L’ÉMIGRATION BASQUE À CUBA ANALYSÉE EN PROFONDEUR

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L'Association Basque Navarre de Bienfaisance de La Havane et autres organismes basques-cubains Cet ouvrage qui retrace l’histoi e de plusieurs organismes basques et cubains dont, notamment, l’Asso iatio Basque Navarre de Bienfaisance, le Centre Euskaro, le Centre Basque, le journal Laurak Bat de La Havane, l’Asso iatio Basque Navarre de Matanzas et la Délégation du Gouvernement Basque, est né dans le cadre du projet de récupération de la mémoire historique de la diaspora; elle compte sur le soutien de la Direction pour la Communauté Basque à l’Ext ieu du Gouvernement Basque


Publications basques cubaines Grâce à ce project appelé Urazandi, un nom chargé de sens, nous avons réussi à récupérer un très grand nombre d’i fo atio s qui viennent à présenter enrichir la recherche sur l’ave i des collectivités basques établies dans la quasi-totalité des pays américains et dans certains pays européens. Le livre que nous présentons aujou d’hui est le numéro 26, le troisième que j’ai l’ho eu d’ i e personnellement; ’est une nouvelle source de publications qui sauve de l’ou li l’histoi e de nombreuses euskal etxeak créées par ces mêmes collectivités pendant presque un siècle et demi. Parmi les nombreux éloges u’a reçus cette collection, nous soulignerons celui de l’a th opologue nordaméricain William Douglas, auteur du prologue, qui déclare u’à sa connaissance aucune autre collectivité ’a jamais réalisé un tel effort éditorial.


Manuel Calvo Parmi tout ce que j’ai eu la chance d’appo te à ce projet, j’ai e ais citer le fait d’avoi pu numériser, avec mon épouse Adriana Patrón 360 000 pages de documents d’a hive et de publications basques éditées depuis 1876 hors des limites territoriales d’Eskual Herria, sur le territoire u’o appelle le huitième « herrialde » (territoire historique basque ou province basque).

Et ’est précisément la raison pour laquelle en 2008 nous nous rendus à La Havane, ville dans laquelle nous avons pu numériser les publications éditées dans l’île et les archives de l’eskual etxea, grâce à la collaboration du gouvernement cubain, de la bibliothèque nationale de Cuba, l’I stitut de Littérature et Linguistique, Dr. José Antonio Portuondo Valdor et la direction de l’Asso iatio Basque Navarre de Bienfaisance.


Julián de Zulueta Dans un brève parenthèse, j’amerais souligner que l’i po ta e de ce projet de sauvetage de la mémoire historique ne tient pas uniquement à l’i t t u’il peut susciter chez les historiens et les chercheurs de l’ ig atio basque; elle tient également à sa capacité de reconstruire un passé pas si lointaine où nos parents et grands-parents durent traverser les océans et devinrent, grâce à leurs expériences vitales, des témoignages de tolérance et de respect pour ceux qui aujou d’hui viennent en Euskal Herria à la recherche du bien-être que leur pays leur refuse.

Parmi les publications que nous avons découvertes à Cuba, je voudrais souligner en raison nos pas de son importance, mais de sa curiosité, la revue Gordejuela pratiquement inconnue et éditée non pas par un centre basque mais par l’entrepise de distillation du rhum cubain Havana Club connue dans le monde entier, fondéepar José Artexabala Aldama, natif de Bilbao; je ’ou lie ai pas non plus les publications sportives Beti Jai, Cancha Habanera et Cancha Nacional qui peuvent aujou d’hui être consultées avec le reste de la collection sur la page web euskaletxeak.net


Antonio Telleria

Nous avons également numérisé là-bas les archives de l'Association Basque Navarre de Bienfaisance de la Havane, encore humides après le passage de l'ouragan qui a détruit le sous-sol où elles étaient conservées ; ces archives sont composées de 32 000 pages de minutes de réunion de l'assemblée de direction, de demandes et de concessions d'aide, de correspondance et d'autres documents grâce auxquels nous avons pu reconstruire les origines de l'institution, ses opinions politiques, sa position face aux dramatiques situations comme la guerre de Cuba et les crises économiques successives qui firent des immigrés des boucs émissaires et surtout, sa disposition constante à tendre une main à un compatriote en détresse. Navarre de Bienfaisance de la Havane


Ramón María de Araiztegui

Mais si nous avons réussi à atteindre notre objectif à La Havane, il nous restait encore néanmoins à nous rendre à Matanzas pour numériser la documentation de l'Association Basque Navarre fondée dans cette municipalité en 1868.

