) dont le partenariat s’est terminé en 2010 donnant naissance à deux classements différents : le « QS World University Rankings » et le « Times Higher Education World University Rankings » . De cette rupture le premier conserve la méthodologie des anciens classements publiés sous le nom du THE quand le magazine luimême décida de conserver le nom du

classement mais de changer complètement sa façon de procéder. Les méthodes de ces trois classements diffèrent considérablement en dépit d’apparentes similitudes. L’ARWU utilise différents facteurs pondérés de la façon suivante : le nombre de chercheurs cités fréquemment dans 20 domaines différents (25%), le nombre de publications indexées dans le Science ou Social Science Index (25%), le pourcentage de publications dans les journaux scientifiques les plus prestigieux (25%), le nombre total d’alumni ayant reçu un Prix Nobel ou une médaille Fields (10%) ainsi que le nombre total de membres du personnel de l’université ayant reçu un de ces prix (15%). Stanislav Smirnov, enseignant à l’UNIGE, à d’ailleurs été récompensé d’une médaille Fields en 2010, ce qui explique l’ascension fulgurante de Genève dans ce classement. Ces critères relativement objectifs ont fait de l’ARWU un classement réputé pour de nombreux journaux, professeurs ou même institutions politiques comme fondé sur une méthodologie rigoureuse, solide et claire, bien que soumis à controverse et critiqué par la Commission Européenne, tout comme les deux autres classements, pour un supposé biais envers les institutions anglo-saxonnes. Il a également été critiqué comme reposant trop sur le nombre de prix académiques reçus ce qui empêcherait, selon les détracteurs du classement de Shanghai, de mesurer la qualité de l’enseignement, notamment dans les sciences humaines. Le « QS World University Rankings » se fonde quant à lui sur une métho-

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dologie très différente. Les critères pris en compte sont les suivants : le nombre de citations issues de publications des chercheurs (20%), le ratio étudiants/enseignants (20%), l’orientation internationale (10%) [Incluant la proportion d’étudiants internationaux (5%) et celle d’enseignants internationaux (5%)] ainsi que deux critères extrêmement controversés, la réputation pour les employeurs « mondiaux » (10%) et surtout la réputation académique par les pairs (40%) issus tous deux d’une enquête mondiale renouvelée chaque année. Beaucoup plus volatile et soumis à des variations importantes d’une année sur l’autre, le classement de Quacquarelli Symonds a souffert de nombreuses critiques concernant à la fois la fiabilité des données qu’il utilise, dont quelques erreurs dans le calcul de certains indicateurs se font l’écho, et sa méthodologie qui accorde la moitié de la pondération totale à la réputation extérieure de l’université. Celle-ci entraînerait potentiellement des biais affectifs pour les académiciens vis-à-vis de leur établissement d’origine ou d’accueil et offrirait aux entreprises la possibilité de rétrocéder leur « estime » dans les classements pour une université contre un traitement de faveur sous quelque forme que ce soit. Bien que certains chercheurs aient démontré la validité d’un indicateur construit autour de la réputation auprès des pairs, celui-ci ne pourrait être un instrument de qualité que s’il était utilisé dans des conditions irréprochables d’objectivité et s’il prenait en compte un échantillon représentatif d’académiciens. Or la méthode employée pour ce classement consis-


Vie universitaire

tant à demander à « l’expert » de dresser la liste des 30 meilleures universités ainsi que l’opacité de l’enquête, notamment dans le choix de l’échantillon des enseignants interrogés, permet de remettre en doute la validité des informations recueillies par l’entreprise. Après sa scission avec QS, le Times Higher Education a repris à zéro les éléments de son classement. Le 16 septembre 2010, le magazine révèle enfin sa nouvelle méthodologie, fondée sur 13 indicateurs eux-mêmes regroupés en 5 catégories : revenu de l’industrie et innovation (2.5%), diversité internationale (5%), enseignement et environnement d’apprentissage (30%), volume, revenu et réputation de la recherche (30%) et nombre de citations dans les publica-

Ce premier effet entraîne le second, l’impact administratif : les politiques universitaires tendent pour de nombreux établissements à favoriser une élévation dans ces classements afin de capitaliser au mieux cette réputation pourtant intangible et fluctuante. Cette pression latente se renforce sur de nombreux points, quitte à pousser les chercheurs vers une productivité étouffant toute créativité, dans une poursuite sans fin d’un plus grand

nombre de citations et de publications. Marque objective de la qualité d’un établissement ou instrument néfaste poussant à la marchandisation de l’enseignement supérieur, la réalité de ces classements repose probablement quelque part entre les deux mais rappelons nous simplement qu’une université ne pourra jamais être résumée à un simple nombre ou à un quelconque algorithme infaillible.

L’impact de ces classements joue sur deux plans : symbolique [et] administratif. tions réputées (32.5%). Relativement plus sophistiqué que les deux classements précédents, le nouveau classement du THE comporte à l’instar de son prédécesseur une composante basée sur la réputation (34.5% au total dont 15% pour l’enseignement et 19.5% pour la recherche) mais fondée cette fois-ci sur une enquête réputée « statistiquement représentative de l’éducation supérieure mondiale », moins opaque que celle du QS ce qui a valu à ce classement d’être mieux reçu par les observateurs. L’impact de ces classements joue sur deux plans : symbolique d’abord, une bonne place dans les classements rassurera un étudiant sur la valeur de son université et est un signal de qualité qui, en dépit des défauts inhérents à une évaluation aussi réductrice, se révèle très attractif et profitable pour les universités bien classées.

« Prochaine étape : Harvard ! »

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International.ink

Actualités de l’AESPRI En ce début de semestre, la mise en place d’une nouvelle structure pour le BARI semble être un débat nourri au sein de l’Université. L’AESPRI propose un rapide résumé de l’avancée du projet ainsi que ses perspectives, sans oublier bien sûr de se présenter !

Le comité de l’AESPRI Les Relations internationales trouveront-elles un jour leur place à l’UniGe? Comme vous l’avez peut-être entendu, l’UniGe se penche actuellement sur l’avenir des relations internationales à Genève. Septembre 2012 devrait donc voir la création d’un nouveau Centre d’Études Internationales et Européennes (CEIE), bien que de nombreux avis pencheraient plutôt pour une mise en place effective en 2013. L’idée est d’assurer au BARI une meilleure gouvernance, problématique récurrente ces dernières années dans la mesure où le BARI est dépendant de trois facultés (SES, Lettre et Droit). Ceci pose le problème endémique d’un manque de responsabilité clair portant atteinte à la qualité pédagogique et ad-

ministrative de ce Bachelor. De plus, cela rend laborieux tout changement, en vue du nombre d’instances devant les accepter, sans parler de la déficience identitaire du programme académique. Actuellement, le CEIE, fusion du BARI et de l’Institut Européen, a reçu un avis favorable de la part de l’Assemblée Universitaire. Il aboutira à sa forme définitive une fois la convention d’objectifs (budget, règlements, plans d’étude, nomination, etc.) établie. À terme, cela signifie le détachement administratif des étudiant-e-s BARI de la faculté SES. Depuis 2009, l’Association des étudiant-e-s en science politique et relations internationales (AESPRI) a évidemment pris part aux consulta-

