TFE Alberto Campo Baeza, "Variations autour du patio, 14 maisons"

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ALBERTO CAMPO BAEZA VARIATIONS AUTOUR DU PATIO

14 MAISONS

IRINA FERCAU

ISACF LA CAMBRE

2006-2007

PROMOTEUR: VICTOR BRUNFAUT



TABLE DES MATIERES INTRODUCTION Choix du sujet Objectif du travail Méthodologie

DEFINITION DU CHAMP D’INVESTIGATION Le patio dans la maison traditionnelle méditerranéenne Concepts du modernisme Appendice : le régionalisme critique Critères d’analyse Choix des projets

ALBERTO CAMPO BAEZA Background Concepts émergents Le plan horizontal Stéréotomique – Tectonique Gravité – Lumière Essentialité – Beauté – Absolu

PROJETS Alberto Campo Baeza 1. GARCIA DEL VALLE HOUSE 2. FOMINAYA HOUSE 3. TUREGANO HOUSE 4. DALMAU HOUSE 5. GARCIA MARCOS HOUSE 6. 4 VILLAS 7. JANUS HOUSE 8. GASPAR HOUSE 9. PINO HOUSE 10. BLAS HOUSE 11. ASENCIO HOUSE 12. GUERRERO HOUSE 13. MOLINER HOUSE 14. OLNICK SPANU HOUSE Œuvres Supplétives VILLA SAVOYE PAVILLON DE BARCELONE CORTIJO LAS SALINAS CASA FERÍ



COMPARAISON PROJETS -Contexte -Composition / Organisation -Structure -Circulations -Public / Privé -Espace extérieur privé -Espace principal PREMIERES CONCLUSIONS

CONCLUSION


Je remercie Monsieur Victor Brunfaut, m’ayant accompagnée et guidée durant l’élaboration de ce travail. Je remercie également mes proches, famille et amis. Plus particulièrement, je remercie mes parents, m’ayant entourée et soutenue avec une force impressionnante. C’est à eux que je dédie ce mémoire.


INTRODUCTION



CHOIX DU SUJET

Le sujet du présent mémoire est l’architecture résidentielle d’Alberto Campo Baeza. Ce choix est issu des diverses associations que ces réalisations architecturales ont suscitées dans mon esprit. Il comporte une part incontestablement intuitive, se basant sur les affinités et le bagage acquis au fil de mon apprentissage.

« C’est impossible de contempler l’œuvre actuelle de Campo Baeza sans l’interpréter au travers d’une série de diverses associations qui sont pour ainsi dire restées gravées dans notre mémoire collective. (…) Ces associations sont par moment fruit de la forme, assez hermétique, par laquelle Campo Baeza documente son œuvre, en vertu de laquelle on se retrouve souvent face à un message codifié, c’est-à-dire, face à des indications fort abstraites, pour ne pas dire rares, à laquelle se réfèrent la morphologie et la fonction spécifiques de l’œuvre en question. (…) Ainsi, en passant d’un projet à l’autre, le référent se déplace en un instant de Mies van der Rohe à Alejandro De la Sota, et dans un autre, de Luis Barragan à Giorgio Grassi, et ainsi successivement jusqu’à l’infini, pendant que nous luttons à reconstruire la généalogie de l’architecture de Campo Baeza. »1 Kenneth Frampton

Ainsi, ces associations engendrées au contact de son œuvre ont naturellement orienté mon travail, vers ce qu’il évoquait pour moi de substantiel, l’architecture méditerranéenne, doublée d’une rémanence moderniste. De manière plus ciblée, ce travail tentera une approche des recherches et réalisations domestiques de l’architecte, en tant qu’expression du métissage de l’architecture méditerranéenne traditionnelle et de concepts modernistes européens. La filiation ces deux conceptions architecturales a été relevée dans de nombreux ouvrages, notamment par les récits de Le Corbusier Voyage d’Orient2. Mon affinité avec la culture méditerranéenne est la raison principale pour laquelle les recherches d’Alberto Campo Baeza m’ont interpellée, notamment depuis mon séjour en Andalousie, lorsque j’ai eu la chance d’être en contact avec cette culture, de laquelle l’architecte lui-même se déclare inspiré. Ce travail ciblera les projets résidentiels de l’architecte en tant qu’expression du métissage faisant le sujet de ce mémoire.

1 Kenneth Frampton, Essai: On reading the Elemental in the Work of Alberto Campo Baeza, 2003 2Le Corbusier(Ch.-E. Jeanneret), Voyage d’Orient: Carnets, Electra Architecture, 2002 3Pizza Antonio, Alberto Campo Baeza Works and Projects, 1999, p.8



Nous tenterons, dans un premier temps, d’appréhender la typologie domestique méditerranéenne traditionnelle, incarnée par la maison à patio, ainsi que certains concepts modernistes pouvant éclairer le travail domestique de Campo Baeza. A l’aide de critères d’analyse précis, véritables dénominateurs communs des diverses œuvres, nous tenterons un rapprochement entre ces différentes figures de l’architecture. Dans une deuxième partie du travail, nous analyserons les projets domestiques de Campo Baeza, de manière individuelle, avant de procéder à une mise en commun, afin d’éclairer les dialectiques internes de son travail ainsi que les éventuelles filiations ou oppositions à l’héritage susvisé. Nous tenterons ainsi une lecture globale de ses réalisations domestiques, permettant une vérification des intuitions premières, voir même, le surgissement de nouvelles analogies. Toutefois, il ne s’agit pas de proposer une recherche exhaustive à propos de l’œuvre de cet architecte, mais plutôt de tenter de mieux comprendre le mécanisme du métissage et de réappropriation possible de diverses tendances architecturales, pourtant si éloignées dans le temps.

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OBJECTIF DU TRAVAIL Par ce travail, je vise un double objectif. Ce travail vise avant tout la compréhension et la vérification de mes intuitions premières relatives à l’œuvre d’Alberto Campo Baeza. Cet objectif initial m’a incitée à une prospection de son oeuvre, sur la base de diverses sources et types de documents disparates, dans le but d’aboutir à une analyse des éléments concrets et des configurations particulières, propres à l’architecte, en vue de déceler d’éventuelles analogies ou dissemblances par rapport à l’héritage méditerranéen traditionnel ou moderniste. Le second objectif, qui est progressivement devenu l’objectif principal, a été l’élaboration d’un OUTIL DE LECTURE, large et synthétique à la fois, assurant une lecture claire des réalisations domestiques de l’architecte. Caractérisant chaque projet en particulier, à travers une série de critères d’analyse, il permettra de situer ce même projet par rapport à l’ensemble des habitations conçues par l’architecte. Cet outil de lecture ébauchera une vision d’ensemble du travail domestique de Campo Baeza, permettant son appréciation, ainsi que une estimation des référents auxquels elle fait appel.

METHODOLOGIE Le travail s’organisera en diverses phases : Spécifications et Caractérisation de intuitions Questionnements, délimitation du champ d’investigation et synthétisation des concepts relatifs à l’architecture traditionnelle méditerranéenne et moderniste Définition de critères d’analyse Background d’Alberto Campo Baeza Contexte de l’architecte, collaborateurs et concepts émergents Analyse Individuelle des projets Projets résidentiels d’Alberto Campo Baeza Exemples d’architecture domestique traditionnelle méditerranéenne/ moderniste Mise en parallèle des projets Evolution chronologique, logiques synchroniques au sein des projets de Campo Baeza Affinités, oppositions, réinterprétations face à l’héritage

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DEFINITION DU CHAMP D’INVESTIGATION

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LE PATIO DANS LA MAISON MEDITERRANEENNE TRADITIONNELLE Il est important d’expliquer les raisons pour lesquelles l’architecture domestique d’Alberto Campo Baeza est susceptible de trouver une filiation dans la maison à patio traditionnelle méditerranéenne. Ce point tentera de résumer les principales notions de ce modèle domestique à patio afin d’en comprendre les logiques génératrices et caractéristiques. L’élément fondamental de ce type d’habitation étant l’élément du patio, la question se pose de savoir quelle est la signification du terme « patio ». Définitions 1: Patio : Cour intérieure d’une maison. Cour : Espace clos de murs ou de bâtiments. Jardin : Lieu, généralement clos, où on cultive des fleurs, des légumes, des arbres, etc. Habitation, Grèce, 3000 av.J.C.

Habitation, Cameroun, XXe siècle.

A quoi différencie-t-on cet élément par rapport à d’autres termes, dont les définitions peuvent prêter à confusion ? Auxquels d’entre eux correspondent les espaces définis au sein des habitations d’Alberto Campo Baeza ? Afin de comprendre l’origine et le sens de cet élément, il convient d’apporter une précision relative au terme « patio ». Le patio, dans le sens méditerranéen, est un élément ubiquiste, perpétué selon une tradition millénaire et considéré comme une constante de l’habitat de ces régions. Bien que possédant des spécificités propres à certaines cultures, la localisation d’une maison à patio à la simple vue de son plan s’avère difficile. Ce fait est certainement dû au lointain et profond ancrage de cet élément dans la culture méditerranéenne et à sa large propagation2. Retracer l’historique et l’origine de cette figure du « patio » constitue un travail vaste et complexe, traité par de nombreux ouvrages et essais. Nous nous appuierons sur ces sources pour définir cet élément et en identifier les spécificités. La maison à patio méditerranéenne comporte certaines spécificités pouvant être résumées à des configurations spatiales, à l’aide d’éléments concrets les façonnant. 3

Ces caractéristiques seront exposées ici de manière condensée afin nourrir la réflexion relative à l’œuvre d’Alberto Campo Baeza. La configuration de la maison à patio a comme fondement une vocation défensive, liée au contexte climatique et socio-historique. Cette notion de protection est liée à une notion de centralité. « Protection sous-entend qu’il y ait quelque chose à protéger, à conserver, en un centre restreint, large, ou groupement. »4 L’auteur révèle deux traits guidant l’instauration d’un habitat centré : l’accès labyrinthique, en spirale (chicane), ainsi que la notion de double peau. Nous discernons donc un travail primordial sur le centre et la périphérie, ainsi que sur l’accès.

Habitation, Tunisie, XXe siècle.

La centralité est un concept très ancien, remontant aux habitations dites primitives de ces régions. L’une des premières habitations présentant, en substance, cette notion de centralité a été retrouvée à Mureybet en Méditerranée, au 8e millénaire avant J.C. Modèle embryonnaire, l’on y retrouve la notion de double enveloppe autour d’un centre, constituent les prémisses de la maison à patio.1 Le travail sur la périphérie et la double peau s’illustrent par l’enceinte fortifiée autour d’un centre, ou le groupement 1 Petit Larousse Illustré,Librairies Larousse, Paris, 1978 2ANNIA Mostafa, Patios, TFE La Cambre, 1989 3Ibid 4Ibid

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d’un ensemble de logis autour d’un noyau central. Espace à protéger coûte que coûte, point fort, à valeur réelle ou symbolique, il devra être inaccessible pour l’étranger. L’accès labyrinthique participe à cette logique. Le labyrinthe, selon Mr. Eliade, dans le « Traité d’histoire des religions »2 : « Labyrinthe : idée de défendre un centre, que l’on voulait rendre inviolable aux non appelés, aux non-initiés ; en langage militaire, le labyrinthe interdisait ou du moins compliquait la pénétration de l’ennemi, tout en permettant l’accès à ceux qui connaissait le plan de l’ouvrage défensif. En langage religieux, il barrait la route aux esprits du dehors, aux démons du désert, de la mort. Représentait l’accès initiatique à la sacralité, à l’immortalité, à la réalité absolue. (…). Morphologiquement parlé, il s’agit de pénétrer victorieusement un espace difficilement accessible et bien défendu dans lequel se trouvait le symbole plus ou moins transparent de la puissance, de la sacralité et de l’immortalité. Avec l’évolution de la société, et le développement de la vie en communauté, cette notion de défense se transforme et acquiert une valeur plus symbolique. (…) C’est la notion de protection dans un sens de l’isolation, de protection de l’intimité, qui apparaît progressivement. Par la même occasion, la forme en labyrinthe disparaît et un nouveau mode d’accès apparaît, l’entrée en chicane. » A cette relation binaire entre un centre et sa périphérie vient s’ajouter la notion d’introversion, soulignée par une façade extérieure opaque et mystérieuse, silencieuse quant aux activités des habitants. En effet, cette configuration préserve l’espace privé, organisant les activités domestiques autour de cet espace principal de la maison. Ainsi, l’habitation est intimement reliée à son espace extérieur privé, à l’abri des regards. La géométrisation occupe également une place importante dans l’établissement de l’espace domestique. L’ordre compositionnel, matérialisé par la présence d’axes, et de formes géométriques pures, est, dans la mesure du possible, une constante de ce modèle3. A titre d’exemple, dans l’architecture urbaine nord-africaine, le patio, élément générateur de la maison, de préférence centré, adoptera une forme géométrique pure – carrée ou rectangulaire – tandis que le corps de logis périphérique prolongera sa géométrie jusqu’à absorber le contour irrégulier de la parcelle. Notons également une différenciation dans la logique générative de la maison à patio, selon le tissu dans lequel elle s’intègre. En effet, dans un contexte rural, peu dense, où les dimensions de la parcelle le permettent, l’instauration de la maison se fera dans un premier temps par la construction d’un mur d’enceinte, à l’intérieur duquel et contre lequel les pièces de la maison seront ensuite édifiées progressivement4 Celle-ci pourra alors prendre diverses formes, selon les étapes de la construction, allant d’un simple corps de logis en forme de « I », le long d’un seul côté de l’enceinte, à l’édification sur les quatre côtés de l’enceinte, en forme de « O »5. Notons cependant la présence d’un espace extérieur privé qui sera préservé, à l’intérieur de l’enceinte, dont la taille et la position varient en fonction du corps de logis. De par le contexte peu dense dans lequel la maison rurale s’insère, celleci s’ouvrira d’avantage sur son environnement que la maison située en tissu dense, dont la promiscuité aura tendance à isoler de son environnement. Dans le type urbain, de par l’exiguïté des parcelles disponibles, la logique générative de la maison aura comme premier geste le dessin d’un espace extérieur privé, généralement central et de forme géométrique « pure », autour duquel les corps de logis s’organiseront ensuite, absorbant 1 Ibid 2 Eliade Mircea, Traité d’histoire des Religions, 1989 3 Kries Mateo, Von Vegesack Alexander, Living under the Crescent Moon, Vitra, 2003 4Ibid 5 Annia Mostafa, Patios, 1989

Habitation, Mureybet, 8000 av.J.C.


les irrégularités de la parcelle. La façade extérieure, publique, tendra vers l’opacité, tandis que la maison s’ouvrira entièrement sur cet espace du patio1. Enfin, il est utile de rappeler que la configuration de la maison à patio dans la région méditerranéenne répond également au climat particulier de cette région, le patio jouant un rôle de régulateur thermique. Cette donnée pourrait être complétée par le « nomadisme saisonnier », notamment dans la maison arabe à patio. Les habitants, cherchant ou fuyant les rayons du soleil selon les températures de la saison, intervertissent la fonction de certaines pièces et se déplacent horizontalement ou verticalement dans la maison. La polyvalence des espaces constitue ici une caractéristique principale. Certains éléments en particulier caractérisent également l’espace de la maison à patio, permettant, par leur présence, et les multiples combinaisons possibles, une multitude de variantes. Dans ce sens, M. Annia distingue six acteurs principaux, caractérisant la maison à patio2:  Entrée (élément de limite, distanciant la périphérie du centre, il est constitué de trois sous éléments : porte, vestibule, chicane)  Escalier (rôle de liaison, distanciation, démonstration ou simplement fonctionnel)  Oikos, iwan, kbu,… (pièce de séjour intérieure et principale, faisant face au patio, largement ouverte sur celui-ci)  Couverture (le patio étant soit partiellement, soit entièrement couvert, le support de cette couverture influe directement sur la définition du patio ; elle définit un second espace extérieur, le toit terrasse, protégé du regard par de hauts murs.)  Galerie (découlant de la structure de la couverture, cet élément fait parfois office d’espace intermédiaire entre le patio et les chambres)  Eau (fonction climatique, parfois symbolique : l’eau apprivoisée dans un vasque est un miroir céleste où viennent se mirer, se refléter, le soleil, la lune, les étoiles. Donne aux habitants l’image inversée du monde, l’exacte symétrie ; on note souvent sa centralité en plan, participant à la définition de l’axe de symétrie. A noter également, l’introduction de végétation, liée à cette notion spirituelle, symbolisant un paradis terrestre au sein de la maison.) L’auteur classifie différentes typologies du patio en tenant compte principalement : - du nombre de corps de logis entourant le patio - de la forme - de la notion de double enveloppe - de la présence des acteurs du patio - de l'axialité, de la centralité A l’aide de ces principes et caractéristiques de la maison à patio traditionnelle de la région méditerranéenne, nous tenterons une comparaison par rapport aux projets domestiques d’Alberto Campo Baeza, permettant éventuellement de déceler certaines analogies ou dissemblances. Ce rapprochement se fera, dans la seconde partie de ce travail, après une analyse d’exemples concrets et selon des critères précis. Les exemples de maisons à patio « traditionnels » analysés seront au nombre de deux

1Kries Mateo, Von Vegesack Alexander, Living under the Crescent Moon, Vitra, 2003 2 Annia Mostafa, Patios, 1989

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et représenteront l’architecture de la région andalouse. Cette région d’Espagne, patrie de Campo Baeza, porte en elle les traces d’une riche hybridation culturelle, définie explicitement sous le terme arabo-andalou, abordée ici dans la perspective de l’architecture domestique. Il est important de souligner qu’ils ne sont pas repris ici en tant que modèles ou archétypes de la maison à patio de cette région, mais plutôt à titre d’exemples ou de paradigmes, en vue de permettre une lecture comparative. Enfin, le choix de présenter ici deux figures de l’architecture traditionnelle a été guidé par les éventuelles divergences engendrées par la densité du tissu bâti, urbain ou rural.


CONCEPTS DU MODERNISME

J.J. Pieter Oud, Café De Unie, Rotterdam 1924-1925

Adolf Loos, Maison Tzara, Paris, 1925-1926

Mies van der Rohe, Brick House 1924

J. Bernardus van Loghem - D. Greiner Cité-jardin Watergraafsmeer, Amsterdam, 1923-1925

Le Mouvement Moderne constitue une étape essentielle à la compréhension de l’architecture contemporaine. De par l’étendue et la complexité de cette tendance, teintée de nombreuses contradictions entre – et spécificités propres à – certains tenants de ce mouvement, il importe de préciser certaines notions par lesquelles le travail d’Alberto Campo Baeza pourrait être vu comme filiation de ce mouvement architectural dans le cadre de ce mémoire. En ce sens, notons qu’au sein de cette tendance, les dialectiques s’acheminent vers une synthèse visant à l’élaboration d’une nouvelle architecture 1, en accord avec son temps, utilisant les nouveaux matériaux et techniques constructives dans un langage propre, donnant naissance à de nombreuses recherches et poussant la réflexion autour des nouveaux enjeux, concepts et configurations spatiales de l’architecture. Dans cette période d’incertitude économique, ce mouvement architectural est également imprégné d’une recherche d’efficacité, d’économie, de fonctionnalisme, parallèlement à la définition esthétique du style2. L’ère de la machine, ayant déjà bouleversé le raisonnement architectural, annonce la fin de la vision romantique ; les efforts convergent vers la création d’un style adéquat, d’une « nouvelle conscience adaptée à l’époque ».3 En peinture, cela se traduisait par le refus de toute représentation figurée de la nature, trop individuelle, tendant vers une abstraction totale, seule capable de représenter l’universel.4 Ainsi, dans les œuvres de Peter Mondrian, principal peintre du groupe De Stijl, la représentation se réduit à de simples lignes droites, agencées orthogonalement, rehaussées des trois couleurs primaires, jaune, rouge et bleu. Le thème principal était l’agencement de masses irrégulières dans un système anti-cubique, où les lignes de contour étaient éclatées.5 La Brick House, imaginée par Ludwig Mies van der Rohe en 1924, témoigne explicitement de cette vision. Peter Oud, cofondateur du Stijl, écrivit en 1918 le rôle joué par Franck Lloyd Wright dans cette nouvelle conception : « Wright a créé les bases d’une nouvelle plasticité en architecture. Les masses éclatent dans tous les sens, en avant, en arrière, vers la droite, vers la gauche… De cette manière, l’architecture moderne se développera de plus en plus en un processus de réduction vers des proportions positives, de façon comparable à l’évolution de la peinture moderne. » 6 Cette période est ainsi caractérisée par une transition « de l’ornement à l’épure »7, soutenue par des principes de géométrisation et d’abstraction, reflétées notamment par des prépositions comme « La fonction engendre la forme », ou le célèbre « Less is more » de Mies van der Rohe. Cette transition fait également écho à l’épuration et à la réduction à des formes géométriques essentielles, préconisées au début du siècle, ainsi qu’à l’abandon de toute décoration superflue. Adolf Loos publie en 1908 « Ornement et Crime », où il dénonce le gaspillage de matériaux et de main d’œuvre, inadaptés à l’époque8. Mais ce premier retour aux formes géométriques primaires, le carré et le cercle, bien que représentant « l’ordre fondamental du cosmos », aspirait à un néo-classicisme purifié9, tandis que les recherches associées au groupe De Stijl, explosant les contours géométriques, visaient à la création d’un style totalement nouveau, en accord avec son temps. La fin de la deuxième guerre mondiale nécessite une reconstruction et une indispensable réorganisation urbanistique. Les techniques industrielles étendues à l’architecture présagent un monde meilleur. Cette conjoncture donne naissance à la construction massive d’habitations populaires, ainsi qu’à une recherche sur l’habitation minimale, 1,2, 3 Gossel P., Leuthauser G., L’Architecture du XXe siècle, volume 1, Taschen, 2005, p.189 4,5 Ibid, p.190 6 Ibid, p.191 7 Ibid, p.111 8 Ibid, p.113 9 Ibid, p.111

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que Le Corbusier dimensionne à l’aide du célèbre Modulor. Parallèlement, les recherches et expérimentations de ce dernier sur le thème du logement aboutissent à de nouveaux principes, tels que la notion de plan libre, permettant une grande fluidité spatiale grâce à l’autonomie structurelle, celle de promenade architecturale, ou encore l’indépendance des étages superposés d’une maison, principes illustrées en 1929 dans la Villa Savoye à Poissy.

Le les

Corbusier publie « Les idées architecturales,

cinq points développées

d’une nouvelle architecture », résumant au cours des années précédentes:

1. les PILOTIS Le rez-de-chaussée est dégagé, dédié aux circulations, le jardin passe sous le bâtiment. 2. le TOIT TERRASSE La toiture est désormais accessible, en tant qu’espace extérieur privé, pouvant accueillir de nombreuses fonctions. 3. le PLAN LIBRE Grâce au système structurel poteaux-dalles, rendu possible par l’acier et le béton armé, l’espace se libère, et les séparations s’agencent indépendamment de la structure. 4. la FACADE LIBRE La façade s’affranchit de la structure, dont les colonnes se placent en retrait et les dalles de sol en porte-à-faux. La façade devient une enveloppe légère, librement percée. 5. la FENETRE EN LONGUEUR Les percements opérés dans la façade sont libérés de la contrainte du linteau, permettant ainsi de larges ouvertures. Parallèlement au langage architectural et aux concepts communs propres au Mouvement Moderne, il apparaît important d’indiquer, au sein de ce mouvement, les nombreuses ramifications, plus spécifiques, voire antinomiques. Ainsi, dans le but de nourrir la réflexion autour de l’œuvre d’Alberto Campo Baeza, il est intéressant de souligner l’existence de conceptions distinctes concernant la maison et son environnement. Deux attitudes majeures sont exposées par Richard Padovan dans l’article paru en 1981 dans Architectural Review intitulé « The Pavilion and the Court »1. Elles sont incarnées par deux projets datant de 1929, le Pavillon de Barcelone de Mies van der Rohe et la Villa Savoye de Le Corbusier, comme paradigmes de l’architecture moderniste. Ces projets illustrent de manière particulièrement claire ces deux logiques concernant le rapport de la maison à son espace extérieur, la conciliation des espaces intérieur et extérieur, ouvert et fermé2. Richard Padovan souligne le changement opéré, depuis la maison centrifuge, ouverte noyau en expansion vers l’extérieur, à la maison centripète, enclose. Cette évolution, depuis ce modèle « centrifuge, multidirectionnel », vers le « mégaron unidirectionnel, et la maison à cour introspective», rappelle l’opposition entre la tente nomade et la caverne, évoquée notamment par Frank Lloyd Wright. « La tente, papilionem, pavillon, comme le plus primitif type d’habitation », est un modèle centrifuge, extraverti, revalorisé au 18e siècle, « où la culture européenne commençait à s’organiser autour de deux idéaux opposés, mais complémentaires : l’individuel romantique et l’approche rationnelle, scientifique ».3

1 Padovan Richard, Architectural Review n1081, 1981, p.359-368 2 Ibid. 3 Ibid., p. 360

Le Corbusier, Modulor

Le Corbusier, Dom-Ino


G. Th. Rietveld, Maison Schräder, Utrecht, 1924

Le Corbusier, Les quatre compositions, 1929

Symbolisant les idées romantiques, faisant à leur tour l’écho de la hutte primitive, le modèle du pavillon fut transformé, fin du 18e siècle, en villa suburbaine, de par les notions de proximité à la nature et de liberté individuelle en tant qu’idéal de la maison moderne. Paraphrasant le concept de Rousseau de l’Homme naturel et d’une société libre, Emil Kaufmann décrit dans « Van Ledoux bis Le Corbusier » le système pavillonnaire comme une architecture dans laquelle la partie est libre dans le cadre du contexte.2 Le Stijl, affirme son refus du Romanticisme dès le début du Manifeste de la Fondation : « Il y a une ancienne et une nouvelle conscience de l’âge. L’ancienne est dirigée par l’individualisme. La nouvelle est dirigée vers l’universel. ». Toutefois, plutôt que de s’y opposer totalement, le Stijl tend vers l’universel, sans toutefois renier l’individuel, mais tentant plutôt à le transcender3dans une nouvelle unité. Prenant une certaine distance par rapport à ces ambitions, Le Corbusier, prône les valeurs statiques, éternelles du Classicisme, où la pensée moderne résulte d’un esprit de géométrie, de construction et de synthèse, où l’exactitude et l’ordre représentent des conditions essentielles. « Un standard est nécessaire pour ordonner l’effort humain… La culture est l’épanouissement de l’effort de sélectionner. Sélectionner signifie rejeter, tailler… ; l’émergence claire et nue de l’Essentiel… » Critiquant les travaux du Stijl en 1924, Le Corbusier conclut : « … le temps viendra où on réalisera que la lumière est plus généreuse avec un simple prisme. Alors cette complexité, cette richesse abusive et ces formes exubérantes seront disciplinées sous la ‘protection’ d’une forme pure. On saura que le tout possède une plus grand valeur que cinq ou dix parties. Cette tendance vers un ensemble pur, couvrant l’abondance avec un masque de simplicité, est la seule issue. »4 Dans ce sens, le Pavillon de Barcelone de Mies van der Rohe et la Villa Savoye du Corbusier illustrent deux manières de concilier intimité et espace extérieur. Ils combinent tous deux des éléments du pavillon isolé dans un espace ouvert et de la maison à cour, intériorisée.5 Les deux bâtiments, contenus dans une clôture claire, sont situés dans un espace ouvert, disposent chacun d’espaces extérieurs définis, démarqués de l’espace environnant. Mais là où Le Corbusier semble creuser une masse, Mies assemble les divers éléments dans l’espace vide. L’espace de la Villa est comprimé, clairement délimité, tandis que dans le Pavillon, il semble davantage mis en tension, engendré par la multiplication des limites spatiales et introduisant une transition graduelle entre le public et le privé. L’ensemble de la composition prend place sur un plateau surélevé et maintenu par deux murs en forme de U. L’ensemble est défini par ces parois, mais celles-ci ne sont pas totalement fermées et constituent un « cadre abstrait contenant l’espace coulant à l’extérieur ». 6

Ces deux projets illustrent la préoccupation d’orchestrer l’ouvert et le fermé, que Padovan résume comme suit : Le Pavillon de Barcelone peut être considéré comme un pavillon contenu dans une cour, tandis que la Villa Savoye est considérée comme une cour contenue dans un pavillon.7 Notons également qu’en 1935, les schémas des quatre compositions de Le Corbusier expriment l’évolution des solutions formelles, avec la Villa Savoye représentant une synthèse de l’organisation en plan libre et du cadre clairement défini et refermé. Notons que cette symbiose, où intérieur et extérieur s’interpénètrent dans un espace unifié est magnifiquement accomplie dans le Pavillon de Barcelone en raison de sa vocation symbolique, en tant qu’emblème, et non en tant que véritable habitation.

1 Ibid,p.360 2 Ibid, p.361 3,4 Ibid 5,6,7 Ibid, p.366

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APPENDICE : le Régionalisme Critique

Pour compléter ce point relatif aux concepts « Traditionnels » et Modernistes, nous allons évoquer une notion apparue en architecture plus tardivement, le Régionalisme. Ce point tentera d’alimenter la réflexion concernant l’œuvre d’Alberto Campo Baeza. Certains excès du modernisme suscitèrent, dans les années qui suivirent, de vives réactions, et qui fut qualifié d’austère, froid et insensible aux identités culturelles régionales. Une des branches issues de ces réactions est désigné par le terme régionalisme, plus précisément Régionalisme Critique.1 Le Mouvement Moderne fut interprété différemment de pays en pays, et certains tenants modernistes utilisèrent un dialecte local, mais de manière générale, l’idéologie véhiculée aspirait à la création d’un style unitaire, universel. Même si les qualités émanant des recherches modernistes, ainsi que leur caractère décisif pour l’architecture fut reconnu et apprécié, on reprocha à ce mouvement l’abstraction faite à l’identité et à la signification culturelle.Ce n’est pas tant le Mouvement Moderne en soi, que cette universalisation qui fut critiquée par certains opposants, donnant naissance au Régionalisme, tendance soucieuse de l’aspect identitaire, socioculturel, traditionnel et climatique d’une région. Le terme Régionalisme Critique fut inventé par des historiens, Alex Tzonis et Liane Lefaivre.2 Cette notion fait le sujet d’un chapitre du livre de Kenneth Frampton « Histoire Critique de l’Architecture Moderne », intitulé Post-Scriptum 1983. L’architecture contemporaine et le régionalisme critique. L’auteur introduit 3 ce chapitre par un paragraphe citant Paul Ricœur, dont nous reprendrons ces quelques mots : « Le phénomène d’universalisation, tout en étant un progrès de l’humanité, constitue une sorte de destruction subtile non seulement des cultures traditionnelles, … mais aussi de ce que j’appellerais pour le moment le noyau créatif des grandes civilisations et des grandes cultures (le noyau sur la base duquel nous interprétons la vie, ce que j’appellerais à l’avance le noyau éthique et mythique de l’humanité. C’est de là que surgit le conflit. Nous avons l’impression que cette seule civilisation mondiale exerce en même temps une sorte d’attrition ou d’usure aux dépens des ressources culturelles sur lesquelles sont basées les grandes civilisations du passé).… Est-il nécessaire, pour se lancer sur la route de la modernisation, de renoncer à l’ancien passé culturel qui a été la raison d’être d’une nation ?…Là se trouve le paradoxe : comment devenir moderne et revenir à ses sources ; comment raviver une vieille civilisation latente et faire partie d’une civilisation universelle… »

1 Frampton Kenneth, Histoire Critique de l’Architecture Moderne, 1985 2,3 Ibid, p.276

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Kenneth Frampton définit par la suite cette notion de régionalisme critique comme suit : « Le régionalisme critique n’est pas tant un style ou une tendance idéologique particulière qu’un effort pour résister – sans tomber dans la nostalgie inutile ni dans les stratégies démagogiques du kitch – aux conséquence politiques et culturelles réductrices du capitalisme des multinationales.(…) Si on pouvait isoler un principe unique du régionalisme critique, ce serait certainement un engagement ontologique envers le lieu plutôt que l’espace(…). Etant donné que son principe de base est la création du lieu, le modèle général que l’on doit adopter est l’ « enclave », c’est-à-dire la mise en forme d’un fragment limité contre lequel l’inondation indéfinie du non-lieu se trouvera momentanément mise en échec. » 1 Deux branches pourraient être distinguées au sein de cette tendance2. Le Régionalisme dit concret, teinté d’une certaine passivité face à l’héritage, se contentant de le reproduire, tandis que le Régionalisme abstrait, prenant un certain recul face au bagage, et le réinterprète au sein d’un nouveau projet. « La démarche que nous avons appelée régionalisme abstrait (…) n’est pas une voie facile et requiert une certaine subtilité. Le fait qu’elle se fonde sur des valeurs implique qu’elle est plus facilement illustrée que définie. On peut dire que le Régionalisme abstrait intègre des qualités existantes à un nouveau projet architectural, au lieu de reproduire concrètement un bâtiment. Il réinterprète par exemple, des éléments tels que la masse, le vide, le sens de l’espace, l’exploitation de la lumière et des proportions, ainsi que des principes structurels, et les intègre à des bâtiments contemporains au lieu de simplement copier des portes, des fenêtres, des toits, des décorations ayant existé. Le Régionalisme abstrait utilise un métalangage dérivant de l’expérience et d’éléments assimilés au lieu d’imiter des réalités physiques… des bâtiments. Pour pouvoir abstraire et définir, il doit d’abord faire l’expérience des éléments, les étudier point de vue historique et les transformer au long d’une réflexion intellectuelle pour les mettre en rapport avec le monde actuel. Il doit donc définir la culture dominante de la région concernée en termes d’éléments architecturaux. Il s’agit là d’une démarche longue et ardue qui, parfois, requiert beaucoup d’idéalisme. » 3 Soulignons que la plupart des architectes privilégiant le régionalisme utilisèrent des instruments et techniques fournis par le modernisme pour la réalisation des ambitions régionalistes. On accepte ainsi les matériaux, techniques et exigences de l’époque, mais l’expression de l’espace construit rappelle un lointain passé culturel. 4

1 Ibid, p.296 2,3 Ozkan Suha, Architecture et Comportement, vol.8, n4, 1992, p.361 3 Ibid,p.354


CRITERES D’ANALYSE

« As an art, architecture is more than satisfying functional requirements of a building program… the arrangement and ordering of forms and spaces also determine how architecture might promote endeavors, elicit responses, and communicate meaning. »1 Francis D.K. CHING

Ce travail vise à éclaircir certains aspects de l’œuvre d’Alberto Campo Baeza, afin de mieux cerner les configurations spatiales présentes et les éléments concrets qui les matérialisent, mais également en vue de vérifier les intuitions premières. Cette mise en exergue se basera sur une étude analytique et comparative de ses œuvres, s’appuyant sur des critères précis permettant de constituer un outil de lecture clair et efficace. Le choix des critères analytiques a constitué une étape capitale. « ils illustrent la manière dont l’architecture exprime l’intégration harmonieuse de parties interagissant mutuellement dans un tout unifié et complexe.» 2 Les critères principaux, d’ordre général, sont indispensables à la compréhension de tout projet architectural. Ils sont utilisés de manière universelle, indépendamment de la fonction, de l’échelle, ou du contexte. Ils se doivent de garder un regard neutre sur l’œuvre de l’architecte, donnant éventuellement lieu à de nouvelles associations, avec la possibilité d’une première vérification. Ces critères sont au nombre de quatre: - Contexte - Système spatial - Système Structurel - Circulation Ces premiers critères permettent une compréhension globale de chaque projet. Néanmoins, mes recherches ont été guidées par les référents personnels auxquels ces projets font allusion. Ils renvoient, de manière tout à fait intuitive et subjective, à l’architecture méditerranéenne traditionnelle et à certaines caractéristiques de l’architecture moderniste. Les principes propres à ces deux tendances architecturales, traditionnelle et moderniste, viendront étoffer, voire compléter, ces critères généraux, en vue de permettre une comparaison de l’œuvre de Campo Baeza, mettant en lumière d’éventuelles filiations ou oppositions à cet héritage. Après avoir approfondi l’architecture domestique traditionnelle de la région méditerranéenne, axée sur le génotype de la maison à patio, de nouveaux concepts émergent, liés aux tendances et aux acteurs principaux susceptibles de synthétiser le modèle de la maison à patio.

