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TENDANCE

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AUGMENTATION DE LA VIOLENCE ENVERS LE PERSONNEL SOIGNANT

Les comportements agressifs à l’hôpital se sont intensifiés l’an dernier. La crise sanitaire n’en est pas la seule origine. Explications et témoignages.

La violence? Elle fait partie du quotidien à l’hôpital. Le mois dernier encore, j’ai dû ceinturer un patient qui tentait de frapper les équipes», raconte Pierre-Nicolas Carron, chef de service des urgences au CHUV-UNIL. Insultes, intimidation, hausse de la voix, voir plus rarement, menaces de mort ou agressions physiques: la violence envers le personnel soignant est fréquente et peut prendre diverses formes. Il n’existe pas de relevés globaux en Suisse, mais des études éparses semblent indiquer que les comportements agressifs ont fortement augmenté l’an dernier.

Alors que les hôpitaux fribourgeois ont constaté une croissance de 25% des agressions verbales et physiques en 2021, le CHUV annonce que 1880 interventions de la sécurité ont été nécessaires sur la cité hospitalière en 2021, soit 23% de plus qu’en 2020. En outre, près d’une infirmière ou d’un infirmier sur trois a déjà été victime de violences durant son activité dans une structure de psychiatrie, selon

TEXTE : AUDREY MAGAT une étude de l’Université de Bâle menée en 2021 en Suisse alémanique. L’étude recense que 73% ont été victimes de violence verbale, 63% de violence contre les biens, 40% de violence sexuelle verbale, 28% de violence physique et 14% de violence sexuelle et physique. Dans les EMS vaudois, la dernière étude fait état de près de 60% d’employé·e·s qui déclarent avoir été victimes d’au moins un acte violent de la part de personnes soignées ou des proches des malades au cours des douze derniers mois. La violence semble exacerbée par la pandémie. «Le covid a aggravé l’insatisfaction générale, par le fait de ne pas pouvoir sortir, de devoir porter un masque, ou de devoir limiter les regroupements avec les proches, indique Éliane Foucault, infirmière cheffe de service aux urgences du CHUV. Cette colère se ressent directement à l’hôpital, où de nombreuses personnes nous prennent pour cible de leurs contrariétés.» Un constat partagé par Pepita, infirmière aux urgences pédiatriques: «L’année 2021 a été particulièrement difficile. Le covid et les différentes mesures, comme le fait qu’un seul des deux parents puisse accompagner l’enfant, ainsi que le climat tendu avec l’obligation du port du masque et les débats autour de la vaccination ont amplifié l’agressivité des parents.»

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Le nombre d’interventions des agents de sécurité en 2021 sur tous les sites du CHUV (cité hospitalière et psychiatrie), soit plus de 14 fois par jour.

Déversoir de la frustration sociale

Les services d’urgences, pour adultes, pédiatriques ou psychiatriques sont particulièrement concernés par la violence parce qu’ils accueillent des personnes en situation de stress exceptionnel. Pour Pierre-Nicolas Carron, une piste d’explication de ces comportements agressifs réside dans l’inquiétude et la frustration: «Personne n’a jamais prévu d’aller aux urgences dans sa journée. Les gens sont donc contrariés, inquiets, ils peuvent aussi avoir des douleurs, donc leur stress est déjà augmenté au moment où ils se présentent à l’hôpital. S’ajoute la frustration de devoir patienter, et souvent la peur et l’incompréhension de la situation.» La consommation d’alcool et de drogues constitue également un facteur aggravant. «Nous constatons ainsi une hausse des violences en fin de semaine et la nuit.»

Mais pourquoi mordre la main qui soigne? Cela paraît contre-productif. «Lorsque les personnes hospitalisées sont débordées par leurs émotions, l’agressivité peut devenir un moyen d’expression de leur souffrance, explique Sebastien Brovelli, médecin associé aux urgences psychiatriques du CHUV. L’important consiste alors à chercher à désamorcer les tensions par la discussion, de montrer à la personne que l’on reconnaît sa souffrance, sans quoi, comme pour tout humain, la douleur de ne pas être entendu peut conduire à un comportement inadéquat. Dans la majorité des cas, les patient·e·s s’excusent et expriment par la suite avoir été dépassé·e·s par la situation.» La violence vise ainsi généralement l’institution plutôt que l’équipe soignante en elle-même, néanmoins, c’est elle qui se retrouve en première ligne dans le cas d’une agression.

«Les hommes sont autant à l’origine de la violence que les femmes, mais les hommes utilisent plus facilement l’intimidation, par la menace physique ou verbale, notamment envers les infirmières», dénonce Éliane Foucault. Selon elle, dans la société actuelle, les gens ne savent plus attendre. «Les consultations, les examens souvent ultraspécialisés et l’établissement de diagnostics prennent du temps. Notre réponse est même rapide au vu des prestations fournies. L’immédiateté s’instaure dans tous les secteurs de la société, mais l’hôpital ne peut pas répondre à cette exigence d’instantanéité.»