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tions relatives à ce sujet : notre position pouvant se résumer en quelques grandes lignes directrices. Notre souci premier étant la qualité des conditions d’études et du projet pédagogique, notre soutien dépendra des nouvelles dispositions effectives et non de la seule forme institutionnelle retenue. Lors des réunions auxquelles nous avons participé, nous veillons à ce que les changements prévus n’aillent pas à l’encontre des intérêts estudiantins : à savoir un encadrement adéquat des étudiant-e-s, tant au niveau du nombre d’assistant-e-s que d’une disponibilité suffisante de la conseillère aux études (qui nous l’espérons, ne restera plus toute seule ces prochaines années !). Nous nous préoc-


Vie universitaire

cupons en outre d’un renforcement de la cohérence académique ainsi que de la création de débouchés, au niveau Master spécifiques aux relations internationales et autres que l’offre existante de l’IHEID. Malgré une volonté d’assumer le succès du BARI, il serait naïf de penser que cette fusion ne se heurte pas à des intérêts divergents, ce qui pourrait aboutir à une solution de compromis bien faible à l’égard des manquements dont souffre le BARI actuellement. Septembre 2012 paraît bien utopique au regard du travail à accomplir : il s’agira de rester vigilants quant aux décisions prises afin de s’assurer que les étudiant-e-s profiteront réellement de changements favorables ! La précipitation actuelle ne devant pas occulter cet objectif, qui reste le but premier de notre engagement. L’AESPRI, une association engagée aux activités multiples L’AESPRI, dans sa fonction de représentation des étudiant-e-s a donc pris part aux différentes consultations concernant l’avenir des relations internationales à l’UniGe. Mais ce n’est pas notre seule activité: en effet, l’AESPRI travaille tout au long de l’année à maintenir sa position d’interlocutrice auprès des ins-

tances universitaires afin de pouvoir au mieux défendre les conditions d’études de ses étudiant-e-s et de proposer des changements qui lui paraissent importants. Pour se faire deux axes d’activités politiques sont utilisés par l’association : le premier collectif et le second individuel.

apporté le plus fréquemment est une aide lors de procédures d’opposition mais d’autres cas sont envisageables et l’association n’a de cesse de vous encourager à lui faire part de vos problèmes ou interrogations. Notre rôle de relais ne peut en effet être efficace sans votre collaboration !

Un certain nombre de membres s’engage directement - que cela soit comme représentant-e de l’AESPRI ou à titre individuel - dans les différentes instances de l’université, au niveau départemental, facultaire, dans la commission de direction du BARI (organe hybride de gestion) ou lors des commissions de nomination des nouveaux professeur-e-s. Ils et elles fournissent également un travail indirect de collaboration avec les étudiant-e-s siégeant dans d’autres instances - à l’Assemblée de l’Université entre autres - afin d’établir des prises de position pertinentes.

L’AESPRI organise en outre des soirées étudiantes dont le but est d’offrir une occasion de se rencontrer dans des lieux où les prix sont abordables et l’accès garanti sans discrimination. Des conférences, un voyage d’étude à Istanbul et un forum du Militantisme - qui se tiendra du 26 au 30 mars et qui aura pour thème le nationalisme et le multiculturalisme en Europe – sont d’autres de nos activités. Enfin, l’AESPRI est fière d’éditer son journal, International.Ink, véritable plate-forme d’expression pour les étudiant-e-s de toute l’Université voire même d’ailleurs ! Alors en ce nouveau semestre et si l’une de ces activités t’intéresse ou que tu voudrais en proposer d’autres, n’hésite pas à rejoindre l’AESPRI !

D’autre part, l’AESPRI s’engage quotidiennement à apporter son soutien aux étudiant-e-s concerné-e-s qui se retrouveraient dans des situations difficiles face à l’administration ou qui se posent des questions sur leur cursus : ainsi une permanence au bureau de l’AESPRI (5297) est organisée hebdomadairement et une prise de rendez-vous via notre émail est également possible. Le soutien

Contacter l’AESPRI : Par émail : aespri@unige.ch Par téléphone : 022 379 89 46 Sur Dokeos : AESPRI Ou passez directement au bureau 5297 (suivant les disponibilités des membres)

Crédits photo : Matteo Maillard

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UN ÉTÉ CHINOIS Immersion dans la vie quotidienne d’une usine située dans la banlieue de Shenzhen, dans la province du Guangdong, au sud-ouest de la Chine. Melissa Dumont suis Lilian à travers l’usine, pour arriver finalement dans le département marketing où tout le monde me regarde. Je deviens en cinq secondes l’attraction du bureau. Je me sens tel un Shrek parmi les Chinois. Trop grande, trop large. Tout semble disproportionné. Séquence d’analyse intense de l’environnement. Le département marketing est plutôt petit, assez mixte, mais les femmes sont majoritaires. On m’attribue un bureau, je m’installe. Deuxième jour. Que la nuit fut longue. Je suis réveillée par une musique chinoise. Une sorte d’hymne pour inciter les ouvriers à se réveiller et pointer à l’heure. Cliché soviétique. Chine communiste, te revoilà. En passant par la grande métropole de Shenzhen, j’ai cru t’avoir perdue, mais, au fin fond de la campagne, tu es finalement encore debout.

« Plus les personnes sont en haut de l’échelle hiérarchique, plus ils ont des privilèges tels que des serveurs, et quantité de nourriture supplémentaire » J’ouvre un œil. Cafard. J’ouvre l’autre. Cafard. Cafards à droite. Cafards à gauche. Il semblerait que la chambre soit infestée de tâches noires qui se déplacent rapidement, en faisant un bruit sourd.

Trois semaines. Trois semaines d’observation dans une usine dans la campagne chinoise, à côté de Shenzhen. Le ‘Made in China ‘en direct. Une telle proposition ne se refuse pas.

Petit détour dans la salle de bain. Cafards. Cela ne semble plus, c’est un fait, je suis envahie. Panique. Lilian arrive. Je lui montre les insectes. Elle écrase tout. Lilian n’a peur de rien.

L’adaptation est une phase d’une grande complexité. L’arrivée sur les lieux est un moment d’angoisse profonde. Les yeux analysent tout ce qui est possible de capter, l’odorat est stimulé par mille et une senteurs. Tout le corps en éveil évolue dans ce nouvel espace qu’il va falloir apprendre à connaitre.