1 D.K.Ching, Architecture, Form, ans Order, Introduction IX 1996 2 Ibid (traduction personnelle)

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Le point précédent abordait de manière condensée les caractéristiques et acteurs principaux de la maison à patio. Certains de ces éléments sont présents dans les critères généraux. Ils viendront les étoffer, par un regard plus spécifique, afin de permettre la vérification des analogies intuitives entre l’œuvre de Campo Baeza et cet héritage traditionnel. Le rapprochement à l’architecture moderniste constituera un « filtre de lecture » supplémentaire. Comme mentionné précédemment, le modernisme est une période relativement complexe et vaste de l’histoire de l’architecture. Il se caractérise par une vision collective ainsi que par des techniques et un langage commun qui peuvent être résumés à l’aide de concepts synthétiques, abordés précédemment. Au sein du modernisme, la dialectique intérieur/extérieur, ouvert/fermé constitue un point fondamental, particulièrement pertinent lorsqu’il s’agit d’analyser des projets domestiques d’Alberto Campo Baeza. Comme souligné, ce questionnement est soulevé par Richard Padovan, dans l’article paru en 1981 dans Architectural Review , intitulé « The Pavilion and the Court ». L’auteur désigne deux branches se détachant au sein du Mouvement Moderne, tentant de concilier espace ouvert et fermé, par le biais de deux projets emblématiques. Ces deux projets sont la Villa Savoye, de Le Corbusier et le Pavillon de Barcelone de Mies van der Rohe, datant tous deux de 1929. Ces notions viendront ainsi étoffer les critères généraux en vue d’une meilleure compréhension du travail de Campo Baeza et de la mise en lumière d’éventuelles filiations ou contrastes avec certains concepts modernistes. Nous aborderons, à titre d’exemple, le rapport entre la structure, les séparations intérieures et l’enveloppe, dans la matérialisation des différents éléments constructifs, leur positionnement, et la définition spatiale résultante. Ainsi, en vue de proposer une lecture à la fois globale et spécifique, les divers critères élaborés par ces différentes approches seront synthétisés en sept points principaux, constituant la grille de lecture pour chaque projet : - CONTEXTE - COMPOSITION et ORGANISATION - STRUCTURE - CIRCULATION - PUBLIC/PRIVE - ESPACE EXTERIEUR PRIVE - ESPACE PRINCIPAL A l’aide de ces points qui brassent les principales caractéristiques, nous établirons une comparaison des projets étudiés. La confrontation établie sous ces différents angles permettra de mieux comprendre les principes propres au travail de Campo Baeza et, éventuellement, de retracer une évolution au sein de son travail domestique, voire d’établir une classification typologique.


Précisions concernant les points d’analyse :

Le point consacré au Contexte, au rapport au site, étudiera les caractéristiques du site, la manière dont le bâtiment vient s’y ancrer – ou s’en détache – la manière dont il est perçu, la volumétrie et les façades ainsi que les rapports visuels et physiques avec l’environnement. Nous tenterons également de caractériser les projets selon le contexte, urbain ou rural, dans lequel ils s’implantent. Toutefois, une remarque doit être formulée concernant ce point. Etant donné l’importance du tissu dans lequel le bâtiment s’implante, permettant une lecture juste, il est primordial de connaître le caractère, la densité et la morphologie du contexte. Faute de documents disponibles, cet aspect ne pourra être étudié que partiellement. Certaines déductions sont toutefois possibles pour certains projets, à l’aide de documents complémentaires. La partie Composition et Organisation abordera l’agencement géométrique de chaque maison ainsi que les principes organisationnels. Il est question ici de la manière dont l’espace est ordonné à l’aide d’axes, d’une trame, de la symétrie, de formes géométriques, d’une hiérarchie… ainsi que la manière dont les fonctions sont distinguées au sein de cette ossature. Au point Structure, nous étudierons les éléments constructifs et spatiaux auxquels correspond la structure, la corrélation de celle-ci avec les séparations intérieures et la façade ou, au contraire, l’autonomie de ces éléments. Leur positionnement ainsi que les limites spatiales qu’ils génèrent y seront également abordés. La partie Circulation incluera les déplacements horizontaux et verticaux et décrira leur position, leur nombre et leur hiérarchie. Cette partie sera complétée par le type de système d’entrée. La question Public/Privé abordera la définition de ces deux types d’espaces ainsi que la relation et la transition de l’un à l’autre. Notons que ce point s’appuie et complète les précédents. L’étude de l’Espace Extérieur Privé prolonge la réflexion autour du rapport public/privé, intérieur/extérieur, etc. Il constitue un point clé de l’allusion à la maison à patio traditionnelle et des préoccupations modernistes. Enfin, le point relatif à l’Espace Principal de la maison trouve écho dans la typologie de la maison traditionnelle, mais également moderniste, reprenant la notion de « cœur » de la maison et des dispositifs spatiaux qui ledéfinissent. Nous étudierons son positionnement dans la composition ainsi que les rapports entretenus avec les autres espaces.

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CHOIX DES PROJETS

Ce travail s’articule autour de l’architecture domestique d’Alberto Campo Baeza. Ce choix a été guidé par divers facteurs. Un premier élément a été l’analogie fonctionnelle. Véritable dénominateur commun, il rend possible la comparaison des différents projets, confrontant des espaces à vocation commune. La présence – ou absence – et la variation d’éléments ou de configurations au sein des projets mettent en exergue certaines préoccupations de l’architecte. Il devient ainsi plus aisé d’envisager une évolution ou une classification du travail de l’architecte. Le choix a également été porté sur « la maison » en tant qu’archétype. Omniprésent depuis toujours dans l’histoire de l’architecture, indépendamment des âges, des régions ou des cultures, il est ancré dans la mémoire collective de tout un chacun. Il s’agit également du modèle illustrant clairement les évolutions enregistrées tout au long de l’histoire de l’architecture, expérimenté en permanence et faisant partie de notre quotidien.

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ALBERTO CAMPO BAEZA

Ce point fournira une toile de fond nécessaire à la compréhension de l’architecture d’Alberto Campo Baeza. Il se base sur les écrits de divers auteurs et critiques, tels Kenneth Frampton, Antonio Pizza, ou Alberto Campo Baeza même. Nous tenterons de synthétiser ici le contexte général ainsi que le parcours de l’architecte, ses influences directes et principales collaborations. Ensuite, nous isolerons et expliciterons certains concepts émergents dans les recherches de l’architecte. Nous poursuivrons ensuite notre étude par une approche plus concrète des réalisations domestiques de l’architecte.

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BACKGROUND DE L’ARCHITECTE

Alberto Campo Baeza achève ses études d’architecture à la Escuela de Arquitectura de Madrid, en 1971. L’Espagne de cette époque traverse une période de transition, particulièrement palpable dans la sphère politique, passant d’un Etat dictatorial autarcique à un Etat démocratique non militarisé, entraînant la chute du régime franquiste. L’architecture madrilène connaît alors une forte demande en logement, caractérisée par la recherche d’une nouvelle identité politique opposée aux idées centristes de Franco. 1 Ce caractère transitoire se retrouve de manière significative dans le travail de l’architecte, caractérisé par une évolution progressive vers une forme d’abstraction graduelle des éléments contextuels. Comme le décrit Antonio Pizza, « depuis le début, l’architecture de Campo Baeza fut une architecture de transition, un changement graduel, d’un travail reflétant des inquiétudes architecturales localistes, vers une forme d’abstraction basée sur un mépris pour les contextes spatiaux, temporels, sociaux et culturels de l’architecture. »2 Durant les premières années de sa carrière, le travail de Campo Baeza s’enrichit au contact d’architectes contemporains de renom, tels que Le Corbusier, Mies van der Rohe, Barragán ou Tadao Ando et plus particulièrement au contact d’architectes espagnols de cette période, côtoyés de manière plus directe, et avec lesquels il collabore parfois. Ces expériences poseront les jalons de son travail, amorçant ce qui deviendra plus tard son style unique et personnel. Parmi ces architectes, nous pouvons citer Javier Carvajal, Francesco Javier Sáenz de Oíza, Alejandro de la Sota et Julio Cano Lasso. Certains de leurs projets marquent de manière singulière le travail d’Alberto Campo Baeza, réalisations citées par Antonio Pizza, dans Alberto Campo Baeza, Works and Projects.3 Ainsi, le projet pour l’Ecole des Hautes Etudes Mercantiles de Barcelone de Carvajal, et R. García de Castro, est particulièrement apprécié par l’architecte : « Carvajal démontre une habilité surprenante à articuler l’espace, la même connaissance approfondie de l’espace séquentiel qu’on retrouve chez les architectes de l’Alhambra, un bâtiment qu’il admire beaucoup. Ses plans, coupes, et élévations se développent de manière si fluide, que ses bâtiments semblent la chose la plus naturelle du monde. Tout se traduit par des formes de grand pouvoir. Son type de forme est une distillation des circonstances et de contraintes qui déterminent la nécessité architecturale. » 4 Carvajal - García de Castro, Ecole Hautes Etudes Mercantiles, Barcelone

Comme résumé par Antonio Pizza5, ce projet est fortement apprécié par l’architecte, qui admire, après une analyse aiguë, son « évidente linéarité, la dialectique entre le socle relativement compact qui s’enracine dans le sol et les locaux de classe, transparents, lumineux qui s’élèvent au-dessus de celui-ci »6. Il souligne également « l’importance

1,2,3 Pizza Antonio, Alberto Campo Baeza, Works and Projects,1999, p.7 4 Campo Baeza Alberto, La Idea Construida;Arquitectura a la luz de las palabras,1996 5 Pizza Antonio, Alberto Campo Baeza, Works and Projects, Op.cit., p.9 6 Campo Baeza Alberto, La Idea construida, Op.Cit.

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du cadre qui, à part sa fonction apparente de structure, rend évident les rythmes spatiaux et iconographiques de l’ensemble »1. Baeza d’ajouter : « …en transmettant non seulement le poids de la gravité au sol, mais également un sens de l’ordre à l’espace ». Baeza admire Sáenz de Oíza non seulement pour son « radicalisme persuasif » (Torres Blancas, Madrid, et Banco de Bilbao y Vizcaya Building, Madrid), mais également pour le « magnétisme » de l’Auditoire à Santander et l’enceinte complète dressée autour du complexe résidentiel sur la M30, à Madrid. Antonio Pizza désigne la parenté avec Alejandro de la Sota, relevée dans deux projets : le Gymnase Colegio Maravillas à Madrid et le Gobierno Civil à Terragona. Ces projets témoignent d’une synthèse conceptuelle, structurelle et formelle, dotant le projet d’une charge émotionnelle, rehaussée par le maniement de la lumière, la couleur et texture. Baeza fait la comparaison entre l’ « extrême élégance gestuelle, et exactitude des phrases encadrées de silence »2 et le style mature de Mies van der Rohe.

Alejandro de la Sota, Gymnase Colegio Maravillas, Madrid

Comme le souligne Antonio Pizza, une influence primordiale exercée par de la Sota sur le travail d’Alberto Campo Baeza est révélée par « l’ « idéalisation » l’ayant emmené, de manière plus obsessive, vers une architecture dans laquelle formes, fonctions, composants standards ou volumétriques du dessin architectural sont synthétisés - et pour cela sublimés dans une démonstration unifiée, chargée d’implications théoriques »3. Enfin, le travail d’Alberto Campo Baeza est fortement influencé au contact de Julio Cano Lasso. Passant graduellement du rôle d’élève à celui d’assistant, leur collaboration culmine dans la réalisation de plusieurs Centres d’Entraînement Professionnel à Vitoria, Salamanca et Pamplona, ainsi que de l’Université Laborale de Almería. Ce dernier constitue un apport substantiel dans le travail futur de l’architecte. La filiation à ce projet, préalable au développement du style personnel de Campo Baeza, est facilement discernable grâce à certains principes compositionnels et organisationnels.

Alejandro de la Sota, Gobierno Civil, Terragona

Ainsi, notons le croisement des deux axes orthogonaux, la trame ordonnant la composition, sur laquelle viennent se disposer des volumes austères, sans fioritures, en plâtre blanc. Les façades extérieures aveugles contrastant avec l’extraversion du bâtiment sur des cours intérieures ouvertes sur le ciel, marquent des « événements spatiaux » dans le paysage rocailleux. Lasso explicite également l’ancrage dans la tradition méditerranéenne : « Nous voulions greffer quelque chose d’authentiquement rationnel dans les racines de la tradition méditerranéenne de l’Andalousie. Nous pensions important de démontrer que les traits et caractéristiques de l’architecture populaire pouvaient être employés pour créer des bâtiments totalement modernes et fonctionnels, qui sont beaucoup plus adaptés à beaucoup de nos environnements qu’une architecture intellectuelle importée. »4

1,2 Campo Baeza Alberto, La Idea Construida, Op.Cit. 3 Pizza Antonio, Alberto Campo Baeza, Works and Projects, op.cit., p.9 4 Campo Baeza Alberto, La Idea construida, Op.Cit.

Julio Cano Lasso, Centre d’Entraînement Professionnel, Almería


CONCEPTS EMERGENTS

« L’architecture est une idée exprimée par des formes… l’idée sous forme ‘construite’. Loin d’être une histoire des formes, l’histoire de l’architecture est réellement une histoire d’idées construites. Les formes sont détruites avec le temps, les idées restent, et sont éternelles. »1 Dans le recueil de ses principaux écrits, « La idea construida. La arquitectura a la luz de las palabras », Alberto Campo Baeza expose sa vision de l’architecture. Des conceptsclé émergent. 2 Ce chapitre a pour objectif la synthèse et la clarification de ces notions, aidant à la compréhension de son œuvre. Elles constituent une base à caractère idéologique, situant, structurant et guidant son travail. Cependant, le développement et la vérification de ces concepts sous un aspect théorique ne constituent pas l’objectif de ce travail. Ils seront succinctement exposés à ce point afin de conserver une ligne claire (nous les retrouverons dans la seconde partie de ce travail, sous une forme plus concrète). La construction du plan horizontal – ETABLISSEMENT DE L’ARCHITECTURE La réflexion proposée par l’architecte prend comme point de départ la relation ancestrale que l’homme entretient avec la terre, et plus particulièrement avec le plan horizontal. Indépendamment des époques, celui-ci est compris ici comme « un mécanisme, une situation, liés au thème le plus basique de l’homme et sa condition d’être physique, dépendant de la gravité, inévitable ». 3 Le plan horizontal représente la tentative de domination première de l’homme sur la nature, l’aidant à se positionner dans l’espace et à lutter contre la gravité. Cette notion, déjà présente dans la caverne originelle, s’amplifie lorsqu’il l’abandonne à la recherche d’un site plat afin d’y établir sa cabane. La géométrie est le moyen utilisé pour marquer son territoire, « différenciant l’homme de l’animal ». Une fois le sol défini et délimité, il cherchera à se protéger des intempéries et de l’environnement en construisant un toit et des murs. Ces protections délimitent une fois de plus le plan horizontal, verticalement et horizontalement. Elles sont matérialisées à différents stades et la hauteur du plan horizontal peut varier selon les projets. 4

1 Campo Baeza Alberto, La Idea Construida;Arquitectura a la luz de las palabras,1996 2,3,4 Ibid

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A l’aide de ces premiers concepts, l’architecte explicite de nombreux projets de différentes époques. Notamment, par trois projets de renom : La maison Farnsworth, la villa Savoye, et la maison Utzon, respectivement sous la métaphore de radeau, bateau, ou quai. STEREOTOMIQUE - TECTONIQUE Alberto Campo Baeza se base sur ces deux termes pour caractériser ses bâtiments ou des parties de ceux-ci. A la lumière de ces concepts, il explique l’histoire de l’architecture, l’évolution des techniques et des matériaux et la pérennité des bâtiments éminents. Ils sont intrinsèquement liés aux termes du point suivant, GRAVITE et LUMIERE et représentent le « contraste entre l’inertie de la masse et les effets d’élévation de la lumière ».1 Définition usuelle: Stéréotomie : « Science de la taille et de la coupe des solides employés dans l’industrie et la construction ». Tectonique : « Partie de la géologie qui étudie les déformations des terrains, sous l’effet des forces internes, postérieurement à leur mise en place ».2 Etymologie : Stéréotomique : stéréo-, du grec « stereos », signifiant solide, sous-entendu à trois dimensions, donc, dans l’espace. Tectonique : tecto-, du grec « tekton », signifiant charpentier, constructeur. L’utilisation de ces deux termes dans le domaine de l’architecture est introduite par Godfried Semper (1851), sous la forme complète de « Stereotomics of the earthwork » et « Tectonics of the frame ». Ces termes sont de nature différente et s’opposent l’un à l’autre, comme la maçonnerie s’oppose à la charpente3, image découlant naturellement de l’origine étymologique de ces termes. Kenneth Frampton abrège leur appellation aux termes Stereotomic et Tectonic, mais le contenu demeure identique. Le Labor work and Architecture de Frampton, consacre un chapitre à la définition et à l’usage de ces termes. Dans un souci de clarté et de concision, ces concepts seront exposés ici sous forme de tableau, permettant de dégager leur caractère antagoniste.

1 Campo Baeza Alberto, La Idea Construida;Arquitectura a la luz de las palabras,1996 2 Petit Larousse Illustré, 1978 3 Frampton Kenneth, Labor Work and Architecture, Phaidon, 2000


STEREOTOMIQUE

TECTONIQUE

 lié à la TERRE, issu d’elle, s’ancre à elle, dans elle

 lié au CIEL, légère, aérienne, linéaire, se pose sur la terre

 structurellement MASSIVE

 structurellement LEGERE - GRILLE

 Force Gravitationnelle transmise en masse, de manière continue

 Force Gravitationnelle transmise de manière ponctuelle, momentanée

 matériaux : brique, pierre, adobe, béton armé…

 matériaux : bois, plus tard l’acier et le verre

 matérialité de la masse

 dématérialisation de la masse

 OBSCURITE, cherche la lumière

 LUMIERE, fuit la lumière

 CAVERNE

 CABANE

Alberto Campo Baeza insiste sur le fait que ces concepts ne sont pas simplement théoriques, abstraits, mais les décrit comme architectoniques, nous renseignant selon l’architecte, sur la partie d’un bâtiment voulant se rattacher à la terre, en continuité avec elle, ou sur la partie qui cherche à s’en détacher, en établissant un contact minimum avec elle. Certaines maisons dessinées par l’architecte illustrent de manière hautement intelligible le caractère antagoniste de ces principes ; d’autres s’expriment avec moins d’évidence. Notons l’éventuelle dissociation au coeur de la maison, des espaces abritant des fonctions domestiques, dites « animales » ou intellectuelles, dites « cérébrales ». Deux autres acteurs émergent de cette dualité : le Socle stéréotomique, aspirant à la terre, massif, minéral, pesant, et la Plateforme tectonique, flottante, légère, rendue possible uniquement par l’emploi du béton armé et de l’acier. Enfin, il est important de souligner le rôle fondamental qu’occupent la structure et les matériaux de construction dans la définition de ces concepts. Citant Kenneth Frampton : « Nous devons revenir à l’unité structurelle, comme essence irréductible de la forme architecturale. », il en reprend le contre-exemple concernant la cathédrale gothique, où un matériau stéréotomique adopte des caractéristiques tectoniques, fonctionnant structurellement comme une grille, telle une prémonition de ce qui deviendra, quelques siècles plus tard, le Mouvement Moderne. 1

1Campo Baeza Alberto, La Idea Construida;Arquitectura a la luz de las palabras,1996

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GRAVITE - LUMIERE Ces notions occupent une place importante dans l’architecture de Campo Baeza et permettent de transcrire un contenu poétique en une « réalité physique », l’architecture, comprise comme l’ « idée exprimée par des formes »1. Définitions 2: Gravité : Pesanteur ; physique : attraction terrestre exercée sur les corps. Lumière : (Ondes électromagnétiques) éclairant les objets, les rendant visibles. Clarté que le soleil répand sur la terre. Alberto Campo Baeza explique leur caractère complémentaire, leur relation aux concepts Stéréotomique et Tectonique, en introduisant la notion de Temporalité : la Gravité, avec la structure comme réponse matérielle, construit l’Espace. La Lumière construit le Temps ; elle constitue la seule force capable de vaincre la gravité, perforant la structure massive faisant flotter l’espace. Possédant autant d’entité matérielle que la pierre, elle est capable de tendre et d’unifier l’espace. Elle constitue le thème central de l’architecture passée et surtout future. Ainsi, les innovations modernes comme le verre et l’acier seraient directement liées à la gravité et à la lumière3. L’architecte distingue différents types de lumière, horizontale, verticale et diagonale, définis par la position du soleil par rapport aux plans composant l’espace. Une autre distinction est établie entre la lumière solide, du Sud, directe, et la lumière diffuse, du Nord, réfléchie. Sans tomber dans l’excès, la combinaison de ces deux types représente pour l’architecte le secret des éminentes réalisations architecturales à travers les époques. Comme le souligne Pizza, la Gravité, force statique invisible et la Lumière, force électromagnétique invisible, peuvent être envisagées comme des valeurs absolues, éternelles, détenant un caractère transcendant4. Ce dernier souligne également le contenu nostalgique des œuvres de Baeza, affirmé par ce qu’il appelle un « mysticisme de la lumière ». Cette notion, associée à la création d’un monde artificiel et introverti, avec le ciel comme seul contact avec le reste du monde, renvoie à la « nostalgie de l’existence primitive – et de la plénitude spirituelle perdue – cadencée par la dialectique de la lumière et de l’obscurité »5.

BEAUTE - ESSENTIEL - ABSOLU « L’Architecture doit offrir à l’Homme cet autre, mystérieux et tangible qu’est la Beauté. »6 Comme décrit par Pizza, « cette Beauté est nécessairement située hors du temps et de l’espace, renvoyant à une perfection classique, un savoir idéal. Elle est une matérialisation physique, transcendant les contraintes géographiques et temporelles de l’histoire chronologique. » 7 Ainsi, il définit l’architecture de Baeza comme inclusive des réalités inévitables (fonction, contexte, technique, économie) et formellement exclusive, dans la réduction des éléments à l’essentiel. Réinterprétant le fameux « Less is more » de Mies van der Rohe, Baeza synthétise son architecture par l’allégorie « More with less », proposant une architecture dite essentielle, d’IDÉE, ESPACE et LUMIERE. Il résume8 : L’Idée est la synthèse des facteurs concrets (contexte, fonction, composition, construction).

1 Campo Baeza Alberto, La Idea Construida;Arquitectura a la luz de las palabras,1996 2 Petit Larousse Illustré, Op.Cit. 3, 4, 5 Pizza Antonio, Alberto Campo Baeza, Works and Projects, Op.Cit. 6, 7, 8 Campo Baeza Alberto, La Idea Construida, Op.Cit.


L’Espace, créé par la forme, traduit l’idée, est tendu par la lumière. Les formes géométriques élémentaires définissent le caractère essentiel de l’espace. La Lumière, matière de base, met l’espace en tension. Comme souligné par Pizza, Essentiel n’est pas Minimal. « L’essentialité est une notion plus conceptuelle, suggérant la simplification, la purification, l’expression de l’essence. » L’architecture qui demeure, dite du futur, est considérée par Baeza comme gravitant autour des points suivants : l’Homme (au centre), la Beauté, la Lumière et la Gravité. L’Architecture est métaphoriquement comparée au grain de riz : petit, bon marché, concentré et nourrissant. Comme lui, elle nécessite un temps précis de préparation, dédié à l’analyse, la réflexion, la synthèse, la solution rigoureuse et la construction. Il la distingue de l’architecture du Kleenex, abondante, véhiculant les erreurs majeures de notre temps : le manque de temps consacré au projet, la surabondance d’éléments ornementaux et l’emploi excessif de la technologie1. En ce sens, l’architecte explique l’usage de la couleur, le BLANC en tant que « base sûre et efficace »2 pour la lumière, mais également comme symbole du pérenne, de l’universel, présent dans les bâtiments éminents ayant traversé le temps.

1, 2 Campo Baeza Alberto, La Idea Construida, Op.Cit.

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PROJETS

ALBERTO CAMPO BAEZA

1. GARCIA DEL VALLE HOUSE, 1974 2. FOMINAYA HOUSE, 1974 3. TUREGANO HOUSE, 1988 4. DALMAU HOUSE, 1990 5. GARCIA MARCOS HOUSE, 1991 6. 4 VILLAS, 1992 7. JANUS HOUSE, 1992 8. GASPAR HOUSE, 1992 9. PINO HOUSE, 1999 10. BLAS HOUSE, 2000 11. ASENCIO HOUSE, 2001 12. GUERRERO HOUSE, 2006 13. MOLINER HOUSE, 2007 14. OLNICK SPANU HOUSE, 2007

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CONTEXTE

#1 GARCIA DEL VALLE HOUSE ~ 255m² Algete (Madrid), Espagne 1974

Cette maison s’insère dans son environnement, par le jeu des différents plateaux horizontaux, les prolongements visuels vers l’extérieur qu’il offre, ainsi que l’ancrage du bâti dans la déclivité du terrain. Les façades sont perforées et les espaces intérieurs se développent de manière à profiter des vues étendues sur le paysage, au Nord du site. Contrebalançant cette horizontalité, le volume de l’escalier, et surtout celui de la cheminée, s’élancent vers le ciel, exprimant ainsi le noyau de la maison tel un signal dans le paysage. L’utilisation de la brique, ainsi que l’épaisseur donnée aux plateaux renforce l’ancrage au site. COMPOSITION/ORGANISATION Parallèlement au jeu d’horizontalité et verticalité présent dans la composition volumétrique, les plans répondent à une orthogonalité absolue. La composition générale est géométrique, mais la forme globale est irrégulière, développant un contour fragmenté. La maison se développe sur deux niveaux de vie. L’axe principal de la maison, d’environs 33 x 6 m, contient les principaux espaces de la maison, avec une différenciation entre les espaces de vie, au rez-de-chaussée, et les espaces « nuit » situés à l’étage. Au niveau de l’entrée, nous remarquons une claire division du volume au niveau du noyau de circulation : les espaces de service dans la partie encastrée dans le sol, les espaces de vie, surplombant le terrain et s’ouvrant sur la paysage. Perpendiculairement à cet axe principal, deux autres volumes se greffent, abritant des espaces de service ou secondaires, tels bureau et chambre. D’autres volumes viennent s’annexer à la composition, correspondant à des espaces mineurs, participant dans l’ensemble au système d’entrée, ou encore au prolongement de l’espace intérieur vers l’extérieur, etc. STRUCTURE Les murs intérieurs ainsi que la façade ont une fonction portante. Les percements sont limités, à l’exception de l’espace de séjour où la façade est légère. CIRCULATION De manière générale, la circulation est démultipliée et diffuse, se développant selon les mêmes axes orthogonaux de la composition. La circulation principale s’organise selon un système de trois axes : x, y, et z, convergeant au même point, et les déplacements secondaires s’appuient sur ces mêmes axes. L’entrée est centrée dans la composition. PUBLIC/PRIVE L’ensemble de la maison est posé dans un espace vaste, ouvert sur l’environnement. Les ouvertures sont hiérarchisées afin de garantir l’intimité selon la fonction des pièces.

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De même, les espaces extérieurs contigus sont protégés par un parapet. De manière générale, nous constatons une première hiérarchisation de l’espace, entre l’espace invité au rez-de-chaussée, et les espaces des chambres à l’étage. Au niveau de l’entrée, nous retrouvons une nette séparation entre espace séjour et chambre, contenus dans deux volumes distincts. Le cheminement depuis l’espace public vers l’espace privé se fait de manière linéaire, passant par une succession de filtres, marquant progressivement le degré d’intimité: 1. Toiture 2. Escalier 3. Palier 4. Seuil d’entrée 5. Porte d’entrée 6. Vestibule 7. Chicane ESPACE EXTERIEUR PRIVE L’espace extérieur privé est limité aux appendices des pièces de vie, surélevés du sol et situés au même niveau que celles-ci. A l’exception du séjour, où la terrasse est périphérique sur trois côtés, les espaces extérieurs prolongent les pièces de vie de façon unilatérale. Le parapet délimitant ces espaces permettent des vues directes sur l’environnement, et la nature s’y prolonge au moyen de végétation grimpante. ESPACE PRINCIPAL L’espace du séjour est positionné de manière latérale, isolé du reste de la maison par l’axe de circulation principale. L’accès depuis le hall s’opère en « chicane », en contournant le bloc de service central. La transition depuis l’espace public est séquencée par les divers espaces parcourus, dont la taille, le degré de cloisonnement, la luminosité, les vues, etc. diffèrent fortement. L’aboutissement, l’espace de vie, est ouvert et lumineux, à son tour cadencé par une série de sous-espaces mis en scène, créant divers moments spécifiques. De manière générale, nous constatons un fort contraste entre l’espace de séjour, entièrement vitré et ouvert sur le paysage, et le reste des pièces, aux vues fortement dirigées par les ouvertures limitées. Le living room est à la fois extériorisé vers l’environnement, et isolé, par le socle de la terrasse en hauteur et du parapet. A l’extérieur, la circulation est périphérique, mais son accès se fait exclusivement à partir du séjour. Cette dernière donnée renforce l’effet « observatoire », isolé, de cet espace de vie surplombant le paysage, et le débordement, de la toiture et de la terrasse, forment de véritables cadrages visuels, accentués par la hauteur sous plafond relativement restreinte. La lumière pénètre à l’intérieur de façon horizontale et indirecte. Notons également la double notion de centralité dans l’espace de séjour, caractérisée par la circulation périphérique, ainsi que la présence du noyau de la cheminée, symboliquement élancé vers le ciel.