Dépôts de plainte

En 2021, le CHUV a recensé 95 dossiers de plainte des soignant·e·s pour agression, soit une hausse de 61% par rapport à 2020. «À ce chiffre s’ajoutent tous les cas qui ne sont pas signalés, précise Éliane Foucault. Il y a une forme d’autocensure, parfois au risque de banaliser cette violence.»

Les plaintes déposées par les soignant·e·s sont gérées par le Service de sécurité de l’hôpital en collaboration avec l’unité des affaires juridiques. «En cas de violence verbale avec des menaces, par exemple, une médiation peut être engagée avec la police cantonale, détaille Laurent Meier, chef de la sécurité du CHUV. Celle-ci peut déboucher sur des excuses. Lorsque la situation implique des voies de fait ou des blessures, il est alors possible de dénoncer l’agression aux autorités judiciaires, en allant jusqu’au dépôt d’une plainte pénale. La procédure est néanmoins plus lourde aujourd’hui puisque la plainte est déposée au nom de la personne et non

plus au nom du CHUV comme auparavant.» Pour certaines situations, un courrier de recadrage et d’avertissement est adressé à la personne qui a eu un comportement inadéquat.

Un protocole de protection

Ainsi, en cas de problème, plusieurs moyens sont à la disposition du personnel soignant. Les premières mesures visent à prévenir et à limiter les actes de violence en utilisant des techniques de désescalade verbale. Ils peuvent également mobiliser un agent de sécurité sur place ou des collègues en renfort. Le CHUV compte en permanence une vingtaine d’agents depuis le début du covid (les effectifs ont été doublés pour la pandémie), et certains services bénéficient d’un agent quasi permanent, à l’instar des urgences, de la pédiatrie et de la psychiatrie.

«En cas d’intervention, l’employé·e de l’établissement doit discuter avec l’agent de sécurité de la marche à suivre, soit s’en tenir à parler à la personne soit l’immobiliser, explique Laurent Meier, chef de la sécurité. Parfois, seule la présence des agents de sécurité suffit à créer un effet apaisant. L’arrivée

« CODE BLANC »

Pour les cas particulièrement agressifs, les soignant·e·s des urgences ont mis en place ce code permettant une prise en charge immédiate et interdisciplinaire de la personne violente, avec des mesures allant de la désescalade verbale à la pose de contention physique ou, en dernier recours, chimique.

d’une personne neutre, non médicale, calme généralement les tensions.» Dans des cas extrêmes, les agents peuvent être amenés à intervenir physiquement pour maîtriser la personne. Les soignant·e·s peuvent aussi utiliser des boutons dits «d’agression» afin de prévenir la sécurité ou les forces de l’ordre. En 2021, le taux de sollicitation de la police par l’hôpital a grimpé de 16% comparé à l’année précédente. Le Service de sécurité prévoit également de mettre en place un système de vidéosurveillance sur tous les sites du CHUV dans le courant de l’année 2022.

La violence des proches

«Avec le covid nous avons dû renforcer les mesures de sécurité aux urgences pédiatriques, où la violence a explosé», souligne Pierre Merminod, adjoint au chef de la sécurité du CHUV. On pourrait croire que la pédiatrie serait un service plus calme mais les agressions y sont également coutumières. La violence n’émane cependant généralement pas des enfants ou des adolescent·e·s, mais de leurs parents et accompagnant·e·s.

Pepita travaille comme infirmière aux urgences pédiatriques du CHUV depuis plus de cinq ans. «Le ton monte de plus en plus fréquemment, constateelle. La violence arrive souvent en salle d’attente. Malheureusement, de nombreux parents préfèrent venir aux urgences plutôt que de se rendre chez leur pédiatre, donc les temps d’attente se trouvent forcément augmentés.» Au printemps dernier, Pepita a vécu une telle situation d’agression. «Un père est venu avec son fils, qui n’avait rien d’urgent. Le père s’est énervé et a été rejoint par son frère. Cet homme était là pour régler des comptes. Mécontent, il s’en est pris à nous, en nous insultant et en nous lançant les objets qu’il trouvait autour de lui.» Face à cette récurrence de violence, l’infirmière de 29 ans a désormais décidé de déclarer tous ces incidents à la sécurité. «Sans ces témoignages, il n’y aura jamais de changements.» /

ANTOINE SPATH

PSYCHOLOGUE CLINICIEN À PARIS

Différencier l’hypocondrie de l’anxiété

«Dans l’hypocondrie, la focalisation sera plutôt portée sur l’organe que sur la fonction de l’organe. En somme, un hypocondriaque sera beaucoup plus intrigué par la méconnaissance de l’organe et l’inquiétude que cela suscite chez lui. L’organe (le cœur, le foie ou encore le pancréas) fera l’objet d’un questionnement sur sa nature, les douleurs éventuelles qu’il peut générer, sa localisation dans le corps, mais également ses dysfonctionnements. ‹Quel est cet objet inconnu, se dit l’hypocondriaque, qui joue à me faire peur et qui ne veut pas révéler sa vraie nature? Qui joue à cachecache avec ma connaissance?›