Elle m’entraine dans la cantine de l’usine où je me confronte à l’un des grands chocs culturels du séjour. La cantine est séparée en cinq parties. Dans la première, les ouvriers sont habillés en vert, couleur qui indique qu’ils sont des ouvriers travaillant dans l’atelier, c’est-à-dire, dans la logique de cette entreprise, en bas de l’échelle sociale. Ils n’ont le droit qu’à deux choix de plats en plus du riz. La deuxième partie, les employés de bureau, ceux qui portent les polos blancs, comme ceux du département marketing, ont le droit à cinq plats avec le riz. Les deux catégories sont séparées par une vitre. Je suis choquée par ce cloisonnement des catégories sociales. Cela me semble totalement irrationnel. Chaque personne a son propre bol et ses baguettes, qu’il nettoie et range sur les étagères, au milieu des cafards. L’odeur environnante est très bizarre, mélange d’huile, et de renfermé. Ils mangent vite, parlent fort. Tout le monde me regarde. Lilian me

Shirley, la gérante de l’entreprise me présente Lilian, qui va s’occuper de moi. J’apprends alors que Lilian est assistante dans le département de marketing. Elle est habillée de manière très occidentale, avec des chaussures à talon et un pantalon. Je ne sais pas pourquoi cette tenue m’étonne. Je m’étais imaginée les employés portant tous le même uniforme, et sans autorisation pour des fantaisies vestimentaires comme des chaussures de couleurs vives. On me donne mes deux tee-shirts blancs, les mêmes que Lilian. J’apprends alors que les employés de bureaux portent des polos blancs. C’est obligatoire. Je m’exécute, j’enfile le vêtement et je

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Les infiltrés

dit que je suis la seule européenne à avoir jamais mangé avec les employés. Il reste trois autres salles totalement séparées pour ceux qui supervisent les employés et les clients. Plus les personnes sont en haut de l’échelle hiérarchique, plus ils ont des privilèges tels que des serveurs, et quantité de nourriture supplémentaire.

Lilian m’a expliqué que ce n’est pas si facile que ça, de trouver un autre travail. C’est pour cela que beaucoup restent ici. Les femmes qui tombent enceintes durant le travail ont le droit à trois mois de congés maternités payés, et peuvent demander jusqu’à six mois, mais les trois derniers ne sont pas payés dans ce cas là. Elle m’explique aussi que les conditions changent énormément entre les entreprises privées et publiques.

« Les ouvriers de l’atelier dorment au dernier étage, dans des dortoirs à douze personnes, là où il fait le plus chaud. Les employés de bureau sont dans des dortoirs à six »

Lilian adore parler. Dans deux mois, elle doit partir en Allemagne pour un salon. « J’ai tellement peur de perdre mon passeport ! C’est la première fois que je vais en Europe ! » Je lui demande si elle aimerait quitter la Chine. Elle me répond avec un sourire : « Ah non, la nourriture me manquerait trop ! Et puis, c’est mon pays. Ma famille est là, je dois m’en occuper. » Sur les 300 euros qu’elle gagne par mois, elle doit en envoyer une part considérable à ses parents, car sa mère, vendeuse de tofu, a du mal à vivre. Elle envoie aussi de l’argent à ses frères pour qu’ils puissent financer une partie de leurs études.

A la cantine, je fais la connaissance d’Anna. Elle porte une grande cicatrice dans le cou, ce qui m’intrigue beaucoup. Anna est adorable. Elle semble fascinée par la vie européenne. Elle veut tout savoir. Les filles se confient très facilement à moi, de leurs problèmes sentimentaux surtout. Toutes celles que j’ai rencontrées veulent se marier et fonder une famille. Lilian cherche désespérément un homme sur internet. Curieux phénomène. Je m’imagine un Meetic à la chinoise. Et, c’est un peu ça finalement. Elle me dit qu’elle le veut plus grand qu’elle. C’est un critère ‘non négociable’ selon ses mots.

Ces personnes sont fascinantes. Tellement fortes. Je me sens coupable de tout finalement. De notre vie de rêve, des nos salaires faramineux, de nos confortables vies étudiantes. C’est surement ‘ l’effet européen’ dans un pays où les conditions de vie sont moins faciles… Lilian et Anna sont aujourd’hui mariées, et Anna est mère de jumeaux. Elles ont quitté l’entreprise, et sont parties à Wuhan et Canton. La Chine bouge. La population a soif de changement et rêve d’une vie de liberté et de jeunesse. Et c’est tout ce que je lui souhaite.

Anna, elle, rêve d’une vie à l’occidentale. « Je veux vivre autre chose. Quitter cette entreprise. Je m’ennuie et ce n’est pas assez payé. Et puis, mon rêve c’est d’ouvrir un magasin de vêtements. J’adore la mode. Je veux aussi aller aux Etats-Unis. Mon ami m’a dit que là-bas, les gens étaient riches, et que tout le monde avait sa propre voiture. Tu vois, si j’avais de l’argent, j’achèterais une voiture, et non pas une maison. » Quand la Chine rêve de l’Amérique… Lilian elle, veut vivre sa jeunesse. Quitter la campagne, aller en ville, se marier. Sortir. Elle ne supporte plus les heures supplémentaires non payées, les dortoirs trop petits, le manque d’intimité. Car les dortoirs sont, avec la cantine, ce qu’il y a de plus choquant. La ségrégation s’y applique aussi. Les ouvriers de l’atelier dorment au dernier étage, dans des dortoirs à douze personnes, là où il fait le plus chaud. Les employés de bureau sont dans des dortoirs à six. Ce qui est relativement plus agréable. Tous vivent en permanence dans l’usine. Sauf le weekend quand ils sont libres, du samedi midi au lundi matin. Mais ils sont loin de leur famille, toujours ensemble, mangeant tous les jours les mêmes choses. L’atmosphère est étouffante au bout d’un moment. La vie dans cette entreprise est captivante. Les employés du département marketing sont tous jeunes, dynamiques, d’une gentillesse incomparable, mais ils semblent fatigués. Fatigués de travailler comme des fous, de gagner moins de 300 euros par mois, fatigués de ne pas trouver de partenaires, car dans l’usine selon eux, ce n’est pas possible. Ils rêvent tous d’autres choses, de déménager dans une grande ville et de trouver un autre poste.