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#2 FOMINAYA HOUSE ~ 170m² Algete (Madrid), Espagne 1974 CONTEXTE La maison présente une plus grande restriction formelle que la précédente, et se caractérise par différents volumes, à l’allure plus compacte, correspondant aux différentes fonctions intérieures. L’ensemble se présente comme une composition de masses minérales cubiques additionnées, surgissant du sol et fortement ancré à celui-ci. Les façades en brique sont relativement fermées, percées de façon unilatérale selon la pièce intérieure. Notons ici aussi la présence de l’élément vertical de la cheminée, ainsi que du volume de l’escalier, plus compact. COMPOSITION / ORGANISATION Ici également, nous retrouvons une composition orthogonale en plan, et une orientation des ouvertures presque exclusivement Nord-Sud. Malgré une plus grande compacité, la trame compositionnelle présente de nombreuses exceptions et débordements. La maison est clairement scindée en deux entités : la partie consacrée aux activités de jour et de réception, et la partie plus intime des chambres, sanitaires et bureau, possédant un étage, contrairement aux espaces de séjour, de plain pied. Le séjour, salle à manger, et la cuisine s’organisent au Sud autour d’un espace extérieur, unifiant l’ensemble, lui attribuant un caractère intime et introverti. Contrairement aux espaces de jour, les chambres sont séparées par un couloir de nuit, et sont fortement compartimentées, sentiment renforcé par l’orientation disparate des vues, conférant à cette partie un caractère plus individuel et centrifuge. STRUCTURE Les murs séparateurs ainsi que la façade ont une fonction portante. Les percements sont limités. CIRCULATION L’entrée principale est centrée dans la composition, et la circulation se développe selon des axes orthogonaux. Notons une réduction des circulations, résultant sans doute de la compacité souhaitée. Ainsi, la circulation s’organise selon un système de trois axes : x, y, et z, ne convergeant pas en un même point. L’escalier se place ici à l’entrée, à distance du point de rencontre des deux autres axes horizontaux. Notons le contraste entre les parties jour - nuit, où, contrairement à la partie nuit, la circulation dans la partie jour est démultipliée, unifiant les différents espaces intérieurs, et les mettant en relation directe avec l’espace extérieur privé. PUBLIC/PRIVE L’ensemble de la maison est posé dans un espace vaste et ouvert sur l’environnement,

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sans autre enceinte que les façades mêmes, percées une fois de plus de manière à garantir l’intimité. Néanmoins, la configuration de la partie jour possède un caractère centripète, autour de l’espace extérieur privé. Celui-ci est partiellement ouvert sur l’environnement, mais abrité des regards grâce à son niveau surélevé du sol, ainsi que par un parapet l’entourant. Cet espace possède son accès direct, secondaire. Comme noté, nous constatons une forte hiérarchisation des espaces jour et nuit. L’accès principal de la maison dessert les deux parties distinctes de l’habitation, regroupées par le même couloir d’entrée, aux dimensions réduites et relativement sombre, créant ainsi une séquence dans le parcours, de par le contraste avec les pièces de vie. La transition public – privé est filtrée par divers éléments : 1. Escalier 2. Palier extérieur 3. Chicane 4. Seuil 5. Porte d’entrée 6. Vestibule – Couloir 7. Chicane Notons ici la position de l’escalier, proche de l’entrée principale, éloigné du cœur névralgique de la maison. ESPACE EXTERIEUR PRIVE L’espace extérieur privé de la maison se réduit à la terrasse autour de laquelle s’agencent les pièces de vie. Comme souligné, elle unifie ces espaces intérieurs, par les vues et les circulations, et possède son accès direct, secondaire. Il est à la fois abrité par les volumes qui l’entourent, le parapet et son socle, et à la fois ouvert sur le paysage, de façon traversante. La nature se prolonge dans cet espace par la végétation grimpante, le long d’une structure spécialement prévue à cet effet, venant compléter le volume capable de la terrasse. ESPACE PRINCIPAL L’espace du séjour est positionné de manière latérale, séparé du reste de la maison par l’axe de circulation principale, par lequel on y accède depuis le vestibule sans espace intermédiaire ni porte, par un changement de direction, guidé par l’appel visuel créé par la large baie vitrée au Nord. Nous remarquons également le long du parcours une variation de hauteur des divers volumes. Ainsi, une augmentation progressive de la hauteur sous plafond nous mène, naturellement, de l’entrée principale vers l’espace du séjour, et finalement, dans la cour. Au Sud, la pièce profite de la lumière et de la tranquillité de la cour, marquant ainsi le type de continuité horizontale, caractéristique principale dans ses œuvres plus tardives. L’espace de séjour est le seul à profiter de cette caractéristique traversante ainsi que d’un apport varié de luminosités. Cette dernière caractéristique positionne cet espace principal en tant qu’élément principal de la maison, situé dans l’espace de manière unique, possédant un avant et un arrière face à son environnement.

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#3 TUREGANO HOUSE ~ 190m² Madrid, Espagne 1988 CONTEXTE Cette maison se présente comme un volume blanc cubique, sobre et épuré, de dimensions 10 x 10 x 10m. Ce prisme compact prend ici un nouveau statut par rapport au site, dans lequel il apparaît à la fois comme un objet intrinsèquement lié à celui-ci, partiellement encastré dans le terrain, et à la fois indépendant, contrastant par le caractère épuré, géométrique et de couleur blanche. Le bâtiment est décalé par rapport à la rue, y présentant une façade sobre et opaque, derrière une paroi longiligne, marquant ainsi la limite à la rue, et largement percée sous forme de portique, participant à l’ancrage au site. L’irrégularité du terrain, présentant une forte différence de niveau, ainsi que son rapport à la rue, donnent naissance à la configuration intérieure ainsi qu’à certains dispositifs particuliers. La façade Nord, côté rue, contraste avec la transparence de la façade Sud, côté jardin, profitant de la déclivité du terrain pour s’ouvrir pleinement, à l’abri. COMPOSITION / ORGANISATION La maison présente une organisation compacte et rigoureuse, et la composition intérieure s’ordonne sur une trame régulière. Le volume est divisé en deux parties. La moitié Nord, comprenant les locaux secondaires et la tranche technique, se distingue de celle tournée vers le Sud, où se développent les espaces de vie, de manière à profiter pleinement des vues du jardin et de la lumière du Sud. La maison s’organise sur trois niveaux principaux. Dans la partie Sud, le niveau inférieur est composé de l’espace de séjour et d’une chambre. A l’étage supérieur, au niveau de l’entrée, se trouve la salle à manger, ouverte sur le séjour en double hauteur, ainsi que sur le studio situé au premier étage. La toiture accueille un volume cubique, enveloppé dans une paroi courbe, servant d’espace extérieur, captant et diffusant la lumière pour l’espace intérieur. De manière générale, notons l’ouverture et l’interaction entre les espaces de vie, ainsi que le riche apport en lumière, diagonale, contrastant avec la partie Nord, fortement compartimentée. STRUCTURE Les murs et la façade ont une fonction portante. Les ouvertures prennent un nouveau caractère, géométrique et ample. CIRCULATION La circulation se scinde en deux parties. D’une part, intérieure et compacte, d’autre part, extérieure périphérique. L’entrée est centrale, tant en plan qu’en coupe ; située dans l’axe de symétrie, il conduit au niveau intermédiaire. La circulation intérieure est essentiellement concentrée sous forme verticale, autour de

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laquelle sont agencées les principales pièces de vie de la maison. L’escalier connecte et unifie les espaces de la maison. A l’extérieur, la circulation périphérique est rendue possible grâce à l’implantation d’un escalier et d’une rampe le long des façades latérales, reliant les deux niveaux et permettant une perception globale du volume. Le franchissement de cette déclivité implique un changement du statut de la circulation, passant du public au ½ privé. PUBLIC/PRIVE De manière générale, cette maison prend position face à son environnement. Au Nord, le bâtiment est opaque, introverti tandis qu’au Sud, il s’ouvre sur le jardin, à l’abri des regards. Une série de filtres de distanciation sont présents dans cette maison, entre l’espace public et l’espace privé. Tout d’abord, une première limite est matérialisée par la présence d’un mur séparateur entre la rue et la parcelle. Derrière ce mur, après le passage par une ouverture centrée, le visiteur entre dans un espace extérieur, où se dresse la façade Nord, aux modestes percements géométriques et symétriques par rapport à la porte d’entrée, placée dans l’axe central. Cette mise en scène indique l’accès aux visiteurs, tandis que la circulation périphérique menant à la façade arrière reste possible, mais réservée aux intimes. Une fois la porte d’entrée franchie, la transition vers le séjour est filtrée par une double chicane, ainsi que par l’escalier, s’accompagnant d’une mise en scène particulière, depuis un espace étroit, sombre et bas, vers un espace ample, lumineux, en double hauteur. Les percements entre l’espace de circulation et le séjour participent à cette mise en scène, laissant entr’apercevoir l’aboutissement du parcours. Les éléments filtres sont donc : 1. Enceinte 2. Espace extérieur semi privé 3. Porte d’entrée 4. Vestibule 5. Chicane 6. Hall central 7. Escalier 8. Palier 9. Chicane Notons ici la présence de la salle à manger au niveau de l’entrée, espace en double hauteur, articulant le séjour au niveau inférieur et la chambre du niveau supérieur, tous deux entièrement ouverts sur cet espace. Cette disposition donne un statut privatif presque équivalent au séjour et à la chambre. ESPACE EXTERIEUR PRIVE L’espace extérieur privé de la maison comporte diverses parties. Premièrement, l’espace extérieur périphérique, scindé en trois parties : Au Nord, l’espace de l’entrée, semi-public, au Sud, l’espace principal, et latéralement

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les espaces de circulation, reliant les deux niveaux. A l’arrière, l’espace extérieur est délimité de manière supplémentaire au sol, englobant, par le même revêtement, la terrasse et la piscine, mais également le séjour. La végétation est reléguée en fond de parcelle, exclue des espaces décrits ci-dessus. Au dernier niveau, le toit terrasse est entouré d’un parapet, à l’intérieur duquel un haut mur en demi-cercle se dresse côté Nord, servant d’écran protecteur et de capteur de lumière. ESPACE PRINCIPAL Comme décrit, la tranche Sud comprend trois espaces principaux : salon, salle à manger, studio. Ils correspondent à différents degrés d’intimité souhaités au cœur de la maison. Dans cette partie, le traitement en coupe est particulièrement intéressant, magnifiant l’espace : doubles hauteurs, diagonales, variations lumineuses, interactions entre les espaces… Contrastant avec ce traitement entre les espaces principaux, les nombreux mais modestes percements vers l’escalier animent la façade intérieure du séjour, tout en l’écartant du va-et-vient. Cet espace est largement ouvert au niveau du jardin par de grandes ouvertures, formant une continuité intérieur – extérieur, celle-ci étant renforcée par le prolongement du revêtement du sol. Cette configuration distanciant le séjour par rapport à l’entrée, confère à cet espace un caractère intime, effet renforcé par l’équivalence spatiale perçue, depuis la salle à manger, entre le séjour et la chambre. Il est intéressant de souligner la notion de protection des espaces de vie, d’une part par l’espace tampon de la tranche secondaire, d’autre part, par le positionnement du volume au cœur d’un espace extérieur privé, partiellement clos. Les nombreux filtres entre le séjour et le public, notamment l’escalier, renforcent cette notion de protection.

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#4 DALMAU HOUSE projet non réalisé ~ 460m² 1990 Burgos, Espagne

Les documents disponibles concernant cette maison, restée au stade de projet, étant relativement restreints, ils ne permettent qu’une vision partielle, réservant une part de supposition dans le travail d’analyse. Le projet représente néanmoins une étape importante du travail de l’architecte, et c’est avant tout ce point qui sera souligné cidessous. CONTEXTE Cette maison se présente comme un volume cubique compact, sobre et épuré, partiellement encastré dans le terrain. Il est positionné de manière centrale – mais désaxée, sur la parcelle, s’étalant sur trois niveaux. Le bâtiment est constitué de deux parties distinctes, superposées : La première, constituant les niveaux inférieurs, est un socle massif, opaque et minéral, aux ouvertures minimales. Elle s’ancre fortement dans la terre. C’est ici que sont situées les fonctions que l’architecte qualifie d’animales : chambres, sanitaires, cuisine et salle à manger. La deuxième, au niveau supérieur, est un volume vitré abrité sous une toiture, posé sur le socle et se distingue fortement de celui-ci : légère, aérienne, transparente, elle s’ouvre entièrement sur son environnement. Cet espace accueille la fonction dite cérébrale, le séjour. Le contraste est accentué par l’emploi de matériaux légers, tels le verre et l’acier, venant se poser sur le bloc minéral, dont la pierre recouvrant les faces est également utilisée pour le revêtement du sol. Le terrain est compris dans une enceinte, percée côté rue, délimitant la parcelle, marquant l’entrée, et protégeant les espaces des chambres de l’espace public. Les vues sont également traitées selon une double logique : l’enceinte bloque les vues depuis les chambres, tandis qu’au niveau du séjour, les vues lointaines sont permises, uniquement limitées par l’enceinte unilatérale. COMPOSITION / ORGANISATION Comme la maison précédente, le plan est divisé en trois parties, comprenant espaces principaux et secondaires, séparés par une tranche de circulation, comprenant escalier et ascenseur. Aux étages inférieurs, on retrouve principalement les chambres, la cuisine et la salle à manger. Ces espaces possèdent un nombre limité d’ouvertures, marquant ainsi le caractère troglodyte des fonctions qu’ils abritent, contrastant fortement avec l’espace du séjour. Dans cette maison, le travail en coupe semble fortement limité à un jeu de plateaux, et au contraste entre les deux parties.

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STRUCTURE L’aspect structurel confirme cette nouvelle conception binaire des espaces de la maison. Dans la partie inférieure, massive, nous retrouvons la corrélation structure – façade. Dans l’espace du séjour, la façade intérieur/extérieur s’affranchit de l’enveloppe. L’espace intérieur est uniquement délimité par une baie vitrée périphérique, tandis que la toiture est soutenue sur son pourtour par de fines colonnes métalliques, correspondant volume inférieur, matérialisant la limite du volume capable. CIRCULATION Contrairement à la précédente maison, la circulation périphérique est utopique, même si la vue depuis le portique d’entrée ne le laisse pas supposer. Elle se limite au système d’entrée, ayant lieu par une large ouverture dans l’enceinte, de manière décentrée. Après l’ascension d’un escalier extérieur, longeant l’enceinte, suivi d’un changement de direction, on accède à l’entrée de la maison, centrée par rapport à la façade latérale. La circulation intérieure se déroule de manière compacte dans la tranche centrale, où on retrouve l’escalier et un ascenseur. Notons la circulation libre et périphérique au niveau du séjour, permise par la dissociation des éléments constructifs. PUBLIC/PRIVE Nous retrouvons dans cette maison un dispositif de filtres du public au privé, tels l’enclos, la façade opaque et faiblement percée, ainsi qu’une différence de niveau entre la partie publique et privative. Toutefois, l’ouverture pratiquée dans le mur d’enceinte est ample et décentrée, et l’entrée de la maison se situe à un niveau surélevé, obligeant l’ascension d’un escalier, ainsi qu’un angle de 90°. Les éléments filtre sont ici : 1. Enceinte 2. Espace extérieur privé 3. Escalier 4. Palier 5. Chicane 6. Porte d’entrée 7. Vestibule 8. Escalier Par ce dispositif, l’entrée, moins directe, souligne l’effet de « masse intime », de « grotte ». Le séjour est une fois de plus perçu comme un espace protégé, accessible uniquement après la traversée d’une masse dense, bâtie, et après l’ascension de l’escalier. Les chambres sont à leur tour isolées des espaces de vie par l’escalier, protégées de l’extérieur par le mur d’enceinte, nichées dans le terrain.

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ESPACE EXTERIEUR PRIVE L’espace extérieur privé comporte ici aussi différentes parties. L’espace périphérique à la maison est scindé en trois parties, situées à divers niveaux : Au niveau inférieur, il gère l’entrée, et donne le recul nécessaire aux ouvertures des chambres. L’escalier extérieur permet d’accéder au niveau intermédiaire, desservant l’entrée. L’accès à l’espace extérieur du niveau supérieur se fait exclusivement par le séjour. On distingue deux types d’espaces : l’un, périphérique au séjour, l’autre, annexe, délimité par un mur, comprenant un bassin d’eau. ESPACE PRINCIPAL L’espace du séjour, au dernier niveau de la maison, possède un caractère dénotant du reste de la maison. Ouvert, transparent, aérien, grâce à sa configuration de plan libre, il s’ouvre sur son environnement. L’accès au séjour est mis en scène. On passe d’un espace extérieur confiné, segmenté, par un espace intérieur comprimé, opaque, sombre et compartimenté, pour finalement déboucher sur un espace à la fois intérieur et extérieur, ouvert, transparent, central. Conçu comme l’aboutissement du parcours, le séjour entretient un rapport privilégié à l’environnement. Dans cet espace, la limite entre intérieur et extérieur est démultipliée, par le biais de divers éléments. La première définition d’espace intérieur se fait par la paroi vitrée, décrivant un espace pur, réduit à l’essentiel, indépendante de la structure périmétrique. La définition du volume capable de la maison, dans laquelle ce premier espace est contenu, est plus forte ; Il est défini par la dalle de sol et de toiture, ainsi que par la structure métallique, sur le pourtour de celles-ci. Ce dispositif de dédoublement de limites, ainsi que la relation intérieur/extérieur qui en découle, est ici accentué par le mur d’enceinte situé à l’arrière de la parcelle, ainsi que par l’espace extérieur de plain pied avec le séjour. L’espace du séjour surplombe le terrain et le paysage, entretenant un rapport à la fois direct et distant avec l’environnement. Il en devient le point central, tel un point de vue. De par la disposition avant/arrière, définie par l’espace extérieur de plain pied et son enceinte, l’environnement est à la fois perçu ici comme infini, lointain, immaîtrisable, que défini, proche, géométrisé.

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#5 GARCIA MARCOS HOUSE ~ 200m² 1991 Valdemore (Madrid), Espagne CONTEXTE Ce bâtiment présente un aspect de prisme compact, massif, contenu dans un mur d’enceinte périphérique. Le terrain, en faible dénivellation, est situé sur une petite parcelle d’angle (15 m x 21m) entre deux rues au bâti assez dense. Ce rapport de promiscuité implique un soin particulier apporté aux relations intérieur/extérieur, notamment dans le traitement des ouvertures et de l’entrée. Le volume présente de modestes ouvertures sur l’environnement, situées sur les façades latérales, au niveau des chambres. La façade principale y est entièrement aveugle, tandis qu’à l’arrière, la façade est perforée de minuscules orifices, correspondant aux pièces de service. Au niveau du rez, le mur d’enceinte ne présente aucune ouverture vers l’intérieur, à l’exception des portes d’entrée et du garage, toutes deux camouflées. L’ensemble blanc, aux traits épurés, tranche avec le contexte dans lequel il s’insère, se dresse, emblématique et mystérieux, ne dévoilant ni son organisation interne, ni les activités qui s’y déroulent. COMPOSITION / ORGANISATION Comme les deux maisons précédentes, l’espace intérieur est concentré dans un volume compact, à la composition géométrisée. Toutefois, la proportion de l’ensemble est rectangulaire. La composition est basée sur une trame variable, hiérarchisant les espaces par la largeur de la trame. Ainsi, la plus grande largeur correspond à l’espace de séjour ainsi qu’à l’espace extérieur qui le prolonge, les espaces de vie secondaires concordent avec la largeur moyenne, et les espaces de service ou de transition, à la plus modeste. En coupe, ce principe de hiérarchisation est également utilisé. La maison s’articule en « U » autour de l’espace de vie. L’espace extérieur périphérique mène vers son centre, le séjour, et le prolonge, tandis que les chambres, cuisine et salle à manger, situées dans l’épaisseur bâtie autour de cet espace central, y tournent le dos, s’ouvrant exclusivement vers l’extérieur. En coupe, nous retrouvons cette continuité entre espace extérieur et séjour, ainsi que le caractère antagonique des chambres et services. Au dernier étage, la terrasse, située sur la toiture, est entièrement encerclée d’un mur d’enceinte sur toute la hauteur, apporte de la lumière dans l’espace du séjour, en double hauteur. Nous assistons ici à une nouvelle conformation spatiale, clairement visible en coupe, où le niveau du rez-de-chaussée se libère, marquant la continuité intérieur/extérieur, et le volume des étages, cloisonné, semble en apesanteur. L’espace de séjour, qui prend ici une position centrale et privilégiée, est une fois de plus, mis en scène.

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STRUCTURE Façade et murs séparateurs ont tous deux une fonction structurelle. CIRCULATION Dans un premier temps, la circulation semble se développer de manière périphérique autour du bloc central au niveau de l’entrée, renforçant ainsi l’aspect monolithique et infranchissable de la masse bâtie. Mais cette impression est une fois de plus, purement illusoire. L’entrée, située dans la façade arrière, marque l’axe de circulation principal, traversant la masse pour rejoindre l’espace du séjour et se poursuivre à l’extérieur. La circulation secondaire, purement fonctionnelle, se fait par la tranche de service, perpendiculairement à l’axe principal. A l’étage, elle se résume à l’escalier, fortement cloisonnée au niveau des chambres. A noter dans la circulation également, l’effet « spirale » au rez, induit par le parcours circulaire, ainsi que par continuité de l’espace extérieur, prolongeant visuellement le parcours. Alors que dans un premier temps, on semble contourner l’ensemble de la masse bâtie, le parcours se déroule au travers la masse, contournant un autre « bloc», respectivement la cuisine et la salle à manger. Cet ensemble d’espaces jour s’inscrit dans une forme carrée, regroupant l’entrée, la cour d’entrée, l’ensemble des espaces de jour, ainsi que l’escalier. Ces espaces forment trois groupes d’espaces « en coude ». PUBLIC/PRIVE De manière générale, l’ensemble de la maison s’affranchit de son environnement, par l’enceinte totale, ainsi que les vues contrôlées, distanciant les habitants du monde extérieur. La progression depuis l’espace public de la rue jusqu’aux espaces de vie se fait graduellement, en passant par divers espaces hiérarchisés. Le premier espace est extérieur à l’enclos, mais s’inscrit toutefois dans la forme rectangulaire de l’enceinte. Il signifie l’irrégularité, l’exception, la faille dans cette fortification, par laquelle l’entrée est possible. C’est un espace public, mais sa position marque une première notion d’appartenance à la maison. Ici se situent l’escalier et le seuil d’entrée, ainsi qu’une porte. Une fois le mur d’enceinte franchi, le visiteur se trouve dans un espace extérieur protégé, dans lequel se dresse un volume monolithique, percé à hauteur du regard au niveau de la cuisine et salle à manger. Notons le jeu de décalages des murs contenant l’espace, accompagnant le passage vers cet espace par un effet de dilatation, ayant pour effet de contrebalancer le cloisonnement vertical de l’espace privé. Après un premier changement de direction, c’est un espace longiligne, tel un couloir, qui se déploie. Ici également, l’espace est mis en scène, notifiant la fonction transitoire de cet espace par un resserrement. Ce sentiment est renforcé par la proportion verticale de l’espace, compris entre le mur d’enceinte et la façade s’élevant sur trois niveaux, et par le caractère austère et monumental de la façade, à la composition géométriques de ses cinq percements, et de l’unique porte d’entrée, centrée. Une fois passée la porte, le vestibule, contenant l’escalier, conduit aux diverses parties de la maison. L’épaisseur bâtie ainsi traversée contient et isole les espaces plus intimes, tels les chambres, la cuisine et la salle à manger. Seul l’espace du séjour, au centre, n’est séparé de l’entrée qu’à l’aide de portes coulissantes. Les autres espaces de la maison se trouvent exclusivement dans cette double tranche

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enveloppant le séjour. Le contact entre celui-ci et les autres pièces est rompu, au profit de l’extérieur. Les éléments filtre sont : 1. Espace semi-public 2. Escalier 3. Palier 4. Enceinte – Porte 5. Espace extérieur d’accueil 6. Chicane 7. Espace extérieur « couloir » 8. Chicane 9. Porte d’entrée 10. Vestibule ESPACE EXTERIEUR PRIVE Dans une logique de distanciation face à l’environnement, l’espace extérieur privé est totalement introverti, aucune vue directe depuis celui-ci n’étant accordée. L’espace extérieur est composé de diverses parties: L’espace extérieur périphérique, au niveau du sol, entoure presque entièrement la maison. Il est à son tour sous-divisé en trois parties : l’espace d’entrée, l’espace principal associé au séjour, et l’espace sur lequel débouchent les chambres, latéralement. L’espace extérieur principal prolonge le séjour à l’extérieur, tout en canalisant les vues vers ciel. Il est jouxté d’un plan d’eau à l’effet miroir, marquant un obstacle face à l’espace d’entrée. Au dernier niveau, notons la présence d’un toit-terrasse, entièrement ceint d’un mur élevé. ESPACE PRINCIPAL L’espace principal de la Garcio Marcos House est sans aucun doute le séjour. Bénéficiant d’une position centrale au cœur de la maison, il est abrité par la masse bâtie sur trois côtés, tandis que le quatrième côté s’ouvre généreusement sur l’espace extérieur. Le parcours jusqu’au cœur de la maison est mis en scène, et l’espace du séjour théâtralisé, notamment par le traitement en coupe, ainsi que par le travail sur la lumière naturelle. Possédant des similitudes avec la Turegano House, cette maison présente également quelques divergences. Ce qui frappe d’emblée est l’isolation du séjour par rapport au reste des espaces jour, ainsi que l’ouverture de ce dernier sur un espace extérieur privé, clos, introverti. L’unique interaction entre le séjour et le reste de la maison passe par le percement dans la tranche de service, au centre de cette unique façade intérieure, créant un effet loggia dans le séjour. Sur les côtés, le volume présente des parois lisses, non percées. Les interactions entre les différents espaces sont donc réduits à l’essentiel, le travail en coupe étant centré autour de la lumière, des différentes sources, ainsi que la manière dont elle pénètre le volume. Ainsi, nous constatons deux principaux apports, l’un, horizontal, par la baie vitrée frontale, étendue au niveau du rez sur toute la largeur de la façade, l’autre, zénithal, par le percement linéaire en toiture. L’un procède par réflexion, procurant une lumière diffuse, indirecte, mettant en scène la façade intérieure et ses percements, par contraste. L’autre, apportant une lumière horizontale, directe, introduit les rayons du soleil à l’intérieur, marquant ainsi la temporalité et la relation directe à l’extérieur, et se réfléchit à son tour sur les parois intérieures. Une fois de plus, le travail sur la lumière porte sur la diagonale, et procède à une dématérialisation partielle de l’espace.

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L’espace central est une fois de plus théâtralisé, avec une nouvelle dimension d’intériorisation, où l’espace s’enrichit d’une valeur méditative. Comme souligné, le séjour bénéficie d’une largeur de trame nettement supérieure que le reste des espaces, en plan tant qu’en coupe. Nous retrouvons un principe proche de la Dalmau House, où l’espace du séjour se propage horizontalement, au-delà de l’espace sous toiture. Ici, toutefois, la couverture n’est plus un simple plan filiforme, mais un volume abritant des espaces, rendant perceptible un bloc flottant dans l’espace. Ce dispositif gagnera en importance dans certaines des réalisations suivantes. C’est un espace traversé par la lumière, marqué par le prolongement de l’espace intérieur vers un espace extérieur lui étant clairement associé. Ce dernier, délimité au sol par un rectangle strictement identique au séjour, repousse la limite visuelle et physique. Cette sensation est renforcée par le traitement similaire des surfaces, ainsi que par le prolongement d’une paroi latérale. La relation à l’environnement est filtrée par cet extérieur circonscrit, géométrisé et sobre, cadrant les vues sur le ciel et la cime des arbres. Le plan d’eau sert à la fois de prolongement et de frontière physique, entre la cour d’entrée et le cœur de la maison.

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#6 4 VILLAS, AMBASSADE ESPAGNOLE ~ 215 m² 1992 Alger, Algérie

Quatre ans après la réalisation de la Turegano House, l’architecte reprend ici les principes de base, dans une série de quatre habitations pour l’ambassade espagnole à Alger. L’organisation interne des quatre maisons, très similaire de la Turegano House, est identique pour les quatre bâtiments. Quelques variations sont introduites au modèle de base, et seront le sujet du développement présenté ci-dessous. CONTEXTE La réponse au programme se fait par l’implantation d’une série de quatre unités indépendantes, dont l’entrée se fait côté rue, cette dernière influençant l’inclinaison des bâtiments par la légère courbe du tracé. Ces quatre habitations sont situées sur une partie du terrain de la résidence de l’ambassadeur, sur une parcelle étroite, dans un contexte verdoyant. Comme la précédente, la maison se présente sous forme d’un volume cubique de 12 x 12 m, blanc, encastré dans un terrain escarpé. Toutefois, le rapport au site se fait ici de manière directe, par le rapprochement du volume sur la limite publique de la rue. Le mur présent dans le modèle original n’est plus matérialisé que par un parapet, placé dans la continuité de la façade, donnant l’aspect d’un socle, récupérant la légère pente de la rue. Les différents blocs sont ainsi reliés dans un ensemble rythmé et fluide. Le traitement des façades varie également par rapport au modèle original. COMPOSITION / ORGANISATION La configuration de la maison reste fidèle au modèle de base, mais intègre de nouvelles données, tant liées au programme, au contexte, qu’aux recherches spécifiques de l’architecte. Ainsi, au niveau supérieur, le studio cède la place à trois chambres, le jardin est réduit à une cour et ses limites sont fortement rapprochées des espaces intérieurs. Séjour et salle à manger sont à présent organisés au même niveau. Le séjour et la mezzanine sont tous deux en double hauteur, mais ils sont ici beaucoup plus cloisonnés, diminuant l’effet de diagonale au profit d’un volume cubique, s’étendant verticalement et horizontalement. L’ancienne salle à manger est à présent un espace polyvalent, communiquant avec le séjour, au rez, et avec le palier au niveau des chambres. Cet espace trouve son équivalent dans la tranche côté rue, tous deux largement ouverts, se prolongeant dans un espace extérieur creusé dans la masse de la façade.