Je retiendrai de notre travail dans ces archives le drapeau de la euskal etxea que nous avons retrouvé en lambeaux poussiéreux dans un tiroir conservé dans un garage. Le nuage de moisissure qui s'est échappé lorsque nous avons essayé de l’ext ai e pour faire une photo nous fit renoncer à notre tentative, mais nous avons pu néanmoins auparavant noter que son dessin ne coïncidait pas avec les sources que nous avions précédemment consultées.


Contrairement au drapeau du Laurak Bat qui avait été utilisé à Montevideo et Buenos Aires - et dont nous savions qu'il avait été utilisé à La Havane - au lieu des quatre têtes des rois maures capturés lors de la bataille des Navas de Tolosa, celui-ci consistait en une toile dans laquelle, sous ce même manteau d'hermine, avait été brodés les écussons d'Alava, de Biscaye, de Gipuzkoa et de Navarre.

Cette apparente anomalie ne m'a pas gêné très longtemps puisque j'avais déjà fait allusion à cette insigne dans la recherche que j'ai réalisée avec Xabier Irujo, professeur de l'université de Nevada, sur le nationalisme basque en Uruguay ; cette recherche a fait l'objet d'un livre, « La Hora Vasca del Uruguay ». Cette différence réduisait à néant l'affirmation que nous avions posée si clairement et bien documentée à l'époque.


Immigrants à La Havane

De nombreuses années ont dû passer pour que, grâce à la découverte fortuite d'une revue numérisée et mise en ligne par la bibliothèque Koldo Mitxelena, nous réussissions à éclaircir cette apparente erreur. Je veux parler de la revue de Saint Sébastien, Novedades qui, en avril 1911, fit un reportage sur le centre Euskaro de La Havane. Dans une photo de ce reportage, représentée dans un tableau qui décorait la salle de jeux de la euskal etxea se trouvait la reproduction du drapeau que nous devions trouver dans ce fameux garage du célèbre quartier Miramar de la capitale cubaine. Et pourquoi ? parce que, comme nous avons dû le constater lorsque nous traitions l'immense quantité de documents numérisés à La Havane, parmi les archives de l'AVNB se trouvaient également des documents du Centre Euskaro ; une situation qui n'avait pas été constatée par les personnes qui avaient auparavant catalogué les publications d’Eusko Ikaskuntza.


Bénévoles basques

Enfin je souhaiterais faire une brève référence au livre en lui-même. Comme je l'ai dit en commençant, j'y cite plusieurs institutions basques cubaines parmi lesquelles l'Association Basque Navarre de Bienfaisance, la plus importante de toutes et celle qui a duré le plus longtemps. Elle a été fondée au début de 1877 en même temps que la société Laurak Bat Buenos Aires, Argentine, tandis que la société Laurak Bat de Montevideo, Uruguay avait été fondée en décembre 1876. C'est-à-dire que dans un très court laps de temps de quatre mois et à des points aussi distants l'un de l'autre que Río de la Plata et la mer des Caraïbes sont nées les trois euskal etxeak les plus puissantes de leur époque.


Carrosse basque lors du IVe centenaire de la découverte de l'Amérique

Il est nécessaire à partir de ces données de se demander s'il s'agissait d'une coïncidence ou si cette succession de fondations avait un objectif... je dois avouer que je ne le sais toujours pas, comme je le dis dans mon travail. Les sociétés de Buenos Aires et de Montevideo obéissaient, outre la simple assistance de l'immigrant, à des volontés politiques proches du mouvement pro fuero - il ne faut pas oublier que le 21 juillet 1876 tous les fueros basques avaient été définitivement abolis. Mais cela n'est pas si évident dans le cas de Cuba.