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Afternoons in Utopia

Choderlos de Laclos, avec ses «Liaisons dangereuses», nous livrait des lettres trouvées dans une vieille malle poussiéreuse. 21ème siècle oblige, ce sont des mails retrouvés par hasard dans les dédales d’un ordinateur abandonné que je vous présente dans ce numéro d’International.Ink. Claire Camblain From: nouille0@hotmail.com To: tarteauxfraises@hotmail.com Object : Nouvelles et patati patata Coucou ma Lise! Je suis tout à fait pour ces petits mails, pour avoir des nouvelles, tu vois, sans buts précis. Tu sais, je suis un peu nostalgique depuis notre retour d’Irlande. Notre petit village paumé sentant bon le leprechaun me manque…on formait une bonne équipe tous les quatre! Je vais tout bientôt partir en Bretagne, au même endroit où je vais chaque année depuis que je suis toute petite. Je connais tout le monde là bas, on crée des liens au fil des ans quand même. J’adore rester de longues heures sur la plage, à faire des châteaux-forts contre la marée ou résister aux grandes vagues, j’ai tellement de bons souvenirs sur cette plage! Je dois déjà m’arrêter de t’écrire mais raconte-moi tout de ton côté, mes oreilles sont toutes à toi. Bisous, Anouk From: tarteauxfraises@hotmail.com To : nouille0@hotmail.com Object: RE: Nouvelles et patati patata Coucou Nounouk! Je comprends très bien ton sentiment nostalgique, je ressens la même chose ici en Suisse. Cette coupure avec ce petit monde dont on s’était si bien accommodée et qui, finalement, nous arrangeait bien, c’est dur à réaliser. Hier soir on a fêté mon anniversaire en famille mais ça m’a un peu donné le cafard. Ma sœur avait préparé le gâteau au chocolat familial et d’autres gourmandises. J’ai essayé mais je n’ai pas eu le courage d’en manger finalement. J’ai juste soufflé les bougies et puis je suis passée à ma fameuse pomme. Avant le repas, ma maman m’a trouvée en train de pleurer. Elle m’a demandé ce qui n’allait pas mais je n’ai pas vraiment répondu. Tu sais, avant on parlait beaucoup de ma «maladie» toutes les deux. D’ailleurs ça a porté ses fruits au début, quand la situation était plus critique. Mais après, quand j’ai commencé à reprendre j’ai l’impression qu’on s’est un peu éloignée. Peut-être que j’ai eu le sentiment que cette proximité m’avait fait perdre le contrôle et que si je voulais reperdre du poids je devais reposer une barrière entre nous. Profite bien de ta Bretagne. Ici, en Suisse, j’ai aussi un endroit comme ça où je vais chaque été. Mais bon, c’est bientôt la rentrée au «gymnase» (le lycée français) alors n’y pensons pas! En parlant de rentrée tu crois que je devrais revoir Laurent? Audrey me le déconseille, elle dit qu’il n’a pas changé. Et toi? Je t’embrasse, Ton petit mouton des montagnes! From : nouille0@hotmail.com To: tarteauxfraises@hotmail.com Object: plop Ne t’inquiète pas trop ma petite Lise, à force de pleins de petits efforts tu arriveras à manger ce fameux gâteau, et avec le sourire! Je sais que tu pourras. Je le connais bien ce vicieux, la recette que l’on ressort à chaque anniversaire, toujours la même, un vrai truc de famille. Je comprends que tu t’en sois sentie exclue…mais il ne faut plus que ton alimentation te détruise. Pour Laurent, il est très probable qu’il n’ait pas changé mais je pense que tu peux raisonnablement essayer de faire quelques sorties avec lui. C’est après que tu prendras une décision. Les choix radicaux comme ne plus le voir sont un peu dangereux, tu me connais, j’aime la modération! J’espère que ta rentrée s’est bien passée, la mienne est dans dix jours. Tu as de la chance d’avoir l’option philo/psycho. J’aurais adoré, j’en

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Rue dandy

suis sûre. Si seulement le système éducatif français…enfin bref! Aujourd’hui j’ai vu des amis mais c’était chiant, tout le monde était déprimé et les autres disaient du mal de ceux qui déprimaient. Il va falloir que je songe à me trouver des amis moins dépressifs! Ecris-moi vite, Ta Nouille From : tarteauxfraises@hotmail.com To: nouille0@hotmail.com Object: RE: plop Salut Anouk! Finalement j’ai pris la décision de ne plus revoir Laurent depuis le soir où il m’a dit, je cite : «c’est pas parce que j’ai une Maserati (sa copine) que je ne pourrais pas m’amuser avec une Ferrari (moi) et l’essayer de temps en temps.» Bref, la phrase de trop. La philo c’est toujours aussi intéressant et tu te rends compte, j’arrive même à m’ennuyer en cours de maths! Un comble. Hier on a eu droit à une journée découverte du quartier où est mon gymnase. C’était terriblement chiant. Deux heures de blabla par poste, une horreur. Bon, au moins on a rigolé quand on nous a parlé du guet de Lausanne (immature, je sais). Sinon aujourd’hui j’ai réussi à faire couler de la sauce à salade dans mon sac alors maintenant mon voc d’allemand (quel dommage!) et mon agenda empestent le vinaigre et sont parsemés de tâches de gras. Charmant! Comment va la vie à Paris ? A bientôt j’espère, Ton petit mouton qui t’attend de sabot ferme From: nouille0@hotmail.com To: tarteauxfraises@hotmail.com Object: c’est bien toi à renverser de la sauce à salade au lieu du coca ou du chocolat comme tout le monde! Je t’écris qu’un tout petit mail pour te demander si tu vas mieux depuis hier soir? Tu me semblais vraiment triste. C’est à cause du rendez-vous chez le médecin ? En tout cas, c’est que Laurent a dit est vraiment horrible. Les féministes de tous les temps doivent se retourner dans leur tombe! Bonne nuit, Anouk From: tarteauxfraises@hotmail.com To: nouille0@hotmail.com Object: RE: c’est bien toi à renverser de la sauce à salade au lieu du coca ou du chocolat comme tout le monde! Effectivement ça n’allait pas fort quand tu m’as appelée. Je revenais de chez le médecin où j’avais rendez-vous avec la cheffe de service et la doctoresse. C’était assez dur, elles m’ont posée pleins de questions et même si je m’y attendais et qu’elles étaient légitimes, au bout d’un moment j’ai commencé à me sentir comme une bête de foire dont on discute tout en étant persuadé d’avoir raison. Je me sentais un peu acculée, seule contre toutes. J’en avais les larmes aux yeux. Elles m’ont proposé de commencer une thérapie comportementaliste, comme pour ceux qui ont peur des araignées. J’ai leur ai dit que j’y réfléchirais mais ça ne me dit trop rien. D’un côté ma mère me dit que je suis bien installée dans ma petite routine et que c’est facile de ne pas y déroger. Mais selon elle, avancer sera de toute façon douloureux et il faudrait «secouer le cocotier un grand coup». C’est pour ça que j’avais une petite voix avec toi. Je crois que j’avais oublié ma «condition» et que cet entretien m’a fait réaliser que je n’étais pas sortie de l’auberge. Tu sais, parfois je me dis que je ne suis pas faite pour la vie d’ado. Je me dis que je pourrais déjà devenir adulte, ça ne me gênerait pas : boulot, mari, enfants. C’est déprimant, non ? Bisous, Ton mouton à la laine emmêlée From: nouille0@hotmail.com To: tarteauxfraises@hotmail.com Object : Réconfort parisien Ca me touche beaucoup que tu m’aies raconté ce qui t’étais arrivé. Je crois pouvoir imaginer combien c’était difficile. Les gens ne comprennent pas parfois ou manquent de considération. Pourtant, je ne suis pas sûre que ce qu’on te propose soit mauvais, il est même possible que ça te fasse du bien, mais tu ne dois pas le faire à contrecœur! Tu la vois bien la vérité, tu sais que tu n’es pas encore guérie et tu es forte de t’en rendre compte. Je ne trouve pas cela si déprimant que tu penses être déjà faite pour la vie d’adulte. Tu as évidemment envie que cette mauvaise période passe. Mais de toute façon ce n’est pas possible, alors tu es condamnée à régler ton problème et profiter de ta jeunesse! ;) Je t’embrasse (tellement fort que tu garderas le marque de mon bisou sur ta joue gauche pendant au moins une semaine). Ton amie Anouk Chers lecteurs, chères lectrices, En raison de bugs informatiques il m’est impossible de vous livrer la suite de cette histoire. J’espère néanmoins être en mesure de vous fournir de plus amples éléments d’ici au prochain numéro.