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Le rapport à l’environnement est ici traité d’une manière particulière. On assiste en effet à une extériorisation de la façade principale par ce dispositif de loggia, à la fois pondérée par l’effet de masse creusée, signifiant la protection. Les autres ouvertures des façades sont similaires à la Turegano House : grandes baies sur la façade arrière au niveau du séjour, et nombreuses ouvertures hiérarchisées sur les façades latérales. Notons également une moins grande rigidité dans le tronçonnement de l’espace. La tranche d’espaces secondaires est ici occupée par des chambres, et empiète ponctuellement sur le tronçon des services. STRUCTURE Comme dans la Turegano House, les murs ainsi que la façade emplissent une fonction structurelle. CIRCULATION La circulation interne reste très similaire au modèle initial. On remarquera cependant l’ampleur donnée à l’espace distribuant les chambres, son caractère extraverti, ainsi que le jeu de lumières induit par les diverses sources : zénithale, par le lanterneau de l’escalier, horizontale, directe et/ou diffuse, par le creusement dans les façades principales, et horizontale, diagonale, directe et diffuse, par les percements dans le volume de la mezzanine. Ces espaces fonctionnels prennent une dimension nouvelle et apparaissant ici, dans la continuité des principes de l’architecte, comme des espaces de l’entre-deux. Notons la fluidité dans la circulation entre le séjour, la salle à manger, et l’espace extérieur privé. La circulation extérieure diffère substantiellement du modèle de base. Cette mutation est liée au rapport particulier que l’habitation entretient avec l’espace extérieur privé, que nous étudierons plus loin. Le jardin étant ici extrêmement privatisé, l’intrusion au cœur de celui-ci est évitée, et les paliers d’intimité sont clairement tangibles : socle/ parapet au niveau de la rue, mur d’enceinte entourant le jardin, portes. La circulation périphérique autour du prisme n’est donc plus possible. PUBLIC/PRIVE D’une manière générale, la limite entre public - privé reste fidèle au modèle de base. Les principales divergences concernent le rapport à la rue, la relation entre séjour et jardin, ainsi qu’entre l’espace de vie et les chambres. Concernant l’entrée, et sa signalisation, on peut noter ici la discrétion de la porte d’entrée, située dans le même plan que la façade, dans la même teinte. Le volume apparaît comme une solide masse opaque, dialoguant avec la rue par le seul percement de l’étage supérieur, de taille conséquente. Mais cette ouverture, distanciée de l’espace réellement intérieur de la maison laisse surtout apercevoir l’épaisseur de la masse, démontrant ainsi la haute valeur défensive du logis. Dans le même sens, notons la présence d’un parapet latéral, dans le prolongement de la façade, créant comme effet visuel un socle, différenciant ainsi le statut privé de l’espace, et abritant une différence de niveau, rendant physiquement improbable l’accès latéral. Le passage du public vers le privé se fait de manière brusque. Après avoir passé la porte d’entrée, le visiteur arrive dans le vestibule puis au centre de la maison, selon un dispositif identique à la Turegano House. Les ouvertures dans la façade arrière confirment ce

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rapport spécifique avec l’environnement. Au niveau inférieur, l’espace du séjour s’ouvre généreusement sur son espace extérieur. Le regard est bloqué horizontalement, et on ne parlera pas ici d’extériorisation de l’intérieur, mais plutôt d’un espace extérieur intériorisé. A l’étage, un percement majeur marque la relation à l’environnement, toutefois sous forme de poste d’observation sur le paysage lointain ; cette distanciation étant une fois de plus soulignée par un important creusement dans la masse. Dans la même logique, ces ouvertures sont parfois filtrées par un dispositif de moucharabieh. Les façades latérales sont dotées d’un nombre plus important d’ouvertures hiérarchisées, comme dans le modèle original. Dans les chambres, deux tendances sont à noter. Premièrement, les chambres secondaires, situées côté rue, s’ouvrent directement, latéralement, sur l’extérieur. La chambre principale, côté jardin, ne bénéficie d’aucune ouverture directe sur l’environnement. Son unique ouverture débouche sur un espace intermédiaire, extérieur, mais compris dans le volume général, séparé de l’environnement par une seconde percée. Cette introversion est accentuée par le contact visuel entre la chambre et le palier, lui-même en mezzanine sur le niveau inférieur. On retrouve ainsi, comme dans le modèle de base, malgré une modification programmatique, une même volonté d’appartenance et d’interaction de cet espace intime au reste de la maison. Les éléments filtres sont donc : 1. Enceinte 2. Espace extérieur semi privé 3. Porte d’entrée 4. Vestibule 5. Chicane 6. Hall central 7. Escalier 8. Palier 9.Chicane ESPACE EXTERIEUR PRIVE L’espace extérieur privé est fortement réduit, limité sur son pourtour par un mur de la hauteur de l’étage. La maison n’est plus perçue comme un objet posé dans un enclos partiellement matérialisé, situé dans un espace extérieur périphérique. Le rapport de l’espace privé intérieur/extérieur est ici radicalisé. Par le séjour, la maison entretient un rapport exclusif avec son espace extérieur, totalement introverti face à son environnement. Notons, comme dans la Turegano House, la présence d’un toit - terrasse comme second espace extérieur privé. Cet espace n’est plus seulement protégé du côté rue par un pan de mur, mais il est ici complètement ceinturé par une paroi verticale, marquant un cercle au sol. Cette démarcation isole l’espace de la terrasse sur toute la hauteur, et crée, par sa forme arrondie, un second espace périphérique, dont les bords sont matérialisés par la toiture du volume cubique de la maison. C’est un espace entièrement ouvert sur l’environnement, mais de par ses dimensions modestes ainsi que la forme convexe, il n’est que l’espace négatif du cercle, résiduel. ESPACE PRINCIPAL On retrouve dans cette configuration la même logique que dans la version précédente. Les changements opérés dans le séjour lui confèrent un degré supplémentaire d’intimité. Dans ce sens, l’élément le plus tangible est la relation exclusive à l’espace extérieur privé, devenant une sorte d’annexe en plein air. Une nouvelle unité tripartite est composée ici, dans laquelle le séjour occupe une 77



position centrale, entre la tranche secondaire bâtie et l’extérieur privé. Ainsi, on passe progressivement d’un espace d’entrée clos, partitionné, à un espace totalement libre, uniquement contraint par un mur périphérique. Par le possible cloisonnement d’un côté et de l’autre du living, cet espace peut librement se moduler, s’associer soit à l’espace libre et ouvert du jardin, soit à l’espace plus sombre et compartimenté côté rue. La salle à manger, prolongeant l’espace du séjour, est séparée de celui-ci par une paroi, prolongée jusqu’au niveau supérieur, où se trouve l’espace polyvalent. La double hauteur de la mezzanine amplifie ici également l’espace en diagonale. Dans le sens longitudinal, le mur latéral du fond se prolonge vers l’extérieur, tandis qu’une autre paroi intermédiaire se prolonge vers l’intérieur, unifiant ainsi les espaces de vie à l’espace extérieur et aux espaces secondaires. En coupe, on remarquera les mêmes principes que pour la Turegano House, différenciés toutefois par un travail sur les ouvertures, impliquant une luminosité quelque peu différente. Contrairement à la Turegano House, l’apport de lumière est moins direct dans le séjour, renforçant l’effet d’espace intériorisé, baigné de lumière, tourné vers le jardin. Depuis la mezzanine, la relation au niveau supérieur est réduite, mettant ainsi l’accent sur l’espace de vie, en contrebas. Au niveau des chambres, on retrouve principe de flottement de la toiture, similaire à la Dalmau - et à la Garcia Marcos House. La principale différence réside dans le fait que ce dispositif particulier ne se situe plus dans l’espace de vie principal. Il autonomise le séjour, en évidant partiellement l’étage nuit, de la toiture. Cette dernière est un espace fortement introverti, où la relation à l’environnement est canalisée vers le ciel.

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#7 JANUS HOUSE projet non réalisé ~ 255 m² 1992 Italie

Les documents disponibles à propos de cette maison, restée au stade de projet, étant relativement restreints, ils ne permettent qu’une vision partielle, réservant une part de suppositions dans le travail d’analyse. Le projet représente néanmoins une étape importante du travail de l’architecte, et c’est principalement ce point qui sera souligné ci-dessous. CONTEXTE Ce projet, réalisé dans le cadre d’un concours, fonctionne en mitoyen avec un projet identique, en miroir. La maison se présente sous forme d’un prisme posé dans une enceinte. Toutefois, l’espace occupé par le rez-de-chaussée ne se limite pas au cube perçu depuis l’extérieur. La façade Sud-Est vient s’accoler à la rue, posant son enceinte largement percée le long du trottoir, sur un site de plein pied. A l’intérieur de l’enceinte, le volume est ponctuellement percé côté cuisine et hall d’entrée au rez, côté chambres à l’étage. COMPOSITION / ORGANISATION La composition générale s’inscrit dans un rectangle de 33 x 17 m, sanglé d’un mur périphérique sur tout le niveau du rez. A l’intérieur, décentré par rapport à l’enceinte, un prisme à base carrée de 13 m de côté s’élance sur deux niveaux, le long du mitoyen. A l’intérieur de ce cube se déroulent les principales fonctions de vie. On y retrouve une trame régulière, divisant le plan carré en quatre, sur laquelle viennent se glisser des parois verticales, émanant du cube vers les espaces extérieurs privés. L’entrée se fait le long d’un mur, décalé par rapport à cette composition régulière. Au rez-de-chaussée, la moitié côté rue accueille les fonctions secondaires, comme le hall d’entrée, l’escalier, la cuisine et la remise. A l’arrière, le séjour s’étend sur double hauteur, avec une partie située à l’étage. Les chambres sont placées côté rue. En coupe, notons la diagonale créée dans l’espace du séjour, ainsi que ses larges ouvertures au rez. STRUCTURE On retrouve ici aussi une dépendance structurelle des murs et de la

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façade. CIRCULATION Comme décrit, l’entrée est décalée par rapport à l’axe central, par une ouverture dans l’enceinte. L’escalier se situe près de l’entrée. La circulation entre les divers espaces du rez se développe de manière extrêmement fluide, autour du bloc de service central. A l’étage, la circulation en peigne distribue les chambres et sanitaires le long de l’espace du séjour, relativement cloisonné. PUBLIC/PRIVE Comme décrit, le cube principal est placé dans une enceinte périphérique, mais d’autres fonctions se développent en dehors du cube, le long de l’enceinte. Il s’agit d’espaces de service, placés exclusivement le long du mitoyen. Sur les autres côtés, c’est l’espace extérieur privé qui distancient les espaces de vie par rapport à l’enceinte. Cet espace extérieur est à son tour sous-divisé, définissant ainsi un avant à caractère public et un arrière à caractère privé. Notons également la paroi séparant cuisine et séjour, se prolongeant à l’extérieur, protégeant l’espace du séjour, largement ouvert sur son espace extérieur privé. L’enceinte est interrompue côté trottoir, laissant place à l’entrée ou à l’emplacement automobile. L’entrée se déroule également par une succession de filtres : 1. Enceinte 2. Espace extérieur semi privé 3. Vestibule 4. Chicane 5. Hall 6. Chicane ESPACE EXTERIEUR PRIVE Comme décrit, l’espace extérieur privé est défini par le positionnement du cube dans l’enceinte rectangulaire. Il en résulte ainsi un espace extérieur semi périphérique. Cet espace est à son tour divisé en deux parties, publique ou privée, par un mur, avec toutefois un espace terrasse faisant la liaison, regroupant cuisine et coin à manger. Côté rue, cet espace est généreusement ouvert sur l’environnement par la large interruption dans l’enceinte. A l’arrière, l’espace extérieur principal s’étend en continuité du séjour, formant avec lui un espace englobant rectangulaire. En bout de jardin, occupant la largeur, un bassin d’eau reflète le ciel et l’enceinte. Aucune vue sur l’environnement n’est autorisée depuis cette partie. ESPACE PRINCIPAL Comme souligné, le cube principal est décentré par rapport à l’enceinte. Mais la place occupée par l’espace principal de vie, le séjour, est centrale. Il est entouré d’une part d’une épaisseur bâtie, d’autre part d’une épaisseur d’espace extérieur. De même, de par le dispositif du système d’entrée, cet espace se situe à l’écart, suite à une série de filtres. De par les importantes ouvertures, l’espace intérieur se prolonge à l’extérieur. De même, le traitement en coupe ainsi que l’apport de lumière magnifient cet espace principal. Il en résulte un espace majestueux, introverti, sans autre contact avec l’environnement que le ciel. 83



#8 GASPAR HOUSE ~ 60 m² Cádiz, Espagne 1992

CONTEXTE Répondant à une volonté majeure de rupture avec l’environnement de la part des futurs habitants, l’architecte imagine une maison tranchant avec son environnement et totalement opaque à celui-ci. La parcelle se situe dans un contexte verdoyant, peu dense. Telle une boîte blanche dans cet espace naturel, la maison vient s’insérer en contraste avec la végétation omniprésente, laissant uniquement visible l’enveloppe blanche de deux prismes imbriqués. Aucune ouverture ne vient perturber l’imposante composition, excepté celle de la porte d’entrée et du garage. Celles-ci sont intégrées à l’enveloppe dans le même plan et la même teinte. Depuis l’extérieur, un des deux volumes est perçu comme central, surplombant le second volume qui le contient. Ce dernier est en réalité une enceinte, différenciant un environnement exposé d’un espace extérieur privatif et intériorisé, protégeant le noyau central qui s’y extériorise. La configuration introvertie de l’habitation ainsi que certains dispositifs, notamment la hauteur des différentes parois verticales, génèrent une réduction extrême des rapports à l’environnement. La perception de celui-ci depuis l’intérieur est fortement limitée, orientée exclusivement vers le ciel et la cime des arbres avoisinants. Cette relation étant elle-même réduite au centre de la composition. COMPOSITION / ORGANISATION La maison et son espace extérieur s’organisent selon un plan parfaitement carré de 18 x 18 mètres. L’ensemble est une fois de plus, mais cette fois avec une rigueur particulière, composé géométriquement, dans une symétrie absolue. Au cœur de l’enceinte, l’espace est organisé sur une trame tripartite dans un sens et quadripartite dans l’axe de l’entrée, l’espace central occupant deux trames sur quatre, contenant l’espace principal, intérieur et extérieur, séparés des espaces secondaires par deux parois verticales. Perpendiculairement à l’entrée, la travée centrale constitue l’unique espace couvert de la maison. En combinant ces deux principes organisationnels, la maison se dessine presque de manière évidente. Nous retrouvons ici un espace de vie central couvert, s’ouvrant sur les côtés sur les espaces extérieurs adjacents. Les deux tronçons latéraux, partiellement couverts au centre, abritent les espaces secondaires, les chambres et les services, s’ouvrant chacun à leur tour sur un espace extérieur intime. Cette hiérarchie entre les différentes pièces est renforcée par la hauteur de la toiture, nettement supérieure dans l’espace de vie. Cette logique est également reconnaissable en coupe et élévation, où les espaces secondaires disparaissent complètement derrière des parois, au profit de l’espace du séjour, magnifié.

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STRUCTURE On retrouve ici aussi une dépendance structurelle des murs et de la façade. CIRCULATION Exclusivement horizontale, la circulation est définie selon deux axes perpendiculaires. Le principal marque l’axe de symétrie central. Matérialisé par la porte d’entrée, il parcourt successivement les espaces principaux : cour d’entrée, séjour, cour arrière. Depuis l’espace de vie, un second axe légèrement décentré traverse les parois latérales et rejoint les espaces secondaires. Notons la présence d’un plan d’eau en bout de l’axe principal, renforçant visuellement l’effet barrière du mur d’enceinte, renvoyant l’espace latéralement. Le parcours est ainsi prolongé derrière les parois verticales, plus basses, laissant percevoir le mur d’enceinte et unifiant l’espace extérieur. Le parcours périphérique est possible, contournant le noyau central du séjour. Ces deux tracés de circulation résument de manière assez juste certaines caractéristiques de l’architecte. Concernant la circulation extérieure à l’ensemble de la maison, elle reste exclusivement publique. PUBLIC/PRIVE Le passage du public vers le privé se fait de manière brusque, par une porte dans l’enclos. En franchissant l’enceinte, le visiteur se retrouve dans un espace désorientant, au milieu de la composition intérieure, sobre et symétrique. Face à lui se dresse une seconde porte dans la façade du bâtiment principal, et le glissement des parois latérales à travers le volume frontal invite dans cette direction. Notons la simplification du parcours public-privé, en ligne droite, ainsi que la transition relativement brusque. Les éléments - filtre sont les suivants : 1. Porte dans l’enceinte 2. Espace extérieur privé 3. Porte Une fois à l’intérieur, l’espace semble se prolonger dans la même direction, vers un second espace extérieur, similaire au premier. En traversant l’espace dans le sens opposé, la similitude des espaces provoque un sentiment d’égarement. Les parois latérales séparent les espaces intimes de la maison, dont l’imposante épaisseur renforce leur caractère intime. ESPACE EXTERIEUR PRIVE Situé d’un côté et de l’autre du volume intérieur, l’espace extérieur privé est entièrement contenu dans une enceinte, complètement opaque au monde extérieur. Cette distanciation à l’environnement est d’ailleurs s’accompagne d’une artificialisation de la nature à l’intérieur de l’enceinte. Quatre citronniers et des plans d’eau sont ici placés géométriquement dans la composition. Ce contraste face à l’environnement ainsi que l’artificialisation sont renforcés par le traitement de la dalle de sol, dont l’épaisseur est lisible, telle une plaque perforée, un plancher, laissant voir la terre du sol originel. La

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texture du sol se replie verticalement, marquant la continuité de manière imagée. La nature devient ainsi abstraite et le contact direct à l’environnement est exclusivement vertical, avec le ciel et la terre. Nous remarquons ici également une fragmentation de l’espace extérieur, distinguant l’espace principal contingent au séjour, des espaces secondaires dédiés aux chambres. Ces dernières bénéficient d’un rapport privilégié à l’espace extérieur, à l’abri de tout regard, mais toutefois en contact avec les espaces extérieurs principaux. Ce dispositif crée hiérarchise et relie les divers degrés d’intimité, tout en permettant de palier au sentiment d’enfermement ou d’impasse. ESPACE PRINCIPAL L’espace du séjour occupe ici une position centrale dans le plan, protégé vraisemblablement par une épaisseur d’espace « vide » ou bâti. Sa toiture surplombante lui confère également un statut particulier, principal. Ce dispositif permet une monumentalisation du séjour : en élevant ses murs au-dessus de l’enceinte, l’espace est amplifié, baignant dans une lumière « lisse » et homogène. Comme dans certaines maisons précédentes, l’horizontale est ici accentuée, intégrant dans cette maison le principe d’indépendance et de flottement de la toiture. On peut également noter, dans la composition géométrique, la double appartenance de l’espace intérieur à une entité plus grande avec les des espaces extérieurs qui le jouxtent, formant respectivement un carré, nous rappelant ainsi la composition des 4 Villas. La relation au site s’affirme ici dans la radicalisation du propos. En effet, nous remarquons le total détachement par rapport au contexte, tout d’abord par l’enceinte, de même que la création d’espaces extérieurs introvertis, en totale symbiose et indissociables des espaces intérieurs. Les vues vers l’environnement sont strictement limitées au ciel et cimes des arbres. Cette distanciation face au contexte est soulignée par l’introduction d’éléments naturels, géométriquement composés, tels les quatre citronniers et les plans d’eau, réduisant l’environnement de la maison à une sorte de support, une « réalité externe » duquel se détachent les espaces de la maison, subjugués par la lumière, « frôlant les limites d’une composition sacrée ».*** (cfr PIZZA)L’ensemble de la maison est sacralisée et détachée de son environnement, et on remarque, contrairement aux projets précédents, la relation frontale de l’entrée avec le séjour, centre névralgique de la demeure.

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#9 PINO HOUSE projet non réalisé ~ 185 m² 1999 Madrid, Espagne

Les documents disponibles concernant cette maison, restée au stade de projet, étant relativement restreints, ils ne permettent qu’une vision partielle, réservant une part de suppositions dans le travail d’analyse. Le projet représente néanmoins une étape importante du travail de l’architecte, et c’est avant tout ce point qui sera souligné cidessous. CONTEXTE L’habitation prend une fois de plus l’apparence d’un prisme blanc ceint d’un mur périphérique, la dissociant de son environnement, avec des vues depuis les chambres, au-dessus de l’enceinte, à hauteur variable. Cette variation de hauteur complexifie également la lisibilité de l’enceinte. Le projet prend place sur une parcelle particulièrement étroite, légèrement dénivelée, de 12 x 8 m. La proximité aux deux extrémités de la parcelle de deux routes restreint la surface construite à seulement 8x4m. La configuration spatiale de l’ensemble cherche donc à amplifier l’espace. COMPOSITION / ORGANISATION Le plan de l’ensemble est rectangulaire, le bâtiment s’organisant sur quatre niveaux, dont un enterré. L’ensemble est composé selon une double trame : trois parties équivalentes en longueur, deux parties inégales en largeur. Cette structure organise les espaces de vie et hiérarchise les diverses fonctions, disposant par exemple les espaces de service, dans la mince tranche longitudinale. Aux différents niveaux, les espaces respectent cette trame, tout en occupant différemment l’espace. Nous retrouvons l’espace jour, diffus et transparent, dans la partie inférieure, et les espaces nuit compactés dans un volume supérieur, surplombant en son centre l’ensemble de la composition. En coupe, nous retrouvons le bloc des espaces intimes, autonome, semblant en apesanteur par rapport aux espaces de vie, nous rappelant celle ébauchée dans la Garcia Marcos House, et plus particulièrement celle de la Gaspar House. Le développement de l’espace de vie, les doubles hauteurs, ainsi que les interactions entre les différents niveaux nous rappellent quant à elles, le dispositif abordé principalement dans la Turegano House ou encore les 4 Villas à Alger, par un important travail en coupe.

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STRUCTURE On retrouve ici également une dépendance structurelle pour les murs et la façade. CIRCULATION La circulation interne se fait au rez par un axe central permettant la distribution en peigne aux différentes pièces, et surtout par l’escalier, élément principal de la circulation, desservant les chambres. Les espaces parcourus se font progressivement de plus en plus intime, passant d’un espace extérieur privé à l’espace du séjour, et ensuite dans les espaces intimes. Comme dans la Gaspar House, les 4 Villas, ou encore la Garcia Marcos House, l’espace extérieur privé est complètement intégré à l’espace de la maison, partie indissociable de la composition. La circulation ‘extérieure’ et périphérique est donc entièrement publique. PUBLIC/PRIVE De manière générale, nous retrouvons une fois de plus, une enceinte différenciant nettement l’intérieur de l’extérieur, limitant les interactions à quelques événements particuliers.Le passage du public vers le privé se passe de manière franche, par l’unique porte dans l’enceinte. Une fois à l’intérieur, le premier espace est une sorte de cour d’entrée, séparée du séjour par une paroi entièrement vitrée. Dans un second temps, une passerelle mène à l’espace de vie principal du rez-de-chaussée. L’escalier est greffé sur cet axe de circulation. Les éléments filtres sont : 1. Porte dans l’enceinte 2. Espace extérieur privé 3. Porte dans paroi vitrée 4. Passerelle L’espace du séjour est complété par l’espace du sous-sol par celui situé au-dessus de la cuisine. L’espace de vie est entièrement clos, mais l’enceinte à hauteur variable confère ici un caractère différent aux espaces qu’il abrite tout en permettant des vues lointaines depuis les chambres. Ainsi, depuis la chambre principale, au R+1, une vue est dégagée par le mur de l’entrée, tandis que la chambre du R+2 s’ouvre sur le côté opposé, audessus d’un mur s’élevant sur les deux niveaux du séjour. Une fois de plus, ce dispositif proche de la Garcia Marcos House limite les interactions entre les espaces de jour et de nuit. ESPACE EXTERIEUR PRIVE L’espace extérieur privé est ici fortement restreint. Cette caractéristique pourrait s’expliquer par la taille modeste de la parcelle, ainsi que par le programme exigeant une certaine superficie intérieure. Cet espace jouxte l’enceinte, et il est perçu comme un espace soustrait à la masse bâtie, entouré sur deux côtés par les espaces intérieurs. Il entretient une relation privilégiée à l’entrée, ainsi qu’à l’espace du séjour, uniquement séparé de celui-ci par une paroi vitrée. Il permet une distanciation et un apport de lumière dans l’espace de vie.

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ESPACE PRINCIPAL Une fois de plus, l’espace principal de la maison est le séjour. Cette affirmation est non seulement vérifiée par la surface dédiée à cet espace, mais également et surtout, par l’importance du travail en coupe, augmentant l’impression d’espace et de lumière, tous deux traités diagonalement, conférant à cet espace un caractère majestueux, contrastant avec l’austérité du reste de la maison. La notion de limite intérieur/extérieur dans cet espace principal est ici plus que jamais confuse. L’unique démarcation se fait par des parois vitrées, permettant ainsi à la lumière et au regard de pénétrer l’ensemble, semblant détacher le bloc de nuit de l’espace de vie. Depuis l’entrée, l’espace de vie est travaillé en coupe de manière à procurer diverses perceptions, variant de hauteur et de direction, passant ainsi d’un relatif sentiment d’ouverture – de par la faible hauteur – à un espace peu élevé mais se dilatant vers le bas, pour arriver à un espace en double hauteur, compris entre deux murs dressés vers le ciel, véritable puits de lumière. Plus que jamais, la diagonale prend ici une place importante, et, d’une manière nouvelle, elle est doublée, en coude, par la répartition du séjour sur trois niveaux en interaction, possédant chacun une caractéristique spatiale et une luminosité propres. Ainsi, l’espace du rez articule deux espaces à caractère différent, l’un, surélevé et baigné de lumière, l’autre, littéralement creusé, tapi dans la terre, à la lumière tamisée. Parallèlement à la Dalmau House, où le séjour, espace « cérébral », contraste avec la masse troglodyte, nous retrouvons ici ces deux caractéristiques spatiales au sein de l’espace principal, ainsi qu’une surélévation de l’espace nuit, dit « animal ». L’espace est une fois de plus sublimé par la lumière, et le jeu de réverbération est particulièrement soigné. La maison nous rappelle certaines des œuvres précédentes, toutefois dans une complexité nouvelle, les différents principes étudiés précédemment étant ici combinés et poussés plus loin.

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#10 BLAS HOUSE ~ 385 m² Séville-la-Neuve (Madrid), Espagne 2000

CONTEXTE Située sur une colline boisée surplombant un village, la maison est caractérisée par deux volumes distincts, de nature opposée: une boîte compacte, et une enveloppe transparente, le premier volume servant de socle au deuxième. Le volume minéral émerge du sol et en constitue la prolongation construite, compact, en béton brut, possédant peu d’ouvertures sur son environnement. Contrairement à la Dalmau House, dont elle reprend les traits, la volumétrie de cette maison s’éloigne du cube pour s’étendre horizontalement. La maison est donc caractérisée par le jeu de deux volumes, radicalement opposés dans leur rapport au contexte. Tous deux se fondent dans leur environnement, soit, en s’enracinant dans la masse immuable de la terre, soit, en se dématérialisant, jusqu’à pratiquement disparaître. COMPOSITION / ORGANISATION La maison est composée de deux volumes distincts. Comme dans la Dalmau House, le socle, bloc minéral de 9x27m, abrite les fonctions dites « animales », est fortement cloisonné et opaque. Le belvédère au niveau supérieur est au contraire totalement ouvert et transparent, sans le moindre élément de séparation intérieure. La composition au niveau inférieur est strictement symétrique, à l’exception de la fondation de la piscine. Nous retrouvons une division en trois travées, organisant fonctionnellement les espaces principaux côté façade avant, les services côté arrière, avec, entre les deux, une frange de circulation. L’escalier sépare la cuisine de la salle à manger, situées centralement et en relation directe avec le niveau supérieur. Au niveau du séjour, une boîte en verre complètement transparente est posée sur le socle, et la toiture déborde le volume intérieur. Trois niveaux de définition spatiale sont utilisés, prolongeant ainsi progressivement l’intérieur à l’entièreté du paysage. Comme dans la Dalmau House, un plan d’eau/ piscine reprend la largeur de la toiture et est placé en continuité avec celle-ci. STRUCTURE Comme dans la Dalmau House, l’emploi de la structure est différencié dans les deux parties de la maison. Dans la partie inférieure, nous retrouvons la corrélation structure – façade. Dans l’espace du séjour, la façade intérieur/extérieur s’affranchit de l’enveloppe.

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Notons toutefois une variation par rapport au premier modèle. La toiture et sa structure périphérique, de fines colonnes métallique, prennent une forme indépendante du socle sur lequel elles s’appuient, contrairement à la Dalmau House, où elles recréaient un même volume capable. Les divers éléments délimitant l’espace du séjour se basent toutefois sur la répartition du volume inférieur : la boîte vitrée reprend la longueur de la salle à manger, la structure de la toiture repose sur les murs des chambres, et le socle correspond évidemment au volume global. CIRCULATION L’entrée de la maison se situe au niveau inférieur, centrée. Le passage de l’extérieur à l’intérieur se fait de manière relativement brutale. En effet, l’entrée donne directement dans la salle à manger. Cet espace est placé en continuité avec la cuisine, séparés par le volume de l’escalier, menant au niveau du séjour. D’un côté et de l’autre de l’escalier, un couloir mène aux espaces intimes. Nous observons ainsi, depuis l’espace de la salle à manger, un effet de coulisse dans le passage vers toutes les autres pièces, ainsi intimisées. Le passage vers la cuisine est naturellement privilégié, et l’appel lumineux de l’escalier mène au le séjour. Au niveau supérieur, une porte donne latéralement sur l’espace extérieur au même niveau. La circulation périphérique est possible, à différents degrés de profondeur. PUBLIC/PRIVE Comme nous l’avons vu précédemment, la limite entre public et privé se fait de manière brusque au niveau inférieur. Le bloc, à caractère massif s’ouvre de manière minimale sur l’environnement, apportant de la lumière, cadrant certaines vues depuis les espaces principaux. Les ouvertures sont modestes et répétées à l’identique, à l’exception de celle de la salle à manger, rompant la symétrie et marquant le statut privilégié d’espace de vie. La façade arrière réduit ses ouvertures au minimum pour éclairer et ventiler les locaux de services. Les éléments filtrant le passage sont : 1. Porte d’entrée 2. Salle à manger 3. Chicane 4. Escalier Au niveau supérieur, la relation à l’environnement est tout autre. L’espace intérieur se confond avec l’extérieur, diffus progressivement par les différents éléments : paroi vitrée, toiture, colonnes, socle. Ces divers éléments cadrent ainsi les vues périphériques. De par l’absence de cloisons verticales, les activités des habitants au sein de cet espace sont rendues publiques. L’étendue de l’espace avoisinant, en forte déclivité, marque toutefois une distance protectrice. La maison est donc caractérisée par le jeu de deux volumes radicalement opposés dans leur rapport au contexte. Tous deux se fondent dans leur environnement, soit, en s’enracinant dans la masse de la terre, soit, en se dématérialisant, jusqu’à pratiquement disparaître. Notons l’absence d’enceinte, ou, en d’autres mots, la fusion de cet élément protecteur avec la façade.

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ESPACE EXTERIEUR PRIVE L’espace extérieur privé de cette maison se situe exclusivement sur le socle minéral, en continuité du séjour. Il se développe de manière périphérique à celui-ci, asymétriquement, accueillant un plan d’eau latéral au séjour. Notons le contact visuel direct et omniprésent avec la végétation du site, et le plan d’eau, reflétant l’image de l’arbre voisin semble l’incorporer au sein de l’espace privé. ESPACE PRINCIPAL Comme dans la Dalmau House, le statut privilégié du séjour est affirmé par le contraste entre celui-ci et le reste de la maison, sa configuration, ainsi que son caractère extraverti. Le parcours jusqu’au séjour s’accompagne ici aussi d’une mise en scène visant à provoquer un effet singulier à l’aboutissement. Ce dernier est comparable à un poste d’observation, à la fois proche et distancié de son contexte. Le volume intérieur, en verre, se propage vers l’extérieur grâce au débordement de la toiture ainsi qu’à sa structure, et ensuite grâce au socle en béton, lui-même imbriqué dans le terrain. Comme souligné, les éléments délimitant l’espace du séjour se basent sur la répartition du volume inférieur. Cette correspondance rappelle la complémentarité des espaces, tout en renforçant le contraste entre la « caverne » et la « cabane », par une réduction à l’essentiel de la matérialisation, ainsi que le rapport privilégié au site. Dans le plan d’eau se reflète la nature environnante, ainsi que le ciel, une caractéristique qu’on retrouve d’ailleurs dans d’autres demeures de l’architecte, comme la Gaspar House, la Garcia Marcos House, ou encore la Dalmau House. Toutefois ici, aucun élément de clôture autre que le vide ne vient entourer l’espace extérieur privé. Le rapport à l’environnement se fait de manière plus direct et libre, par un cadrage panoramique, ainsi que de manière plus abstraite, par le reflet dans le plan d’eau du ciel et de la nature environnante.