Pour un hypocondriaque, un organe mène sa propre vie, presque indépendamment de luimême. Pour un anxieux, l’enjeu est beaucoup plus capital et radical. La question qu’il se pose est: ‹Et si tout cela s’arrête?› puisque c’est bien la fonction qui l’intéresse. Et si ma respiration ne se fait plus, ou si mon cœur bat trop vite et se stoppe, et si ma tension artérielle est trop forte et qu’un vaisseau explose, et si je ne peux plus voir ni entendre? La question se pose beaucoup plus sur la fiabilité de la fonction d’organe que sur

l’organe en tant que substrat. Le médecin pourra le rassurer sur l’organe, mais sa vraie inquiétude porte sur la fonction de celui-ci. Le médecin aura beau dire: ‹Votre cœur est en très bon état›, la question posée par l’anxieux sera plutôt tournée vers l’avenir. ‹Mais va-t-il continuer de battre?› (…)

Faisons équipe avec notre hypocondrie et décidons, ensemble, de régler le problème.

Peut-être ne disparaîtra-t-elle jamais complètement, peut-être que les angoisses reviendront, mais nous pouvons avancer, poser des mots, consulter, essayer, trouver des pistes, les explorer. Nous pouvons, aussi, questionner notre hypocondrie et l’envelopper, en se disant qu’elle n’est pas là par hasard, qu’elle a sans doute des choses à nous apprendre sur nous, nos blessures psychiques, notre stress quotidien, notre enfance. Elle a peut-être des choses à nous révéler, aussi, sur notre rapport à la vie.» /

PROFIL

Antoine Spath est psychologue clinicien à Paris. Spécialiste des comportements humains, il est l’auteur de nombreux ouvrages sur la santé et le bien-être, et notamment «Tu crois que c’est grave? Petit traité à l’usage des hypocondriaques qui veulent s’en sortir», écrit avec Caroline Michel et paru aux éditions Larousse en 2021, dont est extrait le texte ci-dessus.

SÉBASTIEN ROBERT

RECHERCHE Dans ce « Labo des humanités », In Vivo vous fait découvrir un projet de recherche de l’Institut des humanités en médecine (IHM) du CHUV et de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL.

« L'identité de genre dépasse la dichotomie homme-femme »

TEXTE : ELENA MARTINEZ, IHM

VINCENT BARRAS

Historien et directeur de l’Institut des humanités en médecine CHUV-UNIL, il livre dans une interview quelques réflexions sur la question de l’identité de genre. L’histoire des conceptions sur le genre et le sexe montre une intrication complexe entre les valeurs sociales et les données émanant de la biologie et de la physiologie. Vincent Barras, historien de la médecine et directeur de l’Institut des humanités en médecine CHUV-UNIL, explique : « Ce qui, à une époque donnée, a pu passer pour évident – la ‹ supériorité › d'un sexe sur l'autre par exemple – , ne l'est pas à d'autres moments du fait de conceptions scientifiques changeantes, mais surtout, du fait de valeurs culturelles ou sociales qui pèsent de tout leur poids sur les esprits et les comportements. » L'avènement, au cours du XIXe siècle, d'un ordre politique et social où le rôle de la médecine est central a eu tendance à « pathologiser », à ranger du côté de l'anormal, du « devant être soigné », toute une série de personnes et de situations dont le classement dans un genre bien défini (identifié alors au sexe biologique, masculin ou féminin) était ambigu. Des comportements comme l'homosexualité, ou encore la « transsexualité » (terme utilisé alors), autant que des conformations corporelles comme l'« hermaphrodisme », ont été considérés comme pathologiques et, dès lors, classés comme « maladies » qu'il revenait à la médecine et à la psychiatrie de traiter. « Ce n’est que très récemment que le système médical est revenu sur ces conceptions et ces pratiques, envers lesquelles on commence à prendre – et pas encore de façon complète à mes yeux – , un peu de recul critique. »

Vincent Barras s’est personnellement intéressé à ces questions, au contact de personnes concernées ou en souffrance de genre. « Ces êtres humains m'ont fait comprendre par leur parcours de vie et les difficultés rencontrées, notamment face à l'institution médicale, combien la question de l'identité de genre pouvait être largement plus complexe et plus riche que la réduction à une simple dichotomie homme-femme. Je participe au conseil de fondation d'Agnodice, qui mène dans le canton de Vaud et en Suisse romande une action véritablement pionnière pour que cette question soit mise à l'agenda social, politique et médical. »

S'interroger sur l'identité de genre soulève des questions anthropologiques et philosophiques fondamentales, explique Vincent Barras, « sur ce que nous sommes et faisons ensemble en tant qu'humains. Des questions qui relèvent autant de la compétence des humanités en médecine, des professionnel·le·s de la santé que de tout·x·e un·x·e chacun·x·e ! » /

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