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De Matisse à Jean Paul Goude La figure féminine dans l’imaginaire artistique ou l’évolution de la « femme divan »

Femmes d’influence, Jean-Paul Goude

Sarah Franck Deux expositions majeures sont présentées cette saison dans la capitale française : deux lieux, deux ambiances. Non loin des Champs-Elysées les retraités meublent leur dimanche, au Louvre les bobos se pressent. La collection Stein à l’honneur au Grand Palais nous présente les chefsd’œuvre acquis au fil du temps par une famille dévouée à l’art et aux artistes. On découvre une des plus grandes collections d’art moderne principalement composée des peintures de Matisse, Picasso et Cézanne.

« Les Stein ont su reconnaître le talent d’artistes aujourd’hui reconnus au niveau international comme les pionniers de nouvelles formes artistiques incontournables » Aux Art décoratifs l’exposition « Goudemalion », jeu de mot entre pygmalion et Jean Paul Goude, offre aux visiteurs une ambiance radicalement différente. Ce dernier se définit comme un « auteur d’image » et l’amalgame fait avec la figure du Pygmalion est dû à sa

recherche constante de la perfection. Il conceptualisa cela dans le mouvement french correction visant à corriger les défauts des gens à l’aide d’artifices tels les talonnettes et épaulettes. Il nous suffit d’observer les politiques pour voir que ce concept a très bien été intériorisé et mis en pratique... Ces deux expositions sont l’expression de deux époques différentes. Le début du XXe siècle est une période artistique florissante. Picasso, Modigliani, Utrillo, Matisse ou encore Braque établissent leurs ateliers à Paris, se retrouvent dans les cafés de Montmartre et échangent leurs impressions sur l’art et ses courants. Cette ambiance est très bien reproduite dans le dernier Woody Allen, « Minuit à Paris ». On y voit Gertrude Stein (dont le rôle est tenu par l’actrice américaine Kathy Bates) tenir salon. Les Stein, famille visionnaire, ont su reconnaître le talent d’artistes aujourd’hui reconnus au niveau international comme les pionniers de nouvelles formes artistiques incontournables. Lorsque l’on déambule dans les salles du Grand Palais, on juge une époque de manière rétrospective. A contrario, Jean Paul Goude est un de nos contemporains et il est toujours difficile de juger l’Art en train de se faire. Ses créations explorent des voies se

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dirigeant vers l’art dit moderne. Elles peuvent parfois surprendre, voire choquer, et ne sont pas forcément adaptées à tous les âges. Pour une illustration de ce qu’est l’ « univers Goude », il vous suffira de visionner le défilé qu’il a mis en place en 1989, sur les Champs Elysées, à l’occasion du bicentenaire de la Révolution Française. Explosif.

« Le travail de l’artiste n’est pas de représenter ce qu’est la femme mais ce qu’il convient qu’elle soit dans le but de faire vendre » La femme, actrice de ces deux univers, est omniprésente. Elle occupe une place centrale en peinture mais également en publicité et photographie. On peut dès lors se demander comment a évolué la représentation de la figure féminine entre le début du XXe siècle et aujourd’hui. La femme du Nu bleu de Matisse (1907) ou de La sieste de Bonnard (1900) permet à l’artiste d’aller au bout de sa recherche esthétique et technique. C’est la Muse, anonyme pour le visiteur mais source d’inspiration pour le créateur. Les mouvements impressionnistes, fauves ou cubistes


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Nu bleu: Souvenir de Biskra, Matisse

sont innovants et cherchent de nouvelles formes d’expressions picturales si bien que le modèle, malmené par le pinceau, est transfiguré. Matisse souligna la résonnance entre musique et théorie des couleurs, la femme est donc le moyen d’accéder à une harmonie. Elle est le pont entre réalité et volonté créatrice pour ne plus ressembler, parfois, qu’à une vague image d’elle-même. Cette volonté de dépassement des codes et de construction de l’imaginaire se retrouve dans une forme exacerbée chez Jean Paul Goude. Aux Arts Décoratifs, on plonge facilement dans un univers fantasque, mystérieux, extrêmement contemporain, voire futuriste. Laetitia Casta égérie des Galeries Lafayette ou Vanessa Paradis incarnant la « femme Chanel » sont les icônes d’une figure féminine

moderne, active, indépendante, émancipée, brisant les tabous. Revendicatrice, elle se dénude parfois outrageusement sans pudeur ou presque. En réalité, il s’agit d’une construction de la femme au service de la création et plus encore, du business. Une femme objet voire stéréotypée. Le travail de l’artiste, qui se fait par des montages d’images, des constructions, déconstructions et projections n’est pas de représenter ce qu’est la femme mais ce qu’il convient qu’elle soit dans le but de faire vendre.

« La « femme divan», dans le sens où celle-ci est perçue comme un moyen et non une fin, a évolué vers une célébrité certaine » Si le propos est à modérer car l’univers proposé par l’artiste doit aussi être considéré en dehors des réalités sociales et matérielles, il ne faut pas négliger l’impact que peut avoir l’Art. A la fin de l’exposition, on reconnaît l’imagination, la beauté et l’originalité du travail, mais on ressent un certain malaise devant l’utilisation quasi-instrumental du corps de la femme. Elle n’est plus

l’être humain, elle est le produit. La « femme divan», dans le sens où celle-ci est perçue comme un moyen et non une fin, a évolué vers une célébrité certaine, son image s’étant démultipliée dans des formes diverses et variées. La société de consommation la place désormais au centre du tableau car ses attraits, flatteurs, attirent et font vendre. Finalement, nous pouvons dire que la manière dont elle est représentée reflète à la fois sa position au sein de la société et ce que l’on attend d’elle. La « femme d’intérieure » de la fin du XIXe siècle et du début XXe est anonyme, figée, sert les désirs de l’artiste. La « femme émancipée » du XXIe siècle se doit d’être parfaite dans tous les rôles : mère, carriériste, épouse… une émancipation qui est parfois instrumentalisée par les campagnes de publicité. Ce sont ces exigences et attentes qui sont représentées tant en peinture qu’en publicité. Tout cela contribue à la formation d’un mythe, c’est à dire d’une figure sublimée mais irréelle. Ce n’est pas l’art au service des femmes mais la femme au service de l’art.