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#11 ASENCIO HOUSE ~ 290 m² Cadiz 2001

CONTEXTE Rappelant la volumétrie de la Garcia Marcos House, cette maison se présente comme un prisme blanc s’élevant dans une enceinte opaque côté rue, longeant le trottoir de forme légèrement courbe. Les percements dans le volume principal s’effectuent néanmoins différemment, dans la façade principale, à rue. Côté arrière, l’enceinte s’ouvre ponctuellement face au séjour, placé à l’arrière. Notons la proximité d’une autre habitation, et l’espace vert situé à l’arrière de la maison. COMPOSITION / ORGANISATION En plan, la forme du prisme abritant les espaces intérieurs est carrée. L’enceinte, quant à elle présente une originalité face aux projets précédents. Sa forme est irrégulière, tant côté trottoir, dont elle adopte la courbure, tant latéralement, où elle s’affranchit de la composition orthogonale. La délimitation de la parcelle à l’arrière adopte également cette tendance oblique. Entre le volume intérieur et l’enceinte, nous remarquons une seconde enceinte, partielle, matérialisée principalement sous forme d’un parapet. Elle abrite un escalier, menant au sous-sol. La composition intérieure est régulière, divisant le cube intérieur en quatre parties égales. La moitié située côté rue abrite des fonctions secondaires, comme la cuisine et les services, tandis que la moitié arrière est dédiée à l’espace de vie, sur trois niveaux. Jouxtant le cube, l’espace extérieur en reprend la forme en plan et vient s’aligner sur celui-ci, prolongeant l’espace de vie à l’extérieur, débordant même hors de l’enceinte. En coupe, les espaces sont travaillés en double hauteur, tant au rez qu’au premier étage, à chaque fois sur un quart de la composition. STRUCTURE S’inscrivant dans la logique des projets précédents, la façade et les divisions intérieures correspondent avec la structure. CIRCULATION L’entrée se fait au centre de la façade, menant au séjour, à l’arrière, par une série de chicanes. L’escalier ainsi que l’accès aux autres espaces se déroule le long de cette voie de circulation principale. A l’étage, depuis le palier, on accède par une chicane à une seconde partie du séjour. Les chambres sont également distribuées depuis ce parcours principal. Au rez, les deux parties du séjour sont reliées par quelques marches, toutes deux permettant le passage vers l’espace extérieur. Notons également la probable circulation périphérique, de plein pied, autour de l’ensemble du volume intérieur, à l’intérieur de l’enceinte. 103



PUBLIC/PRIVE L’espace intérieur est une fois de plus ici protégé par l’enceinte entourant le volume principal. Cette enceinte est néanmoins percée à l’arrière, et le séjour s’ouvre sur un espace vert protégé de la rue. Les ouvertures dans le prisme principal restent fidèles aux principes appliqués dans les précédents projets, et confèrent à la façade rue un caractère opaque et protecteur. La transition du public au privé se fait par un accès centré et une succession d’espaces et de chicanes. Les filtres que nous retrouvons ici sont : 1. Porte dans enceinte 2. Espace extérieur privé, sous forme de couloir 3. Porte d’entrée 4. Vestibule 5. Chicane 6. Hall 7. Chicane L’accès au séjour s’accompagne d’une mise en scène, débouchant sur un espace ample, lumineux, en double hauteur, diagonal et extraverti. ESPACE EXTERIEUR PRIVE La maison comporte divers types d’espaces extérieurs. Premièrement, l’enceinte délimite un espace extérieur périphérique au prisme intérieur. Cet espace est fractionné en diverses parties, notamment le sous-espace « couloir » d’entrée, et ceux attribués à la cuisine et à la chambre du rez. Il est néanmoins possible de faire librement le tour du prisme. L’espace extérieur principal, dédié au séjour, empiète traverse cet espace périphérique pour se prolonger à l’extérieur de l’enceinte. Il comprend un bassin d’eau. Au-delà de cette limite, nous retrouvons un autre type d’espace extérieur, au caractère naturel et verdoyant, visible depuis le séjour. Cette dernière caractéristique dénote des dernières réalisations de l’architecte. ESPACE PRINCIPAL L’espace du séjour est situé de façon centrale dans l’ensemble de la composition. L’accès y est filtré par une série d’éléments, mettant en scène cet espace principal, monumentalisé, protégé vraisemblablement côté rue par cette tranche bâtie, tout comme, par exemple, la Turegano House. Tout comme dans cette dernière, la relation que le séjour entretient avec l’environnement est particulière. L’enceinte s’ouvre créant une relation visuelle, mais également physique vers l’extérieur. Cette position centrale vis-à-vis des autres pièces et de l’espace environnant nous rappellent la Dalmau House. Comme décrit, la moitié du volume intérieur est dédiée au séjour. Divisé en deux parties égales, il est composé de trois sous-espaces traités différemment, deux d’entre elles situées au rez, la troisième, à l’étage. Aux deux niveaux, ces espaces s’élancent en double hauteur, procurant une dimension diagonale, renforcée par la perforation zénithale de la toiture et la lumière. Les dispositifs utilisés ici nous rappellent divers projets précédents, comme la Turegano House, la Garcia Marcos House, mais également la Dalmau House ainsi que la Janus House, dans une disposition nouvelle. 105



#12 GUERRERO HOUSE ~135 m² Zahora, Cadiz, Espagne 2006

CONTEXTE Rappelant sans conteste la Gaspar House, cette maison se pose dans un environnement verdoyant, sur un terrain régulier. Elle présente des façades totalement opaques et plus énigmatiques que jamais, ne laissant rien deviner la vie intérieure, ni même la fonction domestique du bâtiment. Aucune ouverture n’est pratiquée dans l’enceinte, à l’exception de la porte d’entrée, imperceptible. Le prisme régulier, d’un blanc pur, se détache de l’environnement tel une découpe dans une photographie couleur. COMPOSITION / ORGANISATION La maison s’organise selon un plan rectangulaire, de plein pied, configuré à la manière de la Gaspar House. L’espace intérieur de la maison est également contenu dans un rectangle central, perpendiculaire à l’entrée, sous-divisé trois parties, hiérarchisant les fonctions : séjour au centre, chambres et services latéralement. Les espaces sont couverts par une toiture située au même niveau, ne surplombant pas l’enceinte. Toutefois, l’espace du séjour est mis en scène de façon similaire, par l’abaissement des pans de toiture latéraux, provoquant un rétrécissement avant d’y accéder. Alors que l’espace intérieur et son positionnement répondent à une géométrie absolue, les murs latéraux, abritant les espaces secondaires, se prolongent de manière asymétrique, conférant aux espaces extérieurs un caractère nouveau : les espaces principaux diffèrent en taille, proportions et aménagement, dissociant l’espace d’entrée de l’espace à l’arrière; dans les espaces secondaires, nous assistons à un fractionnement supplémentaire, créant un nouveau type d’espace extérieur, intermédiaire. STRUCTURE Comme dans la majorité des projets de l’architecte, nous notons une corrélation entre la structure et les éléments séparateurs. Toutefois, nous remarquons l’emploi de techniques structurelles différentes, permettant d’importants franchissements, notamment les ouvertures dans le séjour. CIRCULATION La circulation est analogue à celle de la Gaspar House, strictement horizontale, selon deux axes centraux : depuis l’entrée, et, perpendiculairement, vers les espaces secondaires. La circulation périphérique est possible, mais comme souligné, elle passe par une série d’espaces intermédiaires, entre l’espace extérieur dédié à la chambre et l’espace extérieur de l’entrée. Cette donnée renforce l’intimité des chambres.

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PUBLIC/PRIVE De la même manière que dans le modèle de base, la transition public-privé se fait en ligne droite, selon l’axe central. Une fois l’enceinte franchie, le premier espace extérieur accueille le visiteur. Au sein de cet espace, quatre arbres délimitent un sous-espace. La relation visuelle depuis l’extérieur vers le séjour est plus importante, de par l’imposante baie vitrée, mais le débordement de toiture constitue ici un filtre supplémentaire. Les éléments marquant la transition sont les suivants : 1. Porte dans l’enceinte 2. Espace extérieur privé 3. Sous-espace extérieur 4. Toiture 5. Baie vitrée + Porte ESPACE EXTERIEUR PRIVE Le volume intérieur est jouxté latéralement d’espaces extérieurs privés. Ceux-ci divergent à différents niveaux. Le premier est le caractère principal ou secondaire, dépendant des espaces qu’ils desservent. Les deux espaces principaux s’étendent d’un côté et d’autre du séjour. Une première distinction est apportée par leur taille, forme et traitement. L’espace de l’entrée, de forme carrée, est à son tour sous-divisé par la composition géométrique de quatre arbres, formant un second carré au sol. L’espace situé à l’arrière du séjour est rectangulaire, forme renforcée par la sous-divison de l’espace par un plan d’eau et l’alignement de quatre autres arbres, créant différents niveaux de profondeur. Ensuite, les espaces extérieurs secondaires, dédiés aux chambres, sont protégés derrière des pans de murs de hauteur plus modeste. Derrière ces parois, d’autres murs définissent, côté entrée, des espaces extérieurs intermédiaires, entre celui l’entrée et celui des chambres. L’ensemble se détache de son environnement, dé-contextualisant la réalité extérieure, y réduisant le contact au ciel, y important de manière artificielle et géométrisée, des éléments naturels, les arbres, et le plan d’eau. ESPACE PRINCIPAL L’espace du séjour est une fois de plus le centre de la composition. Il entretient une relation privilégiée à l’espace extérieur principal, et s’isole totalement de l’environnement. De par la différenciation du traitement des espaces extérieurs, un nouveau paysage ou décor est créé, diversifié, des deux côtés du séjour. Le traitement en coupe apporte à l’espace de vie une lumière horizontale, tamisée par le débordement de toiture et enrichie par la lumière réfléchie indirectement.

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#13 MOLINER HOUSE Projet en cours ~ 245 m² Zaragoza, Espagne 2007

CONTEXTE Ce projet se présente sous l’apparence d’un volume centré par rapport à une enceinte opaque. La parcelle, dictant la forme de l’enceinte périphérique est ici de forme irrégulière. La maison est composée de trois parties distinctes, superposées, et s’ancre au sol par le volume inférieur, totalement enterré. Au niveau du jardin, un volume totalement vitré s’y superpose, et le premier niveau, visible depuis l’extérieur se présente comme un volume opaque, aveugle sur trois côtés, le quatrième étant totalement vitré. Nous remarquons ainsi trois types de façades, selon leur degré d’ouverture. COMPOSITION / ORGANISATION La composition générale se base sur la forme rectangulaire de la maison, répartie en trois niveaux. La partie abritant l’espace nuit est située en sous-sol, et prend lumière grâce à la découpe de deux patios, transversaux. Au niveau supérieur, on trouve l’espace de vie principal, totalement vitré sur le jardin, et dont la terrasse prolonge l’espace intérieur vers l’extérieur. Au premier étage se situe la bibliothèque, dont la façade s’ouvre généreusement sur un côté, alors que les trois autres restent opaques. Dans cette logique de dissociation des fonctions, décrite par les croquis de l’architecte, notons le traitement de cet espace supérieur, à caractère cérébral, opaque, tranchant fortement avec le traitement de maisons antérieures présentant cette dissociation fonctionnelle. De même, nous remarquons la transparence totale au niveau du rez, mais dont les vues sont arrêtées cette fois par l’enceinte périphérique, contrairement, une fois de plus, aux précédents projets à caractère binaire. Ces données unifient ainsi d’une manière nouvelle, tout l’espace de ce niveau, provoquant un total effet de soulèvement du volume supérieur. Comme dans la Garcia Marcos House, un espace est soustrait à l’ensemble, situé à un niveau différent de l’espace intérieur, et isolé par des murs, gérant ainsi l’entrée et le garage. STRUCTURE Nous remarquons ici la présence de deux systèmes structurels, le premier, par la maçonnerie, le deuxième, par des colonnes associées à une enveloppe vitrée. Mais contrairement aux projets précédents, ces éléments se retrouvent exclusivement en façade, ainsi alignée aux trois niveaux, ne bénéficiant ici d’aucune indépendance entre les éléments. Dans le volume intérieur, aux divers étages, notons l’espace ouvert, dépourvu d’éléments structurels, relégués exclusivement en périphérie.

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CIRCULATION La circulation est ici essentiellement verticale, reliant les différents niveaux de vie par un escalier hélicoïdal, placé au centre de la maison, et par un ascenseur. Au niveau du rez, la circulation périphérique autour du séjour est possible, et un escalier secondaire extérieur relie ce niveau directement au niveau inférieur, par un des patios. A l’extérieur du jardin, un troisième escalier relie le niveau du jardin au niveau de la rue, permettant l’entrée de la maison. PUBLIC/PRIVE De manière générale, l’espace public de la maison est protégé par son enceinte opaque, abritant un vaste espace extérieur sur lequel s’ouvre librement l’espace de vie. L’espace nuit est distancié par rapport à ce niveau de réception, enfoui dans la terre et possédant son propre espace extérieur. La transition du public vers le privé se fait par le franchissement d’une série de filtres : 1. Porte dans l’enceinte 2. Espace extérieur privé, secondaire 3. Escalier 4. Palier 5. Espace extérieur principal 6. Chicane 7. Porte d’entrée Notons la continuité du revêtement du sol du séjour, s’étendant à la terrasse, et se prolongeant jusqu’à l’escalier extérieur d’entrée. L’escalier menant au niveau nuit étant plus discret, en discontinuité. ESPACE EXTERIEUR PRIVE L’espace extérieur privé se trouve au niveau du rez, ainsi qu’au niveau inférieur, sous forme de deux cours creusées dans le sol, ceintes de murs. L’une d’entre elles est directement accessible depuis le rez, par un escalier longeant l’enceinte. L’espace principal, au niveau du rez, ceint de hauts murs, accueille à la fois le visiteur et dessert l’espace de vie principal. Cet espace extérieur est isolé de son environnement, unifiant intérieur et extérieur au sein d’un même ensemble. Notons la présence, dans les études, d’éléments de végétation non géométrisés, laissés à l’état naturel. Cette donnée confère un nouveau caractère à l’espace, où le séjour est perçu comme entièrement ouvert sur un espace naturel, mais fortement délimité, contrairement aux exemples binaires précédents, où le séjour coulait dans un vaste paysage. Les espaces extérieurs secondaires, creusés, répondent à une logique de hiérarchisation et d’introversion similaire à certaines maisons précédentes, comme la Gaspar House. ESPACE PRINCIPAL L’espace du séjour se présente sous forme d’une boîte entièrement vitrée périphériquement, au-dessus duquel est situé un volume semi-opaque, abritant la bibliothèque. L’espace du séjour entretient un rapport privilégié avec l’espace extérieur de la maison, s’étendant véritablement vers celui-ci, donnant l’impression d’une cabane située en pleine nature. Cette espace naturel ne s’étend pas à l’horizon et est fortement délimité et isolé de l’environnement. Le séjour est le premier espace intérieur auquel on accède dans la maison, permettant de rejoindre les autres niveaux par un escalier positionné de manière centrale. La lumière est ici horizontale, et filtrée par la végétation prévue dans l’espace extérieur privé.

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#14 OLNICK SPANU HOUSE Projet en cours ~ 1400 m² Garrison, New York, U.S.A. 2007

CONTEXTE Particulièrement semblable à la Blas House, cette maison en reprend les caractéristiques principales. L’échelle de ce projet varie toutefois fortement, définissant ainsi des exigences légèrement différentes du modèle de base. L’habitation se présente sous une forme bipartite, un volume monolithique en béton brut, ancré au sol, sur lequel vient se poser une boîte légère, entièrement vitrée de laquelle déborde la toiture. Mais au lieu de s’encastrer partiellement au sol, le bloc minéral vient ici se poser à la surface, de manière plus indépendante. COMPOSITION / ORGANISATION La composition est régulière, et symétrique, contenue dans un volume rectangulaire de 60 x 23 m. Au niveau inférieur, l’espace est réparti en sept travées. L’axe central passe par la travée centrale, où s’organise une entrée majestueuse. Les trois travées situées de chaque côté abritent d’amples espaces nuit, un second espace de séjour, ainsi que des locaux techniques, distribués en peigne par une circulation latérale longitudinale. Au niveau supérieur, l’espace totalement vitré abrite la chambre principale, la cuisine et salle à manger, ainsi qu’un vaste séjour. Ces espaces sont compartimentés par des parois verticales abritant les locaux humides. C’est un espace fluide et entièrement ouvert, se prolongeant à l’extérieur sur le socle minéral. STRUCTURE Ce projet se situe dans la continuité des projets « binaires », composés de deux parties distinctes structurellement. Le socle, avec la correspondance structure – séparations/ façades, contraste avec le volume vitré, où la façade est rendue indépendante de la structure. Toutefois, la structure du volume inférieur est ici reprise, et participe activement à la séparation des pièces. La toiture débordante est désaxée par rapport au volume intérieur, et les colonnes la soutenant se retrouvent, singulièrement, à moitié dedans, à moitié dehors. CIRCULATION La circulation au niveau inférieur se déroule le long de deux axes perpendiculaires. L’axe de l’entrée, parcourant la maison en largeur, mène à un second axe longitudinal, distribuant les pièces, en peigne. La maison possède trois entrées. Deux d’entre elles donnent directement dans le vaste hall d’entrée, et une troisième, en bout de la circulation longitudinale. Deux escaliers, identiques, placés symétriquement par rapport au hall d’entrée, mènent au niveau supérieur. A ce niveau, la circulation est fluide et périphérique, grâce à l’absence de portes entre les différents espaces. Une autre circulation périphérique est possible, à l’extérieur du volume vitré.

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PUBLIC/PRIVE La transition entre le public et le privé se fait de manière brusque. Une fois franchie la porte d’entrée, le visiteur se retrouve dans un espace ample, avec, dans l’axe, une seconde porte le menant à l’extérieur. Ce n’est qu’après avoir parcouru l’axe de circulation perpendiculaire distribuant les chambres que celui-ci pourra, en empruntant un des deux escaliers, accéder au niveau supérieur. Les éléments filtrant l’accès au séjour sont : 1. Porte d’entrée 2. Hall d’entrée 3. Chicane 4. Escalier Ici, nous retrouvons un cloisonnement vertical, permettant une intimisation des sousespaces ; toutefois, il est à noter le caractère antagonique des diverses fonctions. Le rapport à l’environnement reprend les caractéristiques de la Blas House. L’agencement de la chambre principale, symbole d’intimité à ce niveau, ouvert et transparent, illustre et confirme la distanciation vis-à-vis de l’environnement présente dans ce type de maison. ESPACE EXTERIEUR PRIVE L’unique espace extérieur privé de la maison se situe au niveau supérieur, en prolongement du séjour. En décalant la boîte vitrée, l’architecte privilégie clairement un espace avant à un espace arrière, même si la circulation périphérique est toujours possible. Cet espace principal s’oriente vers les vues offertes sur le paysage, prolongeant l’espace intérieur à l’extérieur. Cette caractéristique est renforcée par les divers éléments constructifs décalés, graduant la transition. Notons ici la relation qu’entretiennent séjour, cuisine/salle à manger/ chambre à un même espace extérieur. ESPACE PRINCIPAL Comme décrit, le séjour s’agence au niveau supérieur. Un second living-room est présent au niveau inférieur, présentant une configuration similaire aux espaces des chambres, ne faisant pas l’objet de la description de ce point. Le dispositif du séjour principal est très similaire à la Blas House, mais présente toutefois certaines divergences. Principalement, la proximité d’autres types d’espaces à ce niveau, représentant l’hybridation d’espaces de type « animal » et « cérébral ». Une autre dissemblance est amenée par le cloisonnement intérieur, ainsi que la relation entretenue avec son espace extérieur privé. Dans ce sens, les limites, constituées d’éléments constructifs sont flouées, comme expliqué au point abordant l’aspect structurel ; le décalage du volume intérieur par rapport au socle confère une relation avant/arrière face au paysage, semblable au projet de la Dalmau House.

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ŒUVRES SUPPLETIVES

VILLA SAVOYE, 1929 PAVILLON DE BARCELONE, 1929 CORTIJO LAS SALINAS, XVI e siècle CASA FERÍ, XVI e siècle

Les quatre projets suivants sont présentés ici en vue de nourrir la réflexion à propos du travail d’Alberto Campo Baeza. Nous énoncerons, sur base des critères préalablement désignés, certains principes permettant un rapprochement aux maisons de Campo Baeza. Ces analyses, volontairement présentées de manière succincte, ne prétendent aucunement détenir une valeur exhaustive.

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CONTEXTE

VILLA SAVOYE Le Corbusier Poisy 1929

La villa est située sur un site verdoyant, à caractère ouvert. Elle prend l’apparence d’un prisme régulier blanc, aux ouvertures en bandeau, détaché du sol par des pilotis. Des appendices irréguliers dépassent, au niveau du rez et du deuxième étage, constituant les niveaux secondaires de la maison. Les étages sont ainsi traités de manière indépendante les uns par rapport aux autres. La façade du niveau principal, détaché du sol, prend l’apparence d’un rectangle horizontal, aux généreuses fenêtres en bandeau, et son expression est similaire sur les quatre faces. Les niveaux secondaires, rez et deuxième étage, contrastent fortement dans leur forme et traitement. En effet, leur forme irrégulière se développe librement et en recul par rapport à la façade principale. Le traitement de ces niveaux secondaires renforce la principauté du premier niveau, les mettant au second plan par rapport à cette dernière. Face à l’entrée, le volume inférieur est vitré, marquant l’entrée de la maison. Les autres côtés présentent un caractère plus fermé. Au second niveau, la terrasse est partiellement abritée par une paroi verticale, dont la forme, à tendance organique, s’affranchit par rapport à la façade du niveau principal, rectiligne. Les vues sur l’environnement sont, de manière générale, cadrées à l’aide de percements dans les parois de la façade, et les larges ouvertures en bandeau permettent une continuité horizontale, créant un effet panoramique. COMPOSITION / ORGANISATION Dans la Villa Savoye, nous remarquons une trame structurelle de colonnes totalement orthogonale et régulière. Conformément au principe du plan libre, les espaces sont agencés de manière indépendante à la grille structurelle, tout en s’y appuyant ponctuellement. Les espaces sont, par moments, fragmentés, créant un riche paysage intérieur. Ainsi, dans la Villa, l’espace bâti « plein » s’agence aux différents niveaux selon une logique indépendante, et une tendance asymétrique par rapport à l’ensemble. Les fonctions sont ordonnées par étages. Au niveau du rez, on trouve ainsi la partie dédiée à l’automobile, au logement du personnel, ainsi que l’entrée de la maison. L’espace de vie principal se développe au premier étage, avec, au dernier niveau, un appendice permettant de jouir d’un espace extérieur supplémentaire, au caractère particulier, à l’écart des espaces intérieurs. STRUCTURE La Villa Savoye est l’illustration claire du principe du plan libre, où l’espace s’agence librement sur les dalles soutenues par une grille de colonnes. La façade et le cloisonnement intérieur s’affranchissent du rôle structurel, et se présentent comme de fines parois, pouvant se modeler librement. Les fenêtres en bandeau témoignent de ce statut, libérées de la contrainte du linteau. CIRCULATION La circulation peut être résumée à trois modes distincts. Au niveau du rez, nous retrouvons un axe coudé, un noyau, et une possible circulation périphérique. Au niveau principal, les axes de circulation sont démultipliés. Au dernier niveau, nous observons un seul axe, coudé. Notons également une possible circulation continue, connectant séjour, espace extérieur, et pièces secondaires. La circulation verticale occupe ici une place centrale, constituée d’une rampe d’accès et d’un escalier, desservant l’entièreté de la maison. L’accès principal, destiné aux invités, est ici situé dans l’axe d’entrée, invitant à entrer, marquant l’appel. A noter également, le traitement particulier de l’escalier, esthétisé.

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PUBLIC / PRIVE Dans la Villa Savoye, la transition du public vers le privé se fait de manière graduelle, et les divers filtres sont matérialisés par les éléments constructifs dissociés, présents le long du système d’entrée de la maison. Notons le changement directionnel effectué dans le parcours, par la rampe d’accès. Un autre élément marquant la limite public-privé est constitué par l’enveloppe extérieure. Adoptant différentes formes à chaque niveau, elle est caractérisée, au niveau principal, par un véritable cadre unifiant la composition, englobant à la fois espace intérieur et espace extérieur. Au niveau de l’entrée, l’enveloppe est, par contraste, transparente, diluant la limite public/privé, de même qu’au dernier niveau, où elle n’est pas totalement close. ESPACE EXTERIEUR PRIVE Dans la Villa, nous retrouvons différents types d’espaces extérieurs privés, disposés aux divers niveaux. Ils se retrouvent ainsi au rez, au premier étage, et sur la toiture. La maison abrite des espaces extérieurs pouvant respectivement être décrits comme périphérique, à tendance introverti, ceint, ou annexe. L’espace extérieur principal, situé au niveau de vie, est annexe aux espaces de vie, paraissant comme creusé dans la masse. Cet espace est contenu dans une enceinte, unifiant espace intérieur et extérieur, permettant et cadrant des vues sur les environs. ESPACE PRINCIPAL L’espace du séjour de la Villa Savoye est positionné de manière latérale en plan, et s’agence de plain-pied avec le reste des espaces de la maison. Cet espace de vie est jouxté par l’espace extérieur principal, le prolongeant au sein d’un même cadre. Espace du séjour et espace extérieur principal possèdent chacun une forme indépendante. Le séjour, comme le reste des espaces de vie, est distancié par rapport au niveau de l’entrée. La rampe d’accès occupe une position centrale, arrivant frontalement par rapport au séjour, dont la façade intérieure est entièrement vitrée, le long de l’espace extérieur. Les autres pièces de la maison sont visuellement isolées de la rampe d’accès. Notons également la relation visuelle à l’environnement. Dans la Villa, les larges ouvertures dans l’enveloppe permettent des vues tant depuis les espaces de vie que depuis les chambres. Ces vues sont cadrées, comme de véritables tableaux décorant l’enceinte. L’espace du séjour est ici traversant, bénéficiant d’une façade avant et arrière, traitée différemment.

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CONTEXTE

PAVILLON DE BARCELONE Mies van der Rohe Barcelone 1929

Les espaces du Pavillon se situent de plain-pied, agencés à l’aide de plans verticaux glissant sur un socle surélevé, qui s’ancre au terrain. Cet élément définit ainsi une première limite, distanciant le pavillon de son environnement. L’ensemble, à l’allure horizontale, regroupant espaces intérieurs et extérieurs, est partiellement couvert par deux plans horizontaux, débordant des espaces intérieurs. Les parois verticales affichent une riche gamme de matériaux, étant matérialisées par du verre, transparent ou translucide, ou par diverses teintes minérales. Aux deux extrémités, les plans verticaux se plient, en forme de « U », tandis que les autres plans se résument à de simples parois rectilignes. L’espace de vie principal est abrité par ces parois verticales, et est contenu dans une enveloppe partiellement vitrée, partiellement opaque. Ce jeu de plans, glissant dans la composition, prolongeant les espaces, ainsi que les larges baies vitrées, confèrent une grande fluidité à l’ensemble. Les façades intérieures du Pavillon sont matérialisées par des panneaux vitrés, et des parois verticales opaques, englobant et reliant les espaces intérieurs et extérieurs. Le regard est soigneusement contrôlé, permettant à la fois une sensation d’ouverture et de transparence, tout en préservant l’espace de la maison. De manière générale, les divers plans créent une barrière visuelle face au contexte, conférant un caractère opaque aux façades. COMPOSITION / ORGANISATION Dans le Pavillon de Barcelone, nous ne retrouvons pas de trame compositionnelle à proprement parler, mais plutôt un agencement ordonné, orthogonal. La grille de colonnes rythme et unifie l’espace, mais ne constitue pas l’élément principal définissant les espaces. Dans cette logique, les plans verticaux et horizontaux se démarquent les uns par rapport aux autres, sans jamais débuter ou finir au même endroit. En plan, les parties semblent générées à partir de formes rectangulaires, mais elles ne sont plus concrètement matérialisées, mais dissoutes au travers d’une série d’assemblages, rythmés par les éléments verticaux. Ainsi, nous observons la forme irrégulière que prend l’espace intérieur principal dans le Pavillon, ainsi que la composition décentrée, fragmentée et asymétrique. Cette caractéristique dénote fortement par rapport à l’œuvre de Campo Baeza, où l’ensemble, composé de formes pures, tend vers la symétrie et l’unité. Nous remarquons également ici la scission totale des deux espaces intérieurs, et leur distanciation. Ces espaces s’articulent autour d’un espace extérieur, et à l’aide d’éléments tels le plan d’eau, ou le mur vertical reliant les deux toitures. De par la configuration des différents objets, l’espace est particulièrement fluide dans l’ensemble du bâtiment, paraissant véritablement tendu entre les différents éléments, tantôt étiré, tantôt compressé par les éléments. STRUCTURE Les divers éléments constructifs sont affranchis. La toiture, débordant sur les espaces intérieurs, est supportée par des éléments verticaux, murs ou colonnes, indépendants les uns par rapport aux autres. Ainsi, nous remarquons le positionnement des colonnes, jouxtant les murs verticaux, sans s’y superposer. Les parois verticales, comme la toiture, participent à cette logique de tension et de prolongement spatial, intérieur/ extérieur. La façade est composée de divers éléments verticaux, situés rarement dans un même plan, et possédants des opacités variées. CIRCULATION La circulation est libre, fluide et démultipliée, en chicanes. Les axes sont marqués par les parois verticales, guidant le parcours ainsi que la transition intérieur-extérieur. L’unique élément de circulation verticale est l’escalier permettant d’accéder au socle, franchissant un demi-niveau.

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Il est décentré, marqué par un retrait sans le socle, semblant creusé dans celui-ci. L’accès n’est pas frontal, mais longe les parois verticales longitudinales, situant ainsi l’escalier à l’extérieur du cadre constitué par les parois verticales. PUBLIC / PRIVE La transition du public vers le privé peut sembler assez brusque. En effet, en franchissant l’escalier, on accède au socle, et à l’espace extérieur autour duquel s’agencent les espaces intérieurs. Néanmoins, les percées visuelles sont habilement traitées, et l’intimité des espaces intérieurs est préservée. Cette gestion de l’intimité se fait par l’agencement précis d’un nombre restreint d’éléments. Ainsi, l’ensemble donne l’illusion d’une ouverture presque totale, tout en préservant les espaces privés. L’accès à l’espace du séjour se fait à partir de l’espace extérieur situé sur le socle. Il s’effectue entre deux plans verticaux, signalés, mais pas spécialement soulignés. Les parois intérieures créent une circulation en chicane, marquant divers sous-espaces. L’enceinte joue ici un rôle important dans la privatisation des espaces. Elle n’encercle pas la totalité de la maison, mais seulement des parties de celle-ci, et les éléments rectilignes, parfois situés à l’intérieur, complètent l’enceinte à proprement parler. Ces deux parties principales, en forme de U, sont situées aux extrémités de la maison. Elles encadrent la composition et définissent un espace à caractère intériorisé, bloquant les vues et abritant des espaces tant intérieurs qu’extérieurs. L’espace intérieur est ici partiellement contigu à l’enceinte, mais il s’affranchit de l’enveloppe minérale, affichant l’enveloppe vitrée. L’agencement des parois verticales dans l’espace intérieur confère à ce dernier une sous-division, ainsi qu’un nombre de couches, intimisant le cœur de l’espace. Signalons que la nette distinction entre l’élément de l’enceinte et les autres éléments de séparation résulte ambiguë, conférant une grande richesse à la composition. ESPACE EXTERIEUR PRIVE Le Pavillon comporte deux espaces extérieurs pouvant être définis comme ceints, et annexes. Ils sont situés sur le socle minéral, mais malgré le débordement latéral du socle, le Pavillon ne comporte pas d’espace extérieur périphérique. Ces espaces sont situés de plain-pied, en continuité avec les espaces intérieurs. De plus, ils sont totalement détachés l’un de l’autre et hiérarchisés. En effet, le plus petit, entièrement ceint et intériorisé, n’est accessible qu’après le franchissement de l’espace de vie principal, tandis que l’espace principal, aux dimensions généreuses, est un d’espace d’accueil, et articule les deux parties de la maison. Ce dernier est partiellement ceint, permettant des vues, canalisées, mais son caractère reste de manière globale, ouvert. Ces deux espaces extérieurs comportent tous deux un plan d’eau, de forme rectangulaire, mais le traitement diffère selon la nature de l’espace. Dans l’espace secondaire, le plan d’eau, occupe l’entièreté de la surface au sol, en prolongement du séjour. Le second plan d’eau occupe la majorité de l’espace extérieur disponible. Accolée à l’enceinte, sa forme s’affranchit du reste des éléments construits et occupe un rôle important dans la canalisation des circulations. ESPACE PRINCIPAL Le séjour constitue l’espace principal de la maison. Il est décentré par rapport à l’ensemble, jouxté d’une part et d’autre d’espaces extérieurs privés. Longitudinalement, il est rythmé par divers pans verticaux, le prolongeant, et canalisant les vues, vers les espaces extérieurs privés. Ces séparations verticales l’isolent ainsi latéralement de l’environnement, et l’unique paroi vitrée transparente est située côté entrée. Le séjour est toutefois distancié de l’environnement par la différence de niveau constituée par le socle. Le séjour est prolongé visuellement et physiquement vers les deux espaces extérieurs le jouxtant, unifiant ces espaces. Le séjour s’organise de plain-pied, et bénéficie principalement d’une lumière horizontale. Notons une extraordinaire richesse lumineuse, et de multiples variations au sein de l’espace. Ces qualités sont en partie conférées par les parois verticales, tantôt transparentes, translucides ou opaques, ainsi que par la lumière directe et indirecte pénétrant le séjour.

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CORTIJO DE LAS SALINAS Jaén, Andalousie XVIe siècle Contexte Rural CONTEXTE L’habitation est située en milieu rural, peu dense, entourée de végétation. Elle est complétée par un bâtiment secondaire, dédié aux fonctions secondaires nécessaires à l’activité agricole, qui ne fera pas le sujet de l’analyse proposée dans ce travail. La maison se présente sous la forme d’un bâtiment en « L », s’élevant sur deux niveaux, complétés par un espace extérieur ceint par un mur opaque, s’érigeant sur un niveau. La façade recouverte de crépi blanc, ainsi que la toiture en pente recouverte de tuiles rouges tranchent dans ce paysage dégagé. Le volume contenant l’entrée principale présente de nombreuses ouvertures sur les quatre faces, tandis que le second volume, filiforme, présente une façade extérieure à tendance opaque, tandis qu’il s’ouvre sur l’espace extérieur privé, permettant toutefois des vues sur l’environnement au second niveau. Ainsi, de par les nombreux mais modestes percements, la façade se lit de manière globale comme oblitérée. COMPOSITION / ORGANISATION Le plan de l’ensemble s’organise selon une forme parfaitement rectangulaire. Le patio, également rectangulaire, tandis que le bâti, en forme de « L », s’agence sur son pourtour, sur deux côtés. L’espace vide du patio semble ainsi soustrait à l’ensemble, conférant un caractère secondaire, voire résiduel au corps du logis. Ces derniers occupent une position régie par des proportions strictement régulières, couvrant 1/3 de la longueur, et ¼ de la largeur. Faisant exception à cette composition stricte, deux annexes, de taille strictement similaire, se positionnent en continuité du bâti, d’une part, à l’intérieur du patio, d’autre part, près de l’entrée. Tenant compte de leur taille identique, l’épaisseur des murs, et leur rôle secondaire dans la composition, la question pourrait se poser quant à la date de leur construction. L’organisation des espaces intérieurs répond à une logique orientant les pièces de la maison soit vers l’extérieur, soit vers le patio intérieur. D’une part, le volume abritant l’entrée principale, plus profond, il est composé de deux tranches de pièces, en monofaçade. Cependant, au rez, nous observons une pièce principale, directement accessible depuis l’entrée, occupant l’angle, et exclusivement ouverte sur l’extérieur. Côté patio, elle reste opaque. Dans le second volume, plus minces, les espaces sont tournés vers le patio, permettant également leur distribution. De par l’ancienneté de la construction, et les modifications dont elle fut probablement le sujet au cours des siècles, il résulte difficile d’estimer avec certitude la répartition fonctionnelle des espaces. De plus, la polyvalence des espaces, héritage de la maison à patio arabe, très influente dans cette région, pourrait être un facteur présent ici. Dès lors, il serait imprudent de tenter une répartition fonctionnelle. Notons toutefois la taille modeste des pièces, mis à part trois espaces en particulier. Un premier, jouxtant l’entrée principale, est distribué latéralement via le hall. Une seconde pièce est distribuée directement depuis l’extérieur par l’accès secondaire, de manière frontale. Enfin, le troisième espace, situé à l’étage, est accessible depuis le patio intérieur. STRUCTURE Le système structurel répond ici aux contraintes des matériaux et techniques de l’époque. Les façades et autres séparations sont en maçonnerie massive, emplissant un rôle structurel, et conférant une certaine inertie thermique au bâtiment. De par ces caractéristiques, les percements opérés dans la maçonnerie restent relativement réduits. Soulignons l’épaisseur singulière du mur englobant le patio, n’ayant pas de rôle structurel ni thermique.