Je soulignerais tout d'abord la différente condition socioculturelle des pionniers de la société de La Havane, où fonctionnaires, hommes politiques et militaires côtoyaient de riches commerçants et de puissants patrons d'haciendas sucrières, en opposition à la condition plus humble - même s'il y avait de riches commerçants et patrons d'haciendas - et infiniment moins influente des Basques d'Uruguay et d'Argentine.


Le « Palacio de los gritos », le Palais des cris Parmi les fondateurs, nous trouvons Joaquín Calbetón, doyen de l'Ordre des Avocats de Gipuzkoa et Régent de l'Audience Royale de Puerto Rico ; Antonio Tellería, gouverneur de l'île et vice-président du Casino Espagnol ; Segundo Rigal, patron d'hacienda sucrière, Président du Casino Espagnol et membre du Cercle des Haciendas qui disait qu'il devait « faire pression sur la métropole pour que soient approuvées les mesures destinées à l'immigration de braceros comme la force de travail qui remplacerait les esclaves », peu importe qu'ils soient « indiens, chinois, malaisiens, européens ou africains ». On comprend ainsi pourquoi Rigal lui-même reconnaissait que ses ennemis les appelaient « commerçants de chair humaine » ; Félix López de Calle, Secrétaire du Gouvernement Civil d'Alava ; Manuel Calvo, puissant chef d'entreprise sucrière et « ambassadeur » du Casino Espagnol auprès de la Cour ; Fermín Calbetón, Député de Matanzas, Directeur Général de Grâce et Justice au Ministère d'Outre-mer, Sous-secrétaire du Ministère de la Justice, Ministre des Travaux Publics, Ministre du Trésor Public, Député de Saint Sébastien et Sénateur de Gipuzkoa ; Julián de Zulueta, traficant d'esclaves et de Chinois, Président du Casino Espagnol, Premier Consul du Tribunal Royal du Commerce, Colonel des Milices, Conseiller d'Administration d'Hacienda, Régidor de la Mairie, Adjoint au Maire, Maire de la Havane, Président du Cercle de Patrons d'Haciendas ; Député au Parlement pour Alava, Sénateur, Marquis d'Alava et Vicomte de Casa Blanca ; Pablo Tapia y Urcullu, Maire de La Habane, Pablo Gámiz, membre de la Sociedad Crédito Territorial Hipotecario de l'ïle de Cuba, Francisco Durañona, propriétaire d’e t ep ise sucrière qui fut déporté à la péninsule accusé de participer à l'introduction illégale de noirs africains et Ramón María de Araiztegui, jurisconsulte, fonctionnaire de la Capitainerie Générale de Cuba, Secrétaire du Gouvernement général, Maire de Santiago de Cuba, Pinar del Río et de Cárdenas.


« Filibusteros de la manigua », Flibustiers de la manigua

Nous nous devons deuxièmement de souligner les accusations d'esclavagistes surprenantes qui pesaient sur certains des fondateurs de l'AVNB à La Havance, des membres de l'aristocratie sucrière cubaine qui, gênés par l'interdiction internationale du trafic d'esclaves, tentèrent de les remplacer par des immigrants péninsulaires en créant pour eux des insistuts d'encouragement à l'immigration. Le Capitaine Général Salamanca disait précisément à propos du projet d'introduction d'immigrants péninsulaires de Manuel Calvo y Aguirre, de Portugalete, promoteur important de cette société que : « il ne cherchait pas des immigrants mais des esclaves d'autre couleur pris avec les armes de l'astuce, le contrat, le notaire et le papier timbré », réduisant ainsi « le blanc dans des conditions similaires à celles des noirs » ; il ajoutait que ces immigrants termineraient au service des patrons d'installations qui transformeraient en esclaves les pauvres malheureux venus demander du travail.


Le Lehendakari Aguirre (chef du Gouvernement Basque) à La Havane

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Dans ce cas nous sommes évidemment surpris par la dichotomie apparente chez ceux qui n'hésitent pas à utiliser une main d'œuv e esclave - et même à trafiquer avec des esclaves africains, des quasi esclaves chinois et de pseudos colons péninsulaires ou des Canaries - mais qui étaient également capables de fonder une société de bienfaisance.