Hispaniques, Williamsburg, Brooklyn, 1975 © Jean-Paul Goude

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Vendre sa maison pour réaliser des films A l’occasion du Festival « Black Movie » tenu à Genève en février dernier, Baktash Abtin est venu de Téhéran pour présenter dans les salles du Grütli son film documentaire « Park Mark » (2009). Présenté à vingt-et-un festivals, il est déjà vainqueur de plusieurs prix. Mais, comme ses treize autres documentaires, il est toujours interdit et censuré en Iran. Nina Khamsy « Park Mark »

Un documentaire censuré

Les quarante-deux minutes du documentaire s’étirent en la durée d’une nuit dans les rues de Téhéran. Nous suivons Mark qui déambule sur les larges avenues. Il nous raconte sa vie passée : comment de riche père de famille vivant aux Etats-Unis il est devenu clochard. Telle une âme qui ère dans la noirceur des rues, il ne peut dormir que dans les parcs. Dans son ancienne vie, il dealait et braquait des banques mais après deux meurtres, il atterrit en prison.

Outre la critique indirecte au gouvernement quant à la mauvaise gestion de l’aide fournie aux « outsiders » (drogué et sans abris), le réalisateur glisse quelques autres critiques bien aiguisées dans les monologues de Mark. Par exemple, lorsque celui-ci répète en passant devant une Mosquée : « Mosquée, pouvoir, argent ! » et que ses dires se trouvent confirmés par les billets qu’il trouve dans la boîte de charité située devant la mosquée. Rencontre avec le réalisateur

Maintenant il n’a plus rien, et ce qui lui manque le plus est Sombol, la femme qu’il aimait mais qu’il ne reverra jamais. En cheminant, il peste sur le crack, source de tous ses malheurs. Mais il s’arrête tout de suite après pour en fumer. C’est la seule chose qui lui reste, avec le souvenir de son amour perdu. Durant la nuit, armé d’une lampe de poche, il cherche les « boîtes de charité » aux coins des rues pour les voler. Ce sont de petites boîtes métalliques dans lesquels les gens peuvent glisser quelques billets censés être redistribués aux pauvres. Mais Mark ne touche aucune aide gouvernementale, c’est pourquoi il vole ces dons supposés lui revenir. Il ne s’agit pas d’une grosse production et c’est un euphémisme que de le dire. On imagine que peu de moyens étaient à disposition. Mais le travail de cadrage, la recherche de lieux et la mise en scène soignée donnent à ces quarante-deux minutes une puissance simple. En fond sonore, Mark chante son désespoir. On assiste à un mélange de tragique et de comédie, bercé par la poésie et la mélodie de la langue.

(nouveau sous-titre, à mettre en plus gros si possible) Ni sa coupe frisée, ni son style coloré ne décrivent mieux Baktash Abtin que son rire généreux, reconnaissable de loin. Bon vivant, l’humour noir qui se dégage pourtant lorsqu’il parle de ses difficultés est souvent déconcertant. Rencontre avec ce réalisateur qui personnifie l’engagement en art. INK : « Comment as-tu réussi à pénétrer dans le monde de Mark ? » Baktash Abtin : «Pour gagner sa confiance, j’ai passé quarante jours à vivre avec lui, puis nous avons volé ces boîtes de charité ensemble durant deux semaines. Car étant un voleur, il n’avait confiance en personne. La seule personne en qui il pouvait avoir confiance était un autre voleur. » INK : « Park Mark » a été montré à vingt-et-un festivals et a gagné plusieurs prix. Que fait le personnage principal, Mark, aujourd’hui ? » B.K.: « Mark sait tout cela mais actuellement il est en prison pour 5 ans pour vol et prise de stupéfiants. Parfois il m’appelle et me demande : « Dis à mes

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codétenus que je joue dans tes films et que je suis un acteur connu! » Il met le son sur haut-parleur et je confirme ses dires. Alors j’entends, derrière, une foule d’applaudissements retentir. » INK : « Tous tes documentaires sont censurés, comment réussis-tu à continuer à en tourner sans te faire prendre ? » B.A. : « Nous présentons un scénario bidon aux autorités du ministère de la culture pour avoir les autorisations, et puis nous tournons le documentaire comme nous l’entendons. Ou bien nous partageons une autorisation avec un autre réalisateur. C’est ce que nous avons fait pour «Park Mark ». L’autre réalisateur tournait la journée, et moi je tournais la nuit. Ou encore, quand nous n’avons pas d’autorisation du tout et que la police nous arrête, nous lui en montrons une fausse. Il faut savoir que ce n’est pas le tournage qui pose le plus de difficultés, car on arrive toujours à trouver des combines. Mais la distribution est très difficile [la distributrice de Baktash Abtin est actuellement en prison. Son procès est en cours]. Et puis une fois le film produit et censuré, nous sommes catalogués par les autorités et sommes parfois la cible de violence… ». INK : « Alors où trouves-tu les ressources pour financer tes films ? Et celles d’avoir le courage de continuer à en réaliser ? » B.A. : « Ce sont principalement des privés qui m’aident au financement. Et puis il y a quelques années, j’ai vendu ma maison. Ca me donne une source d’argent pour financer mes documentaires. Concernant le courage de continuer, je me dis souvent : si j’arrête de tourner, qui le fera ? Si plus aucun réalisateur iranien ne produisait, qui ferait des films à propos de l’Iran ? » [sourire].


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UNE NUIT Johann Gauderlot 03:45 - dans la file d’attente, les gens fument beaucoup. On me propose une cigarette, alors que l’on se rapproche des videurs. Je l’accepte. Par banalité plus que par envie.

06:30 - un quidam accroche une pince à linge rouge à la poche supérieure de mon cardigan noir et le contraste me frappe, même dans l’obscurité. Je ne me rappelle pas les caractéristiques physiques de l’individu. Il était peut-être chauve.

04:00 - je rentre.

06:45 - le quidam me retire la pince à linge et s’éloigne. Il est avalé par la foule. Cet épisode m’intrigue. J’aurais voulu conserver la pince à linge rouge, qui contrastait avec mon cardigan noir.

04:15 - je commande un Jägerbomb au bar. Il n’y en a pas. On me sert un JägermeisterRed Bull mélangé à la cuillère, avec une paille noire. Le serveur a un t-shirt blanc, probablement de taille L, il y est imprimé «Die Kunst» en une typographie majuscule noire, une espèce de Baskerville Old Face.