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CIRCULATIONS La circulation est de manière générale assez dispersée. La maison possède trois entrées, hiérarchisées. L’entrée principale donne accès au corps de logis principal. Elle est située de manière décentrée par rapport à la façade, et est précédée par un porche. Depuis l’ample hall, on accède respectivement aux pièces du rez, au patio, ou à un escalier menant à l’étage. La seconde entrée est située à l’arrière, face au bâtiment secondaire, est une entrée de service qui dessert le second corps de logis. On entre ici dans une vaste pièce, depuis laquelle on accède également aux pièces du rez, au patio, et à l’étage, par un escalier. La troisième entrée, privée, donne directement accès au patio. Nous observons la présence de trois circulations verticales, un escalier, situé près de l’entrée, à double volée, ainsi que deux escaliers secondaires, à simple volée. L’élément du patio joue un rôle considérable dans le système distributif. Unifiant les espaces, il les distribue au rez, mais également à l’étage. De plus, il connecte les différentes entrées. PUBLIC / PRIVE Les espaces privés de la maison sont distanciés de l’environnement par divers moyens. Les ouvertures dans les façades sont principalement pratiquées à l’étage et/ou vers le patio. Au niveau du rez, les baies situées près de l’entrée sont distanciées par la terrasse extérieure formant un porche d’entrée. L’espace extérieur privé, est protégé par l’épaisse enceinte. De plus, l’épaisseur du bâti semi-périphérique constitue une fortification supplémentaire. Le patio constitue ainsi l’antre de l’intimité de la maison. Depuis l’entrée principale, on accède premièrement aux nombreuses pièces de vie, situées au rez ou à l’étage, avant de pouvoir entrer dans le patio. ESPACE EXTERIEUR PRIVE La maison possède divers types d’espaces extérieurs privés. Possédant un caractère public, l’espace extérieur périphérique à l’ensemble est un premier type. Le positionnement de la maison vis-à-vis du bâtiment secondaire définit un second espace, latéral, à caractère semi-public. Un troisième espace extérieur est défini par la toiture au niveau de l’entrée, ainsi que par les colonnes la soutenant. L’annexe bâtie isole cet espace partiellement. Un autre type d’espace est la terrasse, de taille modeste, située au premier étage, dans un des tronçons bâtis, desservant un espace intérieur. Enfin, l’espace extérieur principal est le patio. Occupant la moitié de la superficie au sol, il intimise, unifie, distribue et ouvre les espaces intérieurs. Dans cet espace, nous retrouvons la présence d’un bassin d’eau, positionné de façon décentrée au sein du patio, mais remarquablement central dans l’ensemble de la composition. ESPACE PRINCIPAL De par la logique compositionnelle, la superficie, la distribution de la maison, le patio peut être considéré comme le véritable cœur de la maison. Véritable centre névralgique de la demeure, à la fois extérieur et intérieur, il unifie, ouvre et distribue l’ensemble de l’habitation. Le climat de cette région, de même que le mode de vie de l’époque, faisaient de cet espace l’espace principal de vie. En effet, le reste des espaces de la maison, intérieurs, semblent s’adapter à cet espace indispensable. Les espaces intérieurs présentent un contraste considérable avec le patio, de par leur taille réduite, la fragmentation le cloisonnement de ces espaces, ou encore, par leur éclairage modéré.

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CONTEXTE

CASA de Hernán López FERI Grenade, Andalousie XVIe siècle Contexte Urbain

Cette demeure maure est située dans le quartier historique de l’Albaycin, est une des deux maisons jumelées, érigées à une époque similaire, appelées Casas del Chapiz. La seconde maison est mentionnée ici en complément, mais ne fera pas le sujet de l’étude présentée ici, suite aux modifications et détériorations produites au fil des siècles, ayant engendré une conformation actuelle peu concordante à la configuration d’origine. A titre d’exemple, selon des sources historiques, cette seconde maison était à l’époque bâtie sur ses quatre côtés, autour du patio central. La maison Ferí se dresse sur une colline escarpée, et bénéficie de vues impressionnantes sur le paysage vallonné, et face à l’Alhambra. Malgré cette caractéristique, la maison n’entretient pas de relation privilégiée avec son environnement, s’ouvrant latéralement et de manière réservée par quelques baies sommaires. Le niveau du rez est totalement isolé de l’environnement, par l’épaisse façade ou le mur d’enceinte, englobant une cour d’accès. La demeure, de dimension modeste, est concentrée sur une petite partie de la parcelle, et s’élève sur trois niveaux. Elle laisse ainsi latéralement une partie du terrain libre, constituant le potager de la maison, aménagé en jardin plus tardivement. COMPOSITION / ORGANISATION Le périmètre de la maison, quadrilatère légèrement irrégulier, adopte la forme du parcellaire, tout en concentrant la construction à une conformation compacte, à tendance régulière. Au centre, le patio, de forme rectangulaire, est positionné de manière centrale, et est entouré de corps de logis sur ses quatre côtés. La composition répond à une trame régulière, et nous observons une tendance symétrique dans les corps bâtis entourant le patio. Ainsi, prenant la mesure du patio, les tronçons bâtis périphériques constituent respectivement ½ de la largeur, et ¼ de la longueur du patio. Celui-ci est entouré d’une première couronne, dédoublée côté potager, par un tronçon reprenant la même trame. Une première exception à cette trame est engendrée par le corps de logis jouxtant la seconde maison, constituant un espace partagé par les deux maisons. La trame de cette travée correspond vraisemblablement à celle de la seconde demeure. Une autre particularité est constituée au niveau de l’entrée, où un espace extérieur clos distribuant les deux maisons adopte le tracé irrégulier de la parcelle. Dans cet espace d’entrée, nous retrouvons une dépendance bâtie, écartée de l’espace de vie, abritant sans doute des espaces secondaires, de service ou une réserve. Les espaces de vie s’agencent ainsi autour de cet élément central du patio, s’ouvrant principalement sur cet espace extérieur privé, au détriment de l’environnement. Les pièces de l’étage sont accessibles par l’escalier, situé dans l’axe d’entrée, menant à une galerie périphérique distributive. STRUCTURE Le système structurel répond aux matériaux et techniques de l’époque. Il est constitué d’une maçonnerie, matérialisant façade et séparations, ainsi que par diverses colonnes. Celles-ci, en pierre et au nombre de six au niveau du rez, se distinguent des dix-huit colonnes de l’étage, en bois. Ces colonnes soutiennent principalement la galerie ainsi que sa couverture. En vue de la fonction structurelle et thermique des murs de la maison, les percements opérés restent relativement réduits. Notons ici l’épaisseur de l’enceinte, n’emplissant pas ces fonctions, mais conférant un aspect défensif à la maison. CIRCULATION La circulation de la maison est canalisée par l’élément du patio. Depuis l’entrée, un autre espace extérieur distribue les

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deux maisons. Depuis celui-ci, l’entrée dans la maison Ferí s’opère par un espace exigu, dont les ouvertures décalées constituent une chicane, limitant les vues directes sur le patio de la maison. Depuis celui-ci, on accède à l’ensemble des pièces situées au rez. Face à l’espace d’entrée en chicane, centré dans la composition, nous retrouvons l’unique escalier permettant d’accéder à l’étage. La distribution des espaces de vie à ce niveau se fait par une galerie périphérique. PUBLIC / PRIVE De manière générale, l’espace privé de la maison est protégé par une série d’éléments et de configurations spécifiques. Ainsi, l’accès à l’espace intime s’opère par une série de filtres successifs. Le premier de ces éléments est matérialisé par l’épaisse façade et le mur d’enceinte, abritant un espace extérieur semi privé, commun aux deux maisons, appartenant à l’époque à deux membres d’une même famille. L4entrée proprement dite dans la maison s’opère par un espace étroit, dont les ouvertures décalées génèrent une chicane, filtrant le regard vers l’espace du patio, ainsi que les pièces s’y ouvrant. Nous ne retrouvons pas ici de pièce de réception précédant l’accès au patio, caractéristique témoignant du métissage culturel de cette région arabo-andalouse. Nous observons également la fonction du tronçon commun aux deux habitations, permettant à la fois l’isolation et la communication des deux maisons. En ce qui concerne les ouvertures sur l’environnement, la maison Ferí ne s’ouvre que modérément sur celui-ci, par des percements restreints en taille et nombre. ESPACE EXTERIEUR PRIVE La maison comporte trois types d’espaces extérieurs privés. Le premier, à caractère semi privé, dessert les deux maisons. L’espace extérieur véritablement intime de la maison est le patio central, d’approximativement 10m x 6m. Au sein de cet espace, nous retrouvons un petit bassin d’eau, positionné en son centre. A l’étage, la galerie définit un espace extérieur particulier, dont le rôle, de par ses dimensions modestes, se limite à distribuer, et à isoler les pièces intérieures par rapport au patio. ESPACE PRINCIPAL L’espace principal de la maison est incontestablement le patio. Sa superficie, occupant un tiers de la surface au sol de la maison, ainsi que sa position centrale et intimisée au cœur de celle-ci, font du patio l’élément incontournable de la maison. Il distribue, éclaire, ventile et unifie ainsi l’ensemble des espaces de la maison, constituant un poumon privé, tempéré, au sein d’un tissu urbain dense.

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COMPARAISON DES PROJETS

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#1

#2

#3

#4

#5

#6

Plan

Tissu - Densité

Déclivité Terrain

Ancrage au Terrain

CONTEXTE

PLAN, TISSU, DECLIVITE, ANCRAGE Les projets domestiques d’Alberto Campo Baeza sont situés dans divers types de tissus urbains. Nous constatons que cinq projets (# 1, #2, #10, #12, #13), s’insèrent ainsi dans un contexte de densité faible à moyenne, et six autres (#3, #5, #6, #8, #11, #13) s’implantent dans un tissu de densité moyenne à élevée. Les trois autres projets n’ont jamais été édifiés. Les projets #5 et #6 sont ceux répondant à une densité de tissu maximale, tandis que les projets #10 et #12 s’implantent dans un tissu très aéré. (Notons que les projets #1 et #2, dont le tissu, peu dense, fut déduit à partir de documents complémentaires, ne sont pas tenus en compte pour cette observation.) Nous n’observons pas d’évolution chronologique claire chez l’architecte dans le choix des sites point de vue densité du tissu.

Parallèlement à la densité du tissu, la déclivité du terrain constitue également un facteur influençant le projet. Ici également, nous constatons que près de la moitié des projets s’implantent sur un sol en pente (#1, #2, #3, #4, #6, #10) , tandis que les autres


#7

#8

#9

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#11

#12

#13

#14

sont situés sur des terrains à tendance plate (#5, #7 #, #8, #9, #11, #12, #13, #14). A partir de ce critère, une certaine évolution chronologique pourrait être constatée, de premiers projets, érigés sur des terrains majoritairement dénivelés, vers les projets plus tardifs, sur sol à tendance plate. Une des conséquences directes de la déclivité du terrain, pourrait expliquer l’accroche du bâtiment au sol.

L’accroche au sol suit deux logiques différentes : le bâtiment est posé sur le sol, ou partiellement encastré dans celui-ci. Notons que le type distancié du sol, à l’aide de pilotis par exemple, n’est pas présent dans les maisons de l’architecte. Nous constatons, ici que les sites en pente accueillent des maisons de type encastré. Sur les sites plans, les maisons sont soit posées, soit encastrées, de manière non privilégiée.

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#1

#2

#3

#4

#5

#6

Elévation

Schéma Elévation Type Façade

-opaque -perforée -opaque/transparent

Vues

-panoramiques -canalisées -intériorisées

ELEVATION, VOLUMETRIE GENERALE, FACADES, VUES Les élévations des maisons dialoguent avec le contexte par leur volumétrie générale, leur degré d’ouverture, le matériau et texture. La volumétrie générale se modifie de manière considérable après les deux premiers projets, et nous constatons une évolution géométrique claire dans les premiers projets. La maison #1 pourrait être décrite comme un ensemble de plateaux superposés, flottant les uns par rapport aux autres. L’influence de Wright est clairement notable dans ce type centrifuge, une horizontalité certaine, ainsi qu’un centre relativement compact, matérialisé par l’élément de la cheminée. Dans le projet #2, l’ensemble, fragmenté, prend l’apparence de blocs de diverses tailles. Notons cependant qu’elle répond à une plus grande compacité que la maison, quittant l’horizontalité absolue au profit d’un début de verticalité. La compacité et la verticalité de ce projet annoncent ce qui deviendra plus tard, une caractéristique volumétrique des maisons de l’architecte : Le volume unique et compact.

Ce volume cubique sera souvent, dans les projets postérieurs, associé à un mur d’enceinte périphérique, s’élevant sur un niveau. Notons que les volumes entièrement vitrés, de par leur apparence éthérée, sont perçus de manière secondaire. Ils enrichissent les volumes compacts, mais n’entrent pas véritablement en « concurrence » avec ceux-ci. La volumétrie de la maison est ainsi perçue soit comme un prisme unique, soit comme l’association de deux volumes imbriqués. Dans cette tendance à la synthétisation, à l’unité volumétrique du bâtiment, nous retrouvons une certaine affiliation à la période moderniste, et plus spécifiquement à la notion d’unité et d’épuration énoncée par Le Corbusier. L’importance du cadre clairement défini, présent notamment dans la Villa Savoye, trouve également écho dans les projets de Campo Baeza. La volumétrie des maisons compactes, excluant donc les projets #1 et #2, peut ainsi être synthétisée à deux types : le premier, affichant un unique bloc concentré (#3, #10, #14), tandis que la plupart des projets comprennent l’association bloc + enceinte (#4, #5, #6, #7, #8, #9, #11, #12, #13).


#7

#8

#9

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#11

#12

#13

#14

Dans certains cas, cet assemblage prend l’apparence d’un volume unique, mais horizontal cette fois, matérialisé par le mur périphérique (#8, #12). Cette caractéristique n’est qu’optique, le volume intérieur étant toujours présent.

La façade s’exprime également par ses ouvertures, son degré d’opacité envers son environnement. Dans les deux premiers projets, les habitations s’ouvrent partiellement sur les environs. A partir du projet #3, la façade dite publique, relationnée à l’environnement de manière directe, se radicalise dans son expression. Elle peut se résumer à trois types distincts, allant de l’opaque au transparent. Ainsi, après une façade désignée comme oblitérée dans les deux premiers projets, celle-ci s’éclipse progressivement au profit de deux autres types. Le premier est à tendance opaque, présentant peu d’ouvertures, de taille relativement restreinte (#3, #5, #6, #7, #8, #9, #11, #12, #13). Les projets #3 et #6 marquent la transition depuis la façade oblitérée vers la façade opaque. Le second type est caractérisé par une dialectique superposant opaque et transparent (#4, #10, #14). Cette logique est présente dans un nombre restreint de projets, affichant un clivage spatial radical, distinguant stéréotomique de la tectonique. Notons également, dans le projet #13, que malgré la présence de cette dichotomie, la partie entièrement vitrée, située ici au rez, n’est pas visible depuis les environs, de par le mur d’enceinte périphérique. Le volume visible étant peu ouvert sur l’espace public, sa façade est qualifiée d’opaque. Parallèlement à son degré d’ouverture, le revêtement joue un rôle dans la perception du bâtiment. Chez Alberto Campo Baeza, la maison s’exprime par deux types de revêtements. La majorité des façades des maisons sont de couleur blanche, en enduit blanc (#3, #5, #6, #8, #9, #11, #12). Celles-ci, correspondant aux façades opaques, font de la maison un objet énigmatique, clos sur son environnement. Les façades bicomposées, superposant transparent et opaque, affichent un revêtement minéral, en pierre ou béton brut. Elles adoptent ainsi une attitude opposée aux maisons blanches, en fusionnant au site par le socle minéral ou en laissant passer le regard dans la partie totalement vitrée. A cette logique de diversification du traitement des façades par strates superposées, de par la forme, matériau ou percements, 141


entre en résonance avec le principe moderniste d’indépendance des étages. Ce concept est explicitement illustré dans la Villa Savoye, où nous retrouvons, comme chez Campo Baeza, une superposition de niveaux, répondant respectivement à des logiques propres. Les relations visuelles à l’environnement répondent à trois logiques. Elles sont caractérisées par la canalisation du regard depuis l’intérieur.

Le premier type est totalement libre, atteignant majoritairement les 360°. On le retrouve dans les projets #4, #10, #13 et #14. Ces projets correspondent aux maisons bicomposées, illustrant de manière significative la division stéréotomique/tectonique. Notons cependant que le cas #13, bien que le regard est libéré dans les quatre directions, il butte contre l’enceinte périphérique. Le projet #14 autorise la vision dans les quatre directions, mais la canalise toutefois ici par les séparations intérieures. Le type canalisé est caractérisé par un contrôle visuel, par des ouvertures, dont la taille et l’emplacement guident le regard dans une ou deux directions. L’espace est ici tout au plus, traversant. On retrouve ce type dans tous les projets, de par son caractère usuel. Le dernier type, plus spécifique à l’architecte, est le modèle introverti. Le regard est ici limité à un espace extérieur privé, clos. L’unique lien visuel au contexte est le ciel ou la cime des arbres avoisinants. Nous le retrouvons dans les projets #5, #6, #7, #8, #9, #12, #13. Notons que ce type est toujours associé au type canalisé, mais jamais au type libre. Une exception est cependant visible un projet tardif, le #13 où nous retrouvons les trois types combinés. Ces caractéristiques rappellent certaines maisons d’Afrique du Nord, aux façades épurées, filtrant et canalisant les relations visuelles, introverties autour d’un espace extérieur privé clos. Le revêtement des façades chez l’architecte espagnol évoque également les couleurs claires ou minérales des façades dans ces régions. Soulignons aussi, que la densité du tissu environnant influe de manière certaine le degré d’ouverture de la maison sur son environnement. Ainsi, les maisons en contexte dense se protègent de l’environnement par une enceinte au rez, présentant une façade relativement opaque aux étages avec des percements rares, et des vues canalisées. On note une certaine distanciation au contexte, de par la hauteur prise, l’opacité, et la taille réduite des ouvertures. Le rythme et la symétrie généralement présents dans les découpes dans les façades participent à une certaine abstraction, les percements étant perçus comme un motif, disparaissant dans la façade unifiée, parfois monumentalisée.


En tissu peu dense, nous retrouvons deux logiques distinctes. Premièrement, la maison bicomposée (#4, #10, #14), de type strictement stéréotomique/tectonique intériorise visuellement les niveaux inférieurs et étend les vues au dernier niveau, profitant ainsi de l’étendue du paysage et de la distance lui conférant une intimité certaine.

Ce type de rapport à l’environnement rappelle, dans un certain sens, les conceptions distinctes de Le Corbusier et Mies van der Rohe. La maison comprend, aux niveaux inférieurs, un espace clairement défini dans un cadre fermé, géométrique, rappelant la façade du niveau principal de la Villa Savoye. Au niveau supérieur, Campo Baeza conçoit un espace ouvert, fluide, où les limites spatiales sont multipliées, introduisant véritablement l’environnement dans l’espace intérieur. La seconde logique adoptée en tissu peu dense est celle de l’introversion totale. Celle-ci est appliquée dans les projets #8 et #12 de manière significative. Aucune relation visuelle à l’environnement n’est accordée, hormis au ciel ou à la cime des arbres. Géométriquement, ce type de projet tend vers le volume unique, horizontal, blanc. Sa forme simple, sa couleur blanche, ainsi que son absence d’ouvertures tranche dans un paysage verdoyant et interroge quant à son contenu.

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#1

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#3

#4

#5

#6

Volumes Principaux /plan

Formes Principales Reconstituées /plan

Trame

Forme Générale /plan

COMPOSITION / ORGANISATION COMPOSITION L’élaboration du projet chez Alberto Campo Baeza semble guidée par certains principes compositionnels. En plan, les figures matérialisées, lisibles volumétriquement, correspondent majoritairement à des formes géométriques primaires, carrés ou rectangles. Dans les projets #3, #4, #5, #10, #14, une seule de ces formes prime visiblement, le carré pour les deux premières, le rectangle pour les trois secondes. Les projets #6, #7, #8, #9, #11, #12, #13, les figures géométriques sont combinées de manière relativement équivalente, alliant même une forme géométrique irrégulière, comme dans les projets #1, #2, #11, #13. Cette irrégularité est toujours lisible en périphérie, dans la matérialisation du contour de la maison. Les espaces intérieurs sont rigoureusement composés à base de formes géométriques simples.

Les premières constructions répondent à une orthogonalité certaine, mais la forme globale, fragmentée, est irrégulière. Dans le projet #1, nous observons une que la forme résultante pourrait être subdivisée en rectangles et carrés de proportions respectivement similaires. La maison #2 regroupe divers volumes totalement disparates. En observant l’évolution des projets, nous remarquons, à partir du troisième projet, la présence d’une trame presque régulière. Un élément perturbateur est toujours présent, et son importance varie d’un projet à l’autre. Les projets #1 et #2 correspondent, dans un premier temps, à une trame essentiellement irrégulière, accompagnée par des éléments réguliers ponctuels. A partir du #3, la composition se structure rigoureusement sur base des formes carrées ou rectangulaires, simples ou combinées. Les projets #11 et #13, plus tardifs, réintroduisent l’irrégularité dans le contour du bâtiment, en adaptant le mur d’enceinte à la forme de la parcelle, tout en gardant un centre bâti strictement géométrique. L’orthogonalité est ainsi ponctuellement rompue.


#7

#8

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#10

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#12

#13

#14

Cette particularité pourrait rappeler la manière dont certaines maisons à patio traditionnelles de la région méditerranéenne. S’intégrant dans un tissu dense, sur des parcelles restreintes, l’ensemble de la maison est ici composé à partir de l’élément central, le patio, répondant à une géométrie régulière. Le bâti périphérique à cet élément prolonge cette structure géométrique, tout en absorbant les irrégularités de la parcelle. La disposition, matérialisation, ainsi que le rapport entre ces géométries simples, répondent à une trame sous-jacente. Cette dernière est rarement régulière dans le sens strict du terme. Dans ce sens, les intervalles entre ces guides, virtuels ou non, sont rarement équivalentes. La composition des maisons #8 et #14 sont les plus régulières, tandis que celle des maisons #4 et #11 démontrent une complexité plus importante. La trame rythme l’ensemble dans deux directions orthogonales, en favorisant par moments une direction spécifique. Les projets #10 et #14 privilégient la segmentation dans le sens de la largeur. Notons également que ces exemples illustrent de manière singulière la superposition de deux logiques basées sur une même trame. Dans le volume inférieur, dit stéréotomique, l’espace est subdivisé transversalement, et la trame correspond à un cloisonnement total, opaque ; l’espace, dans le volume supérieur, tectonique, est composé sur base de figures rectangulaires imbriquées, partiellement matérialisées. De manière générale, nous observons une trame approximativement régulière, avec la présence d’éléments perturbateurs. Cette trame permet d’agencer les différentes figures géométriques, générant diverses combinaisons formelles. La trame gère non seulement le positionnement des figures entre elles (accolées, imbriquées, ou englobées), mais ordonne également leur compartimentage.

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Cette logique additive, et/ou la logique de subdivision engendrent d’innombrables possibilités, ainsi que des variations autour des mêmes thèmes compositionnels. Elles se retrouvent de manière concomitante dans la majorité des réalisations. Dans cette dialectique, notons la tendance au dédoublement de limites, principalement marquée au sein des compositions rectangulaires. Les volumes purement tectoniques des projets #4, #10, # 14 illustrent clairement cette notion en démultipliant les formes soit rectangulaires, soit carrées. D’autres projets dédoublent des figures carrées et rectangulaires combinées.

Cette oscillation entre trame régulière et irrégulière, symétrie ou asymétrie, ainsi que l’imbrication de formes primaires n’est pas sans rappeler les projets modernistes présentés en amont. En effet, nous retrouvons chez Le Corbusier et Mies van der Rohe une géométrie de base décomposée. Contrairement au Pavillon de Barcelone, les formes primaires sont encore clairement présentes dans la Villa Savoye, mais les deux projets présentent cependant une plus grande liberté vis-à-vis de ces figures géométriques. Contrairement à Campo Baeza, l’espace de la Villa et surtout du Pavillon, s’affranchit de la géométrie régulière sous-jacente.

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#1

#2

#3

#4

#5

#6

Espace Construit -plein -vide

Axes - Symétrie

PLEIN/VIDE, AXES , ORGANISATION JOUR-NUIT L’espace bâti, intérieur, que nous pourrions qualifier de plein, et l’espace extérieur privé, vide, de la maison s’inscrivent dans cette logique compositionnelle. Nous retrouvons, dans la plupart des projets, des formes géométriques régulières, décrites par les séparations entre espace intérieur, extérieur privé, et environnement. Certains projets, #1, #2, #10, #14, ne dissocient pas l’espace vide de l’espace plein, l’un étant superposé à l’autre sans débordements. Le reste des projets présente une imbrication de formes géométriques différentes, différenciant l’espace extérieur et l’espace intérieur. Le contour et la surface de l’espace plein sont composés sur base d’une forme géométrique pure, tandis que l’espace vide introduit d’éventuelles modifications à cette règle. Ainsi, les projets #3, #5, #7, #11, #13, illustrent clairement cette tendance. Comme souligné au point précédent, le contour de l’espace vide s’affranchit, dans les projets plus tardifs, comme le #11 et #13, de l’orthogonalité. Souvent, la composition de l’ensemble, ou partie de l’ensemble est symétrique. Cette caractéristique est d’ailleurs renforcée dans le traitement de certaines façades. Dans les deux premiers projets, il n’y a pas véritablement d’axe de symétrie, mais cependant, certains axes forts, alignent les volumes ou marquent le sens de la circulation. A partir de la troisième maison, l’axe de symétrie est toujours présent, mais à divers degrés de matérialisation selon le projet. Cet ordre n’est concrétisé totalement que rarement, plus spécifiquement dans deux bâtiments le #8, totalement symétrique, et le #12, très ressemblant au précédent, mais franchissant un pas de plus vers l’asymétrie. Dans les autres projets (à partir du #3), nous observons la présence d’un ou plusieurs axes de symétrie sur lesquels s’ordonnent les figures géométriques principales. Cependant, cet ordre est toujours contrebalancé par des éléments perturbateurs, amortissant la symétrie générale. Ces exceptions sont particulièrement lisibles dans les projets #3, #4, #7, #11, #13. Dans d’autres projets, comme le #5, #10, #12,


#7

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#12

#13

#14

#14, les diverses figures semblent obéir aux mêmes axes, mais sont en vérité légèrement décalées, dans une ou deux directions. Ce rapport plein/vide de la maison, ainsi que la symétrie partielle, pourraient suggérer des principes compositionnels plus classiques, que nous retrouvons par exemple dans les deux exemples de maisons traditionnelles andalouses décrites précédemment. Le décalage entre les diverses figures géométriques chez Campo Baeza évoque également une certaine imprécision des édifications anciennes, probablement due aux matériaux utilisés à l’époque, ainsi qu’aux techniques de construction. En faisant le rapprochement entre les maisons de Campo Baeza et les projets modernistes étudiés, nous constatons une certaine dissemblance. En effet, dans le Pavillon, toute unité géométrique et symétrie semblent évités, tandis que dans la Villa Savoye, les diverses unités, à caractère fragmenté, se décalent par rapport à l’axe général. Notons cependant chez Le Corbusier un respect ou rappel subtil de la symétrie, à l’aide d’éléments ponctuels, comparable aux principes compositionnels de Campo Baeza.

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#1

#2

#3

#4

#5

Coupe

Schéma Coupe-Type

Schéma Jour / Nuit /coupe

COUPE En coupe, les espaces de la maison respectent généralement une trame verticale, marquant une équivalence entre les espaces superposés, avec, ici aussi, des variations ou éclatements de cette trame, introduisant une dynamique diagonale, et/ ou mettant l’accent sur certains espaces spécifiques. Les espaces magnifiés de cette manière correspondent majoritairement aux pièces de vie principales. Cet effet est visible en coupe dans grand nombre de projets, comme les #3, #5, #6, #7, #8, #9, #11, #12, #13. Notons une autre logique dans les projets strictement binaires, stéréotomique/tectonique (# 4, # 10, # 13, # 14), qui ne déploient pas l’espace principal dans le sens vertical ou diagonal, mais le dilatent horizontalement. Concernant le nombre d’étages, les habitations sont organisées sur un, deux, trois, voire quatre niveaux, si on tient compte du toit-terrasse présent dans bon nombre de projets. La majorité des projets se développent sur trois (#4, #5, #7, #11, #13) ou deux (#1, #2, #10, #14) niveaux. Trois projets s’élancent sur quatre niveaux (#3, #6, #9), tandis que les deux projets restants (#8 et #12) se développent de plain-pied. Certains projets exploitent niveau inférieur, partiellement encastré dans le sol, soit pour l’emplacement des services, soit pour des pièces de vie. Ces dernières appartiennent aux fonctions appelées animales, comme chambres, cuisine… pouvant être contenues dans un espace plus introverti et sombre. Il s’agira évidemment de la partie stéréotomique de l’habitation. Nous retrouvons cette organisation dans les maisons #1, #2, #4, #9, 10, #11, #13, #14. Les espaces de vie (chambres, cuisine,…) sont situés à ce niveau inférieur dans les projets #4, #9, #10, #11, #13, #14, répondant majoritairement à la stricte dialectique stéréotomique/tectonique. Dans d’autres projets, la logique est assez différente, plaçant les pièces animales au niveau de l’espace de vie, voir même surélevées par rapport au séjour, qui se quelquefois partiellement enterré. Cette tendance est présente dans les maisons # 1, #2, #5, #6, #7, #8, #9, #12. Soulignons que dans certains cas, la logique est mixte, répartissant les espaces de vie à caractère animal ou cérébral sur différents niveaux, ces espaces étant alors partiellement enterrés, partiellement surélevés. Cette hybridation est présente dans les habitations #3, #5, #6, #7, #9, #11. Dans deux projets, le #8 et #12, ces fonctions sont situées au même niveau, de plain-pied. Dans une logique similaire, l’organisation des fonctions jour/nuit répond à une addition verticale ou horizontale simple (#4, #6, #8, #9, #10, #12, #13), ou plus complexe, alliant les deux types (#1, #2, #3, #5, #7, #11, #14). De manière générale, les projets affirmant une stricte dialectique stéréotomique/tectonique se détachent, une fois de plus, du reste, affirmant une séparation limpide, strictement verticale, de ces activités.

#6


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Lorsqu’on observe les projets comportant un toit-terrasse (#3, #5, #6, #7, #11), nous constatons qu’il s’agit des projets organisés trois ou quatre niveaux. Les projets binaires, présentant un socle stéréotomique et un volume tectonique, s’organisent toujours sur deux niveaux, et ne comportent jamais de toit-terrasse. En coupe, mettant de côté les projets #1 et #2, qui témoignent d’une logique distincte, nous pourrions synthétiser les configurations des maisons postérieures à trois principes de base.