Ceci étant dit, la question suivante est immédiate : y avait-il un rapport entre l'interdiction de la traite, le manque de main d'oeuvre, l'introduction d'immigrants et les sociétés de bienfaisance régionales ?


Drapeau de Laurak Bat, annĂŠe 1882


Nouveautés, Saint Sébastien 1911 Pour les recherches futures, je laisse l'hypothèse que certaines de ces institutions étaient impliquées dans l'introduction de main d'œuv e de la péninsule. Mais malgré le caractère impudent de mon hypothèse, je témoigne également sans douter de la sollicitude amoureuse avec laquelle l'AVNB de La Habane a assisté, pendant de très nombreuses années, les immigrants basques qui ne pouvaient pas s’e sortir seuls. Dans cette recherche je décris leurs fêtes, leurs coutumes religieuses, leurs sports, leurs rapports avec la péninsule et d'autres société régionales, et, au sujet des armes, leur position par rapport à l'indépendance cubaine d'abord et à la guerre d'Euskadi ensuite. Dans la guerre de Cuba avec un positionnement fanatique en faveur des intérêts espagnols et du maintien du status quo. Ce n'est pas sans raison que nombre de leurs membres rejoignirent les bataillons de volontaires sur le front, qu'on appelait de manière méprisante « flibustiers de la manigua ». Dans la guerre d'Euskadi, et avec la même conviction, les membres du Centre Basque favorables aux insurgés contre la république arrivèrent à des extrêmes tels que célébrer la chute d'Irun, la destruction de Durango, l'écrasement de Guernica et l'occupation de Bilbao.


Salle de jeux du Centre Basque

Je fais également référence à l'origine, en 1938 de la Délégation du Gouvernement basque de La Havane. Grâce à cette documentation et à celle conservée dans les archives de la Fondation Sabino Arana, je souligne les difficultés auxquelles dut faire face José Luis de Garay Uribitarte de Arratia lorsque, en face de la délégation, il dut affronter un groupe hostile à la lutte du peuple basque ; ses efforts pour conquérir des partisans, ses déceptions après les échecs et la joie de ses victoires. Je cite également les visites du Lehendakari Aguirre dans l'île, ses entretiens avec Batista et l'attente du délégué les jours suivant le triomphe révolutionnaire de Fidel Castro. Je ne peux terminer cette exposition sans signaler que ce livre n'est pas une fin en lui-même, mais plutôt un pas de plus dans l'effort collectif de récupération de la mémoire historique de ce peuple. Le travail ne termine pas ici ; il nous reste encore un défi qui est celui de récupérer, en les numérisant, les archives des euskal etxeas historiques, dont certains documents sont déjà définitivement perdus. J'ai à ce titre la fierté d'annoncer qu'il sera très prochainement possible de consulter en-ligne les archives de l'AVNB de La Havane.


Étendard du Centre Basque

Cette recherche m'a permis de découvrir qu'il y a encore beaucoup à étudier. Les archives cubaines sont un domaine pratiquement inexploré et, sans aucun doute, la recherche des entreprises d'émigrants basques installés sur l'île nous révèlera de nombreuses énigmes que je n'ai pu résoudre dans ce travail. Nous ne connaissons pas encore la véritable histoire des négriers basques, les registres d'entrées d'immigrants, la participation de Basques dans l'armée indépendantiste, les détails des crises économiques qui réduisirent à l'indigence et à la mendicité des milliers de travailleurs péninsulaires, Basques compris ; la participation des religieux d'Euskal Herria dans un nombre immense d'événements historiques qui parsèment l'histoire de l'île des Caraïbes de l'indépendance à la révolution... Enfin, tout est encore à faire en attendant les nouvelles recherches qui nous aideront à reconstruire une histoire qui, entre ombre et lumière, est imbriquée inexorablement dans l'histoire de la Perle des Antilles.


Pour terminer, j'aimerais remercier le Gouvernement basque qui, malgré la situation difficile que traverse ce pays, a jugé utile de publier ce libre ; et je réaffirme ma volonté de continuer, avec le docteur Irujo que j'ai déjà cité, à faire des recherches sur l'exil basque au Venezuela et les institutions basques qui furent créées dans cette république. Il ne reste plus désormais qu'à lire le livre.


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