07:00 - je me retire dans la cage d’escaliers. C’est le jaune qui me frappe. Il fait déjà jour, dehors. Je voudrais me coller à la fenêtre mais un filet de protection élastique bleu me l’interdit. Il était peut-être gris. Je téléphone à ma copine. Je lui raconte. J’en tire une espèce de fierté. Je ne suis pas saoul.

04:30 - je parcours les couloirs du Panorama Bar. Je suis à la recherche des vestiaires. Je demande mon chemin à un homme d’une trentaine d’années, ses lunettes sont noires et possèdent d’épais montants. Il porte une chemise de flanelle, dont la couleur m’échappe. Il est français et ne parle pas l’allemand. Il m’indique le chemin des vestiaires. Ils me donnent l’impression d’un temple. Le plafond est très haut et la grande salle est presque vide. C’est pour ça. Musique d’ambiance christique.

07:14 - dans la salle, on ouvre les rideaux électriques quelques secondes, pour signifier que le jour s’est levé. Il s’est en fait levé depuis bien longtemps. Je ne comprends donc pas. La foule en délire crie. Moi aussi. 07:30 - le rythme de la musique s’accélère. C’est maintenant un condensé de pulsations. Je me tâte le pouls avec mon index et mon majeur réunis au niveau de la carotide. Je ne compte même pas.

04:45 - je dois parler de la musique. Les DJ mixent à hauteur d’homme, le public est tres proche. J’ai du mal à décrire précisément ce que j’ai entendu. L’électro est minimale, mais porte le corps, inhibé. On ferme souvent les yeux, pour apprécier les couches musicales successives. J’ai parfois ce frisson au cerveau, que je n’ai jamais réussi à expliquer, mais que je ressens régulièrement dans des situations très particulières: déjà-vu, bizzarerie, attirance.

07:45 - je remarque que deux filles dansent de manière bien trop agressive. Elles montrent leurs dents et se regardent, possédées. Dobermans dépossédées d’elles. 08:00 - je décide de quitter le club. Il fait frais. C’est un soleil d’hiver.

05:00 - je ramasse par terre une étiquette carrée. C’est un rond blanc inscrit dans un carré noir. Je sais qu’à ce moment précis, j’ai voulu garder une preuve de mon passage.

08:10 - un corbeau mange une souris déchiquetée. Dans ma tête, il y a du rouge et du gris. Le corbeau était gris et noir.

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Illustration : Diego Thonney

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De jolies petites maisons avec leurs toutes petites fenĂŞtres.

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Voyage

Vol au dessus d’un nid de cigognes Claire Camblain

Pas de panique, la cigogne est affectueuse.

Ce matin, si le réveil sonne avant huit heures ce n’est pas pour annoncer une rude journée universitaire mais bien le début d’un petit temps-mort. Direction la gare, jusque là, pas trop de folie, les quais, je les connais. La voix annonce l’arrivée imminente de mon voyage, j’espère ne pas m’être trompée de locomotive, ce serait fâcheux. Un Röstigraben de traversé et trois changements plus tard, m’y voilà. Première visite, des plus intéressantes, les petits coins de la gare et la rencontre étonnante d’un monsieur, justifiant sa présence en ces lieux par un «ne vous inquiétez pas mesdames, je suis celui qui contrôle que tout est propre», rôdant de cabines en cabines. Ce n’est pas tout mais le petit-déj est déjà loin, une place Kléber et des bulots gargantuesques plus loin, je prends les clés de mes appartements. La maison est silencieuse, les proprios récurent…Les collégiens d’un voyage d’étude ont beau avoir quitté les lieux, leur présence est toujours palpable. Telle une Mentalist aguerrie, je diagnostique leur psychologie à travers une bière et un Monde diplomatique tristement oubliés. Sortons.

témoignages écrits à la sauvette, au tip-ex ou feutre noir, pour la plupart messages d’amour. Direction les institutions européennes. Nous nous y demandons ce que pourraient penser les planteurs des pylônes, où flottent fièrement les emblèmes nationaux, si la Suisse entrait dans l’Union européenne «flûte alors ! Encore un ! On ne pourrait pas simplement accrocher leur fichu drapeau à côté d’un autre», pourrait être une pensée passagère. Nous passons les Droits de l’Homme à l’architecture étrangement cylindrique et terminons dans un joli parc, celui de l’Orangerie, convoité depuis quelques semaines déjà. Nous y voyons des cigognes se montrant à heure fixe, pendant que leurs congénères négocient déjà leurs congés payés. Un étang apparaît. Nous apprenons ainsi à ramer, en toute sérénité – le bateau c’est bien connu, on ne s’y engueule jamais – en essayant de ne pas éborgner un canard. Il est pourtant l’heure de rentrer. La ville nous laisse un dernier souvenir, une marche rapide rocambolesque pour atteindre la gare, les chenilles ne daignant pas couvrir ce tronçon du parcours. Malgré 3,7 kilos de bière sous le bras, le train est tout de même attrapé.

« Nous y voyons des cigognes se montrant à heure fixe, pendant que leurs congénères négocient déjà leurs congés payés »

Strasbourg, belle ville aux couleurs pastelles vivifiantes et aux noms de rues surprenants : ruelle de l’Esprit, rue des Amants. Strasbourg, ville discrète certes, mais tu n’en as pas moins l’âme d’une Venise ou d’une Amsterdam !

La cathédrale est belle, quoiqu’un peu effrayante, un troubadour triomphe à ses pieds, clamant en latin de vieilles chansons de pèlerinage. Après m’être assurée que les cigognes ne sont pas made in China, je peux embarquer dans un promène-couillon qui voguera sur les méandres de l’Ill. Le soleil tape sur les petites sardines que nous sommes et certaines agitent leurs nageoires pour répondre aux saluts des touristes des pontons. Après tous ces efforts, il est temps de découvrir la salade locale : cervelas-gruyère, summum de légèreté, suivie d’une choucroute royale, what else ? Une grasse mat’ plus tard, me voilà dans la Petite France, nommée ainsi car elle abritait les personnes atteintes de maladies sexuellement transmissibles, qui seraient apparemment une spécialité française. Sur un marché aux puces, nous trouvons non plus des petits virus, mais des lettres écrites du temps de la Seconde Guerre, de Jean à Germaine. Au marché aux livres, nous vibrons au toucher des pages jaunies et écoutons d’une oreille amusée l’habitué des lieux, ravi de trouver la collection entière d’un marquis bien connu. Suivent un quartier allemand, des photos niaises sur un pont, un campus universitaire sortant vaguement d’une collection Playmobil et une rencontre avec les trams, chenilles silencieuses de la ville. Les 12 apôtres nous accueillent ensuite dans leur taverne à la carte aux bières vertigineuse. Pour expier toute cette biture, les 66 mètres et 300 marches de la même cathédrale évoquée précédemment tombent à pic. Pénitence accomplie. De là-haut on voit les très jolies petites maisons avec leurs toutes petites fenêtres qui s’étagent jusqu’aux derniers pans des tout petits toits. La descente se fait en lisant les nombreux