Premièrement, ce qu’on pourrait appeler la boîte à lumière. Il s’agit d’un modèle où le principe travaille essentiellement en coupe, au sein d’un volume unique, décomposé. La partie supérieure est partiellement désolidarisée du reste, amplifiant la sensation d’espace, en diagonale. Nous retrouvons ce traitement dans les projets #3, #5, #6, #7, #8, #11, #12. Dans le second principe, le volume, divisé en plateaux, est composé de deux parties antinomiques, dites stéréotomique et tectonique. Le volume inférieur, opaque, s’ancre à la terre, tandis que dans le volume supérieur, transparent, la toiture semble flotter. Ce principe est clairement lisible dans les projets #4, #10, #14. Le troisième principe est caractérisé par un travail en coupe, où le volume, posé dans une enceinte, semble se détacher du sol, flotter partiellement, malgré l’utilisation d’une structure massive; ce dernier pourrait être interprété comme une combinaison des deux premiers types, dans le sens où il s’agit d’un volume unique, perforé, avec, ici un volume semblant en lévitation. Dans les maisons #9 et #13, nous retrouvons explicitement ce principe. Soulignons également que bon nombre de projets oscillent à entre le premier et le troisième type, où un volume et une partie de la toiture semblent détachés de la partie inférieure du bâtiment. Cette caractéristique est présente dans les maisons #3, #5, #6, #7, #11. Ces trois types ne se retrouvent que rarement à l’état « pur », et l’architecte démontre une recherche ludique dans la combinaison des trois types, engendrant une multitude de variantes, en constante évolution.

151



Nous retrouvons ainsi une constante variation des trois principes de base, et leur développement et interprétation pourrait être synthétisé par le schéma ci-dessus. Nous retrouvons ainsi la boîte à lumière isolée (#3, #6), le socle et la toiture semblant flotter (#4, #10, #14), la boîte à lumière dans une enceinte (#5, #7, #11), l’espace au sol clos avec la toiture flottante (#8, #12), ainsi que la séparation de deux volumes par l’espace du rez, dégagé mais clos (#9, #13). Il est important de souligner le constant aller-retour d’un concept à l’autre au fil des projets, et l’importance d’un aperçu global de cette recherche spécifique à l’architecte. Une interprétation ponctuelle, particulière, de l’un ou l’autre projet sans cette vision d’ensemble pourrait s’avérer quelque peu réducteur.

Remarquons le troisième schéma, où la boîte à lumière est introduite dans l’enceinte, et la toiture est dématérialisée, diagonalement, semblant introduire le troisième principe, d’un volume en lévitation au-dessus d’un espace au sol dégagé et clos. Ce type n’est pas présent à l’état pur, mais complète ponctuellement d’autres modèles (#5, #6, #7, #9, #11, #13). Il évolue à son tour, en intégrant des éléments des types précédents. Dans une richesse singulière, chaque projet introduit une particularité, une variation par rapport aux modèles précédents.

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#1

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#3

#4

#5

#6

Structure /plan

Schéma Structure

-murs/façades porteurs -éléments indépendants /plan

STRUCTURE Nous avons vu, dans le chapitre introduisant les concepts stéréotomique/tectonique chez Campo Baeza, l’importance accordée par l’architecte à la corrélation structurelle. Les murs, façades et séparations sont considérées comme éléments stéréotomiques et participent à la structure portante. Ainsi, tout projet, contenant invariablement une partie stéréotomique, comprend cette analogie. La plupart des projets comprennent uniquement cette partie dite stéréotomique, caractérisée par la corrélation structurelle (#1, #2, #3, #5, #6, #7, #8, #9, #11, #12). Quatre projets fonctionnent de manière distincte. Il s’agit de ceux (#4, #10, #13, #14) comprenant une partie distincte, dite tectonique. Dans ces parties, les appuis au sont réduits à leur essence, maintenant un contact minimal avec le sol. Ainsi, les divers éléments architecturaux, enveloppe, sol, toiture, structure, prennent leur indépendance. Soulignons l’omniprésente association de la partie tectonique à celle stéréotomique.

Dans cette logique d’affranchissement structurel dans la partie tectonique, notons les diversités dans l’association des divers éléments constructifs. Cette caractéristique influe directement sur le nombre et le type de filtres et d’espaces intermédiaires, entre intérieur et extérieur, que nous étudierons de manière spécifique, plus tard.


#7

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#14

Dans un premier temps (#4), seule l’enveloppe vitrée s’affranchit du reste des éléments. La forme de la toiture coïncide avec la forme du socle, et la structure de celle-ci est située périphériquement, recréant ainsi le volume capable du socle stéréotomique. Dans le second exemple (#10), la toiture s’affranchit également de la forme globale. La structure reste néanmoins dépendante, située sur la périphérie de la toiture. Dans un troisième cas (#13), toiture et volume intérieur et structure correspondent. Dans la partie supérieure, nous observons un nouveau type, combinant une structure périphérique stéréotomique sur trois côtés, tandis que le quatrième côté s’ouvre d’une manière pouvant être qualifiée de tectonique. Cette hybridation de concepts théoriquement opposés, est retrouvée dans le traitement des façades intérieures de l’ensemble des projets. En effet, les percements s’élargissent par moments, créant une indiscutable continuité spatiale entre intérieur et extérieur. Cette continuité est amplifiée par le prolongement d’éléments concrets de l’intérieur vers l’extérieur, dilatant et unifiant ainsi les espaces. Cette ambiguïté entre la matérialisation des concepts stéréotomique et tectonique est une des caractéristiques des réalisations domestiques de l’architecte, faisant contrepoids aux projets strictement scindés, point de vue spatial et constructif. De même, soulignons le rôle indéniable joué par les matériaux et techniques constructives actuelles, permettant une exécution à base d’éléments et matériaux stéréotomiques, d’un espace typiquement tectonique, caractérisé par une certaine ouverture, fluidité et luminosité. Cette hybridation des concepts est lisible de manière claire dans les projets #5, #7, #9, #12. Elle est affirmée de manière singulière dans la maison #13, au niveau supérieur. Le dernier exemple dissociant clairement stéréotomique et tectonique est la maison #14. La toiture s’autonomise ici par rapport au volume intérieur en se décalant. La structure, positionnée de manière centrale par rapport à la toiture, s’affranchit du volume intérieur, en se positionnant de manière singulière, moitié à l’intérieur, moitié à l’extérieur. Dans ce point, soulignons la filiation à certains concepts de l’architecture domestique traditionnelle, ainsi que moderniste. La corrélation structurelle des constructions séculaires, de même qu’une certaine massivité et cloisonnement, sont présents dans les œuvres de Campo Baeza, bien que les matériaux et techniques de construction actuels permettant n’imposent pas ces caractéristiques spatiales. Bien évidemment, l’affranchissement des éléments structurels, générant ainsi divers types de filtres spatiaux, permettant une grande fluidité entre espaces, fait directement référence aux concepts modernistes. Néanmoins, lorsqu’on compare par exemple le Pavillon de Barcelone aux tendances observées ici, nous remarquons que les divers éléments dans maisons de Campo Baeza sont davantage dépendants les uns vis-à-vis des autres. 155


#1

#2

#3

#4

#5

Circulation Horizontale /plan

Type de Circulation -axes -périphérique -noyau

CIRCULATION HORIZONTALE Dans un premier temps, la circulation s’ordonne, passant d’un système diffus et libre (#1, #2), vers un système compact et canalisé. De même, à partir du #3, la circulation autour du bâti semble résulter d’une volonté spécifique, et elle est définie de manière claire, à l’aide d’éléments concrets, telles la façade et l’enceinte. Notons également que cette notion de circulation périphérique est envisagée ici dans le sens physique, mais également imagé. En effet, dans certains projets, bien que le bâti est positionné dans un espace privé clairement délimité, celui-ci n’est accessible que ponctuellement, parfois à des niveaux distincts (#3, #4, #5, #11, #13).

Cette isolation du volume intérieur dans un espace ouvert renforce son statut d’objet central. Dans certains projets, cette circulation périphérique tend à isoler, non pas (uniquement) l’ensemble de la maison comme centre, mais l’espace du séjour (#4, #10, #13, #14). Ces projets sont, généralement les projets bicomposés, scindant espace stéréotomique et tectonique. Notons également que cette circulation périphérique autour d’un centre passe, dans certains projets, pas des espaces intérieurs, secondaires (#7, #8, #12). Le centre est ici également l’espace du séjour. De manière générale, nous retrouvons cette circulation périphérique, physique ou virtuelle, dans une version structurée et clairement délimitée, dans la majorité des projets (#3, #4, #5, #7, #8, #10, #11, #12, #13, #14), simultanément ou indépendamment d’une circulation intérieure canalisée. Parallèlement aux deux premiers projets, les maisons #6 et #9 ne présentent pas de circulation périphérique canalisée, en raison sans doute de l’exiguïté de la parcelle.

#6


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#14

A l’intérieur, nous constatons également une évolution suite aux deux premiers projets. On passe progressivement d’une circulation démultipliée et libre, à une circulation compacte et dirigée. Notons la présence d’un noyau distributif, situé sur l’axe unique de circulation. Cet axe, correspondant avec celui de l’entrée, est principalement traité en chicane. Cette caractéristique évolue à son tour, et la circulation coudée est par moment radicalisée à une droite (#9), ou un croisement de deux droites (#8, #12).

Notons également dans ce point, la circulation relative à l’espace du séjour, contournant un espace unitaire (#1, #2, #4, #6, #7, #8, #10, #11, #14), composé du séjour et de l’espace extérieur principal. Cette donnée sera traitée en aval, dans les points correspondants, de manière plus précise.

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#1

#2

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#4

#5

Escalier - Bâti -principal -secondaire

Escalier - Axes

Enceinte - Escalier Secondaire

VERTICALE La circulation verticale suit une logique comparable. Suite aux deux premiers projets, où elle est multiple, elle devient compacte, matérialisée par l’utilisation d’un escalier intérieur unique, fonctionnel. Cet élément principal est complété par une circulation secondaire, généralement extérieure (#1, #2, #3, #4, #5, #11, #13).

#6


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#14

En observant cet élément secondaire, nous constatons une certaine évolution. Les divers escaliers extérieurs (#1, #2, #3) se simplifient dans les projets, se réduisant à un élément unique (#4, #5, #11). De même, sa relation à l’élément de l’enceinte évolue. Dans les projets #1, #2, l’enceinte semble s’adapter à l’escalier, tandis qu’ultérieurement, elle s’impose. C’est l’escalier qui s’adaptera ici à l’enceinte, la longeant (#3, #4, #11, #13), ou sera même exclu de l’espace ceint (#5, #13).

De manière générale, l’escalier tient une place de choix dans la hiérarchisation public-privé, notamment dans le système d’entrée, ou encore dans accès à l’espace extérieur principal, ou le séjour. Utilisé en tant qu’élément filtre, il séquence la transition.

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#1

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#3

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#5

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Parcours Public-Privé /plan

Type Parcours

Visibilité Escalier depuis Entrée

PUBLIC/PRIVE La distinction entre espace public et espace privé dans l’architecture domestique d’Alberto Campo Baeza est essentiellement traduite par la deux principes : le système d’entrée, et l’enceinte. Le premier est un principe matérialisé à l’aide de divers éléments construits. Un de ces éléments est le mur d’enceinte, spécifique aux maisons de l’architecte. Les caractéristiques de cet élément particulier, ainsi que son influence dans la perception des espaces seront abordées dans ce point. SYSTEME D’ENTREE Nous pourrions résumer le système d’entrée dans les maisons de l’architecte à trois types principaux, correspondant à trois niveaux de complexification du parcours. Ce degré de complexité est le fruit de divers systèmes, marquant diverses séquences au fil du parcours, tels les sous-espaces, portes, escaliers ou chicanes. Nous remarquons tant à la forme décrite par le parcours qu’au nombre d’éléments filtres, trois degrés de filtrages entre le public et le privé, considérés ici comme partant depuis l’espace de la rue, jusqu’à l’espace du séjour

Ces trois classifications ne correspondent pas à une évolution chronologique, mais semblent davantage liées au type organisationnel et compositionnel. Ainsi, partant d’une complexification moyenne (#1, #2, #5, #7, #11, #13), l’architecte intensifie le degré de complexité (#3, #4, #6, #10, #14), ou allant jusqu’à l’attitude radicalement opposée, épurée (#8, #9, #12).


#7

#8

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#11

#12

#13

#14

Notons, dans la dernière œuvre (#14), l’apparition d’un type éventuellement nouveau, symétrique, dédoublant l’accès, et créant une série de variantes possibles. Ce type peut ainsi se rapporter à un dédoublement en symétrie, d’un système moyennement complexe. Notons que de par son apparition récente au sein du travail actuel de l’architecte, il est encore trop tôt pour en tirer d’éventuelles conclusions ou élaborer des hypothèses.

Parallèlement à ces systèmes, notons le positionnement de l’escalier principal par rapport à l’entrée (principale). L’escalier se situe soit proche de l’entrée (#2, #5, #7, #11, #13), soit relativement éloigné (#1, #3, #4, #6, #9, #10, #14). Les deux cas de figure sont utilisés de manière équivalente. Dans ces deux dispositions, notons le degré de visibilité depuis l’entrée : dans la majorité des cas, (#1, #2, #3, #5, #6, #7, #9, #10, #11, #14), il est dissimulé par une séparation verticale, ne créant pas d’appel visuel dans la continuité du parcours, marquant ainsi un degré d’intimisation supplémentaire. Trois cas se distinguent fortement du reste. Dans la maison #4, il est situé dans l’axe de circulation, accélérant ainsi le passage depuis cette zone intime, au niveau de l’entrée, vers le séjour situé à l’étage supérieur. Dans le #13, l’escalier, hélicoïdal, est également positionné frontalement à la porte d’entrée. Le troisième cas particulier est le projet #14, où l’escalier est dédoublé, sans hiérarchie particulière, mais situé sur l’axe de circulation secondaire, plus privatif. Ce dispositif résulte quelque peu paradoxal, alliant à la fois monumentalisation et discrétion. Le positionnement de l’escalier par rapport à l’espace de vie principal sera également développé, au point correspondant.

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#1

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Enceinte - Bâti /plan

Enceinte - Bâti /schéma

Enceinte - Bâti

/schéma de principe

L’ENCEINTE Un autre élément capital dans la démarcation de l’espace privé est l’enceinte. En effet, cet élément caractérise la majorité des maisons de l’architecte. Lors des deux premiers projets, on ne parlera pas d’enceinte en tant qu’élément clairement matérialisé, mais plutôt de parapet, visant à protéger d’autres éléments particuliers, tels l’escalier ou les terrasses. Au fil des projets, cet élément se développera pour acquérir une certaine autonomie. Nous observons diverses phases dans sa définition de l’enceinte en tant qu’élément autonome. Cette matérialisation va de pair avec la définition d’un espace extérieur privé délimité, souvent périphérique.

Dans un premier temps, la maison se positionne dans un environnement totalement ouvert à son environnement (#1, #2). Les divers sous-espaces ouverts sont protégés derrière un parapet, localement. A partir du projet #3, la maison est insérée dans un espace extérieur privé, périphérique et défini. L’érection de l’enceinte visera à protéger les espaces intérieurs privés, et sa matérialisation sera, progressivement de plus en plus importante. On notera dans ce sens, son allure de paravent, clairement lisible dans le #3, puis sa matérialisation partielle (#4), pour aboutir à une fermeture absolue (#5, #6, #7, #8, #9, #10, #12, #13, #14), avec comme seul percement, une porte d’entrée. Au sein de cette enceinte, le positionnement du bâti suivra également une certaine évolution. Central et détaché de sa périphérie dans un premier temps (#3, #4, #5, #11, #13), il s’y accolera, ponctuellement dans un second temps (#6, #7, #8, #9, #12), pour progressivement s’y fondre entièrement (#10, #14).


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#13

#14

Point de vue formel, le mur périphérique aura généralement une forme régulière et strictement orthogonale, carrée ou rectangulaire. Dans deux exemples tardifs (#11, #13), l’enceinte s’affranchit de ce principe, en intégrant certaines irrégularités du site, adoptant une forme oblique et arrondie. De même, dans la phase tardive, plus particulièrement dans le projet #11, nous remarquons un percement de l’enceinte, entraînant un changement de rapport face à l’environnement. Ce rapport à l’environnement depuis les divers espaces de la maison sera étudié dans les points correspondants.

Enfin, soulignons que la forme, ainsi que le degré de complexification, dans le parcours reliant l’espace public à l’espace privé dans les maisons de Campo Baeza trouvent une filiation dans l’importance de ce point dans les maisons à patio traditionnelles de la région méditerranéenne. De manière plus précise, nous retrouvons dans la Casa Ferí de Grenade, d’origine maure, une logique similaire du système d’entrée. Une fois l’enceinte franchie, on se retrouve ici dans une cour extérieure, et le parcours vers le centre de la maison est ici agencé en chicane. Cette opération vise à la protection de l’espace principal de la maison. En Andalousie, le modèle de la maison maure traditionnelle à patio, subit une certaine évolution, notamment, de par la modification de son contexte culturel. Ainsi, la transition torturée, en chicane, depuis l’espace public vers le cœur de la maison, céda la place à un passage direct, en ligne droite, de l’extérieur. Cette particularité caractérise les maisons à patio andalouses, dont le patio est visible directement depuis la rue. Cette simplification du parcours propre à l’architecture de la région pourrait être mise en parallèle avec l’évolution du parcours d’entrée dans lesmaisons de Campo Baeza. Néanmoins, là où les maisons traditionnelles de cette région s’ouvrent directement sur l’espace public, l’espace intérieur chez Campo Baeza est ici préservé de toute intrusion. Parallèlement, à partir du projet #3, l’intégration de l’ensemble dans une forme géométrique pure, sorte de cadre unificateur, rappelle directement les principes de Le Corbusier, appelant à une réduction des éléments au profit d’un tout, épuré et géométrisé. Remarquons ici une certaine analogie entre le projet #1 de Campo Baeza, et la matérialisation, partielle et fragmentée, du cadre dans le Pavillon de Barcelone. De la même manière, certaines analogies à ces projets modernistes sont possibles, concernant le prolongement de l’espace intérieur vers l’extérieur, au moyen d’une distanciation des limites verticales, l’enceinte, chez Campo Baeza.

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#1

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Espace Extérieur Privé -principal -secondaire

Types Espaces Extérieurs /plan

Types Espaces Extérieurs /coupe

ESPACE EXTERIEUR PRIVE Dans les maisons de l’architecte, l’espace extérieur privé pourrait être classifié selon deux critères. Premièrement, selon la relation qu’il entretient avec le bâti et les espaces intérieurs. Deuxièmement, selon le niveau auquel il se situe.

En plan, nous distinguerons ainsi quatre types d’espaces extérieurs : périphérique, introverti, annexe ou simplement ceint, contenu dans une enceinte. Notons ici qu’un même espace peut être à la fois périphérique et annexe ; entourant complètement le bâti, il peut être sectionné en différents niveaux, et partiellement fonctionner avec certains espaces intérieurs. Au fil des projets, nous remarquons que les maisons comportent majoritairement plusieurs de ces types d’espaces. La majorité des projets présente une combinaison de deux types (#1, #2, #4, #6, #8, #9, #12, #13, #14). Quatre exemples combinent trois types d’espaces extérieurs (#3, #5, #7, #11). Un seul projet présente un seul type d’espace extérieur privé : dans la maison #10, l’espace est périphérique ; cependant, de par le positionnement du volume intérieur dans cet espace périphérique, on remarque une certaine direction donnée à l’espace extérieur privé, le rapprochant d’un espace de type annexe. Cette logique est encore plus marquée dans le projet #14, où l’espace extérieur est principalement annexe, bien qu’il contourne le volume intérieur. Remarquons la constance du type périphérique (#1, #3, #5, #7, #8, #10, #11, #12, #13, #14), et l’omniprésence d’espace annexe (le #10 étant un cas particulier). Notons que toutes les maisons postérieures aux projets #1 et #2, présentent des espaces extérieurs ceints de murs. Le terme espace ceint représente l’espace extérieur sous forme de toit-terrasse (#3, #5, #6, #7, #11).


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L’espace introverti n’est rencontré que dans deux cas (#2, #9). Celui-ci désigne un espace partiellement entouré d’espace intérieur. Notons que la logique dans ces deux cas est relativement distincte. Dans le projet #2, l’espace semble résulter d’une logique additive, tandis que le #9, paraît comme un espace extérieur soustrait à la masse pleine, résultant probablement de la taille l’exiguïté de la parcelle. Notons également que lorsqu’une maison comporte trois de ces types, il s’agit toujours de la combinaison périphérique/annexe/ceint (#3, #5, #7, #11). Lorsque la maison combine deux modèles, on constate impérativement la présence de l’espace annexe, majoritairement allié à un espace périphérique(#1, #4, #8, #12, #14). Une seconde classification de ces espaces est possible, par le niveau auquel ils sont situés.

Trois types d’espaces extérieurs privés apparaissent ici : l’espace situé en toiture, ceint de murs, l’espace sur socle stéréotomique, ouvert sur les alentours, et, enfin, l’espace situé au niveau du sol, ceint ou non. Ici, les combinaisons se résument à deux types d’espaces, de par le caractère antagonique de l’espace sur socle, transparent, et en toiture, ceint. Ces deux modèles ne se retrouvent donc jamais associés, à l’exception des premiers projets, où les concepts stéréotomique/tectonique ne semblent pas encore ancrés chez l’architecte. De même, l’espace extérieur sur socle n’est par ailleurs jamais associé à un autre type. Son utilisation se retrouve dans quatre projets (#1, #2, #4, #10, #14), dont trois seulement (#4, #10, #14) dans un style avancé, où la dialectique stéréotomique/tectonique semble clairement présente. Dans les autres projets (#3, #5, #6, #7, #11), on retrouvera toujours la présence de l’espace au sol, habituellement accompagné d’un espace en toiture, à l’exception toutefois des deux premiers projets, ne possédant pas de toit-terrasse. Les maisons conçues par l’architecte englobent une multitude de types d’espaces, dont la relation aux espaces de vie intérieurs diffère considérablement d’un type à l’autre. Ainsi, nous allons ici tenter d’étudier l’espace extérieur principal, en vue de permettre un éventuel rapprochement à l’héritage énoncé. 165


#1

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Espace Extérieur Principal

Type /plan

Type

/coupe

Vues Eléments de Nature -eau -végétation

Eléments de Nature /plan

ESPACE EXTERIEUR PRINCIPAL Suite aux deux premiers projets, où l’espace extérieur privé est fragmenté, nous constatons la définition et l’unification de l’espace extérieur privé, délimité progressivement par l’enceinte ou par le socle. Nous remarquons, au sein de ces espaces extérieurs privés, une définition supplémentaire, correspondant à l’espace extérieur principal. Cette démarcation supplémentaire explique par exemple la combinaison d’espaces de type périphérique et annexe du point précédent. Ainsi, cet espace extérieur peut, à son tour, être classé selon le type en plan, périphérique, annexe, introverti ou enceint, ainsi que selon le niveau auquel il est situé, au sol, sur socle, en toiture. S’agissant d’un espace particulier, généralement associé aux espaces de vie principaux, il est caractérisé par un seul qualificatif en plan et en coupe. Néanmoins, certains exemples peuvent être précisés à l’aide de deux qualificatifs. Nous remarquons que l’espace extérieur principal est souvent de type annexe(#2, #3, #5, #6, #7, #8, #9, #11, #12, #13) et parfois doté d’un caractère périphérique (#1, #4, #10, #14). Ce dernier perd sa principauté de par le positionnement décentré du bâti, libérant ainsi un côté en particulier.


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En coupe, cet espace extérieur principal est majoritairement situé au sol, exception faite des projets à tendance binaire stéréotomique/tectonique, impliquant un socle comme seul espace extérieur privatif (#4, #10, #14). Les #1 et #2 sont également situés sur socle, mais leur cas est plus ambigu, car à la fois ceints. Ces premiers projets de l’architecte font, une fois de plus, exception aux caractéristiques générales. En observant le positionnement de cet espace extérieur principal dans le plan général, nous remarquons également sa relation directe, omniprésente, à l’espace de vie principal, le séjour, auquel il s’accole et qu’il ouvre amplement. Ces deux espaces forment ainsi une nouvelle unité spatiale, contenue dans une forme géométrique pure, régulière, généralement de forme rectangulaire ou carrée (#1, #4, #5, #6, #7, #8, #9, #10, #11, #12, #13, #14). Cette unification et ce prolongement du séjour vers l’espace extérieur principal sont confirmés par la circulation relative à ces deux espaces, périphérique ou annexe, contrairement aux deux premiers projets, où la circulation d’un espace à l’autre est possible, mais moins régie par ces deux principes. Concernant la relation visuelle à l’environnement depuis cet espace principal, nous constatons deux principes majeurs. D’une part, mettant de côté les premiers tâtonnements (#1, #2), nous observons que la relation visuelle à l’environnement est guidée par le modèle d’habitation. Dans ce sens, le type strictement binaire, dans lequel on retrouve un socle stéréotomique et un volume léger, tectonique, permet une relation visuelle très forte avec son environnement. Dans le modèle à enceinte, intériorisant les espaces de vie, cette relation visuelle est fortement réduite. Comme indiqué dans le point relatif au contexte, on observe dans ce groupe de maisons deux types de relations visuelles à l’environnement : l’une, totalement close, est limitée au ciel, éventuellement aux cimes des arbres avoisinants ; l’autre empêche les vues au niveau du rez, tandis que les étages s’ouvrent ponctuellement. 167


Parallèlement à cette relation à l’environnement, et à cette isolation partielle ou totale de l’habitation, nous remarquons l’introduction d’éléments faisant allusion à la nature, le bassin d’eau, et la végétation (#3, #4, #5, #7, #8, #10, #11, #12, #13). Le plan d’eau est caractérisé par sa forme rectangulaire et son positionnement au sein de l’espace extérieur principal. On le retrouve dans la plupart des projets de l’architecte (#3, #4, #5, #7, #8, #10, #11, #12, #13). Réfléchissant l’image du ciel, de la végétation avoisinante et de la maison, il pourrait renfermer une connotation symbolique et marquer un degré d’éloignement, de décontextualisation supplémentaire par rapport au site. Cette tendance est confirmée par les éléments végétaux introduits au sein de l’espace extérieur principal. Généralement sous forme de citronniers, plantés de manière strictement géométrique et axée (#8, #12) , ils évoquent un environnement sauvage à caractère maîtrisé, rationalisé, dans l’habitation. Dans le #13, nous constatons l’implantation non géométrisée d’arbres. Cette caractéristique pourrait fait allusion à un nouveau type d’espace dans le travail de l’architecte : l’espace jardin. Ce type est sous-jacent dans les croquis relatifs à cette maison, mais il est toutefois trop tôt pour le désigner en tant que type, le projet n’étant pas encore exécuté. Nous retrouvons la présence de ces deux éléments, mais de manière différente cependant. Le plan d’eau est l’élément que nous retrouvons assidûment au fil des projets(#3, #4, #5, #7, #8, #10, #11, #12, #13). Notons son absence dans les deux premiers projets, ainsi que dans les projets dont la taille réduite de la parcelle ne permet pas son incorporation (#6, #9). Les éléments végétaux suivent une autre logique et sont plus rares. Nous les retrouvons, de manière géométrisée, dans seulement deux projets (#8, #12). Leur présence s’explique par le caractère totalement introverti de ces deux habitations, n’ayant strictement aucun contact visuel à l’environnement. Cette nature géométrisée renforce ainsi le propos d’introversion totale tenu au sein de ces deux projets, où toute allusion au monde extérieur est refusée. Ce processus est empreint d’une volonté de détachement vis-à-vis du contexte, d’isolation totale, détenant une certaine valeur métaphysique. Comme le décrit Antonio Pizza, les « manifestations concrètes d’un monde physique sont réduites au simulacre (…), plaçant la maison hors d’une réalité quotidienne », « frôlant les limites d’une composition sacrée »*** L’image renversée du monde réel participe dans ce sens au contenu métaphysique. Antonio Pizza complète cette réflexion en décrivant une certaine « intention nostalgique », envers une plénitude originelle perdue, induite par « le mysticisme de la lumière »1, présents dans l’œuvre de Campo Baeza. Cette valeur symbolique, induite notamment par l’introduction au sein de la maison d’éléments dits naturels, comme la végétation et l’eau, trouve une analogie certaine avec certaines maisons à patio traditionnelles de la région méditerranéenne. Ainsi, dans les deux exemples andalous analysés en amont, le Cortijo de las Salinas, et la Casa Ferí, nous retrouvons la présence d’un bassin d’eau, de forme rectangulaire, centrés dans la composition. Dans ces cas particuliers,il est important de souligner l’influence exercée dans cette région par le modèle de la maison à patio de type maure. Dans ce modèle, l’espace extérieur principal est empreint d’une valeur hautement symbolique, à connotation sacrée*** . L’élément de l’eau, est fréquemment présent dans ce type, sous forme de plan d’eau, fontaine, ou puits. Cet élément revêt une fonction symbolique, renvoyant une image inversée du monde, et représente la purification. Au sein de ce même héritage, la végétation est également introduite au sein de l’espace de la maison, sous forme géométrique. Le terme ryad désigne spécifiquement un certain type de maison, caractérisée par son ample jardin planté d’arbres. Lorsque la taille, ou autres caractéristiques, ne permettent pas l’établissement de ce type de jardin, la nature est souvent introduite dans le patio de manière allégorique. En faisant le rapprochement entre les maisons d’Alberto Campo Baeza et ces principales caractéristiques de cet héritage nordafricain, plusieurs affiliations sont envisageables. L’appellation « patio » désigne, dans le sens courant, un espace extérieur privé, géométrique et clos sur l’environnement. L’ensemble de la maison s’ouvre alors vers cet espace privé, parallèlement qu’elle s’opacifie côté public. Lorsque l’élément du patio est démultiplié au sein de la maison, ceux-ci sont généralement hiérarchisés, selon le degré d’intimité souhaité pour les activités qui s’y rattachent. Lorsque la maison comporte un seul patio, celui-ci constitue, de préférence, le centre de la composition. Les exceptions à cette centralité sont cependant courantes, et on trouve bon nombre d’exemples où le patio est

1 Pizza Antonio, Alberto Campo Baeza, Works and Projects, Op.Cit.


décentré, protégé de l’extérieur de la maison par un mur d’enceinte. Ainsi, les corps de logis entourant ou jouxtant cet espace varient en nombre et peuvent prendre diverses conformations1. Cependant, certaines disparités sont également notables. L’espace central dans les maisons de Campo Baeza n’est jamais attribué à l’espace extérieur, mais à la pièce intérieure principale, le séjour. Ce dernier sera développé dans le point suivant. De même, le type de maison strictement binaire, stéréotomique/tectonique (#4, #10, #14), place l’espace de vie principal dans une enveloppe vitrée, ouverte sur l’environnement, et l’espace extérieur, dans ce même modèle, n’est jamais abrité par un mur d’enceinte. Parallèlement, le reste des espaces de vie, aux niveaux inférieurs, sont fortement isolés de l’extérieur, excluant toute possibilité de s’ouvrir sur un espace extérieur privé. Le rapprochement aux projets modernistes, concernant la relation entre espace intérieur et extérieur est synthétisé par les deux exemples cités en amont. Une première analogie concernant ce point, entre le Pavillon de Barcelone et l’architecture domestique de Campo Baeza est notable dans la relation intérieur/extérieur des projets strictement binaires, stéréotomique/tectonique (#4, #10, #14), et plus particulièrement dans le volume supérieur, tectonique. L’espace présente ici un caractère fluide, ouvert, et la limite entre intérieur est extérieur est matérialisée par une succession d’éléments architectoniques. L’espace pourrait être qualifié comme tendu, entre une certaine compression verticale, et une dilatation horizontale. Cet espace tectonique ainsi ouvert, et isolé par rapport à son environnement pourrait être comparé à ce que Richard Padovan décrit comme un pavillon(espace) contenu dans une cour. Cependant, là où Mies van der Rohe, à l’aide de parois verticales, prolonge l’espace intérieur vers l’extérieur, et contrôle le champ de vision, Campo Baeza enveloppe l’espace intérieur d’une paroi vitrée (#4, #10, #14), sans autre séparation verticale (#4, #10). Une exception est présente dans la maison #14, où des noyaux verticaux (les locaux de service), cloisonnent partiellement l’espace, dirigeant le regard. Mais ces éléments verticaux ne sont toutefois pas prolongés à l’extérieur de l’enveloppe vitrée. Dans la Villa Savoye, l’espace extérieur semble creusé dans la masse, et contenu dans un cadre clairement délimité et matérialisé. Nous retrouvons la présence de ce cadre chez Campo Baeza, par la présence de l’élément de l’enceinte, caractérisant ses maisons. Dans ce sens, l’ensemble des maisons de l’architecte, excepté les projets #1 et #2, peuvent être désignées comme ceints (dans les types binaires, cette désignation concerne principalement le volume stéréotomique, ceint). Les types d’espaces extérieurs privés, dans la majorité des projets de Campo Baeza (exception faite des projets #1, #2,et des maisons #10, #14, de type strictement stéréotomique/tectonique), sont comparables à ce que R. Padovan décrit plutôt comme une cour contenue dans un pavillon.2 Cette parenté au concept de Le Corbusier est toutefois atténuée par le fait que dans certains projets, le volume bâti (clairement défini dans un prisme, comme cadré) est déposé dans un second cadre (prisme partiel), constitué par l’enceinte. L’espace extérieur ou cour est ici contenu(e) dans un cadre, ou pavillon, de même que le pavillon est contenu dans un espace extérieur, ou cour. Ce dédoublement du cadre introduit une certaine ambiguïté, oscillant entre les deux définitions de Padovan. Les projets #10 et #14, de type strictement stéréotomique/tectonique, ne disposant pas de cadre vertical autour de l’espace extérieur, échappent à cette ambiguïté. Une autre nuance concernant le rapprochement à la Villa Savoye mérite d’être soulignée. Chez Le Corbusier, l’espace extérieur semble creusé dans le bâti. Chez Campo Baeza, dans les maisons de type ceint, l’espace extérieur ne présente pas cette caractéristique de manière claire. L’espace extérieur de la maison #9, voir celui de la maison #7 pourraient être perçues comme creusées d’un ensemble majoritairement plein, bâti. Nous avons découvert, au fil des comparaisons, les recherches de l’architecte autour du thème du solide et de l’enceinte. Il s’agit d’une logique à tendance additive, et non soustractive, comme le suggère l’espace creusé décrit dans la Villa Savoye.

1 Kries Mateo, Von Vegesack Alexander, Living Under the Crescent Moon, Op.Cit. 2 Padovan Richard, Architectural Review, n°1018, The Pavilion and the court, p.359-368

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#1

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Séjour /plan

Schéma Séjour /plan

Schéma Séjour /coupe

Séjour - Type de Lumière

L’ESPACE PRINCIPAL L’espace principal de la maison est le séjour. Cette caractéristique se révèle tant par la superficie qui lui est dédiée, que par sa position privilégiée au cœur de la maison et les traitements particuliers de cet espace. En effet, nous remarquons ainsi que le pourcentage de l’espace intérieur total, dédié au séjour est en moyenne de 31%, avec des valeurs atteignant 66% dans la maison #11. Cette valeur est contrebalancée par les projets #10 et #14, où la superficie dédiée au séjour atteint respectivement 10% et 12% de l’espace intérieur total. Dans ces deux cas, les maisons correspondent au modèle strictement binaire stéréotomique/ tectonique, où le socle est entièrement occupé par des espaces intérieurs autres que l’espace principal, tandis qu’au niveau tectonique, l’espace intérieur est positionné en recul vis-à-vis du contour du socle. Cette caractéristique permet de dégager un espace extérieur important, fonctionnant avec le séjour, mais de par son statut, n’est pas comptabilisée dans la superficie intérieure du séjour. Le projet #4, premier projet du type binaire comporte 22% d’espace intérieur dédié au séjour. Dans ce modèle hybride, nous retrouvons un espace extérieur annexe à celui sur socle, expliquant un recul relativement restreint de l’enveloppe vitrée, accordant ainsi une superficie généreuse à l’espace du séjour. Celle-ci est contrebalancée par les deux niveaux inférieurs, dédiés au reste des espaces intérieurs. Dans les versions plus récentes de ce modèle binaire (#10 et #14), le reste de la maison s’organise sur un seul niveau, tandis que l’enveloppe vitrée du séjour est fortement reculée, et l’espace principal ainsi réduit considérablement. Les maisons #8 et #12, atteignent également des proportions élevées, de 45% et 49% de l’espace total, dédié au séjour. Ces maisons correspondent au modèle totalement clos, de plain-pied. L’espace des pièces secondaires est, dans ce modèle, relativement restreint. Cette caractéristique est particulièrement explicite dans la maison #8. Toujours au-dessus de la moyenne, les projets #3 et #6, correspondant à des maisons de type boîte à lumière, accordant tous deux 42% de l’espace total au séjour. Cette valeur résulte élevée de par le traitement des espaces principaux en doubles hauteurs multiples. Le pourcentage de l’espace occupé par le séjour est relativement bas dans les projets #1 et #2, respectivement de 18% et 15%.


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Ces valeurs ne correspondent pas à des types spécifiques à l’architecte. En observant le positionnement de l’espace du séjour, nous observons une centralité confirmée. Celui-ci est généralement entouré d’un autre type d’espace, fonctionnant comme une sorte de double peau, entre l’environnement et le noyau familial. En effet, cet espace est toujours perçu comme intérieur, protégé. Les espaces périphériques à celui-ci peuvent être de deux natures : bâti, ou vide. De plus, nous observons par moment une démultiplication de ces espaces-filtres, protégeant le séjour selon le principe des pelures d’oignon.

Ces principes sont rarement matérialisés dans leur forme pure et totale. La majorité des projets étudiés combine ces deux principes, alternant de manière variée, espace périphérique plein et vide, sur base de la trame compositionnelle de chaque édifice. Comme nous l’avons déjà remarqué, le positionnement du bâti par rapport à l’enceinte varie, de telle manière que dans certains cas, le mur séparant intérieur/extérieur se confond à elle (#2, #6, #9). Néanmoins, de par la matérialisation et l’opacité de l’enceinte, l’isolation vis-à-vis du contexte est considérable. Les maisons #6 et #9 trouvent comme justification la taille restreinte de la parcelle. Ils sont caractéristiques du style plus tardif, spécifique à l’architecte, esquissé à partir du projet #3. Dans les projets ultérieurs, l’espace principal du séjour est toujours positionné de manière centrale dans la composition. 171


Notons également un cas particulier, le #5 dans le système d’isolation du séjour. Le séjour s’entoure d’une ceinture bâtie, presque entièrement périphérique, ainsi que d’une couronne d’espace extérieur, contenue dans une enceinte opaque. Par ailleurs, depuis l’entrée, espace perçu comme public, le séjour sera toujours intimisé par une série d’espaces filtres, marquant une distanciation progressive. L’espace de jour est souvent fractionné en deux parties distinctes, séjour et salle à manger. Dans près de la moitié des projets, ces deux fonctions sont situées à deux niveaux différents (# 3, #4, #9, #10, #14). A son tour, l’espace de séjour est parfois situé sur plusieurs niveaux (#6, #7, #9, #11, #13, #14), ou de plain-pied. Il bénéficie de simples, doubles, voir triples hauteurs, engendrant une multitude de combinaisons. Le travail en coupe de cet espace de vie est très varié, allant d’une configuration en simple hauteur (#1, #2, #4, #10, #12, #13, #14) à celle ouverte sur trois niveaux (#9), en passant par une vaste gamme d’intermédiaires.

La majorité des espaces de séjour fonctionnent en simple hauteur. Les maisons liées au concept tectonique, présentent l’espace du séjour dans son enveloppe vitrée, s’organisant sur un niveau indépendant du reste. Dans les cas où le séjour est réparti sur divers niveaux (#3, #6, #7, #9, #11), la double hauteur est systématiquement utilisée, donnant de l’ampleur à la diagonale. Dans ces types, le travail de la lumière est particulier.

Diverses combinaisons lumineuses, horizontales, verticales et diagonales, sont introduites ici, participant à la mise en scène de cet espace principal. Cette particularité n’est pas présente lorsque le séjour se développe de plain-pied, bénéficiant généralement d’un seul type de lumière, horizontal, particulièrement clair dans les projets binaires. Le travail sur la lumière est une autre caractéristique qui différencie considérablement l’espace du séjour du reste de la maison. En effet, nous assistons à une véritable mise en scène de cet espace, par les diverses sources lumineuses et les divers types de lumière, créant des atmosphères particulières, variant au fil du temps. Nous avons déjà décrit les filtres entre espace public et espace privé dans le chapitre correspondant, ainsi que la position de l’escalier par rapport à l’entrée. Tenant compte de la situation du séjour et de ces données, nous remarquons deux tendances dans l’ordre d’apparition depuis l’entrée, de l’escalier et du séjour. La proximité de l’un ou l’autre de ces éléments à partir de l’entrée de la maison indique, d’une certaine manière, l’isolation des espaces accessibles par l’escalier au détriment ou non, de l’espace du séjour. L’escalier principal est, de manière majoritaire, positionné avant le séjour. Seuls trois projets dérogent à cette caractéristique : #1, #9, #13). Dans le #1, on constate une équivalence, tandis que dans les deux autres projets, l’escalier est situé une fois accédé au séjour.


Cette première caractéristique générale tend à isoler le séjour du va-et-vient. Dans deux tiers des maisons comprenant un escalier, l’accès au séjour se fait obligatoirement par cet élément. Comme souligné dans les points précédents, le séjour et l’espace extérieur principal entretiennent une relation particulière. On constate, point de vue circulation, qu’elle répond ici à deux logiques, unifiant espace su séjour et espace extérieur principal. On circule de cette manière soit de manière périphérique à l’espace intérieur, le dilatant dans les quatre directions, soit, latéralement, l’élargissant selon une, voir deux directions particulières.

On constate que la circulation périphérique au séjour est uniquement possible dans les projets présentant une certaine dialectique stéréotomique/tectonique (#4, #10, #13, #14). Les autres projets étendent l’espace du séjour de manière latérale à un ou plusieurs espaces extérieurs. Notons ici que les deux premiers projets oscillent entre ces deux logiques.

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#4

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Vues depuis Séjour

Vues depuis Chambres

Vues depuis Espace Extérieur Principal

Types de vue /général

RELATIONS VISUELLES Enfin, la relation des espaces intérieurs à l’environnement est également une donnée importante. Dans ce sens, les relations visuelles qu’entretiennent respectivement le séjour et les chambres avec l’environnement, nous indiquent une forte introversion des habitations. Dans une première catégorie de projets(#4, #10, #14) les chambres bénéficient d’ouvertures relativement canalisées et restreintes, contrairement au séjour, qui s’ouvre entièrement sur l’environnement. Elle correspond au type binaire, stéréotomique/tectonique.

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#14

Dans un autre type, bien que bénéficiant d’ouvertures réduites, les chambres sont les seules à bénéficier d’une relation visuelle à l’environnement. Le séjour est alors uniquement ouvert sur un espace extérieur privé, et le regard, bloqué par une enceinte. Cette logique est présente dans les projets #5, #6, #7, #9). Dans un troisième type (#8, #12, 13), ni le séjour, ni les chambres ne disposent d’une relation visuelle à l’environnement. Ce type correspond au type s’isolant intégralement du contexte. Il nécessite cependant une grande quantité d’espace extérieur privé, intimisé au niveau des chambres. Notons, dans le projet #13, le langage volumétrique utilisé. Il s’apparente aux projets du second type, où le volume contenant les chambres est situé en hauteur et est oblitéré, engendrant des vues depuis les chambres. Mais contrairement aux projets analogues à cette logique, les chambres sont ici enfouies dans le terrain. Cette position enterrée, est analogue aux types binaires, mais contrairement à ce dernier type, le séjour, vitré, est isolé de l’environnement par l’enceinte périphérique. Ce projet pourrait mettre les bases à un nouveau modèle d’habitation. Il est cependant trop tôt pour pouvoir l’affirmer.

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PREMIERES CONCLUSIONS

Nous avons parcouru, au cours de ce chapitre, le travail actuel d’Alberto Campo Baeza autour du thème de la maison. Ces recherches et réalisations dévoilent certaines préoccupations, ainsi que d’un langage spécifique, propre à l’architecte. L’étude de chaque maison en particulier, puis la comparaison de celle-ci au reste des habitations, permet une lecture globale du travail de l’architecte, ainsi qu’une meilleure compréhension de chaque projet en particulier, situé à présent dans un ensemble cohérent, dont la logique s’ébauche progressivement. Dans un constant aller-retour, d’une lecture particulière à une lecture globale, des préoccupations spécifiques s’esquissent, et ces deux angles d’approche, se complétant mutuellement, sont indispensables à une bonne compréhension des projets. Il serait également dangereux de répertorier le travail de l’architecte de manière rigide, dans des catégories strictes, totalement indépendantes les unes vis-à-vis des autres. Même si une certaine classification est possible et pertinente, permettant de structurer et synthétiser les principales tendances, il faut toutefois nuancer le propos, et souligner le caractère unitaire et cohérent de l’ensemble. Sur ces précisions, nous allons à présent tenter de dégager certaines dialectiques et concepts communs au sein du travail domestique de l’architecte, ainsi qu’une première catégorisation de certains types. Les maisons présentent certains traits communs, spécifiques au travail de l’architecte. Les caractéristiques décrites ci-dessous décrivent essentiellement les projets #3 à #12. Les deux premiers, présentant les premières expérimentations de l’architecte autour du thème domestique, ne présentent pas de manière claire les préoccupations dont témoignent les œuvres ultérieures. Les deux derniers projets, #13 et #14, sont inscrits dans cette même recherche, mais introduisent un degré de complexification supplémentaire. Nous y remarquons une certaine hybridation de divers concepts, élaborés et assez distingués dans la tranche principale, du #3 au #12. De manière générale, les projets domestiques d’Alberto Campo Baeza entretiennent un rapport spécifique envers le contexte dans lequel ils s’insèrent. Ils se présentent généralement sous forme compacte, cubique ; ils s’intègrent au paysage par l’utilisation d’un revêtement minéral et une transparence totale, ou, au contraire, ils tranchent et se détachent du contexte par un revêtement d’une totale blancheur. Les maisons paraissent profondément ancrées au terrain, ou simplement déposées au sol. Extérieurement, le volume ne semble jamais détaché du sol, même si à l’intérieur de la maison, la sensation est parfois autre. La composition de l’ensemble répond à une géométrisation certaine. Les volumes visibles sont de simples prismes, généralement de base carrée ou rectangulaire. Leur agencement est basé sur une trame ordonnant ces formes primaires, les accolant, imbriquant ou superposant. L’ensemble généré est souvent composite et varie selon les projets. Cette trame n’est que rarement strictement régulière et/ou symétrique. Les maisons sont également caractérisées par le rapport entretenu entre l’espace bâti, intérieur, et l’élément de l’enceinte. On constate une certaine variation dans la forme de cet élément, ainsi que dans son rapport au volume intérieur. Nous pourrions constater une certaine évolution par laquelle, cet élément de l’enceinte se définit, matérialise et se ferme progressivement, pour ensuite modifier son rapport à l’espace bâti. Ce dernier, dans un premier temps isolé au milieu de l’enceinte, viendra s’y accoler, allant même jusqu’à s’y confondre entièrement.

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Le positionnement de l’espace bâti à l’intérieur de l’enceinte définit les espaces extérieurs privés, ainsi que le rapport visuel entretenu depuis les espaces de la maison vers l’extérieur. De manière générale, les habitations de Campo Baeza tendent à isoler l’ensemble ou une partie de la maison de son environnement. Les relations visuelles au contexte suivent deux logiques distinctes. Dans la première logique, présente principalement au niveau inférieur, le contact est fortement limité. La maison est ainsi perçue telle une forteresse, impénétrable. La seconde logique, essentiellement aux niveaux supérieurs, accorde des vues, canalisées ou périphériques, mais toutefois distanciées du contexte, renforçant le caractère inaccessible de l’habitation. La structure des bâtiments joue un rôle incontestable dans la définition spatiale et volumétrique. L’ensemble des projets comprend une partie où les éléments sont en totale interdépendance. Cette partie suit le principe dit stéréotomique, explicité en amont. Certains bâtiments comportent également une partie dite tectonique, où les éléments architectoniques sont relativement indépendants. Néanmoins, leur positionnement rappelle la trame structurelle stéréotomique sousjacente. La circulation intérieure se concentre, canalisée le long d’un axe principal et d’un noyau distributif. A l’extérieur, on constate une circulation périphérique, physique ou virtuelle, tendant à isoler un espace central. Le système d’entrée, en spirale se complexifie peu à peu, pour ensuite se simplifier radicalement. L’espace extérieur privé au sein des maisons joue un rôle essentiel dans la conception des espaces de vie, permettant de cette manière la relative isolation par rapport à l’environnement. Les maisons combinent généralement divers types d’espaces extérieurs privés, tout en distinguant un espace extérieur principal, intrinsèquement lié à l’espace intérieur principal, le séjour. Cet espace intérieur et intime, est positionné de manière centrale au cœur de la composition, protégé par des couronnes d’espaces plein et/ou vide, ainsi que par l’élément de l’enceinte. Dans le séjour, nous observons un traitement particulier, magnifiant cet espace vis-à-vis des autres espaces de la maison. De plus, il est véritablement prolongé et complété par l’espace extérieur principal. Notons que l’espace extérieur privé est toujours distancié de l’environnement. Situé sur socle, surplombant la maison, il s’ouvre sur le paysage, mais est isolé, distancié du contexte. En intérieur d’enceinte, l’espace est isolé de l’environnement par la hauteur des murs qui empêchent tout regard, tout élément extérieur de pénétrer.

Comme signalé, le travail de l’architecte pourrait être scindé en trois parties. Les projets #1 et #2, les projets de #3 à #12, et les derniers, #13 et #14. Les deux premières habitations (#1, #2), sont quelque peu dépareillées par rapport à l’ensemble. Bien qu’elles esquissent certaines des caractéristiques qui deviendront plus tard cruciales dans les recherches de l’architecte, ces maisons ne sont pas véritablement des paradigmes des habitations de Campo Baeza. A partir du projet #3, nous assistons à une réduction des éléments, une épuration de l’ensemble, distillant certaines préoccupations, ainsi que le langage spécifique à l’architecte. Au sein de ces projets (#3 - #12), nous pourrions distinguer deux familles principales, se distinguant tant par l’expression que par la configuration spatiale. Les deux derniers projets (#13 - #14), introduisent une complexité nouvelle, hybridant les types, les familles précédentes. Ils pourraient, à l’avenir, donner naissance à de nouveaux types, mais il serait prématuré de tenter de les cataloguer à l’heure actuelle. Nous pouvons cependant les apprécier en fonction des maisons précédentes, en espérant des futures édifications, pouvant éclairer et compléter le processus.


Nous nous concentrerons ici sur la tranche principale de projets (# 3 - #12), et les deux familles qui s’y distinguent. La première catégorie est constituée par les maisons de type binaire, affichant de manière explicite la dialectique stéréotomique/tectonique. Les projets #10 et #14 illustrent de manière claire ce modèle. Ces maisons sont caractérisées par un contact particulier à l’environnement, radicalement opposé dans les deux parties de l’habitation, l’espace cérébral et l’espace animal. Volumétriquement, les projets de ce type sont très compacts, se présentant généralement sous forme cubique simple, sans enceinte. Le socle stéréotomique, compact et minéral, s’apparente à la terre, tandis que l’espace du volume tectonique, vitré, se dilue dans le paysage. Ces habitations s’implantent de préférence dans un tissu peu dense, sur un terrain en pente, permettant une totale ouverture du volume tectonique sur les environs ainsi que l’ancrage du socle stéréotomique à la terre. Les relations visuelles sont gérées de manière distincte dans les deux parties de la maison. Dans les espaces inférieurs, le regard est fortement canalisé, restreint, tandis que l’espace supérieur permet une vue dégagée, périphérique. Point de vue structurel, la partie tectonique est l’unique partie, tous types de maisons confondus, qui dissocie les divers éléments, tels colonnes, toiture, façade, socle. Nous observons une certaine variation du rapport entre ces éléments dans cette partie tectonique. La composition de ce type de maisons répond à deux logiques distinctes, superposées. Dans le volume stéréotomique, l’espace est cloisonné, sous-divisé de manière régulière et répétitive. Dans le volume tectonique, les différents éléments architectoniques décrivent une figure rectangulaire, dédoublée. On note une relative symétrie dans l’ensemble de la composition. L’espace intérieur au niveau inférieur occupe l’entièreté de l’édification, tandis qu’au niveau supérieur, un espace extérieur se dégage, autour d’un espace intérieur restreint. En coupe, les fonctions sont superposées par plateaux, généralement au nombre de deux. La circulation à l’intérieur du volume inférieur est canalisée le long de deux axes perpendiculaires, tandis qu’au niveau supérieur, elle est libre et périphérique. Un escalier intérieur permet d’accéder depuis l’étage inférieur à l’espace tectonique. L’accès depuis l’espace public à cet espace de vie est ponctué par une série de filtres, dont l’escalier, généralement dissimulé derrière une paroi verticale, constitue l’élément majeur, isolant ainsi l’espace principal. Le volume inférieur se ferme à l’espace public par une enveloppe massive et opaque, tandis que le volume supérieur, totalement ouvert, s’en distancie en prenant de la hauteur, et se retrouve ainsi isolé dans un contexte peu dense. L’unique espace extérieur de la maison est situé au niveau tectonique, sur socle, périphérique et annexe à l’espace du séjour. Il est totalement ouvert sur le paysage, et comprend un plan d’eau. L’espace principal de la maison est le séjour, situé au niveau supérieur, de plain-pied. De par son caractère tectonique, l’espace est tendu, baigné d’une lumière horizontale, et se dilue dans l’environnement. Le paysage pénètre véritablement à l’intérieur. La seconde famille de projets se caractérise par le positionnement d’un espace bâti, plein, au sein d’une enceinte périphérique. Cette configuration engendre des espaces extérieurs intra-muros, et tend à canaliser les vues aux différents niveaux. Divers projets illustrent cette famille, notamment les #5, #6, #8, #9, #11, #12, #13. De par la variété des possibilités dans le positionnement du bâti au sein de l’enceinte, ce modèle est moins facile à synthétiser que le type binaire. De manière générale, ce type de maison s’implante dans un tissu relativement dense. Les relations entretenues avec l’environnement suivent une logique distincte du type binaire, qui serait difficilement vivable en tissu dense.

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Ainsi, les vues sont totalement bloquées au niveau de l’enceinte, tandis qu’aux étages, le volume est ponctuellement perforé, permettant des relations visuelles avec l’environnement. Notons, au sein de cette famille, un sous-groupe totalement introverti. En effet, deux maisons (#8 et #12), organisées de plain-pied au niveau de l’enceinte, ne disposent d’aucune relation directe à l’environnement. Contrairement au modèle binaire, les maisons à enceinte n’organisent pas leurs espaces de vie dans les parties partiellement encastrées au sol. Celles-ci abritent des espaces techniques ou services. Elles donnent ainsi l’impression d’être déposées au sol. A l’intérieur de l’enceinte, grâce à des dispositifs spécifiques, le volume bâti, ou une partie de celui-ci, parait parfois en lévitation. Le traitement des façades diffère également du modèle précédent. L’enduit blanc, ainsi que l’opacité des façades oblitérées à l’étage, caractérisent les habitations de ce type. Les vues ne sont ici jamais panoramiques, mais canalisées et limitées. La composition répond, de manière analogue au modèle binaire, à une trame orthogonale dans laquelle s’agencent les diverses formes géométriques. Nous remarquons cependant que ces figures sont ici imbriquées de manière plus complexe, donnant naissance à des types d’espaces plus variés. Le positionnement du bâti au sein de l’enceinte varie fortement, mais nous remarquons ici que l’espace plein ne s’y superpose jamais entièrement, contrairement au modèle binaire. La maison est organisée de manière plus complexe dans ce type. Les espaces jour/nuit ne sont jamais superposés simplement, mais sont combinés, verticalement et/ou horizontalement. Constructivement, ce type prône une totale dépendance à la structure, selon le principe stéréotomique. La structure est massive, et comprend façades, planchers, séparations intérieures. Nous remarquons cependant que le percement dans la façade entre séjour et espace extérieur privé, tend davantage vers le tectonique. Ici, l’ouverture est totale et les appuis au sol sont réduits au minimum. La circulation s’organise de manière similaire au modèle binaire, canalisée et périphérique. Mais cette dernière se développe essentiellement à l’intérieur et le long de l’enceinte. Nous retrouvons la présence d’un escalier intérieur, mais dans ce type, un ou plusieurs escaliers secondaires extérieurs sont présents. Ces deniers participent généralement au système d’entrée. La transition depuis l’espace public vers l’espace privé s’opère de manière similaire au type binaire, par une succession de filtres. Dans le sous-groupe totalement isolé, nous constatons un axe d’accès simplifié à une ligne droite. L’enceinte abrite divers espaces extérieurs, variant selon le positionnement du bâti. Dans ce modèle, nous constatons la présence de divers types, combinés, et parfois situés dans une continuité. Dans ce cas, les espaces sont toujours hiérarchisés, selon la fonction qu’ils emplissent. Se distinguent alors l’espace extérieur d’accueil, les espaces dédiés au séjour, ou ceux dédiés aux chambres. L’espace extérieur principal est ainsi consacré au séjour, jouant un rôle important dans la perception spatiale de cet espace isolé du contexte, évitant la sensation de claustration. L’espace principal est le séjour, qui est positionné au centre, et bénéficiant de traitements spécifiques. L’espace est ainsi magnifié par divers types de lumières, et le travail en coupe est particulièrement riche dans ce modèle. Contrairement au type binaire, l’espace s’élance souvent sur doubles ou triples hauteurs, en diagonale, tout en s’étendant horizontalement vers l’extérieur clos, formant ici un espace unifié, à la fois dedans et dehors.


Le rapprochement aux concepts de maison à patio « traditionnelle » et/ou aux concepts modernistes décrits en amont, pourrait également être fait de manière synthétique. Une première analogie aux habitations « traditionnelles » pourrait être l’apparence générale des maisons. Dans les maisons (ou parties de celles-ci) de Campo Baeza, le caractère opaque et massif, les vues limitées, ainsi que le revêtement, étincelant ou minéral, pourraient s’apparenter au caractère des habitations traditionnelles. Certaines parties, à tendance tectonique, rappellent des caractéristiques modernistes. Celles-ci sont explicitées par l’indépendance structurelle et celle des divers niveaux de la maison, par le langage utilisé. L’utilisation de revêtements distincts chez Campo Baeza, minéral ou enduit blanc, rappelle également la façade blanche de la Villa Savoye ou les parois minérales du Pavillon de Barcelone. La composition géométrique évoque celle de la maison « traditionnelle », avec un recours presque systématique à la géométrie et à la symétrie des espaces centraux. Le périmètre d’enceinte, qui s’adapte à la parcelle, trouve également une analogie dans les dernières maisons à enceinte chez Campo Baeza. Mais l’irrégularité, l’asymétrie dont fait preuve la trame trouve des parentés dans les œuvres modernistes présentées. Dans celles-ci, la grille structurelle est cependant parfaitement régulière, et les espaces intérieurs sont affranchis de celle-ci. Chez Campo Baeza, c’est la trame en soi qui est régulière, tandis que les espaces intérieurs y restent fidèles. Cette caractéristique est étroitement liée au système structurel. Les concepts modernistes d’interdépendance des éléments ne sont repris par Campo Baeza que dans une partie d’un certain type de maison. Toutes les habitations comprennent une partie où les éléments dépendent de la structure, selon une conception « traditionnelle ». A l’intérieur de cette généralité, l’architecte utilise cependant des techniques et matériaux modernes. Les circulations au sein des habitations de Campo Baeza répondent à un fonctionnalisme certain, canalisant la circulation et distribution des pièces le long d’un axe principal. Cette spécificité se rapproche davantage des critères modernistes. Dans les maisons « traditionnelles », les circulations sont dédoublées et les pièces sont distribuées depuis l’espace central. Une certaine analogie est cependant présente dans l’emplacement de l’escalier vis-à-vis de l’espace principal. Ce dernier est isolé, intimisé, permettant l’accès à l’étage sans nécessairement devoir pénétrer le séjour. Le système d’entrée en chicane, reprend tant des caractéristiques « traditionnelles » que modernistes. Cependant, dans la simplification du parcours, allant d’un tracé en chicane à un tracé en ligne droite (donnant directement sur l’espace principal), une certaine analogie est possible aux maisons traditionnelles de la région andalouse. Dans ces maisons andalouses, le système d’entrée original en chicane, d’origine maure, est considérablement simplifié, et l’accès au patio a lieu de manière directe. L’espace extérieur dans les maisons de Campo Baeza est un élément complexe, combinant des caractéristiques « traditionnelles » et modernistes. Deux types d’espaces extérieurs privés, correspondant aux deux modèles, binaire et à enceinte, présentent des dissemblances. L’espace sur socle des maisons binaires, ouvert sur l’environnement, trouve davantage une filiation à l’espace du Pavillon de Barcelone. L’espace intérieur coule à l’extérieur, et l’environnement pénètre à l’intérieur dans une grande fluidité spatiale. L’espace est tendu horizontalement. On perçoit ici un espace intérieur positionné au centre d’un vaste paysage, tel un pavillon dans une cour.1 L’espace extérieur des maisons à enceinte présente davantage une analogie avec la Villa Savoye. L’espace, clairement défini, est contenu dans un cadre clairement défini. La forme géométrique de ce cadre rappelle le purisme préconisé par Le Corbusier. Ce type d’espace extérieur est perçu comme une cour dans un pavillon.***Cependant, notons le langage utilisé dans la façade entre le séjour et cet espace extérieur, rappelant celui du Pavillon de Barcelone, où les parois verticales et

1 Padovan Richard, Architectural Review, n°1018, The Pavilion and the court, Op.Cit.

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le revêtement du sol prolongent et unifient les deux espaces. De même, le généreux percement de la façade principale de la Villa Savoye (le cadre), permettant des vues panoramiques, est ici repris d’une certaine manière dans le volume tectonique de la maison binaire, tandis que le modèle à enceinte ne présente pas de percement dans ce cadre. Concernant les analogies à la maison à patio « traditionnelle », nous pouvons remarquer le caractère introverti des espaces extérieurs dans le type à enceinte, ainsi que leur rôle primordial au bon fonctionnement des espaces intérieurs, adjacents. L’introduction d’éléments naturels au sein des espaces extérieurs suggère une distanciation vis-à-vis du contexte concret, physique, dotant l’espace d’une valeur symbolique, métaphysique. La notion de centralité du patio « traditionnel » est ici transmutée à l’espace de vie principal, le séjour. Le noyau intime, véritable cœur de la maison, est toujours perceptible. L’accès vers cet espace depuis l’extérieur de la maison est souvent compliqué par une série d’espaces ou de seuils marquant la transition. Le tracé de ce parcours est souvent de type labyrinthique. Dans la maison « traditionnelle », la pièce principale donnant sur le patio central est inséparable de ce dernier, sur lequel elle s’ouvre amplement. Chez Campo Baeza, l’espace du séjour, dans le modèle à enceinte, est toujours magnifié par un traitement où doubles hauteurs, diagonales, et divers types de lumière. Il est intrinsèquement lié à l’espace extérieur principal. Dans cet espace unitaire, dehors/ dedans, intérieur/extérieur ne forment plus qu’un.


CONCLUSION

L’objectif fixé dans ce document était l’étude du travail résidentiel d’Alberto Campo Baeza, dans le but de mieux cerner les configurations spatiales et les éléments concrets qui les matérialisent, afin de tenter de déceler d’éventuelles filiations à un certain héritage architectural. L’approche a été soutenue par mes affinités avec la culture méditerranéenne traditionnelle et par l’influence exercée par le Mouvement Moderne sur les réalisations ultérieures. L’angle d’approche est inévitablement limité. Le nombre important de projets étudiés, leur complexité ainsi que l’étendue de l’héritage auxquels ils faisaient référence à mes yeux ont nécessité une méthodologie synthétique et efficace, exploitant au mieux les documents disponibles et s’inscrivant dans les délais impartis. Ce procédé m’a néanmoins permis de considérer le travail de Campo Baeza, de constater une certaine évolution et d’établir une classification des projets. Certaines logiques perceptibles dans les réalisations de l’architecte combinent d’une manière féconde des concepts hérités de l’architecture traditionnelle et/ou moderniste, réinterprétés au sein d’une nouvelle unité. En approfondissant le sujet, j’ai également constaté que, parallèlement à ces deux référents initiaux, les maisons de Campo Baeza font référence à une gamme beaucoup plus vaste d’œuvres architecturales que mon impression première me l’avait laissé penser en début d’étude. Ainsi, tandis que certaines énigmes sont levées, de nouveaux questionnements surgissent. Le mystère des habitations d’Alberto Campo Baeza subsiste. Ce paradoxe démontre la grande richesse et la complexité dont l’œuvre de l’architecte est empreinte. L’on comprend alors mieux les mots de Kenneth Frampton cités en introduction à ce travail :

« … Ainsi, en passant d’un projet à l’autre, le référent se déplace en un instant de Mies van der Rohe à Alejandro De la Sota, et dans un autre, de Luis Barragan à Giorgio Grassi, et ainsi successivement jusqu’à l’infini, pendant que nous luttons à reconstruire la généalogie de l’architecture de Campo Baeza. »1 Signalons que le sujet mériterait d’être abordé sous d’autres aspects, qu’il m’a été impossible de développer ici. A titre d’exemple, il serait intéressant de dresser une étude morphologique et typologique du contexte dans lequel les habitations s’insèrent, de manière plus étendue. Cette vision permettrait de mieux cerner les caractéristiques architecturales locales et le dialogue établi par l’architecte à ce contexte au moyen de ses réalisations. De même, le tableau synoptique joint à ce travail peut servir d’outil de lecture pour l’émergence de nouvelles associations et éventuelles filiations. Cette grille peut d’ailleurs être complétée par les futures réalisations de l’architecte, permettant une nouvelle lecture de l’ensemble, dans un processus évolutif.

1 Frampton Kenneth, Essai: On reading the Elemental int the Work of Alberto Campo Baeza, OP.Cit.

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