Un exemple de cigogne affectueuse

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Tout-doux liste Mamadi Leottar

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Charger le sac à dos d’un banquier de lingots d’or. Le pousser par la fenêtre et vérifier si le parachute doré fonctionne Fermer les volets par un jour ensoleillé pour ne pas avoir de reflet dans sa télé Couper les bras et les jambes d’un bossu pour en faire une madeleine Mettre une bifle à sa voisine de cours parce qu’elle parle vraiment trop fort avec sa copine Faire en sorte que les petites choses comptent. Enseigner les maths aux nains Partir vivre en France... et revenir S’inscrire en Lettres pour devenir scribe Braquer une banque. Partir avec la caissière moche en otage Rendre la France offensée Se lever durant un cours de Staszak et lui somme de retirer cette immonde écharpe arc-en-ciel 1) Changer son nom par «personne» 2) liker les statuts des gens S’enfermer dans un coquillage pour péter tranquille Voter Chirac Mettre des bottes blanches pour avoir l’air d’une grosse pute Courir dans un orphelinat et crier «Sisi la famille!» Jouer au Robin des bois de pacotille. Piquer les amendes des voitures pourries et les mettre sur les gros 4X4. 1) acheter un sabre 2) l’appeler gentillesse 3) tuer les gens avec gentillesse Penser à acheter ses propres briquets/cigarettes/chewing-gum/ préservatifs/stérilets S’arrêter à un feu rouge. Attendre le vert Retirer un périphérique USB sans l’avoir éjecté au préalable Mettre un citron au micro-onde pour qu’il devienne vert Lécher son coude en public. Comme ça... Lui mettre sa DSKette Se taper des barres avec son dealer Se faire mystifier comme un Twix Sucer la moelle d’un végétarien Supprimer une application de son iPhone. Avoir l’impression que les autres apps tremblent de panique en se demandant qui est la prochaine sur la liste S’inscrire en droit pour finir derrière le/s barreau/x Acheter une pizza ronde, l’emporter dans une boîte carrée et se rendre compte qu’elle est découpée en triangles Acheter le sex toy d’Alibi Montana pour frimer devant les copains Faire un feat. avec Tony Parker Se présenter à la présidentielle pour piquer des voix à Morsay Traîner dans le Queens avec le Roi Heenok et le laisser nous toucher le pénis avec son médaillon Devenir le nègre de Doc Gynéco et écrire son auto-biographie S’inscrire en HEC, terminer banquier. Etre retrouvé mort,

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engoncé dans une tenue en latex rose pâle à force de jeux BDSM simulant la lutte des classes - l’asphyxie du prolétariat par le grand capital Si fumer tue. Tuez pour fumer! Manger 5 fruits et légumes par jour pour s’assurer une courante et manquer son test de MESS Se lever en cours et dire à Keller: «Vous savez que c’est impoli de parler pendant que je vous interromps». Se lever en cours et essuyer les fautes de calcul sur le rétroprojecteur avec le front de Charlot Devenir pote avec Oris, tout plaquer et partir vivre en Belgique de moules grasses et de bière fraîche. Dans une soirée guindée soutenir, preuve à l’appui, que l’on se douche nu Devenir président du JEG, voter à gauche et partir vivre dans le Périgord élever des brebis Diviser par zéro afin de créer un trou noir Rouler des pelles aux free huggers Laisser son frigo ouvert la nuit pour avoir une veilleuse Voir une cougar porter du léopard en conduisant une Jaguar Garder un foetus dans le congélo pour les soirées entre amis Créer des préservatifs qui changent de couleur selon la MST Découvrir en quelle langue pensent les sourds-muets de naissance Rester nu devant sa porte d’entrée en attendant de se faire photographier par Google street view Au MOA, se poser à la table de Stauffer, juste pour le swag Ne pas bien lire une annonce et se retrouver avec sa raquette dans la mauvaise tournante Faire la manche devant le comité du Cercle HEC en se justifiant par le franc fort Conduire un Costa sans les mains Savoir qui dans cette uni sait le mieux nouer une cravate de notaire Regretter que l’archaïsme académique ne s’essouffle pas en période de canicule Intégrer le leadership program de l’AIESEC afin d’avoir à disposition des subalternes corvéables sexuellement Apprendre à tous ses potes comment mettre en pratique les lunettes berbères Louer un avion et écrire à sa copine dans le ciel qu’on la largue Détourner le fric de l’AESPRI afin de financer le troisième pilier de Bernard Morard Devenir garde pontifical pour vérifier la véracité des backrooms du Vatican Se faire contrôler le CV et la prostate au forum uni-emploi Mourir de n’avoir pas fait suivre cette p***** de chaîne

Chers végétariens, si vous aimez tant les animaux, arrêtez de bouffer leur nourriture!

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Brèves

Brèves d’amphis Claire Camblain

Oris : « Vous aurez congé le 23 décembre. Faut pas déconner avec les choses fondamentales de la vie quand même. Faut que je rentre en Belgique pour distribuer les cadeaux à mes petites-filles».

Staszak : «Les intellectuels on ne les représente pas en train de jouer au badminton. Il faut les rendre sérieux.»

Pini :

Staszak :

«Sous traitement, je flotte, j’ai du mal à coordonner les choses, même la marche parfois je tombe.»

«Je ne me sens pas très bien aujourd’hui. Alors si je meurs avant la fin de la séance, s’il vous plaît, transmettez un message d’amour à ma famille.»

Etudiante femelle : «mmh, je déteste quand ça me démange dans l’oreille.»

Chiesa : « Pour Lucrèce notre monde est la combinaison la plus heureuse et la plus harmonieuse capable d’assurer une vie d’équilibre. Les autres mondes sont des agrégats qui se désagrègent... Comme s’il ne restait qu’une planète bretonne avec des algues bleu et des porcs. » Exercice de logique [transformez cette phrase avec prédicats et quantificateurs universels] «Si certains enfants mangent des potions qui ne sont pas du LSD, alors ils poursuivent tous les chameaux blancs horlogers» Etudiante femelle : « Sucrer les fraises… Ca veut pas dire avoir un rapport sexuel ? »

Staszak : «Quand on pense à l’imaginaire de la Nouvelle-Zélande, on peut voir les paysages du Seigneur des Anneaux, même si ça ne veut pas dire qu’on peut y croiser des Hobbits.» Etudiante femelle : «J’ai la queue de cheval qui me chatouille.»

Amey : Lévy : « Il y a le sens du toucher dans la relation entre l’homme et l’environnement. Après, c’est vrai que personne ne songerait à toucher la façade d’Uni Mail.» Etudiant mâle [répondant à la question : En Ecosse, vous voyez quoi à côté d’un lac?] : «Un monstre.»

«Elizsabeth Teissier ? Vous pouvez dire aussi «Ma fesse au lit » (Maffessoli). Au fond, là, les Googlemen, faites une recherche ! »

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